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canadien
Mémoire
Maîtrise en droit - avec mémoire
Julien Dorigny
Université Laval
Québec, Canada
Maître en droit (LL. M.)
et
Julien Dorigny
Sous la direction de :
II
Abstract :
The protection of the environment through penal law is a real challenge for the
future. However, it is enough to look at the substance of the protection regime to
see that it contains a number of specific features that still make it insufficiently
effective. It will therefore be necessary to study the penal law's understanding of
the notion of the environment, both in Canada and in France, from a comparative
law perspective, through the common core of penal offenses. However, to
understand how we protect, we must clearly identify what we are protecting. It will
therefore also be a question of studying the very definition of the environment as
protected by penal law. All this will make it possible to more effectively identify what
constitutes the notion of the environment in French-Canadian penal law.
III
Table of Contents
Résumé :.................................................................................................................................II
Abstract :...............................................................................................................................III
Liste des principales abréviations :........................................................................................V
Remerciements :....................................................................................................................VI
Introduction :...........................................................................................................................1
Bibliographie :.....................................................................................................................101
IV
Liste des principales abréviations :
- Art……………………………………………………….Article
- Cass……………………………………………………...Cour de cassation
- Cass. Crim……………………………………………….Chambre criminelle de la Cour
de cassation
- Coll……………………………………………………….Collection
- C. cr………………………………………………………Code criminel
- C. env…………………………………………………….Code de l’environnement
- C. Pén…………………………………………………….Code Pénal
- éd………………………………………………………….édition
- Fasc……………………………………………………….Fascicule
- QPC……………………………………………………….Question Prioritaire de
Constitutionnalité
- R.J.T. ……………………………………………………...Revue juridique Thémis
- Ibid. ………………………………………………………….idem identique.
- LCPE……………………………………………………….Loi Canadienne de Protection
de l’Environnement
- LQE………………………………………………………...Loi sur la Qualité de
l’Environnement
- p..……………………………………………………………Page
- para.………………………………………...……………….Paragraphe.
- préc. ………………………………………………………...Précédent.
V
Remerciements :
Enfin je ne saurais terminer ces remerciements sans offrir une pensée à Chloé, qui
a supporté mes humeurs, mon découragement, et mes moments d’effervescence
tout en sachant toujours me guider dans le droit chemin, à mes parents qui m’ont
soutenu dans mon projet de mobilité à l’étranger, et enfin à Brieuc pour ses
relectures efficaces.
VI
"Nous n'avons pas hérité la Terre de nos ancêtres, mais l'empruntons à nos enfants."
Antoine de Saint-Exupéry,
Terre des hommes (1939)
VII
Introduction :
1
Ensuite, le second filtre sera un filtre de droit comparé car il s’agira ici
d’étudier la notion d’environnement en droit pénal français à l’aune de celle du droit
pénal canadien (en étudiant bien évidemment le droit pénal fédéral, mais en
prenant en compte le droit pénal provincial québécois). Cette étude comparée se
justifie à deux égards :
Le cas de la France peut paraître plus simple car c’est un état unitaire
centralisant par là même sa compétence. Il n’y a donc pas de partage des
compétences en tant que tel. Toutefois, de par la grande influence de l’Union
européenne et de l’Europe en matière de protection des droits fondamentaux la
France se retrouve influencée par droit supra-national européen. L’exemple le plus
frappant de cette influence est celui de la directive « Protection de l’Environnement
par le droit pénal » 2008/99/CE du Parlement Européen et du Conseil du 19
2
novembre 20083visant à obliger les états membres de l’Union Européenne à se
doter d’un régime de protection pénale de l’environnement efficace et efficient.
Directive mettant en exergue le fait que la France n’est pas encore au niveau
requis en matière de protection de l’environnement4. Néanmoins, cette influence
ne pouvant être véritablement comparée au partage des compétences canadien, il
conviendra d’étudier le cas de la France en tant qu’état unitaire, et de le confronter
au Canada en tant qu’état fédéral.
3
origine particulière. En effet, anglicisme issu du substantif « environment », sa
traduction française apparaît dans la langue française dans les années 70. C’est
en 1972 que le terme fait son entrée dans le Grand Larousse de la langue
française5, et depuis cette date la teneur de ce concept évolue encore.
Or cette teneur évolue en fonction de l’angle d’étude que l’on utilise. Il est
vrai que l’on constate rapidement la possibilité de l’appréhender de plusieurs
manières selon que l’on se place du point de vue des sciences appliquées, ou des
sciences sociales : pour le chimiste, on mettra l’accent sur la composition de
l’environnement, tandis que le biologiste s’intéressera aux biotopes, et la
biodiversité d’un écosystème. Le médecin quant à lui s’intéressera à son impact
sur la santé des individus, tandis que le physicien se plongera dans l’étude des
forces qui le gouvernent.
En revanche du point de vue des sciences sociales, la diversité n’est pas
moindre car le sociologue étudiera l’impact de l’environnement sur une population
donnée, tandis que l’ethnologue l’étudiera sur une civilisation entière. L’urbaniste
étudiera son impact sur le développement d’un milieu urbain, aussi bien d’un point
de vue esthétique que fonctionnel mais l’économiste verra en lui un producteur de
ressource nécessaire au bon développement d’une Société. Dès lors l’angle
d’étude devient primordial.
5 Pour de plus amples détails, voir : Michel PRIEUR, Droit de l’environnement, 3ème éd., Paris, Dalloz,
1996, p. 2.
4
Ensemble des éléments objectifs (qualité de l'air, bruit, etc.) et subjectifs
(beauté d'un paysage, qualité d'un site, etc.) constituant le cadre de vie d'un
individu.
Atmosphère, ambiance, climat dans lequel on se trouve ; contexte
psychologique, social6.
Dès lors on constate que le sens commun revêt à lui seul une pluralité de
définitions, ce qui ne fait qu’augurer de la complexité de cette notion et lui retire
toute clarté.
5
Dans un premier temps elle consiste en une énumération des composantes
de l’environnement. On peut s’étonner d’une telle démarche car celle-ci s’analyse
ni plus moins comme une simple liste des éléments protégés mais une telle
définition trouve son utilité. De manière générale ce type de définition permet
d’identifier précisément l’objet de la législation : en indiquant précisément et
clairement ce qui est protégé, le doute n’est plus permis sur l’objet de la protection
légale. De plus, cela possède aussi un intérêt au regard du droit pénal car, comme
indiqué précédemment, le droit pénal est régi par le principe de légalité, dès lors
en vertu de ce principe les éléments constitutifs d’une infraction doivent être
précisément définis par la loi. Cela permet, par là même, leur prévisibilité. En
matière pénale environnementale il faut pouvoir identifier précisément le milieu
atteint afin de savoir si une infraction est constituée ou non, et en cela une
définition par énumération permet précisément de savoir ce qui a été atteint, et ce
qui est objet de protection.
Mais ce type de définition est critiquable car une telle définition est par
nature restrictive et non exhaustive. Son but est par essence de circonscrire une
notion, d’en délimiter les contours. Or en matière de protection légale, définir trop
précisément la notion que l’on tente de protéger peut revenir à la priver
d’effectivité, ou du moins d’efficacité. Car on crée des situations de vide législatif
où tout ce qui n’est pas interdit est autorisé, et donc tout ce qui n’est pas dans la
liste n’est pas protégé. Laisser donc au juge le soin d’interpréter largement -ou
non- la notion d’environnement permet une meilleure réponse juridictionnelle, car
adaptative au cas d’espèce présenté. Ne pas donner au juge de définition trop
restrictive sur laquelle s’appuyer lui permet, lorsqu’il est confronté à une potentielle
infraction, de poursuivre l’intention du législateur sans être pieds et poings liés.
6
nocturne ». Ce type de définition permet d’englober plus largement toutes les
composantes de l’environnement derrière un mot valise servant à toutes les
désigner. Cela permet de lutter contre l’obsolescence programmée d’une loi qui ne
protégerait que des composantes de l’environnement bien précises, et ne pourrait
s’adapter aux évolutions scientifiques et techniques
Dès lors, malgré toutes ces considérations, le juge français doit se contenter
aujourd’hui d’une énumération des composantes de l’environnement ainsi que d’un
concept ouvrant la porte à de possibles débats sur sa réelle signification. A cette
définition de l’article L110-1 du code de l’environnement on peut ajouter l’eau, ainsi
que sa mise en valeur tels que définis à l’article L210-1 du même code 9.
7
la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et
de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à
l'étranger, de l'équilibre de son milieu naturel et de son environnement et
des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de
son patrimoine culturel10.
Donc si le droit pénal assume le fait que le milieu naturel et l’environnement
doivent être protégés, il évite soigneusement de définir ces notions.
Au niveau provincial, le Québec s’est lui aussi doté d’une définition dans
l’article 1 paragraphe 4 de sa loi L.Q.E. :
8
«environnement» : l’eau, l’atmosphère et le sol ou toute combinaison de
l’un ou l’autre ou, d’une manière générale, le milieu ambiant avec
lequel les espèces vivantes entretiennent des relations dynamiques 12.
