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Enrick B. Éditions, 2022

ISBN : 978-2-38313-028-4

« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à


l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à
titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement
interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et
suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit
de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant
les juridictions civiles ou pénales. »

Conception couverture : Marie Dortier


Réalisation couverture : Comandgo

Directrice de la collection LMD : Tatiana Vassine

Tous droits réservés

Ce document numérique a été réalisé par PCA


À mon fils, ma bataille, Noah
SOMMAIRE

Titre

Copyright

Dédicace

Le mot de la directrice de collection

Le mot de l'auteur Mikaël Benillouche 2017 vu par Mikaël Benillouche 2022

Liste des abréviations

Avant-propos

Préface

Présentation de la série et de la démarche scientifique adoptée dans ce livre

Introduction La série à travers le prisme du droit français

TITRE I - Une justice spectaculaire

CHAPITRE 1 - La protection des libertés individuelles

1. La présomption d'innocence

a) De la présomption d'innocence à la présomption de culpabilité : une inversion


opportune de la charge de la preuve

b) Le droit au silence
2. La liberté d'aller et de venir

3. Le droit au juge

4. Le droit de faire réviser son jugement

CHAPITRE 2 - Le contradictoire exacerbé

1. La communication des pièces

2. L'implication de la défense dans les actes d'investigation

3. Les prérogatives de l'accusation

CHAPITRE 3 - Une publicité toute relative de la procédure

TITRE II - Une procédure pénale reposant sur la déloyauté

CHAPITRE 1 - L'omniprésence du mensonge

1. L'usurpation de l'identité d'autrui

2. Les mensonges entre les protagonistes

3. L'invention de preuves

4. Les rapports faussés avec les autorités d'investigation

a) Les autorités d'investigation victimes des mensonges

b) Les mensonges des autorités d'investigation

CHAPITRE 2 - L'obtention illégale des preuves

1. Obtenir des preuves en usant de ses charmes

2. La vie privée : un obstacle contournable

Les petits secrets de Sam dévoilés…

3. L'utilisation marginale des nouvelles technologies

TITRE III - Un droit pénal axé sur la violence

CHAPITRE 1 - La violence génère la violence


1. Le meurtre de Lila : le premier d'une (longue) série

a) L'utilisation agressive de la sexualité par Rebecca (et la riposte de Lila)

b) Les stupéfiants, fin ou moyen ?

c) La vérité à tout prix

2. Le meurtre de Sam

a) Sam et Annalise, des antécédents assumés

b) La violence conjugale

c) Les violences de Sam contre Rebecca

d) Le décès de Sam

CHAPITRE 2 - La violence astucieuse entraîne l'impunité

1. Le meurtre de Sam : Michaela, Laurel, Connor et Wes, les apprentis sorciers


(énigme générale)

a) Une culpabilité partagée

b) Une défense collective

2. Un repentir impossible

TITRE IV - Réflexion autour de la défense pénale

CHAPITRE 1 - L'avocat pénaliste, entre mythe et stéréotype

CHAPITRE 2 - Le droit pénal influe-t-il sur la personnalité de ses praticiens ?

Conclusion Un droit pénal sans morale ?


Le mot de la directrice
de collection

Cher lecteur,
Chère lectrice,
 
Peut-être pensez-vous que le droit est un domaine obscur, voire
austère, et qu’il n’a d’intérêt (et encore…) que dans les séries
télévisées américaines.

Eh bien, permettez-moi d’« objecter » à ce postulat ingrat. S’il est


vrai que le droit est complexe, technique et parfois (soyons honnêtes)
difficile à appréhender, il n’en reste pas moins passionnant. D’abord
parce que, qu’on le veuille ou non, c’est bien le droit qui régit nos
rapports à autrui, nos comportements et nos libertés. Ensuite parce
qu’il nous offre l’occasion de nous pencher sur des questions
spécifiques et ô combien motrices pour l’évolution de notre société.
Enfin parce qu’il regorge de situations cocasses propices à
l’engouement pour la matière.
 
Forte de ce constat, la collection LMD (non pas « Licence Master
Doctorat  » mais Le Meilleur du Droit) s’est fixée pour défi de
démocratiser la découverte du droit et de proposer une forme
nouvelle d’appréhension du contenu juridique. Favoriser son accès,
faciliter sa compréhension, permettre sa meilleure assimilation, voici
nos objectifs. Que ce soit au travers des sujets abordés, du format
adopté, du ton employé, vous trouverez dans cette collection toute
une panoplie d’ouvrages qui abordent le droit sous un angle différent.
Et pour ce faire, nous pouvons compter sur le talent de nos auteurs
(enseignants, juristes, avocats et même étudiants  !) pour sortir du
modèle traditionnel et vous livrer le meilleur du droit.
 
How to get away with… le droit pénal
Les séries judiciaires sont de plus en plus nombreuses.
Passionnantes, haletantes, riches en rebondissements, elles ont le
mérite d’offrir une mise en lumière du beau métier d’avocat et des
règles juridiques qui l’entourent. Pour autant, à l’image de la série
How to Get Away with Murder (traduction littérale en français  :
Comment s’en sortir quand on a commis un meurtre), elles sont
souvent d’origine américaine et donc difficilement transposables à la
France. À moins qu’un expert, qui aime la série et les défis, n’accepte
de faire appel à son expérience et à son savoir pour faire le lien et
offrir, aussi bien aux téléspectateurs qu’aux lecteurs, un moyen
scientifique de l’appréhender.
C’est à cet exercice ambitieux que s’est livré
Mikaël Benillouche, maître de conférences en droit
pénal et procédure pénale, avec comme fil
conducteur une question  : la série Murder «  s’en
sort-elle » avec le droit pénal français ?
Tatiana Vassine
Le mot de l’auteur
Mikaël Benillouche 2017
vu par Mikaël Benillouche 2022

Si j’ai aimé rédiger cet ouvrage, j’ai adoré le promouvoir !


Cette période a été marquée par des échanges autour de la
démocratisation du droit comme lors de cette rencontre à la librairie
Martelle (https://youtu.be/bHxJi0-I8vM). Avec le recul, je constate
que cette rencontre est certainement le moment le plus marquant de
ma carrière universitaire avec mon premier cours d’amphi. La
librairie Martelle est située non loin de l’UFR de droit où j’exerce. J’ai
eu la chance et le plaisir de voir mes actuels et anciens étudiants,
d’échanger avec les chargés de TD et surtout d’évoquer
l’indispensable évolution de la pédagogie.
 
Il est ainsi possible d’enseigner en s’appuyant sur une série
populaire. La « pop culture » n’est pas une sous-culture et le droit est
présent partout  ! Il faut s’adapter à ses étudiants et renouveler sa
pédagogie…
 
Cet avis est loin d’être partagé par tous les enseignants.
Il est souvent reproché aux séries de ne pas atteindre avec les
saisons suivantes le niveau de la première saison. Il ne saurait en être
de même pour cet ouvrage qui reste focalisé sur la saison 1.
 
Alors pourquoi cette réédition ?
La méthode avancée permet de se familiariser avec quelques
notions arides mais aussi de lever le voile sur ce qu’est un pénaliste
entre théorie et pratique. Il ne s’agissait pas de réécrire le livre mais
d’y apporter quelques compléments.
 
Par ailleurs, l’ouvrage date de 2017 soit avant le phénomène
«  #balancetonporc  » et «  #meetoo  ». Mes réflexions et analyses ont
quelque peu évolué et surtout méritaient d’être confrontées, d’être
modernisées. Les mentalités évoluent, le patriarcat et le sexisme
ambiant sont combattus et davantage de femmes sont désormais
considérées comme de grandes avocates, même si le chemin reste
encore long et semé d’embuches comme en atteste le #balancetoncab
sur twitter.
 
Pour enrichir cette édition, j’ai également fait appel à quatre
interlocuteurs :
– Benoît Le Devedec «  la nouvelle génération  », Doctorant
Juriste au CRIAVS IDF, chargé d’enseignement à l’Université de
Panthéon-Assas (@LeDevedecBenoit)
– Baptiste Nicaud « la force tranquille », Maître de conférences
à l’Université de Limoges et avocat au barreau de Paris
(@BaptisteNicaud)
– Lisa Dégardin «  la pugnace  », avocate au barreau de Lille
(@LisaDEGARDIN)
– Secrétaire du Bâtonnier «  la bienveillante  », secrétaire
anonyme d’un bâtonnier de province, qui a côtoyé de nombreux
avocats tant dans son barreau que sur le barreau de twitter
(@SecretaireduBat)
Leur point commun ? Ils vivent le droit pénal autrement…
Liste des abréviations

Bull. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation


C. civ. : Code civil
CA : cour d’appel
CEDH : Cour européenne des droits de l’homme
CESDH : Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales
Ch. réunies : chambres réunies de la Cour de cassation
Civ. 1re : première chambre civile de la Cour de cassation
Comm.  com. revue Communication – Commerce électronique
électr. :
CP : Code pénal
CPP : Code de procédure pénale
Crim. : chambre criminelle de la Cour de cassation
CSP : Code de la santé publique
CT : Code du travail
DDHC : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
JCP G : La Semaine juridique, édition générale
PIDCP : Pacte international sur les droits civils et politiques
Sirey : Recueil Sirey
Avant-propos

Mikaël  Benillouche avait publié en 2017 un premier livre,


Chronique d’un maître de conférences  : comment je suis devenu
enseignant en droit (Enrick B. Éditions). Il y racontait sa passion pour
ce métier, si bien qu’il donnait envie à chacun de ses lecteurs de
suivre son chemin. Pourtant, l’université de droit, en France, est
austère, c’est le moins que l’on puisse dire !
 
Dans ce nouvel essai, le voici qui s’intéresse à un autre sujet  :
comment enseigner la défense pénale  ? Dans leur cursus, les
étudiants se forment au droit civil, au droit public, c’est essentiel. Au
droit pénal aussi, de manière théorique. Mais de la procédure pénale,
ils n’acquièrent que les bases, tandis que des règles du secret
professionnel ou de la liberté d’argumentation de l’avocat, de ses
obligations déontologiques, ils ne savent rien lorsqu’ils arrivent à
l’École des avocats.
Ce n’est qu’alors, c’est-à-dire après leurs études universitaires,
qu’ils découvrent le barreau, dans le cadre des stages qu’ils effectuent
dans des cabinets d’avocats, qui ne pratiquent pas tous la défense
pénale, loin s’en faut. C’est ainsi que nombreux seront les jeunes
avocats qui prêteront serment sans avoir été vraiment formés à ce à
quoi ils seront très vite confrontés  : la défense d’un prévenu, au
tribunal correctionnel, en comparution immédiate. C’est là qu’ils
feront l’expérience de la solitude et de l’angoisse de l’avocat au
moment de plaider, seuls face aux juges.
Dans la série américaine que l’auteur a choisie pour illustrer son
propos, il en va tout autrement  : les étudiants suivent des cours de
défense pénale, à l’université, que leur dispense une avocate pénaliste
de renom, qui choisira parmi eux les plus motivés pour l’assister à son
cabinet d’avocats, tout au long de l’année universitaire. Ils lui
prépareront ses dossiers, la suivront au commissariat de police, puis à
l’audience, et découvriront ainsi ce qu’est la pratique professionnelle
d’un avocat, sa vraie vie, au quotidien, avec ses contingences, ses
angoisses, ses échecs comme ses succès.
 
Est-ce qu’une telle organisation serait transposable en France  ?
Les systèmes universitaires et judiciaires américains et français sont
très différents les uns des autres, l’évidence saute aux yeux en
regardant les épisodes de la série – dont on se doute que le scénario
s’écarte parfois de la réalité, mais peu importe. D’un autre côté, les
questions de fond que pose un procès criminel sont similaires dans
tous les pays, du moins dans tous les États de droit. Surtout, les cas
de conscience des avocats sont universels : ont-ils le droit de mentir
au juge, doivent-ils exiger la vérité de leur client, sont-ils légitimes à
plaider non coupable pour un accusé qu’ils savent coupable ?
Les aventures d’Annalise  Keating, l’héroïne de la série, nous
renvoient à chacune de ces thématiques, de manière pas toujours très
subtile, il est vrai, mais c’est la loi du genre. Après en avoir regardé
quelques épisodes, lire le livre de Mikaël  Benillouche leur donne
justement de la profondeur, grâce à une réflexion nourrie sur la
justice pénale, sa nécessité sociale, la violence du crime, la sévérité de
la répression, et le rôle paradoxal de l’avocat, qui vise à faire
échapper un accusé à son sort judiciaire. Autrement dit, How to get
away with murder ?
François Saint-Pierre
Avocat
Préface

Dans son essai consacré aux séries télévisées judiciaires


américaines, Barbara Villey écrit que « les avocats des séries actuelles, à
l’instar des récits qui les mettent en scène, sont eux-mêmes des
personnages très complexes 1  ». Il est vrai que le célèbre avocat
Perry  Mason 2, défenseur infatigable de suspects qui étaient tous
innocents, victimes du système judiciaire ou de la perfidie des
hommes, semble aujourd’hui bien lointain à côté d’Annalise Keating,
l’avocate ambiguë de la série How to Get Away with Murder (dans la
version française, Murder). Noblesse oblige –  et peut-être est-ce
d’abord ce qui a plu à Mikaël Benillouche –, la praticienne intraitable
est d’abord professeure à l’université de Philadelphie. Elle y enseigne
la matière pénale à un public d’étudiants ambitieux qui semblent
avant tout considérer le droit comme un moyen d’enrichissement et
de réussite sociale plutôt que de finalité stabilisatrice du monde.
Chaque année, elle organise un concours. Les lauréats intégreront son
cabinet pour l’assister dans les affaires criminelles qu’elle plaide. En
contrepartie de leur absolu dévouement, les stagiaires auront
l’assurance d’un curriculum vitae qui les propulsera dans la carrière.
Tout ce petit monde œuvre d’arrache-pied dans l’intérêt des clients du
prestigieux cabinet Keating, jusqu’à ce qu’un meurtre s’invite dans
l’équation…
La construction narrative de Murder forme une double spirale  :
une intrigue générale qui innerve la série et une intrigue spécifique
par épisode, avec un certain nombre de flash-back –  sauts dans le
passé  – et de flash  forward –  sauts dans le futur. C’est assez
d’éléments de faits pour produire des histoires riches en
rebondissements et instructives du point de vue de la matière pénale.
 
Mikaël  Benillouche est pénaliste. Il enseigne cette discipline à
l’université, il a écrit des ouvrages sur le sujet, publié des articles,
participé à des journées d’études. Son intérêt académique pour un
droit foisonnant se double d’une approche pratique. Mikaël
Benillouche est également avocat. Le lien avec le livre qu’il nous
propose s’effectue donc naturellement. How to get away with… le
droit pénal  prend le parti, comme son sous-titre le précise, de
décortiquer la première saison de la série sous le prisme du droit
pénal français. L’auteur nous livre non seulement une analyse
juridique des événements qui se produisent au cours des épisodes,
mais il nous propose également une vision globale de la façon dont le
droit judiciaire est utilisé par ses acteurs. Le résultat fait souvent froid
dans le dos. Si la fin peut justifier les moyens, les juristes de Murder,
qu’ils soient en herbe ou expérimentés, ne sont pas en reste.
Le pari de Mikaël  Benillouche est de «  faire du pénal français  »
avec une série télévisée américaine. Ce pari n’est pas simple et on
connaît d’avance les critiques  : les systèmes juridiques sont très
différents, la procédure n’est pas menée selon la même logique, les
incriminations ne se confondent pas et, en tout état de cause, la
culture est éloignée de notre continent. Qu’à cela ne tienne. Il existe
parallèlement d’importantes similitudes et des concepts juridiques
partagés  : la présomption d’innocence, les droits de la défense, la
légalité et la loyauté dans l’administration de la preuve, le principe
du contradictoire, j’en passe. Quant aux incriminations, il n’est pas
indispensable d’entrer dans la technique. Un meurtre est un meurtre,
un enlèvement aussi. Tout le monde est capable de comprendre car le
droit pénal est directement branché sur la comédie humaine comme
sur sa tragédie.
L’objectif de l’ouvrage de Mikaël Benillouche n’est pas de proposer
un travail de droit comparé. On l’a déjà fait. Il tend au-delà à faire
résonner le droit pénal à travers celles et ceux qui en font usage, à en
montrer les limites et les faiblesses. À  l’opposé des sciences exactes
comme la physique, dont les lois sont indépendantes de leurs
utilisateurs, le droit n’a de matérialité que dans l’application qui en
est faite. Le cœur du système, c’est la preuve. De ce point de vue,
Murder en est l’incarnation obsessionnelle et dérangeante.
Annalise Keating et ses étudiants, qui deviennent ses âmes damnées,
sont prêts à tout pour trouver ou dissimuler, selon le but judiciaire
poursuivi. Pour ces protagonistes aussi séduisants que monstrueux, le
crime devient la norme. Ils ne sont donc pas innocents, comme dans
un bon Perry Mason, mais bien tous coupables.
La morale de l’histoire est finalement assez sombre. Il y a
beaucoup de violence, de sexe, de cris et de sang, beaucoup de
mensonges et de trahisons. Tout ce bruit, toute cette fureur… pour
quel résultat au final  ? Pour quelles valeurs et quelle satisfaction  ?
L’ouvrage de Mikaël  Benillouche nous plonge ainsi dans les ténèbres
de la nature humaine lorsqu’elle n’a pas saisi la beauté et les vertus
du droit. C’est un livre miroir. Le cinéma nous offre cette possibilité
de confrontation entre la norme et sa démesure, pour davantage en
comprendre les rouages, la nécessité et peut-être les torts.
À  l’université de les mettre en lumière. Ce n’est pas la moindre des
qualités de How to get away with… le droit pénal.
Fabrice Defferrard
Maître de conférences à l’université de Reims
Écrivain, membre de la Société des gens de lettres
1. B. Villez, Séries télé. Visions de la justice, Paris, PUF, 2005, p. 76.
2. Perry Mason est une série télévisée adaptée des romans d’Erle Stanley Gardner. Elle a été
diffusée aux États-Unis entre 1957 et 1966 (première série), puis entre 1985 et 1995
(seconde série), avec le même interprète, Raymond Burr.
Présentation de la série
et de la démarche scientifique
adoptée dans ce livre

La série How to Get Away with Murder


Passionné de séries télévisées, je me doutais qu’un jour, l’une
d’entre elles allait alimenter l’une de mes réflexions scientifiques.
Pénaliste, mon choix s’est porté sur la série How to Get Away with
Murder en raison de son style narratif particulier, mais également de
l’intéressant cumul des fonctions du personnage principal,
Annalise Keating, à la fois enseignante à la faculté de droit et avocate
en droit pénal –  ce qui renvoie, dans une certaine mesure, à ma
propre histoire : à l’issue de ma thèse, j’ai obtenu l’examen d’avocat
avant de devenir maître de conférences 1.
 
La série, créée par Peter Nowalk, produite par Shonda Rhimes et
diffusée depuis le 25  septembre 2014, s’ouvre sur une rentrée
universitaire, à l’occasion de laquelle Annalise Keating propose à ses
meilleurs étudiants d’intégrer son cabinet dans le cadre d’un stage.
Parallèlement aux cas sur lesquels travaillent les étudiants et qui sont
détaillés dans un ou plusieurs épisodes, la série propose dans chaque
épisode un flash-back ou un flash forward qui permet de découvrir un
meurtre dans lequel les stagiaires sont impliqués. La série est ainsi
construite autour d’une double intrigue  : d’une part, une énigme
propre à l’épisode et liée à un dossier dont Annalise a la charge  ;
d’autre part, une énigme générale, sorte de fil conducteur de la série.
Les intrigues juridico-judiciaires permettent aux personnages
d’évoluer, en même temps que la série interpelle le téléspectateur sur
différents sujets de société.
Le titre est quant à lui évocateur du paradoxe auquel sont
confrontés les personnages : participer à l’œuvre de la justice tout en
mettant à profit leur connaissance du droit pénal pour défendre leur
intérêt personnel ou celui de leur client. Littéralement traduit par
« Comment échapper à une condamnation pour meurtre ? », ce titre
véhicule en réalité une question plus générale, difficilement
traduisible en français, visant à savoir comment s’en sortir quoi que
l’on ait fait.
Cette saison est composée de 15 épisodes :
Épisode 1 : Que le meilleur gagne
Épisode 2 : Tel père, telle fille
Épisode 3 : Les amants terribles
Épisode 4 : Les trois petits cochons
Épisode 5 : Cheval de Troie
Épisode 6 : Habeas corpus
Épisode 7 : Passages à l’acte
Épisode 8 : Un pavé dans la mare
Épisode 9 : Tue-moi !
Épisode 10 : Raskolnikov
Épisode 11 : Le silence est d’or
Épisode 12 : Flic un jour, flic toujours
Épisode 13 : Maman est là maintenant
Épisode 14 : Ainsi soit-il
Épisode 15 : Tout est ma faute
Les personnages principaux sont :
Annalise  Keating, figure emblématique de la série (incarnée par
Viola Davis).
Sam  Keating, professeur à l’université, psychologue et mari
d’Annalise  ; il n’est pas très fidèle, ment beaucoup et cherche à
manipuler les femmes.
Nate Lahey : policier et amant d’Annalise, il est droit et généreux ;
son épouse est atteinte d’un cancer en phase terminale, il semble
que la relation à Annalise l’ait progressivement « contaminé », lui
faisant perdre sa droiture.
Wes  Gibbins  : étudiant et stagiaire, il a été repêché par Annalise
sur la liste d’attente de son cours. Un lien particulier semble les
unir dès le début de la série. Il est particulièrement intègre et
honnête, mais au contact du crime, cela va-t-il perdurer ?
Connor  Walsh  : étudiant et stagiaire  ; séducteur, il met en avant
sa sexualité et a recours à tout type de stratagème pour parvenir à
ses fins.
Michaela  Pratt  : étudiante et stagiaire  ; particulièrement
travailleuse et ambitieuse, elle n’a qu’une volonté, réussir, que ce
soit socialement ou professionnellement.
Asher  Millstone  : étudiant et stagiaire  ; riche, musclé, assez
primaire, il est le fils d’un célèbre juge  ; les autres stagiaires
l’apprécient peu.
Laurel Castillo : étudiante et stagiaire ; jolie, séductrice, féministe
et issue d’un milieu aisé.
Franck Delfino : assistant d’Annalise.
Bonnie Winterbottom : avocate qui travaille pour Annalise.
Oliver Hampton : petit génie de l’informatique, qui entretient une
liaison chaotique avec Connor.
La série se déroule à Philadelphie, essentiellement dans la maison
d’Annalise, qui lui sert également de cabinet.
 
L’intérêt pédagogique de la série
Pour écrire cet ouvrage, je suis parti d’un postulat de base  : une
série comme celle-ci est le reflet d’une certaine réalité sociale. Pour
qu’elle ait du succès, il est indispensable que le public puisse
s’identifier aux personnages qu’elle met en scène 2. Or, tous les
personnages de Murder ont une personnalité complexe avec leur part
d’ombre, plus ou moins inquiétante, plus ou moins marquée. Les
rapports sociaux qui s’instaurent sont souvent érotisés et la violence
est omniprésente. La série est fortement imprégnée de la culture
américaine, mais elle permet malgré tout une intéressante
comparaison avec le droit français, tant les thématiques abordées
sont celles qui préoccupent aussi le pénaliste hexagonal.
L’analyse présente un intérêt scientifique d’autant plus prégnant
qu’elle offre à qui veut s’en saisir un outil pédagogique intéressant. En
effet, se référer à une série en cours de diffusion permet de faire des
ponts pertinents entre la représentation du droit et sa pratique, tout
en captant l’attention du plus grand nombre. Bien que l’exercice
nécessite une certaine gymnastique intellectuelle pour l’enseignant,
en reprenant le scénario de la série, on parvient rapidement à poser
les règles de droit applicables puis à délivrer une solution juridique.
Et puis, on comprend rapidement que cette série est une source
presque inépuisable de cas pratiques. Autre bénéfice  : les étudiants
sont ravis de trouver dans l’enseignement du droit en général, et dans
celui du droit pénal en particulier, un outil ludique leur permettant
d’acquérir une forme d’expertise juridique.
 
Le saut dans le vide : d’enseignant de droit à critique de télé
juridique
C’est suite à une discussion avec la directrice de collection,
Tatiana  Vassine, que j’ai décidé de me lancer. Elle m’a proposé de
travailler sur cet ouvrage comme on lance un défi. Ceux qui me
connaissent peuvent en témoigner : je suis un homme de défis, alors
il n’en fallait pas plus pour que je me décide à relever celui-ci.
Je devais inventer ma méthode et ne pas perdre de vue deux
aspects essentiels : faire une véritable œuvre créatrice et rester fidèle
à la série.
Le début du travail a été simple : il consistait à circonscrire mon
champ d’investigation. J’ai décidé de n’utiliser que la première saison
de la série, pour disposer d’un ensemble homogène, relié par une
seule énigme principale rappelée sous la forme de flash-back lors de
chaque épisode.
Après avoir revu tous les épisodes un par un et fait émerger pour
chacun d’entre eux les questions juridiques qui en ressortaient, il a
fallu que je les résolve à la manière d’un cas pratique, à l’aide du
droit français. Mais cela ne suffisait pas encore à faire un ouvrage, et
j’étais confronté à un blocage, faute de méthode… Comment utiliser
le fichier d’une cinquantaine de pages que je m’étais constitué ?
Il eût été possible d’envisager un traitement scientifique sous
l’angle du droit comparé, mais encore eût-il fallu que je sois
spécialiste de droit américain, ce que je ne suis pas 3.
De la même manière, bien que j’aie été profondément imprégné
par les problématiques sociétales des personnages, je ne pouvais me
livrer à une véritable analyse sociologique, n’étant pas… sociologue
(même si la pratique du droit pénal requiert certaines prédispositions
en la matière).
Autre difficulté, et non des moindres : il ne vous aura pas échappé
que la série est une fiction. Les règles juridiques sont donc parfois
contournées et certains conflits d’intérêts sont tout simplement
éludés.
Le déblocage, je le dois à Fabrice  Defferrard, auteur de Le droit
selon Star  Trek (Éditions Mare  &  Martin, 2015). Nous avons
longuement discuté de l’ouvrage, il m’a encouragé et m’a guidé vers
une démarche scientifique plus ambitieuse en m’incitant à
reconstruire le récit narratif autour d’une analyse juridique poussée
en me posant deux  questions simples mais essentielles  : quel est
l’intérêt du livre ? Quelles pourraient être les personnes intéressées ?
L’intérêt du livre est d’analyser ce que cette série nous apprend sur
le droit pénal, et de voir si la vision du droit qui en résulte est
déformée.
Les personnes qu’il pourrait intéresser sont les juristes, les fans de
la série, tous ceux que les faits divers fascinent, les sociologues, les
psys, les curieux, les malins, les menteurs, les amateurs de polar, les
futurs criminels… bref, tous ceux qui pensent qu’il n’existe pas de
frontière étanche entre la culture au sens noble du terme et la culture
pop.
 
