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ISBN : 978-2-38313-028-4
Titre
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Dédicace
Le mot de la directrice de collection
Liste des abréviations
Avant-propos
Préface
1. La présomption d'innocence
b) Le droit au silence
2. La liberté d'aller et de venir
3. Le droit au juge
1. La communication des pièces
3. Les prérogatives de l'accusation
3. L'invention de preuves
b) Les stupéfiants, fin ou moyen ?
2. Le meurtre de Sam
b) La violence conjugale
d) Le décès de Sam
a) Une culpabilité partagée
b) Une défense collective
2. Un repentir impossible
Cher lecteur,
Chère lectrice,
Peut-être pensez-vous que le droit est un domaine obscur, voire
austère, et qu’il n’a d’intérêt (et encore…) que dans les séries
télévisées américaines.
1. Il s’agit d’une longue saga, narrée dans : M. Benillouche, Chronique d’un maître de
conférences : comment je suis devenu enseignant en droit, Paris, Enrick B. Éditions, 2017.
2. Pour un décryptage et les données du succès planétaire de la série, voir le site :
http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18638056.html
3. J’ai écrit une thèse en procédure pénale comparée (France et Angleterre) et j’ai également
enseigné à l’université de Cardiff, au pays de Galles, ce qui m’a conduit à écrire quelques
articles, mais cela ne suffit assurément pas à faire de moi un spécialiste de common law, et
encore moins de droit américain.
Introduction
La série à travers le prisme
du droit français
1. Le harcèlement sexuel est réprimé par l’article 222-33 du CP et requiert soit des propos ou
comportements répétés portant atteinte à la dignité ou créant une situation intimidante,
hostile ou offensante, soit l’exercice d’une pression grave. En l’espèce, Laurel tenant tête à
Franck, il serait difficile de considérer une quelconque situation intimidante, hostile ou
offensante de la part de ce dernier.
2. Article 222-15 du CP et Crim., 5 octobre 2010, Bull. no 147.
3. Ainsi, l’article R. 3353-1 du Code de la santé publique réprime l’état d’ivresse manifeste
d’une contravention de 2e classe, l’article L. 234-1 du Code de la route incrimine la conduite
d’un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique, etc.
TITRE I
Une justice spectaculaire
La protection des libertés
individuelles
1. La présomption d’innocence
Selon Voltaire, « il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que
de condamner un innocent 1 ». La présomption d’innocence est le
principe essentiel de la procédure pénale, il suppose de faire peser la
charge de la preuve sur l’accusation. De la sorte, la personne qui est
suspectée n’est pas considérée comme étant coupable, et ce, jusqu’à
une éventuelle condamnation définitive. Cela a des répercussions non
seulement sur la preuve, mais aussi sur le traitement médiatique de
l’affaire.
Dans la majorité des cas mis en scène par la série Murder, les
prévenus clament leur innocence. En effet, il est plus spectaculaire
d’obtenir une relaxe pour des personnes poursuivies pour des faits
graves qu’une peine clémente pour des personnes ayant reconnu les
faits. Tout l’enjeu pour Annalise est de préserver cette innocence et
d’éviter que ses clients ne soient reconnus coupables.
Sur le plan procédural, la présomption d’innocence est
fondamentale puisqu’elle influe sur la charge de la preuve.
C’est en raison de l’existence de cette présomption qu’il appartient
à l’accusation de démontrer que le prévenu est coupable, et donc de
prouver que les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis. Ce
principe fondamental en droit pénal, quel que soit le pays dans lequel
il a vocation à s’appliquer, a, en droit français 2, en droit
international 3 et en droits européens 4 une valeur supérieure. Il fait
pleinement partie des exigences du procès équitable.
LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE
b) Le droit au silence
« Qui ne dit mot consent. » En procédure pénale, cet adage ne
correspond absolument pas au droit positif. Se taire est, en effet, une
attitude à la fois fréquente et théoriquement non dommageable pour
le suspect.
Dans les séries américaines comme Murder, le droit au silence
s’illustre avec une formule bien connue des téléspectateurs et
consacrée par le cinquième amendement de la Constitution des États-
Unis : « Vous avez le droit de garder le silence, tout ce que vous direz
pourra être retenu contre vous… »
Le droit au silence s’est affirmé progressivement en droit positif. Il
s’agit d’un corollaire de la présomption d’innocence. De notre côté de
l’Atlantique, c’est un droit reconnu tant sur le fondement de la
Convention européenne des droits de l’homme 8 que du droit interne.
Il peut ainsi être utilisé à tous les stades allant de l’enquête au procès,
qu’il s’agisse de la garde à vue 9 ou de l’interrogatoire de première
comparution devant le juge d’instruction 10. La personne gardée à vue
se voit notifier le « droit, lors des auditions, après avoir décliné son
identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont
posées ou de se taire 11 ». Contrairement à ce qui se passe aux États-
Unis, où les autorités lui notifient expressément qu’elle a le droit de
se taire, en France, on l’informe qu’elle a le droit de faire des
déclarations aux autorités. Force est de constater que cette disposition
n’est pas aussi impérative que le cinquième amendement, tant s’en
faut !
La série fait de multiples références au droit au silence, et
Annalise n’hésite pas à préconiser son utilisation à chaque fois que la
situation s’y prête : ainsi, dans l’épisode 12, tout en prévenant Nate
des avancées de l’enquête concernant le meurtre de son mari, elle lui
enjoint de ne pas répondre à la police. En effet, tout ce qu’il dirait ne
pourrait que corroborer la thèse de la police et son implication dans
le meurtre.
Le droit au silence se décline également en deux autres principes
du droit américain. Le premier est contenu dans le
cinquième amendement : « Nul ne peut témoigner contre soi-même. »
Dans l’épisode 12, Annalise est face à la tourmente. Mise en
cause, elle devrait être remplacée par un collègue à l’université, mais
décide néanmoins d’aller au-devant de ses étudiants et consacre un
cours entier au droit au silence. Ses cours étant interactifs, les
étudiants sont censés les avoir préparés pour répondre correctement
aux questions posées, au risque d’être repris, de façon assez vexatoire
d’ailleurs, par leur professeur. (De tels cours sont peu fréquents dans
nos universités, bien qu’ils tendent à se développer 12.)