Il est par ailleurs intéressant de noter que la définition québécoise est moins
précise que la définition fédérale, ne prenant pas en compte les matières
inorganiques et les êtres vivants, sans être nécessairement restrictive.
9
et donc, in fine, à quel moment le droit pénal intervient lors d’infractions contre
l’environnement.
En outre il est intéressant de noter que lorsque l’on se penche sur le droit
pénal de l’environnement on constate rapidement qu'il existe plusieurs catégories
d'infractions. En effet, l’élément matériel des infractions environnementales se
trouve dans de nombreuses dispositions législatives et réglementaires
sanctionnant différentes catégories de manquements. Manquements qui prennent
la forme de non-respect des prescriptions administratives, d’atteinte à la qualité de
l’environnement ou encore d’atteinte à la sauvegarde de la nature et des espèces
vivantes. Toutefois, lorsque l'on rentre dans le détail des régimes de protection de
certains éléments on a rapidement affaire à des infractions qui sanctionnent le
non-respect des prescriptions administratives, en revanche les infractions qui font
référence à l'environnement tombent plutôt dans la catégorie des infractions
antipollution, c'est-à-dire des crimes ou délits pénaux. Il s’agira donc dans ce
mémoire de se pencher plus précisément sur ces infractions antipollution, celles-ci
revêtant un intérêt certain d’un point du droit pénal.
10
infractions environnementales par le droit pénal. Il conviendra donc d’éclaircir les
distinctions concernant le principe de légalité.
13 Article 8, Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 | Légifrance, le service public de la
diffusion du droit , en ligne : <https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Constitution/Declaration-
des-Droits-de-l-Homme-et-du-Citoyen-de-1789> .
14 Cesare BECCARIA, Des délits et des peines, Guillaumin, 1870. Il suffit, pour s’en convaincre, de
reprendre la citation transcrite par le professeur DE LAMY dans son article Dérives et évolution du
principe de la légalité en droit pénal français: contribution à l’étude des sources du droit pénal français
(voir infra note 17) :"les lois seules peuvent déterminer les peines des délits et [le droit de faire des lois
pénales] ne peut résider qu'en la personne du législateur, qui représente toute la société unie par un contrat
social".
15 Raymond GASSIN, « Le principe de la légalité et la procédure pénale », (2001) 300 Revue pénitentiaire et
de droit pénal.
16 Marie-Annick AGARD-PÉANO, « Le principe de la légalité et la peine », Revue pénitentiaire et de droit
pénal 2001.2.
17 Bertrand DE LAMY, « Dérives et évolution du principe de la légalité en droit pénal français: contribution à
l’étude des sources du droit pénal français », (2009) 50-3-4 Les Cahiers de droit 585–609.
11
des Droits de l’Homme et du Citoyen, ne s’est pas contenté d’apparaître dans le
bloc de constitutionnalité. En effet, la Constitution l’a accueilli dans son corps de
texte au sein des articles 34 18 et 3719, et le Code pénal lui-même l’a décliné dans
ses articles 111-220 et 111-321. Ce principe avait acquis tellement d’importance que
Portalis, lors de son discours préliminaire sur le projet de Code Civil avait affirmé :
« en matière criminelle, où il n'y a qu'un texte formel et préexistant qui puisse
fonder l'action du juge, il faut des lois précises et point de jurisprudence » 22.
12
de harcèlement sexuel n’était pas assez précis, ses éléments constitutifs n’étant
pas décrits. Dès lors cet article ne respectait pas le principe de légalité 25.
25 Ibid, le considérant exact étant le suivant : « Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 222-
33 du code pénal permet que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments
constitutifs de l'infraction soient suffisamment définis ; qu'ainsi, ces dispositions méconnaissent le
principe de légalité des délits et des peines et doivent être déclarées contraires à la Constitution ; » .
26 Véronique JAWORSKI, « L’état du droit pénal de l’environnement français : entre forces et faiblesses »,
(2009) 50-3-4 cd1 889-917, DOI : https://doi.org/10.7202/039344ar, para 25.
13
Dès lors il devient complexe d’appliquer strictement la loi pénal tant celle-ci
peut être imprécise et peu claire. De même, cela est renforcé par le fait que cette
technique de renvoi à d’autres textes entraîne des concours idéaux de
qualification, c’est à dire plusieurs qualifications pénales possibles pour une seule
infraction, entre des délits législatifs et des contraventions réglementaires
applicables à un même comportement :
14
criminelles. Puis ce paradigme s’est peu à peu inversé, et le Canada s’est
désolidarisé des influences anglaises, à tel point que dans les années 50 le pays
arrive au même constat que les États-Unis : toutes les infractions ont une origine
légale, d’où le concept de « statutory law »30. Le juge Cartwight rappelait à ce titre
que « si une conduite doit être incriminée, alors qu’elle ne l’a pas encore été, une
telle création doit être faite par le Parlement et non par les juges » 31. Il y avait donc
là une consécration du principe de légalité.
D’un point de vue des sources ce principe est reconnu indirectement par
l’article 6(1)32 du Code criminel (indirectement car celui-ci n’affirme pas
explicitement qu’une infraction doit être crée par une disposition législative, mais
cela se déduit de sa formulation), et par l’article 9 du même Code, celui-ci
indiquant que « nul ne peut être déclaré coupable […] des infractions suivantes : a)
une infraction en common law [...] »33. Néanmoins, il est intéressant de noter que
ce principe est garanti constitutionnellement à l’article 11g) de la Charte
canadienne des droits et libertés 34. Ce principe canadien de légalité criminelle
s’accompagne par ailleurs lui aussi des principes de nécessité, de non-
rétroactivité, ainsi que de certitude, de précision et de spécificité suffisante 35.
30 Jean PRADEL, Droit pénal comparé, 4ème ed, Paris, Dalloz, 2016, page 839.
31 Frey v. Fedoruk, [1950] RCS, 517 .
32 Code criminel, Article 6(1) :
6 « (1) Lorsqu’une disposition crée une infraction et prévoit une peine à son égard :
a) une personne est réputée ne pas être coupable de l’infraction tant qu’elle n’a pas été déclarée coupable de
l’infraction ou tant qu’elle n’en a pas été absoute en vertu de l’article 730;
b) une personne qui est déclarée coupable d’une telle infraction ou qui en est absoute en vertu de l’article 730
n’encourt à son égard aucune autre peine que celle que prévoit la présente loi ou la disposition qui crée
l’infraction. »
33 Code criminel, Article 9 :
« Nonobstant toute autre disposition de la présente loi ou de quelque autre loi, nul ne peut être déclaré
coupable ou absous en vertu de l’article 730 des infractions suivantes :
a) une infraction en common law; [...] »
34 Charte Canadienne des droits et libertés, article 11 : « Tout inculpé a le droit :
g) de ne pas être déclaré coupable en raison d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle est
survenue, ne constituait pas une infraction d’après le droit interne du Canada ou le droit international et
n’avait pas de caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des
nations; »
35 Pour ces éléments, voir en détail CÔTÉ-HARPER, RAINVILLE et TURGEON, supra note 29, page 83.
15
Dès lors ce principe de légalité ne parait pas très différent de celui appliqué
en France, et on peut réellement se demander ce qui les distingue car distinction il
y a.
En réalité le juge canadien ne peut interpréter que lorsqu’un texte de loi est
flou et peu clair. Or c’est là que réside la différence avec le principe de légalité
français. Car le législateur français a l’obligation de créer des textes de lois précis,
là où le législateur canadien a plus de latitude. Dès lors si les principes
d’interprétation restrictive sont les mêmes dans les deux systèmes juridiques
36 Sur la question voir : Ibid, page 80. De même voir les arrêts : R. c. Hinchey, [1996] 3 RCS. 1128 ; R. c.
Sullivan, [1991] 1 RCS. 489.
16
français et canadien, en réalité la différence provient de la manière que l’on a
d’apprécier le caractère flou ou peu clair d’un texte de loi. Car un texte de loi
canadien pourra être beaucoup plus large qu’un texte français sans être invalidé,
le juge étant là pour l’interpréter. Si les principes sont les mêmes, en réalité la
notion même de « flou » n’est pas appréciée de la même manière, ce qui impacte
directement le pouvoir d’interprétation du juge.
1) Quels sont les éléments de définition et de réflexion, issus des travaux en droit
de l’environnement, permettant d’appréhender cette notion ?
3) Sinon, quels sont les critères d’intervention du droit pénal en matière de droit de
l’environnement ?