Je ne saurais, pour finir, vous laisser débuter la lecture de cet
ouvrage sans un avertissement à la fois solennel et irréversible  : le
livre « spoile » copieusement la saison 1 de la série. Il doit donc être
utilisé soit après l’avoir vue, soit avant de la voir mais en
connaissance de cause, soit avant de la revoir, pour jouir d’un autre
regard…

1. Il s’agit d’une longue saga, narrée dans  : M.  Benillouche, Chronique d’un maître de
conférences : comment je suis devenu enseignant en droit, Paris, Enrick B. Éditions, 2017.
2. Pour un décryptage et les données du succès planétaire de la série, voir le site  :
http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18638056.html
3. J’ai écrit une thèse en procédure pénale comparée (France et Angleterre) et j’ai également
enseigné à l’université de Cardiff, au pays de Galles, ce qui m’a conduit à écrire quelques
articles, mais cela ne suffit assurément pas à faire de moi un spécialiste de common law, et
encore moins de droit américain.
Introduction
La série à travers le prisme
du droit français

La série Murder comporte une énigme générale qui dure toute la


saison et dont les protagonistes sont les proches d’Annalise  Keating,
et une énigme propre à chaque épisode. S’y ajoutent quelques
développements consacrés à certains des personnages principaux. Le
moins que l’on puisse dire, c’est que Murder est riche de nombreuses
problématiques et de personnages complexes dont les profils ont été
suffisamment travaillés pour que chacun délivre rapidement –  très
rapidement, même – sa part d’ombre. C’est au rythme des cas dont ils
assurent la défense et du déroulé de l’énigme générale qu’ils révèlent
leur personnalité, ainsi que leur aptitude à embrasser le métier
d’avocat pénaliste ainsi qu’à respecter (ou non) le droit pénal.
 
Trois marqueurs qui vont à la fois alimenter le contentieux pénal
et les intrigues de la série ressortent des 15  épisodes  : la violence,
l’hypersexualisation et l’alcool.
La violence. Si la violence est intimement liée à la matière même
du droit pénal, elle nourrit également les rapports entre les
personnages. En effet, les différents protagonistes sont en
concurrence les uns avec les autres. Ils font tout pour obtenir le
symbole de leur supériorité (une statue de la Justice), trophée
délivré par Annalise au plus méritant d’entre eux et qui change
régulièrement de mains.
L’hypersexualisation. La sexualité des personnages est également
très présente et envisagée comme un instrument de pression et un
moyen d’obtention de preuves. Elle peut même être l’objet
d’infractions. Les rapports sexuels des personnages pourraient
faire l’objet d’une étude à part entière. Si ceux entre Asher et
Bonnie (épisode  6) sont, de loin, les moins juridiquement
controversés, ceux qui unissent les autres personnages laissent
perplexes. Prenons le cas de Franck qui, inlassablement, fait des
avances à Laurel, avances que celle-ci repousse. Quoique
banalisées dans la série, ces avances réitérées s’apparentent de
plus en plus, au fur et à mesure des épisodes, à du harcèlement
sexuel 1. L’hypersexualisation des rapports humains atteint son
paroxysme dans l’épisode  7, intitulé «  Passages à l’acte  », où
plusieurs personnages ont des rapports sexuels dans des lieux
publics  : Connor, dans les toilettes du Palais de justice, Laurel et
Franck (finalement), sous le porche de la maison d’Annalise. Il n’y
a cependant aucune exhibition sexuelle au sens du Code pénal,
puisque aucun des protagonistes n’a essayé d’imposer à autrui un
spectacle de nature sexuelle, et que les rapports se sont déroulés
soit dans un lieu clos (les toilettes pour les premiers), soit dans un
lieu fortuit et peu éclairé, répondant à une pulsion soudaine plus
qu’à une volonté de s’exhiber. Moins légers, les rapports sexuels
peuvent aussi porter atteinte à la vie d’autrui, comme cela ressort
de l’épisode 14 dans lequel Oliver, après avoir demandé à Connor
de passer un test HIV compte tenu de ses mœurs débridées et de
son habitude des rapports sexuels non protégés, découvre que
c’est lui qui est séropositif et décide de mentir à son partenaire.
Cette situation met en relief le vide juridique existant en cas de
contamination volontaire d’autrui par le virus du sida, la Cour de
cassation retenant, dans une telle hypothèse, une administration
de substances nuisibles 2.
L’alcool. L’alcoolisme des personnages est également très présent.
Toutes les occasions sont bonnes pour boire. Le chagrin, la
déception et les peines de cœur se noient dans l’alcool. Les fêtes
nécessitent une alcoolisation massive. En droit pénal, seule
l’ivresse privée ne constitue pas une infraction pénale 3. Il n’y a
ainsi rien à reprocher à Bonnie, par exemple, lorsque, dans
l’épisode 9 intitulé « Tue-moi », elle va dans un bar, flirte avec un
inconnu avant d’avoir un rapport sexuel avec Asher alors qu’elle
est ivre. Il en va de même pour Annalise, que le téléspectateur
découvre lors de l’épisode 11 (« Le silence est d’or »), durant les
fêtes de fin d’année, enfermée dans un hôtel et occupée à manger
et consommer énormément d’alcool ; même cas de figure encore
pour Michaela qui, dans ce même épisode, humilie son fiancé lors
d’une fête trop arrosée, ce qui le conduit à mettre un terme à leur
relation.
En fait, les personnages semblent tous évoluer vers
l’hypersexualisation des rapports et un alcoolisme fréquent, et ce,
sous l’impulsion d’Annalise.
 
Au-delà des rapports humains qui en résultent, de nombreuses
situations susceptibles de qualifications pénales émergent de chaque
épisode. Elles seront traitées au regard du droit français qui, malgré
quelques différences notables concernant notamment l’organisation
de la phase préliminaire au procès pénal, connaît avec le droit mis en
scène dans la série de nombreuses similitudes. Précisons ici que,
n’étant pas spécialiste de droit américain, je vais considérer que la
série est fidèle au droit applicable à Philadelphie, même si je me
doute qu’il doit y avoir quelques approximations, voire des libertés
prises par les scénaristes avec les règles américaines du procès pénal.
 
Organisation de l’ouvrage
La justice de la série Murder est accusatoire, ce qui a des
incidences sur le droit pénal de forme, à savoir la procédure pénale,
et sur le droit pénal de fond, c’est-à-dire à la fois la responsabilité
pénale et les qualifications susceptibles d’être retenues. De ce fait,
l’étude de la série se prêtait difficilement au plan en deux parties et
deux  sous-parties si fréquemment utilisé par le juriste français. Et
puis, l’objet de l’étude étant original, je me suis permis d’adopter un
plan iconoclaste.
En outre, la série conduit à s’interroger sur le fondement même
du droit. Souvent, les protagonistes cherchent à contourner la règle
de droit, comme on transgresse la règle d’un jeu, car, finalement,
l’objectif n’est-il pas de gagner ? De « s’en sortir » ? La fin justifie les
moyens.
M’appuyant sur les points communs aux 15  épisodes de la
première saison, j’envisagerai successivement le fait que le caractère
accusatoire de la justice favorise son caractère spectaculaire (I), que
la procédure repose sur la déloyauté (II) et que le droit pénal est axé
sur la violence (III). Je finirai par une analyse plus générale de
l’imaginaire du droit pénal et de l’avocat pénaliste (IV).

1. Le harcèlement sexuel est réprimé par l’article 222-33 du CP et requiert soit des propos ou
comportements répétés portant atteinte à la dignité ou créant une situation intimidante,
hostile ou offensante, soit l’exercice d’une pression grave. En l’espèce, Laurel tenant tête à
Franck, il serait difficile de  considérer une quelconque situation intimidante, hostile ou
offensante de la part de ce dernier.
2. Article 222-15 du CP et Crim., 5 octobre 2010, Bull. no 147.
3. Ainsi, l’article  R.  3353-1 du Code de la santé publique réprime l’état d’ivresse manifeste
d’une contravention de 2e classe, l’article L. 234-1 du Code de la route incrimine la conduite
d’un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique, etc.
TITRE I

Une justice spectaculaire

« Faire justice est bien ; rendre justice est mieux. » 1

CHAPITRE 1. LA PROTECTION DES LIBERTÉS INDIVIDUELLES


1. La présomption d’innocence
2. La liberté d’aller et de venir
3. Le droit au juge
4. Le droit de faire réviser son jugement

CHAPITRE 2. LE CONTRADICTOIRE EXACERBÉ


1. La communication des pièces
2. L’implication de la défense dans les actes d’investigation
3. Les prérogatives de l’accusation

CHAPITRE 3. UNE PUBLICITÉ TOUTE RELATIVE DE LA PROCÉDURE


Il existe deux modèles procéduraux auxquels se réfère fréquemment
la doctrine juridique  : la procédure accusatoire et la procédure
inquisitoire 2.
La procédure accusatoire est orale, publique et contradictoire, tandis
que la procédure inquisitoire est écrite, secrète et non contradictoire.
Au sein d’une procédure accusatoire, le juge est perçu comme un
arbitre et il appartient aux parties privées d’apporter les preuves de
leurs prétentions. Elle est généralement davantage respectueuse des
libertés individuelles. À l’inverse, dans une procédure inquisitoire, le
rôle du juge est prépondérant dans la recherche de la vérité. Cette
procédure repose sur l’ordre public. Ainsi, en France, le juge
d’instruction est chargé d’instruire à charge et à décharge, il
rassemble les éléments de preuve, qu’ils aillent ou non dans le sens
de l’accusation.
Chaque pays opte pour l’un de ces modèles et l’aménage de façon à
en tempérer les excès. Dans la procédure de la série, tout repose sur
la défense (donc, sur Annalise) qui doit faire face à l’accusation (le
caractère accusatoire du système procédural sert considérablement
l’énigme). En France, en revanche, la procédure est dite « mixte » : si
la phase préliminaire au procès est inquisitoire, la phase de jugement
est accusatoire.
1. Victor Hugo.
2. C.  Ambroise-Castérot, De l’accusatoire et de l’inquisitoire dans l’instruction préparatoire,
thèse de l’université de Bordeaux, 2000.
CHAPITRE 1

La protection des libertés
individuelles

La procédure accusatoire est davantage garante –  ou du moins,


est censée l’être – des libertés et droits individuels. Le suspect dispose
de plusieurs prérogatives.

1. La présomption d’innocence
Selon Voltaire, « il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que
de condamner un innocent 1  ». La présomption d’innocence est le
principe essentiel de la procédure pénale, il suppose de faire peser la
charge de la preuve sur l’accusation. De la sorte, la personne qui est
suspectée n’est pas considérée comme étant coupable, et ce, jusqu’à
une éventuelle condamnation définitive. Cela a des répercussions non
seulement sur la preuve, mais aussi sur le traitement médiatique de
l’affaire.
Dans la majorité des cas mis en scène par la série Murder, les
prévenus clament leur innocence. En effet, il est plus spectaculaire
d’obtenir une relaxe pour des personnes poursuivies pour des faits
graves qu’une peine clémente pour des personnes ayant reconnu les
faits. Tout l’enjeu pour Annalise est de préserver cette innocence et
d’éviter que ses clients ne soient reconnus coupables.
Sur le plan procédural, la présomption d’innocence est
fondamentale puisqu’elle influe sur la charge de la preuve.
C’est en raison de l’existence de cette présomption qu’il appartient
à l’accusation de démontrer que le prévenu est coupable, et donc de
prouver que les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis. Ce
principe fondamental en droit pénal, quel que soit le pays dans lequel
il a vocation à s’appliquer, a, en droit français 2, en droit
international 3 et en droits européens 4 une valeur supérieure. Il fait
pleinement partie des exigences du procès équitable.

a) De la présomption d’innocence à la présomption


de culpabilité : une inversion opportune de la charge
de la preuve

Dans la série Murder, le principe est globalement respecté. Ainsi,


le Public Attorney (dont le rôle s’apparente à celui du procureur de la
République lors de l’enquête, ou du juge d’instruction lors de
l’instruction) multiplie les investigations pour trouver des éléments à
charge contre chacune des personnes poursuivies et renverser la
présomption d’innocence. La recherche du «  coupable  » est une
obsession du Public Attorney qui mobilise parfois des moyens
importants pour ne pas laisser une affaire non élucidée. Il faut
rappeler qu’aux États-Unis, le rôle de l’accusation du ministère public
comporte un double enjeu : rendre la justice, certes, mais aussi, voire
surtout, faire «  carrière  », puisque le taux d’affaires «  résolues  »
conditionne l’évolution du Public Attorney vers d’autres fonctions : ses
fonctions judiciaires sont souvent un tremplin pour une carrière
politique ultérieure 5.
La recherche de la preuve de culpabilité, de cet élément accablant
contre lequel l’avocat de la défense ne pourra pas lutter, s’avère donc
cruciale et aide considérablement l’intrigue de la série dans la mesure
où il faut non seulement connaître la vérité, mais également la
prouver. À  ce titre, il convient de relever que le style narratif de la
série évolue selon qu’il s’agit de l’énigme générale ou des énigmes
propres à chaque épisode. Concernant l’énigme générale, la vérité –
  du moins, une partie  – est connue très rapidement, et toute la
question est de savoir si elle est susceptible d’être prouvée.
À l’inverse, s’agissant des énigmes propres à chaque épisode, la vérité
éclate au tout dernier moment grâce à l’obtention d’une preuve in
extremis…
Pourtant, lorsque cela s’avère opportun, il s’opère une inversion
de la charge de la preuve. Le cas St.  Vincent développé dans
l’épisode  2, «  Tel père, telle fille  », en est une bonne illustration. La
victime, Marjorie  St.  Vincent, a été poignardée 16  fois et son mari,
Max St.  Vincent, est présenté comme le «  tueur présumé  », en
violation parfaite de la présomption d’innocence. Les circonstances de
l’infraction l’accusent et il n’y a aucun autre suspect. Lorsque Annalise
récupère ce dossier, de nombreux éléments à charge pèsent déjà sur
son client. L’enjeu n’est pas anodin, car si le téléspectateur ne prête
certainement guère attention à l’utilisation de cette formule, le
pénaliste y voit une inversion grossière de la charge de la preuve,
obligeant l’avocat de la défense à prouver l’innocence de son client au
lieu de se « contenter » de contrer les accusations lancées contre lui.
Il convient de relever que cette inversion est fréquente dans les
médias. Lorsqu’ils évoquent une affaire criminelle, ils procèdent très
fréquemment de la même façon, alimentant à leur manière le
caractère spectaculaire de la justice pénale. En  France, l’affaire
Lelandais, qui a défrayé la chronique judiciaire en 2018, en est un
parfait exemple. Des éléments à charge ayant été découverts, les
médias ont présenté ce suspect comme le coupable, alors même
qu’aucun tribunal n’avait encore statué. De la même façon, on entend
souvent l’expression «  présumé coupable  », bien qu’elle soit
juridiquement inexacte.
Face à la pression médiatique, les textes érigeant le principe de la
présomption d’innocence comme principe directeur du droit pénal se
révèlent n’être qu’un «  mur de papier  » traduisant une réalité bien
différente  : la violation presque quotidienne de la présomption
d’innocence. La France ne fait pas exception, les gros titres des
médias inversant allègrement la charge de la preuve pour présenter
une affaire criminelle en indiquant, par exemple, «  M.  X, présumé
auteur de l’infraction  ». Il est tellement plus simple et audible de
présenter les procédures de la sorte  ! Mais  pour l’avocat de la
défense, une telle présentation ne peut que porter atteinte à son
client. Présenté comme coupable pendant des années, il aura du mal
à convaincre une juridiction de son innocence, même si, de ce point
de vue, il semble que les juges, davantage rodés à ce type de
procédés, soient moins influençables que des jurés 6.
Il convient aussi de rappeler que le caractère accusatoire de la
procédure (celui de la série) favorise une telle présentation. En effet,
la procédure accusatoire est jonchée d’audiences préliminaires lors
desquelles le public est présent. À  l’inverse, en France, la phase
préliminaire est essentiellement secrète, même si certaines audiences
peuvent être publiques 7, et ce, afin de préserver, notamment, la
présomption d’innocence. Historiquement, comme indiqué dans
l’introduction, la procédure accusatoire est plus populaire puisque
deux parties privées s’opposent dans un cadre public. Dans la
procédure inquisitoire, ce sont les juges qui mènent les investigations,
secrètement, et les parties privées n’en sont que l’objet.
Le concept juridique de «  présomption d’innocence  », pourtant
présent dans les deux procédures, semble trop abstrait pour être
expliqué dans une série, aussi cède-t-il la place à une « présomption
de culpabilité », avec l’idée que, finalement, il n’y a pas de fumée sans
feu. Dès lors, si des soupçons portent sur un individu, celui-ci doit
nécessairement avoir quelque chose à se reprocher  ; il est présenté
comme déjà coupable des faits qui lui sont reprochés, ce qui fait
naturellement pencher la balance du côté de l’accusation. Pour
échapper à une probable condamnation, c’est alors au suspect
d’apporter la preuve de son innocence…

LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE

Le point de vue de l’avocat.e : Me Lisa


Dégardin

La présomption d’innocence est la clef de voûte de la procédure pénale. Il s’agit


d’un principe auquel il convient de s’attacher à chaque stade de la procédure : toute
personne est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie. Il
convient d’être attentif à chaque détail pour que ce principe soit véritablement
effectif, pas seulement lors du procès mais aussi en amont. Lors d’une audition
comme lors d’une audience, il faut toujours veiller à ce que l’un des corollaires de la
présomption d’innocence, le droit au silence, soit rappelé et soit respecté ou encore
à ce que chaque acteur s’exprime au conditionnel en évoquant les faits. Il convient
également d’être soucieux à ce que personne ne nomme le plaignant comme étant
« la victime » mais comme étant « la partie civile ». Le plaignant ne sera considéré
comme étant une victime par la justice que lorsque le mis en cause sera condamné
définitivement.

b) Le droit au silence
«  Qui ne dit mot consent.  »  En procédure pénale, cet adage ne
correspond absolument pas au droit positif. Se taire est, en effet, une
attitude à la fois fréquente et théoriquement non dommageable pour
le suspect.
Dans les séries américaines comme Murder, le droit au silence
s’illustre avec une formule bien connue des téléspectateurs et
consacrée par le cinquième amendement de la Constitution des États-
Unis : « Vous avez le droit de garder le silence, tout ce que vous direz
pourra être retenu contre vous… »
Le droit au silence s’est affirmé progressivement en droit positif. Il
s’agit d’un corollaire de la présomption d’innocence. De notre côté de
l’Atlantique, c’est un droit reconnu tant sur le fondement de la
Convention européenne des droits de l’homme 8 que du droit interne.
Il peut ainsi être utilisé à tous les stades allant de l’enquête au procès,
qu’il s’agisse de la garde à vue 9 ou de l’interrogatoire de première
comparution devant le juge d’instruction 10. La personne gardée à vue
se voit notifier le «  droit, lors des auditions, après avoir décliné son
identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont
posées ou de se taire 11  ». Contrairement à ce qui se passe aux États-
Unis, où les autorités lui notifient expressément qu’elle a le droit de
se taire, en France, on l’informe qu’elle a le droit de faire des
déclarations aux autorités. Force est de constater que cette disposition
n’est pas aussi impérative que le cinquième  amendement, tant s’en
faut !
La série fait de multiples références au droit au silence, et
Annalise n’hésite pas à préconiser son utilisation à chaque fois que la
situation s’y prête  : ainsi, dans l’épisode  12, tout en prévenant Nate
des avancées de l’enquête concernant le meurtre de son mari, elle lui
enjoint de ne pas répondre à la police. En effet, tout ce qu’il dirait ne
pourrait que corroborer la thèse de la police et son implication dans
le meurtre.
 
Le droit au silence se décline également en deux autres principes
du droit américain. Le premier est contenu dans le
cinquième amendement : « Nul ne peut témoigner contre soi-même. »
Dans l’épisode  12, Annalise est face à la tourmente. Mise en
cause, elle devrait être remplacée par un collègue à l’université, mais
décide néanmoins d’aller au-devant de ses étudiants et consacre un
cours entier au droit au silence. Ses cours étant interactifs, les
étudiants sont censés les avoir préparés pour répondre correctement
aux questions posées, au risque d’être repris, de façon assez vexatoire
d’ailleurs, par leur professeur. (De tels cours sont peu fréquents dans
nos universités, bien qu’ils tendent à se développer 12.)
COMMENT RÉAGIR FACE À DES COURS OU SÉANCES DE TRAVAUX
DIRIGÉS NON PRÉPARÉS ?

Le point de vue d’enseignants sur l’attitude


à adopter

• Baptiste Nicaud : La première attitude envisagée est, selon l’humeur du jour,


de penser à un crime de masse ou encore d’envisager une sortie théâtrale pour aller
prendre un café. Cette réaction passée, si une réflexion peut être menée rapidement
par le groupe d’étudiants, il peut être intéressant de reprendre l’exercice ensemble
pour le travailler. L’objectif est de permettre que l’étudiant reste actif tout en
bénéficiant d’un guidage méthodologique et sur le fond.
 
• Benoît Le Devedec  : Je dis toujours à mes étudiants en début de première
séance qu’un TD est une tyrannie constitutionnelle  : il y a des règles fixées par
l’ensemble du groupe, qu’on applique à condition que je sois d’accord. Autrement
dit, c’est sur eux que repose le bon fonctionnement des TD, mais c’est moi qui
décide en dernier recours.
Ma ligne, en accord avec le professeur qui gère le cours magistral, c’est que je ne
ramasse pas de devoir. Il n’y a donc pas à avoir l’angoisse de la copie blanche ou du
hors sujet. En revanche, j’impose que la fiche de TD ait été lue, travaillée et
réfléchie. Et si je vois qu’aucun étudiant n’a préparé la fiche, alors je boude. Mais je
boude efficacement, hein ! Je souffle, je me plains, je dis tout le mal que je pense
d’eux, je tape du pied,  etc. Puis je reprends la correction, blasé, en leur montrant
bien que si je fais seul la fiche de TD, c’est ennuyeux au possible pour tout le
monde, eux comme moi. Alors qu’au contraire, quand ils préparent la séance, ils
voient bien que c’est dynamique, intéressant, et même agréable !

Cet épisode est l’occasion parfaite, pour les stagiaires d’Annalise,


de réviser les contours de ce droit et de se voir rappeler les raisons
pour lesquelles ils ont tout intérêt à garder le silence…
 
Le droit de ne pas témoigner contre soi-même constitue ainsi une
variante du droit au silence qui ne connaît pas d’équivalent en droit
français.
Le second principe résulte de la jurisprudence de la Cour suprême
des États-Unis et vise le droit de ne pas témoigner contre son époux
(que l’on retrouve dans d’autres droits étrangers 13).
Autant dire que le droit au silence a une signification plus large
dans les pays de common law qu’en droit français. Une disposition
s’en rapprochant existe cependant en France, concernant l’infraction
de non-dénonciation de crime 14, laquelle ne saurait s’appliquer, sauf
en cas de crime commis sur mineur, aux proches parents de
l’auteur 15, ainsi qu’aux personnes astreintes au secret professionnel.
Pour résumer, on peut dire que, tel qu’il est exprimé dans la série
Murder, le droit au silence permet de préserver la personne
poursuivie et constitue une véritable arme procédurale qui oblige les
autorités menant les investigations à rechercher d’autres preuves.

2. La liberté d’aller et de venir

« Plaidez moins fort, Maître, je n’arrive pas à rédiger le mandat


de dépôt 16. »

La détention provisoire ne serait-elle que le prélude à une


incarcération définitive, et, par suite, une atteinte disproportionnée à
la présomption d’innocence ?
La détention provisoire est une mesure de privation de liberté
décidée avant jugement, mais elle ne constitue pas une déclaration de
culpabilité anticipée.
La série Murder offre de nombreux exemples de cas où les
personnes poursuivies sont placées en détention provisoire. L’enjeu est
de taille puisque, dans la série, ce placement intervient en
considération des éléments à charge contre ces personnes, ce qui
s’apparente à un véritable avant-procès. L’épisode 4, « Les Trois Petits
Cochons », offre une belle illustration des modalités de restriction de
la liberté d’aller et venir et, dans le même temps, une autre
particularité du droit de common law quant au placement en
détention provisoire. Dans cet épisode, Rebecca, la petite amie de
Wes, à la suite d’aveux dans lesquels elle reconnaît avoir commis le
meurtre de Lila, est placée en détention, faute de pouvoir payer les
10 % de sa caution fixée à un million de dollars. Cependant, la vidéo
de ses aveux, qui revêt un intérêt capital et que Bonnie parvient à
obtenir après avoir ébruité la liaison entre Annalise et Nate, révèle
qu’ils ont été influencés et obtenus sous pression (la police a profité
de ce que Rebecca était désorientée pour la faire avouer), ce qui
permet de ramener la caution à un montant de 100 000 dollars.
Ce qui peut surprendre le juriste français, c’est que le montant de
la caution ainsi fixée semble dépendre, du moins pour partie, des
aveux passés et enregistrés. En droit français, un placement en
détention provisoire doit être l’unique moyen de préserver les
objectifs mentionnés par l’article 144 du Code de procédure pénale 17.
Ni un contrôle judiciaire, ni une assignation à résidence sous
surveillance électronique ne permettraient d’y parvenir. Le fait de
garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition
de la justice est mentionné par ce même article. Toutefois, le juge
d’instruction ou le juge des libertés et de la détention peut imposer au
titre des obligations d’un contrôle judiciaire, qui est une alternative à
la détention provisoire, le versement d’un cautionnement 18. À défaut
de respecter cette obligation, il est possible de décider un placement
en détention provisoire 19. Il convient aussi de remarquer que le
montant du cautionnement est fixé en fonction des ressources et des
charges de la personne mise en examen. Or, dans le cas de Rebecca,
ce n’est absolument pas le cas  : le montant varie en fonction de la
gravité des faits et des éléments à charge contre elle.
Ce système de caution semble particulièrement fréquent dans la
procédure usitée dans la série, alors que le versement d’un
cautionnement est plus occasionnel en droit français.
 