COMMENT RÉAGIR FACE À DES COURS OU SÉANCES DE TRAVAUX
DIRIGÉS NON PRÉPARÉS ?
3. Le droit au juge
Pour Coluche, « il y a deux sortes de justice : vous avez l’avocat qui
connaît bien la loi, et l’avocat qui connaît bien le juge ». Dans Murder,
Annalise connaît tout aussi bien la loi que les juges… et ce n’est pas
nécessairement un avantage !
Le droit au juge est la possibilité reconnue à tout justiciable de
faire connaître sa cause à une juridiction. Il a été dégagé par la
décision « Golder » de la Cour européenne des droits de l’homme
comme résultant d’un principe de droit international prohibant le
déni de justice 22. Dans la série, il est souvent évoqué sous la forme du
droit d’habeas corpus, à savoir la possibilité pour toute personne
détenue d’être aussitôt traduite devant une juridiction, ainsi qu’à
l’occasion d’un épisode portant sur l’équivalent américain de la cour
d’assises.
En matière criminelle, le droit au juge a une signification toute
particulière, dans la mesure où il s’agit du principe révolutionnaire du
jugement par les pairs qui veut que l’accusé soit jugé par un jury
populaire 23. Ainsi, la justice criminelle suppose un jugement par des
cours d’assises composées actuellement de trois magistrats
professionnels et de six jurés.
Dans la série, il existe aussi fréquemment un jury d’accusation, qui
décide si les charges sont suffisantes pour renvoyer en jugement.
Afin d’éviter que leurs préjugés ne faussent la prise de décision, la
sélection des jurés obéit à des règles spécifiques et est sujette à des
possibilités de révocation par les avocats.
ET EN PRATIQUE ?
Les avocats pénalistes appliquent fréquemment certains critères stricts au processus
de sélection des jurés. L’un d’entre eux m’a par exemple avoué que dans les cas de
jugement pour viol, lorsqu’il est le défenseur de la victime, il cherche
systématiquement à révoquer
les femmes âgées et les hommes jeunes. Il leur préfère les femmes jeunes
célibataires, susceptibles de s’identifier à la victime, et les hommes plus mûrs,
potentiels « sugar daddys » qui se montreraient plus protecteurs envers les jeunes
femmes.
LA SÉLECTION DES JURÉS
Lorsque j’étais élève avocate, j’ai assisté à plusieurs procès en cour d’assises.
Le moment de sélection des jurés est toujours très solennel. Seul l’accusé et son
avocat ainsi que l’avocat général peuvent révoquer les jurés. Ils n’ont accès qu’à
quelques éléments d’identité tels leurs sexe, âge et profession.
Le président de la cour d’assises appelle le nom de chaque personne. Le juré
désigné se lève pour s’asseoir près du Président. Entre le moment où le juré se lève
et le moment où il s’assied près du magistrat, peut parfois résonner dans la Cour un
retentissant « Récusé » de la part de l’avocat général ou de l’avocat de la défense.
Certains jurés semblent déçus d’être écartés, d’autres paraissent soulagés.
Par curiosité, j’avais demandé à un avocat général quels étaient ses critères de
sélection pour récuser ou non un juré. Il m’avait répondu qu’il était sensible au fait
que le nombre d’hommes et de femmes choisi soit peu ou prou le même.
1. Zadig, chapitre 6.
2. Article 9 de la DDHC.
3. Article 15 du PIDCP.
4. Article 6 paragraphe 2 de la CESDH, notamment.
5. A. J. Bullier, Réflexions sur le procès de common law, Bruxelles, Bruylant, 2015.
6. Voir notamment la relaxe rendue au bénéfice de Dominique Strauss-Kahn dans l’affaire du
Carlton de Lille, malgré plusieurs mois de campagne médiatique à charge. Et que dire de
Jawad « le logeur de Daech » ?
7. Voir notamment l’article 145 alinéa 6 du CPP concernant le placement en détention
provisoire.
8. Article 6 paragraphe 2 de la CESDH tel qu’interprété par la CEDH, Funke C. France,
25 février 1993, A 256-A.
9. Article 63-1 du CPP.
10. Article 116 alinéa 4 du CPP.
11. Article 63-1 3 du CPP.
12. Oserais-je une nouvelle fois citer mon ouvrage, Chronique d’un maître de conférences…,
paru chez Enrick B. Éditions en 2017 ?
13. Voir notamment la CEDH, Van Der Heijden C. Pays-Bas, 3 avril 2012, requête
no 42857/05.
14. Article 434-1 du CP.
15. À savoir :
« 1o Les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et sœurs et leurs conjoints,
de l’auteur ou du complice du crime ;
2 o Le conjoint de l’auteur ou du complice du crime, ou la personne qui vit notoirement en
situation maritale avec lui. »
16. Il s’agirait, selon maître Eolas, d’un adage des juges des libertés et de la détention
parisiens. Voir le site : http://www.maitre-eolas.fr/post/2010/04/12/Détention-illégale
17. À savoir :
« 1o Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la
vérité ;
2o Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;
3o Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou
complices ;
4o Protéger la personne mise en examen ;
5o Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ;
6o Mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ;
7o Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de
l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé. Ce
trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire. Toutefois, le présent
alinéa n’est pas applicable en matière correctionnelle. »
18. Article 138 11° du CPP.
19. Article 141-2 du CPP.
20. « Tout juge ou conseiller peut être récusé pour les causes ci-après :
1o Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin
sont parents ou alliés de l’une des parties ou de son conjoint, de son partenaire lié par un pacte
civil de solidarité ou de son concubin jusqu’au degré de cousin issu de germain inclusivement.
