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UNlV.ERSlT.E U.E LAUSANNE UNl V b.

K:SlTA UbliLl :STUVl Vl MlLANU


Faculté de droit Facoltà di giurisprudenza
et des sciences criminelles Istituto di diritto internazionale
Corso di dottorato di ricerca in diritto internazionale,
XVIII cielo, settore dise. ius/13
Coordinatore: Prof. Marco Pedrazzi

L'UNITÉ FAMILIALE
ET LE SYSTÈME DE DUBLIN

Entre gestion des flux migratoires


etrespect des droits fondamentaux

THÈSE DE DOCTORAT
présentée par

Francesco Maiani
Lic.Jur., LL.M. en droit européen

Sous la direction des Professeurs


Roland Bieber Bruno Nascimbene

Helbing Lichtenhahn Verlag


Bâle
2006
UNIL 1Unlllfrsit~ do l&u~anne
Faculté d• droit ·
b&timont 'ln ~erne! bureau 41S
UNIVERSITÀ DEGLI 5TUDI DI MILANO
C.H-10'15 lau~nno
DIPARTIMENTO DI STUDI INTERNAZIONALI
VIA CONSliRVATORIO 7, 20122 MILANO

Il Coordinatore del dottorato di ricerca in dîritto intemazionale dell'Università


degli Studî di Milano e le Doyen de la .Faculté de droit et des sciences
criminelles de l'Université de Lausanne,
visto il· parere della Commissione d'esame del 21 luglio 2006, autorizzano la
stampa della tesi di dottorato di ricerca del 1 vu le rapport du jury du 21 juillet
2006 autorise l'impression de la thèse doctorat de Monsieur

Dottor Francesco Mai ani


intitolata 1intitulée :

de
"L'unité familiale et le système Dublin- Entre gestion des flux
migratoires et protection des droits fondamentaux. "·

Prof. Marco Pedrazzi


Università degli Studi di

Lausanne et Milano, 24.luglio 2006

Copie per conoscenza·: Prof. Roland Bieber et Prof. Bruno Nascimbene, co-relatori
Remerciements

Messieurs les professeurs Roland Bieber et Bruno Nascimbene me


permettront de leur témoigner ici ma profonde gratitude pour les précieux
conseils qu'ils m'ont prodigués, leur disponibilité et l'extrême bienveillance
qu'ils n'ont cessé de me manifester au cours de la préparation et de la
rédaction de ce travail.

Mes remerciements s'adressent ensuite à Alix de Courten et à Marie


Delaloye, pour leur aide généreuse dans la relecture de ce travail.

Pour leur soutien fidèle et avisé, j'aimerais également remercier Constantin


Hruschka, Vigdis Vevstad, Francesco Vigano et Anne Cornu, ainsi que
Michel Mitzicos, Sébastien Touzé, Cesla Amarelle, Nicole Lagrotteria,
Micaela Vaerini, Brigitte Coendoz et les autres personnes avec qui j'ai eu le
privilège de travailler au Centre de droit comparé, de droit européen et de
législations étrangères de l'Université de Lausanne.

Un remerciement spécial, enfin, va à ma femme Simona, qui tout le long de la


rédaction de ce travail m'a rappelé, par sa seule présence à mes côtés,
l'importance de la vie en famille.

Le présent travail a été rédigé dans le cadre d'un projet de recherche fmancé
par le Fonds national suisse pour la recherche scientifique.

III
Dans la mesure du possible, l'auteur a tenu compte de l'état de la législation,
de la jurisprudence et de la doctrine au 1er juillet 2006.

IV
Sommaire

Remerciements.............................................................................................. III

Sommaire..................................................................................................... V

Table des sigles et des abréviations ... ..... ..... ... ........ .. ...................... .. .. ... ...... IX

INTRODUCTION...................................................................................... 1

PREMIÈRE PARTIE : LE CONTEXTE JURIDIQUE ET


POLITIQUE DU SYSTÈME DE DUBLIN

I. Le système de Dublin et son contexte international.......................... 9


A. Le souverain territorial et la circulation internationale des
personnes ...................... ........ ......... ........................... .... ..... .. ........... 9
B. Le régime international de la protection des réfugiés..................... 10
C. La protection internationale des droits de l'homme........................ 24

II. Le système de Dublin dans le contexte de la politique


européenne d'asile ....... ,....................................................................... 31
A. La naissance d'une politique européenne d'asile et
d'immigration................................................................................. 32
B. La phase de la coopération intergouvernementale
« informelle » ... .... ... ..... ... ........ ..... .......... ............. .. ............... ..... ...... 49
C. La phase de la « coopération en matière de justice et affaires
intérieures »..................................................................................... 54
D. Vers l'établissement d'un «espace de liberté, de sécurité et de
justice »........................................................................................... 61
E. L'élargissement de l'Union européenne et l'avenir de l'espace
de liberté, de sécurité et de justice.................................................. 76

v
DEUXIÈME PARTIE : DROIT ET PRATIQUE DE LA
DÉTERMINATION DE L'ÉTAT RESPONSABLE

III. Le système de Dublin : ses principes, ses buts, son


fonctionnement ... ...... ....... ........... .. ....... ... .... .... ........ ... ... ... ......... ........... 83
A. Le dispositif Dublin 1.............. ....... ... .. ......... .. .... .. ... ...... ........ .......... 83
B. Le dispositif Dublin II .................................................................... 94
C. La nature et les objectifs du système de Dublin.............................. 116
D. Les effets du système de Dublin..................................................... 124

IV. La détermination de l'État responsable et l'unité familiale ............ 141


A. La Convention de Dublin et l'unité de la famille ............................ 144
B. Le Règlement Dublin II et 1'unité de la famille.............................. 160

TROISIÈME PARTIE: LES RÈGLES DE DUBLIN ET LES


DROITS FONDAMENTAUX

V. Le dispositif Dublin II et les droits fondamentaux -


encadrement systématique .................................................................. 187
A. Le dispositif Dublin II et les droits fondamentaux tels que
protégés par 1' ordre juridique communautaire................................ 187
B. Le dispositif Dublin II et les obligations internationales des
États participant à sa mise en œuvre ... .................... ................... ..... 195
C. Le dispositif Dublin II et les droits fondamentaux : remarques
conclusives...................................................................................... 201

VI. Le droit au respect de la vie familiale et le dispositif Dublin II....... 205


A. Droit au respect de la vie familiale et contrôle de l'immigration
- aspects généraux ..... ............... ... ........ ........ ... .... ...... ............ .. ..... ... 209
B. Le droit au respect de la vie familiale et l'éloignement des
étrangers résidants ........................................................................... 236
C. Le droit au respect de la vie familiale et l'admission au séjour
des étrangers ................................................................................... 253

VI
D. Droit au respect de la vie familiale et contrôle de l'immigration
- remarques conclusives .......... ..... .......... ... ...... .. ............ ... .... .. .. ... ... 269
E. La définition de « membre de la famille » valable aux fins du
Règlement Dublin II - un réexamen à la lumière des droits
fondamentaux .................................................................................. 271
F. La compatibilité du dispositif Dublin II avec le droit au respect
de la vie familiale ............................................................................ 278
G. L'interdiction de discrimination dans la jouissance du droit au
respect de la vie familiale et le dispositif Dublin II........................ 301
H. Le droit au respect de la vie familiale et le dispositif Dublin II :
remarques conclusives .................................................................... 310

VII. Le dispositif Dublin II et les droits procéduraux des


demandeurs d'asile ............................................................................ 313
A. La protection des droits fondamentaux et le déroulement des
procédures administratives d'application du dispositif
Dublinii. ......................................................................................... 315
B. Le droit à un recours effectif et le dispositif Dublin II ................... 341
C. Le dispositif Dublin II et les droits procéduraux des
demandeurs d'asile: remarques conclusives .................................. 354

CONCLUSIONS GÉNÉRALES ............................................................... 357


A. La méconnaissance de la valeur de l'unité familiale dans le
droit et la pratique de la détermination de l'État responsable ......... 358
B. L'application « conforme » du dispositif Dublin II : un
impératif juridique oublié ? ............................................................. 359
C. Les perspectives de réforme du système de Dublin ........................ 364

Bibliographie .. .......... ... ....... .. .................. ... ......... .. ... ..... ............... .. ... .. ... ... ... 369

Table des matières ......... ...... ......... ....... .. ..... ........... .. ..... ............... .. .......... .. .. 403

ANNEXE : RÉSUMÉ DE LA THÈSE EN LANGUE ITALIENNE ..... 413

VII
.Table des sigles et des abréviations

AELE Association européenne de libre-échange


AFDI Annuaire français de droit international
aff. affaire
aff. jointes affaires jointes
AGNU Assemblée générale de l'Organisation des
Nations Unies
AIDA Actualité juridique du droit administratif
ATIL American Journal of International Law
AJP/PJA Aktuelle Juristische Praxis = Pratique
juridique actuelle
al. alinéa
Annuaire Annuaire de la Convention européenne des
droits de 1'homme
APCE Assemblée parlementaire du Conseil de
l'Europe
art. article
ASYL Schweizerische Zeitschrift für Asylrecht und
-praxis = Revue suisse pour la pratique et le
droit d'asile
ATF Arrêts du Tribunal fédéral suisse : Recueil
officiel
AUE Acte unique européen, signé à Luxembourg
le 17 février 1986 et à La Haye le 28 février
1986
av.gén. avocat général à la Cour de justice des
Communautés européennes
AVR Archiv des Vôlkerrechts

IX
BAFl. Bundesamt für die Anerkennung
ausliindischer Flüchtlinge (Allemagne)
BayVGH Bayerisches Verwaltungsgerichtshof
BIVS Berliner Institut für Vergleichende
Sozialforschung
Bull. Bulletin des Communautés européennes ;
depuis 1993 : Bulletin de l'Union
européenne
CA Court of Appeal (Royaume-Uni)
CAA Cour administrative d'appel (France)
CAAS Convention d'application de l'Accord de
Schengen du 14 juin 1985, signée à
Schengen le 19 juin 1990
CAHAR Comité ad hoc sur les aspects juridiques de
l'asile territorial et des réfugiés (Conseil de
l'Europe)
Cah. dr. eur. Cahiers de droit européen
CD Convention relative à la détermination de
l'État responsable de l'examen d'une
demande d'asile présentée dans 1'un des
États membres des Communautés
européennes, signée à Dublin le 15 juin 1990
(«Convention de Dublin»)
CDE Convention relative aux droits de l'enfant,
adoptée à New York le 20 novembre 1989
CDFUE Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne
CE Communauté européenne
CEDH Convention de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales,
signée à Rome le 4 novembre 1950
(« Convention européenne des droits de
l'homme»)
CEE Communauté économique européenne
CEPS Centre for European Policy Studies

x
CERE Conseil européen sur les réfugiés et les
exilés
cf. confer
CG Convention relative au statut des réfugiés,
signée à Genève le 28 juillet 1951
(« Convention de Genève »)
chap. chapitre
CJAI Coopération en matière de justice et affaires
intérieures
CJCE Cour de justice des Communautés
européennes
CJEL Columbia Journal of European Law
CMLR Common Market Law Review
Com.DH Comité des droits de l'homme (Organisation
des Nations Unies)
Com.DE Comité des droits de l'enfant (Organisation
des Nations Unies)
Com.Ex.HCR Comité exécutif du programme du Haut
Commissaire des Nations Unies pour les
réfugiés
comm. communication
Comm.EDH Commission européenne des droits de
l'homme (Conseil de l'Europe)
cons. considérant
Cour EDH Cour européenne des droits de l'homme
(Conseil de l'Europe)
DCSI Il diritto comunitario e degli scambi
intemazionali
DIC Diritto, immigrazione e cittadinanza
doc. document
doc. CNS document du Conseil de l'Union européenne
doc. COM document de la Commission européenne -
communications et propositions législatives

XI
doc. NU document des organes de l'Organisation des
Nations Unies
doc. SEC Document de travail des services de la
Commission européenne
DR Décisions et rapports de la Commission
européenne des droits de l'homme
DRC Danish Refugee Council
DUDH Déclaration universelle des droits de
l'homme, adoptée à Paris le 10 décembre
1948
DUE Il diritto dell'Unione europea
éd. édition
éd./ éds. éditeur(s)
EHRLR European Human Rights Law Review
EIPA European Institute of Public Administration
EJIL European Journal oflntemational Law
EJML European Journal of Migration and Law
ELJ European Law Journal
ELR European Law Review
ELSJ Espace de liberté, de sécurité et de justice
EPL European Public Law
etc. et cetera
EUI European University Institute
EuR Europarecht
Europe Revue Europe (éd. du Juris-Classeur)
EuZW Europiiische Zeitschrift für Wirtschaftsrecht
FF Feuille fédérale suisse
GC Grande Chambre (formation de la Cour
européenne des droits de l'homme)
GEDAP Groupe d'étude de démographie appliquée

XII
Giur. Cost. Giurisprudenza constituzionale
Giur. It. Giurisprudenza italiana
GYIL German Yearbook of International Law
HCDH Haut Commissariat des Nations Unies aux
Droits de l'Homme
HCR Haut Commissariat des Nations Unies pour
les Réfugiés
HHRLJ HarvardHuman Rights Law Journal
HLR Harvard Law Review
HRQ Human Rights Quarterly
HRLJ Human Rights Law Journal
IANL Immigration, Asylum and Nationality Law
i.e. id est
ICLQ International and Comparative Law
Quarterly
ICMPD International Centre for Migration Policy
Development
IJRL International Journal of Refugee Law
InfAuslR Informationsbrief AusHinderrecht
Imm. AR Immigration Appeal Reports
ISB Irish Statute Book
JEMS Journal ofEthnic and Migration Studies
JO Journal officiel des Communautés
européennes ; depuis février 2003 : Journal
officiel de l'Union européenne
JORF Journal officiel de la République Française
JRS Journal ofRefugee Studies
lit. lettre
loc. cit.. loco citato
Migralex Zeitschrift für Fremden- und
Minderheitenrecht

XIII
MJECL Maastricht Journal of European and
Comparative Law
Mt l'Évangile selon saint Matthieu
numéro
NdA Note de l'auteur
NJlL Nordic Journal of International Law
NQHR Netherlands Quarterly ofHuman Rights
NRC Norwegian Refugee Council
OIR Organisation internationale des réfugiés
OIT Organisation internationale du travail
ONU Organisation des Nations Unies
OPOCE Office des publications officielles des
Communautés européennes
p. page
par ex. par exemple
PE Parlement européen
PESE Programme en faveur des enfants séparés en
Europe
PIDCP Pacte international relatif aux droits civils et
politiques, adopté à New York le 16
décembre 1966
Plén. Plénière (formation de la Cour européenne
des droits de l'homme)
pp. pages
QBD High Court of Justice, Queen's Bench
Division (Royaume-Uni)
RAE Revue des affaires européennes
RCADE Recueil des cours de l'Académie de droit
européen
RCADI Recueil des cours de 1'Académie de droit
international

XIV

------------,
~ ~ '
RD Règlement n° 343/2003, dit« Dublin II»
RDAF Revue de droit administratif et de droit fiscal
RDI Rivista di diritto intemazionale
RDUE Revue du droit de l'Union européenne
RE Règlement n° 1560/2003, portant modalités
d'application du Règlement n° 343/2003
Rec. Recueil de la jurisprudence de la Cour de
justice des Communautés européennes
Rec.NU Recueil des traités de l'Organisation des
Nations Unies
Rec. SDN Recueil des traités de la Société des Nations
Recueil Recueil des arrêts et décisions de la Cour
européenne des droits de l'homme
req. requête
RFDA Revue française de droit administratif
RIDPC Rivista italiana di diritto pubblico
comunitario
RMCUE Revue du marché commun et de l'Union
européenne
RO Recueil officiel des lois fédérales suisses
RRJ Revue de la recherche juridique
RS Recueil systématique du droit fédéral suisse
RSQ Refugee Survey Quarterly
RTDE Revue trimestrielle de droit européen
RTDH Revue trimestrielle des droits de l'homme
SCH-ComEx Comité Exécutif Schengen
SDN Société des Nations
Série NU Série des traités des Nations Unies
Série SDN Série des traités de la Société des Nations
SFDI Société française pour le droit international

xv
ss suivant(e)s
SSHD Secretary of State for the Home Department
(Royaume-Uni)
STE Série des traités européens (Conseil de
l'Europe)
TA Tribunal administratif (France)
TC Traité établissant une Constitution pour
l'Europe, signé à Rome le 29 octobre 2004
(« Traité Constitutionnel »)
TCE/ TCEE Traité instituant la Communauté
(économique) européenne, signé à Rome le
25 mars 1957 (« Traité CE » 1 « Traité
CEE»)
TPI Tribunal de première instance des
Communautés européennes
TUE Traité sur l'Union européenne, signé à
Maastricht le 7 février 1992 («Traité UE »)
UBAS Unabhangiger Bundesasylsenat (Autriche)
UE Union européenne
UNRRA Administration des Nations Unies pour le
secours et la reconstruction (United Nations
Relief and Rehabilitation Administration)
VfGH Verfassungsgerichtshof (Autriche)
VfSlg Sammlung der Erkenntnisse und
Wichtigsten Beschlüsse des
Verfassungsgerichtshofes
VllL Virginia Journal of International Law
vol. volume
VwG Verwaltungsgericht (Allemagne)
VwGH Verwaltungsgerichtshof (Autriche)
WHI Walter Hallstein Institut
WLR Weekly Law Reports

XVI
ZAR Zeitschrift für AusHinderrecht und
Ausliinderpolitik
ZaoRV Zeitschrift für ausliindisches offentliches
Recht und Volkerrecht

XVII
Introduction

1 Le juriste contemporain appréhende généralement la problématique des


migrations forcées dans sa dimension individuelle. Son regard se fixe sur le
migrant forcé, le réfugié, l'exilé, le fugitif. L'article 14 de la Déclaration
universelle des droits de l'homme 1 fournit une belle illustration de cette
optique (italiques ajoutés) :
Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de
bénéficier de l'asile en d'autres pays.

À l'autre extrême, c'est la dimension collective des migrations forcées qui est
souvent mise en lumière. Le regard est alors tourné sur le déplacement d'une
multitude, d'un peuple. Ainsi Énée, au moment suprême de la fuite d'ilion en
flammes, retrouve son peuple prêt à l' exi12 :
Sic demum socios consumpta nocte reviso. - Atque hic ingentem comitum
adfluxisse novorum - lnvenio admirans numerum, matresque virosque, -
Collectam exilio pubem, miserabile vulgus.

Plus prosaïquement, c'est à cette dimension que se réfèrent les expressions


modernes d'« afflux massif» de réfugiés et de personnes déplacées 3.
Le phénomène des migrations forcées présente toutefois une autre dimension,
qu'on peut qualifier d'intermédiaire entre la dimension individuelle et la
dimension collective. Il entretient des relations étroites, presque nécessaires,
avec la sphère familiale. En effet, comme tout être humain, le migrant forcé
est normalement inséré dans un tissu de relations sociales et, plus
spécifiquement, de parenté. Un événement tel la fuite du pays d'origine- qui
bouleverse le cadre habituel de son existence - est susceptible d'avoir de
multiples répercussions sur ces relations.

AGNU, Résolution n° 217 (ill) du 10 décembre 1948.


2
VIRGILE, Énéide, chant Il, vers 795-798.
Cette expression est employée dans plusieurs conclusions adoptées par le Comité
Exécutif du HCR: voir par ex. la Conclusion no 100 (LV) 2004 sur la coopération
internationale et le partage de la charge et des responsabilités dans les afflux massifs.
Elle est également employée en droit communautaire : voir la Directive no 2001/55
relative à des normes minimales pour 1'octroi d'une protection temporaire en cas
d'afflux massif de personnes déplacées (JO 2001 L 212/12).

1
2 Typiquement, la fuite comporte un grave risque de rupture des liens
familiaux. Une séparation plus ou moins involontaire du migrant de ses
proches peut en effet intervenir au moment de la sortie du pays voire plus
tard, en raison des circonstances factuelles entourant le voyage vers le pays de
destination ou l'arrivée dans ce dernier. Souvent, d'ailleurs, ce sont les
autorités mêmes de ce pays qui érigent des obstacles au maintien des liens
familiaux préservés à travers les vicissitudes de la fuite 4•
Mais les liens entre la migration forcée et la sphère familiale vont au-delà de
cet aspect. Il arrive en effet que le migrant forcé aspire à rejoindre des
membres de sa famille qui se trouvent déjà à l'étranger- il s'agit d'ailleurs,
comme l'indiquent les études publiées en la matière, d'un des facteurs
déterminants dans le choix du pays de destination 5• Ou encore, il se peut que
le migrant forcé noue des relations familiales dans les pays où il trouve, de
manière précaire ou durable, refuge.
Cette vaste palette de situations ne connaît qu'une seule constante : plus
encore que toute autre personne, le migrant forcé - traumatisé par l'exil,
déraciné, à la recherche de nouvelles bases sur lesquelles fonder son existence
- a besoin de la présence et du soutien de ses proches, dont dépendent tant
son bien-être moral et matériel que ses chances d'intégration dans la société
d'accuei16 .
3 Face à ce besoin fondamental, la communauté internationale maintient
une attitude ambivalente.
L'importance de la famille pour le bien-être et l'épanouissement de chaque
individu est largement reconnue dans les instruments internationaux de
protection des droits fondamentaux. Ainsi, en particulier, le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques7 dispose en son article 23
§ 1 que «la famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a

4
Voir HCR, Guidelines on reunification of refugee families, Genève, 1983. Voir
également K. JASTRAM, K. NEWLAND, Family unity and refugee protection, in:
E. FELLER, V. TÜRK, F. NICHOLSON (éds.), Refugee protection in international
law- UNHCR's global consultations on international protection, Cambridge (CUP),
2003, pp. 555-603, aux pp. 556-562.
Voir notamment A. BOCKER, T. HAVINGA, Country of asylum by choice or by
chance: asylum-seekers in Belgium, the Netherlands and the UK, JEMS (1999),
pp. 43-61.
6
Voir J. C. HATHAWAY, The rights ofrefugees under international law, Cambridge
(CUP), 2005, p. 533.
7
Adopté par AGNU, Résolution n° 2200 (XXI) du 16 décembre 1966, Série NU
n° 14668, Rec. NU, vol. 999, p. 171.

2
droit à la protection de 1'État » et proscrit, en son article 17, les « immixtions
arbitraires ou illégales » dans la famille.
Et pourtant, lorsqu'il s'agit de la constitution ou de la reconstitution de l'unité
de la famille du migrant dans le pays d'accueil, la logique des droits
fondamentaux se heurte à celle du contrôle de l'État sur l'entrée et le séjour
des étrangers.
4 Le droit international relatif à la migration familiale reflète fidèlement la
difficile coexistence de ces deux logiques. Ainsi, la pratique internationale est
riche en déclarations reconnaissant l'importance fondamentale de l'unité
familiale pour les migrants et pour les migrants forcés en particulier8• Ces
déclarations se reflètent d'ailleurs dans une pratique nationale qui réserve un
traitement de faveur à l'immigration familiale par rapport à l'immigration
«primaire » 9. Cependant, la réticence des États envers toute perte de contrôle
sur l'admission des étrangers dans le territoire national est clairement visible
dans la pauvreté des engagements internationaux assumés en matière de
regroupement familial. Les dispositions conventionnelles ayant explicitement
trait à cette question sont effectivement rares. Lorsqu'elles existent, soit elles
sont peu contraignantes 10, soit elles font l'objet de réserves, voire d'un refus
de ratification de la part des principaux pays d'immigration 11 . Le conflit entre
l'exigence d'une protection efficace de la famille, d'une part, et les nécessités
du contrôle migratoire, d'autre part, se manifeste encore au plan des
définitions. Les grands textes en matière de droits fondamentaux se gardent
de définir en détail les notions de « famille » ou de « vie familiale ». Cette
approche ouverte permet de prendre en compte la multiforme réalité sociale
8
Voir notamment la Recommandation B, adoptée par la Conférence de plénipotentiaires
des Nations Unies sur le statut des réfugiés et des apatrides lors de la signature de la
Convention de Genève sur le statut des réfugiés du 28 juillet 1951 (Acte final de la
Conférence, Rec. NU, vol. 185, p. 146). Voir également les Conclusions du Comité
Exécutif du HCR no 9 (XXVIII) 1977, no 24 (XXXII) 1981, et no 88 (L) 1999.
9
Voir R. PLENDER, International migration law, Dordrecht/Boston/Londres (Martinus
Nijhoff), 2• éd., 1988, p. 366-367.
10 À titre d'exemple, voir la Convention n° 143 de l'OIT sur les travailleurs migrants
(dispositions complémentaires), du 23 juin 1975, art. 13.
11
La première circonstance s'est vérifiée, par exemple, avec l'article 10 de la Convention
relative aux droits de l'enfant (AGNU, Résolution no 44/25 du 20 novembre 1989,
série NU no 27531, Rec. NU, vol. 1577, p. 3, entrée en vigueur le 2 septembre 1990):
cf. infra, chap. VIl, note 25. La seconde s'est en revanche vérifiée avec la Convention
internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des
membres de leur famille (adoptée par AGNU, Résolution no 45/158 du 18 décembre
1990, série NU no 39481, entrée en vigueur le 1•r juillet 2003). En l'état actuel, cette
Convention n'a été ni signée ni ratifiée par les principaux pays industrialisés.

3
des rapports familiaux - qui dans certaines sociétés couvrent une vaste
constellation de rapports personnels - et leur constante évolution 12• En
revanche, lorsque la famille est appréhendée dans un contexte migratoire, que
ce soit au niveau national, européen ou international, elle est disséquée en
définitions légales qui finissent par la réduire le plus souvent à son minimum
irréductible, la « famille nucléaire » constituée par le couple et les enfants
. 13
rumeurs .
5 Cette tension entre la protection de la famille, d'une part, et le contrôle
des flux migratoires, d'autre part, traverse et caractérise ce qu'il conviendra
d'appeler dans le présent ouvrage le «système de Dublin». Il s'agit d'un
système réglementaire qu'un nombre croissant d'États européens appliquent
dans leurs relations mutuelles depuis onze ans 14 - dont les règles de
fonctionnement résultent actuellement du Règlement CE n° 343/2003 15 - et
qui a pour objet de déterminer lequel, parmi les États partenaires, est
responsable de l'examen de la demande d'asile présentée par un ressortissant
d'un pays tiers sur leur territoire.
Témoignent de l'existence de cette tension, et de son ampleur, le préambule
du Règlement no 343/2003 16 , les études qui ont été consacrées au système de
Dublin17 , ainsi que la pratique d'application de ce dernier18 •

12
Voir G. VAN BUEREN, The international law on the rights of the child,
Dordrecht/Boston/Londres (Martinus Nijhoff), 1995, p. 68; J. APAP,
N. SITAROPOULOS, The right to family unity and reunification of third country
migrants in host states: aspects of international and European law, 2001,
(www .december18.net/paper53EurFamilyReunification. pdf), pp. 2-7.
13
Pour un excellent exemple, voir l'article 4 de la Directive no 2003/86 relative au droit
au regroupement familial (JO 2003 L 251/12).
14 '
Parmi certains Etats membres, le système de Dublin est d'application, en sa version
ante litteram résultant de la Convention de Schengen, depuis le 26 mars 1995
(cf. infra, chap. II, no 38 et 46).
15 JO 2003 L 50/1.
16
Règlement no 343/2003 (note précédente), cons. 6: «Il y a lieu de préserver l'unité
des familles dans la mesure où ceci est compatible avec les autres objectifs poursuivis
par l'établissement de critères et mécanismes de détermination de l'État membre
responsable de l'examen d'une demande d'asile».
17
Voir en particulier K. HAILBRONNER, C. THIERY, Schengen II and Dublin:
responsibility for asylum applications in Europe, CMLR (1997), pp. 957-989, aux
pp. 968-969; A. HURWITZ, The 1990 Dublin Convention : a comprehensive
assessment, IJRL (1999), pp. 646-677, à la p. 676; U. BRANDL, Distribution of
asylum seekers in Europe ? Dublin II Regulation determining the responsibility for
examining an asylum application, in: C. DIAS URBANO DE SOUSA, P. DE

4
6 La source immédiate du problème réside dans deux caractéristiques des
critères de détermination de l'État responsable sur lesquels repose le système
de Dublin. Ces critères sont «objectifs», en ce sens qu'ils font abstraction
des préférences du demandeur d'asile quant à son pays de destination, et ils
sont pour la plupart «formels» ou «abstraits», en ce sens qu'ils sont
largement fondés sur des faits et circonstances qui n'ont aucun rapport avec
les liens matériels, et notamment familiaux, qu'un demandeur d'asile peut
avoir avec tel ou tel autre pays.
Sur le plan humain, les fréquentes atteintes à l'unité de la famille engendrées
par 1' application du système de Dublin sont la cause de souffrances
considérables pour les demandeurs d'asile et leurs proches. Sur le plan
juridique, elles soulèvent des questions quant à 1' observation du droit au
respect de la vie familiale, garanti notamment par la Convention européenne
des droits de l'homme 19 •
7 La présente étude est consacrée à cette problématique.
Elle se compose de trois parties. La première partie est consacrée au contexte
juridique et politique du système de Dublin. Son objet est de présenter les
sources de droit international pertinentes - sous 1' angle notamment des
limites qu'elles imposent au droit des États de contrôler l'entrée et le séjour
des étrangers- et l'évolution géographique, matérielle et formelle du système
de Dublin dans le cadre du développement d'une politique européenne
d'asile. La deuxième partie comprend une analyse des dispositions relevant
du système de Dublin, et plus spécifiquement de celles qui ont trait à la
problématique de l'unité familiale. C'est dans cette partie que seront tracés
avec plus de précision les contours et les formes des atteintes que le système
de Dublin est susceptible de porter à la vie familiale des personnes qu'il
concerne. La troisième partie, enfin, a pour objet de mettre en lumière les
liens systémiques des règles de Dublin avec le droit européen et international

BRUYCKER (éds.), L'émergence d'une politique européenne d'asile, Bruxelles


(Bruylant), 2004, pp. 33-69, aux pp. 41-42 et 46.
18
Voir DANISH REFUGEE COUNCIL, The Dublin Convention - Study on its
Implementation in the 15 Member States of the European Union, Copenhagen (Danish
Refugee Council), 2001, (www.drc.dk), pp. 69-84; CERE, Report on the application
of the Dublin 11 Regulation in Europe, 2006, (www.ecre.org) pp. 158-160 ; HCR, The
Dublin II Regulation - A UNHCR discussion paper, Bruxelles, 2006,
(www.unhcr.org), pp. 21-29.
19
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, STE
no 5, signée à Rome le 4 novembre 1950, entrée en vigueur le 3 septembre 1953. Voir
à ce sujet la doctrine citée à la note 17.

5
de la protection des droits fondamentaux, et d'en tirer les conséquences qui
s'imposent sur le plan de leur interprétation et application.

6
Première partie

Le contexte juridique et politique du


système de Dublin
Chapitre premier
Le système de Dublin et son contexte international

1 Le droit européen de 1' asile est né et se développe dans le contexte du


droit international des réfugiés et des droits de l'homme. Il y plonge ses
racines, en tire ses bases conceptuelles, y trouve son cadre et ses limites (voir
notamment articles 6 § 2 TUE et 63 n° 1 TCE).
Une étude consacrée à l'étude du système de Dublin ne saurait donc être
entreprise sans présenter, ne fût-ce que brièvement, les normes et principes de
droit international qui en constituent juridiquement la toile de fond.

A. Le souverain territorial et la circulation internationale


des personnes

2 Selon un principe bien établi de droit international, l'État a le droit de


contrôler 1' entrée et le séjour des étrangers sur son territoire, et le cas échéant
de les en exclure ou de les en éloigner. Il s'agit là d'un corollaire de sa
souveraineté territoriale1• Cette prérogative étatique, il y a lieu de le noter tout
de suite, constitue la prémisse juridique implicite, mais indispensable, du
système de Dublin.
Ce dernier s'analyse- selon la terminologie de Tom CLARKE et de François
CRÉPEAU - en un human transfer agreemenl Il a pour objet d'« assigner»

L'existence de ce droit n'est point controversée. Ses limites sont en revanche plus
débattues. Pour une perspective historique, voir A. VERDROSS, Les règles
internationales concernant le traitement des étrangers, in: RCADI, 1931, vol. 37,
pp. 323-412; R. PLENDER, International migration law, Dordrecht/Boston/Londres
(Martinus Nijhoft), 2• éd., 1988, pp. 61-94. Pour une tractation générale de la matière
voir G. S. GOODWIN-GILL, International law and the movement of persans between
States, Oxford (OUP), 1978 ; A. ACHERMANN, Migration und Volkerrecht, in:
A. ACHERMANN, A. EPINEY, W. KÂLIN, M. S. NGUYEN (éds.), Annuaire du
droit de la migration 2004/2005, Berne (Stiimpfli), 2005, pp. 89-97.
2
C'est-à-dire un « [arrangement] for State-to-State transfer of persans» (f. CLARK,
F. CRÉPEAU, Human rights in asylum sharing and other human transfer agreements,

9
un étranger à la juridiction et- physiquement - au territoire d'un des États
qui participent à sa mise en œuvre, et organise des procédures de prise et
reprise en charge - au besoin au travers de moyens de contrainte - des
demandeurs qui viennent à se trouver, sans permission, dans le territoire d'un
autre Étae.
3 Dans la mesure où il repose sur le droit de l'État d'éloigner les étrangers
de son territoire, le système de Dublin est également concerné par ses limites.
En effet, les fréquentes formulations en termes absolus du droit d'exclusion et
d'expulsion contrastent avec le droit et la pratique internationaux. Sans qu'il
soit nécessaire de rappeler ici les termes du débat doctrinal sur les limites que
lui apporte le droit international coutumier4 , il est incontesté que l'exercice de
ce droit puisse être encadré par voie conventionnelle5• L'exemple classique
est constitué par les régimes de libre établissement - dont le régime de libre
circulation établi au sein de l'Union européenne constitue l'exemple le plus
abouti. Mais des limites au droit de contrôler 1' entrée et le séjour des
étrangers dérivent également des deux branches du droit international qui
présentent un lien immédiat avec 1'objet du présent ouvrage : le droit
international des réfugiés et le droit international des droits de l'homme.

B. Le régime international de la protection des réfugiés

1. Le siècle des réfugiés


4 Le XXe siècle a été, selon l'expression d'Heinrich BÔLL, le «siècle des
réfugiés» 6 • Certes, le drame des hommes et des femmes quittant leur terre en

NQHR (2004), pp. 217-240, à la p. 217 ; voir également, pour des références expresses
au système de Dublin, aux pp. 230 ss).
3
L'État responsable est en effet tenu d'admettre ou de réadmettre le demandeur d'asile
qui se trouve dans un autre État membre sans permission : voir Règlement n° 343/2003
(JO 2003 L 5011), art. 16. Pendant la procédure de détermination de l'État responsable,
l'État saisi de la demande d'asile se trouve dans une position similaire : voir
Règlement no 343/2003, art. 4 § 5.
4
Voir G. S. GOODWIN-GILL (note 1), ainsi que J. A. R. NAFZIGER, The general
admission of aliens under international law, AJIL (1983), pp. 804-847.
5
Pour une esquisse de la pratique internationale voir A. ACHERMANN (note 1), aux
pp. 90-100.
6
« /ch denke, dass unser Jahrhundert, wenn es einmal einen Namen bekommen wird,
das Jahrhundert der Flüchtlinge genannt werden wird » (H. BOLL, 1980).

10

----- ---:.-:?1
quête d'asile traverse les époques de l'humanité, de l'antiquité jusqu'à la fin
du XIXe siècle7 • Et pourtant, deux faits nouveaux se produisent au xxe siècle,
justifiant ainsi - particulièrement aux yeux du juriste - la définition de
Heinrich BÔLL. D'une part, le «problème. des réfugiés» acquiert une
dimension et une complexité jamais atteintes au cours des époques
précédentes. D'autre part, son caractère international est pleinement reconnu
et un régime international visant spécifiquement à y apporter des solutions
voit le jour.

2. La période de l'entre-deux-guerres: la naissance d'un


régime international des réfugiés
5 Les bouleversements politiques qui suivirent la première guerre mondiale
forcèrent plusieurs millions de personnes à fuir leurs pays d'origine. Les
groupes principaux de réfugiés provenaient de Russie et d'Asie Mineure -
Grecs et Arméniens, les premiers fuyant vers la Grèce après la fin de la guerre
Greco-Turque de 1919-1923, les deuxièmes, une minorité n'ayant pas d'État
national, fuyant la politique de génocide menée à leur encontre par le nouvel
État turc 8 . Une partie de ces réfugiés fut rapidement intégrée dans les États
nationaux où leur ethnie était majoritaire. Tel fut le cas notamment des Grecs
d'Asie Mineure9 • Pour d'autres, notamment pour les Russes et les Arméniens,
la recherche d'un pays d'asile fut en revanche dramatiquement difficile. Alors

7
Des textes qui renvoient à un passé lointain nous disent de la fuite ou de l'exil
d'individus, de familles et de peuples. Parmi les textes bibliques, voir notamment le
Psaume 137 et l'épisode de la fuite en Égypte (Mt 2: 13-23). Voir également, pour une
analyse du thème de l'exil en littérature classique, R. GORMAN, Poets, playwrights,
and the politics of exile and asylum in ancient Greece and Rome, URL (1994),
pp. 402-424. Le NOUVEAU PETIT ROBERT, édition de 1996, date à l'année 1435
l'emploi du terme « réfugié » pour désigner « une personne qui a dû fuir son pays
d'origine afin d'échapper à un danger». L'exode des Huguenots de la France de Louis
XN et la fuite des aristocrates « expatriés » de la France révolutionnaire peuvent être
considérés comme les deux premiers mouvements de réfugiés de 1' époque moderne
(voir L. BARNETT, Global governance and the evolution of the international refugee
regime, URL (2002), pp. 239-262, aux pp. 239-240). D'autres migrations forcées
suivent au cours du XIX siècle, dont notamment celle des Juifs fuyant les pogroms qui
ensanglantent la Russie tsariste et l'Europe orientale.
8
Sur le problème des réfugiés dans l'Europe de l'entre-deux-guerres voir C. M.
SKRAN, Refugees in inter-war Europe, Oxford (OUP), 1995, pp. 31-61.
9
D'autres groupes de réfugiés ou de personnes déplacées furent accueillis, non sans
grandes difficultés, dans leurs États nationaux respectifs (par ex. les Bulgares
provenant de Macédoine): voir C. M. SKRAN (note précédente), pp. 41-48.

11
que les réfugiés des époques précédentes avaient pu pour la plupart immigrer
sans difficulté dans des États d'accueil, notamment au sein du «Nouveau
Monde », ces réfugiés du xxe siècle trouvèrent partout sur leur chemin des
frontières fermées et des régimes d'immigration faisant obstacle à leur
établissement 10 • Privés de la protection diplomatique de leurs pays d'origine,
voire de leur nationalitéu, ils étaient souvent dans l'impossibilité de se
procurer les documents d'identité nécessaires pour traverser les frontières.
Une fois gagné l'accès à un pays de refuge, ils se trouvaient dans une
situation juridique « anormale » et particulièrement défavorable, dans la
mesure où ils ne pouvaient notamment pas se réclamer des avantages réservés
aux étrangers sous réserve de réciprocité 12 • Ainsi, dans de nombreux pays
d'Europe se constituèrent des masses de personnes démunies de tout, privées
à la fois de la possibilité de vivre sur place et d'émigrer ailleurs, constamment
exposées au risque d'être expulsées. Ce risque était d'ailleurs loin d'être
théorique puisque ces « personnes déplacées » constituaient pour plusieurs
États d'accueil un grave problème économique, social et dans certains cas
d'ordre public 13 •
6 Cette situation déstabilisante poussa la communauté internationale à agir.
En 1921, la Société des Nations (ci-après« SDN») nomma en la personne de
Fridtjof Nansen le premier Haut Commissaire pour les réfugiés. Son mandat
couvrait initialement les seuls réfugiés russes et fut ensuite étendu à d'autres
groupes de réfugiés : Arméniens, Turcs, Assyriens, Assyro-Chaldéens. Sa
mission était de coordonner l'assistance à ces réfugiés, de chercher des
solutions durables à leur situation par leur rapatriement ou par leur
assimilation dans une société d'accueil, et enfin d'élaborer leur statut
juridique. Les conférences intergouvernementales convoquées sur son
initiative et sous l'égide de la SDN adoptèrent entre 1922 et 1928 cinq
Arrangements ayant trait à cette dernière problématique 14• Après la mort de

10
Sur l'émergence des régimes modernes d'immigration en Europe et en Amérique, et
sur ses conséquences pour les réfugiés de l'entre-deux-guerres, voir J. C.
HATHAWAY, The international refugee rights regimes, in: RCADE, 2000, vol. VIII,
livre 2, pp. 91-139, aux pp. 105-106. Voir également C. M. SKRAN (note 8), pp. 21-
29.
ll
En 1922, l'Union Soviétique retira par décret la nationalité à la vaste majorité des
réfugiés russes : voir C. M. SKRAN (note 8), pp. 102.
12
Voir J. C. HATHAWAY (note 10), aux pp. 105-106.
13
Pour une illustration, voir C. M. SKRAN (note 8), pp. 38-39.
14
Il s'agissait de l'Arrangement relatif à la délivrance de certificats d'identité aux
réfugiés russes du 5 juillet 1922 (série SDN n° 355, Rec. SDN, vol. XIII, p. 237), de
l'Arrangement relatif à la délivrance des certificats d'identité aux réfugiés arméniens
du 31 mai 1924 (non publié), de l'Arrangement relatif à la délivrance des certificats

12
Nansen, les dispositions de ces Arrangements - qui étaient dénués de force
obligatoire - furent reprises, perfectionnées et complétées par la Convention
du 28 octobre 1933 relative au statut international des réfugiés 15 .
7 La prise du pouvoir en Allemagne par le parti national-socialiste, sa
politique de persécution de la minorité juive et des opposants politiques et
l'expansion géographique du Troisième Reich à la Sarre, à l'Autriche et aux
Sudètes provoquèrent, au cours des années 1930, de nouvelles vagues de
réfugiés 16 . Le statut juridique des réfugiés provenant d'Allemagne fit l'objet
en 1936 d'un Arrangement provisoire 17, et ensuite de la Convention du
10 février 1938 relative au statut des réfugiés provenant d' Allemagne 18 •
8 Entre 1921 et 1938, le premier régime international des réfugiés vit ainsi
le jour, et avec lui le concept même de «réfugié» en tant que notion de droit
international.
Les premières définitions conventionnelles, considérablement moins larges
par rapport à la définition de réfugié qui prévaut dans l'usage courant 19 ,
visaient les personnes (a) d'origine russe, arménienne, allemande, etc. (b) se
trouvant hors de leur pays d'origine, (c) privées de jure ou de facto de la
protection de ce pays et (d) n'ayant pas acquis une nouvelle nationalité0•

d'identité aux réfugiés russes et arméniens, complétant et amendant les deux


Arrangements antérieurs, du 12 mai 1926 (série SDN no 2004, Rec. SDN,
vol. LXXXIX, p. 47), de l'Arrangement relatif au statut juridique des réfugiés russes et
arméniens du 30 juin 1928 (série SDN n° 2005, Rec. SDN, vol. LXXXIX, p. 53) et de
l'Arrangement relatif à l'extension à d'autres catégories de réfugiés de certaines
mesures prises en faveur des réfugiés russes et arméniens (série SDN no 2006,
Rec. SDN, vol. LXXXIX, p. 63).
15
Série SDN n° 3663, Rec. SDN, vol. CLIX, p. 199.
16
Les autres principales catégories de réfugiés de cette période furent les exilés
politiques du régime fasciste italien et les républicains espagnols fuyant le régime
phalangiste après la fin de la guerre civile (voir C. M. SKRAN, note 8, pp. 55-59).
17
Série SDN n° 3952, Rec. SDN, vol. CLXXl, p. 75.
18
Série SDN no 4461, Rec. SDN, vol. CXCII, p. 59. La Convention de 1938 et
l'Arrangement provisoire de 1936 furent complétés, après l'Anschluss, par un
Protocole additionnel du 14 septembre 1939 relatif aux réfugiés provenant de
l'Autriche (série SDN no 4634, Rec. SDN, vol. CXCVID, p. 141).
19
Cf. supra, note 7.
20
Voir la 2e résolution des Arrangements de 1926 et de 1928 (note 14), l'article 1er de la
Convention de 1933 (note 15), ainsi que l'article 1er de l'Arrangement de 1936
(note 17), de la Convention de 1938 et du Protocole de 1939 (note 18). Il y a lieu de
préciser que seuls les instruments de 1936-1939 incluaient dans leurs définitions de
réfugié les personnes privées de facto de la protection du gouvernement de leur État
d'origine. Sur 1' importance de cette évolution, voir J. C. HATHAWAY, The evolution

13
Ces personnes étaient mises au bénéfice d'un regtme visant, d'abord, à
résoudre certains problèmes spécifiquement liés à leur condition
juridiquement anormale21 . De plus, sans aller jusqu'à obliger les États à
admettre durablement les réfugiés sur leur territoire, les Conventions de 1933
et de 1938 interdisaient aux États de les refouler, respectivement, vers leurs
pays d'origine ou vers le territoire du Troisième Reich22 . Enfin, elles
garantissaient aux réfugiés certains standards de traitement dans leurs pays
d'accueil au sujet, par exemple, de l'accès à l'emploi, à l'éducation et aux
services sociaux.
9 Le régime de la protection internationale des réfugiés que nous avons
brièvement décrit présentait de nombreux points de contact avec le régime
. dont notamment 1es trOis
contemporam, . smvants
. 23
:
Les États avaient accepté, au travers des Arrangements et des
Conventions précités, des limitations à leur droit de contrôler
l'admission des étrangers en faveur de personnes déracinées,
dépossédées et vulnérables.
Ces concessions aux impératifs de la solidarité humaine étaient
toutefois scrupuleusement encadrées par la délimitation du cercle de
leurs bénéficiaires (définitions légales de « réfugié »), d'une part, et
de la portée des engagements assumés, d'autre part.
L'accueil des réfugiés y était envisagé à la fois comme un devoir
humanitaire et comme un «fardeau» pour l'État d'accueil exigeant,
au besoin, une réponse solidaire de la part de la communauté
internationale.

of refugee status in international law 1920-1950, ICLQ (1984), pp. 348-380, aux
pp. 361-370. Voir également E. M. MAFROLLA, L'evoluzione del regime
internazionale in materia d'asilo: tra sovranità territoriale e dovere umanitario,
RIDU (2001), pp. 532-558, à la p. 538.
21 À cette fin, les instruments de l'entre-deux-guerres prévoyaient en particulier (1) la
délivrance de documents d'identité permettant aux réfugiés de traverser les frontières
internationales (certificats Nansen: Convention de 1933, note 15, art. 2); la prestation
de certains services consulaires par le HCR (Arrangement de 1928, note 14, § 2) ;
l'exemption de l'application des «clauses de réciprocité» et le règlement d'autres
questions relatives par ex. à la détermination de la loi applicable au statut personnel du
réfugié (Convention de 1933, note 15, articles 4 et 14).
22
Voir la Convention de 1933 (note 15), art. 3, et la Convention de 1938 (note 18), art. 5
§ 3.
23
Pour une discussion plus détaillée voir C. M. SKRAN (note 8), pp. 293-295.

14
3. Le deuxième après-guerre: la fondation du régime
contemporain des réfugiés
10 La deuxième guerre mondiale fut le théâtre de nouveaux exodes massifs
de populations, notamment en Europe. En 1945, dans ce continent ravagé, on
estimait à plus de quarante millions le nombre des personnes ayant fui leur
place de résidence habituelle ou ayant été déportées.
Avant même la fin du conflit, les Alliés instituèrent l'Administration des
Nations Unies pour le secours et la reconstruction (United Nations Relief and
Rehabilitation Administration : « UNRRA »). Cette organisation temporaire
était chargée essentiellement de prêter son assistance humanitaire aux
«personnes déplacées» et d'assurer leur rapatriement. En 1947, l'UNRRA
cessa ses activités et l'Organisation internationale pour les réfugies(« OIR »),
agence spécialisée non permanente des Nations Unies, fut instituée24• L'OIR
avait pour mission de trouver une solution rapide et positive, juste et équitable
pour tous les intéressés, au «problème des réfugiés »25 • Elle était ainsi
chargée de prêter son assistance aux « réfugiés » et aux « personnes
déplacées» tels que définis à l'Annexe 1 de sa Constitution, et surtout
d'assurer leur rapatriement ou leur réinstallation dans un pays hôte.
Les activités menées par l'OIR réduisirent considérablement le nombre des
réfugiés et personnes déplacées, mais n'apportèrent pas une solution complète
au problème. C'est entre 1950 et 1951, dans un contexte de confrontation
croissante entre pays occidentaux et pays communistes, que furent prises les
décisions qui jetèrent les bases du régime contemporain des réfugiés.
11 Le 14 décembre 1950, l'Assemblée générale des Nations Unies adopta le
Statut du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (ci-après,
« Statut HCR »)26• Le Statut attribuait au HCR essentiellement deux
fonctions: celle d'assurer la protection internationale des réfugiés relevant de
son mandat - en promouvant la conclusion de conventions internationales et
en supervisant leur exécution, en intervenant auprès des gouvernements en la
faveur des réfugiés et en coopérant de toute autre manière utile avec les
gouvernements et les organisations privées - et celle de rechercher des
solutions permanentes au problème des réfugiés, en oeuvrant pour leur
rapatriement volontaire ou pour leur assimilation dans les sociétés d'accueil.

24
Constitution de l'Organisation Internationale des Réfugiés, du 15 décembre 1946,
Série NU no 283, Rec. NU, vol. 18, p. 3.
25
Annexe 1 de la Constitution de l'OIR (note précédente), art. 1lit. a.
26
AGNU, Résolution no 428 (V) du 14 décembre 1950.

15
12 Le 28 juillet 1951, la Convention relative au statut des réfugiés (ci-après
« Convention de Genève » ou « CG ») fut signéé7. Entrée en vigueur le
22 avril1954, cette Convention comptait au premier mars 2006 cent quarante
trois États parties. Les rédacteurs de la Convention de Genève s'inspirèrent
des instruments antérieurs, et notamment des Conventions de 1933 et de
193828 • Son dispositif couvre cependant un gamme de problèmes plus large
que celles-ci (par ex. la liberté de religion des réfugiés et leur naturalisation
par le pays d'accueil), et assure aux réfugiés des standards plus élevés de
protection et de traitement29 . ·

13 Le régime institutionnel et juridique de protection créé par le Statut du


HCR et par la Convention de Genève, tout en bénéficiant aux personnes ayant
été considérées comme réfugiées en application des instruments de la SDN et
de la Constitution de l'OIR30, repose sur une nouvelle définition de
«re'fug1e
.. , », visant
. 31
:
[toute personne] qui[ ... ] craignant avec raison d'être persécutée du fait de
sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain
groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont
elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se
réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité
et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle [... ]
ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

Deux éléments constitutifs des définitions de réfugié de l'entre-deux-guerres


se retrouvent dans cette définition: la présence hors du pays d'origine- pour
les apatrides, de résidence habituelle - et la privation de jure ou de facto de la
protection de ce pays. Un troisième élément constitutif - le fait de ne pas
avoir acquis une nouvelle nationalité - est repris en substance par les
dispositions de la Convention de Genève et de Statut HCR, qui font de
l'acquisition d'une nouvelle nationalité une cause de cessation du statut de

27
Série NU no 2454, Rec. NU, vol. 189, p. 137.
28
Ce lien de continuité est souvent mis en exergue dans N. ROBINSON, Convention
relating to the status of refugees : its history, contents and interpretation, New York
(lnstitute of Jewish Affairs), 1953, et A. GRAHL-MADSEN, Commentary on the
Refugee Convention 1951: articles 2-11, 13-37, Genève (HCR), 1963,
29
Pour un exposé systématique du contenu de la Convention de Genève, voir notamment
J. C. HATHAWAY, The law of refugee status, TorontoNancouver (Buttèrworths),
1991 ; G. S. GOODWIN-GILL, The refugee in international law, Oxford (Clarendon
Press), 2• éd., 1996.
30 Voir Statut HCR, art. 6 A, sous (i); Convention de Genève, art. 1 A, no 1.
31
La définition ici reproduite est celle de l'art. 1 A, no 2 CG, telle qu'elle résulte du
Protocole de New York de 1967 (cf. infra, no 19). Elle coïncide en substance avec la
définition de réfugié que l'on trouve à l'art. 6 B du Statut HCR.

16
réfugië 2• La nouvelle définition rompt cependant avec les précédentes sous
deux aspects de la plus haute importance. D'une part, la nouvelle définition
de réfugié est à la fois individuelle et universelle, couvrant « toute personne »
se trouvant dans une condition déterminée et non pas des groupes de
personnes, définis en fonction de leur origine, se trouvant dans une certaine
condition. D'autre part, elle attribue une importance décisive aux motif de la
fuite, soit à la crainte fondée d'être persécuté pour des motifs exhaustivement
énumérées.
14 Ces deux profondes innovations sont la résultante du contexte politique
de la guerre froide, d'une part, et de l'ancrage du droit des réfugiés dans la
systématique des droits de l'homme, d'autre part.
Quant au premier aspect, James HATHAWAY a observé que la nouvelle
définition de réfugié couronnait les efforts des pays occidentaux visant à
donner « la priorité en matière de protection aux personnes dont la fuite était
motivée par des valeurs politiques pro-occidentales » et reflétait la volonté de
ces mêmes pays de « maximiser la visibilité internationale de [1' émigration
politique provenant des pays communistes] » 33 .
Quant au deuxième aspect, qui sera également abordé infra, aux no 27 ss., il y
a lieu de relever pour l'instant la consonance entre la nouvelle définition
individualiste de réfugié et l'affirmation solennelle faite par l'article 14 § 1 de
la Déclaration universelle des droits de l'homme34 , d'après lequel:
Devant la persécution, toute personne a le droit· de chercher asile et de
bénéficier de l'asile en d'autres pays.

15 La pierre angulaire du système de protection établi par la Convention de


Genève est le principe de non-refoulement tel que défini par son article 33 :
Aucun des États Contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque
manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou
sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa
nationalité, .de son appartenance à un certain groupe social ou de ses
opinions politiques[ ... ].

Relevons que cette disposition ne met pas à la charge des Parties


contractantes une obligation inconditionnelle d'admettre sur leur territoire les
réfugiés et à leur accorder l'asile. En effet, les États conservent le droit de
renvoyer tout réfugié vers des territoires où il n'est pas exposé à la

32 Voir Convention de Genève, art. 1 C chiffre 3, et Statut HCR, art. 7lit. b.


33
J. C. HATHAWAY (note 29), pp. 7-8, traduction libre. Voir également
E. M. MAFROLLA (note 20), à la p. 542.
34
AGNU, Résolution no 217 (Ill) du 10 décembre 1948.

17
persécution et où sa vie et sa liberté ne sont pas menacées35 . À cet égard, tous
les États parties à la Convention de Genève se trouvent sur un pied d'égalité:
tous sont tenus de respecter le principe de non-refoulement vis-à-vis des
réfugiés se trouvant sur leur territoire ou à leurs frontières, mais aucun d'entre
eux ne porte une responsabilité spécifique pour l'octroi de l'asile envers un
réfugié particulier, ni pour l'examen de sa demande d'asile 36•
16 Cette dernière observation en appelle une deuxième. La Convention de
Genève ne connaît pas la notion de« demandeur d'asile», qui est en revanche
fermement ancrée en droit européen et couvre toute personne « ayant présenté
une demande d'asile sur laquelle il n'a pas encore été statué définitivement»
(cf. infra, chap. III, no 3). Au regard des dispositions de la Convention, la
reconnaissance formelle du statut de réfugié par les autorités de l'État
d'accueil n'a en effet qu'une valeur déclaratoire, la personne concernée
devenant un « réfugié » au moment même où il remplit les conditions définies
par l'article 1 A CG37 • Il s'ensuit qu'une personne qui affirme sa qualité de
réfugié est - selon la Convention de Genève et avant que son statut ne soit
formellement déterminé - un «réfugié présumé », à qui doivent être reconnus
à tout le moins les droits que la Convention attribue aux « réfugiés présents
sur le territoire», dont le droit de ne pas être refoulé d'une manière contraire
à l'article 33 CG38 •

35
Voir en particulier G. S. GOODWIN-GILL (note 29), p. 155 et G. S. GOODWIN-
GILL, Non-refoulement and the new asylum seekers, VJIL (1986), pp. 897-918, aux
pp. 902-903. Puisque en principe les États sont tenus uniquement d'admettre leurs
propres ressortissants, et que le renvoi au pays d'origine d'une personne déclarant sa
qualité de réfugié ne peut s'effectuer que s'il est établi qu'il n'y court aucun des
risques visés par l'article 33 CG, le principe de non-refoulement peut néanmoins, selon
les particularités de l'espèce, comporter in fine une obligation d'admission sur le
territoire (voir A. GRAHL-MADSEN, Territorial asylum, Stockholm/Londres
(Almqvist & Wiksell/Oceana), 1980, p. 43).
36
Pour une étude de cette problématique voir R. MARX, Non-refoulement, access ta
procedures, and responsibility for determining refugee claims, IJRL (1995), pp. 383-
406. La circonstance que nous avons rappelée dans le texte est à la base à la fois des
pratiques nationales consistant à renvoyer « unilatéralement » la responsabilité pour
l'accueil d'un réfugié à d'autres États, et des initiatives visant la définition
conventionnelle de critères de responsabilité, dont le système de Dublin constitue le
modèle le plus abouti : cf infra, chap. Il, notamment aux no 22 ss.
37
Voir notamment HCR, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer
le statut de réfugié, Genève (HCR), 1992, § 28 ; C. S. GOODWIN-GILL (note 29),
p. 141.
38
Voir notamment J. VEDSTED-HANSEN, Non-admission policies and the right ta
protection: refugees' choice versus states' exclusion?, in: F. NICHOLSON, P.
TWOMEY (éds.), Refugee rights and realities- Evolving international concepts and

18
4. La mondialisation du problème des réfugiés
17 Jusqu'ici nous avons assimilé les définitions statutaire et conventionnelle
de réfugié. Elles n'étaient cependant pas identiques.
La définition de réfugié résultant du Statut HCR ne comportait de limitations
ni du point de vue temporel ni du point de vue géographique39 •
En revanche, la définition de l'article 1 A de la Convention de Genève ne
couvrait que les personnes étant devenues des réfugiés « par suite
d'évènements survenus avant le 1er janvier 1951 ». L'introduction de cette
limitation temporelle traduisait la préoccupation des Parties contractantes de
ne pas assumer des obligations de portée indéfinie quant à la protection des
réfugiés. De plus, l'article 1 B de la Convention de Genève donnait aux États
la faculté de restreindre encore leurs obligations en conférant à l'expression
précitée, au moment de la signature de la Convention, le sens d'« évènements
survenus avant le 1er janvier 1951 en Europe» (italiques ajoutés). Cette
limitation géographique optionnelle servait les intérêts des États occidentaux
et des États ouest-européens en particulier, désireux de partager leur
« fardeau » avec les autres membres de la communauté internationale mais
réticents à recevoir les réfugiés se trouvant dans les autres continents40 •
18 Pendant les décennies qui suivirent la conclusion de la Convention de
Genève, les crises politiques, militaires et humanitaires qui se succédèrent
partout dans le monde démontrèrent tragiquement la dimension planétaire du
problème des réfugiés, ainsi que son caractère permanent et en même temps
toujours changeant. La répression soviétique du soulèvement de Budapest en
1956 et du Printemps de Prague en 1968, le processus de décolonisation en
Afrique des années cinquante et soixante, la guerre civile au Pakistan-oriental
de 1971, les bouleversements politiques et les guerres d'Indochine, les coups
d'État au Chili et en Argentine, les sanglantes guerres civiles d'Amérique
centrale des années quatre-vingt- pour ne citer que les crises les plus connues
-forcèrent des millions de personnes à fuir leur pays d'origine41 •

regimes, Cambridge (CUP), 1999, pp. 269-288, aux pp. 273-276; W. KÂLIN,
Temporary protection in the EC : refugee law, human rights and the temptations of
pragmatism, GYIL (2001), pp. 202-236, à la p. 212; J. C. HATHAWAY, What's in a
label?, EJML (2003), pp. 1-21, aux pp. 9-10.
39
Voir cependant Statut HCR, art. 6 A (ii).
40
Voir J. C. HATHAWAY (note 29), pp. 8-9.
41
Pour un historique des crises de réfugiés qui ont marqué la deuxième moitié du
xx• siècle voir HCR, Les réfugiés dans le monde 2000 : cinquante ans d'action
humanitaire, Genève (HCR), 2000.

19
19 La première réponse à. ce développement fut 1'adoption, le 31 janvier
1967, du Protocole de New York relatif au statut des réfugiés42 • Les États
adhérant à ce Protocole s'engagèrent à appliquer la Convention de Genève
sans limitations temporelles et géographiques 43 • Ainsi, les définitions
statutaire et conventionnelle de réfugié furent pour l'essentiel alignées44 •
20 La situation des réfugiés telle qu'elle se présentait sur le terrain mettait
cependant ces définitions en crise également sous deux autres aspects.
D'abord, la plupart des mouvements de réfugiés de cette période furent des
exodes de masse, rendant impraticable la détermination individuelle de la
qualité de réfugié qui était, sinon exigée, du moins sous-entendue par les
termes de l'article 1 A de la Convention de Genève et de l'article 6 B du
Statut du HCR. Ensuite, ces exodes étaient causés par une gamme de facteurs
ne pouvant pas toujours être ramenés à la crainte d'une persécution telle que
définie par la Convention et par le Statut. La grande masse des réfugiés
d'Afrique, d'Asie et d'Amérique fuyaient des· situations de guerre civile, de
violence généralisée, d'effondrement de l'ordre public. Ils ne rentraient donc
pas dans la définition conventionnelle de réfugié, mais ils étaient bel et bien
des personnes se trouvant hors de leur pays d'origine et incapables d'y faire
retour car craignant pour leur vie ou pour leur liberté.
21 Cet état des choses entraîna un graduel élargissement de la catégorie des
personnes bénéficiant des activités d'assistance et de protection du HCR.
Cette expansion des compétences du HCR ne fut pas sanctionnée par un
amendement formel du Statut. Elle eut simplement lieu sur initiative du HCR,
en réaction aux réalités du terrain, avec l'approbation de l'Assemblée
Générale des Nations Unies et d'une manière générale sans opposition de la
' 45
part des Etats .
22 L'expansion des besoins de protection internationale n'entraîna en
revanche pas une reformulation de la définition conventionnelle de réfugié, et

42
Série NU no 8791, Rec. NU, vol. 606, p. 267.
43 '
Les Etats parties à la Convention de Genève qui avaient opté pour la limitation
géographique étaient néanmoins habilités à la maintenir (Protocole de New York, art. I
§ 3). Tel fut par ex. le cas de l'Italie jusqu'en 1990. Au 1er mars 2006, seuls quelques
États ont maintenu la limitation géographique : la République de Congo, le
Madagascar, Monaco et la Turquie.
44 Sur les différences résiduelles entre les deux définitions, voir G. S. GOODWIN-GILL
(note 29), p. 19.
45
Voir G. S. GOODWIN-GILL (note 29), pp. 207 ss. E. M. MAFROLLA (note 20), aux
pp. 547-552.

20
donc des obligations de protection des États contractants46. Le régime établi
par la Convention de Genève et par le Protocole de New York n'a en effet
connu qu'un développement informel, en particulier au travers des
Conclusions juridiquement non obligatoires adoptées par le Comité Exécutif
du HCR47 • Au plan régional, en revanche, la notion de réfugié a connu des
' 1utwns
evo . .
unportantes 48
.
23 On se réfère en particulier à la Convention régissant les aspects propres
au problème des réfugiés en Afrique de 196949 , qui définit à son article Iles
réfugiés en incluant d'une part les réfugiés au sens de la Convention de
Genève(§ 1), et d'autre part(§ 2)
toute personne qui, du fait d'une agression, d'une occupation extérieure,
d'une domination étrangère ou d'événements troublant gravement l'ordre
public dans une partie ou dans la totalité de son pays d'origine ou du pays
dont elle a la nationalité, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour
chercher refuge dans un autre endroit à l'extérieur de son pays d'origine ou
du pays dont elle a la nationalité.

46
Voir A. GRAHL-MADSEN, International refugee law today and tomorrow, AVR
(1982), pp. 411-467; K. HAILBRONNER, Non-refoulement and« humanitarian »
refugees : customary international law or wishful legal thinking ?, VJIL (1986),
pp. 857-896.
47
Sur les Conclusions adoptées par le Comité Exécutif du HCR voir J. SZTUCKI, The
conclusions on the international protection of refugees adopted by the Executive
Committee of the UNHCR Programme, IJRL (1989), pp. 285-318.
48
L'idée selon laquelle la Convention de Genève doit constituer le pilier central du
régime international des réfugiés et doit être, le cas échéant, complétée par des
instruments régionaux répondant à des besoins de protection qu'elle ne couvre pas a
été à plusieurs reprises soutenue par le Comité Exécutif du HCR. Voir notamment les
Conclusions no 16 (XXXI) 1980, no 37 (XXXVI) 1985, n° 71 (XLIV) 1993, no 74
(XLV) 1994, no 76 (XLV) 1994, n° 80 (XLVII) 1996, no 87 (L) 1999 et n° 89 (LI)
2000.
49
Adoptée à Addis Abeba le 10 septembre 1969, série NU no 14691, Rec. NU, vol. 1001,
p. 45.

21
La Déclaration de Carthagène, un texte non obligatoire adopté en 1984 par
des représentants des gouvernements des États latino-américains et
d'éminents juristes réunis en colloque à la suite de la grave crise survenue en
Amérique centrale, recommandait l'adoption d'une définition similaire de
réfugié au niveau régional 50 :
La définition ou le concept de réfugié dont l'application est à recommander
dans la région pourrait, non seulement englober les éléments de la
Convention de 1951 et du Protocole de 1967, mais aussi s'étendre aux
personnes qui ont fui leur pays parce que leur vie, leur sécurité ou leur
liberté étaient menacées par une violence généralisée, une agression
étrangère, des conflits internes, une violation massive des droits de
l'Homme ou d'autres circonstances ayant perturbé gravement l'ordre
public.

24 En Europe, aucune tentative d'élargir sur le plan régional la définition de


réfugié ne fut en revanche entreprise. L'Assemblée parlementaire du Conseil
de l'Europe, traditionnellement l'organisation régionale la plus active dans le
domaine de la protection des réfugiés conformément à sa mission statutaire 51 ,
adopta en 1976 une recommandation relative à la situation des «réfugiés de
facto» où elle préconisait l'élaboration d'un instrument régional relatif à leur
statut juridique52 . Cette recommandation demeura sans suite, mais d'autres
instruments régionaux de protection des droits fondamentaux ont entre-temps
assumé une importance particulière dans le domaine de la protection
internationale des migrants forcés, étendant l'application du principe de non-
refoulement à des catégories de personnes non couvertes par la définition
conventionnelle de réfugié (cf. infra, n° 30). Cette circonstance a favorisé
1' émergence, au niveau national, de nouvelles catégories juridiques
d'étrangers protégés contre l'éloignement- génériquement regroupés sous la

50
Déclaration adoptée par le Coloquio sobre la protecci6n internacional de los
refugiados en América Central, México y Panama : problemas jur{dicos y
humanitarios, Cartagena, Colombie, les 19-22 novembre 1984, Partie III, § 3
(traduction libre).
51
La mission statutaire du Conseil de l'Europe inclut en effet « la sauvegarde et le
développement des droits de l'homme et des libertés fondamentales >> (Statut du
Conseil de l'Europe, STE no 1, signé à Londres le 5 mais 1949, entré en vigueur le
3 août 1949, art. 1lit. a). Sur les activités du Conseil de l'Europe dans le domaine de la
protection des réfugiés voir G. TESSENYI, S. NEWMAN, The work of the Council of
Europe in the field ofrefugees and migration, EJML (1999), pp. 229-241.
52
APCE, Recommandation no 773 (1976) du 26 janvier 1976. Les réfugiés de facto y
étaient définis, au § 1, comme les « personnes non reconnues comme réfugiés au sens
de l'article 1er de la [Convention de Genève] et qui, pour des motifs d'ordre politique,
racial, religieux ou pour d'autres raisons valables, ne peuvent ou ne veulent pas
retourner dans leur pays d'origine>>.

22
notion précitée de « réfugiés de facto » - bénéficiant de statuts de protection
moins favorables que celui prévu par la Convention de Genève, et variant
considérablement, quant à leur dénomination et à leur contenu, d'un État à
l'autré3•
25 Ces développements régionaux illustrent une importante tendance de la
politique internationale des réfugiés, qui s'est déclarée à partir des années
soixante-dix. D'une part, les pays d' Mrique et d'Amérique latine ont répondu
aux crises auxquelles ils étaient directement confrontés s'engageant
franchement sur la voie d'un élargissement des bases conceptuelles du régime
de la protection des réfugiés, se conformant par ailleurs ainsi à l'esprit, sinon
à la lettre, de la Convention de Genèvé4 • D'autre part, les pays industrialisés
ont constamment refusé, en cette époque de mutations, d'assumer des
obligations internationales de protection à l'égard de catégories élargies de
migrants forcés. Cette résistance a été essentiellement motivée par la volonté
de préserver leur marge de manoeuvre quant à l'entrée et au séjour des
étrangers, et notamment des étrangers provenant du « tiers monde », à un
moment où la récession économique les induisait à revoir dans un sens
restrictif leurs politiques d'immigration et où la pression migratoire en
provenance des pays pauvres du monde connaissait un considérable

53
Sur les rapports entre protection des droits fondamentaux et construction d'un statut de
protection subsidiaire, voir R. PLENDER, N. MOLE, Beyond the Geneva Convention :
constructing a de facto right of asylum from international human rights instruments,
in: F. NICHOLSON, P. TWOMEY (éds.), Refugee rights and realities - Evolving
international concepts and regimes, Cambridge (CUP), 1999, pp. 81-105. Pour une vue
critique sur la prolifération des statuts de protection, voir J. C. HATHAWAY (note
38), aux pp. 1-6. Pour une analyse comparative de ces statuts de protection voir
D. BOUTEILLET-PAQUET (éd.), La protection subsidiaire des réfugiés dans l'Union
européenne: un complément à la Convention de Genève ?, Bruxelles (Bruylant), 2002.
Cette matière fait aujourd'hui l'objet de normes minimales d'harmonisation adoptées
par la Communauté européenne : voir la Directive n° 2004/83 (JO 2004 L 304/12).
54
Il faut relever, en effet, que la Conférence de plénipotentiaires des Nations Unies sur le
statut des réfugiés et des apatrides exprima, lors de la signature de la Convention de
Genève,« l'espoir que la Convention relative au statut des réfugiés aura valeur
d'exemple, en plus de sa portée contractuelle, et qu'elle incitera tous les États à
accorder dans toute la mesure du possible aux personnes se trouvant sur leur territoire
en tant que réfugiés et qui ne seraient par couvertes par les dispositions de la
Convention, le traitement prévu par cette Convention » (Acte final de la Conférence,
Rec. NU, vol. 189, p. 146, Recommandation E). Voir également J. C. HATHAWAY
(note 29), pp. 11 et 16-21.

23
accroissement, préfigurant 1' époque des migrations de masse qui est la
nôtre55 •

C. La protection internationale des droits de l'homme

1. Le deuxième après-guerre et la genèse du droit


international des droits de Phomme
26 Le deuxième après-guerre, moment fondateur du droit contemporain des
réfugiés, marque également la naissance du droit international des droits de
l'homme. Le 10 décembre 1948, l'Assemblée générale des Nations Unies
adopte la Déclaration universelle des droits de l'hommé6• Ce premier acte
solennel de proclamation est suivi, tant au plan universel qu'au plan régional,
de l'adoption de textes conventionnels. Les droits de l'homme entrent ainsi
dans la sphère du droit international positif.
Parmi les conventions à portée générale, on mentionne d'abord les deux
Pactes onusiens relatifs aux droits de l'homme, le Pacte international sur les
droits économiques, sociaux et culturels (ci-après « PIDESC ») et le Pacte
international sur les droits civils et politiques (ci-après «le Pacte» ou
« PIDCP »), adoptés par l'Assemblée générale des Nations Unies le 16
décembre 196657• Ces textes à vocation universelle ont été précédés, au plan
régional, par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales (ci-après « Convention européenne des droits de
l'homme» ou« CEDH »), signée à Rome le 4 novembre 195058 •

55
Le professeur Atle GRAHL-MADSEN observait en 1982, sans se référer spécialement
aux États industrialisés, ce qui suit: « We are labouring under the impression of being
caught in the jaws of two concurrent, equally fateful developments : unrest and
upheavals in many parts of the world, forcing millions to give up their homes and the ir
homelands; and an ever-deepening economie crisis, resulting, among other things, in
a saturation of the preparedness of once hospitable nations to receive strangers, even
those fleeing to save their lives » (A. GRAHL MADSEN, note 46, à la p. 417). Voir
également K. HAILBRONNER (note 46), aux pp. 860-861.
56
Cf. supra, note 34.
57
Adoptés par AGNU, Résolution no 2200 (XXI) du 16 décembre 1966. PIDESC: série
NU n° 14531, Rec. NU, vol. 993, p. 3, entré en vigueur le 3 janvier 1976. PIDCP:
série NU no 14668, Rec. NU, vol. 999, p. 171, entré en vigueur le 23 mars 1976.
58
STE n° 5, signée à Rome le 4 novembre 1950, entrée en vigueur le 3 septembre 1953.

24
Parmi les conventions à portée spécifique, on cite à titre d'exemple la
Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale59 ,
la Convention sur la protection de toutes les personnes contre la torture et
autres peines et traitements cruels, inhumains et dégradants 60 et la Convention
relative aux droits de l'enfant61 •

2. Le droit international des droits de rhomme et le droit des


réfugiés
27 Nous avons déjà souligné la forte identité d'inspiration liant la
Convention de Genève à la Déclaration universelle des droits de l'homme
(cf. supra, no 14). Si la Déclaration établit en son article 14 des liens
explicites entre les deux systèmes juridiques, le droit international des droits
de l'homme, d'une part, et le droit international des réfugiés, d'autre part, il
en va autrement avec les grands textes conventionnels en matière de droits
fondamentaux. Ni les Pactes des Nations Unies, ni la CEDH ne consacrent,
sous quelque forme que ce soit, le droit individuel à « chercher l'asile » et à
en «bénéficier dans un autre pays »62 . Même si elle n'est pas sanctionnée
dans les textes, la profonde connexité entre les droits de l'homme et le droit
des réfugiés existe de par la nature des choses 63 •
28 Cette connexité se manifeste parfois au travers d'une influence indirecte
d'un système juridique sur l'autre. À titre d'exemple, la naissance et le

59
AGNU, Résolution no 2106 (XX) du 21 décembre 1965, série NU n° 9464, Rec. NU,
vol. 660, p. 195, entrée en vigueur le 4 janvier 1969.
60
AGNU, Résolution no 39/46 du 10 décembre 1984, série NU no 24841, Rec. NU,
vol. 1465, p. 85, entrée en vigueur le 26 juin 1987.
61
AGNU, Résolution no 44/25 du 20 novembre 1989, série NU no 27531, Rec. NU,
vol. 1577, p. 3, entrée en vigueur le 2 septembre 1990.
62 À ce sujet, il y a lieu de signaler que 1' Assemblée parlementaire du Conseil de
l'Europe a proposé, sans succès, d'inclure le droit d'asile dans un Protocole
additionnel à la CEDH: voir APCE, Recommandation no 1088 (1988) relative au droit
d'asile territorial du 7 octobre 1988, § 10 (vi). Le «droit d'asile>> réapparaît dans une
« codification >> européenne relative aux droits fondamentaux, sous une forme
différente, à l'article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne
~ .
(JO 2000 C 364/1). Sur la valeur juridique de la Charte, cf. infra, chap. V, no 3 et 14.
Voir notamment T. CLARK, F. CREPEAU, Mainstreaming refugee rights. The 1951
Refugee Convention and international human rights law, NQHR (1999), pp. 389-410.
Cette perspective est développée, dans une optique institutionnelle, par B. GORLICK,
Human rights and refugees : enhancing protection through international human rights
law, NJIL (2000), pp. 117-177.

25
développement de la systématique des droits fondamentaux a entraîné une
évolution importante dans l'interprétation des concepts de base du droit des
réfugiés. Ainsi, la pratique et la doctrine interprètent de plus en plus le terme
«protection [du pays d'origine] », qui figure dans la définition
conventionnelle de réfugié, non pas en son sens originaire de « protection
diplomatique», mais dans le sens nouveau de «protection interne», un
concept voisin à celui de respect et garantie des droits fondamentaux 64•
29 Cette connexité se ·manifeste également de manière plus directe. En
particulier, le droit international des droits de l'homme enrichit le patrimoine
juridique du réfugié, améliorant ainsi la « protection » dont il jouit dans le
pays d'accueil. Aux droits dont il jouit grâce à la Convention de Genève en sa
qualité de réfugié, s'ajoutent en effet les droits qui lui sont reconnus en tant
que membre de la famille humaine par les instruments universels et régionaux
pertinents65 • L'exemple le plus approprié dans le contexte du présent travail
est celui du droit au respect de la vie familiale. Ce droit ne figure pas dans le
dispositif de la Convention de Genève. On s'y réfère uniquement dans la
Recommandation B, contenue dans 1'Acte final de la Conférence de
plénipotentiaires des Nations Unies sur le statut des réfugies et des
apatrides 66, qui se lit ainsi :
LA CONFÉRENCE,
CONSIDÉRANT que l'unité de la famille, cet élément naturel et
fondamental de la société, est un droit essentiel du réfugié, et que cette
unité est constamment menacée, et
CONSTATANT avec satisfaction que, d'après le commentaire officiel du
Comité spécial de l'apatridie et des problèmes connexes les droits de
réfugié sont étendus aux membres de sa famille,

64
Voir notamment J. C. HATHAWAY (note 29), pp. 100-124. En sens critique, voir
A. FORTIN, The meaning of« protection» in the refugee definition, IJRL (2001),
pp. 548-576.
65
Voir notamment J. C. HATHAWAY, The rights ofrefugees under international law,
Cambridge (CUP), 2005. Voir également T. CLARK, F. CRÉPEAU (note 63);
A. EDWARDS, Human rights, refugees, and the right to « enjoy asylum », IJRL
(2005), pp. 293-330, qui prend toutefois une position à notre avis erronée au sujet des
rapports juridiques entre la Convention de Genève et les conventions en matière de
droits fondamentaux (voir aux pp. 305-307 : «A clash of standards ? » ). En effet, dans
la mesure où les traités cités par l'auteure établissent des standards minimaux de
traitement, on ne voit pas comment ces standards pourraient entrer en conflit.
66
Cf. supra, note 54.

26
RECOMMANDE aux Gouvernements de prendre les mesures nécessaires
pour la protection de la famille du réfugié et en particulier pour :
1) assurer le maintien de l'unité de la famille du réfugié, notamment dans
le cas où le chef de la famille a réuni les conditions voulues pour son
admission dans un pays ;
2) assurer la protection des réfugiés mineurs, notamment des enfants isolés
et des jeunes filles, spécialement en ce qui concerne la tutelle et 1' adoption.

Cette lacune de la Convention de Genève est remplie, ou à tout le moins ses


conséquences sont atténuées, par les nombreux instruments qui reconnaissent
à toute personne le droit au respect de la vie familiale, sans préjudice
d'éventuelles dispositions plus favorables visant spécifiquement les réfugiés
(cf. également infra, n° 34, et chap. VI, no 1-111).
30 Enfin, le droit international des droits de l'homme constitue la pierre
angulaire d'un régime de protection internationale dépassant le cadre de la
Convention de Genève. En effet, la prohibition de la torture, telle qu'édictée
par de nombreux instruments internationaux, comporte explicitement ou
implicitement une interdiction d'expulser ou de refouler toute personne vers
un pays où elle court le risque d'être soumise à un tel traitemenr. Cet
«autre» principe de non-refoulement constitue une limite supplémentaire au
pouvoir de l'État de contrôler l'entrée et le séjour des étrangers, qui vient
s'ajouter à l'article 33 CG et qui est à la base, comme nous l'avons relevé, des
régimes européens de protection« subsidiaire» (cf. supra, n° 24).

67
Voir K. HAILBRONNER (note 46), aux pp. 860-861. Pour une discussion
approfondie voir G. NOLL, Negotiating asylum - The EU acquis, extraterritorial
protection and the common market of deflection, La Haye/Boston/Londres (Martinus
Nijhoff), 2000, pp. 353-451. Au sujet de la jurisprudence de la Cour EDH, qui a
énucléé une telle prohibition de l'article 3 CEDH, voir G. MALINVERN!, 1 limiti
all'espulsione seconda la Convenzione europea dei diritti dell'uomo, in: F. SALERNO
(éd.), Diritti dell'uomo, estradizione ed espulsione, Padoue (CEDAM), 2003, pp. 165-
182. Au sujet des développements similaires de la jurisprudence du Comité des droits
de l'homme des Nations Unies, voir W. KÂLIN, Limits to expulsion under the
International Covenant on Civil and Political Rights, in: F. SALERNO (éd.), Diritti
dell'uomo, estradizione ed espulsione, Padoue (CEDAM), 2003, pp. 143-164.

27
3. La protection des droits fondamentaux et la souveraineté
territoriale de l-'État, au-delà du principe de non-
refoulement
31 Le droit international des droits de l'homme entraîne des limitations au
pouvoir des États de décider de l'admission ou de l'éloignement des étrangers
qui dépassent le cadre de la protection internationale des migrants forcés 68 •
32 Il existe d'abord des dispositions conventionnelles qui ont explicitement
trait à cette matière. On mentionnera à titre d'exemple l'article 4 du Protocole
no 4 à la CEDH69 , qui interdit les expulsions collectives, ainsi que l'article 1
du Protocole additionnel no 7 à la CEDH70 et l'article 13 PIDCP, qui
définissent des garanties procédurales minimales en cas d'expulsion
individuelle (pour une analyse de ces dispositions cf. infra, chap. VII, no 8-
17).
33 Ces dispositions ne posent cependant pas de limites matérielles à
l'expulsion des étrangers du territoire national, se bornant à interdire certaines
modalités d'expulsion. Plus généralement, ni la CEDH ni le PIDCP ne
consacrent expressément un droit à entrer et à résider dans un pays autre que
le pays de nationalité71 . Les États parties à ces conventions restent donc en
principe libres de déterminer les conditions d'entrée et de séjour des non
nationaux sur leur territoire et de procéder, le cas échéant, à leur éloignement
- dans le respect des dispositions que nous venons de mentionner. Il n'en

68
Pour un aperçu général, voir F. RIGAUX, L'immigration :droit international et droits
fondamentaux, in: Les droits de l'homme au seuil du troisième millénaire - Mélanges
en hommage à Pierre Lambert, Bruxelles (Bruylant), 2000, pp. 693-722; W. KÂLIN,
Die Bedeutung der Menschenrechte für das Migrationsrecht, in: A. ACHERMANN,
A. EPINEY, W. KÀ.LIN, M. S. NGUYEN (éds.), Annuaire du droit de la migration
2004/2005, Berne (Stiimpfli), 2005, pp. 75-87. En référence au droit de la CEDH et du
PIDCP, voir respectivement les contributions de G. MALINVERN! et de W. KÂLIN
citées à la note précédente.
69
STE no 46, signé à Strasbourg le 6 septembre 1963, entré en vigueur le 2 mai 1968.
70
STE n° 117, signé à Strasbourg le 22 novembre 1984, entré en vigueur le 1er novembre
1988.
71
Il convient de préciser que les dispositions de la CEDH et du PIDCP relatives à cette
question sont similaires, mais pas identiques. Dans le système européen, est interdite
l'expulsion de toute personne du territoire de l'État dont il est ressortissant (voir
Protocole additionnel no 4, note 69, art. 3). En revanche, l'art. 12 § 4 du Pacte interdit
la privation « arbitraire » du droit d'entrer dans « son propre pays ». Cette disposition
peut bénéficier, dans des circonstances exceptionnelles, également à des étrangers
(voir Corn. DH, Stewart c. Canada, comm. no 538/1993, constatations du 16 décembre
1996, doc. NU CCPR/C/58/D/538/1993, § 12.3-12.9).

28
demeure pas moins que cette liberté des États se trouve limitée par le respect
d'autres droits, reconnus par la CEDH et par le Pacte72•
34 Comme on l'a vu ci-dessus, la prohibition de la torture comporte
l'interdiction d'éloigner des étrangers sous certaines conditions (cf. supra,
n° 30). n y a lieu d'ajouter que le fait d'écarter un étranger du territoire où
vivent des membres de sa famille peut, sous certaines circonstances,
constituer une violation de l'article 8 CEDH (droit au respect de la vie privée
et familiale) ainsi que des articles 17 (interdiction d'immixtions arbitraires
dans la famille), 23 (protection de la famille) et 24 (protection des mineurs)
PIDCP. Cette interaction entre la protection de l'unité de la famille et le droit
des États de contrôler l'entrée et le séjour des étrangers constitue un thème
fondamental du présent ouvrage, et sera examinée plus en détail au chapi-
tre VI ci-dessous.

72
Voir Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni [Plén.], req.
n° 9214/80, 9473/81 et 9474/81, arrêt du 28 mai 1985, série A, n° 94, § 59-60.
Concernant le PIDCP, voir Corn. DH, Observation générale n° 15 (XXVIT) 1986,
Situation des étrangers au regard du Pacte, § 5.

29
Chapitre II
Le système de Dublin dans le contexte de la
politique européenne d'asile

1 Le droit communautaire exerce depuis longue date une influence directe


sur le droit des étrangers des États membres, limitant en particulier leur
pouvoir de contrôle sur l'entrée et le séjour de certaines catégories de non
nationaux - les travailleurs salariés et non salariés ressortissants des autres
États membres (voir notamment articles 39 § 3, 43 et 46 TCE, anciens articles
48 § 3, 52 et 56 TCEE) 1•.
Avec les mesures de 1968, le cercle des personnes mises au bénéfice du
régime de la libre circulation a été élargi à des ressortissants de pays tiers, dès
lors que ces dernier étaient des membres de la famille des ressortissants
communautaires2 •
2 Il est toutefois correct d'affirmer que le chapitre «immigration et asile»
n'a été réellement ouvert dans l'histoire de l'intégration européenne- avec de
fortes hésitations et oppositions - que pendant la deuxième moitié des années
quatre-vingt, dans le contexte de la« crise de l'asile».
En retraçant, dans les pages qui suivent, les moments les plus significatifs du
développement de cette nouvelle politique européenne, nous aurons soin de
suivre en particulier les progrès qui ont été accomplis dans la conception,
l'adoption et la mise en œuvre des règles relatives à la détermination de l'État
responsable - une question qui constitue le fil rouge de la politique commune
d'asile depuis ses origines jusqu'à nos jours.

Significativement, déjà en 1978 paraissait un ouvrage sur le «droit communautaire de


l'immigration»: T. C. HARTLEY, EEC immigration law, Amsterdam/New York
(North Rolland), 1978.
2
Voir le Règlement no 1612/68 (JO 1968 L 257/2), art. 10, et la Directive n° 68/360 (JO
1968 L 257113), art. 3. La Directive no 2004/38 (JO 2004 L 229/35) a ensuite modifié
le Règlement no 1612/68 et abrogé la Directive n° 68/360, ainsi que toutes les autres
Directives successivement adoptées dans le domaine du déplacement et séjour des
ressortissants communautaires et de leurs fanrilles.

31
A. La naissance d'une politique européenne d'asile et
d'immigration

1. La crise de l-'asile en Europe


3 Pendant les années cinquante et soixante, l'Europe fut confrontée à trois
grands mouvements de réfugiés. Deux furent déclanchés par les faits de
Budapest et de Prague de 1956 et de 1968. Le troisième suivit en revanche la
proclamation d'indépendance de l'Algérie de 1962. Les réfugiés français
d'Algérie trouvèrent pour la plupart refuge en France métropolitaine. La
majorité des réfugiés hongrois et tchécoslovaques furent en revanche
réinstallés dans de nombreux pays d'Europe et d'outre-mer3 .
En dehors de ces situations exceptionnelles, l'Europe occidentale fut une terre
d'asile, ou de transit sur la voie de l'Amérique du Nord, essentiellement pour
des personnes fuyant les pays du bloc communiste4 . Les États occidentaux
menèrent vis-à-vis de ces réfugiés de l'Est une politique généreuse d'accueil.
Au-delà de l'esprit humanitaire qui l'inspirait5, cette libéralité s'explique par
le contexte politique et socio-économique de ces années. D'abord, le nombre
de ces réfugiés était relativement faible, car les pays communistes imposaient
à leurs propres ressortissants de lourdes restrictions à la liberté de
mouvement. Ensuite, les politiques d'immigration menées à l'époque par les
pays d'Europe occidentale étaient relativement ouvertes voire -dans certains
États - activement tournées vers le recrutement de main-d'œuvre étrangère.
Enfin, dans le contexte de la guerre froide, 1' accueil des victimes de
l'oppression communiste était conforme aux intérêts et aux objectifs de
politique étrangère des États de l'Oues{

Pour une description de ces événements, voir HCR, Les réfugiés dans le monde 2000 :
cinquante ans d'action humanitaire, Genève (HCR), 2000, pp. 26-35.
4
HCR (note précédente), p. 156.
5
Voir APCE, Recommandation n° 817 (1977) relative à certains aspects du droit
d'asile, du 7 octobre 1977, § 3, où est évoquée la« pratique libérale, fondée sur des
considérations humanitaires, déjà suivie en matière d'asile par les gouvernements des
États membres».
6
Voir S. COLLINSON, Beyond borders: West European migration policy towards the
2lst century, Londres (Royal Institute of International Affaires), 1993, p. 66;
A. SHACKNOVE, From asylum to containment, IJRL (1993), pp. 516-533 ; D. JOLY,
The porous dam :European harmonization on asylum in the nineties, IJRL (1994),
pp. 159-193, aux pp. 161-162.

32

- ·-·::::.
Sous tous ces aspects, le contexte de la politique d'asile des États européens
se modifie - progressivement mais durablement - au cours des années
soixante-dix et quatre-vingt.
4 D'abord, le« problème des réfugiés» tel que ressenti en Europe acquiert
une nouvelle ampleur et une nouvelle nature.
5 Les vastes mouvements de migration forcée bouleversant les autres
continents commencent à produire leurs effets également en Europe
occidentale7. Les premières arrivées de réfugiés extra-européens ont lieu dans
le cadre de programmes de réinstallation lorsque certains États - en
particulier la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Suisse, les Pays-Bas et
les pays nordiques - acceptent d'accueillir des quotas de réfugiés provenant
notamment de l'Amérique latine et du Sud-Est asiatique8•
Cet afflux contrôlé de migrants forcés est accompagné, à partir de la fin de la
décennie, par un considérable accroissement du nombre des arrivées
spontanées de demandeurs d'asile 9. La hausse des demandes d'asile
n'intéresse initialement qu'un nombre restreint d'États européens, mais le
phénomène s'étend à d'autres États entre 1982 et 1988 10 . À la fin des années
quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, deux événements
majeurs surviennent: d'une part, l'écroulement des régimes communistes de
l'Est et la dissolution de l'Union soviétique, qui entraîne la levée des
obstacles à la sortie et au transit par ces pays, et, d'autre part, le début des
hostilités qui ensanglanteront les Balkans pendant une décennie. Ces deux

7
Par Europe occidentale nous désignerons ci-dessous le groupe des dix-neuf États qui
ont été jusqu'en 2004 les membres de la CEEIUE et de 1'AELE : Allemagne, Autriche,
Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Islande, Italie,
Liechtenstein, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède et
Suisse.
Voir HCR (note 3), pp. 99 et 126-127.
9
Selon les estimations du HCR, ce nombre passa en Europe de 13 000 unités en 1972 à
77 600 unités en 1979, pour atteindre un pic de 158 500 unités en 1980. Ces
estimations, qui datent de 1986, sont reproduites dans le Rapport fait au nom de la
Commission juridique et des droits des citoyens du Parlement européen sur le
problème de droit d'asile (rapporteur: M. VETTER), doc. PE no A2-227/86, § 5 de
l'exposé des motifs.
10
En particulier plus de 200 000 demandes d'asile sont présentées en Allemagne entre
1979 et 1981, et presque 35 000 demandes d'asile sont présentées dans la seule
Autriche en 1981. La Suisse, la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède sont
par la suite également confrontés à une forte hausse des demandes d'asile présentées.
Voir: HCR, Asylum applications in industrialized countries : 1980-1999, Genève,
2001, tableaux V.1 et VI.5.

33
événements sont à l'origine d'une accélération et d'une généralisation de la
hausse des demandes d'asile. En 1992, environ 700 000 demandes sont
présentées en Europe occidentale, un nombre sans précédents depuis la fin de
la deuxième guerre mondiale 11 • Cet afflux de migrants forcés, modeste si jugé
à l'échelle mondiale 12 , est néanmoins exceptionnel pour l'Europe. Par
ailleurs, ces 700 000 demandes de protection internationale sont réparties de
manières très inégale parmi les États de la CEE/ABLE, et placent sur certains
d'entre eux un« fardeau» beaucoup plus lourd que sur d'autres 13 •
6 Par-delà l'aspect quantitatif, l'afflux de demandeurs d'asile qui intéresse
l'Europe en cette période présente des caractéristiques nouvelles sous l'angle
qualitatif. Bon nombre des «nouveaux» demandeurs d'asile sont moins
aisément identifiables en tant que « réfugiés politiques » par rapport à leurs
prédécesseurs est-européens. Ils fuient soit des persécutions collectives, soit
des situations d'effondrement de l'ordre public et de violence généralisée
(cf. supra, chap. I, no 18-20). De plus, leur accueil ne présente pas, pour les
gouvernements occidentaux, les avantages politiques auxquels nous avons fait
référence plus haut.
7 Enfin, le contexte social, économique et politique ouest-européen - qui
avait joué en faveur de 1' accueil pendant les années soixante - joue dans le
sens contraire au cours des années soixante-dix et quatre-vingt.
Suite à la crise économique déclenchée par le choc pétrolier de 1973, tous les
États ouest-européens revoient dans un sens restrictif leurs politiques
migratoires. Les nouvelles politiques nationales d'immigration, fort
différentes les unes des autres, partagent néanmoins trois orientations
fondamentales : intégration des communautés immigrées résidentes,
introduction de restrictions à l'immigration économique (officiellement:
« immigration zéro ») et lutte contre le phénomène de l'immigration
irrégulière, qui acquiert une nouvelle dimension sous l'influence conjointe de
l'amplification des mouvements migratoires, d'une part, et de l'introduction
de restrictions à l'entrée et au séjour des étrangers, d'autre part 14•
8 La nouvelle donne remet en cause la politique d'accueil menée par les
traditionnels pays d'asile.

11
Voir HCR (note précédente), tableau 111.1.
12
Voir HCR (note 3), p. 157.
13
Par exemple, en 1992 les demandes d'asile présentées en Allemagne sont de 438 191,
celles présentées en France de 28 872, et celles présentées en Italie de 6 042. Voir
HCR (note 10), tableau ill.l.
14
Voir S. COLLINSON (note 6), notamment aux pp. 35-37.

34
L'augmentation des demandes d'asile détermine, dans ces pays,
l'engorgement des procédures de détermination du statut de réfugié et donc
une considérable hausse de leurs coûts administratifs, un rallongement très
important de leur durée et - conséquence directe de ce dernier aspect - des
difficultés croissantes dans le rapatriement des demandeurs d'asile
déboutés 15 .
Aux inquiétudes relatives au «fardeau de l'accueil» - perçu comme
disproportionné et potentiellement incontrôlable- s'ajoute en outre la crainte
que le dépôt d'une demande d'asile ne devienne un moyen pour contourner
les restrictions à l'immigration économique. Le nombre croissant des
demandeurs d'asile, leur provenance de régions nettement moins prospères
que leurs pays de destination, le pourcentage élevé des demandes rejetées et
les difficultés rencontrées par les autorités à rapatrier les demandeurs
déboutés sont pris pour preuve, par des secteurs de plus en plus étendus de
l'électorat et de la classe politique, d'un« abus» systématique de l'asile à des
fins d'immigration éconornique 16 •
9 En réponse à ce nouveau contexte, les pays industrialisés en général et les
pays ouest-européens en particulier resserrent leurs politiques d'asile.
Ainsi, dans plusieurs États, la définition conventionnelle de réfugié est
interprétée de manière de plus en plus restrictive 17 • La cause et la
conséquence se combinent ainsi en un cercle vicieux : les interprétations
restrictives de la notion conventionnelle de réfugié entraînent en effet un
relèvement du taux des demandes d'asile rejetées. Cette augmentation des
décisions de rejet est à son tour prise pour preuve d'une extension du
phénomène de l'abus de l'institution de l'asile, incitant les autorités publiques
à durcir encore leur politique. Du côté de la définition des bénéficiaires de la
protection et du contenu de cette protection, toutefois, la marge de manœuvre
des États est sensiblement réduite par leurs obligations internationales 18 •

15
Voir notamment K. HAILBRONNER, The concept of« safe country » and expeditious
asylum procedures: a Western European perspective, URL (1993), pp. 31~65, aux
pp. 32-33.
16
Voir L. SCHUSTER, The use and abuse of political asylum, Londres/Portland (Frank
Cass), 2003 ; voir également K. HAILBRONNER (note précédente), pp. 32-33.
17
Voir J. FITZPATRICK, Revitalizing the 1951 Refugee Convention, HHRLJ (1996),
pp. 229-253, aux pp. 240-242. Cette même tendance a été observée également en
d'autres pays industrialisés: voii J. CRAWFORD, P. HYNDMAN, Three heresies in
the application of the refugee Convention, IJRL (1989), pp. 156-179.
18
Voir G. NOLL, Risky games? A theoretical approach to burden-sharing in the asylum
field, JRS (2003), pp. 236-252, aux pp. 239-240.

35
Dès lors, la« nouvelle approche» se concrétise pour l'essentiel en l'irruption,
dans le domaine de l'asile, de la logique et des instruments réglementaires du
contrôle des frontières et de l'immigration. Dans le but de maîtriser le nombre
des demandes d'asile, et plus particulièrement de réduire le nombre des
demandes «abusives », les principaux États européens de destination
adoptent des mesures visant à rendre moins « attractif » leur système
d'accueil, à prévenir l'arrivée des demandeurs d'asile sur le sol national, à
restreindre leur accès aux procédures de détermination du statut de réfugié et
à réduire les garanties inhérentes à ces procédures. Les droits d'accès des
demandeurs d'asile au marché du travail et au logement sont ainsi réduits, les
listes des pays dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa sont
élargies pour inclure les principaux pays d'origine des flux de réfugiés- cette
mesure étant souvent couplée avec l'introduction de régimes de carrier
liability- et les procédures d'asile sont modifiées par l'introduction de
nouvelles «causes d'inadmissibilité» (par ex. l'existence de pays tiers sûrs)
et par la soumission à traitement accéléré des demandes « manifestement
infondées » ou « abusives » (par ex., des demandes présentées par des
ressortissants de « pays d'origine sûrs ») 19•
10 La prolifération et la systématisation de cet instrumentaire, ainsi que son
adoption dans un nombre croissant d'États européens, détermine une
dégradation très sensible de la situation juridique et sociale des demandeurs
d'asile en Europe. Sur un autre plan, un effet de ces stratégies nationales de
« lutte contre les abus » de l'asile est celui de dévier les flux de réfugiés vers
d'autres pays, notamment des pays voisins, déclenchant ainsi ce qu'on

19
Sur la réduction des prestations sociales et de l'accès au travail, notamment en
Allemagne, voir le Rapport VETTER (note 9), § 14 et 16 de l'exposé des motifs. En ce
qui concerne l'extension de l'obligation de visas, parfois combinée avec l'introduction
de régimes de carrier liability voir ibidem, § 17-25 de l'exposé des motifs ; voir
également J. WIDGREN, A comparative analysis of entry and asylum policies in
selected western countries, Vienne (ICMPD), 1994, notamment à la p. 40 (Danemark).
En ce qui concerne l'évolution des procédures d'asile, voir l'analyse de
K. HAILBRONNER (note 15) et les commentaires critiques de F. JULIEN-
LAFERRIÈRE, Le rôle des instances de décision, in: J.- Y. CARLIER,
D. VANHEULE (éds.), L'Europe et les réfugiés: un défi?, La Haye (Kluwer Law
International), 1997, pp. 107-123. En ce qui concerne, plus particulièrement, le
développement du concept de pays «sûrs» voir G. S. GOODWIN-GILL, Safe
country? Says who?, URL (1992), pp. 248-250; M. KJAERUM, The concept offirst
country of asylum, URL (1992), pp. 514-530; A. ACHERMANN, M. GATTIKER,
Safe third countries: European developments, IJRL (1995), pp. 19-38; R. BYRNE,
A. SHACKNOVE, The safe country notion in European asylum law, HHRLJ (1996),
pp. 185-228.

36
pourrait appeler un durcissement compétitif (race to the bottom) des
législations de l'asile et une situation de renvoi du «fardeau de l'accueil»
d'un État à l'autré0 •
11 Cette situation, que l'on peut définir à plusieurs titres comme critique,
rend désormais hautement souhaitable - sinon nécessaire - une coopération
étroite au niveau régional dans les domaines traditionnellement régaliens de
l'immigration et de l'asile.
En 1985, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe adopte une
recommandation où elle en appelle à une réponse commune, solidaire et
humanitaire des États membres à la crise de l'asile21 • Son plaidoyer se fonde
sur le triple constat de la dégradation de la situation des réfugiés et des
demandeurs d'asile, de la prolifération de 1' « abus de 1' asile » et de
l'incapacité des États de faire face individuellement à cette situation critique
de manière efficace et équilibrée. L'Assemblée préconise la mise en place
d'une «politique cohérente de l'asile» comportant la définition de standards
communs et élevés de protection, propres à mettre un frein à l'érosion des
standards de protection internationaux, une répartition équitable du « fardeau
de l'accueil» dans un esprit de solidarité, propre à réduire la pression sur les
États et donc à limiter leur propension à l'adoption de mesures «dissuasives»
envers les demandeurs d'asile, et une lutte coordonnée etrésolue contre les
«abus de l'asile», de manière à mettre les États en condition d'assurer une
protection aux personnes en ayant réellement besoin.
Cet appel de l'Assemblée parlementaire, réitéré en 1988 et en 199422 , ne
produit cependant pas de résultats concrets. Le Conseil de 1'Europe, soit
l'organisation que 1' on aurait pu considérer comme le « forum » naturel pour

20
Voir Rapport VETTER (note 9), § 2 de l'exposé des motifs. Déjà en 1980, Atle
GRAHL-MADSEN, en commentant le problème des réfugiés sur orbite (cf. infra,
no 23 ss), affirmait : « The present situation, which in fact amounts to a mini-war
between the immigration authorities of the different countries of Western Europe, is
simply disgraceful »(A. GRAHL-MADSEN, Territorial asylum, Stockholm/Londres
(Almqvist & Wiksell/Oceana), 1980, p. 101). La dimension réelle du phénomène est
cependant objet de débat : voir R. ZETTER, D. GRIFFITHS, S. FERRETTI,
M. PEARL, An assessment of the impact of asylum policies in Europe 1990-2000,
Home Office Research Study 259, Londres, 2003, (www.homeoffice.gov.uk/rds),
notamment aux pp. 28,64 et 120-121.
21 APCE, Recommandation no 1016 (1985) relative aux conditions de vie et de travail
des réfugiés et des demandeurs d'asile du 26 septembre 1985.
22 APCE, Recommandation no 1088 (1988) relative au droit d'asile territorial, du
7 octobre 1988; APCE, Recommandation no 1236 (1994) relative au droit d'asile, du
12 avril1994.

37
la coopération européenne en matière d'asile en raison de son expérience dans
ce domaine et de son mandat statutaire (cf. supra, chap. 1, no 24), se révèle
incapable de réaliser des avancées significatives.
Le processus de définition d'une politique européenne en la matière se
déclenche au contraire dans un autre contexte institutionnel - celui de la CEE
-en raison de la mise en chantier d'un projet politique ne visant pas, à titre
principal, à apporter des solutions à la crise de l'asile : la réalisation d'un
marché intérieur sans frontières.

2. Vers Pabolition des frontières intérieures: PActe unique


européen et l'Accord de Schengen
12 Évoquée déjà en 1974lors du sommet de Paris 23 , l'abolition des contrôles
sur les personnes aux frontières entre États membres de la Communauté
économique européenne devient un sujet d'actualité politique en 1984,
lorsque le Conseil européen de Fontainebleau demande au Conseil et aux
États membres de «mettre à l'étude» les mesures permettant sa réalisation24 .
La levée des frontières intracommunautaires s'inscrit dans deux perspectives
politiques de grande envergure: la création d'une «Europe des citoyens»,
cette dimension étant prise en compte notamment dans le rapport élaboré par
le comité « Adonnino »25 , et l'instauration du marché intérieur, thème
développé en particulier dans le Livre Blanc de la Commission de 198526•
13 En 1987, avec 1'entrée en vigueur de 1' Acte unique européen27 , la
création d'un espace sans frontières intérieures au sein de la Communauté

23
Communiqué de la réunion des chefs de gouvernement (Paris, 9 et 10 décembre 1974),
Bull. 12/1974, p. 7, § 10. Voire également les Résolutions du Parlement européen sur
la question des contrôles des personnes du 15 octobre 1981 (JO 1981 C 287/93) et sur
l'ouverture des frontières intérieures de la Communauté du 26 mars 1982 (JO 1982 C
104/39).
24
Conseil européen, Fontainebleau, 25 et 26 juin 1984, conclusions de la Présidence
(Bull. 6/1984, p. 10), sous 6 («l'Europe des citoyens»).
25
Il s'agit du comité ad hoc «Europe des citoyens», constitué à l'initiative du Conseil
européen de Fontainebleau (voir note précédente), dit comité« Adonnino »du nom de
son président. Voir son premier Rapport, Bull. 1985, supplément no 7.
26
Doc. COM (85) 310. Voir notamment les§ 47-55.
27
Acte unique européen, signé à Luxembourg le 17 février 1986 et à La Haye le 28
février 1986, entré en vigueur le 1•r juillet 1987 (JO 1987 L 169).

38
devient formellement un objectif de la CEE. Le nouvel article 8 A du Traité
CEE (devenu, après modification, article 14 TCE) disposé 8 :
La Communauté arrête les mesures destinées à établir progressivement le
marché intérieur au cours d'une période expirant le 31 décembre 1992
[ ... ].
Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans
lequel la libre circulation des [ ... ] personnes [ ... ] est assurée selon les
dispositions du présent traité.

14 La portée exacte de cette disposition demeure longtemps controversée. La


Commission, avec une majorité d'État membres, soutient que la réalisation de
l'espace sans frontières prévue par l'article 8 A implique nécessairement
l'abolition de tout contrôle sur les personnes physiques- sans égard pour leur
nationalité- aux frontières communes entre États membres 29 • D'autres États,
notamment le Royaume-Uni et initialement le Danemark, maintiennent en
revanche que l'abolition des contrôles ne concernerait que les ressortissants
des États membres, et que l'article 8 A n'affecte en rien le droit des États
membres d'effectuer des contrôles sur les ressortissants de pays tiers aux
frontières entre États membres 30 . Cette dispute ne sera résolue, et de surcroît
par un agreement to disagree, que dix ans plus tard, lors de la signature du
Traité d'Amsterdam (cf. infra, no 54 et 63).
15 Sur un autre aspect, en revanche, il y a dès le début accord au sein des
institutions communautaires et parmi les États membres. L'abolition des
contrôles sur les personnes aux frontières intérieures ne sera envisageable
qu'après l'adoption de mesures permettant de compenser ses effets sur le plan
de la sécurité intérieure et du contrôle de l'immigration.
Ce lien entre libre circulation des personnes et « mesures compensatoires » ou
«d'accompagnement» se trouve établi dans de nombreux documents

28
Le lien entre la libre circulation des personnes et l'« Europe des citoyens » trouvera
une reconnaissance explicite en droit primaire avec l'entrée en vigueur du Traité sur
l'Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992, entré en vigueur le
1er novembre 1993 (JO 1992 C 191): voir articles 17 et 18 TCE.
29
Voir la Communication de la Commission sur l'abolition des contrôles sur les
personnes aux frontières intra-communautaires, doc. COM (88) 640, § 13.
30
Voir K. HAILBRONNER, Migration law and policy within the third pillar of the
Union Treaty, in: R. BIEBER, J. MONAR (éds.), Justice and home affairs in the
European Union, Bruxelles (European Interuniversity Press), 1995, pp. 95-126, aux
pp. 99-102. Voir également M. SPENCER, 1992 and all that- Civilliberties in the
balance, Londres (Civil Liberties Trust), 1990, pp. 37-38.

39
officiels, notamment dans les conclusions pertinentes du Conseil européen et
dans le Livre Blanc sur l'achèvement du marché intérieur31 .
16 En droit, la situation est moins nette. L'article 8 A du Traité CEE ne fait
aucune mention des mesures compensatoires. Les seules références à celles-ci
se trouvent dans les déclarations annexées à l'Acte unique européen. D'une
part, la déclaration de la conférence intergouvernementale relative à l'art. 8 A
précise que« la fixation de la date du 31 décembre 1992 ne crée pas d'effets
juridiques automatiques» quant à l'abolition des contrôles aux frontières.
D'autre part, la« déclaration politique des gouvernements des États membres
relative à la libre circulation des personnes» fait allusion à l'adoption de
mesures communes en matière d'immigration et de sécurité intérieure «en
vue de promouvoir la libre circulation des personnes».
17 Par son arrêt Wijsenbeek de 1999, la Cour de justice lève toute ambiguïté
a' cet egar
' d en d"1sant pour drmt
. que32 :
[L'article 8 A du Traité CEE] ne saurait être interprété en ce sens que, en
l'absence de mesures adoptées par le Conseil avant le 31 décembre 1992 et
imposant aux États membres l'obligation de supprimer les contrôles des
personnes aux frontières intérieures de la Communauté, cette obligation
résulte automatiquement de l'échéance de ladite période. En effet, ainsi
que M. l'avocat général l'a relevé au point 77 de ses conclusions, une telle
obligation présuppose l'harmonisation des législations des États membres
en matière de franchissement des frontières extérieures de la Communauté,
d'immigration, d'octroi des visas, d'asile et d'échange d'informations sur
ces questions.

18 Au sujet des mesures compensatoires, la « déclaration politique des


gouvernements des États membres » citée ci-dessus affirme plus précisément
ce qui suit:
En vue de promouvoir la libre circulation des personnes, les États membres
coopèrent, sans préjudice des compétences de la Communauté, notamment
en ce qui concerne l'entrée, la circulation et le séjour des ressortissants de
pays tiers. Ils coopèrent également en ce qui concerne la lutte contre le
terrorisme, la criminalité, la drogue et le trafic des œuvres d'art et des
antiquités.

31
Voir le premier Rapport du Comité Adonnino (note 25), § 7.3 ; Conseil européen,
Londres, 5 et 6 décembre 1986, conclusions de la Présidence (Bull. 12/1986, p. 7),
§ 1.1.13 ; Livre Blanc sur l'achèvement du marché intérieur (note 26), §55.
32
CJCE, aff. C-378/97, Wijsenbeek, Rec. 1999, I-6207, cons. 40. Aux matières
énumérées dans ce passage par la Cour il y a lieu d'ajouter les matières plus
étroitement liées à la sécurité intérieure, telles la vente et la circulation des armes, le
trafic des stupéfiants et les autres trafics illicites, la lutte contre le terrorisme. Voir les
documents cités à la note précédente.

40
Elle fait ainsi état de deux cadres institutionnels alternatifs pour l'élaboration
des mesures d'accompagnement, le cadre communautaire (implicitement:
«sans préjudice ... ») et le cadre de la coopération intergouvernementale. Elle
est toutefois muette au sujet de leur articulation.
19 Dans son Livre Blanc de 1985, la Commission avait déjà annoncé son
intention de proposer des mesures communautaires dans tous les domaines
concernés, et notamment en matière «de résidence, d'entrée, et d'accès à
l'emploi» des ressortissants de pays non communautaires et en matière « d[e]
droit d'asile et de[ ... ] réfugiés »33 • Les initiatives prises par la Commission le
lendemain de 1' entrée en vigueur de 1' Acte unique se heurtent cependant à la
ferme opposition des États membres, dont la majorité est contraire à toute
« communautarisation » des domaines de l'asile et de l'immigration34 . Ces
États font valoir notamment l'absence dans le Traité de toute base juridique
autorisant expressément la Communauté à intervenir en ces matières, et donc
l'incompétence de celle-ci pour l'élaboration des mesures compensatoires35 .
Quel que soit le bien fondé de cette position sur le plan juridique, l'opposition
politique des États, disposés à s'engager sur la voie de la coopération en
matière d'asile mais opposés à toute communautarisation, se révèle décisive.
Sous l'empire de l'Acte unique européen, l'élaboration des mesures
d'accompagnement en matière de sécurité intérieure, de contrôles aux
frontières extérieures, d'immigration et d'asile est confiée de manière
exclusive à la coopération intergouvernementale36 •
20 La mise en chantier d'une politique commune d'asile et d'immigration
des Douze dans la perspective de l'établissement d'un espace sans frontières
fut par ailleurs précédée par une autre initiative, lancée par une «avant-
garde » d'États membres immédiatement après le Conseil européen de

33
Livre Blanc de 1985 (note 26), §55.
~ .
Cette opposition de principe avait déjà été manifestée par les Etats membres dans
l'affaire dite de la« politique migratoire» : voir CJCE, aff. jointes 281, 283 à 285 et
287/85, Allemagne/Commission, Rec. 1987, 3203, cons. 9 (« [ ... ] domaine qui relève
de leur compétence exclusive[ ... ]»). Voir également D. JOLY, Le droit d'asile dans
la Communauté européenne, IJRL (1989), pp. 365-377, à la p. 369; 1. BOCCARDI,
Europe and refugees - Towards an EU asylum policy, La Haye (Kluwer Law
International), 2002, pp. 30-31.
35
En effet, aucune disposition du Traité CEE, tel que modifié par l'Acte unique
européen, ne confère expressément à la Communauté le pouvoir d'adopter des mesures
dans ces matières. Sur cette question voir R. PLENDER, Competence, European
Community law and nationals ofnon-member States, ICLQ (1990), pp. 599-610.
36
La Commission en prend substantiellement acte, tout en se réservant le droit d'avancer
des propositions, dans la Communication de 1988 (note 29), § 14 et 15.

41

::-:-:1
Fontainebleau. Le 13 juillet 1984, la France et l'Allemagne conclurent
l'Accord de Sarrebruck, qui visait à alléger les contrôles à leurs frontières
communes. Les pays du Benelux s'associèrent à cette initiative et, le 14 juin
1985, les cinq pays signèrent l'Accord de Schengen «relatif à la suppression
graduelle des contrôles aux frontières communes» (ci-après «Accord de
Schengen »ou« AS ») 37 , qui prévoyait un allègement immédiat des contrôles
aux frontières et engageait ses Parties contractantes à coopérer en vue de leur
abolition, si possible, à la date du 1er janvier 1990.
21 La démarche entreprise par les cinq États du « groupe Schengen » se
situait dans le même cadre conceptuel que celle des Douze38 • Elle visait aussi
la création d'un espace sans frontières parmi les États participants - à cette
différence près, qu'au sein du groupe des Cinq, il y avait accord sur le fait que
cela aurait impliqué l'abolition des contrôles sur les personnes physiques aux
frontières intérieures indépendamment de leur nationalité. De plus, l'Accord
de Schengen subordonnait explicitement la réalisation de cet objectif à
l'élaboration de «mesures d'accompagnement» dans les domaines de la
sécurité intérieure, de l'immigration et de l'asile (art. 17 AS).

3. La conception du système européen de la détermination de


rÉtat responsable

a) Remarques liminaires
22 Dans les débats portant sur la future politique européenne d'asile - sur
son opportunité, sur sa forme concrète - la question de la « détermination de
l'État responsable» figure dès le début en place prééminente. Tous les acteurs
institutionnels y prenant part s'accordent en effet sur l'exigence de définir des
critères communs permettant de déterminer, parmi les États européens, l'État
responsable pour l'examen des demandes d'asile présentées par des étrangers.

37 Publié au JO 2000 L 239/13.


38
Quant à l'esprit dans lequel les Cinq ont pris cette initiative, Henri LABA YLE a
observé: «Chacun sait que l'expérience de Schengen a toujours oscillé entre la
volonté louable de constituer un 'laboratoire' précurseur d'expériences éventuellement
transposables ensuite à l'Union européenne et la volonté, moins avouable, de
concurrencer cette dernière en tenant à l'écart les contraintes institutionnelles et
démocratiques de l'Union autant que certains de ses membres jugés peu fiables ». (H.
LABAYLE, Un espace de liberté, de sécurité et de justice, RIDE (1997), pp. 813-881,
à la p. 124). D. JOLY (note 34), à la p. 369, offre une autre lecture politique de
l'initiative de Schengen.

42
_......_ ... J ..................................................................... - ................... __ .._. ......... -~ ...... - -- -- r------~-- ---- c- -~- -- ------

Cette convergence de vues est en partie apparente, car elle cache une certaine
ambivalence quant aux fonctions à attribuer à un tel système juridique. Les
deux Assemblées parlementaires supranationales y voient surtout un moyen
pour améliorer la situation des demandeurs d'asile, en accord avec les vues
exprimées par le Comité Exécutif du HCR. Les exécutifs, en revanche, y
voient surtout un instrument de contrôle migratoire dans la perspective,
notamment, de la création d'un espace sans frontières parmi les États de la
CEE39 •

b) La détermination de l'État responsable dans une


perspective de protection
23 Pour comprendre la manière dont un système de détermination de l'État
responsable peut contribuer à la protection des migrants forcés, il faut d'abord
rappeler que la Convention de Genève n'oblige pas ses États parties à
admettre et à accueillir les réfugiés, sous réserve du principe de non-
refoulement, et qu'elle ne contient aucune indication sur la détermination de
l'État le mieux placé pour prendre en charge un réfugié déterminé (cf. supra,
chap. I, n° 15).
24 Face à ce cadre fixé par le droit international, de nombreux États ont
adopté dans leurs droits ou pratiques internes le concept de « premier pays
d'asile», suivant lequel une personne affirmant sa qualité de réfugié peut être
renvoyée - sans que sa demande de protection ne soit examinée - vers un
pays tiers où elle a déjà obtenu protection40 • Le Comité Exécutif du HCR a
reconnu la légitimité de telles pratiques, pourvu que par «protection», on
entende la garantie du non-refoulement, d'une part, et l'octroi de l'asile ou à
tout le moins l'admission temporaire sur le territoire national en l'attente
d'une solution durable, d'autre part41 •
Certains États sont allés plus loin en adoptant une pratique similaire, mais
plus problématique, qui consiste à renvoyer le demandeur d'asile vers un pays
ne lui ayant pas conféré l'asile ou - à un autre titre - le droit de rester sur son
territoire, mais où il aurait pu demander protection. L'application de cet autre

39
En ce sens voir la Communication de la Commission de 1988 (note 29), qui rapporte la
position de la Commission elle-même (§ 15 (iv) et annexe, § 5), ainsi que celle
élaborée du groupe des Douze (ibidem) et au sein du groupe de Schengen (annexe, § 1,
lit. d).
40 Pays« tiers» en ce sens, qu'il ne s'agit ni de l'État d'origine du réfugié ni de l'État sur
le territoire duquel il se trouve et qui effectue le renvoi.
41
Voir notamment Corn. Ex. HCR, Conclusion no 58 (XL) 1989,lit. f.

43
concept, qu'il convient d'appeler de «pays tiers sûr »42 , combinée avec la
disparité des standards de protection applicables dans les différents États,
constitue la principale cause des situations dites «d'orbite», dans lesquelles
un demandeur d'asile est renvoyé de pays en pays sans que sa demande ne
soit examinée, encourant ainsi le risque d'être refoulé «en chaîne» vers son
pays d'origine et de surcroît celui d'être pénalisé à plusieurs reprises pour sa
situation irrégulière de séjour43 . À cet égard, le Comité Exécutif du HCR
avait adopté en 1979 ses« Conclusions sur les réfugiés sans pays d'asile», où
il recommandait aux États le respect du principe suivant44 :
L'asile ne doit pas être refusé uniquement pour le motif qu'il aurait pu être
demandé à un autre État. Cependant, s'il apparaît qu'une personne, avant
de solliciter 1' asile, a déjà établi des liens ou entretenu des rapports étroits
avec un autre État, il peut lui être demandé, s'il semble raisonnable et
équitable de le faire, d'adresser d'abord sa demande d'asile à cet État.

25 Or, au fur et à mesure de l'accélération de la «crise de l'asile» des


années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, les principaux États ouest-européens

42
Pour la distinction entre les concepts de« premier pays d'asile» et de« pays tiers sûr»
voir D. DUBOLINO, L'identificazione dello Stato competente all'esame di una
domanda di asilo: dalla Convenzione di Dublino al nuovo Regolamento, DUE (2004),
pp. 811-845, à la p. 840; S. H. LEGOMSKY, Secondary refugee movements and the
return of asylum seekers to third countries : the meaning of effective protection, IJRL
(2003), pp. 568-677, à la p. 570. Ce dernier auteur relève cependant que les deux
notions, tout en étant différentes, partagent les mêmes prémisses conceptuelles et
soulèvent des questions similaires. Voir, dans ce sens, également R. BYRNE,
A. SHACKNOVE (note 19). La distinction est en tout état de cause établie en droit
communautaire : voir la Directive no 2005/85 relative à des normes minimales
concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États
membres (JO 2005 L 326/13), articles 26 et 27.
43
Voir A. GRAHL-MADSEN (note 20), pp. 95-101. La Commission EDH avait par
ailleurs pris position en 1986 sur les situations d'orbite en elles-mêmes, i.e. abstraction
faite de la possibilité d'un refoulement en chaîne, estimant que «l'expulsion répétée
d'un individu dont l'identité est impossible à établir, vers un pays où son admission
n'est pas assurée, peut soulever une question au regard de l'article 3 de la Convention
[... ]. Un tel problème peut a fortiori se poser si l'étranger fait depuis longtemps l'objet
d'expulsions répétées d'un pays vers un autre sans qu'aucun ne prenne des mesures
pour régulariser sa situation >> (Comm. EDH, Harabi c. Pays-Bas, req. no 10798/84,
décision du 5 mars 1986, DR 46, p. 112, à la p. 121). Sur la relation entre le concept de
« pays tiers sûrs >> et les phénomènes de refoulement « en chaîne >> et de « réfugié sur
orbite>>, voir également D. DUBOLINO (note précédente), à la p. 840.
44
Corn. Ex. HCR, Conclusion no 15 (XXX) 1979, lit. h (iv). Relevons que ce passage
reprend presque mot par mot l'article 1 § 2 du Projet de Convention sur l'Asile
Territorial de 1977 (Doc. NU NCONF.78/12).

44
de destination réformèrent les uns après les autres leurs droits d'asile dans le
dessein avoué ou inavoué de « rééquilibrer » unilatéralement la distribution
du fardeau de l'accueil avec leurs pays voisins (cf. supra, no 9-10). Les
nouvelles réglementations comportaient en particulier un recours de plus en
plus systématique au concept des «pays tiers sûrs», ce qui donna une
nouvelle ampleur au problème des réfugiés sur orbite en Europe45 •
26 Dans les conclusions que nous venons de citer, le Comité Exécutif du
HCR affirmait que :
un effort doit être fait, par l'adoption de critères communs, pour résoudre
le problème de l'identification du pays responsable de l'examen d'une
demande d'asile.

Cette prise de position en faveur de l'élaboration d'instruments de


détermination de l'État responsable, confirmée à plusieurs reprises 46 , était
motivée par la conviction que de tels instruments peuvent améliorer la
protection des réfugiés, dans la mesure où :
ils favorisent une répartition équitable du fardeau de l'accueil parmi les
États participants, et
ils assurent aux demandeurs d'asile l'accès à au moins une procédure de
détermination du statut de réfugié, prévenant ainsi les situations
d'orbite47 .
C'est dans cette perspective que les Assemblées parlementaires européennes
envisageaient l'élaboration d'un système européen de détermination de l'État
responsable48 , et c'est principalement dans cette perspective que l'élaboration

45
Sur la prolifération de ces pratiques voir les études citées à la note 19. Sur les rapports
entre le concept de « pays tiers sûrs >> et le problème des « réfugiés en orbite >> voir
S. H. LEGOMSKY (note 42), aux pp. 583-585. Voir également APCE,
Recommandation n° 1016 (note 21), § 2 (iii); Rapport VETTER (note 9), annexes,
aux pp. 55, 106, 110, 114, 116 et 121. Voir enfin 1. DUNSTAN, Playing human
pinball : the Amnesty International United Kingdom Section report on UK Home
Office « safe third country» practice, IJRL (1995), pp. 606-652, notamment aux
pp. 611-612 et 622-623.
46
Voir notamment Corn. Ex. HCR, Conclusions no 29 (XXXIV) 1983, lit. i, et no 71
(XLIV) 1993, lit. k.
47 À cet égard, voir Corn. Ex. HCR, Conclusion no 71 (note précédente).
48
Voir APCE, Recommandations no 1016 (note 21), § 6 (ii) lit. f, et no 1088 (note 22),
§ 10 (iii) lit. a. Voir également PE, Résolution sur une initiative relative a des
négociations au sein du Conseil concernant l'élaboration d'une politique commune
européenne des réfugies du 9 octobre 1986 (JO 1986 C 283174), § 3 et 4, et Résolution
sur le problème du droit d'asile du 12 mars 1987 (JO 1987 C 99/167), § 1 lit. h. Cette

45
d'un instrument juridique en la matière fut entamée sous l'égide du Conseil
de 1'Europe.
27 Les travaux préparatoires débutèrent en 1981 au sein du «Comité ad hoc
sur les aspects juridiques de l'asile territorial et des réfugiés» (CAHAR). lls
aboutirent en 1988 à la rédaction d'un Projet d'accord sur la responsabilité
pour l'examen des demandes d'asile, dont le dispositif anticipait sous de
nombreux aspects le contenu de la future Convention de Dublin49 • En dépit
des invitations de l'Assemblée parlementaire, qui recommanda en 1985 et en
1988 aux États membres de parvenir à une« définition commune et viable de
la notion de premier pays d'asile, afin d'apporter une solution à la situation
tragique des 'réfugiés sur orbite' »50 , ce Projet ne fut pas adopté en raison des
profondes divisions opposant les États. membres du Conseil de l'Europe.
D'une part, les États « de transit », notamment la Turquie, l'Italie, l'Espagne
et la Grèce, maintinrent leur opposition aux dispositions de l'accord qui
auraient, selon leur point de vue, comporté un déplacement excessif du
«fardeau de l'accueil» à leur chargé 1• D'autre part, il n'y avait pas d'accord
au sujet du lien à établir entre l'attribution de la responsabilité de l'examen
des demandes d'asile et la protection de l'unité des familles des
demandeurs 52 .
L'échec des négociations mit un terme aux tentatives de résoudre la question
au sein du Conseil de l'Europe. L'élaboration de règles communes en la
matière avait entre-temps commencé au sein du groupe des douze États
membres de la CEE et au sein du groupe de Schengen, et c'est dans ces
enceintes qu'elle se poursuivit. Ce changement de cadre institutionnel ne fut
pas politiquement neutre. D'abord, il entraîna l'exclusion des travaux d'États
méditerranéens tels la Turquie, membre fondateur du Conseil de l'Europe et

dernière Résolution préconisait par ailleurs l'application du principe du libre choix du


demandeur d'asile. Pour un exposé plus détaillé des motifs sous-jacents à ces prises de
position voir le Rapport sur les conditions de vie et de travail des réfugiés et des
demandeurs d'asile (rapporteur: M. BOHM), Documents de séance de l'Assemblée
parlementaire, 1985, vol. 1, doc. 5380, §51-53, ainsi que le Rapport VETTER (note 9),
§ 37-40 de l'exposé des motifs.
49
Le texte du Projet est reproduit en annexe au Rapport sur le droit d'asile (rapporteur:
M. FRANCK), Documents de séance de l'Assemblée parlementaire, 1994, vol. III,
doc. 7052.
50
APCE, Recommandations no 1016 (note 21), § 6 (ii) lit. g, et no 1088 (note 22), § 10
(iii) lit. a.
51
Voir K. HAILBRONNER, Moglichkeiten und Grenzen einer europi:iischen
Koordinierung des Einreise- und Asylrechts, Baden-Baden (Nomos), 1989, à la p. 30.
52 Ibidem.

46
important pays d'origine et de transit des demandeurs d'asile, Malte et
Chypre, ainsi que d'importants États de destination tels la Suisse, la Suède et
la Norvège. Ensuite, si les travaux au sein du Conseil de l'Europe avaient été
motivés principalement, bien que non exclusivement, par des préoccupations
humanitaires, les travaux des Douze et des Cinq en matière d'asile visaient à
titre principal une finalité d'ordre différente: celle d'« accompagner»
l'instauration de l'espace sans frontières intérieures.

c) La détermination de l'État responsable, le contrôle des


mouvements migratoires et la lutte contre les abus de
l'institution de l'asile
28 Au cours des travaux menés par la Commission, par les États du groupe
Schengen et par les Douze en vue de la création d'un espace sans frontières,
l'établissement d'un système de détermination de l'État responsable fut
envisagé au titre des mesures d'accompagnement, et donc essentiellement
dans une optique de contrôle migratoire et de lutte contre les abus de
l'institution de l'asile (cf. supra, no 15). Pour mieux dire, l'établissement d'un
tel système était considéré comme la mesure d'accompagnement en matière
d'asile. L'intention des acteurs institutionnels impliqués était qu'il remplisse
principalement deux fonctions.
29 La première devait être celle d'empêcher la présentation, par le même
étranger, de plusieurs demandes d'asile- successives ou simultanées- auprès
de plusieurs États membres. Une telle pratique était considérée comme une
forme flagrante d'abus de l'institution de l'asile à des fins d'immigration
économique.
Cette position est exemplairement illustrée, y compris dans son simplisme53,
par les propos recueillis en 1989 par Danièle JOLY auprès d'un fonctionnaire
rattaché au comité des ministres de l'intérieur54 :
Imaginons qu'une personne dépose une demande d'asile auprès de tous les
États de la CEE les uns après les autres. À raison de douze pays et de trois
ans en moyenne pour qu'un dossier soit examiné et passé devant une
commission de recours, ce demandeur d'asile pourrait facilement passer
36 ans en Europe.

53
Il a été observé avec pertinence par Ingrid BOCCARDI que la présentation de
demandes multiples auprès d'États ayant des systèmes de protection différents ne
saurait être jugée abusive en soi (voir 1. BOCCARDI, note 34, pp. 43-44).
54
Voir D. JOLY (note 34), à la p. 368.

47
30 La deuxième fonction devait être celle de limiter les mouvements dits
«secondaires» des demandeurs d'asile, que l'on peut définir à ce stade
comme les déplacements effectués par ces derniers au départ du premier État
membre où ils parviennent et à destination d'un autre État membre, où ils
souhaitent déposer leur demande55 .
Relevons au passage que dans le droit et dans la pratique internationaux, seuls
sont considérés avec défaveur les « mouvements secondaires » irréguliers de
personnes ayant déjà obtenu protection dans un premier pays d'asile 56 , et
qu'en revanche il n'existe aucun principe intemationalement accepté selon
lequel un réfugié devrait chercher protection dans le premier pays « sûr » où
il met pied en fuyant son pays d'origine 57 •
31 Or, dans le contexte européen, il était question de limiter ou d'empêcher
tous les « mouvements secondaires », y compris ceux des personnes ayant
simplement déposé une demande d'asile dans le premier État membre ou
n'ayant même pas procédé à un tel dépôt. Une approche aussi restrictive
servait essentiellement les intérêts .des principaux États de destination. Elle

55
Selon .cette terminologie, le « mouvement primaire » serait celui que le demandeur
d'asile effectue en entrant, depuis son pays d'origine, dans l'espace sans frontières.
56
Dans Corn. Ex. HCR, Conclusion no 58 (XL) 1989, il est notamment affirmé qu'un
réfugié ayant obtenu protection dans un pays hôte devrait normalement y demeurer, et
que s'il se rend irrégulièrement dans un autre État, celui-ci peut - sous certaines
conditions - l'y renvoyer. Dans cette Conclusion, toutefois, le Comité Exécutif
reconnaît que dans certains cas un tel mouvement secondaire peut être justifié et
souligne le besoin d'une coopération internationale visant à améliorer les conditions de
vie et dè protection dans les premiers pays d'asile, afin de prévenir les mouvements
secondaires. Sous un angle tout à fait différent, il y a lieu de signaler qu'en règle
générale les personnes effectuant de tels mouvements ne bénéficient pas de l'art. 31
CG. Celui-ci proscrit la pénalisation des réfugiés « qui, arrivant directement du
territoire où leur vie ou leur liberté était menaèée au sens prévu par l'article premier,
entrent ou se trouvent sur [le territoire d'un État contractant] sans autorisation ». Cette
disposition est en revanche généralement comprise comme couvrant également les
personnes qui ont simplement transité par des pays « sûrs » avant de parvenir
(irrégulièrement) dans l'État où ils demandent une protection : voir G. S. GOODWIN-
GILL, Article 31 of the 1951 Convention relating to the status of refugees : non-
penalization, detention, and protection, in: E. FELLER, V. TüRK, F. NICHOLSON
(éds.), Refugee protection in international law - UNHCR's global consultations on
international protection, Cambridge (CUP), 2003, pp. 185-252, à la p. 218.
57
L'existence d'un tel principe est affirmé dans UK DELEGATION GENEVA, Sending
asylum seekers to safe third countries, IJRL (1995), pp. 119-122. Elle est en revanche
persuasivement niée dans HCR, The concept of «protection elsewhere », IJRL (1995),
pp. 123-127. Voir également J. C. HATHAWAY, The law of refugee status,
TorontoNancouver (Butterworths), 1991, p. 46.

48
visait en effet à éviter que la «libre circulation» des demandeurs d'asile.,.... et
donc leur liberté de choix quant à l'État de destination- ne grève d'un
fardeau excessif les États membres les plus «attrayants » sous l'angle
économique ou sous celui de leur régime de protection, eu égard aussi au fait
qu'ils supportaient déjà un« fardeau» disproportionnément lourd par rapport
~· B
aux autres Etats de la Communauté .

B. La phase de la coopération intergouvernementale


« informelle »

1. Les travaux du « groupe des Douze » et du « groupe de


Schengen »
32 Comme nous l'avons vu, l'élaboration des mesures
«d'accompagnement» à la libre circulation des personnes eut lieu en
parallèle au sein du «groupe de Schengen », conformément aux articles 18 à
20 de l'Accord de Schengen, et du groupe des «Douze» (cf. supra, no 19-
20).
La direction politique de ce deuxième processus de coopération fut confiée
par le Conseil européen de Londres de 1986 aux ministres des affaires
intérieures, qui à partir de cette date se réunirent selon une cadence
semestrielle pour «se concerter» sur l'ensemble des mesures nécessaires en
vue de l'abolition des frontières 59 • Tout en se déroulant avec le support du
secrétariat du Conseil, ces réunions n'étaient pas formellement des réunions
du Conseil des Communautés européennes. Elles n'étaient donc pas préparées
par le Comité des représentants permanents (COREPER, voir art. 207 TCE),
mais par une pléthore d'autres structures de travail dont certaines avaient été
instituées bien avant les développements de 1984-198860 . En matière
migratoire, cette tâche fut confiée à un «groupe ad hoc immigration»

58 Voir le document de travail des services de la Commission « Réexamen de la


Convention de Dublin», doc. SEC (2000) 522, § 40-43. En doctrine, voir S. BARBOU
DES PLACES, Le dispositif Dublin 2 ou les tribulations de la politique
communautaire de l'asile, EUl Working Papers LAW 2004/6, Badia Fiesolana, 2004,
p. 3.
59
Conseil européen de Londres (note 31 ), § 1.1.16 et 1.1.17.
60
Pour une remarque critique, voir ·R. ·BONTEMPI, Gli accordi di Schengen, in:
B. NASCIMBENE (éd.), Da Schengen a Maastricht - Apertura delle frontiere,
cooperazione giudiziaria e di polizia, Milan (Giuffré), 1995, pp. 35-49, à la p. 44.

49
nouvellement institué, composé de hauts fonctionnaires, qui demeura la
principale structure de travail en la matière jusqu'à l'entrée en vigueur du
Traité sur l'Union européenné 1•
À ces trois niveaux de travail s'ajouta un quatrième en 1988, lorsque le
Conseil européen de Rhodes institua un « groupe des coordinateurs en
matière de libre circulation des personnes» chargé de mettre de l'ordre dans
les travaux des comités et groupes chargés de la préparation des mesures
d'accompagnement. Le groupe des coordinateurs présenta en 1989 au Conseil
européen un rapport, le «document de Palma de Majorque», que le Conseil
européen fit sien et qui devint, pour les années suivantes, le plan général de
travail des Douze en matière de sécurité et d'immigration62 •
33 Conformément aux prémisses politiques synthétisées dans le concept de
«mesures d'accompagnement» (cf. supra, no 15), cette phase pionnière de la
coopération en matière migratoire fut guidée par une approche strictement
sécuritaire. La préoccupation cardinale motivant les États membres à
coopérer dans ce domaine était en effet celle d'élaborer des instruments de
contrôle en substitution des contrôles aux frontières intérieures. Avec un
regrettable mélange des genres, le migrant se trouvait ainsi associé au
criminel intemational63 .
Dans le domaine de l'asile, en particulier, l'élaboration de mesures
communes relayait les préoccupations des principaux États européens de
destination et visait à étendre, systématiser et perfectionner les instruments de
«contrôle» et de « déflection » des demandes d'asile, mis en œuvre, tout le
long des années quatre-vingt, au niveau national 64• Son objet principal, voire

61
Le groupe ad hoc se prévalait à son tour du travail de six sous-groupes, chargés
respectivement des sujets suivants : admission et expulsion des étrangers, visas, faux
documents, asile, frontières extérieures, réfugiés de 1'ex-Yougoslavie. Sur les réunions
ministérielles, le groupe ad hoc et les sous-groupes voirE. GUILD, J. NIESSEN, The
developing immigration and asylum policies of the European Union, La
Haye/Londres/Boston (Kluwer Law International), 1996, pp. 31-32.
62
Conseil européen, Madrid, 26 et 27 juin 1989, conclusions de la Présidence (Bull.
6/1989, p. 8), § 1.1.7. Le document de Palma n'a pas été publié. Il est reproduit dans
E. GUILD, J. NIESSEN (note précédente), aux pp. 443-448.
63
Voir H. LABAYLE (note 38), à la p. 821.
64
Voir R. BYRNE, G. NOLL, J. VEDSTED-HANSEN, Understanding refugee law in
an enlarged European Union, EITL (2004), pp. 355-379. Cette contribution met en
exergue le fait que la formation des «nouveaux concepts» de l'asile (par ex. le
concept de pays tiers sûrs, formellement introduit dans la législation danoise en 1986)
a eu lieu au niveau national, et que ces nouveaux concepts se sont propagés d'abord

50
exclusif, était la « lutte contre 1' abus de l'asile » et en particulier contre
l'asylum shopping et le dépôt de demandes multiples (cf. supra, no 28-31).
Cela résulte des conclusions du Conseil européen de Londres 65 , et plus encore
du mandat du sous-groupe «asile» (cf. supra, note 61), qui était chargé
d' examiner66
les mesures à prendre pour aboutir à une politique commune en vue de
mettre fin à l'usage abusif du droit d'asile.