L’épisode 14 offre, quant à lui, une illustration parfaite des moyens
d’obtenir une remise en liberté. Dans cet épisode, Nate est placé en
détention provisoire. Il formule une demande de liberté sous caution,
mais elle est rejetée, en dépit du fait que sa femme est atteinte d’un
cancer en phase 4, car le juge considère qu’il existe un risque de fuite.
Décidée à faire sortir Nate de prison, Annalise, avec l’aide de Franck,
fait en sorte qu’il soit passé à tabac. Elle cherche ainsi à démontrer
que Nate est en danger en détention provisoire en raison de sa
qualité de policier. La manœuvre échoue  : Nate, malgré ses
nombreuses commotions, n’est pas remis en liberté. Ce n’est qu’après
qu’Asher a vu le juge Reading, chargée des demandes de mise en
liberté, que la situation évolue. En effet, tandis qu’il discute avec elle
de son père également magistrat, ils sont photographiés. Les clichés
sont transmis à l’avocat de Nate et lui permettent de développer un
nouveau moyen  : le conflit d’intérêts matérialisé par la discussion
avec Asher, stagiaire de la femme de la victime (Annalise). L’avocat de
Nate obtient ainsi du juge Reading qu’elle se déporte et soit
remplacée par le juge Perkins, lequel remet finalement Nate en
liberté.
Un tel procédé, si déloyal soit-il, ne fait pas partie des causes de
récusation présentes dans l’article  668 du Code de procédure
pénale 20. Les exigences du procès équitable imposent qu’il y ait
impartialité subjective de la juridiction 21. Si ce ressort est clairement
bénéfique à l’intrigue de la série, en procédure pénale française, la
seule rencontre entre le stagiaire de l’avocat de l’une des parties et le
juge, ainsi que le fait que la discussion ait eu lieu au Palais de justice,
serait manifestement insuffisant pour contrevenir à cette exigence.

3. Le droit au juge
Pour Coluche, « il y a deux sortes de justice : vous avez l’avocat qui
connaît bien la loi, et l’avocat qui connaît bien le juge ». Dans Murder,
Annalise connaît tout aussi bien la loi que les juges… et ce n’est pas
nécessairement un avantage !
 
Le droit au juge est la possibilité reconnue à tout justiciable de
faire connaître sa cause à une juridiction. Il a été dégagé par la
décision «  Golder  » de la Cour européenne des droits de l’homme
comme résultant d’un principe de droit international prohibant le
déni de justice 22. Dans la série, il est souvent évoqué sous la forme du
droit d’habeas corpus, à savoir la possibilité pour toute personne
détenue d’être aussitôt traduite devant une juridiction, ainsi qu’à
l’occasion d’un épisode portant sur l’équivalent américain de la cour
d’assises.
En matière criminelle, le droit au juge a une signification toute
particulière, dans la mesure où il s’agit du principe révolutionnaire du
jugement par les pairs qui veut que l’accusé soit jugé par un jury
populaire 23. Ainsi, la justice criminelle suppose un jugement par des
cours d’assises composées actuellement de trois  magistrats
professionnels et de six jurés.
Dans la série, il existe aussi fréquemment un jury d’accusation, qui
décide si les charges sont suffisantes pour renvoyer en jugement.
Afin d’éviter que leurs préjugés ne faussent la prise de décision, la
sélection des jurés obéit à des règles spécifiques et est sujette à des
possibilités de révocation par les avocats.
ET EN PRATIQUE ?
Les avocats pénalistes appliquent fréquemment certains critères stricts au processus
de sélection des jurés. L’un d’entre eux m’a par exemple avoué que dans les cas de
jugement pour viol, lorsqu’il est le défenseur de la victime, il cherche
systématiquement à révoquer
les femmes âgées et les hommes jeunes. Il leur préfère les femmes jeunes
célibataires, susceptibles de s’identifier à la victime, et les hommes plus mûrs,
potentiels « sugar daddys » qui se montreraient plus protecteurs envers les jeunes
femmes.
LA SÉLECTION DES JURÉS

Le point de vue de l’avocat.e : Me Lisa


Dégardin

Lorsque j’étais élève avocate, j’ai assisté à plusieurs procès en cour d’assises.
Le moment de sélection des jurés est toujours très solennel. Seul l’accusé et son
avocat ainsi que l’avocat général peuvent révoquer les jurés. Ils n’ont accès qu’à
quelques éléments d’identité tels leurs sexe, âge et profession.
Le président de la cour d’assises appelle le nom de chaque personne. Le juré
désigné se lève pour s’asseoir près du Président. Entre le moment où le juré se lève
et le moment où il s’assied près du magistrat, peut parfois résonner dans la Cour un
retentissant « Récusé » de la part de l’avocat général ou de l’avocat de la défense.
Certains jurés semblent déçus d’être écartés, d’autres paraissent soulagés.
Par curiosité, j’avais demandé à un avocat général quels étaient ses critères de
sélection pour récuser ou non un juré. Il m’avait répondu qu’il était sensible au fait
que le nombre d’hommes et de femmes choisi soit peu ou prou le même.

Le point de vue de l’enseignant : Benoît


Le Devedec

C’est un privilège donné au ministère public  ! L’article suivant, 298 du Code de


procédure pénale, précise que l’accusé ne peut récuser plus de quatre jurés, et le
ministère public plus de trois. A priori, avantage à l’accusé. Pourtant, si tant l’accusé
que le ministère public souhaite récuser un même juré, c’est bien l’accusé qui va
utiliser son joker, le ministère public conservera alors le sien. Peut ainsi se mettre
en place un dangereux jeu de poker menteur, mais c’est, au final, le ministère
public qui tire la dernière carte…

Dans l’épisode 5 (« Cheval de Troie ») de la série, le processus de


sélection et de récusation du jury est mis en lumière par le scénario.
Le but des avocats est de trouver des points communs entre le juré et
l’accusé. Ainsi, interrogé par Annalise, un juré n’hésite pas à dire qu’il
considère, sous l’influence des médias, que l’accusé est un sociopathe
tueur de flics. Il est donc récusé. Une autre jurée reconnaît être ravie
d’avoir divorcé, ce qui caractérise un point commun avec l’accusé, elle
est donc retenue.
 
En droit français, selon l’article  297 alinéa  1er  du Code de
procédure pénale, le droit de récuser des jurés appartient à « l’accusé
ou son avocat d’abord », au « ministère public ensuite ».
 
Lorsque la cour d’assises statue en premier ressort, l’accusé peut
récuser quatre jurés et le ministère public trois ; lorsqu’elle statue en
appel, l’accusé peut récuser cinq jurés et le ministère public quatre 24.
Ce qui est intéressant est que la partie qui récuse un juré n’a pas à
indiquer le motif de sa récusation ; il lui est même interdit de le faire.
L’article 297 dispose, en effet, en son deuxième alinéa, que « l’accusé,
son avocat ni le ministère public ne peuvent exposer leurs motifs de
récusation ».
Dans l’épisode de Murder précédemment cité, c’est son préjugé
quant au dossier qui vaut au juré, rencontré par Connor via un site de
rencontres, d’être accusé de partialité et récusé.
En droit français, l’exigence d’impartialité, consacrée par
l’article 6 paragraphe 1er de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales, permet
également de fonder la récusation d’un juré sur des circonstances
survenues depuis la désignation du jury 25. De la même manière, dans
la série, à la suite de la divulgation d’un document confidentiel sur
l’invalidation des jurés, probablement du fait d’Annalise ou de l’un de
ses collaborateurs, les poursuites sont annulées et Ryan, l’accusé, est
renvoyé devant une juridiction pour mineurs face à laquelle il
n’encourra pas de peine d’emprisonnement. Il semble donc qu’il
existe aux États-Unis comme en France des informations internes à
l’audience qui ne sont pas destinées à être connues du grand public.
Les conversations privées entre les avocats ou avec les magistrats sont
par exemple destinées à rester confidentielles, car elles sont
prononcées « sous la foi du Palais » 26.
En droit français, de tels événements auraient conduit à renvoyer
à une nouvelle session de cour d’assises. Ryan aurait été jugé par la
cour d’assises des mineurs 27, compétente pour connaître des crimes
commis par les mineurs âgés de 16 à 18 ans. Il aurait même pu faire
valoir l’excuse atténuante de minorité, qui permet de diviser la peine
par deux, à condition toutefois que les circonstances de l’infraction et
la personnalité de l’auteur ne conduisent pas la juridiction à l’écarter
pour appliquer la peine de droit commun.
La série Murder a le mérite de conférer à la procédure technique
de récusation un caractère spectaculaire en insistant sur les effets
susceptibles d’être provoqués par l’absence d’équité de la procédure.
En effet, les jurés tirés au sort sur les listes électorales n’ont pas de
compétence technique en droit pénal et sont davantage susceptibles
d’être influencés par les pressions extérieures comme celles du
président de la Cour 28 ou encore des médias 29.

4. Le droit de faire réviser


son jugement

«  Une erreur judiciaire est une force en marche  : des hommes


de  conscience sont conquis, sont hantés, se dévouent de plus
en  plus obstinément, risquent leur fortune et leur vie, jusqu’à
ce que justice soit faite 30. »
Eh  oui, le juge est aussi susceptible de se tromper… Il est alors
possible de revenir sur la décision rendue grâce au processus de
révision.
La révision d’un procès est un événement exceptionnel. Il s’agit de
faire rejuger une personne qui a déjà été condamnée alors que la
défense soutient qu’elle est innocente. Les rares cas de révision se
caractérisent par le versement d’éléments nouveaux et déterminants
dans le procès, lequel ne peut être rouvert en leur absence.
 
Les scénaristes de la série Murder ne s’y sont pas trompés et
réservent à cet événement un épisode entier, l’épisode  6 («  Habeas
corpus  »). David Allen a été condamné à la peine de mort vingt et
un  ans auparavant pour le meurtre de Trisha, sa compagne. Son
mobile aurait été la jalousie. En raison de la survenance de nouveaux
faits, la Cour suprême est saisie et chargée de rejuger le dossier qui,
pour ajouter à l’intrigue, avait en son temps été jugé par le père
d’Asher. La demande de révision repose sur le parjure allégué du
témoin oculaire. Celui-ci se serait parjuré à la demande du sénateur
Arthur  Truco qui, à cette époque, était en charge d’un projet de
développement urbain auquel Trisha se serait opposée 31. La collusion
n’avait pas été prouvée, mais alors que le témoin oculaire devait être
expulsé pour non-paiement de loyers, non seulement la procédure
avait été stoppée, mais en plus, on a découvert que ledit témoin vivait
dans un appartement appartenant à la société du sénateur… Tous ces
éléments conduisent la juridiction à diligenter une enquête et à
annuler le verdict.
AUX ORIGINES DE LA RÉVISION « LA VÉRITÉ EST EN MARCHE
ET RIEN NE L’ARRÊTERA »

La révision des jugements pénaux a soulevé de nombreuses interrogations en droit


français. Ainsi, longtemps, la révision n’a été qu’une hypothèse d’école… Plusieurs
erreurs judiciaires ont pourtant été corrigées par ce procédé. Il convient d’évoquer
l’un des exemples les plus célèbres : l’affaire Dreyfus. Le capitaine Alfred Dreyfus a
été accusé sans preuve tangible d’espionnage. En 1894, il est condamné
pour trahison «  à la destitution de son grade, à la dégradation militaire, et à la
déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée ». Le vrai coupable de la trahison
est découvert par la suite, sans que cela entraîne la révision du procès. Le
13  janvier 1898, Émile  Zola publie «  J’accuse  !  » à la une du journal L’Aurore,
manifeste dans lequel il dénonce les manipulations ayant conduit à la
condamnation du capitaine Dreyfus. Traduit devant les assises, Zola est condamné
à un an de prison et à une amende. Le 15 janvier, le journal Le Temps publie une
pétition réclamant la révision du procès de Dreyfus. Parmi les signataires figurent,
outre Émile  Zola, Anatole  France, Daniel  Halévy, Claude  Monet ou encore
Émile Durkheim. Le 1er février 1901, Zola fait paraître La Vérité en marche, recueil
de ses articles écrits pendant l’affaire Dreyfus. Mais l’écrivain décède en 1902,
avant que la révision n’ait été prononcée (elle l’est en 1906).

Le droit positif permet ainsi à la justice de corriger ses erreurs,


comme l’illustrent les affaires Dils ou Machin, dans lesquelles la
révision a été obtenue après de nombreuses années de procédure.
La demande en révision est une demande en rétractation qui
aboutit à un réexamen de l’affaire par une juridiction de même
nature et de même degré que celle dont la décision est attaquée 32.
Elle est formée par une requête adressée à la commission de révision
des condamnations près la Cour de cassation, composée
de  cinq  conseillers désignés par l’assemblée plénière de la Cour de
cassation. Cette commission saisit la chambre criminelle qui statue
comme cour de révision 33.
La demande en révision n’est ouverte que dans quatre cas :
« 1o Après une condamnation pour homicide, sont représentées des
pièces propres à faire naître de suffisants indices sur l’existence de la
prétendue victime de l’homicide ;
2o Après une condamnation pour crime ou délit, un nouvel arrêt ou
jugement a condamné pour le même fait un autre accusé ou prévenu et,
les deux condamnations ne pouvant se concilier, leur contradiction est la
preuve de l’innocence de l’un ou de l’autre condamné ;
3o Un des témoins entendus a été, postérieurement à la
condamnation, poursuivi et condamné pour faux témoignage contre
l’accusé ou le prévenu  ; le témoin ainsi condamné ne peut pas être
entendu dans les nouveaux débats ;
4o Après une condamnation, vient à se produire ou à se révéler un
fait nouveau ou un élément inconnu de la juridiction au jour du procès,
de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné. »
Ce dernier cas a été introduit par la loi du 8  juin  1895 sur la
révision des procès criminels et correctionnels et sur les indemnités
dues aux victimes d’erreurs judiciaires.
 
La commission de révision des condamnations instruit la demande
et, le cas échéant, si elle l’estime bien fondée, en saisit la chambre
criminelle. Cette dernière, statuant comme cour de révision, peut, par
un arrêt motivé non susceptible de recours, rejeter la demande, ou
annuler la condamnation, avec ou sans renvoi. S’il y a renvoi, le sort
du condamné ne peut pas être aggravé.
Dans la série, la révision repose sur le constat que la
condamnation est fondée sur un faux témoignage  ; cela aurait
également justifié une révision en droit français.

1. Zadig, chapitre 6.
2. Article 9 de la DDHC.
3. Article 15 du PIDCP.
4. Article 6 paragraphe 2 de la CESDH, notamment.
5. A. J. Bullier, Réflexions sur le procès de common law, Bruxelles, Bruylant, 2015.
6. Voir notamment la relaxe rendue au bénéfice de Dominique Strauss-Kahn dans l’affaire du
Carlton de Lille, malgré plusieurs mois de campagne médiatique à charge. Et que dire de
Jawad « le logeur de Daech » ?
7. Voir notamment l’article  145 alinéa  6 du CPP concernant le placement en détention
provisoire.
8. Article  6 paragraphe  2 de la CESDH tel qu’interprété par la CEDH, Funke C.  France,
25 février 1993, A 256-A.
9. Article 63-1 du CPP.
10. Article 116 alinéa 4 du CPP.
11. Article 63-1 3 du CPP.
12. Oserais-je une nouvelle fois citer mon ouvrage, Chronique d’un maître de conférences…,
paru chez Enrick B. Éditions en 2017 ?
13. Voir notamment la CEDH, Van Der Heijden C.  Pays-Bas, 3  avril 2012, requête
no 42857/05.
14. Article 434-1 du CP.
15. À savoir :
« 1o Les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et sœurs et leurs conjoints,
de l’auteur ou du complice du crime ;
2 o Le conjoint de l’auteur ou du complice du crime, ou la personne qui vit notoirement en
situation maritale avec lui. »
16. Il s’agirait, selon maître  Eolas, d’un adage des juges des libertés et de la détention
parisiens. Voir le site : http://www.maitre-eolas.fr/post/2010/04/12/Détention-illégale
17. À savoir :
« 1o Conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la
vérité ;
2o Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;
3o Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou
complices ;
4o Protéger la personne mise en examen ;
5o Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ;
6o Mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ;
7o Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de
l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé. Ce
trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire. Toutefois, le présent
alinéa n’est pas applicable en matière correctionnelle. »
18. Article 138 11° du CPP.
19. Article 141-2 du CPP.
20. « Tout juge ou conseiller peut être récusé pour les causes ci-après :
1o Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin
sont parents ou alliés de l’une des parties ou de son conjoint, de son partenaire lié par un pacte
civil de solidarité ou de son concubin jusqu’au degré de cousin issu de germain inclusivement.
La récusation peut être exercée contre le juge, même au cas de divorce ou de décès de son
conjoint, de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou de son concubin, s’il a été allié
d’une des parties jusqu’au deuxième degré inclusivement ;
2o Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son
concubin, si les personnes dont il est tuteur, subrogé tuteur, curateur ou conseil judiciaire, si les
sociétés ou associations à l’administration ou à la surveillance desquelles il participe ont intérêt
dans la contestation ;
3o Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son
concubin, est parent ou allié, jusqu’au degré indiqué ci-dessus, du tuteur, subrogé tuteur,
curateur ou conseil judiciaire d’une des parties ou d’un administrateur, directeur ou gérant d’une
société, partie en cause ;
4o Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son
concubin, se trouve dans une situation de dépendance vis-à-vis d’une des parties ;
5o Si le juge a connu du procès comme magistrat, arbitre ou conseil, ou s’il a déposé comme
témoin sur les faits du procès ;
6o S’il y a eu procès entre le juge, son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité
ou son concubin, ou leurs parents ou alliés en ligne directe, et l’une des parties, son conjoint, ou
ses parents ou alliés dans la même ligne ;
7o Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son
concubin, ont un procès devant un tribunal où l’une des parties est juge ;
8o Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son
concubin, leurs parents ou alliés en ligne directe ont un différend sur pareille question que celle
débattue entre les parties ;
9o S’il y a eu entre le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou
son concubin et une des parties toutes manifestations assez graves pour faire suspecter son
impartialité. »
21. Article 6 paragraphe 1 de la CESDH.
22. CEDH, Golder C. Royaume-Uni, 21 février 1975, série A no 18.
23. Les Français sont particulièrement attachés à ce principe, comme en atteste le tollé
soulevé par le projet de création d’un tribunal criminel sans jury.
24. Article 298 du CPP.
25. Article 669 du CPP.
26. Dans l’affaire Georges Tron, l’avocat de l’accusé a ainsi soulevé un tollé de protestations
en dévoilant certains de ces éléments. Voir le site  :
https://www.franceinter.fr/emissions/dans-le-pretoire/dans-le-pretoire-05-janvier-2018
27. Article L. 231-9 du Code de la justice pénale des mineurs.
28. Voir notamment sur ce point A. Gide, Souvenirs de la cour d’assises, 1914.
29. Il est possible de citer, en France, l’affaire Jacqueline Sauvage concernant les violences
conjugales ou encore, aux États-Unis, l’affaire OJ Simpson.
30. É. Zola, Lettre à la jeunesse, 1897.
31. Le témoin mensonger commet l’infraction prévue par l’article 434-14 du CP (article 131-
1 du CP, Crim., 7 janvier 1970, pourvoi no 69-90114), et si les faits sont établis, le sénateur a
commis une subornation de témoin (article  434-15 du CP). Par ailleurs, il pourrait être
reproché au sénateur une escroquerie au jugement (article 313-1 du CP).
32. Article 622 du CPP.
33. Article 623 du CPP.
CHAPITRE 2

Le contradictoire exacerbé

«  Ni la contradiction n’est marque de fausseté,


ni  l’incontradiction n’est marque de vérité  »,
écrivait Blaise Pascal.

Le principe du contradictoire est une des caractéristiques de la


procédure accusatoire. Toutefois, sous l’influence de la Convention
européenne, ce principe s’est développé en droit interne. Il est
d’ailleurs énoncé par l’article préliminaire du Code de procédure
pénale et est décliné lors des différentes phases de la procédure.
Dans la série sont développées les règles relatives à la
communication des pièces, aux demandes d’actes et aux prérogatives
de l’accusation.

1. La communication des pièces

«  Tout refus de communiquer est une tentative


de communication. » 1
De nouveau, la série Murder offre une belle illustration des enjeux
entourant la communication et des divergences pouvant exister entre
le droit américain et le droit français.
Dès l’épisode  2, le caractère fortement contradictoire de la
procédure apparaît, fournissant à la défense de nombreux droits.
Ainsi, en marge d’une audience préliminaire publique, Wes  Gibbins
obtient un élément déterminant dans le dossier de Max  St.  Vincent
(une copie du rapport préliminaire de son arrestation), ce qui permet
de préparer la défense très tôt dans la procédure. Cette possibilité n’a
pas de véritable équivalent dans notre procédure interne. En effet, en
dehors de la phase de jugement, la phase préliminaire ne permet la
copie des pièces que selon les règles suivantes :
lors de l’enquête  : depuis la loi no  2021-1729 du 22 décembre
2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, l’article  77-2
du Code de procédure pénale permet l’accès au dossier de
l’enquête sur décision du procureur de la République ;
lors de la garde à vue, l’avocat n’a accès qu’aux procès-verbaux
des interrogatoires et confrontations effectués en dehors de sa
présence, et au certificat médical d’aptitude à la garde à vue 2 ;
lors de l’instruction, l’article  114 du Code de procédure pénale
permet à l’avocat d’obtenir la copie de l’intégralité du dossier du
témoin assisté 3, de la personne mise en examen 4 et de la partie
civile 5.
Ce qui se passe dans la série semble donc peu probable dans un
droit français qui limite les pièces auxquelles a accès l’avocat. Aussi
perplexe qu’elle puisse laisser, cette limitation a cependant jusqu’ici
été déclarée conforme aux dispositions de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales 6.
L’ACCÈS LIMITÉ AUX PIÈCES DU DOSSIER PAR L’AVOCAT LORS
DE LA GARDE À VUE

Le point de vue d’enseignants

• Benoît Le Devedec  : La présence de l’avocat en garde à vue est un subtil


mélange entre droits de la défense et efficacité des actes d’enquête. D’un côté,
l’avocat semble totalement désarmé si, lors d’une garde à vue, il n’a pas accès au
dossier de son client. D’un autre côté, s’il a toutes les informations liées à l’enquête,
il peut ruiner tout l’intérêt d’une garde à vue, c’est-à-dire obtenir des informations
pour parvenir à l’émergence de la vérité.
En réalité, il faut, je crois, se rappeler quelle est la nature de la garde à vue ainsi
que l’objet de la présence de l’avocat  : la garde à vue est un acte de procédure,
d’enquête. Elle n’est pas une phase de jugement, ce n’est pas là que sera rendue la
décision, il n’y a donc pas besoin que soit respecté le principe du contradictoire.
L’avocat fait office de vigie, de garde-fou. Il n’est pas là pour plaider et ses
possibilités d’interventions sont extrêmement limitées.
Hélas, s’il n’a qu’un rôle de surveillant, cela prouve bien qu’il y a quelque chose à
surveiller. De trop nombreux écarts, qui aujourd’hui encore peuvent survenir,
montrent que l’avocat est absolument indispensable en garde à vue.
• Baptiste Nicaud  : En tant qu’avocat, je pourrais bien évidemment trouver
regrettable qu’il y ait une absence de communication du dossier pénal car il s’agirait
d’un élément permettant d’assurer une meilleure défense de la personne dès la
garde à vue. Pour autant –  et c’est le côté enseignant qui ressort  – on peut
considérer qu’il reflète un équilibre entre les nécessités de l’enquête et le respect
des droits de la défense. En effet, le gardé à vue dispose de droits (droit de garder
le silence, droit à l’assistance d’un avocat,  etc.) et, bien que faisant l’objet d’une
accusation en matière pénale, n’est pas encore partie à un procès. La
communication du dossier est ensuite assurée dès que cette personne est partie au
procès pénal.

Le point de vue de l’avocat.e : Me Lisa


Dégardin
• Seul l’officier de police judiciaire a accès au dossier et pose des questions au
gardé à vue sur des éléments dont lui seul a connaissance. C’est comme jouer à une
partie de cartes dans laquelle l’adversaire a connaissance de notre main et abat ses
cartes en fonction de cela. Cette absence de communication du dossier à l’avocat
est attentatoire aux droits de la défense à ce stade de la procédure. En effet, le
gardé à vue, ignorant les détails et les dernières investigations des enquêteurs, peut
s’auto-incriminer sans le vouloir. Il conviendrait absolument de procéder à une
réforme sur ce point. Pour pallier ces difficultés, je conseille généralement à mes
clients de garder le silence en garde à vue.

Pour refuser la communication de l’ensemble du dossier à la


défense, est avancée l’idée qu’elle pourrait entraver l’efficacité des
investigations, le suspect sachant quels sont les éléments déjà à
charge… La personne suspecte et son avocat étant dans l’ignorance
des éléments à charge, les droits de la défense sont plus
qu’embryonnaires, contrairement à ceux présentés dans la série. En
revanche, passé le stade de l’enquête, les droits de la défense selon le
droit américain et le droit français tendent à s’aligner, et il n’y a pas
véritablement de constat d’opposition entre la procédure accusatoire
de la série et la procédure française à dominante inquisitoire. Dans
l’épisode  12, Bonnie peut par exemple obtenir le rapport d’autopsie
de Sam qui révèle que ce dernier a eu le crâne fracturé et atteste la
présence, d’une part, de fibres du tapis dans lequel il a été enroulé et
qui provient du cabinet d’Annalise, d’autre part, de brindilles
provenant d’une forêt.