La récusation peut être exercée contre le juge, même au cas de divorce ou de décès de son
conjoint, de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou de son concubin, s’il a été allié
d’une des parties jusqu’au deuxième degré inclusivement ;
2o Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son
concubin, si les personnes dont il est tuteur, subrogé tuteur, curateur ou conseil judiciaire, si les
sociétés ou associations à l’administration ou à la surveillance desquelles il participe ont intérêt
dans la contestation ;
3o Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son
concubin, est parent ou allié, jusqu’au degré indiqué ci-dessus, du tuteur, subrogé tuteur,
curateur ou conseil judiciaire d’une des parties ou d’un administrateur, directeur ou gérant d’une
société, partie en cause ;
4o Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son
concubin, se trouve dans une situation de dépendance vis-à-vis d’une des parties ;
5o Si le juge a connu du procès comme magistrat, arbitre ou conseil, ou s’il a déposé comme
témoin sur les faits du procès ;
6o S’il y a eu procès entre le juge, son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité
ou son concubin, ou leurs parents ou alliés en ligne directe, et l’une des parties, son conjoint, ou
ses parents ou alliés dans la même ligne ;
7o Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son
concubin, ont un procès devant un tribunal où l’une des parties est juge ;
8o Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son
concubin, leurs parents ou alliés en ligne directe ont un différend sur pareille question que celle
débattue entre les parties ;
9o S’il y a eu entre le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou
son concubin et une des parties toutes manifestations assez graves pour faire suspecter son
impartialité. »
21. Article 6 paragraphe 1 de la CESDH.
22. CEDH, Golder C. Royaume-Uni, 21 février 1975, série A no 18.
23. Les Français sont particulièrement attachés à ce principe, comme en atteste le tollé
soulevé par le projet de création d’un tribunal criminel sans jury.
24. Article 298 du CPP.
25. Article 669 du CPP.
26. Dans l’affaire Georges Tron, l’avocat de l’accusé a ainsi soulevé un tollé de protestations
en dévoilant certains de ces éléments. Voir le site :
https://www.franceinter.fr/emissions/dans-le-pretoire/dans-le-pretoire-05-janvier-2018
27. Article L. 231-9 du Code de la justice pénale des mineurs.
28. Voir notamment sur ce point A. Gide, Souvenirs de la cour d’assises, 1914.
29. Il est possible de citer, en France, l’affaire Jacqueline Sauvage concernant les violences
conjugales ou encore, aux États-Unis, l’affaire OJ Simpson.
30. É. Zola, Lettre à la jeunesse, 1897.
31. Le témoin mensonger commet l’infraction prévue par l’article 434-14 du CP (article 131-
1 du CP, Crim., 7 janvier 1970, pourvoi no 69-90114), et si les faits sont établis, le sénateur a
commis une subornation de témoin (article 434-15 du CP). Par ailleurs, il pourrait être
reproché au sénateur une escroquerie au jugement (article 313-1 du CP).
32. Article 622 du CPP.
33. Article 623 du CPP.
CHAPITRE 2
Le contradictoire exacerbé
1. La communication des pièces
Le point de vue d’enseignants
3. Les prérogatives de l’accusation
Selon un proverbe russe assez méconnu, « qui accuse le juste se
blesse lui-même ». Serait-ce la raison pour laquelle, à chaque fois que
l’accusation cherche à s’en prendre à Annalise et à l’accabler de
charges, elle subit un effet boomerang assez dévastateur ?
Pour autant, l’accusation dispose de prérogatives non négligeables
lui permettant de contrebalancer la primauté d’apparence des
prérogatives de la défense. Nous n’envisagerons à ce titre que les
prérogatives légales, bien que l’accusation use (et abuse) dans la série
de moyens parfaitement illégaux pour mettre à mal la défense et
donc, Annalise. On peut notamment rappeler les multiples attaques
personnelles de l’accusation à son égard. Dans l’épisode 12, le
substitut Hobbes n’hésite pas à faire pression sur elle et à la menacer
d’une inculpation imminente pour meurtre ! Ne s’agit-il pas là de
violences psychologiques 10 ? Dans la série, les crispations entre
l’accusation et la défense sont exacerbées et la procédure, plus orale,
semble faciliter ce type de pressions que rien, en droit français,
n’autorise.
Pour en revenir aux prérogatives légales de l’accusation, et
contrairement à ce que l’abus de prérogatives illégales pourrait laisser
penser, elles sont nombreuses. Plus encore, celles dont l’accusation
dispose permettent de contrevenir de manière substantielle aux
différentes stratégies mises en place par la défense. Tout d’abord,
l’accusation n’a pas à produire tous les éléments de preuve en sa
possession. Ainsi, dans l’épisode 4 (« Les Trois Petits Cochons »),
l’accusation refuse de produire la vidéo des aveux de Rebecca. En
droit français également, les interrogatoires pratiqués en garde à vue,
en matière criminelle, sont filmés 11. Toutefois, cet enregistrement ne
peut être consulté qu’en cas de contestation du contenu du procès-
verbal. Plus encore : comme nous l’avons vu, lors de l’enquête, l’accès
au dossier est très étroitement limité.
Ensuite, l’accusation dispose de prérogatives de puissance
publique qui lui permettent d’effectuer de nombreux actes lors de
l’enquête et de l’instruction. Dans l’épisode 12, « Flic un jour, flic
toujours », Franck, paniqué, dit à Laurel qu’elle est désormais sous
surveillance et qu’elle doit prévenir les autres stagiaires, qu’il appelle
affectueusement ( ?) « les autres débiles ». Bien qu’il ne lui précise pas
la nature de cette surveillance, il s’agit manifestement d’écoutes
téléphoniques ordonnées sur le fondement des dispositions du Code
de procédure pénale. En droit français, ces écoutes ne sont possibles
que dans le cadre de l’instruction 12 ou en cas de criminalité et de
délinquance organisées lors de l’enquête 13. Or, compte tenu des
circonstances entourant le décès de Sam, il est plus que vraisemblable
que l’enquête portera sur un meurtre. Pour qu’il s’agisse de
criminalité et de délinquance organisées, il est nécessaire de réunir
trois conditions : au moins trois participants, une structure et une
préméditation 14. Dans la série, outre les cinq stagiaires, Annalise,
Nate, Bonnie et Franck sont plus ou moins impliqués ; il existe une
structure de l’organisation qui remonte jusqu’à Annalise ; mais les
circonstances dans lesquelles Sam a été tué semblent exclure toute
forme de préméditation. Le droit français supposerait donc
d’appliquer le droit commun, à défaut de pouvoir se prévaloir de la
procédure en matière de criminalité et de délinquance organisées, ce
qui exclurait toute possibilité d’écoutes téléphoniques. Trois types
d’écoutes sont régis par le droit français : les écoutes
administratives 15, les écoutes judiciaires 16 et les écoutes
pénitentiaires 17.