Le choix des problématiques retenues pour l'examen conjoint des États en


atteste également. Au nombre des mesures « essentielles » énumérées dans le
document de Palma figuraient celles concernant la détermination de 1'État
responsable, le traitement accéléré des demandes manifestement non fondées,
le contrôle de la circulation des demandeurs d'asile entre États membres.
L'élaboration de standards de protection communs n'était en revanche pas
. ' • . . 67
JUgee pnontarre .
34 Cette liste de mesures révèle par ailleurs un autre concept porteur de la
naissante politique commune d'asile sur lequel nous ne pouvons pas nous
étendre ici: le concept de la« protection ailleurs», i.e. de la minimisation des
contacts des demandeurs d'asile avec le territoire et le système administratif
des États membres et du transfert des responsabilités de protection vers les
pays voisins, notamment vers les pays d'Europe centrale et orientale68 •

par émulation, au niveau sub-régional, pour être enfin formellement adoptés en tant
que concepts« européens».
65
Conseil européen de Londres (note 31), § 1.1.16: «Les Chefs de gouvernement[ ... ]
ont été d'accord pour estimer que le droit d'asile ne devrait pas être accordé pour des
raisons économiques et financières et que des mesures doivent être prises pour lutter
contre les abus ».
66
Source : D. JOLY (note 34), à la p. 367.
67
Voir le document de Palma (note 62). Au titre du rapprochement des droits nationaux,
le document de Palma se bornait à inviter les États à accepter des obligations
internationales identiques en la matière. En clair, on invitait l'Italie à renoncer à la
clause de limitation géographique de l'article 1 A CG (cf. supra, chap. 1, no 17), ce
qu'elle a fait en 1990 avec la« loi Martelli ».
68
Pour une analyse exhaustive voir S. LAVENEX, Safe third countries - Extending the
EU asylum and immigration policies to central and eastern Europe, Budapest (Central
European University Press), 1999 ; R. BYRNE, G. NOLL, J. VEDSTED HANSEN
(éds.), New asylum countries ? Migration control and refugee protection in an
enlarged European Union, La Haye (Kluwer Law International), 2002. Pour un
examen plus succinct de cette problématique, nous nous permettons de renvoyer à
F. MAIANI, The common European asylum system in an enlarged Europe - Memo for
the next generation of EC asylum legislation, in: J. M. BENEYTO PÉREZ (éd.),

51
35 Le refus de la voie communautaire était pleinement conforme à ces
orientations politiques, et plus généralement au désir des États de maintenir le
contrôle sur l'agenda et le déroulement des travaux. L'encadrement
«diplomatique» des travaux leur assurait en effet: (a) l'exclusion de toute
initiative autonome de la part de la Commission69 ; (b) le déroulement des
travaux à l'abri de toute «interférence» externe dans un maximum de
confidentialité, voire d'opacité0 ; (c) une pleine liberté de choix quant à la
soumission des mesures adoptées au contrôle juridictionnel de la Cour de
justice des Communautés européennes.

2. Le bilan de la coopération informelle -les Conventions de


Dublin et de Schengen
36 Les travaux menés au sein du groupe des Douze et ceux menés au sein du
groupe de Schengen entre 1985 et 1993 se clôturèrent par des bilans fort
inégaux.
37 Les premiers aboutirent à l'adoption d'un seul texte juridiquement
obligatoire : la Convention « relative à la détermination de l'État responsable

European Union at twenty-five : Political and economie challenges, Madrid


(Dykinson), 2005, pp. 99-116.
69
Celle-ci était plutôt incitée à s'aligner aux orientations politiques dégagées par les
gouvernements pour garder le droit de « participer » au processus. En effet, les vues
exprimées par la Commission dans ses communications de l'époque divergent
sensiblement de celles des États membres en matière institutionnelle mais - dans
l'espoir peut-être de convaincre ces derniers à suivre la« méthode communautaire»-
elles convergent pratiquement point par point sur tous les éléments substantiels de la
politique d'asile: voir e.g. la Communication de 1988 (note 29).
70
Aucune des formes de transparence inhérentes aux procédures décisionnelles
communautaires - publication des propositions de la Commission, débats publiques au
Parlement européen - ne fut observée. Si la Commission était admise en tant
qu'observateur aux travaux du groupe Schengen et du groupe ad hoc immigration,
sous obligation d'en respecter la confidentialité, le Parlement européen et les
parlements nationaux - pour ne pas dire de la société civile - ne furent ni consultés, ni
informés des négociations entre fonctionnaires qui se déroulaient à huis clos. Même le
HCR, auquel les États parties à la Convention de Genève sont tenus de prêter leur
assistance et coopération (art. 35 CG), fut tenu à l'écart des travaux: voir
M. MOUSSALLI, Le problème des réfugiés en Europe. Actions et recherche de
solutions par les Etats, les institutions européennes et le Haut Commissariat des
Nations Unies pour les Réfugiés, IJRL (1989), pp. 528-545, à la p. 540 ;
A. ACHERMANN, Das Erstasylabkommen von.Dublin, ASYL (5/1990), pp. 12-19,
aux pp. 15-16.

52
de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un .des États membres
des Communautés européennes», signée le 15 juin 1990 à Dublin (ci-après
«Convention de Dublin» ou« CD ») 71 • Dans le domaine de l'asile, d'autres
textes non obligatoires furent adoptés par les ministres responsables de
l'immigration à Londres, le 30 novembre et 1er décembre 1992 : les
résolutions sur « les demandes d'asile manifestement infondées » et sur
«l'approche harmonisée des questions relatives aux pays tiers d'accueil» et
les conclusions sur «les pays où en règle générale il n'existe pas de risque
sérieux de persécution »72 . Faute d'accord sur plusieurs dossiers majeurs,
dont notamment l'harmonisation des règles relatives au franchissement des
frontières extérieures, aucune décision ne fut adoptée quant à la levée des
frontières intérieures.
38 Les travaux du groupe de Schengen aboutirent en revanche à la signature,
quatre jours après la signature de la Convention de Dublin, de la Convention
d'application de 1' Accord de Schengen (ci-après « Convention de Schengen »
ou« CAAS ») 73 . Les dispositions de cette dernière portaient abolition des
contrôles sur les personnes aux frontières communes à ses Parties (art. 2) et
instauraient 1' ensemble des « mesures compensatoires » en matière de
franchissement des frontières extérieures, visas, circulation des étrangers,
asile, coopération policière et judiciaire, stupéfiants, armes et échange
d'informations (art. 3 à 130). En particulier, le Chapitre 7 du Titre II de la
Convention de Schengen (« Responsabilité pour le traitement de demandes
d'asile», articles 28 à 38) avait le même objet et- à quelques différences près
- le même contenu que la Convention de Dublin. La CAAS prévoyait enfin
l'institution d'un Comité exécutif de niveau ministériel chargé de prendre
certaines dispositions d'application et de veiller à sa mise en œuvre (art. 131 à
133).

71
JO 1997 C 254/1. La signature de la Convention par le Danemark intervint plus tard, le
13 juin 1991.
72
Non. publiées. Les résolutions et conclusions de Londres se trouvent reproduites et
commentées dansE. GUILD, J. NlESSEN (note 61), pp. 141-190.
73 Publiée au JO 2000 L 239/19.

53
C. La phase de la « coopération en matière de justice et
affaires intérieures »

1. Le Traité sur l'Union européenne, ou laformalisation de la


coopération en matière de justice et affaires intérieures
39 Le Traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht le 1er février 1992 et
entré en vigueur le 1er novembre 1993 74, a représenté la première et timide
étape sur la voie de la « communautarisation » des politiques d'asile et
d'immigration. Avec son entrée en vigueur, la Communauté a été habilitée à
déterminer « les pays dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors
du franchissement des frontières extérieures des États membres » - une
question d'importance non négligeable dans le domaine de l'asile 75 - et à
arrêter «les mesures relatives à l'instauration d'un modèle type de visa»
(art. 100 C Traité CE, abrogé par le Traité d'Amsterdam). Pour le reste, et
sans préjudice des autres compétences de la Communauté touchant
directement ou indirectement aux conditions d'entrée, de circulation et de
séjour des ressortissants de pays tiers 76, les matières de l'asile,. du
franchissement des frontières extérieures des États membres et de
l'immigration furent incluses parmi .les «questions d'intérêt commun»
faisant 1' objet de la « coopération en matière de justice et affaires
intérieures» (ci-après « CJAI ») régie par les dispositions du Titre VI du
Traité UE (voir articles K.1 et K.2 no 1, 2 et 3 Traité UE).
Ainsi, la nouvellement instituée Union européenne fut expressément habilitée
à intervenir, selon les modalités définies par le Traité sur l'Union européenne
pour les matières relevant de son « troisième pilier »77 , dans les domaines de
l'asile et de l'immigration. En dépit des apparences, toutefois, le Traité de

74 JO 1992 c 191.
75
Cf. supra, n° 9. Voir également G. NOLL, J. VEDSTED-HANSEN, Non-
communitarians: refugee and asylum policies, in: P. ALSTON (éd.), The EU and
human rights, Oxford (OUP), 1999, pp. 359-410, aux pp. 382-388.
76
Par ex. les compétences en matière de libre circulation des personnes (cf. supra, no 1).
77
L'article K.9 du Traité UE prévoyait la possibilité de transférer certaines «questions
d'intérêt commun» au pilier communautaire de l'Union selon une procédure
comportant une décision unanime du Conseil suivie de la ratification de la part des
États membres. Cette « clause passerelle » n'a toutefois jamais été utilisée.

54
Maastricht n'apporta pas plus qu'une formalisation de la coopération
intergouvernementale qui avait été menée au cours des années précédentes78 •
40 En ce qui concerne les finalités et les principes de la « nouvelle » CJAI,
le Traité UE était peu éloquent et point novateur. Les dispositions de son
Titre VI se gardaient en effet de les définir ne fût ce que de manière générale,
stipulant uniquement que les questions en formant l'objet seraient traitées
dans le respect de la CEDH et de la Convention de Genève (art. K.2 Traité
UE). Le préambule du Traité, pour sa part, se bornait à réaffirmer
l'instrumentalité de la CJAI à l'objectif de« faciliter la libre circulation des
personnes, tout en assurant la sûreté et la sécurité de leurs peuples » (Traité
UE, préambule, cons. 9).
41 Sur le plan institutionnel, les dispositions du Traité de Maastricht étaient
tout aussi conservatrices. Certes, la coopération en matière d'asile se
déroulerait désormais dans le « cadre institutionnel unique » de l'Union
européenne (art. C Traité UE). Cependant, le rôle du Parlement européen et
de la Cour de justice, exclus de la coopération intergouvernementale
« informelle », demeurait tout à fait marginal également dans ce nouveau
cadre institutionnee9• En ce qui concerne la Commission et le Conseil, le
Traité prévoyait une « association étroite » de la première aux travaux menés
dans le domaine migratoire en lui conférant notamment un droit d'initiative,
et faisait du second l'organe de décision de l'Union pour les matières de
troisième pilier en lieu et place des conférences diplomatiques des Douze80•
La Commission était cependant privée du monopole d'initiative (art. K.3 § 2,
1er tiret Traité UE) et confrontée à un Conseil statuant en tout état de cause à
78
En ce sens Y. GAUTIER, Commentaire aux dispositions sur la coopération dans les
domaines de la justice et des affaires intérieures, in: V. CONSTANTINESCO,
R. KOVAR, D. SIMON (éds.), Traité sur l'Union européenne - Commentaire article
par article, Paris (Economica), 1995, pp. 816-859, § 25.
79
Le Parlement se vit en effet reconnaître seulement un droit de regard limité dans les
travaux du Conseil (voir art. K.6 Traité UE). Quant à la Cour, le Titre VI du Traité UE
ne lui attribua aucune compétence sur les dispositions du Titre VI, ni sur les actes qui
auraient été adoptés sur cette base. L'art. K.3 Traité UE prévoyait uniquement qu'en
cas d'adoption de conventions de la part du Conseil (cf. infra, n° 42), celles-ci auraient
pu comporter une attribution de juridiction à la Cour. De plus, l'article L érigeait la
Cour de justice en gardienne du respect de l'article M Traité UE, d'après lequel«[ ... ]
aucune disposition du [Traité UE] n'affecte les Traités instituant les Communautés
européennes[ ... ]» (voir CJCE, aff. C-170/96, «Transit aéroportuaire», Rec. 1998, I-
2763).
80 Sur l'importance de cette distinction voir J.-P. JACQUÉ, Le Conseil, in: Commentaire
J. Mégret- Le droit de la CE et de l'Union européenne, vol. 9, Bruxelles (Éditions de
l'Université de Bruxelles), 2• éd., 2000, pp. 129-190, § 3.

55
l'unanimité. Sa capacité d'orienter les travaux de 1'Union était ainsi
drastiquement réduite, par rapport à la « normale » communautaire81 • Quant
au Conseil, le conservatisme institutionnel du Traité UE trouvait son
expression la plus frappante, dans la mesure où ses dispositions assuraient la
pérennité des structures de travail mises en place entre 1986 et1993 82•
42 En ce qui concerne enfin les instruments juridiques de l'Union, l'article
K.3 prévoyait l'adoption, par le Conseil statuant à l'unanimité (art. K.4 § 3
Traité UE), de «positions communes», d'« actions communes » et de
« conventions »,.ouvertes ensuite à ratification par les États membres. Le seul
acte susceptible de déployer incontestablement des effets juridiques
obligatoires à 1' égard des États membres était la convention, .instrument
classique de la coopération internationale.

2. Les résultats de la CJAI


43 Au vu de ce qui précède, il n'est point surprenant que les résultats de la
mise en œuvre du Titre VI en matière d'asile aient été maigres. En dépit des
ambitions exprimées dans la déclaration sur l'asile annexée au Traité de
Maastrichë3, aucun acte juridiquement obligatoire en matière d'asile ne fut
adopté sous l'empire de ce dernier, si on fait exception de certaines décisions
d'ordre institutionnel et procédural84 . En particulier, les rares textes adoptés
par le Conseil, visant le rapprochement du droit des États membres, étaient
dépourvus d'effet obligatoire85 .

81
Sur l'importance des règles de vote au sein du Conseil pour la position institutionnelle
de la Commission, voir la remarque significative de J. H. H. WEILER, The
Constitution of Europe, Cambridge (CUP), 1999, p. 231.
82
L'ancien« groupe des coordinateurs» devint ainsi le comité prévu par l'article K.4. Le
groupe ad hoc immigration fut transformé en « steering group » immigration; placé
sous la direction du comité K.4 et doté, comme par le passé, de six sous-groupes de
travail (voir E. GUILD, J. NIESSEN, note 61, p. 63). La seule nouveauté fut
représentée par l'ajout d'un autre comité à la structure préexistante- le COREPER-
dont les rapports avec le comité « KA » étaient par ailleurs singulièrement mal définis
(voir art. K.4, § 1, 2e tiret). Sur les questions soulevées par la coexistence du comité
KA et du COREPER, voir Y. GAUTIER (note 78), § 104.
83
Voir la Déclaration (no 32) relative à l'asile.
84
Voir par ex. la Décision no 96/198/JAI relative à une procédure d'alerte et d'urgence
pour la répartition des charges en ce qui concerne l'accueil et le séjour, à titre
temporaire, des personnes déplacées (JO 1996 L 63/10).
85
On se réfère à la Résolution sur les garanties minimales pour les procédures d'asile (JO
1996 C 274/13) et à la Position commune concernant l'application harmonisée de la
définition du terme« réfugié» (JO 1996 L 63/2). Le caractère non obligatoire de cette

56
Consacrant une fois de plus la « fuite des États devant 1' obligation juridique
et [le] refus d'adopter des instruments contraignants »86, le Traité de
Maastricht aura donc eu le mérite principal de démontrer l'inefficacité de la
coopération intergouvernementale dans l'élaboration d'une politique aussi
complexe que celle de l'asile, et d'ouvrir ainsi la voie à des réformes plus
ambitieuses.

3. La mise en place de l'« espace Schengen »et l'entrée en


vigueur du système européen de détermination de l'État
responsable
44 La période allant de l'entrée en vigueur du Traité de Maastricht à celle du
Traité d'Amsterdam, stérile du point de vue de la production .normative, a été
en revanche caractérisée par la mise en application des textes adoptés au
cours de la phase de la coopération informelle, les Conventions de Schengen
et de Dublin.
45 .Peu après la signature de la Convention de Schengen par ses cinq Parties
contractantes originaires, quatre autres États membres y adhérèrent87 : l'Italie
en 1990, l'Espagne et le Portugal en 1991 et la Grèce eti 1992. Après
l'élargissement de l'Union européenne de 1995, quatre autres États de
l'Union suivirent: l'Autriche en 1995, le Danemark, la Fitilande et la Suède
en 1996. À cette date, tous les États membres de l'Union européenne des
Quinze étaient parties à la Convention, à l'exception du Royaume-Uni,
opposé à l'abolition des contrôles aux frontières, et de l'Irlande, qui lui est
associée au sein d'une zone de voyage commune. Par ailleurs, l'entrée dans le
groupe de Schengen des trois pays nordiques de l'Union européenne rendit
nécessaire l'association de la Norvège et de l'Islande, qui constituent avec
eux l'Union nordique des passeports88 • L'accord conclu à cet effet à
Luxembourg en 1996,, remplacé par la suite par un nouvel accord en 1999
(cf. infra, n° 64), marqua une étape importante, ouvrant la voie à

deuxième mesure ressort de son texte même (voir sa section introductive, deuxième et
troisième tirets).
86
H. LABAYLE (note 38), à la p. 816.
87
La Convention de Schengen était, d'après son article 140, ouverte à l'adhésion de tout
État membre de la CEE.
88
Voir A. CORNU, Les aspects institutionnels des Accords d'association de la. Suisse à
Schengen et à Dublin, in: C. KADDOUS, M. JAMETTI GREINER (éds.), Accords
bilatéraux II Suisse-UE, Genève/Bâle/Munich/Bruxelles/Paris (Helbing &
Lichtenhahn/Bruylant!LGDJ), 2006, pp. 207-244, à la p. 217.

57
l'élargissement de l'espace Schengen au-delà des frontières de l'Union
européenne.
46 L'abolition des frontières suivit, à un rythme plus lent, cette succession
de ratifications et d'adhésions. La Convention fut mise en application89 le
26 mars 1995 parmi sept États Schengen seulement (Allemagne, France, pays
du Benelux, Espagne et Portugalr. En Italie et en Autriche, elle fut mise en
application trois ans plus tard, le 1er avril 199891 • En Grèce et dans les pays
nordiques, enfin, elle fut mise en application respectivement en 2000 et en
2001 92 , après son« intégration dans le cadre de l'Union européenne» prévue
par le Protocole (n° 2) annexé au Traité d'Amsterdam (cf. infra, no 61).
Le Chapitre 7, relatif à la détermination de l'État responsable pour l'examen
des demandes d'asile, ne resta pas longtemps en application. Dans l'esprit de
l'article 142 CAAS 93 , et en vue d'éviter toute superposition et tout conflit
avec la Convention de Dublin, les États Schengen avaient convenu en 1994
qu'il cesserait d'être applicable dès l'entrée en vigueur de celle-ci94•

89
Concernant la CAAS, il faut en effet distinguer entrée en vigueur et mise en
application. L'article 139 CAAS opérait cette distinction, prévoyant la mise en
application de la Convention le premier jour du troisième mois suivant son entrée en
vigueur, à son tour conditionnée par le seul dépôt des instruments de ratification. Une
déclaration commune relative à cette disposition stipulait cependant : « La Convention
ne sera mise en vigueur que lorsque les conditions préalables à l'application de la
Convention seront remplies dans les États signataires et que les contrôles aux
frontières extérieures seront effectifs». Cette déclaration, réitérée lors de la signature
de chaque accord d'adhésion, a donné lieu à la pratique selon laquelle la mise en
application de la Convention dans un État contractant est précédée par une évaluation
de sa capacité opérationnelle au regard des différents volets de la Convention et par
une décision positive prise à l'unanimité par le Comité exécutif Schengen (voir la
Décision SCH-ComEx (98) 26 déf., JO 2000 L 239/138).
90
Voir la Décision SCH-ComEx (94) 29 rév. 2 (JO 2000 L 2391130).
91
Décisions SCH-ComEx (97) 27 rév 4 et (97) 28 rév 4, non publiées.
92
En ce qui concerne la Grèce voir la Décision SCH- ComEx (97) 29 rév 2 (JO 2000 L
239/135) ainsi que la Décision du Conseil n° 1999/848 (JO 1999 L 327/58). En ce qui
concerne les pays nordiques - Danemark, Finlande, Suède ainsi que Islande et
Norvège, voir la Décision du Conseil no 2000/777 (JO 2000 L 309/24).
~ .
« Lorsque des conventions sont conclues entre les Etats membres des Communautés
européennes en vue de la réalisation d'un espace sans frontières intérieures, les Parties
contractantes conviennent des conditions dans lesquelles les dispositions de la présente
Convention sont remplacées ou modifiées en fonction des dispositions correspondantes
desdites conventions».
94
Voir le Protocole «relatif aux conséquences de l'entrée en vigueur de la Convention
de Dublin sur certaines dispositions de la Convention d'application de l'Accord de
Schengen », signé à Bonn le 26 avril 1994 par les neuf États qui étaient à cette date

58
Le systeme ut: uuuuu u""'' ·- ~~···-·--- -~ _

47 Cette succession eut lieu le 1er septembre 1997 lorsque, après un


processus de ratification ayant duré sept ans, la Convention de Dublin entra
en vigueur dans les douze États signataires95 • Quelque mois plus tard, elle
entra en vigueur également dans les trois États ayant adhéré en 1995 à
l'Union européenne96• Au 1er janvier 1998, la Convention de Dublin
s'appliquait donc à tous les membres de l'Union européenne. Son dispositif
avait entre-temps été complété par certaines dispositions d'application
arrêtées par le Comité établi par son article 18 (ci-après «Comité de l'article
18»)97.

48 Il y a lieu de signaler ici deux développements ultérieurs relatifs à la


Convention de Dublin, qui ont eu lieu après l'entrée en vigueur du Traité
d'Amsterdam.
49 Le premier développement- l'« enrichissement» du dispositif Dublin 1-
eut lieu au travers de l'adoption de deux textes de nature différente en l'an
2000. Le premier texte était la Décision n° 112000 du Comité institué par
1' article 18 de la Convention de Dublin, qui concernait spécifiquement la
problématique de l'unité de la famille des demandeurs d'asile (cf. infra, chap.
IV, no 27-37)98 • Le deuxième était le Règlement no 2725/2000 -la première
mesure communautaire dans le domaine de 1' asile - relatif à la création du
système informatisé EURODAC pour la comparaison des empreintes
digitales aux fins de l'application efficace de la Convention de Dublin99 • Ce
système n'entra en fonction que le 15 janvier 2003 100, soit environ huit mois
avant que la Convention de Dublin ne cesse de s'appliquer (cf. infra,
n° 70) 101 , et ne contribua donc pratiquement pas à sa mise en oeuvre.

parties à la Convention de Schengen (publié en langue française au JORF 6 octobre


1997, n° 233, p. 14509).
95
Le retard dans l'entrée en vigueur de la Convention de Dublin fut la conséquence du
refus persistant du Parlement des Pays-Bas de la ratifier, au motif qu'elle ne prévoyait
aucune forme de contrôle juridictionnel sur son application. Voir I. BOCCARDI
(note 34), pp. 46 et 56.
96
En Autriche et en Suède la Convention de Dublin entra en vigueur le 1er octobre 1997,
en Finlande le 1er janvier 1998.
97
Décisions no 111997 (JO 1997 L 28111) et no 111998 (JO 1998 L 196/49) du Comité de
l'article 18.
98
Décision no 112000 du Comité de l'article 18 (JO 2000 L 28111).
99 JO 2000 L 316/1.
100 Voir la Communication de la Commission publiée au JO 2003 C 5/2.
1m •
Sauf dans les rapports entre le Danemark et les autres Etats membres (cf. infra, no 71).

59
50 Le deuxième développement - l'« élargissement » du dispositif Dublin I
- eut lieu en 2001. D'après son article 21, la Convention de Dublin était
ouverte à l'adhésion des seuls États membres des Communautés européennes.
Au moment de sa signature, toutefois, les Ministres des affaires intérieures
insérèrent au procès verbal de la Conférence la déclaration suivante 102 :
Les Parties déclarent[ ... ] qu'elles laisseront ouverte l'option d'étendre la
coopération prévue par la présente Convention à d'autres États, leur
permettant de souscrire, à travers des instruments appropriés, des
engagements identiques à ceux qui sont définis dans la présente
Convention.

Cette déclaration répondait aux manifestations d'intérêt provenant de certains


pays tiers, dont notamment les pays de l'ABLE et le Canada. Les premiers, en
particulier, aspiraient à une association à « Dublin » pour ne pas devenir des
«pays de réserve» pour les demandeurs d'asile déboutés dans un État de
l'Union 103 .
51 Avec l'association de l'Islande et de la Norvège à la mise en œuvre, à
l'application et au développement de l'acquis de Schengen, vint aussi le
premier engagement formel à associer ces deux pays à la mise en œuvre du
système de Dublin. L'article 7 de l'Accord de 1999 (cf. infra, n° 64)
prévoyait à cet égard la conclusion d'un
arrangement approprié [... ] sur les critères et mécanismes permettant de
déterminer l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile
introduite dans un État membre, en Islande ou en Norvège.

Un tel «arrangement» fut signé le 19 janvier 2001 et entra en vigueur le


1er avril de la même année 104• Sa disposition centrale, l'article 1er, disposait
que les dispositions matérielles de la Convention de Dublin, ainsi que les

102 Déclaration n° 1, procès-verbal de la Conférence des ministres de l'immigration du 17


juin 1990, non publiée, reproduite dans E. GUILD, J. NIESSEN (note 61), p. 87.
Traduction libre.
103 Voir A. ACHERMANN (note 70), aux pp. 17-18; D. JOLY (note 6), aux pp. 174-175.
Voir également le Message du Conseil fédéral suisse relatif à l'approbation des
accords bilatéraux entre la Suisse et l'Union européenne, y compris les actes
législatifs relatifs à la transposition des accords («accords bilatéraux Il») du 1er octobre
2004, FF 2004, p. 5593, à la p. 5803.
104 Accord entre la Communauté européenne, la République d'Islande et le Royaume de
Norvège relatif aux critères et aux mécanismes permettant de déterminer l'État
responsable de l'examen d'une demande d'asile introduite dans un État membre, en
Islande ou en Norvège (JO 2001 L 93/38). L'information relative à l'entrée en vigueur
de l'Accord a été publiée au JO 2001 L 112/16.

60
décisions du Comité de l'article 18 et le Règlement « EURODAC », seraient
désormais appliqués par les deux États associés dans leurs relations mutuelles
et dans leurs relations avec les États membres de l'UE.

D. Vers l'établissement d'un« espace de liberté, de


sécurité et de justice »

1. Une constitutionnalisation en demi-teinte de la politique


migratoire de l'Union
52 Le Traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997 et entré en vigueur le
1er mai 1999 105 , a entièrement refondu les dispositions de droit primaire
relatives aux politiques relevant de l'ancienne CJAI, définissant ainsi un
cadre juridique nouveau pour la politique migratoire européenne.
53 Avec l'entrée en vigueur de ce Traité, l'Union s'est vue attribuer la
mission d'établir un
espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel est assurée la libre
circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en
matière de contrôle aux frontières extérieures, d'asile, d'immigration ainsi
que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène (art. 2,
4• tiret TUE).

Cet encadrement conceptuel de l'action de l'Union dans les matières


migratoires, centré sur la notion inédite d'espace de liberté, de sécurité et de
justice (ci-après « ELSJ »), combine des éléments de continuité et des
éléments de nouveauté. La caractérisation des mesures en matière d'asile et
d'immigration en tant que «mesures d'accompagnement» de la libre
circulation des personnes (cf. supra, no 15 et 33) est maintenue et explicitée
par le Traité d'Amsterdam (voir art. 2 TUE et 61lit. a TCE ; voir également
la Déclaration no 15 annexée au Traité d' Amsterdam) 106 • Et pourtant, les
nouvelles dispositions du Traité CE marquent en même temps un partiel
dépassement de cette logique. Le nouvel article 6 TUE érige les principes de
liberté, de démocratie, de respect des droits de l'homme et des libertés

105 JO 1997 c 340.


106 Cette continuité est soulignée par H. LABAYLE (note 38), à la p: 821. Voir également
G. SIMPSON, Asylum and immigration in the European Union after the Treaty of
Amsterdam, EPL (1999), pp, 91-124, qui met en exergue le caractère sécuritaire de
l'approche basée sur la notion de« mesures d'accompagnement».

61
fondamentales, ainsi que de l'État de droit, en principes directeurs de l'action
de l'Union (§ 1), ce qui revêt une importance toute particulière dans les
domaines migratoire et de la sécurité intérieure 107 •
En ce qui concerne spécifiquement la politique migratoire, on trouve une
autre ouverture - réservée mais significative - au dépassement de la pure
logique «compensatoire». L'article 61 lit. b TCE prévoit en effet l'adoption
de mesures en matière d'asile et d'immigration «autres» par rapport aux
mesures d'accompagnement visées par l'article 61lit. a.
54 À cette reformulation du cadre téléologique et conceptuel des politiques
liées à l'ELSJ, s'accompagne une radicale clarification de leurs contours et de
leur« devenir possible »108 • Au titre de la liberté de circulation des personnes,
le Traité vise désormais explicitement «l'absence de tout contrôle des
personnes, qu'il s'agisse de citoyens de l'Union ou de ressortissants de pays
tiers, lorsqu'elles franchissent les frontières intérieures» (art. 62, n° 1 TCE),
levant ainsi toute ambiguïté quant au sens de l'expression «espace sans
frontières» introduite par l'Acte unique européen (cf. supra, no 13-14).
Ensuite, il introduit des dispositions qui détaillent, avec une précision qui
faisait entièrement défaut au Traité de Maastricht, le but, les principes et
l'objet des interventions de l'Union dans chacun des domaines de l'ELSJ
(voir les articles 31 TUE et 62, 63, 65 et 66 TCE).

107D'après Henry LABAYLE, les droits fondamentaux constituent une «dimension


essentielle » de l'ELSJ (H. LABAYLE, note 38, à la p. 822). La pertinence de cette
observation est prouvée par les conclusions de la Présidence du Conseil européen,
Tampere, 15 et 16 octobre 1999 (Bull. 10/1999, p. 7), qui lient étroitement l'action de
l'Union en vue de l'établissement de l'ELSJ et l'élaboration d'une Charte des droits
fondamentaux de l'Union européenne. Rédigée par l'enceinte instituée par le Conseil
européen de Tampere, la Charte a été solennellement proclamée par les institutions de
l'Union à Nice, le 7 décembre 2000. Elle est publiée au JO 2000 C 364.
108 Ainsi C. AMARELLE, Le processus d'harmonisation des droits migratoires

nationaux des États membres de l'Union européenne. Historique, portée et


perspectives en droit communautaire d'asile et d'immigration, Zurich (Schulthess),
2005,p. 73.

62
55 L'article 63 TCE définit l'ossature de l'action de la Communauté dans le
domaine de la protection internationale des migrants forcés. Il charge le
Conseil d'adopter, dans un délai de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur
du Traité d'Amsterdam :
1) des mesures relatives à l'asile, conformes à la convention de Genève du
28 juillet 1951 et au protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des
réfugiés ainsi qu'aux autres traités pertinents, dans les domaines suivants:
a) critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable
de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États
membres par un ressortissant d'un pays tiers;
b) normes minimales régissant l'accueil des demandeurs d'asile dans les
États membres;
c) normes minimales concernant les conditions que doivent remplir les
ressortissants des pays tiers pour pouvoir prétendre au statut de réfugié;
d) normes minimales concernant la procédure d'octroi ou de retrait du
statut de réfugié dans les États membres;
2) des mesures relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées, dans les
domaines suivants:
a) normes minimales relatives à l'octroi d'une protection temporaire aux
personnes déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer
dans leur pays d'origine et aux personnes qui, pour d'autres raisons, ont
besoin d'une protection internationale;
b) mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par
les États membres pour accueillir des réfugiés et des personnes déplacées
et supporter les conséquences de cet accueil[ ... ].

56 Ce « programme législatif » traduit, lui aussi, un compromis entre


continuité et innovation. Presque tous les domaines. visés par l'énumération
ci-dessus étaient couverts, à l'époque de la signature du Traité d'Amsterdam,
par des mesures - pour la plupart non obligatoires - adoptées entre 1990 et
1996. En même temps, l'article 63 TCE charge les institutions de la mise en
œuvre d'un« programme de travail» plus équilibré que cela n'avait été le cas
par le passé. Il confère en effet une nouvelle centralité à la protection des
migrants forcés et à la solidarité entre États membres, en tant que principes
directeurs de la nouvelle politique d'asile 109 •
Relevons incidemment que l'action communautaire prévue par l'article 63
TCE ne concerne que les migrants forcés originaires de pays tiers. Quant aux

109 Pour une analyse plus développée, il est fait renvoi à F. MAIANI (note 68), aux
pp. 100-101.

63
demandes d'asile présentées par les ressortissants d'un État membre dans les
autres États membres, le Protocole (n° 29) annexé au Traité CE vise à les
placer d'office ·dans la catégorie des «demandes manifestement non
fondées », tout en laissant in fine inaffecté le pouvoir de décision de chaque
État membreu 0.
57 Au-delà de ces aspects matériels, le cadre institutionnel de la politique
d'asile sort révolutionné du Traité d'Amsterdam. Comme il résulte
implicitement des lignes qui précèdent, les matières anciennement couvertes
par les articles K.l Traité UE et 100 C Traité CE sont redistribuées entre
premier et troisième pilier, avec un enrichissement très considérable du pilier
communautaire. Seule la coopération policière et judiciaire en matière pénale
forme désormais l'objet du Titre VI TUE. Les autres matières (contrôles aux
frontières, conditions d'entrée et circulation des ressortissants de pays tiers
pour des courtes périodes, asile, immigration, coopération judiciaire en
matière civile, coopération administrative) sont en revanche transférées dans
le nouveau Titre IV de la troisième Partie du Traité CE (ci-après «Titre
IV » ). Le Traité d'Amsterdam amorce ainsi une dynamique de
« constitutionnalisation » de la politique migratoire européenne, dans la
mesure où la décision collective sur le mode « conventionnel » tend à être
remplacée par celle sur le mode « législatif » communautaire, et où les
institutions et les États sont - enfin - assujettis au contrôle de la Cour de
justice conformément au principe de l'État de droit111 • En même temps, il ne
réalise pas pleinement cette constitutionnalisation, car ses dispositions
opèrent une communautarisation graduelle et à certains égards incomplète des
matières relevant du Titre IV.
58 L'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam a ipso jure rendu applicables
aux domaines de l'asile et de l'immigration les règles communautaires
relatives à l'instrumentaire juridique des institutions (art. 249 TCE), à la
motivation et à la publication des actes adoptés (articles 253 et 254 TCE) et à
la transparence du processus décisionnel (art. 255 TCE) 112•
Elle a également étendu la juridiction contentieuse et préjudicielle du juge
communautaire aux matières relevant du nouveau Titre IV. L'art. 68 TCE

llO Pour un commentaire incisif du Protocole (no 29), voir G. NOLL, Negotiating asylum
- The EU acquis, extraterritorial protection and the common market of deflection, La
Haye/Boston/Londres (Martinus Nijhoft), 2000, pp. 224-227.
lll CJCE, aff. 294/83, Les Verts, Rec. 1986, 1339, cons. 23.
ll 2 Cette brève énumération n'est pas exhaustive. À titre d'exemple, elle ne couvre pas les
dispositions en matière de budget, de compétence du Médiateur européen, de
protection des données personnelles, etc.

64
apporte cependant certains infléchissements au système général des voies de
droit institué par les articles 230 à 245 TCE113 • D'abord, par dérogation à
l'article 234 TCE, il réserve le droit de saisir la Cour d'un renvoi préjudiciel
aux juridictions nationales statuant en dernier ressort 114 . Ensuite, il nie à la
Cour la compétence pour statuer sur « les mesures [relatives aux contrôles sur
les personnes aux frontières intérieures] portant sur le maintien de 1' ordre
public et la sauvegarde de la sécurité intérieure ». Enfin, il institue une
nouvelle procédure de « recours en interprétation »115 • Depuis le 1er mai 2004,
le Conseil est habilité à « adapter» - statuant à l'unanimité - «les
dispositions relatives aux compétences de la Cour» (art. 67 § 2, 2e tiret TCE),
ce qu ''1
1 n ' a, JUsqu
. ''a mamtenant,
. pas f att
. 116.

59 Quant aux procédures décisionnelles, pendant cinq ans à partir de l'entrée


en vigueur du Traité d'Amsterdam, les procédures d'adoption des mesures
prévues aux articles 62 à 66 sont restées proches de celles qui étaient prévues
par le Traité de Maastricht: droit d'initiative partagé entre la Commission et
les États membres, d'une part, et décision du Conseil statuant à l'unanimité,

113 Mises à part les dispositions dérogatoires examinées ci-dessous, le système général des
voies de droit s'applique pldnement aux matières relevant du Titre IV
(L. GAROFALO, Sulla competenza a titolo pregiudiziale della Corte di giustizia
seconda l'art. 68 del Trattato CE, DUE (2000), pp. 806-819, à la p. 807). Un exposé
général sur le système des voies de droit établi par le Traité dépasse les limites de la
présente étude. Voir G. TESAURO, Diritto comunitario, Padoue (CEDAM), 2005,
pp. 215-378 ; R. BIEBER, F. MAIANI, Précis de droit européen, Berne (Stiimpfli),
2004, pp. 107-140.
114 Voir à cet égard le commentaire de H. LABAYLE, Les nouveaux domaines
d'intervention de la Cour de justice :l'espace de liberté, de sécurité et de justice, in:
M. DONY, E. BRIBOSIA (éds.), L'avenir du système juridictionnel de l'Union
européenne, Bruxelles (Éditions de l'Université de Bruxelles), 2002, pp. 73-105, aux
pp. 94-95. Il paraît en revanche incorrect de considérer que l'art. 68 TCE octroie aux
juridictions statuant en dernier ressort une plus large discrétion, par rapport à l'art. 234
TCE, quant à la décision de saisir la Cour: voir, L. GAROFALO (note précédente),
aux pp. 808-810; C. CHENEVIERE, L'article 68 CE- Rapide survol d'un renvoi
préjudiciel mal compris, Cah. dr. eur. (2004), pp. 567-589, aux pp. 574-576 (en sens
dubitatif, H. LABAYLE, loc. cit.; L. DANIELE, Articolo 68, in: A. TIZZANO (éd.),
Trattati dell'Unione europea e della Comunità europea, Milan (Giuffré), 2004,
pp. 460-464, § 11.3).
115 Sur cette procédure, voir deL. GAROFALO (note 113), aux pp. 810-812, ainsi que les
études de H. LABA YLE et de C. CHENEVIERE citées à la note précédente,
respectivement aux pp. 96-98 et 582-588.
116 Le Plan d'action de la Commission et du Conseil relatif aux politiques de l'espace de
liberté, de sécurité et de justice pour les années 2005-2010 (cf. infra, no 80) prévoit une
initiative en ce sens, avant la fin 2006 (§ 1.3).

65
d'autre part (art. 67 § 1 TCE). Seule nouveauté, la consultation du Parlement
européen a été rendue obligatoire avant l'adoption de chaque mesure 117•
60 Cette période transitoire écoulée, la Commission a acquis le monopole· de
l'initiative (art. 67 § 2, 1er tiret) 118 • En ce qui concerne les règles de vote au
sein du Conseil et l'étendue des pouvoirs du Parlement européen, la situation
actuelle peut être résumée comme suit, en limitant notre regard à la politique
migratoire :
les mesures visées par l'article 62 TCE, relatives à l'entrée et à la
circulation des ressortissants de pays tiers dans le territoire de
l'Union pour une durée n'excédant pas les trois mois, sont arrêtées
se1on 1a proce'dure de cod'ectston
. . 119 ; font exception
. 1es mesures
visées par l'article 62 no 2 lit. b (i) et (iii) (détermination des pays
dont les ressortissants doivent être munis d'un visa pour entrer dans
les États membres et instauration d'un modèle type de visa), pour
l'adoption desquelles le Parlement est simplement consulté en vertu
de l'article 67 § 3 TCE;
les mesures en matière d'asile (art. 63 no 1 et 2 TCE) sont adoptées
selon la procédure de codécision à compter du 1er décembre 2005,
conformément à 1' article 67 § 5 TCE, introduit par le Traité de
Nice 120 ;

117 Par dérogation à l'article 67 § 1 TCE, les mesures visées par l'ancien article 100 C
TCE (cf. supra, no 39), désormais couvertes par l'article 62 no 2 lit. b (i) et (iii) TCE,
sont restées soumises à la procédure d'adoption qui leur était déjà applicable depuis le
1er janvier 1996, le Conseil statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la
Commission et après consultation du Parlement européen (art. 67 § 3 TCE).
118 .Le retour à l'orthodoxie communautaire n'est cependant pas entier, dansla mesure où

l'art. 67 TCE fait obligation à la Commission, pour les matières du Titre IV,
d'examiner toute demande d'un État membre visant à ce qu'elle soumette une
proposition au Conseil.
119 En ce qui concerne les mesures visées par l'article 62 no 2 lit. b (ii) et (iv), le passage à

la procédure de codécision a eu lieu le 1er mai 2004, en vertn de l'art. 67 § 4 TCE. En


ce qui concerne les autres mesures visées par l'art. 62, la procédure de codécision est
applicable à compter du 1er janvier 2005 en vertu de l'art. 1 § 1 de la Décision
n° 2004/927 (JO 2004 L 396/45).
120 À cette date, le Conseil a en effet adopté la Directive en matière de procédures d'asile,

dernière des mesures prévues par l'article 63 TCE (cf. infra, note 139). L'article 67 § 5
TCE ne s'applique pas aux « mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts
consentis par les États membres », qui sont néanmoins adoptées selon la procédure de
codécision, à compter du pr janvier 2005, en vertu de l'art. 1 § 2 de la Décision
n° 2004/927 (note précédente).

66
les mesures en matière d'immigration clandestine et de sejour
irrégulier sont arrêtées, à compter du 1er janvier 2005, selon la
proce'dure de cod'ec1s1on
. . 121 ;

les mesures dans le domaine de l'immigration légale (définition des


conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers, ainsi
que leurs droits de «libre circulation» dans l'Union) continuent à
être arrêtées par le Conseil statuant à l'unanimité après consultation
du Parlement européen 122 •
61 Le Traité d'Amsterdam a apporté une contribution ultérieure à la
constitutionnalisation de la politique migratoire en décrétant la fin de la
concurrence 1 coexistence entre le « laboratoire Schengen » et les politiques
menées au sein de l'Union. En vertu du Protocole (n° 2) annexé aux Traités
UE et CE, l'acquis de Schengen 123 est « intégré dans le cadre de 1'Union
européenne ». Sur le plan institutionnel, le Comité Exécutif Schengen cesse
d'exister et ses fonctions sont reprises par le Conseil. Sur le plan matériel, les
dispositions de l'acquis de Schengen à intégrer dans le cadre de l'Union
européenne sont sélectionnées par le Conseil 124 , rattachées, en fonction de
leur objet, aux bases juridiques 125 relevant du Titre VI TUE ou du Titre IV du
Traité CE 126 et de ce fait « transformées » - selon la base juridique retenue -
en droit dérivé du premier ou du troisième pilier. Parmi les effets de cette
«transformation», il y a lieu de signaler en particulier la publication de
l'acquis de Schengen, jusqu'alors jalousement gardé secret, et la soumission

121 Décision no 2004/927 (note 119), art. 1 § 2.


122 Le refus du Conseil d'étendre la procédure de codécision à l'adoption des mesures en
matière d'immigration légale, sommairement motivé au considérant 7 de la Décision
no 2004/927 (note 119), a été principalement dû à l'opposition de l'Allemagne et de
l'Autriche : voir le Rapport fait au nom de la Commission des libertés civiles, de la
justice et des affaires intérieures du Parlement européen du 13 décembre 2004
(rapporteur: M. BOURLANGES), doc. PE no A6-72/2004, § 2 de l'exposé des motifs.
123 Aux termes de l'annexe au Protocole, l'acquis de Schengen consiste en l'Accord de
Schengen, la Convention de Schengen, les protocoles et les accords d'adhésion à ceux-
ci et les décisions et déclarations du Comité Exécutif Schengen. Le Conseil a
cependant opéré une sélection des dispositions à« intégrer>> (cf. note suivante).
124 Décision no 435/1999 relative à la définition de l'acquis de Schengen (JO 1999 L
17611). Certaines dispositions relevant de l'acquis de Schengen n'ont pas été reprises
dans cette Décision, pour les motifs énumérés au cons. 4 de son préambule (par ex. il
s'agit de dispositions obsolètes ou devenues caduques à la suite du développement du
droit communautaire).
125 Pour la notion de « base juridique >> en droit communautaire, il est fait renvoi à
R. BIEBER, F. MAIANI (note 113), pp. 24 et 45-46.
126 Décision no 436/1999 (JO 1999 L 176/17).

67
des dispositions qui en relèvent au contrôle de la Cour dans les conditions
prévues, selon le cas, par le Traité CE ou par le Traité UE.

2. L 7ELSJ- un espace à géométrie variable


62 Les considérables avancées que nous avons illustrées n'ont pu être
acquises qu'au prix de compromis difficiles. Nous pouvons synthétiser le sens
de ces compromis en disant que le Traité d'Amsterdam opère une dissociation
- pour les matières relevant du concept de l'ELSJ - entre la qualité d'État
membre de l'Union, d'une part, et l'élaboration et l'application du droit de
l'Union, d'autre part.
63 Le premier aspect de cette dissociation est celui du opt out. Trois États
membres, le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark, voient reconnu en droit
primaire leur rejet de la communautarisation des matières relevant du Titre IV
et- dans le cas des deux premiers États - de l'abolition des contrôles aux
frontières intérieures 127 •
Sans entrer dans les détails des solutions juridiques retenues pour
. . de ces E'tats 128 , nous nous bornerons a' rappe1er que :
accommo der 1a position
Le Royaume-Uni et l'Irlande sont autorisés à maintenir les contrôles aux
frontières intérieures, « nonobstant » 1' article 14 TCE, toute autre
disposition de droit primaire ou toute disposition de droit dérivé ;
corrélativement, les autres États membres sont autorisés à effectuer les
A 129 ' .
controles sur les personnes provenant de ces deux Etats .
Le Danemark, le Royaume-Uni et l'Irlande ne participent pas à
l'adoption des mesures prises sur le fondement du Titre IV et ne sont pas

127 La position politique de l'Irlande est toutefois différente de celle des deux autres États,
puisque son refus ne reflète pas une position de principe, mais uniquement le désir de
maintenir la zone de voyage avec le Royaume-Uni : voir la Déclaration (no 55) de
l'Irlande annexée au Traité d'Amsterdam.
128 Pour de plus amples détails voir H. LABAYLE (note 38), aux pp. 839-843 ; P. J.
KUlJPER, Sorne legal problems associated with the communitarization of policy on
visas, asylum and immigration under the Amsterdam Treaty and incorporation of the
Schengen acquis, CMLR (2000), pp. 345-366.
129 Voir Protocole (no 3) annexé aux Traités UE et CE. Le Protocole n'est applicable à
l'Irlande qu'aussi longtemps qu'elle faitpartie d'une zone de voyage commune avec le
Royaume-Uni (art. 2), ce qui reflète sa position politique (cf. supra, note 127).

68
liés par celles-ci 130• Le Royaume-Uni et l'Irlande ont cependant la faculté
de participer, s'ils le souhaitent, à l'adoption de telles mesures. lls
peuvent en outre être autorisés par la Commission, en conformité avec
l'article 11 A TCE, à« accepter» ex post des mesures déjà adoptées 131 •
Le Royaume-Uni et l'Irlande ne sont pas liés par les dispositions relevant
de l'acquis de Schengen. Ils peuvent néanmoins demander de
« participer » à ces dispositions, auquel cas il revient au Conseil statuant
à l'unanimité de les y autoriser132 ; Le Danemark, pour sa part, continue
d'appliquer les dispositions de 1' acquis ayant été « communautarisées »
en tant que dispositions de droit international public 133• Des dispositions
particulières sont prises quant à la participation de ces États à l'adoption
de mesures constituant un développement de l'acquis de Schengen.
64 L'aspect inverse de ce phénomène de opt out est l'association d'États
tiers à la mise en place de certaines mesures relevant de l'ELSJ. Le Protocole
(no 2) intégrant l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne,
compte tenu de l'accord de Luxembourg de 1996 (cf. supra, n° 45), prévoit
en son article 6 l'association de l'Islande et de la Norvège à la mise en œuvre
et au développement de l'acquis de Schengen. Cette disposition a été mise en
œuvre avec la conclusion d'un nouvel accord d'association, signé à Bruxelles
ie 18 mai 1999 134. Par ailleurs, l'expansion de l'espace Schengen au-delà des
frontières de l'Union connaît à l'heure actuelle d'au~res importants
développements. Un deuxième accord d'association à Schengen a en effet été
signé entre l'UE/CE et la Suisse 135•

130Voir les Protocoles (n° 4) et (n° 5) annexés au TCE. Le Danemark participe toutefois à
l'adoption des mesures visées par l'ancien art. 100 C TCE et actuellement visées par
l'art. 62 n° 21it. b (i) et (iii) :Protocole (n° 5), art. 4.
----~I!r~tocole-{n'~--4-),--axticles--3-et-4.--YoiLpaLex._la__Décisio~2001L6~Q__(ID 2001 L
251123), qui rend applicable à l'Irlande la Directive no 2001155 .en matière de
protection temporaire.
132 Voir les Décisions du Conseil n° 2000/365 (JO L 131143) et no 2004/926 (JO L

395170) rdatives respectivement à la demande du Royaume-Uni de participer à


certaines dispositions de l'acquis de Schengen et à la mise en œuvre de celles-ci au
Royaume-Uni. Voir également la Décision n° 2002/192 (JO L 64/20) relative à la
demande de l'Irlande de participer à certaines dispositions de l'acquis de Schengen.
133
Protocole (n° 2), art. 3 et 4.
134 JO 1999 L 176/35. Les rapports réciproques entre la Norvège et l'Islande, d'une part,
et le Royaume-Uni et l'Irlande, d'autre part, au sujet des domaines de l'acquis de
Schengen qui s'appliquent à ces États sont réglés par un accord du 30 juin 1999, publié
au JO 2000 L 15/1.
135 Accord entre l'Union européenne, la Communauté européenne et la Confédération
suisse sur l'association de la Confédération suisse à la mise en œuvre, à l'application et

69
Depuis 1999, l'association de pays tiers à l'acquis de Schengen est par
ailleurs systématiquement suivie ou accompagnée par l'association de ces
mêmes pays au système de Dublin (cf. infra, no 72).

3. La mise en œuvre de la politique communautaire d'asile


65 Le dispositif introduit par le Traité d'Amsterdam, nous venons de le voir,
est empreint de contradictions et de tensions. Il consacre à la fois l'exigence
impérieuse d'une action commune et intégrée en matière migratoire, et les
réticences des États membres à s'engager franchement sur cette voie - voire
leur refus de principe, comme dans le cas du Danemark. Il ouvre la
perspective nouvelle d'une politique axée sur les droits fondamentaux et sur
la protection des migrants forcés, mais en même temps il appuie ouvertement
une approche sécuritaire à la matière migratoire.
Ces contradictions, loin d'avoir été résolues au stade de la mise en œuvre, ont
caractérisé l'action des institutions pendant les années 1999-2005 et ont laissé
leurs marques sur les mesures prises au cours de cette période.
66 Exerçant pleinement son rôle d'impulsion et d'orientation politique (voir
art. 4 TUE), le Conseil européen a défini les grandes orientations de l'action
des institutions visant l'établissement de l'ELSJ, notamment dans les
conclusions adoptées à Tampere au mois d'octobre 1999 136 • En matière
d'asile, les conclusions de Tampere ont posé les principes directeurs
suivants:
L'objectif général est d'assurer que l'Union européenne soit« ouverte et
sûre, pleinement attachée au respect des obligations de la Convention de
Genève sur les réfugiés et des autres instruments pertinents en matière de
------- - ----dreits-de-1-'hemme,et-Gapable-de-répendre-aux-beseins-humanitaires-sur----
la base de la solidarité» (§ 4).
Les institutions, dans le «respect absolu du droit de demander l'asile»,
doivent «travailler à la mise en place d'un régime d'asile européen
commun, fondé sur l'application intégrale et globale de la Convention de
Genève et [ ... ] assurer ainsi que nul ne sera renvoyé là où il risque à

au développement de l'acquis de Schengen, signé à Luxembourg le 26 octobre 2004


(RS 0.360.268.1). L'accord a été ratifié par la Suisse. En revanche, la procédure
d'approbation de la part du Conseil est encore en cours (voir A. CORNU, note 88, à la
p. 227).
136
Cf. supra, note 107.

70
nouveau d'être persécuté, c'est-à-dire [ ... ] maintenir le principe de non-
refoulement» (§ 13).
Les éléments constitutifs du régime commun de l'asile sont à court
terme, conformément à 1' article 63 TCE, « une méthode claire et
opérationnelle pour déterminer l'État responsable de l'examen d'une
demande d'asile, des normes communes pour une procédure d'asile
équitable et efficace, des conditions communes minimales d'accueil des
demandeurs d'asile, [ ... ] le rapprochement des règles sur la
reconnaissance et le contenu du statut de réfugié [et] des mesures
relatives à des formes subsidiaires de protection offrant un statut
approprié à toute personne nécessitant une telle protection» (§ 14). À
long terme, « les règles communautaires devraient déboucher sur une
procédure d'asile commune et un statut uniforme, valable dans toute
l'Union, pour les personnes qui se voient accorder l'asile» (§ 15).
67 À la simple lecture de ces extraits, on constate combien le Conseil
européen s'est engagé pour que les possibilités ouvertes par le Traité
d'Amsterdam soient pleinement exploitées, à la fois sous l'angle du niveau
d'intégration envisagé 137 et sous celui de l'ancrage du droit européen aux
droits de l'homme 138 • Cette approche ambitieuse et dynamique a toutefois été
freinée par les blocages politiques qui sont apparus au sein du Conseil, i.e. au
niveau décisionnel. La prise de décision à l'unanimité, couplée à une défense
intransigeante de l'intérêt national, ont sérieusement affecté la capacité de
cette institution à prendre les décisions qui étaient attendues d'elle. Ainsi, le
bilan que 1' on peut dresser de la première phase de mise en œuvre de 1' article
63 TCE est contrasté.
68 Le Conseil a agi sous l'impulsion politique constante du Conseil
eur()péen, secondé en cela par la Commission et par le Parlement européen. Il
-------------------------- -- - - -------- -- -

137 Le § 15 des conclusions («deuxième phase» de Tampere), cité dans le texte semble
même envisager une action communautaire allant au-delà de ce qui est autorisé par
l'art. 63 TCE. Henri LABAYLE parle à cet égard d'une «révision politique» du
Traité d'Amsterdam (H. LABAYLE, Le bilan du mandat de Tampere et l'espace de
liberté, sécurité et justice de l'Union européenne, Cah. dr. enr. (2004), pp. 591-661, à
la p. 594).
138 Il importe cependant de souligner qu'au fil des semestres les conclusions du Conseil
européen relatives à l'immigration et à l'asile se sont graduellement chargées d'un ton
sécuritaire et restrictif, suite notamment aux évènements du 11 septembre 2001 : voir
Conseil européen, Séville, 21 et 22 juin 2002, conclusions de la Présidence (Bull.
6/2002, p. 8) § 1.9.29 ; Conseil européen, Thessalonique, 19 et 20 juin 2003,
conclusions de la Présidence (Bull. 6/2003, p. 9) § 1.11.24-27.

71
avait en outre l'obligation d'agir dans le délai du 1er mai 2004 fixé par
1' article 63 TCE. Enfin, cette date était également celle envisagée pour
l'élargissement à l'Est de l'Union européenne (cf. infra, n° 74). Ces trois
facteurs ont contribué à l'adoption des mesures visées par l'article 63 no 1
et 2 TCE, qui ont presque toutes été arrêtées dans le délai fixé par le Traité 139 •
Il s'agit d'un résultat remarquable, surtout si on considère que cette
«première génération» de mesures communautaires en matière d'asile
comporte des améliorations significatives - de forme et de substance - par
rapport à l'acquis des années 1990-1999. En même temps, le pouvoir de veto
laissé à chaque État par la règle de l'unanimité, et l'approche restrictive
défendue par plusieurs d'entre eux dans le domaine de la protection
internationale, ont laissé leur marque sur cet acquis de «première
génération ». Globalement, celui-ci réalise en effet un faible niveau
d'harmonisation. Par ailleurs, des doutes subsistent sur la pleine conformité
de certains de ses éléments aux standards internationaux.
Si d'importantes avancées ont donc a été réalisées en l'espace de six ans,
force est de constater que les promesses de Tampere n'ont pas été pleinement
tenues 140 •

139Les actes adoptés dans le délai fixé par le Traité sont, dans l'ordre établi par l'art. 63
no 1 et 2 : le Règlement no 343/2003 établissant les critères et mécanismes de
détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile
présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers (JO 2003 L
5011), complété par le Règlement no 2725/2000 concernant la création du système
« EURODAC » (JO 2000 L 316/1) et par leurs respectifs Règlements d'exécution
no 1560/2003 (JO 2003 L 222/3) et no 407/2002 (JO 2002 L 62/1); la Directive
no 2003/9 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans
les États membres (JO 2003 L 31/18); la Directive no 2004/83 concernant les normes
-----'"'rm"'·nimales relatives aux conditions gue doivent remplir les ressortissants <k~Jill)'S tiers ..
ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou de protection subsidiaire
(JO 2004 L 304/12) ; la Directive no 2001155 relative à des normes minimales pour
l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées (JO
2001 L 212/12) ; la Décision no 2000/596 portant création d'un Fonds européen pour
les réfugiés (JO 2000 L 252/12), à laquelle fait suite la Décision no 2004/904
établissant le Fonds européen pour les réfugiés pour la période 2005-2010 (JO 2004 L
381152). Avec un retard d'un an et sept mois, le 1er décembre 2005, le Conseil a arrêté
la Directive no 2005/85 relative à des normes minimales concernant la procédure
d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (JO 2005 L 326/13).
140 Les institutions ont tracé un bilan globalement positif de cette première phase de la

politique communautaire d'asile, tout en reconnaissant que les résultats ne sont pas
tout à fait à la hauteur des ambitions initialement affichées : voir notamment la
Communication de la Commission « Espace de liberté, de sécurité et de justice : bilan
du programme de Tampere et futures orientations>>, doc. COM (2004) 401,

72
4. La transformation de la Convention de Dublin en un
instrument communautaire -le Règlement Dublin II
69 Avec l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam, nous l'avons vu, la
Communauté européenne s'est vue attribuer la compétence et 1' obligation
d'arrêter, avant le 1er mai 2004, les« critères et mécanismes de détermination
de l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un
des États membres par un ressortissant de pays tiers » (art. 63 no llit. a TCE).
La substitution de la Convention de Dublin avec un instrument
communautaire établissant « une méthode claire et opérationnelle pour
déterminer l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile » 141 aurait
dû intervenir, d'après «Plan de Vienne» du Conseil et de la Commission,
pourmat• 2001142 .
70 Le 18 février 2003, avec un retard considérable sur la date initialement
envisagée mais dans le délai fixé par le Traité, le Conseil a adopté le
Règlement no 343/2003 établissant les critères et mécanismes visés par
l'article 63 no 1 lit. a (ci-après «Règlement Dublin II» ou «RD ») 143 • Celui-
ci est applicable aux demandes d'asile présentées à partir du 1er septembre
2003 en lieu et place de la Convention de Dublin. Trois autres mesures
communautaires lui sont indissociablement liées : son Règlement
d'exécution, le Règlement n° 1560/2003 de la Commission144, le Règlement

notamment pp. 3-6. En doctrine, les prises de position ont été généralement plus
critiques : voir notamment G. GILBERT, ls Europe living up to its obligations to
refugees ? , EJIL (2004), pp. 963-987 ; E. GUILD, Seeking asylum : storm clouds
between international commitments and EU legislative measures, ELR (2004),
-----pp.-19&21&-;_H._LABAYLE (note 13~)__;_A. ROIG, L'harmonisation européenne du
droit d'asile: une vue critique, RMCUE (2004), pp. 590-596; C. FAVILLI,
B. NASCIMBENE, Orientamenti comunitari, in: Fondazione ISMU (éd.), Decimo
rapporto sulle migrazioni 2004 - Dieci anni di immigrazione in ltalia, Milan (Franco
Angeli), 2005, pp. 73-103; F. MAIANI (note 68). Le bilan tracé par les ONG est plus
critique encore : voir CERE, Broken promises - forgotten ·princip les : an ECRE
evaluation of the development of EU minimum standards for refugee protection,
Bruxelles, 2004 (www.ecre.org).
141 Conseil européen de Tampere (note 107), § 14.
142 Plan d'action du Conseil et de la Commission concernant les modalités optimales de
mise en œuvre des dispositions du Traité d'Amsterdam relatives à l'établissement d'un
espace de liberté, de sécurité et de justice, dit« Plan de Vienne» (JO 1999 C 1911),
§ 36 lit. b (i).
143 JO 2003 L 50/1.
144 JO 2003 L 222/3.

73
-- -----------

« EURODAC » (cf. supra, no 48), et le Règlement d'exécution de ce dernier,


le Règlement no 407/2002 145 .
Ces quatre Règlements constituent ensemble le dispositif Dublin II, qui régit
la détermination de l'État responsable parmi quatorze et, depuis le 1er mai
2004, vingt-quatre États membres (cf. infra, n° 74) 146 •
71 En raison de son opt out (cf. supra, no 63), le Danemark n'applique pas
ces Règlements et n'est pas lié par eux. Dans un premier temps, donc, la
détermination de l'État responsable entre le Danemark et les autres États
membres a continué à être régie par le dispositif Dublin I.
En 2006, la Communauté et le Danemark ont cependant conclu un Accord
international dont l'objet est de rendre applicable dans l'ensemble de l'UE le
dispositif Dublin II 147 . Cette mesure insolite - il s'agit d'un rare accord
international conclu entre la Communauté et un État membre - vise en
pratique à contourner le opt out danois et à simuler une condition de
«normalité communautaire» pour les besoins de l'application des règles de
Dublin 148 .
L'Accord prévoit l'application du dispositif Dublin II «aux rapports entre la
Communauté et le Danemark (sic)» (art. 2), ainsi que la reprise par le
Danemark, sous peine de dénonciation de l'Accord, des mesures
communautaires adoptées ultérieurement par la Communauté en la matière
(articles 3 et 4). D'après son article 1 § 2, son objectif est de parvenir «à une
application et à une interprétation uniformes des dispositions des règlements
et de leurs mesures d'application dans tous les États membres». À cette fin,
le Danemark est placé, dans la mesure du possible, dans une position
analogue à celle des autres États membres vis-à-vis de la Cour de justice.
D'abord, l'Accord met les juridictions danoises sur pied d'égalité avec les
-------:Jul'idictions-des-autœs-États-membœs--en-matière-de-recours-pr-éjudiciel,-y---

145 JO 2002 L 62/1.


146 Les Règlements s'appliquent également au Royaume-Uni et à l'Irlande: voir
notamment Règlement Dublin ll, cons. 17.
147 Le texte de l'Accord, approuvé par le Conseil au nom de la Communauté avec la
Décision no 2006/188 (JO 2006 L 66/37), est publié au JO 2006 L 66/38. ll est entré en
vigueur le 1°' avril2006 (voir JO 2006 L 96/9).
148 Un procédé similaire a été suivi aux fins de l'application, dans l'ensemble de l'Union,
de certaines mesures en matière de coopération judiciaire en matière civile : voir par
ex. 1' Accord entre la Communauté et le Danemark sur la compétence judiciaire, la
reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2006
L 299/62), approuvé par le Conseil au nom de la Communauté avec la Décision
n° 2006/325 (JO 2006 L 120/22).

74
compris au sujet de la force de « chose interprétée » des arrêts de la Cour
(art. 6 § 1 et 2). Ensuite, le Danemark se voit reconnaître le droit de présenter
des observations devant la Cour (art. 6 § 4) lorsque celle-ci est saisie d'un
recours préjudiciel, ainsi que le droit de proposer un « recours en
interprétation» (art. 6 § 3). Enfin, l'Accord confère à la Commission le
pouvoir de saisir la Cour d'un recours en manquement au sens de l'article 230
TCE vis-à-vis du Danemark (art. 7 § 1) et donne au Danemark le droit de
présenter une «plainte» à la Commission pour qu'elle agisse vis-à-vis d'un
autre État membre.
72 Deux autres Accords d'association au dispositif Dublin II ont été conclus
à ce jour par la Communauté.
D'abord avec la Norvège et l'Islande. L'accord de 2001 (cf. supra, no 51)
prévoyait que lors de 1'adoption de mesures communautaires sur le
fondement de l'article 63 n° 1 lit. a, la Norvège et l'Islande auraient pu
accepter d'en être liées (articles 2 § 3 et 4 § 2-7). Cette procédure a été mise
en œuvre lors de l'adoption du Règlement Dublin II, de son Règlement
d'application et du Règlement d'exécution« EURODAC »149 •
Ensuite avec la Suisse. Le 26 octobre 2005, la CE et la Confédération ont en
effet signé un accord prévoyant 1' association de cet État au développement et
à la mise en œuvre du système Dublin II150 • Sa mise en application est
subordonnée d'une part, à la conclusion de protocoles « transversaux » avec
le Danemark, la Norvège et l'Islande (cf. infra, n° 73) et, d'autre part, à la
mise en application de l'acquis de Schengen en Suisse. Il est prévu que ces
conditions soient remplies en 2008 151 .
Ces Accords d'association - dont le contenu est très similaire - prévoient
aussi l'application du dispositif Dublin II entre Parties contractantes, ainsi que
-la-reprise-par les Ét~ts associés-des mesures adeptées ultérieurement-par la--
Communauté. Ils sont cependant moins ambitieux que 1' accord avec le
Danemark. Leur objectif est « de parvenir à une application et à une
interprétation aussi uniformes que possible » du dispositif Dublin II (italiques
ajoutés), et à cet effet ils ne prévoient ni l'attribution de compétences à la
Cour de justice, ni une obligation expresse, pour les autorités et juridictions

149 Il n ' a pas ete


' ' necessaue
' . de mettre en œuvre cette proce'dure pour 1e R'eg1ement
« EURODAC » (note 139), qui était directement intégré aux dispositions de l'Accord.
150 RS 0.142.392.68. L'accord a été ratifié par la Suisse. Il n'a en revanche pas encore été
approuvé par le Conseil au nom de la Communauté (voir A. CORNU, note 88, à la
p. 227).
151 Voir A. CORNU (note 88), aux pp. 226-231.

75
des pays associés, de « tenir compte » de sa jurisprudence. Plus modestement,
ils prévoient un suivi de la jurisprudence de la Cour de justice et des autorités
et tribunaux nationaux par les comités mixtes qu'ils instituent. En cas de
«différences substantielles», une procédure de règlement de différends peut
s'ouvrir au sein du comité mixte qui peut à son tour aboutir, en cas
d'insuccès, à la cessation de l'application des accords 152 •
73 Les trois Accords d'association que nous venons de mentionner sont
complétés par des Protocoles «transversaux», dont l'objet est d'assurer la
mise en œuvre du même dispositif entre États associés 153 • Au travers de cette
construction juridiquement baroque, le dispositif Dublin II régira la
détermination de l'État responsable dans un espace (presque) 154 sans
frontières formé par 28 États européens, auxquels devrait s'ajouter à l'avenir
le Liechtenstein 155 •

E. L'élargissement de l'Union européenne et l'avenir de


l'espace de liberté, de sécurité et de justice
74 La date du 1er mai 2004 a marqué l'aboutissement du plus vaste et
complexe processus d'élargissement de l'histoire de l'Union européenne. À
cette date, huit États d'Europe centrale et orientale et deux États
méditerranéens sont devenus membres de l'Union européenne, et participent à
l'application et au développement de l'acquis en matière d'asile 156 • Cet
élargissement du système (prétendument) commun de l'asile n'est pas sans

152
Sur tous ces aspects, voir A. CORNU (note 88), aux pp. 231-242.
153
Le Protocole visant à rendre applicable le dispositif Dublin II entre le Danemark, d'une
_ _ _ _ _part, et la Norvège et l'Islande, d'autre part, Jl été conclu le 21 février 2Q()(j (JQ 2()Q(j L _____ _
57/15) et est entré en vigueur le 1•' mai 2006 (JO 2006 L 112/12). La Suisse négocie
actuellement les accords avec le Danemark, d'une part, et la Norvège et l'Islande,
d'autre part: voir A. CORNU (note 88), à la p. 224.
154 En effet, les espaces « Dublin » et « Schengen » ne coïncident pas, car le Royaume-

Uni et l'Irlande maintiennent à ce jour les contrôles aux frontières avec les États
« Schengen »(cf. supra, no 63).
155 L'article 15 de l'Accord d'association CE-Suisse (note 150) prévoit en effet l'adhésion

du Liechtenstein au travers de la conclusion d'un protocole additionnel.


156 Sur les difficultés liées à la reprise de l'acquis en matière d'asile par les États

adhérents, et sur la stratégie de préadhésion dans ce domaine, voir E. M. MAFROLLA,


L'impatto del regime comune europeo in materia di asilo nei paesi dell'Europa
centrale, RIDU (2002), pp. 68-88 ; S. ANAGNOST, Challenges facing asylum system
and asylum policy development in Europe : preliminary lessons learned from the
Central European and Baltic States, URL (2000), pp. 380-400.

76

------1
soulever des questions. Sans aucune prétention d'exhaustivité, nous en
.
s1gna1erons tr01s
. 157 .

En premier lieu, l'application dans l'Europe élargie du Protocole (n° 29)


annexé au Traité CE (cf. supra, no 56), qui est en soi critiquable à la lumière
notamment de l'article 3 CG 158 , est de nature à soulever de graves objections
lorsqu'on considère, par exemple, les pratiques discriminatoires auxquelles
sont soumis les Gens du voyage dans plusieurs nouveaux États membres 159.
Deuxièmement, la législation communautaire en vigueur, et plus
particulièrement le Règlement Dublin II, tend à concentrer le fardeau de
l'accueil sur les pays se trouvant aux frontières orientales et méridionales de
l'Union, qui sont en même temps les pays qui disposent comparativement de
moins de ressources pour la protection des migrants forcés (cf. infra,
chap. III, no 107 ss).
La troisième question, qui n'est pas spécifiquement liée à l'élargissement
mais dont l'acuité est amplifiée par celui-ci, tient à la qualité de l'acquis
communautaire actuel. Comme nous l'avons relevé, les standards que ce
dernier définit sont trop faibles et lacunaires pour assurer aux migrants forcés
un traitement conforme aux standards internationaux et équivalent dans
l'ensemble du territoire de l'Union. La réalisation d'un« système commun de
1' asile » répondant à cette dénomination présuppose un tout autre niveau
d'harmonisation, ainsi que la fixation de standards contraignants plus élevés
que ce n'est le cas actuellement 160.
75 L'élargissement de l'Union appelle donc un «approfondissement» de
l'intégration dans les domaines de l'ELSJ. À cet égard, les perspectives
d'avenir se situent sur deux plans distincts, constitutionnel et législatif.

157 Pour de plus amples développements, voir E. M. MAFROLLA (note précédente);


F. MAlANI (note 68).
158 « Les États contractants appliqueront les dispositions de cette Convention aux réfugiés
sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d'origine».
159 Voir le Rapport de M. Alvaro GIL-ROBLES, Commissaire aux droits de l'homme du
Conseil de l'Europe, sur la situation en matière de droits de l'homme des Roms, Sintis
et Gens du voyage en Europe, du 15 février 2006, doc. CommDH(2006)1, notamment
aux § 95-98. Le Protocole (n° 29) soulève d'ailleurs des problèmes délicats également
dans la perspective d'une éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne:
voir les remarques de G. NOLL (note 110), p. 227.
160 Sur les deux questions évoquées en dernier lieu, voir F. MAIANI (note 68), aux
pp. 123-127.

77
76 Sur le plan constitutionnel, les Vingt-cinq ont signé à Rome, le 29
octobre 2004, le Traité établissant une Constitution pour l'Europe (ci-après
«Traité constitutionnel» ou «TC ») 161 , qui prévoit notamment une refonte
intégrale des dispositions des Traités relatives à l'espace de liberté, de
sécurité et de justice. Une analyse générale de ce texte, même synthétique,
sort du cadre du présent travai1 162 • Nous nous bornons plutôt à signaler ses
apports les plus significatifs se rapportant, directement ou indirectement, à la
matière migratoire.
77 Sur le plan institutionnel, l'entrée en vigueur du Traité entraînerait pour
l'ensemble des domaines de l'ELSJ une pleine« constitutionnalisation » dans
le sens que nous avons employé supra, au no 57. Premièrement, le Traité
constitutionnel reprend, en sa partie II (art. 61 à 114 TC), la Charte des droits
fondamentaux de l'Union européenne, proclamée à Nice en décembre 2000,
faisant de celle-ci un texte de droit primaire 163 • Deuxièmement, il prévoit
l'application des dispositions générales relatives à la compétence du juge
communautaire (art. 360 à 380 TC) aux matières relevant de l'ELSJ 164• Enfm,
il prévoit pour ces matières, sauf dans certains cas ponctuels, l'adoption de
« lois » et « lois-cadres » européennes selon la procédure de codécision telle
que définie à l'article 396 TC (voir art. 34 et 265 à 277 TC) 165 •
78 Sur le plan matériel, les innovations sont tout aussi significatives. Le
Traité constitutionnel consacre le dépassement définitif de la logique
«compensatoire» des politiques d'immigration et d'asile. Les objectifs
définis par le Traité sont (a) le développement d'une politique migratoire, au
sens large, « qui est fondée sur la solidarité entre États membres et qui est
équitable à l'égard des ressortissants de pays tiers» (art. 257 § 2 TC), et (b) le

161 JO 2004 c 310.


162 Il est fait renvoi à B. NASCIMBENE, Il progetto di Costituzione europea e
l'immigrazione, DIC (112004), pp. 13-23 ; D. THYM, The area of freedom, security
and justice in the draft Treaty establishing a Constitution for Europe, WHI Working
Papers 4/04, Berlin, 2004 (www.whi-berlin.de); E. GUILD, S. CARRERA, No
Constitutional Treaty ? Implications for the area of freedom, security and justice,
CEPS Working Document 231, Bruxelles, 2005 (www.ceps.be).
163 En l'état actuel, la Charte n'est pas un texte juridiquement obligatoire. Elle n'est pas
pour autant entièrement dépourvue d'effets juridiques (cf. infra, chap. V, n° 3 et 14).
164 Sous réserve de l'art. 377 TC. Pour une analyse de cet aspect, voir B. NASCIMBENE,
Lo spazio di libertà, sicurezza e giustizia in una prospettiva costituzionale europea, in:
L. S. ROSSI (éd.), Il progetto di Trattato-Costituzione: verso una nuova architettura
dell'Unione europea, Milan (Giuffré), 2004, pp. 273-293, aux pp. 290-293.
165 Voir B. NASCIMBENE (note précédente), aux pp. 289-290. Les exceptions à la règle
de la codécision sont établies par les articles 263, 269 § 3, 275 § 3 TC et 277 TC.

78
développement d'une «politique commune» -cette expression mérite d'être
relevée, tant elle rompt avec les réticences du droit primaire en vigueur166 -
en matière d'asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire
«visant à offrir un statut approprié à tout ressortissant d'un pays tiers
nécessitant d'une protection internationale et à assurer le respect du principe
de non-refoulement» (art. 266 § 1 TC). Conformément à cette approche plus
ambitieuse, le Traité élargit sensiblement les compétences de l'Union dans le
domaine de la protection internationale. À titre d'exemple, il n'est plus
question de « normes minimales » relatives aux statuts de protection et aux
procédures d'octroi de ces statuts, mais bien de statuts «uniformes» et de
procédures « communes » 167 • L'article 266 § 2 lit. e TC reprend pour sa part
l'article 63 no llit. a TCE, prévoyant toutefois l'adoption de. critères de
détermination de l'État responsable pour l'examen des demandes d'asile «et
de protection subsidiaire ». Au-delà de cette extension du champ
d'application des critères et mécanismes, le Traité Constitutionnel confirme
par cette disposition que dans la future Union comme dans l'actuelle les
demandes de protection internationale seront examinées par les autorités
nationales 168 , et qu'elles seront «distribuées» parmi les États sur la base de
critères prédéterminés. Le Traité ne préjuge cependant pas du contenu des
futurs «critères et mécanismes».
79 À ce jour 14 États membres ont ratifié le Traité. Les résultats négatifs des
référendums qui se sont tenus en France et aux Pays-Bas mettent cependant
en doute le succès du processus de ratification, de telle sorte qu'il est
impossible aujourd'hui de dire si, quand, sous quelles conditions et sous
quelle forme le Traité pourra entrer en vigueur 169 • Ce qui apparaît certain est

166 Il faut rappeler, en effet, que les Traités UE et CE n'emploient à aucun endroit
l'expression «politique commune d'asile». Plus timidement, ils prévoient l'adoption
de «mesures» dans le domaine de l'asile et de la protection internationale des
migrants forcés (voir art. 2 TUE et 61 et 63 TCE).
167 Il y a lieu de relever que ces nouvelles dispositions fourniraient une base juridique plus
solide que les actuelles pour 1' adoption des mesures de la « deuxième phase » du
programme de Tampere (cf. supra, note 137).
168 Le Traité semble donc exclure que l'examen des demandes d'asile puisse être confié à
l'avenir à des organismes communautaires. En revanche, il ne semble pas fermer la
porte à une plus grande implication d'organismes communautaires dans la mise en
œuvre concrète du droit européen de la part des organismes nationaux : voir la
Communication de la Commission sur le renforcement de la coopération pratique, doc.
COM (2006) 67, notamment aux § 21-23. Voir également HCR, UNHCR working
paper :a revised « EU-Prong »proposai, Genève, 2003.
169 Pour une esquisse des scénarios possibles après les référendums français et néerlandais
voir R. BIEBER, F. MAIANI, Referenden im Ratifizierungsprozess der Europiiischen

79
que le délai originairement prévu à cet effet, du 1er novembre 2006 (art. 447
TC), ne pourra pas être tenu 170•
80 L'action des institutions pour la réalisation des objectifs des Traités, et
notamment l'indispensable action d'approfondissement de l'espace de liberté,
de sécurité et de justice, est donc destinée à se poursuivre dans les années à
venir sous l'empire des Traités en vigueur. Le cadre de référence pour les
travaux au cours des années 2005-2010 a été défini, d'une part, par
«Programme de La Haye», adopté par le Conseil européen les 4 et 5
novembre 2004 171 , et, d'autre part, par le Plan d'action du Conseil et de la
Commission relatif à la mise en œuvre de ce Programme 172 • À en juger de ces
documents, le développement de la politique d'asile de l'Union devrait se
poursuivre dans le sillon tracé par les conclusions de Tampere, tant ils sont
peu novateurs en matière de protection internationale des migrants forcés.
Dans l'attente de l'entrée en vigueur du Traité constitutionnel, les espoirs
d'une future politique d'asile plus «commune» et plus équilibrée résident
ailleurs, principalement en l'abandon de l'unanimité au sein du Conseil et en
l'association du Parlement européen en tant que codécideur. Cependant, les
motifs d'inquiétude ne font pas défaut, à en juger des initiatives tendant à
«sous-traiter» la protection des migrants forcés à d'autres pays voisins 173 et
de l'accent plus sécuritaire qu'humanitaire des conclusions du Conseil
européen adoptées en concomitance avec le Programme de La Haye 174•

Verfassung, in: A. EPINEY, F. RIVIÈRE, S. THEUERKAUF, M. WYSSLING (éds.),


Annuaire suisse de droit européen 2004/2005, Berne/Zurich (Stiimpfli!Schulthess),
2005, pp. 253-266, aux pp; 262-263.
HD--yoir la Déclaration des cliefs d'Etat ou(Ie gouvernement des États fuembres de--
l'Union européenne sur la ratification du Traité établissant une Constitution pour
l'Europe, adoptée en marge du Conseil européen des 16 et 17 juin 2005 (Bull. 6/2005,
p. 26).
171 JO 2005 c 53/1.
172 JO 2005 c 198/1.
173 Sur ce thème, voir G. NOLL, Visions of the exceptional : legal and theoretical issues

raised by transit processing centres and protection zones, EJML (2003), pp. 303-341.
174 Conseil européen, Bruxelles, 4 et 5 novembre 2004, conclusions de la Présidence

(Bull. 11/2004, p. 9), § 1.4.14: «Les citoyens d'Europe attendent à juste titre de
l'Union européenne que, tout en garantissant le respect des libertés et des droits
fondamentaux, elle adopte une approche commune plus efficace des problèmes
transfrontières tels que l'immigration illégale et la traite des êtres humains, ainsi que le
terrorisme et la criminalité organisée ».

80
Deuxième partie

Droit et pratique
, de la détermination de
l'Etat responsable
Chapitre III
Le système de Dublin : ses principes, ses buts, son
fonctionnement

1 En l'espace de quelques années, le système de Dublin a connu une


considérable expansion géographique (cf. supra, chap. II). Les États
participant à sa mise en œuvre ont augmenté de cinq à vingt-sept, et passeront
dans un proche avenir à vingt-huit. De plus, il a connu une double
transformation formelle - du Chapitre 7 de la Convention de Schengen, à la
Convention de Dublin, puis au Règlement Dublin IL
L'objet du présent chapitre est d'illustrer, dans une optique évolutive, ses
principes et règles de fonctionnement, pour pouvoir ensuite mieux en saisir la
philosophie et les objectifs sous-jacents, et exposer enfin les nombreuses
difficultés juridiques et pratiques auxquelles donne lieu sa mise en œuvre.

A. Le dispositif Dublin 1

1. Les dispositions de la Convention de Dublin

a) Le champ d'application du dispositif Dublin 1


2 Le système de détermination de l'État responsable établi par la
Convention de Dublin1 était applicable aux demandes d'asile présentées par
un ressortissant de pays tiers à la frontière ou sur le territoire d'un des États
parties (art. 3 CD).
La Convention définissait la demande d'asile comme une «requête par
laquelle un étranger sollicite d'un État membre la protection de la
[Convention de Genève] » (art. 1 lit. b CD). Étaient ainsi exclues du champ
d'application de la Convention les demandes sollicitant un statut de
protection autre que celui de réfugié, et en particulier les statuts

1 JO 1997 c 254/1.

83
«subsidiaires» de protection fondés sur l'article 3 CEDH (cf. supra, chap. 1,
n° 24).
D'un point de vue conceptuel, cette définition doit être relevée car elle opère
une identification entre « asile » et « statut de réfugié » que le droit
international n'établit pas2 • En prenant pour base une définition doctrinale de
1' asile territorial - « admission to residence and lasting protection against
persecution and/or the exercise of jurisdiction by another State »3 - on peut
en effet constater, d'une part, que le droit international n'oblige en principe
pas les États à accorder l'asile aux réfugiés, et, d'autre part, qu'il ne fait en
rien obstacle à l'octroi de l'asile à des personnes ne relevant pas de cette
catégorie4. Sous cet aspect, la Convention de Dublin constitue un texte
fondateur de la systématique du droit communautaire de la protection
internationale, puisqu'aujourd'hui cette relation de correspondance
biunivoque entre le concept de réfugié conventionnel et le concept d'asile est
fermement ancrée en droit primaire et en droit dérivé.
3 Une autre définition fournie par la Convention de Dublin est digne de
mention, celle de «demandeur d'asile». Est ainsi défini l'étranger ayant
présenté une demande d'asile « sur laquelle il n'a pas encore été statué
définitivement» (art. 1 lit. c CD). Là aussi, on relèvera que «demandeur
d'asile» n'est pas proprement une notion juridique de droit international

2
Avec cela, nous n'entendons pas nier la proximité des deux concepts, attestée, par
exemple, par les Conclusions du Comité Exécutif HCR no 5 (XXVIII) 1977, no 65
(XLII) 1992, lit. f, et n° 82 (XLVIIl) 1997.
3
G, SAJOODWIN-CHL.L.,-1'he refugee-in-international-law,-Oxford (Clarendon Press),--
20 éd., 1996, p. 178.
4
Voir par ex. l'article 10 al. 3 de la Constitution italienne: «L'étranger, auquel
1'exercice effectif des libertés démocratiques garanties par la Constitution italienne est
interdit dans son pays, a droit d'asile sur le territoire de la République, selon les
conditions fixées par la loi» (traduction libre). Pour une étude comparative des
concepts nationaux d'asile, voir F. MODERNE, Le droit constitutionnel d'asile dans
les États de l'Union européenne, Aix-en-Provence/Paris (Presses universitaires d'Aix-
Marseille/Economica), 1999.
Voir notamment l'art. 63 TCE, qui regroupe les questions relatives à l'octroi du statut
des réfugiés sous le no 1 («mesures relatives à l'asile»), laissant tout ce qui concerne
les statuts alternatifs de protection pour le no 2 («mesures relatives aux réfugiés et aux
personnes déplacées»). Voir également G. NOLL, Negotiating asylum - The EU
acquis, extraterritorial protection and the common market of deflection, La
Haye/Boston/Londres (Martinus Nijhoff), 2000, pp. 15-18.

84
(cf. supra, chap. 1, n° 16), mais qu'elle l'est désormais, selon la définition que
nous venons de rappeler, en droit communautaire6•

b) Les principes fondamentaux du dispositif Dublin 1


4 Le dispositif Dublin 1 reposait sur trois principes cardinaux.
Premièrement, les États parties s'engageaient à garantir que touté demande
d'asile serait examinée par l'un d'entre eux, sans préjudice de la faculté de
renvoyer le demandeur d'asile vers un pays tiers en conformité avec la
Convention de Genève et avec leur droit national (articles 3 § 1 et 5 CD;
cf. supra, chap. 1, no 15, et chap. Il, no 24-25).
Deuxièmement, chaque demandeur d'asile voyait en principe sa requête
examinée par un seul État contractant désigné sur la base de critères objectifs
(principe dit de .la « chance unique » : art. 3 § 2 CD) 7•
Troisièmement, l'examen de la demande d'asile avait lieu conformément au
droit national de l'État responsable (art. 3 § 3 CD).

c) Les critères de responsabilité


5 Les critères de détermination de l'État responsable définis par la
Convention de Dublin s'inspiraient essentiellement de trois grands principes
de rattachement.
6 En ordre hiérarchique, le premier principe· de rattachement était celui du
lîen familial. Conformément à ce principe, la Convention attribuait la
responsabilité à 1'État qui aurait reconnu le statut de réfugié à un membre de
la famille du demandeur d'asile -le conjoint, l'enfant mineur célibataire, le
père ou la mère si le demandeur était un mineur célibataire - à condition que
le membre de la famille réside régulièrement sur son territoire et que les
intéressés soient d'accord (art. 4 CD).
7 Le deuxième principe de rattachement était celui de la responsabilité
pour la présence du demandeur d'asile sur le territoire des États

6
Voir par ex. la Directive n° 2003/9 relative à des normes minimales pour l'accueil des
demandeurs d'asile dans les États membres (JO 2003 L 31/18), art. 2lit. c.
7
En doctrine, on ne trouve que la dénomination anglaise de ce principe ( « one-chance-
only principle »):voir par ex. K. HAILBRONNER, C. THIERY, Schengen II and
Dublîn: responsibility for asylum applications in Europe, CMLR (1997), pp. 957-989,
à la p. 964.

85
contractants. Ce principe se traduisait par une sene de critères d'après
lesquels était désigné responsable, dans l'ordre (articles 5 à 7 CD) :
(a) l'État ayant délivré un titre de séjour au demandeur d'asile;
(b) l'État ayant délivré un visa au demandeur d'asile;
(c) l'État dont les frontières extérieures auraient été franchies
irrégulièrement par le demandeur, sauf en cas de séjour irrégulier de
ce dernier dans l'État de présentation de la demande pour une
période d'au moins six mois ;
(d) l'État responsable du contrôle sur l'entrée régulière du demandeur
d'asile 8.
Le critère fondé sur les liens familiaux du demandeur d'asile étant étroitement
défini, ce principe « de la responsabilité pour la présence du demandeur
d'asile »9 était censé jouer le rôle de principe général de rattachement 10 .
8 Le troisième principe de rattachement, subsidiaire et résiduel par rapport
aux deux autres, était celui du lieu de la présentation de la demande. Était
ainsi désigné responsable, en cas d'inapplicabilité des autres critères, l'État
sur le territoire duquel la première demande d'asile était présentée (art. 8 et
12 CD).
9 Dans deux cas de figure, il était par ailleurs admis qu'un État assume la
responsabilité pour le traitement de la demande en lieu et place de 1'État

Pour un examen plus détaillé de ces critères de responsabilité, voir C. SCHMID,


R. BARTELS, Handbuch zum Dubliner Übereinkommen, Vienne/Baden-Baden
(NWV/Nomos), 2001, pp. 69-90.
9
-- En doctrine, plusieurs dénominations existent -pour- Ge--prinGipe : «principe--
d'autorisation» (voir par ex. A. HURWITZ, The 1990 Dublin Convention: a
comprehensive assessment, IJRL (1999), pp. 646-677, à la p. 648) qui nous semble
cependant mal adapté, car ce principe de rattachement vise également l'entrée non
autorisée, ou encore« principe de solidarité» (voir par ex. 1. BOCCARDI, Europe and
refugees - Towards an EU asylum policy, La Haye (Kluwer Law International), 2002,
p. 37), qui au vu des effets du système de Dublin nous paraît encore moins adapté
(cf. infra, no 107 ss). L'expression «responsabilité pour la présence du demandeur
d'asile>> nous paraît celle qui reflète mieux l'idée de base des critères que nous avons
énuméré. En ce sens, voir le document de travail des services de la Commission
« Réexamen de la Convention de Dublin >>, doc. SEC (2000) 522, § 8.
10
Voir A. HURWITZ (note précédente), loc. cit. Le caractère« général>> du principe de
responsabilité pour la présence du demandeur d'asile et le caractère« d.'exception >>du
critère du lien familial ressortissait plastiquement de l'aménagement des critères dans
le texte de la Convention de Schengen (voir articles 30 et 35).

86
désigné par les critères que nous avons mentionnés. D'abord, chaque État
contractant maintenait le droit d'examiner une demande d'asile lui étant
adressée, à condition que le demandeur y consente ( « clause de
souveraineté»: art. 3 § 4 CD) 11 . Ensuite, tout État contractant était habilité à
assumer la responsabilité pour l'examen d'une demande d'asile, pour des
raisons humanitaires fondées notamment sur des motifs familiaux ou
culturels, à condition qu'un autre État contractant le lui demande et que les
personnes concernées le souhaitent («clause humanitaire»: art. 9 CD) 12•
Nous examinerons le fonctionnement concret de ces deux clauses infra, au
chapitre IV, no 12-37.
10 La Convention prévoyait enfin le transfert de la responsabilité d'un État
membre à un autre dans toute une série d'autres cas particuliers (par ex. la
délivrance d'un titre de séjour: art. 10 § 2 CD; l'inobservation des délais
fixés par la Convention pour la présentation de demandes de prise en charge :
art. 11 CD) 13 •

d) Les obligations de l'État saisi d'une demande d'asile et


de l'État responsable
11 La Convention de Dublin prévoyait que chaque État contractant auquel
une demande d'asile aurait été présentée pour la première fois engagerait sans
tarder la procédure de détermination de l'État responsable (ci-après procédure
«Dublin»). Pendant la durée de la procédure «Dublin», cet État était tenu
de reprendre en charge le demandeur s'étant éventuellement rendu dans un
autre État membre et y ayant présenté une autre demande d'asile (art. 3 § 6 et
7CD).
_ g_ Une fois déterminé l'État responsable, celui-ci était tenu principalement
de mener à-termel'examende la-demande d'asi~i.e:--« l'ensemble des
mesures d'examen, des décisions ou des jugements rendus par les autorités
compétentes sur une demande d'asile à l'exception des procédures de

11
Voir également les articles 29 § 4 et 30 § 2 de la Convention de Schengen (JO 2000 L
239/19), ci-après « CAAS ». Ces dispositions n'exigeaient pas le consentement du
demandeur, mais cette condition d'application a été introduite par décision du Comité
Exécutif de Schengen par sa décision SCHffi As (93) 13 3" rev., non publiée.
12 Voir également art. 36 CAAS. D'après cette disposition, toutefois, seul l'État
responsable pouvait demander à un autre État membre de mettre en œuvre la clause
humanitaire.
13
Pour plus de détails voir C. SCHMID, R. BARTELS (note 8), pp. 99-101.

87
détermination de l'État responsable [ ... ] » (art. 1 lit. d CD), sans préjudice de
sa faculté de renvoyer le demandeur vers un pays tiers (cf. supra, no 4).
Il était également tenu de «prendre en charge» le demandeur d'asile ayant
présenté sa demande dans un autre État membre - i.e. d'en accepter le
transfert sur son territoire - et de « reprendre en charge » le demandeur
d'asile qui, pendant la durée de la procédure, se serait rendu irrégulièrement
dans un autre État membre ou y aurait présenté une demande d'asile (art. 10
CD).
13 Conformément au principe de la« chance unique», lorsqu'une demande
d'asile était définitivement rejetée par l'État responsable, les autres États
membres étaient habilités à refuser l'examen des demandes successivement
introduites par la même personne sur leur territoire (principe dit de la
«extraterritorialité des décisions négatives sur l'asile», implicitement posé
par l'art. 3 § 2 CD) 14. A
'
la demande des autres Etats," "'
l'Etat , .
responsable etait
tenu de réadmettre sur son territoire le demandeur débouté, sa responsabilité
ne prenant fin qu'au moment où il le renvoyait effectivement hors du
territoire des États contractants (art. 10 § 1 lit. e et§ 4 CD).

e) Dispositions procédurales et administratives


14 La Convention de Dublin comportait enfin des dispositions relatives :
aux procédures de prise en charge, de reprise en charge et de transfert du
demandeur d'asile, précisant notamment les délais applicables à leurs
différentes phases (art. 11 à 13 CD) ;
à l'échange d'informations entre autorités nationales (art. 14 et 15 CD)
. àl'adoption de règles d'll,);lplication par le Comité institué l'ar l'article 18 __ _
de la Convention de Dublin (ci-après « Comité de 1' article 18 »). Sont en
particulier à signaler les Décisions n° 1/1997 et 1/1998 du Comité 15 , qui

14 Ainsi A. HURWITZ, Commentaires sur la détermination de l'État membre


responsable de l'examen d'une demande d'asile et la répartition des charges entre
États membres, in: C. DIAS URBANO DE SOUSA, P. DE BRUYCKER (éds.),
L'émergence d'une politique européenne d'asile, Bruxelles (Bruylant), 2004, pp. 71-
86, à la p. 75. Il y a lieu de souligner le caractère« optionnel» de l'effet extraterritorial
des décisions négatives (voir K. HAILBRONNER, C. THIERY, note 7, à la p. 964),
les États membres n'étant aucunement tenus de rejeter les demandes présentées par un
demandeur débouté dans un autre État. La meilleure illustration en est la « tenzij
clausule» en vigueur aux Pays-Bas (cf. infra, note 25).
15
Publiées respectivement au JO 1997 L 28111 et au JO 1998 L 196/49.

88
avaient pour objet de prec1ser les dispositions procédurales de la
Convention de Dublin et de définir le régime des preuves relatives à
l'établissement de la responsabilité des États, notamment en ce qui
concerne la question épineuse de la preuve du franchissement irrégulier
des frontières extérieures 16•

2. La mise en œuvre de la Convention au niveau national

a) La transposition de la Convention
15 L'entrée en vigueur de la Convention de Dublin a engendré certaines
modifications du droit d'asile des États contractants.
16 D'abord, il fallait introduire, avant la procédure de détermination du
statut de réfugié, la nouvelle procédure « Dublin » 17 .
17 Ensuite, la mise en application de la Convention supposait que l'on
donne une base légale, en droit interne, aux décisions de transfert vers l'État
responsable (inadmissibilité/rejet de la demande et renvoi) et de prise en
charge 18 • Dans certains États, l'introduction de nouvelles dispositions
législatives ne fut pas nécessaire, les décisions de transfert étant fondées sur
les règles générales en matière de pays tiers sûrs 19 . À l'autre extrême, en
France et en Allemagne, l'introduction du principe de la «chance unique»
fut accompagné par une réforme du droit constitutionnel d'asilé0 •
18 Par ailleurs, il fallut allouer les fonctions d'exécution de la Convention à
une ou plusieurs instances administratives. À cet égard, les solutions retenues
dans les différents États membres ont été divergentes. La majorité des États
ont opt~ pol]r_ l'agr_ibution d~_§_ fonctions liées à la mise en œuvre de la
Convention à une autorité centrale spécialement constituée («unite

16
Pour un examen détaillé voir C. SCHMID, R. BARTELS (note 8), pp. 102-115 et 127-
138.
17
Voir DANISH REFUGEE COUNCIL, The Dublin Convention - Study on its
implementation in the 15 Member States of the European Union, Copenhague (Danish
Refugee Council), 2001, (www.drc.dk; ci-après «Rapport DRC »),par ex. pp. 6-7
(Belgique).
18
Voir Rapport DRC (note précédente), pp. 6-14.
19
Tel a été le cas, par ex., au Royaume-Uni: voir Rapport DRC (note 17), p. 14. Des
règles spéciales ont toutefois été introduites successivement : voir A. NICOL, Between
immigration and policing: cross recognition, ELJ (2004), pp. 171-181, à la p. 175.
20 Voir K. HAILBRONNER, C. THIERY (note 7), aux pp. 965-966.

89
Dublin »)21 ou préexistante22• Les Pays-Bas et la Suède ont opté pour
l'établissement de plusieurs «unités Dublin » 23 • La France, enfin, a attribué
aux Préfectures la tâche d'envoyer aux autres États membres les demandes de
prise ou reprise en charge, réservant au Ministère des affaires intérieures le
'
trattement des requetes « entrantes »24.
A

19 Certains États, enfin, ont introduit des dispositions législatives


transposant en droit national les dispositions facultatives de la Convention
(clause de souveraineté, clause humanitaire), sans pour autant préciser leurs
conditions d'application25 • Les dispositions ainsi introduites - ou les
dispositions préexistantes applicables lors de l'exécution de la Convention-
ont parfois été ultérieurement précisées par voie de normes secondaires
contraignantes (règlements administratifs, ordonnances, etc,i6 et/ou de lignes
directrices, circulaires, etc27 • Dans certains États, toutefois, une telle
concrétisation n'a point eu lieu28 •

21
Tel a été le cas de l'Allemagne, de l'Autriche, de la Belgique, du Danemark, de
l'Irlande, de l'Italie et duRoyaume-Uni : voir Rapport DRC (note 17), pp. 15-18.
22
Telle a été l'option retenue par l'Espagne, la Finlande, la Grèce, le Luxembourg et le
Portugal : voir Rapport DRC (note 17), pp. 15-17.
23
Voir Rapport DRC (note 17), pp. 16-17.
24
Sur les problèmes d'homogénéité d'application de la Convention causés par ce
système voir Rapport DRC (note 17), pp. 15-16.
25
Voir Rapport DRC (note 17), p. 6 (Belgique). Fait exception la situation aux Pays-Bas
où la « tenzij clausule », article 15 lit. b de la Loi sur les étrangers, prévoit une
exception à la règle de l'inadmissibilité des demandes d'asile déjà rejetées par d'autres
États membres pour les cas où la demande serait « fondée sur des faits pertinents qui
n'ont pas pu jouer un rôle dans la décision prise par les autorités de cet État»
(traduction libre : voir Rapport DRC, p. 12). À ce sujet, voir B. SCHRODER, Das
Dubliner Übereinkommen, Francfort s/Main (Peter Lang), 2004, pp. 103-104.
26
Tel a été le cas en Finlande, en Irlande et aux Pays-Bas: voir Rapport DRC (note 17),
pp. 19-20.
27
Tel a été le cas en Allemagne, Danemark, France, Italie, Suède et Royaume-Uni: voir
Rapport DRC (note 17), loc. cit.
28
Il en a été ainsi en Autriche, Belgique, Luxembourg, Portugal et Espagne : voir
Rapport DRC (note 17), loc. cit.

90
b) Le déroulement de la procédure « Dublin » - la position
du demandeur d'asile
20 La Convention de Dublin ne définissait aucune garantie relative au
déroulement de la procédure« Dublin» en faveur du demandeur d'asile29 •
Les dispositions d'application prises par le Comité de l'article 18, pour leur
part, prévoyaient uniquement que le demandeur était informé lors de l'envoi à
un autre État d'une demande de prise ou reprise en charge, et que l'éventuelle
décision de transfert lui était notifiée 30.
21 Les États étaient libres d'aller au-delà et d'octroyer aux demandeurs
d'asile des garanties ultérieures, et à cet égard ils n'ont pas manqué de suivre
des approches radicalement différentes 31 •
Aux Pays-Bas, par exemple, le demandeur d'asile recevait des
renseignements généraux sur la procédure « Dublin » au moment du dépôt de
sa demande. Il était ensuite personnellement entendu par le Dutch Council for
Refugees et par les agents de l'unité «Dublin» compétente, qui étaient tenus
de lui expliquer le sens et les finalités de cette entrevue. Enfin, il avait droit à
une assistance légale gratuite tout le long de la procédure et, le cas échéant,
en cas de recours 32 • À l'autre extrême, dans de nombreux États membres le
demandeur d'asile ne recevait aucune information spécifique sur la procédure
«Dublin», ni n'était entendu (oralement ou par écrit) au sujet de la
détermination de l'État responsable. Les unités «Dublin» de ces États
statuaient uniquement sur la base de formulaires remplis par la police,
rarement riches de renseignements sur la situation personnelle et familiale du
demandeur, et sur la base des documents de voyage de ce dernier ou d'autres
indices attestant de la route qu'il avait suivie33 •

29
Cette lacune de la Convention a été relevée, entre autres, par la Commission dans son
document de travail «Vers des normes communes en matière de procédures d'asile»,
doc. SEC (1999) 271, § 12.
30
Décision no 1/1997 (note 15), art. 19. La mise en œuvre de cette disposition a été
défaillante dans certains États membres : voir par ex. la situation en Autriche, telle que
décrite par le Rapport DRC (note 17), p. 33.
31 Pour un exposé général voir B. SCHRÔDER, C. MARINHO, The Dublin Convention
and the national administrations : Dublin procedures in the Member States, in:
C. MARINHO (éd.), The Dublin Convention on asylum: its essence, implementation
and prospects, Maastricht (EIPA), 2000, pp. 85-159.
32 Voir Rapport DRC (note 17), p. 101; voir également B. SCHRÔDER, C. MARINHO
(note précédente), aux pp. 133-135.
33
Tel était notamment le cas de l'Italie: voir Rapport DRC (note 17), pp. 38 et 100. Voir
également B. SCHRÔDER, C. MARINHO (note 31), aux pp. 125-126.

91
22 Ni la Convention ni les mesures d'application du Comité de l'article 18
n'exigeaient la motivation de la décision clôturant la procédure «Dublin».
Là aussi la question était remise intégralement au droit des États membres, et
là aussi les divergences ont été sensibles. La tendance générale des
administrations nationales a néanmoins été celle de motiver les décisions
« Dublin » avec des formules standard fort peu explicatives de la manière
dont elles avaient pris en compte la situation et les souhaits de l'intéressë4.
De plus, la décision était souvent rédigée uniquement dans la langue officielle
'
de l'Etat concerné35 .

c) Les voies de recours


23 En matière de droits de recours, la situation était semblable à celle que
nous venons de décrire en matière de droits procéduraux. La Convention était
muette sur la question. Elle faisait uniquement une fuyante référence aux
« procédure[s] contentieuse[s] éventuellement engagée[s] par l'étranger
contre la décision de transfert» (art. 11 § 5), sans cependant exiger que de
telles procédures soient accessibles au demandeur.
24 En présence de ce vide normatif, les États membres ont suivi pour
l'essentiel trois approches. Au Danemark, les décisions de transfert pouvaient
uniquement faire l'objet d'un réexamen auprès du Ministère des affaires
intérieures. Dans d'autres États membres, elles pouvaient faire en revanche
l'objet d'un recours devant des instances administratives indépendantes (par
ex. en Suède). Dans la majorité des États, enfin, les demandeurs d'asile
disposaient d'un recours devant un organe juridictionnel, éventuellement
précédé d'une phase de réexamen devant une instance adrninistrative36•

34
Voir Rapport DRC (note 17), pp. 34 (Danemark), 39 (Luxembourg), 41 (Espagne) et
43 (Royaume-Uni) ; en France, les décisions de transfert adoptées par les Préfectures
n'étaient en principe pas motivées (voir A. HURWITZ, note 9, à la p. 661).
35
Voir Rapport DRC (note 17), pp. 35 (Finlande), 37 (Grèce), 38 (Irlande), 39
(Luxembourg), 40 (Pays-Bas), 43 (Royaume-Uni).
36
Voir le tableau comparatif dressé par C. MARINHO, The Dublin. Convention judicial
control : national case law highlights, in: C. MARINHO (éd.), The Dublin Convention
on asylum : its essence, implementation and prospects, Maastricht (EIPA), 2000,
pp. 225-277, aux pp. 227-231.

92
25 L'accessibilité et l'efficacité de ces recours était susceptible de varier en
fonction de plusieurs facteurs, dont notamment :
leur effet suspensif, ou le pouvoir des instances de recours d'ordonner un
sursis à 1' exécution du transfert et - dans ce dernier cas - les conditions
plus ou moins strictes auxquelles un tel sursis était subordonnë7 ;
l'étendue des pouvoirs de contrôle des instances de recours sur les
décisions de l'administration compétente (contrôle de la seule légalité
externe, ou bien également de la légalité au fond) ;
l'existence de règles de droit national encadrant plus ou moins
étroitement les pouvoirs de l'administration en l'application de la
Convention38 ;
l'approche des instances de recours elles-mêmes, plus ou moins enclines
à interférer avec les décisions prises par 1' administration ;
l'existence d'un droit à l'assistance légale gratuite pour les demandeurs
d'asile.
26 Les facteurs que nous venons de rappeler ont déterminé un
développement très inégal du « contentieux Dublin » dans les États parties à
la Convention. Une jurisprudence importante relative à l'application du
dispositif Dublin 1 ne s'est développée que dans un petit groupe d'États:
l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Royaume-Uni et surtout les Pays-
Bas39.

d) La Convention de Dublin - une source de droits pour


les demandeurs d'asile?
27 Dans tous les États membres où un contentieux significatif s'est
développé, la violation de la Convention a été invoquée, plus ou moins
fréquemment, comme motif d'annulation des décisions nationales de
transfert40. A
' '
cet égard, les instances de recours des Etats contractants ont
jugé de manière constante que la Convention, dont l'objet était exclusivement

37
Voir C. MARINHO (note précédente), aux pp. 261-262.
38 Voir, pour une comparaison entre la pratique allemande et la pratique néerlandaise
sous cet aspect, B. SCHRODER (note 25), p. 199.
39 Voir C. MARINHO (note 36), aux pp. 232-260 ; Rapport DRC (note 17), pp. 53-68.
40 À titre d'exemple, le non-respect des délais fixés par l'article 11 CD a souvent été fait
valoir pour obtenir l'annulation de décisions de transfert : voir par ex. BayVGH,
décision du 28 janvier 2002, publiée dans InfAuslR (2002), pp. 270-272.

93
de régler les droits et obligations réciproques des États membres, ne contenait
aucune disposition susceptible de conférer des droits aux demandeurs d'asile,
.
et mvoca ble comme te11e en JUStice
. . 41 .

28 La tâche des instances de recours a donc plutôt été celle de vérifier la


compatibilité des décisions « Dublin » avec des normes, de droit national ou
de droit international, autres que celles de la Convention de Dublin.
Dans le panorama européen, sans compter donc avec les orientations
jurisprudentielles de portée exclusivement nationale42 , l'essentiel du
contentieux relatif aux décisions de transfert a porté sur leur conformité au
principe de non-refoulement tel que défini par les articles 33 CG et 3 CEDH,
ou sur leur compatibilité avec la protection de la vie familiale, ou avec
d'autres considérations d'ordre humanitaire (par ex. en cas de transfert de
personnes gravement malades). Globalement, on peut affirmer que les recours
fondés sur de tels griefs ont reçu un accueil très réservé de la part des
instances de recours 43 •

B. Le dispositif Dublin II

1. Remarques liminaires : une transition sous le signe de la


continuité
29 En vue de la substitution de la Convention de Dublin par un instrument
communautaire, prévue par l'article 63 TCE, la Commission ouvrit en 2000
un débat public sur la route à suivre. Dans un document de travail de la même
année, elle indiquait pour l'essentiel deux alternatives : soit confirmer le
dispositif Dublin I, tout en y apportant des correctifs, soit tirer toutes les
conséquences des graves et multiples problèmes rencontrés dans sa mise en
œuvre (cf. infra, no 97 ss) et instaurer un système alternatif fondé
essentiellement sur le critère «naturel» du lieu de dépôt de la demande44 •

41 Voir C. MARINHO (note 36), aux pp. 262-263 ; B. SCHRODER (note 25), p. 244.
42
Par exemple, les juridictions néerlandaises ont annulé un certain nombre de décisions
«tardives» non pas pour violation de l'article 11 CD, mais pour violation du principe
de confiance légitime (voir C. MARINHO, note 36, aux pp. 254-255). Une telle
jurisprudence n'a apparu dans aucun autre État membre à notre connaissance.
43
Voir C. MARINHO, note 36, aux pp. 225-226; Rapport DRC (note 17), pp. 67-68;
A. HURWITZ (note 9), aux pp. 659-667.
44 Document de travail des services de la Commission « Réexamen de la Convention de
Dublin» (note 9), notamment aux§ 56 et 59.

94
Cette deuxième alternative jouissait par ailleurs du soutien du HCR et des
ONG actives dans le domaine de l'asile45 •
30 L'approche finalement retenue par le législateur communautaire est
clairement exposée au considérant 5 du préambule du Règlement Dublin II46 :
Dans le contexte de la réalisation par phases successives d'un régime
d'asile européen [ ... ], il convient, à ce stade, tout en y apportant les
améliorations nécessaires à la lumière de 1' expérience, de confirmer les
principes sur lesquels se fonde la [Convention de Dublin] [... ].

Le Règlement succède donc à la Convention de Dublin sous le signe de la


continuité. Le législateur communautaire a en effet retenu en bloc l'ossature
du dispositif Dublin 1: champ d'application, définitions, principes généraux,
principes d'attribution de la responsabilité et mécanismes procéduraux. Les
« améliorations » qui ont été jugées « nécessaires à la lumière de
l'expérience» pour chacun de ces aspects sont plus de l'ordre de la correction
que de la révision. Il serait cependant erroné de sous-estimer les différences
qui courent entre le dispositif Dublin 1 et le dispositif Dublin II.

2. Les dispositions du Règlement Dublin II

a) Champ d'application et principes fondamentaux


31 Pendant l'élaboration du Règlement, l'idée d'étendre le domaine
d'application du système de Dublin à l'ensemble des demandes de protection
internationale présentées dans l'Union a été débattue47 • Une telle réforme
aurait augmenté l'impact du système- qui avait été très faible sous l'empire
de la Convention (cf. infra, no 100-101} - et aurait en outre réduit la
possibilité, pour les demandeurs d'asile, de s'y soustraire. Finalement, cette
option n'a pas été retenue. Ainsi, le Règlement maintient le principe de
l'applicabilité du système de Dublin aux seules demandes d'asile (art. 1 RD;
sur la notion de demande d'asile, cf. supra, no 3).

45
Voir notamment HCR, Revisiting the Dublin Convention - Sorne reflections by the
UNHCR in response to the Commission staffworking paper, Genève, 2001, aux pp. 5
et 6 ; CERE, Comments from the European Council on Refugees and Exiles on the
Proposai for a Council Regulation establishing the criteria and mechanisms for
determining the Member State responsible for examining an asylum application lodged
in one of the Member States by a third country national, Bruxelles, 2001, aux pp. 3-4.
46
Règlement no 343/2003 (JO 2003 L 50/1).
47
Voir notamment le document de la délégation néerlandaise « Réexamen de la
Convention de Dublin», doc. CNS no 10848/00, § 10.

95
Le débat a cependant laissé une trace dans le dispositif Dublin II, dans la
mesure où 1' article 1 lit. c RD stipule que « toute demande de protection
internationale est présumée être une demande d'asile», sauf indication
expresse et contraire de la part du demandeur d'asile48 .
32 Pour le reste, les principes structurels du système de Dublin ont demeuré
inchangés dans la transition de la Convention au Règlement. En particulier, le
Règlement maintient :
le principe selon lequel toute demande d'asile présentée par un
ressortissant d'un pays tiers dans l'Union est examinée par un État
membre, sous réserve de l'application du concept de pays tiers sûrs (art. 3
§ 1 et 3 RD ; cf. supra, no 4),
le principe de la chance unique (art. 3 § 1 RD; cf. supra, n° 4),
le principe de l'application du droit de l'État responsable (art. 2 lit. e
RD ; cf. supra, no 4), principe qui est cependant tempéré par la
progressive harmonisation des droits nationaux (cf. supra, chap. II, n° 68,
et infra, no 122).

b) Les critères de responsabilité


33 En ce qui concerne les critères de responsabilité, la structure du
Règlement reprend celle de la Convention. Il énumère ainsi, en ordre
hiérarchique (art. 5 RD) et dans la même succession, les critères qui
traduisent les trois principes de rattachement que nous avons examinés supra,
aux no 5 à 10: lien familial (articles 6 à 8 et 14 RD), responsabilité pour la
présence du demandeur sur le territoire de l'Union (articles 9 à 12 RD) et, à
titre subsidiaire, lieu de présentation de la demande (articles 4 § 4 et 13 RD).
34 Les innovations les plus significatives concernent les règles visant à
préserver l'unité familiale des demandeurs ou à favoriser sa reconstitution,
que nous présentons ici brièvement, renvoyant au chapitre IV ci-dessous pour
de plus amples développements.
D'abord, le Règlement introduit un régime spécifique pour les mineurs.
D'une part, il prévient leur séparation de leurs parents ou tuteurs demandeurs
d'asile (art. 4 § 3 RD). D'autre part, si le demandeur d'asile est un mineur

48
Kay HAILBRONNER souligne, à juste titre, le faible impact de cette innovation : voir
K. HAILBRONNER, Asylum law in the context of a European migration policy, in:
N. WALKER (éd.), Europe's area of freedom, security and justice, Oxford (OUP),
2004, pp. 41-88, à la p. 77.

96
non accompagné, il facilite son rapprochement aux membres de sa famille qui
se trouvent légalement dans un État membre (art. 6 RD).
Quant au régime général, le Règlement introduit une règle nouvelle, qui
prévient la séparation des membres d'une même famille qui introduisent
simultanément une demande d'asile dans le même État membre (art. 14 RD).
Il reprend en outre l'ancien critère de l'article 4 CD (voir art. 7 RD) et le
complète par un critère supplémentaire qui attribue la responsabilité à l'État
où se trouve un membre de la famille du demandeur « dont la demande
d'asile n'a pas encore fait l'objet d'une première décision sur le fond», à
condition que les intéressés le souhaitent (art. 8 RD).
Le Règlement contient par ailleurs une nouvelle définition de « membre de la
famille», plus détaillée par rapport à celle qui figurait à l'article 4 al. 2 CD, et
qui est plus large sous certains aspects et plus restrictive sous d'autres (voir
art. 2 lit. i RD ; sur ce point cf. infra, chap. IV, no 47-49, et chap. VI,
no 112 ss).
35 Les autres critères de responsabilité demeurent substantiellement
inchangés. Les seules modifications dignes de note sont la simplification du
critère de responsabilité fondé sur l'octroi d'un visa, la redéfinition du critère
de l'entrée irrégulière et du critère du séjour irrégulier ainsi que la
modification de leurs rapports réciproques, et enfin l'actualisation du critère
fondé sur l'entrée en exemption de visa, pour tenir compte de l'adoption
d'une politique commune aux États membres en la matière49. L'article 2 RD
apporte par ailleurs certaines précisions aux définitions légales employées aux
fins de l'application de ces critères de responsabilité (par ex. «titre de
séjour» et« visa» : voir art. 2 lit. f et j) 50 •
36 Le Règlement reprend, enfin, la clause de souveraineté et la clause
humanitaire (art. 3 § 2 et 15 RD ; cf. supra, no 9), tout en y apportant des
modifications.

49
Voir D. DUBOLINO, L 'identificazione dello Stato competente all'esame di una
domanda di asilo : dalla Convenzione di Dublino al nuovo Regolamento, DUE (2004),
pp. 811-845, à la p. 834.
50
Pour une analyse détaillée de ces aspects voir U. BRANDL, Distribution of asylum
seekers in Europe ? Dublin Il Regulation determining the responsibility for examining
an asylum application, in: C. DIAS URBANO DE SOUSA, P. DE BRUYCKER
(éds.), L'émergence d'une politique européenne d'asile, Bruxelles (Bruylant), 2004,
pp. 33-69, aux pp. 47-54.

97
Pour 1' application de la clause de souveraineté, le consentement du
demandeur d'asile n'est plus requis (art. 3 § 2 RD; cf. supra, no 9 et, sur les
raisons d'un tel amendement, infra, chap. IV, no 18 et 72).
La clause humanitaire est, elle, substantiellement modifiée. Recentrée sur le
« rapproche[ment] des membres d'une même famille, ainsi que d'autres
parents à charge [ ... ] » (art. 15 § 1 RD), elle est de plus complétée par des
règles visant spécifiquement deux situations de séparation - le cas de
dépendance caractérisée et les cas où le demandeur d'asile est un mineur non
accompagné (art. 15 § 2 et 3 RD ; cf. infra, chap. IV, no 73 ss).

c) Les obligations de l'État saisi d'une demande d'asile et


de l'État responsable
37 En ce qui concerne les obligations, respectivement, de l'État saisi d'une
demande d'asile et de l'État responsable, le Règlement n'innove en rien les
dispositions de la Convention (voir articles 4 § 5 et 16 RD; cf. supra, no 11-
13). Il se borne uniquement à y apporter des précisions sur les points qui
avaient pu donner lieu à des indécisions et à des controverses (par ex. la
définition d'« introduction » et de «retrait» de la demande d'asile : articles 2
lit. f et 4 § 2 RD).

d) Dispositions procédurales et administratives


38 Les dispositions procédurales sont, avec les dispositions en matière
d'unité familiale, les plus novatrices du Règlement.
39 Viennent d'abord en considération les modifications apportées aux
procédures de prise et reprise en charge des demandeurs d'asile (cf. supra,
n° 14). Afin d'assurer une plus grande célérité de la procédure de
détermination de l'État responsable, les délais pour présenter une demande de
(re)prise en charge et pour y répondre ont été substantiellement raccourcis, et
la possibilité a été introduite pour l'État requérant de conférer un caractère
d'urgence à la procédure. En revanche, les délais pour procéder au transfert
du demandeur d'asile ont été rallongés pour mieux tenir compte des
difficultés pratiques pouvant surgir à ce stade51 • Le Règlement dispose
expressément que tout dépassement des délais ainsi définis place à la charge

51 Voir U. BRANDL (note précédente), aux pp. 58-61.

98
de l'État fautif la responsabilité pour l'examen de la demande (articles 17 § 1
al. 2, 18 § 6, 19 § 4, 20 § 1 lit. c et 2 RD) 52 •
40 En ce qui concerne l'appréciation des preuves et des indices fournis par
l'État requérant en vue de démontrer l'applicabilité des critères de
responsabilité, le Règlement introduit des dispositions plus contraignantes
pour l'État requis (voir art, 18 RD). Une contribution importante à cet égard
est fournie, comme le rappelle expressément le préambule du Règlement
Dublin II (cons. 10), par l'exploitation du système EURODAC53 . Celui-ci qui
est censé assurer la mise en œuvre efficace de deux « piliers » du système de
Dublin, à savoir :
l'attribution de la responsabilité à l'État qui a permis, par défaut de
surveillance, l'entrée irrégulière d'un étranger sur le territoire des États
membres (art. 10 § l RD), et
le principe dela« chance unique» (art. 3 § 1 RD).
41 Enfin, le Règlement pose certaines garanties procédurales en faveur du
demandeur d'asile 54 • On reste loin d'une réglementation exhaustive de la
matière, et il faut par ailleurs signaler que la Directive no 2005/85 55 relative
aux procédures d'asile n'est pas applicable aux procédures «Dublin» (voir
ses cons. 29 et art. 1). Le silence observé par la Convention de Dublin en la
matière n'en est pas moins rompu.
42 Les garanties prévues par le Règlement Dublin II se résument pour
l'essentiel en des obligations d'information mises à la charge des États
membres.

52
La Convention était moins sévère à cet égard, ne prévoyant une telle conséquence que
dans les cas visés par les articles 11 § 1 al. 2 et § 4.
53
Le système EURODAC a été établi par le Règlement no 2725/2000 (JO 2000 L 316/1)
et est entré en fonction le 15 janvier 2003 (JO 2003 C 5/2). Il s'agit d'un système
informatisé de stockage et de comparaison des empreintes digitales des demandeurs
d'asile et des personnes appréhendées lors du franchissement irrégulier des frontières
d'un État membre. Pour de plus amples informations, voir M. TOUSSAINT,
EURODAC : un système informatisé européen de comparaison des empreintes
digitales des demandeurs d'asile, RMCUE (1999), pp. 421-425; E. R. BROUWER,
Eurodac: its limitations and temptations, EJML (2002), pp. 231-247.
54
L'intention d'introduire dans la procédure« Dublin» des garanties procédurales avait
déjà été manifestée par la Commission dans le document de travail« Vers des normes
communes en matière de procédures d'asile», (note 29), § 12.
55 JO 2005 L 326/13.

99
D'abord, au début de la procédure« Dublin» (art. 3 § 4 RD),
[l]e demandeur d'asile est informé par écrit, dans une langue dont on peut
raisonnablement supposer qu'il la comprend, au sujet de l'application du
présent règlement, des délais qu'il prévoit et de ses effets.

Ensuite, si au bout de la procédure «Dublin» l'État requis accepte de


(re)prendre en charge le demandeur d'asile (articles 19 § 1 et 2, 20 § 1 lit. e
RD),
1.1 'État membre dans lequel la demande d, asile a été introduite notifie au
demandeur la décision de ne pas examiner la demande, ainsi que
l'obligation de le transférer vers l'État membre responsable.
2.[Cette] décision[ ... ] est motivée.

43 D'autres dispositions, contenues dans le Règlement de la Commission


no 1560/2003 (ci-après «Règlement d'exécution» ou «RE ») 56 , ajoutent
indirectement aux garanties procédurales prévues par le Règlement Dublin II.
Ainsi, le formulaire « Dublin » que les autorités nationales chargées de
l'exécution du Règlement doivent transmettre à leurs homologues en vue
d'une prise en charge comporte toute une série de renseignements, ayant trait
inter alia à la situation personnelle et familiale du demandeur (art. 1 RE, à
lire conjointement avec l'annexe I, § 10, 12 à 14 et 25). De même, les articles
11, 12 et 13 RE comportent une obligation, pour les autorités qui entendent
procéder à la mise en œuvre de la clause humanitaire, de s'enquérir de la
situation personnelle du demandeur d'asile et de ses proches.
44 À ces dispositions, s'ajoutent celles de la Directive no 2003/9 en matière
d'accueil des demandeurs d'asile 57 • Celle-ci s'applique «à tous les
ressortissants de pays tiers et apatrides qui déposent une demande d'asile à la
frontière et sur le territoire d'un État membre tant qu'ils sont autorisés à rester
sur le territoire en qualité de demandeurs d'asile» (art. 1), et est donc
applicable pendant la procédure Dublin. Cette Directive comporte pour les
États membres une obligation procédurale additionnelle. En effet, pour les cas
où le demandeur d'asile est un mineur non accompagné, son article 19 § 3
dispose:
Dans l'intérêt supérieur de l'enfant, les États membres recherchent dès que
possible les membres de sa famille.

45 Les dispositions que nous venons d'évoquer constituent un progrès


certain par rapport au dispositif Dublin I. Elles laissent toutefois le

56 JO 2003 L 222/3.
57 JO 2003 L 31/18.

100
demandeur d'asile dans un rôle passif. Il est renseigné sur la procédure; il
peut être interrogé par les autorités compétentes, et peut donc fournir à
l'autorité, sur demande, des renseignements sur sa situation personnelle et ses
intérêts; il doit enfin donner son consentement au sujet de l'application de
certains critères et de la clause humanitaire. Cependant, si on en reste à la
lettre des dispositions applicables, il n'a ni le droit de formuler des demandes
à l'adresse des autorités chargées au sujet de l'application du Règlement (par
ex. de demander l'application des clauses humanitaire et de souveraineté), ni
le droit d'être entendu.
Il ne jouit pas non plus du droit à une quelconque assistance juridique. À cet
égard, la Directive en matière d'accueil fait uniquement obligation aux États
membres de« garanti[r] que des informations soient fournies aux demandeurs
sur les organisations ou les groupes de personnes qui assurent une assistance
juridique spécifique» (art. 5 § 1 al. 2) 58 .

e) Les droits de recours


46 En matière de droits de recours, le passage de la Convention au
Règlement marque une évolution similaire à celle que nous avons observée en
matière de garanties procédurales : du silence à la garantie minimale.
En effet, les articles 19 § 2 et 20 § llit. e disposent, au sujet des décisions de
transfert adoptées en vue d'une prise ou reprise en charge:
Cette décision est susceptible d'un recours ou d'une révision. Ce recours
ou cette révision n'a pas d'effet suspensif sur l'exécution du transfert, sauf
lorsque les tribunaux ou les instances compétentes le décident, au cas par
cas, si la législation nationale le permet.

Le progrès, évident mais aussi quelque peu illusoire, consiste en l'ancrage


dans le texte du Règlement d'un droit de recours contre les décisions
« Dublin », droit sur lequel la Convention était muette mais qui était garanti,
sous une forme ou sous une autre, par tous les États membres (cf. supra,
no 23-25)59 • Quant à l'effet suspensif de ces «recours ou révisions», le

58 '
Les Etats doivent en outre « faire en sorte » que les demandeurs « logés » (y inclus : en
rétention administrative) aient la possibilité de communiquer avec leurs conseils
juridiques, le HCR et les ONG reconnues par l'État (art. 14 § 2 lit. b). Ces derniers, à
leur tout, « peuvent » accéder aux « locaux dans lesquels les demandeurs sont logés »
(art. 14 § 7).
59
Relevons que certaines versions linguistiques du Règlement Dublin ll laissent subsister
une certaine ambiguïté quant au fait que les États membres soient tenus de prévoir des
voies de recours contre les décisions de transfert (par ex. la version anglaise : « This

101
législateur européen a refusé de se conformer à la position draconienne de la
Commission, qui avait proposé d'exclure toute possibilité de sursis à
l'exécution du transfert60• Il a néanmoins interdit aux États membres
l'attribution d'un effet suspensif automatique au recours, ce qui constitue une
régression par rapport· à certaines législations nationales applicables sous
l'empire de la Convention de Dublin (cf. supra, note 37). Enfin, sur certains
points fondamentaux (nature du recours ; pouvoirs des instances de recours ;
assistance légale), toute détermination est explicitement ou implicitement
remise au législateur national.
47 Les dispositions du Règlement en matière de voies de droit doivent par
ailleurs être lues conjointement avec l'article 68 TCE, qui dispose:
lorsqu'une question[ ... ] sur la validité et l'interprétation des actes pris par
les institutions de la Communauté sur la base du présent titre est soulevée
dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les
décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit
interne, cette juridiction, si elle estime qu'une décision sur ce point est
nécessaire pour rendre son jugement, demande à la Cour de justice de
statuer sur cette question.

Sans que l'on puisse ici commenter exhaustivement cette disposition, deux
rappels sont nécessaires. D'abord, si la procédure de renvoi préjudiciel ne
peut être considérée comme une « voie de droit » ouverte aux parties en
instance61 , il n'en est pas moins vrai que les juridictions statuant en dernière
instance sont tenues de saisir la Cour, sur demande des parties ou d'office,
lorsqu'elles se trouvent confrontées à une question pertinente de droit

decision may be subject to an appeal or a review »). Cela a induit en erreur les
rédacteurs du Rapport HCR sur la mise en œuvre du Règlement Dublin II (cf. infra,
note 70) où on lit, à la page 19, « [ ... ] the Regulation does not oblîge Member States to
offer an appeal or a review ». Mais si certaines versions du Règlement sont ambiguës,
d'autres sont claires - en particulier, la version française citée dans le texte et la
version espagnole(« La decision podrd ser objeto de recurso o revision»). La seule
option interprétative compatible avec toutes les version linguistiques du Règlement est
celle que nous avons retenu dans le texte. Voir, dans le même sens, B. SCHRODER,
Die EU-Verordnung zur Bestimmung des zustiindigen Asylstaats, ZAR (2003),
pp. 126-132, à.la p. 131.
60
Voir S. BARBOU DES PLACES, Le dispositif Dublin 2 ou les tribulations de la
politique communautaire de l'asile, EUI Working Papers LAW 2004/6, Badia
Fiesolana, 2004, pp. 7-11.
61
Pour les raisons exposées par av. gén .. JACOBS, aff. C-50/00 P, Union de Pequefios
Agricultores, Rec. 2002, 1-6677, cons. 42. Voir également CJCE, aff. 283/81, CILFIT,
Rec. 1982,3415,cons.9.

102
communautaire62• Ensuite, et par référence au fait que les États peuvent
prévoir un recours juridictionnel ou non juridictionnel contre les décisions
« Dublin », il est utile de rappeler que la Cour interprète la notion de
«juridiction» au sens de l'article 234 TCE -et donc également de l'article
68 TCE63 - comme incluant également des organes non juridictionnels, à
condition qu'ils aient origine légale, qu'il s'agisse d'organes permanents, que
leur juridiction ait un Cl;lfactère obligatoire, qu'ils mènent une procédure
contradictoire, qu'ils appliquent des règles de droit et qu'ils soient
indépendants (cf. également infra, chap, VIT, no 86-89)64•
48 En principe, les juridictions danoises ne sont pas habilitées - ni tenues -
de saisir la Cour d'un renvoi préjudiciel au titre de l'article68 TCE, car cette
disposition ne s'applique pas au Danemark (cf. supra, chap. Il, n° 63). En ce
qui concerne le dispositif Dublin Il, toutefois, cette obligation leur incombe
« chaque fois que, dans les mêmes circonstances, une juridiction ou un
tribunal d'un autre État membre de l'Union européenne serait tenu de le 'faire
[ ... ] » (art. 6 § 1 de l'Accord d'association CE-DK; cf. supra, chap. II,
n° 71).
Les demandeurs d'asile faisant l'objet d'une décision de transfert en Norvège
et Islande - et bientôt en Suisse - sont en revanche, eux, privés de la
possibilité de porter leur cas à Luxembourg par l'intermédiaire des
juridictions nationales. Il s'agit là d'une des nombreuses asymétries
provoquées par la construction d'un «espace Dublin» débordant le cadre de
l'Union (cf. également infra, no 75 ss).

62
Pour l'affirmation de ce principe et la définition de ses limites voir CJCE, CILFIT,
(note précédente). Cet arrêt a été rendu sur l'interprétation de l'article 234 TCE, mais il
ne semble pas douteux que les principes qui y sont affirmés s'appliquent également à
l'article 68 TCE (cf. supra, chap. II, note 114), eu égard aussi au fait que la Cour
interprète de manière aussi uniforme que possible les dispositions prévoyant une
procédure de renvoi préjudiciel, i.e. les articles 35 TUE, 68 et 234 TCE : voir CJCE,
aff. C-105/03, Pupino, Rec. 2005, 1"5285, cons. 19 ss.
63
Cf. note précédente.
64 Voir CJCE, aff. C-92/00, Hl, Rec. 2002,1-5553, cons. 25-27.

103
3. La mise en œuvre du dispositif Dublin II au niveau
national

a) Remarques liminaires
49 Par-delà les nouveautés figurant au texte du Règlement, il importe de
souligner la nouveauté que constitue « le » Règlement. À partir du moment
où les « règles de Dublin » sont versées dans le moule nouveau d'un
instrument communautaire, leur système institutionnel de référence est
révolutionné.
Cela entraîne, d'abord, que:
comme nous l'avons relevé le juge communautaire est compétent pour
les interpréter et pour juger de leur validité, ainsi que de leur mise en
œuvre par les États membres dans le cadre du système contentieux établi
par le Traité CE (articles 68 et 220 à 245 TCE), et que par ailleurs
leur interprétation n'est plus régie par le droit international (articles 31 à
33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités 65 ) mais par le droit
communautaire, et plus exactement. par les principes dégagés en la
matière par la Cour de justice66•
50 Concernant ensuite la mise en œuvre du Règlement au niveau national, il
y a lieu de relever qu'en vertu de son applicabilité directe (art. 249 TCE) une
« transposition » de ses dispositions en droit national est non seulement
superflue, mais interdite, sans préjudice de l'obligation des États membres
d'adopter toute mesure nationale complémentaire nécessaire à sa mise en
œuvre67 .

b) Mesures législatives et d'organisation


51 Les principes relatifs à 1' applicabilité directe des règlements
communautaires impliquent que le droit national ne doit plus prévoir des

65
Série NU no 18232, Rec. NU, vol. 1155, p. 331, entrée en vigueur le 27 janvier 1980.
66
Voir notamment CJCE, CILFIT (note 61), cons. 17-20 (interprétation littérale eu égard
à l'ensemble des versions linguistiques, autonomie des notions de droit
communautaire, interprétation systématique et téléologique), ainsi que CJCE, aff. C-
98/91, Herbrink, Rec. 1994, 1-223, cons. 9 (interprétation conforme aux normes
communautaires hiérarchiquement supérieures).
67
CJCE, aff. 34173, Variola, Rec. 1973, 981, cons. 10-11 ; CJCE, aff. 30170, Scheer,
Rec. 1970, 1197, cons. 10-11.

104
bases légales proprement dites pour 1' adoption des décisions de transfert et de
(re)prise en charge des demandeurs d'asile. Dans certains États membres, on
assiste donc à la substitution des anciennes bases légales par des dispositions
faisant simplement renvoi au Règlement n° 343/2003 68 •
52 En ce qui concerne l'organisation des services chargés de la mise en
œuvre du dispositif Dublin Il, faute de dispositions communautaires en la
matière toute détermination revient aux États membres. Les approches
observées dans ce. domaines restent celles que nous avons brièvement décrites
supra, au no 18, les États membres de l'UE-15 ayant par ailleurs maintenu, en
règle générale, les anciennes modalités d'organisation69 ;

c) Le déroulement de la procédure « Dublin »


53 En dépit de l'introduction, dans le texte du Règlement, de nouvelles
dispositions visant à conférer aux demandeurs d'asile des garanties minimales
de procedural fairness, la procédure « Dublin » continue de se dérouler selon
des modalités fort divergentes dans le différents États membres.
54 Dans certains États, en violation de l'article 3 § 4 RD, aucune
information écrite sur la procédure « Dublin » n'est fournie au demandeur
d'asile, ou bien elle lui est fournie après l'adoption de l'éventuelle décision de
transfert70 - ce qui la prive à l'évidence de toute utilité.
Même lorsque des informations sont promptement fournies au demandeur,
leur exhaustivité et leur accessibilité (termes techniques, langue, etc.) est
variable, et laisse souvent à désirer. En particulier, il semblerait que les
brochures quisont données aux demandeurs d'asile ne fassent généralement
pas mention des possibilités de regroupement familial offertes par le
Règlement71 •
55 En passant à l'autre extrême de la procédure «Dublin», il y a lieu
d'observer que l'obligation de notification et de motivation des .décisions de
transfert donne également lieu à des pratiques divergentes, et souvent

68
Par ex. en Irlande : voir le Immigration Act 2003 (ISB nQ 26/2003), art. 7lit. 1.
@ Ainsi, par exemple, en France la tâche de procéder à la détermination de l' État
responsable reste attribuée aux Préfectures (cf. supra, n° 18 ; voir la. Circulaire du
Ministre de l'intérieur du 22 avril2005, n° INT/D/05/00051/C, non publiée).
70
De telles pratiques ont été observées à Chypre, en Lituanie, au Luxembourg, au
Portugal et en Espagne : voir HCR, The Dublin II Regulation -A UNHCR discussion
paper, Bruxelles, 2006 (ci-après« Rapport HCR »),p. 13.
71
Voir Rapport HCR (note précédente), pp. 13-15.

105
insatisfaisantes. En règle générale la décision est effectivement notifiée au
demandeur d'asile, mais des cas ont été observés où le transfert a été exécuté
avant que la notification n'ait eu lieu72• En ce qui concerne sa motivation, il
est de pratique courante dans de nombreux États membres d'omettre toute
référence à la manière dont la situation personnelle du demandeur d'asile a
(ou n'apas) été prise en compte73 •
56 Dans les matières non couvertes par les dispositions du Règlement
(entretien avec le demandeur d'asile, assistance juridique), la situation
demeure grosso modo celle qui avait été observée sous l'empire de la
Convention de Dublin. L'accès à un entretien et à l'assistance juridique
gratuite n'est en tout état de cause pas garanti dans plusieurs États membres 74.

d) Les voies de recours


57 Dans la quasi-totalité des États membres et associés, le droit national
prévoit la possibilité d'un recours juridictionnel contre les décisions de
transfert, précédé ou non par une phase contentieuse devant une instance
adrninistrative 75 • Font exception la Suède et la Norvège, où un recours peut
uniquement être présenté devant des organes quasi-juridictionnels76 , ainsi que
le Danemark, qui a maintenu le système en vigueur sous 1' empire de la
Convention de Dublin, permettant uniquement un réexamen de la décision par
le Ministre des affaires intérieures77• Plus généralement, les anciens États
membres n'ont pas modifié les systèmes contentieux qu'ils avaient introduit
lors de l'entrée en vigueur de la Convention de Dublin.
58 Conformément aux articles 19 et 20 RD, les législations nationales qui
prévoyaient un recours suspensif contre les décisions « Dublin » ont été
amendées 78 • La législation portugaise constitue une exception. Elle continue

72
Voir Rapport HCR (note 70), p. 18 (Irlande); voir également CERE, Report on the
application of the Dublin II Regulation in Europe, 2006 (ci-après« Rapport CERE»),
p. 87 (Luxembourg).
73
Tel est le cas, en particulier, de l'Espagne et de la Hongrie. Une pratique plus
satisfaisante a été en revanche observée dans d'autres États membres, notamment aux
Pays-Bas: voir Rapport HCR (note 70), p. 16-17.
74
Voir Rapport CERE (note 72), p. 153.
75
Voir Rapport CERE (note 72), pp. 13-149.
76
Voir Rapport CERE (note 72), pp. 103 et 136-137.
77
Voir l'article 48 lit. d de l'Aliens (Consolidated) Act 2004, consulté en ligne sur le site
www.inm.dk (1er juin 2006).
78
Tel a été le cas, par exemple, en Autriche : comparer Rapport DRC (note 17), p. 53, et
Rapport CERE (note 72), p. 15.