2. L’implication de la défense dans


les actes d’investigation
«  Tant que la justice paiera des experts comme des femmes
de ménage, elle aura des expertises de femme de ménage 7. »

À première vue, on pourrait penser que tout aurait vocation à


opposer le droit français, dont la procédure est inquisitoire, et le droit
de la série Murder, régi selon une procédure accusatoire. Mais un tel
a priori est trop simpliste. En effet, dans les deux droits, la défense
joue un rôle particulièrement actif au stade de l’investigation et peut
formuler de nombreuses demandes d’actes. C’est par exemple le cas
de l’expertise, acte essentiel autour duquel tourne l’énigme de
Murder.
En droit français, l’expertise n’apparaît que plus tardivement et
n’a souvent pas à être formulée : c’est en effet le procureur ou le juge
d’instruction qui en prend l’initiative. Dans la série en revanche, la
défense formule fréquemment des demandes d’expertise, avec une
plus grande latitude dans le choix de l’expert.
 
L’expertise est ainsi à l’honneur dans l’épisode 7, au cours duquel
l’avocat de Griffin sollicite l’exhumation du cadavre de Lila en vue
d’une contre-expertise. Cette demande repose sur un élément
nouveau résidant dans la présence de traces, vraisemblablement de
strangulation, non exploitées, sur le cadavre. La procédure
accusatoire de la série n’offre pas, à ce stade, de divergence majeure
avec le droit français qui admet de telles contre-expertises, même si
elles sont enfermées dans un délai fixé par le juge d’instruction 8.
Annalise, qui ne souhaite pas que ces traces soient reconnues comme
des marques de strangulation dans la mesure où cela discréditerait la
thèse de la défense, conteste cette demande ; elle s’emploie pour cela
à mettre en doute l’opportunité de l’expertise, à chercher d’autres
explications à ces marques (qui pourraient être des piqûres d’insecte)
et à jeter le discrédit sur l’expert. Pour ce faire, elle peut compter sur
l’accusation qui lui transmet un dossier dont il ressort qu’il existe des
accusations de corruption à l’encontre de l’expert, ce qui a d’ailleurs
conduit à l’exclure de la liste officielle des experts.
 
L’expertise est étroitement régie par le droit français. Si l’expert ne
figure pas sur la liste nationale dressée par la Cour de cassation ou
sur une des listes dressées par les cours d’appel dans les conditions
prévues par la loi no  71-498 du 29  juin 1971 relative aux experts
judiciaires, il peut être désigné par décision motivée. Dans ce cas,
l’expert désigné prête serment et ce n’est que dans des cas marginaux
que sa crédibilité peut conduire à sa récusation.
En dehors de l’expertise, les demandes d’actes sont nombreuses
dans la série. Donnons deux exemples  : dans l’épisode  8, Annalise
obtient du procureur qu’il ordonne une analyse ADN de l’ensemble de
l’entourage de Lila  ; dans l’épisode  7, il s’agit pour la défense
d’obtenir une ordonnance de non-divulgation.
La procédure de la série et le droit français sont donc finalement
assez proches concernant la possibilité pour les parties de demander
des actes 9.

3. Les prérogatives de l’accusation
Selon un proverbe russe assez méconnu, «  qui accuse le juste se
blesse lui-même ». Serait-ce la raison pour laquelle, à chaque fois que
l’accusation cherche à s’en prendre à Annalise et à l’accabler de
charges, elle subit un effet boomerang assez dévastateur ?
Pour autant, l’accusation dispose de prérogatives non négligeables
lui permettant de contrebalancer la primauté d’apparence des
prérogatives de la défense. Nous n’envisagerons à ce titre que les
prérogatives légales, bien que l’accusation use (et abuse) dans la série
de moyens parfaitement illégaux pour mettre à mal la défense et
donc, Annalise. On peut notamment rappeler les multiples attaques
personnelles de l’accusation à son égard. Dans l’épisode  12, le
substitut Hobbes n’hésite pas à faire pression sur elle et à la menacer
d’une inculpation imminente pour meurtre  ! Ne s’agit-il pas là de
violences psychologiques 10  ? Dans la série, les crispations entre
l’accusation et la défense sont exacerbées et la procédure, plus orale,
semble faciliter ce type de pressions que rien, en droit français,
n’autorise.
 
Pour en revenir aux prérogatives légales de l’accusation, et
contrairement à ce que l’abus de prérogatives illégales pourrait laisser
penser, elles sont nombreuses. Plus encore, celles dont l’accusation
dispose permettent de contrevenir de manière substantielle aux
différentes stratégies mises en place par la défense. Tout d’abord,
l’accusation n’a pas à produire tous les éléments de preuve en sa
possession. Ainsi, dans l’épisode  4 («  Les Trois Petits Cochons  »),
l’accusation refuse de produire la vidéo des aveux de Rebecca. En
droit français également, les interrogatoires pratiqués en garde à vue,
en matière criminelle, sont filmés 11. Toutefois, cet enregistrement ne
peut être consulté qu’en cas de contestation du contenu du procès-
verbal. Plus encore : comme nous l’avons vu, lors de l’enquête, l’accès
au dossier est très étroitement limité.
Ensuite, l’accusation dispose de prérogatives de puissance
publique qui lui permettent d’effectuer de nombreux actes lors de
l’enquête et de l’instruction. Dans l’épisode  12, «  Flic un jour, flic
toujours  », Franck, paniqué, dit à Laurel qu’elle est désormais sous
surveillance et qu’elle doit prévenir les autres stagiaires, qu’il appelle
affectueusement ( ?) « les autres débiles ». Bien qu’il ne lui précise pas
la nature de cette surveillance, il s’agit manifestement d’écoutes
téléphoniques ordonnées sur le fondement des dispositions du Code
de procédure pénale. En droit français, ces écoutes ne sont possibles
que dans le cadre de l’instruction 12 ou en cas de criminalité et de
délinquance organisées lors de l’enquête 13. Or, compte tenu des
circonstances entourant le décès de Sam, il est plus que vraisemblable
que l’enquête portera sur un meurtre. Pour qu’il s’agisse de
criminalité et de délinquance organisées, il est nécessaire de réunir
trois conditions  : au moins trois  participants, une structure et une
préméditation 14. Dans la série, outre les cinq  stagiaires, Annalise,
Nate, Bonnie et Franck sont plus ou moins impliqués  ; il existe une
structure de l’organisation qui remonte jusqu’à Annalise  ; mais les
circonstances dans lesquelles Sam a été tué semblent exclure toute
forme de préméditation. Le droit français supposerait donc
d’appliquer le droit commun, à défaut de pouvoir se prévaloir de la
procédure en matière de criminalité et de délinquance organisées, ce
qui exclurait toute possibilité d’écoutes téléphoniques. Trois types
d’écoutes sont régis par le droit français  : les écoutes
administratives 15, les écoutes judiciaires 16 et les écoutes
pénitentiaires 17.
Autre prérogative de l’accusation : le mandat de perquisition. Un
tel mandat est délivré pour inspecter la maison d’Annalise. Celle-ci
demande à Bonnie de le contester. Une audience a lieu. Pour justifier
le mandat, Anna, la sœur de Sam, raconte qu’au cours d’une
cérémonie organisée lors du lancement d’un ouvrage, Annalise aurait
menacé de mort son mari et aurait jeté un presse-papiers en direction
de sa tête. En France, contrairement à une opinion trop répandue, IL
N’EXISTE PAS de mandat de perquisition. Le fondement juridique de
la perquisition dépend du cadre juridique des investigations : enquête
préliminaire, enquête de flagrance ou instruction. Ce n’est que lors de
l’enquête préliminaire que l’assentiment du propriétaire est requis 18.
Toutefois, même dans ce cas, il est possible pour les infractions
punies au minimum de cinq  ans d’emprisonnement d’obtenir
l’autorisation du juge des libertés et de la détention afin de passer
outre l’absence de consentement 19. Ce qui peut surprendre,
finalement, ce n’est pas la différence fondamentale entre les deux
droits, mais au contraire leur rapprochement depuis l’instauration du
juge des libertés et de la détention par la loi du 15 juin 2000. Ainsi,
même lors d’une enquête préliminaire, ce juge peut, au regard des
nécessités de l’enquête, autoriser la perquisition par une décision
écrite et motivée. Il n’y a là que peu de différence avec le fait de
solliciter, comme dans la série Murder, un mandat de perquisition.
La consultation des fadettes 20 est également une arme
procédurale redoutable, dont l’accusation ne manque pas de se
prévaloir. C’est grâce à la mise en œuvre de ce procédé que, dans
l’épisode  13 («  Maman est là maintenant  »), Rebecca est convoquée
par la police qui a remarqué qu’elle a appelé Nate la nuit de la
disparition de Sam. En droit français, l’article  77-1-1 du Code de
procédure pénale permet cette consultation, même lors de l’enquête
préliminaire 21. Le procureur de la République ou, sur autorisation de
celui-ci, l’officier de police judiciaire, peut, par tout moyen, requérir
de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou
public ou de toute administration publique susceptibles de détenir
des informations intéressant l’enquête, y compris celles issues d’un
système informatique ou d’un traitement de données nominatives, de
lui remettre ces informations, notamment sous forme numérique,
sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l’obligation au
secret professionnel.
En France, l’affaire «  des fadettes  » a défrayé la chronique. Les
« fadettes » désignent soit celles qui ont des pouvoirs de fées, ce qui
n’est pas le sujet ici, soit les factures détaillées transmises par les
opérateurs téléphoniques. Or, lors d’une enquête menée entre 2014 et
2019, le Parquet national financier a recherché, à partir des fadettes
de plusieurs avocats connus et reconnus, qui aurait pu informer
l’ancien Président Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu’ils
étaient sur écoute. L’enquête pour violation du secret professionnel a
été classée sans suite en décembre  2019. Selon un rapport de
l’inspection générale de la justice de septembre  2020, il y aurait eu
plusieurs irrégularités. L’Ordre des avocats du Barreau de Paris a saisi
la justice en décembre 2020. Enfin, dans une décision du 3 novembre
2021, le Tribunal judiciaire de Paris a estimé que l’ingérence dans la
vie privée des avocats concernés et de leurs interlocuteurs n’était pas
disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi.
Finalement, le constat est assez décevant  : les modes de preuve
utilisés dans la série ne sont pas très nombreux et restent classiques.
On ne trouve nulle trace d’IMSI-catcher 22, de sonorisation ou de
fixation d’images 23… De là à dire que les autorités d’investigation de
la série ne sont pas très imaginatives, il n’y a qu’un pas  – que nous
franchissons volontiers. L’utilisation de preuves plus spectaculaires
reste la marque de fabrique des différentes versions des Experts 24.

1. Albert Camus, La Peste.
2. Article 63-4-1 du CPP.
3. Le statut de témoin assisté est octroyé par le juge d’instruction et permet de bénéficier de
certains droits de la défense.
4. La personne mise en examen a la plénitude des droits de la défense MAIS elle peut voir sa
liberté restreinte et être renvoyée en jugement.
5. La victime peut se constituer partie civile afin d’accéder au dossier et d’obtenir des
dommages-intérêts.
6. Crim., 19  septembre 2012, no  11-88111. Cette position a été réitérée depuis  : Crim.,
14 avril 2015, no 14-88515.
7. Propos pour le moins malheureux prononcés par un expert lors du procès d’Outreau.
8. Article 167 alinéa 3 du CPP.
9. En droit français, les parties peuvent s’adresser à cette fin au juge d’instruction (article 82-
1 du CPP).
10. Article 222-13 du CP.
11. Article 64-1 du CPP.
12. Articles 100 à 100-7 du CPP.
13. Article 706-95 du CPP.
14. Article 132-71 du Code pénal.
15. Articles L. 852-1 du Code de la sécurité intérieure.
16. Articles 100 à 100-8 et 706-95 du Code de procédure pénale.
17. Article 727-1 du Code de procédure pénale.
18. Article 76 du CPP.
19. Article 76 alinéa 4 du CPP.
20. Nom donné au relevé des appels entrants et sortants du téléphone portable.
21. Crim., 2 novembre 2016, no 16-82 376.
22. Un IMSI-catcher (International mobile subscriber identity) est un matériel de surveillance
utilisé pour l’interception des données de trafic de téléphonie mobile et pour suivre les
données de localisation des terminaux, et donc de leurs utilisateurs. Voir à ce sujet la fiche
pratique de J.-B. Crabières, « Le recours à l’IMSI-catcher », Procédures no 5, mai 2017.
23. Articles 706-96 et suivants du CPP.
24. Les Experts Miami, Las Vegas ou Manhattan.
CHAPITRE 3

Une publicité toute relative


de la procédure

Pour Voltaire, «  il n’appartient qu’au crime de se cacher  ».


Durant la période révolutionnaire française, la publicité était
encensée.

Comme nous l’avons déjà indiqué, une des trois caractéristiques


de la procédure accusatoire est la publicité, à la différence de la
procédure inquisitoire qui repose sur le secret. La publicité se
décompose en deux aspects : des actes et de la procédure.
S’agissant de la procédure, le droit français a ouvert dans le secret
de l’instruction de nombreuses audiences juridictionnelles publiques
lors de la phase préliminaire, notamment concernant la détention
provisoire. À  l’inverse, dans la procédure de Murder, toutes les
audiences sont publiques.
S’agissant des actes, dans l’épisode  7 («  Passages à l’acte  »), des
révélations sont diffusées par la presse. Des reportages sur l’affaire
font état de ce que Griffin a rompu son pacte de pureté avec Rebecca.
C’est le procureur qui aurait intentionnellement fait fuiter des
informations. En droit français, il s’agirait là d’une violation de
l’article  11 du Code de procédure pénale, qui prévoit le secret de
l’enquête. En effet, le procureur commet l’infraction de violation du
secret professionnel prévue par l’article 226-13 du Code pénal, punie
d’un  an d’emprisonnement et de 15  000  euros d’amende. Toutefois,
encore faut-il prouver qu’il est l’auteur de la fuite, ce qui s’avère
souvent impossible, le journaliste se retranchant derrière le secret des
sources.
Une autre infraction semble envisageable, celle prévue par
l’article 434-7-2 alinéa 1er du Code pénal :
« Sans préjudice des droits de la défense, le fait, pour toute personne
qui, du fait de ses fonctions, a connaissance, en application des
dispositions du code de procédure pénale, d’informations issues d’une
enquête ou d’une instruction en cours concernant un crime ou un délit,
de révéler sciemment ces informations à des personnes qu’elle sait
susceptibles d’être impliquées comme auteurs, coauteurs, complices ou
receleurs, dans la commission de ces infractions, lorsque cette révélation
est réalisée dans le dessein d’entraver le déroulement des investigations
ou la manifestation de la vérité, est puni de deux ans d’emprisonnement
et de 30 000 euros d’amende. »
La difficulté pour retenir cette qualification réside dans le mobile
spécifique, à savoir prouver la volonté du procureur de nuire aux
investigations ou à la manifestation de la vérité.
 
La publicité est cependant à double tranchant, et la défense
préférerait parfois s’en passer. C’est pourquoi, dans le même épisode,
Annalise agit en justice pour obtenir une ordonnance de non-
publication. Elle espère que, grâce à celle-ci, personne ne pourra
parler à la presse, l’objectif étant de préserver la juridiction de toute
forme de préjugés afin d’assurer son impartialité. Cette impartialité
est consacrée de notre côté de l’Atlantique par l’article  6 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales. Pour autant, et bien qu’un préjugement
constitue indéniablement une atteinte à l’impartialité de la
juridiction, il n’existe aucune disposition équivalente en droit
français.
 
Mettant à mal la stratégie de défense d’Annalise, Rebecca trahit
finalement l’accord de non-divulgation et indique avoir été violée par
Griffin. A-t-elle pour autant violé l’article  11 du Code de procédure
pénale ou l’article  434-7-2 du Code pénal relatif au secret de
l’enquête (cf. supra) ? La réponse est négative, puisque l’article 11 ne
s’applique qu’aux personnes qui concourent à la procédure quant à
l’article  434-7-2, il ne s’applique qu’aux personnes qui ne prennent
connaissance des informations secrètes qu’en raison de leur
profession. Le secret ne s’applique donc pas aux parties privées ou
aux journalistes. Annalise serait donc sans recours possible à son
égard dans le droit français.
Malgré l’affirmation d’un secret de façade, d’ailleurs très peu
respecté en pratique, le droit français permet une plus grande
publicité de la procédure puisqu’il est impossible d’imposer le secret
aux journalistes, tandis que, comme le rappelle la série, la justice
américaine peut leur enjoindre de ne pas communiquer sur des
affaires en cours. Comment expliquer cette différence  ? Le temps
judiciaire peut être une explication. En effet, la procédure de la série
est bien plus rapide, et les médias sont donc enclins à respecter un
secret limité dans le temps. En France, les procédures étant longues,
le temps judiciaire ne correspond pas au temps médiatique qui
impose d’avoir des réponses plus rapides. Ainsi, selon les chiffres clés
de la justice 2021, le délai moyen d’instruction est de 28  mois 1.
Quant à la durée moyenne de traitement d’une affaire pénale, elle
serait de 8,8 mois 2.
1. http://www.justice.gouv.fr/art_pix/chiffres_cles_2021_web.pdf, p. 11.
2. http://www.justice.gouv.fr/art_pix/stat_Infostat_172.pdf (chiffres 2018)
TITRE II

Une procédure pénale
reposant sur la déloyauté

« Quand la loyauté tue la vérité, quelle infernale guerre


sainte ! » 1

CHAPITRE 1. L’OMNIPRÉSENCE DU MENSONGE


1. L’usurpation de l’identité d’autrui
2. Les mensonges entre les protagonistes
3. L’invention de preuves
4. Les rapports faussés avec les autorités d’investigation

CHAPITRE 2. L’OBTENTION ILLÉGALE DES PREUVES


1. Obtenir des preuves en usant de ses charmes
2. La vie privée : un obstacle contournable
Les petits secrets de Sam dévoilés…
3. L’utilisation marginale des nouvelles technologies
L’exigence de loyauté n’est pas inscrite à proprement parler dans le
Code de procédure pénale, mais a été dégagée par la jurisprudence
concernant la preuve pénale. Or, cette exigence ne s’applique qu’à
l’égard des autorités publiques d’investigation 2.
En procédure pénale, la loyauté conduit à considérer que pour
l’obtention de la preuve, la fin ne justifie pas les moyens. À cet égard,
la procédure pénale française diffère en de nombreux points de la
procédure mise en œuvre dans la série Murder. Dans celle-ci, deux
phases capitales se succèdent  : la garde à vue, qui se déroule lors
d’une audience juridictionnelle (sans jury), suivie par une mise en
accusation lors de laquelle est discuté le placement en détention
provisoire. S’ensuivent de nombreuses audiences préliminaires se
déroulant avant le procès (par exemple, dans l’épisode  2 «  Tel père,
telle fille  »), qui permettent notamment de communiquer les
différentes pièces, de statuer sur la détention provisoire ou encore de
proposer à l’accusé de plaider coupable. En l’occurrence, la victime
Marjorie Saint-Vincent, héritière d’un grand magasin a été
poignardée à 16 reprises dans son manoir. Les soupçons se sont
immédiatement portés sur son mari dont la précédente épouse était
déjà morte de façon prématurée.
S’agissant de la procédure pénale française, la phase préliminaire qui
conduit de la découverte du fait divers au jugement connaît deux
cadres juridiques différents, le premier étant lui-même subdivisé en
deux :
L’enquête menée par la police sous la direction du procureur de la
République, qui dépend de deux cadres :
Soit l’enquête de flagrance, si les conditions de l’article 53 du
Code de procédure pénale sont réunies, à savoir un critère
temporel et un critère matériel. Elle est à la fois coercitive et
limitée dans le temps, et permet d’effectuer les actes d’enquête
sans l’assentiment de la personne visée.
Soit, à défaut, l’enquête préliminaire, qui suppose d’obtenir
l’assentiment de la personne visée.
L’instruction menée par le juge d’instruction lorsqu’il a été saisi
par le procureur de la République. Elle est coercitive.
La comparaison entre les deux ordres juridiques suppose de
déterminer préalablement si les conditions de la flagrance ou de
l’ouverture d’une instruction sont réunies. Il y a flagrance dès lors que
se cumulent un critère temporel, à savoir une proximité entre le
moment où a eu lieu l’infraction et le déclenchement de la procédure,
et un critère matériel – souvent un indice apparent. L’instruction, elle,
suppose que le ministère public ait saisi un juge d’instruction à l’issue
de l’enquête. Elle est obligatoire en matière criminelle et ne
s’applique en matière délictuelle que si les faits sont graves ou
complexes 3.
On notera qu’il existe une procédure dérogatoire en cas de criminalité
et de délinquance organisées applicable uniquement à certaines
infractions 4.

1. William Shakespeare.
2. Ch. réunies, 31 janvier 1888.
3. Article 79 du CPP.
4. Articles 706-73 et suivants du CPP.
CHAPITRE 1

L’omniprésence du mensonge

« Coupable ou innocent, ça m’est égal, car mon client ment  ! »


dit Annalise dans l’épisode 2.

Très rapidement, la série donne le ton  : le mensonge y est


omniprésent. Que ce soit vis-à-vis des autorités de police, des avocats,
des juges, ou même entre eux, l’ensemble des personnages de la série
véhiculent de fausses informations et en dissimulent d’autres. Ce
mécanisme permet d’asseoir le suspense : le téléspectateur, à l’image
des avocats, se perd au gré des mensonges et reconstruit le fil au fur
et à mesure de leur découverte.
 
Le recours au mensonge délibéré ou par omission est un élément
commun à la fiction et à la réalité, à la procédure pénale française et
à celle de la série. Ses conséquences sont néanmoins différentes
suivant les personnes auprès desquelles il est soutenu et selon la
procédure visée.
 
La série opère une distinction capitale entre le mensonge exprimé
et le silence. Elle reprend ici un des ressorts classiques de la
procédure pénale américaine  : l’interdiction de mentir au tribunal
opposée au droit de ne pas témoigner à son détriment, protégé par le
cinquième  amendement de la Constitution des États-Unis. Faut-il
rappeler que les personnes qui s’expriment devant les tribunaux sont
tenues, avant de témoigner, de jurer sur la Bible qu’ils diront toute la
vérité ? Réminiscence de l’influence de la religion sur le judiciaire, et
en l’occurrence de la religion protestante, cette pratique permet de
mettre en relief une différence fondamentale avec le fonctionnement
judiciaire français qui, lui, repose sur le principe de laïcité supposant
la séparation des Églises et de l’État 1.
« Un mensonge en entraîne un autre 2.  » En l’occurrence, je serais
tenté de dire que cent  mensonges en entraînent cent  autres, car
TOUS les personnages de la série mentent, et à de nombreuses
reprises…
D’où la sentence d’Annalise citée ci-dessus  : «  coupable ou
innocent, ça m’est égal car mon client ment ! » Ne dit-on pas d’ailleurs
que le client est le pire ennemi de l’avocat ?
D’un point de vue strictement théorique, les protagonistes de la
série auraient tout intérêt à ne pas mentir et, en cas de doute, à
utiliser le cinquième  amendement (c’est-à-dire le droit au silence).
Alors, pourquoi s’évertuent-ils malgré tout à mentir ?
Plusieurs éléments de réponse peuvent être apportés. D’abord,
c’est dans l’intérêt supérieur de la série. En effet, si les
protagonistes décidaient d’utiliser systématiquement leur droit au
silence, elle pourrait perdre de son intérêt… Il semble aussi, lorsque
l’on creuse la personnalité des protagonistes, qu’ils sont souvent
animés d’un esprit de compétition, voire d’un complexe de
supériorité  ; ils cherchent donc à égarer les autorités d’investigation
parce qu’ils s’estiment plus intelligents. En outre, dans la série comme
dans la réalité judiciaire, le recours au droit au silence est porteur
d’une suspicion de culpabilité. En d’autres termes, si une personne se
tait, c’est qu’elle a nécessairement quelque chose à cacher… Alors, le
choix est parfois fait de mentir, au risque que ce mensonge finisse par
être découvert et fasse voler en éclats la défense, conduisant
directement à la culpabilité.
La possibilité de faire ou de ne pas faire des déclarations justifie
les nombreux mensonges des personnages, proférés afin qu’ils ne
s’incriminent pas. Ce choix peut, de prime abord, surprendre. Le
changement fréquent de version lors de déclarations devant les
autorités, s’il n’est pas répréhensible sauf dans certains cas que nous
étudierons plus loin, conduit en effet à la suspicion. Plus le suspect
ment, moins il est cru.

LE CLIENT EST-IL LE MEILLEUR ENNEMI DE L’AVOCAT ?

Le point de vue de l’avocat.e : Me Lisa


Dégardin

La défense d’une personne devant une juridiction répressive est toujours un


véritable travail d’équipe entre l’avocat et le client. Quand la personne qui est
accusée déclare des énormités ou agace les juges, il est compliqué pour l’avocat de
redresser la barre. Nous préparons toujours les clients aux audiences mais parfois
dans le cadre de comparutions immédiates, lorsque la préparation s’effectue dans
l’urgence, il est beaucoup plus difficile d’éviter un faux pas. Je me souviens de trois
confrères qui plaidaient dans le cadre d’une comparution immédiate avec beaucoup
de talent et d’énergie la relaxe. Les prévenus se sont levés et se sont excusés pour
les faits qui leur étaient reprochés. Cela a ruiné les plaidoiries pourtant très
convaincantes de la défense.