Autre prérogative de l’accusation : le mandat de perquisition. Un
tel mandat est délivré pour inspecter la maison d’Annalise. Celle-ci
demande à Bonnie de le contester. Une audience a lieu. Pour justifier
le mandat, Anna, la sœur de Sam, raconte qu’au cours d’une
cérémonie organisée lors du lancement d’un ouvrage, Annalise aurait
menacé de mort son mari et aurait jeté un presse-papiers en direction
de sa tête. En France, contrairement à une opinion trop répandue, IL
N’EXISTE PAS de mandat de perquisition. Le fondement juridique de
la perquisition dépend du cadre juridique des investigations : enquête
préliminaire, enquête de flagrance ou instruction. Ce n’est que lors de
l’enquête préliminaire que l’assentiment du propriétaire est requis 18.
Toutefois, même dans ce cas, il est possible pour les infractions
punies au minimum de cinq ans d’emprisonnement d’obtenir
l’autorisation du juge des libertés et de la détention afin de passer
outre l’absence de consentement 19. Ce qui peut surprendre,
finalement, ce n’est pas la différence fondamentale entre les deux
droits, mais au contraire leur rapprochement depuis l’instauration du
juge des libertés et de la détention par la loi du 15 juin 2000. Ainsi,
même lors d’une enquête préliminaire, ce juge peut, au regard des
nécessités de l’enquête, autoriser la perquisition par une décision
écrite et motivée. Il n’y a là que peu de différence avec le fait de
solliciter, comme dans la série Murder, un mandat de perquisition.
La consultation des fadettes 20 est également une arme
procédurale redoutable, dont l’accusation ne manque pas de se
prévaloir. C’est grâce à la mise en œuvre de ce procédé que, dans
l’épisode 13 (« Maman est là maintenant »), Rebecca est convoquée
par la police qui a remarqué qu’elle a appelé Nate la nuit de la
disparition de Sam. En droit français, l’article 77-1-1 du Code de
procédure pénale permet cette consultation, même lors de l’enquête
préliminaire 21. Le procureur de la République ou, sur autorisation de
celui-ci, l’officier de police judiciaire, peut, par tout moyen, requérir
de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou
public ou de toute administration publique susceptibles de détenir
des informations intéressant l’enquête, y compris celles issues d’un
système informatique ou d’un traitement de données nominatives, de
lui remettre ces informations, notamment sous forme numérique,
sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l’obligation au
secret professionnel.
En France, l’affaire « des fadettes » a défrayé la chronique. Les
« fadettes » désignent soit celles qui ont des pouvoirs de fées, ce qui
n’est pas le sujet ici, soit les factures détaillées transmises par les
opérateurs téléphoniques. Or, lors d’une enquête menée entre 2014 et
2019, le Parquet national financier a recherché, à partir des fadettes
de plusieurs avocats connus et reconnus, qui aurait pu informer
l’ancien Président Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu’ils
étaient sur écoute. L’enquête pour violation du secret professionnel a
été classée sans suite en décembre 2019. Selon un rapport de
l’inspection générale de la justice de septembre 2020, il y aurait eu
plusieurs irrégularités. L’Ordre des avocats du Barreau de Paris a saisi
la justice en décembre 2020. Enfin, dans une décision du 3 novembre
2021, le Tribunal judiciaire de Paris a estimé que l’ingérence dans la
vie privée des avocats concernés et de leurs interlocuteurs n’était pas
disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi.
Finalement, le constat est assez décevant : les modes de preuve
utilisés dans la série ne sont pas très nombreux et restent classiques.
On ne trouve nulle trace d’IMSI-catcher 22, de sonorisation ou de
fixation d’images 23… De là à dire que les autorités d’investigation de
la série ne sont pas très imaginatives, il n’y a qu’un pas – que nous
franchissons volontiers. L’utilisation de preuves plus spectaculaires
reste la marque de fabrique des différentes versions des Experts 24.
1. Albert Camus, La Peste.
2. Article 63-4-1 du CPP.
3. Le statut de témoin assisté est octroyé par le juge d’instruction et permet de bénéficier de
certains droits de la défense.
4. La personne mise en examen a la plénitude des droits de la défense MAIS elle peut voir sa
liberté restreinte et être renvoyée en jugement.
5. La victime peut se constituer partie civile afin d’accéder au dossier et d’obtenir des
dommages-intérêts.
6. Crim., 19 septembre 2012, no 11-88111. Cette position a été réitérée depuis : Crim.,
14 avril 2015, no 14-88515.
7. Propos pour le moins malheureux prononcés par un expert lors du procès d’Outreau.
8. Article 167 alinéa 3 du CPP.
9. En droit français, les parties peuvent s’adresser à cette fin au juge d’instruction (article 82-
1 du CPP).