17
En réponse anticipée à ces questions de recherche nous énonçons
l’hypothèse qu’aussi bien en droit français qu’en droit canadien, le droit pénal
n’utilise pas de définition spécifique de la notion d’environnement. En effet,
l’environnement au sens du droit administratif ou civil jouit d’une définition
permettant une protection étendue car englobant tout un ensemble de
comportements. La protection de l’environnement ne consiste donc pas
simplement à interdire purement les comportements répréhensibles, il peut s’agir
également de fixer des seuils légaux en dessous desquels les justiciables sont
autorisés à relâcher de potentiels polluants. Et le droit pénal réemploie la même
définition, tout en venant sanctionner d’une peine l’irrespect de ces
réglementations. On se retrouve donc très souvent dans une situation certes très
pratique d’un point de vue législatif mais peu satisfaisante d’un point de vue de
légistique pénale. En effet, l’idée derrière ce type d’incrimination est d’assortir une
interdiction administrative d’une sanction pénale en cas de non-respect. Le droit
pénal devient donc un instrument utilisé en dernier recours après le droit
administratif. Cette méthode est pratique car elle permet de créer beaucoup
d’incriminations rapidement, mais elle ne satisfait pas réellement au principe
d’incrimination traditionnelle en matière pénale.
Mais force est de constater que si le droit pénal n’appréhende pas la notion
d’environnement différemment dans sa définition, il le fait dans la nature des
atteintes qu’il réprime, ainsi que la gravité des sanctions. En effet, le droit pénal est
considéré comme l’ultima ratio, l’ultime instrument que possède le droit afin de
protéger les valeurs fondamentales. Or en tant que tel le droit pénal ne doit pas
être utilisé trop souvent et à tort et à travers auquel cas son objet serait dévoyé, et
son utilité amoindrie. Dès lors le droit pénal n’intervient que pour des
comportements particulièrement graves, assortis de peines telles qu’elles obligent
le juge à être particulièrement prudent dans leur prononcé. En effet les peines des
lois pénales environnementales pouvant être plus restrictives de liberté car pour le
coupable que de simples amendes administratives, certaines infractions étant
18
sanctionnées par de l’emprisonnement, le juge doit être plus consciencieux dans
leur application.
L’intérêt de la recherche :
Enfin notre étude comparée est l’occasion non seulement de permettre des
observations sur les droits pénaux environnementaux franco-canadiens, mais
aussi d’apporter de véritables recommandations de réformes en la matière. Cela
permettrait en particulier au droit français et au droit canadien d’être enrichis par
19
leurs apports respectifs dans ce domaine, et par là même de clarifier et harmoniser
la protection pénale de l’environnement.
La méthodologie :
20
de droit de la défense. Cela permettra également de mettre en balance la
protection de l’environnement avec les autres droits fondamentaux afin de
déterminer sa place dans l’équilibre constitutionnel.
Le plan de la démonstration :
21
générale. Confrontation qui permettra de mettre en exergue les insuffisances et les
domaines où une réforme serait nécessaire.
22
Partie 1 : La définition de l’environnement et ses écueils
37 Voir sur la question : Gisèle CÔTÉ-HARPER, Pierre RAINVILLE et Jean TURGEON, Traité de droit pénal
canadien, Éditions Yvon Blais, 1998 page 10.
38 « Capsules d’information juridique - Trouver une ressource juridique - Services aux citoyens - SOQUIJ »,
en ligne : <https://soquij.qc.ca/fr/services-aux-citoyens/complements-d-information/capsule-
educaloi/880> .
23
le droit pénal dans son sens le plus large, le droit de l’environnement ne relevant
exclusivement pas ni de l’un ni de l’autre, mais bien alternativement des deux.
24
Chapitre 1 : La définition par énumération
25
donc utile mais en réalité proprement infaisable, une telle exhaustivité étant
difficilement possible lors d’une opération de codification. Dès lors la démarche
privilégiée par le législateur est fréquemment la suivante : non seulement il pose
une définition par énumération, mais il la complète ensuite par une définition
conceptuelle censée en préciser la portée. En nommant ainsi les catégories
principales, il offre au juge, lorsqu’il est confronté à une infraction, la possibilité de
faire correspondre ou non cette infraction à une énumération particulière.
26
de la définition de l’environnement : on protège ce qui est utile à l’espèce humaine
dans son développement. Un arbre n’est donc pas protégé du simple fait que c’est
une espèce vivante, mais bien parce qu’il peut nous fournir du bois. Ce constat fait
dire à l’écologiste Aldo Léopold :
41 Aldo LEOPOLD, A Sand County almanac, and sketches here and there, Outdoor Essays & Reflections,
1989, traduction par Nguyen VINH-DE, dans « Qu’est-ce que l’éthique de l’environnement? » (1998) 9:1
Horizons philosophiques 87–107 .
42 « La philosophe Marie-Hélène Parizeau sur les rapports de l’Occident à la nature », en ligne : Le Devoir
<https://www.ledevoir.com/societe/environnement/500382/la-philosophe-marie-helene-parizeau-sur-les-
rapports-de-l-occident-a-la-nature> ; Pour plus de détails lire : Marie-Hélène PARIZEAU « Biodiversité et
représentations du monde: enjeux éthiques » - La biodiversité. Tout conserver ou tout exploiter, 1997.
27
Une construction législative pyramidale. Mais si la nature est
régulièrement envisagée comme une ressource, le législateur prévoit de la
protéger d’une surexploitation abusive, et ce en détaillant les différents milieux
risquant d’être pollués. Il suffit pour s’en rendre compte de reprendre l’étude du
Code de l’environnement français : on constate que le législateur est parti de ce
qui semble le plus évident comme faisant partie de l’environnement (eau, terre, air)
pour ensuite aller vers tout ce qui est plus complexe à appréhender mais qu’il
semble nécessaire d’appréhender car étant des enjeux d’avenir (OGM,
déchets…) : le législateur a décidé dans le Livre II du Code de l’environnement de
protéger les milieux physiques, à savoir l’eau, ainsi que l’air et l’atmosphère, pour
protéger dans le Livre III les espaces naturels (littoral, les parcs et réserves, les
sites et monuments naturels, les paysages remarquables…). Le Livre IV quant à
lui est dédié à la protection du patrimoine naturel (faune et flore), là où le Livre V
protège l’environnement contre les pollutions et les risques de nuisance. En réalité
cette dernière catégorie est bien éclectique car regroupant de manière hétérogène
les substances chimiques, les OGM, les déchets, les nuisances sonores, la
publicité…
28
faisant mention des matières organiques et inorganiques, ainsi que des êtres
vivants.
Dès lors, ces éléments revenant fréquemment dans les lois de protection de
l’environnement, il convient d’étudier plus en détail ce qu’ils regroupent en leur
sein. L’étude des points suivants permettra en outre de mettre en exergue le fait
qu’une notion en apparence simple et identifiable en droit de l’environnement peut
toutefois faire l’objet d’une certaine complexité.
A/ L’EAU
29
inépuisable, mais bien comme un « bien rare et fragile, un trésor qu’il faut savoir
protéger et gérer »47.
47 « Rapport fait au nom de la Commission de la Production et des Échanges sur le projet de loi, adopté par
le Sénat, sur la répartition, la police et la protection des eaux ; N° 2381 », en ligne :
<http://www.side.developpementdurable.gouv.fr/EXPLOITATION/DEFAULT/doc/IFD/I_IFD_REFDOC
_0073469/rapport-fait-au-nom-de-la-commission-de-la-production-et-des-echanges-sur-le-projet-de-loi-
adopte-pa> .
48 Sur le sujet voir : Catherine ROCHE, Le droit pénal, de l’eau douce à l’eau salée (2014) Volume
39:HS01 Revue juridique de l’environnement 157-170. Également, on peut noter le cas de l’arrêt
canadien R c. Sault-Ste-Marie, qui, aux pages 1302 et 1303 affirme : «Ces infractions ne sont pas
criminelles au plein sens du terme, mais sont prohibées dans l’intérêt public. (Sherras v. De Rutzen[3])
Bien qu’appliquées comme lois pénales par le truchement de la procédure criminelle, ces infractions sont
essentiellement de nature civile et pourraient fort bien être considérées comme une branche du droit
administratif à laquelle les principes traditionnels du droit criminel ne s’appliquent que de façon limitée.
Elles se rapportent à des questions quotidiennes, telles les contraventions à la circulation, la vente de
nourriture contaminée, les violations de lois sur les boissons alcooliques et autres infractions semblables.
Le présent pourvoi a pour objet la pollution. » Il y a donc affirmation par la Cour suprême de la nature
quasi administrative des infractions de pollution de l’eau.
30
D’autre part, la distinction qu’opérait le législateur entre le régime de l’eau
douce et celui de l’eau salée explique en partie la complexité du régime de
protection de l’eau. Si les formulations actuelles prennent généralement la forme
d’assertion telle que « Eaux ainsi que milieux aquatiques et marins » pour les
unifier sous une même bannière, ce n’était traditionnellement pas le cas. Et cette
distinction trouvait une logique fondamentale, dans le fait que l’eau douce étant
une ressource immédiate et consommable, sa pollution était plus grave que l’eau
salée, dont la pollution n’était appréhendée qu’au travers des conséquences sur la
faune marine. Si ces distinctions n’existent plus en l’état, depuis l’effort d’unification
à la création du Code de l’environnement, la différence de régime entre l’eau
douce et l’eau salée peut encore avoir des conséquences dans notre droit actuel.