1. L’usurpation de l’identité d’autrui


Le mensonge peut être en apparence un acte anodin. Animé par la
volonté de faire une blague ou de se venger, il est à la portée de tous.
L’affaire du meurtre de Lila en offre une belle illustration. Dans
l’épisode 3 de la série, « Les Amants terribles », Griffin, le petit ami de
Lila, évoque le fait que Lila les a surpris, lui et Rebecca, en plein
milieu d’un rapport sexuel, alors qu’ils étaient sous l’emprise de la
drogue. Griffin en est persuadé : c’est Rebecca qui a pris son portable
pour envoyer à Lila un texto lui demandant de venir, et ce, afin
qu’elle les surprenne. Cette hypothèse est ici avancée à des fins plus
générales que pour une infraction spécifique, à savoir décrédibiliser
Rebecca et faire innocenter Griffin ; mais un tel stratagème n’en reste
pas moins constitutif de l’infraction d’usurpation d’identité réprimée
par l’article  226-4-1 du Code pénal. Cet article punit d’un  an
d’emprisonnement et de 15  000  euros d’amende l’usurpation
d’identité d’un tiers «  en vue de troubler sa tranquillité ou celle
d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération  ».
Ici, en utilisant le portable de Griffin et en demandant à Lila de venir,
Rebecca se serait fait passer pour Griffin et aurait par conséquent
menti sur son identité, ce qui constitue une hypothèse d’usurpation
d’identité. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle a ainsi porté
atteinte à la tranquillité de Griffin et à celle de Lila, de sorte que
l’infraction serait caractérisée.
Dès lors, les lecteurs avisés que vous êtes doivent impérativement
prendre garde à toute brillante idée qui consisterait à utiliser les
codes d’accès de vos amis pour publier sur leur page Facebook un
statut « sympathique », ou à envoyer des textos à leur place. Si drôles
que puissent être ces manipulations, elles pourraient bien vous
conduire en prison, même si c’est « pour rire » 3…
 
Pour en revenir à la série Murder, l’usurpation d’identité n’y est
pas l’apanage des suspects. C’est également (et c’est plus grave) un
stratagème utilisé par les étudiants d’Annalise et son petit protégé,
Wes. Celui-ci, qui n’est autre que le petit ami de Rebecca, a ainsi dans
l’épisode  3 l’idée de se fabriquer de faux papiers afin de se faire
passer pour un avocat, ce qui lui permet de rendre visite à Rebecca en
prison. Peu reconnaissante de son geste, celle-ci s’emporte, l’accuse
de la harceler et provoque son arrestation, obligeant Annalise à aller
le chercher au poste.
Ce cas précis d’usurpation d’identité (Wes se faisant passer pour
un avocat) est constitutif d’un usage de faux, réprimé par
l’article 441-1 du Code pénal. Y est qualifiée de faux « toute altération
frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie
par quelque moyen que ce soit  ». De plus, Wes se faisant passer pour
un avocat, il s’agit d’un faux commis dans un document délivré par
une administration publique aux fins de constater un droit, une
identité ou une qualité, ou d’accorder une autorisation, lequel est
puni de cinq  ans d’emprisonnement et de 75  000  euros d’amende 4.
Dans la série, Wes n’est finalement pas poursuivi grâce à
l’intervention d’Annalise, qui se présente comme avocate de Rebecca,
joignant ainsi l’utile à l’agréable : sortir Wes d’une situation délicate
et lui donner satisfaction en acceptant de représenter Rebecca.

2. Les mensonges entre
les protagonistes
Le mensonge entre Ayden et Michaela
Le mensonge n’est pas systématiquement constitutif d’une
infraction. C’est par exemple le cas dans l’épisode  3, dans lequel
Ayden, le fiancé de Michaela, fait son apparition. Dans cet épisode,
on découvre que, plus jeune, il a eu une liaison avec Connor, ce qu’il
avait caché à Michaela. Il s’agit d’une forme de mensonge sur la
personne  : Ayden ne révèle pas son passé sentimental ni même,
probablement, son orientation sexuelle. Selon le droit français, un tel
mensonge ne constitue bien évidemment pas une infraction pénale.
N’est-il pas pour autant susceptible d’avoir une influence sur le
mariage  ? Rappelons que l’alinéa  2 de l’article  180 du Code civil
envisage notamment comme cause de nullité du mariage l’erreur sur
les qualités essentielles de la personne. Or, selon la Cour de cassation,
dans certaines circonstances précises, le fait de cacher à son époux ou
son épouse l’existence d’une relation antérieure peut constituer une
tromperie sur les qualités essentielles 5. Toutefois, le simple mensonge
ayant porté sur la vie sentimentale passée n’a pas d’incidence sur la
vie matrimoniale 6. Fort heureusement  ! Que le lecteur imagine la
situation inverse : il faudrait alors révéler l’ensemble des détails de sa
vie sentimentale lors de la première rencontre… Quelle horreur !
Dans la série, c’est l’orientation sexuelle d’Ayden plus que sa
liaison passée qui pourrait être problématique. En effet, bien que
Michaela soit particulièrement attachée aux apparences et souhaite
éviter le qu’en-dira-t-on à propos de l’orientation sexuelle de son
mari, il va de soi que le projet de mariage repose avant tout sur ses
sentiments amoureux. Or, elle aime son ex-futur époux. Le mensonge
de ce dernier n’en conduit pas moins Michaela à une réaction assez
violente. Chamboulée par cette révélation, elle menace son fiancé de
briser sa carrière en devenir et de lui prendre tout son argent si cela
devait se renouveler. Ce qui nous conduit à nous interroger  : un tel
comportement ne pourrait-il pas caractériser l’une des infractions
pénales de menace 7  ? Il ne semble pas. En effet, il ne s’agit ni de
menacer de commettre un crime ou un délit, ni de menaces de mort,
ni même de menaces réitérées.

Le mensonge entre Sam et Annalise


Le couple formé par Sam et Annalise repose lui aussi sur des
mensonges. « N’avoue jamais » semble être la devise de Sam ! Même
confronté à ses innombrables mensonges, il cherche une parade…
Annalise, qui doute de la version de son mari, demande donc à Nate,
son amant policier, de mener des investigations. Il en résulte que Sam
ne s’est jamais rendu à une conférence à  Yale et que son véhicule
n’était pas sur sa place de parking habituel la nuit du meurtre de Lila.
Mais Nate ne révèle pas ces informations et ment à son tour à
Annalise.
Ces mensonges sont-ils répréhensibles ? Pas sur le plan pénal. En
revanche, Sam, marié à Annalise, n’a pas respecté son devoir de
fidélité 8.
Quant au fait que, à la suite de ces révélations, il est exclu du lit
conjugal et contraint de dormir sur le canapé, cela ne constitue pas
une violation de la communauté de vie, celle-ci n’imposant pas au
couple de dormir ensemble en toutes circonstances 9…

Le mensonge entre Connor et Oliver


Dans l’épisode 15, Connor apprend qu’Oliver est séropositif alors
qu’il pensait être lui-même séropositif en raison des nombreux
rapports sexuels non protégés qu’il a eu avec des conquêtes d’un soir.
D’ailleurs, il croyait qu’Oliver se refusait justement à lui en attendant
les résultats de son test, alors qu’en réalité, il agissait de la sorte non
par défiance mais en raison de la connaissance de son état et de son
risque de contamination. Ce mensonge par omission n’est pas
constitutif d’une infraction puisqu’il protège Connor.
À l’inverse, le droit français rend punissable la contamination par
10
le VIH en connaissance de cause .

Les petits mensonges entre amis


Si le couple est, dans la série, un des terrains privilégiés du
mensonge, les relations amicales sont également l’occasion de ne pas
se dire toute la vérité. Ainsi, dans le dernier épisode de la saison,
Laurel et Michaela partagent un verre dans un bar. Laurel finit par
avouer qu’elle a récupéré la bague de fiançailles de Michaela,
« perdue » la nuit du meurtre de Sam. La bague était en réalité dans
la voiture de Connor et Laurel l’avait gardée délibérément pour éviter
que Michaela dénonce ses acolytes à la police et pour qu’elle « reste
tranquille  ». Il s’agit là d’un vol avec repentir actif… Le mobile est
indifférent.
Que retenir de tout cela  ? Que le mensonge, en lui-même, n’est
pas sanctionné pénalement et ne génère que très rarement des
conséquences juridiques.

3. L’invention de preuves
Invention ou création ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que les
personnages de la série font preuve d’un sens créatif aigu !
Il faut bien se rendre à l’évidence : les faits ne se présentent pas
toujours de la meilleure manière qui soit pour la défense. Quel avocat
n’a pas maugréé à la découverte d’une pièce qui mettait à mal sa
stratégie ?
Dans la série Murder, l’action succède parfois à la frustration. Ce
qui explique que les avocats de la défense ou de l’accusation puissent
interférer dans la manifestation de la vérité. C’est le cas dans
l’épisode 6, « Habeas corpus ». Annalise cherche à disculper Lila. Elle
décide alors de faire intervenir son homme de main, Franck, afin qu’il
place le téléphone de Lila dans la voiture de Griffin. Ce stratagème lui
permet de brouiller les pistes.
Dans l’épisode 12, c’est une bague qui est retrouvée dans le bois
où le corps de Sam a été démembré et brûlé. Si Michaela est prise de
panique, persuadée qu’il s’agit de sa bague de fiançailles, il s’avère
finalement qu’il s’agit de celle de la victime, Sam, à ceci près qu’elle a
été déposée par Franck et porte les empreintes de Nate !
Dans les deux hypothèses, il s’agit d’une altération de traces ou
indices par l’apport d’objets quelconques en vue de faire obstacle à la
manifestation de la vérité, laquelle est sanctionnée par trois  ans
d’emprisonnement et 45  000  euros d’amende conformément à
l’article 434-4 du Code pénal.
Très proche de cette hypothèse, la dissimulation de preuves. Elle
est sanctionnée de la même manière par l’article 434-4 du Code pénal
qui vise l’altération, la falsification ou l’effacement des traces ou
indices par l’apport, le déplacement, ou la suppression d’objets.
L’épisode  14, «  Ainsi soit-il  », en donne un exemple éclairant. Les
principaux personnages se retrouvent face à Rebecca, qui a retrouvé
le vigile qui les avait vus sortir de la maison d’Annalise le soir du
meurtre. Or, ce vigile a été renvoyé après des accusations de
harcèlement – certainement mensongères – émanant d’étudiantes. On
ignore qui est à l’origine de son renvoi, même si l’on reconnaît
aisément la «  patte  » d’Annalise qui se rend donc coupable de cette
infraction en éloignant le témoin de la sorte. Par ailleurs, Rebecca
menace de révéler ce qu’elle sait aux autorités. Ne le faisant pas, elle
commet l’infraction de non-dénonciation de crime 11.

4. Les rapports faussés avec


les autorités d’investigation

« Garde tes amis près de toi et tes ennemis plus près encore 12. »
Les protagonistes de la série mentent à la fois à la police et, dans
une certaine mesure, à la justice.

a) Les autorités d’investigation victimes des mensonges

« Un mensonge n’aurait pas de sens si la vérité n’était pas perçue


comme dangereuse 13. »

À plusieurs reprises, que ce soit dans le cadre de l’énigme


générale ou dans celle propre à chaque épisode, les protagonistes
mentent à la police ou à la justice.
L’intrigue principale autour du meurtre de Sam est ainsi l’occasion
de voir se succéder toute une série de mensonges. Presque tous les
personnages y vont du leur.
Rebecca ment lorsqu’elle avoue le meurtre de Lila dans les locaux
de la police (épisode 3).

NON FATETUR QUI ERRAT (N’AVOUE PAS QUI SE TROMPE)


Il est intéressant de noter que, malgré le vent de panique provoqué par ces aveux,
cet ultime rebondissement serait sans conséquence au regard du droit français. En
effet, « aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul
fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et
être assistée par lui  » (article préliminaire dernier alinéa du Code de procédure
pénale).

Wes indique ne pas avoir vu Sam dernièrement, alors qu’il l’a tué
(épisode 10).
Laurel indique que Sam la regardait, confortant ainsi la croyance
en un penchant de la victime pour les jeunes femmes et en sa
vraisemblable infidélité (épisode 10).
Annalise, interrogée par la police, ment ouvertement en faisant
part de ses soupçons concernant l’implication de Sam dans le
meurtre de Lila. Elle affirme ne pas reconnaître le sexe de son
mari sur la photographie découverte dans le téléphone de Lila et
indique avoir passé plusieurs heures chez Nate la nuit du meurtre
de Sam.
Bonnie dit avoir quitté Asher vers 21 heures et que Sam lui a fait
des avances le soir de sa disparition, confirmant les suspicions
d’infidélité de ce dernier et, par conséquent, le mobile du meurtre
de Lila (épisode 10).
Le procès de Rebecca étant imminent, la tactique d’Annalise est de
reporter tous les soupçons sur Sam. Seul Asher, qui est à l’écart du
groupe et ne connaît pas la vérité, ne ment pas, ce qui renforce la
thèse des autres.
Cette valse des témoignages pourrait de prime abord paraître
étonnante. Il n’en est rien puisque, comme dans la procédure pénale
française, tout officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de
celui-ci, tout agent de police judiciaire peut entendre toutes les
«  personnes susceptibles de fournir des renseignements sur les faits en
cause » dans le cadre d’une enquête de flagrance 14.
Les témoins ont d’ailleurs l’obligation de comparaître 15. Ils
peuvent y être contraints par la force et retenus pendant une durée
de quatre heures au maximum 16.
 
Mais un témoin peut-il mentir ? Le témoin est entendu sans prêter
serment, l’article  103 du Code de procédure pénale qui prévoit ce
serment ne s’appliquant qu’après ouverture d’une information. S’il
venait à mentir, il n’encourrait, de ce fait, aucune sanction pour faux
témoignage 17. Pratique…  ! En revanche, l’article  434-13 du Code
pénal punit le témoignage mensonger de sept ans d’emprisonnement
et 100 000 euros d’amende :
«  1o Lorsqu’il est provoqué par la remise d’un don ou d’une
récompense quelconque ;
2o Lorsque celui contre lequel ou en faveur duquel le témoignage
mensonger a été commis est passible d’une peine criminelle. »
Dans l’épisode 11 de Murder, un appel anonyme piloté par Franck
signale la présence de Sam, pourtant déjà décédé, dans l’État de
New  York. Franck commet ici l’infraction prévue par l’article  434-15
du Code pénal, qui punit le fait d’user de promesses, offres, présents,
pressions, menaces, voies de fait, manœuvres ou artifices au cours
d’une procédure ou en vue d’une demande ou défense en justice afin
de déterminer autrui, soit à faire ou délivrer une déposition, une
déclaration ou une attestation mensongère, soit à s’abstenir de faire
ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation. La
peine prévue pour cette infraction est de trois ans d’emprisonnement
et 45 000 euros d’amende.
 
En somme, rien n’impose en droit de dire la vérité, mais mentir
autant que le font les personnages de la série rend nécessairement
moins crédibles les versions successives fournies à une police un peu
passive. À  chaque nouvelle version, les protagonistes doivent faire
preuve d’imagination pour convaincre.

b) Les mensonges des autorités d’investigation

Selon la célèbre formule d’Émile Zola, « il n’est de justice que dans


la vérité ». En d’autres termes, Zola voyait dans la manifestation de la
vérité le seul moyen de rendre la justice. Cette philosophie semble
bien éloignée de la pratique des autorités d’investigation incarnées
dans la série Murder, qui s’évertuent à construire leur propre vérité.
Les illustrations de manipulation, voire le fait de tronquer la vérité,
sont nombreuses et parfois constitutives d’infractions.
C’est le cas de l’épisode dans lequel le neveu d’un client
d’Annalise, dirigeant d’une entreprise d’import-export, nommé
Paul  Lombardo, est poursuivi pour détention de drogue avec
intention de vendre. La police a ordonné la fouille d’un de ses
conteneurs dans lequel 300  kg d’héroïne ont été trouvés 18. Les
autorités d’investigation justifient la fouille du conteneur par le
constat d’une variation de son poids. En droit français aussi, ceci
constituerait un indice apparent justifiant la flagrance et permettant
une perquisition sans assentiment 19. Or, contrairement à la version
soutenue par les autorités d’investigation, l’épisode révèle que cette
découverte est le fruit du « tuyau » d’un docker auquel le substitut du
procureur (Hobbes) a promis une carte verte, ce qui correspond à
l’infraction de subornation de témoin. Ce mensonge est donc
pénalement répréhensible puisque le témoignage a été acheté.
Un tel écueil aurait pu être évité, si le procureur avait choisi une
voie légale pour recueillir le témoignage en faisant profiter le témoin
du statut des repentis (lequel aurait permis, comme en droit
français, de l’exempter de peine 20).
 
D’autres mensonges sont le résultat d’arrangements quant à
l’application de peines de personnes condamnées et incarcérées.
L’épisode  3 l’illustre parfaitement, en ce qui concerne une action
terroriste. Pour ce crime, Gabriel  Show a déjà été condamné et
croupit en prison depuis vingt  ans. Sa petite amie de l’époque,
Paula  Murphin, est poursuivie dans cet épisode pour avoir été le
commanditaire de l’attentat. Le procureur lui propose alors de plaider
coupable pour n’écoper « que » de dix ans d’emprisonnement. Il s’agit
d’un plea bargaining ou marchandage sur la peine, inconnu du droit
français. Cela consiste à négocier sa peine en échange de la
reconnaissance d’une responsabilité pénale. Dans la série Murder,
comme le montre l’épisode 14, le fait de plaider coupable – pour un
prêtre accusé de meurtre  – entraîne une simplification de la
procédure  : il n’y a pas véritablement de débats, mais une audience
de fixation de la peine.
Une telle mesure est impossible en droit français, à deux égards :
tout d’abord, une mesure d’aménagement de peine relève de la
compétence des juridictions de l’application des peines 21 ; ensuite et
surtout, il n’existe pas de « plaider coupable » en matière criminelle.
La reconnaissance de culpabilité n’entraîne une procédure spécifique
et une peine réduite qu’en matière délictuelle 22.
L’épisode  3 révèle ensuite que ces poursuites résultent
du  témoignage de Gabriel  Show pour l’accusation en échange d’une
libération anticipée. Aux États-Unis, toute la justice repose sur ce type
d’arrangements. Dès lors, l’objectif de l’accusation n’est pas la
manifestation de la vérité, mais l’obtention d’une vérité relative
et négociée… Apparaît ainsi un hiatus entre la vérité judiciaire et la
réalité des faits. L’accusation passe des arrangements avec les
personnages de la série afin d’obtenir une condamnation. La formule
de Zola selon laquelle « il n’est de justice que dans la vérité » est loin
de se justifier ici. Ce type d’arrangements est inhérent à certains
systèmes judiciaires dans lesquels une négociation s’opère entre
l’accusation et la défense sur le contenu de l’accusation et la peine.
Dès lors qu’il y a un accord, la justice n’a plus qu’à l’entériner.
En France, une telle « négociation » semble impossible, bien que,
s’agissant des alternatives aux poursuites 23 ou en cas de comparution
sur reconnaissance préalable de culpabilité, une des peines prévues
par la loi soit proposée par le procureur à la personne poursuivie, qui
est libre de l’accepter ou de la refuser.
 
Finalement le mensonge alimente le mensonge… Il faut mentir
pour se protéger, mentir pour rendre sa version crédible, ou encore
mentir pour obtenir une peine plus clémente. Tout l’art de la défense
pénale consiste à déterminer, comme au poker, à quel moment quel
mensonge apparaît le plus opportun. La justice devient un jeu de
dupes.

LA RECONNAISSANCE PRÉALABLE DE CULPABILITÉ

Le point de vue de l’avocat.e : Me Lisa


Dégardin

S’agissant de la composition pénale, je suis assez critique. Dans le cadre de cette


mesure alternative aux poursuites, l’avocat devrait être obligatoire, notamment
pour vérifier l’existence d’éventuelles nullités dans la procédure et éclairer
pleinement le mis en cause s’il convient d’accepter cette mesure ou de la refuser. Le
mis en cause doit avoir reconnu les faits, le procureur propose une sanction et le
mis en cause doit l’accepter. Aucun débat n’est prévu. Pire encore, dans certains cas,
nul besoin d’un juge pour valider la composition pénale.
Quant à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), elle est
bienvenue uniquement dans certains cas précis. Lorsque la procédure pénale ne
souffre d’aucun vice de procédure et que les faits reprochés sont difficilement
contestables, à l’instar des délits routiers, cette procédure peut être intéressante. Le
mis en cause doit avoir au préalable reconnu les faits, le procureur propose une
peine et l’avocat intervient pour négocier cette peine. La discussion avec les
procureurs est appréciable car ils sont généralement à l’écoute et adaptent
véritablement la peine au regard des éléments de personnalité. Il n’est d’ailleurs pas
rare que les procureurs retiennent la proposition de peine de l’avocat. Si cette peine
est acceptée, le président du tribunal correctionnel ou un juge délégué vérifie lors
de l’audience d’homologation l’adéquation de cette peine aux faits reprochés. La
partie civile peut demander lors de cette audience une indemnisation. Cependant,
les affaires dans lesquelles il existe des vices de procédure ou des éléments
discutables concernant les faits méritent un véritable procès.
1. Loi du 9 décembre 1905 et article 1er de la Constitution.
2. Terence.
3. Sur les rapports entre humour et droit, voir l’ouvrage Best of Droit, Enrick B. Éditions, coll.
Le Meilleur du Droit, 2018.
4. Article 41-2 du CP.
5. Civ. 1re, 13 décembre 2005, Bull., no 495.
6. CA Douai, 17 novembre 2008, JCP G no 3, 14 janvier 2009, II 10 005, comm. P. Malaurie.
7. Articles 222-17 et 222-18 du CP.
8. Article 212 du C. civ.
9. Article 215 alinéa 1er du C. civ.
10. L’infraction commise est l’administration de substances nuisibles (Crim., 5 octobre 2010,
Bull., no 147).
11. Article 434-10 du CP.
12. Citation fréquemment attribuée à Machiavel.
13. Alfred Adler.
14. Article 62 alinéa 4 du CPP.
15. Article 78 alinéa 1er du CPP.
16. Article 78 du CPP.
17. Article 434-13 du CP.
18. Infraction sanctionnée du chef d’importation illicite de stupéfiants par l’article 222-36 du
Code pénal.
19. Articles 53 et 59 du CPP.
20. Ainsi, l’article 132-78 du CP prévoit une exemption de peine pour celui qui, auteur d’une
tentative, permet d’éviter la réalisation de l’infraction et d’identifier ses comparses. La peine
n’est que réduite si des conséquences dommageables sont évitées ou les auteurs identifiés.
21. Articles 712-1 et suivants du CPP.
22. Articles 495-7 et suivants du CPP.
23. Articles 41-1 et suivants du CPP.
CHAPITRE 2

L’obtention illégale des preuves

«  Plus un bénéfice est illégal, plus l’homme y tient  », écrivait


Honoré de Balzac.

La question de la preuve est centrale dans la série et, à ce titre,


tous les moyens sont bons, qu’il s’agisse d’accuser ou d’innocenter.
En France, en principe, la loyauté de la preuve qui résulte de la
combinaison de la jurisprudence 1 et de l’article  427 alinéa  1er  du
Code de procédure pénale ne s’applique pas aux parties privées. La
jurisprudence a déjà établi à plusieurs reprises dans une formule de
principe «  qu’aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs
d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif
qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale  ; qu’il leur
appartient seulement, en application de l’article  427 du Code de
procédure pénale, d’en apprécier la valeur probante 2 ».
UNE PRESSION ILLÉGALE
Dans l’épisode  4 de Murder, une spécificité assez surprenante apparaît. Pour
parvenir à l’établissement de la vérité, c’est Annalise, aidée de ses stagiaires, qui
parvient à faire « craquer » le suspect grâce à un interrogatoire et à le livrer au FBI.
Un tel procédé ne serait pas exclu
en droit français, mais sa valeur probante laisserait songeur. En effet, même si la
preuve obtenue avec déloyauté est admise dans une telle situation, le juge doit en
apprécier la valeur probante. Or, quelle valeur accorder à une confession effectuée
seulement en présence de la défense, qui plus est lorsqu’elle n’hésite pas à faire
pression en menaçant les personnes interrogées et en les piégeant par divers
stratagèmes ? Plus encore : une telle pression ne constituerait-elle pas une atteinte
aux droits fondamentaux, et plus précisément à l’article  3 de la Convention
européenne des droits de l’homme, qui prohibe la torture et autres peines ou
traitements inhumains ou dégradants ?

1. Obtenir des preuves en usant


de ses charmes

«  L’ennemi c’est comme le sexe. Faut tirer dessus de temps en


temps pour avoir la paix. » 3

La série fournit des personnages hauts en couleur dont la


sexualité, l’apparence et le caractère sont susceptibles de plaire à de
très nombreuses personnes (et de séduire les téléspectateurs). Ils
n’hésitent d’ailleurs pas à utiliser leurs atouts pour parvenir à leurs
fins.
Lors du premier épisode, « Que le meilleur gagne », est présenté
un cas, celui de la «  tueuse à l’aspirine  ». Afin d’obtenir des
informations qui pourraient être utiles à Annalise, Connor se rend
dans un bar et séduit ouvertement un employé du service
informatique de la société de l’auteur du crime et de la victime. Cet
employé lui remet finalement un e-mail, non sans avoir été gratifié
d’une prestation sexuelle. Dans cet e-mail, un associé de la victime
fait état d’un potentiel harcèlement sexuel sur l’accusée. En effet, le
dirigeant de la société avait eu une liaison avec sa secrétaire, puis
l’avait transférée dans un autre service. Celle-ci aurait alors tenté de
l’empoisonner avec de l’aspirine, à laquelle il était allergique.
Si l’obtention de cet élément décisif vaut à Connor les félicitations
d’Annalise, le juriste a toutes les raisons de se montrer perplexe quant
au procédé utilisé. Si le droit français permet à la preuve d’être libre
en droit pénal, il réprime les procédés illégaux conduisant à son
obtention. Et, en l’espèce, autant dire qu’ils sont nombreux  ! Tout
d’abord, l’employé délateur commet un abus de confiance au sens de
l’article  314-1 du Code pénal en ce qu’il utilise l’ordinateur et les
services informatiques mis à sa disposition en vertu de son contrat de
travail afin d’obtenir, à des fins étrangères à sa mission, un e-mail.
Connor, en tant qu’instigateur, est complice de l’infraction au sens de
l’article  121-7 du Code pénal. De plus, la gratification sexuelle en
récompense de son geste caractérise un acte de corruption active
privée selon l’article  445-1 alinéa  1er  du même code. Quant à
l’employé, l’alinéa 2 de cet article prévoit les mêmes peines en cas de
corruption passive privée. Mais ce n’est pas tout, car Annalise aussi
est concernée. En utilisant cette preuve, elle profite en connaissance
de cause d’un délit ou plutôt de deux délits. Elle est donc coupable de
recel au sens de l’article 321-1 du Code pénal.
Pour autant, cette preuve, bien qu’obtenue illégalement par une
partie privée (ici, la défense) et engageant sa responsabilité, reste
recevable en justice, que ce soit dans la série ou en droit français.
 