10. Article 222-13 du CP.
11. Article 64-1 du CPP.
12. Articles 100 à 100-7 du CPP.
13. Article 706-95 du CPP.
14. Article 132-71 du Code pénal.
15. Articles L. 852-1 du Code de la sécurité intérieure.
16. Articles 100 à 100-8 et 706-95 du Code de procédure pénale.
17. Article 727-1 du Code de procédure pénale.
18. Article 76 du CPP.
19. Article 76 alinéa 4 du CPP.
20. Nom donné au relevé des appels entrants et sortants du téléphone portable.
21. Crim., 2 novembre 2016, no 16-82 376.
22. Un IMSI-catcher (International mobile subscriber identity) est un matériel de surveillance
utilisé pour l’interception des données de trafic de téléphonie mobile et pour suivre les
données de localisation des terminaux, et donc de leurs utilisateurs. Voir à ce sujet la fiche
pratique de J.-B. Crabières, « Le recours à l’IMSI-catcher », Procédures no 5, mai 2017.
23. Articles 706-96 et suivants du CPP.
24. Les Experts Miami, Las Vegas ou Manhattan.
CHAPITRE 3
Une procédure pénale
reposant sur la déloyauté
1. William Shakespeare.
2. Ch. réunies, 31 janvier 1888.
3. Article 79 du CPP.
4. Articles 706-73 et suivants du CPP.
CHAPITRE 1
L’omniprésence du mensonge
2. Les mensonges entre
les protagonistes
Le mensonge entre Ayden et Michaela
Le mensonge n’est pas systématiquement constitutif d’une
infraction. C’est par exemple le cas dans l’épisode 3, dans lequel
Ayden, le fiancé de Michaela, fait son apparition. Dans cet épisode,
on découvre que, plus jeune, il a eu une liaison avec Connor, ce qu’il
avait caché à Michaela. Il s’agit d’une forme de mensonge sur la
personne : Ayden ne révèle pas son passé sentimental ni même,
probablement, son orientation sexuelle. Selon le droit français, un tel
mensonge ne constitue bien évidemment pas une infraction pénale.
N’est-il pas pour autant susceptible d’avoir une influence sur le
mariage ? Rappelons que l’alinéa 2 de l’article 180 du Code civil
envisage notamment comme cause de nullité du mariage l’erreur sur
les qualités essentielles de la personne. Or, selon la Cour de cassation,
dans certaines circonstances précises, le fait de cacher à son époux ou
son épouse l’existence d’une relation antérieure peut constituer une
tromperie sur les qualités essentielles 5. Toutefois, le simple mensonge
ayant porté sur la vie sentimentale passée n’a pas d’incidence sur la
vie matrimoniale 6. Fort heureusement ! Que le lecteur imagine la
situation inverse : il faudrait alors révéler l’ensemble des détails de sa
vie sentimentale lors de la première rencontre… Quelle horreur !
Dans la série, c’est l’orientation sexuelle d’Ayden plus que sa
liaison passée qui pourrait être problématique. En effet, bien que
Michaela soit particulièrement attachée aux apparences et souhaite
éviter le qu’en-dira-t-on à propos de l’orientation sexuelle de son
mari, il va de soi que le projet de mariage repose avant tout sur ses
sentiments amoureux. Or, elle aime son ex-futur époux. Le mensonge
de ce dernier n’en conduit pas moins Michaela à une réaction assez
violente. Chamboulée par cette révélation, elle menace son fiancé de
briser sa carrière en devenir et de lui prendre tout son argent si cela
devait se renouveler. Ce qui nous conduit à nous interroger : un tel
comportement ne pourrait-il pas caractériser l’une des infractions
pénales de menace 7 ? Il ne semble pas. En effet, il ne s’agit ni de
menacer de commettre un crime ou un délit, ni de menaces de mort,
ni même de menaces réitérées.
3. L’invention de preuves
Invention ou création ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que les
personnages de la série font preuve d’un sens créatif aigu !
Il faut bien se rendre à l’évidence : les faits ne se présentent pas
toujours de la meilleure manière qui soit pour la défense. Quel avocat
n’a pas maugréé à la découverte d’une pièce qui mettait à mal sa
stratégie ?
Dans la série Murder, l’action succède parfois à la frustration. Ce
qui explique que les avocats de la défense ou de l’accusation puissent
interférer dans la manifestation de la vérité. C’est le cas dans
l’épisode 6, « Habeas corpus ». Annalise cherche à disculper Lila. Elle
décide alors de faire intervenir son homme de main, Franck, afin qu’il
place le téléphone de Lila dans la voiture de Griffin. Ce stratagème lui
permet de brouiller les pistes.
Dans l’épisode 12, c’est une bague qui est retrouvée dans le bois
où le corps de Sam a été démembré et brûlé. Si Michaela est prise de
panique, persuadée qu’il s’agit de sa bague de fiançailles, il s’avère
finalement qu’il s’agit de celle de la victime, Sam, à ceci près qu’elle a
été déposée par Franck et porte les empreintes de Nate !
Dans les deux hypothèses, il s’agit d’une altération de traces ou
indices par l’apport d’objets quelconques en vue de faire obstacle à la
manifestation de la vérité, laquelle est sanctionnée par trois ans
d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende conformément à
l’article 434-4 du Code pénal.
Très proche de cette hypothèse, la dissimulation de preuves. Elle
est sanctionnée de la même manière par l’article 434-4 du Code pénal
qui vise l’altération, la falsification ou l’effacement des traces ou
indices par l’apport, le déplacement, ou la suppression d’objets.
L’épisode 14, « Ainsi soit-il », en donne un exemple éclairant. Les
principaux personnages se retrouvent face à Rebecca, qui a retrouvé
le vigile qui les avait vus sortir de la maison d’Annalise le soir du
meurtre. Or, ce vigile a été renvoyé après des accusations de
harcèlement – certainement mensongères – émanant d’étudiantes. On
ignore qui est à l’origine de son renvoi, même si l’on reconnaît
aisément la « patte » d’Annalise qui se rend donc coupable de cette
infraction en éloignant le témoin de la sorte. Par ailleurs, Rebecca
menace de révéler ce qu’elle sait aux autorités. Ne le faisant pas, elle
commet l’infraction de non-dénonciation de crime 11.