Pour s’en convaincre il suffit de prendre l’exemple du droit pénal français. Comme
l’indique Catherine Roche :
49 Ibid, passage entre crochets ajoutés afin de clarifier le sens du paragraphe pris indépendamment du
développement global.
31
De plus la France et le Canada étant tous les deux cernés par des océans et des
mers, le régime de protection de l’eau pose également des questions de
compétence territoriale.
50 « Convention des Nations Unies sur le droit de la mer Montego Bay, 10 décembre 1982 », en ligne :
<https://treaties.un.org/pages/ViewDetailsIII.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXI-
6&chapter=21&Temp=mtdsg3&clang=_fr> (consulté le 16 mai 2019).
51 Cass, Crim, 25 septembre 2012, 10-82938, Publié au bulletin, [2012], en ligne :
<https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?
oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000026430035&fastPos=1> .
32
démarche n’est pas anodine car la convention Marpol ne permettait pas en tant
que tel une réelle extension de la compétence française, et les règles du droit
international privilégiaient plutôt l’État maltais, État dont le navire battait pavillon. Si
la France a décidé de se considérer compétente dans cette affaire, c’est entre
autres pour réaffirmer l’importance de ne pas laisser impunies les pollutions
environnementales, et ce même lorsqu’elles n’ont pas lieu dans les eaux de la mer
territoriale. L’eau maritime étant indivisible, le champ d’intervention du droit pénal
ne doit pas être restreint aussi strictement.
33
Pour ce qui est du Canada, il a lui aussi ratifié la Convention de Montego
Bay et il est soumis à la même définition concernant la mer territoriale canadienne.
Définition par ailleurs reprise dans la Loi sur les océans dans son article 454 De
plus, le Canada possède lui aussi des régimes de protection différents en fonction
du type d’eau polluée, ou de sa localisation : Loi sur la responsabilité en matière
maritime55 ou bien Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques 56. On
trouve aussi une Loi sur les pêches57 ou encore une Loi sur la salubrité de l’eau
potable des Premières Nations 58. Pour le Canada aussi, cette notion en
apparence claire provoque une législation prolifique et fragmentée. Comme
l’indique Alexandre Lillo, cela s’explique par le « fédéralisme atypique » de ce
pays, où le gouvernement possède certes quelques prérogatives pour la gestion et
la protection de l’eau, mais où la majorité du pouvoir de décision revient aux
provinces59. Il n’est donc pas étonnant de constater que si la LCPE protège elle
aussi l’eau dans plusieurs de ses articles, la jurisprudence, en matière de pollution
de l’eau, a plutôt tendance à se tourner vers des lois spécialisées, et non vers la
LCPE.
Enfin, le cas de la LQE dans la protection de l’eau est lui aussi intéressant.
Tout d’abord, dans son article 1er la loi définit les termes essentiels, dont celui de
l’eau60. Et il est intéressant de noter que la LQE protège aussi bien l’eau
souterraine que l’eau de surface dans le terme « d’eau », en affirmant qu’elle
protège l’eau « où qu’elle se trouve ». Toutefois cette loi vise explicitement l’eau
douce et les eaux usées, et donc l’eau potable tandis qu’aucune mention explicite
54 Loi sur les océans L.C. 1996, ch. 31 (8 avril 2019), en ligne : <https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/O-
2.4/page-1.html#h-373822> (consulté le 16 mai 2019).
55 Loi sur la responsabilité en matière maritime (L.C. 2001, ch. 6) (8 avril 2019), en ligne : <https://laws-
lois.justice.gc.ca/fra/lois/M-0.7/> (consulté le 16 mai 2019).
56 Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques (L.R.C. (1985), ch. A-12 (8 avril 2019), en ligne :
<https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/A-12/> (consulté le 16 mai 2019).
57 Loi sur les pêches (L.R.C. (1985), ch. F-14) (8 avril 2019), en ligne : <https://laws-
lois.justice.gc.ca/fra/lois/F-14/> (consulté le 16 mai 2019).
58 Loi sur la salubrité de l’eau potable des Premières Nations L.C. 2013, ch. 21 (8 avril 2019), en ligne :
<https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/S-1.04/page-1.html>.
59 Alexandre LILLO, « Un bilan de la Politique nationale de l’eau (2002-2017) au Québec à la lumière de
l’éthique environnementale : entre initiatives et suffisances », Revue de droit du développement durable
de l’Université McGill 71, 2018, page 5.
60 Loi sur la qualité de l’environnement, supra note 2.
34
n’est faite de l’eau salée ou des territoires marins. Cela ne veut néanmoins pas
dire que la LQE ne puisse techniquement pas s’appliquer à l’eau salée, mais il
convient de noter que cette composante n’est pas prévue en tant que telle.
B/ L’ATMOSPHÈRE ET L’AIR
35
peut être aussi bien le fait du déversement des eaux usées des citoyens ou celui
d’entreprises et d’industries, la pollution de l’air et de l’atmosphère est aussi en
grande partie de la faute de la population. De plus, les effets d’une telle pollution
se font aussi bien sentir à grande distance (couche d’ozone) que localement. Il est
en effet fréquent que la qualité de l’air de certaines villes soit dangereuse pour la
santé, à tel point que des arrêtés municipaux sont pris afin d’avertir la population
des risques respiratoires qu’ils encourent 63. Et encore plus localement, à l’intérieur
même des bâtiments, l’emploi de certains matériaux (dont l’amiante) peut
provoquer des risques d’inhalation mettant en péril la vie des habitants. Toutefois,
toutes les lois de protection de l’environnement ne couvrent pas l’air intérieur, et
l’on peut citer dans ce cas notamment la LQE. Le droit a donc ici aussi comme
objectif de protéger un nombre de milieux conséquents et marqués par une forte
diversité.
36
majoritairement de l’élevage de ruminants et de la culture de surfaces inondées
comme les rizières. En revanche le CFC (chlorofluorocarbone) est émis par les
systèmes de climatisation intérieure65. Dès lors, légiférer sur les émissions de gaz
à effet de serre implique de légiférer sur une quantité non négligeable de
comportements différents. Et cette diversité explique qu’aussi bien en France
qu’au Canada, la réglementation des sources d’émissions polluantes soit aussi
foisonnante.
37
des transgressions ordinaires. En effet, concernant le cas de la France, celle-ci
possède une loi relative aux installations classées 68, tandis que la législation sur
l’air intérieur est laissée au Code de l’Environnement 69. Bien que cette séparation
permette une meilleure individualisation de la peine, et une meilleure application
de la responsabilité des personnes morales, celle-ci n’est pas exempte de tout
défaut. En effet, la législation concernant les transgressions ordinaires a vocation à
sanctionner la pollution émise par le citoyen moyen. Dès lors, les infractions
sanctionnant ce type de comportement sont bien souvent des contraventions, ce
qui permet une application plus efficace. En effet le droit pénal français distingue
trois catégories d’infractions : les crimes qui sanctionnent les comportements les
plus graves, les délits qui sont intermédiaires et enfin les contraventions qui
sanctionnent les infractions les plus légères. Ces dernières étant intéressantes
dans la mesure où leurs sanctions peuvent être prononcées par de simples
officiers de police et non nécessairement par un juge. Dès lors elles sont
applicables plus rapidement et efficacement. Or c’est oublier que certains
professionnels, et notamment les constructeurs automobiles par exemple, sont
soumis à certaines de ces réglementations (notamment celles sur les émissions de
particules des véhicules motorisés), et donc aux contraventions qui sanctionnent
leur irrespect. Il y a donc lieu de croire que ces contraventions, certes dissuasives
pour le citoyen moyen, ne le sont pas pour ces entreprises qui ne tombent pas
sous le coup de la loi sur les installations classées comportant quant à elle des
quantums de peine plus importants70. En effet, les contraventions étant prévues
pour des citoyens, elles sont assorties de peines appropriées. Or cela peut paraître
faible comparé au chiffre d’affaire d’une entreprise.
68 Loi n°76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement,
76-663, 19 juillet 1976.
69 Article L221-7 à Article L221-10, Code de l’environnement.
70 GUIHAL, ROBERT et FOSSIER, supra note 62, paragraphe 22,021.
38
compétence en matière de propriété et de droits civils71 selon la Constitution
canadienne. Le gouvernement fédéral est toutefois compétent en matière de
pollution causée par les trains et bateaux, et il peut réglementer certains éléments
créateurs de pollution (comme le taux de plomb dans l’essence par exemple). La
LCPE donne également des pouvoirs au gouvernement fédéral afin de
réglementer la pollution de l’air, mais cela est surtout le cas pour certaines
substances toxiques et la pollution atmosphérique internationale 72. L’air intérieur
est toujours réglementé par les provinces, que ce soit pour les polluants
industriels, que pour la pollution domestique 73, bien qu’au Québec la pollution de
l’air intérieur ne relève pas de l’environnement mais d’autres secteurs tels que la
santé74.