Si un point commun pouvait être trouvé entre le droit présenté
par la série Murder et le droit pénal français, ce serait celui-ci  : la
preuve peut toujours être obtenue par une personne mais au prix,
parfois, de la mise en jeu de sa responsabilité… ce que Connor,
coutumier du fait, semble (à dessein ?) ignorer. C’est en effet l’un des
personnages les plus habitués à user de ses charmes pour obtenir des
preuves. On le retrouve dans l’épisode 4 en train de coucher avec Pax,
l’un des assistants de Marren, accusée de délit d’initié 4. Ce
«  batifolage  » est l’occasion d’enregistrer la conversation
téléphonique que détient Pax et dans laquelle il reconnaît avoir
comploté pour incriminer Marren. Dans ce cas, Connor permet de
prouver la commission d’un délit d’initié. En effet, une  information
privilégiée et confidentielle a été utilisée afin d’obtenir un avantage
boursier. De plus, Pax et Marren ont commis l’infraction de
modification de l’état des lieux en essayant de faire peser les
soupçons sur leur patron 5. Enfin, Oliver, qui parvient à récupérer les
fadettes, s’expose à une violation de l’article  323-1 du Code pénal
concernant le « fait d’accéder ou de se maintenir, frauduleusement, dans
tout ou partie d’un système de traitement automatisé de données  ».
Cette infraction est passible de deux  ans d’emprisonnement et de
60 000 euros d’amende.
 
Connor n’est pas le seul à mêler directement ses relations intimes,
voire amoureuses, au procès pénal. C’est aussi le cas d’Annalise qui
fait témoigner Nate, son amant. Puisque, dans la série, cette qualité
n’est pas connue des acteurs judiciaires, il est difficile pour ces
derniers de lui reprocher son témoignage, sauf en cas de déclaration
mensongère, puisqu’il y a alors parjure. Il est intéressant de noter
qu’en droit français, le fait d’être l’amant d’Annalise n’empêcherait
pas Nate de témoigner. En effet, ce cas de figure n’est pas visé dans
les dispositions de l’article  335 du Code de procédure pénale qui
empêchent de recevoir le témoignage sous serment de personnes liées
à la cause ou à la personne poursuivie, à l’instar de l’époux, de la
fratrie ou des mineurs de seize ans. En France, Nate pourrait donc
témoigner en prêtant serment « de parler sans haine et sans crainte, de
dire toute la vérité, rien que la vérité » 6. Ce ne serait que s’il mentait
qu’une infraction pourrait lui être reprochée.
 
La fin justifie les moyens et tout est mis en œuvre pour que les
preuves soient obtenues. Pour ce faire, les protagonistes commettent
des infractions –  parfois graves  – pour lesquelles ils ne sont jamais
inquiétés, ce qui suscite une interrogation chez le téléspectateur  :
pourquoi respecter les règles alors qu’en les contournant, les
personnages jouissent d’une totale impunité ?

2. La vie privée : un obstacle
contournable

« Tu vois, c’est ça le problème avec les terroristes : ils n’ont aucun
respect pour ta vie privée. » 7

Dans la série, toute notion de vie privée semble disparaître. Les


protagonistes vivent leur vie sentimentale les uns auprès des autres,
et ce, sous l’égide d’Annalise, dont le bureau fait également office de
domicile et de lieu d’ébats.
Le droit, lui aussi, relègue la vie privée au second plan dans la
quête de vérité. Même en l’absence de toute justification, elle ne
semble pas constituer un obstacle dès lors qu’il s’agit de découvrir la
vérité ou de surveiller un personnage. Il n’est qu’à voir Sam, dont la
vie privée est dévoilée au fur et à mesure des épisodes.

Les petits secrets de Sam dévoilés…

… par Annalise, sa femme


Dans l’épisode 2, Annalise doute de son mari et fouille dans son
téléphone portable ainsi que dans ses poches. Elle constatera
ultérieurement qu’un e-mail envoyé par Lila a été supprimé, très
certainement par son époux.
Cette fouille porte assurément atteinte à la vie privée de son
mari 8. Toutefois, ne faisant que consulter les messages, Annalise ne
commet aucune infraction d’atteinte à l’intimité de la vie privée 9. En
effet, l’infraction de violation de la vie privée n’est caractérisée qu’en
cas d’utilisation de moyens spécifiques indiqués par les textes, par
exemple la captation, l’enregistrement ou la transmission, sans le
consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou
confidentiel, l’enregistrement ou la transmission, sans le
consentement de celle-ci, de l’image d’une personne se trouvant dans
un lieu privé, etc.

… par Nate, l’amant de sa femme


Comme nous l’avons vu précédemment, Annalise manipule Nate,
son amant, pour qu’il enquête sur son mari, afin de  savoir si ce
dernier était effectivement à Yale le soir du meurtre. Contrairement à
ce que l’on pourrait penser, les investigations privées ne sont pas
nécessairement illégales. La preuve peut même être apportée par les
parties privées de façon déloyale, voire illicite ; il appartient au juge
d’en apprécier la pertinence ainsi que la valeur probante 10.
Dans l’épisode 3, Nate conduit ainsi des investigations en dehors
de tout contexte légal. Rapidement, il se rend compte que le mari
d’Annalise a annulé sa conférence à Yale. Poursuivant ses recherches
pour savoir si son véhicule était bien dans le parking où il avait
l’habitude de le garer la nuit du meurtre, il interroge le gardien et le
paie. Ce dernier indique que le véhicule n’y était pas. La démarche de
Nate constitue un cas de corruption privée, laquelle est punie par
l’article 445-1 du Code pénal de cinq ans d’emprisonnement et d’une
amende de 500 000 euros, dont le montant peut être porté au double
du produit tiré de l’infraction. Nate propose en effet, sans droit, à
tout moment, directement ou indirectement, à une personne qui
exerce, dans le cadre d’une activité professionnelle, un travail pour
une personne physique ou morale ou pour un organisme quelconque,
des dons pour qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir, ou
parce qu’elle a accompli ou s’est abstenue d’accomplir, un acte de son
activité ou de sa fonction, ou facilité par son activité ou sa fonction,
en violation de ses obligations légales, contractuelles ou
professionnelles. Comme l’indique le texte d’incrimination, est puni
des mêmes peines le fait, pour le gardien, d’accepter le don, en
violation de ses obligations légales, contractuelles ou
professionnelles.
Dans l’épisode  4, Nate poursuit ses investigations et fouille le
véhicule de Sam pour collecter les informations contenues dans son
GPS. Agissant en dehors de tout cadre légal, il commet une
infraction. Certes, seule l’introduction dans le domicile d’autrui est
illégale, elle ne concerne pas le véhicule 11, mais l’accès à un
traitement automatisé de données, lui, constitue bel et bien une
infraction 12.
… par Rebecca
Dans l’épisode  8, c’est Rebecca, après avoir appris par
l’intermédiaire de Wes que Lila était enceinte, qui s’introduit chez
Annalise 13 pour récupérer un échantillon des cheveux de Sam, en
vain. Les faits n’ont pas été commis, mais leur qualification interroge.
Il ne s’agit pas d’une atteinte à l’intimité de la vie privée. Il n’y a pas
non plus violence si elle prend un cheveu déjà tombé. En revanche, le
vol ne pourrait-il pas être caractérisé ? Juridiquement, le vol ne peut
porter que sur une chose. Les cheveux constituent-ils une chose ? Une
réponse affirmative s’impose. Mais encore faudrait-il que Sam
souhaite conserver ses cheveux tombés… En effet, si ce n’est pas le
cas, ce qui l’est rarement, ces cheveux pourraient être considérés
comme des objets abandonnés et, donc, ne pourraient pas être
«  volés  ». Aucune qualification ne semble donc envisageable. C’est
finalement Annalise, dans l’épisode  10, qui récupérera un des
cheveux de Sam sur sa brosse afin de réaliser un test ADN privé, dont
il ressortira qu’il est le père de l’enfant que Lila portait.
… par Lila, sa maîtresse
Dans l’épisode 8, Sam veut quitter Lila qui envisage de montrer à
Annalise les photos de son pénis qu’il lui a envoyées. Dans ce cas,
selon le droit français, Lila commettrait elle-même l’exhibition
sexuelle 14. Elle pourrait cependant invoquer l’état de nécessité 15. En
effet, si elle agit de la sorte, c’est pour informer Annalise. Il pourrait
également s’agir d’une forme atténuée de revenge porn dans la
mesure où, pour se venger, Lila va montrer une photo de Sam nu. Or
de tels faits sont punis par l’article  226-2-1 du Code pénal qui
interdit, en l’absence d’accord de la personne, de porter à la
connaissance d’un tiers tout enregistrement ou tout document
portant sur des images présentant un caractère sexuel, obtenu avec le
consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même.
Quelques jours plus tard, le jour de sa mort, Lila va chez Annalise
mais Bonnie la chasse. Lila pleure et supplie de pouvoir voir Annalise
afin de lui révéler sa liaison avec Sam ainsi que sa grossesse, ce qui
ne constitue pas, comme nous l’avons vu précédemment, l’infraction
de violation de la vie privée (même si les liaisons sentimentales et
une grossesse relèvent bien évidemment de la vie privée). En
revanche, l’état émotionnel et le désespoir qui émane de Lila
semblent exiger une intervention. Elle est manifestement en danger.
Il s’agit donc, de la part de Bonnie, d’une non-assistance à personne
en danger 16. La peine prévue est de cinq  ans d’emprisonnement et
75 000 euros d’amende.
 
Dans la série, la vie privée, même la plus intime, s’efface donc, et
ce, au nom de la recherche de la vérité, mais en dehors de toute
garantie légale. Toutes les preuves ainsi acquises sont certes
admissibles, mais constituent autant d’infractions pénales. 17

UN EXEMPLE À NE PAS SUIVRE… POURTANT ALLÈGREMENT SUIVI


La vie privée d’autrui est dévoilée sans aucune difficulté par Annalise et ses
proches. Ce manque de considération pour la vie privée se retrouve également dans
les énigmes propres à chaque épisode, du fait des stagiaires, influencés en ce
sens… Ils suivent le mauvais exemple !
Dans l’épisode 10, Oliver pirate l’ordinateur d’un témoin tandis qu’Asher fouille
des poubelles, ce qui permet de retrouver les traces du passage d’un voisin dans
un club de strip-tease. Cette information permettra de faire pression sur lui pour
qu’il devienne un témoin de la défense et fournisse un alibi inexact. Comme nous
l’avons déjà dit, l’infraction d’Oliver est ici constituée, mais la preuve obtenue avec
déloyauté par une partie privée est admise.
Quant à Asher, commet-il un vol au sens de l’article  311-1 du Code pénal en
prenant les tickets du club de strip-tease dans la poubelle ? Si leur propriétaire s’en
est débarrassé, il n’a pas pour autant consenti à ce qu’ils soient appréhendés par un
tiers. Partant, il y a bien vol selon le droit français 18.

UN DROIT DIFFÉRENT, DES MŒURS DIFFÉRENTES


Sur la question de la vie privée, le droit français mais aussi, serait-on tenté de dire,
les mœurs françaises, paraissent différents de ce qui est présenté dans la série. Le
droit à la vie privée semble davantage valorisé en France –  je dis «  semble  », car
une évolution s’esquisse, la vie privée de nos responsables politiques s’affiche
désormais largement et devient un argument électoral ou une raison de
démissionner… Comme aux États-Unis ? Pas encore. Du moins, on peut l’espérer…
3. L’utilisation marginale des nouvelles
technologies
La série Murder n’est, a priori, pas une série pour les geeks. Bien
qu’elle soit récente, on y utilise peu de nouvelles technologies. Celles-
ci font de plus en plus l’objet de débats quant au moyen de protection
qu’elles offrent pour assurer la confidentialité des données. Ainsi, la
protection des données personnelles fait débat, malgré un cadre
juridique désormais plus protecteur. Toutefois, il convient de nuancer
le propos en raison du personnage récurrent d’Oliver, l’amant de
Connor, qui, régulièrement, pirate des ordinateurs ou des sites
internet.
Les nouvelles technologies constituent alors des ressources
précieuses pour la défense. C’est d’autant plus vrai lorsque leur
contenu est en accès libre. Ainsi dans l’épisode 5, l’intrigue repose sur
l’homicide d’un policier violent avec son épouse par son fils, Ryan, au
moyen de l’arme de service de la victime. Parmi les preuves produites
figure le texte d’une chanson dont les paroles sont sur le blog de
Ryan : « Je vais coller du plomb / dans la tête de mon daron. » (Tout le
monde n’a pas le talent d’Orelsan…) Cette menace de mort
matérialisée par un écrit constitue l’infraction prévue par
l’article 222-17 du Code pénal.
Dans l’épisode 13, c’est le billet d’un blog qui est retenu à charge
contre une infirmière poursuivie pour viol. Celle-ci y raconte en effet,
sous le pseudonyme «  Infirmière vicieuse  », comment elle a
chevauché la victime.
L’accès à l’Internet étant libre, sous réserve de pouvoir percer à
jour les pseudonymes (ce qui ne nécessite pas toujours de grandes
connaissances en informatique), ce mode de preuve ne pose de
difficulté dans aucun des deux cas.
 
En revanche, il existe des dispositifs plus intrusifs, comme la
géolocalisation ou la vidéosurveillance.
Dans l’épisode  10, Annalise souhaite connaître les déplacements
de Sam. Pour cela, il lui suffirait de suivre le trajet de son portable
la nuit du meurtre et de récupérer les données stockées sur
l’ordinateur de Sam (lequel est détenu par le procureur).
L’accès à un système informatique est parfaitement possible et
résulte des dispositions de l’article  57-1 du Code de procédure
pénale. Toutefois, certaines règles du droit français peuvent encadrer
un tel accès. Ainsi, s’agissant des professions régies par un ordre ou
par une organisation professionnelle, l’article  56-3 du Code de
procédure pénale exige que l’opération soit effectuée par un
magistrat et en présence de la personne responsable de l’ordre ou de
l’organisation professionnelle à laquelle appartient l’intéressé, ou son
représentant. Cela vise à respecter le secret professionnel auquel est
soumis la personne concernée. Ces dispositions ne bénéficient
cependant pas à Sam, qui est psychologue. Il en eût été autrement s’il
avait été psychiatre (donc, médecin), profession soumise au secret
professionnel et régie par un ordre dédié.
Voici peut-être une des raisons pour lesquelles la juge finit par
ordonner qu’un expert analyse les données téléphoniques de
l’ordinateur de Sam pour les présenter à la Cour, ce qui constitue un
alignement avec le droit français.
S’agissant de la vidéosurveillance, elle est peu utilisée dans la
série, si ce n’est lorsque Annalise obtient la possibilité de consulter,
dans une salle spécialement aménagée et sécurisée, les images de
vidéosurveillance de la salle d’attente de la clinique qui montrent
Lila et Sam en train de se disputer. La clinique pratiquant
l’avortement, on pourrait se demander si les images captées ne sont
pas soumises à une forme de confidentialité. Question que se pose
également Michaela, mais à laquelle elle répond grâce à une
jurisprudence selon laquelle de telles images ne sont pas couvertes
par le secret professionnel. Rien ne permet d’empêcher la police
d’avoir accès aux caméras de surveillance. Il s’agit de réquisitions
possibles en cas de flagrance 19 ou d’enquête préliminaire 20.
Point plus problématique  : ces images sont corrélées par le
témoignage d’une infirmière présente. En France, le secret
professionnel est prévu par l’article 226-13 du Code pénal portant sur
«  la révélation d’une information à caractère secret par une personne
qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison
d’une fonction ou d’une mission temporaire  ». Tel est le cas d’une
infirmière qui apprend le projet d’avortement en raison de sa
profession.

CE QUE NOUS APPRENNENT LES PREUVES PRIVILÉGIÉES


DANS LA SÉRIE MURDER

Le niveau de technicité requis dans les différents cas mentionnés ci-dessus est
relativement peu élevé. Il semble qu’il s’agisse là d’une réelle volonté des
scénaristes d’utiliser majoritairement des preuves subjectives résultant notamment
de pièges. Surprenant  ? Pas tant que cela. En effet, un tel choix renforce le
caractère spectaculaire et rythmé de la série où les personnages sont actifs dans la
recherche de la vérité et ne dépendent pas d’une expertise dont la technicité les
reléguerait au second plan.
De plus, les preuves privilégiées dans la série, aussi déloyales soient-elles, ne
constituent-elles pas un moyen pour les personnages de se mettre en valeur et
d’éprouver le sentiment de garder un certain contrôle sur la situation ?

1. Ch. réunies, 31 janvier 1888, S. 1 889, 1, 241.


2. Crim., 15 juin 1993, Bull., no 210 ; 6 avril 1994, Bull., no 136.
3. Pierre Desproges.
4. Il s’agit d’une infraction prévue par l’article L. 465-1 du Code monétaire et financier qui
consiste à utiliser en bourse une information privilégiée permettant d’anticiper une évolution
du cours d’une action.
5. Article 434-4 du CP.
6. Article 331 alinéa 3 du Code de procédure pénale.
7. Arnold Schwarzenegger.
8. Article 9 du C. civ.
9. Articles 226-1 et suivants du CP.
10. «  Aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter les moyens de preuve
produits par les parties au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ; il
leur appartient seulement, en application de l’article  427 du Code de procédure pénale, d’en
apprécier la valeur probante » (Crim., 15 juin 1993, Bull., no 210).
11. Article 226-4 du CP.
12. Article 323-1 du CP.
13. Selon l’article 226-4 CP, l’introduction dans le domicile d’autrui est punissable s’il a lieu à
l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet.
14. Article 222-32 du CP.
15. Article 122-7 du CP.
16. Article 223-6 alinéa 2 du CP.
17. Crim., 10 mai 2005, Bull., no 145.
18. Crim., 10 mai 2005, pourvoi no 04-85349.
19. Article 60-1 du CPP.
20. Article 77-1-1 du CPP.
TITRE III

Un droit pénal axé sur la


violence

« Toujours votre société violente et chaotique, même


quand elle veut la paix, même quand elle est à l’état
d’apparent repos, porte en elle la guerre, comme une nuée
dormante porte l’orage. » 1

CHAPITRE 1. LA VIOLENCE GÉNÈRE LA VIOLENCE


1. Le meurtre de Lila : le premier d’une (longue) série
2. Le meurtre de Sam 

CHAPITRE 2. LA VIOLENCE ASTUCIEUSE ENTRAÎNE L’IMPUNITÉ


1. Le meurtre de Sam : Michaela, Laurel, Connor et Wes, les apprentis
sorciers (énigme générale)
2. Un repentir impossible
Citer Jean Jaurès lorsque l’on traite d’une série américaine est assez
osé, j’en conviens, mais cela permet de mettre en évidence que tout
est une question de paradigme. Si la société décrite dans Murder est
particulièrement violente, c’est parce qu’elle relate l’histoire d’une
avocate pénaliste qui, par définition, côtoie la violence au quotidien !
La série est assez répétitive en termes d’infractions. Le meurtre est
bien évidemment omniprésent, comme le titre l’indique. Les autres
infractions sont fréquemment sexuelles ou liées à un meurtre. Enfin,
de façon exceptionnelle, dans un épisode, un autre type d’infraction
apparaît : le délit d’initié.

1. Jean Jaurès.
CHAPITRE 1

La violence génère la violence

«  Mais si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour


œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure
pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure
pour meurtrissure. » 1

Murder, c’est l’expression de la loi du Talion dans toute sa


démesure.
Dès le début de la série, l’originalité du récit apparaît.
Quatre  personnages, quatre  des stagiaires d’Annalise, se retrouvent
impliqués dans un meurtre. Lors de chaque épisode, une partie de ce
fait divers est dévoilée. Il est délicat de retracer l’intégralité de cette
énigme générale qui voit en fait se succéder deux «  meurtres  ». En
effet, la série repose sur de nombreux flash-back au fur et à mesure
desquels le récit se rapproche du passé, et plus précisément du soir
du décès de Lila. Pour être compréhensible, il faut donc déstructurer
la série et adopter un récit chronologique. Il va de soi que cela me
conduira à dévoiler toute l’énigme très rapidement…

1. Le meurtre de Lila :
le premier d’une (longue) série
Au gré des épisodes, nous apprenons les détails du meurtre de
Lila ainsi que le contexte dans lequel il s’est déroulé.

a) L’utilisation agressive de la sexualité par Rebecca


 (et la riposte de Lila)

«  Prendre sans être prise, dans l’angoisse de devenir proie,


c’est là le jeu dangereux de la sexualité féminine
adolescente.  » (Simone de Beauvoir, Le  Deuxième Sexe,
1949)

Rebecca serait-elle, à l’inverse de Lila, féministe ?


Lila est la petite amie de Griffin, le quaterback de l’équipe de
football américain de l’université. Ils ont conclu un « pacte de pureté »,
et n’ont donc pas de rapports sexuels. Sam, le mari d’Annalise, est
professeur de psychologie dans la même université. Il est
l’enseignant, puis l’amant de Lila. Rebecca est une amie de Lila – mais
cette vision de leurs relations est simplificatrice  ; Rebecca, qui est
barmaid, fournit à Lila des stupéfiants que celle-ci revend à
l’université. Rebecca est également la voisine de palier de Wes, qui a
récupéré l’appartement de Rudy, désormais interné dans un hôpital
psychiatrique et qui n’apparaîtra que tardivement dans la narration.
 
Pleinement maîtresse de sa sexualité, Rebecca n’hésite pas à y
recourir pour atteindre ses objectifs. Elle se dénude par exemple chez
Wes, afin de détourner son attention et de dissimuler un pistolet ainsi
qu’un portable à son domicile (épisode  2), ou encore orchestre un
rapport sexuel avec Griffin, le petit ami de sa meilleure amie, Lila,
afin qu’ils rompent (épisode  14). Si ces comportements peuvent
paraître répréhensibles sur le plan de la morale (mais ce n’est pas
notre propos  !), ils sont également susceptibles de générer des
conséquences pénales.
Tout d’abord, le fait pour Rebecca d’imposer à Wes la vision de
son corps nu, c’est-à-dire de lui imposer un spectacle de nature
sexuelle, pourrait être constitutif de l’infraction d’exhibition sexuelle.
Selon l’article 222-32 du Code pénal : « L’exhibition sexuelle imposée à
la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie
d’un  an d’emprisonnement et de 15  000  euros d’amende.  » La
détermination de l’élément matériel de l’infraction ne pose aucune
difficulté, Rebecca expose son corps dénudé. Quant au lieu, même s’il
est privé, il n’en demeure pas moins que l’infraction est caractérisée si
l’auteur n’a pas pris suffisamment de précautions pour éviter de
s’exposer. En l’occurrence, la serviette tombe ET la porte est ouverte.
Dès lors, deux questions se posent  : Wes n’était-il pas consentant  ?
Rebecca a-t-elle agi intentionnellement  ? Wes tourne autour de
Rebecca depuis longtemps, elle lui plaît, il la regarde entrer dans la
douche, il semble consentant. Quant à Rebecca, son acte est
nécessairement intentionnel puisqu’elle se dénude afin de détourner
l’attention de Wes. L’élément matériel de l’infraction n’est donc pas
pleinement caractérisé en raison du consentement de Wes, qui se
garde bien de détourner le regard de ce corps nu.
Quant à l’orchestration du rapport sexuel avec Griffin, elle
interpelle. La question pourrait se poser de savoir s’il était pleinement
consentant et si Rebecca, en l’emmenant dans sa chambre après qu’il
a consommé de la cocaïne, ne commet pas une agression sexuelle. Il
convient cependant d’écarter cette qualification  : en effet, la
consommation est en elle-même fautive, et Griffin n’y a nullement été
contraint. Le raisonnement aurait pu différer si Rebecca lui avait
imposé de consommer du GHB, la fameuse drogue des violeurs.
 
Si, dans ces deux cas, Rebecca semble hors de portée de toute
infraction pénale, il n’en va pas de même pour Lila. Arrivée sur les
lieux suite au message envoyé du portable de Griffin par Rebecca, elle
se jette sur son petit ami lorsqu’elle le découvre en plein ébat avec
son amie. Lila commet donc des violences sur Griffin en le frappant 2.
Comme il n’en résulte pas une ITT 3, elles sont contraventionnelles.
Certes, une circonstance aggravante semble pouvoir être invoquée,
qui permettrait de les rendre délictuelles : il s’agit de celle prévue par
le sixième point de l’article  222-13 du Code pénal, qui rend
délictuelles les violences commises par le conjoint ou le concubin de
la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de
solidarité. Toutefois, il est difficile de considérer que Lila et Griffin
soient si proches (ils ne vivent pas ensemble). Les violences restent
donc contraventionnelles.
Sont-elles alors excusables ?
Lila pourrait évoquer un cas de légitime défense, car sa réaction,
certes violente, n’est qu’une riposte à la tristesse et à l’humiliation de
voir son petit ami, qui avait comme elle fait vœu de chasteté,
entretenir des rapports sexuels avec une autre. Mais pour que la
légitime défense soit retenue, encore faudrait-il qu’il y ait une atteinte
volontaire injustifiée. À cet égard, on pourrait considérer qu’exposer
sa petite amie à un choc émotionnel en ayant des rapports sexuels
avec autrui peut caractériser des violences psychologiques 4, lesquelles
sont également pénalement sanctionnées. Par ailleurs, la riposte est
concomitante et proportionnée à l’atteinte, dans la mesure où Lila
réagit instinctivement en portant quelques coups dont les
conséquences physiques sont peu importantes pour Griffin. Il y a
donc bien légitime défense.
 