« Garde tes amis près de toi et tes ennemis plus près encore 12. »
Les protagonistes de la série mentent à la fois à la police et, dans
une certaine mesure, à la justice.
Wes indique ne pas avoir vu Sam dernièrement, alors qu’il l’a tué
(épisode 10).
Laurel indique que Sam la regardait, confortant ainsi la croyance
en un penchant de la victime pour les jeunes femmes et en sa
vraisemblable infidélité (épisode 10).
Annalise, interrogée par la police, ment ouvertement en faisant
part de ses soupçons concernant l’implication de Sam dans le
meurtre de Lila. Elle affirme ne pas reconnaître le sexe de son
mari sur la photographie découverte dans le téléphone de Lila et
indique avoir passé plusieurs heures chez Nate la nuit du meurtre
de Sam.
Bonnie dit avoir quitté Asher vers 21 heures et que Sam lui a fait
des avances le soir de sa disparition, confirmant les suspicions
d’infidélité de ce dernier et, par conséquent, le mobile du meurtre
de Lila (épisode 10).
Le procès de Rebecca étant imminent, la tactique d’Annalise est de
reporter tous les soupçons sur Sam. Seul Asher, qui est à l’écart du
groupe et ne connaît pas la vérité, ne ment pas, ce qui renforce la
thèse des autres.
Cette valse des témoignages pourrait de prime abord paraître
étonnante. Il n’en est rien puisque, comme dans la procédure pénale
française, tout officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de
celui-ci, tout agent de police judiciaire peut entendre toutes les
« personnes susceptibles de fournir des renseignements sur les faits en
cause » dans le cadre d’une enquête de flagrance 14.
Les témoins ont d’ailleurs l’obligation de comparaître 15. Ils
peuvent y être contraints par la force et retenus pendant une durée
de quatre heures au maximum 16.
Mais un témoin peut-il mentir ? Le témoin est entendu sans prêter
serment, l’article 103 du Code de procédure pénale qui prévoit ce
serment ne s’appliquant qu’après ouverture d’une information. S’il
venait à mentir, il n’encourrait, de ce fait, aucune sanction pour faux
témoignage 17. Pratique… ! En revanche, l’article 434-13 du Code
pénal punit le témoignage mensonger de sept ans d’emprisonnement
et 100 000 euros d’amende :
« 1o Lorsqu’il est provoqué par la remise d’un don ou d’une
récompense quelconque ;
2o Lorsque celui contre lequel ou en faveur duquel le témoignage
mensonger a été commis est passible d’une peine criminelle. »
Dans l’épisode 11 de Murder, un appel anonyme piloté par Franck
signale la présence de Sam, pourtant déjà décédé, dans l’État de
New York. Franck commet ici l’infraction prévue par l’article 434-15
du Code pénal, qui punit le fait d’user de promesses, offres, présents,
pressions, menaces, voies de fait, manœuvres ou artifices au cours
d’une procédure ou en vue d’une demande ou défense en justice afin
de déterminer autrui, soit à faire ou délivrer une déposition, une
déclaration ou une attestation mensongère, soit à s’abstenir de faire
ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation. La
peine prévue pour cette infraction est de trois ans d’emprisonnement
et 45 000 euros d’amende.
En somme, rien n’impose en droit de dire la vérité, mais mentir
autant que le font les personnages de la série rend nécessairement
moins crédibles les versions successives fournies à une police un peu
passive. À chaque nouvelle version, les protagonistes doivent faire
preuve d’imagination pour convaincre.
2. La vie privée : un obstacle
contournable
« Tu vois, c’est ça le problème avec les terroristes : ils n’ont aucun
respect pour ta vie privée. » 7
Le niveau de technicité requis dans les différents cas mentionnés ci-dessus est
relativement peu élevé. Il semble qu’il s’agisse là d’une réelle volonté des
scénaristes d’utiliser majoritairement des preuves subjectives résultant notamment
de pièges. Surprenant ? Pas tant que cela. En effet, un tel choix renforce le
caractère spectaculaire et rythmé de la série où les personnages sont actifs dans la
recherche de la vérité et ne dépendent pas d’une expertise dont la technicité les
reléguerait au second plan.
De plus, les preuves privilégiées dans la série, aussi déloyales soient-elles, ne
constituent-elles pas un moyen pour les personnages de se mettre en valeur et
d’éprouver le sentiment de garder un certain contrôle sur la situation ?
1. Jean Jaurès.
CHAPITRE 1
1. Le meurtre de Lila :
le premier d’une (longue) série
Au gré des épisodes, nous apprenons les détails du meurtre de
Lila ainsi que le contexte dans lequel il s’est déroulé.
b) Les stupéfiants, fin ou moyen ?
« Si tu veux aller traîner, il faut que tu sortes avec elle : cocaïne.
Si tu veux t’y mettre, te foutre par terre : cocaïne… 6 »
2. Le meurtre de Sam
b) La violence conjugale
d) Le décès de Sam
1. Exode 21, 23-25.
2. Articles 222-7 et suivants du CP.
3. De l’ITT (interruption totale de travail) dépend en France la peine encourue pour les
violences.
4. Article 222-14-3.
5. L’auteur ne peut que penser, en écrivant ces mots, avec un sourire TRÈS marqué, à
Britney Spears, star Disney qui disait avoir conclu un tel pacte avec Justin Timberlake…
6. Traduction libre de la chanson Cocaine, interprétée par J. J. Cale puis Eric Clapton.
7. Article R. 623-2 du CP.
8. Article 222-15 du CP.
9. Article 4 du Protocole additionnel no 7 de la CESDH.
10. CEDH, Tomasi, 27 août 1992 ; Selmouni, 28 juillet 1999.
11. Article 434-7 du CP.
12. Article 6 alinéa 1er du CPP.
13. Victor Hugo, L’Année terrible.
14. Article 221-3 du CP.
15. Sur ce point, il convient de relever que le pénaliste est souvent présenté comme étant
nécessairement un homme. Aux États-Unis, la question raciale se pose également, avec
autant de force.