C/ LE SOL
39
En France, il faut attendre la Loi Biodiversité du 8 août 201675 pour que le
sol soit inscrit en tant que « patrimoine commun de la Nation ». Jusque-là, il était
absent du code de l’environnement et donc n’était pas protégé dans sa globalité,
mais seulement par des lois ou des règlements spécifiques sur l’enfouissement
des déchets par exemple. Cela s’expliquait majoritairement par le risque que le
législateur, en légiférant sur le sol de manière globale, vienne impacter l’agriculture
et notamment son usage des pesticides, car ces derniers ont précisément pour but
de tuer toute une partie de la biodiversité au nom d’un objectif plus grand de
production de ressource alimentaire. De surcroît, la prudence du législateur
trouvait aussi son fondement dans la crainte d’impacter, par une législation trop
large, le droit de propriété au sens du Code civil 76. En effet, le sol, contrairement à
l’eau ou à l’air, est bien souvent objet de droit de propriété, et légiférer trop
strictement sur la protection des sols, y compris privés, reviendrait à diminuer
l’usus et l’abusus que les propriétaires ont sur leur bien. Mais en réalité cela est un
faux débat, car la plupart des lois de protection de l’environnement n’ont jamais eu
pour objectif ni même pour conséquence d’impacter négativement le droit de
propriété. Et si cela devait arriver, cela se justifierait notamment par l’idée
supérieure de protection de la collectivité.
Malgré cette incursion tardive dans le droit français, le sol fait l’objet
aujourd’hui d’une protection principalement pour sa fonction de stockage de
carbone. En effet, depuis la COP 21 et le constat scientifique du réchauffement
climatique, le sol est devenu une solution à la limitation de l’effet de serre par sa
fonction de stockage de CO2. Or limiter la protection du sol à cette vision
reviendrait à créer un régime monolithique qui oublierait l’idée même de protéger la
biodiversité terrestre.
75 LOI n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages,
2016-1087, 8 août 2016.
76 Sur le thème: « La loi biodiversité reconnaît les sols comme patrimoine commun de la nation », en ligne :
Actu-Environnement <https://www.actu-environnement.com/ae/news/loi-biodiversite-sols-
reconnaissance-patrimoine-commun-nation-code-environnement-27058.php4>.
40
Toutefois, le Code de l’environnement français n’oublie pas, aux articles
L556-1 à L556-3, d’encadrer les mesures de réhabilitation et de dépollution des
sols contaminés. Car si on aborde assez peu la question de la biodiversité
présente dans le sol, on encadre toutefois l’enfouissement de déchets toxiques, la
réhabilitation des sols après de tels enfouissements, et les conséquences que ces
pollutions peuvent avoir sur les eaux souterraines et la flore terrestre.
Selon ce qui ressort de ces études, on peut conclure que les BPC sont non
seulement très toxiques, mais encore qu’ils durent longtemps et se
décomposent très lentement dans l’eau, l’air ou le sol. Toutefois, ils se
dissolvent facilement dans les tissus adipeux et autres composés
organiques, de sorte qu’ils remontent la chaîne alimentaire grâce aux
oiseaux et aux autres animaux pour éventuellement atteindre les êtres
humains. Ils posent des risques importants de préjudice grave pour les
animaux et les humains. De même, ils sont extrêmement mobiles. Ils
s’évaporent du sol et de l’eau et franchissent de grandes distances dans
l’atmosphère. On a trouvé des concentrations élevées de BPC chez divers
animaux de l’Arctique qui vivent à des milliers de kilomètres de toute source
majeure de BPC. L’ampleur des dangers qu’ils posent est illustrée par le
fait qu’ils constituent la première substance qu’on a cherché à contrôler au
Canada en vertu de la Loi sur les contaminants de l’environnement, qui a
précédé la loi actuelle77.
Or dans cet arrêt, la Cour a admis que les prohibitions d’émettre des substances
toxiques étaient valides, et s’appliquaient donc également aux sols.
41
identifiés et identifiables (contamination de terrains et leur réhabilitation). L’article
20 de la LQE s’appliquant ainsi de fait aux sols, le régime canadien est plus
développé sur la question que le régime français.
A/ LA FAUNE ET LA FLORE
78 Ministère de la Justice, Loi sur la santé des animaux (1990), en ligne : <https://laws-
lois.justice.gc.ca/fra/lois/H-3.3/page-1.html#h-246992> .
42
Aux fins de la présente Convention sont considérés comme "patrimoine
naturel" : [...] les formations géologiques et physiographiques et les zones
strictement délimitées constituant l'habitat d'espèces animale et végétale
menacées, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de
la science ou de la conservation79.
Cette convention, bien que n’ayant aucune valeur normative80, a servi de note
d’intention dès les années 70 quant à la question de la protection de la faune et de
la flore. Si la plupart des législations ayant eu pour but de protéger la diversité
animale et végétale ont été aussi tardives, c’est principalement parce que l’Homme
a longtemps été considéré comme étant au sommet de la chaîne alimentaire. Et en
tant que tel, cela lui confère un pouvoir absolu sur ce qui l’entoure : il peut s’en
nourrir, le cultiver, l’élever, en faire des vêtements… ces ressources constituant le
cœur même de son développement. Dès lors quel est l’intérêt de protéger et de
restreindre l’accès aux ressources fondamentales de l’espèce humaine ? Mais dès
les années 70, nombre de législations ont fleuri afin de protéger la diversité
faunique et végétale des excès de consommation de l’humanité. Car avec un
nombre toujours plus important d’espèces menacées, l’impact de l’être humain sur
le développement des espèces animales est clairement non négligeable.
43
biens meubles offrait au propriétaire des animaux les attributs du droit de propriété,
à savoir l’usus, le fructus et l’abusus. Toutefois il n’est moralement pas tolérable
d’user de son abusus (c’est à dire la possibilité « d’abuser » du bien, de le détruire)
sur un animal comme il peut l’être sur un bien matériel. C’est pour toutes ces
considérations que les législateurs français et québécois sont venus modifier leur
code et le statut des animaux pour en faire des « être vivants doués de
sensibilité ». Cette définition ayant été proposée dans la loi du 16 février 2015 81
pour le cas de la France, et a été reprise à l’identique dans la Loi visant
l’amélioration de la situation juridique des animaux le 8 octobre 2015 au Québec82.
Si cela n’est encore qu’une première étape dans la modification de leur régime de
protection, cela a encore amplifié le mouvement de protection des animaux et de la
flore en droit de l’environnement : en France la Loi Biodiversité de 2016 vient
enrichir le régime de protection des espèces vivantes 83.
44
prolifération de législation semblable à celle de l’eau en ce qui concerne la faune et
la flore.
45
catégorie fait plutôt office de dénomination commune à plusieurs sous-catégories,
mais n’a pas d’identité propre, ce qui explique l’éclatement de la législation. Par
ailleurs, la catégorie des matières inorganiques se voit enrichie par les dernières
avancées en matière de protection de l’environnement, avec des références à des
éléments inclassables tels que la pollution publicitaire ou la pollution sonore. Cet
éclectisme contribue à amplifier la sensation de flou que l’on peut ressentir face à
cette catégorie.
Enfin, il est intéressant de noter que d’un point de vue de droit pénal, en
France les infractions environnementales faisant référence aux matières
inorganiques sont bien souvent des infractions sanctionnant le non-respect de
prescriptions administratives et non des infractions anti-pollution 85, tandis qu’au
Canada la LCPE et la LQE leur appliquent également dans certains cas les
prohibitions générales de polluer.
46
Chapitre 2 : la définition conceptuelle
47
dans le présent chapitre de se pencher sur les différents termes que les
législateurs canadien et français utilisent dans les dispositifs pénaux des lois de
protection de l’environnement afin d’essayer de d’identifier les différentes
définitions conceptuelles de la notion d’environnement. Pour cela, il conviendra de
se pencher sur le Code de l’environnement et notamment sa modification suite à la
Loi Biodiversité de 2016, la LCPE ainsi que la LQE. De manière non exhaustive,
on se penchera plus particulièrement sur les termes d’ « environnement naturel »
(I), de « biodiversité » (II), et enfin de « développement durable » (III). Il s’agira
dans chaque cas d’étudier le sens de ces termes, et donc de déterminer ce qu’ils
recèlent de variations et nouveautés.