La sexualité est très présente dans la série et celle de Rebecca est
particulièrement intéressante en ce qu’elle semble refléter les
préjugés américains autour du sexe, qui demeure un tabou. Ainsi,
alors que deux personnages, Lila et Griffin, étudiants populaires, ont
conclu un pacte de pureté (cette pratique est moins connue en France
qu’aux États-Unis, où certaines stars affirment avoir conclu un tel
pacte 5), Rebecca, présentée comme la marginale de la série, a une
sexualité active, ce qui lui vaut d’être assimilée à une prédatrice et
une manipulatrice.
On notera pour finir que les préjugés relatifs aux femmes à la
sexualité active ne sont pas l’apanage d’une société spécifique, mais
sont plutôt communs aux sociétés fondées sur le patriarcat, lequel est
partagé de part et d’autre de l’Atlantique.

b) Les stupéfiants, fin ou moyen ?

« Si tu veux aller traîner, il faut que tu sortes avec elle : cocaïne.
Si tu veux t’y mettre, te foutre par terre : cocaïne… 6 »

Murder met l’accent sur une consommation de stupéfiants par les


étudiants banalisée. Elle semble même inhérente à une vie sociale
« normale ». Aucun lien direct n’est fait entre cette consommation et
le climat de violence qui règne dans la série. Il est donc difficile de
déterminer si elle est la cause ou la conséquence des situations
empreintes de stress auxquelles les jeunes étudiants sont exposés.
Peut-être les deux…
La consommation de stupéfiants est présentée dans toute sa
complexité et s’illustre dans des situations extrêmement diverses.
Dans le cadre du meurtre de Lila, elle joue un rôle central dans les
relations entre les différents suspects. Lila, Griffin et Rebecca se
rapprochent, se lient et se désunissent autour de la cocaïne. Dans
l’épisode 8, « Un pavé dans la mare », Lila est avec Rebecca et elles
sniffent de la cocaïne ; dans l’épisode 14, Rebecca en consomme avec
Griffin. Nous pouvons même penser que c’est grâce aux stupéfiants
que Rebecca, jeune femme vraisemblablement d’origine modeste,
parvient à se hisser dans des cercles privés et privilégiés. Elle
consomme de la cocaïne et en fournit à la jeunesse dorée du campus,
ce qui lui permet de trouver sa place dans l’échiquier social.
La présence de stupéfiants est mise au jour lors de l’épisode  3,
« Les Amants terribles ». Griffin est arrêté, de même que Rebecca. Il
avoue alors sa consommation de cocaïne et désigne Rebecca comme
son dealer.
Bien que ce ne soit pas l’objet des investigations qui se déroulent
dans le cadre du meurtre de Lila, une telle consommation n’est pas
anodine sur le plan pénal. Peu importe qu’elle soit banalisée et peu
(voire pas) poursuivie dans la série, elle est susceptible
d’incrimination pénale. Ainsi, l’article L. 3421-1 du Code de la santé
publique réprime l’usage de stupéfiants d’un an d’emprisonnement et
3  750  euros d’amende. Toutefois, depuis l’ordonnance no  2021-409
du 8 avril 2021 relative au transport fluvial et à la navigation
intérieure, l’action publique peut être éteinte par le versement d’une
amende forfaitaire d’un montant de 200  €. Le montant de l’amende
forfaitaire minorée est de 150 € et le montant de l’amende forfaitaire
majorée est de 450 €.
Ensuite, s’agissant de la fourniture de cocaïne, l’article 222-39 du
Code pénal prévoit la pénalisation du revendeur (en l’occurrence,
Rebecca) dans le cadre d’une cession de stupéfiants à une personne
en vue de sa consommation personnelle. La peine alors encourue est
de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
L’utilisation des stupéfiants dans la série est parfois plus complexe
qu’il n’y paraît. Là où un usage festif, voire social, semble être
majoritaire, des déviances apparaissent et alimentent l’intrigue du
meurtre de Lila.
Dans l’épisode 12, Wes décide de mener son enquête et apprend
du propriétaire de l’appartement que Rudy n’a jamais récupéré son
dépôt de garantie, et que c’est Rebecca qui a appelé la police pour le
faire arrêter. Rudy criait et faisait du bruit, ce qui constitue
l’infraction de tapage nocturne 7. Comme il ne s’agit que d’une
contravention, les dispositions relatives à la flagrance ne sont pas
applicables.
Dans l’épisode  13, Wes poursuit ses investigations sur Rudy. Il
s’avère que son arrestation a eu lieu le soir du meurtre de Lila. Laurel
et Wes décident donc d’aller voir Rudy dans l’établissement
psychiatrique où il est hospitalisé. Rudy ne parle pas. Un traumatisme
doublé d’une maladie génétique expliquerait son état quasi végétatif.
En réalité, comme on l’apprend dans l’épisode 14, son état est dû à la
consommation combinée de PCP et de Purple  X, deux drogues
particulièrement violentes qui lui ont été fournies par… Rebecca. Plus
grave, il semblerait que ce soit à dessein que celle-ci lui ait fourni ces
substances. En effet, Rebecca souhaite que Rudy oublie tout et ne
puisse jamais témoigner contre elle.
Outre les infractions à la législation sur les stupéfiants vues
précédemment, il s’agit là, assurément, d’une administration de
substances nuisibles selon le droit français 8. Mais une seule
qualification peut être retenue, en vertu de la règle non bis in idem 9 ;
vu que Rebecca souhaite effectivement faire « disjoncter » Rudy en lui
faisant consommer du Purple  X, ce sera la qualification
d’administration de substances nuisibles.
Cette scène semble dresser les contours d’une possibilité de
consommation maîtrisée des produits stupéfiants. Il y aurait des
drogues néfastes et d’autres, récréatives. Ce n’est ici plus la loi qui
détermine la frontière entre le licite et l’illicite, voire entre le moral et
l’immoral, mais les consommateurs eux-mêmes.

c) La vérité à tout prix

Le culte de l’aveu a longtemps été pratiqué en France. Pour y


parvenir, tous les moyens étaient bons, même les mauvais
traitements, ce qui a d’ailleurs valu à la France d’être condamnée par
la Cour européenne des droits de l’homme 10. Cette volonté de faire
avouer, de faire expier sa faute au coupable se retrouve dans la série.
La quête de vérité est la préoccupation principale d’Annalise et de
ses stagiaires dans l’épisode 14. Contrairement à ce que l’on aurait pu
penser, cette recherche ne s’effectue pas dans un cadre judiciaire mais
dans un contexte où le stress des différents protagonistes atteint son
paroxysme. Le meurtre de Lila n’est toujours pas élucidé, Sam est
décédé, et tous les indices semblent désigner comme coupable
Rebecca, dont le comportement est plus que suspect. Après avoir
avoué ce crime à la police, sa personnalité ambivalente et
mystérieuse dépeint le portrait du coupable idéal. Et ce, davantage
que Sam qui, au début de la série, revêtait le costume de l’époux
parfait.
S’entrechoquent alors deux visions de la culpabilité  : une
évidente, celle de Rebecca  ; une difficile à admettre, celle de Sam.
L’évidence de culpabilité est d’autant plus présente que Rebecca, très
instable, représente une véritable menace pour l’ensemble des
protagonistes. Le simulacre de procès qui a lieu au cours de l’épisode
fait éclater au grand jour le rôle de Rebecca dans le meurtre de Lila.
Témoin clé du meurtre par étranglement commis par Franck sur
l’ordre de Sam, elle n’en a pas dit un mot et est même allée jusqu’à
cacher le cadavre de son amie dans la citerne, et ce, afin que les
soupçons ne pèsent pas sur elle. L’infraction de recel de cadavre est
ainsi constituée 11.
Pour autant, elle n’est pas la meurtrière de Lila. Franck l’est, au
sens du droit pénal français, comme son auteur principal –  l’auteur
matériel –, et Sam est son complice au sens de l’article 121-7 du Code
pénal, en tant que donneur d’ordre, bien que l’action publique soit
éteinte à son égard dans la mesure où… il est mort par la suite 12. Il
en va de même pour Rebecca, qui, bien qu’elle ne soit pas coupable
du meurtre de Lila, n’échappe pas à la mort, puisqu’elle est
séquestrée, puis tuée (crime puni de la perpétuité par l’article 224-2
alinéa 2 du Code pénal).

2. Le meurtre de Sam

« Derrière lui, le meurtre laisse un vomissement qu’un jour il faut


boire. » 13

Sam en fait l’amer apprentissage, puisqu’il perd la vie à force de


vouloir protéger son secret. Au départ, il y a une liaison adultérine,
puis une grossesse, et enfin un meurtre commandité pour sauver ce
qu’il reste de sa vie privée et de son pouvoir de domination.
Tout au long de la série, Sam, qui est psychologue et spécialiste de
l’«  âme humaine  », se complaît dans des relations relativement
malsaines qui reposent, pour les plus intimes, sur un rapport de type
dominant-dominé.
Sa mort revêt, dans la narration, un caractère inéluctable.

a) Sam et Annalise, des antécédents assumés


La romance entre Sam et Annalise paraît assez classique à
première vue. Le couple évolue à l’université où Sam est psychologue
et Annalise enseignante en droit, en parallèle de son activité
d’avocate pénaliste.
En tant qu’avocate pénaliste, Annalise est fréquemment
confrontée à des situations violentes, et l’on apprend au cours de la
série qu’elle en a elle-même été victime. Annalise, de son véritable
nom Anna Mae, comme le révèle l’épisode 13, a en effet été abusée
par son oncle lorsqu’elle était enfant. Décidée à se faire justice, elle a
organisé le meurtre de cet oncle qui a péri dans l’incendie de la
maison après qu’Annalise et sa mère ont quitté les lieux. Dès son plus
jeune âge, Annalise est ainsi une meurtrière avec préméditation, et la
qualification idoine de son crime est l’assassinat 14. Elle a ensuite fait
de cette violence son quotidien, puisqu’elle a décidé de la combattre
non seulement via son métier, mais aussi son environnement. Elle
évolue en effet dans un milieu à la fois raciste et misogyne 15. Elle
prend une forme de revanche sur l’agression dont elle a été victime
enfant. Sam en est parfaitement informé. On peut même penser qu’il
développe une forme d’admiration et d’attirance pour ce contexte
particulièrement violent, dont il est le témoin privilégié puisqu’il est à
la fois le confident d’Annalise et un observateur des rouages de la
machine judiciaire, sa femme ayant installé son cabinet au domicile
conjugal. Sam vit donc par procuration la violence à laquelle est
confrontée sa femme, et il en devient un acteur.

b) La violence conjugale

«  La violence, sous quelque forme qu’elle se manifeste, est un


échec. » 16
Théâtre d’une violence quotidienne, le couple d’Annalise et Sam
l’absorbe. Il se délite au fur et à mesure de la série et des révélations
des mensonges de l’un comme de l’autre. La particularité de leurs
rapports réside dans le fait que les violences sont réciproques  :
Annalise n’est pas la proie de Sam, bien qu’il soit à la fois pervers et
narcissique. Le duo endosse successivement les rôles de victime,
bourreau, sauveur.
La violence est ainsi tournée vers des actes de destruction, pour
certains susceptibles d’incrimination pénale. La simple dispute se
transforme alors en terrain de recherche de qualifications pénales. Et
sur ce point, l’épisode  9 offre un bel échantillon des possibles
infractions susceptibles d’être commises  : Sam, dont Annalise est
persuadée qu’il savait que Lila était enceinte, casse le téléphone de
son épouse en le jetant contre le mur. Annalise de son côté lui avoue
son infidélité 17. Il commence alors à l’étrangler pendant qu’elle le
provoque en lui disant « Tue-moi ». Sam finit par la relâcher, non sans
l’insulter : « Tu n’es qu’une vulgaire traînée écœurante. »
Plusieurs infractions sont ici envisageables. D’abord, concernant le
téléphone détruit par Sam, deux qualifications semblent possibles  :
destruction ou dégradation du bien d’autrui ou vol. Le vol est défini
comme «  la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui  » 18. La
destruction ou dégradation du bien d’autrui est réprimée par
l’article  322-1 du Code pénal. Dans l’exemple qui nous occupe, il
semble que cette seconde qualification soit davantage adaptée, Sam
n’ayant jamais entendu s’approprier le bien. Ensuite, le
comportement de Sam et d’Annalise peut être qualifié de violences,
qu’elles soient physiques ou morales 19. Mais une question se pose : le
comportement de Sam peut-il être excusé par la provocation
d’Annalise ? Y a-t-il légitime défense ? L’article 122-5 du Code pénal
suppose, pour que la légitime défense soit retenue, qu’il y ait une
atteinte injustifiée et une riposte qui soit à la fois concomitante et
proportionnée. Le caractère de proportionnalité semble faire défaut.
En l’occurrence des injures ne justifiant pas ces violences conjugales
qui tendent dangereusement vers la tentative de meurtre. Par
conséquent, seul Sam pourrait encourir une peine pour les violences
commises, peine qui varierait en fonction des dommages subis.

c) Les violences de Sam contre Rebecca

« Mieux vaut mourir d’amour que d’aimer sans regrets. » Un peu


de la douceur de Paul Éluard ne peut pas nuire, car le sang va
couler…

Dans l’épisode  9, Sam devient l’épicentre d’une violence


exacerbée. Il subit de plein fouet les conséquences de sa liaison avec
Lila, qui vont de la destruction de son couple à celle de son
innocence. La violence, dont il n’était jusqu’alors qu’un spectateur
extérieur, finit ainsi par le submerger, et lorsqu’il découvre que
Rebecca s’est introduite dans la maison pour faire une copie des
données présentes dans son ordinateur, il perd totalement pied et
tente de l’étrangler. N’avait-il pas d’autres moyens pour contrer les
attaques de Rebecca  ? À  y regarder de plus près, il n’était peut-être
pas totalement démuni…
Tout d’abord, Rebecca s’est introduite sans autorisation dans le
domicile de Sam et Annalise, ce qui constitue l’infraction
d’introduction au domicile 20. Cette infraction revêt une importance
capitale puisque selon l’article  122-6 du Code pénal  : «  Est présumé
avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l’acte : 1o Pour
repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu
habité.  » En l’occurrence, c’est bien par ruse que Rebecca a pénétré
dans le domicile, profitant de la diversion créée par Michaela, venue
sous prétexte de rendre un trophée à Annalise.
Ensuite Rebecca s’empare de l’ordinateur de Sam pour en copier
les données sur sa clé  USB. Commet-elle un vol  ? Concernant
l’ordinateur, l’appropriation est temporaire  ; pour autant, elle
manifeste l’intention de Rebecca de se comporter, même
momentanément, comme si elle était propriétaire de la chose. Le vol
est donc constitué. Concernant les données copiées sur la clé USB, la
question se pose de savoir si la qualification de vol est également
applicable. En effet, la clé USB sur laquelle Rebecca copie les données
est celle de Nate, et non celle de Sam. Longtemps, la condition
préalable du vol a supposé comme nécessaire qu’il porte sur une
chose. Ainsi, en cas d’accès à un ordinateur et de copie des données,
le «  voleur  » n’était condamné que pour le vol du support de
l’information, en l’occurrence, vue l’époque, des disquettes 21.
Désormais, une évolution s’esquisse  : il a été jugé qu’une personne
qui avait profité de sa navigation dans un extranet pour procéder à
des opérations de téléchargement de données était coupable de vol.
En l’espèce, le prévenu avait « fait des copies de fichiers informatiques
inaccessibles au public à des fins personnelles à l’insu et contre le gré de
leur propriétaire 22  ». Le pourvoi formé contre la décision a été
rejeté 23. Le vol est donc concevable dans le cas de Rebecca. Mais la
qualification idoine est celle d’introduction et de maintien dans un
système de traitement automatisé de données. En effet, l’article 323-3
du Code pénal incrimine désormais l’extraction et la transmission des
données.
 
Dans la série, contre les infractions commises par Rebecca, Sam
décide d’employer la force pour récupérer la clé, et une bagarre
s’ensuit. Il convient de rappeler que Sam bénéficie d’une présomption
de légitime défense. Pour autant, commettre ou essayer de commettre
des violences pour riposter contre le vol des données de son
ordinateur semble outrepasser la condition de proportionnalité de la
légitime défense. Sam est donc fautif, et  responsable des violences
qu’il commet.

d) Le décès de Sam

Alors qu’il aurait pu être protégé par le droit, Sam a décidé de se


faire justice lui-même. Mais il chute accidentellement dans l’escalier,
surpris par la présence de Michaela à la sortie de la chambre, après
avoir tenté de rattraper Laurel qui s’échappe avec la clé que Rebecca
lui a transmise. Feignant l’inconscience, il se jette ensuite sur
Rebecca, au moment où elle se penche sur lui pour vérifier s’il est
mort, et tente de l’étrangler.
 
Si la question de la légitime défense avait pu se poser
préalablement, elle est clairement, à ce stade, hors de propos. En
effet, l’article  122-5 du Code pénal prévoit la légitime défense si
l’atteinte est injustifiée (ce qui est le cas ici), si la riposte est
concomitante (ce qui est discutable) et proportionnée (ce qui n’est
absolument pas le cas).
 
La réaction inattendue et pour le moins disproportionnée de Sam
conduit à son décès, car Wes, pris de panique, lui fracasse le crâne
avec le fameux trophée rapporté par Michaela.
Wes a-t-il agi en état de légitime défense ? L’atteinte à Rebecca est
injustifiée. De plus, la riposte est concomitante. Mais est-elle
proportionnée ? Le coup porté par Wes est particulièrement violent et
paraît de nature à provoquer directement la mort. Au regard de la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme rendue
sur le fondement de l’article  2 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le
caractère fatal d’une atteinte à la vie doit être nécessaire 24. En
l’occurrence, Sam est déjà blessé et, outre Rebecca, ils sont quatre.
Était-il nécessaire de tuer Sam pour éviter qu’il ne tue Rebecca ? Cela
semble douteux.
Toujours est-il que l’irréparable a été commis  : Sam, qui a été
l’instigateur de la violence tout au long de la saison, y a finalement
succombé.

1. Exode 21, 23-25.
2. Articles 222-7 et suivants du CP.
3. De l’ITT (interruption totale de travail) dépend en France la peine encourue pour les
violences.
4. Article 222-14-3.
5. L’auteur ne peut que penser, en écrivant ces mots, avec un sourire TRÈS marqué, à
Britney Spears, star Disney qui disait avoir conclu un tel pacte avec Justin Timberlake…
6. Traduction libre de la chanson Cocaine, interprétée par J. J. Cale puis Eric Clapton.
7. Article R. 623-2 du CP.
8. Article 222-15 du CP.
9. Article 4 du Protocole additionnel no 7 de la CESDH.
10. CEDH, Tomasi, 27 août 1992 ; Selmouni, 28 juillet 1999.
11. Article 434-7 du CP.
12. Article 6 alinéa 1er du CPP.
13. Victor Hugo, L’Année terrible.
14. Article 221-3 du CP.
15. Sur ce point, il convient de relever que le pénaliste est souvent présenté comme étant
nécessairement un homme. Aux États-Unis, la question raciale se pose également, avec
autant de force.
16. Jean-Paul Sartre, Situations II.
17. Annalise a, de façon sporadique, une liaison avec Nate, qu’elle fera froidement accuser
du meurtre de Sam.
18. Article 311-1 du CP.
19. Article 222-14-3 du CP.
20. Article 226-4 du CP.
21. Crim., 12 janvier 1989, Bull., no 14.
22. CA Paris, 5 février 2014, Comm. com. électr. 2014, comm. 40, obs. E. A. Caprioli.
23. Crim., 20 mai 2015, pourvoi no 14-81336.
24. CEDH, Saoud C. France, 9 octobre 2007, arrêt no 9375/02.
CHAPITRE 2

La violence astucieuse entraîne


l’impunité

« La violence a coutume d’engendrer la violence… ou pas. » 1

Sam n’est pas un spécialiste du droit pénal, et c’est peut-être ce


qui lui a manqué pour viser l’impunité. Le crime contre Lila avait été
bien pensé, et les indices auraient pu s’avérer insuffisants pour
l’incriminer ; mais c’était sans compter sur la perspicacité d’Annalise
et de ses étudiants.
D’autres personnages de la série font preuve de plus de lucidité
que Sam et parviennent, eux, à passer entre les mailles du filet.

1. Le meurtre de Sam : Michaela,


Laurel, Connor et Wes, les apprentis
sorciers (énigme générale)
Cette fois-ci, il n’y a plus de doute : Sam est bien mort. Les quatre
apprentis pénalistes, ainsi que Rebecca, se retrouvent dans une
posture tout à fait inédite : celle du coupable.
a) Une culpabilité partagée
Wes est incontestablement le seul auteur matériel des faits.
Cependant, se pose la question de la complicité des autres acteurs du
drame. En effet, Michaela, Laurel et Connor cherchent à protéger Wes
et à cacher son secret. Se rendent-ils alors coupables de l’absence de
dénonciation du crime ?
 
Selon l’article 434-1 du Code pénal :
« Le fait, pour quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est
encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs
sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être
empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou
administratives est puni de trois  ans d’emprisonnement et de
45 000 euros d’amende.
Sont exceptés des dispositions qui précèdent, sauf en ce qui concerne
les crimes commis sur les mineurs :
Les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et
sœurs et leurs conjoints, de l’auteur ou du complice du crime ;
Le conjoint de l’auteur ou du complice du crime, ou la personne qui
vit notoirement en situation maritale avec lui.
Sont également exceptées des dispositions du premier alinéa les
personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par
l’article 226-13. »
 
L’article est reproduit dans son intégralité pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, seule une des modalités de l’infraction, à savoir « le fait,
pour quiconque ayant connaissance d’un crime […] dont les auteurs
sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être
empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou
administratives  », semble pouvoir être reprochée aux stagiaires. En
effet, le décès est établi, le mal est fait, il est impossible de revenir en
arrière. Ensuite, les deux alinéas de l’article prévoient des causes
d’irresponsabilité à l’égard des proches de l’auteur. On connaît peu de
choses, en l’état de la série, sur l’auteur et ses liens éventuels avec les
autres protagonistes. De plus, il est rappelé que les personnes
astreintes au secret sont exemptées de cette disposition. Or, les
étudiants concernés sont en stage chez Annalise, avocate astreinte au
secret professionnel mentionné dans l’article  226-13 du Code pénal.
L’article  12-2 de la loi no  71-1130 du 31  décembre 1971 portant
réforme de certaines professions judiciaires et juridiques rappelle par
ailleurs l’obligation du stagiaire au secret professionnel : le stagiaire
est « astreint au secret professionnel pour tous les faits et actes dont il a
connaissance au cours de sa formation et des stages qu’il réalise ».
Il n’est pas sûr, cependant, que les quatre  étudiants stagiaires en
première année de droit puissent bénéficier de ces dispositions. En
effet, elles ne s’appliquent qu’aux étudiants ayant satisfait à l’examen
d’entrée à un Centre régional de formation à la profession d’avocat
(CRFPA). Néanmoins, leur convention de stage peut prévoir un devoir
de discrétion qui, s’il était méconnu, entraînerait leur responsabilité
contractuelle.
Une révélation survient ensuite. Alors que l’on pensait que seuls
les quatre  apprentis pénalistes, plus Rebecca, étaient informés du
meurtre de Sam, le retour de Wes au cabinet d’Annalise pour
récupérer l’arme du crime montre Annalise près du corps de son
mari… Annalise ne saurait être complice, ses agissements étant
postérieurs à l’action. En revanche, elle commet l’infraction de recel
de malfaiteurs, définie comme le fait de fournir à la personne auteur
ou complice d’un crime ou d’un acte de terrorisme puni d’au moins
dix  ans d’emprisonnement un logement, un lieu de retraite, des
subsides, des moyens d’existence ou tout autre moyen de la soustraire
aux recherches ou à l’arrestation 2. Plus encore  : les conseils qu’elle
prodigue par la suite font d’elle la complice de toutes les infractions
commises par ses stagiaires.

b) Une défense collective
Les apprentis pénalistes décident de mobiliser leurs connaissances
pour élaborer une stratégie en deux temps : 1. Dissimuler les preuves
du meurtre ; 2. Se fabriquer un alibi.

La stratégie de dissimulation
La stratégie de dissimulation est conçue en deux temps : d’abord
faire disparaître le corps, puis faire disparaître l’arme du crime.
Logique implacable sur laquelle s’entendent l’ensemble des
protagonistes : le meilleur rempart contre une éventuelle accusation
de meurtre est de faire en sorte que personne ne sache qu’un meurtre
a eu lieu. Pour cela, il convient de faire disparaître le corps de Sam.
Cette stratégie de dissimulation est assez classique et la série
l’illustre parfaitement. Elle est cependant constitutive de nombreuses
infractions. Ainsi :
Le fait de déplacer le cadavre, de le brûler et de s’emparer de
l’arme du crime en vue de les dissimuler est constitutif de
l’infraction d’altération, falsification ou effacement des traces
ou indices par l’apport, le déplacement ou la suppression
d’objets quelconques en vue de faire obstacle à la
manifestation de la vérité. Cette infraction est punie de
trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende 3.
Le démembrement du corps est constitutif d’une atteinte
manifeste à l’intégrité du cadavre, sanctionnée par
l’article 225-17 du Code pénal.
L’enterrement du cadavre est plus discutable. Selon
l’article 434-7 du Code pénal :

«  Le fait de receler ou de cacher le cadavre d’une personne


victime d’un homicide ou décédée des suites de violences est
puni de deux  ans d’emprisonnement et de 30  000  euros
d’amende. »

Mais à la fin de l’épisode, le cadavre a été brûlé mais pas encore


enterré. Tant que le cadavre n’est pas enterré, le délit n’est pas
caractérisé puisqu’il n’est pas caché au sens de la loi.
 