106
en effet de prévoir -prima facie en violation des dispositions du Règlement -
un recours administratif suspensif devant le Commissaire national pour les
réfugiés 79•
La solution généralement adoptée, en revanche, est celle suggérée par les
articles 19 et 20 RD: l'instance de recours peut ordonner, sur demande, un
sursis à 1' exécution de la décision de transfert.
59 Il importe de relever que l'accessibilité et l'efficacité des voies de recours
prévues par les législations nationales est souvent amoindrie, voire anéantie,
par certaines pratiques nationales extrêmement critiquables. Nous avons déjà
signalé que parfois le transfert est exécuté avant même que la décision ne soit
notifiée à l'intéressé (cf. supra, no 55), ce qui rend impossible la présentation
d'un recours utile. Dans d'autres États, les délais pour présenter un recours
sont si courts que l'effet pratique est le même80 . Enfin, plus généralement, il
résulte des informations disponibles que la suspension du transfert n'est
ordonnée que dans des cas tout à fait exceptionnels, ce qui ôte souvent toute
utilité au recours éventuellement introduit81 .

e) Le dispositif Dublin II - une source de droits pour


les demandeurs d'asile

aa. Remarques liminaires


60 Depuis l'entrée en vigueur du Règlement Dublin II, la question de l'effet
direct des «règles de Dublin», autrefois décidée en sens négatif par les
juridictions nationales (cf. supra, no 27), devient une question de droit
communautaire, à résoudre d'après les principes dégagés par la jurisprudence
de la Cour de justice.

79
Voir Rapport CERE (note 72), p. 118. Il y a cependant lieu de relever que le recours en
question est décidé dans les cinq jours suivant son introduction. Sur sa compatibilité
avec les articles 19 et 20 RD, cf. infra, chap. Vll, n° 90-91.
80
Voir Rapport HCR (note 70), p. 19-20, qui relate les pratiques suivies en Allemagne,
en Finlande, en France, au Luxembourg et en République Tchèque. D'après le
Rapport, dans ce dernier État le demandeur ne dispose souvent que de 30 minutes à
partir de la notification de la décision de transfert pour préparer son recours. Voir
également Rapport CERE (note 72), p. 167.
81
Voir Rapport HCR (note 70), p. 19; pour plus de détails, voir Rapport CERE
(note 72), pp. 13-149, notamment aux pp. 28 (République Tchèque), 41 (France),
47 (Allemagne), 88 (Luxembourg), 105 (Norvège), 131 (Espagne).

107
bb. L'applicabilité directe et l'effet direct du Règlement Dublin II
61 Les caractéristiques essentielles de l'ordre juridique communautaire sont,
selon la Cour de justice, sa primauté par rapport aux droits des États membres
et l'effet direct de «toute une série de dispositions» qui en relèvent82 • Par
effet direct, on entend d'une manière générale l'aptitude d'une disposition
communautaire à être invoquée devant les autorités administratives et
juridictionnelles des États membres et à être appliquée directement par celles-
·83
Cl •

Les dispositions d'un règlement communautaire sont par définition


«directement applicable[s] dans tout État membre» (art. 249 TCE), et
constituent donc en principe 84
une source immédiate de droits et d'obligations pour tous ceux qu'elles
concernent, qu'il s'agisse d'États membres ou de particuliers[ ... ].

Il en découle notamment que 85


tout juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, a l'obligation
d'appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits
que celui-ci confère aux particuliers[ ... ].

62 Aptes en principe « à conférer aux particuliers des droits que les


juridictions nationales ont l'obligation de protéger »86 , les dispositions d'un
Règlement doivent encore remplir, pour sortir concrètement un tel effet, les
deux conditions auxquelles la Cour subordonne 1' effet direct de toute
disposition communautaire : elles doivent être « suffisamment précises et
inconditionnelles »87 .

82
CJCE, avis 1191, « EEE (1) », Rec. 1991,1-6079, cons. 21.
83 Voir notamment CJCE, aff. 8/81, Becker, Rec. 1982, 53, cons. 71.
84 CJCE, aff. 106177, Simmenthal, Rec. 1978, 629, cons. 15.
85 Ibidem, cons. 21.
86 CJCE, aff. 43171, Politi, Rec. 1971, 1039, cons. 9.
87
Ces conditions valent en effet également pour reconnaître un effet direct aux
dispositions des Traités (CJCE, aff. 26/62, Van Gend en Loos, Rec. 1963, 1, à la p. 24,
3• cons.), des décisions (CJCE, aff. 9170, Grad, Rec. 1970, 825, cons. 9) et des
directives (CJCE, aff. 41174, Van Duyn, Rec. 1974, 1337, cons. 13-15). En ce qui
concerne les Règlements, voir CJCE, aff. 93171, Leonesio, Rec. 1972, 287, cons. 5-6 et
CJCE, aff. 9173, Schlüter, Rec. 1973, 1135, cons. 32. Pour le cas inverse (disposition
réglementaire dépourvue de caractère inconditionnel, et donc inapte à engendrer des
droits subjectifs) voir CJCE, aff. C-403/98, Monte Arcosu, Rec. 2001, 103, cons. 25-
29.

108
Comme il a été relevé 88 ,
[c]es exigences sont purement techniques, en ce sens qu'elles sont dictées
par la fonction même de juger, qui suppose qu'une règle de droit est
d'autant plus aisée à appliquer qu'il n'existe pas de doute sur son contenu
et est ainsi apte à engendrer par elle-même des effets de droit. Elles
délimitent également le champ de la compétence du juge, en désignant les
normes qu'il peut appliquer sans excéder ses pouvoirs.

63 Une disposition est « suffisamment précise pour être invoquée par un


justiciable et appliquée par le juge lorsqu'elle énonce une obligation dans des
termes non équivoques »89 • La simple lecture du Règlement Dublin II et de
son Règlement d'exécution suffit pour se convaincre que leurs dispositions
remplissent dans leur ensemble cette condition.
64 Une disposition communautaire est en revanche inconditionnelle
«lorsqu'elle énonce une obligation qui n'est assortie d'aucune condition ni
subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l'intervention d'aucun
acte soit des institutions de la Communauté, soit des États membres »90 .
65 Aucune question ne se pose, à cet égard, pour la plupart des dispositions
du Règlement, et plus particulièrement pour celles du Chapitre II (« Principes
généraux »), du Chapitre V (« Prise et reprise en charge ») et du Chapitre VI
(«Coopération administrative»). Il en résulte que les demandeurs d'asile sont
en droit de se prévaloir, en particulier, de l'article 4 § 3 RD, qui dispose
l'indissociabilité de la position du mineur de celle de son parent ou tuteur qui
l'accompagne (cf. infra, chap. IV, n° 53 ss), des dispositions qui imposent
aux États membres des obligations d'information et de motivation des
décisions de transfert, des dispositions imposant aux États des délais pour la
prise ou reprise en charge sous peine de se voir assignée la responsabilité de
l'examen de la demande9 \ et des dispositions en matière de traitement des

88 Av. gén. LÉGER, aff. C-287/98, Linster, Rec. 2000,1-6917, cons. 38. Voir également
en doctrine P. PESCATORE, The doctrine of« direct effect »:an infant disease of
Community law, ELR (1983), pp. 155-177, aux pp. 176-177.
89
CJCE, aff. C-236/92, Comitato di coordinamento perla difesa della Cava, Rec. 1994,
1-483, cons. 10.
90 Ibidem.
91 Dès lors, la «jurisprudence des délais» qui s'est développée dans plusieurs États
membres sous l'empire de la Convention, et concluait invariablement à la non
invocabilité des délais par les demandeurs d'asile (cf. supra, no 27 et note 40), n'est
pas transposable au contexte réglementaire du dispositif Dublin II : voir par ex.
Conseil d'État français, aff. no 267 935, Ketheesan A. c. Ministre de l'intérieur, arrêt
du 6 mars 2006 (www.legifrance.gouv.fr).

109
données personnelles (cf. supra, n° 39-45). Toutes ces dispositions sont
suffisamment précises et inconditionnelles, à de rares exceptions près92 •
66 L'interprète est en revanche confronté à un premier doute en ce qui
concerne le caractère inconditionnel des articles 6 al. 1, 7 et 8 RD - i.e. des
critères fondés sur un lien familial. L'allocation de la responsabilité en
application de ces dispositions est en effet conditionnée à sa conformité à
«l'intérêt du mineur» (art. 6 al. 1) ou à l'assentiment des intéressés (articles
7 et 8).
Ces doutes se dissipent cependant dès qu'on observe que la Cour prête un
caractère conditionnel aux dispositions qui nécessitent, pour leur mise en
oeuvre, d'une intervention ultérieure et discrétionnaire des États membres ou
des institutions communautaires93 • Or, la réalisation des «conditions»
susmentionnées ne dépend pas de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire de
la part de l'État membre. Les autorités nationales qui font application des
articles 6, al. 1, 7 et 8 RD sont uniquement appelées à vérifier que les
conditions légales qui y sont visées sont remplies en l'espèce.
67 Des doutes demeurent, toutefois, au sujet de l'effet direct des articles 5 à
14 RD, i.e. de l'ensemble des dispositions qui établissent les critères de
responsabilité.
68 Certains auteurs estiment, d'abord, que ces dispositions ne seraient pas
invocables par les demandeurs d'asile car: (a) elles sont «dirigées aux États
membres», et (b) le Règlement ne confère pas aux demandeurs d'asile le
droit de choisir l'État responsable94• Cette position, qui était tenable sous
l'empire de la Convention de Dublin, ne l'est plus sous l'empire du
Règlement. D'abord, un règlement communautaire n'a pas à proprement
parler des« destinataires», puisqu'il s'agit d'un acte de portée générale95 - et
d'ailleurs, la circonstance qu'une disposition communautaire soit dirigée aux
États membres est dénuée de pertinence aux fins de la détermination de son
effet direct, comme le démontre la jurisprudence de la Cour sur 1' effet direct

92
Par ex. l'article 22 § 2 RD, qui prévoit la« mise en place de moyens de transmission
électroniques sécurisés » entre les autorités nationales chargées de la mise en œuvre du
Règlement.
93
CJCE, aff. 74176, lanelli, Rec. 1977, 557, cons. 13. Voir également P. PESCATORE
(note 88), aux pp. 174-175.
94 Ainsi, en particulier, B. SCHRODER (note 59), à la p. 131.
95
Voir TPI, aff. T-306/01, Ahmed Ali Yusuf, arrêt du 21 septembre 2005, non encore
publié au Recueil, cons. 187.

110
des directives96• Ensuite, reconnaître aux demandeurs d'asile le droit de se
prévaloir des dispositions du Règlement qui définissent les critères de
responsabilité ne signifie point leur reconnaître le droit de choisir l'État
responsable - à supposer qu'une telle circonstance soit pertinente pour
déterminer l'effet direct des dispositions du Règlement.
69 La question réside ailleurs, et précisément dans le fait que le Règlement
confère aux États membres, au travers de la clause de souveraineté et la
clause humanitaire, la faculté de déroger de manière discrétionnaire à toutes
les dispositions du Chapitre III.
Cette question - celle de l'effet direct de dispositions communautaires qui
sont, au vu de leur contenu, suffisamment précises et inconditionnelles, mais
auxquelles les États membres peuvent déroger de manière discrétionnaire - a
été abordée par la Cour dans un certain nombre d'affaires.
Le principe qui se dégage de ses arrêts est le suivanë7 :
Le fait qu'une décision permette aux États membres qui en sont les
destinataires de déroger à des dispositions claires et précises de cette même
décision ne saurait, en lui-même, priver ces dispositions d'un effet direct.
En particulier, de telles dispositions peuvent avoir urt effet direct lorsque le
recours aux possibilités de dérogation ainsi reconnues est susceptible d'un
recours juridictionnel.

Dans ce contexte, « susceptible d'un recours juridictionnel » signifie « soumis


à des conditions dont le respect est susceptible d'un contrôle
juridictionnel »98 •
70 À la lumière de ce passage, on peut exclure que l'existence de la clause
humanitaire - dont l'application est subordonnée à plusieurs conditions
susceptibles de contrôle juridictionnel, dont notamment l'effet de
«rapprocher des membres d'une même famille» et le consentement des
intéressés- puisse faire obstacle à l'effet direct des articles 6 à 14 RD.
L'existence de la clause de souveraineté suscite plus de doutes. La seule
condition à laquelle son exercice est expressément subordonnée est la

96
Voir à ce sujet G. TESAURO, Diritto comunitario, Padoue (CEDAM), 2005, aux
p. 166-167.
97
CJCE, aff. C-156/91, Hansa Fleisch, Rec. 1992, 1-5567, cons. 15. Le même principe
vaut pour les dispositions du Traité (CJCE, Van Duyn, note 87, cons. 4-8) et, surtout,
pour les dispositions d'un règlement (CJCE, aff. C-83/94, Leifert, Rec. 1995, 1-3231,
cons. 44-45).
98
Voir notamment CJCE, aff. C-156/91, Hansa Fleisch (note précédente), cons. 16;
CJCE, aff. C-83/94, Leifert (note précédente), cons. 32-36 et 45.

111
présentation à l'État concerné d'une demande d'asile. Pour le reste, l'État
jouit d'une large marge d'appréciation. Trois considérations nous amènent
toutefois à résoudre ces doutes en faveur de la reconnaissance d'un effet
direct aux articles 6 à 14 RD.
71 La première est une considération générale. D'après la jurisprudence de
la Cour, le droit communautaire doit être interprété de manière à lui faire
déployer la plénitude de ses effets, y compris en ce qui concerne son effet
direct. Le favor de la Cour pour l'effet direct des dispositions
communautaires est illustré par les techniques interprétatives auxquelles .elle a
eu recours 99 et par les résultats auxquels elle est parvenue. En effet, à notre
connaissance, dans toutes les affaires où il a été avancé que l'effet direct de
dispositions précises et inconditionnelles aurait été empêché par la prévision
de dérogations discrétionnaires de la part de l'État, la Cour en est parvenue à
la conclusion inverse 100•
72 La deuxième considération nous ramène à la logique inspiratrice des
critères de l'effet direct, qui est celle du respect des limites de la fonction
juridictionnelle. Le rappel de cette logique nous rend attentif, d'abord, à
l'importance du cadre factuel et juridique propre à chaque affaire. Si par
exemple un demandeur d'asile conteste l'application à sa demande du critère
de l'article 10 RD (franchissement irrégulier d'une frontière) au motif que
l'article 7 (lien familial) aurait dû trouver application (art. 5 RD), on ne voit
pas en quoi la simple existence de l'article 3 § 2 RD empêcherait le juge
d'appliquer directement le Règlement au cas d'espèce 101 . À bien voir, en
outre, un tel raisonnement devrait s'appliquer également lorsque le
demandeur d'asile conteste précisément l'application de la clause de
souveraineté en faisant valoir l'applicabilité d'un autre critère. Même dans un
tel cas de figure, le juge ne sortirait aucunement du cadre de sa fonction de
jus dicere en appliquant directement les dispositions du Règlement. Tout
simplement, il serait amené à constater, en principe, que l'argument du
demandeur d'asile est mal fondé, car le Règlement confère aux autorités
nationales le pouvoir de déroger au critère invoqué en l'espèce.

99
Par exemple, le « détachement » d'une dispositions précise et inconditionnelle du
contexte d'une directive laissant une très large marge discrétionnaire aux États
membres, en vue de lui reconnaître un effet direct: voir CJCE, Becker (note 83),
cons. 29.
100 Voir en particulier la jurisprudence citée aux notes 97 et 99.
101 La Cour a d'ailleurs suivi un raisonnement similaire dans une affaire mettant en cause
l'effet direct des dispositions d'un accord international conclu par la Communauté:
voir CJCE, aff. 104/81, Kupferberg, Rec. 1982, 3641, cons. 21.

112
73 Cela nous amène à notre troisième considération. Comme le démontre la
jurisprudence relative à la Convention de Dublin, et comme nous le verrons
par la suite, l'exercice du droit de opt-in de la part des États membres n'est
pas un acte entièrement libre. À supposer que la condition minimale posée par
l'article 3 § 2 RD soit remplie, l'application de cette disposition est encadrée
par des conditions implicites posées par le droit communautaire, dont le
respect est susceptible d'être contrôlé par le juge. Nous nous référons, en
particulier, au respect des droits fondamentaux du demandeur d'asile, et
notamment à son droit au respect de la vie familiale (cf. infra, chap. VI,
no 165 et 175).
74 Il faut par ailleurs s'interroger sur l'invocabilité des articles 3 § 2 et 15
RD eux-mêmes pour contester la manière dont les États en ont fait ou n'en
ont pas fait usage. Dans la mesure où la discrétion que ces dispositions
laissent aux États membres n'est pas- au regard du droit communautaire -
illimitée, leur invocabilité en justice ne saurait être disputée. En effet, la Cour
a eu l'occasion d'affirmer qu'un particulier est en droit de se prévaloir d'une
disposition communautaire suffisamment précise et inconditionnelle pour
faire102
vérifier si [... ] l'autorité nationale qui a pris 1' acte attaqué est restée dans
les limites de la marge d'appréciation tracée par ladite disposition.

cc. L'effet direct du dispositif Dublin II dans le cadre de l'application


des Accords d'association
75 Les conclusions qui précèdent ne sont pas transposables, en tant que
telles, à l'application du dispositif Dublin II dans les rapports entre les Vingt-
quatre États membres et les États associés (Danemark, Islande, Norvège et
Suisse) et dans les rapports mutuels entre les États associés. Dans ce contexte,
les dispositions du Règlement Dublin II et des Règlements connexes
s'appliquent en vertu des Accords et Protocoles d'association, auxquels elles
sont intégrées (cf. supra, chap. II, no 71-73). Elles s'appliquent donc en vertu
du droit international, et la question de leur effet direct doit être résolue, à
défaut de dispositions expresses, à la lumière du droit interne des parties
contractantes 103 .

102 CJCE, aff. 127/02, Landelijke Vereniging tot Behoud van de Waddenzee, Rec. 2004, 1-
7405, cons. 66. Voir également CJCE, aff. 51176, Verbond van Nederlandse
Ondernemingen, Rec. 1977, 113, cons. 24.
103 Voir 1. BROWNLIE, Principles of public international law, Oxford (OUP), 6e éd.,
2003, p. 48.

113
76 Du côté des «Vingt-quatre», il convient toutefois de préciser que les
accords d'association ont été conclus par la Communauté, et que donc il faut
entendre par «droit interne», de toute manière, le droit communautaire. La
détermination de l'effet direct des dispositions des accords revient ainsi à la
CJCE1o4.
77 D'après une jurisprudence constante, l'effet direct des dispositions d'un
accord conclu par la Communauté est soumis à des conditions plus exigeantes
que celles qui valent pour les dispositions du Traité ou pour les dispositions
de droit dérivé. Les dispositions d'un accord doivent d'abord être claires et
inconditionnelles - deux conditions qui sont remplies en 1' espèce (cf. supra,
no 63-74). De plus, il doit ressortir de l'objet, des termes et des finalités de
l'accord dans son ensemble que la reconnaissance d'un effet direct à ses
dispositions serait conforme à la volonté des parties 105 •
78 Les deux Accords d'association conclus avec des pays tiers (avec la
Norvège et l'Islande, d'une part, et avec la Suisse, d'autre part) disposent
l'application du dispositif Dublin II dans les· rapports entre parties, sans
prévoir ni possibilité de dérogation, ni mesures de sauvegarde. De surcroît, ils
se réfèrent explicitement à «l'objectif des parties contractantes de parvenir à
une application et à une interprétation aussi uniformes que possible des
dispositions [relevant du dispositif Dublin II]» (cf. supra, chap. II, n° 72). Eu
égard à ces éléments, ainsi qu'au caractère précis et inconditionnel des règles
de Dublin incorporées dans les Accords, il y a lieu de conclure que le
dispositif Dublin II est susceptible de déployer des effets directs également
lorsqu'il est mis en œuvre par les Vingt-quatre dans les rapports avec les pays
tiers associés.
79 Une telle conclusion s'impose, à plus forte raison, en ce qui concerne
l'accord conclu par la Communauté avec le Danemark. L'article 1 § 2 de
l'accord dispose que « les parties contractantes ont pour objectif de parvenir à
une application et à une interprétation uniformes des dispositions des
règlements et de leurs mesures d'application dans tous les États membres»
(italiques ajoutés; cf. supra, chap. II, n° 71). De plus, l'article 6 de l'Accord
rend applicable aux litiges pendant devant les juridictions danoises la
procédure de renvoi préjudiciel, telle que prévue par l'article 68 TCE. Il s'agit
d'un élément que la Cour a pris en compte dans l'affaire Van Gend en Loos

104
CJCE, aff. 104/81, Kupferberg (note 101), cons. 10-15.
105 Voir notamment CJCE, aff. C-149/96, Portugal/Conseil, Rec. 1999, 1-8395, cons. 34-
41. Voir également CJCE, aff. C-66/93, Gloszczuck, Rec. 2001, 1-6369, cons. 29-38.

114
pour conclure à l'effet direct des dispositions du droit communautaire106•
Ainsi, il paraît difficile de contester que l'accord vise à simuler autant que
possible l'application du Règlement Dublin II et des Règlements connexes
dans tous les États membres, y compris en ce qui concerne leur applicabilité
directe.
80 Ces conclusions ne valent, toutefois, qu'à l'égard de l'application des
Accords dans l'ordre juridique des «Vingt-quatre». La question de leur
applicabilité directe dans les pays associés doit - elle - être résolue à la
lumière du droit danois, islandais, norvégien et suisse.
On relèvera à cet égard que les trois pays nordiques sont de tradition
dualiste 107 • En revanche, la Suisse est de tradition moniste. D'après le Conseil
fédéral suisse et la doctrine, l'accord d'association- ou pour mieux dire, le
dispositif Dublin II qu'il incorpore 108 - y sera directement applicable au
moment de sa mise en application 109 •

106 CJCE, aff. 26/62, Van Gend en Loos (note 87), à la p. 23, 4• cons.
107 Voir C. HARLAND, The status of the International Covenant on Civil and Political
Rights (ICCPR) in the domestic law of State parties ,· an initial survey through UN
Human Rights Committee documents, HRQ (2000), pp. 187-260, pp. 215, 223, 238.
108 Sur l'application directe de l'accord lui-même, et plus particulièrement sur ses
dispositions insusceptibles d'application directe, voir D. WÜGER, Anwendbarkeit und
Umsetzung der Bilateralen Vertriige Il, in: A. EPINEY, F. RIVIÈRE,
S. THEUERKAUF, M. WYSSLING (éds.), Annuaire suisse de droit européen
2004/2005, Berne/Zurich (Stiimpfli/Schulthess), 2005, pp. 287-312, notamment aux
pp. 295-296.
109 Voir le Message du Conseil fédéral suisse relatif à l'approbation des accords bilatéraux
entre la Suisse et l'Union européenne, y compris les actes législatifs relatifs à la
transposition des accords («accords bilatéraux Il») du 1er octobre 2004, FF 2004,
p. 5593, à la p. 5923 ; D. WÜGER (note précédente), aux pp. 305-306. Pour une
perspective plus ample sur la problématique de l'effet des accords bilatéraux I et II en
Suisse voir O. MACH, La place des Accords bilatéraux II dans l'ordre juridique
suisse, in: C. KADDOUS, M. JAMETTI GREINER (éds.), Accords bilatéraux II
Suisse-DE, Genève/Bâle/Munich/Bruxelles/Paris (Helbing &
Lichtenhahn/Bruylant!LGDJ), 2006, pp. 169-192.

115
C. La nature et les objectifs du système de Dublin

1. Le système de Dublin et le concept de pays tiers sûrs


81 Le système de Dublin entretient des liens étroits avec le concept de
«pays tiers sûrs» (cf. supra, chap. Il, no 24) 110• D'une part, il repose sur une
présomption de sécurité de tous les États qui y participent (RD, cons. 2).
D'autre part, il dispose l'inadmissibilité des demandes présentées à un État
autre que l'État responsable (art. 19 RD : décision «de ne pas examiner la
demande ») tout comme, en droit européen et dans les pratiques des États
membres, l'existence d'un «pays tiers sûrs » est qualifiée de cause
d'inadmissibilité d'une demande 111 •
82 Le système de Dublin présente néanmoins un degré de sophistication
nettement supérieur par rapport aux réglementations « normales » inspirées
du concept de pays tiers sûrs. Il constitue un standing arrangement
multilatéral, il définit de façon détaillée et - surtout - articulée les types de
«liens» permettant le renvoi d'un demandeur vers l'un des pays partenaires,
il est couplé d'un système de «preuve du lien» et d'un régime de
réadmission particulièrement efficaces. Du point de vue du demandeur
d'asile, en outre, le système de Dublin comporte en principe de meilleures
garanties au sujet de l'admission à une procédure d'asile dans le pays de
destination (mais cf. infra, n° 114).

11 ° Ce au point que certains auteurs ont défini la Convention de Dublin « an agreement


[ ... ] providing for the systematic application of the safe third country rule among
[Member States of the European Union]» (ainsi 1. DUNSTAN, Playing human
pinball : the Amnesty International United Kingdom Section report on UK Home
Office « safe third country >> practice, IJRL (1995), pp. 606-652, à la p. 609). Selon la
distinction que nous avons opérée supra, au chap. II, no 24, il n'est en revanche pas
entièrement correct de lier le système de Dublin au concept de « premier pays
d'asile», comme il arrive parfois (A. ACHERMANN, Das Erstasylabkommen von
Dublin, ASYL (5/1990), pp. 12-19). En effet, les règles de Dublin prévoient le
transfert du demandeur vers un pays qui par définition ne lui a pas encore accordé
protection.
111 Voir la Directive no 2005/85 (note 55), art. 25 § 1. Voir également J. VEDSTED-
HANSEN, Non-admission policies and the right to protection : refugees' choice
versus states' exclusion?, in: F. NICHOLSON, P. TWOMEY (éds.), Refugee rights
and realities- Evolving international concepts and regimes, Cambridge (CUP), 1999,
pp. 269-288, à la p. 272. Dans certains États membres, la décision de transfert est une
décision de rejet, non pas d'inadmissibilité, mais les législations tendent actuellement à
s'aligner sur le premier modèle: voir Rapport HCR (note 70), p. 16.

116
Cette plus grande sophistication projette le système de Dublin sur un plan
qualitativement différent par rapport aux règles en matière de « pays tiers
sûrs ». Il poursuit des objectifs qui dépassent le seul objectif de délester les
systèmes nationaux de l'asile 112, et il est ancré dans un contexte d'intégration
territoriale qui en fait prima facie un instrument multidimensionnel - de
contrôle, de protection, de distribution de la charge de l'accueil. Cet aspect
doit maintenant être approfondi, à la lumière de l'examen des dispositifs
Dublin I et Dublin II qui a été effectué en précédence. Cela permettra de
mieux comprendre les questions soulevées par l'application du système de
Dublin, et en particulier de mieux encadrer ses rapports problématiques avec
l'exigence de respecter l'unité de la famille des demandeurs d'asile.

2. Le système de Dublin : un instrument de protection7


de contrôle migratoire ou de burden sharing ?

a) Les objectifs de la Convention, d'après son préambule


83 Le préambule de la Convention de Dublin constitue le point de départ de
notre analyse. Les États contractants -qui s'y affirment par ailleurs «décidés
[ ... ] à garantir aux réfugiés une protection appropriée, conformément à la
[Convention de Genève] » 113 - exposent les buts de la Convention
spécialement dans les trois considérants qui se réfèrent à :
l'objectif, fixé par le Conseil européen de Strasbourg des 8 et 9 décembre
1989, d'une harmonisation de leurs politiques d'asile (cons. 1) ;
l'objectif commun d'un espace sans frontières intérieures [tel que prévu
par l'article SA du Traité CEE] (cons. 3);
[l'objectif] de donner à tout demandeur d'asile la garantie que sa demande
sera examinée par l'un des États membres et d'éviter que les demandeurs
d'asile ne soient renvoyés successivement d'un État membre à l'autre sans
qu'aucun de ces États ne se reconnaisse compétent pour l'examen de la
demande d'asile (cons. 4).

112 Telle est, en effet, la fonction primaire des règles inspirées du concept de « pays tiers
sûrs»: voir notamment G. S. GOODWIN-GILL, Safe country? Says who?, IJRL
(1992), pp. 248-250; K. HAILBRONNER, The concept of« safe country» and
expeditious asylum procedures : a Western European perspective, IJRL (1993),
pp. 31-65.
113 Une déclaration analogue figure également à l'art. 28 de la Convention de Schengen
(note 11), où les Parties contractantes «réaffirment leurs obligations aux termes de la
Convention de Genève[ ... ]».

117
84 Pris à la lettre, le premier considérant a quelque chose de paradoxal - ou,
nous le verrons tout de suite, de prophétique. En effet, la Convention de
Dublin ne contient aucune disposition d'harmonisation du droit national des
réfugiés et de l'asile, ni au plan matériel, ni au plan procédural - sauf,
naturellement, dans la mesure où elle a entraîné l'introduction dans tous les
États membres de la procédure de détermination de l'État responsable. Bien
au contraire, comme nous l'avons relevé, la Convention repose sur une
présomption d'équivalence des droits nationaux en matière de protection des
réfugiés, qui seuls ont vocation à s'appliquer (cf. supra, no 4).
Rétrospectivement, on peut certes affirmer que la mise en place du dispositif
Dublin I a grandement stimulé l'harmonisation des régimes nationaux de
l'asile 114 • Mais tel a été le cas précisément parce qu'il était gravement
lacunaire à cet égard (cf. infra, n° 116 ss).
85 Le considérant 4 vise le problème des réfugiés sur orbite. Dans
l'économie du préambule, la solution de ce problème semble même revêtir
une importance prééminente.
Théoriquement, les dispositions de la Convention étaient aptes à éviter des
renvois répétés de demandeurs d'asile d'un État contractant à l'autre. Elles ne
réalisaient toutefois que partiellement l'objectif de prévenir les situations
«d'orbite», eu égard notamment au fait que tout État membre - et donc
également l'État responsable - conservait la faculté de renvoyer le
demandeur d'asile vers un pays tiers sûr en conformité avec ses obligations
internationales et avec son droit national 115 • Une comparaison sur ce point

114 Voir C. MARINHO, Conclusions, in: C. MARINHO (éd.), The Dublin Convention on
asylum: its essence, implementation and prospects, Maastricht (EIPA), 2000, pp. 307-
310, à la p. 310. Voir également le Règlement no 343/2003 (JO 2003 L 5011), cons. 5
in fine.
115 Voir G. S. GOODWIN-GILL (note 3), p. 338; CERE, Position on the implementation
of the Dublin Convention in the light of lessons learnedfrom the implementation of the
Schengen Convention, Bruxelles, 1997, § 13-14. Il a été relevé que les règles de Dublin
sont neutres à cet égard, et qu'elles ne sauraient prêter à critique en elles-mêmes quant
au respect du principe de non-refoulement (K. HAILBRONNER, C. THIERY, note 7,
aux pp. 974-976). Cela est correct, dans la mesure où l'article 3 § 5 CD, et ensuite
l'article 3 § 3 RD, sont neutres quant à l'application du concept de pays tiers sûrs.
Toutefois, ces dispositions doivent être lues conjointement à la Résolution de Londres
sur «l'approche harmonisée des questions relatives aux pays tiers d'accueil» (cf.
supra, chap. Il, no 37), qui accorde une préférence systématique au renvoi vers des
pays tiers sur le transfert à l'État responsable. À ce sujet, il a été observé que «the
principle of the responsible State has been turned upside down ; expulsion to a third
state is no longer the exception, but the rule » (A. ACHERMANN, M. GATTIKER,
Safe third countries : European developments, IJRL (1995), pp. 19-38, à la p. 23). À

118
avec le Projet d'accord élaboré par le CAHAR (cf. supra, chap. II, no 27), qui
visait aussi la solution du problème des réfugiés sur orbite, est instructif, dans
la mesure où celui-ci ne contenait aucune disposition comparable à l'article 3
§ SCD.
86 Les dispositions de la Convention de Dublin répondaient davantage à
l'objectif formulé de manière elliptique par le 3e considérant du préambule:
celui de compenser le déficit de contrôle et de sécurité (prétendument) causé
par l'abolition des frontières intemes 116 . Le dispositif Dublin I s'analyse en
effet principalement en instrument de limitation des « mouvements
secondaires » des étrangers dans 1' espace sans frontières et de prévention du
dépôt de demandes d'asile multiples (cf. supra, chap. II, no 28-31). La
détermination de l'État responsable sur la base de critères « objectifs », i.e. de
critères faisant largement abstraction de la volonté du demandeur d'asile, le
mécanisme de la « reprise en charge » du demandeur pendant la procédure de
détermination de l'État responsable et pendant la procédure d'asile, le
principe de la « chance unique» et son corollaire, le principe de
1' extraterritorialité (optionnelle) des décisions négatives prises par 1'État
ayant examiné la demande, étaient tous fonctionnels à ces objectifs (cf. supra,
n° 13).
87 Eu égard aux possibles fonctions d'un dispositif de détermination de
l'État responsable, il y a lieu enfin de se demander si le dispositif Dublin I
pouvait être qualifié d'instrument de burden sharing (cf. supra, chap. II,
no 26), i.e. s'il avait (aussi) pour objet ou pour effet de promouvoir une
répartition équitable du fardeau de l'accueil parmi les États membres.

partir du 1er décembre 2007, le cadre juridique résultera de l'article 3 § 3 RD et des


articles 26, 27 et 36 de la Directive no 2005/85 relative à des normes minimales
concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États
membres (JO 2005 L 326/13). Ces dispositions n'établissent pas une priorité entre le
renvoi vers l'État responsable et le renvoi vers un pays tiers sûr (voir U. BRANDL,
note 50, à la p. 58). Elle n'en établissent pas moins un régime juridique fort critiquable
au regard du principe de non-refoulement : voir pour tous C. COSTELLO, The asylum
procedures Directive and the proliferation of safe country practices : deterrence,
deflection and the dismantling of international protection, EJML (2005), pp. 35-69.
116 La question de savoir si l'abolition des contrôles aux frontières engendre réellement un
déficit sécuritaire est en effet controversée: voir d'une part M. SPENCER, 1992 and
all that- Civilliberties in the balance, Londres (Civil Liberties Trust), 1990, pp. 37-
38, et d'autre part, M. SICA, Gli accordi di Schengen, in: B. NASCIMBENE (éd.), Da
Schengen a Maastricht - Apertura delle frontiere, cooperazione giudiziaria e di polizia,
Milan (Giuffré), 1995, pp. 153-157, à la p. 154.

119
Le texte de la Convention suggère une réponse négative. Un tel objectif
n'était point mentionné dans son préambule. De plus, et surtout, ses
dispositions ne tendaient pas à réalisation d'un résultat distributif
prédéterminé sur la base de critères objectifs (par ex. la taille, le PIB et la
population des États contractants). La Convention contenait uniquement une
clause de sauvegarde - l'article 17 -permettant, sur autorisation du Comité
de l'article 18, la suspension provisoire de la Convention par un État membre
confronté à des «difficultés majeures du fait d'un changement substantiel des
circonstances »117 •

b) Les objectifs du Règlement, d'après son préambule


88 Le préambule du Règlement comporte dix-neuf considérants au lieu des
six du préambule de la Convention. On y affirme notamment que la
détermination de l'État responsable selon les nouvelles règles devrait :
assurer l'accès à la protection pour ceux qui en ont besoin (voir cons. 1
et 4),
être efficace, rapide et équitable pour toutes les parties concernées (voir
cons. 3 et 4),
«préserver l'unité de la famille dans la mesure où ceci est compatible
avec les autres objectifs» du Règlement (cons. 6 ; voir également
cons. 7),
répondre à l'exigence d'un «équilibre entre les critères de responsabilité
dans un esprit de solidarité » (cons. 8 ; voir également cons. 4),
être respectueux des droits fondamentaux et observer « les principes qui
sont reconnus, notamment, par la Charte des droits fondamentaux de
l'Union européenne» (cons. 15).
La référence à cette vaste palette d'objectifs est une conséquence directe,
presque nécessaire, de la transposition des règles de Dublin dans le cadre du
Traité CE. En particulier, les considérants no 1, 4 et 15 reflètent les principes
de sauvegarde des droits fondamentaux et de solidarité entre États membres
affirmés aux articles 6 TUE et 63 no 1 et no 2lit. b TCE.

117 Plus explicitement, le projet d'accord élaboré par le CAHAR (cf. supra, chap. II,
no 27) prévoyait, en son article 8, une procédure de consultation entre Parties
contractantes en cas de disproportion dérivant de l'application de l'accord lui-même.

120
89 Sans préjudice de la valeur du préambule en tant qu'instrument
d'interprétation du dispositif du Règlement118 , on ne peut que constater une
certaine dyscrasie entre les deux. Les seuls principes énoncés dans le
préambule et clairement traduits en nouvelles dispositions sont le principe
d'efficacité et le principe du respect de l'unité familiale «dans la mesure où
ceci est compatible avec les autres objectifs» (cf. supra, no 33-36 et 39-
40)119.
90 On relèvera en outre que s'il est très disert sur les objectifs «dérivés» du
dispositif Dublin II (respecter la famille, respecter les droits
fondamentaux) 120 , le préambule du Règlement demeure aussi discret que
celui de la Convention sur les raisons d'être du système de Dublin. Il ne
comporte en effet qu'une référence oblique à ses objectifs de« contrôle», tels
la « lutte contre les abus » et la restriction des mouvements secondaires
(cons. 8). Eu égard au dispositif du Règlement, qui maintient pleinement le
principe de la chance unique et qui continue à faire dépendre la détermination
de l'État responsable de circonstances étrangères à la volonté du demandeur,
et à la lumière de l'article 61 TCE, qui qualifie expressément les mesures à
adopter sur la base de l'article 63 n° 1 lit. a TCE de «mesures
d'accompagnement», on ne saurait cependant douter que tels demeurent les
objectifs primaires du dispositif Dublin II.

c) Les objectifs du système de Dublin: remarques conclusives


91 Les deux règles cardinales du système de Dublin, le one-chance-only
principle et le principe de la détermination de l'État responsable sur le
fondement de critères objectifs, justifient que l'on le qualifie principalement
de système de contrôle migratoire, dans les termes que nous préciserons plus
en bas 121 • Le système de Dublin a également une fonction de protection -
garantir un meilleur accès aux procédures d'asile - qui est néanmoins
singulièrement atténuée par la possibilité d'un renvoi vers des pays tiers sûrs
(cf. supra, no 4 et 32). Telles étant sesfonctions proprement dites, le système
de Dublin, et plus particulièrement le dispositif Dublin II, comporte
également des règles tendant à sauvegarder d'autres intérêts «collatéraux»,

118 Voir CJCE, aff. C-355/95 P, TWD, Rec. 1997,1-2549, cons. 21.
119 Il s'agissait par ailleurs des deux améliorations expressément demandées par le
Conseil avec le Plan de Vienne (JO 1999 C 19/1), § 36 lit. b (i) et (ii).
120 Voir le document de la délégation néerlandaise «Réexamen de la Convention de
Dublin » (note 47), § 8.
121 Dans le même sens, voir S. BARBOU DES PLACES (note 60), pp. 12-13.

121
dont l'intérêt à protéger l'unité familiale 122• À la lumière (trompeuse) du
préambule du Règlement, on serait tentés de dire que la répartition équitable
du fardeau de l'accueil parmi les États membres figure, sinon parmi les
fonctions du dispositif Dublin II, au moins parmi ces « intérêts protégés ».
Rien n'autorise, toutefois, une telle conclusion : la répartition des demandes
d'asile entre États membres n'a pas lieu selon une clé préétablie et fondé sur
un critère que l'on pourrait définir «équitable» (PIB, rapport réfugiés-
résidents, extension géographique, etc.) 123• Même la clause de sauvegarde
prévue à 1' article 17 CD, un bien faible instrument de correction des
déséquilibres distributifs, a été rayée du dispositif Dublin II.
92 Cela ne signifie nullement que l'établissement de critères de
responsabilité n'ait pas d'effets distributifs (cf. infra, no 107 ss), et que cette
circonstance n'ait pas pesé d'un poids déterminant lors des négociations
visant à en définir le contenu 124•
Au contraire, les États sont particulièrement sensibles au fait que la
formulation des critères peut avoir un impact direct sur le nombre des
demandeurs d'asile qu'ils devront prendre en charge ou qu'ils pourront
renvoyer vers d'autres États membres. Par exemple, les États avec une forte
présence étrangère sur leur territoire sont tendanciellement pénalisés par les
critères fondé sur les liens familiaux. Les États présentant des frontières
extérieures étendues et exposées aux flux migratoires sont au contraire
pénalisés par les critères fondés sur le franchissement irrégulier des
frontières 125 •
Dans cette perspective, les critères de Dublin ne traduisent pas
nécessairement un intérêt« européen» et partagé à l'équilibre des efforts. Ils
constituent plutôt l'expression d'un compromis entre plusieurs intérêts
nationaux contradictoires, certains États étant par ailleurs « gagnants » et

122 Le fait que le système de Dublin ne vise pas, à titre principal, le regroupement familial
a été d'ailleurs expressément relevé par certaines juridictions nationales : voir VwGH,
aff. no 2000/011498, arrêt du 23 janvier 2003, publié dans Migralex (2003), pp. 100-
105, § 3.
123 Cela était vrai pour la Convention (Document de travail des services de la Commission
« Réexamen de la Convention de Dublin », note 9, § 35) et demeure vrai pour le
Règlement (U. BRANDL, note 50, à la p. 36).
124 On rappellera que le projet d'accord élaboré par le CAHAR n'a pas pu être adopté
précisément pour des raisons de cet ordre (cf. supra, chap. Il, no 27), et on verra que la
question distributive est expressément abordée dans une déclaration faite par le
Conseil lors de l'adoption du Règlement Dublin II (cf. infra, n° 112).
125 Voir G. NOLL (note 5), pp. 319-320; D. DUBOLINO (note 49), à la p. 829. Voir
également U. BRANDL (note 50), à la p. 63.

122
d'autres «perdants» à cette table de négociation (cf. infra, no 107 ss). Cette
considération permet de mieux préciser les deux sens dans lesquels le système
de Dublin peut être considéré comme un instrument de contrôle migratoire,
ou pour mieux dire de contrôle du déplacement et de la présence des
demandeurs d'asile sur sol européen.
93 Dans une optique européenne de contrôle migratoire, dans laquelle on
considère l'« espace Dublin » un territoire, la règle essentielle du système de
Dublin est le principe de la chance unique. Cette règle permet, du moins
théoriquement, de réduire directement le nombre de demandes d'asile
présentées dans 1'Union et aussi, de manière plus indirecte, de réduire le
temps de permanence des demandeurs d'asile déboutés dans l'Union et de
rendre plus aisé leur rapatriement. En ce sens, le système de Dublin est
l'instrument «par excellence» de lutte contre l'abus de l'asile à l'échelle
européenne. On notera, par ailleurs, que le one-chance-only principle
constitue le seul aspect du système de Dublin qui est implicitement requis par
le Traité CE 126, et le seul aspect de la Convention de Dublin à ne pas avoir été
remis en question par la Commission dans son document de travail de
2000 127•
94 En revanche, la deuxième règle centrale du système de Dublin -
l'interdiction de 1'asylum shopping ou selon une terminologie plus neutre, le
déni au demandeur d'asile du choix du pays qui examinera sa demande -
n'est à bien voir pas réellement fonctionnelle au contrôle de l'immigration
dans l'espace Dublin. Elle n'a pas d'incidence directe sur le nombre de
demandes d'asile présentées dans cet espace - une fois qu'un demandeur
présente sa demande, celle-ci sera de toute manière examinée une fois par un
État membre -et on ne peut certainement pas affirmer qu'elle rac.courcit le
temps d'examen des demandes d'asile 128 •
Pour mieux dire, l'adoption et l'application d'un système de critères
contraignants n'a de sens que dans l'optique du contrôle migratoire à l'échelle

126 L'article 63 no llit. a TCE exige en effet la fixation de critères permettant d'identifier
l'État responsable. Il en va de même, dans une perspective d'avenir, de l'article 266
§ 2lit. e du Traité établissant une Constitution pour l'Europe (JO 2004 C 31011).
127 Document de travail des services de la Commission « Réexamen de la Convention de
Dublin » (note 9), § 58.
128 En particulier, la détermination de l'État responsable serait plus simple et rapide si on
adoptait le seul critère du lieu du dépôt de la demande : voir le Document de travail
des services de la Commission « Réexamen de la Convention de Dublin » (note 9),
§59.

123
nationale, et la sélection des circonstances qui en forment la base est un
terrain privilégié de confrontation des intérêts nationaux.
95 Sur le plan législatif, en effet, la définition des critères et leur
cristallisation dans le Règlement traduit en forme juridique un compromis
politique entre États membres - compromis favorable, en 1' espèce, aux
traditionnels États de destination situés en Europe nord occidentale (cf. infra,
n° 107 ss).
Sur le plan de la mise en œuvre, l'application des critères et le transfert d'un
demandeur d'asile vers l'État responsable exprime aussi un intérêt national.
Le complexe mécanisme de recherche de 1'État responsable et toute la
machinerie administrative qui l'accompagne a pour seule justification
l'avantage que l'État requérant retire du transfert à l'État requis du «coût
marginal » de chaque demandeur d'asile - coût administratif, coût d'accueil,
coût politique et social de la présence du demandeur d'asile et éventuellement
du réfugié sur le territoire.
96 Les observations qui précèdent trouvent confirmation - et sont
efficacement illustrées -lorsqu'on en examine les difficultés auxquelles les
États membres se sont heurtés dans la mise en œuvre du système de Dublin.

D. Les effets du système de Dublin

1. Remarques liminaires
97 La Convention de Dublin a fait l'objet de vives critiques de la part du
milieu académique et plus encore de la part d'organisations non
gouvernementales, qui ont mis en exergue surtout son biais sécuritaire, ses
défauts de conception et son impact négatif sur la protection et sur les
conditions de vie des demandeurs d'asile en Europe 129 • Initialement plus

129 Voir notamment A. ACHERMANN (note 110); G. NOLL, Formalism v. empiricism:


sorne reflections on the Dublin Convention on the occasion of recent European case
law, NJIL (2001), pp. 161-182; A. HURWITZ (note 9). Pour un rare exemple de
commentaire positif sur la Convention voir P. STÉFANINI, F. DOUBLET, Le droit
d'asile en Europe: la Convention relative à la détermination de l'État responsable
pour l'examen d'une demande d'asile présentée auprès d'un État membre des
Communautés européennes, RMCUE (1991), pp. 391-399. Le cahier des doléances des
organisations non gouvernementales est bien présenté dans le document CERE,
Comments on the European Commission staff working paper revisiting the Dublin
Convention : developing Community legislation for determining which Member State

124

-------------- ------- .---::-~.-::::1


réservées, les prises de position du HCR ont également pris un accent plus
critique au fil des années 130• Enfin, à l'issue d'un exercice d'évaluation ayant
abouti notamment à la publication de deux rapports de la Commission en
2000 et en 2001, les institutions communautaires ont également manifesté
leur insatisfaction au regard du fonctionnement de la Convention (cf. infra,
n° 100).
98 L'adoption du Règlement Dublin II a également suscité de vives
critiques. De nombreux commentateurs ont en effet stigmatisé le choix de
continuité opéré par le législateur communautaire, estimant que le dispositif
Dublin l n'était pas amendable et que pour mettre en place un système de
détermination de 1'État responsable efficace et équitable il aurait fallu en
'.C
re.1ormer 1es pnne1pes
. . de base 131 .

99 Il nous a apparu utile de clore ce chapitre, consacré à un examen général


du système de Dublin, en passant en revue les principales questions
auxquelles donne lieu son application, avant de passer à examiner en plus de
détail celles qui se posent sous l'aspect de l'unité de la famille des
demandeurs d'asile, sujet auquel est consacré le prochain chapitre.

2. Un système en déficit d'efficacité


100 En 2000, dans son document de réflexion «Réexamen de la Convention
de Dublin », la Commission relevait 132 :
Il semble que l'on s'accorde à reconnaître, au bout de plus de deux ans de
mise en œuvre, [que la Convention de Dublin] ne fonctionne pas aussi bien
qu'on l'avait espéré.

is responsible for considering an application for asylum submitted in one of the


Member States, Bruxelles, 2000.
130 Voir HCR, UNHCR position on conventions recently concluded in Europe (Dublin and
Schengen Conventions), Genève, 1991 ; HCR, Implementation of the Dublin
Convention :sorne UNHCR observations, Genève, 1998 ; HCR (note 45).
131 ..
Voir S. BARBOU DES PLACES (note 60); B. SCHRODER(note 59), à la p. 103;
U. BRANDL (note 50), aux pp. 68-69 ; E. GUILD, Seeking asylum : storm clouds
between international commitments and EU legislative measures, ELR (2004),
pp. 198-218, aux pp. 207-208. En sens plus favorable au choix effectué par le
législateur communautaire, voir K. HAILBRONNER (note 48), aux pp. 75 et 77-78;
D. DUBOLINO (note 49), à la p. 845.
132 Document de travail des services de la Commission « Réexamen de la Convention de
Dublin » (note 9), § 1.

125
101 Ce constat a été confirmé et précisé un an plus tard, lorsque la
Commission a publié son rapport d'évaluation sur l'application de la
Convention 133 •
D'après les chiffres figurant dans ce rapport, en 1998 et 1999 la Convention
de Dublin a été appliquée au 6% des demandes d'asile présentées dans les
États membres. Les demandes de (re)prise en charge présentées en vertu de la
Convention ont été acceptées dans le 70% des cas (4,2% des demandes
d'asile), et un transfert a eu effectivement lieu dans le 30% des cas
d'acceptation (1,7% des demandes d'asile). En gardant à l'esprit le fait que la
Convention ne s'appliquait pas à toutes les demandes de protection
internationales présentées aux États membres (cf. supra, no 2 et 31), on
mesure combien son impact pratique a été marginal.
102 Au-delà des ces considérations d'ordre quantitatif, il faut par ailleurs
relever que le dispositif Dublin I a fonctionné de manière boîteuse. Son
critère «central», celui de l'entrée irrégulière, a en particulier été de difficile
application. Les raisons en ont été notamment l'attitude peu coopérative des
États « requis », qui ont souvent insisté sur la preuve formelle du
franchissement irrégulier de leurs frontières, et des demandeurs d'asile, qui
ont fréquemment tout mis en œuvre pour se soustraire à l'application de la
Convention (destruction des documents, retrait de la demande d'asile, etc.) 134 •
103 Les coûts encourus pour obtenir de si maigres résultats n'ont pas été
négligeables : dépenses administratives additionnelles, rallongement des
procédures d'asile, dégradation de l'offre de protection. À cet égard, il faut
relever que de nombreux demandeurs d'asile sont allés jusqu'à renoncer à
l'examen de leur demande plutôt que de se voir transférés vers l'État
responsable 135 •
104 Comme nous l'avons vu, le Règlement Dublin II a apporté certains
«amendements» à la Convention, dont le but est précisément d'améliorer
l'efficacité du système de Dublin (par ex., réforme des procédures de (re)prise
en charge: cf. supra, n° 39). Plus encore que ce toilettage du texte, l'entrée en

133 Document de travail des services de la Commission << Évaluation de la Convention de


Dublin», doc. SEC (2001) 756.
134 Voir Document de travail des services de la Commission « Évaluation de la
Convention de Dublin>> (note précédente), pp. 4-6; A. HURWITZ (note 9), pp. 676-
677. Sur les stratégies d'évitement mises en œuvre par les demandeurs d'asile voir
S. BARBOU DES PLACES (note 60), pp. 4-5.
135 Voir Document de travail des services de la Commission « Évaluation de la
Convention de Dublin>> (note 133), pp. 3, 9-11 et 18-20.

126
fonction du système EURODAC était censée conférer au dispositif Dublin II
une plus grande efficacité, notamment en ce qui concerne la prévention des
demandes multiples et l'attribution de responsabilité à l'État d'entrée
irrégulière du demandeur d'asile (cf. supra, n° 40) 136•
105 La Commission n'a pas encore présenté le rapport d'évaluation prévu par
l'article 28 RD, et les chiffres publiés à ce jour par le HCR et par le CERE au
sujet du fonctionnement du dispositif Dublin II sont fragmentaires, peu
détaillés et peu comparables 137• Il est donc impossible pour l'instant de
dresser un bilan précis de l'impact global du Règlement et des différents
critères de responsabilité qu'il établit.
L'impression qu'on tire des chiffes disponibles est cependant que l'impact du
dispositif Dublin II soit plus grand que celui du dispositif Dublin 1, tout en
demeurant modeste en termes absolus, et que le taux d'acceptation des
requêtes ait également augmenté, alors que le taux des transfert. menés à
terme demeure extrêmement faible 138 •
Quant à l'application des différents critères, il ri' existe pas de chiffres agrégés
pourl'ensemble des États concernés. Il semblerait néanmoins que l'entrée en
fonction du système EURODAC ait èntraîné une augmentation du taux

136 Voir S. BARBOU DES PLACES (note 60), pp. 27-29, qui observe que l'efficacité du
dispositif Dublin II a été « déléguée » à EURODAC.
137 Voir notamment le Rapport HCR (note 70), pp. 71-72, qui donne un aperçu statistique
de la mise en œuvre du dispositif Dublin II en 2005, ainsi que le Rapport CERE (note
72), pp. 177-187, qui contient en revanche des données relatives à l'année 2004.
138 Cette impression se fonde sur le ratio entre demandes d'asile présentées dans les États
concernés (source : HCR) et demandes donnant lieu à une requête, à une acceptation
ou à un transfert. Pour les années 1998-1999, sous l'empire de la Convention, les
demandes présentées dans l'Union des 15 ont été de 841 770 (source: HCR, Asylum
applications in Europe, 1999, Genève, 2000, tableau 1). Une requête de (re)prise en
charge a été envoyée dans 39 251 cas (4,8 % des demandes), a été acceptée dans
27 588 cas (3,3 % du total, 70 % des requêtes) et a donné lieu à un transfert dans 10
918 cas (1,2% du total, 40% des requêtes acceptées). En 2005, les demandes d'asile
présentées dans les 27 États «Dublin» ont été de 243 330 (source : HCR, Asylum
levels and trends in industrialized countries, 2005, Genève, 2006, tableau 1). Sur la
base des données contenues dans Rapport HCR (note 70), pp. 71-72, qui n'incluent pas
la France et le Danemark et donnent donc lieu à une considérable sous-estimation de
l'impact du dispositif Dublin Il, les requêtes envoyées en cette année ont été d'environ
19 500 (8 % du total des demandes), les requêtes acceptées ont été d'environ 14 500
(6% du total, 74 % des requêtes envoyées) et les transferts effectués n'ont été que
d'environ 4 500 (1,8% du total, 31% des requêtes acceptées).

127

-.--1-
d'acceptation des requêtes fondées sur le critère de l'entrée illégale 139 . Par
ailleurs, il semblerait avoir contribué de manière plus marquée encore à la
prévention du dépôt de demandes multiples et à l'application du principe
. 140
chance umque .
106 En résumé, au regard des chiffres disponibles, qui ne permettent aucune
conclusion assurée sur ce point, il semblerait que le dispositif Dublin II soit
considérablement plus efficace du dispositif Dublin I, tout en restant peu
efficace en termes absolus.
Ce qui peut en revanche être observé avec certitude, et qui correspond par
ailleurs à la conclusion provisoire que nous venons de formuler, c'est qu'avec
l'adoption du dispositif Dublin II le législateur n'est pas intervenu sur les
causes profondes ayant déterminé l'échec du dispositif Dublin I. Comme il a
' ' ob serve'141 ,
ete
The reasons for the failure of the Dublin Convention are to be found in its
entirely unreasonable presumption that both asylum seekers and countries
of original admission would accommodate themselves to procedures which
work to their disadvantage.

Comme nous allons le voir, cette observation est dans une très grande mesure
transposable au Règlement Dublin II.

3. Un système promouvant le« déséquilibre» des efforts


107 Comme nous 1' avons relevé, les dispositifs Dublin I et II ne sont pas
conçus pour produire un résultat distributif prédéterminé et équitable parmi

139 À titre d'exemple, le taux de succès des requêtes envoyées par l'Allemagne à d'autres
États membres sur le fondement de l'article 10 RD a été grosso modo de 56% en 2004
(source : Office fédéral allemand des migrations et des réfugiés, données disponibles
auprès de l'auteur).
140 Voir notamment les rapports SEC (2004) 557 et SEC (2005) 839. Le fait que
EURODAC contribue plus à la mise en œuvre du principe de la chance unique qu'à
celle du critère de 1' entrée irrégulière ne saurait surprendre. En effet, le contact entre la
personne concernée et 1' administration censée relever ses empreintes digitales est
assuré lors de chaque dépôt d'une demande d'asile. Tel n'est pas le cas, tant s'en faut,
lors du franchissement illégal d'une frontière.
141 Voir HOUSE OF LORDS, SELECT COMMITTE ON THE EUROPEAN UNION, 19"
Rapport (Session 2001-2002), Asylum applications- Who decides?, Londres, 2002,
3" Partie («Issues and Evidence»), § 23, déclaration du Joint Council for the Welfare
of Immigrants.

128
les États membres (cf. supra, no 91). Cette observation, qui dérive d'une
simple analyse textuelle, a été confirmée par la pratique.
108 Pendant la période d'application de la Convention de Dublin, les États
situés aux frontières méridionales et orientales de l'Union ont été des
« receveurs nets » de demandeurs d'asile, et les États situés au centre ou au
nord-ouest de l'Union des «donneurs nets »142 • Cela n'a rien de surprenant.
La plupart des personnes présentant une demande d'asile dans l'UE
proviennent du sud et de l'est, et ils accèdent au territoire de l'Union par la
voie terrestre ou maritime et de façon irrégulière 143 • Dans ces conditions le
critère d'application théoriquement plus fréquente est celui de l'entrée
irrégulière, et les États responsables sont normalement ceux dont les
frontières extérieures constituent le point d'entrée dans l'Union. L'inefficacité
de la Convention de Dublin, et en particulier la difficile application de ce
dernier critère, ont toutefois mitigé ses effets distributifs 144•
109 En venant au Règlement, son préambule qualifie de « nécessaire »
l'établissement d'un «équilibre entre les critères de responsabilité dans un
esprit de solidarité » (cons. 8), mais son dispositif paraît ignorer cette louable
déclaration de principe. Certes, le critère du lien familial a été élargi, mais
d'une manière «géographiquement neutre» ou presque (cf. infra, chap. IV,
no 89). Pour le reste, dans le Règlement comme dans la Convention 145
le principe général est que la responsabilité de l'examen d'une demande
d'asile incombe à l'État membre qui a pris la plus grande part dans l'entrée
ou le séjour du demandeur sur les territoires des États membres, avec des
exceptions tendant à protéger l'unité des groupes familiaux.

110 Comme il fallait s'y attendre, le Règlement reproduit les mêmes effets
. 'butl'fs que 1a conventwn
d1stn . et 1es accentue 146.

142 Document de travail des services de la Commission « Évaluation de la Convention de


Dublin>> (note 133), § 48.
143 Voir J. VAN DER KLAAUW, Refugee protection in Western Europe: a UNHCR
perspective, in: J.-Y. CARLIER, D. V ANHEULE (éds.), L'Europe et les réfugiés: un
défi?, La Haye (Kluwer Law International), 1997, pp. 226-248, aux pp. 233-235.
144 Voir Document de travail des services de la Commission « Évaluation de la
Convention de Dublin >> (note 133), § 48 ; R. BYRNE, Harmonization and burden
redistribution in the two Europes, JRS (2003), pp. 336-358, à la p. 351.
145 Ainsi la Commission dans l'exposé des motifs de la proposition de Règlement, doc.
COM (2001) 447, p. 4 (italiques ajoutés).
146 Cela ressort clairement des chiffres publiés au sujet de l'application du Règlement
Dublin II (Rapport HCR, note 70, pp. 71-72; Rapport CERE, note 72, pp. 177-178).
Sur le caractère« attendu>> de ce résultat, voir R. BYRNE (note 144), loc. cit.

129
Il œuvre ainsi au désavantage des pays méridionaux et orientaux de l'Union,
au point que le Parlement européen à demandé à la Commission, dans .une
Résolution du 6 avril 2006 (§ 15) 147,
de prendre au plus tôt une initiative en vue d'une révision du règlement
(CE) no 343/2003, dit «Dublin II», qui remette en cause son principe
même, à savoir que l'État membre responsable d'une demande d'asile est
le premier pays d'accès, ce qui faitpeser une charge insupportable sur les
pays au sud et à l'est de l'UE [... ].

111 Ce résultat n'est pas uniquement contraire à l'« esprit de solidarité» entre
États membres évoqué dans le préambule du Règlement. Il joue aussi au
détriment des demandeurs d'asile. Les États les plus lourdement grevés sont
en effet induits à réagir à leur situation de « receveurs nets » en durcissant
leur législation et leur pratique en matière d'asile 148 .
112 Les conséquences de ces effets pervers du système de Dublin peuvent
certes être atténuées par la mise en œuvre d'instruments efficaces de
solidarité financière. L'institution du deuxième Fonds européen pour les
réfugiés (2005-2010), doté d'un budget nettement supérieur à celui du FER I,
constitueun pas dans cette direction 149 . D'autres manifestations de solidarité
paraissent en revanche plus contestables. Le meilleur exemple en est la
déclaration du Conseil inscrite au procès verbal de la séance pendant laquelle
le Règlement Dublin II a été adopté 150• En réponse aux «préoccupations de
certains États membres particulièrement exposés à l'immigration illégale du
fait de leur situation géographique», le Conseil s'engage à renforcer la
coopération européenne en matière de contrôle des frontières extérieures et de
lutte contre l'immigration clandestine. La prévalence de cette solidarité
« négative » sur la solidarité « positive » - ou si on préfère de la solidarité
dans le contrôle au détriment de la solidarité dans 1' accueil - aura été
pleinement consacrée si et lorsque une partie substantielle du budget du FER

147 Résolution du Parlement européen sur la situation des camps de réfugiés à Malte du
6 avril 2006, non encore publiée au JO.
148 Voir en particulier HCR, UNHCR's observations on the European Commission's
proposai for a Council Regulation establishing the criteria and mechanisms for
determining the Member State responsible for examining an asylum application lodged
in one of the Member States by a third-country national, Genève, 2002, § 8 et 13. Cf.
également infra, n° 114.
149 Décision no 2004/904 (JO 2004 L 381152). La Décision FER II comporte en particulier
des règles de financement plus favorables pour les nouveaux États membres (art. 17).
Pour un commentaire, voir CERE, ECRE information note on the Council Decision
establishing the European Refugee Fundfor the period 2005-2010, Bruxelles, 2004.
150 Voir doc. CNS no 6460/03 ADD 1, pp. 3-5.

130
II sera destinée, comme il est actuellement envisagé, non pas au soutien
d'activités d'accueil, de renforcement des procédures d'asile et de retour
volontaire, mais à la lutte contre l'immigration illégale 151 .

4. Le système de Dublin et t'accès à la protection


113 Qu'en est-il du principal objectif de protection du système de Dublin,
celui d'assurer aux demandeurs d'asile l'accès à une procédure de
détermination du statut de réfugié (cf. supra, no 85 et 88)?
Nous avons déjà relevé que les dispositifs Dublin I et II ne le concrétisent
qu'imparfaitement, puisqu'ils autorisent les États membres à renvoyer les
demandeurs d'asile vers des pays tiers sûrs (cf. supra, no 85 et 91). Il faut
également observer que le fait que 1'État responsable soit en principe tenu
d'« examiner» la demande d'asile (art. 16 § 1 lit. b RD) ne signifie pas
nécessairement qu'il soit tenu d'effectuer un examen au fond des besoins de
. du demandeur152.
protectiOn
114 Toujours est-il que le système de Dublin devrait à tout le moins améliorer
l'accès aux procédures d'asile, dans la mesure où il garantit, sous réserve de
ce que nous venons de dire, que l'État qui (re)prend en charge un demandeur
assure l'examen de sa demande, conformément à l'article 16 RD.
Malheureusement, des pratiques non conformes à cette disposition ont été
observées dans plusieurs États membres, où il arrive que le demandeur d'asile
« retourné » soit expulsé sans que sa demande ne soit examinée au fond. Ce
phénomène a été observé en particulier dans les États que le Règlement place
sous une plus forte pression - signe tangible des conséquences néfastes, pour
les demandeurs d'asile, du« déséquilibre des efforts »153 •

151 Voir Agence Europe no 9054 du 22 octobre 2005, p. 15.


152 En effet, l'« examen de la demande d'asile » est défini comme « ensemble des mesures
d'examen, des décisions ou des jugements rendus par les autorités compétentes sur une
demande d'asile conformément au droit national, à l'exception des procédures de
détermination de l'État responsable en vertu du présent règlement» (art. 2 lit. e RD).
On déduit de cette définition que l'obligation inscrite à l'article 16 § 1 lit. b RD est
satisfaite même lorsque l'État concerné procède' à un examen purement formel de la
demande.
153 Voir Rapport HCR (note 70), pp. 45-49; Rapport CERE (note 72), pp. 150-152. La
situation la plus critique a été observée en Grèce (voir P. N. PAPADIMITRIOU, 1. F.
PAPAGEORGIOU, The new « Dubliners »: implementation of European Council
Regulation 343/2003 (Dublin-II) by the Greek authorities, JRS (2005), pp. 299-318).
La Commission serait actuellement en train d'évaluer s'il y a lieu d'ouvrir une

131
115 Inapte à garantir l'accès à une procédure d'asile, le système de Dublin
déploie même des effets contraires à cette finalité.
En effet, la manière dont les critères sont définis contribue aussi
indirectement à ériger des barrières entre le demandeur d'asile et la
.
protection. Rappe1ons encore, avec 1a Comnuss10n
. . 154, que
[l]e principe général qui sous-tend les critères d'attribution de la
compétence est que [ ... ] chaque État membre est comptable vis-à-vis de
tous les autres de ses actions et de ses défaillances en matière d'entrée et de
séjour de ressortissants de pays tiers.

Ce « principe général » est conçu pour inciter les États membres à durcir les
conditions d'entrée et de séjour des étrangers et à intensifier les contrôles aux
frontières extérieures, et plus spécifiquement à mettre en œuvre strictement
les dispositions communautaires relatives à ces matières. Or, plusieurs
commentateurs ont relevé que l'application stricte de cet acquis comporte des
risques accrus de violation de la part des États membres du droit de chacun de
quitter son propre pays (art. 12 § 2 PIDCP) et de chercher l'asile (art. 14
DUDH, art. 18 CDFUE), ainsi que du principe de non-refoulement 155 .

5. La présomption d'équivalence des systèmes nationaux de


protection et le principe de non-refoulement
116 Le principe de la chance unique et ses corollaires renvoi
«automatique» du demandeur d'asile vers l'État tenu de le (re)prendre en
charge et effet extraterritorial (optionnel) des décisions de rejet - ne sont
acceptables, dans une optique de protection internationale, que si les États qui

procédure en manquement contre cet État membre (voir Agence Europe no 9158 du 24
mars 2006, p. 11).
154 Document de travail des services de la Commission « Évaluation de la Convention de
Dublin » (note 133), p. 1.
155 Voir G. NOLL, J. VEDSTED-HANSEN, Non-communitarians: refugee and asylum
policies, in: P. ALSTON (éd.), The EU and human rights, Oxford (OUP), 1999,
pp. 359-410, aux pp. 382-388; J. MORRISON, Why Europe's fight against smuggling
means the end of asylumfor refugees, ASYL (112002), pp. 16-20; A. ACHERMANN,
Migration und Volkerrecht, in: A. ACHERMANN, A. EPINEY, W. KÂLIN, M. S.
NGUYEN (éds.), Annuaire du droit de la migration 2004/2005, Berne (Stiimpfli),
2005, pp. 89-97, aux pp. 95-96. Voir également HCR 1991 (note 130), p. 3. Il faut
relever que l'article 3, lit. b du Règlement no 562/2006 établissant un code
communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes
(JO 2006 L 105/1) aborde maintenant de manière satisfaisante ce problème, du moins
en principe.

132
participent au système de Dublin offrent un niveau de protection identique, ou
à tout le moins équivalent, aux migrants forcés. Cela est d'autant plus vrai
que le choix de l'État d'accueil- et donc du système de protection- n'est pas
laissé au demandeur d'asile, mais est remis au jeu de critères prédéterminés et
dans une certaine mesure erratiques et arbitraires (cf. infra, no 127-128).
La Convention et le Règlement « reposent » à cet égard sur une présomption
d'équivalence, que le préambule du Règlement met d'ailleurs noir sur blanc
avec une expression curieuse (cons. 2, italiques ajoutés) :
[ ... ] les États membres, qui respectent tous le principe de non-refoulement,
sont considérés comme des pays sûrs par les ressortissants de pays tiers.

117 Cette présomption était, lors de la conclusion et de la mise en application


des Conventions de Schengen et de Dublin, en grande partie infondée 156• Bien
que bâtis sur les mêmes bases de droit international, le droit et la pratique des
États membres en matière de protection internationale étaient largement
divergents, notamment en ce qui concerne l'interprétation de la notion
conventionnelle de réfugié, les conditions pour accéder à des statuts de
protection subsidiaire et les procédure d'octroi des statuts de protection
internationale. Ainsi, il était parfaitement envisageable qu'un même
demandeur d'asile reçoive protection dans un État membre et soit renvoyé
vers son État d'origine dans un autre. Dans de telles conditions, la
Convention de Dublin fonctionnait comme une « loterie de la protection »157 .
118 Plus ponctuellement, en l'absence de standards communs de protection
un système comme celui de Dublin peut entrer en conflit avec le principe de
non-refoulement.
Tel est le cas, notamment, lorsque une personne :
doit en principe être renvoyée de l'État A, où elle se trouve, vers l'État B,
qui est responsable de l'examen de sa demande ou qui l'a déjà rejetée, et
que
cette personne est protégée contre un renvoi vers son État d'origine par
les articles 33 CG et/ou 3 CEDH selon l'interprétation qu'en donnent les
autorités de l'État A, mais pas selon celle qui prévaut dans l'État B.

156 Il y a lieu de rappeler ici le jugement tranchant formulé en 2001 par Gregor NOLL:
« Today, the protection offer among Member States varies widely, and will continue to
do so for quite sorne time. [ ... ] The European legislators knowingly and wilfully
disregarded these divergences when launching the Dublin Convention. » (G. NOLL,
note 129, à la p. 162).
157 Voir CERE (note 45), p. 4.

133
119 Ce genre de situation, qui s'est produit à plusieurs reprises lors de
l'application de la Convention de Dublin, place les autorités de l'État A
devant un dilel:nme. Soit, en s'appuyant sur la présomption d'équivalence des
systèmes nationaux, elles procèdent sans autre au transfert « automatique » du
demandeur d'asile (approche «formaliste»), soit elles procèdent à un examen
de la situation du demandeur d'asile, évaluent les risques qu'il encourt dans
son pays d'origine et dans l'État responsable et, lorsque cela est exigé par le
principe de non-refoulement tel qu'elles l'interprètent, elles font usage de la
clause de souveraineté et procèdent à l'examen de la demande (approche
«empirique ») 158• La première approche comporte un risque accru de
refoulements en chaîne du demandeur vers son pays d'origine, et par
conséquent - du point de vue des autorités de 1'État A - le risque de se rendre
responsable d'une violation des articles 33 CG et/ou 3 CEDH. La deuxième
approche, en revanche, va à l'encontre d'un objectif essentiel du dispositif de
Dublin - celui de permettre des transferts rapides et efficaces des demandeurs
d'asile entre États membres- et rend en définitive plus économique, pour les
autorités de J'État A, la détermination directe du statut de réfugié, puisque
cette détermination exige que l'on· examine seulement les conséquences d'un
éventuel renvoi vers le pays d'origine du demandeur159 •
120 La Bouse of Lords d;abord et la Cour EDH ensuite ont rendu deux
importantes décisions - l'arrêt Adan et Aitseguer et la décision T.l. c.
Royaume- Uni - dans lesquelles elles ont épousé 1' approche empirique,
affirmant la primauté du principe de non-refoulement sur 1' application de la
Convention de Dublin 160• Une approche similaire a été suivie par le
législateur néerlandais avec la « tenzij clausule» (cf. supra, note 25). En
pratique, toutefois, l'approche prévalente semble avoir été l'approche
formaliste, avec les risques de refoulement qu'elle entraîne161 •

158 Cette terminologie est empruntée à G. NOLL (note 129). Voir notamment à la p. 163.
159 Ibidem, pp. 181-182. Le Home Office britannique a d'ailleurs souligné l'impraticabilité
de l'approche empirique devant la House of Lords en l'affaire Adan et Aitseguer. Cet
argument n'a manifestement pas impressionnéLord STEYN, qui dans l'arrêt se borne
à observer : « The sky will not fall in » (House of Lords, Regina c. SSHD ex parte
Adan et Aitseguer, arrêt du 19 décembre 2000, WLR (2001) 2, p. 143, à la p. 155).
160 House of Lords, Regina c. SSHD ex parte Adan et Aitseguer (note précédente) ; Cour
EDH, T.l. ·c. Royaume-Uni,. req. no 43844/98, décision du 7 mars 2000, CEDH 2000-
m. Cette décision est commentée infra, au chap. V, no 17-18.
161 Voir Rapport DRC (note 17), p. 68. En particulier, le Parlement anglais a réagi à l'arrêt
Adan et Aitseguer eh rendant irréfragable la présomption de sécurité des autres États
membres quant à l'application de la Convention de Genève: voir A. NICOL, Between
immigration and policing: cross recognition, EU (2004), pp. 171-181, à la p. 175.

134
121 Au moment de l'adoption du Règlement Dublin II, aucune mesure
significative de rapprochement des droits nationaux de l'asile n'avait été
adoptée. Les termes du problème étaient donc inchangés. Dans ces
conditions, la Commission affirmait en 2001 162 :
[À] ce stade de l'édification du régime d'asile européen commun, il existe
entre les États membres, dans les procédures d'admission au statut de
réfugié, les conditions d'accueil des demandeurs d'asile et l'organisation
des formes complémentaires de protection, des différences susceptibles
d'avoir une influence sur l'orientation des flux de demandeurs d'asile. [ ... ]
Dès lors, il ne serait pas réaliste d'envisager un dispositif de détermination
de l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile qui s'écarte·
fondamentalement de la Convention de Dubliri.

On ne saurait mieux expliquer que dans l'optique des institutions, le contrôle


des « flux » prime sur les considérations élémentaires de respect des
standards internationaux de protection, et de justice, qui suggèrent que
l'harmonisation est un préalable au système de Dublin163 •
122 Revenant à la présomption d'équivalence, réafflrmée dans les termes que
nous avons vus par le Règlement Dublin II, il y a lieu de se demander si la
transposition des Directives communautaires, et en particulier des Directives
n° 2004/83 (Directive «Qualification ») 164 et n° 2005/85 (Directive
«Procédures ») 165 , pourrait lui donner un fondement, en rendant
véritablement « équivalents » les systèmes nationaux de protection. Certaines
des « normes minimales » contenues dans ces Directives apportent une
contribution significative en ce sens. Ainsi, l'article 6 de la Directive
n° 2004/83 («acteurs de persécution») vient éliminer précisément la disparité
entre législations nationales qui se trouvait à l'origine des affaires Adan et
Aitseguer et T.i 66 • Cela dit, l'objectif de l'équivalence paraît lointain.
Premièrement, sous beaucoup d'autres aspects les Directives citées
définissent des standards minimaux soit lacunaires, soit excessivement bas 167 •

162 Exposé des motifs de la proposition de la Commission (note 145), p. 4.


163 Voir G. NOLL (note 129), pp. 181-182. Voir aussi E. GUll..D (note 131).
164 JO 2004 L 304/12, délai de transposition : 10 octobre 2006.
165 JO 2005 L 326/13, délai de transposition : 1er décembre 2007.
166 Pour un commentaire détaillé de la Directive, nous nous permettons de renvoyer à
F. MAIANI, R. BIEBER, L'harmonisation du droit matériel de l'asile au sein de
l'Union européenne 2003, in: A. EPINEY, S. THEUERKAUF, F. RIVIÈRE (éds.),
Annuaire suisse de droit européen, Berne/Zurich (Stiimpfli/Schulthess), 2004, pp. 147-
170.
167 Cette observation est en particulier à référer aux standards définis par la Directive
« procédures », au sujet de laquelle il est fait renvoi à C. COSTELLO (note 115).

135
Deuxièmement, il faut relever que les Directives elles-mêmes ne
s'appliqueront pas à l'ensemble des États participant à la mise en œuvre du
dispositif Dublin II 168 • Troisièmement, il est quelque peu illusoire de penser
que la simple introduction de normes minimales puisse aboutir à des
standards équivalents de protection sur le terrain. Comme le suggère le cas
des demandeurs d'asile tchétchènes, les pratiques des autorités nationales
peuvent varier profondément pour des raisons qui vont bien au-delà
d'éventuelles disparités législatives, et qui touchent au contexte politique et
factuel propre à chaque pays 169 • Autrement dit, l'égalisation des systèmes
nationaux de protection suppose une « communautarisation » reposant sur un
éventail d'actions, dont l'harmonisation des législations constitue un élément
fondamental mais non exclusif170 .
123 En conclusion, comme l'a d'ailleurs reconnu la Commission, des
considérables disparités risquent de survivre à l'application des deux
Directives 171 , et le Règlement Dublin II continuera à s'appliquer dans un
contexte caractérisé par d'importantes différences entre systèmes nationaux
de protection, en dépit de la présomption d'équivalence.

6. Critères «formels » et liens « matériels >> : le caractère


coercitif du système de Dublin
124 Le système de Dublin repose sur des critères de responsabilité
« objectifs », qui font abstraction de la volonté « subjective » du demandeur

168 En effet ni le Danemark, en raison de son opt out (cf. supra, chap. Il, no 63), ni les
pays tiers associés (Norvège, Islande, Suisse) ne sont tenus d'appliquer les deux
Directives précitées.
169 En 2003, les taux de reconnaissance du statut de réfugié aux personnes relevant de ce
groupe de demandeurs d'asile a varié entre 79,3 %en Autriche à 0% en Slovaquie. Sur
les différentes causes de ces différences voir NRC, Whose responsibility ? Protection
of Chechen internally displaced persans, asylum seekers and refugees, Oslo, 2005,
pp. 39-45. Ce rapport met également en relation ces profondes divergences avec le
fonctionnement du dispositif Dublin II: voir pp. 56-57. Voir également le Rapport
CERE (note 72), pp. 167-168.
170 Voir par ex. la Communication de la Commission sur le renforcement de la

coopération pratique « Nouvelles structures, nouvelles approches : améliorer la qualité


des décisions prises dans le cadre du régime d'asile européen commun», doc. COM
(2006) 67, notamment aux§ 6 et 20.
171 Exposé des motifs de la proposition de la Commission (note 145), p. 4.

136
d'asile 172• Sous cet angle, il suit une approche diamétralement opposée à celle
qu'avait préconisée le Comité Exécutif du HCR dans sa Conclusion no 15
(XXX) 1979, où il recommandait que tout système de détermination de 1'État
responsable 173
[tienne] compte, dans toute la mesure possible, des intentions de l'intéressé
touchant le pays où il souhaite demander asile.

125 L'approche autoritaire retenue au niveau européen a été ainsi expliquée


par la Commission174 :
Les États membres estiment que si les personnes pouvaient choisir
librement l'État membre auquel elles présentent une demande d'asile, il
leur sera davantage possible de se rendre dans un pays particulier pour des
raisons économiques et d'y déposer une demande d'asile de manière à Iie
plus pouvoir être déplacées.

Nous venons de voir qu'une telle argumentation est invalidée par le fait que le
choix d'un État membre plutôt qu'un autre peut être justifié par de graves
motifs tenant aux perspectives d'obtenir protection175 • Au-delà de cet aspect,
l'analyse factuelle sur laquelle repose ce passage est contestable176•
126 Les études disponibles en la matière indiquent que les demandeurs d'asile
choisissent leur pays de destination - dans la mesure où ils peuvent le faire -
en fonction de plusieurs facteurs. n n'est point démontré que les perspectives
économiques jouent un rôle déterminant. Au contraire, il semblerait que la
présence de membres de la famille et/ou de communautés de co-nationaux,
l'affinité culturelle et linguistique, les éventuelles expériences précédentes de
séjour et les liens historiques entre l'État d'origine et l'État d'accueil revêtent
une plus grande importance 177•

172 Tout au plus, l'application de certains critères (articles 7, 8 et 15 RD) requiert le


consentement du demandeUr d'asile.
173 Lit. h (iü).
174 Voir Document de travail des services de la Commission «Réexamen de la
Convention de Dublin» (note 9), § 28. Cf. également supra, chap. II, n° 28-31.
175 Ce que la Commission concède d'ailleurs: voir ibidem,§ 30.
176 Ce que la Commission reconnaît aussi: voir ibidem, § 29.
177 ..
Voir notamment A. BOCKER, T. HAVINGA, Country of asylum by choice or by
chance : asylum-seekers in Belgium, the Netherlands and the UK, JEMS (1999),
pp. 43-61; E. R. THlELEMANN, Does policy matter? On governments' attempt to
control unwanted migration, School of Public Policy Working Paper no 5, Londres,
2003, (www.ucl.ac.uk/spp/publications/wps.php), aux pp. 11-16 et 31-33 ;
M. COLLYER, The Dublin Regulation, influences on asylum destinations and.the
exceptions of Algerians in the UK, JRS (2004), pp. 375-400, aux pp. 383-385. Voir
également D. DUBOLINO (note 49), aux pp. 831-832, qui souligne que l'approche

137
Or, à partir du moment où l'on prive le demandeur d'asile de la liberté de
choisir son pays de destination, la mesure dans laquelle ces facteurs sont pris
en considération aux fins de la détermination de 1'État responsable assume
une importance cruciale. Le caractère équitable ou inéquitable du système,
d'une part, et le taux de coopération que l'on peut s'attendre des demandeurs
d'asile, d'autre part, en dépendent. Comme l'affirme le Comité Exécutif du
HCR, toujours dans sa Conclusion no 15 (XXX) 1979, lit. h (iv), un transfert
de responsabilité de l'État où la demande d'asile a été présentée à un autre
État ne devrait être envisagé que
s'il apparaît qu'une personne, avant de solliciter l'asile, a déjà établi des
liens ou entretenu des rapports étroits avec [cet] autre État, [et] s'il semble
raisonnable et équitable de le faire [ ... ] .

127 Certains des critères retenus dans les dispositifs Dublin I et II répondent à
cette exigence: tel est le cas, d'après le HCR, des critères fondés sur les
relations familiales du demandeurs d'asile et sur la délivrance d'un permis de
séjour 178 •
Malheureusement, le principe de rattachement fondamental, celui de la
«responsabilité pour la présence du demandeur d'asile» (cf. supra, no 7), et
la plupart des critères qui s'en inspirent (octroi d'un visa, lieu du
franchissement des frontières extérieures) n'ont aucun rapport avec les «liens
[ ... ]étroits» qu'un demandeur peut avoir avec un État membre déterminé. En
effet, ces critères attribuent une importance décisive à des circonstances qui
échappent largement au contrôle du demandeur d'asile et qui peuvent être
purement fortuites, telle l'étendue du réseau consulaire d'un État donné ou la
route choisie par le demandeur d'asile ou par son« passeur »179•
128 Ces critères objectifs et « formels » - car sans rapport avec les liens
« matériels » - prêtent au système de Dublin un caractère non seulement
coercitif, mais aussi, dans une certaine mesure, arbitraire.
La méconnaissance des attaches familiales ou communautaires du demandeur
est la source de sérieuses difficultés d'application du système, dans la mesure
où elle constitue une des raisons principales pour lesquelles les. demandeurs
résistent à sa mise en œuvre (cf. supra, n° 102, 103 et 106). De plus, elle
engendre des coûts et difficultés additionnels en ce qui concerne l'intégration

retenue par le législateur communautaire a été motivée par des motifs politiques
(cf. supra, chap. Il, no 31), plutôt que par une analyse attentive des raisons qui
poussent les demandeurs d'asile à choisir un pays de destination plutôt qu'un autre.
178
HCR (note 45), § 4 et 2002.
179 Voir encore HCR (note 45), § 4.

138
et l'accueil des demandeurs d'asile dans le pays appelé à examiner leur
demande, dans la mesure où il les prive de l'appui de leurs réseaux familiaux
et sociaux 180 •
Sur un autre plan, la prise en compte insuffisante de l'intérêt des demandeurs
d'asile à «être ensemble» avec les membres de leurs familles génère des
tensions entre le système de Dublin, d'une part, et les instruments
internationaux de protection des droits de 1'homme, d'autre part, qui
protègent cet intérêt au titre du droit au respect de la vie privée et farniliale 181 .
129 Au cours du chapitre suivant, la forme et l'intensité du conflit entre
l'application des critères «formels » et la protection de l'unité familiale, dont
témoigne par ailleurs le considérant 6 du préambule du Règlement Dublin II,
seront mieux définis. Cette problématique fera ensuite l'objet d'une analyse
dans la perspective des droits fondamentaux (chapitres V à VII).

180 Alberto ACHERMANN s'exprimait dans ce sens déjà en 1990, bien avant l'entrée en
vigueur de la Convention de Dublin : voir A. ACHERMANN (note 110), à la p. 16. À
ce sujet, voir également D. DUBOLINO (note 49), à la p. 831.
181 Voir par ex., au sujet du dispositif Dublin 1, A. ACHERMANN (note 110), p. 16;
K. HAILBRONNER, C. THIERY (note 7), aux pp. 968-969 ; A. HURWITZ (note 9),
à la p. 676 ; BOCCARDI (note 9), p. 56. Concernant le dispositif Dublin Il, voir
U. BRANDL (note 50), aux pp. 41-42 et 46.

139
Chapitre IV
,
La détermination de l'Etat responsable et l'unité
familiale

1 Comme nous l'avons observé à la fin du chapitre précédent, la mise en


œuvre des critères de responsabilité sur lesquels repose le système de Dublin
comporte des risques considérables pour l'unité des familles des demandeurs
d'asile. La pratique d'application de la Convention et du Règlement démontre
que ce risque se concrétise fréquemment en une atteinte à 1'unité familiale.
Il n'est cependant pas aisé de fournir un exposé synthétique et systématique
des cas dans lesquels cela peut arriver, et de la forme ainsi que de la gravité
des atteintes à l'unité familiale causées par l'application des critères de
responsabilité. Les variables qui entrent en jeu à ces égards sont en effet
nombreuses. On mentionnera, par exemple, les circonstances entourant la
fuite du demandeur de son pays et son entrée dans l'Union, la nature et
l'intensité de ses rapports familiaux, la situation de séjour des membres de sa
famille, ainsi que les incidents qui peuvent rendre applicable ou inapplicable
un critère de Dublin (par ex. l'appréhension à une frontière extérieure lors de
son franchissement irrégulier).
D'une manière générale, il y a lieu de distinguer trois catégories de situations,
qui font d'ailleurs l'objet de régimes juridiques différents comme nous le
verrons par la suite.
2 Il y a d'abord les situations où plusieurs membres de la famille se
trouvent dans l'Union européenne en qualité de demandeurs d'asile. Cette
catégorie inclut plusieurs cas de figure.
Le cas qui s'est présenté le plus fréquemment sous 1'empire de la Convention
de Dublin est celui où les membres d'une même famille déposent leurs
demandes d'asile dans le même État membre, et sont ensuite séparés, par
exemple, car en possession de visas délivrés par plusieurs États différents, ou
au motif qu'ils ont suivi des routes différentes pour parvenir à l'État de
destination 1.

Voir B. SCHRÔDER, Das Dubliner Übereinkommen, Francfort s/Main (Peter Lang),


2004, p. 246 : « In der Praxis problematisch sind vor allem die Fiille, in denen die

141
Des conséquences similaires peuvent a fortiori se produire lorsque les
demandes sont déposées dans des États différents - ce qui peut se produire
pour de raisons indépendantes de la volonté des demandeurs2 - et que les
critères de Dubfui désignent des États responsables différents. Nous disons a
fortiori car dans ce cas de figure, le critère « résiduel » du lieu de dépôt de la
demande joue aussi au détriment de l'unité familiale 3•
Un autre cas fréquemment observé, en dépit de ses apparences
« exceptionnelles », est celui dans lequel une femme ayant déposé sa
demande dans un État donne naissance à un enfant pendant ou à l'issue de la
procédure «Dublin» et dépose une nouvelle demande d'asile au nom de
l'enfant. Dans ces circonstances, si un autre État est responsable de l'examen
de la demande de la mère, 1' application du système de Dublin produit en
principe, sous réserve des règles que nous examinerons par la suite, un état de
séparation, car le seul critère applicable à 1' enfant est celui du lieu de
présentation de la demande4 • ·
3 Le deuxième genre de situations est celui où des membres de la famille
du demandeur d'asile résident déjà dans un État membre (par exemple, en
tant qu'immigrés «ordinaires », au titre d'un statut de protection
internationale, en tant que citoyens de cet État). Il s'agit de ce qu'on appelle
des « cas mixtes » car impliquant des personnes ayant un statut de séjour
différent. Là aussi, l'application des critères fondés sur le principe de la

Mitglieder einer Familie gleichzeitig oder nacheinander in denselben Mitgliedstaat


einreisen und unterschiedliche Mitgliedstaaten für die Prüfung ihrer Asylverfahren
zustiindig sind». Plusieurs autres auteurs citent ce cas de figure comme
paradigmatique des atteintes à l'unité de la famille pouvant résulter de l'application de
la Convention. Voir par ex. C. MARINHO, M. HEINONEN, Dublin after Schengen:
allocating responsibility for examining asylum applications in practice, EIPAScope
(1998), pp. 2-13, à la p. 6; F. LÜPER, Das Dubliner Ûbereinkommen über die
Zustiindigkeitfür Asylverfahren, ZAR (2000), pp. 16-24, à la p. 22.
2
Par exemple, lorsque l'intéressé, en route pour rejoindre un membre de sa famille et
déposer avec lui sa demande, est appréhendé lors du franchissement irrégulier des
frontières d'un autre État membre et dépose immédiatement sa demande pour ne pas
être refoulé.
3
Relevons qu'il s'est agi du deuxième critère le plus fréquemment appliqué sous
l'empire du dispositif Dublin 1: Document de travail des services de la Commission
«Évaluation de la Convention de Dublin», doc. SEC (2001) 756, p. 4.
4
Évidemment, la question se pose différemment si la législation sur la nationalité de
l'État concerné s'inspire du principe du jus soli (voir par ex. CJCE, aff. C-200/02,
Chen, Rec. 2004, 1-9925, cons. 9). Dans un tel cas de figure, l'enfant n'est pas un
ressortissant d'un pays tiers et le système de Dublin ne lui est en principe pas
applicable.

142
-- --~--~~---~~-- - - - ----- ---r---------

«responsabilité pour la présence de l'étranger» (par exemple, délivrance


d'un visa ou entrée irrégulière), ainsi que le critère fondé sur le lieu de dépôt
de la demande5 , peuvent conduire à attribuer la responsabilité à un État
différent de celui où réside le membre de la famille, entraînant ainsi une
rupture de l'unité de la famille ou empêchant sa réunification6 .
4 En troisième lieu, il faut mentionner les situations dans lesquelles le
demandeur noue un nouveau lien familial dans l'État où il a déjà présenté sa
demande d'asile, et est ensuite renvoyé vers un autre État membre désigné
comme responsable par les critères de Dublin7 .
5 Au sein de cette gamme de situations, la Convention de Dublin,. et dans
une plus large mesure le Règlement Dublin II, sélectionnent certains cas de
figure et en font l'objet de règles qui préviennent toute atteinte à l'unité
familiale - les critères de responsabilité fondés sur l'existence d'un lien
familial. Les conflits entre le système de Dublin et le principe de l'unité de la
famille sont «résiduels» par rapport à l'application de ces règles. Plus
exactement, en dehors de leur champ d'application, la préservation de l'unité
familiale ou sa réunification sont soumises aux aléas de l'application d'autres
critères et, en dernière analyse, à la discrétion des États membres, qui peuvent
intervenir au travers des clauses de souveraineté et humanitaire.
6 Dans les pages qui suivent, il s'agira de mieux cerner l'étendue de cette
«zone de conflit», et donc d'analyser les dispositions qui protègent l'unité
familiale des demandeurs d'asile et leur application.
À cette fin, nous procéderons fondamentalement sur la base d'une
interprétation littérale des dispositions pertinentes, pour les réexaminer à la
lumière des exigences découlant de la protection des droits fondamentaux
dans un deuxième temps (cf. infra, chapitres V, VI et VII).
Seront d'abord examinés le droit et la pratique du dispositif Dublin I et
ensuite, à la lumière de cette première analyse, le droit et la pratique du
dispositif Dublin Il.

5
Cela peut arriver si le demandeur dépose sa demande dans un autre État membre ce
qui, comme nous l'avons relevé, ne signifie pas nécessairement qu'il ne désirait pas
rejoindre les membres de sa famille (cf. supra, note 2).
6
Voir A. HURWITZ, The 1990 Dublin Convention: a comprehensive assessment, IJRL
(1999), pp. 646-677, à la p. 653-654. Voir également l'affaire décrite dans cette même
étude, à la p. 661.
7
Pour une mention de ce cas de figure, voir A. NICOL, Between immigration and
policing: cross recognition, ELJ (2004), pp. 171-181, à la p. 177.

143
A. La· convention de Dublin et l'unité de la famille

1. L'article 4 de la Convention
7 La seule disposition obligatoire de la Convention de Dublin garantissant
en principe le maintien ou la reconstitution de l'unité familiale des
demandeurs d'asile était l'article 4 8 - le premier «critère de responsabilité»
en ordre hiérarchique (cf. supra, chap. III, no 6)- qu'il y a lieu maintenant de
citer en entier :
Si le demandeur d'asile a un membre de sa famille qui s'est vu reconnaître
la qualité de réfugié au sens de la convention de Genève, modifiée par le
protocole de New York, dans un État membre et qui y réside légalement,
cet État est responsable de l'examen de la demande, à la condition que les
intéressés le souhaitent.
Le membre de la famille concerné .ne peut être que le conjoint du
demandeur d'asile ou son enfant mineur célibataire de moins de 18 ans, ou
son père ou sa mère si le demandeur d'asile est lui-même un enfant mineur
célibataire de moins de 18 ans.

8 En suivant la systématique que nous avons esquissée supra, aux no 2 ss,


on relèvera que cette disposition ne couvrait qu'une petite fraction des «cas
mixtes». Elle ne protégeait pas les liens familiaux courant entre un
demandeur d'asile et un réfugié sortant de la définition de «membre de la
famille » de l'alinéa 2, ou encore entre un demandeur d'asile et un membre de
la famille, même nucléaire, bénéficiaire d'un statut alternatif de protection ou
résidant à un autre titre dans un État membre.
Par ailleurs, tous les cas où était en jeu le maintien du lien familial entre
demandeurs d'asile échappaient à son emprise. Étaient de surcroît soustraits à
son Schutzbereich tous les liens familiaux noués après le dépôt de la demande
d'asile, qui n'étaient en principe pas pris en considération aux fins de la
détermination de l'État responsable (voir art. 11 § 3 CD).
9 Cette insuffisance manifeste de l'article 4 CD n'a pas été corrigée par les
autorités des États membres, qui en ont fait une application strictement
littérale9 et parfois même indûment restrictive 10•

8
Rappelons toutefois qu'il ne s'agissait pas d'une garantie légale pouvant être faite
valoir par les demandeurs d'asile devant les instances nationales: cf. supra, chap. ill,
n° 27.
9
Voir DANISH REFUGEE COUNCIL, The Dublin Convention - Study on its
implementation in the 15 Member States of the European Union, Copenhague (Danish
Refugee Council), 2001 (www.drc.dk; ci-après «Rapport DRC »), p. 83. Elles ont

144
10 La portée pratique de l'article 4 a encore été amoindrie par le fait que les
législations des États membres conféraient normalement aux réfugiés
reconnus, déjà avant l'entrée en vigueur de la Convention de Dublin, le droit
de se faire rejoindre par les membres de leur famille nucléaire 11 • Comme l'a
relevé la Commission, cette voie au regroupement familial a souvent été
empruntée par les demandeurs d'asile en lieu et place de celle qui leur était
ouverte par l'article 4 CD 12•
11 En conclusion, l'article 4 CD a joué un rôle marginal dans la mise en
œuvre de la Convention 13 .
Pour l'écrasante majorité des demandeurs d'asile, la possibilité de rester
auprès de la famille ou de la rejoindre était ainsi confiée au jeu « aveugle »
des critères définis aux articles 5 à 8 de la Convention, sous réserve du
recours des États membres aux « correctifs » que constituaient la clause de
souveraineté et la clause humanitaire.

ainsi généralement refusé de l'appliquer par analogie à des liens familiaux autres que
ceux qui étaient visés en son alinéa 2 (pour des exemples, voir A. HURWITZ, note 6,
aux pp. 661-662), ou aux rapports entre demandeurs d'asile et résidents «ordinaires».
10
En Allemagne, en particulier, l'article 4 CD était jugé inapplicable lorsque le statut de
réfugié du membre de la famille avait été reconnu par une décision de première
instance du BAFl., contre laquelle le Bundesbeauftragte für Asylangelegenheiten avait
interjeté appel. Cette orientation restrictive a toutefois été partiellement corrigée par les
tribunaux administratifs (B. SCHRÔDER, note 1, p. 155).
11
Pour une étude comparative, voir S. ERICSSON, Asylum in the EU Member States,
Parlement européen - Série libertés publiques LIBE 108 EN, Strasbourg, 2000.
Plusieurs législations nationales reconnaissent par ailleurs ipso jure aux membres de la
famille d'un réfugié le même statut juridique (Familienasyl), conformément aux
recommandations du HCR (voir HCR, Guide des procédures et critères à appliquer
pour déterminer le statut de réfugié, Genève (HCR), 1992, § 181-188). Les normes
minimales établies par la Directive no 2004/83 (JO 2004 L 304112) s'inspirent de cette
orientation, tout en restant en deçà de la reconnaissance du droit au Familienasyl : voir
art. 23.
12 Voir le Document de travail des services de la Commission « Évaluation de la
Convention de Dublin » (note 3), p. 5 : « les membres de la famille des réfugiés
résidant dans les États membres passent plutôt par les voies régulières du
regroupement familial».
13
Ibidem. La Commission y rapporte, à titre illustratif, que l'article 4 n'a fondé une prise
en charge qu'en un cas sur 286 au Portugal, en seize cas sur 961 en Belgique, en vingt
cas sur 295 au Royaume-Uni et en soixante-quatre cas sur 1464 aux Pays~ Bas.

145
2. La clause de souveraineté et la clause humanitaire

a) Les dispositions de la Convention de Dublin


12 L'article 3 § 4 CD disposait:
Chaque État membre a le droit d' exanriner une demande d'asile qui lui est
présentée par un étranger, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu
des critères définis par la présente convention, à condition que le
demandeur d'asile y consente.
L:État membre responsable en application des critères précités est alors
libéré de ses obligations qui sont transférées à l'État membre qui souhaite
examiner la demande d'asile. Ce dernier État en informe l'État membre
responsable en application desdits critères si celui-ci a été saisi de cette
demande.

Les États membres étaient donc en droit d'assumer la responsabilité pour le


traitement d'une demande d'asile à deux seules conditions: que la demande
d'asile leur ait été présentée, et que le demandeur, auquel aucun «droit
d'initiative» en ce sens n'était par ailleurs reconnu, ait donné son
consentement. Pour le reste, la détermination des cas et modalités d'exercice
de ce droit de opt in était entièrement laissée à leur discrétion.
13 Les cas d'application de la clause humanitaire étaient en revanche mieux
définis. L'article 9 CD disposait en effet:
Tout État membre peut, alors même qu'il n'est pas responsable, en
application des critères définis par la présente convention, examiner pour
des raisons humanitaires, fondées notamment sur .des motifs familiaux ou
culturels, une demande d'asile, à la requêt~ d'un autre État membre et à
condition que le demandeur d'asile le souhaite. ·
Si l'État membre sollicité accède à cette requête, la responsabilité de
1' examen de la demande lui est transférée.

La mise en œuvre de cette clause n'en était pas moins purement facultative.
Pour mieux dire, un transfert de responsabilité fondé sur la clause humanitaire
présupposait l'accomplissement de deux actes facultatifs : l'envoi d'une
requête de la part d'un premier État membre- normalement l'État saisi d'une
demande ou l'État responsable pour son examen- et l'acceptation de cette
requête par un deuxième État. Là aussi, les États étaient libres - dans le cadre
des vagues indications fournies par l'article 9- de déterminer les cas où ils
auraient envoyé ou accepté de telles requêtes. Comme pour la clause de
souveraineté, la Convention ne reconnaissait aucun rôle d'initiative au
demandeur d'asile, se bornant à conditionner l'application de l'article 9 à son
consentement.

146
14 Au vu de leur caractère facultatif, la contribution que ces deux
dispositions ont fourni à la protection de l'unité familiale dans le contexte de
la mise en œuvre de la Convention ne peut être illustrée qu'au travers d'un
aperçu de leur pratique d'application.

b) Les pratiques nationales d'application (1997-2000)

aa. Remarques liminaires


15 La mise en œuvre de la Convention de Dublin a été en général peu
«harmonieuse» à travers l'Europe (cf. supra, chap. III, n° 15 ss). Cela est
particulièrement vrai pourla mise en œuvre des articles 3 § 4 et 9 CD.
16 D'importantes divergences existaient déjà au niveau du choix de
l'approche générale à l'application de ces dispositions. Dans un petit.nombre
d'États, les cas d'application des articles 3 § 2 et 9 CD ont été précisés par
voie réglementaire, ou bien au travers de circulaires non contraignantes14•
Dans les autres, les administrations nationales ont procédé au cas par cas, ce
qui n'a guère contribué à la cohérence et à la transparence de leur pratique
décisionnelle 15 .

bb. L'application de la clause de souveraineté


17 D'une manière générale, les autorités nationales ont eu recours à la clause
de souveraineté pour trois motifs distincts.
18 Plusieurs États membres s'en sont prévalus, en premier lieu, à des fins
d'économie procédurale. À cet effet, ils ont établi la pratique d'assumer, sans
demander le consentement explicite du demandeur, la responsabilité de
l'examen des demandes susceptibles d'être rejetées expéditivement -
notamment en raison de l'existence de pays tiers sûrs - faisant ainsi
l'économie de la procédure «Dublin» 16 • La compatibilité d'une telle pratique
avec l'article 3 § 4 CD, qui exigeait expressément le consentement du
demandeur d'asile, était douteuse. Certains auteurs ont fait valoir que la
présentation de la demande permettait de présumer le consentement implicite

14
Le Rapport DRC (note 9) mentionne à cet égard le Danemark (p. 72), la Finlande
(p. 74), l'Allemagne (p. 75), les Pays-Bas (p. 78) et le Royaume-Uni p. 82).
15 Notamment en France, où la mise en œuvre de la Convention était confiée aux
Préfectures (cf. supra, chap. III, no 18).
16
Voir Rapport DRC (note 9), pp. 91 (Danemark), 92 (Allemagne), 93 (Pays-Bas), 94
(Suède). Voir également A. HURWITZ (note 6), aux pp. 659-660.

147
au traitement par l'État saisi17• Par-delà les doutes qu'on peut entretenir sur le
bien fondé de cette présomption (cf. supra, notes 2 et 5), on relèvera en sens
contraire que l'article 3 § 4 CD pose expressément deux conditions distinctes
-l'État doit être saisi d'une demande d'asil~et recueillir le consentement du
demandeur- et que donc l'interprétation suivie par la plupart des autorités
nationales pour des raisons de facilité administrative était contra legem, car
elle revenait à vider de sens une partie de 1' article 3 § 4 CD contrairement aux
principes de l'interprétation littérale et de l'effet utile 18 •
19 Revenant à l'usage qui a été fait de la claùse de souveraineté, celle-ci a en
deuxième lieu représenté pour certains États membres une soupape de
sécurité leur permettant de « déroger » à la présomption d'équivalence . des
systèmes nationaux de protection. Ces États s'en sont servis pour ne pas
effectuer des renvois comportant, d'après leur droit national, y compris leur
pratiques d'application de la Convention de Genève et de la CEDH, le risque
d'une violation du principe de non-refoulemene 9•
20 En troisième et dernier lieu, le droit de opt in a été exercé à de fms lato
sensu humanitaires. Plus sporadiquement, pour des motifs «culturels», i.e.
parce que le demandeur avait des liens particuliers (affinité linguistique et
culturelle, précédents séjours) avec l'État où il avait présenté sa demande20•
Plus systématiquement, pour des motifs familiaux, et plus précisément pour
préserver les liens familiaux du demandeur avec des personnes se trouvant sur
le territoire de l'État se prévalant de la clause de souveraineté. Au sein de
cette orientation générale, les pratiques nationales ont toutefois été les plus
diverses.

17 Voir notamment F. LOPER (note 1), à la p. 18.


18
Voir l'article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969,
série NU no 18232, Rec. NU, vol. 1155, p. 331, entrée en vigueur le 27 janvier 1980.
Sur l'application du principe herméneutique de l'effet utile en droit international, voir
J.-D. MOUTON, Effet utile, in: A. BARAV, C. PHILIP (éds.), Dictionnaire juridique
des Communautés européennes, Paris (PUF), 1993, pp. 449-454, à la p. 450. Pour une
opinion conforme à celle soutenue dans le texte, au sujet de l'interprétation de l'article
3 § 4 CD, voir D. DUBOLINO, L'identificazione dello Stato competente all'esame di
una domanda di asilo : dalla Convenzione di Dublino al nuovo Regolamènto, DUE
(2004), pp. 811-845, aux pp. 836-837; B. SCHRODER (note 1), pp. 245-246.
19
On mentionnera à cet égard l'arrêt Adan et Aitseguer et la tenzij clausule néerlandaise
(cf. supra, chap. rn, no 28 et 120). n y a lieu cependant de rappeler que cet usage de la
clause de souveraineté a été tout à fait exceptionnel dans la pratique d'application de la
Convention (cf. supra, chap. rn, no 120).
20
Voir Rapport DRC (note 9), pp. 73-74 et 84. En jurisprudence, voir notamment CAA
Nantes, Ministre de l'intérieur c. Konaté, arrêt du 29 avril 1999, publié dans AIDA
(1999), pp. 830-833.

148

"-ï-
Des différences ont été observées déjà au stade de la définition de « famille »
valable dans ce contexte, bien que tendanciellement les États s'en soient tenus
à la notion de famille nucléaire. Mais les divergences les plus notables ont pu
être constatées dans la définition des autres circonstances pouvant donner lieu
à une acceptation volontaire de la responsabilité.
21 En prêtant à ces pratiques divergentes une systématicité qu'elles n'ont en
réalité pas eue, on peut identifier trois grandes orientations.
Les pratiques les moins restrictives ont été celles des États acceptant
d'assumer l'examen des demandes présentées par les étrangers du seul fait
qu'un membre de la famille nucléaire, au sens de l'article 4 al. 2 CD, se
trouvait sur leur territoire21 • Le Danemark allait même au-delà, acceptant à
titre exceptionnel, en présence de motifs humanitaires (dépendance,
grossesse, motifs de santé), de ne pas séparer le demandeur d'asile d'autres
parents proches résidant sur le territoire national.
La majorité des États ont adopté une position plus restrictive, acceptant de
faire usage de 1' article 3 § 4 CD uniquement en vue de ne pas séparer les
membres de la famille nucléaire, et ce uniquement sous certaines conditions.
Par exemple, la circulaire néerlandaise sur les étrangers
(Vreemdelingencirculaire) prévoyait l'exercice du opt in uniquement en vue
de maintenir ensemble des demandeurs d'asile faisant partie de la même
famille nucléaire, et à condition que : (a) recourent de graves motifs
humanitaires (graves motifs de santé, grossesse, handicap), ou (b) qu'ils
fussent arrivés ensemble aux Pays-Bas, ou enfin (c) pour éviter la séparation
d'un mineur de ses deux parents22 • Les dispositions prises en Allemagne, pour
fournir un autre exemple,.· prévoyaient jusqu'en 1999 1' exercice du droit de
opt in uniquement en présence d'un fort lien familial et de raisons
humanitaires particulières (grossesse, maladie, etc.). Après 1999 des
directives moins restrictives ont été adoptée, qui prévoyaient l'exercice de la
clause de souveraineté en présence de la simple exigence de maintetÎir l'unité
d'une famille nucléaire, mais qui excluaient en revanche expressément

21 li s'agit du Danemark, de l'Italie et du Royaume-Uni: voir Rapport DRC (~ote 9),


pp. 72-73, 77 et 82.
22 • Voir B. P. VERMEULEN, The application of article 3(4) of the Dublin Convention on
asylum in Dutch case law, in: C. MARINHO (éd.), The Dublin Convention on
asylum: its essence, implementation and prospects, Maastricht (EIPA), 2000, pp. 53-
59, aux pp. 55-45; Rapport DRC. (note 9), pp. 78-79; B. SCHRÜDER (note 1),
pp. 176-178.

149
certains cas de figure (par ex. arrivée par des routes séparées ou avec des
visas différents, en l'absence de preuve d'une force majeure) 23 •
Il faut d'ailleurs encore distinguer entre les États qui ont développé une telle
pratique uniquement lorsque le « membre de la famille » était un demandeur
d'asile pour lequel ils étaient responsables 24, les États qui ont adopté une
politique moins restrictive, recourant à la clause de souveraineté également
dans les «cas mixtes», et le nombre plus petit encore d'États qui ont
exceptionnellement fait recours à l'article 3 § 4 CD même pour préserver des
liens noués après le dépôt de la demande25 .
22 li y a enfin un troisième groupe d'États (Grèce et Finlande), pour lesquels
il résulte du rapport publié en 2000 par le Danish Refugee Council que
l'article 3 § 4 n'a pratiquement jamais été utilisé à des fins de maintien de
l'unité familiale.

cc. L'application de la clause humanitaire


23 Sous l'angle de la protection de l'unité familiale, la clause humanitaire
est conçue pour être appliquée à des situations inverses par rapport à celles
pouvant donner lieu à la mise en œuvre de la clause de souveraineté.
Il s'agit des situations dans lesquelles le membre de la famille ne se trouve
pas dans le territoire de l'État saisi de la demande d'asile, mais dans un autre
.
Etat, ex hypothesi non responsable pour l'examen de cette demande .
~

23
Voir Rapport DRC (note 9), pp. 75-76. Il est intéressant de noter que plusieurs autres
États membres (par ex. la Belgique et l'Irlande) ont adopté une approche inverse à
celles néerlandaise et allemande, traitant prioritairement au titre de la clause de
souveraineté les cas de demandeurs d'asile arrivant par des routes différentes: voir
Rapport DRC, pp. 71 et 77.
24
Telle semble être la pratique qui était suivie aux Pays-Bas (cf. le texte qui accompagne
la note 22) et au Luxembourg : voir Rapport DRC (note 9), p. 78.
25
Au Royaume-Uni, de tels cas d'application se sont vérifiés contre la volonté de
l'administration compétente, le State Secretary for the Home Department. Voir à ce
sujet QBD, Regina c. SSHD ex parte Nicholas, arrêt du 30 novembre 1999, Imm. AR
(2000), p. 334, où la Que en' s Bench Division a annulé le transfert d'une jeune sri
lankaise qui avait marié un compatriote résidant au Royaume-Uni après le dépôt de sa
demande car elle a jugé ce renvoi contraire à la policy d'application de la clause de
souveraineté adoptée par le SSHD. Sans surprise, la policy a été successivement
modifiée, comme on lé déduit de CA, Regina c. SSHD ex parte Ekinci, arrêt du
17 juin 2003, Imm. AR (2004), p. 15, § 7.
26
Cela ne signifie pas que 1' application des deux clauses soit mutuellement exclusive. Il
existe en effet des situations susceptibles d'être résolues indifféremment au travers de

150
Rappelons en outre que l'application de la clause humanitaire suppose l'envoi
d'une requête de la part du premier État saisi de la demande ou de l'État
responsable, et l'acceptation de la part de l'État requis.
24 Les considérations que nous venons de formuler au sujet de la mise en
œuvre de la clause de souveraineté peuvent mutatis mutandis être appliquées
à la pratique relative à l'article 9 CD. Cette disposition a été utilisée très
rarement pour des motifs humanitaires d'ordre culturel, et plus souvent à des
fins de réunification familiale 27 . Les États membres ont cependant déterminé
ses cas d'application de manière très hétérogène, et cela à la fois pour les cas
« en sortie » (cas où une requête aurait été envoyée à un autre État membre)
et pour les cas « en entrée » (cas où une requête envoyée par un autre État
membre au titre de l'article 9 CD aurait été acceptée).
25 En général, il a été de pratique courante d'appliquer la clause humanitaire
en cas de naissance d'un enfant pendant ou après la procédure «Dublin»
2i
(cf. supra, n° 8• Au-delà, et compte tenu de la grande disparité des
pratiques nationales, la tendance dominante a été celle de n'envoyer ni
d'accepter des requêtes au titre de 1' article 9 qu'en cas de séparation de deux
demandeurs d'asile membres du même noyau familial, généralement à la
condition que des motifs humanitaires le justifient29 . Toutes choses égales
par ailleurs, enfin, l'application de la clause humanitaire semble avoir été
mms . f requente
, dans 1es « cas rruxtes
. »30.

l'une ou de l'autre : celles où une famille de demandeurs d'asile se trouve dans le


même État, qui est responsable pour une partie seulement de ses membres. Dans un tel
cas de figure, cet État peut maintenir l'unité de la famille en assumant la responsàbilité
pour tous ses membres au travers de l'art. 3 § 4 CD, ou bien demander à l'État
responsable pour certains membres de la famille d'en faire de même en appliquant
l'article 9 CD.
27
Voir Rapport DRC (note 9), p. 84.
28
Voir par ex. VwG Regensburg, aff. 4 S 99.31287, arrêt du 20 octobre 1999, publié
dans lnfAuslR (2000), pp. 143-144, ainsi que QBD, Regina c. SSHD ex parte Akhbari,
arrêt du 8 octobre 1999, Imm. AR (2000), p. 165.
29
Pour un examen de la pratique française en la matière voir B. ABOLLIVIER
RAOULT, La Convention de Dublin dans la pratique: application adéquate de la
clause humanitaire, in: C. MARINHO (éd.), The Dublin Convention on asylum : its
essence, implementation and prospects, Maastricht (EIPA), 2000, pp. 65-67. Pour un
aperçu comparatif, voir A. KLUG, The humanitarian clause of the Dublin Convention
andfamily protection, in: C. MARINHO (éd.), The Dublin Convention on asylum: its
essence, implementation and prospects, Maastricht (EIPA), 2000, pp. 69-82, aux
pp. 72-73.
30 On notera, en effet, que dans la pratique de plusieurs États membres la clause
humanitaire a été utilisée uniquement pour rapprocher des demandeurs d'asile: voir

151
26 L'importance pratique de ces divergences d'approche ne doit en tout état
de cause pas être surestimée. Globalement, en effet, la clause humanitaire a
été utilisée plus rarement encore que la clause de souveraineté et n'a pas joué
un rôle significatif dans la mise en œuvre de la Convention31 .

c) La Décision n° 1/2000 du Comité de l'article 18

aa. Remarques liminaires


27 Pour porter remède aux divergences constatées dans la mise en œuvre de
la clause de souveraineté et de la clause humanitaire, le Comité de l'article 18
(cf. supra, chap. ITI, no 14) a adopté le 31 octobre 2000 la Décision no 112000
«relative au transfert de la responsabilité de l'examen des demandes d'asile
émanant de membres de la famille conformément à l'article 3, paragraphe 4,
et à l'article 9 de [la Convention de Dublin] » 32 •
Le préambule de la Décision comportait une référence à l'article 8 CEDH, un
rappel des termes de la clause de souveraineté et de la clause humanitaire et
un exposé de son objectif (cons. 2):
En vue d'une mise en œuvre harmonisée et efficace [des articles 3 § 4 et 9
CD] dans le cas des membres de la famille, il est nécessaire d'arrêter des
règles relatives à leur interprétation et à leur application.

bb. Le contenu de la Décision


28. La définition de « membre de la famille » résultant de l'article 1 § 1 de la
Décision était identique à celle qui figurait à l'article 4 al. 2 CD.

Rapport DRC (note 9), pp. 70 (Autriche), 74 (Finlande), 78 (Luxembourg), 79 (Pays-


Bas).
31
Birgit SCHRODER le constate d'une manière particulièrement nette en ce qui
concerne la pratique allemande et néerlandaise, lorsqu'elle écrit: « Artikel9 spielt [ ... ]
keine bedeutende Rolle» (voir B. SCHRODER, note 1, p. 200). Sa conclusion paraît
d'ailleurs transposable à l'ensemble des États membres: voir A. HURWITZ (note 6), à
la p. 661 ; Rapport DRC (note 9), pp. 83-84.
32 JO 2000 L 281/1.

152
L'article 1 § 2 y incluait toutefois, aux fins de l'application de la Décision,
également les parents proches du demandeur d'asile, autres que le conjoint, le
fils mineur ou les parents (pour les demandeurs mineurs et célibataires), à
condition que trois conditions soient remplies :
la dépendance totale ou partielle du demandeur de l'aide de son parent
proche, ou vice-versa;
l'assurance que cette aide aurait été effectivement fournie;
la cohabitation du demandeur et du parent proche «en tant qu'entité
familiale» avant qu'ils ne quittent le pays d'origine.
29 Après avoir souligné que la responsabilité du traitement des demandes
d'asile aurait dû« en principe» être déterminée conformément aux articles 4
à 8 CD, l'article 2 de la Décision définissait des principes applicables dans
deux situations distinctes : celles dans lesquelles un « rapprochement
familial» aurait pu être effectué au travers de l'article 9, d'une part, et celles
où l'application de cette disposition ou de l'article 3 § 4 aurait permis la
«préservation» de la cellule familiale, d'autre part.
30 Quant au premier cas de figure, l'article 2 § 2 comportait d'abord un
rappel de la situation légale résultant de l'article 9 CD :
S'il résulte de l'application [des critères des articles 4 à 8 CD] que la
responsabilité du traitement des demandes d'asile présentées par des
membres de la famille se trouvant dans des États membres différents
incombe à plusieurs États membres ou si des membres de la famille du
demandeur d'asile se trouvent sur le territoire d'un autre État membre, il
peut être procédé au rapprochement familial, pour autant qu'il existe des
raisons humanitaires au sens de l'article 9 de la convention de Dublin.

31 Il était ensuite précisé que cette faculté aurait dû être exercée en fonction
des «circonstances de l'espèce». Trois «circonstances» pertinentes étaient
énumérées à titre illustratif: (a) cohabitation avant la sortie du pays d'origine,
(b) raisons pour lesquelles les membres de la famille se trouvaient séparés ou
leurs demandes relevaient de la responsabilité d'États différents, (c) état des
différentes procédures d'asile ou de droit des étrangers en cours.
Enfin, de manière plus impérative, l'article 2 § 2 al. 2 de la Décision disposait
(italiques ajoutés) :
Il est procédé au rapprochement familial lorsque:
un membre de la famille est mineur âgé de moins de 18 ans et
se retrouverait sinon en situation de mineur non accompagné
dans un État membre,

153
un membre de la famille dépend d'une aide du fait de situations
telles que:
une grossesse,
un enfant nouveau-né,
une maladie grave,
un handicap sérieux,
un âge avancé.

32 Quant aux situations du deuxième genre - «préservation» de l'unité


familiale - 1' article 2 § 3 les caractérisait ainsi :
[T]ous les membres de la famille se trouvent dans un même État membre
et [ ... ] l'un d'entre eux au moins a déposé une demande d'asile pour le
traitement de laquelle un ou plusieurs autre(s) État(s) membre(s) est(sont)
responsable(s),

33 Comme nous l'avons relevé (cf. supra, note26), dans de telles situations
deux solutions étaient théoriquement ouvertes aux États membres pour
préserver l'unité familiale. D'abord, l'État où se trouvaient les membres de la
famille du/des demandeur(s) d'asile, ex hypothesi non responsable pour au
moins un de ceux-ci, aurait pu appliquer l'article 3 § 4. Alternativement, il
aurait pu procéder d'après l'article 9, demandant à un autre État d'accepter la
responsabilité pour toutes les demandes d'asile- une solution apte toutefois à
« préserver » uniquement les cellules familiales entièrement composées de
demandeurs d'asile.
34 Sur le plan normatif, la Décision n'indiquait aucune préférence pour
l'une ou l'autre de ces solutions. Elle se bornait à indiquer que:
il faudrait, en fonction des circonstances de chaque cas particulier visé au
paragraphe 2, tenir particulièrement compte du fait qu'il est souhaitable de
préserver la cellule familiale.

La disposition était libellée en forme de recommandation. Le renvoi à 1' article


2 § 2 aurait cependant pu être interprété en ce sens que dans les situations
visés en l'alinéa 2 (cf. supra, no 31), les États auraient dû d'une manière ou
d'une autre« procéder» à la préservation de la cellule familiale.

cc. La valeur juridique de la Décision n° 112000


35 Cette dernière observation renvoie au problème plus général de la valeur
juridique des dispositions de la Décision no 112000.

154
Plusieurs éléments indiquent que ses rédacteurs ont entendu lui conférer un
effet obligatoire vis-à-vis des États membres. On notera l'intitulé de la
mesure(« Décision »i3, sa publication dans la série« L »du Journal officiel
des Communautés34, et enfin le préambule, qui se référait à l'adoption de
«règles» (cf. supra, n° 27).
36 La question est toutefois de savoir si le Comité de rarticle 18 avait le
pouvoir d'arrêter des règles contraignantes au sujet de l'application des
articles 3 § 4 et 9 CD. Certains auteurs y ont répondu par l'affirmative35 •
D'autres l'ont nié, en relevant que l'article 18 CD ne conférait des pouvoirs
décisoires au Comité que dans. des cas· expressément énumérés36 , au nombre
desquels ne figurait pas la définition des cas et modalités d'application des
articles 3 § 4 et 9 CD, et qu'il l'investissait pour le reste du seul pouvoir
d'« examiner[ ... ] toute question d'ordre général relative à l'application et à
l'interprétation de la[ ... ] convention »37 •
La position correcte est probablement médiane par rapport au:i deux que nous
venons de relater. Sous peine de priver l'article 18 § 2 al. 1 CD de toute
portée pratique, il faut admettre que les Parties contractantes aient entendu

33
li est à relever que cette «décision», n'ayant pas été adoptée par un organe de la
Communauté, n'était point une «décision» au sens de l'article 249 TCE, ni une
décision communautaire « sui generis » (sur cette catégorie d'actes voir
A. BOGDANDY, J. BAST, F. ARNDT, Handlungsformen im Unionsrecht -
Empirische Analysen und dogmatische Strukturen in einem vermeintlichen Dschungel,
Zai:iRV (2002), pp. 77-161). L'emploi du terme« décision» pour cet acte du Comité
de l'article 18 paraît néanmoins indiquer que l'intention a été celle d'adopter un acte
doté de force obligatoire.
34
L'importance de cet élément ne doit toutefois pas être surestimée. li arrive en effet que
des actes non obligatoires soient publiés dans la série L du Journal officiel. Voir par
ex. la Recommandation de la Commission du 17 janvier 2001 concernant le taux
maximal d'alcool dans le sang autorisé pour les conducteurs de véhicules à moteur (JO
2001 L 43/31).
35
Pour l'affirmation générale de la valeur contraignante des décisions du Comité de
l'article 18, voir C. SCHMID, R. BARTELS, Handbuch zum Dubliner
Übereinkommen, Vienne/Baden-Baden (NWV/Nomos), 2001, pp. 141-142 et 155-157.
36
li s'agissait d'une part, de la définition des modalités de prise et reprise en charge des
demandeurs d'asile, et d'autre part de l'autorisation à la suspension de l'application de
la Convention par un État membre en cas de « changement substantiel des
circonstances » (art. 17 CD).
37
Ainsi S. PEERS, EU justice and home affairs law, Londres/New York (Longman),
2000, p. 114: « it may be questioned whether the Committee has the power to adopt
binding measures interpreting Convention articles other than those Articles which it
has specified powers to implement ».

155
conférer au Comité, avec le pouvoir d'« examiner» les questions
d'interprétation et d'application de la Convention, également celui de fournir
des précisions contraignantes à ces égards -ou en d'autres termes, le pouvoir
de fournir une interprétation authentique des dispositions de la Convention38 •
En revanche, la Convention ne conférait pas au Comité le pouvoir d'imposer
des obligations nouvelles aux États contractants, en dehors des cas visés par
l'article 18 § 2 al. 2 CD. Dans cette optique, la seule règle formulée de
manière impérative par la Décision no 1/2000, l'article 2 § 2 al. 2, était
néanmoins à considérer comme dénuée d'effets obligatoires pour les États
membres, dans la mesure où elle prévoyait précisément des obligations
« nouvelles » à leur charge.
Sans argumenter d'une manière aussi ponctuelle, par ailleurs, la majorité des
auteurs en sont parvenus à la même conclusion39 : la Décision no 1/2000 ne
contenait aucune obligation à la charge des États membres ni, a fortiori,
aucune disposition apte à conférer des droits subjectifs aux demandeurs
d'asile40 .

dd. L'impact de la Décision n° 1/2000


37 Il résulte des rapports et études publiés en la matière que la Décision
no 112000 a eu un impact « visible » dans deux États membres seulement :
aux Pays-Bas, où elle a été «transposée» par voie de modification de la

38
En ce sens, voir le préambule de la Décision no 1/2000 (cons. 2 : «règles
d'interprétation»). Voir également le document de la présidence du Conseil
«Améliorer l'application de la Convention de Dublin», doc. CNS no 8814/99, qui au
§ 4 se réfère aussi aux« règles d'interprétation» adoptées sans modifier le libellé de la
Convention.
39 Voir par ex. B. SCHRODER (note 1), p. 249; H. BATTJES, A balance between
fairness and efficiency ? The Directive on international protection and the Dublin
Regulation, EJML (2002), pp. 159-192, à la p. 185 ; U. BRANDL, Distribution of
asylum seekers in Europe ? Dublin II Regulation determining the responsibility for
examining an asylum application, in: C. DIAS URBANO DE SOUSA, P. DE
BRUYCKER (éds.), L'émergence d'une politique européenne d'asile, Bruxelles
(Bruylant), 2004, pp. 33-69, à la p. 42. Voir également le document de la présidence
du Conseil «Axes de réflexion en vue de la discussion de la Convention de Dublin»,
doc. CNS no 5528/01, où on lit au § 2 : «les dispositions relatives au regroupement
familial figurant dans la Convention de Dublin sont de nature discrétionnaire et n'ont
pas de caractère contraignant, tout comme les recommandations du Comité de l'article
18».
40
Ce dernier point ne prête pas à discussion : voir C. SCHMID, R. BARTELS (note 35),
p. 157. Voir également B. SCHRODER (note 1), p. 154.

156
Circulaire sur les étrangers du Ministère néerlandais des affaires intérieures41 ,
et en Allemagne, où les Dienstvorschriften relatives à l'application de la
Convention ont été modifiées en 2002 pour tenir compte de la Décision. Dans
les autres États membres, en revanche, elle n'a pas été transposée en droit
interne42 , et il n'y a rien qui suggère qu'elle ait modifié en profondeur la
pratique des administrations compétentes.

3. La Convention de Dublin et l'unité de la famille:


remarques conclusives
38 Il n'y a pas de données statistiques permettant d'évaluer, sous l'angle
quantitatif, l'impact de la Convention de Dublin sur la vie familiale des
demandeurs d'asile. Les études publiées en la matière suggèrent toutefois que
les atteintes à la vie familiale ont été fréquentes 43 , ce dont atteste la
proportion élevée des recours contre les décisions de transfert fondés sur des
motifs familiaux44 . Cela ne saurait surprendre, au vu de l'analyse qui précède.
39 Comme il fallait s'y attendre, eu égard à son champ d'application
matériel restreint, l'article 4 CD a joué un rôle tout à fait marginal pour la
mise en œuvre de la Convention. Dans la vaste majorité des cas où
l'application des critères «ordinaires» aurait entraîné une rupture de l'unité
familiale, les clauses de souveraineté et humanitaire se sont trouvées à être les
seuls remèdes possibles, et la protection de la famille a donc été remise à la
discrétion des autorités nationales.
40 Les pratiques suivies par les États dans l'application des deux clauses
discrétionnaires ont été fort divergentes. En escomptant ces variations
nationales, leur dénominateur commun a été cependant l'esprit restrictif qui
. . ' 45 .
1es a msprrees

41
Ce qui n'a d'ailleurs pas eu de conséquences majeures: voir B. P. VERMEULEN
(note 22), aux pp. 55-56.
42 Voir B. SCHRÔDER (note 1), p. 249. Voir également aux pp. 168 et 170.
43
Voir A. HURWITZ (note 6), aux pp. 654 et 655.
44
Voir Rapport DRC (note 9), pp. 53-68, et notamment la p. 68. Voir également
C. MARINHO, The Dublin Convention judicial control : national case law highlights,
in: C. MARINHO (éd.), The Dublin Convention on asylum : its essence,
implementation and prospects, Maastricht (EIPA), 2000, pp. 225-277.
45 Voir B. SCHRÔDER (note 1), p. 247, où il est relevé que si les États membres avaient
le droit d'éviter, au travers des articles 3 § 4 et 9 CD, une atteinte à l'unité de la
famille, « wird von diesem Recht aber viel zu selten und zu restriktiv Gebrauch
gemacht».

157
Le recours aux artiCles 3 § 4 et 9 CD pour des fins de regroupement familial -
plus fréquent pour la clause de souveraineté, plus rare pour la clause
humanitaire - a été en règle générale cantonné aux cas où était en jeu la
séparation de conjoints, ou de parents et enfants mineurs, et ce encore
uniquement en présence de circonstances particulières, i.e. de motifs
humanitaires. Autrement dit, 1'unité de la famille nucléaire n'a pas été
systématiquement protégée, loin de là. Les liens familiaux du demandeur
avec les membres de la famille élargie, pour leur part, ont normalement été
sacrifiés à 1' application des critères de responsabilité.
Telle étant l'orientation générale, de nombreux États membres ont réservé un
traitement différent aux catégories de situations que nous avons mentionnées
en tête de chapitre. La totalité des États semble avoir appliqué les deux
clauses - dans les termes que nous venons de rappeler, et sous réserve des
variations nationales - dans les situations où les membres de la famille étaient
tous des demandeurs d'asile. Moins d'États ont accepté d'appliquer ces
clauses pour les «cas mixtes». Les articles 3 § 2 et 9 CD ont été appliqués
plus rarement encore lorsqu'il s'agissait de préserver des liens familiaux
noués après le dépôt de la demande d'asile.
41 Ces propos méritent d'être illustrés au travers de quelques exemples.
Concernant l'unité de la famille nucléaire, il y a lieu de rappeler d'abord une
décision des autorités néerlandaises. Une femme albanaise et ses deux enfants
mineurs avaient déposé une demande d'asile aux Pays-Bas, où les demandes
déposées précédemment par son mari et son fils aîné étaient en cours
d'examen. Les trois premiers ont été renvoyés vers un autre État membre
ayant reconnu sa responsabilité sur le fondement de l'article 6 CD. Le recours
interjeté contre la décision de transfert, qui tendait à voir affirmée l'obligation
des autorités néerlandaises d'appliquer l'article 3 § 4 CD pour préserver
l'unité de la famille, a été rejetë6•
Dans une autre affaire, un couple marié et leurs trois enfants, qui avaient
déposé ensemble leurs demandes d'asile en Allemagne, ont été séparés par le
transfert du mari en France, pays lui ayant octroyé un visa, et de l'épouse
avec les enfants en Espagne, pour le même motif. En l'espèce, les autorités
allemandes n'ont estimé nécessaire d'appliquer ni l'article 3 § 4 CD, ni
l'article 9 CD 47 •

46
Voir B. P. VERMEULEN (note 22), à la p. 58, ainsi qu'aux pp. 50-51.
47
Voir C. MARINHO (note 44), à la p. 244. Dans une situation similaire qui s'est
produite en France sous l'empire de la Convention de Schengen, le juge est cependant
intervenu en annulant la décision de renvoi: voir TA Lille, Gasarabwe c. Ministre de

158
Une affaire anglaise soulevait une question différente. En l'espèce, il
s'agissait d'une jeune femme arrivée au Royaume-Uni en tant que célibataire.
Pendant la procédure «Dublin», elle s'était mariée avec un compatriote
légalement établi dans le pays. Le Home Office décida de la renvoyer vers la
France, État responsable d'~près l'article 5 CD48 .
On citera encore la pratique luxembourgeoise de n'appliquer l'article 3 § 4
pour des raisons familiales qu'aux cas impliquant deux demandeurs d'asile, et
donc à l'exclusion des «cas mixtes »49 .
42 L'attitude restrictive des États membres a été, nous l'avons dit, plus
accentuée au sujet du maintien de l'unité de la famille élargie. Dans plusieurs
cas, les autorités nationales ont refusé d'examiner les demandes émanant de
personnes qui pouvaient compter, sur le territoire national, sur l'accueil et le
support de réseaux familiaux bien établis, et qui étaient en revanche
dépourvus de toute attache et de toute aide dans l'État responsable 50 •
La prise en compte de ce genre de liens familiaux a été refusée même en
présence de forts motifs humanitaires. Par exemple, le Ministre danois des
affaires intérieures a refusé d'appliquer l'article 3 § 4 à l'égard d'un
demandeur d'asile éthiopien - titulaire d'un visa italien et donc en passe
d'être renvoyé vers ce pays (art. 5 CD) - qui avait été frappé d'une
thrombose cérébrale et qui avait au Danemark un neveu, deux nièces et un
cousin disposés à prendre soin de lui51 .
43 Pour sévères qu'elles puissent paraître, les décisions prises .par les
administrations dans ces affaires étaient sans conteste compatibles avec la

l'intérieur, arrêt du 7 novembre 1996, publié dans RRJ (1998), p. 783. Voir le
commentaire de E. AUBIN, La rectification par le juge administratif de la perversion
du droit d'asile induite par la Convention de Schengen, publié dans la même revue,
pp. 773-782.
48
Voir les arrêts QBD, Regina c. SSHD ex parte Nicholas et CA, Regina c. SSHD ex
parte Ekinci cités supra, à la note 25.
49
Rapport DRC (note 9), p. 78.
50
Voir par ex. QBD, Regina c. SSHD ex parte Ganidagli, arrêt du 31 août 2000, Imm.
AR (2001), p. 202 ; CAA Marseille, Chabni c. Ministre de l'intérieur, arrêt du
28 septembre 1998, publié dans RFDA (1999), p. 1097. L'affaire Demiroglu fournit un
exemple frappant des conséquences arbitraires de l'application de la Convention de
Dublin. La famille Demiroglu avait fui la Turquie en vue de demander l'asile dans le
même pays. Le fils aîné, âgé de 23 ans, avait cependant été retardé en route. Une fois
arrivé au Royaume-Uni, il a découvert que le reste de sa famille allait être transféré en
Allemagne. Le recours formé contre cette décision a été rejeté: voir QBD, Regina c.
SSHD ex parte Demiroglu, arrêt du 14 juin 2001, Imm. AR (2002), p. 78.
51
Rapport DRC (note 9), pp. 72-73.

159
Convention de Dublin, ce qui met à jour les carences de la Convention sous
l'aspect ici considéré, et plus encore le peu d'égards pour les intérêts des
demandeurs d'asile avec lequel les États ont approché sa mise en œuvre.
44 La Décision no 112000, quels qu'aient été ses effets dans la pratique, n'a
pas changé beaucoup à la situation antérieure à son adoption. D'une part, elle
laissait intacte le pouvoir discrétionnaire des administrations nationales pour
l'application des articles 3 § 4 et 9 CD. D'autre part, elle confirmait en large
partie la tendance restrictive que nous avons décrite ci-dessus. Il suffit de
relever, à cet égard, que d'après les dispositions de la Décision, la simple
atteinte à l'unité familiale n'était pas en soi un motif imposant le recours aux
clauses humanitaire et de souveraineté, de forts motifs « humanitaires »
devant concourir à cet effet.

B. Le Règlement Dublin II et 1'unité de la famille

1. Remarques liminaires
45 Le Plan de Vienne de 199852 indiquait en son paragraphe 36, lit. b, deux
priorités en vue de la substitution de la Convention de Dublin par un
instrument communautaire : améliorer l'efficacité du système de Dublin et
étudier la manière de mieux assurer l'unité de la famille des demandeurs
d'asile dans son application.
Ces deux aspects, qui peuvent paraître disjoints, présentent en réalité un lien
étroit. La rupture des liens familiaux, si souvent occasionnée par l'application
des critères établis par la Convention, a en effet causé des souffrances
considérables aux personnes concernées, mais également des entraves à la
mise en œuvre efficace de la Convention elle-même. Nous avons
précédemment relevé que les mesures de transfert méconnaissant les attaches
familiales des demandeurs d'asile ont généré un contentieux nourri (cf. supra,
chap. III, no 28), et que les demandeurs d'asile ont fréquemment préféré se
soustraire à l'application des critères de responsabilité (en «disparaissant»,
en détruisant leurs documents de voyage, en retirant leurs demandes d'asile)
plutôt que de voir déçu leur désir de rester auprès de leurs proches ou de les
rejoindre (cf. supra, chap. III, no 102-103 et 128).

52
JO 1999 C 19/1. Cf supra, chap. il, n° 69.

160
Dans l'optique plus large de l'efficacité du système européen de l'asile, il est
par ailleurs reconnu que le traitement conjoint des demandes d'asile émanant
des membres de la même famille est de nature à améliorer la cohérence et la
rapidité des procédures d' asilé3.
46 Des motifs humanitaires et des motifs utilitaires incitaient donc le
législateur communautaire à élargir les critères fondés sur les liens familiaux.
Le Règlement Dublin II (ci-après «RD») reflète cette orientation dans son
préambule et dans son dispositif. Comme nous le verrons, toutefois, l'œuvre
est restée inachevée.

2. La nouvelle définition de « membre de la famille »


47 L'article 2 lit. i RD renferme la définition de «membres de la famille»
valable aux fins de 1' application du Règlement, qui couvre :
dans la mesure où la famille existait déjà dans le pays d'origine, les
membres suivants de la famille du demandeur présents sur le territoire des
États membres :
i) le conjoint du demandeur d'asile, ou son ou sa partenaire non marié(e)
engagé( e) dans une relation stable, lorsque la législation ou la pratique de
l'État membre concerné réserve aux couples non mariés un traitement
comparable à celui réservé aux couples mariés, en vertu de sa législation
suries étrangers ;
ii) les enfants mineurs des couples au sens du point i) ou du demandeur,
à condition qu'ils soient non mariés et à sa charge, sans discrimination
selon qu'ils sont nés du mariage, hors mariage ou qu'ils ont été adoptés,
conformément au droit national ;
iii) le père, la mère ou le tuteur lorsque le demandeur ou le réfugié est
mineur et non marié ;

48 Les aspects les plus voyants de cette définition sont ceux qui la rendent
plus généreuse de celle qui figurait à l'article 4 al. 2 CD : l'inclusion du
partenaire non marié, qui est toutefois appliquée seulement par huit États

53
En ce sens, voir le Rapport fait au nom de la Commission des libertés et des droits des
citoyens, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen sur la
proposition de la Commission (rapporteur: M. MARINHO), doc. PE n° A5-81/2002,
pp. 16-17. En doctrine voir R. BYRNE, A. SHACKNOVE, The safe country notion in
European asylum law, HHRLJ (1996), pp. 185-228, aux pp. 206-207 ; A. HURWITZ
(note 6), aux pp. 675-676.