48
A/ UNE DÉFINITION CLAIRE
49
seulement l’environnement naturel et non l’environnement créé par l’homme, cela
peut amener en réalité à créer des lacunes évidentes dans le régime de protection
de l’environnement : s’il avait choisi de circonscrire sa protection aux éléments
naturels de l’environnement, le législateur restreindrait inutilement la portée du
régime de protection. En effet, le fait de modifier le milieu naturel ambiant afin de
concilier avec les activités humaines n’est pas nouveau, et nombre d’éléments de
l’environnement ont été modifiés par la main de l’Homme depuis ces dernières
années, à un point tel qu’il n’est parfois pas évident de distinguer d’un simple coup
d’œil ce qui relève de l’environnement naturel de ce qui constitue un
environnement artificiel. Par exemple, un canal permettant d’acheminer l’eau est
une construction artificielle, car créée de la main de l’Homme, mais qui peut tout
de même abriter une certaine biodiversité. Dès lors, il paraîtrait étonnant de ne pas
le protéger. De même en ce qui concerne des fossés servant à l’écoulement des
eaux de ruissellement qui sont colonisés par des organismes vivants. En réalité,
ces exemples ne sont pas anodins et ont fait l’objet de plusieurs décisions
judiciaires dans la Province du Québec89. En effet, la définition conceptuelle de la
LQE permettant d’étendre la protection à certains milieux artificiels, il est revenu au
juge la tâche de rechercher l’intention du législateur et de déterminer lesquels
bénéficiaient effectivement de cette protection, et lesquels en étaient exclus.
89 Voir : Québec (Procureur général) c. Roy, 2002 CanLII 11605 (QC CQ) , para 99 (fossé agricole pollué
par des rejets de déjections animales) ; Scierie Dion & Fils Inc. c. Gestofor Inc., 2005 CanLII 35250 (QC
CS), para 56 et suivants (pollution de canal) ; Paquet c Québec (Procureure générale), 2015, QCCS 3183,
para 52 (fossé reconnu comme un cours d’eau car colonisé par des organismes vivants).
90 Paquet c Québec (Procureure générale), 2015 QCCS 3183.
50
se risque à faire une analogie au droit des biens. Toutefois, il ne faut pas se limiter
au fait de savoir si un milieu abrite la vie, mais il faut se demander si « l’essence »
de ce milieu est compatible avec le fait d’abriter la vie. En effet, selon la
Professeure Paule Halley, au sujet de la définition de l’environnement employée
dans la LQE :
51
l’interprète judiciaire doit éviter de donner une portée extensive aux termes
généraux, lorsque cela mènerait à des résultats absurdes. Il affirme donc, au nom
de la majorité, que dans ces circonstances l’interprétation restrictive est à
préférer93.
93 Ontario c Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 RCS 1028, pages 1081-1082. Voir pour plus de détails,
HALLEY, supra note 88 page 19.
94 Article 111-4, Code pénal.
95 Article 12, Loi concernant l’interprétation des lois et des règlements , L.R.C. (1985), ch. I-21, [au Q, art.
41 Loi d’interprétation]
52
sur l'apport d'une solution de droit qu'exige l'art. 12 de la Loi
d'interprétation. Dans l'arrêt Bélanger c. La Reine de 1970 96, le juge en
chef Cartwright a harmonisé ces principes opposés. En ce faisant, il a cité
et approuvé, à la page 573, le passage suivant de Maxwell 97:
[TRADUCTION]
Lorsqu'un mot équivoque ou une phrase obscure laisse subsister un doute
raisonnable que les règles d'interprétation ne permettent pas d'éclaircir, le
bénéfice du doute doit profiter au citoyen et contre le législateur qui ne
s'est pas exprimé clairement98.
La conclusion que l’on peut tirer de l’étude de ces expressions est qu’aussi
bien le Canada que la France étendent la protection de l’environnement au-delà
des simples milieux naturels. Mais afin de ne pas étendre cette protection de
manière trop importante, ces deux pays appliquent un principe d’interprétation
stricte des termes employés, que ce soit par le biais de la jurisprudence ou de la
loi. Ce principe venant restreindre le champ d’application des définitions
conceptuelles proposées.
II/ La biodiversité
53
efficacement les enjeux de notre ère en complément du terme
« d’environnement ». Et d’un point de vue conceptuel ce terme révèle un rapport
de l’homme à la nature différent de celui qui préexistait jusqu’alors. En effet, la
protection de la nature était envisagée jusque-là par le fait de créer des réserves
naturelles protégées de l’activité humaine, et d’y figer en l’état une certaine
diversité naturelle. Or, le document précédemment évoqué insiste sur le fait qu’il
ne faut plus se contenter de protéger des espèces sauvages dans des réserves
naturelles, mais bien de sauvegarder les grands écosystèmes qui sont la base de
notre développement :
La biodiversité est une notion floue. Elle possède une grande plasticité
sémantique, sans doute à l’origine de son succès, mais qui rend illusoire
toute tentative de définition et obscurcit bien des débats. C’est un objet
d’environnement, donc c’est un objet hybride, à la fois naturel, qui tire son
origine de la vie, social, car indissociable des pratiques humaines,
technique, car devenu matière première pour la technoscience. […] Le
savoir sur la biodiversité n’est stabilisé dans aucune de ses dimensions
(écologique, économique, politique…) ni pour aucune des disciplines qui en
traitent. Nous sommes en situation d’univers controversé (GODARD, 1993).
Pourtant un consensus semble acquis : il est urgent d’agir, localement et
globalement, pour limiter les pertes de biodiversité 101.
100 Catherine LARRÈRE et Raphaël LARRÈRE, Du bon usage de la nature : Pour une philosophie de
l’environnement, Aubier, coll Alto, Paris, 1997, pages 289 et 290.
101 Catherine AUBERTIN, « La biodiversité une notion en quête de stabilité » [2005] ONG et biodiversité.
54
Le droit n’est pas resté insensible face à ce changement de paradigme, le
terme de « biodiversité » ayant même servi à nommer une importante loi française
de protection de la nature en 2016 : Loi pour la reconquête de la Biodiversité, de
la Nature et des paysages102. Mais la relative difficulté de donner une définition
exhaustive de ce terme étant contraire à l’exigence de clarté véhiculée par le
principe de légalité, il est intéressant d’étudier l’utilisation qu’en fait le législateur
français.
102 LOI n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages,
(2016) 2016-1087.
103 Ibid, article 1.
104 Éditions Larousse, « Définitions : biodiversité - Dictionnaire de français Larousse », en ligne :
<https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/biodiversit%C3%A9/9406> (consulté le 6 juin 2019).
55
On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des
organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres,
marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes
écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des
espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les
interactions entre les organismes vivants105.
Si le législateur français a fait un effort de définition, en reprenant au
passage celle adoptée lors du troisième Sommet de la Terre ayant eu lieu à Rio
de Janeiro en 1992106, elle demeure sans doute encore trop complexe. Bien que
l’idée générale soit louable, c’est-à-dire affirmer que l’espèce humaine n’est pas
seule dans son environnement bien qu’elle l’impacte fortement, son application
semble laborieuse. En effet, définie de la sorte, la notion de « biodiversité » se
trouve dotée d’une ambivalence certaine : le terme provoque, selon Van Lang,
« un élargissement de la visée protectrice du droit qui intègre dorénavant le milieu
et les fonds marins, les paysages nocturnes et ordinaires, le trait de côte et la
ressource sédimentaire, ainsi que toutes les espèces vivantes» 107.
56
d’incriminations. En effet, sans rentrer dans le détail de cette loi Biodiversité110, on
se rend compte que le terme Biodiversité dans cette loi est suffisamment permissif
pour englober toutes les anciennes réglementations en matière de droit pénal de
l’environnement, mais également pour les enrichir de quelques ajouts : des
infractions contre « l'utilisation non autorisée de ressources génétiques » 111, tout ce
qui a trait aux installations artificielles en mer112, des infractions pour préserver
certaines espèces de pêche (notamment l’anguille européenne, l’esturgeon
européen, et le saumon atlantique)113, et de manière générale on durcit les
sanctions contre le non-respect des réglementations des réserves naturelles 114.
110 On conseillera pour cela de lire l’article du Professeur Guillaume BEAUSSONIE sur la question : Ibid.
111 LOI n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages,
supra note 102, article 37.
112 Ibid, articles 94 à 96.
113 Ibid article 139.
114 Ibid, article 163.
115 Dominique GUIHAL, Jacques-Henri ROBERT et Thierry FOSSIER, Droit répressif de l’environnement,
4ème édition, coll Economica, Paris, 2016.
57
Tout l’intérêt d’une définition conceptuelle est de circonscrire la notion que l’on
tente de définir tout en complétant la définition par énumération généralement
préalable. L’idée est de poser des bordures, des limites à ce que l’on protège ou
non. Et en termes d’applicabilité il ne faut que cela vienne compliquer un régime au
préalable manquant d’unité. Or, comme le montre la loi Biodiversité, le législateur
ne se sert pas de ce terme pour unifier son régime de protection mais seulement
pour ajouter des couches supplémentaires. Ce qui est malheureusement
préjudiciable à la protection de l’environnement dans la mesure où le régime en
ressort plus complexe qu’avant.
116 Zone Environnement- ICIRadio-Canadaca, « Nouvelle-Écosse : la loi sur la biodiversité devra attendre »,
en ligne : Radio-Canada.ca <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1164063/loi-biodiversite-nouvelle-
ecosse-protection-ecosysteme-especes> (consulté le 12 juin 2019).