16. Jean-Paul Sartre, Situations II.
17. Annalise a, de façon sporadique, une liaison avec Nate, qu’elle fera froidement accuser
du meurtre de Sam.
18. Article 311-1 du CP.
19. Article 222-14-3 du CP.
20. Article 226-4 du CP.
21. Crim., 12 janvier 1989, Bull., no 14.
22. CA Paris, 5 février 2014, Comm. com. électr. 2014, comm. 40, obs. E. A. Caprioli.
23. Crim., 20 mai 2015, pourvoi no 14-81336.
24. CEDH, Saoud C. France, 9 octobre 2007, arrêt no 9375/02.
CHAPITRE 2
b) Une défense collective
Les apprentis pénalistes décident de mobiliser leurs connaissances
pour élaborer une stratégie en deux temps : 1. Dissimuler les preuves
du meurtre ; 2. Se fabriquer un alibi.
La stratégie de dissimulation
La stratégie de dissimulation est conçue en deux temps : d’abord
faire disparaître le corps, puis faire disparaître l’arme du crime.
Logique implacable sur laquelle s’entendent l’ensemble des
protagonistes : le meilleur rempart contre une éventuelle accusation
de meurtre est de faire en sorte que personne ne sache qu’un meurtre
a eu lieu. Pour cela, il convient de faire disparaître le corps de Sam.
Cette stratégie de dissimulation est assez classique et la série
l’illustre parfaitement. Elle est cependant constitutive de nombreuses
infractions. Ainsi :
Le fait de déplacer le cadavre, de le brûler et de s’emparer de
l’arme du crime en vue de les dissimuler est constitutif de
l’infraction d’altération, falsification ou effacement des traces
ou indices par l’apport, le déplacement ou la suppression
d’objets quelconques en vue de faire obstacle à la
manifestation de la vérité. Cette infraction est punie de
trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende 3.
Le démembrement du corps est constitutif d’une atteinte
manifeste à l’intégrité du cadavre, sanctionnée par
l’article 225-17 du Code pénal.
L’enterrement du cadavre est plus discutable. Selon
l’article 434-7 du Code pénal :
La stratégie de l’alibi
Conformément au célèbre proverbe français, « Un homme averti en
vaut deux », les personnages décident de jouer la carte de la
prudence. Vraisemblablement conscients du risque que, malgré leurs
efforts de dissimulation des éléments à charge, le meurtre de Sam
pourrait refaire surface, ils s’emploient à forger leur innocence en se
construisant un alibi. L’objet est de démontrer qu’ils s’adonnaient à
d’autres activités et ne pouvaient être présents au moment du
meurtre de Sam.
Cette stratégie passe par différentes étapes :
D’une part, il faut limiter le nombre de personnes informées
du meurtre pour éviter les fuites. C’est la raison pour laquelle
les quatre apprentis pénalistes refusent d’ouvrir à Asher (le
cinquième étudiant travaillant pour Annalise, qui ignore tout
du meurtre de Sam) lorsqu’il tambourine à la porte du cabinet.
D’autre part, être visibles à l’heure du crime pour démontrer
une impossibilité matérielle de réalisation du meurtre. C’est la
raison pour laquelle les quatre apprentis pénalistes se rendent
à un feu de joie et postent des photos sur les réseaux sociaux.
À remarquer : la construction d’un alibi n’est pas en tant que telle
répréhensible. En effet, il s’agit alors simplement d’actes de
préparation et non du commencement d’exécution d’une infraction 8.
2. Un repentir impossible
1. Eschyle.
2. Article 434-6 du CP.
3. Article 434-4 du Code pénal.
4. Articles 353, 427 et 536 du CPP.
5. Articles 353, 427, 512 et 536 du CPP.
6. Articles 81 et 201 du CPP.
7. Articles 283, 310, 434, 456 et 463 du CPP.
8. Auquel cas il s’agirait d’une tentative (article 121-5 du CP).
TITRE IV
Réflexion
autour de la défense pénale
L’avocat pénaliste,
entre mythe et stéréotype
Le point de vue de la Secrétaire
du Bâtonnier
Un avocat que j’aime beaucoup m’expliquait, et j’espère ne pas trahir sa pensée, que
les assises sont l’exercice le plus exigeant auquel le pénaliste est confronté.
Certes, avec la loi Badinter, on ne requiert plus la peine de mort. Mais le procès
d’assises, que l’on soit en défense ou en partie civile, est LE procès qui marque la vie
des justiciables, des avocats, des jurés et de… l’opinion publique.
Il n’y a guère que dans Suits que l’on se passionne pour le droit des affaires, les
fusions-acquisitions, etc.
La presse judiciaire ne remplit pas les bancs des audiences du juge aux affaires
familiales (JAF), du tribunal paritaire des baux ruraux (TPBR).
Le procès roi est le procès d’assises.
Et, par conséquent, l’avocat roi est l’avocat pénaliste.
C’est d’ailleurs particulièrement visible dans les barreaux, et notamment au travers
de la permanence pénale : formations spécifiques, Secrétaires de la Conférence élus
au terme d’un concours médiatisé et qui assure aux « élus » l’accès et la commission
d’office par le bâtonnier pour les affaires pénales les plus importantes et les plus
médiatiques.
Le concours est ouvert à tous, femmes et hommes, mais l’on ne peut que constater
que dans une profession pourtant majoritairement féminine, les femmes restent
sous représentées.
Sont-elles moins talentueuses et éloquentes que les hommes ? Certainement pas.
Mais le stéréotype qu’évoquait Mikaël Benillouche est bien ancré : le pénaliste tel
que l’on se le représente est un homme, voix grave, stature imposante, charisme
évident, volontiers charmeur voire coureur de jupons, mais aussi brillant et engagé.