161
membres 54 , et l'inclusion du tuteur pour les demandeurs qui sont mineurs et
célibataires. Relevons, à ce sujet, que la notion de «tuteur» n'est nulle part
définie dans le Règlement, et qu'il n'est en particulier pas établi si elle doit
être entendue de manière stricte, comme se référant à une personne
formellement investie de 1' autorité parentale et habilitée à représenter le
mineur, ou si elle peut être interprétée plus largement, par ex. comme incluant
les personnes exerçant de facto une telle autorité (cf. infra, chap. VI,
n° 118 ss).
49 La nouvelle définition de « membres de la famille » comporte cependant
aussi des éléments qui la rendent, à certains égards, plus restrictive de celle de
l'article 4 al. 2 CD.
D'abord, elle couvre uniquement les liens familiaux qui« existaient déjà dans
le pays d'origine». Apparemment claire, cette condition d'existence renferme
certaines ambiguïtés. Pour l'heure, nous retiendrons uniquement qu'une
simple analyse textuelle induit à ne pas l'interpréter comme une condition de
cohabitation dans le pays d'origine, telle celle qui figurait à l'article 1 § 2 de
la Décision no 1/2000 du Comité de l'article 18 (cf. supra, no 28 ; pour plus
de détails sur la condition d'existence du lien familial, cf. infra, chap. VI,
no 114 ss).
Ensuite, sont exclus de la notion de « membre de la famille » les enfants
mineurs non mariés du demandeur d'asile, lorsqu'ils ne sont pas à sa
charge 55 • Cette limitation ne semble pas valoir, cependant, si l'enfant est lui-
même un demandeur d'asile (art. 2lit. i, point iii).
50 Il y a lieu de signaler les liens qu'entretient la définition de la famille qui
résulte de l'article 2 lit. i RD avec celles qui valent pour l'application d'autres
mesures communautaires en matière d'asile et d'immigration56 . En
particulier, elle présente un fort lien de connexité avec la définition de
« membre de la famille » qui résulte des dispositions de la Directive
no 2003/86 relative au droit au regroupement familial 57 •

54 '
Il s'agit des Etats suivants : Finlande, France, Irlande, Lituanie, Pays-Bas, Portugal,
Norvège et Suède (CERE, Report on the application of the Dublin Il Regulation in
Europe, 2006, ci-après «Rapport CERE», p. 159).
55
En droit communautaire, la qualité de membre de la famille à charge « résulte d'une
situation de fait caractérisée par la circonstance que le soutien matériel du membre de
la famille est assuré » par la personne concernée (CJCE, Chen, note 4, cons. 43).
56
Voir notamment la Directive n° 2001/55 (JO 2001 L 212/12), art. 15 § 1 et 2, la
Directive no 2003/9 (JO 2003 L 31118), art. 2 lit. d, et la Directive no 2004/83 (JO
2004 L 304/12), art. 21it. h.
57 JO 2003 L 251/12.

162

- - --- -- --~- -·1


Aux termes de celle-ci, les « membres de la famille » du « regroupant »58 sont
le conjoint59 et les enfants mineurs célibataires du couple, du « regroupant»
ou de son conjoint, à condition que ceux-ci en aient la garde et la charge. La
Directive prévoit un régime plus favorable lorsque le « regroupant » a la
qualité de réfugié (chapitre V). S'il est un mineur non accompagné, il a le
droit de se faire rejoindre par ses parents ou, à défaut, par son tuteur (art. 10
§ 3).
En règle générale, le fait que le lien familial ait ou non été formé au pays
d'origine est indifférent (art. 2 lit. d). Cependant, aux fins de l'application du
régime de faveur établi par le chapitre V de la Directive, les États membres
peuvent prendre en considérationles seuls «liens familiaux [... ] antérieurs à
[ ... ]l'entrée surle territoire [du réfugié]» (art. 9 § 2) 60 •
51 Au-delà de certaines différences, dont notamment le caractère purement
facultatif de 1' admission du partenaire non marié du regroupant61 , la
définition de « membre de la famille » qui ressort de la Directive est donc très
proche de celle qui figure à l'article 2 lit. i RD, surtout si on prend en compte
les dispositions de son chapitre V.

58 I.e. du « ressortissant de pays tiers qui réside légalement dans un État membre et qui
demande le regroupement familial, ou dont les membres de la famille demandent à le
rejoindre (Directive no 2003/86, note précédente, art. 2lit. d).
59
Sauf en cas de polygamie : voir art. 4 § 4 al. 1.
60
Il est à relever que cette condition est apparemment moins stricte que celle figurant à
l'art. 2lit. h RD(« famille [qui] existait déjà dans le pays d'origine»).
61
Directive no 2003/86 (note 57). art. 4 § 3. Les autres différences notables concernent le
fait que les États peuvent imposer des conditions ultérieures au regroupement des
enfants mineurs («test d'intégration» si l'enfant est majeur de douze ans et arrive
dans l'État membre indépendamment de ses parents, art. 4 § 1 al. 3 - condition
inapplicable lorsque le regroupant est un réfugié, art. 10 § 1 ; exigence de dépôt de la
demande de regroupement avant le quinzième anniversaire de 1' enfant, art. 4 § 6) et du
conjoint (fixation d'un âge minimal, qui ne peut être établi à plus de 21 ans, art. 4 § 5).

163
Cette similitude n'est pas fortuite. En effet, la Commission a calqué la
définition de « famille » contenue dans la proposition de Règlement sur celle
· · de D"rrectlve
de 1a proposition · 62 , et motive
. ,
ce chmx
. par63

le souci de ne pas permettre que [les dispositions du Règlement] puissent


être détournées de leur finalité pour contourner les règles relatives au
regroupement familial proposées par la Commission dans sa proposition de
directive du Conseil relative au droit au regroupement familial [ ... ]
actuellement en cours de négociation.

52 Au-delà des mérites ou des défauts de la définition de 1' article 2 lit. i RD


en elle-même, il y a lieu de signaler la tendance restrictive observée dans
plusieurs États membres au sujet de son interprétation et application. D'une
part, certaines autorités chargées de la mise en œuvre du Règlement se
montrent exigeantes au sujet de la validité de l'acte constitutif du lien
familial, refusant par exemple de reconnaître les mariages religieux conclus
dans le pays d'origine. D'autre part, et il s'agit apparemment d'une pratique
plus répandue, les autorités se montrent formalistes quant à la preuve du lien
familial, ce qui peut souvent frustrer l'application des dispositions du
Règlement visant à préserver l'unité de la famille 64 •

3. Les critères visant à prévenir la rupture de [~unité de la


famille des demandeurs d'asile
53 Le Règlement contient deux nouvelles dispositions, les articles 4 § 3 et
14, dont l'objet est de prévenir une atteinte à l'unité familiale des demandeurs
d'asile.
54 Il convient d'examiner en premier l'article 14 RD, qui dispose
Lorsque plusieurs membres d'une famille introduisent une demande d'asile
dans un même État membre simultanément, ou à des dates suffisamment
rapprochées pour que les procédures de détermination de l'État
responsable puissent être conduites conjointement, et que l'application des

62
Voir la proposition de Règlement (JO 2001 C 104 E/192), art. 2 lit. i, et la proposition
de Directive sur le droit au regroupement familial (JO 2000 C 116 E/66), art. 5. ll faut
relever que les définitions de « membre de la famille » originairement proposées par la
Commission étaient sensiblement plus larges que celles qui ont finalement été
retenues.
63
Ainsi la Commission dans l'exposé des motifs de la proposition de Règlement,
doc. COM (2001) 447, p. 5.
64
Voir HCR, The Dublin II Regulation- A UNHCR discussion paper, Bruxelles, 2006
(ci-après« Rapport HCR »),pp. 26-27; voir également le Rapport CERE (note 54),
p. 159.

164
critères énoncés. dans le présent règlement conduirait à les séparer, la
détermination de l'État membre responsable se fonde sur les dispositions
suivantes:
a) est· responsable de l'examen des demandes d'asile de
l'ensemble des membres de la famille, l'État membre que les
critères désignent comme responsable de la prise en charge du
plus grand nombre d'entre eux;
b) à défaut, est responsable l'État membre que les critères
désignent comme responsable de l'examen de la demande du
plus âgé d'entre eux.

Cette disposition figure en dernier parmi celles qui relèvent du Chapitre UI du


Règlement, qui renferme les critères de responsabilité à appliquer « dans
l'ordre dans lesquels ils sont présentés» (art. 5 § 1 RD), mais cela ne signifie
pas que les critères de responsabilité qu'elle définit soient subordonnés aux
précédents65 • Comme il ressort de son libellé, l'inverse est vrai. En effet,
l'article 14 s'applique lorsque «l'application des [autres] critères [ ... ]
conduirait à [ ... ] séparer les membres de la famille». Elle définit donc des
critères dérogatoires par rapport à ceux que posent les articles 6 à 13 RD.
55 Le même principe qui inspire 1' article 14 trouve une application plus
large dans le cas des mineurs, comme il résulte de l'article 4 § 3 RD :
Pour 1' application du présent règlemènt, la situation du mineur qui
accompagne le demandeur d'asile et répond à la définition de membre de
la famille énoncée à l'article 2, point i), est indissociable de celle de son
parent ou tuteur et relève de la responsabilité de l'État membre responsable
de l'examen de la demande d'asile dudit parent ou tuteur même si le
mineur n'est pas individuellement demandeur d'asile. Le même traitement
est appliqué aux enfants nés après l'arrivée du demandeur sur le territoire
des États membres, sans qu'il soit nécessaire d'entamer pour eux une
nouvelle procédure de prise en charge.

Cette disposition rend indissociables les positions du parent ou tuteur, d'une


part, et du mineur qui 1' accompagne ou qui naît après la présentation de la
demande, d'autre part, indépendamment de la qualité de demandeur d'asile de

65
Pendant l'élaboration du Règlement, il avait été suggéré de placer la disposition de
l'article 14 en tête des autres critères (PERMANENTE COMMISSIE VAN
DESKUNDIGEN IN INTERNATIONAAL VREEMDELINGEN-
VLUCHTELINGEN- EN STRAFRECHT, Jaarverslag 2001, Utrecht, 2001,
www.commissie-meijers.nl, p. 56), et la position actuelle de l'article 14 semble avoir
induit en erreur une éminente experte du domaine (B. SCHRÔDER, Die EU-
Verordnung zur Bestimmung des zustandigen Asylstaats, ZAR (2003);pp. 126-132, à
la p. 129).

165
ce dernier. S'agissant d'un «super-critère» placé avant le Chapitre III, il
semble bien qu'en cas de conflit l'article 4 § 3 prime sur l'article 1466•
56 Les articles 14 et 4 § 3 RD visent deux situations qui, comme nous
l'avons vu, s'étaient souvent produites sous l'empire de la Convention
(cf. supra, no 2) 67 : celle des demandeurs d'asile provisoirement ensemble
dans un même État et qui risquent d'être ensuite séparés, et celle de la
naissance d'un enfant après le dépôt de la demande d'asile.
Ils constituent une innovation bienvenue dans la mesure où ils confèrent aux
demandeurs d'asile un droit au maintien de l'unité familiale, là où le
dispositif Dublin I se contentait de remettre la question à la discrétion des
États membres au travers des clauses de souveraineté et humanitaire, compte
tenu des indications fournies par la Décision no 112000.
57 Il importe toutefois de mettre en exergue les limites inhérentes aux deux
dispositions.
Premièrement, elles ne garantissent le maintien de l'unité familiale qu'entre
les «membres de la famille» visés par l'article 2 lit. i RD, une disposition
dont nous avons déjà relevé le caractère restrictif.
Deuxièmement, les deux dispositions comportent une limite «temporelle».
L'article 14 ne s'applique que si les membres de la famille déposent leurs
demandes « à des dates suffisamment rapprochées pour que les procédures de
détermination de l'État responsable puissent être conduites conjointement».
Il s'agit là d'une expression du principe selon lequel le Règlement vise «à
préserver 1'unité des familles dans la mesure où ceci est compatible avec
[ses] autres objectifs» (cons. 8), en l'espèce la détermination rapide de l'État
responsable (cons 4). L'article 4 § 3 RD, mis à part le cas de naissance
successive, ne s'applique que si le mineur «accompagne» le demandeur
d'asile. Il semble donc qu'il n'ait pas vocation à s'appliquer si les personnes

66
Un conflit peut surgir, par exemple, dans le cas d'une mère et deux enfants mineurs
qui entrent ensemble dans le même .État membre et y déposent leurs demandes d'asile.
D'après l'article 14, l'État responsable des trois demandes serait d'abord celui qui est
désigné responsable, par les critères ordinaires, de deux demandes (art. 14 lit. a RD).
Mais puisque la situation décrite tombe sous l'empire de l'article 4 § 3, l'État
responsable des trois demandes semblerait être en tout état de cause l'État responsable
pour la demande de la mère.
67
Ce qui a induit Christian SCHMID à observer, avec un excès d'optimisme, que« Das
unter dem Dubliner Übereinkommen bestehende Spannungsverhiiltnis zu Art 8 EMRK
sollte damit aufgelOst sein» (C. SCHMID, Dublin-II Verordnung, Migralex (2003),
pp. 66-71, à la p. 70).

166
concernées accèdent séparément au territoire du même État. Relevons
toutefois que l'inapplicabilité de l'article 4 § 3 n'entraîne pas celle de l'article
14, et que donc si le mineur présente une demande d'asile à une «date
rapprochée » de celle où son parent ou tuteur a déposé sa demande, il peut se
prévaloir de cette disposition.
Troisièmement, les deux dispositions n'apportent pas de solution à toute
atteinte à l'unité des familles composées de demandeurs d'asile, du moment
qu'elles ne s'appliquent pas à des membres d'une même famille qui, pour des
circonstances indépendantes de leur volonté, déposent leurs demandes dans
différents États membres (mais voir art. 6 et 8 RD; cf. infra, no 59 et 67 ss).
Enfin, l'article 4 § 3 RD garantit l'indissociabilité de la position du parent
demandeur d'asile et de son enfant qui l'accompagne, ou qui naît après le
dépôt de la demande d'asile. Elle ne garantit cependant pas que l'enfant
puisse rester avec ses deux parents. Par exemple, si l'enfant d'un couple
«mixte», composé d'un demandeur d'asile et d'une personne qui y réside à
un autre titre, naît sur le territoire d'un État membre, et qu'un autre État
membre est compétent pour la demande du premier, l'article 4 § 3 n'empêche
pas la rupture du lien familial entre les deux parents et entre l'enfant et le
deuxième parent68 , ce qui peut d'ailleurs donner lieu à des problèmes
particulièrement délicats lorsque la position de l'enfant est« indissociable»
de celle du père demandeur d'asile. Par ailleurs, on notera que l'article 4 § 3
ne couvre pas les cas où une décision de transfert tombe lorsque la femme du
. 69
coup1e est encemte .
58 Sur le plan de la mise en œuvre, on relèvera que d'après le Rapport HCR
de 2006 l'article 14 RD est rarement appliqué, ce qui suggère, à la lumière de
la fréquence avec laquelle les situations qu'il vise s'étaient produites sous
l'empire de la Convention, qu'il fait l'objet d'une interprétation restrictive de
la part des autorités compétentes, par ex. au sujet de l'interprétation du
caractère «suffisamment rapproché» des demandes. Par ailleurs, selon dit
Rapport, il existe des cas où l'article 14 RD a été à tort ignoré par les
autorités 70 .

68
Pour un cas similaire, voir Rapport HCR (note 64), pp. 31-32.
69
Voir les faits de l'affaire UBAS, no 248.247/0-111/07/04, décision du 20 avril 2004
(www.ris.bka.gv.at/ubas). Pour un cas de figure similaire qui s'était présenté sous
l'empire dela Convention de Dublin, voir VwG München, aff. n° M 27 S 03.60618,
arrêt du 8 janvier 2004, non publié.
70
Voir Rapport HCR (note 64), pp. 28-29.

167
4. Les critères visant à rapprocher les membres d-'une même
famille

a) Les critères applicables aux mineurs non accompagnés


59 Le Règlement Dublin assujettit la détermination de la responsabilité pour
l'examen des demandes présentées par un mineur non accompagné à un
,. '"171
reg1me specm .
Aux termes de son article 6, les critères de responsabilité applicables sont les
deux suivants, à l'exclusion des autres qui sont énumérés par le Chapitre III
du Règlement, :
«l'État [ ... ] dans lequel un membre de la famille du mineur se trouve
légalement, pour autant que ce soit dans l'intérêt du mineur», ou
«en l'absence d'un membre de la famille», «l'État dans lequel le
mineur a introduit sa demande ».
Le premier critère, fondé sur le principe de l'unité familiale, est formulé
d'une manière plus large que les critères «ordinaires» des articles 7 et 8 RD,
que nous examinerons ci-dessous. S'il reprend comme ceux-ci la notion de
« membre de la famille » de l'article 2 RD - restreinte en 1'espèce aux seuls
parents et au tuteur72 - son application n'est en revanche pas conditionnée au
statut de séjour de ce dernier. L'article 6 al. 1 RD s'applique en effet dès lors
qu'un membre de la famille « se trouve légalement » dans un État membre.
Cette expression fait allusion à toute présence autorisée, quelle que soit la
durée de validité de cette autorisation et quel qu'en soit le motif3•
60 Les raisons pour lesquelles un régime à part a été prévu pour les mineurs
non accompagnés sont transparentes : rapprocher dans toute la mesure du

71
L'article 2lit. h RD définit les mineurs non accompagnés comme «des personnes non
mariées âgées de moins de dix-huit ans qui entrent sur le territoire des États membres
sans être accompagnées d'un adulte qui, de par la loi ou la coutume, en a la
responsabilité et tant qu'elles ne sont pas effectivement prises en charge par un tel
adulte[ ... ]». Pour une analyse de cette dispositions cf. infra, chap. VI, n° 118 ss.
72
En effet, le mineur non accompagné est par définition « non marié » : voir art. 2 lit. h
RD.
73
Voir par ex. VwG Giessen, aff. no 2 E 1131/04.A, arrêt du 23 février 2005, non
publié ; VwG Minden, aff. no 11 L 204/04.A, arrêt du 17 mars 2004, non publié. La
crainte exprimée par Ulrike BRANDL, de voir cette disposition appliquée uniquement
en cas de résidence régulière, n'a donc pas lieu d'être (U. BRANDL, note 39, à la
p. 43).

168
possible le mineur des parents ou d'un autre adulte apte et disposé à s'en
occuper, et à défaut simplifier la détermination de l'État responsable pour lui
épargner l'épreuve de la procédure et d'un éventuel transfert. Jusqu'à ce jour,
la réalisation de ces finalités a toutefois été remise en question par une mise
en œuvre gravement défaillante de l'article 6 RD.
Le HCR et le CERE ont relevé que l'application du critère subsidiaire du lieu
du dépôt de la demande, telle qu'elle se fait dans de nombreux États
membres, contrevient à l'esprit de la disposition74• Il s'agitd'un aspect qui ne
nous retiendra pas. Il importe en revanche de souligner ici la mauvaise
application d11 critère primaire, i.e. du critère « élargi » du lien familial. Les
problèmes se situent sur trois niveaux.
61 D'abord, de nombreux cas de violation ouverte du critère ont été
observés. Plutôt que d'assumer la responsabilité d'un mineur sur le
fondement de l'article 6 al. 1 RD, certaines administrations ont essayé de s'en
«libérer» en demandant à d'autres États la prise en charge sur la base de
critères inapplicables en l'espèce (possession d'un visa, entrée irrégulière). Il
est malheureusement arrivé que les États requis accueillent de telles
requêtes 75 et, ce qui est pire, que des juridictions nationales entérinent les
décisions de transfert s'ensuivant, bien qu'elles fussent ouvertement en
violation du Règlement.
62 Ensuite, l'âge du demandeur d'asile a souvent été disputé. Il s'agit d'un
problème inhérent à l'article 6 RD. Ce qui est en revanche inquiétant est que
des transferts ont parfois été mis en œuvre alors que la procédure de
détermination de l'âge n'était pas encore terminée76•
63 Enfin, il semble que peu de pratiques nationales soient pleinement en
conformité avec l'article 19 de la Directive no 2003/9 en matière d'accueil
des demandeurs d'asile, qui fait obligation à l'État d'accueil de rechercher
« dès que possible » les membres de la famille du mineur non accompagné
(cf. supra, chap. III, no 44) 77 • Bien au contraire, il semblerait que dans
certains États membres les transferts d'urgence aient été pratique courante, ce

74
Voir à ce sujet le Rapport HCR (note 64), pp. 23-24, et le Rapport CERE (note 54),
pp. 157 et 188-190.
75
Voir Rapport HCR (note 64), pp. 22 (Illustration 4) et 23. ll résulte du Rapport CERE
(note 54), pp. 43 et 157, que les autorités françaises ne font pas de distinction entre
demandeurs adultes et mineurs, ce qui revient à violer systématiquement l'article
6RD.
76
Voir Rapport HCR (note 64), p. 24; Rapport CERE (note 54), p. 189 (Cas 3 et 5).
77 Le Rapport CERE (note 54), pp. 156-157, ne cite à cet égard que deux États membres
qui mènent systématiquement de telles recherches : la Lituanie et la Pologne.

169
qui a souvent empêché toute recherche, vidant ainsi l'article 6 al. 1 RD de son
effet utile78 .

b) Les critères d'application générale


64 Dans la mesure où les dispositions que nous avons examinées jusqu'ici
ne s'appliquent pas, chaque demande d'asile est individuellement soumise
aux critères de responsabilité énumérés par ordre hiérarchique par les articles
7 à 13 RD (critères «ordinaires»). Les deux premiers sont fondés sur le
principe du lien familial.
65 L'article 7 attribue la responsabilité à l'État qui a «admis à résider en
tant que réfugié» un membre de la famille du demandeur d'asile.
La congruence de cette disposition et de l'ancien article 4 CD est presque
parfaite. En effet, aux fins de l'application de l'article 7 RD et par dérogation
à l'article 2 lit. i, il est indifférent que la famille ait « existé » ou non dans le
pays d'origine (cf. supra, no 49).
Les seu1es différences entre 1' article 7 RD et 1' article 4 CD résultent ainsi des
autres innovations apportées par le Règlement quant à la notion de « membre
de la famille» (cf. supra, no 49).
66 Les rapports entre le demandeur d'asile et les membres de sa famille qui
se trouvent à un autre titre dans un État membre restent naturellement exclus
du champ d'application de cette disposition.
À cet égard, il y a lieu de signaler la pratique louable de certains États, les
Pays-Bas et la Norvège, qui appliquent «par analogie» l'article 7 RD et
acceptent la responsabilité pour les demandeurs d'asile dont un« membre de
la famille» réside sur leur territoire au titre d'un statut de protection
subsidiaire79 . Cette position est cependant tout à fait minoritaire. Les autorités
mêmes desdits États suivent d'ailleurs une interprétation à d'autres égards
très formaliste de l'article 7 RD. À titre d'exemple, le bénéfice de cette
disposition a été refusé, par l'administration néerlandaise d'abord et par un
tribunal ensuite, à une femme dont le mari avait obtenu en Suède le statut de
réfugié, mais avait ensuite été naturalisé80 .

78
Rapport CERE (note 54), pp. 188-190.
79
Voir Rapport CERE (note 54), p. 159; Rapport HCR (note 64), p. 27.
80
Voir Rapport CERE (note 54), p. 159.

170
67 L'article 8 RD apporte un complément à l'article 7 RD au travers de
l'établissement d'un critère de responsabilité supplémentaire:
Si le demandeur d'asile a, dans. un Étatmembre, un membre de sa famille
dont la demande n'a pas encore fait l'objet d'une première décision sur le
fond, cet État membre est responsable de l'examen de la demande d'asile,
à condition que les intéressés le souhaitent.

À vrai dire, cette disposition présente un lien plus étroit encore avec l'article
14 RD, dans la mesure où il pallie en partie les limitations d'ordre
« temporel » auxquelles nous nous sommes référés supra au no 57. En effet,
une personne qui présente sa demande à une date trop éloignée pour
permettre l'application de l'article .14 RD .est en tout état de cause rapprochée
au membre de sa famille qui a introduit en premier une demande - à
condition toutefois que cette demande n'ait pas «fait l'objet d'une première
décision sur le fond».
Cette dernière limitation amoindrit cependant considérablement la portée
pratique de l'article 8 RD, notamment dans les États qui ont mis en place des
procédures de première instance très expéditives 81 •
68 Lorsqu'une décision de première instance est tombée, deux cas de figure
se présentent. Si elle est positive, l'article 7 RD s'applique et le
rapprochement du demandeur d'asile au membre de sa famille a également
lieu. En cas contraire, le rapprochement n'a en principe pas lieu.
Dans le rapport explicatif à la proposition de Règlement, la Commission
motive ce choix en affirmant qu'il aurait été82
disproportionné et de nature à apporter des délais injustifiés à l'examen des
demandes d'asile d'organiser un rapprochement des personnes concernées
si la demande du membre de la famille arrivé en premier[ ... ] a été rejetée
en première instance.

69 On peine à suivre ce raisonnement. Premièrement, l'application du critère


paraît relativement aisée et suffisamment certaine pour ne pas entraîner des
contestations entre États membres - surtout si on la compare à 1' application
d'autres critères (par ex. entrée irrégulière). Deuxièmement, aux fins de
l'application de l'article 8, les États peuvent par définition compter sur la
collaboration du demandeur (« à condition que les intéressés le souhaitent »),
à la fois au stade de la détermination de l'État responsable et du transfert~ En

81
En ce sens, U. BRANDL (note .39), à la p. 44. Pour une confirmation, voir Rapport
CERE (note 54), p. 158, qui relate également des cas de mauvaise application de
l'article 8.
82
Exposé des motifs de la proposition de Règlement (note 63), p. 13.

171
somme, 1' « organisation du transfert du demandeur » en application de
l'article 8 ne paraît pas particulièrement complexe et onéreuse.
L'argument de la Commission serait en tout état de cause raisonnable, et la
distinction opérée par l'article 8 RD justifiée, si le rejet d'une demande
d'asile en première instance était en Europe synonyme d'absence d'un besoin
de protection et de renvoi imminent. Tel n'est cependant pas le cas. Au-delà
de la longueur des procédures de recours, qui entraînent souvent une présence
prolongée du demandeur débouté sur le territoire de l'État, il y a lieu de
relever qu'un pourcentage important des demandes d'asile rejetées en
première instance aboutissent soit à la reconnaissance du statut de réfugié en
deuxième instance, soit à l'octroi d'un statut de protection subsidiaire83 •
70 En résumé, les articles 7 et 8 RD établissent un régime de rapprochement
des membres d'une même famille très incomplet au regard des réalités du
terrain. La principale innovation du dispositif Dublin II par rapport au
dispositif Dublin I, l'article 8 RD, a une portée pratique très restreinte. Il en
va de même pour l'article 7 RD, qui souffre des mêmes limitations
structurelles de l'ancien article 4 CD (cf. supra, no 8-11).
Les articles 7 et 8 établissent par ailleurs des distinctions de traitement fort
discutables. L'article 7 RD garantit le rapprochement familial aux
demandeurs d'asile dont les membres de la famille sont des réfugiés
reconnus, mais il ne s'applique pas lorsque l'intégration du réfugié dans la
communauté d'accueil atteint un aboutissement définitif, i.e. en cas de
naturalisation, ni lorsque il a été déterminé qu'il est porteur d'un autre besoin
de protection internationale empêchant son retour dans le pays d'origine 84 .

83
Sur ces deux aspects, des statistiques complètes et détaillées font défaut. On consultera
néanmoins utilement GEDAP, BIVS, Migration and asylum in Europe 2002, un
rapport financé par la Commission européenne et disponible sur le site
ec.europa.eu/justice_home. D'après ce rapport (table 4.2.2, sections nationales), dans
les États « Dublin » pour lesquels des données sont disponibles, le taux de
reconnaissance du statut de réfugié en deuxième instance a varié en 2002 de 10-20 %
(République tchèque, Danemark, Norvège, Pologne) à environ 50% (Irlande, Islande,
Malte, Pays-Bas). Quant au deuxième aspect, d'après ce même rapport (table 4.2.3),
les décisions accordant un statut de protection subsidiaire ou humanitaire ont
représenté en 2002 plus du 50 % des décisions lato sensu positives dans un nombre
considérable d'États «Dublin» (Danemark, Finlande, Islande, Luxembourg, Malte,
Pays-Bas, Norvège, Portugal, Slovénie, Suède, Royaume-Uni). Pour des observations
similaires à celles qui sont ici formulées, voir U. BRANDL (note 39), à la p. 44.
84
On relèvera que selon les chiffres publiés par le HCR, à la fin 2004 les bénéficiaires
d'un statut alternatif de protection étaient, dans les 27 États «Dublin», le 43,3 % des
bénéficiaires d'un statut de protection internationale, ce pourcentage atteignant pour

172
L'article 8 prévoit le rapprochement lorsque le membre de la famille est un
demandeur d'asile en attente de la première décision, et traite donc plus
favorablement cette situation de celle, précitée, où le membre de la famille
jouit d'un statut alternatif de protection, ainsi que de celle, souvent
comparable à celle visée par l'article 8, où le membre de la famille attend une
décision de deuxième instance. Les deux articles n'ont par ailleurs aucune
vocation à s'appliquer lorsque le membre de la famille est un ressortissant de
l'État où il réside, ou lorsqu'il est un immigré «ordinaire».
Les efforts de certains États membres pour pallier à ces insuffisances du
dispositif Dublin II sont louables, mais isolés.

S. La clause de souveraineté et la clause humanitaire


71 Dans tous les cas où les articles 4 § 3 et 6 à 14 RD ne l'imposent pas, le
maintien ou la reconstitution de l'unité familiale du demandeur d'asile et de
ses proches restent possibles au travers de l'application de la clause de
souveraineté et de la clause humanitaire.
72 La première est contenue dans l'article 3 § 2 RD, qui est en substance
identique à l'ancien article 3 § 4 CD, à cette différence près que l'exercice du
droit de opt in n'est plus subordonné au consentement du demandeur d'asile.
n s'agit d'une modification régressive, qui a pour seul objet celui de légitimer
l'emploi de la clause de souveraineté en tant qu'instrument d'économie
procédurale (cf. supra, no 18)85 • Pour le reste, l'article 3 § 2 RD reste muet
sur les cas et modalités d'exercice de la clause de souveraineté.
Les informations disponibles au sujet de l'application de l'article 3 § 2 RD à
des fins de maintien de l'unité de la famille n'offrent pas un cadre détaillé de
la situation. Elle indiquent toutefois que dans un nombre significatif d'États la

certains États le 65-75 % (Danemark, Hongrie, Malte, Pays-Bas, Norvège, Suède):


voir HCR, 2004 globalrefugee trends, Genève, 2005, table 9. Par ailleurs, selon les
chiffres publiés en 2004 par la Commission, les décisions reconnaissant un statut de
protection alternatif à un demandeur d'asile ont représenté dans l'UE-15, entre 1999 et
2003, grosso modo la moitié du total des décisions «positives» sur une demande
d'asile: voir doc. SEC (2004) 937, p. 10;
85
Cette pratique est attestée notamment en Allemagne, en Autriche, en Finlande, en
Norvège et aux Pays-Bas: voir Rapport HCR (note 64), p. 31 ; Rapport CERE (note
54), pp. 155-156. Pour un aperçu de la pratique italienne, et une illustration des effets
de la suppression du consentement du demandeur d'asile en tant que condition
d'application de la clause de souveraineté, voir B. NASCIMBENE (éd.), Diritto degli
stranieri, Padoue (CEDAM), 2004, p. 1229.

173
clause de souveraineté n'est pratiquement jamais utilisée à cette fin, et que la
tendance prévalente dans les autres, à l'exception de l'Italie, est d'en faire un
• • 86
usage parcrmomeux .
73 La clause humanitaire, anciennement contenue dans l'article 9 CD,
résulte actuellement de l'artiCle 15 RD, qui dispose:
1. Tout État membre peut, même s'il n'est pas responsable en application
des critères définis par le présent règlement, rapprocher des membres
d'une même famille, ainsi que d'autres parents à charge pour des raisons
humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels.
Dans ce cas, cet État membre examine, à la demande d'un autre État
membre, la demande d'asile de la personne concernée. Les personnes
concernées doivent y consentir.
2. Lorsque là personne concernée est dépendante de l'assistance de l'autre
du fait d'une grosse.sse ou d'un enfant nouveau-né, d'une maladie grave,
d'un handicap grave ou de la vieillesse, les États membres laissent
normalement ensemble ou rapprochent le demandeur d'asile et un autre
membre de sa famille présent sur le territoire de l'un des États membres, à
condition que les liens familiaux aient existé dans le pays d'origine.
3. Si le demandeur d'asile est un mineur non accompagné et qu'un ou
plusieurs membres de sa famille se trouvant dans un autre État membre
peuvent s'occuper de lui, les États membres réunissent si possible le
mineur et le ou les membres de sa famille, à moins que ce ne soit pas dans
l'intérêt du mineur. ·
4. Si 1'État membre sollicité accède à cette requête, la responsabilité de
1' examen de la demande lui est transférée. ·
5. Les conditions et procédures de mise en œuvre du présent article, y
compris, le cas échéant, des mécanismes de conciliation visant à régler des
divergences entre États membres sur la nécessité de procéder ·au
rapprochement des personnes en cause ou sur le lieu où il convient de le
faire, sont adoptées conformément à la procédure visée à l'article 27,
paragraphe 2.

74 Suivant le paragraphe 1, la nouvelle clause humanitaire a un objet plus


restreint par rapport à 1' ancienne. Elle n'est en effet applicable qu'aux fins du
regroupement familial. Les motifs culturels, jadis une cause autonome
d'application de la clause, sont ainsi relégués de manière quelque peu
incongrue au nombre des circonstances à prendre en compte pour décider s'il
y a lieu de rapprocher les membres d'une famille. Certes, l'article 9 CD
n'avait été· appliqué que très rarement pour permettre à un demandeur d'asile
de voir sa demande examinée dans un pays avec lèquel il avait, en tant
qu'individu, des liens culturels particuliers (cf. supra, no 24). ·Il s'agit

86 Voir Rapport HCR (note 64), pp. 30-32; Rapport CERE (note 54), pp. 155-157.

174
néanmoins d'un développement regrettable, qui réduit les possibilités
ouvertes aux États membres pour tenir compte des « liens significatifs » du
demandeur d'asile avec tel ou tel autre État en application du dispositif
Dublin TI.
75 Ce «recentrage» mis à part, la clause humanitaire résultant de l'article
15 RD est considérablement plus élaborée que celle qui résultait de l'article 9
CD. Par ailleurs, si la Convention de Dublin ne conférait pas au Comité de
l'article 18 le pouvoir d'adopter des règles contraignantes d'application de
l'article 9, le Règlement (art. 15 § 5) attribue ce pouvoir à la Commission87 ,
qui l'a exercé en adoptant le Règlement no 1560/2003 (ci-après «Règlement
d'exécution» ou« RE ») 88 . Celui-ci établit en son Chapitre IV (articles 11 à
14) les règles d'application de l'article 15 RD.
76 Le premier paragraphe de l'article 15 reprend en substance les termes de
l'article 9 CD. Il indique en effet que l'initiative pour l'application de la
clause appartient à un État membre («requérant»), que l'autre État membre
(«requis») est en principe libre d'accepter ou de refuser le transfert de
responsabilité et que les personnes concernées doivent consentir à ce
transfert. Le Règlement d'exécution précise formellement que l'initiative de
l'application de l'article 15 RD revient, selon le cas, à l'État à qui la demande
d'asile a été présentée et qui mène une procédure «Dublin» ou à l'État
responsable (art. 13 § 1 RE) et que le consentement des personnes concernées
doit être donné par écrit (art. 17 § 1 RE).
77 La clause générale de l'article 15 § 1 RD est ensuite complétée par deux
dispositions qui établissent un régime spécial applicable dans deux cas
particuliers89 •
78 L'article 15 § 2 vise la situation dans laquelle la personne concernée est
dépendante de l'assistance de l'autre du fait d'une grossesse ou d'un enfant
nouveau-né, d'une maladie grave, d'un handicap grave ou de la vieillesse.
Dans de tels cas de dépendance caractérisée,
les États membres laissent normalement ensemble ou rapprochent le
demandeur d'asile et un autre membre de sa famille présent sur le territoire
de 1'un des États membres, à condition que les liens familiaux aient existé
dans le pays d'origine.

87
La Commission est assistée en cela par un comité de réglementation : voir art. 27 § 2
RD, qui renvoie aux articles 5 et 7 de la Décision n° 1999/468 (JO 1999 L 184/23).
88 JO 2003 L 222/3.
89
Comme il sera soutenu plus bas dans le texte, il ne s'agit pas, à notre sens, de simples
«exemples», comme le soutient B. SCHRODER (note 65), p. 129.

175
Relevons tout de suite que l'expression «membre de la famille» employée
ici ne doit pas être interprétée dans le sens de l'article 2 lit. i RD. Comme il
ressort des autres versions linguistiques et de la systématique même de la
nouvelle clause humanitaire, sont ici visés les membres de la famille au sens
de l'article 2 lit. i RD ainsi que les «parents proches» mentionnés à l'article
15 § 1 RD 90 •
L'article 11 RE, précise que l'article 15 § 2 RD couvre aussi bien le cas où Je
demandeur d'asile dépend de l'assistance du membre de sa famille que le cas
inverse. Il subordonne en outre son application à l'assurance que le
demandeur d'asile ou le membre de la famille apportera effectivement
1' assistance nécessaire.
Pour apprécier « la nécessité ou l'opportunité » du rapprochement familial,
les États membres doivent tenir compte (art. 11 § 3 RE) 91 :
a) de la situation familiale qui existait dans le pays d'origine;
b) des circonstances qui ont donné lieu à la séparation des personnes
concernées;
c) de l'état des différentes procédures d'asile ou procédures relatives au
droit des étrangers en cours dans les États membres.

90
Dans la version anglaise, les« membres de la famille» au sens de l'art. 2lit. i RD sont
les «jamily members ». L'article 15 § 1 rend l'expression« membres de la famille [et]
autres parents à charge» par «jamily members [and] other dependent relatives». Dans
l'article 15 § 2, la phrase «un autre membre de la famille» est rendue par« another
relative ». Similairement, dans la version italienne, les termes employés sont
«jamiliari » (art. 2 lit. i RD), « membri di una stessa famiglia [ed] altri parenti a
cari co » (art. 15 § 1 RD), et « altro parente » (art. 15 § 2 RD). Dans la version
espagnole, les termes sont « miembros de la familia » (art. 2 lit. i RD), « miembros de
unafamilia [y] otrosfamiliares dependientes »(art. 15 § 1) et« otro familiar » (15 § 2
RD). La version allemande, enfin, est moins univoque, mais laisse toujours entendre
que les «membres de la famille» visés par l'art. 15 § 2 constituent une catégorie plus
large que ceux visés par l'art. 2 lit. i. Les termes employés sont
respectivement« FamilienangehOrige »(art. 2lit. i RD), qui devient« Mitglieder einer
Familie » à l'article 14, « Familienmitglieder und andere abhiingige Familien
angehorige [= autres parents à charge]» (15 § 1) et «den anderen
Familienangehorigen » (art. 15 § 2). Au sujet de la condition d'existence du lien
familial dans le pays d'origine, cf. supra, no 49 et infra, chap. VI, no 114 ss.
91
Cette disposition reprend l'article 2 § 2 al. 1 de la Décision no 1/2000 du Comité de
l'article 18 (cf. supra, no 31), mais l'énumération est ici exhaustive.

176
Au sujet de la détermination de l'État où doit avoir lieu le rapprochement des
membres de la famille, il faut tenir compte (art. 11 § 5 RE):
a) de la capacité de la personne dépendante à se déplacer ;
b) de la situation des personnes concernées au regard du séjour, afin, le
cas échéant, de privilégier le rapprochement du demandeur d'asile
auprès du membre de la famille lorsque ce dernier dispose déjà d'un
titre de séjour et de ressources dans l'État membre où il séjourne.

79 L'article 15 § 3, deuxième disposition «spéciale», vise la situation du


demandeur d'asile mineur non accompagné qui a un ou plusieurs «membres
de la famille » aptes à s'occuper de lui - mais on lira « parents proches »92 -
«se trouvant» dans un État membre. Il s'agit d'une disposition qui a vocation
à s'appliquer dans les cas qui échappent à l'article 6 RD, par ex. en raison de
l'absence d'un «membre de la famille» au sens de l'article 2 lit i RD dans
l'Union, ou bien parce que le rapprochement à ce membre de la famille n'est
pas« dans l'intérêt de l'enfant »93 .
Dans tous ces cas de figure,
les États membres réunissent si possible le mineur et le ou les membres de
sa famille, à moins que ce ne soit pas dans l'intérêt du mineur.

80 Les deux dispositions que nous venons d'examiner visent en substance


les mêmes cas de figure que l'article 2 § 2 al. 2 de la Décision no 112000 du
Comité de l'article 18 (cf. supra, n° 31). Elles diffèrent toutefois de celui-ci
sous deux aspects. D'une part, l'ancienne règle était formulée et termes
inconditionnels (« il est procédé au rapprochement familial »), alors que les
nouvelles règles sont moins impératives (art. 15 § 2 : «les États membres
laissent normalement ensemble ou rapprochent [... ] » ; art. 15 § 3 : «les
États membres réunissent si possible [ ... ] à moins que ce ne soit pas dans
l'intérêt du mineur»). D'autre part, toutefois, l'article 2 § 2 al. 2 de la
Décision no 1/2000 n'était pas juridiquement obligatoire (cf. supra, no 36),
alors que l'article 15 RD relève d'un acte- le Règlement Dublin II- qui est
«obligatoire dans tous ses éléments et [ ... ] directement applicable dans tout
État membre» (art. 249 TCE).

92
Dans les autres versions linguistiques, le terme « membres de la famille » est rendu,
dans l'article 15 § 3, par «relatives», << parenti », «familiares » et
« Familienangehorige »(voir note précédente).
93
Pour que les décisions au sujet de l'intérêt du mineur soient prises en connaissance de
cause, l'article 12 RE prévoit une coopération étroite entre les autorités nationales
chargées de la protection des mineurs.

177
81 Une définition exacte des obligations des États membres au titre de
l'article 15 RD n'est pas aisée. Il ressort de l'article 15 § 1 RD que les États
membres sont en règle générale libres de prendre l'initiative d'un transfert
«humanitaire » et respectivement de l'accepter. Il ressort également du texte
de l'article 15 que cette liberté est restreinte dans les situations visées par ses
paragraphes 2 et 3. L'emploi de verbes impératifs («laissent ensemble»,
« rapprochent », « réunissent ») combinés avec des expressions qui dénotent
une certaine marge d'appréciation («normalement», «si possible»), ainsi
que la systématique de la disposition, suggèrent que dans ces deux situations
les États membres jouissent d'une certaine discrétion dans l'application de la
clause humanitaire94 , et en même temps que cette discrétion n'est pas
illimitée95 • Le sixième considérant du Règlement fournit une indication
complémentaire. Il indique que l'unité de la famille devrait être protégée sauf
si cela porte préjudice aux autres objectifs du Règlement - par ex. au
traitement rapide des demandes d'asile (cons. 4 RD) 96 •
Ces éléments textuels et contextuels suggèrent la conclusion suivante :
lorsqu'une des deux situations visées à l'article 15 § 2 et 3 RD se présente, le
rapprochement devrait constituer la règle - pour employer les termes du
Règlement, il devrait avoir lieu « normalement», ou « si possible » - les États
pouvant néanmoins y renoncer lorsque cela contrevient aux objectifs du
Règlement.
82 Mais quel que soit le bien-fondé de cette construction interprétative, le
manque de netteté de l'article 15 RD a ouvert la voie à une pratique
d'application qui ne semble reconnaître aucune obligation, et dont le
caractère fondamental est d'être considérablement restrictive97•

94
Voir en ce sens K. HAILBRONNER, Asylum law in the context of a European
migration policy, in: N. WALKER (éd.), Europe's area of freedom, security and
justice, Oxford (OUP), 2004, pp. 41-88, à la p. 76.
95 Voir, dans une situation similaire, CJCE, C-282/02, Commission/Irlande, Rec. 2005, 1-
4653, cons. 29-30. Par ailleurs, comme nous l'avons vu, l'art. 11 RE parle de
«l'opportunité ou la nécessité d'un rapprochement[ ... ]».
96
Voir également Règlement d'exécution, art. 11 : « [... ] il faut tenir compte de l'état
des différentes procédures d'asile[ ... ]».
97
Voir Rapport HCR (note 64), pp. 34-35, notamment à la p. 34 (caractères romains
ajoutés) : « Austrian authorities noted that sorne Member States deny all Article 15
requests, which in their opinion is of sorne concern, even if the Regulation does not
compel States to accept these requests ». Voir également Rapport CERE (note 54),
pp. 160-161. Sous l'angle quantitatif, l'auteur ne dispose de données détaillées que
pour l'Allemagne (source : BAFI). Entre septembre 2003 et décembre 2005, les
requêtes d'application de l'article 15 adressées par l'Allemagne aux autres États

178
6. Le Règlement Dublin II et l-'unité de la famille : remarques
conclusives

a) Les avancées limitées du Règlement Dublin ll en matière de


protection de l'unité familiale
83 En 1996, Rosemary BYRNE et Andrew SHACKNOVE écrivaient en des
termes particulièrement limpides98 :
The Dublin Convention reflects a tension between the explicit recognition
that, in principle, certain substantive criteria, including family ties, are of
primary importance and the reality that most cases are resolved on the
basis of documentary technicalities and nearly random patterns of flight.
[ ... ] The next step in the evolution and refinement of the Dublin regime
should involve an expanded recognition of the importance of various
substantive links between the asylum seeker and the putative host State.
Such links include : the legal presence of farnily members ; prior periods of
residence for professional or educational reasons ; strong linguistic and
cultural ties between the asylum-seeker and the putative asylum country ;
or the existence of a well-established expatriate community.

Sous l'angle de la prise en compte des liens familiaux, des progrès ont été
accomplis dans le passage du dispositif Dublin 1 au dispositif Dublin Il, mais
pas dans le sens préconisé par ces deux auteurs.
84 Il convient en effet de relever que le Règlement Dublin prévoit une
protection renforcée de l'unité des familles composées de demandeurs d'asile,
mais que tel n'est pas le cas en ce qui concerne les« cas mixtes».
85 Dans le premier cas de figure, trois dispositions convergent pour assurer
le maintien de l'unité familiale: l'article 14 et l'article 8 RD, qui sont
d'application générale, et l'article 4 § 3, qui couvre le cas des mineurs qui
accompagnent un demandeur d'asile ou qui naissent successivement à
l'entrée de celui-ci sur le territoire des États membres. La principale
hypothèse à ne pas être couverte par ces dispositions est celle où un
ressortissant de pays tiers dépose une demande d'asile dans un État membre,
et un membre de sa famille dépose à son tour sa demande alors que celle du
premier a été rejetée en première instance (cf. supra, no 67). Les progrès par

membres ont représenté le 0,3 % du total des requêtes de prise en charge envoyées (37
sur 12 296), et ont été accueillies dans le 43 %des cas (16 cas en chiffres absolus). Les
requêtes d'application de l'article 15 adressées à l'Allemagne ont été en revanche le
0,9 % du total des requêtes de prise en charge (138 sur 14 573), et elles n'ont été
accueillies que dans le 25% des cas (34 cas en chiffres absolus).
98
R. BYRNE, A. SHACKNOVE (note 53), à la p. 206.

179
rapport à la Convention de Dublin, qui dans ces situations laissait entièrement
le maintien de l'unité familiale à la discrétion des États membres, sont
notables, mais il ne faut pas sous-estimer l'incidence des situations que nous
avons signalées en dernier, ainsi que les limitations inhérentes à l'article 4 § 3
RD, que nous avons signalées supra, au n° 57.
86 En revanche, pour les «cas mixtes», le seul progrès à signaler concerne
les mineurs non accompagnés, qui jouissent en principe de la garantie légale
du regroupement avec un membre de leur famille se trouvant dans l'Union
(cf. supra, no 59)99• Pour les autres cas, le seul critère assurant le
regroupement familial reste celui de i'article 7 RD, qui reprend en substance
l'ancien article 4 CD et qui a donc une portée extrêmement limitée (cf. supra,
no 8-11). Le Règlement est donc gravement lacunaire sous l'angle de la
protection de la famille, dans la mesure où il n'assure point le rapprochement
entre le demandeur d'asile et les membres de sa famille qui résident dans un
État membre en tant que ressortissants de cet État, de bénéficiaires d'un statut
de protection, ou en tant qu'immigrants ordinaires.
87 Encore faut-il relever que la situation juridique ainsi résumée ne concerne
que les liens familiaux visés par l'article 2lit. i RD, et que donc le Règlement
ne prévoit aucun critère légal visant à maintenir ensemble ou à rapprocher les
parents proches qui ne relèvent pas de la notion de« membres de la famille».
De plus, le Règlement traite de manière nettement différente les liens
familiaux qui existaient dans le pays d'origine, ceux qui ont été noués après le
départ du pays d'origine et ceux qui ont été noués après le dépôt de la
demande d'asile - à 1'exception du cas de naissance sur le territoire de
l'Union (art. 4 § 3 RD). Les rapports relevant de la de~ième catégorie, aussi
étroits soient-ils, ne relèvent pas de la notion de famille résultant de l'article 2
lit. i RD, et ne sont pris en compte qu'aux fins de l'application de l'article 7
RD (cf. supra, n° 65). Les rapports qui relèvent de la troisième catégorie,
pour leur part, ne sont en principe pas pris en compte aux fins de la
détermination de l'État responsable (voir art. 5 § 2 RD).

99
Nous avons dit «en principe», car les Rapports du HCR et du CERE font état d'une
application défaillante de l'article 6 RD de la part de nombreux États membres
(cf. supra, n° 60 ss).

180
b) Les logiques du nouveau régime.: contrôle migratoire c.
protection de l'unité familiale
88 Dans son ensemble, le nouveau système des critères fondés sur les liens
familiaux du demandeur d'asile se caractérise par une modulation de la
protection de l'unité familiale, qui varie en fonction de plusieurs distinctions
qui se croisent et qui se chevauchent en partie : rapport parents/enfant - autres
rapports ; famille nucléaire - famille élargie ; famille existante dans le pays
d'origine- famille constituée dans l'UE; famille constituée de demandeurs
d'asile - famille « mixte ».
Le préambule dù Règlement explique que la réécriture des critères de
responsabilité a été guidée, entre autres, par le souci de mieux protéger la
famille (cons. 6). Dans cette optique, certaines des distinctions que nous
venons de rappeler sont pertinentes. Il est par exemple raisonnable, en
principe, de mieux protéger la famille nucléaire et plus particulièrement les
rapports entre enfants mineurs et parents. Cette clé de lecture est toutefois
insuffisante pour expliquer d'autres différences de traitement, par ex. celle
entre familles de demandeurs d'asile et familles « mixtes ». La clé de lecture
complémentaire, qui · explique largement les restrictions à la réunification
familiale résultant du Règlement, est celle du contrôle migratoire 100•
89 Cette optique offre d'abord une motivation alternative à la réduction de la
famille à la famille nucléaire (art. 2lit. i RD): celle de minimiser les attaches
familiales donnant lieu à attribution de responsabilité, d'une part, et celle de
sauvegarder l'intégrité du régime de regroupement familial institué par la
Directive n° 2003/86, d'autre part101 •
Les différences de traitement fondées sur le lieu de formation du lien familial
s'expliquent aussi aisément, dans cette perspective, par un souci de lutte
contre les « abus ». En effet, la possibilité de faire. valoir des rapports
familiaux noués après l'entrée dans l'Union, voire après le dépôt de la
demande, comporte un risque de contournement de l'application des critères
de responsabilité 102•

100 Sur la prévalence de la logique du contrôle migratoire sur celle de la protection de la


famille voir S. BARBOU DES PLACES, Le dispositif Dublin 2 ou les tribulations de
la politique communautaire de l'asile, EUl Working Papers LAW 2004/6, Badia
Fiesolana, 2004, pp. 18-19.
101
Cf. supra, n° 50 ss.
102 Cette préoccupation transparaît avec une grande clarté des arguments présentés par le
State Secretary for the Home Department dans l'affaire Nicholas: voir QBD, Regina

181
Il convient enfin de garder à l'esprit le fait que les critères de responsabilité
traduisent un compromis politique entre États membres porteurs d'intérêts et
de situations différents (cf. supra, chap. III, no 92). Dans le cas des familles
entièrement composées de demandeurs d'asile, qui présentent leurs demandes
simultanément ou à de moments rapprochés sur le territoire de l'Union, il est
difficile de déceler un effet distributif suffisamment caractérisé pour motiver
une opposition ferme à l'élargissement des critères familiaux. L'inverse est
vrai en ce qui concerne les cas mixtes. En effet, l'attribution de la
responsabilité à l'État où résident- à divers titres- des membres de la famille
du demandeur d'asile est de nature à pénaliser les États ayant une forte
présence étrangère sur leur territoire. L'opposition de ces États à
1' élargissement des critères familiaux de ce genre explique pour beaucoup le
traitement restrictif réservé aux cas mixtes par le Règlement103 .

c) Les principales lacunes du régime établi par le Règlement


90 Le nombre de dispositions que le Règlement Dublin II consacre à la
protection de la famille peut induire en erreur 104 • La confrontation entre les
deux logiques concurrentes de la protection de l'unité familiale, d'une part, et
du contrôle des «flux», d'autre part, a produit un régime de la réunification
familiale certes plus protecteur que celui de la Convention de Dublin, mais
qui n'en est pas moins gravement lacunaire.
91 Comme il a été relevé par plusieurs commentateurs, les deux dispositions
les plus problématiques à cet égard sont l'article 2 lit. i et l'article 7 RD.
D'une part, en effet, la définition de« membre de la famille» valable aux fins

c. SSHD ex parte Nicholas (note 25). Voir également S. BARBOU DES PLACES
(note 100), pp. 20-21.
103 Cette dimension politique de la définition des critères de responsabilité fondé sur le
lien familial ressort assez clairement des travaux préparatoires du Règlement. L'Italie
et la Grèce, i.e. les États membres à l'époque les plus désavantagés par le critère du
franchissement illégal, ont longtemps insisté sur une définition plus large du critère
actuellement prévu par l'article 7 RD. En revanche, le Royaume-Uni et les Pays-Bas
ont formulé une réserve sur le fait qu'une définition plus large de famille s'applique
dans le cadre de cette disposition (cf. supra, n° 65) : voir doc. CNS no 6344/02, p. 7, et
doc. CNS n° 930511/02, p. 10. Il faut néanmoins signaler que les Pays-Bas ont
également insisté pour que l'article 7 s'applique également lorsque le membre de la
famille est bénéficiaire d'un statut de protection subsidiaire (ibidem)- et ont été par la
suite cohérents avec cette position (cf. supra, no 66).
104 Voir R. ROSSANO, Il regolamento comunitario sulla determinazione dello Stato
membro competente ad esaminare la domanda di asilo, DCSI (2004), pp. 371-382, à la
p. 376.

182
de l'application du Règlement est trop restrictive pour que les atteintes à la
vie familiale des demandeurs d'asile soient prévenues dans la majorité des
cas 105 • D'autre part, l'article 7 RD souffre des mêmes limitations de l'article
4, ce qui signifie qu'en dehors des cas visés par l'article 6 RD (mineurs non
accompagnés) le rapprochement familial n'est pas systématiquement garanti
dans les situations « mixtes » - quelle que soit en 1' espèce la nature et
l'intensité du lien familial 106•
92 La rédaction pointilleuse des autres dispositions du Règlement ouvre
encore d'autres brèches dans le système de protection de l'unité familiale. Il
en va ainsi en particulier de l'article 4 § 3 RD, qui ne garantit pas une
protection complète de la famille nucléaire de l'enfant (cf. supra, n° 57), et de
l'article 8 RD, qui n'est applicable que jusqu'à la décision de première
instance sur la demande d'asile du membre de la famille et risque de ce fait
d'être réduit, dans la pratique de plusieurs États membres, à une fonction
purement ornementale (cf. supra, no 67). On mentionnera encore, à titre
d'exemple, le fait que l'article 6 RD s'applique lorsque le demandeur d'asile
est un mineur non accompagné, et que le parent se trouve légalement dans
l'Union, mais que ses rédacteurs ont oublié de le rendre applicable à la
situation inverse, qui est a priori caractérisée par la même exigence
impérieuse de procéder au rapprochement familial, et qui est en revanche
reléguée au nombre des situations visées par la clause humanitaire.
93 Au vu de ce qui précède, il n'est donc point surprenant que l'application
du dispositif Dublin II porte, similairement à celle du dispositif Dublin 1,
fréquemment et parfois gravement atteinte à l'unité familiale 107 •
94 Il est certes loisible aux autorités nationales de prévenir ces atteintes en
faisant recours aux clauses de souveraineté et humanitaire 108 • Telle n'est
toutefois pas l'orientation prévalente dans l'application du dispositif Dublin
II. Au contraire, il apparaît que dans plusieurs États membres la pratique
d'application des dispositions du Règlement soit défaillante précisément sous
l'angle de la protection de la famille (cf. supra, no 58, 60-63 et 82).
95 D'un point de vue juridique, ce regrettable état des choses soulève la
question de la compatibilité du Règlement avec les exigences de respect de
l'unité familiale que définissent de nombreux instruments internationaux de

105 ..
Voir B. SCHRODER (note 65), à la p. 130.
106 Voir notamment B. SCHRÔDER (note 65), ibidem; U. BRANDL (note 39), à la p. 46.
107 Voir Rapport HCR (note 64), pp. 25-29 et 57-58.
108 ..
Voir B. SCHRODER (note 65), à la p. 130.

183
protection des droits de l'homme 109 ou pour mieux dire, il induit l'interprète à
s'interroger sur les relations qui courent entre le dispositif Dublin Il, d'une
part, et la systématique des droits de l'homme, d'autre part.
Tel est le thème qui fait l'objet de la troisième partie de cet ouvrage.

109 Ainsi l'exprime Ulrike BRANDL: « Whereas the provisions contained in Arts. 6-8
and 14 should guarantee the respect for family life of the persans concerned still
scenarios might arise where families are separated contrary to humanitarian aspects
or where even an interference with Art. 8 ECHR could occur. » (U. BRANDL, note
39, à la p. 46).

184
Troisième partie

Les règles de Dublin et les droits


fondamentaux
Chapitre V
Le dispositif Dublin II et les droits fondamentaux -
encadrement systématique

1 L'analyse développée au cours de la Partie II du présent ouvrage, dont


l'objet étaient les principes de fonctionnement du système de Dublin, sa mise
en œuvre et son impact sur l'unité des familles des demandeurs d'asile, était
délibérément partielle. En effet, elle a été menée comme si les dispositifs
Dublin I et II étaient des corps juridiques séparés de la systématique des
droits fondamentaux, pouvant être interprétés et appliqués en faisant
abstraction de celle-ci.
Tel n'est cependant pas le cas. Cette Partie III est précisément consacrée à
l'illustration des implications que les exigences tenant à la protection des
droits fondamentaux ont pour le régime de détermination de l'État
responsable actuellement en vigueur, le dispositif Dublin II. Les chapitres
suivants, VI et VII, ont respectivement pour objet l'analyse des exigences
matérielles et procédurales inhérentes à l'observation du droit au respect de la
vie familiale. Le présent chapitre, qui en constitue le préalable nécessaire, a
en revanche pour objet d'esquisser le cadre systématique des relations entre
droits fondamentaux et dispositif Dublin II.

A. Le dispositif Dublin II et les droits fondamentaux tels


que protégés. par l'ordre juridique communautaire

1. Les droits fondamentaux dans l'ordre juridique


communautaire
2 Selon une ligne jurisprudentielle qui remonte à l'arrêt Stauder, rendu par
la Cour de justice en 1969, les droits fondamentaux font partie intégrante des
principes généraux du droit communautaire1. Cette jurisprudence a reçu la

CJCE, aff. 29/69, Stauder, Rec. 1969, 419; voir également CJCE, aff. 11/70,
Internationale Handelsgesellschaft, Rec. 1970, 1125, cons. 4 ; CJCE, aff. 4/73, Nold,

187
sanction formelle du «constituant européen». L'article 6 § 2 TUE lui donne
en effet un ancrage explicite dans le droit primaire :
L'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils
résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres,
en tant que principes généraux du droit communautaire.

La référence à la CEDH et aux « traditions constitutionnelles communes aux


États membres » appelle un certain nombre de précisions. D'abord, il y a lieu
de rappeler que l'Union n'est liée ni par la CEDH2 , ni par les droits nationaux
des États membres 3 • Ces ensembles normatifs constituent plutôt les sources
d'inspiration privilégiées à partir desquelles la Cour dégage les principes
généraux du droit communautaire qui - eux - s'imposent à l'Union.
L'énumération de l'article 6 TUE pêche par ailleurs par défaut. La Cour tire
en effet des indications en la matière également d'autres «instruments
internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les
États membres ont coopéré ou adhéré »4 , bien que la CEDH revête une
importance particulière dans ce contexte 5.

Rec. 1974, 491, cons. 13. En doctrine, parmi d'innombrables contributions, voir
F. MANCINI, V. DI BUCCI, Le développement des droits fondamentaux en tant que
partie du droit communautaire, in: RCADE, 1990, vol. 1, livre 2, pp. 27-52, ainsi que
G. C. RODRIGUEZ IGLESIAS, The protection offundamental rights in the case law
of the Court of justice of the European Communities, CJEL (1995), pp. 169-181.
L'intégration de l'ordre juridique communautaire au travers de la reconnaissance des
principes généraux du droit remonte à l'affaire Algera de 1957- relative aux principes
généraux du droit administratif - qui est particulièrement illustrative des motivations
qui ont poussé la Cour à franchir le pas : le devoir du juge, assurer « le respect du droit
dans l'interprétation et l'application du [ ... ] traité» (art. 220 TCE), et le caractère
lacunaire du droit communautaire écrit. Voir à ce sujet P. PESCATORE, La carence
du législateur communautaire et le devoir du juge, in: G. LÜKE, G. RESS, M. WILL
(éds.), Rechtsvergleichung, Europarecht, Staatenintegration: Gedachtnisschrift für
Léontin-Jean Constantinesco, Cologne (Carl Heymanns), 1983, pp. 559-580; J.-V.
LOUIS, T. RONSE, L'ordre juridique de l'Union européenne,
Genève/Bâle/Munich/Bruxelles/Paris (Helbing & Lichtenhahn!Bruylant!LGDJ), 2005,
§ 145.
2
CJCE, avis 2/94, « CEDH », Rec. 1996, 1-1761, cons. 33-34. Voir également TPI,
aff. T-347/94, Mayr-Melnhof, Rec. 1998, ll-1751, cons. 311.
Voir CJCE, Internationale Handelsgesellschaft (note 1), cons. 3, et CJCE, aff. 44/79,
Hauer, Rec. 1979,3727, cons. 13-16.
4
CJCE, Nold (note 1), cons. 13. Cette référence plus large permet à la Cour de prendre
en compte des instruments telle PIDCP (voir CJCE, aff. C-249/96, Grant, Rec. 1998,

188

----:1
3 Parallèlement au développement progressif d'un catalogue non écrit de
droits fondamentaux «communautaires», plusieurs initiatives ont été prises
pour doter l'Union d'un véritable bill ofrights.
On mentionnera, d'abord, les initiatives tendant à l'adoption d'une Charte
communautaire des droits fondamentaux. Ces initiatives ont partiellement
abouti. Une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne a en effet
été solennellement proclamée par les institutions de l'Union en 2000 6• Elle est
cependant dépourvue d'effets juridiquement obligatoires, tout en constituant
un texte de référence important en la matière7 •
On mentionnera également, en deuxième lieu, les initiatives entreprises au
cours des dernières décennies en vue de 1' adhésion des Communautés
européennes -dans un premier temps -et de l'Union - dans un deuxième
temps - à la CEDH. En l'état actuel, tout progrès dans cette direction est
empêché du fait que les Traités UE et CE ne contiennent, selon la
jurisprudence de la CJCE, aucune base juridique autorisant la conclusion d'un
accord d'adhésion8•

I-621, cons. 44) et la Convention relative aux droits de l'enfant (voir CJCE,
aff. 540/03, PElConseil, arrêt du 27 juin 2006, non encore publié au Recueil, cons. 37).
5
Voir CJCE, aff. jointes 46/87 et 227/88, Hoechst, Rec. 1989, 2859, cons. 13.
6
JO 2000 C 364/1. Sur les précédents actes communautaires de proclamation des droits
fondamentaux, voir R. BIEBER, K. DE GUCHT, K. LENAERTS, J. H. H. WEILER
(éds.), Au nom des peuples européens : un catalogue des droits fondamentaux de
l'Union européenne, Baden-Baden (Nomos), 1996.
7
À ce jour, la Cour de justice s'est gardée de motiver ses arrêts en s'appuyant aux
dispositions de la Charte. Sa réticence à aborder la question de sa valeur juridique est
particulièrement bien illustrée par CJCE, aff. C-547/03 P, AIT/Commission, arrêt du
13 janvier 2006, non encore publié au Recueil, cons. 47-52 (voir cependant CJCE,
PE!Conseil, note 4, cons. 38). En revanche, le Tribunal de première instance et les
avocats généraux s'y réfèrent de plus en plus fréquemment, surtout pour en tirer des
indications au sujet de la reconnaissance d'un droit déterminé en tant que principe
général du droit communautaire : voir par ex. TPI, aff. T -279/02,
Degussa/Commission, arrêt du 5 avril 2006, non encore publié au Recueil, cons. 115 ;
av. gén. KOKOTT, aff. C-10/05, Mattern, conclusions présentées le 15 décembre
2005, non encore publiées au Recueil, cons. 34 et note 28. Cette orientation correspond
partiellement aux prévisions de M. W ATHELET, La Charte des droits fondamentaux :
un bon pas dans une course qui reste longue, Cah. dr. eur. (2000), pp. 585-593, à la
p. 591. Pour une perspective plus large sur la question, voir notamment A. BARBERA,
La Carta europea dei diritti: unafonte di ri-cognizione ?, DUE (2001), pp. 241-259,
notamment aux pp. 249-254 ; B. DE WITTE, The legal status of the Charter : vital
question or non-issue?, MJECL (2001), pp. 81-89.
Voir CJCE, « CEDH » (note 2), cons. 23-36. Il existe par ailleurs un autre obstacle
juridique à l'adhésion de l'UE à la CEDH. En l'état actuel, seuls peuvent adhérer à

189
4 L'entrée en vigueur du Traité établissant une Constitution pour l'Europe9
constituerait une avancée décisive dans les deux directions. Premièrement,
elle donnerait à la Charte des droits fondamentaux, telle que reprise en la
Partie II du Traité, une valeur juridiquement contraignante. Deuxièmement,
elle comporterait l'attribution à la «nouvelle» Union européenne d'une
compétence expresse pour adhérer à la CEDH (art. 9 § 2 TC).
5 À présent, toutefois, la source principale des droits fondamentaux dans
l'ordre juridique communautaire est la même qu'en 1969 : ils figurent en
place prééminente (art. 6 § 2 TUE) parmi les principes généraux du droit
communautaire, catégorie qui inclut par ailleurs d'autres principes de droit
non écrit10 •

2. La valeur normative des principes généraux du droit


communautaire
6 Le respect des principes généraux du droit communautaire s'impose aux
institutions de l'Union (voir art. 6 § 2 TUE), ce qui en fait une source de droit
hiérarchiquement supérieure aux mesures qu'elles adoptent.
Il s'ensuit que les dispositions de droit dérivé doivent être interprétées dans
toute la mesure du possible de manière conforme aux principes généraux du
droit communautaire. Si une telle interprétation conforme n'est pas possible,
la disposition de droit dérivé est en principe invalide 11 •
7 Au-delà de ces deux aspects - qui sont le corollaire de la relation
hiérarchique entre principes généraux et droit dérivé - le droit non écrit a
également pour effet, et pour fonction originaire (cf. supra, note 1), de
combler les lacunes du droit écrit12 •

cette Convention les États membres du Conseil de l'Europe (art. 59 CEDH). Cet
obstacle serait levé par l'entrée en vigueur du Protocole additionnel no 14 à la CEDH
(STE no 194, signé à Strasbourg le 13 mai 2004), dont l'article 17 prévoit l'insertion,
dans l'article 59 CEDH, d'un paragraphe 2 ainsi libellé: «L'Union européenne peut
adhérer à la présente Convention».
9 JO 2004 c 310/1.
10
En particulier, les principes généraux du droit administratif (cf. supra, note 1, et infra,
chap. VU, no 41 ss).
11 Voir CJCE, aff. 98/91, Herbrink, Rec. 1994,1-223, cons. 9.
12
Voir notamment CJCE, aff. jointes 7/56 et 3 à 7/57, Algera, Rec. 1957, 81, ainsi que
CJCE, aff. 17/74, Transocean Marine Paint, Rec. 1974, 1063, cons. 15.

190
8 Les États membres, sujets de l'ordre juridique communautaire au même
titre des institutions 13 , sont également tenus de respecter les principes
généraux lorsqu'ils agissent dans le champ d'application du droit
communautaire, et plus particulièrement lorsqu'ils le mettent en œuvre 14•
Cette obligation présente deux aspects.
Le respect des principes généraux constitue d'abord une limite à l'autonomie
procédurale et institutionnelle des États membres. Cela résulte de la
jurisprudence bien établie de la Cour et notamment du passage suivant, tiré de
l'arrêt Deutsche Milchkontor (italiques ajoutés) 15 :
Conformément aux principes généraux qui sont à la base du système
institutionnel de la Communauté et qui régissent les relations entre la
Communauté et les États membres, il appartient aux États membres, en
vertu de l'article [10 TCE], d'assurer sur leurs territoires l'exécution des
réglementations applicables [... ]. Pour autant que le droit communautaire,
y compris les principes généraux de celui-ci, ne comporte pas de règles
communes à cet effet, les autorités nationales procèdent[ ... ] en suivant les
règles de forme et de fond du droit national[ ... ].

Ici, les principes généraux sont pris en considération en tant que source de
normes procédurales qui s'imposent aux États membres - tout comme
d'éventuelles dispositions communautaires expresses -dans la mise en œuvre
du droit communautaire.
9 Mais les principes généraux lient les États membres également en tant
que normes d'interprétation et, le cas échéant, d'intégration des règles
communautaires matérielles qu'ils sont appelés à mettre en œuvre.
Cela ressort notamment de l'arrêt Wachauf, où la Cour affmne 16 :
[Les exigences découlant de la protection des droits fondamentaux dans
l'ordre juridique communautaire] liant également les États membres
lorsqu'ils mettent en œuvre des réglementations communautaires, il
s'ensuit que ceux-ci sont tenus, dans toute la mesure du possible,

13
CJCE, aff. 26/62, Van Gend en Loos, Rec. 1963, 1, à la p. 23, se cons.
M •
Pour une discussion au sujet des autres hypothèses dans lesquelles les Etats agissent
dans le cadre du droit communautaire, et sont donc tenus de respecter les principes
généraux, voir notamment J. H. H. WEILER, S. C. FRIES, A human rights policy for
the European Union: the question of competences, in: P. ALSTON (éd.), The EU and
human rights, Oxford (OUP), 1999, pp. 147-165, aux pp. 161-165. Voir également
P. CRAIG, G. DE BÜRCA, EU Law : text, cases and materials, Oxford (OUP), 3e éd.,
2003, pp. 337-349.
15
CJCE, aff. jointes 205 à 215/82, Deutsche Milchkontor, Rec. 1983,2633, cons. 17.
16
CJCE, aff. 5/88, Wachauf, Rec. 1989, 2609, cons. 19.

191
d'appliquer ces réglementations dans des conditions qui ne méconnaissent
pas lesdites exigences.

La Cour ne vise pas, dans ce passage, les modalités d'ordre procédural de la


mise en œuvre du droit communautaire. Elle vise le résultat matériel auquel
cette application conduit. En présence de deux ou plusieurs manières
d'interpréter et d'appliquer les dispositions communautaires pertinentes, et si
certaines de ces manières sont conformes aux droits fondamentaux et d'autres
ne le sont pas, les États membres sont tenus, à l'égard du droit
communautaire, d'opter pour les premières.
10 La limite de ce principe d'« application conforme» -qui va plus loin que
le principe d'« interprétation conforme», dans la mesure où il exige
également que le texte communautaire en cause soit intégré au travers des
principes communautaires non écrits 17 -trouve sa limite dans la présomption
de validité des actes communautaires, liée avec le monopole du juge
communautaire en ce qui concerne l'invalidation du droit communautaire
dérivé 18 • En effet, dans la mesure où une «application uniforme» n'est pas
possible car les dispositions communautaires pertinentes ne laissent pas aux
autorités nationales une marge interprétative ou discrétionnaire suffisante, la
question se pose en termes de validité de ces dispositions, et doit être tranchée
. . 19
par 1e JUge communautarre .

3. Les droits fondamentaux et les mesures communautaires en


matière d,asile
11 Dans le cas particulier des mesures communautaires en matière d'asile,
dont les mesures qui forment le dispositif Dublin II, l'obligation
communautaire de respecter les droits fondamentaux découle également de

17 Voir P. CRAIG, G. DE BURCA (note 14), p. 340. Pour un exemple particulièrement


intéressant, voir CJCE, aff. C-144/04, Mangold, arrêt du 22 novembre 2005, non
encore publié au Recueil, cons. 55-78, notanunent cons. 74-78.
18 Voir CJCE, aff. 314/85, Foto-Frost, Rec. 1987,4199, cons. 13-17.
19
Voir CJCE, Wachauf(note 16), cons. 19-22. Dans l'arrêt PE/Conseil du 27 juin 2006
(note 4), la CJCE semble élargir les hypothèses dans lesquelles une disposition
communautaire peut être invalidée pour violation des droits fondamentaux (cons. 23,
italiques ajoutés): « [U]ne disposition d'un acte communautaire pourrait, en tant que
telle, ne pas respecter les droits fondamentaux si elle imposait aux États membres ou
autorisait explicitement ou implicitement ceux-ci à adopter ou à maintenir des lois
nationales ne respectant pas lesdits droits». Cependant, tout le long de la motivation
de l'arrêt, la Cour s'en tient au principe énoncé dans l'arrêt Wachauf (voir par ex. aux
cons. 85-88), et le rappelle d'ailleurs expressément au cons. 104.

192
sources différentes que les principes généraux, sur lesquels nous nous
sommes arrêtés jusqu'ici.
12 Il y a lieu de se référer en premier lieu à l'article 63 no 1 TCE. Aux
termes de cette disposition, les mesures communautaires en matière d'asile
doivent être
conformes à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et au Protocole du
31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ainsi qu'aux autres traités
pertinents [ ... ].

Cette disposition fait de la conformité à ces conventions et traités une


condition de validité des mesures en matière d'asile (conformité au traité:
art. 230 TCE). Par là même, il les érige en points de référence obligatoire
pour leur interprétation et application.
13 Il faut souligner que l'article 63 no 1 TCE ne fait pas double emploi avec
l'article 6 § 2 TUE, car il place «au-dessus» de la législation communautaire
en matière d'asile des normes juridiques différentes de celle que vise cette
dernière disposition.
L'article 63 vise en effet la Convention de Genève, d'une part, et les autres
«traités pertinents», d'autre part. La construction de l'article 63 no 1 suggère
un seul critère valable aux fins de l'individuation de ces derniers : leur
connexité ratione materiae avec les domaines énumérés aux lettres a-d.
Selon une interprétation restrictive, cette disposition viserait exclusivement
les traités universels ou régionaux, actuels et futurs, relatifs à l'« asile » au
sens communautaire (cf. supra, chap. III, n° 2). Les traités «pertinents»
seraient donc, en particulier, l'Accord européen relatif à la suppression des
visas pour les réfugiés 20 et 1' Accord européen sur le transfert de la
responsabilité à l'égard des réfugiés 21 • Une telle interprétation ne tient
cependant pas compte de l'étendue des compétences dévolues à la

20
STE no 31, signé à Strasbourg le 20 avril 1959, entré en vigueur le 4 septembre 1960.
Cet accord n'a pas été ratifié par l'ensemble des États participant à la mise en œuvre
du dispositif Dublin IL En particulier, il n'a pas été ratifié par l'Autriche, Chypre,
l'Estonie, la Grèce, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie et la Slovénie. Son application
a par ailleurs été suspendue en France (1986) et au Royaume-Uni (2003).
21
STE No 107, signé à Strasbourg le 16 octobre 1980, entré en vigueur le 1er décembre
1980. Cet accord n'a pas été ratifié par l'ensemble des États participant à la mise en
œuvre du dispositif Dublin IL En particulier, il n'a pas été ratifié par l'Autriche, la
Belgique, Chypre, l'Estonie, la France, la Grèce, la Hongrie, l'Irlande, l'Islande, la
Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, la République Tchèque, la Slovaquie et la
Slovénie.

193
Communauté par l'article 63 no 1 lit. a-d. Celles-ci couvrent des questions
tenant à l'admission des réfugiés dans le territoire des États membres (voir
notamment les lettres a et d), ainsi qu'au traitement dont ils doivent bénéficier
avant et après l'examen de leur demande d'asile (voir notamment les lettres b
et c). Dans tous ces domaines, la «pertinence» des grands textes du droit
international en matière de protection des droits fondamentaux peut
difficilement être contestée. Cela est admis en doctrine en ce qui concerne la
Convention européenne des droits de l'homme22 . Mais du moment que la
connexité de la Convention avec l'article 63 TCE est une connexité ratione
materiae, il n'y a pas de raison convaincante d'exclure la «pertinence» du
Pacte international sur les droits civils et politiques ainsi que d'autres
conventions spécialisées, telles la Convention sur les droits de l'enfant et les
deux Conventions - universelle et européenne - sur la prévention de la
torture23 •
On notera que certains de ces textes sont explicitement ou implicitement
compris dans le renvoi opéré par l'article 6 § 2 TUE (cf. supra, no 2). Dans le
contexte de l'article 63 TCE, toutefois, la médiation des «principes généraux
du droit communautaire » semblerait faire défaut. Les conventions et traités
auxquels est effectué le renvoi seraient donc en principe « incorporés » en
tant que tels au texte de l'article 63 no 1 TCE, et joueraient directement- par
l'intermédiaire du Traité - le rôle de « normes supérieures » des dispositions
communautaires en matière d'asile 24, sans préjudice de l'applicabilité des
principes généraux du droit communautaire.

22
Voir notamment S. PEERS, EU justice and home affairs law, Londres/New York
(Longman), 2000, p. 127 ; L. SCHMAHL, Commentaire aux articles 61 à 69 TCE, in:
H. VON DER GROEBEN, J. SCHWARZE (éds.), Kommentar zum Vertrag über die
Europaische Union und zur Gründung der Europaischen Gemeinschaft, Baden-Baden
(Nomos), 6e éd., 2003, pp. 1795-1896, à la p. 1853; A. Dl PASCALE, Articolo 63, in:
A. TIZZANO (éd.), Trattati dell'Unione europea e della Comunità europea, Milan
(Giuffré), 2004, pp. 442-450, § II.2.
23
Sans citer expressément le PIDCP, A. DI PASCALE (note précédente), loc. cit.,
s'exprime dans le même sens. Au sujet de la Convention relative aux droits de l'enfant,
il y a lieu de souligner que son art. 22 vise expressément la situation des enfants
réfugiés et demandeurs d'asile (cf. infra, chap. VII, n° 25 ss).
24
La technique employée dans la rédaction de l'article 63 no 1 TCE, qui est celle
d'incorporer au texte d'une« base juridique» un renvoi à d'autres textes juridiques qui
deviennent ainsi hiérarchiquement supérieurs aux mesures dont est prévue l'adoption,
se retrouve aussi en d'autres dispositions du Traité CE. L'article 286 TCE en constitue,
dans un contexte tout à fait différent, un exemple. Pour une analyse de cette technique
et de ses implications, nous nous permettons de renvoyer à F. MAIANI, Le cadre

194
14 La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenné5 doit
également être prise en compte lors de l'interprétation du Règlement
Dublin II, non pas en vertu de l'article 63 TCE - la Charte ne saurait être
qualifiée de « traité » - mais en vertu de sa valeur générale de texte de
référence (cf. supra, no 3) et surtout en vertu de la mention expresse qu'en
fait le considérant 15 du préambule du Règlement26 • Cette mention justifie à
elle seule que l'on se réfère aux dispositions de la Charte en tant que moyen
complémentaire d'interprétation des dispositions du Règlement27 •

B. Le dispositif Dublin II et les obligations internationales


des États participant à sa mise en œuvre

1. Obligations communautaires et obligations internationales


15 Il ressort de ce qui précède que la validité du dispositif Dublin II dépend
de sa conformité, d'une part, avec les principes généraux du droit
communautaire, et d'autre part avec les conventions et traités mentionnés à
l'article 63 TCE. Le contrôle de légalité du dispositif Dublin II revient
exclusivement au juge communautaire, notamment au travers de la procédure
de renvoi préjudiciel prévue par l'article 68 TCE.

réglementaire des traitements de données personnelles effectués au sein de l'Union


européenne, RTDE (2002), pp. 283-309, aux pp. 294-296.
25 JO 2000 c 364/1.
26
« Le présent règlement respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui
sont reconnus, notamment, par la charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne. En particulier, il vise à assurer le plein respect du droit d'asile garanti par
son article 18 ». Relevons, par ailleurs, qu'une mention similaire figure dans le
préambule de la plupart des mesures arrêtées sur le fondement de l'article 63 TCE.
27
La référence au caractère « complémentaire » du préambule en tant que moyen
d'interprétation ne doit être aucunement lu comme une référence à l'article 32 de la
Convention de Vienne sur le droit des traités, mais bien comme une référence à la
place que la jurisprudence de la Cour lui assigne parmi d'autres moyens
d'interprétation. Voir CJCE, aff. C-298/00 P, Italie/Commission, Rec. 2004, 1-4087,
cons. 97 (italiques ajoutés) : «le dispositif d'un acte est indissociable de sa motivation
et doit être interprété, si besoin est, en tenant compte des motifs qui ont conduit à son
adoption». Sur l'exigence de tenir compte de la Charte dans l'interprétation des actes
communautaires qui s'y réfèrent, voir CJCE, FE/Conseil (note 4), cons. 38 ;
M. CANDELA SORIANO, C. CHENEVIERE, Droit au regroupement familial et
droit au mariage du citoyen de l'Union européenne et des membres de sa famille à la
lumière de la Directive 2004/38/CE, RTDH (2005), pp. 924-953, aux pp. 939-940.

195
De plus, les États membres sont tenus d'interpréter et d'appliquer le dispositif
Dublin II conformément aux standards définis dans ces sources, la Charte des
droits fondamentaux de l'Union européenne jouant également un rôle dans ce
contexte en vertu du considérant 15 du Préambule du Règlement no 343/2003.
Cette obligation dérive de l'ordre juridique communautaire, et son respect est
également soumis au contrôle de la Cour de justice - notamment au travers de
la procédure de recours en manquement et la procédure de renvoi préjudiciel.
16 Or, au-delà de ces obligations communautaires, les États membres
demeurent également liés par les obligations internationales qu'ils ont
assumées en ratifiant, par ex., la CEDH et le PIDCP. En principe, lorsqu'ils
mettent en œuvre le dispositif Dublin II, ils sont donc tenus de se conformer à
la fois au droit communautaire et aux instruments internationaux qui les lient,
cette fois en tant qu'États contractants et en vertu du droit international. Des
difficultés ne surgissent à cet égard que dans la mesure où le droit
communautaire, d'une part, et le droit international, d'autre part, imposent
aux États membres des obligations contradictoires.
Cette question du rapport entre obligations communautaires et obligations
internationales des États membres a fait l'objet de développements
particuliers dans la jurisprudence de la Cour EDH, qu'il y a lieu maintenant
d'examiner.

2. La CEDH et le dispositif Dublin II


17 La Cour européenne des droits de l'homme a eu l'occasion de se pencher
sur les rapports entre la CEDH et la Convention de Dublin en l'affaire T.I.
c. R oyaume- Um-28 .
Les faits de l'affaire peuvent être résumés de la manière suivante. En 1996,
Monsieur T.I. fuit le Sri Lanka et se rend en Allemagne, où il présente une
demande d'asile. Au mois de septembre 1997, à la suite du rejet de celle-ci, il
se rend clandestinement au Royaume-Uni où- appréhendé à la frontière- il
présente une nouvelle demande d'asile. En application de la Convention de
Dublin fraîchement entrée en vigueur, les autorités britanniques refusent
d'examiner sa demande et le renvoient vers l'Allemagne. Craignant d'être
refoulé «en chaîne» vers son pays d'origine, il saisit les juridictions
anglaises et, après avoir épuisé les voies de recours internes, il s'adresse à la
Cour, alléguant dans son recours qu'en le renvoyant en Allemagne, le

28 Cour EDH, T.I. c. Royaume-Uni, req. no 43844/98, décision du 7 mars 2000,


Recueil 2000- ill.

196
Royaume-Uni se rendrait responsable - notamment - d'une violation de
l'article 3 CEDH (cf. supra, chap. I, no 30).
Dans ses plaidoiries, le gouvernement britannique avance que le renvoi d'un
demandeur d'asile vers un autre État partie à la CEDH ne saurait engager sa
responsabilité au regard de l'article 3. Il souligne également que le fait de lui
assigner le rôle de gardien des pratiques allemandes en matière d'asile
« compromettrait le bon fonctionnement de la Convention de Dublin, mise en
application pour attribuer équitablement et efficacement aux États d'Europe
la responsabilité de l'examen des demandes d'asile» (p. 485).
18 La réponse de la Cour à ces arguments est nette (p. 488) :
La Cour estime qu'en l'espèce, le refoulement indirect vers un pays
intermédiaire qui se trouve être également un État contractant [de la
CEDH] n'a aucune incidence sur la responsabilité du Royaume-Uni, qui
doit veiller à ne pas exposer le requérant à un traitement contraire à
l'article 3 de la Convention par sa décision de l'expulser. Dans ce contexte,
le Royaume-Uni ne peut pas non plus s'appuyer d'office sur le système
établi par la Convention de Dublin pour attribuer, au sein des pays
européens, la responsabilité de statuer sur les demandes d'asile. Lorsque
des États établissent des organisations internationales ou, mutatis mutandis,
des accords internationaux pour coopérer dans certains domaines
d'activité, la protection des droits fondamentaux peut s'en trouver affectée.
Il serait contraire au but et à l'objet de la Convention que les États
contractants soient ainsi exonérés de toute responsabilité au regard de la
Convention dans le domaine d'activité concerné.

La dernière partie de ce passage vaut réaffirmation du principe jurisprudentiel


bien établi, et de portée générale, selon lequel les États parties à la
Convention ne peuvent se délier des engagements qu'ils ont assumés en vertu
de celle-ci au travers de la conclusion d'autres accords internationaux29 •
Comme la Cour 1' affirme explicitement, donc, en mettant en œuvre la
Convention de Dublin, ·les États doivent veiller à respecter les droits garantis
parlaCEDH.
19 Le remplacement de la Convention de Dublin par un règlement
communautaire, le Règlement Dublin II, modifie en partie les termes et le
contexte de la question. Il s'agit désormais de savoir si et dans quelle mesure
les États membres sont tenus de respecter la CEDH lorsqu'ils mettent en

29
Voir Comm. EDH, Tête c. France, req. no 11123/84, décision du 9 décembre 1987,
DR 54, p. 53, à la p. 59.

197
œuvre le droit communautaire dérivé, et si et dans quelle mesure ils
demeurent soumis au contrôle des organes de Strasbourl0 •
20 Concernant la première question, le principe de base est le même que
nous venons de rappeler supra, au no 1831 :
D'une part, la Convention n'interdit pas aux Parties contractantes de
transférer des pouvoirs souverains à une organisation internationale (y
compris supranationale) à des fins de coopération dans certains domaines
d'activité [ ... ].
D'autre part, [... ] les Parties contractantes sont responsables au titre de
l'article 1 de la Convention de tous les actes et omissions de leurs organes,
qu'ils découlent du droit interne ou de la nécessité d'observer dès
obligations juridiques internationales. Ledit texte ne fait aucune distinction
quant au type de normes ou de mesures en cause et ne soustrait aucune
partie de la « juridiction » des Parties contractantes à l'empire de la
Convention[ ... ].

21 En ce qui concerne toutefois la portée pratique de ce principe, et en


répondant à la deuxième question évoquée ci-dessus, il y a lieu de distinguer
nettement entre deux hypothèses.
22 La première hypothèse est la suivante : la mesure litigieuse a été prise par
1'État concerné dans le cadre de la mise en œuvre de dispositions
communautaires. Elle a été prise, cependant, dans l'exercice d'un pouvoir
discrétionnaire que ces dernières laissent à l'État concerné, qui a toute
latitude de se conformer à la fois à celles-là et au droit de la CEDH. Dans
cette hypothèse, l'éventuelle violation de la Convention est certes
occasionnée par 1' application du droit communautaire, mais elle a proprement
sa source dans une mesure nationale discrétionnaire. Le contrôle de la Cour
sur le respect de la CEDH est ici plein et entier32 • Autrement dit, dans le
contexte de la mise en œuvre du système de Dublin, le raisonnement suivi par
la Cour EDH dans la décision T.I. reste d'application: en mettant en œuvre

30 Pour un aperçu général de cette question, voir en particulier F. BENOÎT-ROHMER, A


propos de l'arrêt Bosphorus Air Lines du 30 juin 2005: l'adhésion contrainte de
l'Union à la Convention, RTDH (2005), pp. 827-853.
31
Cour EDH, Bosphorus Airways c. Irlande. [GC], req. n°45036/98, arrêt du 30 juin
2005, non encore publié au Recueil, § 152-153. Voir également Comm. EDH, M &
Co. c. Allemagne, req. no 13258/87, décision du 9 février 1990, DR 64, p. 138, aux
pp. 152-153.
32
Voir en particulier Cour EDH, Van de Hurk c. Pays-Bas, req. no 16034/90, arrêt du
19 avril1994, série A, no 288; Cour EDH, Procola c. Luxembourg, req. no 14570/89,
série A, no 326. Pour une affirmation particulièrement nette du principe, voir Cour
EDH, Bosphorus Airways c. Irlande (note précédente),§ 157.

198
les dispositions de droit communautaire, les États membres sont tenus en
même temps de respecter les droits garantis par la Convention et leurs actes
restent pleinement soumis au contrôle de la Cour EDH.
23 La deuxième hypothèse est celle où les dispositions communautaires
applicables ne laissent à l'État membre concerné aucune marge
discrétionnaire, de telle sorte que la mesure nationale d'exécution constitue
l'exercice d'une compétence entièrement liée par le droit communautaire.
Cette deuxième hypothèse soulève un problème délicat. Admettre que la Cour
EDH puisse contrôler la conformité de la mesure d'exécution avec la
Convention revient à admettre qu'elle puisse indirectement vérifier la
conventionnalité du droit communautaire dérivé, et ce en dépit du principe de
1' autonomie du droit communautaire et du monopole de la Cour de justice en
matière de contrôle des actes communautaires33 • Par ailleurs, si la Cour EDH
concluait à la violation de la CEDH, cela équivaudrait à une affirmation de
non-conformité du droit communautaire avec la Convention, plaçant l'État
concerné - et par ricochet l'ensemble des États membres - devant un conflit
d'obligations 34 •
24 La première tentative de concilier le caractère impératif de la Convention
avec l'autonomie du droit communautaire a été faite par la Commission EDH
dans la décision M. & Co. La solution retenue par la Commission s'articule
autour de trois points : (a) la Convention n'interdit pas aux États membres de
transférer des pouvoirs souverains à des organisations internationales, telle la
CEE ; (b) ils demeurent en principe responsables de tout atteinte aux droits
garantis par la Convention résultant de l'exercice des compétences
transférées ; (c) une requête dirigée contre un acte national d'exécution du
droit communautaire est néanmoins irrecevable ratione materae, dans la
mesure où l'ordre juridique communautaire offre une protection des droits
fondamentaux équivalente, sous l'angle matériel et procédural, à celle qui est
. par 1a c onvent10n
garantie . 35.

33
Voir CJCE, Hauer (note 3), cons. 14.
34 Voir J.-P. JACQUÉ, Droit communautaire et Convention européenne des droits de
l'homme - L'arrêt Bosphorus, _une jurisprudence «Solange Il» de la Cour
européenne des droits de l'homme?, RTDE (2005), pp. 756-769, aux pp. 760-761 ;
F. BENOÎT-ROHMER (note 30), aux pp. 829 et 839.
35
Comm. EDH, M. & Co. c. Allemagne (note 31), à la p. 153. La jurisprudence M. & Co.
a été ensuite développée par la Cour EDH avec l'arrêt Matthews (Cour EDH,
Matthews c. Royaume-Uni [GC], req. no 24833/94, arrêt du 18 février 1999,
Recuei11999-I), dans lequel elle s'est affirmée compétente pour vérifier la
compatibilité du droit communautaire primaire avec la CEDH, en relevant que la

199
25 La Grande Chambre de la Cour EDH s'est cependant écartée de ce
précédent dans l'arrêt Bosphorus du 31 juin 2005 36 . Dans cet arrêt, la Cour
EDH s'affirme en effet compétente ratione loci, personae et materiae pour
connaître des recours dirigés contre un État membre de l'DE, et qui mettent
en cause la conformité à la CEDH de mesures prises par celui-ci en stricte
exécution d'un acte de droit dérivë 7 . La solution qu'elle retient, pour
concilier les exigences d'observation de la Convention et d'autonomie du
droit communautaire, déplace le point d'équilibre originairement défini par la
Commission EDH en faveur de la première :
155. De l'avis de la Cour, une mesure de l'État prise en exécution [des
obligations découlant de l'appartenance à une organisation internationale]
doit être réputée justifiée dès lors qu'il est constant que l'organisation en
question accorde aux droits·fondamentaux (cette notion recouvrant à la fois
les garanties substantielles offertes et les mécanismes censés en contrôler
le respect) une protection à tout le moins équivalente à celle assurée par la
Convention (M. & Co., décision précitée, p. 152, démarche à laquelle les
parties et la Commission européenne souscrivent). Par « équivalente », la
Cour entend « comparable >> : toute exigence de protection « identique >> de
la part de l'organisation concernée pourrait aller à l'encontre de l'intérêt de
la coopération internationale poursuivi (paragraphe 150 ci-dessus).
Toutefois, un constat de « protection équivalente >> de ce type ne saurait
être définitif : il doit pouvoir être réexaminé à la lumière de tout
changement pertinent dans la protection des droits fondamentaux.
156. Si l'on considère que l'organisation offre semblable protection
équivalente, il y a lieu de présumer qu'un État respecte les exigences de la
Convention lorsqu'il ne fait qu'exécuter des obligations juridiques
résultant de son adhésion à l'organisation.
Pareille présomption peut toutefois être renversée dans le cadre d'une
affaire donnée si l'on estime que la protection des droits garantis par la
Convention était entachée d'une insuffisance manifeste[ ... ].

26 Autrement dit, à l'avenir la Cour ne contrôlera normalement pas au fond


la compatibilité avec la Convention d'une mesure étatique de stricte
exécution du droit communautaire, pour autant que celui-ci offre d'une
manière générale un niveau de protection équivalent, et qu'il ait offert dans le
cas d'espèce une protection échappant à un jugement d'insuffisance manifeste
de la part de la Cour.

compatibilité de celui-ci avec les droits fondamentaux ne peut faire l'objet d'aucun
contrôle juridictionnel devant la Cour de justice (§ 29-33).
36
Cour EDH, Bosphorus Airways c. Irlande (note 31).
37 Ibidem, § 137.

200
C. Le dispositif Dublin II et les droits fondamentaux :
remarques conclusives
27 Comme nous venons de le voir, la mise en œuvre du dispositif Dublin II
de la part des États membres n'a pas lieu dans un «vide juridique», loin de
là.
28 Les États membres sont tenus, en premier lieu, d'y procéder en respectant
le Traité, et notamment ses articles 6 § 2 TUE et 63 TCE, ainsi que les
principes généraux du droit communautaire, et en tenant compte de la Charte
des droits fondamentaux de l'Union européenne. En sus de ces obligations de
source communautaire, ils sont également tenus de respecter les obligations
qu'ils ont contractées uti singuli sur le plan du droit international.
29 Cette pluralité de standards applicables entraîne, sur le plan institutionnel,
la soumission des États membres à la juridiction de plusieurs organes
internationaux. Les mesures d'application du dispositif Dublin II sont en effet
soumises au contrôle de la CJCE, qui vérifiera leur compatibilité avec le
Traité et avec les principes généraux du droit communautaire, de la Cour
EDH, qui veillera au respect des droits garantis par la CEDH, du Comité des
droits de l'homme, qui veillera au respect des droits garantis par le PIDCP, et
ainsi de suite.
30 À ce stade du raisonnement, il y a lieu de s'arrêter pour relever que tous
les États participant à la mise en œuvre du dispositif Dublin II ne se trouvent
pas, sous les aspects que nous venons d'évoquer, dans la même position.
D'abord, le respect du Traité CE et des principes généraux du droit
communautaire ne s'impose qu'aux États membres de l' U E lorsqu 'ils
agissent dans le cadre du droit communautaire (cf. supra, no 8). Il ne
s'impose donc pas aux pays tiers associés (Islande, Norvège et, dans l'avenir,
Suisse) ni, en principe, au Danemark, qui applique le dispositif Dublin II en
vertu du droit international (cf. supra, chap. II, n° 63 et 71). Similairement,
les pays tiers associés ne sont pas soumis à la juridiction de la CJCE, à la
quelle sont en revanche soumis les vingt-cinq États membres de l'Union (sur
la position du Danemark à cet égard, cf. supra, chap. II, no 71).
Quant aux obligations matérielles et procédurales de source internationale, il
s'agit là de vérifier l'état de ratification des instruments pertinents et de
prendre en compte d'éventuelles réserves formulées par l'un ou l'autre État.
31 Revenant maintenant aux systèmes de protection des droits de l'homme
pertinents pour l'application du dispositif Dublin II, il y a lieu de s'interroger

201
sur les conséquences juridiques qu'entraîne leur pluralité, la position de
principe étant que les États membres sont tenus de les respecter
«cumulativement» (cf. supra, no 16).
32 Normalement, dans le contexte de l'application du dispositif Dublin II,
cette coexistence ne pose pas de problèmes particuliers. Comme on le
rappellera, en effet, le Règlement Dublin II laisse aux États membres toute
latitude pour déroger aux critères de responsabilité qu'il définit. Ainsi, si
l'attribution de la responsabilité à un État plutôt qu'à un autre comporte le
risque d'une violation des droits fondamentaux du demandeur, au titre de l'un
ou de l'autre des standards applicables, les États sont en mesure de prévenir
une telle violation en appliquant la clause de souveraineté ou la clause
humanitaire, sans que cela ne donne lieu à aucune question sous l'angle du
respect du Règlement lui-même38 •
Autrement dit, le Règlement Dublin II laisse normalement aux États membres
une marge de manœuvre suffisante, en la détermination de l'État responsable,
pour permettre son « application conforme » aux différents standards de
protection des droits fondamentaux applicables. Puisque ceux-ci sont des
standards minimaux, aucun conflit proprement dit ne peut avoir lieu sous cet
aspect. Les États sont en tout état de cause tenus de respecter le standard le
plus élevé - se conformant par là même aux standards les moins exigeants.
33 Un conflit d'obligations -et de juridictions - peut néanmoins avoir lieu
là où les dispositions du Règlement ne laissent pas aux États membres une
marge de manœuvre suffisante pour pouvoir être interprétées et appliquées de
manière «conforme» (cf. supra, no 8-10 et 22). On mentionnera, à titre
d'exemple et sous réserve d'y revenir par la suite, l'article 19 RD, qui interdit
aux États membres de conférer un effet suspensif automatique aux recours
dirigés contre les mesures de transfert (cf. supra, chap. III, no 46, et infra,
chap. VII, no 90-91). En admettant, aux seules fins de notre raisonnement,
que cette disposition soit en violation d'un ou plusieurs des standards de
traitement applicables lors de l'exécution du Règlement, il y a lieu de
distinguer deux hypothèses.

38
Nous ne saurions donc souscrire aux critiques adressées par Paul CASSIA à une
décision du Conseil d'État français annulant un renvoi «Dublin» car incompatible
avec le droit national. D'après cet auteur, la décision aurait heurté «de plein fouet le
principe communautaire de primauté » (P. CASSIA, Droit communautaire et
Constitution française, Europe (Octobre 2005), commentaire no 321). Selon nous, en
revanche, elle ne prête pas à critique sous l'angle du droit communautaire. En effet,
elle ne constitue rien d'autre que l'exercice d'une faculté que le Règlement laisse
expressément à chaque État membre (art. 3 § 2 RD).

202
Si cette disposition est contraire, entre autres, aux principes communautaires
en matière de protection des droits fondamentaux, le conflit est aisément
résolu : le juge communautaire est en effet appelé à invalider la disposition
incriminée.
Le cas inverse - l'article 19 RD est valide en droit communautaire, mais
contrevient aux dispositions d'un des traités internationaux applicables - est
plus délicat, en particulier si ce traité est la CEDH. En effet, le plan normatif
est étroitement lié au plan juridictionnel, ce qui fait qu'une éventuelle
incompatibilité du droit communautaire avec la CEDH - dotée du « modèle le
plus perfectionné de garantie effective des droits de l'homme proclamés au
plan international »39 - risque de produire un grave conflit systémique
(cf. supra, no 23).

34 Comme nous l'avons vu, pour prévenir autant que possible la survenance
d'un tel conflit sans renoncer entièrement au contrôle sur le respect de la
Convention, la Cour EDH a élaboré une solution jurisprudentielle que Jean-
Paul JACQUÉ résume ainsi40 :
[L]a requête dirigée contre un État membre de l'Union européenne pour la
mise en œuvre. d'un acte de l'Union directement applicable ne sera pas
examinée au fond que s'il apparaît en l'espèce que la protection offerte par
l'Union n'a pas été équivalente à celle qui aurait résulté de l'application de
la Convention.

35 Dès lors, pour autant que le niveau de protection offert par l'ordre
juridique communautaire aux droits garantis par la CEDH ne tombe d'une
manière générale au-dessous du seuil d'« équivalence», ou bien que dans un
cas concret il n'y ait pas eu d'« insuffisance manifeste», le conflit est résolu à
la racine. Le standard applicable et le juge appelé à trancher sont ceux établis
par le Traité CE. La Cour EDH, en cas de saisine, est prête à déclarer une
éventuelle requête manifestement mal fondée.
On ne manquera toutefois pas de relever que les conditions définies par la
Cour de Strasbourg constituent une pressante invitation aux collègues
siégeant à Luxembourg pour qu'ils «transposent» sa jurisprudence au plan
communautaire41 .

39
F. SUDRE, La Convention européenne des droits de l'homme, Paris (PUF), s• éd.,
2002, p 3.
40 J.-P. JACQUÉ (note 34), à la p. 763.
41
Voir notamment Cour EDH, Bosphorus Airways c. Irlande (note 31), Opinion
concordante du Juge RESS, § 3, où il est affirmé qu'un insuffisance manifeste au sens
de l'arrêt serait établie notamment« lorsque les garanties de tel ou tel droit protégé par
la Convention ont été mal interprétées ou appliquées » par le juge communautaire.

203
36 Tel est normalement le cas. La belle expression de Frédéric SUDRE,
d'après qui le droit de la CEDH «irrigue aujourd'hui largement l'ordre
juridique interne des États européens contractants et constitue le socle d'un
véritable droit commun européen des droits de l'homme »42 - paraît
entièrement transposable à l'ordre juridique communautaire. Sans le dire
ouvertement, la CJCE décide généralement comme si elle s'estimait liée par
la CEDH et a par ailleurs multiplié, dans sa jurisprudence récente, les
références directes à la jurisprudence de la Cour EDH43 • Cela a amené Jean-
Victor LOUIS et Thierry RONSE à affirmer44 :
Les rares cas de divergences entre les interprétations respectives ont
disparu.

37 Certes, des divergences de jurisprudence pourraient de nouveau surgir à


l'avenir, notamment si la Cour de justice se trouvera à trancher une question
sur laquelle la Cour EDH ne se sera pas encore prononcée, ou lors d'une
évolution significative de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Il y a
cependant tout lieu de penser que dans de tels cas la Cour de justice fera en
sorte d'aligner le standard de la «petite Europe» sur le standard de la
« grande Europe »45 .

42
F. SUDRE (note 39), p. 122.
43
Voir par ex., en matière de droit au respect de la vie familiale, CJCE, Grant (note 4),
cons. 31-35; CJCE, aff. C-60/00, Carpenter, Rec. 2002, 1-6279, cons. 42; CJCE,
aff. C-109/01, Akrich, Rec. 2003, 1-9607, cons. 60; CJCE, aff. jointes C-482/01 etC-
493/01, Orfanopoulos, Rec. 2004,1-5257, cons. 95 à 100.
44
J.-V. LOUIS, T. RONSE (note 1), p. 164.
45 Voir en ce sens F. BENOÎT-ROHMER (note 30), à la p. 851.

204
Chapitre VI
Le droit au respect de la vie familiale et le
dispositif Dublin II

1 La « famille » est une réalité concrète, saisissable par chacun sur la base
de son expérience personnelle. En même temps, elle échappe sur le plan
conceptuel à toute définition universelle, sujette comme elle est aux
conditionnements culturels et temporels qui la fragmentent en une myriade
d'autres notions -famille étendue, nucléaire ou monoparentale, légitime ou
de fait, etc 1.
Comme le démontre un simple regard aux instruments internationaux qui s'y
réfèrent, ou qui se réfèrent à des notions proches telles celles de « vie
familiale» (Convention européenne des droits de l'homme2 , ci-après
« CEDH », art. 8) et de « milieu familial » (Convention relative aux droits de
l'enfane, ci-après « CDE », cons. 5-6), cette difficulté n'a pas empêché la
reconnaissance universelle de la famille en tant que cellule sociale essentielle
pour l'individu et pour la collectivité (Pacte international relatif aux droits
civils et politiques4, ci-après «Pacte» ou « PIDCP », art. 17 : «nul ne sera
l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa [ ... ] famille» ; art. 23
§ 1 : « la famille est 1' élément naturel et fondamental de la société »).
2 De nombreux instruments internationaux rapportent explicitement ou
implicitement la protection de la famille au domaine de l'immigration,
recommandant ou imposant aux États le respect de l'unité de la famille dans

Voir parmi d'autres G. VAN BUEREN, The international law on the rights of the
child, Dordrecht/Boston/Londres (Martinus Nijhoff), 1995, p. 68 ; J. APAP,
N. SITAROPOULOS, The right to family unity and reunification of third country
migrants in host states: aspects of international and European law, 2001,
(www.december18.net/paper53EurFamilyReunification.pdf), pp. 2-7.
2
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, STE
no 5, signée à Rome le 4 novembre 1950, entrée en vigueur le 3 septembre 1953.
AGNU, Résolution no 44/25 du 20 novembre 1989, série NU no 27531, Rec. NU,
vol. 1577, p. 3, entrée en vigueur le 2 septembre 1990.
4
AGNU, Résolution no 2200 (XXI) du 16 décembre 1966, série NU no 14668, Rec. NU,
vol. 999, p. 171, entré en vigueur le 23 mars 1976.

205
l'exercice de leur droit de contrôler l'entrée et le séjour des étrangers. Tous
n'ont cependant pas la même signification aux fins de l'interprétation et de
l'application du dispositif Dublin Il.
La disposition la plus importante dans ce contexte est l'article 8 CEDH- qui
consacre le «droit au respect de la vie familiale» - tel qu'interprété par la
Cour européenne des droits de l'homme. Avant d'examiner l'article 8 CEDH,
il convient de justifier cette affirmation d'un point de vue méthodologique.
3 Aux fins de l'analyse qui sera développée dans les pages suivantes, ont
été d'emblée retenus seuls les instruments qui définissent en la matière des
obligations5 liant les États qui participent à la mise en œuvre de ce dispositif,
et bénéficiant à toute personne indépendamment de sa nationalité7• Pour
l'essentiel, répondent à ces critères la Convention européenne des droits de
l'homme (art. 8), le Pacte international sur les droits civils et politiques
(articles 17 et 23) et la Convention relative aux droits de l'enfant (art. 10).
4 En matière de regroupement familial, les dispositions de la CDE
définissent des standards procéduraux plutôt que matériels. Elles sont donc
analysées au cours du chapitre suivant (cf. infra, chap. VII, no 18 ss). Le
choix de ne pas consacrer des développements particuliers aux articles 17 et
23 PIDCP dans ce chapitre a en revanche une motivation différente.

5
Dès lors, nous n'examinerons pas les dispositions non obligatoires du point de vue
formel (par ex. les articles 12 et 16 de la Déclaration universelle des droits de
1'homme, et la recommandation B de 1' Acte final de la Convention de Genève,
reproduite supra, chap. 1, n° 29) ou du point de vue matériel (par ex. l'article 13 § 1 de
la Convention no 143 de l'OIT, qui dispose: «Tout Membre peut prendre toutes les
mesures nécessaires, qui relèvent de sa compétence et collaborer avec d'autres
Membres, pour faciliter le regroupement familial de tous les travailleurs migrants
résidant légalement sur son territoire » ).
6
Ainsi, par exemple, il n'y aura pas lieu d'examiner les dispositions de la Convention
de l'ONU sur les droits de tous les travailleurs migrants, qui n'a été ratifiée par aucun
État membre de l'UE.
7
Ainsi, par exemple, nous n'examinerons pas les dispositions de la Charte sociale
européenne et de la Convention européenne sur les travailleurs migrants, qui ne
bénéficient qu'aux ressortissants de leurs États contractants. Cette limitation revêt une
importance particulière dans le contexte du présent travail, puisqu'elle exclut de leurs
bénéficiaires la grande partie des demandeurs d'asile présents sur le territoire de l'UE.
On relèvera à cet égard que ui la Russie ni la Serbie-Monténégro, pays d'origine de la
majorité des personnes ayant déposé une demande d'asile en Europe en 2004-2005
(HCR, Asylum levels and trends in industrialized countries, 2005, Genève, 2006,
table 3), ne sont actuellement parties aux deux Conventions susmentionnées.

206

----------------- ------ ' "1


La CEDH (art. 53) et le PIDCP (art. 5 § 2) définissent des standards
minimaux de traitement. En cas de concours de dispositions de même objet
(ici : les articles 8 CEDH et 17 et 23 PIDCP), le standard le plus protecteur
« absorbe » le moins protecteur. Certes, le libellé des dispositions citées, qui
sont rédigées par clauses générales, ne permet pas une comparaison directe du
niveau de protection qu'elles offrent. Une telle comparaison est néanmoins
possible en examinant la jurisprudence de la Cour EDH et respectivement du
Comité des droits de l'homme des Nations Unies.
Or, dans la matière qui nous occupe- contrôle migratoire et respect de l'unité
familiale - la position du Comité des droits de l'homme paraît encore en
cours de définition, s'exprimant au travers d'une jurisprudence moins
abondante et moins structurée que celle des organes de Strasbourg8 • En l'état
actuel, le Comité semble toutefois orienté à tracer des limites nettes à la
liberté de l'États parties au Pacte uniquement lorsqu'ils prennent des mesures
d'éloignement à l'égard d'étrangers qui ont résidé sur leur territoire,
régulièrement ou irrégulièrement, pendant une longue période9 . Les exigences
des articles 17 et 23 PIDCP en matière d'admission des étrangers ou
d'éloignement de personnes présentes depuis une courte période, qui nous
intéressent plus directement, sont en revanche moins nettement définies, et

À l'heure actuelle, le Comité des droits de l'homme s'est prononcé en la matière dans
un nombre relativement restreint d'affaires: voir notamment Corn. DH, Aumeeruddy-
Czijfra et al. c. République de Maurice, comm. no 35/1978, constatations du 9 avril
1981, doc. NU CCPR/C/12/D/3511978 ; Corn. DH, Stewart c. Canada, comm.
no 538/1993, constatations du 16 décembre 1996, doc. NU CCPR/C/58/D/538/1993 ;
Corn. DH, Canepa c. Canada, comm. no 558/1993, constatations du 20 juin 1997, doc.
NU CCPR/C/59/D/55811993; Corn. DH, Winata c. Australie, comm. no 930/2000,
constatations du 16 août 2001, doc. NU CCPR/C/72/D/930/2000 ; Corn. DH,
Bakhtiyari c. Australie, comm. no 1069/2002, constatations du 6 novembre 2003, doc.
NU CCPR/C/79/D/1069/2002; Corn. DH, Madafferi c. Australie, comm.
no 1011/2001, constatations du 26 août 2004, doc. NU CCPR/C/81/D/101112001 ;
Corn. DH, Byahuranga c. Denmark, comm. n° 1222/2003, constatations du
5 novembre 2004, doc. NU CCPR/C/82/D/1222/2003. Voir également Corn. DH,
Rajan c. Nouvelle Zélande, comm. n° 820/1998, décision du 7 août 2003, doc. NU
CCPR/C/78/D/820/1998. Sur l'exigence de clarifications ultérieures quant à la portée
des articles 17 et 23 PIDCP, voir M. NOWAK, UN Covenant on Civil and Political
Rights- CCPR commentary, Kehl s/Rhin/Strasbourg/Arlington (Engel), 2" éd., 2005,
p. 524-525, Art. 23, § 21.
9
Voir notamment Corn. DH, Winata et Corn. DH, Madafferi (note précédente).

207
paraissent tomber au-dessous de celles que la Cour EDH a déduit, dans sa
jurisprudence plus récente, de l'article 8 CEDH10•
5 Il importe d'ajouter que le droit au respect de la vie familiale constitue
également, selon la jurisprudence constante de la Cour de justice des
Communautés européennes, un principe général du droit communautaire 11 •
L'importance du standard de protection défini par la Cour de justice en la
matière pour l'interprétation et l'application du dispositif.Dublin II - voire
pour sa validité - n'a point besoin d'être démontrée. Cette circonstance ne
rend pas pour autant nécessaire une analyse séparée de la jurisprudence des
deux Cours européennes.
La CEDH constitue en effet la principale référence de la Cour de justice des
Communautés européennes en matière de droits fondamentaux (cf. supra,
chap. V, n° 2). Cela est particulièrement vrai en matière de droit au respect
de la vie familiale, matière dans laquelle la CJCE se réfère souvent
explicitement à la jurisprudence des organes de Strasbourg 12 • Certes, la. Cour
a parfois affirmé l'existence de principes plus protecteurs que ceux qui
résultent de la jurisprudence strasbourgeoise en matière d'admission et de
séjour des étrangers aux ftns du regroupement familial 13 • Mais comme il a été
à juste titre relevé par l'avocat général KOKOTT, ces solutions interprétatives
découlent de la conjonction du droit au respect de la vie familiale et de
1' application des règles communautaires en matière de libre circulation des
personnes, voire de ces règles à elles seules 14• En dehors du champ
d'application du droit de la libre circulation, en revanche, la jurisprudence de
la CJCE attribue au droit au respect de la vie familiale - en tant que principe

10
Cela ne signifie pas pour autant que la jurisprudence du Comité soit entièrement
muette sur ces questions : voir Corn. DH, Bakhtiyari (note 8) et, pour une affirmation
de principe sur le droit au regroupement familial, Corn. DH, Ngambi c. France, comm.
n° 1179/2003, décision du 16 juillet 2004, doc. NU CCPR/C/81/D/1179/2003, § 6.3.
11
Voir en dernier lieu CJCE, aff. C-441/02, Commission/Allemagne, arrêt du 27 avril
2006, non encore publié au Recueil, cons. 109.
12
Voir par ex. CJCE, aff. C-249/96, Grant, Rec. 1998, 1-621, cons. 31 à 35; CJCE,
aff. C-60/00, Carpenter, Rec. 2002, 1-6279, cons. 42; CJCE, aff. C-109/01, Akrich,
Rec. 2003, 1-9607, cons. 60. Pour une affirmation particulièrement significative, voir
CJCE, aff. jointes C-482/01 et C-493/01, Orfanopoulos, Rec. 2004, 1-5257, cons. 95 à
100.
13 Voir CJCE, aff. C-413/99, Baumbast, Rec. 2002, 1-7091, cons. 64 à 75; CJCE,

Carpenter (note précédente), cons. 36 à 46.


14 Voir notamment CJCE, aff. C-459/99, MRAX, Rec. 2002, 1-6591, ainsi que CJCE,

aff. C-200/02, Chen, Rec. 2004, 1-9925.

208
général du droit communautaire -·la portée de l'article 8 CEDH, tel
qu'interprété par la jurisprudence de la Cour EDH15 •
En ce sens, la Cour de justice a significativement affirmë 6 :
[ ... ]le droit au respect de la vie familiale tel qu'il est consacré à l'article 8
de la CEDH, [ ... ] fait partie des droits fondamentaux qui, selon la
jurisprudence constante de la Cour, sont protégés dans l'ordre juridique
communautaire.

A. Droit au respect de la vie familiale et contrôle de


1'immigration - aspects généraux

1. Vie familiale, vie privée et contrôle de l'immigration


6 L'article 8 CEDH dispose:
1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son
domicile et de sa correspondance.
2.ll ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce
droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle
constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à
la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du
pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la

15
En sens conforme au raisonnement développé dans le texte: av. gén. KOKOTT,
aff. C-540/03, PE!Conseil, conclusions du 8 septembre 2005, cons. 60-67, notamment
cons. 64. Voir également Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (JO
2000 C 364/1 ; ci-après « Charte » ou « CDFUE »), articles 7 et 52 § 3, ainsi que les
Explications à l'article 7 CDFUE (les Explications ont été établies sous l'autorité du
praesidium de la Convention qui a élaboré la Charte, et sont publiées dans la
Déclaration n° 12 annexée au Traité qui établit une Constitution pour l'Europe :
JO 2004 c 310/424).
16 CJCE, Commission/Allemagne (note 11), cons. 109. Voir également CJCE, aff. C-
540/03, PE/Conseil, arrêt du 27 juin 2006, non encore publié au Recueil, cons. 52. TI y
a lieu de relever que dans certains arrêts préjudiciels, la Cour omet de préciser le
contenu exact des obligations découlant pour les États membres du principe général
« droit au respect de la vie familiale ». Elle le définit, au contraire, par renvoi au droit
de la CEDH, et laisse aux soins de la juridiction nationale d'en tirer toutes les
conséquences (voir par ex. CJCE, Akrich, note 12, cons. 58-61 ; CJCE, Orfanopoulos,
note 12, cons. 95-100). De la sorte, la Cour incorpore matériellement l'article 8 CEDH
au droit communautaire et, laissant au juge national le soin d'appliquer l'article 8
CEDH, elle évite tout risque d'interprétation divergente avec la Cour EDH.

209
protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et
libertés d'autrui.

7 Dans la mesure où elle vise la« vie familiale», cette disposition protège
le droit de toute personne à développer librement ses relations personnelles
avec les membres de sa famille, ou - selon 1' expression maintes fois
employée par la Cour - à mener avec eux une «vie familiale normale »17•
Cette expression - dont la portée ne se prête pas à une définition abstraite -
renvoie à l'idée selon laquelle l'article 8 protège un vaste éventail d'intérêts,
dont notamment celui de cohabiter ou, selon le cas, de développer et
maintenir des contacts réguliers avec ses proches 18 , ainsi que celui de leur
prêter un soutien affectif et matériel ou inversement de le recevoir 19 •
8 Il y a lieu d'insister ici particulièrement sur le fait que l'article 8 protège
en principe l'intérêt à «être ensemble» des membres d'une même famille,
bien que les exigences inhérentes au développement d'une vie familiale
« normale » - comme telles protégées par la Convention - sont susceptibles
de varier en fonction du cas d'espèce et notamment du type de rapport qui est
considéré et des liens concrets - d'affection, de dépendance, etc. - qui
.
umssent 1es personnes concernees
' 20 .

17
Voir par ex. Cour EDH, Marckx c. Belgique [Plén.], req. n° 6833174, arrêt du 13 juin
1979, série A, no 31, § 31 ; Cour EDH, Maurice c. France [GC], req. no 11810/03,
arrêt du 6 octobre 2005, non encore publié au Recueil, § 119.
18
Voir par ex. Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni [Plén.], req.
no 9214/80, 9473/81 et 9474/81, arrêt du 28 mai 1985, série A, no 94, § 62.
19
Cour EDH, Cour EDH, Marckx c. Belgique (note 17), §52:« [La vie familiale] ne
comprend pas uniquement des relations de caractère social, moral ou culturel, par
exemple dans la sphère de l'éducation des enfants ; elle englobe aussi des intérêts
matériels, comme le montrent notamment les obligations alimentaires et la place
attribuée à la réserve héréditaire dans l'ordre juridique interne de la majorité des États
contractants».
20
En particulier, la cohabitation est en principe une composante fondamentale de la « vie
familiale» des conjoints (Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-
Uni, note 18, § 62). De même, pour les parents et leurs enfants mineurs « être
ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale » (Cour EDH,
Johansen c. Norvège, req. no 17383/90, arrêt du 7 août 1996, Recueil1996-III, §52). ll
résulte de ce qui précède que des mesures qui empêchent dans ces hypothèses la vie
commune constituent en principe une ingérence dans le droit au respect de la vie
familiale: voir, entre autres, Cour EDH, W.c. Royaume-Uni [Plén.], req. no 9749/82,
arrêt du 8 juillet 1987, série A, no 121, § 59. La Cour a référé ces principes également
à des rapports de parenté moins étroits (Cour EDH, Ticli et Mancuso c. Italie, req.
no 38301/97, décision du 23 mars 1999, non publiée au Recueil: «La Cour rappelle
que, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de
la vie familiale [... ].Elle estime qu'il doit en aller de même lorsqu'il s'agit de relations

210
Or, cet intérêt protégé par l'article 8 peut être atteint par les mesures par
lesquelles les États exercent leur contrôle sur 1' entrée et le séjour des
étrangers, qui peuvent avoir pour effet de rompre - sur le plan territorial -
l'unité de la famille, ou d'empêcher sa réalisation.
9 Nous avons déjà eu l'occasion de rappeler que la Convention «ne
garantit, comme tel, aucun droit pour un étranger d'entrer ou de résider sur le
territoire d'un pays déterminé» (cf. supra, chap. I, no 34)21 . Dans l'affaire
Abdulaziz Cabales et Balkandali le gouvernement britannique a été plus loin,
en arguant que « ni l'article 8 ni aucun autre article de la Convention ne
s'applique au contrôle de l'immigration» (§ 59).
La Cour lui a donné tort, en affirmant(§ 60):
on ne saurait exclure que des mesures prises dans le domaine de
l'immigration risquent de porter atteinte au droit au respect de la vie
familiale, garanti par 1' article 8.

Plus en bas dans la motivation de l'arrêt(§ 67), elle a cependant relevé:


le présent litige a trait non seulement à la vie familiale, mais aussi à
l'immigration, et [... ] d'après un principe de droit international bien établi
les États ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux
de traités, de contrôler l'entrée des non nationaux sur leur sol.

10 Ces affirmations constituent deux piliers de la jurisprudence en matière


de vie familiale et d'immigration. Par la première, qui vient d'ailleurs
confirmer une jurisprudence constante de la Commission EDH22, la Cour
rejette la prétention étatique selon laquelle 1' immigration serait un « domaine

entre un enfant et des membres de la famille de son père » ). La position des organes de
Strasbourg est cependant plus nuancée lorsqu'il s'agit de tels rapports familiaux (voir
Comm. EDH, Boyle c. Royaume-Uni, req. no 16580/90, rapport du 9 février 1993,
publié en annexe à l'arrêt de la Cour EDH du 28 février 1994, série A, no 282-B, § 46).
21
L'expression citée dans le texte recourt dans la jurisprudence des organes de
Strasbourg : voir par ex. Cour EDH, Aoulmi c. France, req. no 50278/99, arrêt du
17 janvier 2006, non encore publié au Recueil,§ 76. Voir, déjà en 1965, Comm. EDH,
X. c. Danemark, req. no 1855/63, décision du 24 avril 1965, Annuaire 8, p. 201, à la
p. 205.
22
Voir Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note 18) §59, où
est rapportée la formule usuellement employée par la Comm. EDH : « si le droit, pour
un étranger, d'entrer ou demeurer dans un pays n'est pas garanti en soi par la
Convention, le contrôle de l'immigration doit néanmoins s'exercer d'une manière
compatible avec les exigences de celle-ci, et le fait d'écarter quelqu'un du territoire
d'un État où vivent des membres de sa famille peut poser un problème au regard de
l'article 8 ». Voir également, par ex., Comm. EDH, X. et Y. c. Allemagne, req.
no 7816177, décision du 19 mai 1977, DR 9, p. 219.

211
réservé», soustrait à l'application de la Convention et au contrôle de la
Cour23 • La deuxième marque simultanément 1' attention que la Cour porte au
caractère « régalien » de ce domaine. Cette attention se traduit
principalement, comme nous le verrons, en un équilibre particulièrement
délicat entre la marge d'appréciation étatique et le contrôle européen
(cf. infra, n° 41-45).
11 L'article 8 soulève deux questions d'interprétation majeures. En premier
lieu, celle de savoir quels rapports personnels relèvent de la notion de « vie
familiale ». En deuxième lieu, celle de déterminer la nature et 1' étendue des
obligations que les États parties tiennent de l'article 8 quant au« respect» de
la vie familiale. Avant de passer à examiner ces deux aspects, il importe
toutefois de souligner la contiguïté entre droit au respect de la « vie
familiale» et droit au respect de la« vie privée».
12 On sait que la Cour a rejeté la thèse selon laquelle ce deuxième droit
protègerait uniquement le « cercle intime où chacun peut mener sa vie
personnelle à sa guise »24, affirmant au contraire que « [l]e respect de la vie
privée doit aussi englober, dans une certaine mesure, le droit pour l'individu
de nouer et développer des relations avec ses semblables »25 . Dans cette
dimension relationnelle, le droit au respect de la vie privée protège des
intérêts voisins à ceux qui sont protégés par le droit au respect de la vie
familiale. Par ailleurs, leurs champs d'applications respectifs ne sont pas
nettement séparés, loin de là : un continuum existe entre les notions de « vie
privée » et « vie familiale », dans la mesure où certaines relations
personnelles peuvent relever, selon les particularités de l'espèce, de l'une ou
de l'autre, voire de la notion plus générique de« vie privée et familiale».
13 La Cour a tardé à tirer, dans le domaine de l'immigration, toutes les
conséquences qui dérivent de sa propre interprétation de la notion de vie
privée.

23
ll est intéressant de comparer 1' argument avancé par le gouvernement britannique dans
l'affaire Abdulaziz, et l'argument similaire avancé par le gouvernement français, dans
les mêmes années, devant la CJCE dans l'affaire dite de la «politique migratoire»
(CJCE, aff. jointes 281, 283 à 285/85, Allemagne, France, Pays-Bas, Danemark et
Royaume-Uni/Commission, Rec. 1987,3203, cons. 25).
24
C'est-à-dire, selon l'expression de Frédéric SUDRE, le «droit à la vie privée
personnelle» (voir F. SUDRE, La Convention européenne des droits de l'homme,
Paris (PUF), 5" éd., 2002, p. 103).
25
Cour EDH, Niemietz c. Allemagne, req. no 13710/88, arrêt du 16 décembre 1992, série
A, no 251-B, § 29.

212
Pendant longtemps, en examinant la.conformité à la Convention des mesures
d'éloignement frappant des étrangers «intégrés», i.e. «les immigrés de la
seconde génération [et les] étrangers arrivés dans leur prime jeunesse» dans
le pays d'accueil26, la Cour s'est refusée à reconnaître clairement que ces
mèsuresportaient atteinte à la vie privée des intéressés, préférant se référer à
la seule atteinte à la «vie familiale »27 • Et pourtant, comme le soutenait un
courant minoritaire au sein de la Cour, de telles mesures d'expulsion ont pour
effet de « [rompre] de manière irrévocable tous les liens sociaux entre
1' expulsé et la communauté où il vit »28 ou - selon la belle expression de
Pierre-François DOCQUIR - de bouleverser leur «cadre habituel
d'existence »29, même en l'absence d'une compromission de leurs relations
stricto sensu familiales.
La Cour s'est toutefois graduellement rapprochée de cette position, passant
dans ce genre d'affaires de la constatation d'üne ingérence dans la «vie
familiale» à celle d'une ingérence dans la «vie privée et familiale »30 ei,
dans uncas isolé, en affirmant explicitement que la vie privée de l'intéressé
était atteinte31 • Dans deux arrêts rendus en 2003 et en 2005, elle a enfm fait
sienne sans ambiguïté l'interprétation jadis minoritaire et a affmné le principe

26
Cette définition de l'étranger intégré recourt dans la jurisprudence successive à 2003 :
voir Cour EDH, Benhabba c. France, req. n° 53441199, arrêt du 10 juillet 2003, non
publié au Recueil, § 33; Cour EDH, Mokrani c. France, req. n° 52206/99, arrêt du
15 juillet 2003, non publié au Recueil,§ 31; Cour EDH, Aoulmi c, France (note 21),
§ 84.
27
Voir par ex. Cour EDH, Moustaquim c. Belgique, req. n° 12313/86, arrêt du 18 février
1992, série A, n° 193 ; Cour EDH, Beldjoudi c. France, req. n° 12083/86, arrêt du
26 mars 1992, série A, n° 234-A; Cour EDH, Nasri c. France, req. n° 19465/92, arrêt
du 13 jnillet 1995; série A, n° 320-B.
28
Cour EDH, Beldjoudi c. France (note précédente), Opinion concordante du Juge
MARTENS, § 3. Voir également Cour EDH, Nasri c. France (note précédente),
Opinion partiellement dissidente du Juge MORENILLA.
29
P.-F. DOCQUIR, Droit à la vie privée et familiale des ressortissants étrangers: vers
la mise au point d'une protection floue du droit de séjour?, RTDH (2004), pp. 921-
949, § 13.
30
Voir par ex. Cour EDH, Bouchelkia c. France, req. n° 23078/93, arrêt du 29 janvier
1997, Recueil 1997-1; Cour EDH, Boujlifa c. France, req. no 25404/94, arrêt du
21 octobre 1997, Recueil1997-VI.
31
Cour EDH, C. c. Belgique, req. n° 21794/93, arrêt du 7 août 1997, Recueil1996-ID,
§ 25.

213
selon lequel l'expulsion d'un étranger «intégré» constitue par définition -
indépendamment de ses liens familiaux- une ingérence dans sa vie privée32 •

2. Les liens constitutifs d'une vie familiale au sens de l'article


8CEDH

a) Remarques liminaires
14 Dans sa jurisprudence, la Cour EDH s'est gardée de fournir une
définition générale des liens personnels susceptibles de constituer une « vie
familiale» au sens de l'article 8. Une telle réserve, qui cadre par ailleurs avec
son « habit of avoiding wide-sweeping statements of principle, preferring to
proceed by incrementa[ steps on a case-by-case basis »33 , est ici
particulièrement justifiée. Sous l'impulsion de l'évolution des mœurs et de la
technologie, la réalité des rapports familiaux est en mutation constante34 •
L'interprétation ouverte que la Cour donne de la notion de vie familiale est
donc exigée par le principe herméneutique qui veut que la Convention soit un
«instrument vivant à interpréter [ ... ] à la lumière des conditions de vie
actuelles »35 • Il en résulte un certain manque de netteté et de sécurité
juridique, qui est néanmoins compensé par une meilleure prise en compte des

32
Cour EDH, Slivenko c. Lettonie [GC], req. no 48321/99, arrêt du 9 octobre 2003,
Recueil 2003-X, § 96; Cour EDH, Sisojeva c. Lettonie, req. no 60654/00, arrêt du
16 juin 2005, non publié au Recueil,§ 102.
33
Ainsi, P. MAHONEY, Marvellous richness of diversity or invidious cultural
relativism ?, HRLJ (1998), pp. 1-6, à la p. 5. Relevons par ailleurs que la Cour n'est
pas liée par sa jurisprudence antérieure (Cour EDH, Cossey c. Royaume-Uni [Plén.],
req. no 10843/84, arrêt du 27 septembre 1990, série A, no 184, § 35).
34
Dans Cour EDH, Mazurek c. France, req. no 34406/97, arrêt du le' février 2000,
Recueil 2000-II, § 52, la Cour relève que même en droit international l'institution de
la famille n'est pas «figée». Voir également J. APAP, N. SITAROPOULOS (note 1),
p. 3, qui rapportent l'absence d'une définition bien établie de «famille» en droit
international au « continuous flux of social structures and of technology
internationally >>.
35
Cour EDH, Tyrer c. Royaume-Uni, req. no 5856/72, arrêt du 25 avril 1978, série A,
no 26, § 31 (châtiments corporels et article 3 CEDH). Dans le domaine de la vie
familiale, voir Cour EDH, Johnston c. Irlande, req. no 9697/82, série A, no 112, § 53 :
«La Convention et ses Protocoles doivent s'interpréter à la lumière des conditions
d'aujourd'hui>>.

214
particularités de chaque affaire, d'une part, et d'autre part par la ftréservation
de l'actualité, de la centralité et in fine de l'efficacité de l'article 8 6.
15 Si elle n'a pas encadré rigidement l'interprétation de la notion de vie
familiale, la Cour n'en a pas moins dégagé des principes qui lui permettent de
déterminer dans chaque cas d'espèce si un lien déterminé relève de cette
notion. Les deux éléments constitutifs d'une vie familiale au sens de l'article
8 sont le lien de parenté, d'une part, et l'effectivité des rapports- d'affection,
de cohabitation, de dépendance économique - qui existent entre les personnes
concernées, d'autre part. La Cour entend souligner l'importance de ce
deuxième élément lorsqu'elle affirme que «l'existence ou l'absence d'une
'vie familiale' est d'abord une question de fait dépendant de la réalité
pratique de liens personnels étroits »37 • Le poids de cet élément factuel n'en
varie pas moins considérablement en fonction du premier élément, à savoir de
la nature du lien de parenté.

b) Les rapports de couple et de filiation


16 Deux catégories de rapports jouissent en principe de la protection de
l'article 8.
17 Premièrement, « [q]uoi que le mot 'famille' puisse désigner par ailleurs,
il englobe la relation née d'un mariage légal et non fictif», et ce «même si
une vie familiale du genre visé par le Gouvernement [NdA : mariage avec
cohabitation des époux] ne se trouve pas encore pleinement établie » 38 •
Il y a lieu de relever au passage que la « légalité » du mariage doit être
appréciée de manière libérale, non formaliste. Ainsi, dans l'affaire Abdulaziz,
Cabales et Balkandali - dans laquelle la validité du mariage contracté aux

36
Sur la valeur de la justice et de 1' « individualisation humanitaire » dans la
jurisprudence de la Cour voir les propos du Juge DONNER cités par O. JACOT-
GUILLARMOD, Règles, méthodes et principes d'interprétation dans la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme, in: L.-E. PETTITI, E. DECAUX, P.-H.
IMBERT (éds.), La Convention européenne des droits de l'homme - Commentaire
article par article, Paris (Economica), 2" éd., 1999, pp. 41-63, à la p. 48. Sur l'efficacité
de la protection des droits de l'homme en tant que critère d'interprétation
(téléologique) de la Convention, voir ibidem, à la p. 45.
37
Voir par ex. Cour EDH, Lebbink c. Pays-Bas, req. no 45582/99, arrêt du 1"' juin 2004,
Recueil2004-N, § 36.
38
Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note 18), § 62.

215
Philippines entre M. et Mme Cabales était contestée par le· gouvernement
défendeur - la Cour a refusé d'entrer en matière se contentant de relever que39
Une cérémonie de mariage avait eu lieu entre M. et Mme Cabales qui[ ... ]
se croyaient mariés et souhaitaient sincèrement cohabiter et mener une vie
familiale normale, comme ils n'ont pas manqué de le faire par la suite.

18 La deuxième relation jouissant en principe de la protection de l'article 8


est celle qui existe entre parents et enfants40 :
[L]a notion de vie familiale sur laquelle repose l'article 8 implique qu'un
enfant issu d'une union maritale s'insère de plein droit dans cette relation;
partant, dès l'instant et du seul fait de sa naissance, il existe entre lui et ses
parents un lien constitutif de « vie familiale » que des événements
ultérieurs ne peuvent briser que dans des circonstances exceptionnelles.

Au sujet de ces «circonstances exceptionnelles», qui à notre connaissance


n'ont jamais été jugées avérées par les organes de Strasbourg41 , il faut
préciser que ni la dissolution du mariage, ni la cessation - voire l'inexistence
ab origine - de la cohabitation entre parent et enfant ne sont de nature à
dissoudre la vie familiale existante entre eux42 .
Relevons que jouissent de plein droit de la protection de l'article 8 les seuls
rapports unissant parents et enfants mineurs, non pas les rapports entre
parents et fil(le)s adultes. Ces derniers peuvent, sous certaines conditions,
relever de la notion de vie familiale (cf. infra, no 27).
19 Jusqu'ici, nous avons considéré seulement la famille légitime, mais la
protection de la Convention bénéficie également aux rapportsfamiliaux créés
hors mariage.

39 Ibidem,§ 63.
40
Voir par ex. Cour EDH, Berrehab c. Pays-Bas, req. n° 10730/84, arrêt du 21 juin 1988,
série A, no 138, § 21.
41
Pour un cas limite, voir Comm. EDH Kusungana c. Suisse, req. no 39401198, décision
du 16 avril 1998, non publiée. Cette affaire concernait les rapports entre un jeune
angolais et son père établi en Suisse, avec qui il n'avait eu aucun contact pendant les
premiers dix-sept ans de sa vie. La Commission EDH évite en l'espèce de se
prononcer sur l'existence d'une «vie familiale», et déclare la requête manifestement
non fondée pour d'autres motifs.
42
Voir en particulier Cour EDH, Berrehab c. Pays-Bas (note 40), § 21. Dans
l'interprétation de l'article 23 PIDCP, le Comité des droits de l'homme suit la même
approche: voir Corn. DH, Hendriks c. Pays-Bas, comm. no 201/1985, décision du
12 août 1988, doc. NU CCPR/C/33/D/20111985, § 10.3.

216
Il est en effet de jurisprudence constante que43
le concept de «vie familiale» visé par l'article 8 (art. 8) ne se borne pas
aux seules familles fondées sur le mariage mais peut englober d'autres
relations de facto [ ... ]. Pour déterminer si une relation s'analyse en une
«vie familiale», il peut se révéler utile de tenir compte d'un certain
nombre d'éléments, coinme le fait de savoir si les membres du couple
vivent ensemble et depuis combien de temps, et s'ils ont eu des enfants
ensemble, de manière naturelle ou autre, preuve de leur engagement l'un
envers l'autre[ ... ].

20 Deux arrêts illustrent bien l'esprit d'ouverture avec lequel la Cour


apprécie l'existence d'une vie familiale de couple. Dans la première, la Cour
a jugé qu'une «vie familiale» existait entre personnes de sexe opposé ne
cohabitant pas, mais entretenant une relation stable de laquelle quatre enfants
étaient issus 44• Dans l'arrêt X, Y et Z, la Cour est parvenue à la même
conclusion au sujet d'un couple formé d'un transsexuel (M. X) -qui s'était
soumis à· une intervention chirurgicale de conversion sexuelle de femme à
homme- et d'une femme (Mme Y), qui cohabitaient de manière stable depuis
plusieurs années et qui avaient également « eu un enfant ensemble », Mme Y
s'étant soumise - avec l'accord et le soutien de M. X - à un traitement
d'insémination artificielle avec sperme de donneur.
En revanche, la Cour a jusqu'à ce jour refusé de considérer qu'un couple
stable de personnes de même sexe puisse relever de la notion de « vie
familiale »45 , tout en reconnaissant qu'une interférence avec le libre
développement de telles relations peut constituer une violation du droit au
respect de la vie privée46•

43
Cour EDH, X, Y et Z c. Royaume-Uni [GC], req. no 21830/93, arrêt du 22 avril 1997,
Recueil1997-II, § 37.
44
Cour EDH, Kroon c. Pays-Bas, req. no 18535/91, arrêt du 27 octobre 1995, série A,
no 297-C ; voir également l'Opinion dissidente du Juge BONNICI, qui au § 3 critique
précisément le fait que la majorité a reconnu l'existence d'une vie familiale même en
présence d'un choix libre et volontaire de ne pas« vivre en famille», i.e. de cohabiter.
45
Voir Comm. EDH, X et Y c. Royaume-Uni, req. no 9369/81, décision du 3 mai 1983,
DR 32, p. 223. Voir également CJCE, Grant (note 12), cons. 33. Sur cette
problématique, voir notamment M. LEVINET, Couple et vie familiale, in: F. SUD RE
(éd.), Le droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention européenne des
droits de l'homme, Bruxelles (Nemesis/Bruylant), 2002, pp. 107-160. Voir également
1. KARSTEN, Atypical families and the human rights act: the rights of unmarried
fathers, same sex couples and transsexuals, EHRLR (1999), pp. 195-207.
46
Cour EDH, Dudgeon c. Royaume-Uni [Plén.], req. no 7525176, arrêt du 22 octobre
1981, série A, no 45.