La stratégie de dissimulation ne s’arrête pas à dissimuler le corps
de Sam. Elle consiste également à dissimuler l’arme du crime. Après
le meurtre, un des personnages cite une décision de justice dans
laquelle la condamnation n’a pas été prononcée en raison de
l’absence de découverte de l’arme du crime. Ceci appelle plusieurs
remarques. Tout d’abord, le droit français n’est pas un droit de
common law, bien que la jurisprudence revête une importance non
négligeable, ce qui signifie que seul un texte de loi pourrait –
 éventuellement – prévoir une telle règle. Sur le fond, le juge tranche
selon son intime conviction, il n’existe pas de preuve légale 4, ce qui
signifie que c’est au juge d’apprécier les preuves présentées, aucune
n’entraînant ipso facto une condamnation. Le juge ne peut se
prononcer que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des
débats et contradictoirement discutées devant lui 5. Toutefois, dans
une procédure qui était à l’origine inquisitoire, le rôle du juge
demeure actif  : il peut rechercher les preuves, qu’il relève d’une
juridiction d’instruction 6 ou d’une juridiction de jugement 7.
Bref, l’absence de découverte de l’arme du crime n’entraînerait
pas nécessairement l’acquittement en France.

DES CRIMES SANS ARME OU SANS CORPS ?

Quelques exemples en droit français…


• Lisa Dégardin :
Hubert Caouissin a été condamné le 7 juillet 2021 à trente ans de réclusion
criminelle pour avoir tué son beau-frère, Pascal Troadec, ainsi que la famille de ce
dernier. L’arme du crime n’a jamais été retrouvée. Il s’agirait d’un pied de biche.
• Baptiste Nicaud :
L’affaire Agnelet a donné lieu à une jurisprudence connue de la CEDH relative à la
motivation des arrêts d’assises (CEDH, 10 janv. 2013, aff. 61198/08, Agnelet c/
France). Dans cette affaire, il n’y a pas d’arme du crime car, plus encore, il n’y a pas
même de cadavre ni même d’élément matériel. Maurice Agnelet a été poursuivi
pour le meurtre de  son amante qu’il a rencontrée alors qu’il était avocat et en
charge de son divorce. Après que Maurice Agnelet ait obtenu procuration sur le
compte de son amante, celle-ci disparaît et n’est jamais retrouvée. S’en sont suivis
près de 40 ans de procédure judiciaire qui se sont soldés par une condamnation de
20 ans de réclusion criminelle.

La stratégie de l’alibi
Conformément au célèbre proverbe français, « Un homme averti en
vaut deux  », les personnages décident de jouer la carte de la
prudence. Vraisemblablement conscients du risque que, malgré leurs
efforts de dissimulation des éléments à charge, le meurtre de Sam
pourrait refaire surface, ils s’emploient à forger leur innocence en se
construisant un alibi. L’objet est de démontrer qu’ils s’adonnaient à
d’autres activités et ne pouvaient être présents au moment du
meurtre de Sam.
Cette stratégie passe par différentes étapes :
D’une part, il faut limiter le nombre de personnes informées
du meurtre pour éviter les fuites. C’est la raison pour laquelle
les quatre  apprentis pénalistes refusent d’ouvrir à Asher (le
cinquième  étudiant travaillant pour Annalise, qui ignore tout
du meurtre de Sam) lorsqu’il tambourine à la porte du cabinet.
D’autre part, être visibles à l’heure du crime pour démontrer
une impossibilité matérielle de réalisation du meurtre. C’est la
raison pour laquelle les quatre apprentis pénalistes se rendent
à un feu de joie et postent des photos sur les réseaux sociaux.
À remarquer : la construction d’un alibi n’est pas en tant que telle
répréhensible. En effet, il s’agit alors simplement d’actes de
préparation et non du commencement d’exécution d’une infraction 8.

2. Un repentir impossible

« Faute avouée à moitié pardonnée ! » Ah bon, vraiment ?

Le poids de la culpabilité est un lourd tribut à payer, et il conduit


Michaela et Connor à vouloir se rendre à la police avant qu’Annalise
et Wes ne s’interposent.
Aussi louable que soit cette intention sur le plan moral, elle
s’avère suicidaire sur le plan pénal. En effet, de tels remords ne
sauraient avoir une quelconque conséquence juridique quant à leur
culpabilité. Cette démarche pourrait au mieux influer sur le quantum
de la peine de chacun, au gré du juge.
Les étudiants sont donc condamnés à vivre dans le secret de leur
culpabilité, avec l’aide d’Annalise. Ce qu’elle met en pratique dès la
fin du semestre avec un essai analytique calqué sur ce qui s’est
produit. Les noms sont changés et la victime est le caissier d’un
commerce de proximité. Sans rien dire, Annalise leur fait ainsi
comprendre que non seulement elle sait tout, mais que, plus encore,
cette «  expérience  » est susceptible d’aider les stagiaires à renforcer
leurs compétences dans la matière. «  Comment utiliser son
expérience de meurtrier dans le cadre de ses études.  » Voilà une
étrange morale…

1. Eschyle.
2. Article 434-6 du CP.
3. Article 434-4 du Code pénal.
4. Articles 353, 427 et 536 du CPP.
5. Articles 353, 427, 512 et 536 du CPP.
6. Articles 81 et 201 du CPP.
7. Articles 283, 310, 434, 456 et 463 du CPP.
8. Auquel cas il s’agirait d’une tentative (article 121-5 du CP).
TITRE IV

Réflexion
autour de la défense pénale

Parmi les différentes professions du droit, celle d’avocat


est certainement une de celles qui attirent le plus
de convoitises. Et parmi les différents domaines
du droit, le pénal est la branche qui suscite le plus
de vocations.

CHAPITRE 1. L’AVOCAT PÉNALISTE, ENTRE MYTHE ET STÉRÉOTYPE

CHAPITRE 2. LE DROIT PÉNAL INFLUE-T-IL SUR LA PERSONNALITÉ DE SES PRATICIENS ?


CHAPITRE 1

L’avocat pénaliste,
entre mythe et stéréotype

«  La gloire d’un bon avocat consiste à gagner de mauvais


procès. » 1

L’avocat pénaliste est un véritable « mythe » 2. Pendant longtemps,


il a été le paravent entre l’accusé et la mort (lorsque la peine de mort
était encourue). De plus, la plaidoirie devant une cour d’assises est
non seulement un exercice délicat, mais aussi et surtout l’occasion
pour l’avocat de convaincre à la fois la cour (en droit) et le jury
populaire (en fait) 3.
LA FIGURE DE L’AVOCAT.E PÉNALISTE

Le point de vue de la Secrétaire
du Bâtonnier

Un avocat que j’aime beaucoup m’expliquait, et j’espère ne pas trahir sa pensée, que
les assises sont l’exercice le plus exigeant auquel le pénaliste est confronté.
Certes, avec la loi Badinter, on ne requiert plus la peine de mort. Mais le procès
d’assises, que l’on soit en défense ou en partie civile, est LE procès qui marque la vie
des justiciables, des avocats, des jurés et de… l’opinion publique.
Il n’y a guère que dans Suits que l’on se passionne pour le droit des affaires, les
fusions-acquisitions, etc.
La presse judiciaire ne remplit pas les bancs des audiences du juge aux affaires
familiales (JAF), du tribunal paritaire des baux ruraux (TPBR).
Le procès roi est le procès d’assises.
Et, par conséquent, l’avocat roi est l’avocat pénaliste.
C’est d’ailleurs particulièrement visible dans les barreaux, et notamment au travers
de la permanence pénale : formations spécifiques, Secrétaires de la Conférence élus
au terme d’un concours médiatisé et qui assure aux « élus » l’accès et la commission
d’office par le bâtonnier pour les affaires pénales les plus importantes et les plus
médiatiques.
Le concours est ouvert à tous, femmes et hommes, mais l’on ne peut que constater
que dans une profession pourtant majoritairement féminine, les femmes restent
sous représentées.
 
Sont-elles moins talentueuses et éloquentes que les hommes  ? Certainement pas.
Mais le stéréotype qu’évoquait Mikaël Benillouche est bien ancré  : le pénaliste tel
que l’on se le représente est un homme, voix grave, stature imposante, charisme
évident, volontiers charmeur voire coureur de jupons, mais aussi brillant et engagé.
Le pénaliste idéal, le héros du polar, du téléfilm, celui qui passionne la presse, celui
dont on me demande les coordonnées quand on appelle l’Ordre à la recherche d’un
avocat, c’est toujours un homme, entre 40 et 50  ans. Le jeune avocat, la femme
avocate peuvent être de merveilleux avocats, on ne les associe pas au premier
abord à l’éloquence, à l’image de ténor du barreau.
 
Dans l’imaginaire, l’avocat pénaliste occupe tout l’espace de la barre dans ce qui
semble représenter une plaidoirie grandiloquente, désignant une arme posée sur la
barre. L’avocate pénaliste a aussi sa figure stéréotypée, dans ce qui semble être un
miroir inversé : elle porte, elle, un chignon sage, des lunettes sérieuses, des talons
hauts et du rouge à lèvres et semble appuyer son travail sur le Code, dans une
posture qu’on pourrait définir comme plus technique et apaisée.
On pourra y voir du sexisme, mais si l’homme pénaliste idéal a 40-55 ans, la femme
pénaliste idéale semble nécessairement jeune, jolie, ultra-féminine (jupe crayon et
talons aiguilles, coiffure et maquillage parfaits à la Suits ou The Good Wife).

L’avocature en proie aux stéréotypes…


Certains avocats pénalistes sont aujourd’hui de véritables stars.
Qui n’a jamais lu ou entendu parler des plaidoiries de
Robert  Badinter, farouche opposant à la peine de mort dans les
années  1970  ? Aujourd’hui, on surnomme un autre avocat
«  Acquittator  », et on l’invite dans tout type d’émission  ; on lui a
même fait jouer le rôle d’un président de cour d’assises dans un
film… (Lisa Dégardin : « Avant qu’il ne devienne ministre de la Justice
et garde des Sceaux bien sûr. »)
Mais le « mythe » de l’avocat pénaliste, voire l’avocat pénaliste lui-
même, alimente de lourds stéréotypes. En France comme ailleurs, les
avocats pénalistes mis en vedette répondent au même profil. D’abord,
ce sont quasi exclusivement des hommes ; il n’est pas rare d’entendre
que seul un homme avec une voix rauque peut faire une belle
plaidoirie, que la profession est dangereuse pour les femmes, etc. Que
de fausses affirmations pour justifier des comportements misogynes !
Quiconque a vu plaider Clarisse  Serre ou pris connaissance des
engagements de Delphine Boesel 4 sait que tout cela est faux et relève
d’une conception archaïque du rôle des femmes dans la société
judiciaire. Ensuite, ce sont des hommes blancs. Le racisme est difficile
à constater au sein du barreau français, tant la question est éludée.
 
Cependant, comme le relève la Secrétaire du Bâtonnier, on voit
apparaître une nouvelle génération d’avocats pénalistes
qu’on  pourrait appeler dans les termes policés que l’on affectionne
désormais « issus de la diversité » : Yassine Bouzrou, Yassine Yakouti,
qui viennent bien sûr après le sulfureux Jacques Verges.
 
La question de la mixité semble moins sensible qu’aux États-Unis,
où l’appartenance à une prétendue «  race  » est systématiquement
mise en avant. Dans Murder, la protagoniste, Annalise, est une femme
noire, ce qui n’est pas anodin. À  sa manière, et bien qu’elle soit
régulièrement ramenée à sa condition de femme noire américaine par
diverses remarques de protagonistes de la série, elle casse les
stéréotypes liés à l’apparence et brise certains plafonds de verre.

DES PLAFONDS DE VERRE POUR LES AVOCATES PÉNALISTES ?

Le point de vue de l’avocat.e : Me Lisa


Dégardin

Cela devient de moins en moins vrai ces dernières années. De plus en plus
d’avocates pénalistes sont désormais reconnues et médiatisées telle Marie Dosé.
Elles sont choisies pour de grandes affaires comme Olivia Ronen, l’avocate du
principal accusé du procès historique du 13 novembre 2015.

L’essence de la profession d’avocat


Mais les stéréotypes ne s’arrêtent pas à la personne de l’avocat. En
effet, la profession en tant que telle véhicule ses propres mythes
internes. Quiconque exerce le droit pénal est systématiquement
interpellé lors de dîners  : «  Tu défendrais un coupable  ? Un
pédophile ? Un terroriste ? »

LES DÉFENDRE TOUS

Le point de vue de la Secrétaire
du Bâtonnier

C’est la question à laquelle sont confrontés tous les avocats, tous les jeunes avocats
quand ils décident d’embrasser la profession et, par ricochet, tous les personnels au
service des avocats et des Ordres.
Je dois avouer que la première fois que j’ai reçu une demande de désignation à
l’Ordre pour une personne suspectée d’actes de barbarie et de pédophilie, j’avais
une personne absolument charmante au téléphone et sa convocation sous les yeux
et il m’a fallu quelques secondes pour enregistrer l’information et me rappeler du
principe fondamental « Les défendre tous ! ».
J’ai une tendresse pour ces avocats engagés à qui l’on a dû souvent poser la
question dans le cadre de leur engagement : Badinter, Halimi, les avocats du procès
des attentats du 13 novembre, Delphine Boesel, Raphaël Kempf…

Pour répondre à cette question, il est capital de comprendre


l’utilité de l’avocat. Il n’est pas là pour faire innocenter son client,
mais pour le défendre. La décision ultime de l’acquittement ou de la
condamnation, de la peine, appartient aux juges en fonction des
éléments présents dans chaque dossier. Or, ces éléments sont
indispensables pour que les droits de la défense, principe essentiel du
droit, soient respectés et qu’une juste peine puisse être prononcée.
Plus encore –  et c’est là un point fondamental  –, défendre son
client, ce n’est pas nécessairement essayer d’obtenir une relaxe ou un
acquittement. C’est aussi parfois l’aider à trouver le chemin de la
rédemption, ou guider la juridiction à prononcer, le cas échéant, la
peine la plus appropriée, la plus juste, celle qui permettra au
coupable de se réinsérer, car un jour, ce condamné sortira de prison…

PLAIDER, OUI, MAIS ENCORE…

Le point de vue de l’avocat.e : Me Lisa


Dégardin

Le métier d’avocat, c’est aussi assister son client après le procès pour négocier un
échéancier avec les parties civiles ou demander un aménagement de peine, des
aspects moins connus de la profession d’avocat pénaliste.

1. Honoré de Balzac.
2. Parmi les nombreuses publications sur le sujet, on peut notamment citer H.  Temime, La
défense dans la peau, Paris, Stock, 2012, ou encore H. Leclerc, La parole et l’action : itinéraire
d’un avocat militant, Paris, Fayard, 2017.
3. Voir notamment M. Aron, Les grandes plaidoiries des ténors du barreau, Paris, Pocket, 2013.
4. Présidente de la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP).
CHAPITRE 2

Le droit pénal influe-t-il


sur la personnalité
de ses praticiens ?

Existe-t-il un profil type de l’avocat pénaliste ?


Au cours de ma carrière, j’ai eu l’occasion de rencontrer et de
discuter avec de nombreux pénalistes qui conçoivent la profession de
façon très diverse  : Thierry  Lévy, Hervé  Temime, Thibault
de  Montbrial, Emmanuel  Daoud, Clarisse  Serre, Delphine  Boesel,
Jean-Yves Liénard, François Saint-Pierre, Christian Saint-Palais, parmi
d’autres. Et il n’y a entre eux aucun point commun… si ce n’est la
défense. Ils ont tous à cœur la défense pénale, mais avec leur petite
musique propre.
LE MEILLEUR AVOCAT…

Le point de vue de la Secrétaire
du Bâtonnier

On me demande régulièrement qui est le meilleur avocat de mon barreau (mon


bâtonnier évidemment) et qui est le meilleur avocat, à  mon sens, tous barreaux
confondus.
Ma réponse est invariablement la même  : le meilleur, d’accord, mais dans quelle
spécialité ?
Chaque avocat que je rencontre a une histoire et un ressenti particulier de son
exercice professionnel. Le fils d’avocat ou de magistrat, celui que l’on destinait à
une carrière juridique, celle qui voulait prouver à ses parents qu’elle pouvait le
faire, celle qui voulait réparer une injustice.
J’ai pu notamment l’appréhender en rencontrant ou en lisant des pénalistes tels que
Maître Mô, Franck Berton, en assistant à l’incroyable énergie développée lors des
audiences de défense massive pendant la grève des retraites où pénalistes
chevronnés, jeunes avocats, élèves avocats se relayaient avec des histoires et un
bagage différents, mais un seul mot d’ordre : « Les défendre tous ! ».

La série Murder en revanche désigne un profil assez stéréotypé du


pénaliste, que l’on pourrait résumer par la formule de Nietzsche  :
« Quand tu regardes l’abîme, l’abîme regarde aussi en toi.  » Le pénal
use, abîme, transforme, et révélerait aux gens le pire de leur nature.
Certes, il existe quelques exemples d’avocats devenus voyous à
force de trop fréquenter des voyous, mais le trait est caricatural dans
la série. Annalise révèle son côté sombre au fur et à mesure de la
saison. Elle triche, ment, corrompt, fait chanter pour parvenir à ses
fins… Connor n’hésite pas à se prostituer pour obtenir des preuves.
Wes est progressivement rongé par le mal, jusqu’à séquestrer et
maltraiter celle qu’il aime. Michaela révèle ses instincts les plus noirs
lorsqu’il s’agit de protéger sa réputation. Laurel lutte tout au long de
la série  : elle essaie de ne pas tromper, de ne pas trop mentir, de
protéger les membres du groupe… Elle essaie, sans véritablement y
parvenir. Asher est assez constant, il était de toute manière prêt à tout
dès les premiers épisodes. Enfin, Franck et Bonnie sont capables de
tout.
 
Dès lors, il reste une question : est-ce leur relation avec Annalise
ou leur rapport au pénal qui est si toxique ? Annalise attire et attise le
mal. Elle déforme son entourage, le pousse à penser comme elle, à
utiliser les mêmes subterfuges. Le droit pénal, en revanche, n’est
finalement qu’un objet, une forme de révélateur du meilleur comme
du pire qui sommeille en chacun.
Conclusion
Un droit pénal sans morale ?
DANS QUELLE MESURE LE DROIT AMÉRICAIN INFLUENCE-T-IL
LE DROIT FRANÇAIS ?

Le point de vue d’enseignants :

• Benoît Le Devedec  : Je ne suis pas sûr qu’on puisse affirmer que le droit
américain influence le droit français, notamment en droit pénal. Par exemple,
les Américains sont habitués à des peines de prison très longues, alors qu’en
France nous appliquons la confusion de peines. En matière de dommages et
intérêts, nous nous contentons de la seule réparation intégrale, ce qui ne
permet pas d’aboutir à des sommes aussi colossales que celles que peuvent
pratiquer les juridictions américaines. Certes, il y a davantage de procédures de
médiation et de conciliation qu’avant, qui ont plutôt une origine anglo-
saxonne, mais je pense que l’influence est ailleurs.
La véritable influence à mon sens tient dans une certaine idée qu’on peut se faire de
la productivité et de l’efficacité, qui se traduit par « la politique du chiffre ». Il ne
s’agit pas de faire bien, il s’agit de faire beaucoup avec peu de moyens. On le voit
dans la santé, dans la police, et bien sûr dans la justice. Les hôpitaux ferment les
services les moins rentables, les policiers privilégient les enquêtes courtes avec un
maximum d’arrestations plutôt que les investigations plus complexes qui peuvent
faire tomber efficacement un réseau, et les magistrats ont massivement recours aux
conciliations pré-juridictionnelles au civil et aux procédures accélérées en pénal
comme les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité et les
comparutions immédiates. Il ne s’agit évidemment pas d’une volonté des agents,
mais bien d’une volonté politique déjà ancienne. Le résultat, c’est que,
statistiquement, les services publics sont plus efficaces, parce qu’ils traitent plus de
situations avec moins d’argent. En réalité, la qualité des services publics se dégrade.
Ce qui donne le sentiment d’une américanisation de la justice, c’est le recours à la
justice négociée et la tendance qu’ont les plus riches à se passer de la justice par le
truchement des procédures d’arbitrage. Mais ce n’est que la démonstration d’une
paupérisation de la justice : la justice négociée n’est pas forcément meilleure, elle
est surtout moins couteuse car plus rapide et évite les recours. Quant à l’arbitrage,
il est certes plus couteux, mais ceux qui en ont les moyens lui préfèrent sa
discrétion, sa célérité et son efficacité, ce dont la justice classique n’est pas capable
dans les affaires sensibles et complexes.
• Baptiste Nicaud  : Le droit américain comme tout autre droit est en mesure
d’influencer le droit français par comparatisme. Le droit français est lui-même
source d’influence. Toutefois, il me semble que, excepté en matière de droit pénal
international où les juridictions internationales s’inspirent fortement des systèmes
de Common law, le droit américain influence peu le droit pénal français. Les
systèmes sont assez différents. Bien évidemment, on trouve des traces de contagion,
à l’image de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, présentée
comme un plaider coupable américain à la française. Cette procédure se retrouve
historiquement en pays de Common law et a été repris par les pays de droit
romano-germanique. Toutefois, les différences entre les mécanismes sont
importantes.

De cette étude, il ressort que la série Murder dépeint un droit


pénal assez différent du droit français, malgré de réelles similitudes.
Au-delà de l’aspect juridique, la série en dit long sur une société – la
société américaine. Il existe en la matière un phénomène
d’acculturation, et le succès international de la série est l’une des
manifestations du contact continu et direct entre des groupes
d’individus de cultures différentes  : le groupe émetteur (les États-
Unis) et le groupe récepteur (la France, pour ce qui nous concerne).
La culture télévisée américaine influence l’Europe, et le phénomène
est loin d’être récent. La série qui nous occupe, comme bien d’autres
séries américaines, est ainsi diffusée par une chaîne française.
On peut se demander pourquoi les jeunes, et plus
particulièrement les jeunes juristes, sont particulièrement intéressés
par Murder 1. Qu’est-ce qui justifie leur intérêt ?
Tout d’abord, c’est bien sûr l’énigme générale, qui se déroule au
gré des épisodes grâce à de nombreux flash-backs et progresse jusqu’à
la révélation finale.
Ensuite, l’énigme propre à chaque épisode permet de découvrir le
savoir-faire des personnages et quelques aspects juridiques originaux.
Enfin, la série fournit un reflet de la société. Il y a le professeur,
avocate pénaliste, ses collaborateurs et ses stagiaires. La question
raciale est très présente (Annalise et Sam forment un couple mixte).
La sexualité n’est pas non plus occultée  : Connor est homosexuel et
assume parfaitement son orientation sexuelle. Certains personnages
ont la volonté de se marier tandis que d’autres multiplient ou essaient
de multiplier les conquêtes,  etc. Dès lors, tout étudiant semble
pouvoir s’identifier à un personnage. Si j’osais, je dirais qu’un
enseignant, qui plus est de droit pénal, et d’autant plus s’il compose
un « couple » mixte avec son binôme, peut également s’identifier aux
protagonistes… mais la comparaison s’arrête ici, heureusement  !
Ainsi, la série plaît car elle se veut le reflet d’une société, non
exclusivement américaine, mais occidentale et estudiantine.
 
Que nous apprend-elle sur notre jeunesse, ou plutôt, sur la
jeunesse qu’elle dépeint ? Qu’elle est avide de sexe, de pouvoir et de
sang  ; qu’elle rejette une conception classique de la famille. Il n’y a
aucune morale dans la série, tous les personnages sont capables des
pires agissements pour parvenir à leurs fins. La tromperie et le
mensonge sont omniprésents, la drogue et l’alcool, largement
banalisés.
Mais alors, comment s’identifier à de si vils personnages  ? La
réponse est simple  : ils sont tellement humains qu’ils en deviennent
réels. Ils nous rassurent aussi, car ils sont pires que nous. Ils tuent,
mentent, se prostituent, parfois uniquement pour devenir le
« chouchou » du prof…
En criminologie, il existe une théorie développée notamment par
le professeur Léauté, celle de la «  soupape de sécurité  », selon
laquelle la représentation du crime permet de ne pas passer à l’acte
en projetant la violence sur des supports scénarisés 2. Et si Murder
était notre soupape de sécurité  ? Toutefois, la série ne peut se
résumer à un simple exutoire, dans la mesure où elle véhicule, tout
de même, un certain nombre de valeurs auxquelles elle accorde une
place importante. La notion de famille, par exemple, est centrale. Si
la famille d’origine est souvent décrite comme un milieu violent voire
criminogène, une cellule familiale se recompose autour d’Annalise,
qui règne sur ses collaborateurs et ses stagiaires. C’est une famille
choisie. Annalise la matriarche protège et parfois punit. L’accès à cette
famille-là n’est ni automatique, ni totalement gratuit : il faut d’abord
présenter un intérêt pour Annalise  ; ensuite, il existe de nombreux
secrets dans cette famille  : non seulement la «  secte  » d’Annalise
trahit ceux qui lui sont extérieurs et leur ment, mais elle le fait
également en son sein. Et puis, comment comprendre le rôle central
joué par Wes, systématiquement protégé par Annalise ? Pour une fois,
je ne le dévoilerai pas…
Autre valeur forte dans la série, la solidarité, imposée aux
membres du groupe qui sont unis par un terrible secret, dont ils ne
pourraient s’affranchir qu’en dénonçant les autres.
Enfin, une dernière valeur peut être pointée, surtout s’agissant
d’une série américaine  : l’égalité. Les personnages, quels que soient
leur origine, leur sexe ou leur orientation sexuelle, sont placés sur un
pied d’égalité. Cela peut paraître aller de soi, mais rappelons qu’il
n’est pas rare, dans les séries, que les postes à responsabilité soient
occupés par des hommes blancs quadragénaires et hétérosexuels.
 
La fin de la saison  1 laisse de nombreuses questions en suspens.
On comprend vite que pour dénouer toutes ces énigmes et
comprendre le mode de fonctionnement de cette famille d’un genre
particulier, il faudra regarder les saisons suivantes… Les personnages
pourront-ils s’épanouir malgré leurs lourds secrets  ? Peut-on mentir
impunément sans être torturé par sa conscience ? Le droit pénal aura-
t-il finalement raison des personnages, ou, au contraire, auront-ils
raison du droit pénal ?

1. Voir notamment la vidéo de Jurixio sur la série  : https://www.youtube.com/watch?


v=zQ5erSGLZ-E
2. J. Léauté, Criminologie et science pénitentiaire, Paris, PUF, coll. Thémis, 1972.
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