Le pénaliste idéal, le héros du polar, du téléfilm, celui qui passionne la presse, celui
dont on me demande les coordonnées quand on appelle l’Ordre à la recherche d’un
avocat, c’est toujours un homme, entre 40 et 50 ans. Le jeune avocat, la femme
avocate peuvent être de merveilleux avocats, on ne les associe pas au premier
abord à l’éloquence, à l’image de ténor du barreau.
Dans l’imaginaire, l’avocat pénaliste occupe tout l’espace de la barre dans ce qui
semble représenter une plaidoirie grandiloquente, désignant une arme posée sur la
barre. L’avocate pénaliste a aussi sa figure stéréotypée, dans ce qui semble être un
miroir inversé : elle porte, elle, un chignon sage, des lunettes sérieuses, des talons
hauts et du rouge à lèvres et semble appuyer son travail sur le Code, dans une
posture qu’on pourrait définir comme plus technique et apaisée.
On pourra y voir du sexisme, mais si l’homme pénaliste idéal a 40-55 ans, la femme
pénaliste idéale semble nécessairement jeune, jolie, ultra-féminine (jupe crayon et
talons aiguilles, coiffure et maquillage parfaits à la Suits ou The Good Wife).
Cela devient de moins en moins vrai ces dernières années. De plus en plus
d’avocates pénalistes sont désormais reconnues et médiatisées telle Marie Dosé.
Elles sont choisies pour de grandes affaires comme Olivia Ronen, l’avocate du
principal accusé du procès historique du 13 novembre 2015.
LES DÉFENDRE TOUS
Le point de vue de la Secrétaire
du Bâtonnier
C’est la question à laquelle sont confrontés tous les avocats, tous les jeunes avocats
quand ils décident d’embrasser la profession et, par ricochet, tous les personnels au
service des avocats et des Ordres.
Je dois avouer que la première fois que j’ai reçu une demande de désignation à
l’Ordre pour une personne suspectée d’actes de barbarie et de pédophilie, j’avais
une personne absolument charmante au téléphone et sa convocation sous les yeux
et il m’a fallu quelques secondes pour enregistrer l’information et me rappeler du
principe fondamental « Les défendre tous ! ».
J’ai une tendresse pour ces avocats engagés à qui l’on a dû souvent poser la
question dans le cadre de leur engagement : Badinter, Halimi, les avocats du procès
des attentats du 13 novembre, Delphine Boesel, Raphaël Kempf…
Le métier d’avocat, c’est aussi assister son client après le procès pour négocier un
échéancier avec les parties civiles ou demander un aménagement de peine, des
aspects moins connus de la profession d’avocat pénaliste.
1. Honoré de Balzac.
2. Parmi les nombreuses publications sur le sujet, on peut notamment citer H. Temime, La
défense dans la peau, Paris, Stock, 2012, ou encore H. Leclerc, La parole et l’action : itinéraire
d’un avocat militant, Paris, Fayard, 2017.
3. Voir notamment M. Aron, Les grandes plaidoiries des ténors du barreau, Paris, Pocket, 2013.
4. Présidente de la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP).
CHAPITRE 2
Le point de vue de la Secrétaire
du Bâtonnier
Le point de vue d’enseignants :
• Benoît Le Devedec : Je ne suis pas sûr qu’on puisse affirmer que le droit
américain influence le droit français, notamment en droit pénal. Par exemple,
les Américains sont habitués à des peines de prison très longues, alors qu’en
France nous appliquons la confusion de peines. En matière de dommages et
intérêts, nous nous contentons de la seule réparation intégrale, ce qui ne
permet pas d’aboutir à des sommes aussi colossales que celles que peuvent
pratiquer les juridictions américaines. Certes, il y a davantage de procédures de
médiation et de conciliation qu’avant, qui ont plutôt une origine anglo-
saxonne, mais je pense que l’influence est ailleurs.
La véritable influence à mon sens tient dans une certaine idée qu’on peut se faire de
la productivité et de l’efficacité, qui se traduit par « la politique du chiffre ». Il ne
s’agit pas de faire bien, il s’agit de faire beaucoup avec peu de moyens. On le voit
dans la santé, dans la police, et bien sûr dans la justice. Les hôpitaux ferment les
services les moins rentables, les policiers privilégient les enquêtes courtes avec un
maximum d’arrestations plutôt que les investigations plus complexes qui peuvent
faire tomber efficacement un réseau, et les magistrats ont massivement recours aux
conciliations pré-juridictionnelles au civil et aux procédures accélérées en pénal
comme les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité et les
comparutions immédiates. Il ne s’agit évidemment pas d’une volonté des agents,
mais bien d’une volonté politique déjà ancienne. Le résultat, c’est que,
statistiquement, les services publics sont plus efficaces, parce qu’ils traitent plus de
situations avec moins d’argent. En réalité, la qualité des services publics se dégrade.
Ce qui donne le sentiment d’une américanisation de la justice, c’est le recours à la
justice négociée et la tendance qu’ont les plus riches à se passer de la justice par le
truchement des procédures d’arbitrage. Mais ce n’est que la démonstration d’une
paupérisation de la justice : la justice négociée n’est pas forcément meilleure, elle
est surtout moins couteuse car plus rapide et évite les recours. Quant à l’arbitrage,
il est certes plus couteux, mais ceux qui en ont les moyens lui préfèrent sa
discrétion, sa célérité et son efficacité, ce dont la justice classique n’est pas capable
dans les affaires sensibles et complexes.
• Baptiste Nicaud : Le droit américain comme tout autre droit est en mesure
d’influencer le droit français par comparatisme. Le droit français est lui-même
source d’influence. Toutefois, il me semble que, excepté en matière de droit pénal
international où les juridictions internationales s’inspirent fortement des systèmes
de Common law, le droit américain influence peu le droit pénal français. Les
systèmes sont assez différents. Bien évidemment, on trouve des traces de contagion,
à l’image de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, présentée
comme un plaider coupable américain à la française. Cette procédure se retrouve
historiquement en pays de Common law et a été repris par les pays de droit
romano-germanique. Toutefois, les différences entre les mécanismes sont
importantes.