217
21 En matière de filiation hors du mariage, trois situations peuvent être
distinguées. Les enfants issus du rapport de parents qui cohabitent more
uxorio se trouvent, au regard de la Convention, dans une situation identique à
celle des enfants légitimes :
[Ils] s'insère[nt] de plein droit dans cette «cellule familiale» dès [leur]
naissance et par le fait même de celle-ci. Il existe donc entre [eux] et
[leurs] parents un lien constitutif d'une vie familiale.

En dehors de cette situation, il y a lieu de distinguer la situation de la mère et


du père célibataires. En ce qui concerne les rapports entre mère et enfant,
l'arrêt Marckx semble indiquer qu'une vie familiale existe en tout état de
cause entre mère et enfant, avec la réserve d'usage des « circonstances
exceptionnelles » qui peuvent toujours rompre le lien entre parents et enfants
mineurs 47 • Au sujet du père célibataire, la position de la Cour paraît plus
nuancée, dans la mesure où elle exige en tout état de cause que des liens
factuels entre père et enfant soit démontrés pour constater l'existence d'une
vie familiale48 • Il convient toutefois de relever que les exigences posées par la
Cour à cet égard sont facilement remplies, puisqu'il lui est arrivé de juger
suffisants des rapports fort occasionnels voire « potentiels » 49 •
22 En venant maintenant aux relations entre parents et fils adoptifs, la Cour
a récemment précisé ~ confirmant sur ce point la jurisprudence antérieure de
la Commission - que « [ces relations] sont en principe de même nature que
les relations familiales protégées par l'article 8 de la Convention »50 . La seule
existence d'une adoption valide 51 ne suffit toutefois pas pour déterminer

47
Voir Cour EDH, Marckx c. Belgique (note 17), § 31. En ce sens, voir 1. KARSTEN
(note 45), à la p. 196-198; en sens contraire, voir J. LIDDY, The concept offamily life
under the ECHR, EHRLR (1998), pp. 15-25, à la p. 24, d'après qui il n'existe pas de
raison convaincante de ne pas soumettre ce type de relation à un test d'effectivité.
48
Voir notamment Cour EDH, Lebbink c. Pays-Bas (note 37), § 35. Voir également
1. KARSTEN (note 45), aux pp. 196-198.
49
Voir notamment Cour EDH, Lebbink c. Pays-Bas (note 37), § 35-40; Cour EDH,
Nylund c. Finlande, req. n° 27110/95, décision du 29 juin 1999, Recueil 1999-
VI (italiques ajoutés) : «l'article 8 ne saurait être interprété comme protégeant
uniquement une 'vie familiale' déjà établie, mais qu'il doit s'étendre, quand les
circonstances le commandent, à la relation qui pourrait se développer entre un enfant
né hors mariage et son père naturel ».
50
Cour EDH, Pini et autres c. Roumanie, req. no 78028/01 et 78030/01, arrêt du 22 juin
2004, Recueil2004-V (extraits),§ 140.
51
Au sujet de la validité de l'adoption, voir Cour EDH, Pini et autres c. Roumanie (note
précédente),§ 144-145. La Cour n'a pas eu à statuer sur des affaires où la validité de
l'adoption était contestée. Il s'agit d'un aspect qui revêt une importance particulière
dans les affaires touchant à la problématique de l'immigration, dans la mesure où un

218
l'applicabilité de l'article 8, cette donnée devant être complétée par l'élément
matériel des liens effectifs entre adoptant et adopté. Là aussi, il résulte de
l'arrêt Pini et autres que même une vie commune «projetée» peut être digne
de protection, à tout le moins lorsque 1' absence de cohabitation n'est pas
imputable aux parents adoptifs et lorsque ceux-ci ont exploité tous les moyens
à leur disposition pour développer des rapports effectifs avec les enfants
adoptés 52 •

c) Les autres liens de parenté potentiellement constitutifs


d'une vie familiale au sens de l'article 8 CEDH
23 Dans l'arrêt Marc/oc, rendu en 1979, la Cour a affirmé 3 :
Aux yeux de la Cour, la «vie familiale» au sens de l'article 8 englobe
pour le moins les rapports entre proches parents, lesquels peuvent y jouer
un rôle considérable, par exemple entre grands-parents et petits-enfants.

Comme il résulte de la jurisprudence postérieure, ce passage souvent cité


n'implique pas une reconnaissance automatique du bénéfice de l'article 8 aux
rapports qui y sont visés, à tout le moins sous l'angle du droit à «être
ensemble »54 •
24 Ces rapports sont susceptibles de constituer une « vie familiale » au sens
de la Convention. Les exigences en matière d'effectivité du rapport personnel
sont ici plus strictes que, par exemple, pour les liens entre un père célibataire
et son enfant, sans pour autant que la cohabitation ou la dépendance

acte d'adoption valide dans le pays d'origine peut ne pas l'être au regard des
conventions internationales en la matière et à l'égard de la législation de l'État
d'accueil. Signalons à cet égard que dans l'arrêt Singh la Cour d'Appel du Royaume-
Uni a pris, en faisant application de l'article 8 CEDH, une position qui peut être
rapprochée de celle de la Cour EDH dans l'arrêt Abdulaziz, Cabales et Balkandali au
sujet de la validité d'un mariage (cf. supra, no 17): voir CA, Singh c. ECO New Dehli,
arrêt du 5 juillet 2004, WLR (2005), 2, p. 325, décision du Juge DYSON, § 30-40;
voir également la décision du Juge Munby, § 56 ss.
52
Cour EDH, Pini et autres c. Roumanie (note 50), § 146-147; voir, en sens contraire,
l'Opinion dissidente des Juges THOMASSEN et JUNGWIERT.
53
Cour EDH, Marckx c. Belgique (note 17), § 45.
54
En effet, comme le relève Jane LIDDY, l'application de la notion de «vie familiale»
est sensible à son contexte, par ex. au fait qu'il s'agisse de droits successoraux, comme
c'est le cas dans l'affaire Marckx, ou bien d'un «droit à la cohabitation» : voir.
J. LIDDY (note 47), à la p. 19.

219
financière ne soient strictement requis 55 . À titre d'exemple, l'existence d'une
vie familiale a été reconnue par la Commission EDH entre un enfant - privé
de facto du soutien affectif de son père - et son oncle maternel, qui avait noué
avec lui des rapports étroits et fréquents à tel point de devenir pour l'enfant
une « bonne image du père » (« a good father figure »)56 .
25 La position de la Cour est moins claire au sujet de la protection accordée
par l'article 8 aux rapports entre frères et sœurs. On s'est demandé en
doctrine si ces rapports jouissent de la protection « de principe » de cet article
- comme les rapports de couple et de filiation - ou bien d'une protection
comparable à celle dont jouissent les autres rapports familiaux que nous
venons de mentionner57 .
Dans plusieurs affaires décidées entre 1991 et 2001, où était en cause la
conformité à l'article 8 de mesures d'éloignement d'étrangers «intégrés»
(cf. supra, n° 13), la Cour est parvenue à la conclusion que celles-ci
constituaient des ingérences avec le droit au respect de la vie familiale. À cet
égard, elle s'est fondée sur le fait que les parents, frères et sœurs de
l'intéressé vivaient dans l'État d'où il allait être expulsé, sans relever, par
ailleurs, qu'il s'agissait de rapports entre adultes (cf. infra, no 27) ni examiner
de près leur intensité de facto 58 • Il serait néanmoins erroné, surtout à la
lumière de la jurisprudence successive, de déduire de ces arrêts que les
rapports entre frères et sœurs jouissent perse de la protection de l'article 8.
Dans la plupart de ces affaires, en effet, l'applicabilité de l'article 8 résultait
d'un cumul de facteurs comprenant certes les rapports des personnes
expulsées avec la famille d'origine, mais parfois aussi des liens de couple ou
de filiation qu'ils avaient noué dans le territoire de l'État défendeur et -

55
Voir Cour EDH, Ticli (note 20) ; Cour EDH, Zampieri c. Italie, req. no 58194/00,
décision du 3 juin 2004, non publiée au Recueil. Si dans ces deux affaires la Cour a
retenu l'existence d'une «vie familiale», il n'en a pas été de même dans Cour EDH,
Pisano c. Italie, req. no 10504/02, décision du 29 septembre 2005, non publiée au
Recueil.
56
Comm. EDH, Boyle c. Royaume-Uni (note 20), § 44.
57
Voir notamment J. LIDDY (note 47), aux pp. 18 et 24.
58
Voir par ex. Cour EDH, Moustaquim c. Belgique (note 27), § 36; Cour EDH,
Beldjoudi c. France (note 27), § 66-67 ; Cour EDH, Boughanemi c. France, req.
no 22070/93, arrêt du 24 avril 1996, Recueil 1996-11, § 35, ainsi que l'Opinion
concordante du Juge PETTITI; Cour EDH, Boujlifa c. France (note 30), § 36 («vie
privée et familiale»); Cour EDH, Baghli c. France, req. no 34374/97, arrêt du
30 novembre 1999, Recuei11999-VIII, § 36, où la Cour précise qu'il y a ingérence non
seulement dans la « vie privée » du requérant, mais également dans sa « vie
familiale ».

220
toujours- une forte intégration dans la société d'accueil. Or, il apparaît que la
conception large de la notion de vie familiale retenue par la Cour visait pour
l'essentiel à garantir à ces étrangers intégrés la protection de l'article 8, un
procédé rendu nécessaire par son refus de voir en leur éloignement une
atteinte à leur vie privée (cf. supra, no 13).
Une fois admis, dans l'arrêt rendu par la Grande Chambre dans l'affaire
Slivenko 59 , que l'expulsion d'un étranger intégré constitue- indépendamment
de ses liens familiaux - une ingérence dans sa vie privée, elle a cessé de
«forcer» le concept de «vie familiale» pour démontrer l'applicabilité de
l'article 8.
Ainsi, au paragraphe 94 de ce même arrêt, on peut lire (italiques ajoutés) :
Dans la jurisprudence afférente à la Convention et relative aux mesures
d'expulsion et d'extradition, l'accent a toujours été mis sur la notion de
«vie familiale», qui est interprétée comme englobant la «vie familiale»
effective établie sur le sol d'un État contractant par des non nationaux qui
y séjournent légalement, étant entendu que la « vie familiale » en ce sens
se limite.normalement au noyau familial.

Précisons que l'emploi du mot « normalement » interdit d'attribuer à la Cour


l'intention de réserver la protection de l'article 8 aux seuls rapports des
étrangers avec leurs conjoints ou partenaires et enfants mineurs 60, ce qui
serait ouvertement contraire aux principes généraux qu'elle a dégagés en la
matière (cf. supra, no 14 et 23 ss). Cependant, la manière dont la Cour résume
sa jurisprudence antérieure sur la notion de « vie familiale » est certainement
plus restrictive par rapport aux positions qu'elle avait pris antérieurement
dans des affaires d'éloignement, ce qui paraît s'expliquer par la contextuelle
valorisation de la vie privée de l'étranger intégré.
À la suite de ce recentrage des notions de vie privée et vie familiale, la Cour a
conclu, dans l'affaire Sisojeva, à l'inapplicabilité de la notion de vie familiale
aux rapports entre deux sœurs adultes 61 •
26 Si on ne peut déduire de la jurisprudence de la Cour une inclusion
automatique des rapports entre frères et sœurs dans le concept de « vie
familiale», il faut à tout le moins admettre que de tels rapports -comme et
plus que d'autres rapports collatéraux, tels ceux qui lient une tante à son

59
Cour EDH, Slivenko c. Lettonie (note 32).
60
G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris (PUF), 7e éd., 1998 : «Famille (lb) : le
groupe restreint des père et mère et de leurs enfants (mineurs) (famille conjugale,
nucléaire) ».
61
Cour EDH, Sisojeva c. Lettonie (note 32), § 102 et 103.

221
neveu- puissent jouir de la protection de l'article 8 en présence d'un fort lien
factuel.

d) Les rapports entre. adultes et les rapports familiaux


protégés au titre du droit au respect de la vie privée
27 Avant de clore cet examen de la portée de la notion de« vie familiale», il
y a lieu de s'arrêter sur un principe auquel nous avons déjà fait deux fois
référence. Comme il résulte d'une jurisprudence constante de la Commission
et de la Cour62 ,
les rapports entre adultes .ne bénéficieront pas nécessairement de la
protection de l'article 8 sans que soit démontrée l'existence d'éléments
supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux.

TI en va ainsi, en particulier, des rapports entre parents et filQe)s majeur(e)s et


des rapports entre frères et sœurs majeurs63 • Les conditions à réunir pour
renverser cette «présomption d'inapplicabilité » sont plus rigoureuses que
dans les cas de figure que nous avons examinés jusqu'ici, un rapport de
dépendance devant en principe être démontré par les intéressés64•
28 En même temps, les rapports de parenté qui ne sont pas en eux-mêmes
protégés au titre de la « vie familiale » peuvent néanmoins être pris en compte
pour juger de la compatibilité d'une mesure étatique avec l'article 8. Comme
l'a affirmé la Cour, en effet, ils peuvent être pris en considération parmi
d'autres circonstances au titre du droit au respect de la vie privée (cf. supra,
n° 12-13)65 •

62
Voir par ex. Cour EDH, Aoulmi c. France (note 21), § 87. Pour une critique de cette
position, voir Comm. EDH, C. c. Belgique [Plén.], req. n° 21794/93, rapport du
21 février 1995, publié en annexe à l'arrêt de la Cour du 7 août 1996, Recuei11996-ill,
Opinion dissidente de M. MARTINEZ, qui relève que« ce n'est pas vrai qu'à 40 ans
d'âge les liens avec la mère, les frères et soeurs ont perdu leur importance » et que « ce
sont les animaux qui perdent le sens de la famille lorsqu'ils sont adultes. L'être humain
conserve ses attaches avec ses parents, frères et soeurs, même lorsqu'il est sorti de son
enfance».
63
Voir Cour EDH, Sisojeva c. Lettonie (note 32), § 103.
64
Voir par ex. Cour EDH, Slivenko c. Lettonie (note 32), § 97. Pour l'exemple d'une
situation de dépendance particulièrement caractérisée, voir les circonstances de
l'affaire Nasri (Cour EDH, Nasri c. France, note 27).
65
Cour EDH, Slivenko c. Lettonie (note 32), § 97.

222
3. Les obligations découlant de l'article 8

a) Obligations négatives et obligations positives


29 Dans l'arrêt Marckx66 , la Cour a eu l'occasion d'affirmer ce qui suit
(cons. 31, italiques ajoutés):
En proclamant par son paragraphe 1 le droit au respect de la vie familiale,
l'article 8 signifie d'abord que l'État ne peut s'immiscer dans l'exercice de
ce droit, sauf sous les strictes conditions énoncées au paragraphe 2. Ainsi
que la Cour l'a relevé en l'affaire «linguistique belge», il a
«essentiellement» pour objet de prémunir l'individu contre des ingérences
arbitraires des pouvoirs publics (arrêt du 23 juillet 1968, série A no 6, p.
33, par. 7). Il ne se contente cependant pas d'astreindre l'État à s'abstenir
de pareilles ingérences: à cet engagement plutôt négatif peuvent s'ajouter
des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie
familiale.

30 Une « ingérence » dans la vie familiale peut être définie comme toute
intervention des autorités des États parties qui, contrariant la volonté de
l'intéressé, entrave ou empêche le développement de ses relations avec les
membres de sa famillé 7. Les mesures de placement des enfants auprès
d'institutions publiques ou de familles adoptives, qui ont pour effet de
restreindre voire de rompre leurs contacts avec les parents biologiques, en
.
constituent un exemp1e c1ass1que
. 68 .

31 En même temps, l'article 8 «appelle parfois des mesures positives de


l'État », qui en pareil cas « ne saurait se bomer à demeurer passif» sans
manquer aux engagements qu'il a assumés par la Convention69 •
Dégagée de manière prétorienne par la Cour en vue d'assurer l'effectivité des
droits garantis par la Convention70, la doctrine des obligations positives

66
Cour EDH, Marckx c. Belgique (note 17).
67
L'élément de contrainte inhérent à la notion d'ingérence est à juste titre mis en exergue
par V. COUSSIRAT-COUSTÈRE, Article 8 § 2, in: L.-E. PETIITI, E. DECAUX, P.-
H. IMBERT (éds.), La Convention européenne des droits de l'homme- Commentaire
article par article, Paris (Economica), 2e éd., 1999, pp. 323-351, aux pp. 330-331.
68
Voir par ex. Cour EDH, W.c. Royaume-Uni (note 20), §59.
69
Cour EDH, Airey c. Irlande, req. no 6289/73, arrêt du 9 octobre 1979, série A, no 32,
§ 25.
70
Voir F. SUDRE, Les « obligations positives » dans la jurisprudence européenne des
droits de l'homme, RTDH (1995), pp. 363-384, aux§ 7-13. Cet auteur distingue au§ 3
entre obligations positives « conventionnelles » - i.e. « énoncées par le texte même de
la Convention>> (voir par ex. art. 3 du Protocole no 1)- et« prétoriennes>>- i.e. lues

223
trouve à s'appliquer, d'une maniere générale, dans deux catégories de
situations. D'une part, lorsque l'action de l'État est requise pour empêcher à
des tiers de «s'immiscer dans le droit garanti »71 • D'autre part, lorsque la
jouissance d'un droit protégé n'est possible qu'en présence de conditions-
cadre matérielles ou juridiques, que l'État a dès lors l'obligation d'assurer par
son action positive72•

b) La nature de l'obligation et les modalités du contrôle sur


son observation
32 La Cour affirme souvent que « [l]a frontière entre les obligations
positives et les obligations négatives de l'État au titre de [l'article 8] ne se
prête [... ] pas à une définition précise». Cette affirmation est normalement
suivie par une relativisation de l'importance de la distinction entre obligations
. . . 73
négauves et positives :
[l]es principes applicables sont[ ... ] comparables. Dans les deux cas, il faut
tenir compte du juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de
l'individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux
hypothèses, l'État jouit d'une certaine marge d'appréciation.

Les principes du contrôle européen sont donc « comparables » quelle que soit
la nature des obligations en cause. Ils ne sont cependant pas identiques. En
particulier, la structure du raisonnement de la Cour est différente selon qu'elle
vérifie le respect d'obligations négatives ou positives.
33 Rappelons d'abord que le droit au respect de la vie familiale n'est pas un
droit «absolu» (voir par ex. art. 3 CEDH), mais un droit «conditionnel »74•
Reconnaissant le rôle indispensable de l'État en tant que promoteur des
intérêts de la collectivité et régulateur des rapports entre privés, l'article 8

par les organes de Strasbourg dans des dispositions interdisant aux États contractants
de tenir un comportement déterminé.
71 F. SUDRE (Iiote précédente), § 14 et 18-21.
72 Ibidem,§ 15-17.
73
Cour EDH, Keegan c. Irlande, req. n° 16969/90, arrêt du 26 mai 1994, série A, n° 290
§ 41. Cette expression recourt également dans la jurisprudence en matière d'admission
des étrangers : voir Cour EDH, Gül c. Suisse, req. n° 23218/94, arrêt du 19 février
1996, Recuei11996-l, § 38.
74
L'expression «droits conditionnels» est couramment employée pour désigner les
droits pouvant légitimement faire l'objet de restrictions de la part de l'État (articles 8 à
10 CEDH): voir par ex. F. SUDRE, Droit européen et international des droits de
l'homme, Paris (PUF), 7" éd., 2005, § 179.

224
autorise en effet des mesures d'ingérence, à condition toutefois qu'elles
répondent aux exigences définies par son deuxième paragraphe.
Ainsi, une fois constaté que la mesure litigieuse constitue une ingérence dans
la vie familiale des personnes concernées, la Cour examine si la mesure est
prévue par la loi, si elle est tournée vers un ou plusieurs des buts énumérés
par l'article 8 § 275 et si elle est« nécessaire dans une société démocratique».
Au titre de cette troisième condition, la Cour examine si la mesure litigieuse
est fondée in concreto76 «sur un besoin social impérieux» et notamment si
elle est « proportionnée au but légitime recherché »77 (pour plus de détails sur
ces trois conditions, cf. infra, no 48-52).
34 Son procédé intellectuel prend une forme différente lorsque le
manquement d'un État à ses obligations positives est en cause.
D'après la jurisprudence de la Cour, l'article 8 § 2 peut être invoqué
exclusivement pour justifier des ingérences78 . L'inapplicabilité de la« clause
de justification » entraîne une inversion du raisonnement. Alors que dans les
affaires qui concernent des obligations négatives le raisonnement s'articule en
deux «grandes» phases, dont la première est le constat de l'ingérence, dans
les affaires relatives aux obligations positives une telle articulation fait défaut.
L'éventuel constat de l'existence de l'obligation, à laquelle l'État n'aurait pas
obtempéré, constitue le point conclusif du raisonnement et entraîne sans autre
le constat d'une violation de l'article 8. Autrement dit, l'unique question qui
se pose dans ce genre d'affaires est celle de savoir si, en l'espèce, l'État était
tenu d'agir en conformité aux intérêts protégés de l'intéressé- auquel cas il
ne peut « justifier » son inaction - ou pas79 .
Ainsi, l'appréciation des circonstances de l'espèce pour déterminer si un
« juste équilibre » des intérêts en présence a été en 1' occurrence ménagé par
l'État est l'alpha et l'oméga du raisonnement de la Cour. Certes, elle
s'effectue selon des modalités proches de celles du test prévu par l'article 8

75 Relevons, avec Vincent COUSSIRAT-COUSTÈRE, que «[!]'abondance et la


généralité des buts conventionnellement légitimes font que l'hypothèse du défaut d'un
tel but ne se réalise pratiquement jamais» (voir V. COUSSIRAT-COUSTÈRE,
note 67, à la p. 336).
76 V. COUSSIRAT-COUSTÈRE (note 67), à la p. 337: «il faut établir in casu que
l'ingérence subie repose sur de justes motifs, à la fois pertinents et suffisants ».
77
Voir par ex. Cour EDH, Berrehab c. Pays-Bas (note 40), § 28.
78
Cour EDH, Rees c. Royaume-Uni, req. no 9532/81, arrêt du 17 octobre 1986, série A,
n° 106, § 37.
79
Voir par ex. Cour EDH, Sen c. Pays-Bas, req. n° 31465/96, arrêt du 21 décembre 2001,
non publié au Recueil.

225
§ 2, comprenant notamment un examen de la « proportionnalité » du refus ou
de l'inaction80• Comme il a été relevé par la doctrine, toutefois, l'approche de
la Cour est ici moins structurée, .et elle se passe fort souvent d'un examen de
la légalité de 1' abstention ou du refus litigieux et de la conventionnalité de son
but81 •

c) L'application de la distinction entre obligations négatives et


positives au contentieux de l'immigration
35 Les affaires dans lesquelles la Cour a eu à décider de la compatibilité
avec l'article 8 de mesures prises dans le domaine de l'immigration peuvent
être schématiquement classées dans deux catégories82• D'une part, les affaires
où l'État défendeur éloigne un étranger de son territoire, le séparant ainsi de
membres de sa famille qui y résident (ci-après: affaires «d'éloignement»).
D'autre part, les affaires où l'État refuse d'autoriser le regroupement sur son
territoire entre un étranger et les membre de sa famille qui y résident (ci-
après: affaires «de non admission»). Dans les affaires d'éloignement, la
Cour analyse la mesure litigieuse en tant qu'ingérence dans la vie familiale
des personnes concernées. Dans les affaires de non admission, en revanche, la
Cour se place sur le terrain des obligations positives pour juger de sa
conventionnalité.
Cette distinction, contestée par certains auteurs et - dans un premier temps -
au sein même de la Cour83 , est désormais bien établie en jurisprudence84• TI

80
Voir Cour EDH, Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], req. n° 36022/97, arrêt du
8 juillei 2003, Recueil2003-VTII, § 98., 119 et 122-127.
81 Voir F. SUDRE (note 70), § 31.
82
Voir F. RIGAUX, L'immigration :droit international et droits fondamentaux, in: Les
droits de l'homme au seuil du troisième millénaire - Mélanges en hommage à Pierre
Lambert, Bruxelles (Bruylant), 2000, pp. 693-722, à la p. 713. À ces deux catégories
d'affaires, une troisième s'est ajoutée plus récemment: celle des affaires concernant la
régularisation de la situation de séjour de résidents de longue durée se trouvant en
situation irrégulière de séjour dans les pays baltiques à la suite de la dissolution de
l'URSS (voir par ex. Cour EDH, Sisojeva c. Lettonie, note 32). La jurisprudence
relative à ces affaires est ici examinée uniquement dans la mesure où elle enferme des
enseignements généraux pour la matière qui nous occupe.
83
Voir en particulier Cour EDH, Gül c. Suisse (note 73), Opinion dissidente des Juges
MARTENS et RUSSO, § 7. Voir également S. PEERS, •Family reunion and
Community law, in: N. WALKER (éd.), Europe's area of freedom, security and justice,
Oxford (OUP), 2004, pp. 143-197, à la p.195.
S4
Voir par ex., en matière d'éloignement, Cour EDH, Berrehab c. Pays-Bas (note 40);
Cour EDH, Moustaquim c. Belgique (note 27) ; Cour EDH, Boultif c. Suisse, req.

226
importe donc de définir avec précision le critère de distinction entre les deux
catégories d'affaires, une question qui a reçu jusqu'ici peu d'attention de la
part de la doctrine.
36 Préliminairement, il y a lieu de relever qu'en la matière qui nous occupe,
lorsqu'elle vérifie la conformité à la Convention d'une mesure étatique, la
Cour se place au moment où celle-ci devient définitive en vertu de
l'épuisement des voies de recours intemes85 . C'est donc par référence à la
situation existant à ce moment que la Cour décide - entre autres - si elle doit
examiner la mesure litigieuse en tant qu'ingérence ou en tant que
manquement à une obligation positive.
Cela dit, les critères de distinction adoptés par la Cour pourraient
théoriquement être les suivants : celui de la présence physique sur le territoire
de l'État, celui du contenu de la mesure litigieuse et celui que nous
appellerons de l'« autorisation préalable».
Suivant le premier critère, qui est implicitement ou explicitement retenu par
certains auteurs qui se sont penchés sur la question86 , la Cour distinguerait
selon que la mesure litigieuse écarte du territoire national un étranger qui s'y
trouve déjà physiquement, le séparant matériellement de ses proches
(ingérence), ou bien un étranger se trouvant hors du pays, l'empêchant ainsi
matériellement de rejoindre ses proches (manquement à une obligation
positive). Comme le démontrent plusieurs arrêts, tel n'est pas le critère retenu
par la Cour. Elle s'est en effet placée sur le terrain des obligations positives
dans plusieurs affaires où l'étranger concerné se trouvait dans le pays au
moment où la décision définitive est tombée87 , et sur celui des obligations

no 54273/00, arrêt du 2 août 2001, Recueil 2001-IX. Voir également, en matière de


non admission, Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni
(note 18) ; Cour EDH, Gül c. Suisse (note 73) ; Cour EDH, Ahmut c. Pays-Bas, req.
no 21702/93, arrêt du 28 novembre 1996, Recueil 1996-VI; Cour EDH, Sen c. Pays-
Bas (note 79). Voir en doctrine C. OVEY, The margin of appreciation and article 8 of
the Convention, HRLJ (1998), pp. 10-12, à la p. 10.
85
Voir notamment Cour EDH, Yildiz c. Autriche, req. no 37295/97, arrêt du 31 octobre
2002, non publié au Recueil, § 44, ainsi que Cour EDH, Yilmaz c. Allemagne, req.
no 52853/99, arrêt du 17 avril2003, non publié au Recueil, § 45.
86
Voir notamment C. WARBRICK, The structure of article 8, EHRLR (1998), pp. 32-
44, à la p. 38, ainsi que H. LAMBERT, La situation des étrangers au regard de la
Convention européenne des droits de l'homme, Strasbourg (Éditions du Conseil de
l'Europe), z• éd., 2001, pp. 45-46. Voir également CJCE, PE/Conseil (note 16),
cons. 52.
87
Voir notamment Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note
18) ; Cour EDH, Ahmut c. Pays-Bas (note 84).

227
négatives dans au moins une affaire où l'étranger concerné était à ce moment-
là hors du territoire de l'État88 •
Le deuxième critère -celui du contenu de la mesure litigieuse- s'appuierait
quelque peu mécaniquement sur l'idée selon laquelle les ingérences sont des
violations «actives» d'une obligation de ne pas faire, et les manquements à
des obligations positives consisteraient d'un refus d'agir ou d'une omission
illégale (cf. supra, n° 31). Il faudrait ainsi distinguer entre mesures
comportant «positivement» un ordre de quitter le territoire (ingérence) et
mesures par lesquelles l'État refuse d'autoriser l'entrée ou le séjour
(ingérences «négatives», i.e. manquement à des obligations positives). Or, la
Cour fait abstraction également de cette circonstance lorsqu'elle décide du
terrain d'analyse de la mesure litigieuse. À titre d'exemple, dans l'affaire
Berrehab, la mesure litigieuse était un refus de renouvellement du permis de
séjour, et elle a été considérée par la Cour comme étant une ingérence.
37 Reste le troisième critère, que nous avons appelé de l'autorisation
préalable. Suivant ce critère, il faut distinguer selon que l'État, par la mesure
litigieuse, retire ou ne renouvelle pas à un étranger l'autorisation de séjourner
sur son territoire (ingérence) ou lui refuse une première autorisation de séjour
(manquement à une obligation positive). Disons tout de suite que ce critère,
comme les précédents, cadre mal avec la construction théorique générale des
obligations positives. En effet, lorsqu'il autorise un étranger à résider sur son
territoire aux fins du regroupement familial, l'État n'accomplit pas une action
comparable à celles qui sont généralement rattachées à la notion d'obligation
positive (cf. supra, no 31 ). En revanche, la décision par laquelle il refuse une
telle autorisation pourrait fort bien passer pour une ingérence - i.e. un acte
positif (non pas une « omission ») qui fait échec au développement de la vie
familiale tel que souhaité par les intéressés 89 •
Mais pour critiquable qu'il soit, le critère de l'autorisation préalable est bien
celui que la Cour applique lorsqu'elle distingue les affaires «d'éloignement»
de celles de « de non admission ».
38 On le constate en examinant un par un les arrêts et décisions pertinents 90 .
Par ailleurs, la Cour s'est à plusieurs reprises prononcée sur ce point, et de

88
Cour EDH, Haliti c. Suisse, req. no 14015/02, décision du l"' mars 2005, non publiée
au Recueil.
89
En ce sens, Cour EDH, Gül c. Suisse (note 73), Opinion dissidente des Juges
MARTENS et RUSSO, § 7.
90
On relèvera, en effet, que dans les affaires traitées par la Cour sur le terrain des
obligations positives l'étranger «non admis» est toujours une personne à laquelle

228
manière de plus en plus explicite. Ainsi, dans l'arrêt Ahmut de 199691 on peut
lire(§ 63, italiques ajoutés) :
La présente espèce dépend de la question de savoir si les autorités
néerlandaises avaient l'obligation d'autoriser Souffiane à résider avec son
père aux Pays-Bas, permettant ainsi aux intéressés de maintenir et de
développer une vie familiale sur leur territoire. Pour cette raison, la Cour
analysera l'affaire comme concernant une allégation de non-exécution par
l'État défendeur d'une obligation positive.

Dans l'arrêt Rodrigues da Silva de 200692 elle reprend et développe ce même


concept, formulant ainsi de manière accomplie le critère de l'autorisation
préalable (§ 38) :
[l']he present case concerns the refusal of the domestic authorities to a1low
the first applicant to reside in the Netherlands ; although she has been
living in that country since 1994, her stay there has at no time been lawful.
Therefore, the impugned decision did not constitute an interference with
the applicants' exercise of the right to respect for their family life in that a
resident status, entitling the first applicant to remain in the Netherlands,
was withdrawn. The question to be examined in the present case is rather
whether the Netherlands authorities were under a duty to allow the first
applicant to reside in the Netherlands, thus enabling the applicants to
maintain and develop family life in their territory. For this reason the
Court agrees with the parties that this case is to be seen as one involving
an allegation offailure on the part of the respondent State to comply with a
positive· obligation.

39 Deux précisions restent à faire.


D'abord, comme il résulte notamment de l'arrêt Ahmut, la délivrance à
l'intéressé d'un titre provisoire de séjour, valable uniquement pendant la
procédure d'octroi d'un titre «définitif», ne vaut pas «autorisation
préalable». L'éventuel éloignement du titulaire d'un tel titre provisoire, à la

l'État défendeur n'a pas délivré un titre de séjour, sauf éventuellement des permis de
courte durée (touristiques, études, etc.) : voir en particulier Cour EDH, Abdulaziz,
Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note 18), § 42, 46 et 51 ; Cour EDH, Gül c.
Suisse (note 73), § 14; Cour EDH, Ahmut c. Pays-Bas (note 84), § 66; Cour EDH,
Sen c. Pays-Bas (note 79), § 13 ss. L'inverse est vrai pour les affaires traitées sur le
terrain des ingérences, où l'étranger éloigné a toujours un passé de résident régulier:
voir par ex. Cour EDH, Berrehab c. Pays-Bas (note 40), § 8 ; Cour EDH, Moustaquim
c. Belgique (note 27), § 9 ; Cour EDH, Nasri c. France (note 27), § 6 ; Cour EDH,
Boultif c. Suisse (note 84), § 14.
91
Cour EDH, Ahmut c. Pays-Bas (note 84).
92
Cour EDH, Rodrigues da Silva et Hoogkamer c. Pays-Bas, req. no 50435/99, arrêt du
31 janvier 2006, non encore publié au Recueil. Contraster avec Cour EDH, Ciliz c.
Pays-Bas, req. no 29192/95, arrêt du 11 juillet 2000, Recueil2000-VIII, § 62.

229
suite du rejet de la demande d'octroi du titre définitif, est donc en principe
examiné comme une décision de non admission93 •
Ensuite, il faut relever qu'il existe des situations «de frontière», dans
lesquelles l'application du critère d'autorisation ne produit pas des résultats
univoques. Tel est le cas, par exemple, des affaires où des mesures
d'expulsion sont prises à l'encontre d'étrangers illégalement présents sur le
territoire au moment de leur prononcé, et a fortiori au moment où elles
deviennent définitives, mais qui en raison d'une longue période précédente de
séjour régulier entrent dans la catégorie des «étrangers intégrés». Dans de
telles affaires, et dans les affaires similaires des personnes qui - une fois
perdue la citoyenneté du pays où elles vivent- sont menacées d'expulsion car
dépourvues de titre de séjour, la Cour a décidé de se placer sur le terrain des
• , 94
mgerences .
40 Une notation, enfin, sur la protection accordée par l'article 8 CEDH aux
personnes en situation irrégulière de séjour. La jurisprudence de la Cour
écarte les deux positions extrêmes, selon lesquelles un étranger illégalement
présent ne pourrait se prévaloir de l'article 8 CEDH contre une décision
d'éloignement ou de non admission, ou au contraire se trouverait dans la
même position qu'un étranger résidant régulièrement. Comme nous venons
de le voir, les « admis » et les « non admis » jouissent du droit au respect de
la vie familiale, mais selon des principes différents - les uns étant protégés
contre des mesures d'éloignement, constitutives d'une ingérence, les autres
pouvant le cas échéant faire valoir une obligation positive au sujet de leur
admission95 • Comme nous le verrons, par ailleurs, la «qualité» du séjour est
prise en compte par la Cour également pour juger de la proportionnalité de la
mesure litigieuse (cf. infra, no 54).

93
Cour EDH, Ahmut c. Pays-Bas (note 84), § 66, avec les§ 61-63.
94
Cour EDH, Boughanemi c. France (note 58), § 7, 9, 10, 15 et 35 ; Cour EDH, Dalia c.
France, req. n° 26102/95, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-1, § 7, 8, 13, 20, 43
et 45 ; Cour EDH, Sisojeva c. Lettonie (note 32), § 14, 15 et 101.
95 Pour l'affirmation d'un «droit à l'admission» tiré de l'article 8 CEDH en faveur
d'une personne en situation de séjour irrégulier voir Cour EDH, Rodrigues da Silva et
Hoogkamer c. Pays-Bas (note 92), § 44.

230
d) Marge d'appréciation nationale et contrôle européen sur
l'observation de l'article 8 CEDH
41 Selon l'enseignement constant de la Cour, les États parties jouissent
d'une «certaine marge d'appréciation» en ce qui concerne la conciliation de
l'intérêt général avec le droit au respect de la vie familiale. Cette circonstance
revêt une importance particulière dans le contentieux de l'entrée et du séjour
des étrangers.
La doctrine de la marge d'appréciation est une doctrine interprétative
d'origine jurisprudentielle96, qui repose sur un double fondement théorique.
D'une part, elle exprime la valeur du pluralisme juridique, et donc de la
pluralité des manières admissibles, dans une «société démocratique», de
garantir les droits protégés et de les balancer avec des valeurs concurrentes
reconnues par la Convention97 • D'autre part, elle dérive du caractère
subsidiaire du mécanisme de contrôle européen sur l'observation de la
Convention, et de la responsabilité principale que celle-ci assigne aux
autorités nationales, qui sont en contact direct avec les « forces vives » de la
société, en la protection des droits garantis et en la réglementation de leur
exercice (voir notamment les articles 1 et 35 § 1 CEDH)98 •
42 En ce qui concerne les droits conditionnels, dont le droit au respect de la
vie familiale, la marge nationale d'appréciation se situe au niveau de la mise

96
On notera, en effet, qu'aucune disposition de la Convention n'utilise expressément
l'expression« marge d'appréciation».
97
Voir notamment A.-D. OLINGA, C. PICHERAL, La théorie de la marge
d'appréciation dans la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de
l'homme, RTDH (1995), pp. 568-604, à la p. 569. Voir également P. MAHONEY
(note 33), aux pp. 2 et 3, sous les concepts de Democratie Society et de Cultural
Diversity. Sous cet angle, la jurisprudence de la Cour «traduit la recherche d'un
délicat équilibre entre la définition d'une norme commune en matière de droits de
l'homme (d'un 'standard' commun) et la préservation des particularismes étatiques»
(F. SUDRE, note 24, p. 47).
98
Voir notamment Cour EDH, Handyside c. Royaume-Uni [Plén.], req. no 5493172, arrêt
du 7 décembre 1976, série A. n° 24, § 48. Voir également Cour EDH, «Affaire
linguistique belge» [Plén], req. n° 1474/62, 1677/62, 1691/62, 1769/63, 1994/63 et
2126/64, arrêt du 23 juillet 1968, série A, no 6, pp. 34-35, § 10. En doctrine, voir A-D.
OLINGA, C. PICHERAL (note précédente), à la p. 568 ; P. MAHONEY (note 33), à
la p. 2, sous le concept de Subsidiarity. Sous cet aspect, la «marge d'appréciation
nationale» se trouve en rapport d'opposition dialectique («va de pair») avec le
«contrôle européen» exercé par la Cour sur le respect de la Convention (F. SUDRE,
note 74, § 154).

231
en balance des intérêts de l'individu et de la collectivitë9• Ainsi, sous le
contrôle de la Cour, il appartient premièrement aux États de juger de
l'existence d'un besoin social impérieux justifiant une ingérence dans le droit
garanti 100, d'agir en conséquence en réglementant l'exercice de ce droit et
d'adopter, le cas échéant, des mesures y apportant in concreto une
limitation 101 . De même, dans la pesée des intérêts que présuppose
l'affirmation d'une obligation positive, et dans le choix des moyens de s'y
conformer, les États jouissent d'une marge d'appréciation 102 .
43 Un des attributs fondamentaux de la marge d'appréciation est son
étendue variable. Ces variations sont parfois expressément relevées par la
Cour, qui qualifiera la marge d'appréciation de «large», «réduite» ou qui
constatera, de manière plus réservée, l'existence d'une «certaine» marge
d'appréciation dans le chef des autorités nationales 103 •
À cet égard, la Cour afftrme dans l'arrêt Rasmussen (§ 40) 104 :
L'étendue de la marge d'appréciation varie selon les circonstances, les
domaines et le contexte ; la présence ou absence d'un dénominateur
commun aux systèmes juridiques des États contractants peut constituer un
facteur pertinent à cet égard.

99 Voir notamment W. J. GANSHOF VAN DER MEERSCH, Le caractère« autonome»


des termes et la «marge d'appréciation» des gouvernements dans l'interprétation de
la Convention européenne des droits de l'homme, in: F. MATSCHER, H. PETZOLD
(éds.), Protection des droits de l'homme : la dimension européenne - Mélanges
Wiarda, Cologne/Berlin/Bonn/Munich (Carl Heymanns), 1990, pp. 201-220, § 22;
C. OVEY (note 84), à la p. 10.
100 Naturellement, le besoin social dont il est question doit pouvoir se rapporter aux « buts
légitimes » énumérés par l'article 8 § 2.
101 Voir notamment W. J. GANSHOF VAN DER MEERSCH (note 99), §50.
102 C. OVEY (note 84), à la p. 10 ; F. SUDRE (note 70), § 23-33.
103 Voir respectivement, à titre d'exemple, Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali
c. Royaume-Uni (note 18), § 67; Cour EDH, Dudgeon c. Royaume-Uni (note 46),
§ 52 ; Cour EDH, Ahmut c. Pays-Bas (note 84), § 63.
104 Cour EDH, Rasmussen c. Danemark, req. no 8777/79, arrêt du 28 novembre 1984,
série A, n° 87.

232
En doctrine, on trouve des énumérations plus exhaustives, systématiques et
détaillées 105 : .

L'étendue de la marge d'appréciation varie [ ... ] selon les circonstances de


temps et de lieu, la nature du droit en cause ou des activités en jeu, le but
de l'ingérence au droit, l'existence ou non d'un« dénominateur commun»
aux systèmes juridiques des États contractants [ ... ]. La plus ou moins
grande précision de la disposition conventionnelle est également un critère
de délimitation de l'étendue de la marge d'appréciation.

44 L'étendue de la marge d'appréciation influe sur la portée des obligations


de l'État, ainsi que sur les modalités du contrôle effectué par la Cour.
Sous le premier aspect, et donc dans une optique «normative», la notion de
marge d'appréciation- large ou restreinte, selon le cas- traduit simplement
la plus ou moins grande liberté dont jouissent les États, dans les circonstances
données, d'apporter une restriction à un droit garanti106 • Ainsi caractérisée,
elle exprime le fait que la ligne entre ce qui est admis par la Convention et ce
qui ne 1' est pas - i.e. entre ce qui est admis dans une « société démocratique »
et ce qui ne l'est pas - varie en fonction des facteurs que nous avons
énumérés plus en haut107•
Sous le deuxième aspect, et donc dans une perspective « institutionnelle », la
doctrine de la marge d'appréciation tend à délimiter l'étendue des pouvoirs du
juge européen vis-à-vis des autorités nationales 108 : « à une liberté
d'appréciation moins discrétionnaire de l'État correspond un contrôle plus
poussé de la Cour» 109 et vice-versa. Cela est particulièrement vrai du contrôle
de proportionnalité, «antidote» de la marge discrétionnaire 110•

105 Voir F. SUDRE (note 70), § 27. Paul MAHONEY énumère et commente, bien que
dans un ordre différent, les mêmes facteurs (P. MAHONEY, note 33, à la p. 5), y
ajoutant en termes dubitatifs la nature de l'obligation (positive ou négative) qui est en
jeu.
106 E
n ce sens, et avec une fiorte connotation
. ..
cntique envers 1a doctrme
. .de 1a marge
d'appréciation, voir Cour EDH, Z. c. Finlande, req. n° 22009/93, arrêt du 25 février
1997, Recuei11997-I, Opinion partiellement dissidente du Juge DE MEYER, § 3.
107 P. MAHONEY (note 33), à la p. 3.
108 Sur cette dimension institutionnelle de la doctrine de marge d'appréciation, voir Cour

EDH, Cossey c. Royaume-Uni (note 33), Opinion dissidente du Juge MARTENS,


§ 3.6.3 ; P. MAHONEY (note 33), à la p. 3.
109 F. SUDRE (note 24), p. 45. Voir également N. LAVENDER, The problem of the

margin of appreciation, EHRLR (1997), pp. 380-390, à la p. 382. .


110 Ainsi P. LAMBERT, Marge nationale d'appréciation et contrôle de proportionnalité,
in: F. SUDRE (éd.), L'interprétation de la Convention européenne des droits de
l'homme, Bruxelles (Nemesis/Bruylant), 1998, pp. 63-89, § 2 in fine. Voir également
§ 10.

233
Rappelons à cet égard que dans le système établi par la Conventionm,
la Cour n'a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes
compétentes, mais d'apprécier sous l'angle de [leur conformité avec la
Convention] les décisions qu'elles ont rendues dans l'exercice de leur
pouvoir d'appréciation.

Très schématiquement, on peut affirmer que ce pouvoir de « réexamen »


comporte différents niveaux de contrôle. À un premier niveau, la Cour vérifie
l'absence d'arbitraire et la « conventionnalité externe » de la mesure
litigieuse : sa légalité, le respect de garanties procédurales lors de son
adoption, etc. (cf. aussi infra, chap. VII, n° 28 ss). Sur ce plan, la doctrine de
la marge d'appréciation n'a en principe pas un rôle à jouer112 • Au-delà de ces
aspects, la Cour examine également la proportionnalité de la mesure, passant
à considérer le fond de la mesure. C'est ici que l'étendue de la marge
d'appréciation joue un rôle plus important. En présence d'une marge
d'appréciation étendue, il arrive à la Cour de se satisfaire d'un contrôle
relativement superficiel, centré sur l'existence de motifs pertinents et
suffisants, propres à justifier «raisonnablement» le sacrifice de l'intérêt
protégé. À 1' extrême opposé, la Cour peut effectuer un contrôle bien plus
poussé, en exigeant que l'ingérence soit justifiée par de « graves raisons »
(weighty reasons), en soumettant à un scrutin approfondi l'évaluation des
faits effectuée par les autorités nationales et en opérant une nouvelle mise en
balance des intérêts en présence 113 •
45 À la lumière de ce qui précède, il y a lieu maintenant d'apprécier
certaines affirmations qui recourent dans la jurisprudence en matière de droit
au respect de la vie familiale et immigration. La Cour, on le rappellera, ne
manque jamais de souligner que les États « ont le droit de contrôler, en vertu
d'un principe de droit international bien établi [ ... ], l'entrée et le séjour des
non nationaux» (cf. supra, n° 9). Cette phrase -selon l'expression à notre
sens trop sévère de Pierre-François DOCQUIR, un «rituel d'allégeance à la
souveraineté étatique »114 - a des implications claires sur le terrain de la

111 Cour EDH, Handyside c. Royaume-Uni (note 98), §50.


112 P. MAHONEY (note 33), à la p. 4.
113 On notera cependant que la Cour n'a pas développé une doctrine cohérente et
structurée de l'intensité du contrôle, ou si on préfère des différents types de test de
proportionnalité qui correspondent aux différentes étendues de la marge nationale
d'appréciation: voir en particulier N. LAVENDER (note 109) ; P. LAMBERT (note
110), § 7.
114 P.-F. DOCQUIR (note 29), § 7. L'expression est à notre sens trop sévère car elle
méconnaît la contribution significative de la jurisprudence de la Cour à la protection
des droits des migrants, au détriment de la « souveraineté étatique >>. De plus, elle

234
marge d'appréciation. La Cour accepte en effet que 1' « activité en jeu » -
l'immigration - rentre parmi celles où l'État jouit traditionnellement d'une
grande liberté. Par ailleurs, la politique d'immigration des États - que les
organes de Strasbourg «[n'ont] pas à juger en soi »115 - est arrêtée en
fonction des « besoins et des ressources » des communautés nationales,
pouvant être « restrictive » sans donner lieu, de ce seul fait, à contestation au
regard de la Convention116• Pour reprendre l'expression de MAHONEY et
l'appliquer dans ce contexte, la Cour semble reconnaître qu'en matière
d'immigration il y a «a spectrum of differing but acceptable opinions» et
qu'elle est tenue de reconnaître dans ce domaine aux États une certaine
«freedom [ ...] to disagree, to choose different solutions according to their
own notions and needs »117 • Autant dire que les États jouissent en principe -
et sous réserve de la «situation des intéressés et de l'intérêt général» tels
qu'ils se présentent dans chaque cas- d'une marge d'appréciation étendue en
la matière 118•
Par ailleurs, la Cour ajoute souvent que «la notion de 'respect' [de la vie
familiale] man~ue [ ... ] de netteté, surtout quand [des obligations positives]
sont en jeu »11 • Ce passage évoque la question, souvent débattue, de la
relation entre l'étendue de la marge d'appréciation, d'une part, et la nature
des obligations en cause, d'autre part. La position de la Cour tend en général

méconnaît la validité, en principe, du souci de la Cour de ne pas restreindre


excessivement la marge de manœuvre des autorités politiques en la matière.· Par
conséquent, elle est trop peu compréhensive à l'égard de la Cour, au vu de la difficulté
intrinsèque de l'exercice qui consiste à balancer le maintien de contrôles
d'immigration viables avec la protection effective des droits de l'homme. Selon le
proverbe malgache cité à bon titre par Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, dans cette
matière la Cour se trouve« entre le lait sur le feu et la belle-mère qui tambourine à la
porte» (J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, Le maintien du lien familial des étrangers,
in: F. SUDRE (éd.), Le droit au respect de la vie familiale au sens de la Convention
européenne des droits de l'homme, Bruxelles (Nemesis/Bruylant), 2002, pp. 211-239,
à la p. 216).
115 Comm. EDH, Djeroud c. France, req. n° 13446/87, rapport du 15 mars 1990, publié en
annexe à l'arrêt de la Cour du 23 janvier 1991, série A, n° 191-B, § 63.
116 Ainsi, la Cour relève-t-elle que les exigences inhérentes au respect de la vie familiale
dans le contexte de l'immigration varient en fonction « de la diversité des pratiques
suivies et des conditions existant dans les États contractants » (Cour EDH, Abdulaziz,
Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, note 18, § 67). Voir également, dans ce même
sens, W. J. GANSHOF V AN DER MEERSCH (note 99), § 28.
117 P. MAHONEY (note 33), à la p. 3. ·
118 Voir F. RlGAUX (note 82), à la p. 721 ; J. ANDRIANTSIMBAZOVINA (note 114), à
la p. 234.
119 Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note 18), § 67.

235
vers la convergence des principes applicables, indépendamment de la nature
de l'obligation120 . Dans le domaine de l'immigration, comme nous le verrons
tout de suite, la Cour juge les affaires d'éloignement et de non admission
selon des critères différents, mais qui s'inspirent de principes communs
(cf. également infra, no 108 ss).

B. Le droit au respect de la vie familiale et l'éloignement


des étrangers résidants

1. La qualification de la mesure litigieuse en tant


qu,ingérence
46 D'après la jurisprudence de la Cour, constitue une ingérence dans la vie
familiale toute mesure qui, retirant à un étranger son autorisation de résider
sur le territoire de l'État et entraînant pour lui l'obligation de le quitter, porte
atteinte aux liens qu'il entretient avec les membres de sa famille qui s'y
trouvent licitement 121 •

120 Dans un premier temps, en effet, la Cour met clairement l'accent« sur le 'libre choix'
dont dispose l'État pour remplir l'obligation positive mise à sa charge» (F. SUDRE,
note 70, § 24). Ensuite, elle substitue cette expression par celle de la «large marge
d'appréciation», qui devrait systématiquement être reconnue aux États en ce qui
concerne l'observation de leurs obligations positives. Plus récemment (Cour EDH,
Ahmut c. Pays-Bas, note 84, § 63), la Cour se borne à relever que les États jouissent,
en ce qui concerne le respect des obligations positives et négatives, d'une «certaine
marge d'appréciation ». Cette expression est peut-être trop générique pour qu'on
puisse en tirer un clair principe d'équivalence de la marge d'appréciation dans les deux
cas (contra, C. OVEY, note 84, à la p. 10). En faveur de l'indifférence en principe de
la nature de l'obligation, voir cependant: Cour EDH, Gül c. Suisse (note 73), Opinion
dissidente des Juges MARTENS et RUSSO, § 8 ; F. SUDRE (note 70). En sens
dubitatif, voir P. MAHONEY (note 33), à la p. 5.
121 Voir par ex. Cour EDH, Berrehab c. Pays-Bas (note 40); Cour EDH, Moustaquim c.
Belgique (note 27). Pour une formulation particulièrement claire de ce principe, voir
Cour EDH, Ciliz c. Pays-Bas (note 92), § 62. Voir également J.-Y. CARLIER, Vers
l'interdiction d'expulsion des étrangers intégrés ?, RTDH (1993), pp. 449-466, à la
p. 456. Sur le concept d'ingérence, cf. supra, no 30. Sur la condition de présence licite
du membre de la famille dans l'Ëtat contractant, voir notamment P. MOCK,
Convention européenne des droits de l'homme, immigration et droit au respect de la
vie familiale, AJP/PJA (1996), pp. 541-549, à la p. 543. Selon la jurisprudence du
Tribunal fédéral suisse, l'article 8 CEDH ne serait applicable, dans des affaires
d'éloignement ou de non admission, que si le membre de la famille de l'intéressé jouit

236
Il est implicite dans cette caractérisation que si l'État expulse de son territoire
l'ensemble des membres de la famille, aucune question ne se pose sous
l'angle du respect de la vie familiale 122 • Il en va ainsi même si une séparation
a matériellement lieu, certains membres de la famille étant effectivement
expulsés alors que d'autres se soustraient à l'exécution de la mesure et
demeurent irrégulièrement sur le territoire de l'État. En pareil cas, en effet, la
séparation n'est pas imputable à l'État123 .
47 Par ailleurs, comme nous l'avons déjà vu, la Cour voit en l'expulsion des
immigrants «de deuxième génération» et de ceux qui ont passé l'essentiel de
leur existence dans le pays hôte une atteinte à leur vie privée (cf. supra,
n° 13).

2. La justification de la mesure litigieuse au regard de l-'article


8 § 2 CEDH- aspects généraux
48 Une fois qualifiée d'ingérence la mesure litigieuse, la Cour en apprécie la
compatibilité avec la Convention à la lumière de la triple condition posée par
l'article 8 § 2: qu'elle soit prévue par la loi, qu'elle soit tournée vers un but
légitime et qu'elle soit nécessaire dans une société démocratique.

d'un droit de présence assuré(« gefestigtes Anwesenheitsrecht »)sur le territoire d'un


Ëtat contractant (voir notamment ATF 130 II 281, § 3.1 ; A. WURZBURGER, La
jurisprudence récente du Tribunal fédéral en matière de police des étrangers, RDAF
(1997), pp. 267-357, aux pp. 286-287 ; voir également, en sens critique, M. S.
NGUYEN, Droit public des étrangers, Berne (Stiimpfli), 2003, pp. 256-257). Il s'agit
d'une position dont la compatibilité avec la jurisprudence de la Cour EDH est très
douteuse. Pour décider de l'applicabilité de l'article 8 CEDH dans une affaire
d'éloignement ou de non admission, cette dernière vérifie en effet uniquement
l'existence d'un lien constitutif d'une vie familiale entre l'intéressé et le membre de sa
famille qui se trouve dans un Ëtat contractant, sans prendre en considération le statut
de séjour de ce dernier. Les liens du membre de la famille de l'intéressé avec l'Ëtat
défendeur, y compris son statut de séjour, sont en revanche pris en compte au stade du
test de proportionnalité (cf. infra, no 59 ss et 85 ; en sens conforme, voir notamment
P. MOCK, loc. cit. ; S. BANGERTER, Die Reneja-Praxis des Bundesgerichtes - Zeit
für den niichsten Schritt, AJP/PJA (2003), pp. 1364-1369, aux pp. 1366-1368, avec
références bibliographiques).
122 Voir Cour EDH, Sejdovic et autres c. Italie, req. no 58487/00, décision du 14 juin
2001, non publiée au Recueil, où la Cour affirme que par une telle mesure d'expulsion
1'État « [préserve] l'unité du foyer familial ».
123 Cour EDH, Cruz Varas c. Suède [Plén.], req. no 15576/89, arrêt du 20 mars 1991, série
A, n° 201, § 88.

237
49 L'exigence de légalité n'est remplie, selon l'enseignement de la Cour,
que si la mesure litigieuse a une base légale en droit interne 124 et si cette base
légale est accessible au justiciable et son application est suffisamment
prévisible 125• Dans l'arrêt Al-Nashif, la Cour a en outre précisé que si la
mesure d'éloignement est prise sur le fondement d'une disposition conférant
à l'exécutif un pouvoir largement discrétionnaire, la condition de légalité
n'est remplie que si l'exercice de ce pouvoir est entouré de garanties propres
à éviter l'arbitraire (cf. infra, chap. VII, no 29).
50 Quant à la deuxième condition posée par l'article 8 § 2, la Cour exerce un
contrôle sur la correcte qualification du but poursuivi par la mesure litigieuse.
D'après sa jurisprudence, lorsque l'État décide de retirer son autorisation de
séjour à l'intéressé au motif qu'il a commis des infractions pénales, une telle
mesure vise la «défense de l'ordre et à la prévention d'infractions
pénales » 126• En revanche, lorsqu'une telle mesure est prise pour la cessation
du motif de séjour (emploi, mariage, etc.) -et donc pour des raisons tenant
uniquement à l'application des règles d'immigration - la Cour considère
généralement qu'elle vise à assurer le «bien-être économique du pays», en
raison du lien qui existe entre contrôle de l'immigration et régulation du
marché du travail 127• Comme il a été relevé par Vincent COUSSIRAT-
COUSTÈRE, le contrôle sur la qualification du but n'est pas «un exercice
futile de taxinomie juridique», en particulier parce que 128
[en sélectionnant] parmi les divers buts avancés celui qui paraît le plus
approprié à l'ingérence en cause [ ... ] [les organes de contrôle] choisissent
le terrain sur lequel la discussion de la nécessité de 1'ingérence se situera.

124 Ce qui inclut les traités internationaux conclus par l'État défendeur : voir Cour EDH,
Slivenko c. Lettonie (note 32), § 104-107 (traité rosso-letton de retrait des forces
armées russes).
125 Sur ces conditions voir notamment V. COUSSIRAT-COUSTÈRE (note 67), aux
pp. 334-336.
126 Voir, parmi d'autres, Cour EDH, Moustaquim c. Belgique (note 27), § 39-40.
127 Voir notamment Cour EDH, Berrehab c. Pays-Bas (note 40), § 25-26. Dans le
contexte d'affaires de non admission, voir Comm. EDH, Carrupt-Pontes Vilela c.
Suisse, req. n° 33188/96, décision du 9 septembre 1998, non publiée. Dans l'affaire
Slivenko, la Cour retient en revanche comme but de la mesure litigieuse la protection
de la «sécurité nationale», bien que les requérants ne se soient rendus coupables
d'aucun comportement répréhensible. Cela s'explique en raison du contexte de
l'affaire, les mesures d'éloignement ayant été prises en application d'un traité sur le
retrait des forces armées russes du territoire letton: voir Cour EDH, Slivenko c.
Lettonie (note 32), § 111.
128 •
V. COUSSIRAT-COUSTERE (note 67), aux p. 336-337.

238
51 Dans la quasi-totalité des affaires d'éloignement, la conventionnalité de
la mesure litigieuse dépend de sa conformité à la troisième condition définie
par 1' article 8 § 2, à savoir qu'elle doit être « nécessaire dans une société
démocratique» à la réalisation du but qu'elle vise 129• À ce titre, la Cour
vérifie - selon une formule usuelle - si la mesure litigieuse est « justifiée par
un besoin social impérieux et, notamment proportionnée au but légitime
• • 130
pourSWVl » .
Le test de proportionnalité est à un tel point prépondérant dans l'économie du
contrôle de « nécessité » que la Cour semble souvent identifier les deux
(cf. infra, n° 52). Relevons toutefois que le contrôle de nécessité a un objet
plus large, dans la mesure où il comporte également un examen des garanties
procédurales ayant entouré l'adoption de la mesure litigieuse (cf. infra,
chap. VII, n° 31 ss).

3. Le test de proportionnalité

a) Remarques liminaires
52 Le test de proportionnalité n'est pas seulement le cœur du contrôle
européen sur la nécessité des mesures d'éloignement, mais aussi son aspect le
plus délicat. Selon une formule tecourante131 ,
la tâche de la Cour consiste-t-elle à déterminer si le refus de renouveler
l'autorisation de séjour du requérant en l'espèce a respecté un juste
équilibre entre les intérêts en présence, à savoir, d'une part, le droit de
l'intéressé au respect de sa vie familiale, et, d'autre part, [la protection de
l'intérêt public pertinent].

Il s'agit ainsi de confronter d'une pàrt, l'intensité de la vie familiale de la


victime et la gravité de l'ingérence que constitue la mesure litigieuse, et
d'autre part, l'intensité de l'intérêt public à l'éloignement de l'étranger
concerné. Pour« quantifier» dans chaque cas d'espèce ces deux facteurs, la
Cour prend en considération un ensemble de circonstances factuelles, dont le
catalogue s'été progressivement consolidé et cristallisé au fil de 1' évolution

129 Pour unrare cas où la Cour a constaté qu'une mesure d'expulsion était en violation de
l'article 8 car non prévue par la loi au sens de la Convention, voir Cour EDE:I, Al-
Nashif c. Bulgarie, req. n° 50963/99, arrêt du 20 juin 2002, non publié au Recueil. Au
sujet de cet arrêt, cf.. infra, chap. VIT, n° 29.
130 Voir en dernierJieu Cour EDH, Aoulmi c. France (note 21), § 80.
131 .
Ibidem, § 81.

239
de la jurisprudence. À partir notamment de l'arrêt Boultif de 2001 132, la Cour
a abandonné l'approche «épisodique» de sa première jurisprudence 133 et a
fait œuvre de systématisation à cet égard.

b) Les circonstances pertinentes pour évaluer la gravité de


l'ingérence
53 En ce qui concerne la détermination de la« gravité de l'atteinte au droit
des requérants au respect de leur vie familiale » 134 , la Cour prend en
considération de nombreuses circonstances.
54 D'abord, elle prend en compte les liens développés par l'intéressé avec le
pays d'où il va être expulsé, ainsi que ceux qu'il a conservés avec son pays
d'origine 135 • Au titre des premiers liens, la Cour apprécie notamment la
durée 136 et la « qualité » de son séjour, étant entendu que ce deuxième
concept renvoie à l'histoire migratoire de l'intéressé, à son statut de séjour,
ainsi qu'aux démarches que l'intéressé a ou n'a pas entrepris en vue de
s'intégrer dans la société d'accueil 137 . Au titre des deuxièmes liens, la Cour

132 Cour EDH, Boultif c. Suisse (note 84).


133 Voir B. NASCIMBENE, La Convenzione, la condizione dello straniero e la
giurisprudenza, in: B. NASCIMBENE (éd.), La Convenzione europea dei diritti
dell'uomo- profili ed effetti nell'ordinamento italiano, Milan (Giuffré), 2002, pp. 153-
184, à la p. 164. Le manque de cohérence systématique de la jurisprudence de la Cour
avait été durement stigmatisé au sein même de la Cour: voir Cour EDH, Beldjoudi c.
France (note 27), Opinion dissidente du Juge PETTITI, où ce dernier souligne que la
Cour devrait« fixer les critères précis de [la] mise en balance». Voir également Cour
EDH, Boughanemi c. France (note 58), Opinion dissidente du Juge MARTENS, § 4,
où il est affirmé que« [l]'approche au cas par cas utilisée par la majorité est une loterie
pour les autorités nationales et une source d'embarras pour la Cour ».
134
Cour EDH, Berrehab c. Pays-Bas (note 40), § 29.
135 Voir par ex. Cour EDH, Moustaquim c. Belgique (note 27), § 45; Cour EDH, C. c.
Belgique (note 31), § 33-34.
136 Sur l'importance du facteur« temps» en faveur ou au détriment de l'étranger expulsé,

voir J. ANDRIANTSIMBAZOVINA (note 114), aux pp. 226-233.


137 L' expressiOn
· « qualite' du seJour»
'. est emp1oyee
' par 1a Cour, par ex., en re1erence
'"' au
fait que l'intéressé avait longuement résidé en situation irrégulière dans le territoire de
l'État défendeur: voir Cour EDH, Rahmani c. France, req. no 74109/01, décision du
24 juin 2003, non publiée au Recueil. Pour un exemple de prise en compte du statut de
séjour de l'intéressé, voir Cour EDH, Yilmaz c. Allemagne (note 85), § 48. En ce qui
concerne le troisième aspect mentionné dans le texte, la Cour attache en particulier du
poids au fait que l'intéressé ait ou non présenté une demande de naturalisation : voir
e.g Cour EDH, Boughanemi c. France (note 58), § 74. Voir les remarques critiques
formulées à cet égard par F. RIGAUX (note 82), à la p. 715.

240

-----1
prend en considération notamment les attaches familiales que l'intéressé a
dans le pays d'origine, ainsi que sa connaissance de l'environnement culturel
et de la langue de ce pays 138 .
Cette première série de critères fonde la distinction entre les étrangers de
deuxième générations et ceux qui ont immigré « dans leur prime jeunesse »,
d'une part, et les étrangers arrivés dans l'État d'où ils vont être expulsés «à
l'âge adulte», d'autre part. La première catégorie d'étrangers, nous l'avons
relevé, jouit d'une protection renforcée contre l'expulsion, dans la mesure où
leur éloignement constitue en tout état de cause une ingérence dans le droit au
respect de la vie privée (cf. supra, n° 13). La Cour tient en compte «les liens
particuliers que ces immigrés ont tissés avec leur pays d'accueil où ils ont
passé l'essentiel de leurs existence» également en év.aluant la gravité de
l'éventuelle atteinte à leur vie familiale 139 .
55 Dans l'affaire Sisojeva, où était en cause le refus de régulariser la
situation de séjour d'étrangers «intégrés» n'ayant pratiquement pas de liens
avec leur pays de nationalité, la Cour a notamment affirmé (§ 108, italiques
ajoutés) 140 :
Tout en reconnaissant le droit de chaque État de prendre des mesures
effectives afin d'assurer le respect de la législation en matière
d'immigration, elle considère qu'une mesure similaire à celle qu'ont subi
les requérants ne pourrait être proportionnée qu'en présence d'agissements
particulièrement dangereux de la part des intéressés.

Rappelons que dans cette affaire il n'y avait pas d'atteinte à des liens
familiaux- mais uniquement au «cadre habituel d'existence» des intéressés
- et que les mesures qu'avaient « subi les requérants » - le refus de
régulariser leur position par l'octroi d'un statut de résident permanent -
étaient loin d'avoir l'intensité d'une mesure d'éloignement. On le voit bien, la
marge de manœuvre des États au sujet des conditions de séjour des étrangers
intégrés, et a fortiori de leur éloignement, est particulièrement restreinte.

138 Ces critères ne sont pas inclus dans le «catalogue» établi par la Cour dans l'arrêt
Boultif c. Suisse (note 84). Voir cependant, parmi d'autres, Cour EDH, Nasri c.
France (note 27), § 45. L'objet de l'examen de la Cour est plus généralement celui de
préfigurer les conditions dans lesquelles l'étranger éloigné se trouvera dans son pays
d'origine, et d'éventuelles circonstances exceptionnelles d'insécurité peuvent entrer en
ligne de compte (voir Cour EDH, Jakupovic c. Autriche, req. no 36757/97, arrêt du
6 février 2003, non publié au Recueil, § 29).
139 Voir par ex. Cour EDH, Mokrani c. France (note 26), § 31.
°
14 Cour EDH, Sisojeva c. Lettonie (note 32).

241
56 La deuxième circonstance factuelle que la Cour est appelée à apprécier
est la situation familiale du requérant au sens étroit, i.e. l'intensité des liens
familiaux qu'il entretient avec les proches qui résident dans le pays d'où il va
être expulsé 141 • La Cour réexamine ici les mêmes circonstances qui sont
susceptibles d'êtres prises en compte pour décider de l'existence d'une «vie
familiale» au sens de l'article 8 (cf. supra, no 14 ss). Mais puisqu'il s'agit ici
de déterminer l'intensité de la vie familiale, le scrutin de la Cour est
normalement plus approfondi et les conclusions plus nuancées 142•
L'éventail des faits susceptibles d'être pris en compte à cette fin est vaste.
Dans l'affaire Boultif, où l'expulsion affectait la vie familiale de l'intéressé
avec sa femme, la Cour a déclaré prendre en compte.
la durée du mariage, [... ]d'autres éléments dénotant le caractère effectif de
la vie familiale d'un couple, [... ] la naissance d'enfants légitimes et, le cas
échéant, leur âge.

57 L'âge de l'étranger éloigné est un autre élément à prendre .en compte.


Cela résulte notamment de l'arrêt rendu dans l'affaire Jakupovic, où la Cour a
été amenée - certes en présence d'autres circonstances exceptionnelles - à se
prononcer avec une nettete' 1'nhab'ttue11e 143 :
the Court considers that very weighty reasons have to be put forward to
justify the expulsion of a young person (16 years old), atone, to a country
which has recently experienced a period of armed conflict with all its
adverse effects on living conditions and with no evidence of close relatives
living there.

58 La durée de la séparation causée par la mesure d'ingérence est également


un élément pertinent pour mesurer la gravité de l'atteinte à la vie familiale. À
l'évidence, une interdiction temporaire de séjour a des conséquences moins
graves qu'une interdiction de durée indéterminée. Dans les décisions rendues
depuis 2001, la Cour a affiné son approche à cet égard, jugeant parfois des
mesures d'interdiction disproportionnées car prononcées sans limite
temporelle 144• Il s'agit d'une jurisprudence à double tranchant, qui introduit
des nuances nouvelles dans le contrôle de la proportionnalité des mesures

141 Ou, selon une autre expression .employée par la Cour, «le degré de vie familiale qui
existait avant l'éloignement» (voir Cour EDH, Antate c. France, req. no 48211199,
décision du 11 juin 2002, non publiée au Recueil).
142 Ainsi, dans l'affaire Haliti la Cour admet sans question l'existence d'une vie familiale,
pour observer ensuite que les liens qui la constituent sont plutôt « distendus » (sic) :
voir Cour EDH, Haliti c. Suisse (note 88).
143 Cour EDH, Jakupovic c. Autriche (note 138), § 29.
144 Cour EDH, Yilmaz c. Allemagne (note 85), § 48.

242
d'éloignement. Si en effet elle approfondit le contrôle de la Cour sur ces
mesures, qui porte désormais également sur 1' existence de mesures
alternatives et moins invasives de la vie familiale des intéressés 145 , elle
entraîne en même temps une plus grande compréhension du juge. européen à
l'égard mesures sévères - en tant que mesures d'éloignement - mais
temporaires 146.
59 L'intensité de l'ingérence dépend également des obstacles qui s'opposent
à ce que la famille de l'intéressé le suive dans un autre pays, étant entendu
que147
le. simple fait qu'une personne risque de se heurter à des difficultés en
accompagnant son conjoint [NdA : mais le principe parait applicable à tout
membre de la famille] ne saurait en soi exclure une expulsion.

Les obstacles dont il est question ici sont de nature diverse.


60 Tout d'abord, il peut s'agir d'obstacles d'ordre juridique. Dans la mesure
où certains membres de la famille ne possèdent pas la nationalité de 1'État
vers où l'intéressé va être expulsé, il ne peut être présumé qu'ils pourront y
«immigrer »148. L'existence d'une telle possibilité doit au contraire être
appréciée de manière concrète, en tenant compte de la situation des
intéressés 149.
61 Des ·obstacles à la reconstitution de la vie familiale dans un autre pays
peuvent également dériver des risques que les membres de la ·famille y
encourraient. Tel est le cas, en particulier, si le membre de la famille risque
d'être persécuté ou soumis à des traitements contraires à l'article 3 CEDH
dans le pays de destination 150, ou bien s'il se trouve dans une situation de

145 Voir notamment Cour EDH, Radovanovic c. Autriche, req. no 42703/98, arrêt du
22 avril2004, non publié au Recueil, § 37.
146 Voir par ex. Cour EDH, Akkaya c. Allemagne, req. n° 21218/02, décision du
13 novembre 2003, non publiée au Recueil.
147 Cour EDH, Boultif c. Suisse (note 84), § 48.
148 Voir par ex. Cour EDH, Boultif c. Suisse (note 84), §54; Cour EDH, Amrollahi c.
Danemark, req. no 56811/00, arrêt du 11 juillet 2002, non publié au Recueil, § 42.
149 À titre d'exemple, dans l'affaire Mehemi la Cour estime que l'admission de l'intéressé
dans le pays d'origine de sa femme -l'Italie- est loin d'être acquise, en raison de son
passé pénal: Cour EDH, Mehemi c. France, req. n° 25017/94, arrêt du 26 septembre
1997, Recueil1997-VI, § 37. En doctrine, voir G. CVETIC, Immigration cases in
Strasbourg : the right to family life under article 8 of the European Convention, ICLQ
(1987), pp. 647-655, à la p. 649.
°
15 Cour EDH, Cruz Varas c. Suède (note 123), cons. 88. Si en revanche de tels risques
existent dans le chef de la personne éloignée, la question de la conventionnalité de

243
santé à un tel point critique que le transfert dans ce pays constituerait per se
un traitement inhumain 151 .
62 Les obstacles d'ordre matériel, culturel ou affectif sont également pris en
compte. Exceptionnellement, l'état de santé d'un membre de la famille peut
représenter un obstacle à son déplacement, même lorsque il n'est pas grave au
point que 1' article 3 de la Convention entrerait en ligne de compte 152 •
La question qui se pose normalement est toutefois celle de savoir si le
déplacement des membres de la famille pour rester avec la personne éloignée
constituerait pour eux un « déracinement » si grave, qu'on ne pourrait
raisonnablement s'attendre d'eux qu'ils suivent l'étranger éloigné pour
reformer l'unité familiale ailleurs. À ce titre, il faut considérer les liens des
membres de la famille avec le pays d'où l'intéressé va être expulsé et leurs
éventuels liens avec le pays de destination 153 . La nationalité des personnes
concernées joue certes un rôle également à cet égard, mais elle n'est pas
décisive 154• Les éléments factuels revêtent une plus grande importance.
En ce qui concerne les membres adultes de la famille, et plus particulièrement
le conjoint, la Cour maintient que lorsqu'ils n'ont jamais vécu dans le pays de
destination, n'ont pas d'autres liens avec ce pays, et ne parlent pas la langue
nationale, on ne peut s'attendre à ce qu'ils suivent l'étranger éloigné 155 •
En ce qui concerne les mineurs, la position de la Cour paraît plus fluctuante.
Dans certains arrêts, elle semble considérer que le transfert d'un enfant qui
n'a aucun lien réel avec le pays de destination peut entraîner un déracinement

l'expulsion se pose directement sur le terrain de l'article 3 CEDH. Voir


H. LAMBERT, The European Court of Human Rights and the right of refugees and
other persans in need of protection to family reunion, URL (1999), pp. 427-450, à la
p. 448.
151 Voir en particulier Cour EDH, Ndangoya c. Suède, req. no 17868/03, décision du
22 juin 2004, non publiée au Recueil : « no medical evidence has been presented
which would show that the applicant's partner would be unable to follow him to
Tanzania ».
152 Voir, dans le contexte d'une affaire de regroupement familial, Cour EDH, Gül c.
Suisse (note 73), § 41, où la Cour apprécie toutefois les circonstances d'une manière
extrêmement peu rigoureuse (voir F. RIGAUX, note 82, à la p. 716).
153 Cour EDH, Mehemi c. France (note 149), § 36.
154 Voir Comm. EDH, O. et O. L. c. Royaume-Uni, req. n° 11970/86, décision du 13 juillet
1987, non publiée.
155 Cour EDH, Boultif c. Suisse (note 84), § 53 ; Cour EDH, Amrollahi c. Danemark
(note 148), § 41.

244
excessif, même s'il s'agit d'un enfant en bas âge 156• Dans d'autres arrêts, qui
reprennent une position maintes fois exprimées par la Commission EDH, la
Cour estime en revanche que le transfert d'enfants d'un« âge adaptable» ne
comporte pas d'obstacles particuliers au développement d'une vie familiale
ailleurs 157• Cette argumentation est compréhensible dans son principe, mais
l'application que la Cour en fait est fort discutable158 • Au-delà des doutes
qu'on peut émettre sur la cohérence de la jurisprudence, et même en
admettant la théorie de 1' âge adaptable, il nous semble que le déracinement
auquel un adolescent risque d'être confronté doit être évalué avec des critères
semblables à ceux qui vàlent pour le conjoint, ce d'autant plus s'il est
réellement envisageable qu'il décide de rester seul dans le pays d'où le
membre de sa famille va être éloigné 59•
63 Un dernier élément susceptible d'être pris en compte est celui que nous
pouvons appeler la «prévisibilité» de l'éloignement pour les autres
personnes concernées au moment où le lien familial a été constitué. Dans
l'arrêt rendu dans l'affaire Boultif, où était en cause une expulsion fondée sur
les actes délictueux de l'étranger concerné, la Cour inclut au nombre des
critères pertinents « le point de savoir si le conjoint était au courant de
l'infraction au début de la relation familiale »160 • Cette affirmation reflète en
réalité un principe de portée plus vaste, que nous pouvons résumer ainsi :
dans la mesure où le lien familial que l'on fait valoir à l'encontre de
l'éloignement a été noué à un moment où la situation de séjour de l'étranger

156 Voir notamment Cour EDH, Berrehab c. Pa:ys-Bas (note 40), § 29; Cour EDH, Sezen
c. Pays-Bas, req. n° 50252/99, arrêt du 31 janvier 2006, non encore publié au Recueil,
§ 47 (enfants âgés de huit et deux ans).
157 ..
Voir par ex. Comm. EDH, O. et O. L. c. Royaume-Uni (note 154); Cour EDH, Uner c.
Pays-Bas, req. n° 46410/99, arrêt du 5 juillet 2005, non publié au Recueil, § 46
(enfants âgés de Six ans et d'un an et demi). Voir également Cour EDH, Sezen c. Pays-
Bas (note précédente), Opinion dissidente des Juges THOMASSON et JUNGWIERT,
§s.
158 En la décision Haliti c. Suisse (note 88), la Cour affirme qu'un garçon de quinze ans,
qui devrait quitter sa terre natale (la Suisse) pour suivre son père au Kosovo, est
«d'âge adaptable», après avoir refusé d'examiner l'impact de l'éloignement du père
sur la vie du fils aîné de dix-huit ans, car celui-ci est majeur. Si on suivait la Cour dans
ce raisonnement, on devrait en conclure que les difficultés de réadaptation des enfants
de la personne expulsée n'entrent pratiquement jamais en ligne de compte: à quinze
ans on est «adaptable», et à dix-huit on est «majeur». Un raisonnement aussi
contestable s'explique probablement en raison des circonstances particulières de
l'affaire (cf. infra, n° 68).
159 Voir en ce sens Cour EDH, Amrollahi c. Danemark (note 148), § 41.
160 Cour EDH, Boultif c. Suisse (note 84), § 48.

245
concerné était précaire, ce lien ne peut « peser lourd » dans la balance des
intérêts 161 • La sévérité de ce principe est atténuée par la prise en compte des
effets « stabilisants » du temps. Ainsi, si un lien de concubinage est constitué
dans une situation de séjour précaire, mais plusieurs années s'écoulent avant
le prononcé d'une mesure définitive d'éloignement, la Cour semble disposée
a' 1m. accorder un p1us grand pm'ds162.

c) Les circonstances pertinentes pour apprécier l'intensité de


l'intérêt public à ce que l'étranger soit éloigné
64 Au vu du droit des États de réglementer 1' entrée et le séjour des non
nationaux et de la marge d'appréciation dont ils jouissent dans ce domaine, la
Cour attache en principe un poids considérable à l'intérêt public, soit au
respect des lois sur l'immigration. Néanmoins, en fonction de la situation des
intéressés (cf. supra, no 53 ss), un intérêt public plus fort peut être requis pour
justifier une mesure d'éloignement constituant une ingérence à un droit
protégé par l'article 8.
65 Pour me~urer l'intensité de l'intérêt public à l'éloignement de l'étranger
concerné, la Cour se penche principalement sur les faits répréhensibles que
celui-ci aurait éventuellement commis.
66 Relevons d'abord que le fait de ne pas avoir commis de tels faits est pris
en compte en faveur de l'étranger éloigné 163 • En revanche, le fait qu'il ait
commis des infractions pénales sur le territoire de l'État d'où il va être
éloigné a pour effet d'une part, de modifier la nature du but légitime de la
mesure (« défense de l'ordre et prévention des infractions pénales » au lieu du
«bien-être économique du pays» : cf. supra, no 50) et d'autre part, de
conférer un plus grand poids à l'intérêt public. À lui seul, ce fait ne rend pas
pour autant automatiquement admissible, au regard de la Convention, une
mesure d'éloignement. Là aussi, il s'agit d'évaluer l'intensité de l'atteinte que
la personne concernée a porté à l'ordre public, et la gravité de la menace qu'il
constitue pour sa communauté d'accueil.
67 À cette fin, la Cour prend en compte d'abord la nature et la gravité des
infractions commises ou des reproches formulés à son encontre. Concernant

161 Voir par ex. Cour EDH, Baghli c. France (note 58), § 48 ; Cour EDH, Jakupovic c.
Autriche (note 138), § 31.
162 Cour EDH, Mokrani c. France (note 26), § 34.
163 Voir Cour EDH, Berrehab c. Pays-Bas (note 40), § 29; Cour EDH, Ciliz c. Pays-Bas
(note 92), § 69.

246
la première, il y a lieu de souligner que tous les crimes n'ont pas la même
gravité aux yeux de la Cour. Certaines infractions, dont notamment le trafic
de stupéfiants 164 , l'homicide, la violence sexuelle, et les délits perpétrés avec
violence sur les personnes justifient en principe une attitude de fermeté de la
part des autorités nationales 165 . Quant à la gravité des infractions, la Cour
tient principalement compte des peines qui ont été prononcées par les
juridictions intemes 166 . Le casier judiciaire de l'intéressé est également
examiné sous deux autres angles : 1' âge auquel les infractions ont été
commises, les crimes de jeunesse faisant en principe l'objet d'une
appréciation moins rigoureuse 167 , et le nombre des infractions, les récidivistes
étant présumés représenter un danger plus grand pour leur communauté
d'accuei1 168 .
Dans la mesure où l'intensité de l'intérêt public à l'éloignement se mesure
essentiellement dans une optique prospective - en termes de risque actuel et
futur posé par la présence de l'intéressé sur le territoire de l'État -la période
qui s'est écoulée entre la perpétration des infractions et le moment où la
décision d'éloignement devient définitive, ainsi que la conduite de l'intéressé
durant cette penode, revetent ega1ement une rmportance
? • A ? • cons1"d'erable 169.
68 La décision rendue par la Cour dans l'affaire Haliti 170 illustre une autre
variable qui, bien qu'elle ne figure pas au nombre des critères «codifiés»
dans l'arrêt Boultif et suivants, semble jouer un rôle dans la manière dont la
Cour apprécie le poids des intérêts en présence : la position constitutionnelle

164 Mais pas la simple consommation: voir Cour EDH, Ezzouhdi c. France, req.
no 47160/99, arrêt du 13 février 2001, non publié au Recueil, § 34.
165 Voir par ex. Cour EDH, Baghli c. France (note 58), § 48: trafic de stupéfiants; Cour
EDH, Üner c. Pays-Bas (note 157), § 41 : meurtre ; Cour EDH, W. A. c. Suisse, req.
no 42127/98, décision du 12 janvier 1999, non publiée au Recueil: viol; Cour EDH,
Boultif c. Suisse (note 84), § 51 : agression. En ce sens Vincenzo ZENO
ZENCOVICH relève que « laddove il provvedimento di espulsione sia giustificato
nella commissione di reati di grave allarme sociale [ ... ] la bilancia pende nettamente
a favore dello Stato » (V. ZENO ZENCOVICH, Art. 8 - Diritto al rispetto della vita
privata e familiare, in: S. BARTOLE, B. CONFORT!, G. RAIMOND! (éds.),
Commentario alla Convenzione europea per la tutela dei diritti dell'uomo e delle
libertà fondamentali, Padoue (CEDAM), 2001, pp. 307-317, à la p. 326.
166 Voir par ex. Cour EDH, Ndangoya c. Suède (note 151).
167 Voir par ex. Cour EDH, Moustaquim c. Belgique (note 27) ; Cour EDH, Jakupovic c.
Autriche (note 138) ; Cour EDH, Radovanovic c. Autriche (note 145).
168 Voir par ex. Cour EDH, Akkaya c. Allemagne (note 146).
169 Voir Cour EDH, Boultif c. Suisse (note 84), §51.
17° Cour EDH, Haliti c. Suisse (note 88).

247
de l'organe qui exprime, par la mesure litigieuse, l'intérêt public à ce que
1' étranger soit éloigné.
Dans cette affaire, le Conseil fédéral suisse, organe exécutif suprême, avait
décrété une interdiction de séjour à temps indéterminé à l'encontre d'un
réfugié statutaire kosovar, qui résidait en Suisse depuis quinze ans au moment
de l'adoption de la mesure et qui y avait épousé une compatriote avec laquelle
il avait eu trois enfants, dont deux nés en Suisse. Cette mesure avait été prise
sur le fondement d'informations réservées fournies par l'OTAN au
gouvernement helvétique, desquelles il résultait que M. Haliti était impliqué -
en tant que dirigeant de l'UCK - dans des activités criminelles visant à la
récolte de fonds pour des actions de terrorisme.
69 Les circonstances de l'affaire étaient telles que l'on aurait pu s'attendre à
un examen rigoureux de la conventionnalité de la mesure litigieuse : les
«reproches» faits à M. Haliti étaient des plus sérieux mais d'une part, ils
étaient fondés sur des informations non confirmées par d'autres sources et
contestées par l'intéressé, et d'autre part ils concernaient une personne ayant
de très fortes attaches familiales en Suisse 171 • Il n'en a rien été, et la manière
dont la Cour a appliqué le test de proportionnalité en l'espèce laisse entrevoir
un considérable judicial self-restraint de sa part.
Quant au premier plateau de la balance, l'intérêt public à l'éloignement, la
Cour accepte, après un examen superficiel, le cadre factuel tel qu'établi par
les autorités helvétiques et, surtout, leur appréciation quant à l'intensité de cet
intérêt 172 . L'impression d'un contrôle restreint est renforcée par l'importance
que la Cour attache aux garanties procédurales ayant protégé en l'espèce
M. Haliti contre l'arbitraire et contre «l'abus du pouvoir laissé aux organes
appartenant à l'exécutif de l'État» (cf. également infra, chap. VII, no 29) 173 •
En ce qui concerne 1' autre plateau de la balance, la Cour minimise
considérablement la gravité de l'ingérence, un autre indice de la

171 En synthèse: liens étroits avec le pays d'accueil, dérivant de la longue durée de séjour
et de la jouissance d'un permis d'établissement; interdiction du territoire à temps
indéterminé ; difficultés de la famille à suivre le conjoint .respectivement le père au
Kosovo, du moins en ce qui concerne les enfants ; caractère inopiné de la mesure.
172 On relèvera qu'en revanche, dans plusieurs autres affaires la Cour remet en question
l'appréciation des autorités internes : voir par ex. Cour EDH, Jakupovic c. Autriche
(note 138), § 30, et Cour EDH, Radovanovic c. Autriche (note 145), § 35.
173 Voir Cour EDH, Haliti c. Suisse (note 88), partie «En droit», sous A, chiffe 2, lit. c
(iii).

248
reconnaissance implicite ou explicite à l'État défendeur d'une large marge
'
d ' appreciation
0 0 174
.
70 La circonstance qui vraisemblablement explique une telle retenue de la
part de la Cour est le fait que la mesure litigieuse était un « acte de
gouvernement », dont la validité avait par ailleurs été confirmée par le
Tribunal fédéral. On en déduit que lorsque l'organe suprême de l'exécutif
ordonne exceptionnellement l'éloignement d'un étranger du territoire national
pour des raisons de sécurité et de politique étrangère, la Cour accepte
d'effectuer un contrôle restreint de la conventionnalité de la mesure, à tout le
moins lorsqu'un recours effectif est ouvert à l'intéressé devant les juridictions
nationales.

d) La mise en balance des intérêts


71 Les pages qui précèdent auront fait ressortir la complexité du test de
proportionnalité «à plusieurs inconnues», auquel sont soumises les mesures
d'éloignement constitutives d'une ingérence dans la vie familiale. S'y ajoute
la difficulté intrinsèque d'un exercice de balance entre deux termes - la
gravité du sacrifice imposé à la personne concernée et à ses proches et
l'intensité de l'intérêt public - qui ne sont pas susceptibles d'une
quantification exacte. On éprouve donc la plus grande difficulté à indiquer
avec une mesure suffisante de certitude des situations dans lesquelles une
mesure d'éloignement serait en tout état de cause autorisée, ou à l'inverse
interdite, par la Convention. La jurisprudence de la Cour est riche
d'enseignements, mais elle fournit à l'interprète des orientations et des
directives plutôt que des règles exactes 175 •

174 Voir A-D. OLINGA, C. PICHERAL (note 97), à la p. 575. En l'espèce, la Cour
développe deux arguments surprenants. Premièrement, pour pouvoir affirmer qu'il n'y
a pas d'« obstacle insurmontable » s'opposant à un éventuel établissement des enfants
de M. Haliti au Kosovo, elle se réfère à leur« âge adaptable », alors que l'un d'entre
eux était âge de quinze ans au moment du prononcé de la mesure et avait toujours vécu
en Suisse (cf. supra, § 62 et note 158). Deuxièmement, arguant des fréquents voyages
que M. Haliti faisait à l'étranger pour ses activités politiques, la Cour se dit persuadée
par l'argument du Gouvernement défendeur selon lequel il «s'accommodait déjà de
liens familiaux distendus (sic) » - un raisonnement contestable, qui pris à la lettre
impliquerait une protection affaiblie pour les rapports familiaux des personnes qui
voyagent souvent pour de raisons professionnelles (hommes d'affaires, professeurs
universitaires, etc.).
175 «C'est un progrès pour l'humanisme de ne plus enfermer l'exécutant de la loi dans des
formules fermées dont l'application n'échappe pas au risque d'arbitraire. Mais c'est un

249

- - - ~- 1
72 Le premier enseignement concerne la nature du test opéré par la Cour. En
règle générale, la Cour ne se contente pas simplement de vérifier si
1' appréciation portée par les autorités nationales sur les faits de 1' affaire a été
«raisonnable». Bien qu'elle se fonde normalement sur le cadre factuel tel
qu'il a été établi par les autorités nationales, elle ne s'interdit pas pour autant
de revoir l'appréciation qu'elles en ont donnée, par ex. au sujet de la gravité
des motifs de l'expulsion 176 ou de l'intensité des liens familiaux de la
personne concernee ' 177 , ce qm. 1m. permet de reeva '' 1uer g1oba1ement s1. 1es
autorités nationales ont respecté un «juste équilibre». Encore est-il que
l'intensité du contrôle effectué par la Cour peut varier. Les raisons de ces
variations sont parfois apparentes - la décision Haliti en fournit une
illustration- mais tel n'est pas toujours le cas 178 •
73 En ce qui concerne la pesée des intérêts proprement dite, c'est une
banalité d'affirmer que plus la compromission de la vie familiale de
l'intéressé est grave, plus l'intérêt public sous-tendu à la mesure litigieuse
doit être intense .. La question est de savoir où la Cour place le point
d'équilibre entre intérêts privés et intérêts publics, ce qui rend obligée la
référence - schématique et approximative, car ne tenant pas compte des
nuances et des incohérences que l'on peut rencontrer dans la jurisprudence -
aux décisions prises par la Cour dans des« situations-type».
Avant cela, il n'est pas inutile de souligner que l'attitude de la Cour a
sensiblement varié au fil des années. Si dans ses premiers arrêts en la matière
(1988-1995), elle a semblé accorder un poids déterminant aux intérêts privés
au maintien du lien familial, ses décisions successives à l'arrêt Boughanemi
de 1996 démontrent une moindre considération des intérêts des étrangers

progrès qui se fait au détriment de la sécurité juridique» (P. MARTENS, Respect de la


vie familiale et sauvegarde de l'ordre public, RTDH (1991), pp. 385-394, à la p. 386).
176 voir par ex. Cour EDH, Jakupovic c. Autriche (note 138), § 30.
177
Cour EDH, Berrehab c. Pays-Bas (note 40), § 11 et 29.
178 Dans certaines décisions de recevabilité, en particulier, la Cour emploie le langage du
contrôle restreint, alors que dans des affaires comparables elle effectue un plein
contrôle de proportionnalité. Voir par ex. Cour EDH, Akkaya c. Allemagne (note 146),
où elle conclut: «Au vu de ce qui précède et compte tenu de la marge d'appréciation
laissée aux États contractants en la matière[ ... ], la Cour estime que l'ingérence dans la
vie familiale du requérant que constitue la mesure d'expulsion prise à son encontre
peut raisonnablement être considérée comme nécessaire, dans une société
démocratique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales».
Confronter avec Cour EDH, Üner c. Pays-Bas (note 157), § 48. Le reproche
d'incohérence de la Cour dans l'application de la doctrine de la marge d'appréciation
déborde, par ailleurs, le cadre du contentieux de l'immigration (cf. supra, note 113).

250
éloignés - ou bien, selon l'expression du juge Martens, «une tendance
croissante à un relâchement du contrôle, sinon une disposition accrue à
admettre des décisions sévères en matière d'immigration» 179• À partir des
arrêts Ciliz de 2000 et Boultif de 2001, il semblerait que la Cour ait encore
modifié ses paramètres de jugement. La jurisprudence de ces dernières années
apparaît ainsi non seulement plus systématique et cohérente; mais également
plus équilibrée par rapport à celle des années précédentes 180 ,
74 Revenant à ce que nous avons appelé des situations-type, il y a lieu de les
classer selon le but poursuivi par la mesure d'éloignement, en commençant
par les mesures d'expulsion ou d'interdiction du territoire prises pour la
défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales.
75 Lorsque l'auteur de l'infraction est un étranger intégré, seuls des graves
délits, révélateurs d'une personnalité dangereuse pour la société d'accueil,
paraissent justifier une mesure d'expulsion -·ou à tout le moins, une mesure
d'interdiction du territoire pour une longue période 181 •
L'intensité de l'intérêt public doit être plus forte encore si l'intéressé a fondé
une famille dans le pays d'accueil et qu'il entretient avec les membres de
celle-ci des liens effectifs, ou encore s'il se trouve dans une situation
particulière de dépendance à l'égard de sa famille d'origine 182•
76 En ce qui concerne les étrangers arrivés à l'âge adulte dans le pays
d'accueil, des questions de compatibilité avec l'article 8 CEDH ne se posent
en général que si l'intéressé y a fondé une famille, dont les membres
éprouveraient des difficultés réelles à le suivre dans un autre pays. Les liens
d'une autre nature développés avec la société d'accueil sont une variable
importante mais «subordonnée». La jurisprudence de la Cour apparaît
somme toute comme considérablement protectrice. Ainsi, la rupture de forts
liens familiaux causée par une mesure d'expulsion n'a été considérée comme

179 Voir Cour EDH, Ahmut c. Pays-Bas (note 84), Opinion dissidente du Juge
MARTENS. Voir également G. MALINVERN!, 1 limiti all'espulsione secondo la
Convenzione europea dei diritti dell'uomo, in: F. SALERNO (éd.), Diritti dell'uomo,
estradizione ed espulsione, Padoue (CEDAM), 2003, pp. 165~182, à la p. 182.
180 En ce sens, P.-F. DOCQUIR (note 29), § 28-29 ; F. SUDRE (note 74) § 268.
181 L'importance déterminante de la gravité du délit ressort clairement de la jurisprudence.
Comparer Cour EDH, Ezzouhdi c. France (note 164), Cour EDH, Yilmaz c. Allemagne
(note 85) et Cour EDH, Radovanovic c. Autriche (note 145), d'une part, avec Cour
EDH, Antate c. France (note 141); Cour EDH, Aoulmi c. France (note 21), d'autre
part.
182 Voir par ex. Cour EDH, Nasri. c. France (note 27); Cour EDH, Mehemi c. France
(note 149) ; Cour EDH, Mokrani c. France (note 26).

251
proportionnelle qu'en présence de délits particulièrement graves, tels le viol
ou le trafic de drogue 183 •
77 En l'absence de «reproches» à l'encontre de l'intéressé, il est plus
difficile pour les États de justifier des mesures d'éloignement constitutives
d'une ingérence.
De telles mesures ne paraissent pas admissibles à 1'égard des étrangers
intégrés, dont l'éloignement peut être justifié seulement en présence
d'« agissements particulièrement dangereux» (cf. supra, no 55). Observons
que la Cour semble être parvenue à la claire formulation de ce principe - en
2005- en raison de la convergence de vues qui s'est progressivement réalisée
à cet égard parmi les États du Conseil de l'Europe 184•
Pour ce qui est des étrangers arrivés «à l'âge adulte» dans le pays hôte, les
variables décisives sont l'intensité des liens familiaux et la gravité des
obstacles s'opposant à leur maintien en cas d'expulsion. En présence de
« fortes valeurs » sous ces deux aspects, la Cour ne semble pas disposée à
admettre la conventionnalité d'une mesure d'éloignement ordonnée aux
seules fins du contrôle de l'immigration 185 •

183 Comparer Cour EDH, Boultif c. Suisse (note 84), d'une part, avec ; Cour EDH, W. A.
c. Suisse (note 165). Il est à relever que la commission d'un grave délit ne justifie pas
toujours une atteinte à la vie familiale : voir Cour EDH. Amrollahi c. Danemark (note
148).
184 Voir K. GROENENDIJK, E. GUILD, Converging criteria: creating an area of
security of residence for Europe's third country nationals, EJML (2001), pp. 37-59.
Depuis l'arrêt Benhabba c. France (note 26), la Cour se réfère parfois, en jugeant des
mesures d'éloignement prises contres des étrangers intégrés, à la Recommandation
n° 1504 (2001) de l' APCE sur la non-expulsion des résidents de longue durée, du 14
mars 2001, où on lit notamment(§ 10) : «L'Assemblée considère qu'une expulsion ne
peut s'appliquer que dans des cas tout à fait exceptionnels et quand il est prouvé, dans
le respect de la présomption d'innocence, que la personne concernée représente un
danger réel pour l'État».
185 Voir par ex. Cour EDH, Berrehab c. Pays-Bas (note 40); Cour EDH, Ciliz c. Pays-Bas
(note 92). Comparer avec Cour EDH, Sejdovic et autres c. Italie (note 122).

252
C. Le droit au respect de la vie familiale et l'admission au
séjour des étrangers

1. Les principes généraux régissant la matière


78 Comme nous l'avons vu précédemment, le fait de refuser une autorisation
de séjour aux fins du regroupement familial ·sur le territoire national peut
constituer, pour un État partie à la Convention, un manquement aux
obligations positives découlant du droit au respect de la viè familiale. La Cour
a résumé ainsi, dans l'arrêt Ahmuè 86 , les principes généraux régissant la
matière (§ 67) :
a) L'étendue de l'obligation pour un État d'admettre sur son
territoire des par~nts d'immigrés dépend de la situation des intéressés et de
l'intérêt général.
b) D'après un principe de droit international bien établi, les États
ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités,
de contrôler 1' entrée des non nationaux sur leur sol.
c) En matière d'immigration, l'article 8 (art. 8) ne saurait
s'interpréter comme comportant pour un État l'obligation générale de
respecter le choix, par des couples mariés, de leur résidence commune et
de permettre le regroupement familial sur son territoire.

79 En reprenant ces principes en ordre inverse, on constate d'abord que


l'article 8 ne comporte aucun« droit général» au regroupement familial.
Dans sa formulation originaire, l'affmnation reproduite sous (c) ne concernait
que le regroupement de conjoints- la phrase s'arrêtait aux mots «résidence
commune» - et encore dans une situation où l'un d'entre eux (le
« regroupant »187) se serait établi « en tant que célibataire » dans le pays
d'accueil, le lien familial n'ayant été noué qu'ultérieurement. La Cour s'était
en revanche réservée de traiter différemment les. situations « classiques » de
regroupement familial, où un immigrant laisse derrière soi, dans un autre
pays, un ou plusieurs membres de sa famille et sollicite l'autorisation de les
faire venir auprès de lui après son établissement dans le pays d'accu~i1 188 •

186
Cour EDH, Ahmut c. Pays-Bas (note 84).
187 Nous reprenons ici le terme« regroupant» dans le sens qui lui est attribué par l'art. 2
lit. d de la Directive n° 2003/86 relative au droit au regroupement familial (JO 2003 L
. 251112). Cf. supra, chap. IV, note 58.
188 Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note 18), § 68.

253
Onze ans plus tard, toutefois, la Cour a laissé tomber cette distinction. Elle a
en effet nié que les États parties tiennent de l'article 8 une «obligation
générale [... ] de permettre le regroupement familial sur leur territoire» même
au regard de ce deuxième genre de situations, et de surcroît dans des affaires
où était en cause le refus de permettre un regroupement entre parents et
enfants mineurs 189 •
L'article 8 n'exige donc l'admission d'un étranger aux fins du regroupement
familial que dans des situations spécifiques, caractérisées par des
circonstances autres que la simple séparation des membres d'une famille
découlant de l'établissement des uns dans un pays où l'admission des autres
est refusée. Par l'affirmation reproduite sous (a), la Cour l'exprime en disant
que «l'étendue de l'obligation» à cet égard «dépend de la situation des
intéressés et de l'intérêt général», ce qui rappelle par ailleurs qu'un juste
équilibre doit être ménagé dans chaque cas d'espèce entre intérêts publics et
privés 190 . L'affirmation reproduite sous (b) rappelle en revanche la
compétence de principe des États en matière d'admission des étrangers, et
semble cantonner les cas où il y a obligation à cet égard au rôle d'exception 191
ou - ce qui revient au même - indiquer que les États jouissent en la matière
d' une 1arge marge d' appreciation
' . . 192.

80 Jusqu'à ce jour, la Cour n'a jamais statué sur des affaires dans lesquelles
une demande d'autorisation de séjour aurait été rejetée en raison d'infractions
pénales commises par l'intéressé 193 • Autant dire qu'elle a toujours statué sur
des affaires où l'intérêt public en jeu était celui de contrôler l'immigration.
Dès lors, en matière de non admission, l'« intérêt général» a constitué une
constante du test de proportionnalité194, et la variable déterminante a été la

189 Voir Cour EDH, Gül c. Suisse (note 73), Opinion dissidente des Juges MARTENS et
RUSSO, § 13-14. Voir également Cour EDH, Ahmut c. Pays-Bas (note 84), Opinion
dissidente du Juge VALTICOS. Cf. toutefois infra, n° 99.
°
19 Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note 18); Cour EDH,
Gül c. Suisse (note 73) ; Cour EDH, Ahmut c. Pays-Bas (note 84).
191 F. RIGAUX (note 82), à la p. 714.
192 Voir parmi d'autres Cour EDH, Sen c. Pays-Bas (note 79), § 31.
193 Une telle affaire s'est présentée en 2002 (affaire Yuusuf c. Pays-Bas, req.
no 42620/02). La Cour a rendu sa décision d'admissibilité le 2 décembre 2004, mais
par la suite l'affaire a été radiée du rôle (arrêt du 21 avril 2005, non publié au Recueil).
Il y a toute raison de croire que la Cour apprécierait le cas échéant le passé pénal de
l'intéressé suivant les principes que nous avons exposés supra. au no 67.
194 Précisons toutefois que l'intérêt au contrôle de l'immigration peut être plus ou moins
intense selon que l'intéressé a ou n'a pas violé en précédence les règles nationales

254
« situation des intéressés ». Encore faut-il identifier celles des circonstances
qui composent cette «situation» qui sont pertinentes au regard de l'article 8,
et analyser la manière dont la Cour les apprécie.

2. Les circonstances pertinentes


81 Dans les décisions qu'elle a rendues dans des affaires de non admission,
la Cour a progressivement identifié les circonstances pertinentes aux fins de
sa décision. Le catalogue qu'elle a dressé dans le contexte des affaires de non
admission présente de nombreux points de contact avec celui qu'elle a établi
dans sa jurisprudence en matière d'éloignement, ce qui ne saurait surprendre
dans la mesure où les principes applicables aux deux types d'affaires sont
«comparables» (cf. supra, no 32).
82 En suivant un ordre fondé sur le déroulement normal des évènements qui
mènent à une demande de regroupement familial, il faut d'abord tenir compte
des circonstances dans lesquelles a eu lieu la séparation entre membres de la
famille, et plus particulièrement du caractère volontaire ou involontaire du
mouvement migratoire du regroupant.
Dans plusieurs affaires, les gouvernements défendeurs ont essayé d'induire la
Cour à attribuer à cette circonstance un caractère décisif. Leur argument peut
être résumé comme suit: dans la mesure où un acte d'émigration libre et
volontaire est à la base de la séparation des membres de la famille, on ne
saurait reprocher à l'État qui refuse d'autoriser le regroupement familial une
quelconque violation de l'article 8, puisque cette mesure «ne prive pas les
requérants de leur droit de jouir de la même vie familiale que celle qu'ils
avaient choisie auparavant » 195 • Accepter un tel raisonnement reviendrait à
exclure que l'article 8 CEDH puisse comporter une quelconque obligation
positive en matière de regroupement familial, sauf dans les cas de migration
forcée. La Cour, en dépit de certaines affirmations ambiguës 196, n'a pas fait
sienne cette position : selon sa jurisprudence, le caractère volontaire ou

relatives à l'entrée et au séjour des étrangers : voir Cour EDH, Rodrigues da Silva et
Hoogkamer c. Pays-Bas (note 92), § 39 et 43.
195 Voir par ex. Cour EDH, Sen c. Pays-Bas (note 79), § 31.
196 Voir en particulier Cour EDH, Ramas Andrade c. Pays-Bas, req. no 53675/00, décision
du 6 juillet 2004, non publiée au Recueil, p. 8.

255

---1
involontaire de la séparation est et demeure une circonstance à apprécier
parmi. d' autres 197.
Relevons par ailleurs que lorsque le lien familial se constitue après
l'établissement du regroupant dans le pays d'accueil, comme dans l'affaire
Abdulaziz, la question du caractère volontaire ou involontaire de la séparation
ne se pose pas en tant que telle. Dans ce genre d'affaires, il y a plutôt lieu de
tenir compte la prévisibilité, pour les intéressés, d'un rejet de la demande de
regroupement familia1 198 •
83 Le deuxième ensemble de circonstances à prendre en compte peut être
rapporté au concept de l'intensité des liens familiaux. À cet égard, les critères
développés dans le contexte des affaires d'éloignement peuvent jouer un rôle
(cf. supra, no 53 ss). Compte tenu de la situation des personnes concernées,
qui vivent par définition séparées, le débat se concentre toutefois ici sur la
durée de la séparation, sur la nature et la fréquence des contacts maintenus
pendant celle-ci et, le cas échéant, sur les éventuels rapports de dépendance
. 199. un autre aspect souvent evoque
. f'manc1er
ou de soutien ' ' d ans 1es af"'1arres
. de
non admission, et qui peut être indirectement ramené au critère de l'intensité
des liens familiaux, est celui des démarches entreprises par le regroupant en
vue d'être rejoint par son ou ses proches. Des démarches tardives, ou
discontinues, constituent en général une circonstance défavorable aux
intéressés200•
84 L'intensité du besoin des intéressés à ce que la famille soit réunie se
mesure également à 1' aune des circonstances qui entourent le séjour du
membre de la famille du regroupant dans son pays d'origine. En particulier,
lorsqu'il s'agit d'un mineur, doivent être pris en compte son âge, sa situation
familiale - dans le cas d'un jeune enfant, on dira sa prise en charge - et son
degré de dépendance par rapport aux parents. La Cour prend en outre en
compte la mesure dans laquelle il est intégré dans le milieu culturel du pays
d'origine (pour une critique, cf. infra, no 91 et note 215i01 •

197
Cour EDH, Ahmut c. Pays-Bas (note 84), § 69-72; Cour EDH, Sen c. Pays-Bas
(note 79), § 40; Cour EDH, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas, req. no 60665/00, arrêt du
1er décembre 2005, non encore publié au Recueil,§ 47.
198 Voir Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note 18), § 68.
Cf., mutatis mutandis, supra, no 63.
199 Voir par ex. Cour EDH, Sen c. Pays-Bas (note 79), § 35.
200 Voir en particulier Cour EDH, Ramos Andrade c. Pays-Bas (note 196).
201 Voir notamment Cour EDH, Gül c. Suisse (note 73), § 42; Cour EDH, Ahmut c. Pays-
Bas (note 84), § 72; Cour EDH, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas (note 197), §50. Voir

256
85 Le dernier aspect à considérer - et le plus important - est celui de
l'existence ou de l'inexistence d'obstacles empêchant un regroupement
familial dans un autre payi02 . En principe, aucune raison valable ne semble
s'opposer à ce que la Cour prenne en compte ici les mêmes circonstances
qu'elle retient dans les affaires d'éloignement: nationalité des personnes
concernées, motifs de santé ou de sécurité s'opposant au transfert dans le pays
de (potentiel) regroupement, affinité culturelle et linguistique, etc. (cf. supra,
n° 62). De fait, bien qu'elle n'ait pas encore énoncé sa« doctrine» en matière
de regroupement aussi clairement que dans les arrêts Boultif et suivants, elle
semble bien retenir les mêmes faits 203 •
Précisons seulement que les obstacles dont il est question ici sont ceux qui
s'opposent à un transfert du regroupant, et le cas échéant de la famille qui vit
avec lui, vers le pays où réside le membre de la famille dont l'admission a été
refusée - le plus souvent, le pays d'origine de tous les intéressés. Ce sont
donc, en particulier, les liens que le regroupant et la famille qui vit avec lui
ont noués avec le pays d'accueil qui sont examinés204 .
À ce sujet, il y a lieu de signaler un argument avancé par le gouvernement
défendeur dans l'affaire Gül. Dans cette affaire, le gouvernement helvétique
plaidait l'inapplicabilité de l'article 8 en se fondant sur le caractère
temporaire du titre de séjour du regroupant205 • La Cour a attribué un certain
poids à cette circonstance, qu'elle a pris en compte au stade de la mise en
balance des intérêts, tout en retenant l'applicabilité- en principe- de l'article
8 au cas d'espèce 206 • On en déduit que la nature du titre de séjour du
regroupant - notamment sa durée déterminée ou indéterminée - compte au

également Comm. EDH, Ezzerouali c. Pays-Bas, req. n° 18173/91, décision du 30 juin


1993, non publiée.
202 Voir Cour EDH, Rodrigues da Silva et Hoogkamer c. Pays-Bas (note 92), § 39. Pour
une discussion générale voir G. CVETIC (note 149), à la p. 649 ; C. S.
ANDERFUHREN-WAYNE, Family unity in immigration and refugee matters :
United States and European approaches, URL (1996), pp. 347-382, aux pp. 360-362.
203 Voir en particulier Cour EDH, Gül c. Suisse (note 73), § 41 (risque de persécution dans
le pays d'origine; motifs de santé) ; Cour EDH, Ahmut c. Pays-Bas (note 84), § 70
(nationalité) ; Cour EDH, Sen c. Pays-Bas (note 79), § 40 (déracinement des autres
membres de la famille). Comme nous le verrons infra, aux no 87 ss, la manière dont la
Cour évalue ces circonstances a toutefois changé au fil des arrêts qu'elle a rendus.
204 Voir Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note 18), § 66 et
68 ; Cour EDH, Sen c. Pays-Bas (note 79), § 40.
205 Cour EDH, Gül c. Suisse (note 73), § 36.
206 Ibidem, § 40.

257
titre des liens qu'il a avec le pays d'accueil, mais qu'elle ne constitue pas en
soi une circonstance décisive.

3. La mise en balance des intérêts

a) Remarques liminaires : une jurisprudence en évolution


86 La manière dont la Cour apprécie les circonstances pertinentes et pèse
l'intérêt des immigrés à la reconstitution de l'unité familiale contre l'intérêt
général au contrôle de l'immigration a évolué, selon des trajectoires qu'il
n'est pas toujours aisé de tracer, au fil des années. La jurisprudence de la
Cour en matière de non admission, au demeurant moins étoffée que celle en
matière d'éloignemene07 , peut donc être mieux comprise en distinguant trois
moments de son évolution.

b) Le moment fondateur: l'arrêtAbdulaziz, Cabales et


Balkandali
87 L'arrêt Abdulaziz constitue le moment fondateur de cette jurisprudence.
Nous avons déjà signalé les principaux acquis de cet important arrêt:
l'affirmation de l'applicabilité de l'article 8 en matière migratoire, et la
contextuelle reconnaissance aux États contractants d'une large marge
d'appréciation (cf. supra, no 10) ; l'encadrement des affaires de non
admission dans la systématique des obligations positives ; le rejet de la thèse
selon laquelle l'article 8 comporterait une «obligation générale» d'admettre
les conjoints des non nationaux légalement résidents (cf. supra, n° 79)208 •

207 Entre 1985 et 2006, la Cour a rendu sept arrêts en matière de regroupement familial
(Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, note 18; Cour EDH,
Gül c. Suisse, note 73 ; Cour EDH, Ahmut c. Pays-Bas, note 84 ; Cour EDH, Nsona c.
Pays-Bas, req. no 23366/94, arrêt du 28 novembre 1996, Recuei11996-V; Cour EDH,
Sen c. Pays-Bas, note 79; Cour EDH, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas, note 197; Cour
EDH, Rodrigues da Silva et Hoogkamer c. Pays-Bas, note 92), auxquels il y a lieu
d'ajouter un certain nombre de décision de recevabilité (voir par ex. Cour EDH.
Hasani c. Suisse, req. no 41649/98, décision du 27 avri11999, non publiée au Recueil;
Cour EDH, Kwakye-Nti et Dufie c. Pays-Bas, req. no 31519/96, décision du
7 novembre 2000, non publiée au Recueil ; Cour EDH, Ramas Andrade c. Pays-Bas,
note 196).
208 L'arrêt Abdulaziz, Cabales et Balkandali est également important pour l'application
que la Cour y fait du principe de non-discrimination consacré à l'article 14 CEDH. Sur
cet aspect, cf. irifra, no 176 ss.

258

-- --- --~
En l'espèce, la Cour a conclu à la non-violation de l'article 8. Deux passages
de son raisonnement paraissent déterminants (§ 68). D'une part, la Cour
relève que le mariage des requérantes avec leurs époux était successif à
l'établissement des premières, «en tant que célibataires», au Royaume-Uni,
et qu'elles ne pouvaient escompter une décision positive à leurs demandes de
regroupement familial. D'autre part, elle affirme que
les requérantes n'ont pas prouvé l'existence d'obstacles qui les aient
empêchées de mener une vie familiale dans leur propre pays, ou dans celui
de leur mari, ni de raisons spéciales de ne pas s'attendre à les voir opter
pour une telle solution.

Pour apprécier la portée de cette affirmation, il faut garder à l'esprit que les
trois requérantes habitaient et travaillaient au Royaume-Uni depuis plusieurs
années et qu'elles y avaient acquis le droit de résider indéfiniment, l'une
d'entre elles ayant même acquis la citoyenneté britannique. De plus, pour
deux d'entre elles, le regroupement familial dans le pays de leur mari aurait
signifié le transfert dans un pays avec lequel elles n'avaient précédemment eu
aucun contact.

c) Une évolution dans le sens de la sévérité: les arrêts Gül et


Ahmut
88 Les arrêts Gül et Ahmut, rendus en 1996 par deux chambres composées
par quatre neuvièmes des mêmes juges, marquent une nouvelle étape
jurisprudentielle.
89 Les circonstances pertinentes de la première affaire peuvent ainsi être
résumées. M. Gül, ressortissant turc, quitte la Turquie en 1983, laissant
derrière lui sa femme et ses deux enfants Tuncay et Ersin alors âgés de douze
ans et de trois mois, et présente une demande d'asile en Suisse. En 1987, à la
suite d'un grave accident arrivé au cours d'une crise d'épilepsie, sa femme,
qui ne peut recevoir des soins appropriés dans sa région de résidence, est
hospitalisée en Suisse et s'y établit. En 1988 une troisième fille, Nursal, naît
en Suisse. En raison des conditions de santé de sa mère, qui n'est pas en
mesure d'assurer sa garde, elle est placée dans un foyer. En 1989, la demande
d'asile présentée par M. Gül est rejetée. Menacés d'expulsion dans un
premier temps, les trois obtiennent - eu égard à la durée du séjour de M. Gül
et aux graves conditions de santé de sa femme - une autorisation de séjour
pour raisons humanitaires. En 1990, M. Gül tombe malade. Incapable de
travailler, il perçoit une pension d'invalidité. Pendant la même année, il
sollicite l'autorisation de faire venir en Suisse ses deux fils restés en Turquie.

259
Sa demande est rejetée, eu égard notamment au fait que 1' autorisation de
séjour de M. Gül ne lui confère pas en droit suisse le droit au regroupement
familial et que le couple, qui bénéficie déjà d'allocations publiques, n'est pas
en mesure -notamment d'un point de vue financier- d'assurer la prise en
charge d'un autre enfant en Suisse. Les recours intentés par M. Gül contre
cette décision sont rejetés en dernière instance par le Tribunal Fédéral, qui en
1993 déclare irrecevable sa demande. La Cour est saisie uniquement de la
question de savoir si l'État défendeur avait l'obligation d'autoriser le séjour
du fils cadet, Ersin, le fils aîné ayant atteint l'âge de dix-huit ans avant la
présentation de la demande de regroupement familial.
90 La Cour, se référant à son arrêt Abdulaziz, nie l'existence d'une
obligation générale à la charge de la Suisse en ce qui concerne l'admission
des enfants mineurs des étrangers résidents. De la sorte, comme nous l'avons
relevé, elle met sur le même plan deux situations fort différentes : celle des
conjoints qui se marient après l'établissement d'un d'entre eux dans le pays
d'accueil, et celui des étrangers résidents qui souhaitent se faire rejoindre par
leurs enfants (cf. supra, no 79). De plus, le seuil critique qu'elle définit pour
la reconnaissance d'une obligation positive d'admission de l'enfant mineur
est particulièrement rigoureux pour les intéressés. La Cour définit en effet en
ces termes la question qu'elle a à trancher(§ 39, italiques ajoutés):
En l'espèce, il revient [ ... ] à la Cour de déterminer dans quelle mesure la
venue d'Ersin en Suisse constitue le seul moyen pour M. Gül de
développer une vie familiale avec son fùs.

Fondé sur cette prémisse, le raisonnement de la Cour est presque entièrement


consacré à une analyse des obstacles s'opposant à un retour des époux Gül en
Turquie209 • À cet égard, arguant notamment d'une visite rendue en 1995 par
les parents à leurs enfants en Turquie, elle note d'abord que les éventuels
motifs de fuite de M. Gül «ne sont plus d'actualité »210 et qu'il n'est pas
démontré que la situation de Mme Gül soit encore d'une gravité telle qu'elle
ne pourrait rentrer en Turquie. Ensuite, elle note que les époux Gül ne
jouissent pas d'un permis d'établissement. Dès lors, tout en admettant que
« compte tenu de la durée de leur séjour en Suisse, un retour en Turquie [... ]

209Au sujet de l'origine de la séparation, la Cour semble d'ailleurs se fonder sur le rejet
de la demande d'asile de M. Gül pour affirmer qu'elle dérive d'un acte d'émigration
volontaire (voir la critique des Juges MARTENS et RUSSO, Cour EDH, Gül c. Suisse,
note 73, Opinion dissidente, § 3). Elle ne parvient toutefois pas à une conclusion bien
arrêtée sur ce point (Cour EDH, Gül c. Suisse, note 73, § 41).
°
21 Ce point n'était d'ailleurs pas contesté par le conseil des requérants: voir§ 41.

260
ne s'annonce [ ... ] pas facile» elle conclut qu'iln'existe pas «à proprement
parler d'obstacles au développement d'une vie familiale en Turquie».
Mis à part le peu de rigueur démontrée en 1' occurrence par la Cour en
l'établissement des faits 211 , sa ligne argumentative appelle plusieurs
commentaires. En premier lieu, elle implique que des craintes fondées d'une
persécution, ou de graves problèmes de santé, constituent en principe des
obstacles au regroupement familial ailleurs. En même temps, sa manière
d'évaluer concrètement les circonstances de l'espèce est particulièrement
sévère pour les requérants. En effet, la Cour minimise les problèmes de santé
de Mme Gül et l'invalidité de M. Gül212• Quant aux liens développés par le
regroupant avec son pays d'accueil, la Cour adopte une position de principe
fort restrictive : le fait de devoir abandonner un pays où il a légalement résidé
pendant dix ans, certes en vertu d'un titre de séjour «révocable», ne
constitue pas «à proprement parler» un obstacle213 • Par ailleurs, la Cour
omet entièrement de prendre en considération la position de la troisième fille
des requérants, Nursal, qui est née en Suisse et « dont l'intérêt» - selon le
juge Martens-« aurait presque certainement commandé qu'on la laissât en
Suisse »214•
La Cour note enfin que Ersin a toujours vécu en Turquie. Cette remarque,
faite à titre surabondant pour appuyer la conclusion selon laquelle un
regroupement en Turquie serait envisageable, apparaît singulière notamment
par le contexte dans lequel elle tombe. En effet, la situation de l'enfant dans
son pays d'origine- son âge, la manière dont sa garde~est assurée, etc. -
paraît pertinente pour l'évaluation de l'intensité de l'intérêt à être réuni aux

211 Voir Cour EDH, Gül c. Suisse (note 73), Opinion dissidente des Juges MARTENS et
RUSSO, § 15.
212 On pourrait toutefois observer que la Cour prend en compte ce dernier aspect,

puisqu'elle relève que M. Gül pourra jouir du moins partiellement de sa pension


d'invalidité suisse même en Turquie(§ 41).
213 Contrairement à ce que soutien le Tribunal fédéral suisse (voir notamment ATF 130 II
281, § 3.1), l'arrêt Gül n'apporte aucun support à la thèse selon laquelle l'article 8
CEDH ne serait applicable que lorsque le. regroupant jouit d'un « gefestigtes
Anwesenheitsrecht'» dans un Ëtat contractant (cf. supra, note 121). En effet, avant de
conclure à la non violation de l'article 8, la Cour se livre bel et bien à un exercice de
mise en balance des intérêts en présence, et ce après avoir écarté les arguments
présentés par le gouvernement helvétique et tendant à exclure l'applicabilité même de
l'article 8 (voir Cour EDH, Gül c. Suisse, note 73, § 30-33 et 34-39 ; voir également
P. MOCK, note 121, aux pp. 548-549; S. BANGERTER, note 121, aux pp. 1366-
1368).
214 Voir Cour EDH, Gül c. Suisse (note 73), Opinion dissidente des Juges MARTENS et

RUSSO, § 15.

261
parents, non pas aux fins de la détermination du lieu approprié du
regroupement. En réalité, la Cour semble suivre l'argument avancé par les
autorités helvétiques, selon lequel un transfert en Suisse serait contraire au
«meilleur intérêt de l'enfant». n s'agit d'un raisonnement contestable, dans
la mesure où une telle évaluation devrait revenir aux parents et à l'intéressé
en fonction de sa maturité, et seulement à titre subsidiaire aux autorités
publiques215 .
91 L'arrêt Ahmut vient confirmer et préciser la position exprimée par la
Cour dans l'affaire Gül.
Ici, il s'agissait du refus d'autoriser le regroupement familial entre M. Ahmut,
ressortissant marocain émigré aux Pays-Bas en 1986 et ayant acquis la
nationalité de ce pays en 1990, et son enfant mineur, Soufftane, âgé de dix
ans au moment du rejet de la demande d'autorisation de séjour. La séparation
entre M. Ahmut et son fils était intervenue en raison de l'émigration
volontaire du premier, qui avait préalablement divorcé de la mère du
deuxième. À la suite du décès de celle-ci en 1987, 1' enfant avait. été pris en
charge par sa grand-mère paternelle, le père contribuant financièrement des
Pays-Bas à son entretien. Au moment de la présentation de la demande de
regroupement familial, faite également pour Souad, sœur majeure de
Soufftane, deux frères de celui-ci résidaient aux Pays-Bas pour des motifs
d'étude et le frère aîné- après avoir tenté sans succès d'émigrer aux Pays-
Bas - résidait au Maroc. Après la déCision négative des autorités
néerlandaises, Souad et Souffiane rentrent au Maroc, le mineur étant placé
dans un internat enl'attente de l'issue de l'affaire.
Par une courte majorité de cinq voix contre quatre, la Cour conclut à la non-
violation de l'article 8. Elle parvient à cette conclusion en relevant que:
« la résidence séparée des requériuits est le résultat de la décision,
prise délibérément par [M. Ahmut], de s'établir aux Pays-Bas», et
que celui-ci ne se trouve donc pas« empêché de maintenir le degré
de vie familiale qu'il a lui-même choisi lorsqu'il est émigré»(§ 70);
il n'y a pas d'obstacles à ce que M. Ahmut revienne au Maroc, dans
la mesure notamment où il a conservé sa nationalité marocaine ; aux
yeux de la Cour, donc, le fait qu'il ait acquis la nationalité du paJts
d'où il devrait partir et qu'il y soit établi depuis plusieurs années 16

215 Dans leur Opinion dissidente, les Juges MARTENS et RUSSO ne manquent d'ailleurs
pas de souligner le caractère« hypocrite» de l'argument(§ 9).
216 Quatre au moment du refus, dix au moment où l'arrêt de la Cour tombe.

262
n'oblige pas l'État défendeur à permettre le regroupement familial
sur son territoire (§ 70) ;
Souffiane a toujours vécu au Maroc, il y a de la famille et en tout
état de cause, puisqu'il a été placé dans un internat, «la Cour n'a pas
à aborder la question de savoir si [ses] parents résidant au Maroc
sont disposés et aptes à s'occuper de lui ».

d) L'état de la jurisprudence après l'arrêt Ahmut


92 La position ainsi développée par la Cour entre 1985 et 1996 est
particulièrement déférente à l'égard de la souveraineté étatique et
particulièrement peu protectrice à l'égard des intérêts des migrants.
93 La règle fondamentale qui résulte de la jurisprudence citée est qu'en
l'absence d'obstacles au regroupement familial dans un autre pays, le refus
opposé par un État à une demande de regroupement sur son territoire ne
constitue pas une violation de l'article 8. Cette règle vaut tant pour le refus
d'admettre le conjoint que pour le refus d'admettre un enfant mineur, et elle
s'applique indépendamment du moment - antérieur ou postérieur à
l'établissement du regroupant- de la formation du lien familial.
En soi, ce principe n'apparaît pas irraisonnable. Mais dans sa généralité, il
laisse ouvertes plusieurs options, car tout dépend en définitive de ce qu'il faut
entendre par« obstacle »217 •
Dans les trois arrêts examinés, la Cour entend manifestement par « obstacle »
autre chose que la perte de la situation de vie et de travail acquise par le
regroupant au pays d'accueil, aussi importante qu'elle soit pour celui-ci218 •
Ainsi, la seule intégration dans la société d'accueil ne constitue pas un
obstacle au départ du regroupant, ni même l'acquisition de sa part de la
nationalité de ce pays - tel était le cas de Mme Balkandali et de M. Ahmut.
La naissance d'un enfant dans l'État d'accueil ne paraît pas non plus
déterminante. En tout état de cause, la Cour ignore cette circonstance dans
l'arrêt Gül. Enfin, dans l'arrêt Abdulaziz, la Cour ne voit pas d'« obstacle» en

217 Voir B. NASCIMBENE (note 133), à la p. 159.


218 L'argument des requérantes dans l'affaire Abdulaziz tendait au contraire précisément à
faire reconnaître que l'établissement et l'intégration dans un pays d'accueil constituait
un « obstacle » au rétablissement de la vie familiale ailleurs : voir Cour EDH,
Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note 18), § 66. Dans ce même
ordre d'idées, voir Cour EDH, Gül c. Suisse (note 73), Opinion dissidente des Juges
MARTENS et RUSSO, § 14.

263
la circonstance que le pays potentiel de destination du regroupant est un pays
qui lui est entièrement étranger. Il y a lieu de se demander si l'arrêt Ahmut
comge. cette approche219 .

En définitive, les seules circonstances dont on peut affirmer sans hésitation


qu'elles constituent un «obstacle» sont des risques prouvés pour la santé ou
la sécurité du regroupant en cas de transfert dans le pays de résidence du
membre de sa famille220 .
94 La Cour prend en compte aussi d'autres circonstances (cf. supra, no 81
ss), mais le poids qu'elle leur attache ne ressort pas clairement de son
raisonnement. Dans l'arrêt Ahmut, l'origine volontaire de la séparation entre
père et fils joue à l'évidence un rôle important au détriment des requérants.
En revanche, dans 1'affaire Gülla Cour se borne à émettre des doutes sur le
caractère «forcé» de l'émigration de M. Gül et semble n'attacher aucune
valeur au fait incontestable que la mère n'avait pas quitté de son propre gré
ses enfants en Turquie.
L'intérêt à la reconstitution de l'unité familiale constitue paradoxalement
l'aspect le plus négligé par la Cour. Alors qu'il est de jurisprudence constante
qu'« être ensemble» constitue un aspect fondamental de la vie familiale des
couples mariés et des parents avec leurs enfants mineurs, ce principe ne
trouve pas de place dans la motivation des arrêts Gül et Ahmut221 • La situation
des enfants dans leur pays d'origine est elle aussi lue dans une optique
fonctionnelle aux intérêts de l'État. Ignorant le fait qu'ils se trouvent séparés
de leurs parents - qui sont aptes et disposés à s'occuper d'eux - et dans une
situation qui est loin d'être optimale, la Cour se borne à rappeler qu'ils se
trouvent dans leur pays d'origine, avec lequel ils ont de forts liens, oubliant
que pour un jeune enfant la « patrie » est principalement la maison des
parents. À l'évidence, le constat de l'absence d'obstacles au retour pour les
regroupants absorbe cet aspect aux yeux de la Cour, puisqu'il entraîne la
possibilité - en tout état de cause - de reconstituer le foyer « ailleurs » si les
intéressés le souhaitent.

219 Voir Cour EDH, Ahmut c. Pays-Bas (note 84), § 70, où la Cour souligne que
M. Ahmut possédait la nationalité marocaine.
22°
221
Cour EDH, Gül c. Suisse (note 73).
Voir en ce sens Cour EDH, Gül c. Suisse (note 73), Opinion dissidente des Juges
MARTENS et RUSSO, § 12-15; Cour EDH, Ahmut c. Pays-Bas (note 84), Opinions
dissidentes du Juge VALTICOS, des Juges MARTENS et LOHMUS, § 5 et 7, et du
Juge MORENILLA, § 2.

264
e) L'arrêt Sen: moment fondateur d'une nouvelle orientation
95 L'arrêt Sen de 2001 222 constitue un troisième moment important de
l'évolution de la jurisprudence en matière de regroupement familial. Pourla
première fois, la Cour donne gain de cause aux requérants et constate le
manquement à une obligation positive d'admettre un non national aux fins du
regroupement familial.
96 M. Sen, ressortissant turc, vient aux Pays-Bas en 1977, à l'âge de douze
ans. En 1982 il épouse en Turquie une compatriote. Dans un premier temps,
celle-ci ne suit pas son mari lorsqu'il retourne aux Pays-Bas. En 1983 naît en
Turquie la première fille, Sinem, que la mère confie à la garde de sa sœur en
1986 pour rejoindre son mari. En 1990, un deuxième enfant naît aux Pays-
Bas, puis un troisième en 1994. En 1992, le couple demande l'autorisation de
faire venir aux Pays-Bas l'aînée. Le couple explique le fait de ne pas avoir
présenté une telle demande plus tôt en alléguant des « problèmes
relationnels», et plus particulièrement l'opposition du mari à ce que la petite
vienne vivre avec la famille. Les autorités néerlandaises rejettent la demande,
la décision définitive tombant en 1995, alors que les enfants Sen sont âgés
respectivement de treize, cinq et un an.
97 L'affaire présente, comme le relève la Cour, des points de contact avec
l'affaire Ahmut. D'abord, la mesure litigieuse consiste en un refus opposé par
les autorités nationales à une demande de regroupement familial entre une
enfant mineure, restée dans son pays d'origine, et ses parents résidant sur le
territoire de l'État défendeur. Ensuite, la séparation entre parents et enfant a
eu une origine volontaire. Enfin, l'enfant a de liens solides avec son pays
d'origine, y ayant passé toute sa vie. En l'espèce, cependant, la Cour relève
deux circonstances qui font obstacle à un transfert de la vie familiale en
Turquie. D'une part, le fait que les époux Sen ont établi leur vie aux Pays-
Bas, où «ils séjournent légalement depuis de nombreuses années». D'autre
part, la naissance de deux enfants qui ont toujours vécu aux Pays-Bas et qui
n'ont donc que «peu ou pas de liens autres que la nationalité avec leur pays
d'origine».
98 L'arrêt Sen soulève la question de savoir si la Cour s'est en l'espèce
écartée des principes et critères appliqués dans les affaires Gül et Ahmut, ou
si elle s'y est tenue, parvenant à une conclusion différente en raison des
particularités de l'espèce. Dans plusieurs passages de la motivation, la Cour
s'efforce de démontrer la continuité de sa décision avec la jurisprudence

222
Cour EDH, Sen c. Pays-Bas (note 79).

265
antérieure223 • En examinant de plus près l'affaire, toutefois, il apparaît que la
Cour n'a pas jugé les trois espèces selon les mêmes paramètres.
99 La Cour commence son raisonnement classiquement, par un rappel des
trois principes qu'elle a codifiés dans les arrêts Gül et Ahmut (cf. supra,
n° 78).
Immédiatement après, toutefois, elle affirme devoir prendre en compte «l'âge
des enfants concernés, leur situation dans leur pays d'origine et leur degré de
dépendance par rapport à des parents». Elle s'en explique de la manière
suivante(§ 37) :
On ne saurait [ ... ] analyser la question du seul point de vue de
l'immigration, en comparant cette situation [NdA: une situation dans
laquelle les parents ont « laissé derrière » leur enfant et en sollicitent la
réintégration dans la famille] avec celle de personnes qui n'ont créé des
liens familiaux qu'une fois établis dans leur pays hôte.

Cette distinction, suggérée dans 1' arrêt Abdulaziz et abandonnée dans les
arrêts Gül et Ahmut (cf. supra, no 79), avait refait surface dans une décision
d'irrecevabilité rendue en 2000224•
Dans cette décision, la Cour avait notamment affirmé (italiques ajoutés):
La Cour précise d'emblée que, dans la mesure où l'affaire concerne des
immigrants, déjà dotés d'une famille, qu'ils ont laissée derrière eux, dans
leur pays d'origine, jusqu'à la reconnaissance de leur droit de rester aux
Pays-Bas, la Cour doit analyser l'affaire non seulement du point de vue de
l'immigration, mais également en ayant égard aux intérêts réciproques des
requérants et de leurs enfants.

La manière dont la phrase est formulée peut laisser perplexe225 , mais son sens
général est à la fois clair et justifié. Lorsqu'il s'agit de rapprocher un« enfant
laissé derrière » à ses parents, la Cour se doit de prêter une attention
particulière à sa situation personnelle et à ses besoins, et plus généralement
elle doit attacher un plus grand poids aux « intérêts réciproques des
requérants».

223 Cour EDH, Sen c. Pays-Bas (note 79), notamment aux § 39-40. Voir également
J. ANDRIANTSIMBAZOVINA (note 114), à la p. 224, qui estime que l'arrêt Sen« ne
remet pas en cause [la jurisprudence précédente] », tout en admettant qu'il en «atténue
sensiblement la rigueur».
224 Cour EDH, Kwakye-Nti et Dufie c. Pays-Bas (note 207).
225 En effet, rien n'autoriserait la Cour à ignorer les «intérêts réciproques» de requérants
se trouvant dans la situation des époux Abdulaziz, Cabales et Balkandali et à analyser
une telle situation« seulement du point de vue de l'immigration».

266
100 Or, en affirmant qu'il existe des obstacles au transfert de la famille Sen
en Turquie, le long séjour et la naissance d'enfants intégrés dans la société
néerlandaise, la Cour distingue expressément la situation dans laquelle ils se
trouvent de celle des époux Gül et de M. Ahmui26• Ce distinguishing
n'emporte toutefois pas la conviction. En particulier, il est difficile d'être
persuadé que la famille Gül était confrontée à de moindres « obstacles » :
sans considérer les motifs du départ de M. Gül, on rappellera que Mme Gül
était toujours malade à la date où la mesure litigieuse était devenue définitive,
que M. Gül avait résidé en Suisse pendant dix ans jusqu'à cette date227 , et que
le couple avait un enfant - âgée de cinq ans à la date décisive - qui aurait
probablement éprouvé plus de difficultés que les enfants Sen en cas de retour
en Turquie (cf. supra, n° 89-90). On est donc autorisé à penser que la Cour ait
implicitement appliqué, dans l'affaire Sen, une définition moins restrictive
d'« obstacle».
101 Un plus fort accent sur les intérêts des requérants, par rapport à la
jurisprudence antérieure de la Cour, ressort également d'autres passages de la
motivation. Le gouvernement défendeur faisait valoir l'origine volontaire de
la séparation et le fait que «le refus d'autorisation de séjour de Sinem ne
priv[ait] pas les requérants de leur droit de jouir de la même vie familiale que
celle qu'ils avaient choisie auparavant en [la] laissant [ ... ] en Turquie»
(§ 35). Cet argument, on l'a vu, avait eu un poids considérable dans l'affaire
Ahmut (cf. supra, no 91). La Cour y répond ainsi (§ 40) :
Cette circonstance intervenue dans la prime enfance de Sinem ne saurait
[ ... ] être considérée comme une décision irrévocable de fixer, à tout
jamais, son lieu de résidence dans ce pays et de ne garder avec elle que des
liens épisodiques et distendus, renonçant définitivement à sa compagnie et
abandonnant par là toute idée de réunification de leur famille. Il en va de
même de la circonstance que les requérants n'ont pas pu établir avoir
participé financièrement à la prise en charge de leur fille.

Dans un autre passage, elle ajoute que


il existait, vu son jeune âge, une exigence particulière de voir favoriser son
intégration dans la cellule familiale de ses parents, aptes et disposés à
s'occuper d'elle.

226 Cour EDH, Sen c. Pays-Bas (note 79), § 40: « [ ... ] il existait donc dans [le chef des
requérants] des obstacles à un transfert de la vie familiale en Turquie (voir a contrario,
les arrêts Gül, p. 176, § 42, et Ahmut, p. 2033, § 69) >>.
227 Le séjour de M. Sen aux Pays-Bas avait en revanche duré seize ans.

267
102 La conclusion de la Cour mérite également d'être citée en entier (§ 41,
italiques ajoutés) :
En ne laissant aux deux premiers requérants que le choix d'abandonner la
situation qu'ils avaient acquise aux Pays-Bas ou de renoncer à la
compagnie de leur fille aînée, l'État défendeur a omis de ménager un juste
équilibre entre les intérêts des requérants, d'une part, et son propre intérêt à
contrôler l'immigration, de l'autre, sans qu'il soit nécessaire pour la Cour
d'aborder la question de savoir si les proches de Sinem résidant en
Turquie sont disposés et aptes à s'occuper d'elle, comme l'affirme le
Gouvernement défendeur.