117 Ressources naturelles Canada, « Politiques et lois » (8 novembre 2013), en ligne :
<https://www.rncan.gc.ca/forets/canada/lois/13198> (consulté le 12 juin 2019).
58
engagements pris au niveau fédéral sont complétés par le pouvoir des Provinces
en matière de protection de la biodiversité notamment par le biais de la gestion des
écosystèmes terrestres et aquatiques sur leurs territoires. Il faudra donc guetter
l’apparition de ce terme dans les futures lois environnementales canadiennes afin
de vérifier si les potentiels écueils français se répètent ou non.
118 On peut prendre pour exemple un arrêt récent en la matière, le juge pénal venant sanctionner le non-
respect d’un règlement d’urbanisme visant à faire respecter les principes du développement durable :
Crim, 2 avril 2019, 18-81917, Publié au bulletin, [2019] Publié au bulletin (Cour de cassation), en ligne :
<https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000038373512>; De même on
peut également prendre pour exemple l’arrêt Crim. 18 mai 2016, FS-P+B, n° 15-84.771 venant
sanctionner une infraction de chasse sans permis de chasse, ceux-ci venant « assurer le développement
durable des populations de gibier et préserver leurs habitats, en conciliant les intérêts agricoles, sylvicoles
et cynégétiques. » (Voir sur la question l’article Dalloz Actualité : Chasse : interprétation stricte de la
contravention de chasse sans plan de chasse individuel - Environnement et urbanisme | Dalloz Actualité,
https://www-dalloz--actualite-fr-s.biblio-dist.ut-capitole.fr/flash/chasse-interpretation-stricte-de-
contravention-de-chasse-sans-plan-de-chasse-individuel#.XTtY4OhKhPY)
119 Juliette MONGIN et Emmanuel DAOUD, « Le droit pénal demeure-t-il étranger à la notion de
«développement durable»? Rien n’est moins sûr! », AJ pénal 2009.402.
59
Une prise en compte de l’avenir. Le troisième terme qu’il s’agit donc
d’étudier car venant compléter cette définition conceptuelle est celui de
« développement durable ». Cette expression, à l’instar de celle de « biodiversité »
évoquée plus haut, date également de 1980 et de la publication Stratégie
mondiale de la Conservation, un ouvrage de l’Union internationale pour la
conservation de la nature (UICN)120. Bien que ce terme soit apparu en même
temps que celui de « biodiversité » en 1980, il faudra attendre 1988 avec la
Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Notre avenir à
tous121 pour qu’il se voie doter d’une définition étendue et complète. En effet, cette
commission souvent appelée également rapport Brundtland, du nom de la
présidente de la commission : la première ministre de la Norvège, Madame Gro
Harlem Brundtland, a eu pour tâche de « promouvoir les valeurs et principes du
développement durable »122. C’est lors de cet exercice que la principale définition
du développement durable a vu le jour : « Un développement qui répond aux
besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de
répondre aux leurs »123.
60
définition125. La loi fédérale sur le développement durable reprend également cette
définition à l’identique dans son article de définition 126. Du côté de la province du
Québec en revanche, la LQE ne définit pas le développement durable bien qu’elle
en fasse mention onze fois, et ce notamment dans l’article préliminaire. Si la LQE
affirme effectivement qu’elle respecte les principes du développement durable, elle
renvoie à la « Loi sur le développement durable » pour tout ce qui consiste à
définir cette notion ainsi que les valeurs qu’elle exprime. Cette définition est
intéressante car contrairement aux autres articles précédemment cités qui
reprenaient à l’identique la définition de 1988, celle-ci fait légèrement évoluer la
notion, car au Québec, le développement durable s’entend :
125 Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), LC 1999, c 33, <http://canlii.ca/t/6bkss>
consulté le 2019-05-13, supra note 1.
126 Ministère de la Justice, Loi fédérale sur le développement durable (8 avril 2019), en ligne :
<https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/f-8.6/page-1.html>.
127 Loi sur le développement durable, RLRQ c D-811, en ligne : RLRQ c D-8.1.1
<http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/D-8.1.1> article 2.
128 Supra note 122.
61
car on y affirme bien l’importance et le « caractère indissociable des dimensions
environnementales, sociales et économiques des activités de développement ».
L’idée derrière le développement durable est donc non seulement de préserver les
ressources pour les générations futures, mais également de les redistribuer afin de
permettre un équilibre écologique et économique. Cette construction en trois piliers
(environnemental, économique et social) est le propre même du
« développement » prôné par cette notion.
62
fondements demeurent pertinents: l'utopie de la croissance économique et
du marché autorégulateur conservent leur plein droit de cité 129.
Si ce changement de paradigme est séduisant, force est d’admettre que
certains doutes subsistent. S’il est vrai que sur une période de temps relativement
courte il est possible d’améliorer à la fois la rentabilité économique et la
performance écologique, cela reste beaucoup plus incertain à plus longue
échéance :
Les économistes sont les premiers à faire valoir que les mécanismes de
marché ne donnent pas les bons signaux de prix en matière
d'environnement et qu'il est nécessaire de les corriger pour parvenir à une
allocation optimale. À l'échelle de l'entreprise, bien des investissements
visant la protection de l'environnement pourraient difficilement se qualifier
en vertu des normes usuelles de retour sur investissement. C'est pourquoi
on ne sera guère surpris d'apprendre que c'est la réglementation, et non
l'efficacité ou la rentabilité, qui constitue le premier facteur de motivation à la
modernisation environnementale des entreprises 130.
Cette opposition entre protection de l’environnement et rentabilité
économique n’est pas étonnante dans la mesure où ces deux matières obéissent à
des règles différentes. En effet, les lois de régulation du marché et de l’offre et de
la demande s’accommodent mal d’une matière où les ressources sont collectives
et gratuites. Cela entraîne évidemment une surconsommation et une
surexploitation qui ne peut être limitée par de simples principes économiques. La
solution, pour les néoclassiques, est donc de créer des marchés autour de la
protection de l’environnement, ce qui permettrait de le placer dans le cadre des
mécanismes marchands et donc d’en limiter l’exploitation abusive. 131 Les
« externalités » (que ce soit positives ou négatives : les pollutions ou les
dépollutions...) environnementales se retrouveraient « internalisées » dans les
processus de marché132. Cela se ferait à l’aide de taxes ou bien de permis
129 Corinne GENDRON et Jean-Pierre REVÉRET, « Le développement durable » (2000) 37:91 Économies et
sociétés p111–124.
130 Ibid.
131 Franck-Dominique VIVIEN, « Pour une économie patrimoniale des ressources naturelles et de
l’environnement » [2009] 1 Mondes en développement p17–28.
132 Maya LEROY et Jacques LAURIOL, « 25 ans de Développement Durable : de la récupération de la
critique environnementale à la consolidation d’une dynamique de normalisation » (2011) Volume 28:2
Gestion 2000 127-145.
63
d’exploitation. « L’école du droit de propriété » ou du « droit rationnel » quant à elle
a une solution radicale bien qu’inenvisageable : privatiser l’environnement. Ce
serait également une manière de déployer les mécanismes de marché et cela
entraînerait une gestion optimale des ressources133.
En réalité, cette dimension sociale n’est pas anodine car elle associe l’idée
de développement durable à un certain progressisme. Elle permet dès lors de
mettre en avant l’équité et l’égalité des citoyens devant l’accès aux ressources.
Toutefois, cette conception est critiquable dans la mesure où elle lie intimement
développement social et économique. Ce qu’elle retire en autonomie au concept
de développement social, elle le transfère à l’économie, qui se voit donc dotée d’un
poids substantiel par rapport aux deux autres éléments du triptyque.
L’environnement et le social ne sont donc plus perçus comme des fins en soi, mais
bien comme des moyens du développement économique. De même, autre critique
adressée à cette organisation : les éléments du triptyque se compensent-ils entre
eux ou au contraire ne sont-ils pas substituables ? S’ils sont substituables, l’idée
même de protection de l’environnement semble dévoyée car compensée par une
croissance économique ou sociale suffisante. S’ils ne le sont pas, alors au
contraire l’écologie devient un incontournable et l’équilibre ne tient plus par
133 Sur les écoles « néoclassiques » et du « droit de propriété », voir Michael JACOBS, « The limits to
neoclassicism: towards an institutional environmental economics » dans Social theory and the global
environment, Routledge, 2013, 75–99.
134 Loi sur la Régie de l’énergie, RLRQ c R-601, en ligne : RLRQ c R-6.01
<http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/R-6.01> .
64
l’interdépendance des trois dimensions, mais plutôt par leur dimension obligatoire
et non négociable. Le développement durable n’est donc plus un construit vivant et
en autosuffisance, il devient au contraire un construit artificiel et contraignant, bien
qu’indispensable135.
135 Pour de plus amples détails sur les notions de « durabilité faible » et de « durabilité forte » à l’origine de
cette opposition des deux conceptions du développement durable, voir : GENDRON et REVÉRET, supra
note 129.