103 Il apparaît légitime de conclure que dans l'affaire Sen, la Cour s'est
inspirée d'une logique plus protectrice et moins déférente à l'égard de la
souveraineté étatique que dans sa jurisprudence antérieure. Le seuil à partir
duquel les « difficultés » deviennent des « obstacles » à la réunification de la
famille dans un autre pays semble être défini d'une manière moins sévère, ou
faudrait-il dire plus raisonnable. L'intérêt spécifique de l'enfant à cohabiter
avec ses parents -plutôt qu'à vivre, même dans des conditions satisfaisantes,
avec des parents moins proches - est reconnu, alors qu'il était auparavant
entièrement négligé (cf. supra, no 94). Le fait qu'il y ait une séparation
volontaire entre parents et enfants en l'attente que les premiers soient
solidement établis dans le pays hôte - trait commun à la grande majorité des
histoires personnelles et familiales d'émigration - est jugé avec moins de
sévérité. Pour tout dire, il est jugé avec bienveillance, au vu du fait que la
Cour se refuse à tirer des conséquences du considérable retard pris par les
époux Sen- sans cause de force majeure- pour solliciter une autorisation de
séjour pour leur aînée.
104 Le changement de position de la Cour tient, d'ailleurs, dans une phrase.
Dans l'arrêt Gül elle formule la question essentielle aux fins de l'application
de l'article 8 comme il suit(§ 39, italiques ajoutés): «déterminer dans quelle
mesure la venue d'Ersin en Suisse constitue le seul moyen pour M. Gül de
développer une vie familiale avec son fils». Dans l'arrêt Sen, elle condamne
les Pays-Bas car elle conclut que «la venue de Sinem aux Pays-Bas
constituait le moyen le plus adéquat pour développer une vie familiale avec
celle-ci» (§ 40, italiques ajoutés).
lOS L'arrêt Sen marque donc une évolution, et une évolution «heureuse »228 ,
dans la jurisprudence de la Cour en matière de regroupement familial. Cette
nouvelle orientation a été confirmée d'abord par l'arrêt Tuquabo-Tekle, relatif

228 Ainsi F. SUDRE, note 74, § 268, à la p. 517.

268

--------~- 1--~-------
à une affaire analogue à l'affaire Sen, et ensuite par l'arrêt Rodrigues da
Silva, relatif à une affaire fort différente et donc d'autant plus significatif229•

D. Droit au respect de la vie familiale et contrôle de


l'immigration - remarques conclusives
106 Le contentieux relatif aux mesures de contrôle de l'immigration met par
définition la Cour devant des choix délicats. Comme le dit fort bien Joël
ANDRIANTSIMBAZOVINA230 ,
[L]e système de protection instauré par la CEDH présente la particularité
de mettre face à face l'individu et l'État adhérent. [... ] [C]ette spécificité
éclate au grand jour et atteint son paroxysme dans le contentieux des
étrangers car là plus qu'ailleurs la souveraineté de l'État s'y exprime et s'y
manifeste fortement. [ ... ] Le contentieux des étrangers, c'est donc le
contentieux des extrêmes : c'est la lutte de l'étranger en totale infériorité
juridique face à l'État adhérent en totale supériorité juridique. C'est le
combat du pot de terre contre le pot de fer.

107 Il n'est pas surprenant qu'en« arbitrant ce combat inégal »231 , la Cour ait
pris des positions nuancées, dans l'effort de ne pas mordre trop en profondeur
une prérogative si importante aux yeux des États que celle de contrôler
l'immigration, et de protéger en même temps de manière efficace un droit
aussi vital que celui de «vivre en famille». Au-delà des incohérences et des
zones d'ombre de la jurisprudence de la Cour en la matière, ses lignes de
force gagnent progressivement en clarté.
108 L'approche de la Cour demeure formellement différente dans les affaires
d'éloignement (ingérence) et dans les affaires de non adlnission (obligations
positives). Jusqu'à l'affaire Ahmut, sa position était nettement moins
protectrice dans ce deuxième genre d'affaires. Avec les arrêts Boultif et Sen,
dans le cadre d'une opération globale de rééquilibrage et de systématisation,
la Cour semble en revanche rapprocher les principes applicables dans les
deux types d'affaire. Du point de vue du niveau de protection, il paraît
désormais préférable de distinguer trois catégories d'affaires.

229 Cour EDH, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas (note 197); Cour EDH, Rodrigues da Silva et
Hoogkamer c. Pays-Bas (note 92).
230
J. ANDRIANTSIMBAZOVINA (note 114), aux pp. 214-215.
231 Ibidem.

269
109 Le contentieux des étrangers «intégrés» s'encadre, par la force des
choses, dans la systématique des affaires d'éloignement. Depuis les arrêts
Slivenko et Sisojeva, il apparaît désormais clairement que:
L'éloignement de ces étrangers s'analyse en tout état de cause en une
ingérence dans le droit au respect de la vie privée, et peut le cas échéant
constituer également une ingérence le droit au respect de la vie familiale.
Une mesure d'éloignement n'est compatible avec la Convention que si la
personne concernée s'est rendue coupable de graves agissements.
110 En ce qui concerne l'éloignement des étrangers arrivés «à l'âge adulte»
dans le pays hôte et autorisés à s'y établir, l'aspect des liens avec les sociétés
d'origine et d'accueil est également examiné, et il est dès lors logique que
cette catégorie d'étrangers jouisse d'une protection moindre par rapport aux
étrangers intégrés. La Cour analyse en principe leur position uniquement sur
le terrain du droit au respect de la vie familiale. Là aussi, au vu des
développements successifs à l'arrêt Boultif, on peut estimer que la position
prise par la Cour est remarquablement protectrice. En présence de forts liens
familiaux, et d'obstacles à la reconstitution de la vie familiale «ailleurs», la
Cour ne semble admettre la conventionnalité d'une mesure d'éloignement que
si elle est motivée par de graves raisons liées au maintien de 1' ordre et à la
prévention de la criminalité.
111 Dans le contentieux de l'admission des étrangers, la Cour nie
systématiquement l'existence d'un droit général au regroupement familial
pour les étrangers établis dans un État contractant - ou selon la formule
inverse, l'existence d'une «obligation générale» à la charge de ces États de
permettre le regroupement familial sur leur territoire. Dans la mesure où il
existe un lien familial effectif, un refus fondé sur la seule application des lois
en matière d'immigration ne peut être considéré en violation de l'article 8
qu'en présence d'« obstacles» à la reconstitution d'une vie familiale dans un
autre pays. Il n'est pas discuté qu'un risque grave pour la santé et la sécurité
du 1 des regroupant(s) en cas de transfert dans cet autre pays constitue un tel
obstacle. Il doit en aller de même lorsque des obstacles juridiques d'autre
nature s'opposent à un tel transfert (par ex. un risque de non admission dans
le potentiel pays de destination).
Par le passé, la Cour s'est montrée en revanche moins sensible ici - par
comparaison aux arrêts qu'elle a rendu en matière d'éloignement - aux
obstacles dérivant de la rupture des liens développés par le(s) regroupant(s)

270
dans leur pays d'accuei1232 • Jusqu'à l'arrêt Ahmut, la Cour semblait
n'attribuer aucun poids à ce genre de difficultés, une position qui a été à juste
titre critiquée car compromettant l'effectivité du droit au respect de la vie
familiale des immigrés233 . Avec l'arrêt Sen, ses paramètres de jugement ont
changé, notamment à cet égard - dans la mesure où elle y estime que le long
séjour et la naissance d'enfants sur le territoire de l'État d'accueil constituent
un« obstacle» au transfert de la famille- mais également à d'autres égards.

E. La définition de « membre de la famille » valable aux


fins du Règlement Dublin II - un réexamen à la
lumière des droits fondamentaux

1. Remarques liminaires
112 L'analyse qui suit vise principalement à permettre une évaluation de la
compatibilité du système de détermination de l'État responsable établi par le
dispositif Dublin II avec le droit au respect de la vie familiale.
Avant d'y procéder, il y a lieu toutefois d'ouvrir une parenthèse afin
d'examiner à nouveau la définition de« membre de la famille» qui ressort de
l'article 2 RD. Celle-ci revêt une importance cardinale dans l'économie du
dispositif Dublin II, et son réexamen semble utile dans la mesure où la
systématique de l'article 8 CEDH - et plus généralement des droits
fondamentaux - permet de résoudre certaines questions interprétatives qui
avaient été laissées en suspens (cf. supra, chap. IV, no 47-49).

2. La systématique des droits fondamentaux, cadre


interprétatif des dispositions du Règlement Dublin Il
113 L'article 2 lit. i RD et les articles qui lui sont fonctionnellement liés
(articles 4 § 3, 6 à 8, 14 et 15 RD) ont pour objet de «préserver l'unité des
familles dans la mesure où cela est compatible avec les autres objectifs du
[ ... ]règlement» (cons. 6 RD).

232 Voir d'une part Cour EDH, Bou/tif c. Suisse (note 84), §51-55, et d'autre part Cour
EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note 18), § 68 et Cour EDH,
Ahmut c. Pays-Bas (note 84), § 71.
233 Voir notamment F. RIGAUX (note 82), à la p. 720; S. PEERS (note 83), à la p. 195.

271
Dans cette matière, la systématique des droits fondamentaux constitue un
point de référence herméneutique fondamental, et ce au-delà des obligations
d'« interprétation conforme» des dispositions du Règlemenr34 , corollaire de
sa soumission au Traité et aux principes généraux du droit communautaire.
En effet, les droits de l'homme constituent en l'espèce une source déclarée
d'inspiration du législateur communautaire, comme il résulte notamment du
considérant 15 du préambule du Règlement et de la terminologie employée à
plusieurs endroits dans son dispositi:f23 5 •

3. L,« existence» des rapports familiaux


114 Le premier aspect qu'il y a lieu de réexaminer est la condition
d'« existence» des liens familiaux qui découle de l'article 2lit. i RD.
Cette condition est explicitement formulée en termes d'existence du lien
familial dans le pays d'origine. Comme nous l'avons déjà relevé (cf. supra,
chap. IV, n° 49), le libellé de l'article 21it. i induit à penser que le législateur
communautaire n'ait pas entendu poser une exigence de «cohabitation en
famille» dans le pays d'origine. Les indications que l'on peut tirer de la
jurisprudence de la Cour EDH en matière de droit au respect de la vie
familiale confirment et précisent une telle conclusion. En effet, comme nous
l'avons vu, la cohabitation n'est pas une circonstance déterminante aux fins
de l'inclusion, dans le concept de «vie familiale», d'un rapport entre époux,
entre parents et enfants mineurs ou entre partenaires non mariés. Les
conditions d'existence de ces rapports en tant que « vie familiale » sont
respectivement un mariage «légal et non fictif», la naissance et l'existence
en fait d'un fort engagement mutuel, qui peut se manifester au travers d'une
cohabitation prolongée, mais également d'une autre manière (cf. supra, n° 16-
22).
115 Il faut par ailleurs prendre en considération une autre condition
d'« existence» implicitement posée par l'article 21it. i RD, notamment là où
il se réfère au «conjoint» et aux «enfants [ ... ] adoptés, conformément au

234 Voir articles 6 TUE et 63 TCE; cf. supra, chap. V, n° 8-10.


235 L'article 2 lit. i, point ii, RD («les enfants mineurs [ ... ] sans discrimination selon
qu'ils sont nés du mariage, hors mariage ou qu'ils ont été adoptés») constitue un
exemple illustratif dans ce contexte. On y retrouve en effet l'écho des principes
dégagés par la Cour EDH dans les arrêts Marckx c. Belgique (note 17), § 31, et Pini et
autres c. Roumanie (note 50), § 140. Le lien entre le dispositif du Règlement et les
«instruments de droit international [ ... ] qui interdisent la discrimination» est
d'ailleurs explicitement établi par le considérant 12 du Préambule.

272
droit national ». Ces expressions renvoient en effet à des actes juridiques - le
mariage ou l'adoption - qui doivent être «valables» pour créer un lien
familial.
116 Or, comme il a été relevé précédemment, la jurisprudence relative à
l'article 8 CEDH proscrit le formalisme en ce qui concerne l'appréciation des
titres juridiques qui fondent de tels rapports familiaux - à tout le moins, en ce
qui concerne le mariage (cf. supra, no 17). Dès lors, et contrairement à la
pratique suivie dans certains États membres (cf. supra, chap. IV, no 52), un
mariage coutumier ou religieux devrait en principe être considéré comme
idoine à créer un lien .familial au sens de 1' article 2 RD.
117 Par ailleurs, dans une optique plus large, il y a lieu d'observer que
l'article 2 lit. i est ancré dans la systématique des droits de l'homme et du
droit des réfugiés (art. 63 no 1 TCE). Dans son interprétation et application,
les autorités compétentes devraient prendre en compte les recommandations
pertinentes du Comité Exécutif du HCR236, et se montrer moins formalistes
que ce n'est le cas actuellement en matière de preuve des liens familiaux
(cf. supra, chap. IV, no 52).

4. Les dispositions relatives aux enfants demandeurs d'asile


118 Lus dans la perspective des droits fondamentaux, deux autres concepts
mentionnés par 1' article 2 RD gagnent en clarté et en netteté : celui de
«tuteur» (art. 2lit. i RD) et celui de« mineur non accompagné» (art. 2lit. h
RD).
Ces deux notions se situent dans le même contexte systématique - celui des
dispositions communautaires visant spécifiquement la situation des mineurs
demandeurs d'asile. Dans cette matière, le point de référence principal, y
compris aux fins de l'interprétation des dispositions susmentionnées, est la
Convention des droits de l'enfant237 , source privilégiée d'inspiration du

236 Voir Corn. Ex. HCR, Conclusion no 24 (XXXII) 1981 sur le regroupement des
familles, § 6 : «Lorsque le regroupement des familles est envisagé, l'absence de
documents apportant la preuve de la validité formelle d'un mariage ou de la filiation
d'enfants ne doit pas, en soi, créer d'empêchement». Voir également Comité des
Ministres du Conseil de l'Europe, Recommandation noR (99) 23 du 15 décembre 1999
sur le regroupement familial pour les réfugiés et les autres personnes ayant besoin de la
protection internationale, § 4.
237 En effet: (a) en la matière, la Convention relative aux droits de l'enfant est un« traité
pertinent» ratione materiae au sens de l'article 63 no 1lit. a TCE (cf. supra, chap. V,
no 13); (b) le préambule du Règlement (cons. 15) se réfère à la Charte des droits

273
législateur communautaire238 , et les documents qui s'y rapportent de manière
directe et qui en fournissent une interprétation autorisée. Il s'agit, en
particulier, des observations générales du Comité des droits de l'enfant et des
lignes directrices que le HCR a élaboré spécifiquement au sujet du traitement
des enfants réfugiés.
119 D'une manière générale, et en consonance avec les standards
internationaux précités, les dispositions communautaires pertinentes visent
trois objectifs. L'objectif primaire est celui de prévenir la séparation du
mineur des parents ou des adultes qui en ont à titre principal la charge, dans la
mesure où ceux-ci se trouvent avec lui sur le territoire de l'Union. Une telle
finalité se déduit aisément, en particulier, de l'article 4 § 3 RD 239• Si le
mineur est séparé de ses parents, le droit communautaire vise d'une part à
faire cesser cet état de séparation, et d'autre part à pourvoir aux besoins
immédiats de l'enfant, qui se trouve dans une position de vulnérabilité
particulière. Le retour du mineur auprès de ses parents ou de la personne qui
en a à titre principal la charge constitue donc l'objectif prioritaire et
permanent, sauf si son intérêt s'y oppose - ce qui ne sera le cas, en ce qui
concerne le regroupement avec les parents, qu'en cas d'abus ou de
négligence240 . Dans l'intérim, ou si un tel regroupement s'avère impossible, il
y aura lieu de nommer dans les meilleurs délais un « tuteur légal » chargé de
représenter l'intérêt de l'enfant auprès des autorités de l'État d'accueil, et de

fondamentaux de l'Union européenne, dont l'article 24 («Droits de l'enfant») «se


fonde» à son tour sur la CDE (Explications relatives à la Charte, note 15, ad art. 24).
238 Cela résulte, d'abord, des travaux préparatoires du Règlement. Dans sa Proposition,
doc. COM (2001) 447, p. 10, la Commission affirme avoir tiré la définition de
«mineur non accompagné» de la Résolution adoptée le 19 juillet 1997 en la matière
par le Conseil (JO 1997 C 221/23). Celle-ci se réfère, dans son préambule, à la CDE.
Ensuite, et surtout, la référence au droit et à la pratique internationaux ressort avec
clarté du libellé même des dispositions pertinentes (cf. infra, dans le texte).
239 Voir également art. 9 CDE; Corn. DE, Observations finales sur le deuxième rapport
périodique de Panama, 30 juin 2004, doc. NU CRC/C/15/Add.233, §55.
240 Voir art. 6 RD, ainsi que Directive n° 2003/9 (JO 2003 L 31118), art. 19 § 3. Voir
également art. 22 § 2 CDE ; Corn. DE, Observation générale no 6 (XXXIX) 2005,
Traitement des enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays
d'origine, doc. NU CRC/GC/2005/6, § 79 et 81. Voir enfin HCR, Guide/ines on
policies and procedures in dealing with unaccompanied children seeking asylum,
Genève, 1997, § 5.5 et 10.5.

274

----1
confier la garde de l'enfant, dans la mesure du possible, à de membres adultes
de sa famille aptes et disposés à s'occuper de lui241 •
120 L'encadrement des articles 2 lit. h et i dans cette perspective permet
d'abord de clarifier la notion de« tuteur», que le Règlement ne définit pas.
D'après la CJCE242,
la détermination de la signification et de la portée des termes pour lesquels
le droit communautaire ne fournit aucune définition doit être établie en
considération du contexte général dans lequel ils sont utilisés et
conformément à leur sens habituel en langage courant.

Le langage courant est de peu d'utilité ici, dans la mesure où il laisse intact le
dilemme interprétatif décrit supra, au chapitre IV, no 48.
121 Le «contexte» juridique de l'article 2 lit. i RD fournit en revanche des
indications plus concluantes. On se réfère en particulier à l'article 2 lit. h du
Règlement, qui définit comme suit les « mineurs non accompagnés » :
[D]es personnes non mariées âgées de moins de dix-huit ans qui entrent sur
le territoire des États membres sans être accompagnées d'un adulte qui, de
par la loi ou la coutume, en a la responsabilité et tant qu'elles ne sont pas
effectivement prises en charge par un tel adulte ; cette définition couvre
également les mineurs qui cessent d'être accompagnés après leur entrée sur
le territoire des États membres.

122 Relevons que cette disposition comporte un petit imbroglio


terminologique. Dans la pratique internationale, on distingue aujourd'hui
entre mineur ou enfant «non accompagné», la notion traditionnelle, et
mineur ou enfant «séparé». Les deux notions se distinguent en ce que le
mineur séparé est un243
enfant [ ... ] qui a été séparé de ses deux parents ou des personnes qui en
avaient la charge à titre principal auparavant en vertu de la loi ou de la
coutume, mais pas nécessairement d'autres membres de sa famille. Un
enfant séparé peut donc être accompagné par un autre membre adulte de sa
famille.

En revanche, le mineur « non accompagné » est un mineur qui est séparé de


tout membre proche de sa famille et de tout adulte en assurant la charge par la

241 Directive no 2003/9 (note précédente), art. 19 § 1 et 2. Voir également Corn. DE,
Observation générale no 6 (note précédente), § 33-40, ainsi que HCR (note
précédente),§ 5.7 et 7.2-7.5.
242 Voir CJCE, aff. C-164/98 P, DIR International Film, Rec. 2000,1-447, cons. 26.
243 Corn. DE, Observation générale n° 6 (note 240), § 8.

275
loi ou la coutumé44 • Cette distinction a été développée pour rendre attentives
les autorités compétentes au fait que la présence d'un quelconque adulte
accompagnant l'enfant ne résout pas en elle-même les problèmes dérivant de
sa séparation des parents ou de son legal or customary caregiver. Un enfant
séparé, bien qu'accompagné, doit faire l'objet du traitement et des attention
particulières que nous avons brièvement décrit (recherche des parents,
regroupement avec eux, nomination d'un tuteur légal, si possible
rapprochement à d'autres parents proches).
Or, il suffit de lire l'article 2 lit. h RD, ainsi que les définitions identiques
contenues dans d ' autres mesures communautarres . 245 , pour se conva:mcre
.
que
le législateur communautaire a employé le terme « mineurs non
accompagnés», lui attribuant toutefois le sens de mineur« séparé».
123 Ce constat induit à identifier les parents et le tuteur, au sens de l'article 2
lit. i RD, avec les « adulte[s] qui par la loi ou la coutume [ ... ] [ont] la
responsabilité du mineur» visés par l'article 2lit. h RD.
Cette identification est conforme, tout d'abord, à la terminologie employée
par le Comité des droits de l'enfant que nous venons de rappeler (cf. supra,
n° 122). Ensuite, et surtout, elle répond à une exigence systématique
inhérente au Règlement Dublin II. D'une part, en effet, l'article 4 § 3 RD
stipule 1' indissociabilité de la position des mineurs de celle des parents ou
tuteurs qu'ils accompagnent, prévenant ainsi une séparation (cf. supra,
chap. IV, no 55). D'autre part, l'article 6 vise à assurer le regroupement de
tout demandeur d'asile mineur et non accompagné avec son parent ou tuteur
qui se trouve sur le territoire d'un État membre. Le but de ces dispositions est,
nous l'avons vu, d'éviter qu'un mineur vienne à se trouver en situation de
mineur non accompagné ou, s'il se trouve déjà dans une telle situation, de le
rapprocher de ses parents ou tuteurs. Cet objectif ne serait pas pleinement
atteint si on admettait que les « adultes » visés par 1' article 2 lit. h RD
constituent une catégorie plus large que celle de« parent et tuteur». En effet,
le mineur« accompagné» d'un tel adulte «résiduel» serait à la fois privé du
bénéfice de l'article 4 § 3 et de celui de l'article 6.

244 Corn. DE, Observation générale n° 6 (note 240), § 7.


245 Voir notamment Directive n° 2003/9 (note 240), art. 2 lit. h; Directive no 2004/83 (JO
2004 L 304/12), art. 2lit. i ; Directive no 2005/85 (JO 2005 L 326/13), art. 2 lit. h.

276
124 Cela établi, il reste à définir comment il faut interpréter l'expression
«responsable [ ... ] d'après la loi ou la coutume», que l'article 2lit. h reprend
directement de la pratique intemationale246 •
Cet argument est abordé directement dans la Note du HCR sur les politiques
et procédures à appliquer dans le cas des enfants non accompagnés en quête
d'asile de février 1997247, à l'annexe IL Les principes directeurs qui y sont
développés se résument notamment aux points suivants :
La séparation des parents devrait amener les autorités compétentes à
considérer l'enfant comme étant primafacie non accompagné(§ 2);
Si l'enfant est accompagné par un adult caregiver, il faut évaluer la
qualité et la durabilité du rapport le liant à celui-ci. Relevons à cet égard
que le Règlement Dublin II exige que le rapport entre tuteur et pupille ait
existé dans le pays d'origine, comme pour tout autre rapport familial visé
par l'article 2 lit. i RD (§ 5) ;
La mention de la « loi » et de la « coutume » que fait l'article 2 lit. i RD
doit être entendue de manière flexible, et référée aux coutumes et
traditions de la culture d'appartenance des personnes concernées (§ 6) :
If a child is in a first asylum country with an adult other than the natural
parent but who has nevertheless assumed the principal caretaking
responsibilities towards the child, then this arrangement should be
respected, even if it has not been legally formalised. In this respect, it
should be noted that the terms << adoption » and << fostering » are
sometimes used informally by custom in certain cultures and should not be
confused with the legal use of such terms in industrialized countries.

Si elles ne doivent pas se montrer formalistes, les autorités compétentes


doivent se garder de toute attribution hâtive de la qualité de « tuteur » à
un adulte accompagnant un mineur. Elles ·doivent en particulier se
satisfaire de ce que les parents naturels ont désigné 1' adulte concerné en
tant que tuteur, et de ce que celui-ci soit apte et disposé à assumer de
façon durable la charge de l'enfant.
125 Il y a lieu de souligner combien la détermination des qualités de mineur
non accompagné et de tuteur est délicate. Les conséquences d'une évaluation
erronée peuvent en effet être lourdes : si la qualité de tuteur est attribuée à une
personne ne méritant pas une telle qualification, la conséquence sera de lui

246 Voir notamment Corn. DE, Observation générale no 6 (note 240); HCR (note 240),
§ 3.1 et 3.2. Voir également PESE, Déclaration de bonne pratique,
Copenhague/Genève, 2004, pp. 2~3.
247
Cf. supra, note 240.

277
conférer durablement la charge de l'enfant qui - en tant qu'enfant
« accompagné » - ne bénéficiera pas des garanties dues aux mineurs non
accompagnés ; une erreur dans l'autre sens risque en revanche d'ouvrir la
porte à la séparation entre enfant et tuteur, car l'article 4 § 3 sera erronément
considéré comme inapplicable.

F. La compatibilité du dispositif Dublin II avec le droit au


respect de la vie familiale

1. Remarques liminaires
126 Au chapitre IV, il a été constaté que les critères de responsabilité établis
par le Règlement Dublin II peuvent aboutir, dans un large éventail de cas de
figure, à la séparation des membres d'une même famille, ou empêcher leur
rapprochement (cf. supra, chap. IV, no 83-87 et 90 ss), sous réserve de
l'application des deux clauses dérogatoires, la clause de souveraineté et la
clause humanitaire. Dans la première partie du présent chapitre, nous avons
en outre analysé la jurisprudence de la Cour EDH relative à l'article 8 CEDH,
d'après laquelle le respect de la vie familiale peut interdire l'éloignement
d'un étranger ou comporter une obligation d'admission à son bénéfice. Les
pages qui suivent visent à opérer une synthèse entre ces deux plans d'analyse,
afin de déterminer si et sous quelles conditions le dispositif Dublin II peut
être jugé « conforme » au droit au respect de la vie familiale.
127 Au préalable, il y a lieu de préciser le résultat auquel doit tendre une telle
analyse. À cet égard, il faut considérer l'importance prépondérante des
circonstances propres à chaque cas d'espèce dans la détermination d'une
atteinte à l'unité de la famille occasionnée par l'application des critères de
responsabilité, d'une part, et dans l'établissement d'une violation du droit au
respect de la vie familiale, d'autre part (cf. supra, chap. IV, n° 1, et ce
chapitre, no 53-70 et 81-85).
Un effort scientifique visant à analyser la compatibilité du dispositif Dublin II
avec le droit au respect de la vie familiale, qui est nécessairement caractérisé
par un certain niveau d'abstraction, ne saurait viser à l'établissement d'une
énumération exhaustive des cas dans lesquels l'application du premier donne
lieu à une violation du deuxième. Son objet et son but est plutôt celui de
dessiner un cadre théorique et méthodologique valable pour l'appréciation des
situations concrètes susceptibles de se présenter.

278
128 À cette fin, notre analyse s'articulera autour des points suivants:
Analyse comparative des principes définis par la jurisprudence de la Cour
EDH et des règles pertinentes du dispositifDublin II, afin de déterminer
si une violation du droit au respect de la vie familiale peut dériver de
l'application de celles-ci;
Examen des remèdes offerts par le Règlement Dublin II lui-même pour
prévenir ou redresser de telles violations.
Préliminairement, il importe de vérifier si les atteintes à 1'unité familiale
dérivant de l'application du dispositif Dublin II tombent sous l'empire de
l'article 8 CEDH, ce qui a été nié par certaines juridictions nationales, et de
préciser si elles doivent être considérées comme des décisions d'éloignement
ou de non admission au sens de la jurisprudence de la Cour EDH.

2. L'applicabilité de l'article 8 CEDH aux atteintes à l'unité


familiale résultant de l'application du dispositif Dublin Il
129 Comme nous l'avons relevé précédemment, une partie substantielle du
contentieux qui s'est développé devant les juridictions nationales au sujet de
la légalité des décisions de transfert prises en application de la Convention de
Dublin, et ensuite du Règlement Dublin II, portait sur leur compatibilité avec
le droit au respect de la vie familiale (cf. supra, chap. III, no 28). À ce sujet,
certains auteurs et certaines juridictions nationales, notamment les juridictions
néerlandaises, ont exprimé des doutes quant à l'applicabilité de 1' article 8
CEDH aux atteintes à l'unité familiale dérivant de l'application du dispositif
de Dublin248 •

248 En doctrine, voir notamment B. P. VERMEULEN, The application of article 3(4) of


the Dublin Convention on asylum in Dutch case law, in: C. MARINHO (éd.), The
Dublin Convention on asylum : its essence, implementation and prospects, Maastricht
(EIPA), 2000, pp. 53-59, à la p. 55 ; B. SCHRODER, Das Dubliner Übereinkommen,
Francfort s/Main (Peter Lang), 2004, pp. 249-250. Il y a lieu de relever que la position
de Birgit SCHRODER se fonde sur deux affirmations contestables, à savoir que (a)
l'article 8 CEDH ne reconnaîtrait aucun droit aux étrangers ne se trouvant pas sur le
territoire de l'État concerné et que (b) il ne conférerait aucun droit au regroupement
familial aux étrangers ( « regroupants ») qui ne sont pas munis d'un titre
d'établissement (cf., en sens contraire, supra, no 40 et 85). La position des juridictions
néerlandaises, dans le sens de l'inapplicabilité de l'article 8 CEDH, est rapportée par
C. MARINHO, The Dublin Convention judicial control : national case law highlights,
in: C. MARINHO (éd.), The Dublin Convention on asylum : its essence,

279
130 Pour être exhaustif sur ce point, il faut d'abord relever que l'éventuelle
inapplicabilité de l'article 8 ne saurait résulter de la qualité de demandeurs
d'asile des personnes concernées. D'après l'article 1 CEDH, le droit au
respect de la vie familiale est reconnu à toute personne relevant de la
juridiction des États contractants249• Il ressort en outre de la jurisprudence de
la Cour EDH que le statut juridique de l'étranger - séjour irrégulier, séjour
temporaire, résidence permanente, etc. - constitue une circonstance
pertinente pour évaluer s'il y a eu violation du droit au respect de la vie
familiale, mais pas pour décider de l'applicabilité de l'article 8 CEDH dans
un cas d'espèce (cf. supra, n° 40, 54 et 85)250•
131 Tel n'est cependant pas le point en discussion. En effet, la thèse de
l'inapplicabilité de l'article 8 CEDH se fonde plutôt sur le caractère
temporaire des atteintes à l'unité familiale dérivant de l'application du
système de Dublin251 .
La prémisse factuelle du raisonnement - le caractère temporaire de la
séparation des membres de la.famille- sera réexaminée par la suite (cf. infra,
no 148 ss). À ce stade du raisonnement, il suffit de relever que même une
mesure entraînant une séparation de durée limitée des membres d'une même
famille peut constituer une violation du droit au respect de la vie familiale 252 •
Le caractère temporaire de la séparation doit certes être prise en compte pour
déterminer la gravité de l'atteinte portée à la vie familiale des intéressés, et

implementation and prospects, Maastricht (EIPA), 2000, pp. 225-277, aux pp. 251-
252.
249 Voir notamment S. SAROLÉA, Les droitsprocéduraux du demandeur d'asile au sens
des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, RTDH
(1999), pp. 119-144, aux pp. 121-123; P.-F. DOCQUIR (note 29), § 5. Au sujet de la
situation des demandeurs d'asile, dans le contexte du système de Dublin, voir
notamment F. LÔPER, Das Dubliner Übereinkommen über die Zustiindigkeit für
Asylverfahren, ZAR (2000), pp. 16-24, à la p. 22.
250 Par ailleurs, on relèvera qu'une décision «Dublin» entraînant une rupture de l'unité
familiale ou empêchant sa reconstitution n'affecte pas uniquement le. demandeur
d'asile, mais également les membres de sa famille déjà établis ou présents dans un État
membre, et dont on ne peut pas.exclure qu'ils soient ressortissants de cet État, titulaires
d'un permis d'établissement, etc.
251 ..
Voir B. SCHRODER (note 248), p. 250; C. MARINHO (note 248), à la p. 252.
252 Voir par ex. Cour EDH, W.c. Royaume-Uni (note 20), § 65: «un respect effectif de la
vie familiale commande que les relations futures entre parent et enfant se règlent sur la
seule base de l'ensemble des éléments pertinents, et non par le simple écoulement du
temps». Dans le domaine de l'immigration, on relèvera que le caractère temporaire
d'une mesure d'éloignement n'entraîne pas l'inapplicabilité de l'article 8 CEDH: voir
par ex. Cour EDH, Jakupovic c. Autriche (note 138).

280
donc la proportionnalité de la mesure incriminée, mais elle ne saurait
entraîner - pas plus que le statut juridique des intéressés - l'inapplicabilité de
l'article 8 CEDH. Celle-ci dépend du seul fait que la mesure litigieuse
« [écarte] quelqu'un du territoire de l'État où vivent des membres de sa
famille » 253.

Il y a donc lieu de maintenir, conformément à l'opinion dominante en


doctrine et en jurisprudence, que les atteintes à l'unité familiale déterminées
par l'application du dispositif Dublin II relèvent en principe du champ
d'application de l'article 8 CEDH254 •

3. Le terrain d'analyse des mesures d'exécution du dispositif


Dublin II portant atteinte à l'unité familiale
132 Dans la mise en œuvre du dispositif Dublin II, les États sont amenées à
adopter des mesures d'éloignement (transferts), tout comme des mesures par
lesquelles elle refusent d'autoriser l'entrée d'un demandeur sur leur territoire,
en particulier dans le contexte de l'article 15 RD. Le fait que ces mesures
entrent dans le champ d'application de l'article 8 CEDH, lorsqu'elles portent
atteinte à l'unité familiale, soulève la question de savoir si elles doivent être
analysées, au regard de cette disposition, sur le terrain des obligations
négatives ou sur celui des obligations positives.
Cette question n'a fait l'objet, à notre connaissance, d'aucune analyse à ce
jour : la doctrine et la jurisprudence tendent à appliquer sans autre le schéma

253 Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note 18), § 59-60.
254 En doctrine, voir notamment F. LOPER (note 249), à la p. 22 ; K. HAILBRONNER,
C. THIERY, Schengen II and Dublin : responsibility for asylum applications in
Europe, CMLR (1997), pp. 957-989, à la p. 969; C. SCHMID, R. BARTELS,
Handbuch zum Dubliner Übereinkommen, Vienne/Baden-Baden (NWV/Nomos),
2001, pp. 194-195; U. BRANDL, Distribution of asylum seekers in Europe? Dublin
II Regulation determining the responsibility for examining an asylum application, in:
C. DIAS URBANO DE SOUSA, P. DE BRUYCKER (éds.), L'émergence d'une
politique européenne d'asile, Bruxelles (Bruylant), 2004, pp. 33-69, à la p. 46. En
jurisprudence, on mentionnera, à titre d'exemple, VwGH, aff. no 2000/011498, arrêt du
23 janvier 2003, publié dans Migralex (2003), pp. 100-105 ; Conseil d'État français,
aff. n° 261 913, Ministre de l'intérieur c. Arayik Y., arrêt du 25 janvier 2006
(www.legifrance.gouv.fr) ; QBD, Regina c. SSHD ex parte Ganidagli, arrêt du 31 août
2000, Imm. AR (2001), p. 202, § 27 ; VwG Braunschweig, aff. no 5 A 52/04, arrêt du
26 janvier 2006. Sur la jurisprudence du Conseil d'État belge, on consultera
C. MARINHO (note 248), à la p. 237, ainsi que CERE, Report on the application of
the Dublin II Regulation in Europe, 2006 (ci-après« Rapport CERE»), p. 22.

281
«ingérence- justification »255 • Or, s'il est certain que ce choix de terrain n'a
pas nécessairement des conséquences décisives - dans les deux cas, les
principes applicables sont assez voisins (cf. supra, no 32 et 108) - il n'en est
pas moins vrai qu'il détermine le cadre jurisprudentiel pertinent - en
schématisant, Berrehab ou Sen.
133 Précisons d'abord les termes du problème. Dans le contexte «Dublin»,
nous pouvons de prime abord défmir comme suit une violation potentielle du
droit au respect de la vie familiale : il s'agit d'une mesure qui - prise en
application du Règlement Dublin II - écarte un demandeur d'asile, contre sa
volonté, du territoire d'un État membre où se trouvent ses proches parents.
Conformément au critère de l'« autorisation préalable» (cf. supra, no 37), une
telle mesure s'analyse en une ingérence si le demandeur d'asile est en
possession d'un titre de séjour au sens de la jurisprudence de la Cour EDH,
délivré par l'État membre qui l'« écarte» de son territoire. Dans le cas
contraire, la potentielle violation de l'article 8 s'analyse sur le terrain des
obligations positives.
134 Or, selon les dispositions du Règlement, l'État membre qui octroie un
«titre de séjour» à un demandeur d'asile256 est (art. 9 § 1 RD) ou devient
(art. 16 § 2 RD) l'État responsable, et est donc tenu de (ré)admettre le
demandeur sur son territoire. Autrement dit, un État qui délivre un titre de
séjour à un demandeur d'asile ne peut normalement pas l'éloigner en
application des critères de responsabilité, sans préjudice de sa faculté de le
faire en application du concept de pays tiers sûrs ou à la suite du rejet de sa
demande d'asile (voir art. 3 § 3 et 16 § 4 RD). Un tel «éloignement» peut
certes avoir lieu sur la base d'un critère hiérarchiquement supérieur à l'article
9 § 1. Mais cela n'est possible que si le demandeur d'asile prête son
consentement (voir articles 7 et 8 RD), auquel cas aucune question ne se pose,
ou sinon dans des cas exceptionnels : la présentation, par un mineur non
accompagné, d'une demande d'asile dans un État autre que celui qui lui a ex
hypothesi délivré un titre de séjour (art. 6 § 2 RD), ou la délivrance, au même
demandeur d'asile, de plusieurs titres de séjour de la part de plusieurs États
membres (art. 9 § 2 RD).

255 Voir notamment F. LÔPER (note 249), à la p. 22; QBD, Regina c. SSHD ex parte
Ganidagli (note précédente) ; UBAS, aff. no 248.247/0-III/07/04, décision du 20 avril
2004 (www.ris.bka.gv.at/ubas).
256 Relevons que la notion de « titre de séjour » retenue par le Règlement est congruente
avec celle retenue par la Cour EDH aux fins de la qualification des obligations en jeu,
dans la mesure où elle exclut les titres de séjour « provisoires » (cf. supra, no 39).

282
135 En conclusion, les situations dans lesquelles l'application des critères
établis par le Règlement Dublin peut porter atteinte au droit au respect de la
vie familiale des personnes concernées - le demandeur d'asile et ses proches
- sont normalement des situations dans lesquelles le demandeur est « écarté »
du territoire d'un État dans lequel il n'est pas autorisé à séjourner (voir, par
ailleurs, art. 16 RD). Elles s'analysent donc en mesures de non admission,
indépendamment du fait que le demandeur d'asile se trouve ou non sur le
territoire de l'État qui l'« écarte» et porte ainsi atteinte à l'unité de sa famille.

4. L'application des critères de responsabilité, source


potentielle de violations du droit au respect de la vie
familiale?

a) Remarques liminaires
136 Comme nous l'avons vu, l'application des critères fixés par le Règlement
Dublin II peut porter atteinte à l'unité des familles du demandeur d'asile, et la
légalité de ces atteintes doit être mesurée à l'aune du standard établi par
l'article 8 CEDH, et plus précisément du droit à l'admission de l'étranger
dans un État ou vivent des membres de sa famille. Il faut cependant encore
établir que de telles atteintes à la vie familiale puissent s'analyser en
violations de ce droit.
La conformité d'une mesure de non admission avec l'article 8 CEDH dépend,
en effet, de la question de savoir si elle ménage un juste équilibre entre
l'intérêt public pertinent et l'intérêt des personnes concernées -en l'espèce,
le demandeur d'asile et ses proches- à voir maintenue ou reconstituée l'unité
de la famille (cf. supra, no 32 et 111).
Comme nous 1' avons vu, la « quantification » de ces deux grandeurs est
fonction d'un nombre élevé de facteurs (cf. supra, no 81-85), qu'il y a lieu de
réexaminer en les situant dans le contexte particulier de l'application des
dispositions du Règlement Dublin IL

b) Les liens constitutifs d'une « vie familiale » pouvant être


affectés par l'application des critères
137 La nature et l'intensité du lien familial en cause constitue une première
«variable» importante pour la détermination de la conformité d'une mesure
de non admission d'un étranger au droit au respect de la vie familiale. Son

283
importance est double : elle détermine l'applicabilité de ce droit au cas
d'espèce, et figure parmi les éléments à prendre en compte pour décider si la
mesure litigieuse ménage un « juste équilibre » entre les intérêts en cause.
138 Dans le contexte présent, il faut d'abord voir si les critères de
responsabilité peuvent entraîner une séparation entre personnes unies par un
«lien constitutif d'une vie familiale». À cette fin, il y a lieu de rapprocher la
définition réglementaire de «membre de la famille», qui commande
l'application des critères pertinents (articles4 § 3, 6 à 8 et 14 RD), à la notion
de « lien constitutif de la .vie familiale » telle qu'elle ressort de la
jurisprudence de la Cour EDH.
139 Malgré une certaine similitude - les deux définitions visent à titre
principal la famille nucléaire - force est de constater que la définition de
l'article 2 lit. i RD est moins large de celle qui vaut aux fins de l'article 8
CEDH, et ce sous plusieurs aspects.
En sont exclus, en premier lieu, les liens familiaux qui« n'existaient pas dans
le pays d'origine». Cette restriction ne trouve aucune correspondance dans la
jurisprudence de la Cour EDH. En effet, la notion de « vie familiale » de
l'article 8 CEDH trouve ou non à s'appliquer indépendamment de toute
considération de cet ordré57 •
Deuxièmement, l'article 2 lit. i RD n'inclut au nombre des membres de la
famille que les enfants mineurs, célibataires et dépendants. On rappellera que
selon la Cour EDH, une vie familiale entre parents et enfants mineurs existe
«du seul fait de la naissance» (cf. supra, no 18 et 21).
Troisièmement, la prise en compte des liens de couple hors mariage dépend,
dans la systématique du Règlement, de la législation des États membres, alors
que dans l'optique de l'article 8 CEDH l'inclusion de ces rapports dépend de
la «réalité pratique de liens personnels étroits» (cf. supra, n° 19-20). Dès
lors, dans les États membres et associés qui n'étendent pas l'application de
l'article 2 lit. i aux partenaires non mariés (cf. supra, chap. IV, no 48), la
définition de « membre de la famille » valable aux fins de l'application du
Règlement est plus étroite que celle qui résulte de l'article 8 CEDH
également sous cet angle.
Enfin, 1' article 2 lit. i RD ne couvre pas les liens de parenté sortant du cadre
de la famille nucléaire, rapports qui peuvent au contraire relever de la notion
de «vie familiale» notamment s'ils sont caractérisés par une situation de

257 Voir par ex. Cour EDH, Berrehab c. Pays-Bas (note 40), § 19-21.

284
dépendance (cf. supra, no 23 ssi58 • On mesure ici le contraste entre la
flexibilité de la définition de vie familiale valable aux fins de l'article 8
CEDH259 et le formalisme de la définition de « membre de la famille »
valable aux fins.du Règlement Dublin.
140 La définition de « membres de la famille » valable aux fins de
l'application du Règlement ne couvre donc pas l'ensemble des liens
constitutifs d'une vie familiale au sens de l'article 8 CEDH. Cette
circonstance signifie, à elle seule, que tous les rapports relevant de la notion
de « vie familiale » ne sont pas automatiquement protégés par des critères
prévoyant le maintien ou la reconstitution de l'unité de la famille.
141 En faisant un pas plus loin dans notre analyse, il y a lieu de rappeler
l'échelle de protection de l'unité familiale que les critères de responsabilité
offrent aux « membres de la famille » au sens du Règlement.
Les articles 2 lit. i, 4 § 3, 6 et 14 RD assurent dans la plupart des cas le
maintien des enfants mineurs avec leurs parents, voire leur rapprochement,
bien qu'ils ne couvrent pas certaines situations (par ex. : le parent est
demandeur d'asile, l'enfant non accompagné se trouve légalement dans un
État membre sans avoir le statut de réfugié ni de demandeur d'asile:
cf. supra, chap. IV, no 92). Viennent ensuite les rapports entre conjoints.
Comme nous l'avons vu, le dispositif Dublin II n'assure le maintien ou la
reconstitution de l'unité des couples mariés qu'en des circonstances
particulières (art. 7, 8 et 14 RD), une grande partie des « cas mixtes » étant
exclue (cf. supra, chap. IV, no 86). Viennent enfin les rapports existant au
sein de la «famille étendue», concernant lesquels les critères établis au
chapitre III du Règlement ne garantissent point une allocation de
responsabilité conforme au principe de l'unité familiale, .hormis les cas où un
proche parent peut être considéré comme le tuteur d'un mineur au sens de
l'article 2lit. i (cf. supra, n° 122-124).
142 En établissant cette échelle de protection, le Règlement suit
approximativement les indications que l'on peut déduire de la jurisprudence
de la Cour EDH. Il y a toutefois une dyscrasie dans la mesure où les critères
établissent des règles de rapprochement rigides, contrairement à l'article 8
CEDH, dont l'application est case-sensitive.

258 Voir également, spécifiquement à ce sujet, UBAS, aff. no 263.626/0~IX/25/05,


décision du 26 septembre 2005 (www.ris.bka.gv.at/ubas), § 3.
259 Sur la flexibilité de la définition de «vie familiale», voir notamment G. VAN
BUEREN (note 1), p. 70.

285
143 En résumé, le systèmes des critères de responsabilité établi par le
Règlement rend possible - et commune - la séparation de personnes unies par
des «liens constitutifs d'une vie familiale». Cette constatation concerne
surtout les rapports entre proches parents qui ne bénéficient
qu'« exceptionnellement», d'après la jurisprudence Slivenko (cf. supra,
n° 25), de la protection de l'article 8 CEDH, et qui ne relèvent pas de la
notion réglementaire de «membres de la famille». Elle concerne toutefois
également des rapports personnels qui relèvent du « noyau dur » de la notion
de vie familiale- rapports entre conjoints et rapports entre parents et enfants
mineurs - soit en raison de la manière restrictive dont l'article 2 lit. i RD
définit les membres de la famille, soit en raison des limites étroites dans
lesquelles les critères de responsabilité assurent l'unité familiale. Ajoutons
que ces critères sont entièrement insensibles à l'intensité réelle des rapports
familiaux.
144 Comme l'enseigne la jurisprudence de la Cour EDH, ce constat ne suffit
pas à lui seul à conclure à la violation du droit au respect de la vie familiale.
Encore faut-il que l'admission du demandeur d'asile dans l'État où se
trouvent ses proches soit nécessaire pour respecter un « juste équilibre » entre
• ,
1es mteretsA 260

en Jeu .

c) L'origine volontaire ou involontaire de la rupture de l'unité


familiale et les critères de responsabilité
145 En examinant la conformité des mesures de non admission avec le droit
au respect de la vie familiale, la Cour tient compte des circonstances dans
lesquelles la séparation de la famille a eu lieu, ainsi que des efforts qui ont été
déployés pour y mettre fin (cf. supra, no 82-23).
146 Il s'agit d'une «variable» strictement liée aux circonstances du cas
d'espèce, dont les critères établis par le Règlement Dublin ne tiennent d'une
manière générale pas compte261 • Ainsi, la détermination de l'État responsable

260 Ainsi, il paraît quelque peu précipité de contester la conformité à l'article 8 CEDH des
mesures communautaires en matière de regroupement familial, pour le seul fait
qu'elles retiennent une définition de « famille » plus étroite que celle qui résulte de la
jurisprudence de la Cour EDH (voir S. PEERS, note 83, aux pp. 193-194, et doctrine
citée ibidem à la note 251).
261 On relèvera, en effet, que les articles 2 lit. i, 6, 7 et 8 RD ne mentionnent pas cet
aspect, et que l'obtention de visas auprès des autorités consulaires d'États différents,
ou le fait de voyager séparés, ne peuvent aucunement être pris pour indices d'une
séparation volontaire (voir respectivement TA Lille, Gasarabwe c. Ministre de

286
peut amener à la séparation des membres d'une même famille
indépendamment du caractère intentionnel ou non des faits à l'origine de
l'application des critères de responsabilité.
147 Seul l'article 5 § 2 RD- d'après lequel les liens familiaux noués après le
dépôt de la demande ne sont pas pris en compte aux fins de la détermination
de l'État responsable -peut être rapproché des principes dégagés de la Cour
EDH, et en particulier du principe jurisprudentiel selon lequel des rapports
familiaux noués alors que la situation de séjour de l'étranger est précaire
pèsent moins lourd dans la balance des intérêts (cf. supra, n° 82). Relevons
toutefois que ce principe ne permet pas aux autorités de se déterminer comme
si le rapport familial n'existait pas - ce qu'exige en revanche l'article 5
§2RD.

d) Le caractère temporaire ou durable des atteintes à l'unité


familiale dérivant de l'application des critères
148 La circonstance déterminante pour l'affirmation d'une obligation
d'admission aux termes de l'article 8 CEDH est celle de la présence
d'obstacles au regroupement familial dans un «autre» pays (cf. supra,
n° 85).
149 Pendant la durée de la procédure d'examen de la demande d'asile, les
situations de séparation déterminées par 1' application du Règlement
présentent deux constantes.
D'abord, comme nous l'avons relevé, le demandeur d'asile doit être considéré
aux termes de la Convention de Genève comme un « réfugié présumé »
(cf. supra, chap. I, no 16). Il s'ensuit qu'on ne saurait lui demander de se
rendre dans son pays d'origine pour y reconstituer sa cellule familiale
(cf. supra, no 61 et note 150)262 .

l'intérieur, arrêt du 7 novembre 1996, publié dans RRJ (1998), p. 783; QBD, Regina
c. SSHD ex parte Demiroglu, arrêt du 14 juin 2001, Imm. AR (2002), p. 78).
262 En sens dubitatif, voir A. KLUG, The humanitarian clause of the Dublin Convention
andfamily protection, in: C. MARINHO (éd.), The Dublin Convention on asylum: its
essence, implementation and prospects, Maastricht (EIPA), 2000, pp. 69-82, à la p. 74.
En sens contraire, B. SCHRODER (note 248), p. 250. Il y a lieu cependant de relever
que l'applicabilité du principe de non-refoulement aux demandeurs d'asile a été
confirmée à maintes reprises par le Comité Exécutif du HCR (voir Conclusions no 53
(XXXIX) 1988, no 58 (XL) 1989, lit. f (i), et no 85 (XLIX) 1998, lit. aa) et qu'elle a
été reconnue également par le législateur communautaire (voir Directive no 2005/85,
note 245, art. 7).

287
Ensuite, il faut rappeler que nous partons ici de l'hypothèse selon laquelle
l'État dans lequel se trouve le membre de sa famille lui refuse l'admission sur
son territoire aux fins de 1' examen de sa demande.
150 Il s'ensuit que la possibilité d'un regroupement familial «ailleurs» doit
être examinée en rapport avec l'État responsable, et que donc elle dépend de
l'existence d'obstacles à ce que le membre de la famille s'y rende.
L'appréciation de cette circonstance appelle un examen in concreto.
L'existence d'obstacles juridiques dépend pour l'essentiel du statut juridique
du membre de la famille, i.e. de la question de savoir s'il jouit de droits de
libre circulation263 , dans la mesure où les demandeurs d'asile ne jouissent
normalement pas du droit de se faire rejoindre par leurs proches dans les États
participant à la mise en œuvre du dispositif Dublin II264 • Par ailleurs, si le
membre de la famille réside depuis longtemps dans l'État membre qui refuse
l'admission au demandeur d'asile, il faudra également considérer l'existence
d'obstacles d'ordre factuel à son déplacement dans l'État responsable
(cf. supra, no 85, 100 et llli65 .
151 Naturellement, la situation que nous venons d'esquisser est provisoire,
car le statut de demandeur d'asile est par définition appelé à évoluer en un
statut différent: réfugié, bénéficiaire d'un statut de protection subsidiaire,
résident ordinaire, demandeur débouté soumis à l'obligation de quitter le

263 Cette question a été discutée devant la Court of Appeal anglaise dans CA, Regina c.
SSHD ex parte Ekinci, arrêt du 17 juin 2003, Imm. AR (2004), p. 15, à la p. 20, § 7.
Tel est le cas, en particulier, si le membre de la famille du demandeur d'asile est un
ressortissant d'un État membre de l'UE/AELE. En ce qui concerne les ressortissants de
pays tiers, le droit communautaire reconnaît certains droits de libre circulation aux
bénéficiaires de la Directive n° 2003/109 relative au statut des ressortissants de pays
tiers résidents de longue durée (JO 2003 L 16/44) : voir articles 3 à 5 (définition des
bénéficiaires) et 14 à 16 (conditions d'exercice du droit à la libre circulation).
Relevons néanmoins que 1' << espace » de libre circulation pour les résidents de longue
durée est sensiblement plus restreint que l'<< espace Dublin » : la Directive ne
s'applique en effet pas aux pays tiers associés au dispositif Dublin Il, ni aux trois États
bénéficiaires d'un droit de opt out (Danemark, Irlande et Royaume-Uni).
264 Cela résulte notamment de l'étude comparative menée par le CERE, Survey of the
provisions for refugee family reunion in the European Union, Bruxelles, 1999
(www.ecre.org). Voir également H. LAMBERT (note 150), à la p. 431 ; A. JOHN,
Family reunification for migrants and refugees: aforgotten human right ?, Centro de
dereitos humanos, faculdade de direito de Universidade de Coimbra, Working Paper,
Coimbra, 2004 (www.fd.uc.ptlhrc/paginas_pt/workingpapers.htm), p. 55. Relevons
que la Directive no 2003/86 relative au droit au regroupement familial (JO 2003
L 251/12) ne bénéficie pas aux demandeurs d'asile (art. 3 § 2lit. a).
265 Voir CA, Regina c. SSHD ex parte Ekinci (note 263), aux pp. 20-21.

288
pays, etc. C'est en se référant à cette circonstance que plusieurs juridictions
nationales et plusieurs auteurs affirment qu'une éventuelle atteinte à l'unité
familiale dérivant de l'application du système de Dublin serait en tout état de
cause« temporaire», et qu'elle serait donc «en principe» à tolérer même au
regard de l'article 8 CEDH266• Mais est-ce réellement le cas?
152 Admettons pour un instant comme valable la présomption selon laquelle
la séparation durerait en principe jusqu'à la fin de la procédure d'asile267 • Les
données publiées en la matière indiquent que la durée moyenne des
procédures d'asile dans l'Union est de dix-huit mois, et que dans les cas
individuels elle dépasse fréquemment les quatre ou cinq ans (première
instance + procédure de recours )268 .
Or, l'atteinte à la vie familiale dérivant de l'imposition d'un état de séparation
qui se prolonge pour de telles durées n'est en tout état de cause pas
qualifiable de « gêne » ou de « simple inconvénient »269. En fonction des

266 ..
Voir notamment F. LOPER (note 249), à la p. 22; C. SCHMID, Verfassungskonforme
Auslegung und Dübliner Übereinkommen über die Zustiindigkeit zur Prüfung von
Asylantriigen innerhalb der Europiiischen Gemeinschaft, Migralex (2003), pp. 100-
105, à la p. 105 ; B. SCHRODER (note 248), pp. 164, 178 et 250.
267 Voir par ex. VwG Freiburg, aff. no A 7 K 10593/01, décision du 15 août 2001, publiée
dans InfAuslR (2002), pp. 273-274.
268 La durée moyenne dans l'UE est indiquée par K. HAlLBRONNER (éd.), Study on the
single asylum procedure 'one-stop shop' against the background of the common
European asylum system and the goal of a common asylum procedure, Luxembourg
(OPOCE), 2003, p. 90, à la note 83. Il n'est cependant pas spécifié si elle se réfère aux
procédures de première instance, ou aux procédures d'asile dans leur globalité. L'étude
précitée contient également des données détaillées sur la durée des procédures d'asile
en Allemagne (ibidem, pp. 236-244). Il ressort de la table 1.5 (ibidem, p. 241) qu'entre
1999 et 2001, la durée de la procédure en première instance a dépassé les six mois
seulement dans un quart environ des cas. La table 2.1. (ibidem, p. 244) indique
toutefois qu'en 2000, les procédures de recours ont duré plus de deux ans dans le 43%
des cas, pour atteindre une durée de plus de cinq ans dans le 11% environ des cas. La
situation est comparable dans d'autres États membres. À titre d'exemple, au
Luxembourg la durée moyenne de l'instruction des cas d'asile est de deux ans, et elle
peut atteindre les quatre ans (ces chiffres ressortent de l'exposé des motifs du Projet de
loi du Gouvernement n° 5437, relatif au droit d'asile et à des formes complémentaires
de protection, déposé le 27 janvier 2005, p. 25). Il doit en aller de même en Belgique,
s'il est vrai que le gouvernement entend régulariser le statut de séjour des demandeurs
qui attendent une décision (semble-t-il, de première instance) depuis plus que quatre
ans (voir doc. «Régularisation des longues procédures d'asile», www.pac-g.be).
269 Cette expression apparaît dans Cour EDH, Goodwin c. Royaume-Uni [GC], req.
no 28957/95, arrêt du 11 juillet 2002, Recueil 2002-VI, § 77, pour indiquer une entrave

289
circonstances de l'espèce, elle peut au contraire entraîner de graves
conséquences, par exemple lorsqu 'elle touche aux relations entre un enfant en
bas âge et des membres de la famille aptes et disposés à s'occuper de lui, ou
bien aux relations entre personnes liées par un fort rapport de dépendance
émotionnelle et matérielle270•
Une présomption de non violation de l'article 8 CEDH, fondée sur le
caractère « temporaire » de la séparation, ne paraît donc conforme ni aux
réalités du terrain, qui démontrent que « temporaire » peut souvent signifier
«pour des années», ni à une interprétation correcte de l'article 8, qui sous
certaines conditions interdit également des ruptures provisoires de l'unité
familiale.
153 Cette conclusion s'impose d'autant plus que la procédure d'asile- mi les
procédures d'asile, si les membres de la famille sont tous des demandeurs
d'asile - peuvent aboutir à un résultat laissant subsister des obstacles
juridiques durables au regroupement familial.
Imaginons, à titre d'exemple, que le demandeur d'asile (X) se voie octroyer
un statut de protection subsidiaire dans l'État A271 et que son conjoint (Y)
réside dans l'État Ben vertu d'un permis de séjour« ordinaire». Le statut de
X ne comportera normalement pas le droit de se faire rejoindre par Y272•
Certes, Y pourrait acquérir le statut de résident de longue durée et s'en

à l'exercice d'un droit garanti qui ne saurait être considérée comme une violation de ce
droit.
270 On relèvera que dans l'affaire Venema, dans laquelle la mesure litigieuse était une
décision de placement d'un petit enfant, l'ayant séparé de ses parents pour une durée
de cinq mois, la Cour n'a pas hésité à constater une violation de l'article 8 CEDH:
voir Cour EDH, Venema c. Pays-Bas, req. no 35731/97, arrêt du 7 décembre 2002,
Recueil 2002-X. Voir également, PERMANENTE COMMISSIE VAN
DESKUNDIGEN IN INTERNATIONAAL VREEMDELINGEN-
VLUCHTELINGEN- EN STRAFRECHT, Jaarverslag 2001, Utrecht, 2001, p. 55, où
il est relevé : « The practice in many Member States shows that administrative review
procedures and appeal procedures can take up to years. A separation of family
members for such a long period çould well be a breach of Article 8 ECHR »;
271 Nous avons déjà rappelé, au chapitre IV, n° 69, qu'entre 1999 et 2003, dans l'UE-15,
les décisions conférant un statut de protection subsidiaire aux demandeurs d'asile ont
constitué environ le 50% des« décisions positives»: doc. SEC (2004) 937, p. 10.
272 Les études citées à la note 264 indiquent en effet que dans la plupart des États
membres, les bénéficiaires d'un statut de protection subsidiaire ne jouissent pas du
droit au regroupement faruilial. Ajoutons que ces personnes sont exclues, comme les
demandeurs d'asile, du cercle des bénéficiaires de la Directive n° 2003/86 (note 264) :
voir art. 3 § 2lit. b et c.

290
prévaloir pour se déplacer dans l'État A. Mais pour qu'une telle perspective
se réalise, plusieurs conditions doivent être remplies273 , et une attente de
plusieurs années peut être nécessaire. Les mêmes considérations valent pour
un transfert de X dans l'État B, en vertu du droit au regroupement familial
dont jouirait Y. Si par ailleurs Y jouissait également d'un statut de protection
subsidiaire, les obstacles juridiques au regroupement familial pourraient
revêtir un caractère permanent.
154 En conclusion, il apparaît que 1' application du dispositif Dublin ll peut -
en fonction des circonstances concrètes- produire des situations où l'unité de
la famille est durablement compromise, et que le caractère « temporaire » des
atteintes à la vie familiale en dérivant - loin de pouvoir faire l'objet d'une
hâtive présomption - devrait être attentivement évalué au cas par cas.

e) La nature et l'intensité de l'intérêt public sous-jacent aux


critères de responsabilité
155 La mise en balance des intérêts privés des personnes concernées avec
l'intérêt public qui fonde la mesure litigieuse suppose la qualification et
l'évaluation de ce dernier (cf., supra, n° 34, 50 et 64-70). Laissant de côté les
motifs de non admission purement éventuels- par ex. la commission d'un
acte délictueux ou autrement reprochable de la part du demandeur d'asile- il
y a lieu de se concentrer sur les intérêts sous-tendus au Règlement.
156 Dans l'arrêt Bosphorus, la Cour a EDH admis au nombre des «raisons
d'intérêt général» pouvant justifier la réglementation de l'usage des biens
privés au regard de l'article 1 § 2 du Protocole additionnel no 1 «l'exécution
par l'État irlandais des obligations juridiques découlant de son adhésion à la
Communauté européenne »274 • TI n'est pas certain qu'une telle raison pourrait
être invoquée pour justifier une mesure d'ingérence dans les droits garantis
par l'article 8 CEDH, car elle n'est point mentionnée à l'article 8 § 2275 • Nous
pouvons cependant laisser cette question ouverte. En effet, dans l'affaire
Bosphorus il s'agissait d'une mesure étatique d'exécution d'un règlement

273 D'abord, il faudrait que les États concernés soient liés par la Directive n° 2003/109.
Ensuite, Y devrait remplir les conditions définies par cette Directive : cf. supra, note
263.
274 Cour EDH, Bosphorus Airways c. Irlande [OC], req. n°45036/98, arrêt du 30 juin
2005, non encore publié au Recueil des arrêts et décisions de la Cour,§ 150.
275 Voir C. BANNER, A. THOMSON, Human rights review of State acts performed in
compliance with EC law- Bosphorus Airways v freland, EHRLR (2005), pp. 649-659,
à la p. 637

291
communautaire ne laissant aucune marge discrétionnaire aux États membres
(cf. supra, chap. V, no 21-23). Les atteintes au droit au respect de la vie
familiale dérivant de l'application des critères de Dublin ne sauraient en
revanche être justifiées par l'obligation de l'État de respecter le droit
communautaire, car le Règlement ne s'oppose pas à ce qu'un État déroge aux
critères pour préserver ou reconstituer l'unité de la famille du demandeur
d'asile (art. 3 § 2 et 15 RD).
157 Une première indication sur les intérêts publics pouvant motiver
l'application des critères de Dublin au détriment de l'unité familiale nous
vient du considérant no 6 du Règlement, plusieurs fois cité :
Il y a lieu de préserver l'unité des familles dans la mesure où ceci est
compatible avec les autres objectifs poursuivis par l'établissement de
critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de
l'examen d'une demande d'asile

158 Or, l'établissement de critères et mécanismes de détermination de l'État


responsable poursuit une pluralité d'objectifs. Certains d'entre eux ne sont, à
bien voir, pas en conflit avec la préservation de l'unité familiale. Tel est le
cas, notamment, de l'objectif d'assurer un meilleur accès aux procédures
d'asile (cons. 4). D'autres sont même mieux servis par l'établissement de
critères préservant 1'unité familiale. On mentionne notamment une
détermination claire, efficace et rapide de l'État responsable (cons. 3-4)- qui
peut être favorisée par l'établissement de critères plus conformes aux
aspirations des demandeurs d'asile -et un examen plus efficace, cohérent et
approfondi des demandes d'asile (cons. 7i76 •
159 Les restrictions au développement normal de la vie familiale des
demandeurs d'asile sont plutôt motivées par des finalités de contrôle
migratoire. Dans une optique européenne : inciter les États membres à
contrôler efficacement les frontières extérieures et éviter les risques d'un
contournement du régime communautaire du regroupement familial
(cf. supra, chap. III, no 115, et chap. IV, no 50-51). Dans une optique
nationale : ne pas avoir à supporter le « coût marginal » dérivant de
l'admission d'un demandeur d'asile qui peut au contraire être renvoyé vers un
autre État membre (cf. supra, chap. III, no 94-95) -on lira en clé européenne,

276 Cf. supra, chap. III, no 128, et chap. IV, no 48. Voir également K. JASTRAM,
K. NEWLAND, Family unity and refugee protection, in: E. FELLER, V. TÜRK,
F. NICHOLSON (éds.), Refugee protection in international law- UNHCR's global
consultations on international protection, Cambridge (CUP), 2003, pp. 555-603, aux
pp. 591-592.

292
sans que cela ne change la nature de l'intérêt sous-jacent, rechercher un
certain équilibre des efforts 277 et réduire les mouvements secondaires.
160 Selon la jurisprudence constante de la Cour EDH, le contrôle sur 1'entrée
et le séjour des étrangers, voire même la défense de l'intégrité du régime
d'entrée et d'immigration instauré par un État partie, constituent des intérêts
susceptibles de justifier une mesure de non admission portant atteinte à la vie
familiale des intéressés (cf. supra, no 111). Dès lors, la Cour serait
vraisemblablement amenée à admettre qu'une décision prise sur le fondement
du Règlement, qui porte atteinte à l'unité de la famille du demandeur d'asile,
poursuit un objectif légitime au regard de la Convention278 •
Il y a toutefois une remarque à faire sur l'intensité de cet intérêt dans le
contexte du Règlement Dublin ll, ou si on préfère sur l'enjeu impliqué dans le
conflit entre unité familiale et contrôle de 1' admission des demandeurs
d'asile. Il faut noter, en effet, qu'une éventuelle obligation positive de déroger
aux critères de Dublin et d'admettre un demandeur d'asile aux fins de
1' examen de sa demande - situation inconnue de la jurisprudence de la Cour -
ne peut être sic et simpliciter identifiée à une obligation d'admettre un
étranger à résider sur le territoire national, comme semble le faire la

277 Non pas, comme le dit le considérant no 8, un équilibre équitable des efforts, objectif
que le Règlement est structurellement inapte à poursuivre (cf. supra, chap. III, no 91 et
107 ss).
278 Le Verwaltungsgerichthof autrichien a pris une position différente à cet égard. Dans
l'arrêt VwGH, aff. no 2000/01/498 (note 254), en se fondant sur le préambule de la
Convention de Dublin (cf. supra, chap. III, no 83 ss), il affirme en effet que les buts qui
y sont énumérés ne correspondent à aucun des objectifs visés par l'article 8 § 2 CEDH
(voir§ 6-7). Dès lors, selon la haute juridiction autrichienne, si une décision prise en
application du dispositif Dublin constitue une «ingérence» au sens de l'article 8 § 1,
elle n'est pas susceptible d'être justifiée au sens de l'article 8 § 2. Cette prise de
position est bienvenue, dans la mesure où elle est particulièrement protectrice à l'égard
des intérêts des demandeurs d'asile. D'un point de vue dogmatique, elle paraît
cependant critiquable sous trois aspects: (a) elle ne prend pas en considération le fait
que les obligations de l'État au sens de l'article 8 CEDH sont ici des obligations
positives, ce qui laisse en principe à l'État une plus grande latitude dans la
détermination de l'intérêt public justifiant une restriction (cf. supra, no 34) ; (b) elle
procède d'une appréciation trop formelle des objectifs du système de Dublin
(cf. supra, chap. III, no 83 ss); (c) elle procède également d'une lecture trop rigide de
l'article 8 § 2 (cf. supra, note 75). Par ailleurs, la jurisprudence autrichienne semble ne
pas suivre à la lettre les indications du VwGH, s'il est vrai que Unabhiingiger
Bundesasylsenat procède à une évaluation de la proportionnalité des mesures de renvoi
ordonnées sur le fondement du Règlement Dublin II (voir notamment UBAS,
aff. no 248.247/0-III/07/04, note 255).

293
Commission (cf. supra, chap. IV, n° 51). La différence réside en ce qu'en cas
de rejet de la demande, l'État demeure en principe libre de renvoyer le
demandeur, sous réserve du respect de l'article 8279 • Il s'agit d'un aspect dont
il y aurait peut-être lieu de tenir compte pour effectuer une pesée correcte des
intérêts en présence.

f) L'application des critères de responsabilité, source


potentielle de violations du droit au respect de la vie
familiale
161 Le cadre qui émerge des pages précédentes est un cadre complexe. Il est
opportun de rappeler, pour placer nos observations dans une perspective
correcte, que le Règlement Dublin garantit, dans certaines circonstances, le
maintien ou la reconstitution de l'unité familiale au moment de la
détermination de l'État responsable. Les dispositions insérées à cet effet dans
le texte du Règlement sont néanmoins lacunaires, considérées à la lumière du
droit au respect de la vie familiale (cf. supra, chap. IV, n° 83 ss).
Pour s'en convaincre, il suffit de rappeler que l'application des critères de
responsabilité peut entraîner une rupture durable de la cohabitation de
personnes liées par des rapports relevant de la notion de « vie familiale » - et
même de son « noyau dur » - dans des conditions où des obstacles s'opposent
à leur regroupement «ailleurs», indépendamment de la circonstance que
cette rupture soit la conséquences d'agissement intentionnels ou pas.
Plus synthétiquement, 1' application des critères de responsabilité peut, sous
certaines conditions, entraîner des violations du droit au respect de la vie
familiale.
162 Cela ne signifie point que le Règlement Dublin II soit incompatible avec
les exigences découlant de la protection des droits fondamentaux.
Au contraire, les articles 3 § 2 et 15 RD laissent aux États membres la marge
d'appréciation nécessaire pour se conformer à ces exigences. La conséquence
qui s'impose au vu de la jurisprudence T. !. de la Cour EDH, d'une part, et de
la jurisprudence Wachauf de la CJCE, d'autre part, est tout autre: les États

279 Relevons qu'à l'égard de l'article 8 CEDH, la situation du demandeur d'asile avant la
détermination de l'État responsable et après une décision négative sur sa demande
d'asile n'est pas fondamentalement différente. En effet, il est toujours un «non
admis», ce qui fait que les paramètres de jugement (nature de l'obligation; lien avec
le pays qui refuse son admission) restent pour l'essentielles mêmes.

294
sont tenus dans de tels cas de faire recours à ces clauses, le recours auxquelles
serait en principe discrétionnaire.
Si cette conclusion est partagée par la doctrine ·dominante et par les
juridictions de certains États membres 280, ses implications n'ont pas encore
été pleinement explorées.

S. Modalités d'application« conforme» des clauses de


souveraineté et humanitaire

a) Typologie des situations de {potentielle) violation de l'article


8 CEDH dérivant de l'application du dispositif Dublin II
163 À supposer que l'État où vivent les membres de la famille ne soit pas
l'État responsable, l'acte d'« écarter» le demandeur d'asile de cet État en
application du Règlement peut prendre plusieurs formes en fonction de la
situation concrète. On peut distinguer, de prime abord, trois cas de figure.
(a) Le demandeur présente sa requête d'asile dans l'État où se trouvent
les membres de sa famille, mais cet État le renvoie - en application
des critères de Dublin - vers l'État responsable. Dans cette
hypothèse, la mesure (potentiellement) en violation de l'article 8
CEDH est la décision de ne pas procéder à l'examen de la demande
et de transférer le demandeur (art. 19 § 1 RD).
(b) L'État dans lequel le demandeur a des attaches familiales n'est ni
l'État saisi de la demande ni l'État responsable. À la suite d'une
requête présentée au titre de l'article 15 RD par l'un de ces deux

280 Voir notamment K. HAILBRONNER, C. THIERY, Schengen 2 und Dublin. Der


zustiindige Asylstaat in Europa, ZAR (1997), pp. 55-66, à la p. 57 ; C. SCHMID,
R. BARTELS (note 254), pp. 68 et 200-201 ; U. BRANDL (note 254), à la p. 46.
Moins nettement, mais substantiellement dans ce même sens, voir F. LÔPER (note
249), à la p. 22. Voir également, sur le problème différent du respect de l'article 3
CEDH dans la mise en œuvre du système de Dublin, G. NOLL, Formalism v.
empiricism : some reflections on the Dublin Convention on the occasion of recent
European case law, NJIL (2001), pp. 161-182, à la p. 162. En ce qui concerne la
jurisprudence, voir notamment VfGH, G 117/00, arrêt du 8 mars 2001, VfSlg. 16122;
UBAS, aff. n° 248.247/0-III/07/04 (note 255); Conseil d'État français, aff. no 263 501,
Moukhamed X. c. Ministre de l'intérieur, arrêt du 20 janvier 2006
(www.legifrance.gouv.fr); VwG Braunschweig, aff. no 5 A 52/04 (note 255). Voir
également Rapport CERE (note 255), pp. 22, 68-69, 112 et 145.

295
États, l'État où se trouvent les membres de la famille n'accepte pas le
transfert de responsabilité au titre de la clause humanitaire. Dans un
tel cas, cette décision est (potentiellement) en violation de l'article 8
CEDH.
(c) Dans la même situation de base évoquée à la lettre précédente, l'État
saisi de la demande, ou après la prise en charge l'État responsable,
refuse ou omet d'envoyer une requête à l'État où vivent les membres
de la famille du demandeur. Dans un tel cas de figure, le
comportement- actif ou omissif- de l'État saisi de la demande ou
de l'État responsable est (potentiellement) en violation de l'article 8
CEDH.
Il est à relever que les cas (b) et (c) peuvent de fait être transformés dans le
cas (a) lorsque le demandeur d'asile réussit à se rendre irrégulièrement dans
l'État où vivent les membres de sa famille, et à y déposer une deuxième
demande d'asile281 . La seule différence est que la mesure (potentiellement) en
violation de l'article 8 CEDH est adoptée après une demande de reprise en
charge le demandeur (art. 5 ou, selon le cas, 20 RD).
164 Il y a un quatrième cas de figure à considérer, dans lequel une mesure
prise en application du Règlement peut porter atteinte à l'unité familiale du
demandeur d'asile. La situation de départ est la suivante: l'État responsable
d'après les critères de Dublin est bien l'État avec lequel le demandeur d'asile
a des attaches familiales, mais il ne s'agit pas de l'État auquel il présente sa
demande. Dans un tel cas, l'article 3 § 2 RD laisse libre ce dernier État de
déroger aux critères et d'assumer la responsabilité pour l'examen de la
demande, même si cela est contraire aux souhaits des intéressés et à l'objectif
de reconstitution de l'unité familiale (cf. supra, chap. IV, no 72)282 .

281 cette hypoth'ese s ' avere


' de moms. en moms. fr'equemment, dans 1a mesure ou' p1us1eurs
.
.États membres ont recours de manière croissante à la détention des demandeurs d'asile
pendant la procédure « Dublin » : voir HCR, The Dublin II Regulation - A UNHCR
discussion paper, Bruxelles, 2006, pp. 52-54.
282 Cette hypothèse n'est point théorique. Au contraire, un cas similaire s'est vérifié sous
l'empire de la Convention de Dublin, alors même que celle-ci rendait un tel résultat
plus difficile, exigeant le consentement du demandeur d'asile: voir B. SCHRÔDER
(note 248), pp. 157-158.

296
b) Le premier cas de figure : obligation de faire recours à la
clause de souveraineté
165 Le premier des cas de figure que nous venons d'évoquer, qui intègre
l'hypothèse «classique» d'atteinte à l'unité familiale dérivant de
l'application du système de Dublin, est celui qui soulève le moins de
difficultés théoriques.
En effet, ici la mesure litigieuse s'analyse en une décision de non admission
prise par l'État où se trouvent le demandeur d'asile et les membres de sa
famille - grosso modo, le genre de situation dans laquelle la Cour EDH a été
appelée à statuer, par exemple, dans l'affaire Ahmut (cf. supra, no 91).
Dans la mesure où la décision de ne pas examiner la demande et de transférer
le demandeur est - au vu de la situation des intéressés - à considérer comme
en violation de l'article 8 CEDH, l'État saisi a l'obligation en droit
international et, le cas échéant, en droit communautaire de faire recours à la
clause de souveraineté. C'est en nous référant principalement à cette
circonstance que nous avons soutenu que l'application de la clause de
souveraineté est soumise à des conditions implicites pouvant faire l'objet
d'un contrôle juridictionnel au sens de la jurisprudence Hansa Fleisch (supra,
chap. III, n° 69).

c) Le deuxième cas de figure: obligation d'accepter une


requête de transfert au titre de la clause humanitaire
166 Les situations de « type b » diffèrent de celles de « type a » sous deux
aspects : l'État qui adopte la mesure de non admission n'est pas l'État sur le
territoire duquel se trouve le demandeur d'asile, et la clause pertinente n'est
pas la clause de souveraineté, mais la clause humanitaire.
167 Le premier de ces deux aspects n'a aucune incidence sur l'applicabilité
de l'article 8 CEDH. Bien qu'il ne se trouve pas sur son territoire, le
demandeur d'asile est directement touché par l'exercice de souveraineté
territoriale constitué par le refus de l'admettre au titre de l'article 15 RD.
L'adoption d'un tel acte est un exercice de «juridiction» à son égard ayant
des implications directes sur ses relations familiales (art. 1 CEDHi83 . Il l'est

283 Sur la notion de « juridiction » au sens de 1' article 1 CEDH et sur ses potentiels effets
«extraterritoriaux», voir notamment G. NOLL, Seeking asylum at embassies: a right
to entry under international law?, URL (2005), pp. 542-573, aux pp. 564-570;
G. GAJA, Art. 1 - Obbligo di rispettare i diritti dell'uomo, in: S. BARTOLE,

297
par ailleurs aussi à l'égard des membres de sa famille qui se trouvent sur le
territoire cet État284• On notera, d'ailleurs, que cette situation ne diffère pas
fondamentalement de celle que la Cour a eu à examiner dans l'affaire Sen (cf.
supra, no 95 ss).
168 Dans la mesure ou les circonstances de l'espèce sont telles que l'article 8
CEDH comporte une obligation positive d'admission, il faut partir de l'idée
que l'exercice de la clause humanitaire aux fins du regroupement familial est
obligatoire. Le fait que le « remède » prévu par le Règlement Dublin pour de
telles violations potentielles de l'article 8 CEDH soit la clause humanitaire
appelle cependant deux observations ultérieures.
169 Premièrement, il y a lieu de souligner l'étroite relation systématique et,
nous dirions, textuelle entre l'article 15 RD et l'article 8 CEDH. L'article 15
RD vise, en ses paragraphes 2 et 3, deux situations dans lesquelles la
séparation du demandeur des membres de la famille - au sens large - est
particulièrement problématique en raison de la dépendance caractérisée qui le
lie au membre de la famille ou bien de sa qualité de mineur non accompagné
(cf. supra, chap. IV, no 77 ss). Ces deux circonstances ont également une
valeur dans la systématique de l'article 8 CEDH: elles sont susceptibles de
ramener sous le concept de «vie familiale» des rapports qui n'en relèvent
pas automatiquement, et de conférer un poids particulier aux exigences
familiales des intéressés dans la balance des intérêts, laissant présumer
l'existence d'une obligation d'admission (cf. supra, n° 27 ss et 81 ss).
170 Sous cet aspect, le choix du législateur communautaire de traiter les
rapports entre demandeur d'asile et« parents proches» au titre de l'article 15
RD peut être considéré comme raisonnable. Ces rapports relèvent de la vie
familiale uniquement si certaines conditions sont réunies in concreto - et la
clause humanitaire suppose par définition un examen in concreto de la
situation.
Ce qui fait défaut à la formulation de l'article 15 § 2 et 3 est l'énonciation
d'une obligation. Certes, le libellé même de l'article 15 § 2 et 3 RD laisse
entendre que dans les hypothèses qu'y sont visées la discrétion laissée aux
États est restreinte (cf. supra, chap. IV, no 81). Mais ce résultat se précise
davantage en considération de l'obligation, que nous venons d'affirmer,

B. CONFORT!, G. RAIMOND! (éds.), Commentario alla Convenzione europea perla


tutela dei diritti dell'uomo e delle libertà fondamentali, Padoue (CEDAM), 2001,
pp. 23-34, aux pp. 27-28; S. SAROLÉA (note 249), aux pp.121-123.
284
Cf. supra, note 250.

298
d'appliquer l'article 15 lorsque le respect de la vie familiale des intéressés
l'exige.
171 Le deuxième aspect à mettre en lumière est que l'article 15 RD implique
toujours deux États - l'État requérant et l'État requis - et donc deux
«territoires d'accueil» potentiels pour la famille du demandeur d'asile.
Sans préjudice du résultat final - qui doit être le regroupement familial, là où
le droit au respect de la vie familiale l'exige- le choix du territoire d'accueil
revient aux États concernés, qui sont cependant tenus de tenir compte en
particulier (art. 11 § 5 lit. b RE)
de la situation des personnes concernées au regard du séjour, afin, le cas
échéant, de privilégier le rapprochement du demandeur d'asile auprès du
membre de la famille lorsque ce dernier dispose déjà d'un titre de ·séjour et
de ressources dans l'État membre où il séjourne.

On ne manquera pas de noter que cette disposition transpose, dans le contexte


de la mise en œuvre de la clause humanitaire, l'exigence de prise en compte
des liens du membre de la famille avec le pays de résidence et avec le pays de
destination qui ressort de la jurisprudence de la Cour EDH (cf. supra, no 62).

d) Le troisième cas de figure: obligation d'émettre une requête


au sens de l'article 15 RD
172 Dans les situations de « type c » est mise en cause la compatibilité avec le
droit àu respect de la vie familiale de l'omission - ou du refus -d'envoyer
une requête au titre de l'article 15 RD. Non pas, donc, un comportement par
lequel un État refuse d'admettre sur son territoire un étranger aux fins du
regroupement familial, mais un comportement par lequel l'État fait obstacle à
un possible regroupement familial dans un autre État - un cas de figure qui
est à notre connaissance inconnu de la jurisprudence de la Cour relative à
l'article 8 CEDH.
Il faut partir de l'hypothèse qu'il s'agit d'un cas dans lequel l'article 8 CEDH
exigerait, dans le cas d'espèce, le regroupement familial des personnes
concernées- car s'il en allait autrement, aucune obligation juridique de faire
recours à la clause humanitaire ne saurait subsister. Nous venons de voir que
dans une telle hypothèse l'État requis serait normalement tenu d'accepter le
transfert.
Dans de telles circonstances, le refus ou l'omission d'envoyer une requête au
titre de l'article 15 RD serait directement à l'origine de l'état perdurant de
séparation entre membres d'une même famille. Peut-on, sur ces bases, tirer de

299
l'article 8 CEDH une obligation d'envoyer une requête au titre de l'article 15
RD?
173 Pour répondre à cette question, il faut revenir à la raison d'être de la
théorie des obligations positives et au sens premier de cette expression. Cette
théorie est issue principalement d'un souci d'effectivité de la protection
offerte par la Convention, dont l'objet estjustement285
de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires mais concrets et
effectifs.

La protection effective de ces droits peut exiger les mesures « positives » les
plus diverses : réglementation des émissions sonores des avions,
communication à un particulier d'un dossier renfermant des informations sur
son enfance, fixation des droits de visite d'un père à son enfant, etc (cf. supra,
n° 31 et doctrine citée aux notes 71-72).
174 Au vu de la philosophie qui inspire la théorie des obligations positives, et
de la diversité des situations qu'elle couvre, il nous paraît que l'envoi d'une
requête au titre de l'article 15 - en principe facultatif- puisse bien devenir
obligatoire dans la mesure où cela est nécessaire pour garantir in concreto le
droit au respect de la vie familiale 286.
Il y a lieu d'ailleurs d'être attentif aux termes employés par l'article 15 § 2 et
3 RD, qui dans les situations où les exigences de l'unité familiale sont le plus
impérieuses, fait obligation à tous les États membres, non pas uniquement à
l'État requis, de rapprocher « normalement » ou « si possible » les membres
de la famille séparés en application des critères ordinaires de responsabilité.

e) Le quatrième cas de figure : obligation de ne pas utiliser la


clause de souveraineté
175 Le quatrième cas de figure évoqué supra, au no 164- celui de l'exercice
de la clause de souveraineté en dérogation aux critères ordinaires, lorsque leur

285 Cour EDH, Airey c. Irlande, req. no 6289/73, arrêt du 9 octobre 1979, série A, n° 32,
§ 24. Cf. également supra, no 31.
286 Voir également A. KLUG, The humanitarian clause of the Dublin Convention and
family protection, in: C. MARINHO (éd.), The Dublin Convention on asylum : its
essence, implementation and prospects, Maastricht (EIPA), 2000, pp. 69-82, à la p. 79.
Cette autrice affirme: «[. .. ]the asylum seeker must have a right to appeal a negative
decision based on Article 9 [of the Dublin Convention] [ ...] >>. On relèvera que
l'exigence d'un remède juridictionnel ne se conçoit guère sans qu'il y ait au préalable
une prétention juridiquement protégée à 1' application de la clause humanitaire.

300
application aurait pour résultat de permettre le rapprochement des membres
de la famille - donne également lieu à une situation atypique : celle d'une
« admission » pouvant entraîner une atteinte au droit au respect de la vie
familiale. Au regard de l'article 8 CEDH, ce cas de figure soulève cependant
moins d'incertitudes.
En adoptant une telle mesure, en effet, l'État empêche d'une manière directe
et immédiate un regroupement familial qui est prévu par le Règlement Dublin
dans un autre État membre. Pour autant que l'article 8 soit applicable- ce qui
dépend de l'existence d'une «vie familiale» - nous ne voyons pas de
difficultés à qualifier une telle mesure comme une ingérence dans le droit au
respect de la vue familiale du demandeur d'asile et de ses proches.
Il paraît en revanche plus difficile de justifier une telle mesure au regard de
l'article 8 § 2 CEDH. Il y a lieu en effet de se demander quel serait l'intérêt
public pertinent en l'espèce. Comme nous l'avons relevé, l'application de la
clause de souveraineté contre les intérêts du demandeur d'asile est
normalement dictée par des considérations d'économie procédurale
(cf. supra, chap. IV, no 18 et 72). Il est douteux que de telles considérations
puissent être ramenées à l'un des objectifs limitativement énumérés par
l'article 8 § 2 CEDH.
Sauf dans des circonstances exceptionnelles, il nous semble donc que la
clause de souveraineté ne puisse être exercée, dans la mesure où cela entraîne
une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale.

G. L'interdiction de discrimination dans la jouissance du


droit au respect de la vie familiale et le dispositif
Dublin II

1. Remarques liminaires
176 La Convention européenne des droits de l'homme ne consacre pas
uniquement le droit au respect de la vie familiale mais également le droit d'en
jouir sans discrimination (art. 14 CEDH). Tout comme l'article 14 complète
l'article 8 CEDH, nos précédentes observations doivent être complétées par
une brève analyse du dispositif Dublin II à la lumière du principe d'égalité de
traitement.

301
2. L'article 14 CEDH- droit complémentaire et autonome
177 L'article 14 CEDH dispose:
La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention
doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la
race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes
autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance ou toute
autre situation.

Garantissant l'égalité dans la « jouissance des droits et libertés garantis » par


la Convention et les Protocoles additionnels, l'article 14 n'entre en ligne de
compte que si les faits du litige « tombent sous l'empire de l'une au moins
[des clauses qui consacrent ces droits et libertés] »287 .
178 Si elle n'a donc pas «d'existence indépendante», l'interdiction de
discrimination posée par 1' article 14 possède en revanche une « portée
autonome», dans la mesure où elle peut être enfreinte alors même qu'il n'y a
pas de violation d'un autre droit garanti288 . En effet289,
la notion de discrimination englobe d'ordinaire les cas dans lesquels un
individu ou un groupe se voit, sans justification adéquate, moins bien traité
qu'un autre [dans la jouissance d'un droit garanti], même si la Convention
ne requiert pas le traitement plus favorable.

287 Voir Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note 18), § 71.
Voir également Cour EDH, Engel et autres c. Pays-Bas [Plén.], req. no 5100 à
5102171, 5354/72 et 5370/72, arrêt du 8 juin 1976, série A, no 22, § 71. Sous cet
aspect, se distinguent de l'article 14 CEDH l'article 26 PIDCP et l'article 1 du
Protocole additionnel n° 12 à la CEDH (STE n° 177, signé à Rome le 4 novembre
2000, entré en vigueur le 1er avril 2005). Ces dispositions consacrent en effet le
principe de l'égalité devant la loi. Comme le relève Marc BOSSUYT, l'inclusion
d'une telle clause dans un Protocole additionnel à la CEDH a une valeur surtout
institutionnelle. D'un point de vue normatif, en effet, le principe de l'égalité devant la
loi est déjà commun aux traditions constitutionnelles des États parties. Pour les États
qui l'ont ratifié, l'effet principal du Protocole no 12 est donc celui de conférer à la
Cour EDH la compétence - dont dispose déjà le Comité des droits de l'homme - de
contrôler son observation (M. BOSSUYT, Article 14, in: L.-E. PETTITI,
E. DECAUX, P.-H. IMBERT (éds.), La Convention européenne des droits de l'homme
- Commentaire article par article, Paris (Economica), 2• éd., 1999, pp. 475-488, à la
p. 478 et à la note 1 de la p. 479).
288 Cour EDH, «Affaire linguistique belge» (note 98), p. 33, § 9 : «une mesure conforme
en elle-même aux exigences de l'article consacrant le droit ou la liberté en question
peut cependant enfreindre cet article, combiné avec l'article 14 (art. 14), pour le motif
qu'elle revêt un caractère discriminatoire».
289 Voir Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note 18), § 82.

302
179 Comme il résulte de ce passage, l'article 14 ne frappe pas d'interdiction
toute distinction de traitement dans la jouissance des droits garantis.
Confrontée à une dyscrasie entre les versions française ( « sans distinction
aucune ») et anglaise (« without discrimination ») du texte, la Cour a tranché
en faveur de la deuxième. Ainsi, seules sont interdites les distinctions qui
revêtent un caractère discriminatoiré90•
À cet égard, l'arrêt rendu dans l'« affaire linguistique belge» fait
jurisprudence (p. 34, § 10, italiques ajoutési91 :
[L]'égalité de traitement est violée si la distinction manque de justification
objective et raisonnable. L'existence d'une pareille justification doit
s'apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure considérée, eu
égard aux principes qui prévalent généralement dans les sociétés
démocratiques. Une distinction de traitement dans l'exercice d'un droit
consacré par la Convention ne doit pas seulement poursuivre un but
légitime : l'article 14 (art. 14) est également violé lorsqu'il est clairement
établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre
les moyens employés et le but visé.

Sous un autre aspect, il y a lieu de relever que l'énumération des motifs de


discrimination contenue à 1' article 14 n'est pas exhaustive, comme il résulte
de l'emploi du mot «notamment» et de la généricité du dernier élément de
' ' ' (« toute autre situatiOn
cette enumeration .. »)292.
En résumé, une différence de traitement fondée sur l'un des motifs
mentionnés par l'article 14 peut ne pas être interdite, dans la mesure où elle a
une justification objective et raisonnable, et à l'inverse une distinction fondée
sur un autre motif peut tomber sous le coup de cette disposition, si elle est
discriminatoire293 •

290 L'article 1 § 1 du Protocole no 12 (note 287) reprend à son compte cette précision
jurisprudentielle. Il dispose en effet (italiques ajoutés): «La jouissance de tout droit
prévu par la loi doit être assurée, sans discrimination aucune[ ... ]».
291 Cour EDH, « Affaire linguistique belge » (note 98). Pour l'interprétation - similaire -
de l'interdiction de discrimination posée par d'autres instruments internationaux de
protection des droits de l'homme voir la jurisprudence et la doctrine citée dans
T. CLARK, F. CRÉPEAU, Mainstreaming refugee rights. The 1951 Refugee
Convention and international human rights law, NQHR (1999), pp. 389-410, à la
p. 393 et doctrine citée ibidem à la note 12.
292
Cour EDH, Engel et autres c. Pays-Bas (note 287), § 72.
293 Par exemple, a été jugée contraire à l'article 14 combiné avec l'article 2 du premier
Protocole une règle empêchant « certains enfants, sur le seul fondement de la résidence
de leurs parents, d'accéder aux écoles de langue française existant dans les six
communes de la périphérie de Bruxelles dotées d'un statut propre» (Cour EDH,
«Affaire linguistique belge», note 98, § 1 du dispositif, italiques ajoutés).

303
180 La distinction entre différences de traitement justifiées et discriminations
interdites est particulièrement délicate. Comme le relève Marc BOSSUY'f94,
[e]n matière de discrimination la discussion ne porte pas sur la question de
savoir si des distinctions arbitraires sont permises, mais sur la
détermination de 1'organe le mieux qualifié pour évaluer le caractère
arbitraire ou non d'une distinction légale.

En reconnaissance de la responsabilité primaire des autorités nationales dans


la réalisation des droits garantis par la Convention, et du fait qu'ils sont en
contact direct avec les« forces vives de la société», la Cour réintroduit ici la
dialectique entre marge d'appréciation nationale et contrôle européen
(cf. supra, n° 41 ss). Elle l'exprime ainsi dans son arrêt Abdulaziz (§ 72)295 :
Les États contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour
déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à
d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement juridique
(voir l'arrêt Rasmussen précité, ibidem, p. 15, § 40), mais la décision
ultime sur ce point relève de la Cour.

181 Comme nous l'avons vu précédemment (supra, no 43), l'étendue de la


marge discrétionnaire des États est susceptible de variec96
selon les circonstances, les domaines et le contexte; la présence ou absence
d'un dénominateur commun aux systèmes juridiques des États contractants
peut constituer un facteur pertinent à cet égard.

À nos fins, il est particulièrement important de mettre en exergue


l'importance du motif à la base de la différence de traitement- qui n'est pas
mentionné dans ·ce passage mais qui détermine largement 1' étendue de la
marge d'appréciation- et du domaine concerné, ainsi que le lien existant
entre les deux.
182 Quant au premier aspect, il résulte de la jurisprudence que certains motifs
de distinction sont a priori plus suspectes que d'autres au regard de l'article
14. On mentionne, à titre d'exemple, la race et l'origine ethnique297, la
religion298 , le sexe299, 1' orientation sexuelle300, la nationalitë01 • Et pourtant, si

294
M. BOSSUYT (note 287), note 1 de la p. 479.
295 Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note 18).
296
Cour EDH, Rasmussen c. Danemark(note 104), § 40.
297 Cour EDH, L. et V. c. Autriche, req. no 39392/98 et 39829/98, arrêt du 9 janvier 2003,
Recueil2003-I, §52 (cf. infra, note 300).
298 Cour EDH, Hoffmann c. Autriche, req, n° 12875/87, arrêt du 23 juin 1993, série A,
no 255-C, § 36 : « Nonobstant tout argument contraire possible, on ne saurait tolérer
une distinction dictée pour l'essentiel par des considérations de religion».

304
la Cour a pu affirmer que des différences de traitement fondées sur ces motifs
doivent être justifiées par des « raisons convaincantes et solides » ou par des
« raisons très fortes » pour être compatibles avec la Convention (cf. ci-
dessous, notes 297-231), on ne saurait généraliser ces affirmations, car pour
certains des motifs précités elles dépendent en partie du domaine concerné
par la mesure litigieuse. Ainsi, par exemple, une distinction sur la base de
l'orientation sexuelle- inacceptable si elle est contenue dans une loi sur la
pénalisation de rapports sexuels volontaires entre adolescents et adultes, et
donc dans la jouissance de l'article 8 CEDH302 - est en revanche acceptée par
la Cour en ce· qui concerne la jouissance du droit de se marier303 • De même, si
une distinction sur la base de la nationàlité est prima facie discriminatoire
lorsqu'elle concerne la jouissance de biens patrimoniaux304, elle est
parfaitement admise en matière d'entrée sur le territoire national. À cet égard,
la Cour estime que la situation de 1' étranger et du national ne sont pas
comparables305 • Ces exemples mettent en lumière l'importance du lien entre
le motif de distinction et le domaine concerné ou, selon l'efficace expression
employée par Marc BOSSUYT, de la pertinence de la distinction de
traitement, véritable indicateur - avec la légitimité du but et la

299 Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note 18), § 87 : «au vu
de l'importance que revêt pour les États membres du Conseil de l'Europe. la
progression vers l'égalité des sexes, seules des raisons très fortes pourraient amener à
estimer compatible avec la Convention une distinction fondée sur le sexe». Dans un
contexte très similaire, et pour une conclusion identique, voir notamment Corn. DH,
Aumeeruddy-Cziffra et al. c. République de Maurice (note 8), § 9.2 (b) 2 (i) 8.
°
30 Cour EDH, L. et V. c. Autriche (note 297), §52:« Dans la mesure où l'article 209 du
code pénal traduit les préjugés d'une majorité hétérosexuelle envers une minorité
homosexuelle, la Cour ne saurait tenir ces attitudes négatives pour une justification
suffisante en soi à la différence de traitement en cause, pas plus qu'elle ne le ferait
pour des attitudes négatives analogues envers les personnes de race, origine ou couleur
différentes».
301 Cour EDH, Gaygusuz c. Autriche, req. n° 17371190, arrêt du 16 septembre 1996,
Recueil1996-N, § 42: «seules des considérations très fortes peuvent amener la Cour
à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement exclusivement
fondée sur la nationalité».
302 Cour EDH, L. et V. c. Autriche (note 297).
303 M. ENRlCH MAS, Article 12, in: L.-E. PETIITI, E. DECAUX, P.-H. IMBERT (éds.),
La Convention européenne des droits de l'homme - Commentaire article par article,
Paris (Economica), 2• éd., 1999, pp. 437-454, à la p; 443.
304 Cour EDH, Gaygusuz c. Autriche (note 301).
305 Cour EDH, Moustaquim c. Belgique (note 27), § 49.

305

c----, [=_--:_----
proportionnalité - de son caractère arbitraire ou non arbitraire et donc de sa
conventionnalitë06 •
183 L'arrêt Abdulaziz, Cabales et Balkandali illustre l'impacte que l'article
14 est susceptible d'avoir sur les règles d'immigration édictées par les États
parties. La Cour, on le rappellera, avait estimé que le refus d'autoriser le
séjour des maris des requérantes au Royaume-Uni ne constituait pas une
violation de l'article 8 CEDH (cf. supra, no 87). Relevant que les conditions
de regroupement familial étaient plus favorables pour les immigrés de sexe
masculin que pour les femnies immigrées, la Cour a en revanche conclu à la
violation de l'article 14 combiné avec l'article 8.
Certes, l'existence d'une forte présomption à l'encontre des distinctions
fondées sur le sexe joue un rôle important dans l'économie du raisonnement
de la Cour (cf. supra, n° 182). Des distinctions fondées sur la nationalité et
sur le statut de séjour, en revanche, ont de bonnes chances d'être considérées
comme justifiées dans le domaine de l'immigration. Ceci est à l'évidence le
cas des distinctions entre nationaux et non nationaux. La Convention elle-
même introduit une distinction nette de traitement en matière d'entrée et de
séjour, en interdisant l'expulsion de toute personne du territoire de l'État dont
elle est ressortissante 307 • La Cour a également admis des distinctions de
traitement fondées sur la nationalité entre étrangers.
Elle a en effet jugé que le traitement plus favorable des ressortissants
communautaires dans les États membres de l'UE308 :
repose sur une justification objective et raisonnable, dès lors que les États
membres de l'Union européenne forment un ordre juridique spécifique,
ayant instauré de surcroît une citoyenneté propre.

306
M. BOSSUYT (note 287), pp. 477 et 481.
307 Comme pour le droit de se marier et les homosexuels, le texte même de la Convention
rend insusceptibles d'être confrontées la position des nationaux et non nationaux en
matière de séjour : voir Protocole additionnel n° 4 à la CEDH (STE n° 46,
Conventions et accords européens, vol. Il, p. 109, entré en vigueur le 2 mai 1968),
art. 3, et Protocole additionnel n° 7 à la CEDH .(STE n° 117, Conventions et accords
européens, vol. V; p. 46, entré en vigueur le 1er novembre 1988), art. 1.
308 Cour EDH, C. c. Belgique (note 31), § 38. Steve PEERS perd de vue l'importance du
contexte normatif de la distinction de traitement (cf. supra, n° 182-183) lorsqu'il
affirme, en critiquant ce arrêt : « The Strasbourg Court cannot take such a strong,
principled position against nationality discrimination [NdA: l'auteur se réfère à l'arrêt
Gaygusuz, note 301] and at the same time shrug off any such discrimination the EC
chooses to practise with the excuse that the EC is a 'special legal order' » (S. PEERS,
note 83, à la p. 192).

306

·.-.·-i
Enfin, elle a démontré dans l'arrêt Abdulaziz qu'elle n'est pas disposée à
admettre avec trop de facilité les allégations selon lesquelles les lois sur
l'immigration entraînent une discrimination raciale 309 •

3. Les dispositions du Règlement Dublin II sont-elles


discriminatoires ?
184 Dans la mesure où les actes nationaux d'application du Règlement
Dublin entrent dans le champ de l'article 8 CEDH, la question de leur
conformité avec l'interdiction de discrimination de l'article 14 CEDH est
posée.
Par ailleurs, il importe de rappeler que le principe d'égalité est également un
principe général du droit communautaire310, qui s'impose au législateur
communautaire ainsi qu'aux États membres, lorsqu'ils mettent en œuvre le
droit communautaire (cf. supra, chap. V, no 8-10).
185 Comme nous l'avons vu précédemment, les critères de Dublin réservent
aux demandeurs d'asile et à leurs proches un traitement juridique différent -
en matière de protection de l'unité familiale - en fonction de plusieurs
critères de distinction: l'âge, la nature du lien familial, le lieu de sa
constitution, et le statut juridique du membre de la famille du demandeur. La
plupart de ces distinctions paraît légitime au regard de l'article 14 CEDH, car
concernant des personnes qm. ne sont pas dans une s1tuat1on
. . « ana1ogue »311
ou bien car étant ictu oculi raisonnables et proportionnées. Les différences de
traitement dérivant du statut juridique du membre de la famille déjà présent
dans un État membre - qui dérivent notamment de la formulation des articles
7 et 8 RD - méritent en revanche un examen plus approfondi.
186 Ces distinctions de traitement poursuivent globalement le but, dans
l'optique de chaque État membre, de contrôler l'entrée et le séjour d'une
catégorie particulière d'étrangers, les demandeurs d'asile ressortissants de

309 Cour EDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni (note 18), § 84-86.
310 Voir CJCE, aff. 810179, Überschiir, Rec. 1980, 2747, cons. 16: «Le principe général
d'égalité, dont l'interdiction de discrimination en raison de la nationalité n'est qu'une
expression spécifique, est un des principes fondamentaux du droit communautaire. Ce
principe veut que les situations comparables ne soient pas traitées de manière
différente, à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée». Voir
également articles 20 et 21 CDFUE.
311 Par exemple, la Cour considère la position d'un enfant mineur vis-à-vis de ses parents
comme n'étant pas comparable à celle d'un enfant adulte (cf. supra, no 18).

307
pays tiers. On ne saurait douter de la pertinence du motif de distinction
constitué par le statut juridique du « regroupant » dans ce domaine. Le droit
au regroupement familial est modulé en fonction de ce facteur dans
l'ensemble des États européens, ainsi que dans la législation
communautaire312• Par ailleurs, comme nous l'avons vu, la jurisprudence de
la Cour EDH paraît accepter que les différences dans le statut de séjour
entraînent un différent traitement juridique en matière d'immigration
(cf. supra, no 183).

On peut donc affirmer que le but des restrictions contenues aux articles 7 et 8
RD est légitime, et que les différences de traitement qu'entraîne leur
application sont en principe pertinentes. Ce constat doit induire à une grande
prudence dans l'évaluation du caractère discriminatoire ou non des
différences de traitement en question. Les États jouissent en effet d'une large
marge d'appréciation, que l'interprète ne saurait méconnaître en substituant
ses vues et ses opinions personnelles à celles de 1' autorité compétente - en
l'espèce, le législateur communautaire.
187 On ne saurait pourtant ignorer que les articles 7 et 8 RD peuvent aboutir à
des différences de traitement qui paraissent prima facie iiTaisonnables et
disproportionnées.
Ainsi, par exemple, la femme d'un réfugié statutaire qui dépose une demande
d'asile a le droit de la voir examinée par l'État qui a reconnu à son mari le
statut de réfugié, et où ce dernier réside. Il en va autrement si le mari -
réfugié statutaire - a fixé sa résidence dans un État autre que celui où son
statut a été reconnu, ou bien s'il a été naturalisé313 • La situation du mari, dans
les trois cas de figure, semble bien « analogue » sous tous les aspects qui
paraissent pertinents (le besoin de protection qui a déterminé 1' octroi de
l'asile, l'impossibilité de rentrer dans le pays d'origine, ex hypothesi la nature
et l'intensité du lien familial, etc.), et on peine à retracer un rapport
raisonnable de proportionnalité entre cette distinction de traitement et
l'objectif de contrôler l'immigration« familiale».
La distinction générale qu'opère 1' article 7 RD entre bénéficiaires du statut de
réfugié et bénéficiaires d'un statut de protection subsidiaire va d'ailleurs

SUJette a' des cntlques
•• de meme ordre 314 .
A

312 Pour un aperçu comparatif, voir CERE (note 264). Voir également la Directive
n° 2003/86 (note 264).
313 Ce cas s'est effectivement produit: voir Rapport CERE (note 255), p. 159.
314 Voir notamment, mutatis mutandis, les observations de F. JULIEN-LAPERRIERE, Le
statut des personnes protégées, in: C. DIAS URBANO DE SOUSA, P. DE

308
188 Il n'est donc pas à exclure que, même en tenant compte de la marge
d'appréciation dont jouissent les États en matière migratoire, l'application des
critères de responsabilité puisse produire des résultats discriminatoires au
sens de l'article 14 CEDH.
189 Cela ne signifie nullement que le Règlement Dublin II soit, en tant que
tel, non conforme aux exigences découlant du principe d'égalité.
En effet, dans tous les cas où l'application des critères de responsabilité peut
créer une situation prima facie discriminatoire, le Règlement Dublin II laisse
aux autorités nationales la possibilité de remédier en y dérogeant au travers
des clauses de souveraineté et humanitaire. C'est ce que font d'ailleurs
certains États membres, qui appliquent l'article 7 RD «par analogie»,
comme s'il visait également les membres de la famille bénéficiaires d'un
statut de protection subsidiaire (cf. supra, chap. IV, no 66).
Or, les exigences de la Convention sont satisfaites dès lors que les droits

garantis sont respectes , .
en pratique 315
. Les c1auses d e souveramete
. , et
humanitaire permettent de corriger, en pratique, les défauts du Règlement
sous l'angle de l'égalité de traitement des demandeurs d'asile, comme c'est le
cas pour ses déficits de protection du droit au respect de la vie familiale
(cf. supra, no 163 ss). Dans la mesure où une «application conforme» est
possible, on ne saurait par ailleurs mettre en doute la validité du Règlement
pour violation des principes généraux du droit communautaire, sub specie du
droit à l'égalité de traitement dans la jouissance des droits fondamentaux 316•
190 Et pourtant, il y a ici une difficulté supplémentaire par rapport aux cas où
une violation de l'article 8 CEDH pourrait dériver de l'application des
critères. Comme nous l'avons relevé, la détermination de l'existence d'une
obligation positive d'admission d'un demandeur d'asile procède de la
convergence de plusieurs ordres de circonstances de fait, propres à chaque
cas. L'application «obligatoire» de clauses discrétionnaire conçues pour la
prise en compte des cas particuliers ne paraît pas structurellement

BRUYCKER (éds.), L'émergence d'une politique européenne d'asile, Bruxelles


(Bruylant), 2004, pp. 195-219, à la p. 214.
315 Voir notamment Cour EDH, Sahin c. Allemagne [GC], req. no 30943/96, arrêt du
8 juillet 2003, Recueil2003-VIII, § 86-87.
316 En effet, la possibilité d'une interprétation et d'une application «conforme» résout,
d'après la jurisprudence de la Cour, toute question de validité (cf. supra, chap. V,
no 8-10). Pour une expression très concise de ce principe: CJCE, aff. 29/69, Stauder,
Rec. 1969, 419, cons. 6-7. Sur les apports de l'arrêt« Regroupement familial» sur ce
point (CJCE, C-540/03, PE/Conseil, arrêt du 27 juin 2006, non encore publié au
Recueil), cf. supra, chap. V, note 19.

309
inappropriée pour corriger ces déficiences du Règlement. Le constat du
caractère discriminatoire d'une règle - tel, par exemple, l'article 7 RD
(cf. supra, no 187)- est une autre affaire, dans la mesure où il porte en soi un
jugement de portée plus générale. Il appelle de manière plus urgente - nous
semble-t-il - une correction normative, pour des raisons tenant à la fois à la
sécurité juridique et à l'effectivité du droit à l'égalité de traitement que
renferme l'article 14 CEDH.

H. Le droit au respect de la vie familiale et le dispositif


Dublin II : remarques conclusives
191 Nous avons relevé, au chapitre IV, que le Règlement Dublin II protège
l'unité familiale des demandeurs d'asile mieux que la Convention de Dublin.
Ce constat peut maintenant être reformulé en disant que le Règlement Dublin
II prévient souvent tout conflit entre l'application des critères de
responsabilité et le droit au respect de la vie familiale.
D'une part, en effet, la Cour EDH n'infère de l'article 8 CEDH le droit, pour
un étranger, d'être admis dans un État contractant aux fins du regroupement
familial que dans des cas particuliers. D'autre part, en adoptant une définition
de « famille » qui se rapproche de celle retenue par la Cour EDH, et en
assurant que 'ces membres de la famille sont rapprochés ou maintenus
ensemble dans les cas visés aux articles 4 § 3, 6, 7, 8 et 14 RD, le législateur
communautaire a mis en place un système qui couvre une partie substantielle
des cas où l'on pourrait affirmer que les États ont une obligation positive
d'admission du demandeur d'asile.
192 Ce constat ne constitue toutefois que le premier élément de conclusions
qui doivent être plus articulées. En effet, bien que l'on puisse admettre une
compatibilité normale des critères de responsabilité avec l'article 8 CEDH, il
reste une possibilité concrète que l'application des critères de responsabilité
du chapitre III RD produise des atteintes à l'unité familiale suffisamment
graves pour constituer une violation du droit au respect de la vie familiale.
Cela est dû, d'une part, à une définition rigide de la famille, qui ne couvre pas
tous les liens personnels pouvant être ramenés au concept de vie familiale, et,
d'autre part, à une formulation tout aussi rigide des critères inspirés au
principe de l'unité familiale, qui sont insensibles aux particularités du cas
d'espèce.

310
On a pu soutenir que ces atteintes à l'unité familiale ne tombent pas sous le
coup de l'article 8 CEDH, eu égard - notamment - à leur caractère
temporaire. li résulte en revanche des pages précédentes :
(a) Que l'applicabilité de l'article 8 CEDH aux atteintes à la vie
familiale résultant de l'application du Règlement ne saurait être mise
en cause;
(b) Que les facteurs décisifs aux fins de l'application de l'article 8
CEDH peuvent se présenter dans toutes les configurations possibles
dans les cas d'atteinte à l'unité familiale dérivant de l'application du
Règlement. En fonction des circonstances, en effet, même dans les
situations que le législateur communautaire n'a pas estimé dignes de
protection au travers des articles 4 § 3, 6, 7 8 et 14 RD, l'application
des autres critères peut produire la séparation de personnes :
a. liées par un rapport relevant de la notion de« vie familiale»,
en dans certains cas de son « noyau dur » ;
b. séparées, pour une durée de temps non déterminable par
avance, sans faute de leur part ;
c. démunies de la possibilité de rétablir leur vie familiale dans
un autre pays.
193 Comme en témoigne l'article 15 § 2 et 3 RD, les institutions ont eu
conscience du fait que le Règlement peut potentiellement créer des situations
de séparation particulièrement problématiques au regard du droit au respect
de la vie familiale. Le texte du Règlement ne tire toutefois pas de manière
exacte les conséquences juridiques de cette circonstance, car il ne reconnaît
pas expressément l'existence d'obligations de rapprochement du demandeur
et des membres de sa famille autres que celles qui découlent des articles 4
§ 3, 6, 7, 8 et 14 RD.
li s'agit, pour ainsi dire, d'un« trompe l'œil». Les États membres sont tenus,
dans toute la mesure du possible, d'appliquer le Règlement d'une manière
conforme aux exigences découlant de la protection des droits fondamentaux -
en tant que parties à la CEDH et, pour les Vingt-quatre à tout le moins, dans
la mesure où ils appliquent un règlement communautaire hiérarchiquement
inférieur aux principes généraux du droit communautaire. Le Règlement
permet une telle interprétation conforme au travers des clauses de
souveraineté et humanitaire, et c'est pour cette raison qu'il échappe à la
sanction de l'invalidité.

311
194 Il en résulte qu'il existe, de lege lata, des conditions implicites de mise en
œuvre des articles 3 § 2 et 15 RD. Selon le cas, l'obligation de respecter la vie
familiale du demandeur d'asile peut obliger les États membres à appliquer ou
à ne pas appliquer la clause. de souveraineté, tout comme elle peut exiger
l'envoi ou l'acceptation d'une requête au sens de l'article 15 RD.
195 Le système de critères défini par le chapitre III du Règlement paraît
également «suspect» sous l'angle du respect de l'article 14 CEDH, lu
conjointement avec l'article 8 CEDH. En particulier, dans les cas «mixtes»,
le caractère rigide et restrictif des critères énoncés aux articles 6, 7 et 8 RD
peut aboutir à des différences de traitement - fondées en particulier sur le
statut juridique du membre de la famille qui se trouve dans un État membre -
qui paraissent de prime abord discriminatoires. Au vu de la marge
discrétionnaire dont jouissent les États en matière d'immigration, renforcée
par le caractère « pertinent » de ces distinctions au vu de leur contexte
réglementaire, on éprouve des incertitudes à conclure nettement à la
possibilité d'une violation de l'article 14 CEDH. Si telle devait être la
conclusion, toutefois, la validité du Règlement n'en serait pas affectée. Là
aussi, par le jeu des articles 3 § 2 et 15 RD, les États seraient tenus de corriger
les déficiences des critères de responsabilité.
196 Les pages qui précèdent soulignent également un autre aspect. Eu égard à
l'importance primordiale que revêtent les circonstances du cas d'espèce aux
fins de l'application de l'article 8 CEDH, une mise en œuvre du Règlement
qui soit conforme au ·droit au respect de la vie familiale suppose une
évaluation diligente et ponctuelle des circonstances que nous avons rappelées
supra, aux no 81-85, à tout le moins dans les cas où il est primafacie apparent
que la détermination de l'État responsable d'après les critères ordinaires
pourrait poser problème sous cet angle. Cette conclusion ne manque pas
d'avoir des répercussions sur le plan procédural, qui sont analysées dans le
chapitre suivant.

312

~-c;:r [-_----
Chapitre VII
Le dispositif Dublin II et les droits procéduraux
des demandeurs d'asile

1 Le chapitre précédent a été consacré à des questions d'ordre matériel - le


droit au respect de la vie familiale et le droit à l'égalité dans le contexte de
l'application du Règlement Dublin II (ci-après «RD»). Le présent chapitre
est en revanche consacré aux aspects procéduraux de la protection des droits
fondamentaux dans ce particulier contexte réglementaire. Le lien entre ces
deux aspects est étroit.
Dans le rapport sur la mise en œuvre du Règlement Dublin II publié en 2006
par le CERE, il est à juste titre affirmé 1 :
For the Regulation to operate effectively, particularly in relation to
application of the family reunification, humanitarian and sovereignty
clauses, it is important that asylum seekers are properly informed of the
need to divulge information about family members elsewhere in the EU.

Cette même idée a été exprimée, en des termes plus généraux, par Jacques
VELU et Rusen ERGEC 2 :
Pour réaliser une protection efficace des droits de l'homme, il ne suffit pas
de consacrer des droits matériels. Encore faut-il des garanties
fondamentales de procédure de nature à renforcer les mécanismes de
sauvegarde de ces droits.

2 Dans ce passage, l'expression «garanties fondamentales de procédure»


est polysémique. Elle couvre à la fois les garanties de procédure qui doivent
être respectées avant l'adoption d'une mesure susceptible de porter atteinte à
un droit fondamental, et les possibilités de recours mises à la disposition des
personnes affectées par une telle mesure. Sous un autre angle, elle couvre à la
fois les garanties « primaires » devant être offertes devant les instances

CERE, Report on the application of the Dublin II Regulation in Europe, 2006, p. 161.
2
Citation tirée de F. BERNARD, A. BERTHE, Les garanties procédurales en matière
de reconduite à la frontière au regard de la Convention européenne des droits de
l'homme, RTDH (1997), pp. 17-33, à la p. 17.

313
nationales, et les mécanismes « subsidiaires » de contrôle confiés à des
institutions internationales ou supranationales3•
Cette dernière problématique sort de 1' objet du présent chapitre, qui vise
uniquement à déterminer - à la lumière de la systématique des droits
fondamentaux - les obligations d'ordre procédural pesant sur les États qui
participent à la mise en œuvre du dispositif Dublin II.
3 Au cours du chapitre précédent, nous avons pu concentrer notre analyse
sur un seul standard - le droit au respect de la vie familiale consacré par
l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (ci-après
« CEDH »)4 , et repris au sein des principes généraux du droit communautaire
par la jurisprudence de la CJCE (cf. supra, chap. VI, no 5).
Dans l'analyse des standards procéduraux devant être observés par les États
membres, une telle approche ne serait pas appropriée. Les principes dérivant
des principales sources - la Convention européenne, le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (ci-après « PIDCP »i, la Convention
relative aux droits de l'enfant (ci-après « CDE »)6, le droit communautaire
non écrit - ont un objet partiellement difforme, et forment une mosaïque de
règles, dont la composition exige qu'on les examine séparément.
4 Pour des raisons de clarté, il a été préféré de subdiviser notre analyse en
deux parties. La première a pour objet les garanties devant être assurées aux
demandeurs d'asile pendant la procédure de détermination de l'État
responsable. La deuxième, en revanche, est consacrée aux droits de recours
contre les décisions prises sur le fondement du Règlement Dublin II.

Voir C. HARLAND, The status of the International Covenant on Civil and Political
Rights (ICCPR) in the domestic law of State parties: an initial survey through UN
Human Rights Committee documents, HRQ (2000), pp. 187-260, à la p. 189.
4
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, STE
no 5, signée à Rome le 4 novembre 1950, entrée en vigueur le 3 septembre 1953.
5
AGNU, Résolution no 2200 (XXI) du 16 décembre 1966, série NU n° 14668, Rec. NU,
vol. 999, p. 171, entré en vigueur le 23 mars 1976.
6 AGNU, Résolution n° 44/25 du 20 novembre 1989, série NU no 27531, Rec. NU,
vol. 1577, p. 3, entrée en vigueur le 2 septembre 1990.

314
A. La protection des droits fondamentaux et le déroulement
des procédures administratives d'application du dispositif
Dublin II

1. Remarques liminaires
5 Dans toute procédure administrative, la protection et la prise en
considération des intérêts en présence dépend en bonne partie de la mesure
dans laquelle ils sont« représentés» aux autorités compétentes. L'obligation
faite à ces dernières de mener une enquête exhaustive sur les faits pertinents,
les droits procéduraux attribués aux intéressés -droit d'accès aux pièces du
dossier les concernant, droit d'être entendu - et la protection contre
1' arbitraire que constitue 1'obligation de motivation, figurent en position
prééminente au nombre de ce qu'il convient ici d'appeler les «garanties
procédurales ».
6 Comme nous l'avons vu, le Règlement Dublin et son Règlement
d'exécution se bornent à définir un système de garanties minimales, qui se
résume pour l'essentiel à l'imposition d'obligations limitées d'information du
demandeur et de motivation aux États membres (cf. supra, chap. Til, n° 42). li
s'agit à présent de voir si, et dans quelles mesure, le droit international des
droits de l'homme et le droit communautaire imposent aux États membres des
obligations supplémentaires, intégrant ce dispositif lacunaire.

2. Les garanties procédurales explicites de dérivation


conventionnelle

a) Remarques liminaires
7 La Convention européenne des droits de l'homme ne contient aucune
clause normative visant explicitement l'admission et l'éloignement des
étrangers. Des dispositions en la matière n'ont été introduites que
successivement. Il s'agit de l'article 4 du Protocole additionnel no 47 , qui
interdit les expulsions collectives et qui n'a pas incidence sur les mesures
d'éloignement pouvant être adoptées en vertu du Règlement Dublin, et de

7
STE no 46, signé à Strasbourg le 6 septembre 1963, entré en vigueur le 2 mai 1968.

315

- ---1
l'article 1 du Protocole additionnel no 7 (ci-après « P7 ») 8, qui définit des
garanties procédurales minimales en matière d'expulsion individuelle
d'étrangers.
Dans les pages qui suivent nous examinerons, avec cette dernière disposition,
également l'article 13 PIDCP, qui a le même objet, mais dont le champ
d'application est plus large. Nous examinerons également les dispositions
pertinentes de la CDE, qui comportent des garanties procédurales
additionnelles.

b) Les garanties procédurales en matière d'expulsion


individuelle
8 L'article 1 du Protocole additionnel n° 7 et l'article 13 PIDCP définissent
des garanties procédurales minimales en cas d'expulsion individuelle des
étrangers.
9 L'article 1 P7 ne s'applique qu'aux étrangers «résidant régulièrement sur
le territoire d'un État» ayant ratifié le Protocole 9, i.e. aux étrangers autorisés
au séjour à l'exclusion des personnes n'ayant qu'un visa de transit et des
personnes admises à titre provisoire en attente qu'il soit statué sur leur
demande de permis ,. 10.
. de seJour

Cette limitation du champ d'application ratione personae exclut - en règle


générale - que l'article 1 P7 vienne en considération dans le contexte de
l'application du Règlement Dublin II. D'une part, en effet, il n'est applicable
qu'aux demandeurs d'asile qui sont titulaires d'un «titre de séjour» au sens

8
STE no 117, signé à Strasbourg le 22 novembre 1984, entré en vigueur le 1er novembre
1988.
9
À ce jour, les États membres de l'DE qui n'ont pas ratifié par le Protocole no 7 sont
l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Les autres États
du Conseil de l'Europe qui ne l'ont pas ratifié sont la Principauté d'Andorre et la
Turquie.
10
Cette signification de l'expression «résidant régulièrement» ressort notamment du
Rapport explicatif du Protocole no 7, § 9. Voir également Comm. EDH, Voulfovitch c.
Suède, req. no 19373/92, décision du 13 janvier 1994, DR 74, p. 199, ainsi que
Cour EDH, Vikulov c. Lettonie, req. no 16870/03, décision du 25 mars 2004, non
publiée au Recueil. En doctrine, voir B. NASCIMBENE, La Convenzione, la
condizione dello straniero e la giurisprudenza, in: B. NASCIMBENE (éd.), La
Convenzione europea dei diritti dell'uomo - profili ed effetti nell'ordinamento
italiano, Milan (Giuffré), 2002, pp. 153-184, à la p. 174, qui souligne comme cette
disposition ne s'applique pas aux étrangers dont la présence sur le territoire est
« meramente occasionale o temporanea ».

316
de l'article 2 lit. j RD. D'autre part, comme nous l'avons relevé en
précédence, le Règlement ne prévoit le «transfert» d'un demandeur d'asile
d'un État qui lui délivre un titre de séjour vers un autre État que dans des cas
tout à fait exceptionnels, ou bien avec le consentement du demandeur
(cf. supra, chap. VI, no 134).
10 Ilen va différemment pour l'article 13 PIDCP. Celui-ci dispose:
Un étranger qui se trouve légalement sur le territoire d'un État partie au
présent Pacte ne peut en être expulsé qu'en exécution d'une décision prise
conformément à la loi et, à moins que des raisons impérieuses de sécurité
nationale ne s'y opposent, il doit avoir la possibilité de faire valoir les
raisons qui militent contre son expulsion et de faire examiner son cas par
l'autorité compétente, ou par une ou plusieurs personnes spécialement
désignées par ladite autorité, en se faisant représenter à cette fin.

11 Le Comité des droits de l'homme a précisé que la condition de la


« présence légale » n'est pas remplie, notamment, par « les immigrés
clandestins et les étrangers qui ont dépassé la durée de séjour prévue par la loi
ou par 1' autorisation qui leur a été délivrée »11 • Or, en vertu du droit
communautaire, les ressortissants de pays tiers qui présentent une demande
d'asile dans un État membre sont en principe «légalement présents». En
effet, d'après l'article 6 § 1 de la Directive no 2003/9 en matière d'accueil des
demandeurs d'asile 12 , les États membres sont tenus de délivrer au demandeur
une autorisation provisoire de séjour dans les trois jours qui suivent le dépôt
de la demande, sauf dans les cas visés à l'article 6 § 213 • L'article 13 PIDCP
est donc normalement applicable ratione personae aux demandeurs d'asile
pendant la procédure « Dublin »14•

11
Corn. DH, Observation générale no 15 (XXVll) 1986, Situation des étrangers au regard
du Pacte, § 9.
12 JO 2003 L 31118.
13 •
Conformément à cette disposition, les Etats membres peuvent ne pas délivrer à
l'intéressé l'autorisation provisoire de séjour lorsque celui-ci a été appréhendé à la
frontière. Relevons cependant que selon le Comité des droits de l'homme, « si la
légalité de l'entrée ou du séjour d'un étranger fait l'objet d'un litige, toute décision
pouvant entraîner l'expulsion de l'étranger doit être prise dans le respect de l'article
13 »(Corn. DH, Observations générales no 15, note précédente,§ 9).
14
Sarah JOSEPH, Jenny SCHULZ et Melissa CASTAN observent que l'article 13
PIDCP « is probably of little use to the many asylum-seekers who are forced to flee
their home State suddenly, and that traverse State borders illegally » (S. JOSEPH, J.
SCHULTZ, M. CASTAN, The International Covenant on Civil and Political Rights:
cases, materials and comments, Oxford (OUP), 2• éd., 2004, § 13.07). Dans ce
passage, elles se réfèrent cependant à la présence illégale des intéressés sur le territoire
des États contractants, non pas à leur statut de demandeurs d'asile. En effet, le Comité

317
Ratione materiae, l'article 13 est applicable «à toutes les procédures tendant
à contraindre un étranger à quitter un pays, que la législation nationale
qualifie ce départ d'expulsion ou qu'elle emploie un autre terme » 15 • Il couvre
donc la procédure de détermination de 1'État responsable, qui peut aboutir à
une décision « de ne pas examiner la demande » et de transférer le
demandeur, au besoin par une procédure de départ contrôlé ou sous escorte,
vers l'État tenu de le (re)prendre en charge (articles 19 et 20 RD ; art. 7 RE).
12 L'article 13 exige en premier lieu que toute décision d'expulsion soit
conforme à la loi. On peut présumer remplie cette condition pour les
décisions de transfert prises en conformité avec le Règlement Dublin.
13 Ensuite, l'article 13 définit des garanties procédurales auxquelles les
États parties peuvent déroger uniquement en présence d'« impérieuses raisons
de sécurité nationale ».
Il exige d'abord que l'étranger ait la possibilité de faire valoir les raisons qui
militent contre son expulsion.
Ensuite, ce dernier doit pouvoir faire «examiner son cas par l'autorité
compétente [ ... ] ». Cette phrase concerne la possibilité d'un réexamen de
l'affaire par une instance de recours - juridictionnelle ou administrative -
comme il résulte mieux du texte en anglais (« to have his case reviewed by
[... ]the competent authority [ ... ] »,caractères romains ajoutés) 16 .
Enfin, il a le droit de se faire« représenter» devant l'instance de recours 17 •
14 Il ne ressort pas clairement du texte de l'article 13 PIDCP si la possibilité
de faire valoir les motifs qui s'opposent à son expulsion doit être accordée à
l'étranger déjà au cours de la phase précontentieuse, ou s'il est suffisant

des droits de l'homme a précisé, au § 10 de l'Observation générale no 15 (note 11), que


«aucune discrimination ne peut être opérée entre différentes catégories d'étrangers
dans l'application de l'article 13 ». Voir également M. NOWAK, UN Covenant on
Civil and Political Rights- CCPR commentary, Kehl s!Rhin/Strasbourg/Arlington
(Engel), 2e éd., 2005, Art. 13, § 7.
15
Corn. DH, Observation générale no 15 (note 8), § 9.
16
Voir en particulier Corn. DH, Ngoc Si Truong c. Canada, comm. n° 743/1997,
décision du 5 mai 2003, doc. NU CCPR/C/77/D/743/1997, § 7.6. Voir également
M. NOWAK (note 14), Art. 13, § 16, qui qualifie ce droit de« express right to appeal
to a higher authority ».
17
M. NOWAK (note 14), Art. 13, § 20: « lt follows from the wording [... ] that this right
is expressly guaranteed only in the proceedings before the appeals authority ».

318
qu'une telle possibilité lui soit accordée dans le cadre de la procédure de
réexamen 18 .
15 Le Comité des droits de l'homme n'a pas formulé d'observations
générales portant spécifiquement sur cet aspect. Dans les constatations qu'il a
rendues dans l'affaire Karker 19 , il affmne cependant(§ 9.3) :
[L]a décision d'expulser M. Karker a été prise par le Ministre de l'intérieur
pour des raisons impérieuses de sécurité publique et [ ... ] M. Karker n'a
donc pas été autorisé à contester son expulsion avant que l'arrêté ne soit
prononcé. ll a eu toutefois la possibilité de faire examiner son cas par le
Tribunal administratif et le Conseil d'État, devant lesquels il a été
représenté par un conseil. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi
ne font apparaître aucune violation de l'article 13 dans le cas d'espèce.

Aux yeux du Comité, le fait que M. Karker n'ait pas été entendu par le
Ministre avant l'adoption de l'arrêté d'expulsion est logiquement lié aux
raisons impérieuses de sécurité nationale (« donc ») - on serait tenté de dire,
justifié par celles-ci au regard de l'article 13. Si cette interprétation est
correcte, il s'ensuit que dans des conditions normales l'article 13 exige que
l'intéressé soit entendu (lato sensu) avant l'adoption de la mesure
d'éloignement.
16 Dans d'autres documents, le Comité formule des remarques qui semblent
conforter cette conclusion, bien que d'une manière indirecte. En particulier,
dans ses Observations finales rendues en 2001 sur le rapport périodique de la
République Arabe de Syrie20, le Comité résume ainsi les exigences découlant
de l'article 13 PIDCP (§ 22, italiques ajoutés):
Avant d'expulser un étranger, l'État partie devrait lui fournir des garanties
suffisantes ainsi qu'un recours utile.

En lui même, ce passage n'est pas concluant. Il suggère toutefois que les
garanties prévues par l'article 13 PIDCP vont au-delà de la prédisposition
d'un recours 1 réexamen au cours duquel l'étranger peut faire valoir les motifs
s'opposant à son expulsion, et déposent plutôt en faveur de l'interprétation la
plus protectrice, d'après laquelle cette possibilité doit être en principe assurée
même lors de la procédure administrative «de première instance».

18
En sens dubitatif, S. JOSEPH, J. SCHULTZ, M. CASTAN (note 14), § 13.13,
observent: « lt is possible that the alien's right ofreview simply means a review of the
initial expulsion decision, which may have been made without the furnishing of an
opportunity for the alien to present counter-arguments ».
19 Corn. DH, Karker c. France, comm. no 833/1998, constatations du 30 octobre 2000,
doc. NUCCPR/C/70/D/833/1998.
20 Doc. NU CCPR/C0/71/SYR, du 24 avri12001.

319
17 Une telle interprétation de l'article 13 PIDCP n'est pas sans conséquence
pour l'application du Règlement Dublin. Il en résulte en effet que l'État qui
mène la procédure de détermination est tenu - en vue de son possible
aboutissement, une mesure d'éloignement du demandeur - de fournir à ce
dernier la possibilité d'être entendu au cours de la procédure, une possibilité
qui n'est pas prévue par le Règlement et qui en l'état actuel n'est pas
systématiquement garantie par tous les États membres (cf. supra, chap. III,
n° 53 ss).

c) Les garanties procédurales dérivant de la Convention


relative aux droits de l'enfant
18 Trois dispositions de la Convention relative aux droits de l'enfant
revêtent une importance particulière dans ·le contexte de la mise en œuvre du
dispositif Dublin Il.
19 La première est l'article 10 § 1 CDE, une des rares dispositions en
matière de droits fondamentaux abordant explicitement la problématique du
regroupement familial :
Conformément à l'obligation incombant aux États parties en vertu du
paragraphe 1 de l'article 9, toute demande faite par un enfant ou ses
parents en vue d'entrer dans un État partie ou de le quitter aux fins de
réunification familiale est considérée par les États parties dans un esprit
positif, avec humanité et diligence. [... ]

Certains auteurs interprètent cette disposition comme attribuant aux enfants et


à leurs parents un droit au regroupement familial - ou, pour le dire
différemment, comme mettant à la charge des États « a general duty to allow
entry » 21 • En particulier, Kate JASTRAM et Kathleen NEWLAND vont
jusqu'à affirmer que « the only limitation allowed is the one permissible
under Article 9 (1), if reunification would not be in the best interest of the
child, or when the reunification will occur in another State » 22 •
Cette thèse interprétative n'emporte pas la conviction.

21
Voir en ce sens J. APAP, N. SITAROPOULOS, The right to family unity and
reunification of third country migrants in host states : aspects of international and
European law, 2001, (www.december18.net/paper53EurFamilyReunification.pdf),
p. 8; K. JASTRAM, K. NEWLAND, Family unity and refugee protection, in:
E. FELLER, V. TÜRK, F. NICHOLSON (éds.), Refugee protection in international
law- UNHCR's global consultations on international protection, Cambridge (CUP),
2003, pp. 555-603, à la p. 578.
22
K. JASTRAM, K. NEWLAND (note précédente), loc. cit.

320
20 En effet, elle ne repose sur aucun fondementtextuel solide. Par l'article
10 § 1 CDE, les États s'engagent littéralement à traiter les demandes de
regroupement familial « dans un esprit positif, avec humanité et diligence ».
Ils n'assument en revanche aucune obligation quant à la décision finale de
permettre ou de ne pas permettre le regroupement familial 23 •
Ni la référence à l'article 9 § 1 contenue dans la phrase introductive de
l'article 10 § 124, ni le fait que certains États aient formulé des réserves à
l'article 10 § 125 ne sont de nature à modifier une telle conclusion.

23
Dans ce sens, voir A. JOHN, Family reunification for migrants and refugees : a
forgotten human right ? , Centro de dereitos humanos, faculdade de direito de
Universidade de Coimbra, Working Paper, Coimbra, 2004
(www.fd.uc.ptlhrc/paginas_pt/workingpapers.htm), pp. 7-8 ; HCDH, Family
reunification, OHCHR migration papers, Genève, 2005, (www.ohchr.org), p. 4. Voir
également S. DETRICK, A commentary on the United Nations Convention on the
rights of the child, La Haye/Boston/Londres (Martinus Nijhoft), 1999, pp. 189-191.
24 L'article 9 § 1 CDE dispose: «Les États parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas
séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident
[ ... ] que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant». On
s'accorde pour dire que l'article 9 ne concerne que les cas de séparation pouvant
survenir« in domestic situations» (S. DETRICK, note précédente, p. 170), et qu'elle
vise principalement, à l'exception de son paragraphe 4, la problématique du placement
des enfants, de l'attribution des droits de garde et de visite aux parents séparés. La
référence que l'article 10 § 1 fait à l'article 9 § 1 ne saurait être interprétée comme
transposant l'obligation de ne pas séparer parents et enfants sur le plan du contrôle de
l'immigration, sous peine de vider de sens le reste de l'article 10 § 1. Sa fonction est
plutôt celle de souligner que les deux dispositions partent de la même idée, selon
laquelle« l'enfant, pour l'épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir
dans le milieu familial » (CDE, préambule, cons. 6).
25 Plusieurs États ont formulé des déclarations et réserves au sujet de l'article 10 CDE. li
s'agit en particulier de l'Allemagne (« Rien dans la Convention ne peut être interprété
comme autorisant l'entrée illicite ou le séjour illicite d'un étranger dans le territoire de
la République fédérale d'Allemagne»), du Liechtenstein et de la Suisse, qui «se
réserve[nt] le droit d'appliquer [leur] législation propre, qui ne garantit pas le
regroupement familial à certaines catégories d'étrangers», et du Royaume-Uni, qui
« se réserve le droit d'appliquer la législation qu'il peut juger périodiquement
nécessaire en ce qui concerne l'entrée et le séjour sur son territoire et le départ du pays
de personnes qui, aux termes de la loi britannique, n'ont pas le droit d'entrer et de
résider au Royaume-Uni». Il a été avancé que cette circonstance « provides additional
confirmation that the Convention indeed imposes a general duty to admission »
(K. JASTRAM, K. NEWLAND, note 21, à la p. 579). Nous ne saurions souscrire à
une telle conclusion. Ce que ces réserves et déclarations indiquent, c'est que les États
concernés ont entendu simplement prévenir toute atteinte à leur autonomie dans le
domaine de l'immigration, pour minime qu'elle fût.

321
21 Les obligations dérivant de l'article 10 CDE doivent donc être
recherchées sur un plan différent de celui du droit individuel au regroupement
familial.
D'abord, elles ont un impact sur la politique d'admission des États parties à la
Convention. Comme il a été observé, en effet, une politique de rejet
systématique et indiscriminé des requêtes d'admission aux fins du
regroupement entre parents et enfants serait contraire à l'esprit «positif»
exigé par la Convention, et plus encore à l'obligation de traiter avec humanité
et diligence chaque requête26 •
Ensuite, comme il transparaît de cette dernière observation, 1' article 10 a des
implications d'ordre procédural - qui ressortent mieux, d'ailleurs, de la
version anglaise de l'article 10 § 1 («applications [ ... ]for the purpose of
family reunification shall be dealt with by State Parties in a positive, humane
and expeditious manner », caractères romains ajoutés). Dans les Observations
finales adressées aux États parties, le Corn. DE s'est surtout concentré sur ces
aspects procéduraux27 • Au § 42 des Observations finales adressées en 2005 à
la Suèdé8, après avoir exprimé son inquiétude précisément au sujet de la
durée des procédures de regroupement familial, le Comité résume les
exigences découlant de l'article 10 en recommandant à l'État partie (italiques
ajoutés):
de renforcer les mesures prises pour garantir que les procédures de
regroupement familial pour les personnes auxquelles le statut de réfugié a

26
Voir K. JASTRAM, K. NEWLAND (note 21), aux pp. 578-579.
27
Voir en particulier Corn. DE, Observations finales: Norvège, du 20 juin mars 2000,
doc. NU CRC/C/15/Add.l26, § 32-33; Corn. DE, Observations finales: Finlande, du
16 octobre 2000, doc. NU CRC/C/15/Add.l32, § 37-38 ; Corn. DE, Observations
finales: Suède, du 30 mars 2005, doc. NU CRC/C/15/Add.248, § 41-42; Corn. DE,
Observations finales: Luxembourg, du 31 mars 2005, doc. NU CRC/C/15/Add.250,
§ 54. Relevons que la pratique du Comité ne prête aucun support à de la thèse du
«droit au regroupement familial». ll a été fait valoir, en ce sens, que les Observations
finales du 10 octobre 1997 relatives au rapport initial de l'Australie, doc. NU
CRC/C/15/Add.79, recommandent(§ 30): «que des changements soient apportés à la
législation et aux politiques pour que les enfants des demandeurs d'asile et des réfugiés
etleurs parents soient rapidement réunis» (K. JASTRAM, K. NEWLAND, note 21, à
la p. 579). Toutefois, cette recommandation est loin d'affirmer une quelconque
obligation d'admission de l'Australie dérivant de l'article 10 CDE. Par ailleurs, son
contexte suggère qu'elle ne se réfère pas à la problématique de l'admission au séjour,
mais bien plus aux préoccupations exprimées par le Comité au sujet des conditions
d'accueil (détention) des demandeurs d'asile déjà présents sur le territoire australie~
(voir ibidem, § 20).
28
Corn. DE, Observations finales: Suède (note précédente).

322
été reconnu soient appliquées de manière constructive et dans un souci
d'équité, de respect des personnes et de rapidité.

22 D'une manière générale, les dispositions du Règlement Dublin vont bien


au-delà des exigences posées par l'article 10 CDE. En effet, elles prévoient
normalement le droit du mineur à être rapproché de (ou maintenu avec) ses
parents. Dans les cas visés par les articles 4 § 3, 6 et 14 RD, il suffit donc que
les autorités nationales appliquent avec « diligence » ces dispositions - sans
avoir à faire appel à l'esprit «positif» et «humanitaire» - pour que le
rapprochement ait lieu29 • Il est cependant des cas où le regroupement entre
parents et enfants n'est pas garanti (cf. supra, chap. IV, no 92). Dans de tels
cas, l'article 10 CDE assume une plus grande importance, indiquant .en
particulier - au-delà des dispositions du Règlement - la manière dont les
autorités compétentes doivent approcher la mise en œuvre des clauses de
souveraineté et humanitaire.
23 Une deuxième disposition dela Convention qui vient en considération est
l'article 12, qui pose le principe du respect des opinions de l'enfant (italiques
ajoutés):
l.Les États parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement
le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant,
les opinions de 1' enfant étant dûment prises en considération eu égard à. son
degré de maturité.
2.À cette fin, on donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être
entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant,
soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'un
organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de
la législation nationale.

24 Cette disposition entraîne deux conséquences significatives.


La première, évidente, réside en l'attribution aux demandeurs d'asile mineurs
du droit d'être entendus au cours de la procédure de détermination de l'État
responsable, ainsi que de la procédure d'application de la clause humanitaire
(cf. infra, no 52-53)30• L'article'12 CDE \rient ainsi combler une lacune des

29
La pratique d'application de l'article 6 RD dénote toutefois un manque inquiétant de
diligence de la part des autorités de certains États membres: cf. supra, chap. IV, no 60-
63.
30 Les États membres qui sont liés par la Directive no 2003/9 en matière d'accueil des
demandeurs d'asile (note 12) sont par ailleurs tenus de prendre «dès que possible les
mesures nécessaires pour assurer la nécessaire représentation des mineurs non
accompagnés[ ... ]»: voir art. 19 § 1.

323
règles procédurales posées par le Règlement Dublin II et par son Règlement
d'exécution.
La deuxième concerne la notion de l'intérêt supérieur de l'enfant (art. 3
CDE), plusieurs fois évoquée dans le dispositif Dublin II (voir articles 6 et 15
§ 3 RD; voir également article 12 RE). Le principe du respect des opinions
de l'enfant précise et qualifie la manière dont les autorités compétentes
doivent déterminer si le rapprochement d'un mineur avec un membre de sa
famille ou avec un parent proche est dans son intérêt, l'opinion de ce dernier
revêtant un poids proportionnel à son degré de maturitë 1•
25 Enfin, il y a lieu de prendre en considération l'article 22 CDE, consacré
aux enfants réfugiés et demandeurs d'asile. Son premier paragraphe engage
les États membres à prendre toutes les mesures appropriées pour que les
enfants se trouvant dans cette situation particulière puissent jouir des droits
qui leur son reconnus par la Convention et par les autres textes pertinents.
Le Corn. DE précise, par exemple, que le plein respect des opinions de
enfants séparés ou non accompagnés suppose que 1' on les renseigne
pleinement et d'une manière adaptée inter alia sur la procédure d'asile, et que
l'on mette à leur disposition les services d'un interprète32•
26 L'article 22 § 2 CDE définit en revanche des droits spécifiques de
l'enfant réfugié ou demandeur d'asile, en faisant obligation aux États parties
de
[collaborer], selon qu'ils le jugent nécessaire; à tous les efforts .des
[organisations internationales compétentes] [... ] pour rechercher le père et
la mère ou autres membres de la famille de tout enfant réfugié en vue
d'obtenir les renseignements nécessaires pour le réunir à sa famille.
Lorsque ni le père, ni la mère, ni aucun autre membre de la famille ne peut
être retrouvé, l'enfant se voit accorder, selon les principes énoncés dans la
présente Convention [NdA: voir art. 20 CDE], la même protection que
tout autre enfant définitivement ou temporairement privé de son milieu
familial pour quelque raison que ce soit.

Cette disposition illustre la priorité que la Convention accorde au


regroupement familial par rapport à toute autre solution de placement

31
Sur le lien entre intérêt supérieur de l'enfant et droit de l'enfant à exprimer librement
son opinion, voir notamment G. VAN BUEREN, The international law on the rights of
the child, Dordrecht/Boston/Londres (Martinus Nijhoff), 1995, pp. 47 et 51 ;
S. DETRICK (note 24), p. 89.
32
Corn. DE, Observation générale no 6 (XXXIX) 2005, Traitement des enfants non
accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays d'origine, doc. NU
CRC/GC/2005/6, § 25.

324
(cf. également supra, chap. VI, no 119), et met en lumière l'obligation
positive des États membres de rechercher les membres de la famille de
l'enfane3.
27 À cet égard, l'article 19 § 3 de la Directive no 2003/9 dispose34 :
Dans l'intérêt supérieur du mineur non accompagné, les États membres
recherchent dès que possible les membres de sa famille.[ ... ]

Une interprétation stricte de l'expression «dès que possible» devrait


normalement garantir que cette recherche ait lieu immédiatement après le
dépôt de la demande d'asile, ou en tout état de cause à un moment où la
procédure «Dublin» est encore en cours. Une telle interprétation devrait
s'imposer, eu égard au fait que la bonne application des critères applicables
au mineur non accompagné (art. 6 RD) et de la clause humanitaire (art. 15
RD) présuppose qu'une telle recherche soit menée en temps utile auprès des
autorités des autres États membres.
Comme nous 1' avons signalé en précédence, cependant, la pratique actuelle
des États membres est loin d'être satisfaisante sous cet angle (cf. supra, au
chap. IV, no 63).

3. Les garanties procédurales inhérentes au droit au respect


de la vie familiale
28 Plusieurs dispositions de la Convention européenne des droits de
l'homme consacrent expressément des droits de nature procédurale. On
mentionnera l'article 6 (droit à un procès équitable), l'article 13 (droit à un
recours effectif; cf. infra, no 62 ss) et l'article 1 P7 (cf. supra, no 8 ss), mais
également l'article 5 (droit à la liberté et à la sûreté), dont les paragraphes 2 à
4 consacrent le droit d'être informé sur les motifs de l'arrestation, d'être
traduit dans les plus brefs délais devant un juge et d'introduire un recours
devant un tribunal pour faire contrôler la légalité de son arrestation.
Au-delà de ces stipulations expresses, la Cour EDH a développé une doctrine
des exigences procédurales «inhérentes» à d'autres droits garantis par la
Convention35 •

33
Corn. DE, Observation générale no 6 (note précédente),§ 31 (v).
34
Directive no 2003/9 (note 12).
35
Voir à ce sujet J.-F. FLAUSS, Actualité de la Convention européenne des droits de
l'homme, AJDA (1995), pp. 721-722; F. BERNARD, A. BERTHE (note 2), aux
pp. 27 ss.

325
Pour ce qui concerne les droits conditionnels - et en particulier le droit au
respect de la vie familiale- il y a lieu de distinguer deux niveaux d'analyse.
29 En premier lieu, selon l'article 8 § 2, toute mesure d'ingérence dans les
droits garantis par le paragraphe 1 doit être « prévue par la loi », i.e. avoir une
base en droit interne36 , accessible au justiciable, et dont l'application est
suffisamment prévisible37• Lorsque cette base légale confère à l'exécutif une
marge discrétionnaire importante - notamment quant aux cas et modalités
d'adoption de mesures d'ingérence - sa mise en œuvre doit en outre être
entourée de garanties propres à éviter un exercice arbitraire de cette
discrétion. À tout le moins, conformément au principe de l'État de droie 8,
measures affecting fundamental human rights must be subject to sorne form
of adversarial proceedings before an independent body competent to
review the reasons for the decision and relevant evidence, if need be with
appropriate procedurallimitations on the use of classified information.

30 À première vue, le dispositif Dublin II paraît à l'abri de toute critique


sous cet angle, puisqu'il définit les critères de responsabilité et leurs
modalités de mise en œuvre de manière claire et prévisible, et donne en tout
état de cause lieu à des décisions motivées et susceptibles de recours (art. 19
RD). Cependant, il ne faut pas perdre de vue le fait que le Règlement laisse
aux États membres une importante marge discrétionnaire en vertu,
notamment, de la clause de souveraineté, dont l'application peut aboutir à
l'adoption de mesures d'ingérence (cf. supra, chap. VI, no 175) qui ne sont au
surplus pas expressément soumises au régime contentieux de l'article 19 RD
(mais cf. infra, no 76 et 87). Il importe donc que les États membres
définissent en droit interne un régime compatible avec les conditions de
légalité définies par la Cour39 , en rendant suffisamment « prévisible » la mise

36
La notion de « droit interne » ne doit pas être étroitement entendue dans ce contexte,
puisqu'elle peut englober également les dispositions d'un traité international (voir
Cour EDH, Slivenko c. Lettonie [GC], req. n° 48321/99, arrêt du 9 octobre 2003,
Recueil 2003-X, § 104-107) et a fortiori d'un acte communautaire (voir, de manière
implicite, Cour EDH, Bosphorus Airways c. Irlande [GC], req. n°45036/98, arrêt du
30 juin 2005, non encore publié au Recueil des arrêts et décisions de la Cour,§ 148).
37
Voir notamment Cour EDH, Sunday Times c. Royaume-Uni [Plén.], req. no 6538174,
arrêt du 26 avril1979, série A, no 30, § 49.
38
Cour EDH, Al-Nashif c. Bulgarie, req. n° 50963/99, arrêt du 20 juin 2002, non publié
au Recueil,§ 123.
39
En effet, il résulte.de la jurisprudence de la Cour que la «légalité» d'une mesure peut
également résulter de l'application combinée de dispositions internationales et
nationales (voir Cour EDH, Slivenko c. Lettonie, note 36, § 107).

326
en œuvre de la clause de souveraineté et/ou en l'entourant de garanties
procédurales suffisantes.
31 Le deuxième et plus traditionnel locus des garanties piocédurales
inhérentes aux droits garantis est celui du contrôle de la « nécessité dans une
société démocratique» des mesures d'ingérence (cf. supra,chap. VI, n° 48).
LaCour a développé sa doctrine en la matière à partir d'affaires relatives au
placement d'enfants et aux droits de visite des parents. En son arrêt W. c.
Royaume-Uni de 198740, la Cour affrrme :
62. [... ] Sans doute l'article 8 ne renferme-t-il aucune condition explicite
de procédure, mais cela n'est pas déterminant. À l'évidence, le processus
décisionnel de l'autorité locale ne saurait manquer d'influer sur le fond de
la décision, notamment en assurant qu'elle. repose sur les considérations
pertinentes et soit impartiale, donc non entachée çl'arbitraire, même en
apparence. Partant, la Cour peut y avoir égard pour dire s'il a joué d'une
manière qui, au total, était équitable et respectait comme il se doit ·les
intérêts protégés par l'article 8. [ ... ].
63. Les vues et intérêts des parents naturels figurènt nécessairement parmi
les éléments à peser par l'autorité locale pour arrêter ses décisions
concernant un enfant qu'elle assiste. Le processus décisionnel doit donc
être propre à garantir qu'ils seront portés à sa connaissance, qu'elle les
prendra en compte et que les parents pourront en temps voulu exercer tout
recours s'offrant à eux. [ ... ].
64. [... ] n échet dès lors de déterminer, en fonction des circonstances de
chaque espèce et notamment de la gravité des mesures à prendre, si les
parents ont pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un
tout, un rôle assez grand pour leur accorder la protection requise de leurs
intérêts. Dans la négative, il y a manquement au respect de leur vie
familiale et l'ingérence résultant de la décision ne saurait passer pour
«nécessaire» au sens de l'article 8.

32 La matière de l'arrêt W.c. Royaume-Uni a depuis été le terrain d'élection


pour le développement et 1' affinement progressif de la doctrine des exigences
procédurales implicites4 \ mais elle ne constitue nullement son domaine

40
Cour EDH, W.c. Royaume-Uni [Plén.], req; n° 9749/82, arrêt du 8 juillet 1987, série
A, no 121.
41
Voir par. ex. Cour EDH, McMichael c. Royaume-Uni, req. n° 16424/90, arrêt du
24 février 1995, série A, no 307-B; Cour EDH, Elsholz c. Allemagne [GC], req.
no 25735/94, arrêt du 13 juillet 2000, Recueil2000-VIII ; Cour EDH, Venema c. Pays-
Bas, req. n° 35731197, arrêt du 7 décembre 2002, Recueil 2002-X; Cour EDH,
Covezzi et Morselli c. Italie, arrêt du 9 mai 2003, non publié au Recueil; Cour EDH,
Sahin c. Allemagne [GC], req. no 30943/96, arrêt du 8 juillet 2003, Recueil 2003-VIII.
Voir également U. KILKELLY, Le droit au respect de la vie privée et familiale. Un

327
exclusif d'application. La Cour en a fait application dans des matières aussi
diverses que la protection de l'honneur42 et la protection de la vie privée sub
specie de droit à un environnement sain43 . On ne peut pas davantage affirmer
que la doctrine des exigences procédurales implicites serait applicable aux
seules mesures d'ingérence, car au contraire la Cour examine cet aspect
également .lorsqu'elle a affaire à un grief de manquement aux obligations
positives découlant de l'article 844•
En résumé, lorsqu'elle est confrontée à une violation alléguée de 1' article 8
CEDH, la Cour se livre à un examen qui comporte deux aspects45 :
Premièrement, elle peut apprécier le contenu matériel de la décision du
gouvernement, en vue de s'assurer qu'elle est compatible avec l'article 8.
Deuxièmement, elle peut se pencher sur le processus décisionnel, afin de
vérifier si les intérêts de l'individu ont été dûment pris en compte.

Sans aller jusqu'à dire que l'importance respective de ces deux composantes
du contrôle de « nécessité » est inversement proportionnelle, il faut relever
que le contrôle sur la qualité du processus décisionnel joue un rôle d'autant
plus grand - et est effectué avec d'autant plus de scrupule - lorsque les
autorités nationales jouissent au fond d'une large marge discrétionnaire46 •
33 Le contenu des exigences procédurales implicites a été développé par la
Cour au fil d'un nombre important d'affaires. La jurisprudence ne définit
certes pas des règles de procédures détaillées. Cet aspect relève en principe de
la discrétion de chaque État partie47 • Elle fixe plutôt des principes généraux,
dont la configuration varie selon le contexte et plus particulièrement selon la

guide sur la mise en œuvre de l'article 8 de la Convention européenne des Droits de


l'Homme, Strasbourg (Éditions du Conseil de l'Europe), 2003, pp. 58-60.
42
Voir Cour EDH, K. c. Lettonie, req. no 71225/01, décision du 21 octobre 2004, non
publiée au Recueil ; Cour EDH, Turek c. Slovaquie, req. n° 57986/00, arrêt du
14 février 2006, non encore publié au Recueil.
43
Voir notamment Cour EDH, Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], req. n° 36022/97,
arrêt du 8 juillet 2003, Recueil 2003-Vlll ; Cour EDH, Taskin et autres c. Turquie, req.
n° 46117/99, arrêt du 10 novembre 2004, non publié au Recueil.
44
Voir en particulier Cour EDH, K. c. Lettonie (note 42); Cour EDH, Hatton et autres c.
Royaume-Uni (note 43).
45
Cour EDH, Hatton et autres c. Royaume-Uni (note 43), § 99.
46
Ainsi, dans le domaine du placement des enfants, où la Cour reconnaît aux autorités
compétentes une large marge d'appréciation au fond, elle concentre son examen
surtout sur le déroulement de la procédure ayant abouti à la mesure d'ingérence: voir
par ex. Cour EDH, W. c. Royaume-Uni (note 40), § 62 ss.
47
Cour EDH, W. c. Royaume-Uni (note 40), § 62.

328
gravité de l'atteinte à un droit garanti48 et la portée individuelle ou générale
de la mesure litigieuse49 • Lorsque des mesures individuelles entraînant une
rupture de liens familiaux sont en jeu, les garanties minimales qui doivent être
observées tout le long du processus décisionnel comprennent en principe
l'accès des intéressés aux informations et documents pertinents, ainsi que la
possibilité d'exprimer leur position et de voir celle-ci prise en compte dans la
décision finale. De plus, les autorités compétentes doivent évaluer avec soin
les circonstances de 1' affaire - eu égard aux intérêts protégés par la
Convention - et prendre leurs décisions dans un délai raisonnable, en
particulier lorsque 1'état de séparation se produit par une mesure initiale et
provisoire et le temps qui s'écoule jusqu'à la décision finale risque de
compromettre les relations familiales concernées, « tranchant » de facto
l'affaire50•
34 Ces exigences se chevauchent en partie avec celles de l'article 6 § 1, à la
fois quant à leur contenu et quant au type de procédures auxquelles elles
s'appliquent.
Dans l'affaire McMichaella Cour a précisé que l'applicabilité des unes
n'exclut pas celle des autres (§ 91) 51 :
[ ... ] l'article 6 par. 1 accorde une garantie procédurale, à savoir le« droit à
un tribunal » qui connaîtra des « droits et obligations de caractère civil »
d'un individu (arrêt Golder c. Royaume-Uni du 21 février 1975, série A
n° 18, p. 18, par. 36) ; tandis que l'exigence procédurale inhérente à
l'article 8 non seulement couvre les procédures administratives aussi bien
que judiciaires, mais va de pair avec l'objectif plus large consistant à
assurer le juste respect, entre autres, de la vie familiale (voir, par exemple,
l'arrêt B. c. Royaume-Uni du 8 juillet 1987, série A no 121-B, pp. 72-74 et
75, paras. 63-65 et 68). La différence entre l'objectif visé par les garanties
respectives des articles 6 par. 1 et 8 peut, selon les circonstances, justifier
l'examen d'une même série de faits sous l'angle de l'un et l'autre articles
(comparer, par exemple, l'arrêt Golder précité, pp. 20-22, paras. 41-45, et
l'arrêt O. c. Royaume-Uni du 8 juillet 1987, série A n° 120-A, pp. 28-29,
paras. 65-67).

Relevons que dans le domaine de l'immigration, la question d'une éventuelle


superposition ne se pose pas, au vu de l'inapplicabilité de l'article 6 CEDH
(cf. infra, no 64). À vrai dire, la notation la plus intéressante contenue dans ce

48
Voir par. ex. Cour EDH, Covezzi et Morselli c. Italie (note 41), § 133
49
Voir Cour EDH, Hatton et autres c. Royaume-Uni (note 43), § 128.
50
Voir en particulier Cour EDH, W.c. Royaume-Uni (note 40), § 62-65.
51
Cour EDH, McMichael c. Royaume-Uni (note 41). Par la suite, toutefois, la Cour s'est
elle-même écartée en pratique de cette position de principe. Cour EDH, Venema c.
Pays-Bas (note 41), § 101.

329
passage est celle qui concerne les procédures « administratives aussi bien que
judiciaires».
35 Lorsque le processus décisionnel se compose de deux phases - une phase
administrative et le cas échéant une phase contentieuse, comme c'est le cas
des procédures d'application du Règlement Dublin Il - il faut en effet se
demander si les garanties procédurales inhérentes à l'article 8 doivent être
observées à chaque stade du processus, ou s'il est suffisant qu'elles soient
garanties dans la phase contentieuse. Sur ce point, la Cour n'a pas explicité
une position claire de principe, ayant une validité générale52 • Sa jurisprudence
tend néanmoins en faveur de la position la plus protectrice, à tout le moins
lorsque la première décision est susceptible d'avoir un impact immédiat sur
les liens familiaux concernés.
36 Le fait qu'une implication des intéressés dans la procédure
précontentieuse soit normalement exigée résulte, en négatif, du fait que la
Cour admet à titre d'exception qu'elle peut ne pas avoir lieu. Une telle
exception est permise lorsque la participation de l'intéressé à la procédure est
pratiquement impossible53 , lorsque des motifs d'urgence s'y opposent, ou
lorsque le fait d'informer préalablement l'intéressé mettrait en danger l'effet
utile des mesures envisagées54• ·

37 À ce jour, la Cour n'a pas explicitement appliqué la doctrine des


exigences procédurales inhérentes à des procédures d'immigration, sauf que
dans l'arrêt Cilii5•
Au § 66 de l'arrêt, après avoir rappelé la compétence de principe des États
pour réglementer l'entrée et le séjour des étrangers et avoir souligné qu'en la
matière une marge d'appréciation doit leur être laissée, la Cour affirme:
si l'article 8 ne contient pas d'exigences procédurales explicites le
processus décisionnel conduisant à des mesures d'ingérence n'en doit pas

52
Voir cependant Cour EDH, Covezzi et Morselli c. Italie (note 41), Opinion
partiellement dissidente des Juges LORENZEN et VAJI (italiques ajoutés): «La Cour
a souvent estimé dans sa jurisprudence antérieure que, eu égard à l'enjeu pour les
parents des procédures de prise en charge, il était crucial pour ceux-ci d'avoir la
possibilité, à un stade quelconque de la procédure avant qu'une ordonnance provisoire
de prise en charge ne soit rendue, de formuler des observations sur les informations
disponibles et de présenter leur propre point de vue ».
53
Cour EDH, W. c. Royaume-Uni (note 40), § 64.
54
Cour EDH, Venema c. Pays-Bas (note 41), § 93 ; Cour EDH, Covezzi et Morselli c.
Italie (note 41), § 108.
55
Cour EDH, Ciliz c. Pays-Bas, req. no 29192/95, arrêt du 11 juillet 2000, Recuei12000-
Vill.

330
moins être équitable et respecter comme il convient les intérêts
sauvegardés par l'article 8.

Elle poursuit son raisonnement en citant le§ 64 de l'arrêt W. c. Royaume-Uni


(cf. supra, no 31).

38 Or, l'affaire Ciliz présentait la particularité d'être à la fois une affaire


d'éloignement et une affaire relative au droit de visite. L'État défendeur avait
en effet expulsé le requérant - pour cessation du motif familial de son séjour
- alors même qu'une procédure était en cours devant les juridictions
nationales pour définir son droit de visite à son fils. Il avait ainsi préjugé
l'issue de cette deuxième procédure.
39 À notre sens, toutefois, il n'y a aucune raison de penser que les exigences
procédurales de l'article 8 ne s'appliqueraient pas aux procédures
d'éloignement et d'admission, lorsque la décision finale peut poser problème
sous 1' angle du droit à la vie familiale. La doctrine des exigences
procédurales implicites a en effet une portée générale (cf. supra, n° 32), et on
en retrouve d'ailleurs une application en filigrane dans la décision Haliti 56 ,
d'une part, et une confirmation indirecte dans les arguments présentés par le
gouvernement défendeur dans l'affaire Sisojeva 57 , d'autre part.
L'~rrêt rendu dans l'affaire Slivenko 58 contient également un passage aux
claires implications procédurales - au surplus, dans un contexte
particulièrement proche de celui du Règlement Dublin, celui de 1' application
du traité russo-letton sur le retrait des forces armées russes, qui peut
également être qualifié de « human transfer agreement » (cf. supra, chap. I,
no 2). Au§ 122 de l'arrêt, il est affirmé (italiques ajoutés):
La Cour estime qu'un plan comme celui-ci pour le départ de militaires
étrangers et de leurs familles, à partir d'un constat général que
l'éloignement est nécessaire à la sécurité nationale, ne peut passer en soi
pour contraire à l'article 8 de la Convention. Toutefois, l'application d'un
tel plan sans aucune possibilité de prendre en compte la situation des
personnes que le droit interne n'exonère pas du retrait n'est pas
compatible avec les exigences de cet article.

56
Cour EDH, Haliti c. Suisse, req. n° 14015/02, décision du 1"' mars 2005, non publiée
au Recueil.
57
Cour EDH, Sisojeva c. Lettonie, req. n° 60654/00, décision .du 28 février 2002, non
publiée au Recueil. Le gouvernement letton avait plaidé devant la Cour que la
radiation des requérants du registre des résidents - la mesure litigieuse - était
conforme à l'article 8, inter alia, en raison de« l'équité du processus décisionnel» qui
l'avait précédée.
58
Cour EDH, Slivenko c. Lettonie (note 36).

331
40 En conclusion, on retiendra que l'article 8 CEDH comporte des exigences
de procédure qui doivent être respectées également dans le domaine
migratoire, et plus particulièrement lors du déroulement des procédures
prévues par le Règlement Dublin II 59 • Ces exigences ne font aucunement
double emploi avec celles qui sont prévues par l'article 1 P7. En effet, elles
ne s'appliquent pas uniquement à 1' expulsion des étrangers résidant
régulièrement, mais à toute procédure d'admission ou d'éloignement60, quel
que soit le statut de séjour des personnes concemées61 , dès lors que la
décision finale peut poser problème au regard du droit au respect de la vie
familiale. Par ailleurs, elles ne font pas non plus double emploi avec l'article
13 CEDH (cf. infra, no 62 ss), dans la mesure où elles sont en principe
applicables aux décisions «de première instance».

4. Les garanties procédurales de source communautaire

a) Remarques liminaires
41 À partir des indications fragmentaires offertes par le droit écrit - et plus
encore en raison des lacunes de celui-ci -la Cour de justice a très tôt entrepris
la tâche de développer un corpus de principes généraux du droit
administrati:r2 .
Ce riche acquis jurisprudentiel ne saurait faire l'objet, dans le cadre du
présent ouvrage, d'une présentation générale soit-elle schématique63 . Pour

59
Signalons, par ailleurs, que lors de l'appréciation de la compatibilité d'une mesure
d'éloignement avec les articles 17 et 23 PIDCP, le Comité des droits de l'homme se
penche sur le caractère équitable de la procédure ayant précédé l'adoption de la mesure
litigieuse (voir par. ex. Corn. DH, Stewart c. Canada, comm. n° 53811993,
constatations du 16 décembre 1996, doc. NU CCPR/C/58/D/538/1993, § 12.10; Corn.
DH, Canepa c. Canada, comm. no 558/1993, constatations du 20 juin 1997, doc. NU
CCPR/C/59/D/558/1993, § 11.4).
60
Elles doivent en effet être observées quelle que soit la nature - positive ou négative -
des obligations en jeu : cf. supra, no 32.
61
Comme nous l'avons relevé supra, au chapitre VI, no 130, le statut de séjour n'a
aucune incidence sur l'applicabilité de l'article 8 CEDH.
62
Cette œuvre a commencé avant même l'institution de la Communauté économique
européenne: voir CJCE, aff. jointes 7/56 et 3 à 7/57, Algera, Rec. 1957, 81. Cet arrêt
illustre de manière exemplaire les motifs et la base de légitimation de l'œuvre créatrice
(cf. supra, chap. V, note 1).
63
Parmi les nombreuses publications dédiées à ce sujet, voir notamment J. SCHWARZE,
Europiiisches Verwaltungsrecht, Baden-Baden (Nomos), 2• éd., 2005; M. P. CHITI,

332

·.--1
nos besoins, il suffira de traiter du droit d'être entendu, tel qu'il a été
progressivement défini par le juge communautaire.

b) Le droit d'être entendu


42 Le «droit d'être entendu» naît, en droit européen, de source écrite. Il
possède à l'origine une portée pour ainsi dire sectorielle. L'audition des
personnes directement concernées par une procédure individuelle pouvant
aboutir à une sanction était en effet expressément prévue par le Règlement
no 17, défmissant les règles de procédures en matière de concurrence, et par le
Statut des fonctionnaires 64• Le juge communautaire en a cependant fait un
principe non écrit d'application générale.
43 Il y a lieu de partir de la formulation du principe que la Cour fait dans
l'arrêt Fis kano 65 :
[L]e respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à
l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief à
celle-ci constitue un principe fondamental de droit communautaire et doit
être assuré, même en l'absence de toute réglementation concernant la
procédure en cause (voir notamment les arrêts de la Cour du 13 février
1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, du 10 juillet
1986, dit « Meura », Belgique/Commission, 234/84, Rec. p. 2263, du 10
juillet 1986, dit« Boch »,Belgique/Commission, 40/85, Rec. p. 2321, du
21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, Rec. p. 2859,
du 14 février 1990, dit «Boussac Saint Frères», France/Commission, C-
301/87, Rec. p. I-307, du 21 mars 1990, dit « Tubemeuse »,
Belgique/Commission, C-142/87, Rec. p. I-959, du 12 février 1992, Pays
Bas e.a./Commission, C-48/90 et C-66/90, Rec. p. I-565).
De l'ensemble de cette jurisprudence, il découle que le respect des droits
de la défense exige que toute personne qui peut se voir infliger une
sanction soit mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue
au sujet des éléments retenus par la Commission pour infliger la sanction.

44 Deux éléments de ce passage méritent d'être soulignés. D'une part,


l'affirmation selon laquelle les droits de la défense, et en particulier le droit
d'être entendu, doivent être assurés même en l'absence de toute disposition
écrite. D'autre part, la phrase qui délimite l'application de ce principe aux
« procédure[s] ouverte[s] à l'encontre d'une personne et susceptible[s]
d'aboutir à un acte faisant grief à celle-ci».

Diritto amministrativo europeo, Milan (Giuffré), 2004 ; J. A. USHER, General


principles of EC law, Harlow (Longman), 1998.
64
Voir J. SCHWARZE (note précédente), pp. 1272-1275.
65 CJCE, aff. C-135/92, Fiskano, Rec. 1994, I-2899, cons. 39-40.

333
Cette phrase reflète le contexte juridique dans lequel le principe a été
développé - celui des procédures en matière de concurrence66 .et de fonction
publique67 • Il serait cependant erroné de croire que son application est
cantonnée aux seules procédures individuelles susceptibles d'aboutir à
l'adoption d'un acte obligatoire sanctionnant son destinataire - ou plus
généralement supprimant un droit faisant partie de son patrimoine juridique
ou mettant à sa charge une obligation. L'arrêt lsmeri illustre bien l'approche
extensive de la Cour à ce sujet.
45 Dans le cadre d'une action en responsabilité dirigée contre la Cour des
comptes, la société Ismeri affirmait l'illégalité du comportement de
l'institution défenderesse. Celle-ci avait publié un rapport qui la visait
nominativement, en des termes qu'elle considérait diffamatoires, sans lui
donner préalablement l'opportunité de présenter ses observations. Tout en
rejetant le recours, la Cour de justice a donné raison à la partie requérante sur
ce point spécifique68 :
[L]e principe du contradictoire est un principe général du droit dont la
Cour de justice assure le respect. Il s'applique à toute procédure
susceptible d'aboutir à une décision d'une institution communautaire
affectant de manière sensible les intérêts d'une personne.
Bien que l'adoption et la publication des rapports de la Cour des comptes
ne soient pas des décisions affectant directement les droits des personnes
qui y sont mentionnées, elles sont susceptibles d'avoir pour ces personnes
des conséquences. telles que les intéressés doivent être mis en mesure
d'émettre des observations sur les points desdits rapports les visant
nominativement, avant que ceux-ci soient défiuitivement arrêtés.
La Cour des comptes ayant omis d'inviter lsmeri à exprimer son point de
vue sur les passages la concernant qu'il était envisagé d'insérer dans le
rapport no 1/96, il résulte de ces circonstances que la procédure d'adoption
de ce rapport s'est trouvée entachée d'une violation du principe du
contradictoire.

Le principe du contradictoire doit donc être respecté dans toute procédure


administrative pouvant aboutir à l'adoption d'un acte susceptible d'affecter
sensiblement les intérêts d'une personne. Cette conclusion appelle deux
précisions.
46 Premièrement, le respect du principe du contradictoire ne s'impose pas
pour certaines catégories de procédures. La Cour a expressément exclu

66 CJCE, aff. 17/74, TransoceanMarine Paint, Rec. 1974, 1063, cons. 15.
67
CJCE, aff. 32/62, Alvis, Rec. 1963, 101, motifs, point lA.
68 CJCE, aff. C-315/99 P, lsmeri, Rec. 2001, 1-5281, cons. 28-30.

334
l'exigence d'un fair hearing des personnes concernées pour les procédures
d'adoption des actes normatifs 69 , ainsi que pour les procédures de sélection
des projets éligibles pour un soutien financier de la part de la Communauté70 .
Il ne s'agit pas, à proprement parler, d'exceptions, mais de procédures qui ne
sont pas « administratives », ou qui ne peuvent pas aboutir à une deminutio du
patrimoine juridique ou des intérêts des personnes concernées71 .
La Cour de justice a en revanche identifié, de manière analogue à la Cour
EDH (cf. supra, n° 36) des catégories de procédures auxquelles le principe
audi alteram partem serait a priori applicable, mais qui y sont soustraites pour
des raisons particulières. Il s'agit, en particulier, des procédures d'urgence,
des procédures «préparatoires», ou encore des procédures dont la
confidentialité est nécessaire pour assurer l'effet utile de la mesure finale 72 •
47 La deuxième précision est relative aux conditions subjectives auxquelles
est subordonnée la reconnaissance du ·droit d'être entendu.· À .cet égard, il
importe de préciser que le droit d'être entendu n'est pas réservé au
« destinataire » de la mesure finale, ou à la « partie » à la procédure. La
possibilité de présenter utilement son point de vue doit en effet être reconnue
à tout particulier dont les intérêts sont susceptibles d'être affectés de manière
sensible par la décision finale, indépendamment de la circonstance qu'il soit
formellement le destinataire de cette décision, et du rôle que la
réglementation applicable lui reconnaît dans le déroulement de la procédure73 .

c) Le droit d'être entendu dans le contexte du Règlement


Dublin II
48 Les principes que nous avons rappelés brièvement ci-dessus ont été
développés par la Cour, en tout premier lieu, pour encadrer l'action
administrative des institutions communautaires. Ils ne s'imposent pas moins

69 CJCE, aff. C-104/97 P, Atlanta, Rec. 1999,1-6983, cons. 35-37.


70
CJCE, aff. C-48/96 P, Windpark, Rec. 1998, 1-2873, cons. 46-48.
71
Tel est le motif sous-jacent à la décision de la Cour dans l'affaire Windpark (note
précédente). L'exclusion de ce type de procédures, en effet, découle de la circonstance
que l'absence d'octroi de fonds communautaire ne saurait être considérée comme une
mesure «susceptible d'affecter les intérêts de la personne concernée» au sens de la
jurispmdence précitée, car « elle ne porte pas atteinte à une situation juridique
favorable pour la requérante» (av. gén. COSMAS, aff. C-48/96 P, Windpark,
Rec. 1998, 1-2873, cons. 73).
72
Voir notamment J. SCHWARZE (note 63), pp. 1279-1285.
73 Voir notamment CJCE, aff. C-32/95 P, Lisrestal, Rec. 1996, 1-5373.

335
aux États membres lorsqu'ils agissent en tant qu'« administrations
indirectes » de la Communauté.
Nous avons en effet déjà relevé que l'autonomie procédurale et institution-
nelle des États membres se trouve encadrée et limitée aussi bien par des
dispositions expresses (par. ex. les articles 3 § 4 et 19 RD) que par les
principes généraux du droit communautaire (cf. supra, chap. V, no 8) 74 .
49 La question de savoir si les États membres doivent respecter les droits de
la défense des demandeurs d'asile dans la mise en œuvre du Règlement
Dublin II - et si oui, dans quelles circonstances - dépend donc en dernière
analyse des caractéristiques de la procédure «Dublin» et d'autres procédures
connexes.
50 Relevons tout de suite que la procédure de détermination de l'État
responsable peut aboutir à des décisions « affectant sensiblement les intérêts »
du demandeur d'asile au sens de la jurisprudence précitée. Elle peut en effet
aboutir à son expulsion d'un État membre vers un autre, une mesure qui à son
tour est susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux du demandeur
d'asile 75 , et en particulier à son droit au respect de la vie familiale (cf. supra,
chap. Vl, no 161).
Par ailleurs, aucun des «motifs d'exclusion» du contradictoire résultant de la
jurisprudence de la Cour ne s'applique ici (cf. supra, no 46). La procédure
«Dublin» n'est ni une procédure confidentielle (voir art. 3 § 4 RD), ni une
procédure « préparatoire » (elle aboutit à la décision « de ne pas examiner la

74
Pour un exemple de pénétration directe des principes généraux communautaire dans le
droit administratif national voir CJCE, aff. 222/86, Heylens, Rec. 1987, 4097, cons.
14-16 (obligation de motivation et recours effectif). L'avocat général GEELHOED a
exprimé des doutes quant à la transposition sic et simpliciter des principes
communautaires de droit administratif à l'action des États membres (av. gén.
GEELHOED, aff. C-60/92, Otto BV, Rec. 1993, 1-5683, cons. 21-24). La Cour a
cependant confirmé que les autorités nationales sont tenues de respecter les droits de la
défense, tout en soulignant que des règles de procédure « conformes » doivent en
principe être définies au niveau national (CJCE, aff. C-60/92, Otto BV, Rec. 1993, 1-
5683, cons. 14; voir également av. gén. COSMAS, aff. C-97/95, Pascoal & Filhos,
Rec. 1997, 1-4209, cons. 100-101). En doctrine, voir notamment M. P. CHITI
(note 63), pp. 439-442; D.-U. GALETTA, Il diritto ad una buona amministrazione
europea come fonte di essenziali garanzie procedimentali nei confronti della pubblica
amministrazione, RIDPC (2005), pp. 820-857, à la p. 852.
75 Voir T. CLARK, F. CRÉPEAU, Human rights in asylum sharing and other human
transfer agreements, NQHR (2004), pp. 217-240, notamment à la p. 220, où il est
affirmé : «AU involuntary transfers of persons between States have sorne effect on the
human rights ofthose transferred ».

336
demande» et de transférer le demandeur: art. 19 et 20 RD), ni une procédure
d'urgence (elle se déroule ordinairement dans les délais fixés à cet effet par le
Règlement, art. 17 et 18).
51 Dès lors, même en l'absence de toute disposition expresse à cet égard, les
États membres sont tenus de mettre le demandeur d'asile «en mesure de faire
connaître utilement son point de vue» au cours de la procédure «Dublin».
Une telle conclusion paraît d'autant plus s'imposer que cette procédure
réserve d'importantes marges de discrétion aux autorités nationales (art. 3 § 2
RD) et que, dans de telles conditions, le respect des droits de la défense
assume une importance plus fondamentale encore76.
Il appartient certes aux États membres de déterminer les modalités concrètes
d'exercice de ce droit77 • Ce faisant, la possibilité leur est ouverte de tout
mettre en œuvre pour assurer l'efficacité de la procédure, sans pour autant
oblitérer les droits de la défense du demandeur au bénéfice de l'économie
procédurale. En effet78 ,
un argument d'ordre pratique ne saurait, à lui seul, justifier la violation
d'un principe fondamental comme le respect des droits de la défense.

52 Les implications des droits de la défense pour l'application du Règlement


ne s'épuisent pas dans les rapports entre le demandeur d'asile et l'État qui est
saisi de sa demande et qui mène la procédure de détermination de l'État
responsable.
Il y a en effet lieu de s'interroger également sur la position du demandeur
d'asile dans le déroulement de la procédure prévue à l'article 15 RD et aux
articles 11 à 14 RE et relative à l'application de la clause humanitaire. Cette
procédure, on le rappellera, peut être déclenchée à l'initiative de l'État qui
mène la procédure «Dublin» -et il s'agira alors d'une phase de celle-ci- ou
bien à l'initiative de l'État responsable - et il s'agira alors d'une procédure
distincte et successive (voir art. 13 § 1RE).
53 Comme il résulte de l'article 15 RD et des articles 11, 12 et 13 RE, les
États concernés doivent se déterminer essentiellement en fonction de la
situation du demandeur d'asile et des membres de sa famille ou proches
parents. Ils doivent en outre s'assurer du consentement des personnes

76 Voir CJCE, aff. C-269/90, Technische Universitiit München, Rec. 1991, 1-5469,
cons. 14; TPI, aff. T-167/94, NoUe/Conseil et Commission, Rec. 1995, 11-2589,
cons. 73.
77
CJCE, Otto BV (note 74), cons. 14.
78
CJCE, Lisrestal (note 73), cons. 37.

337
concernées ainsi que, selon le cas, de leur disponibilité à se prêter assistance
(art. 15 § 2 RD, art. 11 § 4 RE) ou de l'aptitude des membres adultes de la
famille à prendre en charge le demandeur d'asile mineur (art. 15 § 3 RD,
art. 12 RE). L'opportunité d'une participation des intéressés à la procédure
n'a donc point besoin d'être démontrée. Quant au droit du demandeur d'asile
de « présenter utilement son point de vue » au cours de cette procédure, il y a
lieu de relever ce qui suit.
En premier lieu, le fait que d'après les textes applicables il n'est ni partie
prenante à la procédure, ni destinataire de la décision prise par l'État
requis, est sans incidence. Le demandeur d'asile est et demeure la
personne - avec ses proches - qui supporte directement les conséquences
de cette décision (cf. supra, no 47).
Ses intérêts sont sensiblement affectés par la décision à l'issue de la
procédure. Au regard du droit au respect de la vie familiale, la situation
du demandeur vis-à-vis de l'État saisi de la demande (aux fins de
l'application de la clause de souveraineté) et de l'État requis (aux fins de
l'application de la clause humanitaire) ne diffère pas pour l'essentiel:
dans les deux cas il est porteur d'un intérêt à être rapproché des membres
de sa famille, intérêt qui - selon les circonstances de 1' espèce - peut être
protégé en tant que droit à être admis dans l'État concerné (cf. supra,
chap. VI, no 111). Dans ces conditions, on ne saurait douter de la
pertinence dans ce contexte de la conclusion à laquelle nous sommes
parvenus supra, au n° 51.

5. La protection des droits fondamentaux et le déroulement


des procédures administratives d~application du dispositif
Dublin II : remarques conclusives
54 Comme nous l'avons vu au cours des pages précédentes, le droit
international et le droit communautaire définissent des standards de
procedural fairness qui sont pertinents pour la détermination des garanties
procédurales devant être assurées lors des procédures d'application du
dispositif Dublin IL
55 Parmi les «exigences procédurales » qui s'imposent aux États membres,
le droit d'être entendu revêt une importance centrale. Ce droit n'est prévu ni
par le Règlement Dublin ni par son Règlement d'exécution. Il doit cependant
être garanti en vertu des principes généraux du droit communautaire, au titre
des «garanties inhérentes» à l'article 8 CEDH, ainsi que par respect de

338
l'article 13 PIDCP. Relevons toutefois que ces trois sources posent des
exigences différentes, applicables dans des conditions différentes.
56 Le standard le plus exigeant semble être celui que pose la jurisprudence
de la Cour de justice.
En vertu du principe des « droits de la défense », les États membres sont
notamment tenus de mettre le demandeur d'asile en mesure de« faire valoir
utilement son point de vue» dans toutes les procédures d'application du
Règlement Dublin - dans la procédure « Dublin » comme dans la procédure
d'application de la clause humanitaire (cf. supra, no 51 ss).
Par ailleurs, le droit d'être entendu a ses corollaires. Le demandeur ne peut
faire valoir «utilement» son point de vue s'il n'est pas renseigné, dans une
mesure suffisante, sur les tenants et aboutissants de la procédure Dublin.
L'obligation d'information résultant de l'article 3 § 4 RD doit être lue à la
lumière de cette exigence. Ensuite, sans vouloir faire une transposition
mécanique de la jurisprudence relative à la « communication des griefs », que
la Cour a développé dans le contexte du droit de la concurrence et du
contentieux de l'article 226 TCE, l'« utilité» de la participation du
demandeur d'asile à ces procédures suppose son accès aux informations
pertinentes détenues par l'autorité compétente79• Enfin, l'« utilité» de la
participation à la procédure suppose que le point de vue. du demandeur soit
pris en compte, et que cette prise en compte résulte de la motivation de la
décision finale (cf. également infra, n° 87).
57 Les principes généraux du droit communautaire auxquels nous nous
sommes référés doivent être respectés par les Vingt-quatre États membres
lorsqu'ils appliquent le dispositif Dublin II, que ce soit sur la base des
Règlements ou des Accords d'association80 • Pour les États associés - y
compris le Danemark - la situation juridique est différente. Dans la mesure où
ils appliquent le dispositif Dublin II en vertu du droit international, on ne

79
Voir mutatis mutandis CJCE, aff. jointes 100 à 103/00, Musique Diffusion Française,
Rec. 1983, 1825, cons. 10, où il est souligné que (italiques ajoutés) « [le] principe
fondamental du droit communautaire qui exige le respect des droits de la défense dans
toute procédure, même de caractère administratif, [ ... ] implique notamment que
l'entreprise intéressée aitété mise en mesure, au cours de la procédure administrative,
de faire connaitre utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et
circonstances allégués».
80
En effet, les Vingt-quatre agissent dans le cadre du droit communautaire également
lorsqu'ils mettent en œuvre les Accords d'association «Dublin», qui ont été conclus
par la Communauté et qui relèvent de ce fait de 1'ordre juridique communautaire
(CJCE, aff. 104/81, Kupferberg, Rec. 1982, 3641, cons. 10-15).

339
saurait affirmer qu'ils agissent dans le champ d'application du droit
communautaire et qu'ils doivent, en conséquence, respecter les principes
généraux du droit communautaire.
58 Tous les États qui participent à la mise en œuvre du dispositif Dublin II
sont en revanche parties à la CEDH et au PIDCP. Ils doivent donc respecter
les exigences procédurales qui découlent respectivement de l'article 8 CEDH
- dans la mesure où la vie familiale du demandeur d'asile est mise en jeu - et
de 1' article 13 PIDCP - uniquement lors de 1' éloignement des demandeurs
d'asile se trouvant régulièrement sur leur territoire. Ces exigences, bien que
moins strictes que celles définies par la Cour de justice, se rapprochent de
celles-ci - notamment les exigences inhérentes à l'article 8 - et vont en tout
état de cause bien au-delà de ce qui est prévu par le dispositif Dublin II.
59 Les procédures impliquant les mineurs doivent enfin être menées en
conformité avec les dispositions pertinentes de la CDE, ce qui implique :
que les États sont tenus de faire preuve d'une diligence particulière dans
la recherche des membres de la famille des mineurs demandeurs d'asile ;
qu'un droit« renforcé» d'être entendu doit être reconnu aux demandeurs
d'asile mineurs, eu égard au principe du respect des opinions de l'enfant
(art. 12 CDE) et à la condition particulière des mineurs demandeurs
d'asile (art. 22 § 1 CDE), notamment lorsqu'il s'agit de déterminer
1' « intérêt supérieur de 1' enfant » ;
que les demandes tendant au rapprochement de 1' enfant de ses parents et
vice-versa doivent être traitées «dans un esprit positif, avec humanité et
diligence», cette obligation acquérant une valeur particulière dans les cas
où le rapprochement n'est pas garanti par les dispositions du Règlement
(par. ex. , lorsque l'enfant mineur «réside légalement» dans un État
membre et que son parent est demandeur d'asile; cf. supra, chap. VI,
n° 141).
60 Comme nous l'avons vu au cours du chapitre III (n° 53-56), la plupart
des administrations nationales agissent comme s'il ne leur incombait pas de
respecter l'ensemble de ces principes dans l'application du Règlement
Dublin II. Cette méconnaissance diffuse des droits procéduraux des
demandeurs d'asile est en soi déplorable. Elle est en outre d'autant plus
grave, qu'elle constitue à l'évidence une des raisons profondes pour
lesquelles les intérêts des demandeurs d'asile, y compris l'intérêt à jouir de la
compagnie de leurs proches, sont si peu pris en considération lors de la
détermination de l'État responsable.

340
B. Le droit à un recours effectif et le dispositif Dublin II

1. Remarques liminaires
61 Selon les articles 19 et 20 RD les décisions de transfert d'un demandeur,
adoptées par un État membre à la suite de l'acceptation de la (re)prise en
charge de la part d'un autre État, sont «susceptibles d'un recours ou d'une
révision». La nature de l'instance de recours n'est pas déterminée. Ces
dispositions laissent donc aux États membres toute latitude pour prévoir un
recours juridictionnel ou administratif, voire une simple révision devant
1' administration qui a adopté la décision de transfert, sur le modèle retenu par
le Danemark (cf. supra, chap. rn, no 57).
Le Règlement interdit en revanche aux États membres d'attribuer un effet
suspensif automatique aux instance de recours ou de révision. Le droit
national peut uniquement laisser aux instances compétentes la décision
d'accorder, au cas par cas, un sursis à l'exécution des décisions de transfert
(cf. supra, chap. rn, n° 46).

2. Le droit à un recours « effectif>> tel que garanti par


t'article 13 CEDH
62 L'article 13 de la Convention prévoit, à l'instar de l'article 14 (cf. supra,
chap. VI, n° 177-178), un droit complémentaire qui« s'intègre» à ceux qui
sont reconnus par les clauses normatives de la Convention et de ses
Protocoles, le droit à un recours effectif :
Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente
Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant
une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par
des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles.

63 En son arrêt Klass la Cour a « corrigé » le texte de cette disposition - qui


semblerait exiger un recours effectif uniquement contre des violations établies
à un droit garanti - se fondant sur son esprit et sur la fonction qu'elle remplit
au sein de la Convention(§ 63) 81 :
Pris à la lettre, [l'article 13 CEDH] semble indiquer que l'on n'a droit à un
recours interne que s'il y a eu «violation». Cependant, nul ne peut en
établir une devant une« instance nationale» s'il n'est pas d'abord à même

81
Cour EDH, Klass c. Allemagne [Plén.], req. n° 5029/71, arrêt du 6 septembre 1979,
série A, no 28.

341
de saisir une telle «instance». Comme l'a dit la minorité de la
Commission, on ne peut donc subordonner le jeu de l'article 13 à la
condition que la Convention soit vraiment violée. Aux yeux de la Cour,
l'article 13 exige qu'un individu s'estimant lésé par une mesure
prétendument contraire à la Convention dispose d'un recours devant une
«instance nationale» afin de voir statuer sur son grief et, s'il y a lieu,
d'obtenir réparation. Il faut ainsi l'interpréter comme garantissant un
« recours effectif devant une instance nationale » à quiconque allègue une
violation de ses droits et libertés protégés par la Convention.

Successivement, la Cour a resserré les conditions auxquelles un particulier


peut se prévaloir de l'article 13 CEDH. Selon une jurisprudence désormais
établie (italiques ajoutés) 82 ,
[l]'article 13 ne saurait [ ... ] s'interpréter comme exigeant un recours
interne pour toute doléance, si injustifiée soit-elle, qu'un individu peut
présenter sur le terrain de la Convention: il doit s'agir d'un grief
défendable au regard de celle-ci.

64 Il y a lieu de relever que le concours avec d'autres droits procéduraux


reconnus par la Convention peut conditionner l'applicabilité de l'article 13.
En particulier, si le droit garanti dont la violation est alléguée constitue un
«droit de caractère civil» au sens de l'article 6 CEDH, les garanties prévues
par cet article absorbent normalement celles - moins strictes - que pose
l'article 13 83 •
Une telle hypothèse ne peut cependant pas se produire en ce qui concerne les
contestations relatives aux décisions en matière d'entrée, de séjour et

82
Cour EDH, Boyle et Rice c. Royaume-Uni [Plén.], req. no 9659/82 et 9658/82, arrêt du
27 avril 1988, série A, no 131, § 52. Sur le concept de «grief défendable» voir
A. DRZEMCZEWSKI, C. GIAKOUMOPOULOS, Article 13, in: L.-E. PETTITI,
E. DECAUX, P.-H. IMBERT (éds.), La Convention européenne des droits de l'homme
- Commentaire article par article, Paris (Econornica), 2e éd., 1999, pp. 455-474, aux
pp. 463-464. Pour une critique, voir Cour EDH, Boyle et Rice c. Royaume-Uni, précité,
Opinion séparée du Juge DE MEYER, § 1 ; J.-Y. CARLIER, La détention et
l'expulsion collective des étrangers, RTDH (2003), pp. 198-222, à la p. 213.
83
Tel n'est cependant pas le cas lorsque le grief est dirigé contre une violation de
l'article 6 lui-même: voir Cour EDH, Kudla c. Pologne [GC], req. n° 30210/96, arrêt
du 26 octobre 2000, Recueil2000-XI, § 146-149. Par ailleurs, les exigences de l'article
13 CEDH sont également «absorbées» par celles de l'article 5 § 4 CEDH (droit de
recours contre les mesures privatives de la liberté personnelle) dans la mesure où celui-
ci est applicable: voir par. ex. Cour EDH, Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni,
req. no 12244/86, 12245/86 et 12383/86, arrêt du 30 août 1990, série A, no 182, § 47.

342
d'éloignement des étrangers. En effet, d'après la Cour EDH, celles-ci ne
tombent pas dans le champ d'application de l'article 684•
65 Venons maintenant au contenu de la garantie posée par l'article 13
CEDH. Il faut d'abord relever que celui-ci n'exige pas, à la différence des
articles 5 § 4 et 6, la disponibilité d'un recours judiciàire. En effet, l'instance
nationale visée par l'article 13 peut ne pas être un organe juridictionnel.
Cependant, pour que le recours devant un organe administratif puisse remplir
la condition de l'effectivité, il faut d'une part qu'il se compose de «membres
impartiaux et jouissant des garanties de l'indépendance», et d'autre part qu'il
ait le pouvoir d'adopter des décisions juridiquement contraignantes 85 •
66 L'effectivité d'un recours interne au sens de l'article 13 suppose en
outre:
qu'il soit accessible in concreto à la personne qui s'estime lésée dans ses
droits 86 ;
que l'instance nationale saisie soit, dans les circonstances de l'espèce,
habilitée à « connaître du grief fondé sur la Convention et, de plus, à
. ' »87 ;
offrir 1e redressement appropne
que le recours garantisse des chances réelles de succès ou, selon une autre
expression employée par la Cour, qu'il soit «effectif» en pratique
comme en droit, sans naturellement que son « effectivité » au sens de
l'article 13 dépende de la certitude d'une issue favorable pour le
requérant88 •

84 Grande Chambre, Maaouia c. France [OC], req. n° 39652/98, arrêt du 5 octobre 2000,
Recueil 2000-X, § 39. Pour une critique, voir l'Opinion dissidente des Juges
LOUCAIDES et TRAJA.
85
Voir Cour EDH, Klass c. Allemagne (note 81), § 67; Cour EDH, Silver et autres c.
Royaume-Uni, req. n° 5947/72, 6205173, 7052175, 7061175, 7107175, 7113175 et
7136175, arrêt du 25 mars 1983, série A, n° 61, § 115-116. Comme il ressort de ce
dernier arrêt, il est notamment exclu qu'un recours devant un organe administratif
puisse satisfaire à l'article 13 CEDH si celui-ci se trouve simultanément dans la
position de juge et partie.
86
Voir, dans le contexte de l'article 5 § 4 CEDH, Cour EDH, Conka c. Belgique, req.
no 51564/99, arrêt du 5 février 2002, Recuèil2002-I, § 43-46.
87
Cour EDH, Soering c. Royaume-Uni [Plén.], req. n° 14038/88, arrêt du 7 juillet 1989,
série A, no 161, § 120.
88
Voir Cour EDH, Conka c. Belgique (note 86), § 69 et Opinion partiellement
concordante et partiellement dissidente du Juge VELAERS, § 12.

343
Il est suffisant que «l'ensemble des recours offerts par le droit interne»
remplisse ces exigences, «même si aucun d'eux n'y répond en entier à lui
seul» 89 •
67 Tel étant le sens général de l'article 13 CEDH, il faut relever que ses
exigences peuvent varier en fonction de la nature du grief du requérant. En
particulier, s'il suffit normalement que le recours disponible en droit interne
garantisse la possibilité d'un «redressement approprié», dans certains cas il
doit également comporter la possibilité d'« empêcher l'exécution de mesures
contraires à la Convention» pour pouvoir être qualifié d'« effectif». Il en va
ainsi lorsque les conséquences de la mesure « sont potentiellement
irréversibles »90 •
68 Il est bien établi en jurisprudence que la soumission à la torture ou à des
traitements inhumains ou dégradants revêt ce caractère d'irréparable. Dès
lors, les recours dirigés contre une mesure d'extradition ou d'éloignement
susceptible d'enfreindre l'article 3 CEDH doivent comporter la possibilité de
faire surseoir à son exécution91 .
69 Avec l'arrêt Conka de 200292, la Cour a renforcé les exigences de
l'article 13 CEDH en matière de suspension des mesures d'éloignement. Dans
cet arrêt, elle a retenu une violation de l'article 13, combiné avec l'article 4.
du Protocole additionnel no 4 (ci-après « P4 ») qui interdit les expulsions
collectives, au motif que le droit interne ne garantissait pas aux requérants, de
jure, que l'instance de recours aurait statué avant que la mesure
d'éloignement ne soit mise en application93 •
70 L'arrêt comporte deux déviations par rapport à la jurisprudence
antérieure, que nous avons brièvement décrite ci-dessus, au n° 68.

89
Cour EDH, Kudla c. Pologne (note 83), § 157.
90
Cour EDH, Conka c. Belgique (note 86), § 73.
91
Voir Cour EDH, Soering c. Royaume-Uni (note 87), § 123; Cour EDH, Vilvarajah et
autres c. Royaume-Uni, req. no 13163 à 13165/87, 13447/87 et 13448/87, arrêt du
30 octobre 1991, série A, no 215, § 125. Dans ces arrêts, la Cour se satisfait de ce que,
à défaut d'un pouvoir formel d'ordonner le sursis à l'exécution, l'instance de recours
statue «en pratique» avant que la mesure d'éloignement ne soit mise en application.
Dans l'arrêt Jabari c. Turquie, req. no 40035/98, arrêt du 11 juillet 2000, Recueil
2000-VIII, § 50, la Cour EDH semble en revanche exiger que l'instance de recours
dispose de jure du pouvoir de suspendre 1' exécution du renvoi.
92
Cour EDH, Conka c. Belgique (note 86).
93 Ibidem,§ 79-83.

344
71 En premier lieu, il ressort des § 82 et 83 de sa motivation que lorsque la
mesure d'expulsion litigieuse peut avoir des conséquences irréversibles,
l'effectivité du recours au sens l'article 13 CEDH suppose un effet suspensif
de plein droit, à tout le moins jusqu'à ce que l'instance saisie ne se soit
prononcée en référé sur le grief de violation de la Convention94•
La Cour est revenue sur la question dans l'affaire Sardinas Alba, qui
concernait une mesure d'extradition susceptible uniquement d'un recours non
suspensif devant une juridiction administrative (Tribunale amministrativo
regionale-« TAR »). Celle-ci, comme le Conseil d'État belge dans l'affaire
Conka, dispose cependant du pouvoir d'ordonner un sursis à l'exécution des
mesures administratives. Dans la décision sur la recevabilitë5, il est affirmé:
La Cour a certes jugé, dans une précédente affaire où des requérants étaient
menacés d'expulsion, que la procédure d'extrême urgence dont le Conseil
d'État belge pouvait être saisi ne répondait pas aux exigences de l'article
13 de la Convention en l'absence d'effet suspensif de plein droit et de
disposition juridique obligeant les autorités belges à attendre la décision de
cette juridiction pour procéder à l'exécution de la mesure d'éloignement
(Conka c. Belgique, no 51564/99, 5 février 2002, §§ 79-85). Mais dans
l'espèce rapportée, l'ineffectivité du recours devant le Conseil d'État tenait
à la particularité de la situation des intéressés qui ne disposaient que de
cinq jours pour quitter le territoire alors que dans la présente affaire,
l'exécution de la mesure d'extradition frappant le requérant était déjà
suspendue, en vertu des arrêtés ministériels d'extradition et de l'article 709
CPP, jusqu'à l'accomplissement de la peine qui lui avait été infligée en
Italie (soit onze ans d'emprisonnement).

Ainsi, l'effet suspensif de plein droit n'est pas exigé, même lorsque la mesure
d'éloignement peut avoir des conséquences irréversibles (ici: violation de
l'article 3 CEDH). Il n'en demeure pas moins que l'instance de recours doit
pouvoir se prononcer, de jure, sur la compatibilité de la mesure litigieuse
avec la Convention, avant son exécution.
72 La deuxième innovation introduite par l'arrêt Conka concerne la
typologie des mesures contre lesquelles un recours suspensif est exigé. Nous
l'avons dit, la Cour prend en compte à cet égard le caractère irréversible des
effets de l'éloignement (cf. supra, no 68).

94
Voir J.-Y. CARLIER (note 82), aux pp. 215-217; A. SKORDAS, Human rights and
effective migration policies : an uneasy co-existence, in: C. DIAS URBANO DE
SOUSA, P. DE BRUYCKER (éds.), L'émergence d'une politique européenne d'asile,
Bruxelles (Bruylant), 2004, pp. 297-327, aux pp. 319-321.
95
Cour EDH, Sardinas Alba c. Italie, req. no 56271/00, décision du 8 janvier 2004,
Recueil 2004-1.

345
Dans l'arrêt Conka, la Cour ne s'écarte pas de sa jurisprudence antérieure à
cet égard, mais elle en fait une application tout à fait nouvelle. Elle prête en
effet un caractère potentiellement irréversible à une mesure d'éloignement qui
ne posait pas problème sous l'angle de l'article 3 CEDH, mais qui
apparaissait en revanche contraire à l'article 4 P496 •
73 L'extension de l'exigence de l'effet suspensif est évidente97 , mais sa
portée est incertaine. La position de la Cour est en effet peu claire au sujet du
critère de l'irréversibilité des effets d'une mesure d'éloignement. Les deux
pôles en sont la mise à mort ou la soumission à la torture - irréparables 98 - et
le dommage patrimonial -par définition, réparable 99• Dans l'arrêt Conka, la
Cour affirme que la soumission à une mesure d'expulsion collective est
, alement, en eIle-meme, « potentleIlement rrrevers1
eg A • . , 'bie »100, sans pour autant
motiver cette affirmation.
Comment qualifier les conséquences d'une mesure d'éloignement portant
atteinte à la vie familiale de l'intéressé? Devrait-elle pouvoir faire l'objet
d'un recours suspensif, pour que les exigences de l'article 13 CEDH soient
satisfaites? La Cour ne l'affirme pas, et selon l'interprétation classique de

96
Le grief porté par les requérants au titre de l'article 3 CEDH avait en effet été déclaré
irrecevable par la Cour : voir Cour EDH, Conka c. Belgique (note 86), § 76. ll est donc
incorrect, à notre sens, de soutenir que la Cour aurait fait valoir l'exigence d'un
recours suspensif au motif « that a collective expulsion under Protocol 4 may indeed
lead to an Article 3 violation » (R. BYRNE, Remedies of limited effect : appeals under
the forthcoming Directive on EU minimum standards on procedures, EJML (2005),
pp. 71-86, à la p. 80). La Cour prête en effet un caractère potentiellement irréversible
aux conséquences de l'expulsion collective en elle-même: voir Cour EDH, Conka c.
Belgique (note 86), § 77 et 79.
97
Voir J.-F. FLAUSS, L'effet suspensif des voies de recours dirigées contre les mesures
d'expulsion (note à l'arrêt Conka), AIDA (2002), p. 506.
98
Cour EDH, Jabari c. Turquie (note 91), § 50 ; Cour EDH, Mamatkulov et Askarov c.
Turquie [GC], req. no 46827/99 et 46951/99, arrêt du 4 février 2005, non encore publié
au Recueil, § 108.
99
Voir, mutatis mutandis, Cour EDH, Ozgur radyo-ses radyo televizyon yayin yapim ve
tanitim as. c. Turquie, req. no 64178/00, 64179/00, 64181/00, 64183/00 et 64184/00,
arrêt du 30 mars 2006, non encore publié au Recueil, § 90 et 93.
100 À ce sujet, l'arrêt Conka est dénué d'ambiguïté (cf. supra, note 96). Il est donc
surprenant que le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, dans ses « Vingt
principes directeurs sur le retour forcé», n'ait recommandé la mise en place d'un
recours suspensif que dans les cas où l'expulsion comporte un risque de refoulement
interdit par les articles 3 CEDH ou 33 CG : voir doc. CM (2005) 40 du 9 mai 2005,
principe n° 5.3.

346
l'article 13, tel n'est pas le cas 101 • On voit cependant mal en quoi une
expulsion collective entraînerait des conséquences plus irréparables qu'une
mesure d'éloignement comportant, par exemple, la séparation d'un petit
enfant de ses parents.

3. Le droit à un recours« utile »tel que garanti par le PIDCP


74 Deux dispositions du Pacte entrent en ligne de compte en matière de
droits de recours des étrangers éloignés du territoire d'un État contractant.
75 L'article 2 § 3 lit. a PIDCP fait obligation aux États parties de:
Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le
présent Pacte auront été violés disposera d'un recours utile alors même que
la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice
de leurs fonctions officielles.

Le texte de cette disposition est pratiquement identique à celui de l'article 13


CEDH. Le Comité des droits de l'homme en fournit cependant une
interprétation fort différente par rapport à celle de la Cour EDH. ll estime en
effet que le Pacte n'exige un recours effectif que pour les cas où la violation
d'un droit garanti a été établie 102• Cette interprétation ôte au droit à un recours
utile toute portée autonome et le prive de 1' efficacité préventive propre au
droit à un recours effectif prévu par l'article 13 CEDH.
76 L'article 13 PIDCP prévoit, pour sa part, le droit à un réexamen de toute
mesure d'expulsion d'un étranger se trouvant légalement dans un État partie
au Pacte (cf. supra, n° 11).
Les exigences de cette disposition paraissent moins strictes de celles de
l'article 13 CEDH en ce qui concerne les caractéristiques de l'instance de
recours 103 • Par ailleurs, l'article 13 PIDCP établit une protection moins large
par rapport au droit à un recours effectif. En effet, dans la mesure où il existe

101 Voir en particulier la contribution de W. STRASSER et le commentaire de


E. MÜLLER-RAPPARD dans HCR, CONSEIL DE L'EUROPE (éds.), Consolidation
et développement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en
matière d'asile -Actes du 2• colloque sur la Convention européenne des droits de
l'homme et la protection des réfugiés, des demandeurs d'asile et des personnes
déplacées- Strasbourg 19-20 mai 2000, Strasbourg (Éditions du Conseil de l'Europe),
2001, respectivement aux pp. 56 et 62-63.
102 Com. DH, S. E. c. Argentine; comm. n° 275/88, constatations du 4 avril 1990, doc. NU
CCPR/C/38/D/275/1988, § 5.3.
103 Voir M. NOWAK (note 14), Art. 13, § 16; S. JOSEPH, J. SCHULTZ, M. CASTAN
(note 14), § 13.10.

347
un «grief défendable» de violation d'une clause normative, l'article 13
CEDH exige un recours effectif contre toute mesure d'éloignement ou de non
admission affectant un étranger, quelle que soit sa situation de séjour 104• En
revanche, l'article 13 PIDCP ne prévoit un droit au réexamen que pour des
mesures d'éloignement, et que si l'étranger est légalement présent.
77 Cela dit, l'article 13 PIDCP renforce, sous un aspect, le standard de
protection établi par l'article 13 CEDH. Comme il ressort des constatations
rendues par le Comité des droits de l'homme dans l'affaire Hamme!, en effet,
l'efficacité du« réexamen» suppose que celui-ci ait lieu avant l'exécution de
la mesure d'éloignement, et ce indépendamment de la question de savoir s'il
existe un« grief défendable» de violation d'une autre clause du Pacte et si les
'
consequences de 1a mesure sont rrrevers1
. ' "bles 105 .

4. Le droit à un recours juridictionnel effectif en tant que


principe général de droit communautaire
78 Selon la jurisprudence constante de la Cour de justice, le droit à un
recours juridictionnel effectif figure parmi les principes généraux du droit
communautaire106• Paradoxalement, le système des voies de recours devant
les juridictions communautaires établi par le Traité n'est lui-même pas
exempt de critique à cet égard 107• Nous ne demeurerons cependant pas sur
cette problématique, qui échappe à l'objet du présent travail, pour nous
concentrer sur les obligations que ce principe entraîne pour les États
membres.
79 Les États membres doivent garantir le droit à un recours juridictionnel
effectif lorsque 1' espèce présente un « point de rattachement au droit
communautaire »108 •

104 Voir notamment Cour EDH, Conka c. Belgique (note 86).


105 Corn. DH, Hamme[ c. Madagascar, comm. n° 155/1983, constatations du 3 avril1987,
doc. NU CCPR/C/29/D/155/1983, § 18.2 et 19.2. En ce sens, M. NOWAK (note 14),
Art. 13, § 18 ; en sens contraire, S. JOSEPH, J. SCHULTZ, M. CASTAN (note 14),
§ 13.14. Ces dernières se fondent cependant sur des constatations du Comité qui sont
antérieures à celles qu'il a rendu dans l'affaire Hammel.
106 Voir notamment CJCE, aff. 222/84, Johnston, Rec. 1986, 1651, cons. 18-19.
107 Les critiques tiennent principalement à l'accessibilité du prétoire européen de la part
de particuliers: voir notamment av. gén. JACOBS, aff. C-50/00 P, Union de Pequefios
Agricultores, Rec. 2002, 1-6677. Voir également K. LENAERTS, E. DE SMIJTER,
The Charter and the role of European courts, MJECL (2001), pp. 90-101, pp. 95-96.
108 Av. gén. STIX-HACK, aff. C-13/01, Safalero, Rec. 2003,1- 8679, cons. 56.

348
80 Un tel recours doit être garanti, en premier lieu, pour que les particuliers
puissent faire valoir les droits qu'ils tirent de l'ordre juridique communautaire
dérivë 09 ou originaire 110• Cette hypothèse, qui se trouve codifiée à l'article 47
§ 1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européennem, n'est
toutefois pas la seule. Plus généralement, en effet112,
il appartient aux États membres d'assurer un contrôle juridictionnel effectif
sur le respect des dispositions applicables de droit communautaire[ ... ].

81 L'arrêt Eribrand113 illustre bien la portée de cette affirmation. Dans cette


affaire préjudicielle, la société requérante au principal se plaignait du refus
des autorités nationales de lui accorder un délai supplémentaire pour
présenter les documents nécessaires en vue d'obtenir les restitutions à
l'exportation prévues par un règlement communautaire. Dans un premier
temps, la Cour relève que ce règlement ne confère point aux particuliers le
droit d'obtenir un délai supplémentaire, laissant au contraire aux États
membres une simple faculté de décider en ce sens 114 • Sur cette prémisse, elle
se penche ensuite sur la question du régime contentieux des actes refusant un
tel bénéfice 115 :
[L]e principe de la protection juridictionnelle effective, qui constitue un
principe général du droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 15
mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 18; Heylens e.a., précité,
point 14, et du 11 janvier 2001, Siples, C-226/99, Rec. p. 1-277, point 17),
exige que l'exportateur bénéficie d'une voie de recours de nature
juridictionnelle à l'encontre de la décision des autorités nationales
compétentes prise en application de [la disposition leur conférant la facu1té
du prolonger le délai]. En effet, il appartient aux États membres d'assurer
un contrôle juridictionnel effectif sur le respect des dispositions applicables
du droit communautaire (arrêt Johnston, précité, point 19).

82 Quant aux exigences inhérentes au principe du contrôle juridictionnel


effectif, il y a lieu de relever qu'elles vont au-delà de celles qui résultent de
l'article 13 CEDH, se rapprochant plutôt de celles qui résultent de l'article 6
CEDH 116 .

109 Voir par. ex. CJCE, Johnston (note 106), cons. 18-20.
110 Voir CJCE, Heylens (note 74), cons. 14-15.
111 JO 2000 c 364/1.
112
CJCE, Johnston (note 106), cons. 19.
113 CJCE, aff. C-467/01, Eribrand, Rec. 2003,1-6471.
114 Ibidem, § 59.
115 Ibidem, § 61.
116 Ce parallèle entre droit à un recours juridictionnel effectif et droit à un procès équitable
(art. 6 CEDH) ne concerne que le contenu des deux droits. Leur champ d'application
est en revanche différent. En effet, le champ d'application du principe

349

1
Comme l'affirme l'avocat général ALBER 117 , pour satisfaire aux exigences
découlant du droit communautaire,
la protection juridictionnelle doit être assurée par un tribunal indépendant
et impartial, établi préalablement par la loi et qui doit en outre procéder
publiquement dans le cadre d'un procès équitable.

L'existence ou non d'un tel recours doit être évaluée eu égard au système de
protection juridictionnelle établi par l'État membre dans son ensemble 118•
83 Pour ce qui est du caractère « efficace » du contrôle juridictionnel, il est
indispensable que le particulier puisse concrètement faire valoir devant
l'instance de recours ses droits 119, et que l'instance de recours elle-même soit
' de pouvorrs d'ec1s10nne1s120.
dotee 0 0
0

84 Il y a lieu de mettre en lumière deux autres corollaires du droit à un


recours juridictionnel effectif tel que garanti par le droit communautaire.
En premier lieu, la disponibilité d'une protection juridictionnelle efficace doit
comporter au besoin la disponibilité de mesures de protection provisoire 121 :
[L]a pleine efficacité du droit communautaire se trouverait tout aussi
diminuée si une règle du droit national pouvait empêcher le juge saisi d'un

«communautaire» du contrôle juridictionnel effectif n'est pas cantonné aux


« contestations sur [les] droits et obligations de caractère civil» et aux « accusations
en matière pénale». Il couvre ainsi - dans la mesure où il y a un «rattachement
communautaire»- des matières échappant à l'emprise de l'article 6 CEDH, par. ex. le
contentieux de la fonction publique (CJCE, Johnston, note 106) et de l'immigration
(CJCE, aff. C-327/02, Panayotova, Rec. 2004, 1-11055, § 25). Voir à ce sujet
COMMISSION EUROPÉENNE POUR LA DÉMOCRATIE PAR LE DROIT
(COMMISSION DE VENISE), Draft opinion « Implications of a legally-binding EU
Charter of fundamental rights on human rights protection in Europe», rédigé sur la
base des commentaires de G. MALINVERN!, P. V AN DIJK et H. H. VOGEL,
doc. CDL-DI (2003) 1, (www.venice.coe.int), § 12.
117 Av. gén. ALBER, aff. C-63/01, Evans, Rec. 2003, 1-14447, § 86. Voir également
CJCE, aff. C-424/99, Commission/Autriche, Rec. 2001, 1-9285, cons. 43, où la Cour
constate la non conformité avec le principe de la protection juridictionnelle effective
d'un recours organisé par la législation nationale devant des instances administratives.
118 CJCE, aff. C-63/01, Evans, Rec. 2003,1-14447, cons. 44-57.
119 Voir CJCE, Johnston (note 106), cons. 20; CJCE, Evans (note précédente), cons. 45.
120 Voir notamment CJCE, Commission/Autriche (note 117), Rec. 2001,1-9285, cons. 44.
121
CJCE, aff. C-213/89, Factortame, Rec. 1990, 1- 2433, cons. 21. Dans ce passage, la
Cour dérive ce principe de la primauté du droit communautaire. Le lien avec le
principe de la protection juridictionnelle est néanmoins explicitement établi dans les
conclusions présentées sous cette même affaire par l'av. gén. TESAURO, cons. 15 et
18.

350
litige régi par le droit communautaire d'accorder les mesures provisoires
en vue de garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à
intervenir sur l'existence des droits invoqués sur la base du droit
communautaire. Il en résulte que le juge qui, dans ces circonstances,
accorderait des mesures provisoires s'il ne se heurtait pas à une règle de
droit national est obligé d'écarter l'application de cette règle.

Deuxièmement, le principe du droit à un contrôle juridictionnel efficace se


répercute «en arrière», imposant que toute mesure nationale affectant la
jouissance d'un droit reconnu par le droit communautaire soit adéquatement
motivée 122•
85 Le droit à un contrôle juridictionnel effectif doit être assuré soit que. les
dispositions communautaire applicables prévoient expressément un droit de
recours - ces dispositions devant alors être interprétées à la lumière de ce
• •
pnnctpe 123 •
- smt en l' absence de toute disposttlon
. . expresse124. TI revtent
. aux
États membres de prévoir les voies de recours appropriées. En principe, donc,
le droit national est d'application. Il doit cependant être confornl.e aux
exigences d'une protection juridictionnelle efficace et, en cas de conflit, le
juge national est tenu de ne pas appliquer les dispositions nationales
. à.ces eXIgences
contrarres . 125
.

5. Le droit à un recours effectif et le dispositif Dublin Il :


remarques conclusives
86 Les dispositions du Règlement Dublin doivent en principe être
interprétées à la lumière des principes généraux du droit communautaire, et
en particulier du droit à un recours juridictionnel effectif. ·un telle opération
d'« interprétation conforme» produit des résultats fort différents de ceux
122
CJCE, Heylens (note 74), § 15.
123 Voir CJCE, Johnston (note 106), cons. 17. Voir également CJCE,
Commission/Autriche (note 117), cons. 42. Relevons que dans cette deuxième affaire,
la disposition communautaire pertinente ne prévoyait pas à proprement parler un droit
de recours. Elle disposait en effet (italiques ajoutés) : « [t]oute décision de ne pas
inscrire un médicament sur la liste des produits couverts [ ... ] comporte un exposé des
motifs[ ... ]. En outre, le demandeur est informé des moyens de recours dont il dispose
selon la législation en vigueur, ainsi que des délais dans lesquels ces recours peuvent
être formés». La Cour n'en a pas moins inféré que «l'intéressé [devait] pouvoir
disposer de voies de recours assurant une protection juridique effective».
124 Voir CJCE, Heylens (note 74); CJCE, Eribrand (note 113); av. gén. ALBER, Evans
(note 117), cons. 75.
125 Voir par. ex. CJCE, Johnston (note 106), cons. 20-21 ; CJCE, aff. C-97/91, Oleificio
Borelli, Rec. 1992,1-6313, cons. 13 ; CJCE, Factortame (note 121), cons. 20-23.

351

'1-
auxquels l'interprète parvient par une exégèse textuelle (cf. supra, chap. III,
n° 26).
87 En premier lieu, le système de « recours ou révision » prévu par les
articles 19 et 20 RD doit en tout état de cause comporter, dans son ensemble,
la possibilité d'un contrôle juridictionnel effectif126•
Deuxièmement, bien que le Règlement ne prévoie des recours que contre les
décisions de transfert (art. 19 et 20 RD), il résulte clairement de l'arrêt
Eribrand (cf. supra, n° 81) qu'un recours juridictionnel effectif doit être
ouvert aux demandeurs d'asile même lorsqu'ils entendent contester des
mesures d'une autre nature. On mentionnera, en particulier, le refus
d'appliquer la clause humanitaire, ou bien la décision d'appliquer ou de ne
pas appliquer la clause de souveraineté (cf. supra, chap. VI, no 163).
Troisièmement, comme il découle de l'arrêt Heylens, l'exigence de
motivation des décisions prises en application du Règlement Dublin est d'une
part générale- i.e., elle n'est pas cantonnée aux seules décisions de transfert,
comme il ressortirait du texte du Règlement - et d'autre part elle implique
que la motivation soit suffisante, i.e. qu'elle fasse ressortir les éléments de
droit et de fait qui en constituent le fondement.
88 Comme c'est le cas pour le principe des droits de la défense, le principe
du recours juridictionnel effectif ne doit être observé que par les Vingt-quatre
(cf. supra, no 57). Le standard applicable dans l'ensemble de l'« espace
Dublin » est plutôt celui de l'article 13 CEDH.
Cette disposition, nous l'avons relevé, garantit un recours effectif à toute
personne pouvant alléguer de manière défendable que ses droits
conventionnels, dont le droit au respect de la vie familiale, ont été violés.
89 L'exigence d'effectivité suppose que l'instance de recours ou de révision
soit, sinon un organe juridictionnel, du moins un organe indépendant et
impartial. Cette condition, moins stricte que celle qui découle du droit
communautaire, ajoute néanmoins au texte des articles 19 et 20 RD. En
particulier, elle remet en question des pratiques, telle celle suivie au
Danemark, de ne permettre qu'un réexamen des mesures de transfert devant
le Ministère des affaires intérieures (cf. supra, chap. III, no 57). Ce dernier se
trouve en effet dans une situation où il est juge et partie.
90 Sous un autre aspect, l'article 13 CEDH définit des exigences en principe
plus strictes par rapport au principe du « recours juridictionnel effectif». En

126
Cf. notamment supra, note 123.

352
effet, comme nous 1' avons signalé, dans certaines circonstances il doit être
garanti que l'instance de recours se prononce, à tout le moins en référé, avant
l'exécution d'une mesure d'éloignement. Il n'est pas établi que ce principe
s'applique lorsque la mesure d'éloignement risque d'entraîner une violation
du droit au respect de la vie familiale. En revanche, tel est certainement le cas
lorsque la mesure d'éloignement comporte un risque de violation du principe
de non-refoulement tel que défini par l'article 3 CEDH (cf. supra, n° 68;
cf. également supra, chap. rn, n° 116 ss).
Relevons par ailleurs qu'une exigence similaire résulte de l'article 13 PIDCP,
indépendamment de l'existence d'un «grief défendable» de violation d'un
droit garanti par le Pacte, dans la mesure où le demandeur d'asile se trouve
légalement dans un État membre qui va le renvoyer (cf. supra, n° 11).
Sous cet aspect, il existe à première vue un problème de compatibilité des
articles 19 et 20 du Règlement, qui permettent uniquement l'octroi «au cas
par cas» du sursis à l'exécution du transfert, avec les exigences découlant de
la protection des droits fondamentaux.
91 La question mérite un examen plus approfondi.
Les articles 19 et 20 RD interdisent sans ambiguïté l'attribution d'un effet
suspensif automatique, jusqu'à la décision fmale, aux recours dirigés contre
les mesures de transfert. Cette conclusion s'impose eu égard à leur libellé,
d'une part, et à leur finalité, d'autre part, qui est d'éviter l'introduction de
recours dilatoires empêchant en pratique la mise en œuvre du Règlement.
Il est en revanche moins certain qu'elles frappent d'interdiction l'attribution
d'un effet suspensif à ces recours, jusqu'à ce que «les tribunaux ou les
instances compétentes [ ... ] décident au cas par cas [de suspendre l'exécution
du transfert]». Le texte des articles 19 et 20 est ambigu à cet égard. Certes, il
suggère que l'exception à l'interdiction de l'effet suspensif présuppose une
décision au cas par cas. Il doit cependant être interprété en tenant compte des
objectifs du Règlement et à la lumière du principe de l'effet utile 127• À ces
égards on relèvera: (a) que l'attribution d'un effet suspensif limité dans le
temps ne semble pas de nature à menacer l'effectivité du système Dublin ll,
i.e. qu'elle n'est pas incompatible avec le but poursuivi par les articles 19 et

127 Sur l'interprétation téléologique, voir CJCE, aff. 283/81, CILFIT, Rec. 1982, 3415,
cons. 20 : « chaque disposition communautaire doit être replacée dans son contexte et
interprétée à la lumière de [ ... ] ses finalités.» ; sur le principe d'effet utile voir CJCE,
aff. C-437/97, EKW et Wein & Co., Rec. 2000, 1-1157, cons. 41 : «Lorsqu'une
disposition de droit communautaire est susceptible de plusieurs interprétations, il faut
douner la priorité à celle qui est de nature à sauvegarder son effet utile ».

353

_...,.-"
-~.---.-,-.-<'--

.. -----.-
20 RD, et (b) que ceux-ci prévoient expressément la possibilité de demander
un sursis à l'exécution, et que l'effet utile de cette prévision normative serait
grandement diminué si la mesure de transfert était exécutée avant que
l'instance de recours se prononce en référé.
Cette marge d'indétermination autorise, à notre sens, une interprétation
conforme aux principes résultant de la jurisprudence Conka et Sardinas Albo
de la Cour EDH. D'une part, en effet, les dispositions communautaires
doivent être interprétées dans la mesure du possible en sens conforme aux
exigences dérivant de la protection des droits fondamentaux 128 • D'autre part,
une interprétation exigeant que l'instance de recours se prononce en référé
avant l'exécution du transfert ne paraît pas incompatible avec le texte et les
finalités du Règlement.

C. Le dispositif Dublin II et les droits procéduraux des


demandeurs d'asile: remarques conclusives

92 Les apports de la systématique des droits fondamentaux au texte du


Règlement Dublin II sont nombreux en matière de garanties procédurales.
93 Les Vingt-quatre États qui appliquent le dispositif Dublin II en vertu du
droit communautaire sont, d'abord, tenus de respecter les principes généraux
résultant de la jurisprudence de la Cour de Justice. Les dispositions du
Règlement Dublin II doivent être lues à la lumière de ceux-ci, ce qui entraîne
un renforcement considérable de l'obligation de fournir au demandeur d'asile
des informations au sujet de la procédure «Dublin» (art. 3 § 4 RD), de
l'obligation de motivation des décisions de transfert (articles 19 et 20 RD),
ainsi que de l'obligation de prévoir des voies de recours contre ces décisions
(articles 19 et 20 RD), voies de recours qui doivent être conformes au
principe du recours juridictionnel.effectif.
De plus, l'obligation de respecter les principes generaux du droit
communautaire dans la mise en œuvre du dispositif Dublin II comporte des
intégrations importantes de celui-ci. Il en va ainsi, notamment, en ce qui
concerne le droit d'être entendu, qui doit être garanti dans toutes les
procédures de mise en œuvre du Règlement Dublin Il. Il en va également
ainsi en ce qui concerne le système des voies de recours, dans la mesure où le
droit à un recours juridictionnel effectif doit être garanti au-delà des
hypothèses visées par les articles 19 et 20 RD, par exemple à l'égard des

128 Voir CJCE, aff. C-98/91, Herbrink, Rec. 1994, 1-223, cons. 9.

354
décisions par lesquelles un État, saiSI par un autre État d'une requête
d'application de la clause humanitaire, refuse d'y accéder en violation de
l'article 8 CEDH.
94 À ces obligations de source communautaire s'ajoutent les obligations
internationales assumées par tous les États participant à la mise en œuvre du
dispositif Dublin II.
Dans la mise en œuvre des procédures de détermination de l'État responsable,
l'article 13 PIDCP et les articles 10, 12 et 22 CDE doivent être respectés. De
plus, dans la mesure où les procédures de mise en œuvre du dispositif Dublin
II peuvent aboutir à une violation du droit au respect de la vie familiale, les
États membres sont tenus de se conformer aux exigences procédurales
inhérentes à l'article 8 CEDH (cf. supra, n° 58-59).
En matière de recours, le standard international le plus contraignant est celui
de l'article 13 CEDH, qui encadre, comme le principe du «recours
juridictionnel effectif » de source communautaire, la mise en œuvre des
articles 19 et 20 RD. Son apport est particulièrement significatif en ce qui
concerne l'impartialité et l'indépendance exigées de l'instance de recours,
d'une part, et la possibilité d'obtenir une décision en référé avant l'exécution
d'un transfert, d'autre part. Sur ce dernier point, il convient également de
prendre en compte les exigences définies par l'article 13 PIDCP.

355
Conclusions générales

1 Comme il résulte de 1' article 63 du Traité CE et de 1' article 266 du Traité


Constitutionnel\ l'établissement de règles de détermination de l'État
responsable pour l'examen des demandes d'asile constitue, et constituera à
l'avenir, une composante nécessaire du «système européen d'asile». Les
règles actuellement en vigueur résultent du Règlement CE no 343/2003 2, qui a
remplacé la Convention de Dublin du 15 juin 1990, et qui est de ce fait
couramment appelé Règlement Dublin II. Elles s'appliquent, en vertu du
Règlement lui-même ou d'accords d'association conclus à cette fin, dans
vingt-sept États européens - États membres de l'UE et États membres de
l'ABLE- la Suisse étant appelée à devenir le vingt-huitième État partenaire.
La mise en œuvre du Règlement Dublin II soulève de nombreuses questions
juridiques et pratiques. En particulier, l'application des critères de
responsabilité qu'il établit aboutit dans de nombreux cas de figure à la
séparation des demandeurs d'asile de leurs proches, ou à la cristallisation
d'une condition de séparation préexistante.
Telle est la problématique qui fait l'objet de la présente étude. Le terrain
d'analyse choisi, comme il se convient pour une étude juridique portant sur la
protection de l'unité familiale, est celui de la systématique des droits
fondamentaux. La perspective d'analyse, celle des liens profonds unissant-
dans un même cadre juridique - les règles de Dublin et les principes tenant à
la protection des droits de l'homme. L'espoir de l'auteur est d'avoir mis en
évidence, par la présente contribution, l'interconnexion entre ces systèmes
juridiques, ou, en d'autres termes, d'avoir démontré à quel point ils
convergent dans l'identification de la règle applicable.

1
Traité établissant une Constitution pour l'Europe (JO 2004 C 310/1).
2 JO 2003 L 50/1.

357
A. La méconnaissance de la valeur de l'unité familiale
dans le droit et la pratique de la détermination de
l'État responsable
2 Dans le passage du dispositif Dublin I, établi par la Convention de
Dublin, au dispositif Dublin II, établi par le Règlement no 343/2003, le
législateur communautaire a opéré un choix de continuité. À la lumière de
l'expérience acquise pendant la période d'application de la Convention de
Dublin, il a cependant introduit des nouvelles dispositions visant à assurer
une meilleure prise en compte des liens familiaux du demandeur d'asile. En
dépit de cela, le système européen de détermination de l'État responsable
continue d'être la. source de fréquentes atteintes à l'unité des familles des
demandeurs d'asile.
3 Cette tension entre le dispositif Dublin II, d'une part, et la protection de
l'unité familiale, d'autre part, dérive d'une manière générale du caractère
objectif et formel des principaux critères de responsabilité qu'il établit
(cf. supra, chap. ID, no 124-128). De manière plus immédiate, elle découle de
la définition restrictive de la famille qui figure à l'article 2lit. i RD, ainsi que
de l'insuffisance des critères de responsabilité fondés sur les attaches
personnelles du demandeur figurant aux articles 4 § 3, 6 à 8 et 14 RD
(cf. supra, chap. IV, no 84-95).

La manière tatillonne dont ces dispositions sont rédigées témoigne de la


difficulté avec laquelle une plus large reconnaissance du principe de J'unité
familiale a été admise, spécialement par les États qui en subiraient les effets
«distributifs», i.e. par les États où résident d'importantes communautés
immigrées. Autrement dit, le régime du rapprochement familial établi par le
Règlement Dublin traduit un compromis entre une logique de protection de la
famille et une logique de contrôle des «flux de demandeurs», qui est
toutefois, génétiquement, la logique dominante du système de détermination
de l'État responsable. Ce caractère compromissoire en explique largement les
lacunes, ainsi que les résultats contradictoires, voire discriminatoires,
auxquels peut aboutir son application (cf. supra, chap. VI, n° 187).
Par ailleurs, les risques de rupture de l'unité familiale, qui sont inhérents à la
mise en œuvre du dispositif Dublin II, sont exacerbés par le fait que son texte
n'institue pas des garanties procédurales propres à assurer une prise de
décision informée et sensible aux intérêts des demandeurs d'asile.
4 La pratique d'application du Règlement, dont le cadre général commence
à se dessiner avec précision, confirme les observations qui précèdent. Les

358
rapports publiés en mars et avril 2006 respectivement par le CERE et le HCR
dressent de manière similaire l'inventaire des principaux problèmes soulevés
par la mise en œuvre du dispositif Dublin IL Ils indiquent clairement que
l'application des critères de responsabilité aboutit fréquemment à priver les
demandeurs d'asile du bénéfice de la compagnie de leurs proches.
Un tel constat est très souvent suivi de recommandations en vue d'une
réforme du dispositif Dublin IL Les deux rapports précités s'inscrivent
d'ailleurs dans cette tendance. Cette insistance sur les améliorations à
apporter au dispositif Dublin II de lege ferenda,. sur lesquelles nous
reviendrons par la suite, ne saurait être critiquée en soi. Elle comporte
cependant un risque : celui de laisser dans l'ombre les potentialités de
protection de l'unité familiale qui sont inhérentes au cadre juridique existant,
de lege lata.

B. L'application « conforme » du dispositif Dublin II : un


impératif juridique oublié ?
5 Comme le relevait fort bien le Professeur USHER dans son ouvrage
General principles of EC Law,
Community legislation is not to be read in a legal vacuum3•

Le dispositif Dublin II ne fait pas exception à cet égard. Il fait partie d'un
tissu normatif dont la trame dépasse largement les vingt-neuf articles du
Règlement no 343/2003 et les autres dispositions comniunautaires qui y sont
directement et explicitement liées.
6 Il est d'abord partie intégrante de l'ordre juridique communautaire. De ce
fait, il ne saurait être interprété et mis en œuvre sans avoir égard aux principes
généraux du droit communautaire. Parmi ceux-ci figurent notamment le droit
au respect de la vie familiale, standard communautaire matériellement
identique au standard défini par l'article 8 CEDH, les droits de la défense, qui
exigent notamment que l'intéressé soit correctement renseigné sur les
procédures auxquelles il est soumis et qu'il puisse« faire valoir utilement son
point de vue», et le droit à un recours juridictionnel effectif.
À la simple lecture du Règlement no 343/2003 et de son Règlement
d'exécution, on constate combien ces standards de traitement sont mal
reflétés par le «droit écrit de la détermination de l'État responsable». Cette

3 J. A. USHER, General principles of EC Law, Harlow (Longman), 1998, p. 76.

359
circonstance ne justifie toutefois ni la conclusion selon laquelle le Règlement
serait invalide, ni la conclusion opposée selon laquelle ces principes -
puisqu'ils ne trouvent pas expression dans le texte du Règlement- pourraient
tout simplement être ignorés. Une telle approche du «tout ou rien»
méconnaîtrait les principes développés par la Cour de justice des
Communautés européennes au sujet de la portée normative des principes
généraux du droit communautaire.
L'avocat général STIX-HACKL les a ainsi résumés dans les conclusions
qu'elle a rendues en l'affaire Omega Spielhallen- und Automatenauf-
stellungsgesellschaft mblt (italiques ajoutés) :
La protection des droits fondamentaux garantie par 1' ordre juridique
communautaire signifie d'une part que le respect de ces droits est une
condition de la validité des actes de la Communauté et d'autre part que la
mise en œuvre - au sens large - des réglementations communautaires par
les États membres doit se dérouler dans le respect des droits fondamentaux
protégés par l'ordre juridique communautaire [... ].
La Cour a suivi différentes approches pour mettre en œuvre le respect des
droits fondamentaux [ ... ]. Parmi les approches suivies, la plus importante
est celle de l'interprétation conforme aux droits fondamentaux [ ... ] .
[U]ne disposition de droit communautaire (dérivé) ne sera [ ... ] contraire
aux droits fondamentaux et donc invalide que si une interprétation
conforme aux droits fondamentaux .de cette disposition n'est pas possible
[ ... ]. S'il apparaît [ ... ] que, correctement interprétée, la disposition ne
viole en tant que telle aucun droit fondamental protégé par l'ordre
juridique communautaire, elle sera déclarée valide et il appartiendra le cas
échéant aux administrations et aux juridictions nationales de faire en sorte
qu'elle soit appliquée de façon conforme à la protection du droit
fondamental.
Finalement, nous soulignerons encore l'étroite imbrication de la fonction
de critère d'interprétation assumée par les droits fondamentaux et du rôle
qu'ils jouent en tant que moyen immédiat d'évaluation de la validité d'un
acte communautaire ou d'une mesure d'application nationale.

7 Eu égard à ces principes, la première tâche de l'interprète est de lire le


dispositif Dublin II «en transparence», en superposant son texte aux
principes généraux qui en forment la toile de fond normative, et de
s'interroger sur la manière de parvenir à des résultats compatibles avec la
lettre du Règlement et les exigences définies par le droit non écrit.

4
Av. gén. STIX-HACKL, aff. C-36/02, Omega Spielhallen- und Automatenaufstel-
lungsgesellschaft mbH, Rec. 2004, 1-9609, cons. 54-66.

360
8 Par ailleurs, le contexte juridique immédiat du Règlement Dublin ll est
riche en renvois à la systématique des droits fondamentaux. Son préambule
se réfère expressément à la Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne (« CDFUE »)5• Sa base juridique, l'article 63 TCE, pose une
exigence de conformité aux «traités pertinents». Il s'agit d'indications que
l'interprète ne saurait ignorer. Par exemple, les dispositions du Règlement
relatives aux mineurs présentent un lien immédiat avec l'article 24 CDFUE,
dont le texte a été rédigé en s'inspirant de la Convention relative aux droits de
1'enfant. Celle~ci figure par ailleurs, de par son objet, au nombre des traités
«pertinents» visés par l'article 63 TCE (cf. supra, chap. V, n° 13). Ce lien
systématique établi, il devient aisé de constater que la Convention et la
pratique y relative ont été une source d'inspiration majeure dans la rédaction
des dispositions réglementaires citées (définition de mineur non accompagné,
rappel du principe de l'intérêt de l'enfant). On ne saurait donc lire celles-ci
sans se référer aux standards définis par la Convention.
9 Cette approche exégétique aboutit principalement à deux résultats.
Le premier est que le Règlement Dublin II laisse aux autorités nationales une
marge suffisante pour se conformer aux standards communautaires
applicables, ainsi qu'aux standards internationaux qui doivent, toujours en
vertu du droit communautaire, être pris en considération. D'une part, la clause
de souveraineté et la clause humanitaire permettent d'éviter en toutes
circonstances une violation du droit au respect de la vie familiale, dans la
mesure où elles laissent aux États membres toute latitude pour déroger à la
stricte application des critères de responsabilité. D'autre part, les éparses
règles procédurales du Règlement laissent aux États membres une marge de
manœuvre suffisante pour organiser des procédures précontentieuses et
contentieuses conformes aux standards précités, et en particulier aux
principes des droits de la défense et de la protection juridictionnelle effective.
Le deuxième constat est en quelque sorte le revers du premier. Les États
membres sont tenus, en droit communautaire, de se conformer à ces
standards. Ils sont donc tenus d'avoir recours aux clauses de souveraineté et
humanitaire (« en sortie » et « en entrée » ; cf. supra, chap. IV, no 24), dans
les cas où l'application des critères peut emporter violation du droit au respect
de la vie familiale. Cette obligation possède à elle seule des implications
procédurales. En effet, la question de savoir si une mesure d'éloignement ou
de non admission viole le droit au respect de la vie familiale dépend d'une
évaluation soigneuse du cas d'espèce (cf. supra, chap. VI, n° 196). Dès lors,

5 JO 2000 c 364/1.

361
si, en mettant en œuvre le Règlement, les autorités compétentes sont
confrontées à une violation éventuelle du droit au respect de la vie familiale,
elles doivent se garder d'une application mécanique des critères de
responsabilité, et procéder en revanche avec diligence - en particulier
lorsqu'il s'agit de mineurs (cf. supra, chap. VII, n° 22)- à la détermination et
à l'appréciation des circonstances de l'espèce. De telles obligations d'ordre
procédural découlent d'ailleurs de source autonome - le principe des droits de
la défense et, à un stade ultérieur, le principe du recours juridictionnel
effectif.
10 Comme nous l'avons relevé à plusieurs reprises au cours des chapitres
précédents, les principes généraux du droit communautaire ne sont pas
applicables dans l'ensemble de l'« espace Dublin». Les États associés à la
mise en œuvre du dispositif Dublin II - y compris le Danemark - ne sont en
effet pas tenus de les respecter, puisqu'ils appliquent le dispositif Dublin II en
vertu du droit international, et non pas « dans le cadre du droit
communautaire». À cette asymétrie s'en ajoutent d'autres. En particulier, le
dispositif Dublin II n'est pas ipso jure directement applicable dans les États
associés, et ceux-ci ne sont pas, à l'exception du Danemark, soumis au
contrôle de la Cour de justice des Communautés européennes.
11 Cette situation est insatisfaisante, notamment dans la mesure où elle
entraîne des différences de traitement entre demandeurs d'asile, ces derniers
étant a priori moins bien protégés dans les États associés que dans les Vingt-
quatre.
12 Il existe néanmoins des standards de traitement qui s'imposent en vertu
du droit international à l'ensemble des États qui forment l'« espace Dublin».
Tous ces États sont parties à la CEDH. Ainsi, lors de la mise en œuvre du
dispositif Dublin II, ils sont tenus de respecter le droit au respect de la vie
familiale, y compris dans sa dimension procédurale, et d'assurer aux
demandeurs d'asile un «recours effectif» lorsqu'ils allèguent de manière
défendable que ce droit a été violé. La portée de ces standards est similaire à
celle des standards garantis par les principes généraux du droit
communautaire - seule la juridiction appelée à en contrôler le respect est
différente. S'y ajoutent les standards de traitement, surtout procéduraux, qui
résultent du PIDCP et de la CDE.
13 Pour les motifs que nous avons rappelés ci-dessus, au no 9, le respect
simultané des dispositions du Règlement Dublin II et des instruments
internationaux pertinents ne pose en règle générale aucune difficulté
juridique. Les seuls doutes concernent la compatibilité des articles 19 et 20
RD, qui interdisent aux États membres d'attribuer un effet suspensif de plein

362
droit aux recours dirigés contre les mesures de transfert, avec l'article 13
CEDH, qui exige dans certaines circonstances que l'instance de recours se
prononce sur le respect de la Convention avant la mise en œuvre du transfert,
et avec l'article 13 PIDCP, qui semble également définir une telle exigence en
cas d'éloignement d'un étranger légalement présent. Comme nous l'avons
relevé, une interprétation « conforme » des dispositions du Règlement paraît
néanmoins possible également à cet égard.
14 Dans la pratique, l'application du dispositif Dublin II révèle un Sein très
distant du Sollen. Sur le terrain, il semble bien que la considération primaire
des autorités chargées de l'application du Règlement soit celle d'effectuer
autant de renvois que possible, le plus rapidement possible, aux moindres
coûts administratifs et procéduraux possibles. Loin de respecter les standards
de traitement que nous venons d'évoquer, et que le Règlement passe en partie
sous silence, les autorités compétentes ont parfois été au-delà de ce qui était
permis par la lettre du Règlement dans la poursuite de ce but.
Une fois l'esprit dans lequel se fait la mise en œuvre du dispositif Dublin II
rappelé, il importe de souligner avec force que les principes généraux du droit
communautaire et les standards internationaux pertinents ne sont pas des
«meilleures pratiques» que les États sont invités à adopter, mais des règles
de droit qu'ils sont tenus de respecter dans l'application du système de
détermination de l'État responsable.
15 La thèse soutenue ici n'est probablement pas destinée à être accueillie
favorablement par les milieux administratifs et gouvernementaux - renseigner
exhaustivement les demandeurs d'asile, organiser des entretiens avec eux,
motiver ensuite en fait et en droit les décisions affectant leurs intérêts, leur
donner accès à des voies de recours effectives ... tout cela implique des coûts
financiers et des coûts en termes d'effectivité des procédures.
16 De telles considérations ne sont toutefois pas décisives, ou pour mieux
dire, elles ne sont pas recevables.
En termes de policy, il y a lieu d'observer que des coûts d'administration
élevés constituent une contrepartie à mettre en compte lorsqu'on instaure un
système juridique qui comporte des risques si étendus de violation des droits
fondamentaux. Autrement dit, si les critères de Dublin prenaient
suffisamment en compte la dimension des droits fondamentaux, leur
administration pourrait probablement être plus expéditive et économique.

363
D'un point de vue strictement juridique, nos observations peuvent être
' ' . ·6 '
resumees ams1 :
un argument d'ordre pratique ne saurait, à lui seul, justifier la violation
d'un principe fondamental[ ... ].

C. Les perspectives de réforme du système de Dublin


17 Une mise en œuvre correcte du dispositif Dublin II, qui tienne dûment en
compte l'ensemble des règles de droit pertinentes, permettrait de réduire
considérablement, et à droit constant, les atteintes à l'unité familiale qui
dérivent à ce jour de la stricte application des critères de responsabilité.
Cela ne signifie pas pour autant qu'une révision du Règlement no 343/2003
serait inutile ou inopportune. Bien au contraire, elle serait hautement
désirable. En guise de conclusion, il paraît opportun d'explorer brièvement
les perspectives d'avenir des «critères et mécanismes de détermination de
l'État responsable» sous l'angle de la protection de la famille.
18 Au minimum, une réforme du dispositif en vigueur devrait comporter une
reformulation de la définition de « famille » et des critères fondés sur les liens
familiaux du demandeur d'asile, pour qu'ils reflètent plus fidèlement les
principes sous-jacents du droit au respect de la vie familiale. Il serait
également souhaitable que les droits procéduraux du demandeur d'asile
trouvent expression dans le texte du Règlement. Le fait d'inscrire en toutes
lettres dans le Règlement ces principes juridiques serait extrêmement
précieux, bien qu'ils soient déjà actuellement pertinents pour son application.
Ce serait en effet un progrès significatif en termes de sécurité juridique, de
garantie effective des droits fondamentaux vis-à-vis des administrations
compétentes et d'application uniforme du dispositif Dublin à travers l'Union
et au-delà.
19 S'arrêter là serait toutefois faire preuve d'un juridisme excessif. En effet,
la question du rapport entre détermination de 1'État responsable et prise en
compte des liens familiaux se pose au-delà des exigences découlant de la
protection des droits fondamentaux. L'auteur a eu une connaissance directe
d'un cas qui illustre bien ce propos.
20 Z. un jeune géorgien de 20 ans, entre dans les forces de sécurité de l'État
peu avant la révolution des roses de 2003. Craignant d'être associé par le

6 CJCE, aff. C-32/95 P, Lisrestal, Rec. 1996, 1-5373, cons. 37.

364
nouveau pouvoir en place à l'ancien gouvernement, il fuit le pays. Il a de la
famille ~ ses oncle et tante, et des cousins - dans un État membre de l'UE
(l'État A). Il s'y rend pour y demander l'asile, et en cours de route il transite
illégalement par un autre État membre (l'État B). Après le dépôt de sa
demande, les mois passent et il s'intègre graduellement dans son pays
d'accueil. Sa nouvelle famille, avec laquelle il n'avait eu que des contacts
sporadiques par le passé, subvient à ses besoins matériels et l'entoure d'un
environnement stable et accueillant.
Entre-temps, à son insu, les autorités de l'État A découvrent qu'il a transité
par l'État B, envoient une requête de prise en charge et obtiennent une
réponse positive. La décision de transfert est mise en exécution
expéditivement. Du jour au lendemain, Z. se retrouve dans l'État B sans
logement (il ira dans un dortoir mis sur pied par une organisation caritative),
sans moyens, et sans le droit de travailler pour gagner son pain. Peu après,
confronté à une longue attente dans une situation aussi précaire, il disparaît
dans la clandestinité avant qu'il ne soit statué sur sa demande d'asile.
21 Cette affaire ne soulève point de questions juridiques au regard du
dispositif Dublin II, ni, probablement, au regard du droit au respect de la vie
familiale- Z. est un adulte, et il n'avait pas de forts liens personnels avec sa
famille établie dans l'État A. À la limite, elle met en cause la manière dont
l'État B remplit ses obligations au titre de la Directive no 2003/9 en matière
d'accueil des demandeurs d'asile 7, mais nous pouvons laisser de côté cet
aspect.
Si le juriste ne saurait critiquer la décision de transfert prise par les autorités
de l'État A, l'observateur ne peut que s'interroger sur le caractère raisonnable
du transfert et - par conséquent - du système de Dublin qui en constitue le
fondement.
22 Il est certain que ce transfert a eu des suites néfastes pour Z. L'affaire
illustre en outre la distance qui existe entre le dispositif Dublin II et les
meilleures pratiques en matière de protection des réfugiés. On pense ici aux
Conclusions n° 15 du Comité exécutif du HCR, que nous avons déjà citées
maintes fois, et qui recommandent de ne pas renvoyer un demandeur vers un
autre État pour que sa demande y soit examinée, sauf si le demandeur « a déjà
établi des liens ou entretenu des rapports étroits avec [cet] autre État» et« s'il
semble raisonnable et équitable de le faire».

7 JO 2003 L 31/18.

365
23 Mais au-delà de ces aspects, elle jette un regard sinistre sur les effets que
le dispositif Dublin II peut avoir sur le système européen de l'asile et de
l'immigration dans son ensemble.
Considérons d'abord l'affaire sous l'angle du contrôle de l'immigration. Un
demandeur d'asile, dont la résidence était connue et dont la présence ne
soulevait aucun problème d'ordre public, a été induit à entrer dans les rangs
de l'immigration irrégulière. Dans l'optique de l'État A, on pourrait rétorquer
que cet effet négatif ne s'est produit que pour l'État B, mais ce serait
évidemment ignorer que les États A et B font partie d'un même espace sans
frontières intérieures.
Ensuite, il y a lieu de considérer l'affaire sous l'angle des coûts de l'accueil.
Dans l'État A, la famille subvenait aux besoins de Z. Dans l'État B, ces
besoins auraient dû être satisfaits par les deniers publics - cet État étant tenu
de fournir à Z. les «conditions matérielles d'accueil» visées à l'article 13 de
la Directive no 2003/9. Au-delà de ses aspects «distributifs», qui peuvent
avantager certains États aux dépens des autres, le dispositif Dublin II est donc
susceptible d'alourdir globalement le «fardeau de l'accueil» si souvent
évoqué dans les textes européens (voir art. 63, n° 2 lit. b TCE), car il ignore
en bonne partie la règle de bon sens qui voudrait qu'un demandeur d'asile
puisse voir sa demande examinée là où il peut être accueilli au moindre coût
pour la collectivité.
24 Tout comme il illustre les inconvénients du dispositif Dublin II, le cas de
Z. - qui est loin d'être un cas limite - met à jour l'obstacle principal qui
s'érige sur la voie d'une réforme du système de Dublin dans le sens d'un
relâchement des critères de responsabilité. Il s'agit de la prévalence de
l'intérêt national sur l'intérêt européen.
Le dispositif Dublin II, dans l'affaire Z., a œuvré en faveur des intérêts de
l'État A, au détriment des intérêts de l'État B, de ceux du demandeur d'asile
et, dans une certaine mesure, de l'intérêt commun. Les États qui espèrent tirer
du système de Dublin un bénéfice net - i.e. qui comptent se trouver le plus
souvent dans la position de l'État A - résistent actuellement à la perspective
d'une réforme en profondeur du système. Les «faits de Malte» de 2006,
évoqués supra au chap. III, n° 110, le démontrent bien. Au mois d'avril de
cette année, le Parlement européen a invité la Commission à étudier une
réforme du système de Dublin, entraînant l'abandon de son principe central-
celui de la responsabilisation du pays d'entrée - au vu de son caractère
inéquitable vis-à-vis des États méridionaux et orientaux de l'Union.

366
La Commission, que l'on suppose bien informée sur la position des États
membres, a promptement fait savoir qu'une telle réforme serait en l'état
actuel politiquement impraticable, car les grands pays tels la France et
l'Allemagne s'y opposeraient fermement 8.
25 Le type de réforme du dispositif Dublin II, qui pourrait résoudre à la base
ses tensions avec la protection de l'unité familiale, consistant en l'abandon
des critères objectifs et formels en faveur de critères subjectifs (liberté de
choix) et/ou fondés principalement sur les attaches matérielles du demandeur
d'asile, n'est donc pas pour demain.
26 Cette circonstance souligne encore une fois l'importance d'une mise en
œuvre du Règlement no 343/2003 qui soit pleinement « conforme » aux droits
fondamentaux, puisqu'il est appelé à rester probablement en vigueur dans sa
forme actuelle pendant des années encore.
Elle indique également que le dépassement de Dublin est probablement remis
à l'heure qui verra la naissance d'un système européen d'asile véritablement
digne de ce nom. Les critères de Dublin cesseront en effet de procurer à
certains États des avantages supérieurs aux coûts de leur mise en œuvre
lorsqu'un système efficace de solidarité financière sera en place, réduisant le
«coût marginal de l'accueil» de chaque demandeur d'asile, et lorsque les
bénéficiaires des statuts de protection prévus par la législation communautaire
pourront circuler librement dans l'Union, ce qui devrait ôter beaucoup de
l'intérêt qui s'attache à la détermination de l'État responsable pour mener
l'examen de la demande de protection.
Dans un tel cadre, on peut l'espérer, il deviendra politiquement envisageable
d'abandonner des critères de responsabilité si rigides et si hostiles à la prise
en compte des intérêts légitimes des demandeurs d'asile, tel l'intérêt de jouir
et de bénéficier de la compagnie de leurs proches.

8
Voir Times of Malta du 8 avril 2006, Amendment to Dublin Convention « highly
unlikely ».

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1. Union européenne

Commission, Livre blanc sur l'achèvement du marché intérieur,


doc. COM (85) 310
Commission, Communication sur l'abolition des contrôles sur les
personnes aux frontières intra-communautaires, doc. COM (88) 640
Commission, Document de travail « Vers des normes communes en
matière de procédures d'asile», doc. SEC (1999) 271
Commission, Document de travail « Réexamen de la Convention de
Dublin », doc. SEC (2000) 522
Commission, Document de travail « Évaluation de la Convention de
Dublin», doc. SEC (2001) 756
Commission, Communication « Espace de liberté, de sécurité et de
justice: bilan du programme de Tampere et futures orientations», doc.
COM (2004) 401
Commission, Communication sur le renforcement de la coopération
pratique « Nouvelles structures, nouvelles approches : améliorer la
qualité des décisions prises dans le cadre du régime d'asile européen
commun», doc. COM (2006) 67
Conseil et Commission, Plan d'action concernant les modalités
optimales de mise en œuvre des dispositions du Traité d'Amsterdam
relatives à l'établissement d'un espace de liberté, de sécurité et de
justice, dit « Plan de Vienne » (JO 1999 C 19/1)
Conseil et Commission, Plan d'action mettant en œuvre le programme
de La Haye visant à renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans
l'Union européenne (JO 2005 C 198/1)
Conseil européen, Fontainebleau, 25 et 26 juin 1984, conclusions de la
Présidence (Bull. 6/1984, p. 10)

397
Conseil européen, Londres, 5 et 6 décembre 1986, conclusions de la
Présidence (Bull. 12/1986, p. 7)
Conseil européen, Madrid, 26 et 27 juin 1989, conclusions de la
Présidence (Bull. 6/1989, p. 8)
Conseil européen, Tampere, 15 et 16 octobre 1999, conclusions de la
Présidence (Bull. 10/1999, p. 7)
Conseil européen, Séville, 21 et 22 juin 2002, conclusions de la
Présidence (Bull. 6/2002, p. 8)
Conseil européen, Thessalonique, 19 et 20 juin 2003, conclusions de la
Présidence (Bull. 6/2003, p. 9)
Conseil européen, Bruxelles, 4 et 5 novembre 2004, conclusions de la
Présidence (Bull. 1112004, p. 9)
Conseil européen, Programme de La Haye : renforcer la liberté, la
sécurité et la justice dans l'Union européenne (JO 2005 C 5311)
Parlement européen, Rapport fait au nom de la Commission juridique
et des droits des citoyens sur le problème de droit d'asile (rapporteur:
M. VETTER), doc. PE no A2-227 /86
Parlement européen, Résolution sur la situation des camps de réfugiés
à Malte du 6 avril 2006, non encore publiée au JO

2. Conseil de l'Europe

Assemblée parlementaire, Recommandation n° 773 (1976) relative à la


situation des réfugiés de facto
Assemblée parlementaire, Recommandation n° 817 (1977) relative à
certains aspects du droit d'asile
Assemblée parlementaire, Rapport sur les conditions de vie et de
travail des réfugiés et des demandeurs d'asile (rapporteur:
M. BOHM), Documents de séance de l'Assemblée parlementaire,
1985, vol. 1, doc. 5380
Assemblée parlementaire, Recommandation n° 1016 (1985) relative
aux conditions de vie et de travail des réfugiés et des demandeurs
d'asile

398
Assemblée parlementaire, Recommandation n° 1088 (1988) relative au
droit d'asile territorial
Assemblée parlementaire, Rapport sur le droit d'asile (rapporteur:
M. FRANCK), Documents de séance de l'Assemblée parlementaire,
1994, vol. III, doc. 7052
Assemblée parlementaire, Recommandation n° 1236 (1994) relative au
droit d'asile
Comité des Ministres, Recommandation n° R (99) 23 sur le
regroupement familial pour les réfugiés et les autres personnes ayant
besoin de la protection internationale
Comité des Ministres, «Vingt principes directeurs sur le retour forcé»,
doc. CM (2005) 40
Commissaire aux droits de 1'homme, Rapport sur la situation en
matière de droits de l'homme des Roms, Sintis et Gens du voyage en
Europe, doc. CommDH(2006)1

3. HCR et Comité ExécutifHCR

Corn. Ex. HCR, Conclusion no 9 (XXVIII) 1977- Regroupement des


familles
Corn. Ex. HCR, Conclusion n° 15 (XXX) 1979 - Réfugiés sans un
pays d'asile
Corn. Ex. HCR, Conclusion n° 24 (XXXII) 1981- Regroupement des
familles
Corn. Ex. HCR, Conclusion n° 58 (XL) 1989- Problème des réfugiés
et des demandeurs d'asile quittant de façon irrégulière un pays où la
protection leur a déjà eté accordée
Corn. Ex. HCR, Conclusion n° 80 (XLVII) 1996
Corn. Ex. HCR, Conclusion n° 82 (XLVIII) 1997 - Conclusion sur la
sauvegarde de l'asile
HCR, UNHCR position on conventions recently concluded in Europe
(Dublin and Schengen Conventions), Genève, 1991
HCR, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le
statut de réfugié, Genève, 1992
HCR, The concept of «protection elsewhere », IJRL (1995), pp. 123-127

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HCR, Guidelines on policies and procedures in dealing with
unaccompanied children seeking asylum, Genève, 1997
HCR, Implementation of the Dublin Convention : sorne UNHCR
observations, Genève, 1998
HCR, Asylum applications in Europe, 1999, Genève, 2000
HCR, Revisiting the Dublin Convention - Sorne reflections by the
UNHCR in response to the Commission staff working paper, Genève,
2001
HCR, UNHCR's observations on the European Commission's proposai for
a Council Regulation establishing the criteria and mechanisms for
determining the Member State responsible for examining an asylum
application lodged in one of the Member States by a third-country
national, Genève, 2002
HCR, 2004 global refugee trends, Genève, 2005
HCR, Asylum levels and trends in industrialized countries, 2005, Genève,
2006
HCR, The Dublin II Regulation - A UNHCR discussion paper, Bruxelles,
2006

4. Comité des droits de l'homme et comité des droits de


l'enfant

Corn. DH, Observation générale no 15 (XXVII) 1986, Situation des


étrangers au regard du Pacte
Corn. DE, Observation générale no 6 (XXXIX) 2005, Traitement des
enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays
d'origine, doc. NU CRC/GC/2005/6

C. Documents et rapports émanant d'organisations et


institutions non gouvernementales

CERE, Position on the implementation of the Dublin Convention in the


light of !essons learned from the implementation of the Schengen
Convention, Bruxelles, 1997

400
CERE, Survey of the provisions for refugee family reunion in the
European Union, Bruxelles, 1999
CERE, Comments on the European Commission staff working paper
revisiting the Dublin Convention : developing Community legislation for
determining which Member State is responsible for considering an
application for asylum submitted in one of the Member States, Bruxelles,
2000
CERE, Comments from the European Council on Refugees and Exiles on
the Proposai for a Council Regulation establishing the criteria and
mechanisms for determining the Member State responsible for examining
an asylum application lodged in one of the Member States by a third
country national, Bruxelles, 2001
CERE, Broken promises - forgotten principles : an ECRE evaluation of
the development of EU minimum standards for refugee protection,
Bruxelles, 2004
CERE, Comments of the European Council on Refugees and Exiles on the
future orientations for an area of freedom, security and justice, Bruxelles,
2004
CERE, ECRE information note on the Council Decision establishing the
European Refugee Fund for the period 2005-2010, Bruxelles, 2004
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GEDAP, BIVS, Migration and asylum in the European Union 2002,
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401
Table des Matières

Remerciements............................................................................................. III

Sommaire..................................................................................................... V

Table des sigles et des abréviations ...... ........ ....... ................ ... ...... ... .... ... ..... IX

INTRODUCTION...................................................................................... 1

PREMIÈRE PARTIE : LE CONTEXTE JURIDIQUE ET


POLITIQUE DU SYSTÈME DE DUBLIN

I. Le système de Dublin et son contexte international.......................... 9


A. Le souverain territorial et la circulation internationale des
personnes ....... .. ... ..... ....... .... ............................. ... ...... .. .. .... ... ... ...... .. 9
B. Le régime international de la protection des réfugiés..................... 10
1. Le siècle des réfugiés................................................................ 10
2. La période de l'entre-deux-guerres : la naissance d'un
régime international des réfugiés.............................................. 11
3. Le deuxième après-guerre : la fondation du régime
contemporain des réfugiés ........................................................ 15
4. La mondialisation du problème des réfugiés............................ 19
C. La protection internationale des droits de l'homme........................ 24
1. Le deuxième après-guerre et la genèse du droit
international des droits de 1'homme ..... ......... .. ............. ... .... .... . 24
2. Le droit international des droits de l'homme et le droit des
réfugiés ..................................................................................... 25
3. La protection des droits fondamentaux et la souveraineté
territoriale de l'État, au-delà du principe de non-
refoulement............................................................................... 28

403
II. Le système de Dublin dans le contexte de la politique
européenne d'asile............................................................................... 31
A. La naissance d'une politique européenne d'asile et
d'immigration ................................................................................. 32
1. La crise de l'asile en Europe.................................................... 32
2. Vers l'abolition des frontières intérieures :l'Acte unique
européen et l'Accord de Schengen ........................................... 38
3. La conception du système européen de la détermination de
l'État responsable..................................................................... 42
a) Remarques liminaires......................................................... 42
b) La détermination de l'État responsable dans une
perspective de protection.................................................... 43
c) La détermination de l'État responsable, le contrôle des
mouvements migratoires et la lutte contre les abus de
l'institution de l'asile......................................................... 47
B. La phase de la coopération intergouvernementale
« informelle ». .. ........... .. ...................... ........ ... ........ .. ... .......... ....... .. . 49
1. Les travaux du « groupe des Douze » et du « groupe de
Schengen » ........... ........ ................ ........ ... ........ ... ........ ......... .. .. . 49
2. Le bilan de la coopération informelle- les Conventions de
Dublin et de Schengen.............................................................. 52
C. La phase de la « coopération en matière de justice et affaires
intérieures»..................................................................................... 54
1. Le Traité sur l'Union européenne, ou la formalisation de la
coopération en matière de justice et affaires intérieures........... 54
2. Les résultats de la CJAI............................................................ 56
3. La mise en place de l'« espace Schengen » et l'entrée en
vigueur du système européen de détermination de l'État
responsable............................................................................... 57
D. Vers l'établissement d'un« espace de liberté, de sécurité et de
justice » ........................................................................................... 61
1. Une constitutionnalisation en demi-teinte de la politique
migratoire de l'Union............................................................... 61
2. L'ELSJ- un espace à géométrie variable................................. 68
3. La mise en œuvre de la politique communautaire d'asile........ 70
4. La transformation de la Convention de Dublin en un
instrument communautaire - le Règlement Dublin II ... ........... 73
E. L'élargissement de l'Union européenne et l'avenir de l'espace
de liberté, de sécurité et de justice .... .............................................. 76

404
DEUXIÈME PARTIE : DROIT ET PRATIQUE DE LA
DÉTERMINATION DE L'ÉTAT RESPONSABLE

III. Le système de Dublin : ses principes, ses buts, son


fonctionnement ........ .. ... .. ........... .. ....... ... ...... ..... .. .... ......... ... .......... ..... .. 83
A. Le dispositif Dublin 1...... .. ..... .. ... .......... ........ .. ............... .. ...... ......... 83
1. Les dispositions de la Convention de Dublin........................... 83
a) Le champ d'application du dispositif Dublin I .................. 83
b) Les principes fondamentaux du dispositif Dublin I .. ......... 85
c) Les critères de responsabilité ......... .. ....... ... ........... ..... .. ...... 85
d) Les obligations de l'État saisi d'une demande d'asile et
de l'État responsable.......................................................... 87
e) Dispositions procédurales et administratives ...... ...... ......... 88
2. La mise en œuvre de la Convention au niveau national........... 89
a) La transposition de la Convention...................................... 89
b) Le déroulement de la procédure « Dublin » - la
position du demandeur d'asile........................................... 91
c) Les voies de recours........................................................... 92
d) La Convention de Dublin - une source de droits pour
les demandeurs d'asile?..................................................... 93
B. Le dispositif Dublin II .................................................................... 94
1. Remarques liminaires : une transition sous le signe de la
continuité .................................................................................. 94
2. Les dispositions du Règlement Dublin II................................. 95
a) Champ d'application et principes fondamentaux............... 95
b) Les critères de responsabilité .... .... .... .......... ........... ... ......... 96
c) Les obligations de l'État saisi d'une demande d'asile et
de l'État responsable.......................................................... 98
d) Dispositions procédurales et administratives ........ ... .......... 98
e) Les droits de recours ....................................................... ... 101
3. La mise en œuvre du dispositif Dublin II au niveau
national..................................................................................... 104
a) Remarques liminaires ......................................................... 104
b) Mesures législatives et d'organisation ............................... 104
c) Le déroulement de la procédure « Dublin »..... .. ...... .......... 105
d) Les voies de recours........................................................... 106
e) Le dispositif Dublin II- une source de droits pour les
demandeurs d'asile ............................................................. 107
aa. Remarques liminaires ........ ... ......... ..... ... ........... ... .... .... 107

405
bb. L'applicabilité directe et l'effet direct du
Règlement Dublin II.................................................... 108
cc. L'effet direct du dispositif Dublin II dans le cadre
de l'application des Accords d'association .................. 113
C. La nature et les objectifs du système de Dublin .............................. 116
1. Le système de Dublin et le concept de pays tiers sûrs .............. 116
2. Le système de Dublin : un instrument de protection, de
contrôle migratoire ou de burden sharing ? .. .. .... . .. . ...... ........... 117
a) Les objectifs de la Convention, d'après son préambule ..... 117
b) Les objectifs du Règlement, d'après son préambule .......... 120
c) Les objectifs du système de Dublin : remarques
conclusives ......................................................................... 121
D. Les effets du système de Dublin ..................................................... 124
1. Remarques liminaires ............•...................... . .. ...... . . ................ . 124
2. Un système en déficit d'efficacité ............................................ 125
3. Un système promouvant le« déséquilibre» des efforts ........... 128
4. Le système de Dublin et l'accès à la protection ........................ 131
5. La présomption d'équivalence des systèmes nationaux de
protection et le principe de non-refoulement............................ 132
6. Critères « formels » et liens « matériels » : le caractère
coercitif du système de Dublin................................................. 136

IV. La détermination de l'État responsable et l'unité familiale ............ 141


A. La Convention de Dublin et l'unité de la famille ............................ 144
1. L'article 4 de la Convention ......................... .. .. .... .. . . ................ 144
2. La clause de souveraineté et la clause humanitaire . ... .. ... ......... 146
a) Les dispositions de la Convention de Dublin ..................... 146
b) Les pratiques nationales d'application (1997-2000) .......... 147
aa. Remarques liminaires .... ......... ...... ... . .. ...... . .. .... ............ 147
bb. L'application de la clause de souveraineté .................. 147
cc. L'application de la clause humanitaire ........................ 150
c) La Décision n° 1/2000 du Comité de l'article 18 ............... 152
aa. Remarques liminaires ................. ... ... .. ..... .. . .... ... .......... 152
bb. Le contenu de la Décision............................................ 152
cc. La valeur juridique de la Décision n° 1/2000 .............. 154
dd. L'impact de la Décision n° 1/2000 .............................. 156
3. La Convention de Dublin et l'unité de la famille :
remarques conclusives .............................................................. 157
B. Le Règlement Dublin II et l'unité de la famille .............................. 160
1. Remarques liminaires ......... .......... ................ .. ...... .. . .. ............... 160

406
2. La nouvelle définition de «membre de la famille» ................. 161
3. Les critères visant à prévenir la rupture de l'unité de la
famille des demandeurs d'asile ................................................ 164
4. Les critères visant à rapprocher les membres d'une même
famille ................................ .......................... ......... ................... 168
a) Les critères applicables aux mineurs non accompagnés .... 168
b) Les critères d'application générale..................................... 170
5. La clause de souveraineté et la clause humanitaire .................. 173
6. Le Règlement Dublin II et l'unité de la famille : remarques
conclusives .... .. .. .... ....... ... ............... .. .... ............. ...... .... ........ ..... 179
a) Les avancées limitées du Règlement Dublin II en
matière de protection de l'unité familiale .......................... 179
b) Les logiques du nouveau régime : contrôle migratoire
c. protection de l'unité familiale ........................................ 181
c) Les principales lacunes du régime établi par le
Règlement.......................................................................... 182

TROISIÈME PARTIE : LES RÈGLES DE DUBLIN ET LES


DROITS FONDAMENTAUX

V. Le dispositif Dublin II et les droits fondamentaux -


encadrement systématique .................................................... ;............. 187
A. Le dispositif Dublin II et les droits fondamentaux tels que
protégés par l'ordre juridique communautaire................................ 187
1. Les droits fondamentaux dans 1' ordre juridique
communautaire .. .......... ........ .............. ... ... ...... ..... .. ..... ... ......... .. . 187
2. La valeur normative des principes généraux du droit
communautaire .... ..... ...... ... ... .... ... ................... ......... .. .......... .. ... 190
3. Les droits fondamentaux et les mesures communautaires
en matière d'asile ...................................................................... 192
B. Le dispositif Dublin II et les obligations internationales des
États participant à sa mise en œuvre ........ .... ... ...... ........ .... .... ......... . 195
1. Obligations communautaires et obligations internationales ..... 195
2. La CEDH et le dispositif Dublin II .......................................... 196
C. Le dispositif Dublin II et les droits fondamentaux : remarques
conclusives ...................................................................................... 201

407
VI. Le droit au respect de la vie familiale et le dispositif Dublin II....... 205
A. Droit au respect de la vie familiale et contrôle de l'iriunigration
-aspects généraux··········~······························································· 209
1. Vie familiale, vie privée et contrôle de l'immigration .............. 209
2. Les liens constitUtifs d'une vie familiale au sens de
l'article 8 CEDH .............................. :........................................ 214
a) Remarques liminaires ......................................................... 214
b) Les rapports de couple et de filiation .. ................... ... ..... . . .. 215
c) Les autres liens de parenté potentiellement constitUtifs
d'une vie familiale au sens de l'article 8 CEDH ................ 219
d) Les rapports entre adultes et les rapports familiaux
protégés au titre du droit au respect de la vie privée.......... 222
3. Les obligations découlant de l'article 8 CEDH ........................ 223
a) Obligations négatives et obligations positives ................... 223
b) La natUre de 1' obligation· et les modalités du contrôle
sur son observation............................................................. 224
c) L'application de la distinction entre obligations
négatives et positives au contentieux de l'immigration ..... 226
d) Marge d'appréciation nationale et contrôle européen
sur l'observation de l'article 8 CEDH ................................ 231
B. Le droit au respect de la vie familiale et l'éloignement des
étrangers résidants ........... ~······························································· 236
1. La qualification de la mesure litigieuse en tant
qu'ingérence ............................................................................. 236
2. ta justification de la mesure litigieuse au regard de
l'article 8 § 2 CEDH- aspects généraux .................................. 237
3. Le test de proportionnalité ........................................................ 239
a) Remarques liminaires ......................................................... 239
b) Les circonstances pertinentes pour évaluer la gravité
de l'ingérence..................................................................... 240
c) Les circonstances pertinentes pour apprécier l'intensité
de l'intérêt public à ce que l'étranger soit éloigné ............. 246
d) La mise en balance des intérêts.......................................... 249
C. Le droit au respect de la vie familiale et l'admission au séjour
des étrangers .................................................................. ;................ 253
1. Les principes généraux régissant la matière............................. 253
2. Les circonstances pertinentes················'·································· 255
3. La mise en balance des intérêts ................................................ 258
a) Remarques liminaires: une jurisprudence en évolution .... 258
b) Le moment fondateur: l'arrêt Abdulaziz, Cabales et
Balkandali .............................. ..... ........... ..... .. ............ ..... .. .. 258

408

-----1
c) Une évolution dans le sens de la sévérité : les arrêts
Gül et Ahmut ...................................................................... 259
d) L'état de la jurisprudence après l'arrêt Ahmut ................... 263
e) L'arrêt Sen : moment fondateur d'une nouvelle
orientation.......................................................................... 265
D. Droit au respect de la vie familiale et contrôle de l'immigration
- remarques conclusives .. . ....... ........ .. .... ..... ......... ........ ........... .... ... . 269
E. La définition de « membre de la famille » valable aux fms du
Règlement Dublin II - un réexamen à la lumière des droits
fondamentaux .................................................................................. 271
1. Remarques liminaires ............................................................... 271
2. La systématique des droits fondamentaux, cadre
interprétatif des dispositions du Règlement Dublin Il .............. 271
3. L'« existence» des rapports familiaux ..................................... 272
4. Les dispositions relatives aux enfants demandeurs d'asile ....... 273
F. La compatibilité du dispositif Dublin II avec le droit au respect
de la vie familiale ............................................................................ 278
1. Remarques liminaires ............................................................... 278
2. L'applicabilité de l'article 8 CEDH aux atteintes à l'unité
familiale résultant de l'application du dispositif Dublin II... .... 279
3. Le terrain d'analyse des mesures d'exécution du dispositif
Dublin II portant atteinte à l'unité familiale ............................. 281
4. L'application des critères de responsabilité, source
potentielle de violations du droit au respect de la vie
familiale? ................................................................................. 283
a) Remarques liminaires ......................................................... 283
b) Les liens constitutifs d'une « vie familiale » pouvant
être affectés par l'application des critères .......................... 283
c) L'origine volontaire ou involontaire de la rupture de
l'unité familiale et les critères de responsabilité ................ 286
d) Le caractère temporaire ou durable des atteintes à
l'unité familiale dérivant de l'application des critères ....... 287
e) La nature et l'intensité de l'intérêt public sous-jacent
aux critères de responsabilité ... .... .......... ...... ..... ... ...... .... ... . 291
f) L'application des critères de responsabilité, source
potentielle de violations du droit au respect de la vie
familiale ..... ....... .. .. ....... .... ... .. ....... ... .......... ... .... ... ....... .... ... . 294

409
5. Modalités d'application « conforme » des clauses de
souveraineté et humanitaire ...................................................... 295
a) Typologie des situations de (potentielle) violation de
l'article 8 CEDH dérivant de l'application du dispositif
Dublin IL............................................................................ 295
b) Le premier cas de figure : obligation de faire recours à
la clause de souveraineté.................................................... 297
c) Le deuxième cas de figure : obligation d'accepter une
requête de transfert au titre de la clause humanitaire ... .. ... . 297
d) Le troisième cas de figure : obligation d'émettre une
requête au sens de l'article 15 RD ..................................... 299
e) Le quatrième cas de figure : obligation de ne pas
utiliser la clause de souveraineté........................................ 300
G. L'interdiction de discrimination dans la jouissance du droit au
respect de la vie familiale et le dispositif Dublin II ........................ 301
1. Remarques liminaires ... .......... ... .. ... ...... ..... ... . ... ... ... ......... ... .. .... 301
2. L'article 14 CEDH- droit complémentaire et autonome ......... 302
3. Les dispositions du Règlement Dublin II sont-elles
discriminatoires ? ............. ....... .. ....... ....... .. .... .. .... .. ............ ... .. .. . 307
H. Le droit au respect de la vie familiale et le dispositif Dublin II :
remarques conclusives ........................................ .. ......................... . 31 0

VII. Le dispositif Dublin II et les droits procéduraux des


demandeurs d'asile............................................................................ 313
A. La protection des droits fondamentaux et le déroulement des
procédures administratives d'application du dispositif
Dublinii. ......................................................................................... 315
1. Remarques liminaires ................... .............. ... ........................... 315
2. Les garanties procédurales explicites de dérivation
conventionnelle......................................................................... 315
a) Remarques liminaires ......................................................... 315
b) Les garanties procédurales en matière d'expulsion
individuelle .. .............................. ..... ... .... .. .. ... ............ ... .. .. .. 316
c) Les garanties procédurales dérivant de la Convention
relative aux droits de l'enfant... .......................................... 320
3. Les garanties procédurales inhérentes au droit au respect
de la vie familiale ..................................................................... 325
4. Les garanties procédurales de source communautaire .............. 332
a) Remarques liminaires......................................................... 332
b) Le droit d'être entendu ....................................................... 333

410
c) Le droit d'être entendu dans le contexte du Règlement
Dublin Il ............................................................................. 335
5. La protection des droits fondamentaux et le déroulement
des procédures administratives d'application du dispositif
Dublin II : remarques conclusives ............................................ 338
B. Le droit à un recours effectif et le dispositif Dublin II ..... ............ .. 341
1. Remarques liminaires............................................................... 341
2. Le droit à un recours « effectif » tel que garanti par
l'article 13 CEDH ..................................................................... 341
3. Le droit à un recours« utile» tel que garanti par le PIDCP ..... 347
4. Le droit à un recours juridictionnel effectif en tant que
principe général de droit communautaire ................................. 348
5. Le droit à un recours effectif et le dispositif Dublin II :
remarques conclusives .............................................................. 351
C. Le dispositif Dublin II et les droits procéduraux des
demandeurs d'asile: remarques conclusives .................................. 354

CONCLUSIONS GÉNÉRALES ............................................................... 357


A. La méconnaissance de la valeur de l'unité familiale dans le
droit et la pratique de la détermination de l'État responsable ......... 358
B. L'application « conforme » du dispositif Dublin II : un
impératif juridique oublié ? ............................................................. 359
C. Les perspectives de réforme du système de Dublin ........................ 364

Bibliographie .......................................... .... .................. ............... ................ 369

Table des matières ................... .................................. ............. ......... ............ 403

ANNEXE : RÉSUMÉ DE LA THÈSE EN LANGUE ITALIENNE ..... 413

411

--- ---.--] '.,-----


UNIVERSITÉ DE LAUSANNE UNIVERSITÀ DEGLI STUDI DI MILANO
Faculté de droit Facoltà di giurisprudenza
et des sciences criminelles Istituto di diritto internazionale
Corso di dottorato di ricerca in diritto internazionale,
XVIII ciclo, settore disc. ius/13
Coordinatore : Prof. Marco Pedrazzi

L'unità familiare ed il sistema di Dublino

Tra gestione dei flussi migratori e tutela


dei diritti fondamentali

RIASSUNTO DELLA TESI DI DOTTORATO


presentata da

Francesco MAIANI
Dottore in giurisprudenza, LL.M. in diritto europeo

Sotto la direzione dei Professori

Roland BIEBER Bruno NASCIMBENE

413
Nota metodologica: nella stesura di questo riassunto, l'autore ha
per quanto possibile rispettato la struttura della versione integrale
della tesi. È parso tuttavia opportuno accorpare o, in casi
eccezionali, sopprimere taluni passaggi. Per ragioni di spazio,
l'apparato delle note a pié di pagina non è stato qui riprodotto. Per i
riferimenti giurisprudenziali e dottrinali, si rinvia al testo integrale
della tesi.

414

---.-,.1
Sommario

Abbreviazioni ............................................................................................. .417


Introduzione ............................................................................................... .419
I. Il contesto giuridico internazionale del sistema di Dublino ...... .420
n. Il sistema di Dublino nel contesto della politica europea in
materia d'asilo ............................................................................... 421
A. Introduzione .............................................................................................. 421
B. La nascita di una politica europea in materia d'asilo ed immigrazione. 422
C. La politica europea in materia d'asilo: 1987-1999 ................................. 424
D. Verso l'istituzione di uno "Spazio di libertà, sicurezza e giustizia" ..... .426
m. Il sistema di Dublino: principi, obiettivi, funzionamento .......... .428
A. Introduzione .............................................................................................. 428
B. Diritto e pratica della determinazione dello Stato competente (Dublino I
e 11) ............................................................................................................ 428
c. Gli obiettivi del sistema di Dublino ......................................................... 432
D. n sistema di Dublino: problemi applicativi ............................................. 435
IV. La determinazione dello Stato competente e l'unità familiare ..437
A. Introduzione .............................................................................................. 437
B. n sistema "Dublino l" e l'unità familiare ............................................... .438
C. n sistema "Dublino Il" e l'unità familiare ............................................... 439
v. Le "regole di Dublino" ed i diritti fondamentali - inquadramento
sistematico ...................................................................................... 444
A. Introduzione .............................................................................................. 444
B. I diritti fondamentali quali parte integrante dell'ordinamento giuridico
comunitario ............................................................................................... 444
c. n rispetto dei diritti fondamentali in quanto obbligo internazionale degli
Stati membri ed associati. ......................................................................... 445
D. n sistema "Dublino II" e i diritti fondamentali: quadro d'insieme......... 446

415
VI. n sistema ''Dublino ll'' ed il diritto al rispetto della vita familiare
....................................... :................................................................ 447
A. Introduzione (premessa metodologica) ................................................... 447
B. n diritto al rispetto della vita familiare e l'immigrazione ....................... 448
C. La definizione di "membro della famiglia" nel Regolamento Dublino n,
alla luce della sistematica dei diritti fondamentali .................................. 453
D. La compatibilità del sistema "Dublino n" con il diritto al rispetto della
vita familiare ............................................................................................. 455
E. Osservazioni conclusive ........................................................................... 459
Vll. n sistema "Dublino ll" ed i diritti procedurali dei richiedenti
asilo ................................................................................................. 460
A. Introduzione .................. ,........................................................................... 460
B. Le garanzie procedurali afferenti allo svolgimento delle procedure
amministrative di determinazione.dello Stato competente ..................... 460
C. La tutela contenziosa contro le misure di esecuzione del Regolamento
Dublino n .................................................................................................. 464
Conclusioni generali ................................................................................... 467
A. Determinazione dello Stato competente e tutela dell'unità familiare: una
relazione conflittuale ................................................................................ 467
B. L'imperativo dell'applicazione conforme del Regolamento Dublino n ..... .
................................................................................................................... 468
C. Le prospettive di riforma del sistema di Dublino .................................... 469

416
Abbreviazioni

ACNUR Alto Commissariato delle Nazioni Unite per i Rifugiati


CD Convenzione di Dublino
CDF Convenzione sui diritti del fanciullo
CEDU Convenzione europea dei diritti dell'uomo
cf. confer
CG Convenzione di Ginevra sullo status dei rifugiati
CGCE Corte di giustizia delle Comunità europee
cons. considerandum del preambolo o della motivazione
CorteEDU Corte europea dei diritti dell'uomo
GC Grande Camera (formazione della Corte EDU)
GU Gazzetta ufficiale delle Comunità europee, divenuta
Gazzetta ufficiale dell'Unione europea
np non pubblicato l a
PID CP Patto internazionale relativo ai diritti civili e politici
RD Regolamento no 343/2003 (Regolamento Dublino II)
RS Raccolta sistematica del diritto federale svizzero
TCE Trattato istitutivo della Comunità europea
TUE Trattato sull'Unione europea

417
Introduzione
1 Le migrazioni forzate presentano quasi sempre dei risvolti attinenti alla
sfera familiare. Sovente, la fuga dal paese d'origine separa il migrante dalla
sua famiglia. Talvolta questi cerca, nell'esilio, di raggiungere suoi familiari
già stabiliti in un paese straniero. Talaltra, egli stringe nuovi rapporti nel
paese che, in modo stabile o precario, gli offre rifugio. Questa gamma di
situazioni non conosce che una costante: più d'ogni altro, il migrante forzato
- traumatizzato dall'esilio, in cerca di nuove basi su cui ricostruire la propria
esistenza - necessita della presenza e del sostegno dei suoi familiari.
2 L'importanza della famiglia per lo sviluppo ed il benessere di ogni
individuo è universalmente riconosciuta, ed è in particolare affermata con
forza in numerosi bills of rights internazionali, europei e nazionali. Tuttavia,
laddove la pretesa alla ricostituzione o al mantenimento dell'unità familiare è
avanzata dallo straniero, la logica dei diritti fondamentali incontra un limite in
quella del controllo migratorio, come dimostra la reticenza degli Stati, ed in
particolare degli Stati industrializzati, ad assumere obblighi stringenti in
materia di ricongiungimento familiare.
3 · La tensione fra queste due logiche concorrenti traversa e caratterizza
l'impianto normativa del c.d. "sistema di Dublino", un sistema di criteri e
meccanismi volto ad attribuire all'uno o all'altro degli Stati membri
dell'Unione europea la competenza per l'esame delle domande d'asilo
presentate, nell'Unione, da cittadini di paesi terzi. Tale tensione è evidenziata
già dalla motivazione del Regolamento CE no 343/2003 (GU 2003 L 50/1,
"Regolamento Dublino II" o "RD"), l'atto normativa che ad oggi disciplina la
materia, il cui sesto considerando recita: "L'unità del nucleo familiare
dovrebbe essere preservata, nella misura compatibile con gli altri obiettivi
perseguiti [dal Regolamento]". Essa emerge con ancora maggiore chiarezza
dalla prassi applicativa del sistema di Dublino, costellata di casi in cui l'unità
delle famiglie dei richiedenti asilo è sacrificata al perseguimento di tali "altri
obiettivi".
Al di là di ogni valutazione sul piano morale ed umano, tale circostanza
solleva dei dubbi sulla compatibilità del sistema di Dublino con il diritto al
rispetto della vita familiare, garantito in particolare dalla Convenzione
europea dei diritti dell'uomo (qui di seguito "CEDU").
4 Questa è la problematica affrontata nel presente studio, che si compone di
tre parti. La prima parte (capitoli l e 2) mira ad illustrare il contesto politico e
giuridico del sistema di Dublino ed a descriverne l'evoluzione normativa. La
seconda parte (capitoli 3 e 4) è dedicata all'esame dei suoi principi e della
sua prassi applicativa, con particolare riguardo al suo impatto sull'unità
familiare. Nella terza parte (capitoli 5, 6 e 7), infine, le "regole di Dublino"
sono analizzate alla luce del diritto europeo ed internazionale dei diritti
fondamentali, che come si vedrà arricchisce considerevolmente la loro trama
normativa.

I. Il contesto giuridico internazionale del sistema di Dublino


5 Punto di partenza della nostra trattazione è il principio, universalmente
riconosciuto, secondo il quale lo Stato ha il diritto di controllare l'ingresso
ed il soggiorno degli stranieri sul proprio territorio, ed eventualmente di
escluderli od allontanarli da esso. Tale principio è un presupposto essenziale
del sistema di Dublino, che contempla il trasferimento dei richiedenti asilo da
uno Stato membro all'altro.
La prerogativa statale di escludere ed espellere lo straniero non è assoluta.
Essa incontra dei limiti - di cui risentono egualmente le regole di Dublino,
come si vedrà diffusamente in seguito - derivanti, in particolare, dalle
convenzioni internazionali relative allo status dei rifugiati ed alla
salvaguardia dei diritti dell'uomo.
6 Il diritto internazionale dei rifugiati, le cui origini risalgono al primo
dopoguerra, ha oggi il suo principale fondamento normativo nella
Convenzione di Ginevra del 18 luglio 1951, integrata dal Protocollo di New
York del 31 gennaio 1967 ("Convenzione di Ginevra", "CG"). Come è noto,
la Convenzione non obbliga le sue Parti contraenti ad ammettere sul proprio
territorio le persone rientranti nella definizione di "rifugiato" di cui al suo
art. lA, né a concedere loro l'asilo. Essa vieta, tuttavia, il loro allontanamento
verso i confini di territori in cui la loro vita o la loro libertà sarebbero
minacciate (art. 33, co. l CG: principio di non-refoulement). Tale obbligo,
preme sottolinearlo, sussiste in linea di principio anche nei confronti delle
persone che il Regolamento Dublino II definisce "richiedenti asilo" (art. 2
lett. d RD: "[i] cittadin[i] di un paese terzo che ha[nno] presentato una
domanda d'asilo in merito alla quale non è stata ancora adottata una decisione
definitiva"). Ai sensi della Convenzione, infatti, una persona acquista la
qualità di rifugiato nel momento in cui viene a trovarsi nella condizione
descritta dall'articolo l A CG. La decisione con cui uno Stato riconosce
formalmente tale qualità interviene necessariamente in un momento
successivo, ed ha portata esclusivamente dichiarativa. Sintetizzando

420
all'estremo, può dirsi che un "richiedente asilo" è, ai fini dell'applicazione
della Convenzione, un "rifugiato presunto" che beneficia del principio di non
refoulement sino a che lo Stato non accerti, eventualmente, il contrario.
7 Come si è accennato, diverse convenzioni internazionali in materia di
diritti dell'uomo, ed in particolare la CEDU ed il Patto internazionale
relativo ai diritti civili e politici (qui di seguito "il Patto" o "PIDCP"),
pongono ulteriori limiti alla potestà dello Stato in materia di ingresso e
soggiorno degli stranieri.
8 Vengono in considerazione, innanzitutto, le loro disposizioni
espressamente riferite a tale materia, per es. l'articolo 4 del Protocollo
addizionale no 4 alla CEDU, che vieta le espulsioni collettive, nonché gli
articoli l del Protocollo no 7 CEDU e 13 PIDCP, che definiscono talune
garanzie procedurali in materia di espulsione individuali.
9 Né queste né altre disposizioni della CEDU o del Patto obbligano
espressamente gli Stati contraenti ad ammettere uno straniero sul loro
territorio, o a non espellerlo. Simili obblighi discendono tuttavia,
indirettamente ("par ricochet"), dal riconoscimento di altri diritti
fondamentali. La proibizione della tortura e dei trattamenti inumani e
degradanti (artt. 3 CEDU e 7 PIDCP) comporta, in particolare, il divieto di
espellere o estradare uno straniero verso un paese nel quale egli rischi di
andare soggetto a simili trattamenti. Inoltre, le disposizioni che proteggono il
diritto al rispetto della vita familiare (in particolare: art. 8 CEDU, artt. 17 e 23
PIDCP), esigono, a determinate condizioni, l'ammissione di uno straniero nel
territorio nel quale vivono membri della sua famiglia, o di converso vietano la
sua espulsione da tale territorio.
10 L'interazione fra tutela dei diritti fondamentali e potestà di espulsione ed
esclusione dello Stato, che costituisce un tema fondamentale del presente
studio, sarà analizzata in maggior dettaglio, e con riferimento specifico
all'applicazione delle "regole di Dublino", infra, ai numeri 97 ss.

II. n sistema di Dublino nel contesto della politica europea in


materia d'asilo

A. Introduzione
11 Nelle pagine che seguono, saranno brevemente richiamate le pm
importanti fasi dell'evoluzione della politica europea in materia d'asilo. In
tale cornice, sarà esaminato il processo di conceptimento, elaborazione e

421
sviluppo del sistema europeo di determinazione dello Stato competente, filo
conduttore di detta politica dalle sue origini sino ai nostri giorni.

B. La nascita di una politica europea in materia d'asilo ed


immigrazione
12 La nascita della politica europea in materia d'asilo risale alla seconda
metà degli anni ottanta.
13 Il suo contesto è quello della "crisi dell'asilo", determinata da un lato dal
sempre maggiore afflusso di richiedenti asilo registrato, sin dalla fine degli
anni settanta, in un numero via via crescente di paesi d'Europa occidentale, e
dall'altro dalla contestuale revisione in senso restrittivo delle politiche
migratorie di tali paesi.
L'aumento delle domande d'asilo determina, negli Stati interessati, un brusco
incremento dei costi di accoglienza, ritardi notevoli nelle procedure di
determinazione dello status di rifugiato, crescenti difficoltà nel rimpatriare gli
stranieri la cui domanda d'asilo è stata respinta. Tali problemi oggettivi si
legano alla percezione, sempre più avvertita dall'opinione pubblica e dalla
classe politica di questi Stati, di un sistematico "abuso" dell'istituto dell'asilo.
Si diffonde infatti l'idea che una parte sostanziale dei "nuovi rifugiati" -
provenienti perlopiù da regioni meno prospere del mondo (l'America latina, il
sud-est asiatico, in seguito i Balcani occidentali, ecc.) - ricorrano alla
presentazione di una domandà d'asilo come ad un espediente per aggirare le
restrizioni all'immigrazione economica.
14 Gli Stati via via interessati da tali fenomeni reagiscono in maniera
difensiva. Proliferano in Europa legislazioni e pratiche "emergenziali", che
consacrano l'irruzione delle tecniche del controllo dell'immigrazione nel
settore della protezione internazionale (estensione dell'obbligo di visto
d'entrata, introduzione di regimi di carrier liability, riduzione delle garanzie
inerenti alle procedure d'asilo, ecc.). Nel corso degli anni ottanta, si
affermano in particolare nelle legislazioni e pratiche nazionali i concetti di
"paese di primo asilo" e di "paesi terzi sicuri", che contemplano
rispettivamente il rinvio del richiedente asilo - senza esame nel merito della
sua domanda - verso un paese terzo in cui egli ha già ottenuto, o avrebbe
potuto chiedere, asilo.
15 Tale evoluzione provoca principalmente due conseguenze: un sensibile
degrado delle condizioni giuridiche e materiali dei richiedenti asilo in Europa,
ed un fenomeno di "deviazione" dei flussi di richiedenti asilo dai principali
Stati di.destinazione verso gli Stati limitrofi, a loro volta indotti ad adottare

422
politiche restrittive in materia d'asilo ("race to the bottom"). In questo
contesto, le due Assemblee parlamentari europee - il Parlamento europeo e
l'Assemblea parlamentare del Consiglio d'Europa - si fanno promotrici
dell'elaborazione di una politica europea equilibrata e solidale in materia
d'asilo. Ma la crisi dell'asilo non determina l'avvio della cooperazione
europea in materia, costituendone piuttosto la cornice. Tale processo viene
intrapreso, fra i soli Stati membri della CEE, come corollario di un progetto
politico di diversa natura e di più vasta portata: la creazione di uno "spazio
senza frontiere interne".
16 Con l'entrata in vigore dell'Atto unico europeo (GU 1987 L 169), tale
progetto politico diviene formalmente un obiettivo della Comunità (art. 8 A
Trattato CEE divenuto, in seguito a modifica, art. 14 TCE).
Secondo l'opinione condivisa dalle istituzioni europee e dagli Stati membri,
l'abolizione dei controlli sulle persone alle frontiere interne è destinata a
determinare un deficit di sicurezza e di controllo sui movimenti migratori. La
sua realizzazione richiede dunque la preventiva adozione di misure "di
accompagnamento" in vari settori (controlli alle frontiere esterne,
immigrazione, asilo, lotta alla criminalità), che tale deficit dovrebbero
compensare. È in tale prospettiva, rigidamente ispirata a motivi di sicurezza,
che prende avvio il lungo e difficile processo di elaborazione di una politica
europea in materia d'asilo.
17 Poiché il Trattato CEE non attribuisce espressamente alla Comunità il
potere di agire nelle materie succitate, e stante l'opposizione degli Stati
membri alla loro "comunitarizzazione", l'elaborazione delle misure di
accompagnamento viene inizialmente intrapresa nel quadro della
cooperazione informale fra Stati membri, "a margine" del sistema
istituzionale comunitario.
18 Peraltro, l'entrata in vigore dell'Atto unico europeo e l'avvio della
cooperazione in materia di migrazione e sicurezza sono preceduti da
un'analoga iniziativa lanciata da cinque Stati membri (Germania, Francia e
paesi del BENELUX) con la firma dell'Accordo di Schengen del 14 giugno
1985 (GU 2000 L 239/13). L'Accordo prevede l'abolizione graduale delle
frontiere comuni agli Stati contraenti, ed li impegna all'elaborazione di
"misure di accompagnamento" nelle materie citate al D 0 16 (v. artt. 17 ss).
19 Sia le Assemblee parlamentari europee, sia gli attori coinvolti nella
cooperazione intergovernativa "a Dodici" ed "a Cinque", includono nel
novero degli elementi necessari della (futura) politica europea in materia

423
d'asilo l'adozione di regole relative alla determinazione dello Stato
competente per l'esame delle domande d'asilo.
Le Assemblee parlamentari si pronunciano in tal senso essenzialmente in
un'ottica di protezione, riprendendo la posizione espressa a più riprese dal
Comitato Esecutivo dell' ACNUR (v. spec. la Conclusione no 15
(XXX) 1979). L'adozione di criteri di competenza mira, in tale prospettiva, a
garantire che i richiedenti asilo abbiano accesso ad una procedura di
determinazione dello status di rifugiato, e ad evitare che essi vengano a
trovarsi nella condizione di "rifugiati in orbita" (rinviati da uno Stato all'altro,
senza che nessuno di essi si riconosca competente per l'esame della loro
domanda d'asilo). È opportuno ricordare che nell'Europa degli anni ottanta le
situazioni di "orbita" si erano moltiplicate a causa del ricorso sempre più
indiscriminato degli Stati europei ai concetti di "paese di primo asilo" e di
"paesi terzi sicuri" (cf. supra, no 14). Sempre in un'ottica di protezione,
l'adozione di criteri di competenza può in astratto favorire un'equa
ripartizione del "fardello" dell'accoglienza fra Stati, riducendo così la loro
propensione alla "race to the bottom" in materia di protezione (cf. supra,
n° 15).
L'adozione di regole in materia di determinazione dello Stato competente
assume un altro significato nella cornice del processo d'instaurazione di uno
"spazio senza frontiere". Essa è la "misura d'accompagnamento" per
eccellenza in materia d'asilo, ed il suo scopo precipuo, in tale prospettiva, è
quello di prevenire due forme specifiche di (presunto) "abuso" dell'asilo, rese
più agevoli dall'abolizione dei controlli alle frontiere interne: la presentazione
di domande d'asilo successive o parallele presso più Stati membri ("domande
multiple"), e lo sfruttamento dell'assenza di controlli alle frontiere per
presentare la propria domanda d'asilo nello Stato considerato più attraente,
per ragioni economiche, o perché offre un sistema di accoglienza e protezione
più generoso ("asylum shopping").

C. La politica europea in materia d'asilo: 1987-1999


20 La prima fase della politica d'asilo, come si è detto, si svolge in ambito
intergovernativo, nel quadro della cooperazione informale "a Dodici" e del
"gruppo Schengen". Nell'uno e nell'altro contesto, i lavori si svolgono
senza alcuna garanzia di trasparenza e di partecipazione democratica, e sono
dominati, per quanto riguarda le problematiche dell'asilo, dalla dottrina
securitaria delle "misure d'accompagnamento" (cf. supra, no 16).
21 L'unico testo giuridicamente vincolante prodotto dalla cooperazione dei
Dodici è la Convenzione "sulla determinazione dello Stato competente per

424
l'esame di una domanda d'asilo presentata in uno degli Stati membri delle
Comunità europee", firmata a Dublino il15 giugno 1990 (GU 1997 C 254/1;
"Convenzione di Dublino" o "CD"). Persistenti contrapposizioni fra Stati
membri impediscono invece ogni progresso sulla strada dell'eliminazione
delle frontiere interne. I lavori del gruppo Schengen raggiungono invece
pienamente il loro obiettivo. Il 19 giugno 1990 viene sottoscritta la
Convenzione di applicazione dell'Accordo di Schengen (GU 2000 L 239/19;
"Convenzione di Schengen"). Il suo articolo 2 porta abolizione dei controlli
sulle persone alle frontiere interne, ed i suoi articoli 3-130 istituiscono
l'insieme delle "misure di accompagnamento" (norme in materia di
attraversamento delle frontiere esterne, di cooperazione di polizia, ecc.). Il
Capitolo 7 del Titolo II ("Responsabilità per l'esame delle domande d'asilo")
ha il medesimo oggetto e per l'essenziale il medesimo contenuto della
Convenzione di Dublino.
22 Con il Trattato sull'Unione europea, firmato a Maastricht il l o febbraio
1992 ed entrato in vigore il l o novembre 1993 (GU 1992 C 191), le questioni
oggetto della cooperazione informale "a Dodici" vengono ricondotte nella
sfera di competenza delle istituzioni dell'Unione. In particolare, l'asilo viene
incluso nel novero delle "questioni di interesse comune" oggetto della
"cooperazione nei settori della giustizia e degli affari interni" ("CGAI")
prevista dal Titolo VI TUE (''terzo pilastro" dell'Unione europea). Senza
voler sminuire la rilevanza politica di tale passaggio, deve rilevarsi che il
Trattato di Maastricht si limita per l'essenziale a "formalizzare" la
cooperazione degli anni precedenti, senza innovare in profondità il suo
inquadramento istituzionale e concettuale.
23 La "nuova" CGAI non produce nessuna nuova misura vincolante in
materia d'asilo. Il periodo successivo all'entrata in vigore del Trattato di
Maastricht è caratterizzato, piuttosto, dall'entrata in vigore degli strumenti
internazionali approvati in precedenza.
Fra ill990 ed ill996, aderiscono alla Convenzione di Schengen tutti gli Stati
membri dell'DE, inclusi i tre che entrano nell'Unione nel 1995, con la sola
eccezione dell'Irlanda e del Regno Unito. L'adesione agli Accordi di
Schengen della Danimarca, della Finlandia e della Svezia rende peraltro
necessaria l'associazione anche dell'Islanda e della Norvegia, al fine di
salvaguardare l 'Unione nordica dei passaporti.
La Convenzione di Schengen viene posta in applicazione il 26 marzo 1995, in
soli sette Stati contraenti, e fra il 1998 ed il 2000 in tutti gli altri Stati
contraenti ed associati. Il suo capitolo relativo alla determinazione dello Stato
competente resta tuttavia in vigore solamente sino all'entrata in vigore della

425
Convenzione di Dublino (l o settembre 1997). Alla data del l o gennaio 1998,
quest'ultima è in vigore in tutti gli Stati membri dell'DE. Vengono inoltre
associate alla sua applicazione la Norvegia e l'Islanda, in virtù di un Accordo
di associazione firmato il 19 gennaio 2001 ed entrato in vigore il l o aprile
dello stesso anno (GU 2001 L 93/38).

D. Verso l'istituzione di uno "Spazio di libertà, sicurezza e giustizia"


24 Il Trattato di Amsterdam, sottoscritto il 2 ottobre 1997 ed entrato in
vigore il l o maggio 1999 (GU 1997 C 340), riforma integralmente il quadro
giuridico delle politiche precedentemente oggetto della CGAI. L'azione
dell'Unione nelle materie della sicurezza e dell'immigrazione s'inquadra
ormai nell'obiettivo di istituire uno "spazio di libertà, sicurezza e giustizia", e
tale innovazione viene accompagnata dalla "comunitarizzazione" della gran
parte di tali materie (in particolare: attraversamento delle frontiere, asilo ed
immigrazione: artt. 61-63 TCE). Inoltre, il Trattato di Amsterdam mette fine
alla duplicazione di strutture determinata dall'esistenza del "gruppo
Schengen". Il c.d. acquis di Schengen viene infatti "integrato nell'ambito
dell'Unione europea".
25 La politica europea in materia d'asilo viene così rifondata, combinando
elementi di conservazione ed elementi di innovazione.
Sul piano dei principi e degli obiettivi, il Trattato di Amsterdam conserva e
formalizza il concetto di "misure d'accompagnamento" alla libera
circolazione (art. 61 lett. a TCE), ma al tempo stesso segna il suo parziale
superamento (art. 61 lett. b TCE), ed il bilanciamento della sua logica
securitaria con la logica della tutela dei diritti fondamentali e della solidarietà
fra Stati membri (artt. 6 par. l TUE, 63 n° l e no 2 lett. b TCE).
Il nuovo articolo 63 TCE enumera in dettaglio le misure che la Comunità
deve adottare nei settori dell'asilo, della protezione internazionale e
dell'immigrazione, ed assegna al Consiglio un termine perentorio (l o maggio
2004) per la sua attuazione.
La comunitarizzazione della politica d'asilo comporta infine una profonda
riforma del suo quadro istituzionale. Le competenze della Corte di giustizia
sono estese alle disposizioni del Trattato ed alle misure comunitarie afferenti
a tale materia, sia pure secondo modalità parzialmente derogatorie (v. artt. 68
e 226 ss TCE). Per quanto attiene alle procedure decisionali, l'art. 67 TCE
prevede l'applicazione, sino al l o maggio 2004, di una procedura simile a
quella a suo tempo prevista dagli articoli K.3, K.4 e K.6 del Trattato di
Maastricht: diritto d'iniziativa condiviso da Commissione e Stati membri,

426
decisione all'unanimità del Consiglio, consultazione del Parlamento europeo.
Trascorso tale periodo transitorio, le procedure decisionali sono state
gradualmente ricondotte nell'alveo del "metodo comunitario". Ad oggi, le
misure in materia d'asilo sono da adottarsi su iniziativa della Commissione
secondo la procedura di codecisione prevista dall'art. 251 TCE (v. art. 67,
par. 2 e 5 TCE, e Decisione no 2004/927, GU 2004 L 396/45).
26 Deve sottolinearsi come lo Spazio di libertà, sicurezza e giustizia sia uno
Spazio a geometria variabile. In particolare, la Danimarca, l'Irlanda ed il
Regno Unito non partecipano all'adozione delle misure contemplate dagli
articoli 61-65 TCE e non sono vincolati da esse ("opt out"), benché l'Irlanda
ed il Regno Unito possano partecipare all'adozione o all'applicazione di
misure puntuali (''opt in"). D'altro canto, taluni Stati terzi partecipano, in
virtù di accordi d'associazione conclusi a tal fine, all'applicazione dell'acquis
di Schengen, del Regolamento Dublino II e delle misure ad esso collegate
(cf. infra, no 27 e 28).
27 Nell'arco di sei anni a partire dall'entrata in vigore del Trattato di
Amsterdam, il Consiglio ha adottato l'insieme delle misure previste
dall'articolo 63 no l e no 2 TCE, completando così la prima fase di
evoluzione della politica comunitaria d'asilo.
Rientra nel novero di tali misure il Regolamento Dublino II, fondato
sull'articolo 63 no l lett. a TCE, che "stabilisce i criteri e i meccanismi di
determinazione dello Stato responsabile" e che sostituisce la Convenzione di
Dublino. Ad esso sono direttamente collegati il Regolamento di applicazione
adottato dalla Commissione (Regolamento n° 1560/2003, GU 2003 L 222/3),
nonché il Regolamento no 2725/2000 che istituisce il sistema "EURODAC"
(GU 2000 L 316/1) ed il relativo Regolamento di esecuzione (Regolamento
no 407/2002, GU 2002 L 62/1).
28 A causa del suo opt out dalle misure comunitarie in materia d'asilo, la
Danimarca non è vincolata da tali atti. In un primo momento, la Convenzione
di Dublino è dunque rimasta in vigore fra tale Stato e gli altri Stati membri
dell'DE. A partire dal l o aprile 2006, tuttavia, in virtù di un Accordo
d'associazione appositamente concluso tra la Comunità e la Danimarca (GU
L 2006 66/18), il Regolamento Dublino II ed i Regolamenti collegati hanno
sostituito la Convenzione di Dublino anche in tale ambito.
A norma dell'Accordo di associazione del 2001 (cf. supra, no 23), i citati
Regolamenti sono ugualmente applicabili all'Islanda ed alla Norvegia. Anche
la Svizzera sarà associata alla loro esecuzione a partire dall'entrata in vigore,

427
attesa per il 2008, di un nuovo Accordo di associazione sottoscritto tra tale
Stato e la Comunità (RS 0.142.392.68).

III. D sistema di Dublino: principi, obiettivi, funzionamento

A. Introduzione
29 Il sistema di Dublino, come s1 e appena visto, ha conosciuto una
considerevole espansione geografica (da cinque a ventisette Stati) ed ha
attraversato diverse trasformazioni. L'ultima, e più importante, è stata quella
dal sistema "Dublino I" (Convenzione di Dublino, di seguito "CD", ed atti
collegati) al sistema "Dublino II" (Regolamento Dublino II, di seguito "RD",
ed atti collegati). Certo, nel sostituire la Convenzione di Dublino con una
misura di diritto comunitario, le istituzioni hanno dichiaratamente operato una
scelta di continuità (v. cons. 5 RD). Esse hanno tuttavia introdotto talune
rilevanti novità che saranno messe in luce nelle pagine seguenti, dedicate ad
un esame delle "regole di Dublino", dei loro obiettivi e delle principali
questioni legate alla loro applicazione.

B. Diritto e pratica della determinazione dello Stato competente


(Dublino I e Il)
l. Aspetti generali e criteri di competenza
30 Ricadono nel campo di applicazione ratione materiae del sistema di
Dublino le domande d'asilo presentate da cittadini di paesi terzi alla frontiera
o nel territorio di uno Stato membro (qui di seguito tale termine va inteso, ove
non risulti diversamente dal testo, come comprensivo anche della Danimarca,
Stato membro "associato", e dei paesi terzi "associati" - la Norvegia,
l'Islanda ed in prospettiva futura la Svizzera).
Per "domanda d'asilo", deve intendersi la "domanda [ ... ] che può
considerarsi una richiesta di protezione internazionale [ ... ] a norma della
Convenzione di Ginevra" (art. 2 lett. c RD; similmente, art. l lett. b CD). A
differenza della Convenzione di Dublino, il Regolamento Dublino II precisa
che "tutte le domande di protezione internazionale sono considerate domande
d'asilo, salvo che il cittadino di un paese terzo solleciti esplicitamente un
distinto tipo di protezione" (art. 2lett. c RD).
31 Il sistema di Dublino riposa su tre principi fondamentali: (a) ogni
domanda d'asilo è esaminata da uno Stato membro, ma ciascuno di essi
mantiene la facoltà di inviare un richiedente asilo in un paese terzo "sicuro",

428
conformemente alla propria legislazione nazionale e nel rispetto della
Convenzione di Ginevra (art. 3, par. l e 3 RD; art. 3, par. l e 5 CD); (b) ogni
domanda è esaminata da un solo Stato membro, lo Stato competente ("one-
chance-only principle": art. 3, par l RD; art. 3, par. 2 CD); (c) l'esame della
domanda è condotto conformemente alla legislazione di tale Stato (art. 2
lett. e RD; art. 3, par. 3CD).
32 Lo Stato competente per l'esame della domanda è designato sulla base di
criteri di competenza enumerati in ordine gerarchico, e fondati su tre
principi di collegamento.
TI primo principio di èollegamento è quello del legame familiare. L'articolo 4
CD attribuiva la competenza allo Stato che avesse riconosciuto lo status di
rifugiato ad un membro della famiglia del richiedente asilo, ed in cui questo
membro della famiglia fosse legalmente residente. li Regolamento Dublino ll
ha conservato questo criterio, ed ha introdotto numerosi criteri supplementari
fondati sul principio dell'unità familiare (artt .. 4, par. 3, 6-8 e 14 RD;
cf. amplius infra, no 59 ss).
Il secondo principio di collegamento è quello della responsabilità per la
presenza del richiedente asilo nel territorio degli Stati membri.
Conformemente a tale principio, è competente dell'esame della domanda, in
estrema sintesi, lo Stato (a) che ha rilasciato un titolo di soggiorno al
richiedente asilo (art. 9, par. l RD; art. 5, par. l CD); (b) che ha rilasciato un
visto al richiedente asilo (art. 9, par. 2 RD; art. 5, par. 2 CD); (c) attraverso le
cui frontiere esterne il richiedente asilo è penetrato illegalmente nel territorio
degli Stati membri (art. 10, par. l RD; art. 6, al. l CD); (d) sul cui territorio il
richiedente asilo ha soggiornato illegalmente per un periodo di almeno cinque
mesi prima della presentazione della domanda (art. 10, par. 2 RD; similmente,
art. 6, al. 2 CD); (e) attraverso le cui frontiere esterne il richiedente asilo è
penetrato in regime di esenzione da visto, salvo che presenti la sua domanda
in un altro Stato membro in cui è esente da visto (art. 11 RD, similmente
art. 7 CD). Dal momento che i criteri fondati sul principio dell'unità familiare
sono definiti in modo restrittivo, i criteri fondati sul principio della
responsabilità per la presenza del richiedente asilo dovrebbero - nelle
intenzioni del legislatore - essere quelli di più frequente applicazione.
Il terzo principio, sussidiario e residuale rispetto agli altri due, è quello del
luogo di presentazione {iella domanda (art. 13 RD; art. 8 CD).
33 Gli Stati membri possono assumere la competenza per l'esame di una
domanda d'asilo, in deroga ai criteri sopra richiamati, in due casi: se la
domanda è presentata loro (clausola di sovranità: art. 3, par. 2 RD; art. 3,

429
par. 4 CD), o su richiesta di un altro Stato membro qualora ciò sia giustificato
da motivi umanitari o familiari (clausola umanitaria, art. 15 RD; similmente,
art. 9 CD). Per l'esame di tali clausole si fa rinvio infra, ai no 65 e 73 ss.
34 Il Regolamento Dublino ll definisce, in modo pressoché identico rispetto
alla Convenzione di Dublino, gli obblighi dello Stato cui è presentata una
domanda d'asilo e dello Stato competente. Il primo è tenuto ad avviare il
procedimento di determinazione dello Stato competente (procedimento
"Dublino") non appena la domanda d'asilo gli è presentata (art. 4, par. l RD),
ed a riammettere sul suo territorio il richiedente che abbia presentato una
seconda domanda d'asilo in un altro Stato membro (art. 4, par. 5 RD; art. 3,
par. 7 CD). Lo Stato competente, per parte sua, è principalmente tenuto a
portare a termine l'esame della domanda d'asilo, a prendere a tal fine in
carico il richiedente asilo che ha presentato la propria domanda in altro Stato
membro, ed a riprenderlo in carico qualora, durante la procedura di esame
della domanda, esso si rechi irregolarmente in un altro Stato membro, o vi
presenti una nuova domanda d'asilo.
In caso di rigetto della domanda, gli altri Stati membri possono rifiutare di
esaminarla nuovamente, secondo il principio detto della "extraterritorialità
(facoltativa) delle decisioni negative in materia d'asilo". Tale principio,
corollario dello "one-chance-only principle", si desume dall'art. 16 RD
(par. l lett. e, par. 4) ai sensi del quale lo Stato competente è tenuto a
riprendere in carico il richiedente asilo di cui ha respinto la domanda, qualora
esso si rechi senza autorizzazione nel territorio di un altro Stato membro, sino
al suo effettivo rinvio nel paese d'origine.
35 Le procedure di presa e ripresa in carico dei richiedenti asilo sono
disciplinate, più dettagliatamente di quanto non lo fossero dagli articoli 11-13
CD, dagli articoli 17-20 RD. Tali disposizioni definiscono, in particolare, dei
termini per ogni fase del procedimento (invio della richiesta di (ri)presa in
carico, risposta dello Stato richiesto, ecc.). Lo Stato membro che non rispetti
tali termini diviene automaticamente lo Stato competente. Si aggiunga, per
completezza, che anche il rilascio di un titolo di soggiorno al richiedente asilo
sposta la competenza per l'esame della sua domanda in capo allo Stato che vi
procede (art. 16, par. 2 RD; art. 10, par. 2 CD).
2. D richiedente asilo e le autorità nazionali
36 Il Regolamento Dublino II pone a carico delle amministrazioni nazionali
competenti taluni obblighi d'informazione a favore del richiedente asilo.
Esse sono tenute, in particolare, ad informarlo circa l'applicazione del
Regolamento Dublino II (art. 3, par. 4 RD), ed a notificargli, in caso di

430

~ ~~ ~ ' .l
trasferimento verso un altro Stato membro, una decisione motivata in tal
senso (artt. 19, par. l e 2, e 20, par. l, lett. e, RD).
37 La Convenzione di Dublino non disponeva alcunché in materia, e
l'introduzione delle citate disposizioni costituisce un indubbio progresso. Si
tratta, tuttavia, di un progresso limitato. Stando alle disposizioni del
Regolamento e degli atti ad esso collegati, il richiedente asilo non gode, nel
corso del procedimento "Dublino", di talune garanzie fondamentali, quale in
particolare il diritto ad essere ascoltato.
Certo, gli Stati membri sono liberi di integrare, attraverso disposizioni
nazionali di esecuzione, le poche tutele previste dal diritto comunitario, ma ad
oggi ciò è avvenuto di rado. Al contrario, la prassi applicativa del
Regolamento evidenzia come, spesso, anche le garanzie minime
espressamente previste dal diritto comunitario siano scarsamente rispettate, o
addirittura apertamente ignorate.
38 Sotto il profilo della tutela contenziosa, gli articoli 19 e 20 RD prevedono
che le decisioni di trasferimento siano suscettibili di un "ricorso o revisione".
Il Regolamento lascia agli Stati membri ogni determinazione in merito alla
natura (giurisdizionale o amministrativa) del ricorso.
Esso fa divieto agli Stati membri di attribuire efficacia sospensiva ai ricorsi in
oggetto, salvo il potere delle istanze competenti di sospendere il trasferimento
"caso per caso", se il diritto interno lo prevede (artt. 19, par. 2, e 20, par. l
lett. e, RD).
3. L'efficacia diretta delle ''regole di Dublino"
39 Secondo l'orientamento giurisprudenziale prevalente in quasi tutti gli
Stati membri, le disposizioni della Convenzione di Dublino - volte
esclusivamente a regolare i rapporti fra le sue Parti - erano prive di efficacia
diretta negli ordinamenti interni degli Stati membri. La successione del
Regolamento Dublino II alla Convenzione ha invertito, sotto questo aspetto,
la situazione giuridica preesistente.
40 Come è noto, i regolamenti comunitari sono direttamente applicabili
negli Stati membri (art. 249 TCE), e le loro disposizioni precise ed
incondizionate possono esser fatte valere dai privati dinanzi alle autorità
nazionali. Le disposizioni del Regolamento Dublino II soddisfano tali
requisiti, tolte le disposizioni programmatiche o puramente istituzionali (ad
esempio gli artt. 22, par. 2 e 27), e sono dunque invocabili dai richiedenti
asilo.

431
41 Quanto detto vale per i casi in cui le "regole di Dublino" si applicano in
virtù di regolamenti comunitari. Il discorso è in parte diverso quando esse si
applicano in virtù degli Accordi di associazione sottoscritti dalla Comunità
con la Danimarca, con l'Islanda e la Norvegia e con la Svizzera. In tali casi,
le disposizioni sono materialmente identiche, precise ed incondizionate. La
loro fonte è tuttavia differente. L'efficacia diretta delle "regole di Dublino",
in tale contesto applicativo, deve risolversi alla luce di criteri diversi da quelli
che valgono per i regolamenti comunitari.
A tale riguardo, deve nettamente distinguersi la situazione dei ventiquattro
Stati membri da quella dei quattro Stati associati.
Per i ventiquattro Stati membri gli Accordi, che sono stati conclusi dalla
Comunità con gli Stati associati, sono atti comunitari (v. art. 300, par. 7
TCE). Ogni determinazione in merito all'efficacia diretta delle loro
disposizioni negli ordinamenti nazionali è dunque rimessa alla CGCE, che
non si è ancora pronunciata in merito. A vendo riguardo alla sua precedente
giurisprudenza sull'efficacia diretta degli accordi conclusi dalla Comunità,
sembra tuttavia potersi affermare che le disposizioni degli Accordi di
associazione "Dublino" sono direttamente efficaci negli ordinamenti degli
Stati membri.
Per quanto riguarda gli Stati associati (inclusa la Danimarca), gli Accordi
sono invece dei trattati internazionali. La loro efficacia diretta nei rispettivi
ordinamenti nazionali dipende dal diritto costituzionale di ciascuno di essi. Si
ricorda in merito che mentre gli Stati nordici sono di tradizione dualista, la
Svizzera è di tradizione monista. In quest'ultimo Stato, secondo il Consiglio
federale svizzero, le "regole di Dublino" saranno direttamente applicabili al .
momento dell'entrata in vigore dell'Accordo di associazione.

C. Gli obiettivi del sistema di Dublino


42 Il sistema di Dublino rappresenta per certi versi un'applicazione del
concetto di "paesi terzi sicuri" (cf. supra, no 14). Esso prevede infatti il
trasferimento dei richiedenti asilo da uno Stato membro all'altro, senza esame
nel merito della domanda, sul presupposto che tutti gli Stati membri siano
"sicuri" per ciascun richiedente asilo (cons. 2 RD).
Nel contempo, esso è uno strumento polifunzionale, inserito in una dinamica
di integrazione regionale (''Spazio di libertà, sicurezza e giustizia"). I suoi
obiettivi vanno al di là del mero scopo di snellire le procedure nazionali di
riconoscimento dello status di rifugiato, proprio delle regole che si ispirano al
concetto di "paesi terzi sicuri".

432
43 Gli obiettivi del sistema di Dublino si desumono dall'articolato della
Convenzione e del Regolamento, nonché dai loro rispettivi preamboli.
Conviene distinguere, all'interno degli scopi ivi espressamente richiamati,
fra: (a) obiettivi "principali", che riflettono le funzioni in senso proprio del
sistema di Dublino (sulle molteplici funzioni cui può assolvere, in astratto, un
sistema interstatuale di allocazione delle domande d'asilo, cf. supra, n° 19);
(b) obiettivi "secondari", che riguardano la tutela di interessi potenzialmente
pregiudicati dalle regole di Dublino, ed infine (c) obiettivi "meramente
enunciati", e cioè richiamati nel preambolo della Convenzione o nella
motivazione del Regolamento, ma senza un effettivo riscontro nel loro
articolato.
44 I due cardini del sistema di Dublino -lo "one-chance-only principle" e la
defmizione di criteri "oggettivi", che negano al richiedente asilo la libera
scelta del paese di destinazione - ne fanno principalmente uno strumento di
controllo delle migrazioni. Ciò è peraltro evidenziato dall'articolo 61 lett. a
TCE, che lo qualifica espressamente come "misura di accompagnamento"
all'instaurazione di uno spazio senza frontiere (v. anche cons. 3 CD e cons. 8
RD; cf. supra, n° 16, 19 e 25).
45 La seconda funzione propriamente detta del sistema di Dublino è quella
di garantire l'accesso dei richiedenti asilo ad una procedura di determinazione
dello status e di prevenire le situazioni di "orbita" (cons. 4 CD, cons. 4 ed
art. 3, par. l RD; cf. supra, no 19). La facoltà concessa agli Stati membri di
rinviare il richiedente asilo verso un "paese terzo sicuro" (cf. supra, no 31),
piuttosto che trasferirlo allo Stato competente o procedere all'esame della sua
domanda, compromette tuttavia il pieno raggiungimento di tale scopo.
46 Nel novero degli obiettivi "secondari" - richiamati dalla motivazione del
Regolamento- debbono includersi la tutela dell'unità familiare, "nella misura
compatibile con gli altri obiettivi" del sistema di Dublino (cons. 6 RD),
nonché il rispetto dei diritti fondamentali quali essi sono riconosciuti,
segnatamente, nella Carta dei diritti fondamentali dell'Unione europea (GU
2000 C 316/1; "CDFUE"; v. cons. 12 e 15 RD).
47 La motivazione del Regolamento fa anche cenno all'esigenza di
"instaurare un equilibrio tra i criteri di competenza in uno spirito di
solidarietà" (cons. 8 RD). Deve. tuttavia osservarsi che la "promozione di un
equilibrio degli sforzi tra Stati membri" (art. 63, n° 2 lett. b TCE) non può
considerarsi un obiettivo, neppure "secondario", del sistema di Dublino.
L'allocazione delle domande d'asilo tra Stati membri non avviene infatti sulla
base di una chiave di ripartizione riconducibile all'obiettivo del "burden-

433
sharing" (PIL, rapporto rifugiati/popolazione residente, estensione
geografica, ecc.).
48 Ciò non significa che la definizione dei criteri di competenza non abbia
un risvolto distributivo. Ad esempio, i criteri fondati sui legami familiari dei
richiedenti asilo tendono a "penalizzare" gli Stati sul cui territorio sono
presenti consistenti comunità immigrate, mentre i criteri fondati sull'ingresso
illegale dei richiedenti asilo "penalizzano" gli Stati che hanno frontiere
esterne estese ed esposte ai flussi migratori.
In quest'ottica, la definizione dei criteri di competenza non traduce
necessariamente un interesse "europeo" ad un equilibrio degli sforzi tra Stati
membri, bensì un compromesso politico fra più interessi nazionali
contrastanti.
49 Tale rilievo - che sottolinea come il sistema di Dublino esprima interessi
europei ed interessi nazionali - permette di precisare meglio quali siano gli
obiettivi di controllo migratorio del sistema (cf. supra, n° 44).
50 In un'ottica europea di controllo dell'immigrazione -se cioè si considera
lo "spazio Dublino" come un territorio unico - la regola essenziale del
sistema di Dublino è lo "one-chance-only principle". Mediante tale regola, si
mira ad una riduzione del numero di domande d'asilo presentate nello "spazio
Dublino", ed a rendere più agevole il rimpatrio dei richiedenti la cui domanda
sia stata rigettata dopo un esame di merito.
51 Il secondo cardine del sistema di Dublino - la negazione di un "diritto
alla scelta del paese di destinazione" in capo ai richiedenti asilo - non apporta
invece alcun valore aggiunto al controllo dell'immigrazione nello "spazio
Dublino": non muta il numero totale delle domande d'asilo che vi sono
presentate, e di certo non riduce i tempi di esame delle domande d'asilo
(com'è noto, la determinazione dello Stato competente sarebbe assai più
spedita e meno costosa adottando il principio della libera scelta).
Esso ha pienamente senso solo in una prospettiva nazionale di controllo
dell'immigrazione. Sul piano normativa, lo si è detto, i criteri stabiliti dal
Regolamento Dublino II, e. prima di esso dalla Convenzione di Dublino,
traducono in forma giuridica un compromesso fra gli Stati membri: nella
specie, un compromesso favorevole agli Stati nord occidentali dell'Unione
(cf. infra, no 54). Sul piano dell'applicazione amministrativa del
Regolamento, l'atto stesso del trasferimento di un richiedente asilo da uno
Stato all'altro - e l'effettuazione di tutte le operazioni di ricerca dello Stato
competente, di accompagnamento del richiedente, ecc. ad esso strumentali - è
espressione di un interesse puramente nazionale: quello di trasferire ad un

434
altro Stato membro il "costo marginale" (amministrativo, di accoglienza,
politico e sociale) rappresentato dall'ammissione del richiedente asilo e, in
caso di esito positivo dell'esame della sua domanda, del rifugiato.

D. Il sistema di Dublino: problemi applicativi


52 L'applicazione del sistema di Dublino solleva numerose questioni
pratiche e giuridiche, cui si può qui solo accennare.
53 Esso si è rivelato, innanzitutto, scarsamente efficace. L'entrata in vigore
del Regolamento Dublino II, combinata con l'entrata in funzione del sistema
informatico EURODAC, pare aver ovviato in parte alle palesi insufficienze
della Convenzione di Dublino. Se tale maggiore efficacia può essere
considerata in sé un progresso, essa acuisce tuttavia altri gravi problemi.
54 Già nel vigore della Convenzione di Dublino, era apparso chiaramente
che il sistema svantaggia, sotto l'aspetto distributivo, gli Stati periferici
dell'Unione europea, ed in particolare quelli posti alle sue frontiere orientali
e meridionali. Tale effetto, la cui causa è l'aver fondato il criterio "normale"
di competenza sul principio della "responsabilità per la presenza del
richiedente asilo" (cf. supra, no 32), si è accentuato nel vigore del sistema
"Dublino II". Esso è contrario all'obiettivo della promozione di un equilibrio
degli sforzi tra Stati membri (art. 63, no 2, lett. b TCE), e spinge inoltre gli
Stati più svantaggiati dal sistema di Dublino ad adottare drastiche misure
restrittive nei confronti dei richiedenti asilo.
55 Per quanto attiene all'accesso alla protezione da parte dei richiedenti
asilo, si è già rilevato che il sistema di Dublino non lo garantisce pienamente,
stante la facoltà lasciata agli Stati membri di respingerli verso "paesi terzi
sicuri" (cf. supra, no 31 e 45). A ciò deve aggiungersi che, come si è
accennato, negli Stati più gravati dagli effetti distributivi del sistema di
Dublino, l'accesso dei richiedenti asilo "trasferiti" o "ritrasferiti" da altri Stati
membri alle procedure d'asilo è spesso negato, in violazione del Regolamento
stesso. Infine, deve osservarsi che il legame stabilito dal Regolamento fra
competenza per l'esame delle domande d'asilo, da uh lato, e "responsabilità"
per l'ingresso irregolare del richiedente, dall'altro, spinge gli Stati membri ad
applicare indiscriminatamente l'acquis relativo al controllo delle frontiere·
esterne, che non va esente da critiche, in particolare, per quanto attiene alla
sua conformità con il principio di non-refoulement.
56 Ulteriori problemi derivano dall'infondatezza della presunzione di
equivalenza delle legislazioni nazionali in materia d'asilo, base essenziale
della legittimità del sistema di Dublino (v. cons. 2 RD). È stato ampiamente

435
provato che, in molti casi, un richiedente asilo che otterrebbe protezione in
uno Stato membro può ben vedere la propria domanda respinta in un altro
Stato membro. Ciò fa del sistema di Dublino una "lotteria della protezione".
Inoltre, ciò pone il sistema in tensione con il principio di non-refoulement, il
cui rispetto non è garantito nello stesso modo dai vari Stati membri
dell'Unione.
57 Vi è, infine, la questione della quale ci occuperemo più diffusamente qui
di seguito. Come si è già accennato, i "criteri di Dublino" sono criteri
oggettivi, nel senso che - contrariamente a quanto raccomandato dal
Comitato Esecutivo dell' ACNUR (Conclusione no 15 (XXX) 1979, lett. h
(iii)) - essi fanno essenzialmente astrazione dalle intenzioni "soggettive"
dell'interessato in merito al paese in cui intende richiedere l'asilo. Se inoltre
taluni di essi riflettono un reale legame fra il richiedente e lo Stato
competente (in particolare, i criteri fondati sui legami familiari e sul rilascio
di un titolo di soggiorno), i criteri maggiormente applicati si fondano su
circostanze che, da un lato, nulla hanno a che vedere con· tali legami e che,
dall'altro, possono avere un carattere puramente casuale (per es. il rilascio di
un visto da parte delle autorità di uno Stato membro o di un altro, od il luogo
di attraversamento delle frontiere esterne).
Dal punto di vista del richiedente asilo, il sistema di Dublino è dunque da un
lato coercitivo, e dall'altro, in una certa misura, arbitrario, nel senso che
spesso determina lo Stato competente attribuendo un peso determinante a
circostanze del tutto formali o fortuite, e nessun peso a legami reali di ordine
familiare, linguistico, ecc.
58 Da tale circostanza discendono diverse conseguenze, in particolare la
"resistenza" dei richiedenti asilo verso l'applicazione del sistema, che ne
mina l'efficienza, ed un aumento dei costi collegati alla loro accoglienza nello
Stato competente, ogniqualvolta essi sono privati del supporto familiare di cui
avrebbero goduto in altro Stato.
Inoltre, ed è ciò che più interessa in questa sede, nella misura in cui le "regole
di Dublino" compromettono l'interesse del richiedente a "stare insieme" con i
propri familiari (cf. infra, no 59 ss), esse vengono a trovarsi in tensione con i
principi giuridici che tale interesse tutelano (cf. supra, no 9 ed infra, no 97 ss).

436
IV. La determinazione dello Stato competente e l'unità
familiare

A. Introduzione
59 È difficile, se non impossibile, enumerare in modo esaustivo i casi ed i
modi in cui l'applicazione dei "criteri di Dublino" può compromettere l'unità
delle famiglie dei richiedenti asilo. In modo schematico, possono tuttavia
distinguersi tre categorie di situazioni.
60 La prima è quella in cui i membri della famiglia sono tutti richiedenti
asilo, e la competenza per l'esame delle loro domande spetta a più Stati
membri (per es., in quanto essi detengono visti rilasciati da più Stati, o hanno
seguito percorsi differenti per giungere nell'Unione europea). All'interno di
questa categoria di casi, possono poi operarsi ulteriori suddivisioni (per es., la
domanda è presentata nel medesimo Stato, o in Stati diversi, oppure uno dei
richiedenti asilo è un bambino che nasce quando i suoi genitori - a loro volta
richiedenti asilo- si trovano già nell'Unione).
61 n secondo tipo di situaZione è quello dei c.d. "casi misti", in cui il
membro della famiglia del richiedente asilo si trova già in uno Stato membro
ad altro titolo (in quanto cittadino, rifugiato, beneficiario di uno statuto di
protezione sussidiaria o immigrato "ordinario"), e detto Stato non è quello
competente a norma dei "criteri di Dublino".
62 Infine, debbono rammentarsi i casi in cui il richiedente asilo si lega ad
un'altra persona nello Stato in cui ha presentato la sua domanda, ed è in
seguito trasferito in un altro Stato membro.
63 La Convenzione ed il Regolamento, come si è accennato, contengono
taluni criteri di competenza, il cui scopo ed effetto è precisamente quello di
ricongiungere o mantenere uniti il richiedente asilo ed i suoi familiari
(cf. supra, n° 32). Nelle ipotesi contemplate da tali criteri- posti al vertice
della gerarchia dei criteri di competenza - i casi sopra richiamati di
pregiudizio all'unità familiare non possono in linea di principio verificarsi.
Nelle pagine che seguono, esamineremo dunque questi criteri, il che
permetterà di stabilire indicativamente - per sottrazione - in quali casi il
sistema di Dublino può condurre alla separazione di membri della stessa
famiglia. Tale esame sarà condotto separatamente ·per il sistema "Dublino I" e
per il sistema "Dublino II", ·che presentano rilevanti differenze precisamente
sotto questo aspetto.

437
B. Il sistema "Dublino/" e l'unità familiare
64 Il solo criterio fondato sui rapporti familiari del richiedente asilo era, nel
dispositivo della Convenzione di Dublino, quello di cui all'articolo 4:
presenza in uno Stato membro di un "membro della famiglia" (coniuge, figlio
minore non coniugato e, per i richiedenti asilo minori e non coniugati, padre o
madre) formalmente riconosciuto come rifugiato da detto Stato. Come si
vede, tale disposizione copriva solo una minima parte delle possibili
situazioni richiamate in precedenza (n° 60-62). Interpretata in modo
strettamente letterale dalle autorità degli Stati membri, essa ha avuto un ruolo
del tutto marginale nell'applicazione della Convenzione.
65 Per tutti gli altri casi in cui l'applicazione dei criteri di competenza
avrebbe potuto pregiudicare l'unità familiare, la Convenzione predisponeva
due "correttivi", da applicarsi a discrezione degli Stati membri: la clausola di
sovranità (art. 3, par. 4 CD; cf. supra, no 33) -valida soluzione per i casi in
cui i membri della famiglia del richiedente asilo si fossero trovati nello Stato
di presentazione della domanda, per ipotesi non competente per l'esame della
stessa- e la clausola umanitaria (art. 9 CD; cf. supra, ibidem)- utilizzabile
principalmente per riunire il richiedente asilo con i membri della sua famiglia
presenti in un altro Stato, anch'esso per ipotesi non competente per l'esame
della domanda.
66 Nel definire i casi e modi d'applicazione di tali clausole ai fini del
ricongiungimento familiare, gli Stati membri si sono ispirati a principi assai
divergenti. Al fine di armonizzare le pratiche nazionali, il Comitato istituito
dall'articolo 18 della Convenzione di Dublino ha adottato la Decisione
no 1/2000 (GU 2000 L 28111). Essa conteneva una definizione più ampia di
"membri della famiglia" rispetto a quella dell'articolo 4 CD (cf. supra, no 64)
- inclusiva, a determinate condizioni, di altri "parenti stretti" - e
raccomandava il ricorso alle clausole di sovranità ed umanitaria, al fine di
mantenere insieme o ricongiungere i membri di una famiglia, ove: (a) uno di
essi fosse stato un minore che si sarebbe trovato da solo in uno Stato membro,
oppure (b) uno di essi si fosse trovato in condizione di dipendenza dall'altro
per un motivo particolare (gravidanza, grave malattia, età, ecc.).
67 Sia la Decisione no 1/2000, sia le diverse pratiche nazionali - che per
inciso sono rimaste divergenti anche dopo l'adozione di quest'ultima -
traducevano un approccio restrittivo all'applicazione degli articoli 3, par. 4, e
9 CD. In molti Stati membri, tali disposizioni sono rimaste inapplicate anche
in casi in cui l'applicazione dei criteri di competenza aveva condotto alla
separazione di coniugi o di genitori e figli minori- per non dire dell'assoluta

438
eccezionalità dei casi in cui esse sono state applicate per mantenere insieme o
riunire persone meno strettamente imparentate.

C. Il sistema "Dublino II" e l'unitàfamiliare


l. La nuova defmizione di "membro della famiglia"
68 Il Regolamento Dublino II introduce una nuova definizione di "membro
della famiglia" (art. 2, lett. i RD). Sotto certi aspetti, essa è più estesa di
quella dell'articolo 4 CD. Vi rientrano, infatti, il "partner" del richiedente
asilo - a condizione, tuttavia, che il diritto degli stranieri dello Stato
interessato lo equipari al coniuge, il che avviene in soli otto Stati - nonché il
"tutore" del richiedente minorenne, nozione peraltro non definita dal
Regolamento (cf. infra, no 121). Sotto altri aspetti, invece, la nuova
definizione di "membro della famiglia" è più restrittiva di quella della
Convenzione. In particolare, essa include solo i rapporti familiari già
"costituiti" nel paese d'origine (su tale condizione, cf. infra, no 120).
Il Regolamento nulla dispone in materia di prova dei suddetti rapporti
familiari, e deve rilevarsi, per inciso, che num.erose amministrazioni nazionali
si dimostrano particolarmente rigide a tale riguardo.
69 Sotto un altro aspetto, la definizione di famiglia fornita dall'articolo 2
lett. i RD presenta forti analogie con quella risultante dall'articolo 4 della
Direttiva no 2003/86 relativa al diritto al ricongiungimento familiare (GU
2003 L 251112). Si tratta di una scelta deliberata del legislatore comunitario,
che ha così inteso evitare che le disposizioni del Regolamento possano essere
utilizzate per "aggirare" la disciplina comunitaria generale in materia di
ricongiungimento.
2. I criteri di competenza volti a mantenere o ricostituire l'unità
familiare
70 Come si è già rilevato, il Regolamento Dublino II contiene, a differenza
della Convenzione, numerosi criteri di competenza fondati sul principio
dell'unità familiare.
71 Vengono in considerazione, innanzitutto, due disposizioni "preventive",
che escludono l'applicazione degli altri criteri di competenza laddove essa
comprometterebbe l'unità familiare.
L'articolo 14 RD contempla l'ipotesi in cui i membri di una famiglia
presentino simultaneamente o in date sufficientemente ravvicinate le loro
domande nello stesso Stato membro, e stabilisce il principio secondo cui un
solo Stato è competente per l'esame di tutte le domande.

439
L'articolo 4, par. 3, per parte sua, rende la posizione del minore (richiedente
asilo o meno) indissociabile da quella del genitore o tutore, richiedente asilo,
ch'egli accompagna. Sono parimenti indissociabili la posizione del
richiedente asilo e quella del figlio, che nasca dopo il suo arrivo nel territorio
degli Stati membri.
72 Gli articoli 6-8 RD definiscono i restanti criteri di competenza fondati sul
principio dell'unità familiare.
L'articolo 6 RD stabilisce i due criteri di competenza applicabili in via
esclusiva alle domande presentate da minori non accompagnati (v., per la
definizione, art. 2, lett. h RD; cf. infra, no 121). È innanzitutto competente lo
Stato ove si trovi legalmente un familiare del minore, purché ciò sia nel
miglior interesse di quest'ultimo. In subordine, vale il solo criterio del luogo
di presentazione della domanda.
Gli altri due criteri, di applicazione generale, sono assai più restrittivi.
L'articolo 7 RD riprende il criterio dell'articolo 4 CD (cf. supra, n° 64).
L'articolo 8 è invece funzionalmente legato all'articolo 14 RD, sopra
richiamato. Esso assegna la competenza allo Stato in cui si trovi un membro
della famiglia del richiedente, a sua volta richiedente asilo, a condizione che
sulla domanda di quest'ultimo non sia ancora stata presa una prima decisione
nel merito. Tale limitazione, invero assai discutibile, limita fortemente la
portata dell'articolo 8 RD, specialmente negli Stati che ricorrono in modo
massiccio a procedure accelerate di determinazione dello status di rifugiato.
3. La clausola di sovranità e la clausola umanitaria
73 Analogamente a quanto avveniva nel vigore della Convenzione di
Dublino, nelle ipotesi non contemplate dalle disposizioni sopra richiamate, gli
Stati membri possono ricorrere alla clausola di sovranità ed alla clausola
umanitaria per tutelare l'unità familiare (cf. supra, no 33 e 65).
74 L'applicazione della nuova clausola di sovranità (art. 3, par. 4 RD) non
richiede il consenso del richiedente asilo, a differenza di quanto prevedeva
l'articolo 3, par. 2 CD.
75 Le modifiche apportate alla clausola umanitaria (art. 15 RD) sono ancor
più rilevanti. Innanzìtutto, essa è ormai applicabile unicamente a fini di
ricongiungimento familiare, fra "membri della famiglia" ai sensi dell'art. 2
lett. i RD o altri parenti a carico, laddove l'articolo 9 CD poteva trovare
applicazione anche per motivi "culturali'' (per es., per motivi di affinità
linguistica fra un richiedente asilo ed uno Stato membro).

440
76 Al di là di tale ridefinizione dell'ambito applicativo della clausola, essa si
articola ormai in una "clausola generale", che lascia piena discrezione agli
Stati membri (art. 15, par. l RD), ed in due disposizioni speciali, ispirate alla
Decisione no 1/2000 del Comitato dell'articolo 18 (cf. supra, no 66).
L'art. 15, par. 2, riguarda i casi in cui sussiste una particolare dipendenza fra i
membri di una famiglia o parenti (gravidanza, malattia, età avanzata, ecc.). In
tali casi, si legge nella versione italiana del Regolamento, gli Stati membri
"possono lasciare insieme o ricongiungere" gli interessati - ma le altre
versioni linguistiche adottano una formula ben più impegnativa ("shall
normally keep or bring together"; "laissent normalement ensemble ou
rapprochent"). Lo stesso dicasi dell'art. 15, par. 3 RD, che dispone in merito
al ricongiungimento dei minori non accompagnati con parenti disposti ad
occuparsene ("gli Stati membri cercano di ricongiungere [ ... ]",ma nelle altre
versioni linguistiche: "Member States shall ifpossible unite [ ... ]"; "les États
membres réunissent si possible [... ]").
4. ll sistema "Dublino ll" e l'unità familiare: osservazioni conclusive
77 Come risulta dai rilievi appena svolti, il sistema "Dublino II" tutela
l'unità familiare più e meglio di quanto non facesse il sistema "Dublino I".
Permangono, tuttavia, numerose lacune. È utile, a tale riguardo, riprendere la
classificazione abbozzata supra, ai no 60-62, in merito ai casi in cui
l'applicazione dei criteri di competenza può pregiudicare l'unità familiare.
78 I progressi più significativi debbono registrarsi nei casi in cui la famiglia
è composta da richiedenti asilo. In tali situazioni, la Convenzione affidava
la tutela dell'unità familiare alla discrezione degli Stati membri. Oggi, al
contrario, diverse disposizioni stabiliscono una garanzia in merito (v. artt. 8 e
14 RD, cui debbono aggiungersi gli artt. 4, par. 3 e 6 RD nei casi che
coinvolgono dei minorenni). Talune ipotesi restano tuttavia escluse
dall'ambito d'applicazione dei suddetti criteri. In particolare, l'unità della
famiglia non è garantita quando, al momento in cui il richiedente presenta la
sua domanda d'asilo, la domanda presentata dal suo familiare è stata rigettata
in prima istanza (cf. supra, no 72).
Per quanto attiene ai c.d. "casi misti" (cf. supra, no 61), il solo progresso è
costituito dall'articolo 6 RD (minori non accompagnati). Al di fuori
dell'ambito applicativo di questa disposizione, il Regolamento Dublino Il non
prevede alcuna tutela aggiuntiva rispetto alla Convenzione di Dublino
(cf. supra, n° 72). Ciò significa, in particolare, che l'unità familiare non è
garantita in tutti i casi in cui il familiare del richiedente asilo risiede in uno
Stato membro e non è un rifugiato riconosciuto da tale Stato - vale a dire, se è
un cittadino di tale Stato, se gode in esso di uno statuto alternativo di

441
protezione, se vi risiede in quanto immigrato "ordinario" - e ciò,
indipendentemente dall'intensità del legame familiare.
Infine, i rapporti costituiti dopo la presentazione della domanda non sono
presi in considerazione, ai sensi del Regolamento come in precedenza ai sensi
della Convenzione, nella determinazione dello Stato competente (art. 5, par. 2
RD). Il Regolamento introduce tuttavia un'eccezione per quanto riguarda i
rapporti "còstituiti" con la nascita di un figlio del richiedente asilo sul
territorio dell'Unione (art. 4, par. 3 RD).
79 Il quadro così sinteticamente tracciato riguarda, peraltro, i soli rapporti
familiari contemplati dall'articolo 2 lett. i RD. Ne discende, innanzitutto, che
l'unità della famiglia "allargata" non è garantita da nessuno dei richiamati
criteri di competenza. Inoltre, il Regolamento stabilisce così una "scala
discendente di protezione" a seconda del momento di costituzione del legame
familiare. Si debbono distinguere: (a) i rapporti costituiti nel paese d'origine;
(b) i rapporti non costituiti nel paese d'origine, ma che sussistono prima della
presentazione della domanda, i quali, pur non rientrando in linea di principio
fra quelli tutelati dal Regolamento (cf. supra, no 68), sono presi in
considerazione ai fini dell'applicazione del solo art. 7 RD (cui si fa rinvio);
(c) i rapporti costituiti dopo la presentazione della domanda (cf. supra,
n° precedente).
80 I limiti del nuovo regime di tutela dell'unità familiare derivano
essenzialmente dalla prevalenza della logica del controllo migratorio su
quella della protezione della famiglia.
Certo, talune delle scelte operate dal legislatore comunitario - per esempio,
quella di tutelare maggiormente la famiglia "nucleare", così come quella di
tutelare maggiormente i rapporti fra genitori e figli minori - sono compatibili
con entrambi queste logiche. Altre, tuttavia, si spiegano solo adoperando la
chiave di lettura del controllo migratorio.
In particolare, il fatto che i rapporti costituiti dopo la presentazione della
domanda siano irrilevanti ai fini della determinazione dello Stato competente
- indipendentemente dalla loro natura ed intensità - introduce una differenza
di trattamento estranea alla logica della tutela della famiglia, e riconducibile
piuttosto al fine di prevenire gli abusi (per es., la celebrazione di un
matrimonio fittizio al fine di spostare la competenza in capo ad uno Stato
determinato). Tutte politiche appaiono poi le ragioni che hanno spinto il
legislatore comunitario a prevedere, nei "casi misti", il ricongiungimento del
richiedente asilo con un familiare cui è stato riconosciuto lo status di
rifugiato, ma non negli altri casi in cui esso risiede regolarmente in uno Stato

442
membro. In un'ottica di tutela della famiglia, lo status di residenza non pare
una circostanza rilevante al punto da giustificare una così netta distinzione di
trattamento - specialmente fra rifugiati e beneficiari di altri status di
protezione internazionale. La spiegazione del regime instaurato dal
Regolamento Dublino II è piuttosto da ricondursi all'opposizione degli Stati
che ospitano consistenti comunità immigrate, timorosi degli "effetti
distributivi" di un più generoso regime di ricongiungimento familiare nei
"casi misti" (cf. supra, no 48 ss).
81 Globalmente, il regime "Dublino II" tutela maggiormente l'unità
familiare rispetto al regime "Dublino I". I progressi compiuti sotto questo
aspetto sono tuttavia meno significativi di quanto non appaia ad una lettura
superficiale del Regolamento. L'applicazione dei criteri di competenza può
tuttora condurre alla separazione - o al mancato ricongiungimento - di
coniugi (per es., se uno dei due gode di uno status di protezione sussidiaria in
uno Stato membro, o se si sono sposati dopo la presentazione della domanda),
o anche di genitori e figli minori (per es., se il figlio minore del richiedente
asilo si trova legalmente in uno Stato membro, ma non in qualità di rifugiato),
per non dire dei casi in cui il legame familiare è meno stretto.
82 Certo, le clausole di sovranità ed umanitaria offrono tuttora un rimedio
alle lacune dei criteri di competenza.
In particolare, la "nuova" clausola umanitaria - la cui applicazione è
generalmente facoltativa (v. art. 15, par. l RD) - dev'essere "normalmente"
od "ove possibile" applicata nei casi più problematici di rottura dell'unità
familiare (rapporti particolari di dipendenza: art. 15, par. 2; minori non
accompagnati: art. 15, par. 3 RD; cf. supra, no 76). Se ne potrebbe dedurre
che nei casi appena richiamati gli Stati siano tenuti a riavvicinare i membri
della famiglia, a meno che non vi si opponga un valido motivo (ciò si può
argomentare anche ex cons. 6 RD: "l'unità del nucleo familiare dovrebbe
essere preservata, nella misura compatibile con gli altri obiettivi [del sistema
Dublino II]"; v. anche Regolamento n° 1560/2003, cit. supra, n° 27, art. 15,
par. 2 e 3).
83 Tale non è, tuttavia, l'interpretazione seguita dalle amministrazioni
nazionali, che a quanto risulta considerano sempre puramente facoltativa
l'applicazione dell'articolo 15 RD, e più generalmente fanno un uso
estremamente parsimonioso di questa disposizione e della clausola di
sovranità a fini di ricongiungimento familiare.
Deve anzi rilevarsi che la prassi applicativa del Regolamento accentua sotto
molti aspetti le lacune del sistema "Dublino II" sotto il profilo della tutela

443
della famiglia. In particolare: (a) come si è detto, numerose amministrazioni
nazionali esigono una prova formale dei rapporti familiari contemplati
dall'articolo 2 lett. i RD, prova che i richiedenti asilo sono spesso
nell'impossibilità di fornire; (b) i criteri di competenza fondati sul principio
dell'unità familiare sono generalmente applicati in modo estremamente
rigido; (c) l'articolo 6, par. l RD, che istituisce un generoso regime di
ricongiungimento familiare a favore dei minori non accompagnati, risulta una
fra le disposizioni meno e peggio applicate del Regolamento.
84 In definitiva, nell'applicazione che ne fanno le amministrazioni nazionali,
il sistema Dublino II è tuttora causa di frequenti e talvolta gravi pregiudizi
all'unità delle famiglie dei richiedenti asilo.

V. Le ''regole di Dublino" ed i diritti fondamentali-


inquadramento sistematico

A. Introduzione
85 Nel corso dei capitoli seguenti (VI e VII), si vaglierà se ed a quali
condizioni le "regole di Dublino" possano dirsi conformi alle esigenze della
salvaguardia dei diritti fondamentali. Preliminarmente, è tuttavia opportuno
richiamare in che modo i diritti fondamentali rilevino ai fini
dell'interpretazione ed applicazione del sistema "Dublino II".

B. I diritti fondamentali quali parte integrante dell'ordinamento


giuridico comunitario
l. I diritti fondamentali quali principi generali del diritto comunitario
86 Come affermato dalla Corte di giustizia delle Comunità europee
("CGCE"), e come risulta dall'articolo 6, par. 2 TUE, l'ordinamento giuridico
dell'Unione europea tutela i diritti fondamentali, che ne fanno parte integrante
in qualità di principi generali del diritto comunitario.
In un'opera di creazione giurisprudenziale iniziata già nel 1969, la CGCE ha
progressivamente elaborato il catalogo non scritto dei diritti fondamentali
"comunitari". A tal fine, essa si è ispirata alle tradizioni costituzionali degli
Stati membri ed ai trattati internazionali relativi alla tutela dei diritti
dell'uomo, cui gli Stati membri "hanno cooperato o aderito". Tra tali "fonti di
ispirazione", la Convenzione europea dei diritti dell'uomo ha assunto ed
assume un'importanza particolare, come peraltro risulta dallo stesso articolo 6
TUE.

444
87 In quanto principi generali del diritto comunitario, i diritti fondamentali
sono gerarchicamente sovraordinati agli atti delle istituzioni. Questi ultimi
debbono dunque essere interpretati, nei limiti del possibile, nel senso della
loro conformità ad essi. Laddove sussiste un contrasto non sanabile per via
interpretativa, gli atti di diritto derivato o le loro disposizioni contrarie ai
diritti fondamentali sono invalidi.
88 Al di là di ogni considerazione in merito alla loro posizione gerarchica, i
principi fondamentali integrano inoltre il diritto comunitario scritto
colmandone le lacune, secondo la loro funzione originaria (v. CGCE, causa
7/56 e 3 a 7/57, Algera, Racc. 1957, 81).
89 Deve sottolinearsi che gli Stati membri sono pienamente tenuti al rispetto
dei principi generali, ogniqualvolta agiscono "nel quadro" del diritto
comunitario. In particolare, quando essi applicano delle misure comunitarie,
tale applicazione dev'essere conforme ai principi generali, sia sotto l'aspetto
procedurale, sia sotto l'aspetto materiale (v. part. CGCE, causa 5/88,
Wachauf, Racc. 1989, 2609, cons. 19).
2. I diritti fondamentali e gli atti comunitari in materia d'asilo
90 Nel caso delle misure comunitarie in materia d'asilo - e dunque del
Regolamento Dublino II e delle misure ad esso collegate - le esigenze del
Trattato riguardo al rispetto dei diritti fondamentali vanno al di là della sola
osservanza dei principi generali. Ai sensi dell'articolo 63, no l TCE, infatti,
tali misure debbono essere "a norma della [Convenzione di Ginevra] e degli
altri trattati pertinenti", fra i quali debbono annoverarsi, per connessione
ratione materiae, la CEDU, il PIDCP, le Convenzioni universale ed europea
contro la tortura, nonché la Convenzione sui diritti del fanciullo ("CDF"). In
virtù del Trattato CE, dunque, tali trattati e convenzioni costituiscono
parametro d'interpretazione e metro di legittimità del diritto derivato in
materia d'asilo.
91 Peraltro, nell'interpretazione del Regolamento Dublino Il, deve prendersi
in considerazione anche la Carta dei diritti fondamentali dell'Unione europea.
Ciò discende, in particolare, del riferimento esplicito che il considerando
no 15 della motivazione del Regolamento fa ad essa.

C. Il rispetto dei diritti fondamentali in quanto obbligo internazionale


degli Stati membri ed associati
92 Tutti gli Stati che partecipano all'applicazione del sistema "Dublino Il",
in virtù del diritto comunitario o del diritto internazionale (Stati associati),

445
hanno sottoscritto diversi trattati internazionali in materia di protezione dei
diritti fondamentali, in particolare la CEDU, il PIDCP e la CDF.
In linea di principio, essi sono tenuti a rispettare gli obblighi così assunti in
ogni loro atto, e dunque anche quando agiscono in esecuzione del diritto
comunitario o di altri trattati internazionali da essi conclusi. Ciò è stato
confermato, con particolare riferimento ai rapporti tra la CEDU, da una parte,
e gli altri trattati conclusi dai suoi Stati contraenti nonché il diritto
comunitario, dall'altra, dalla Corte EDU. Essa ha infatti precisato che i diritti
garantiti dalla CEDU debbono essere rispettati sia nell'esecuzione degli
obblighi derivanti da convenzioni internazionali posteriori (in merito ai
rapporti tra la CEDU e la Convenzione di Dublino, v. Corte EDU, T.I. c.
Regno Unito, decisione 7 marzo 2000, Racc. 2000-III), sia nell'esecuzione
del diritto comunitario derivato (v. in particolare Corte EDU, Bosphorus
Airways c. Irlanda [GC], sentenza 30 giugno 2005, np, § 152-154).
93 Tale principio non soffre alcuna limitazione quando il diritto comunitario
od internazionale applicabile lascia allo Stato un margine di manovra
sufficiente perché esso possa, in sede di esecuzione, conformarsi
simultaneamente ai suoi obblighi in materia di diritti fondamentali. In altri
termini, gli Stati sono in via di principio tenuti ad applicare il diritto
comunitario od internazionale pertinente in modo conforme alle esigenze che
derivano dal rispetto dei loro obblighi in materia di diritti fondamentali.
94 La situazione giuridica è assai più complessa nei casi in cui si verifica un
conflitto - anche solo potenziale - di obblighi. Tale problematica è stata
affrontata dalla Corte EDU, in riferimento ai rapporti fra la CEDU ed il diritto
comunitario derivato, nella citata sentenza Bosphorus Airways (n° 92). Deve
tuttavia anticiparsi che l'esecuzione del sistema "Dublino II" non dà luogo ad
una simile ipotesi (cf. infra, no 131, 148 ss e 161 ss).

D. Il sistema "Dublino II" e i diritti fondamentali: quadro d'insieme


95 Gli Stati membri dell'Unione europea sono tenuti, nei limiti del possibile,
ad interpretare e ad applicare il sistema Dublino II" in modo conforme ai
principi generali del diritto comunitario, nonché, in virtù dell'articolo 63, no l
TCE, ai trattati cui tale disposizione rinvia (in caso di contrasto non sanabile
per via interpretativa, spetterebbe alla Corte di Giustizia procedere
all'invalidazione delle disposizioni incriminate).
Tale obbligo incombe sui soli ventiquattro Stati membri che applicano il
sistema "Dublino II" in forza del Regolamento no 343/2003 e degli atti
comunitari ad esso collegati (espressione che include, per tali Stati, anche gli

446
Accordi d'associazione, che sono stati conclusi dalla Comunità e che quindi
sono per essi fonti di diritto comunitario: cf. supra, no 41). Gli Stati associati
- inclusa la Danimarca - applicano invece il sistema "Dublino II" in virtù del
diritto internazionale. Essi non agiscono, dunque, "nel quadro" del diritto
comunitario, e non sono vincolati né dall'articolo 63 TCE, né dai principi
generali.
96 Indipendentemente da tale distinzione, tutti gli Stati che partecipano al
sistema "Dublino II" sono obbligati a fame un'applicazione rispettosa dei
diritti fondamentali, quali essi sono garantiti dai trattati internazionali dei
quali essi sono Parti contraenti (segnatamente la CEDU, il PIDCP e la CDF).
Come si è accennato, infatti, il sistema Dublino II lascia agli Stati membri ed
associati un sufficiente margine di discrezionalità per conformarsi,
simultaneamente, alle sue disposizioni ed a quelle di tali trattati internazionali
(cf. supra, no 94).

VI. D sistema "Dublino Il" ed il diritto al rispetto della vita


familiare

A. Introduzione (premessa metodologica)


97 I trattati internazionali che tutelano esplicitamente o implicitamente
l'unità familiare dei migranti sono numerosi. In questa sede, tuttavia, è parso
opportuno prendere in considerazione unicamente quei trattati che
definiscono standard vincolanti per tutti gli Stati membri ed associati, e di cui
beneficia ogni richiedente asilo, indipendentemente dalla sua cittadinanza.
Rispondono a tali requisiti la CEDU (art. 8), il PIDCP (artt. 17 e 23) e la CDF
(spec. art. 10).
98 L'articolo 10 CDF è tuttavia norma di carattere essenzialmente
procedurale. Sarà dunque esaminato nel corso del cap. VII, specificamente
dedicato alle tutele da riconoscersi ai richiedenti asilo nelle procedure di
applicazione del Regolamento Dublino II (cf. infra, no 143).
99 Riguardo agli articoli 17 e 23 PIDCP, deve rilevarsi che
nell'interpretazione sinora fornita dal Comitato dei diritti dell'uomo delle
Nazioni Unite essi proteggono contro l'espulsione principalmente gli stranieri
che hanno lungamente risieduto nel territorio di uno Stato contraente, e che vi
hanno fondato una famiglia. Nel contesto applicativo del Regolamento
Dublino II, tuttavia, la pretesa ali 'unità familiare è generalmente fatta valere
con riferimento all'ammissione di stranieri non presenti sul territorio, o

447
all'espulsione di stranieri presenti da un breve lasso di tempo. In tali materie,
alla luce della più recente giurisprudenza della Corte EDU, sembra potersi
affermare che l'articolo 8 CEDU definisca uno standard di protezione più
elevato rispetto agli articoli 17 e 23 PIDCP. Dal momento che sia la CEDU
(art, 53), sia il PIDCP (art 5, par. 2) definiscono standard minimi di
trattamento, si esaminerà nelle pagine che seguono unicamente lo standard
più elevato- quello dell'articolo 8 CEDU.
100 Deve infine rilevarsi che il "diritto al rispetto della vita familiare"
costituisce anche un principio generale del diritto .comunitario (cf. supra,
no 86). Non sarà tuttavia necessario esaminare specificamente la
giurisprudenza della CGCE relativa a tale diritto. A tale riguardo, infatti, la
CGCE si rifà essenzialmente all'articolo 8 CEDU ed alla giurisprudenza degli
organi di Strasburgo - salvo nei casi in cui il diritto al rispetto della vita
familiare è fatto valere congiuntamente alle norme comunitarie in materia di
libera circolazione delle persone, un'ipotesi che tuttavia non ha alcuna
pertinenza in questa sede.
101 In conclusione, si esaminerà qui di seguito l'articolo 8 CEDU e la
giurisprudenza della Corte EDU ad esso afferente (n° 102-118), per poi
rapportarne i principi applicativi alle "regole di Dublino" (n° 119-136).

B. Il diritto al rispetto della vita familiare e l'immigrazione


l. Principi generali
102 L'articolo 8, par. l CEDU conferisce ad ognuno il "diritto al rispetto
della propria vita [ ... ] familiare [ ... ]". Nel novero degli interessi tutelati da
tale disposizione vi è quello all'unità familiare. "Essere insieme" è invero un
elemento essenziale della vita familiare, in particolare per quanto attiene ai
rapporti fra coniugi e fra genitori e figli.
103 Né la Convenzione, né la giurisprudenza della Corte EDU definiscono in
modo esaustivo i rapporti costitutivi di una "vita familiare" ai sensi
dell'articolo 8. Nel decidere se un rapporto personale ricade in tale nozione,
deve aversi riguardo alla sua natura (grado di parentela) ed alla sua realtà
concreta.
104 Taluni rapporti familiari godono automaticamente della protezione della
Convenzione. Si tratta: (a) dei rapporti fra coniugi costituiti con un
matrimonio "valido" - espressione da intendersi in modo elastico ed
inclusiva, per es., dei matrimoni religiosi; (b) dei rapporti fra genitori e figli
minori (legittimi, naturali o adottivi) che costituiscono "vita familiare" per il

448
solo fatto della nascita o dell'adozione, e che solo eventi assolutamente
eccezionali possono spezzare. Ai rapporti tra coniugi sono in larga parte
equiparati i rapporti di coppia stabiliti al di fuori del matrimonio da
persone di sesso opposto. Tali rapporti, per costituire "vita familiare",
debbono avere un certo grado di effettività, senza tuttavia che la coabitazione
costituisca una condizione necessaria a tale riguardo.
105 Anche altri rapporti di parentela (tra genitori e figli adulti, tra fratelli,
tra zii e nipoti, ecc.) possono costituire "vita familiare" ai sensi dell'articolo 8
CEDU, a patto però che gli interessati possano provare l'esistenza di un forte
legame di fatto. In particolare, i rapporti fra adulti (eccettuati, naturalmente, i
rapporti di coppia) non rientrano fra quelli tutelati dall'articolo 8, a meno che
non sia dimostrata l'esistenza di elementi di dipendenza di un familiare nei
confronti dell'altro.
106 L'articolo 8 protegge innanzitutto l'individuo nei confronti delle
ingerenze dello Stato, intendendosi per ingerenza ogni intervento delle
autorità pubbliche che impedisce, contro la volontà degli interessati, lo
svolgimento normale dei suddetti rapporti familiari. Il diritto al rispetto della
vita familiare può tuttavia, a norma della Convenzione, subire delle
limitazioni: l'articolo 8, par. 2 CEDU autorizza infatti le misure di ingerenza
che siano previste dalla legge e che siano necessarie, in una società
democratica, al perseguimento degli scopi ivi limitativamente enumerati (per
es., la sicurezza nazionale od il benessere economico del paese).
Oltre agli obblighi "negativi" di non ingerenza, l'articolo 8 impone agli Stati
contraenti l'adozione delle misure positive che si rivelino necessarie per
garantire un effettivo godimento dei diritti che esso garantisce ("obblighi
positivi").
107 Come si è già accennato (cf. supra, no 9), sebbene la CEDU non
garantisca in quanto tale il diritto dello straniero di entrare e soggiornare nel
territorio degli Stati contraenti, la decisione di escludere ("écarter") uno
straniero dal territorio in cui vivono alcuni membri della sua famiglia può, a
determinate condizioni, costituire una violazione dell'articolo 8 CEDU. La
distinzione fra obblighi "negativi" e "positivi" che si è appena richiamata si
traduce, nel contenzioso relativo all'ingresso ed al soggiorno degli stranieri,
nella distinzione fra casi di "allontanamento" e casi di "non ammissione".
108 La Corte EDU considera alla stregua di "ingerenze" le misure con le
quali uno Stato allontana dal suo territorio uno straniero in precedenza
autorizzato a risiedervi, laddove tali misure abbiano per effetto di separarlo
dai membri della sua famiglia che continuano a soggiornarvi. La

449
compatibilità di tali ingerenze con la Convenzione è poi valutata alla luce
dell'articolo 8, par. 2.
Deve distinguersi da tale ipotesi quella in cui lo Stato nega ad uno straniero
l'autorizzazione a soggiornare sul suo territorio con i membri della· sua
famiglia. Tale fattispecie include sia le misure con cui uno Stato non
autorizza l'ingresso di uno straniero fisicamente non presente sul suo
territorio, sia quelle con cui uno Stato allontana uno straniero irregolarmente
presente, o solo provvisoriamente autorizzato al soggiorno, nell'attesa di una
decisione definitiva sulla richiesta da lui presentata al fine di ottenere un
permesso. In tali casi, l'analisi della Corte è volta a determinare l'esistenza o
l'inesistenza di un obbligo positivo di ammissione dello straniero per motivi
familiari.
109 I principi applicabili al controllo di conformità delle misure di
"allontanamento" e di "non ammissione" non sono identici. Tuttavia essi sono
comparabili: in entrambi i casi, la Corte esamina se, tenuto conto del margine
di discrezionalità che deve riconoscersi agli Stati contraenti in materia
d'immigrazione, la misura di allontanamento o non ammissione rispetta un
giusto equilibro tra gli interessi concorrenti dello Stato e delle persone
interessate.
2. Il giudizio di conformità all'articolo 8 CEDU delle misure di
allontanamento: struttura logica e circostanze rilevanti
110 Le misure di allontanamento, ove comportino un'ingerenza nel diritto al
rispetto della vita familiare, vanno soggette ad un giudizio di conformità alla
Convenzione che si articola in diversi passaggi logici, dettati dall'articolo 8,
par. 2 CEDU (cf. supra, no 106 e 108). Il passaggio decisivo è tuttavia, di
norma, il giudizio sulla, loro "necessità in una società democratica", e più
precisamente sulla loro proporzionalità. Esso consiste in un esercizio di
bilanciamento degli interessi in gioco. La Corte valuta da un lato la gravità
dell'ingerenza nella vita familiare, o se si vuole del sacrificio che la misura
impone agli interessati, e dali' altro l'intensità dell'interesse pubblico
all'allontanamento dello straniero.
111 La gravità dell'ingerenza viene misurata prendendo in considerazione
una serie di circostanze: (a) l'intensità dei legami che l'interessato ha
intessuto con il paese dal quale viene allontanato, e di quelli che egli ha
conservato con il suo paese d'origine - a tale riguardo, deve distinguersi in
particolare la situazione degli stranieri "integrati" (immigrati di seconda
generazione, stranieri giunti nella loro prima infanzia) da quella degli stranieri
giunti in età adulta; (b) la situazione familiare dell'interessato, ed in

450
particolare la qualità e l'intensità dei suoi rapporti con i membri della sua
famiglia residenti nel paese dal quale viene espulso; (c) la durata della
separazione causata dalla misura d'ingerenza (divieto di reingresso a tempo
indeterminato o a tempo determinato); (d) l'esistenza di ostacoli alla
ricostituzione del nucleo familiare in un altro paese, da valutarsi in concreto,
avendo riguardo alla cittadinanza di tutti gli interessati, nonché ai loro legami
rispettivi con il paese che procede all'espulsione ed al (potenziale) paese di
destinazione della famiglia; (e) la "prevedibilità" dell'allontanamento agli
occhi dei familiari, vale a dire la loro conoscenza, al momento della
costituzione del vincolo familiare, della precarietà della situazione di
soggiorno dello straniero allontanato.
112 Quanto all'intensità dell'interesse pubblico, deve distinguersi l'ipotesi
in cui lo straniero è allontanato a causa della cessazione del motivo di
soggiorno - nel qual caso la misura persegue di norma, nella sistematica
dell'articolo 8, par. 2, l'obiettivo di garantire il "benessere economico del
paese" - da quella in cui egli viene espulso in seguito a condanna penale, o
per aver commesso un fatto altrimenti illecito - nel qual caso la misura ha per
fine la "difesa dell'ordine" e la "prevenzione dei reati". Va da sé che
l'interesse pubblico è più intenso nella seconda ipotesi, e ch'esso è quasi
sistematicamente prevalente in caso di commissione di reati di grave allarme
sociale.
3. Il giudizio di conformità all'articolo 8 CEDU delle misure di non
ammissione: struttura logica e circostanze rilevanti
113 In merito agli obblighi positivi di ammissione derivanti dall'articolo 8
CEDU, la Corte si rifà a tre principi di validità generale, strettamente
connessi fra loro: (a) la sussistenza di un simile obbligo dipende dalla
situazione degli interessati e dall'interesse generale; (b) in linea di principio,
gli Stati contraenti hanno diritto di controllare l'ingresso degli stranieri sul
loro territorio; (c) l'articolo 8 non pone a loro carico un obbligo generale di
ammissione.
I principi richiamati sub (b) e (c) sottolineano come l'affermazione di un
obbligo di ammissione per motivi attinenti al rispetto della vita familiare
sussista esclusivamente a determinate condizioni - sino a tempi recenti, si
sarebbe potuto dire in casi eccezionali (ma cf. infra, n° 118). Il principio
richiamato sub (a) racchiude i due termini del bilanciamento di interessi in cui
consiste il giudizio di conformità alla Convenzione di una misura di non
ammissione. Deve rilevarsi, tuttavia, che ad oggi l'interesse pubblico in gioco
ha costituito una costante di tale "equazione": l'interesse al rispetto delle
leggi in materia di immigrazione ed al perseguimento della politica decisa in

451

- -----1
merito dagli organi preposti o, nei termini dell'art. 8, par. 2, la tutela del
"benessere economico del paese". La variabile è invece sempre stata la
"situazione degli interessati", che deve valutarsi alla luce di una serie di
circostanze non dissimili da quelle richiamate in precedenza (cf. supra,
n° 111).
114 Tali circostanze pertinenti sono essenzialmente le seguenti: (a) il
carattere volontario o involontario del movimento migratorio del
"soggiornante" (cioè, secondo la terminologia impiegata dalla Direttiva
no 2003/86, cit. supra, no 69, dello straniero che si è stabilito in uno Stato
contraente e che richiede l'ammissione del membro della sua famiglia) che ha
determinato in origine la separazione; (b) la natura e l'intensità del vincolo
familiare, di cui costituiscono indizi la frequenza delle visite rese dall'uno
all'altro membro della famiglia, il sostegno finanziario eventualmente
prestato dall'uno all'altro, nonché la tempestività e la diligenza con le quali il
"soggiornante" si attiva per ottenere l'ammissione del membro della famiglia;
(c) la situazione del membro della famiglia nel paese d 'origine - ·in
particolare, ove si tratti di un minore, la sua età, il grado di indipendenza o
l'ambiente familiare nel quale è inserito; (d) infine, l'esistenza di ostacoli al
ricongiungi:mento familiare in un altro paese (per una disamina di tale
elemento, cf. infra, n° 118).
4. Sintesi: il bilanciamento degli interessi in gioco
115 La giurisprudenza della Corte EDU non consente di tracciare un confine
netto fra le misure di allontanamento o di non ammissione conformi
all'articolo 8 CEDU, e quelle che invece violano tale disposizione. Come si è
visto, si tratta di un giudizio nel quale debbono prendersi in considerazione
numerose "variabili", ed il cui risultato è fortemente condizionato dalle
circostanze proprie ad ogni fattispecie concreta. Gli orientamenti dell'Alta
giurisdizione hanno tuttavia progressivamente acquisito chiarezza nella
giurisprudenza più recente, alla stregua della quale conviene distinguere tre
situazioni di base.
116 Nel contenzioso relativo all'allontanamento degli stranieri "integrati"
(cf. supra, no 111) la posizione espressa dalla Corte si articola attorno a due
capisaldi: (a) l'allontanamento costituisce di per sé un'ingerenza in un diritto
tutelato dall'articolo 8 CEDU- il diritto al rispetto della vita privata, sempre,
e ove siano coinvolti rapporti familiari, il diritto al rispetto della vita
familiare; (b) tale ingerenza è giustificata dall'articolo 8, par. 2 solo se lo
straniero si è reso responsabile di comportamenti particolarmente gravi e
pericolosi.

452
117 La pos1z10ne è più sfumata per quanto riguarda le misure di
allontanamento degli stranieri stabilitisi in età adulta in uno Stato
contraente. Tali misure vengono analizzate sul terreno del diritto al rispetto
della vita familiare. Se esse incidono su stretti rapporti familiari (per es., fra
lo straniero ed i suoi figli minori od il suo coniuge), e non ci si può
ragionevolmente attendere che i familiari seguano lo straniero nel paese verso
cui viene espulso, l'articolo 8, par. 2 permette di giustificarle in linea di
massima solo quando sono motivate dalla commissione di reati - non già
quando la loro adozione discende da semplici esigenze di controllo
migratorio.
118 In materia di ammiSSione per motivi familiari, ferma restando
l'importanza delle altre circostanze già richiamate (cf. supra, n° 114), la
verifica di un obbligo "positivo" in capo agli Stati contraenti dipende
principalmente dall'esistenza o meno di ostacoli alla ricostituzione del nucleo
familiare in un altro paese, id est al trasferimento del "soggiornante"
(cf. supra, no 114) in tale altro paese.
Senza deviare formalmente da tale principio, la Corte ha considerevolmente
mutato la propria posizione in merito alla definizione di "ostacolo". Dalle
decisioni rese fra il 1985 ed il 1996, poteva evincersi che costituissero un
ostacolo gravissime ragioni di salute, il rischio di andare soggetto a
persecuzione o a tortura, od un impedimento giuridico (per es., mancato
possesso della cittadinanza del paese di destinazione). Non già, invece, il
sacrificio della posizione (economica, professionale, sociale, familiare)
acquisita dal "soggiornante" nello Stato contraente di residenza. Il rigore di
tali decisioni è stato tuttavia sostituito da un atteggiamento più equilibrato a
partire dalla sentenza Sen c. Olanda (Corte EDU, Sen c. Olanda, sentenza 21
dicembre 2001, np). In questa importante pronuncia la Corte attribuisce un
maggior peso, nel bilanciamento degli interessi, all'aspirazione dei migranti
al ricongiungimento con i loro figli minori, temporaneamente lasciati nel
paese d'origine, ed espande il concetto di "ostacolo" sino a ricomprendere la
piena integrazione dei soggiornanti nello Stato in cui risiedono.

C. La definizione di "membro della famiglia" nel Regolamento Dublino


Il, alla luce della sistematica dei diritti fondamentali
119 Nelle pagine che seguono (cf. infra, no 122 ss) si procederà a vagliare la
compatibilità del Regolamento Dublino II con il diritto al rispetto della vita
familiare, incentrando il ragionamento- come si vedrà- sull'obbligo di farne
un'interpretazione ed un'applicazione "conformi" (su tale obbligo, cf. supra,
no 95 e 96).

453
La valenza dei diritti fondamentali ai fini dell'interpretazione del
Regolamento non si esaurisce tuttavia in tale aspetto. Al di là di qualsiasi
giudizio di conformità, deve infatti rilevarsi come il legislatore comunitario
abbia preso spunto dai trattati in materia di protezione dei diritti dell'uomo e
dalla relativa prassi interpretativa ed applicativa nella redazione delle
disposizioni definitorie del Regolamento. In forza di tali collegamenti testuali
e sistematici, possono in particolare sciogliersi taluni dubbi interpretativi
relativi alla definizione di "membro della famiglia" valida ai fini
dell'applicazione del Regolamento (art. 2, lett. i RD).
120 La giurisprudenza della Corte EDU offre innanzitutto utili indicazioni in
merito al requisito della "costituzione dei rapporti familiari nel paese
d'origine" (cf. supra, no 68). Il momento della costituzione dei rapporti ivi
elencati deve infatti riportarsi alla celebrazione del matrimonio "valido", della
nascita dei figli minori, dell'adozione (cf. supra, no 104). Peraltro, i principi
relativi all'interpretazione dell'articolo 8 CEDU indicano con chiarezza che,
contrariamente a quanto risulta facciano talune amministrazioni nazionali, un
rapporto fra coniugi deve ritenersi validamente costituito anche quando il
matrimonio è avvenuto in forme religiose o secondo le tradizioni della cultura
di appartenenza degli interessati (cf. supra, no 104).
121 Valorizzando i legami sistematici fra le disposizioni del Regolamento e le
pertinenti norme in materia di diritti fondamentali - in questo caso, la CDF e
la prassi internazionale relativa alla sua interpretazione - può inoltre chiarirsi
il significato del termine "tutore", che l'articolo 2 lett. i impiega, senza
fornirne una definizione.
A tal fine bisogna innanzitutto rifarsi alla nozione di "minore non
accompagnato" (art. 2 lett. h RD), che ricomprende i minori non coniugati
che entrano nel territorio degli Stati membri "senza essere accompagnati da
una persona adulta responsabile per [essiJ in base alla legge o agli usi". Tali
"adulti" debbono identificarsi con "il padre la madre o il tutore" ai sensi
dell'articolo 2 lett. i RD. In tal senso militano ragioni di coerenza sistematica
del Regolamento, ed in tal senso depone la prassi internazionale riguardante i
richiedenti asilo minori e non accompagnati, cui il legislatore comunitario si è
ispirato. Resta da chiarire quando un adulto possa essere considerato
"responsabile in base alla legge ed agli usi", un aspetto sul quale il
Regolamento non offre indicazioni. A tale riguardo, deve segnalarsi una Nota
pubblicata dall' ACNUR nel 1997 (Guidelines on policies and procedures in
dealing with unaccompanied children seeking asylum), secondo la quale ci si
deve riferire - nello stabilire se un adulto che accompagna un minore è per
esso responsabile- alla legge ed agli usi del paese d'origine degli interessati.

454
D. La compatibilità del sistema "Dublino II" con il diritto al rispetto
della vita familiare
1. Osservazioni preliminari
122 Come si è detto in precedenza, l'applicazione dei criteri di competenza
definiti dal Regolamento Dublino II può condurre alla separazione di membri
di una stessa famiglia, o impedire il loro ricongiungimento. Deve ora valutarsi
se, in tali casi, può verificarsi una violazione del diritto al rispetto della vita
familiare. Nell'ipotesi in cui si pervenga ad una risposta affermativa a tale
quesito, si dovranno poi trarre le opportune conseguenze sul piano
dell'interpretazione o della validità del Regolamento Dublino II.
Preliminarmente, tuttavia deve verificarsi se- e come -l'articolo 8 CEDU si
applichi in caso di pregiudizio dell'unità familiare derivante dall'esecuzione
del Regolamento Dublino II.
2. L'inquadramento dei provvedimenti di determinazione dello Stato
competente nella sistematica dell'articolo 8 CEDU
123 Il fatto che uno Stato membro, nell'applicare il Regolamento Dublino II,
escluda un richiedente asilo dal proprio territorio ricade nell'ambito di
applicazione dell'articolo 8 CEDU quando in tale territorio si trovino persone
legate al richiedente da un rapporto costitutivo di "vita familiare" ai sensi di
tale disposizione (cf. supra, n° 103 ss).
124 Ciò posto, occorre esaminare se tali misure di "esclusione" rilevano in
quanto possibili ingerenze, o viceversa se in esse debbano vedersi delle
potenziali inadempienze di un obbligo positivo di ammissione.
In base al Regolamento, gli Stati adottano sia misure di espulsione dei
richiedenti asilo (trasferimenti), sia misure con cui rifiutano di autorizzarne
l'ingresso sul loro territorio (per es., decisioni di rigetto delle richieste
presentate da altri Stati membri ai sensi dell'art. 15 RD). In entrambi i casi,
tuttavia, il richiedente asilo è di norma privo di un titolo di soggiorno
rilasciato dallo Stato che lo "esclude". Si ricorderà, infatti, che lo Stato che
rilascia un titolo di soggiorno al richiedente asilo è, o diviene
successivamente, competente per l'esame della sua domanda d'asilo (v. artt. 9
e 16, par. 2 RD). Salve eccezioni (per es., il richiedente è trasferito da uno
Stato membro che gli ha rilasciato un titolo di soggiorno verso un altro, che
gliene ha rilasciato uno di maggior durata: art. 9, par. 3 lett. a RD), le suddette
misure di "esclusione" sono dunque da considerarsi misure di "non
ammissione" ai fini dell'applicazione dell'articolo 8 CEDU. La loro
conformità a tale disposizione deve dunque valutarsi sul terreno degli
obblighi positivi (cf. supra, no 108 e 109).

455
3. "Costanti" e "variabili" rilevanti ai fini dell'interpretazione
dell'articolo 8 CEDU nell'ambito del sistema di Dublino
125 Per stabilire in astratto se l'applicazione dei criteri di competenza stabiliti
dal Regolamento Dublino II può dar luogo a delle violazioni dell'articolo 8
CEDU, conviene riesaminarli alla luce delle "variabili" che la Corte EDU
prende in considerazione quando deve statuire sull'esistenza o meno di
obblighi positivi di ammissione derivanti da tale disposizione (cf. supra,
no 114). Come si ricorderà, tali "variabili" o circostanze rilevanti attengono
alla "situazione degli interessati", da un lato, ed ali "'interesse pubblico",
dall'altro.
126 Viene innanzitutto in rilievo il profilo della natura ed intensità dei
rapporti familiari coinvolti. In merito, si possono formulare principalmente
due osservazioni di validità generale.
(a) La definizione di "membro della famiglia" di cui al Regolamento
(art. 2 lett. i RD) non copre l'insieme dei rapporti suscettibili di
costituire una "vita familiare" protetta dall'articolo 8 CEDU. Ne
sono esclusi, innanzitutto, quei rapporti che pur situandosi ai margini
del campo d'applicazione di questa disposizione, ben possono
rientrarvi in casi particolari (cf. supra, no 105). Ne sono esclusi,
inoltre, taluni dei rapporti che della nozione di "vita familiare"
costituiscono il nucleo centrale (per es., i rapporti fra coniugi non
costituiti nel paese d'origine). Tali rapporti "esclusi" non rilevano,
come si è detto, ai fini della determinazione dello Stato responsabile
(per maggiori dettagli, cf. supra, no 79).
(b) Anche per quanto riguarda i rapporti costitutivi di "vita familiare"
inclusi nella definizione regolamentare di "membro della famiglia",
la preservazione o ricostituzione dell'unità familiare non è sempre
garantita: ad esempio, nessun criterio di competenza garantisce che
un richiedente asilo adulto sia riunito al figlio minore che si trovi in
uno Stato membro in quanto beneficiario di uno status di protezione
sussidiaria.
In sintesi, può affermarsi che l'applicazione dei criteri di competenza può
condurre - ed in effetti, conduce di frequente - alla separazione od alla
mancata riunificazione di persone legate da "vita familiare", incluse quelle
legate da strettissimi vincoli di parentela.
127 Si è rilevato sopra (n° 114) che il carattere volontario od involontario
dell'originaria separazione è circostanza che dev'essere tenuta presente nel
contesto dei casi di "non ammissione". I criteri di competenza stabiliti dal

456

-- -~- -1
Regolamento sono del tutto insensibili a tale "variabile", di talché la loro
applicazione può perpetuare o causare uno stato di separazione anche in
assenza di qualsiasi "responsabilità" da parte degli interessati.
128 Per quanto attiene all'esistenza di ostacoli alla ricostituzione del nucleo
familiare del richiedente asilo in un altro paese, taluni autori, e talune
giurisdizioni nazionali, hanno affermato che quand'anche essi sussistano, si
deve presumere che essi siano puramente temporanei. In realtà, debbono
distinguersi due momenti diversi.
Sino al termine della procedura d'asilo, deve presumersi che il
ricongiungimento non possa aver luogo nel paese d'origine del richiedente
asilo (cf. supra, no 6 e 118). Dal momento che, ex hypothesi, questi non viene
ammesso nello Stato in cui si trova il membro della sua famiglia, un
ricongiungimento può aver luogo, in tale fase, solo se il membro della
famiglia si trasferisce nello Stato competente. Se ciò sia possibile o meno,
dipende fondamentalmente dalla situazione personale di quest'ultimo (per es.,
dalla sua cittadinanza).
Naturalmente, la situazione descritta è per definizione provvisoria- ed è per
questo che secondo l'opinione sopra richiamata il Regolamento Dublino II
non produrrebbe altro che situazioni "temporanee" di separazione. Rileviamo,
tuttavia, che per quanto provvisoria, essa può durare diversi anni. Inoltre, e
soprattutto, non è affatto sicuro che al termine della procedura d'asilo un
ricongiungimento familiare possa aver luogo nello Stato competente, nello
Stato in cui si trova il familiare, o altrove. Si consideri ad esempio l'ipotesi
seguente, invero per nulla eccezionale: la domanda d'asilo del richiedente
viene respinta, ma egli è ammesso al beneficio di uno status di protezione
sussidiaria; il suo familiare gode di uno status simile in un altro Stato
membro. In tale situazione, il ricongiungimento nel paese d'origine resta
escluso. Inoltre, secondo il diritto comunitario ed il diritto nazionale della
maggioranza degli Stati membri, nessuno dei due familiari gode del diritto al
ricongiungimento familiare, né di un qualsiasi diritto alla libera circolazione.
Come si può constatare, dunque, l'applicazione dei criteri di competenza può
dar luogo a situazioni di separazione che - a seconda delle caratteristiche di
ogni caso di specie - possono essere temporanee, prolungate ed in talune
ipotesi di durata indefinita.
129 Si deve ora esaminare quale sia l'interesse pubblico perseguito
attraverso le misure di "esclusione" di cui s'è detto. Si rammenti che tali
misure non sono mai richieste dal diritto comunitario (v. artt. 3 e 15 RD), e
che dunque l'esigenza di ottemperare agli obblighi derivanti dal diritto

457
comunitario non può invocarsi in tale contesto. Piuttosto, come si è osservato,
il fine perseguito con tali misure è quello di controllare l'ingresso e soggiorno
di una particolare categoria di stranieri, i richiedenti asilo (cf. supra, no 80).
Tale obiettivo è riconducibile - secondo la terminologia della Convenzione -
alla salvaguardia del "benessere economico del paese" (cf. supra, no 112).
4. Il sistema "Dublino II" e l'articolo 8 CEDU: il principio
d'applicazione conforme e le sue implicazioni
130 Il quadro che emerge dalle considerazioni appena svolte è il seguente:
l'applicazione dei criteri di competenza può, in determinati casi, tradursi nella
"non ammissione" di stranieri uniti da vincoli di "vita familiare" anche
strettissimi con persone soggiornanti nel territorio dello Stato interessato,
dando luogo - senza alcuna considerazione per le responsabilità rispettive
degli interessati - a situazioni di separazione che possono prolungarsi per un
considerevole lasso di tempo - quando non a tempo indeterminato - al solo
scopo di garantire una gestione ordinata dell'immigrazione. È agevole
concluderne che l'applicazione dei suddetti criteri può ben dar luogo a
violazioni dell'articolo 8 CEDU.
131 Ciò non vuoi dire che il Regolamento sia, di per sé, incompatibile con
l'articolo 8 CEDU. La conclusione che se ne deve trarre è piuttosto che
l'obbligo di applicazione "conforme" del diritto comunitario (cf. supra, no 95
e 96) si traduce, nei casi sopra indicati, in un obbligo di ricorrere alla clausola
di sovranità ed alla clausola umanitaria ai fini del mantenimento o della
ricostituzione dell'unità familiare.
132 Il contenuto di tali obblighi può ulteriormente essere precisato
distinguendo due situazioni- tenendo ferme due "costanti": la sussistenza di
un diritto al ricongiungimento familiare ai sensi dell'articolo 8 CEDU, da un
lato, e l'incompetenza dello Stato in cui si trovano i familiari del richiedente
asilo, dall'altro.
(a) Se lo Stato in cui si trovano i familiari del richiedente asilo è quello
in cui esso presenta la domanda d'asilo, tale Stato ha l'obbligo di
applicare la clausola di sovranità.
(b) Nel caso inverso, in cui il richiedente presenta la sua domanda in
uno Stato membro ed aspira a vederla esaminata dallo Stato in cui si
trovano i suoi familiari, si dà l'obbligo (i) per lo Stato di
presentazione della domanda, ed in seguito per lo Stato competente,
di inviare una richiesta ai sensi dell'articolo 15 RD (clausola
umanitaria); (ii) per lo Stato in cui si trovano i familiari, di
accedervi.

458
133 Può infine verificarsi una situazione del tutto diversa, in cui lo Stato
competente è quello in cui si trovano i familiari del richiedente asilo, ma lo
Stato cui viene presentata la domanda decide, contro la volontà del
richiedente (cf. supra, no 74), di esercitare la clausola di sovranità. Ciò
avviene, di norma, quando lo Stato di presentazione della domanda ritiene più
economico assumere la competenza per il suo esame e respingerla secondo
una procedura accelerata, piuttosto che mettere in opera una procedura
"Dublino".
Si ha qui il caso atipico di una misura di "ammissione" che impedisce il
ricongiungimento familiare altrimenti previsto dal Regolamento. In realtà,
una simile misura può senza eccessive difficoltà qualificarsi come ingerenza
nel diritto al rispetto della vita familiare: l'intervento dello Stato impedisce in
modo diretto, e contro la volontà degli interessati, lo svolgimento di rapporti
familiari "normali" fra di essi (cf. supra, n° 106). In linea di principio, una
simile ingerenza deve ritenersi vietata dall'articolo 8 CEDU. Di norma,
infatti, essa non persegue uno degli scopi enumerati dall'articolo 8, par. 2 -
né la convenienza amministrativa, né l'economia procedurale sono infatti
incluse in tale enumerazione

E. Osservazioni conclusive
134 Come si è visto, l'applicazione del Regolamento Dublino ll può non solo
incidere sull'unità familiare dei richiedenti asilo, ma anche dar luogo a vere e
proprie violazioni dell'articolo 8 CEDU.
Da tale conclusione discendono principalmente due conseguenze.
135 La prima, e più immediata, è che l'applicazione della clausola di
sovranità e della clausola umanitaria non è sempre un atto libero o
discrezionale da parte degli Stati membri, come parrebbe invece alla lettura
degli articoli 3 e 15 RD.
Il ricorso a tali clausole è infatti obbligatorio ogniqualvolta la stretta
applicazione dei criteri di competenza comporti una violazione dei diritti
fondamentali dei richiedenti asilo. Come si è visto, peraltro, è vero anche
l'inverso: in taluni casi, l'applicazione della clausola di sovranità può
risolversi in una violazione dell'articolo 8 CEDU, ed è allora obbligatorio per
lo Stato interessato non ricorrervi.
136 La seconda è più indiretta, ma non meno importante. Come si è visto,
l'esistenza o meno di un diritto al ricongiungimento familiare ai sensi
dell'articolo 8 CEDU deve valutarsi sulla base di un insieme di circostanze,

459
che insieme formano ciò che la Corte EDU chiama la "situazione degli
interessati". Ciò ha delle evidenti ricadute di ordine procedurale, che saranno
qui appresso analizzate.

VII. Il sistema "Dublino Il" ed i diritti procedurali dei


richiedenti asilo

A. Introduzione
137 Come si è appena rilevato, per applicare il Regolamento Dublino II in
modo rispettoso degli interessi e dei diritti dei richiedenti asilo - in
particolare di quelli attinenti alla sfera familiare - le autorità incaricate della
sua esecuzione debbono svolgere accurate attività istruttorie. In tale
prospettiva, il coinvolgimento attivo degli interessati nelle procedure
amministrative finalizzate alla determinazione dello Stato competente assume
una particolare importanza.
138 Complementare a tali garanzie, proprie della fase amministrativa di
applicazione del Regolamento, è l'accesso dei richiedenti asilo ad adeguate
procedure di ricorso - una garanzia invero imprescindibile nella prospettiva
di un'efficace tutela dei diritti fondamentali.
139 Nel corso delle pagine che seguono, questi due aspetti saranno esaminati
separatamente, analizzando i pertinenti standard internazionali e comunitari
nel quadro specifico dell'applicazione del sistema "Dublino II".

B. Le garanzie procedurali afferenti allo svolgimento delle procedure


amministrative di determinazione dello Stato competente
l. Le garanzie esplicitamente previste dalle pertinenti convenzioni
internazionali in materia di diritti dell'uomo
140 Diversi trattati internazionali, rilevanti ai fini dell'applicazione del
Regolamento Dublino II (cf. supra, no 97), contengono disposizioni
procedurali in materia di espulsione o di ammissione degli stranieri.
141 Non intendiamo qui riferirei all'articolo l del Protocollo n° 7 alla CEDU,
che pure stabilisce talune garanzie procedurali in materia di espulsione. Tale
disposizione è infatti applicabile unicamente agli stranieri "regolarmente
residenti" nel territorio degli Stati contraenti. Come si è visto, tale qualità fa
di norma difetto ai richiedenti asilo che vengono espulsi da uno Stato membro
in applicazione del Regolamento (cf. supra, n° 124).

460
142 Pienamente rilevante ai nostri fini è invece l'articolo 13 PIDCP, che è
applicabile agli stranieri che "si trovi[no] legalmente" nel territorio di uno
Stato contraente - e tale è, di norma, la situazione dei richiedenti asilo
(v. Direttiva no 2003/9 in materia di accoglienza dei richiedenti asilo, GU
2003 L 31/18, art. 6). Anche l'articolo 13 PIDCP definisce garanzie in
materia di "espulsione" (nozione comprensiva dei provvedimenti di
trasferimento previsti dal Regolamento Dublino Il), ed attribuisce allo
straniero, in particolare, il diritto di "far valere le proprie ragioni". La
giurisprudenza del Comitato dei diritti dell'uomo delle Nazioni Unite, pur
non fornendo indicazioni esplicite in proposito, suggerisce che tale diritto
deve poter essere esercitato prima dell'adozione della misura di espulsione-
a meno che non sussistano "imperiosi motivi di sicurezza nazionale".
143 Nei procedimenti che coinvolgono dei richiedenti asilo minorenni,
debbono poi prendersi in considerazione tre articoli della Convenzione sui
diritti del fanciullo.
L'articolo 10 CDF prevede che gli Stati contraenti considerino "con uno
spirito positivo, con umanità e diligenza" ogni richiesta di ammissione
presentata da un fanciullo o dai suoi genitori ai fini del ricongiungimento
familiare. Il richiamo alla diligenza non è superfluo per quanto riguarda
l'applicazione dei criteri di competenza che prevedono il ricongiungimento
fra minori e genitori (cf. supra, n° 83). Tuttavia, 'nel quadro dell'esecuzione
del Regolamento, l'articolo 10 CDF assume un'importanza maggiore nei casi
in cui il ricongiungimento familiare fra minori e genitori è rimesso alla
discrezione degli Stati membri (art.. 3 e 15, par. 3 RD).
L'articolo 12, par. 2 CDF prevede che sia data al fanciullo "la possibilità di
essere ascoltato in ogni procedura [... ] amministrativa che lo concerne".
L'articolo 22, par. 2 CDF, infine, prevede che gli Stati collaborino
attivamente alla ricerca dei familiari dei minori, al fine di pervenire al
ricongiungimento familiare. Nello stesso senso, l'articolo 19, par. 3 della
Direttiva n° 2003/9 (cit. supra, no 142) obbliga gli Stati membri ad adoperarsi
per rintracciare "quanto prima" i familiari dei richiedenti asilo minori e non
accompagnati. Il pieno rispetto di queste disposizioni nel corso della
procedura "Dublino" è un presupposto essenziale, in particolare, per una
corretta applicazione degli articoli 6 e 15, par. 3 RD (cf. supra, no 72 e 76).
2. Le esigenze procedurali inerenti al diritto al rispetto della vita
familiare
144 In una serie di sentenze relative a misure di affidamento di minori, la
Corte EDU ha sviluppato la dottrina delle esigenze procedurali "inerenti"

461
all'articolo 8 CEDU. Con numerose pronunce successive, essa ha poi messo
in chiaro come tali esigenze procedurali sussistano indipendentemente dal
settore in cui interviene la misura incriminata - e dunque, anche quando essa
riguardi l'ingresso ed il soggiorno degli stranieri - ed indipendentemente dal
fatto che si alleghi una violazione di un obbligo negativo o positivo
(cf. supra, no 106).
145 In estrema sintesi, qualora un individuo lamenti una violazione di un
diritto garantito dall'articolo 8 CEDU, la Corte si riserva di esaminare sia il
contenuto materiale della misura incriminata (secondo i principi esaminati
supra, no 106 ss), sia il procedimento che ha condotto alla sua adozione, per
verificare se gli interessi delle persone coinvolte sono stati debitamente presi
in considerazione: Le esigenze inerenti a tale ultimo aspetto variano, in
particolare, a seconda della portata individuale o generale della misura, e
della gravità del pregiudizio che essa porta ad un interesse tutelato
dall'articolo 8. È di norma richiesto che gli interessati siano informati ed
ascoltati prima dell'adozione di misure individuali che incidono direttamente
sull'unità familiare, salvi i casi di impossibilità, di estrema urgenza, ed i casi
in cui un coinvolgimento degli interessati vanificherebbe gli effetti della
misura stessa.
3. Il principio comunitario dei "diritti della difesa"
146 La garanzia dei diritti della difesa rientra, secondo la costante
giurisprudenza della CGCE, nel novero dei principi generali del diritto
comunitario. È garantito in particolare il "diritto di essere ascoltato"' cioè il
diritto di ciascuno di rappresentare utilmente il proprio punto di vista nel
corso dei procedimenti che possano sfociare in una misura lesiva, in maniera
sensibile, dei suoi interessi.
Tale fondamentale principio, che è stato definito dalla Corte innanzitutto in
riferimento alle procedure amministrative dinanzi agli organi comunitari,
deve essere osservato anche dalle amministrazioni nazionali quando esse
procedono all'adozione di misure di esecuzione del diritto comunitario. Sono
esclusi dal suo ambito applicativo unicamente i procedimenti di adozione di
atti normativi, nonché le procedure concorsuali. A parte tali ipotesi, una
deroga al diritto di essere ascoltati è ammesso solo in casi simili a quelli
richiamati al no 145: impossibilità, urgenza, incompatibilità col fine della
misura.
147 Deve sottolinearsi che il diritto di essere ascoltato spetta alla persona i cui
interessi possono essere lesi in maniera sensibile dalla misura definitiva,
indipendentemente dal fatto che essa sia formalmente destinataria di tale

462
misura, ed a prescindere dalla circostanza che le disposizioni applicabili la
qualifichino come parte al procedimento.
4. Le garanzie procedurali afferenti allo svolgimento delle procedure
amministrative di determinazione dello Stato competente:
osservazioni conclusive
148 Come si è osservato in precedenza, il Regolamento Dublino II prevede in
favore dei richiedenti asilo solo il diritto di essere informati, nulla disponendo
in merito alla loro partecipazione alle procedure amministrative da esso
previste (cf. supra, no 36 e 37). Ciò lascerebbe supporre che gli Stati membri
godano, in materia, piena libertà. Come si è visto, tuttavia, non è così.
149 Il principio comunitario dei "diritti della difesa" fissa infatti degli
standard che debbono essere rispettati in tutte le procedure di esecuzione del
Regolamento Dublino Il.
Conformemente a tale principio, il richiedente asilo deve essere sentito,
innanzitutto, nel corso della procedura di determinazione dello Stato
responsabile. Tale procedura, infatti, può concludersi con una decisione di
trasferimento potenzialmente lesiva dei suoi interessi - o meglio, dei suoi
diritti fondamentali (diritto al rispetto della vita familiare, cf. supra, no 130,
ma anche diritto a non essere refoulé in violazione degli articoli 33 CG e 3
CEDU, cf. supra, no 56).
Ma a ben vedere, il richiedente deve poter "rappresentare utilmente il suo
punto di vista" ugualmente nell'ambito della procedura di applicazione della
clausola umanitaria. Anch'essa può infatti concludersi con misure lesive del
diritto al rispetto della vita familiare del richiedente stesso (cf. supra, no 130),
e secondo la giurisprudenza della CGCE questa è la circostanza decisiva, non
rilevando invece il fatto che il richiedente asilo non sia né "parte" alla
procedura secondo l'articolo 15 RD, né formalmente destinatario di alcuna
decisione (cf. supra, n° 147).
150 Come si è più volte ricordato, gli Stati associati non sono tenuti al
rispetto dei principi generali del diritto comunitario nell'applicazione del
sistema "Dublino ll" (cf. supra, no 95). Anche questi Stati sono tuttavia parti
alla CEDU ed al PIDCP, e debbono dunque- al pari degli Stati membri -
consentire al richiedente asilo di "far valere le ragioni" che si oppongono al
suo trasferimento (art. 13 PIDCP), nonché coinvolgere gli interessati in tutte
le procedure previste dal Regolamento Dublino II che possano concludersi
con l'adozione di una misura pregiudizievole per l'unità familiare (art. 8
CEDU).

463
151 Si ricorda infine che nelle procedure che coinvolgono dei minorenni, le
autorità incaricate dell'applicazione del sistema Dublino II sono tenute a
trattare con particolare diligenza e con spirito positivo ed umanitario le
domande tendenti al ricongiungimento familiare (art. 10 CDF; v. anche artt.
4, par. 3, 6 e 15 RD), a ricercare non appena possibile i genitori dei minori
non accompagnati (art. 22 CDF; art. 19 Direttiva no 2003/9) ed in ogni caso
ad ascoltare i minorenni coinvolti (art. 12 CDF) ed a tenere in debito conto la
loro opinione, specie nella determinazione di ciò che è nel loro "superiore
interesse" (v. part. artt. 6 e 15, par. 3 RD).

C. La tutela contenziosa contro le misure di esecuzione del Regolamento


Dublino II
1. Il diritto ad un "ricorso effettivo" ai sensi dell'articolo 13 CEDU
152 Ai sensi dell'articolo 13 CEDU, "ogni persona i cui diritti e le cui libertà
riconosciuti nella [ ... ] Convenzione siano stati violati, ha diritto ad un ricorso
effettivo dinanzi ad un'istanza nazionale [ ... ]".
153 I requisiti cui debbono rispondere i ricorsi interni per potersi dire
"effettivi", pur potendo variare a seconda delle circostanze, sono
essenzialmente i seguenti: (a) il ricorso deve essere in concreto accessibile
all'individuo che allega una violazione dei propri diritti; (b) }"'istanza
nazionale" non deve necessariamente essere un organo giurisdizionale, ma
deve dare garanzie di indipendenza ed imparzialità; (c) essa deve essere
abilitata a conoscere nel merito le allegazioni di violazione della
Convenzione, avere poteri decisori, e poter fornire alla parte lesa un ristoro
appropriato ("redressement approprié"); (d) infine, il ricorso deve garantire
delle reali prospettive di successo al ricorrente, e cioè essere effettivo in
pratica come in teoria.
154 In linea generale, lo si è appena segnalato, l'articolo 13 richiede la
predisposizione di adeguate tutele ex post (ristoro appropriato). In taluni casi,
tuttavia, la Corte ritiene non effettivo il ricorso che non permetta di impedire
l'esecuzione di una misura in contrasto con la Convenzione. Tale tutela
preventiva è obbligatoriamente richiesta quando la misura può provocare un
pregiudizio irreparabile. La Corte ha precisato, a tale riguardo, che questa
esigenza è soddisfatta solo se }"'istanza nazionale" dispone de jure della
possibilità di pronunciarsi, quantomeno in via cautelare, prima
dell'esecuzione della misura.
155 Se il contenuto di tale esigenza "supplementare" è relativamente ben
definito in giurisprudenza, qualche dubbio sussiste in merito al suo campo di

464
applicazione ratione materiae - e pm particolarmente, in merito
all'identificazione delle misure di espulsione (lato sensu) che possono
provocare, ai sensi della giurisprudenza della Corte, un pregiudizio
irreparabile.
Secondo un orientamento consolidato, posseggono tale caratteristica le misure
di allontanamento che espongono il loro destinatario ad un rischio di morte o
di trattamenti contrari all'articolo 3 CEDU nel paese di destinazione
(cf. supra, no 9). In una pronuncia del 2002 (Corte EDU, Conka c. Belgio,
sentenza 5 febbraio 2002, Racc. 2002-I), la Corte ha tuttavia ritenuto che
anche l'esecuzione di una misura di espulsione collettiva, vietata dall'articolo
4 del Protocollo no 4 alla CEDU, potesse avere conseguenze irreparabili, e
dovesse dunque essere suscettibile di un ricorso sospensivo nei termini sopra
richiamati. Tale sentenza, la cui motivazione è assai carente proprio su questo
punto, sfuma considerevolmente il concetto di irreparabilità. Interpretandone
estensivamente la ratio decidendi, potrebbe oggi ritenersi irreparabile, ai sensi
e per gli effetti dell'articolo 13 CEDU, anche l'esecuzione di una misura di
espulsione in contrasto con l'articolo 8 CEDU.
2. Il diritto ad un "ricorso giurisdizionale effettivo" quale principio
generale del diritto comunitario
156 Il diritto ad un "ricorso giurisdizionale effettivo" è garantito dai principi
generali del diritto comunitario. A differenza del diritto ad un ricorso effettivo
garantito dall'articolo 13 CEDU, esso esige l'accesso ad un organo
giurisdizionale.
157 Gli Stati membri debbono conformarsi a tale principio in ogni fattispecie
che presenti un aggancio concreto con il diritto comunitario.
L'articolo 47 CDFUE codifica l'ipotesi più ovvia, stabilendo l'esigenza di un
ricorso giurisdizionale effettivo per la tutela dei diritti di derivazione
comunitaria (v. art. 47 CDFUE). La portata del principio è tuttavia più ampia.
Secondo la giurisprudenza della Corte di giustizia, gli Stati debbono garantire
un sindacato giurisdizionale effettivo sul rispetto delle vigenti disposizioni del
diritto comunitario - anche quando tali disposizioni non conferiscono agli
individui un diritto soggettivo ma, ad esempio, attribuiscono alle
amministrazioni nazionali un potere discrezionale e ne inquadrano l'esercizio
entro determinati limiti.

465
3. La tutela contenziosa contro le misure di esecuzione del
Regolamento Dublino II: osservazioni conclusive
158 Ai sensi degli articoli 19 e 20 RD, le decisioni di trasferimento dei
richiedenti asilo debbono poter "formare oggetto di un ricorso o revisione"
(cf. supra, no 38). Queste forme minime di tutela contenziosa dei diritti dei
richiedenti asilo sono grandemente arricchite dal concorso delle norme e
principi appena richiamati alla composizione del quadro normativa di
applicazione del sistema "Dublino II".
159 Per quanto riguarda gli Stati tenuti all'osservanza dei principi generali di
diritto comunitario (cf. supra, no 95), essi debbono garantire un sindacato
giurisdizionale, e debbono garantirlo non solo sulle decisioni di trasferimento,
ma anche sulle decisioni di applicazione di altre disposizioni del
Regolamento, in particolare degli articoli 3 e 15 RD.
160 Tutti gli Stati che partecipano all'applicazione del sistema Dublino II
sono poi tenuti al rispetto dei loro obblighi internazionali, ed in particolare
all'osservanza dell'articolo 13 CEDU. Essi debbono dunque garantire il
diritto ad un ricorso effettivo contro qualsiasi misura che possa ledere i diritti
convenzionali dei richiedenti asilo - e dunque, il diritto al rispetto della vita
familiare. Ne conseguono, in particolare, un'estensione del novero delle
misure di applicazione del Regolamento soggette a ricorso - non solo le
misure di trasferimento- nonché l'applicazione di requisiti non richiamati dal
Regolamento in merito alla composizione - se non alla natura - delle "istanze
nazionali" competenti.
161 Sotto tutti gli aspetti sopra richiamati, il dato letterale del Regolamento
non asta in alcun modo ad una sua applicazione conforme. Le sue
disposizioni non vietano agli Stati membri né la previsione di un ricorso
giurisdizionale, né l'assoggettamento a sindacato di misure ulteriori rispetto
alle misure di trasferimento.
162 Potrebbe invece ipotizzarsi un contrasto fra il gli articoli 19 e 20 RD,
nella parte in cui vietano l'attribuzione di un effetto sospensivo ai ricorsi
avverso le misure di trasferimento, e l'articolo 13 CEDU, che invece esige, in
taluni casi, la garanzia che l"'istanza nazionale" si pronunci prima
dell'esecuzione di una misura di espulsione, quantomeno in via cautelare
(cf. supra, no 154). Tale conflitto può tuttavia, a parere di chi scrive,
risolversi in via interpretativa.
Gli articoli 19 e 20 RD vietano senza dubbio la sospensione automatica
dell'efficacia delle misure di trasferimento sino alla decisione defmitiva
dell'organo dinanzi al quale esse sono impugnate. Ciò risulta con chiarezza

466

-- --'1
dal loro testo, ed è conforme alloro obiettivo -prevenire l'introduzione di
ricorsi dilatori. È invece dubbio che essi vietino l'attribuzione ai ricorsi di un
effetto sospensivo sino all'adozione di una decisione cautelare. La lettera del
Regolamento non è univoca a tale riguardo - essa vieta infatti l'effetto
sospensivo, "a meno che il giudice [ ... ] non decida in tal senso caso per
caso". Inoltre, l'attribuzione ai ricorsi di un effetto sospensivo così limitato
nel tempo non pare incompatibile con l'obiettivo, sopra richiamato, di
impedire ricorsi dilatori.
Dal momento che sussistono dubbi in merito all'esegesi degli articoli 19 e 20
RD, il principio di interpretazione conforme impone di optare per la soluzione
che rende tali disposizioni pienamente conformi alle esigenze afferenti alla
tutela dei diritti fondamentali.

Conclusioni generali

A. Determinazione dello Stato comp~tente e tutela dell'unità familiare:


una relazione conflittuale
163 I criteri ed i meccanismi finalizzati alla determinazione dello Stato
competente costituiscono, e costituiranno in futuro, un elemento essenziale
del sistema europeo dell'asilo (v. art. 63 TCE ed art. 266 del Trattato che
adotta una Costituzione per l'Europa, GU 2004 C 310). Attualmente, essi
sono stabiliti dal Regolamento no 343/2003, che ha sostituito la Convenzione
di Dublino del15 giugno 1990.
164 Nella transizione dalla Convenzione al Regolamento, il legislatore
comunitario ha optato per la continuità, innovando tuttavia in modo
considerevole sotto un profilo: la tutela dell'unità delle famiglie dei
richiedenti asilo. Nonostante ciò, l'applicazione del c.d. "sistema di Dublino"
continua ad essere ~onte di grave pregiudizio all'unità familiare.
165 n Regolamento adotta una definizione rigida e restrittiva della famiglia, e
stabilisce sì criteri di competenza fondati sul principio dell'unità familiare,
ma ne restringe eccessivamente l'ambito applicativo. L'insufficienza delle
regole materiali finalizzate alla tutela dell'unità familiare è peraltro aggravata
dalla mancata previsione di adeguate garanzie procedurali - sicché, la
determinazione dello Stato competente avviene di regola senza che i
richiedenti asilo siano consultati- e dall'inadeguatezza delle disposizioni del
Regolamento in materia di tutela contenziosa dei diritti.

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166 Due Rapporti pubblicati nei primi mesi del 2006 dall' ACNUR e
dall'ECRE (European Council on Refugees and Exiles) sull'applicazione del
sistema "Dublino II" avvalorano queste valutazioni. Entrambi i Rapporti
sottolineano quanto frequenti siano i pregiudizi derivanti all'unità familiare
dall'applicazione del sistema di Dublino.
167 Generalmente, a tale constatazione seguono raccomandazioni su come
riformare il Regolamento Dublino II - così avviene, in particolare, nei citati
Rapporti. In sé, tale posizione non è criticabile. Tuttavia, essa comporta un
rischio: quello di trascurare le potenzialità di tutela dell'unità familiare
inerenti al quadro normativa attuale.

B. L'imperativo dell'applicazione conforme del Regolamento Dublino II


168 I ventinove articoli del Regolamento Dublino II non possono essere
interpretati ed applicati isolatamente. Essi si inseriscono in una trama
normativa ben più vasta.
16911 sistema "Dublino II" fa parte dell'ordinamento giuridico comunitario, i
cui principi generali tutelano i diritti fondamentali. La sua base giuridica è
l'articolo 63, no l lett. a TCE, che esige la conformità delle misure adottate
sul suo fondamento alla Convenzione di Ginevra ed agli altri "trattati
pertinenti"- nel novero dei quali debbono includersi la CEDU, il PIDCP e la
Convenzione sui diritti del fanciullo.
Ne discende che le "regole di Dublino" debbono essere interpretate ed
applicate in modo conforme alle esigenze di protezione dei diritti
fondamentali.
170 Al di là di tale obbligo di fonte comunitaria, gli Stati che applicano il
sistema Dublino II - si tratti di Stati membri o di Stati associati - sono tenuti,
in virtù del diritto internazionale, a farlo in modo compatibile con gli obblighi
che hanno assunto sottoscrivendo numerosi trattati relativi alla protezione dei
diritti fondamentali.
171 Si noti che il testo del Regolamento Dublino II può senza difficoltà essere
oggetto di un'applicazione conforme ai suddetti standard di protezione dei
diritti fondamentali. Da un lato, gli articoli 3, par. 4 e 15 RD consentono agli
Stati membri di prevenire qualsiasi pregiudizio all'unità familiare,
permettendo loro di derogare in ogni situazione ai criteri di competenza.
Dall'altro, le sue frammentarie disposizioni in materia di procedure
amministrative e di tutela contenziosa lasciano ampiamente agli Stati membri

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la possibilità di adottare norme più protettrici nei confronti dei richiedenti
asilo.
172 L'adozione di simili misure, che il Regolamento lascia alla discrezione
degli Stati membri, diviene obbligatoria ogniqualvolta ciò sia richiesto dal
rispetto dei diritti fondamentali. Così, nei non rari casi in cui l'applicazione
dei criteri di competenza può determinare una violazione del diritto al rispetto
della vita familiare, le autorità competenti sono tenute a far ricorso alla
clausola di sovranità od alla clausola umanitaria. Allo stesso modo, esse
debbono riconoscere ai richiedenti asilo le garanzie procedurali che spettano
loro di diritto: il diritto di essere ascoltati e di far valere le ragioni che si
oppongono alloro trasferimento, il diritto ad un ricorso effettivo, ecc.
173 Sotto tutti questi aspetti, la realtà applicativa del Regolamento rivela un
"essere" assai distante dal "dover essere". La preoccupazione dominante delle
amministrazioni incaricate della determinazione dello Stato responsabile
sembra esser quella di trasferire il maggior numero di richiedenti asilo, nel
modo più rapido ed economico possibile, con scarsa considerazione dei diritti
fondamentali degli interessati e finanche, in taluni casi, con scarsa
considerazione dei principi scritti a chiare lettere nel testo del Regolamento.
Si può affermare con ragionevole certezza che un'esecuzione "conforme" del
Regolamento - cui le amministrazioni sono tenute, come si è già sottolineato
- produrrebbe risultati assai differenti da quelli cui oggi assistiamo sotto il
profilo della tutela dell'unità familiare.

C. Le prospettive di riforma del sistema di Dublino


174 Quanto si è da ultimo affermato non vuol significare che una revisione
del Regolamento Dublino II sarebbe inutile. Al contrario, essa sarebbe
estremamente opportuna.
Le manchevolezze constatate nell'applicazione del Regolamento, di cui si è
appena detto, giustificherebbero una riforma tendente anche solo a
"codificare" nel suo articolato i principi che già oggi le amministrazioni
competenti dovrebbero pienamente rispettare.
175 Al di là di simili emendamenti, tendenti a conferire nuova visibilità ai
diritti fondamentali dei richiedenti asilo, sarebbe peraltro opportuno porre su
basi più ampie la tutela dell'unità familiare nel quadro della determinazione
dello Stato competente. Sarebbe infatti un grave errore di prospettiva
individuare nelle sole ipotesi di violazione del diritto al rispetto della vita
familiare i casi in cui una maggior tutela della famiglia sarebbe opportuna. La

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prassi applicativa del sistema di Dublino illustra sin troppo chiaramente il
fatto che, anche in assenza di una violazione dei diritti fondamentali, la
separazione coatta di un richiedente asilo dai propri familiari può produrre
conseguenze pregiudizievoli per l'interessato, da un lato, ed essere contrario
all'interesse collettivo rettamente inteso, dall'altro. Il mancato rispetto è
riduce infatti l'efficienza del sistema d'asilo, incoraggiando sovente i
richiedenti asilo alla fuga nella clandestinità, ed è un fattore di aumento dei
costi di accoglienza globalmente sostenuti dagli Stati membri.
176 E tuttavia, difficilmente il sistema di Dublino sarà riformato nel breve
termine, al fine di garantire una maggior tutela dell'unità familiare. Troppo
forte appare la resistenza degli Stati che traggono vantaggio dall'attuale
(dis)equilibrio dei criteri di competenza, e che sarebbero invece svantaggiati
da una riforma dei criteri nel senso qui preconizzato.
177 Presumibilmente, il superamento dell'attuale sistema sarà possibile solo
quando un sistema europeo dell'asilo realmente degno di questo nome vedrà
la luce. Con ciò s'intende, in particolare, un sistema che comporti veramente
un'assunzione collettiva e solidale dei costi dell'accoglienza, e che assicuri ai
beneficiari degli status di protezione comunitari la libera circolazione
nell'Unione, sì da ridurre l'incentivo a spendere somme considerevoli e
considerevoli risorse amministrative al solo scopo di decidere per - o contro -
il richiedente asilo quale Stato dovrà esaminare la sua domanda.
Se tali condizioni si verificheranno, si potrà forse vedere istituito un sistema
di determinazione dello Stato competente meno rigido e meno ostile alle
legittime aspirazioni dei richiedenti asilo, qual'è quella a godere della
compagnia dei propri cari in terra d'esilio.

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