136 R. BRUNDTLAND, supra, note 121.
137 LEROY et LAURIOL, supra note 132.
138 Romain FELLI, « La durabilité ou l’escamotage du développement durable » (2015) N° 60:4 Raisons
politiques p149-160.
65
Cette idée de solidarité entre les générations humaines n’est pas nouvelle
et a été exprimée dès le XIXème siècle par Karl Marx :
139 Karl MARX, Le capital, Livre 3, Tome 3, traduction française de Catherine Cohen-Solal et Gilbert Badia,
Paris, Éditions sociales, 1974, p. 159.
140 Marie-José DEL REY, « « Développement durable » : l’incontournable hérésie » [2010] Recueil Dalloz
1493.
66
développement durable, ce terme dépassant ainsi le concept d’environnement.
Force est de constater que les législations sur le développement durable ont un
intérêt non négligeable : elles sont adaptées et applicables directement aux
entreprises dans le cas de la France, tandis que les lois fédérales et québécoises
sur le développement durable ne s’appliquent qu’à l’administration publique. Là où
la plupart des notions conceptuelles précédemment évoquées, comme la
biodiversité, peuvent rester nébuleuses et marginales, la notion de développement
durable est applicable directement, notamment par sa dimension économique, ce
qui explique que les législations sur le développement durable sont fréquemment
interdisciplinaires : on retrouve, par exemple, le développement durable dans
l’entreprise141, ou le développement durable dans l’urbanisme142…
141 Sur le sujet, lire Elisabeth LAVILLE , L’entreprise verte: le développement durable change l’entreprise
pour changer le monde, Pearson Education France, 2009.
142 Voir sur la question : Catherine CHARLOT-VALDIEU et Philippe OUTREQUIN, L’urbanisme durable:
concevoir un écoquartier, 2ème ed, Paris, Le Moniteur, 2011. Ce livre permet notamment de comprendre
le concept d’éco-quartier, thème très présent en urbanisme moderne et revenant à lier le développement
durable et les ambitions urbaines. De même voir : Cyria EMELIANOFF, « L’urbanisme durable en Europe:
à quel prix? » [2004] 2 Ecologie politique p21–36 ; ou encore : Pierre MERLIN et Jean-Pierre TRAISNEL,
Energie, environnement et urbanisme durable, Paris, Que sais-je, 1996.
143 Justice, supra note 32.
144 Ibid, article 3.
145 « Stratégie fédérale de développement durable pour le Canada - Canada.ca », en ligne :
<http://www.fsds-sfdd.ca/index_fr.html#/fr/goals/>.
67
enfin comme la méthode employée par le Canada afin de respecter les politiques
internationales en matière de développement durable.
Le Québec, quant à lui, s’est doté deux ans avant le gouvernement fédéral
d’une « loi sur le développement durable » bien que l’obligation de faire des
stratégies de développement durable remonte à 1995146. Cette loi sur le
développement durable a été pensée afin de permettre à la province de respecter
les engagements et principes du développement durable. Cependant, comme
l’indique Claude Béchard, ministre du Développement durable, de l’Environnement
et des Parcs, le 13 avril 2006 :
Cette loi permet au Québec de figurer dorénavant parmi les rares entités
politiques dans le monde, dont quelques États américains, le Manitoba, le
Luxembourg et la Belgique, à s’être donné une législation portant
spécifiquement sur le développement durable. En cela, et grâce à l’appui de
la population, nous avons répondu à l’appel pressant des Nations Unies qui
en 2002, au Sommet mondial de Johannesburg, exhortaient les nations du
monde à accélérer leurs efforts de mise en œuvre du développement
durable147.
Il s’agit donc d’une des rares lois sur le développement durable à titre
principal, l’autre méthode consistant plutôt à introduire le développement durable
dans d’autres législations spécifiques. La France adopte fréquemment cette
posture. En effet, le cas français est intéressant car si la France ne possède pas à
proprement parler de loi sur le développement durable, ce concept irrigue plusieurs
législations françaises. De manière non exhaustive, on peut citer : la charte de
l’environnement dans son article préliminaire148, le code de l’environnement dans
68
son article L110-1149, les lois Grenelles 1150 et 2151, la loi sur la transition
énergétique du 27 août 2015152…
69
Le concept de développement durable est donc un concept tentaculaire
mais pertinent dans la mesure où il permet de ne pas isoler la protection de
l’environnement mais de la globaliser. Certes, cela passe par l’affirmation de
principes généraux mais ce concept est suffisamment souple pour pouvoir être
appliqué concrètement à des matières techniques, le développement durable étant
une composante essentielle des réglementations en matière d’urbanisme, par
exemple. Ce concept transcendant la simple notion d’environnement doit toutefois
être utilisé avec parcimonie afin de ne pas être dilué dans une multitude de sous-
concepts tels que ceux d’« économie verte », de « croissance verte », de « Green
154
New deal », de « transition économique », de « transition carbone » ... Cette
globalisation vient inverser le rapport environnement/droit : là où les autres
concepts constituent des branches du droit pénal (droit pénal de l’environnement
par exemple), le droit pénal devient ici une branche et un outil du développement
durable. Toutefois force est de constater que si la notion est présente de manière
conséquente dans les différentes législations, elle gagnerait à être utilisée de
manière plus directe par le juge pénal. En effet, bien que celui-ci applique les
principes du développement durable 155, il ne nomme jamais directement cette
notion, son application devenant indirecte. Cela rend le développement durable
encore trop global, et cette notion gagnerait en importance si elle était appliquée
directement. Dans le cas de la France, une première étape dans cette démarche
serait d’inscrire cette notion dans le Code pénal.
70
Partie II/ Le critère d’intervention pénaliste : les atteintes
réprimées
71
Chapitre 1 : les critères déterminants l’intervention du droit pénal
I/ Le dommage
Pour que les juges canadiens et français soient saisis d’une infraction en droit
pénal de l’environnement il faut que le comportement poursuivi provoque un
dommage suffisamment grave (A), ce qui n’empêche pas que ce dommage puisse
être potentiel (B).
A/ UN DOMMAGE GRAVE
157 Ontario c Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 RCS 1028 (C), para 65.
72
des résultats injustes ou inéquitables. Les lois environnementales étant
généralement volontairement larges, il convient de les interpréter restrictivement
afin de ne pas appliquer les règles pénales à des situations absurdes et donc
minimes. À ce sujet, le juge Gonthier écrit au nom de la majorité :
Dès lors, on retient de cet arrêt que le préjudice environnemental doit être
plus que minime ou dérisoire pour pouvoir conclure à une altération de la qualité
de l’environnement, et donc à un acte de pollution. Cette affirmation montre bien
que dans la décision précédemment évoquée, le juge canadien retient une
interprétation restrictive des prohibitions de polluer lorsque celles-ci sont formulées
en termes généraux. Mais la question ne se pose pas « lorsque l’infraction
reprochée fait référence à des normes réglementaires formulées en termes précis,
prévoyant des seuils d’émission et identifiant des substances particulières » 159 Ces
dispositions réglementaires étant précises, elles ne sont pas propices par essence
à ce qu’elles soient interprétées. Le juge n’a donc pas à se substituer à l’autorité
compétente. Glanville Williams écrivait d’ailleurs sur le sujet :
The maxim de minimis non curat lex comes into its own when the legislature
has not attempted mathematical precision but has used ordinary language,
the application of which involves questions of the little less and the little
more.160
Ce constat apporte une conséquence importante, relative au fait que dans le cas
de normes réglementaires l’appréciation de la gravité de l’atteinte causée ne se fait
158 Ibid.
159 Paule HALLEY, « La règle de minimis non curat lex en droit de l’environnement », (2004) 214 Service de
la formation continue du Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement,
p. 251-290, citation p. 254
160 Glanville Llewelyn WILLIAMS et Dennis J. BAKER, Textbook of criminal law, Londres, Stevens, 1983.
73
pas par le juge mais par l’administration. Dès lors le critère de gravité du dommage
devient moins important.
Pour qu’une loi puisse être considérée comme relevant du droit criminel,
elle doit comporter les trois éléments suivants : un objet valide de droit
criminel assorti d’une interdiction et d’une sanction (Renvoi relatif à la Loi
sur les armes à feu (Can.), [2000] 1 RCS 783, 2000 CSC 31, par. 27). Le
droit criminel englobe les lois favorisant la paix, la sécurité, l’ordre ou la
santé publics et tout autre objectif public légitime. Dans
l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995]
3 RCS 199, notre Cour a jugé que l’interdiction devait reposer sur un objectif
public légitime. Dans Brasseries Labatt, précité, estimant qu’un risque pour
la santé pouvait justifier une interdiction de nature pénale, le juge Estey a
énoncé assez largement les objectifs que peut viser le droit criminel,
notamment « l’ordre, la sécurité, la santé et les bonnes mœurs publics »
(p. 933). 162
74
En matière pénale environnementale, depuis l’arrêt R c. Sault Ste-Marie de 1978163
la Cour Suprême a eu tendance à considérer que les infractions anti-pollutions ne
sont pas de nature criminelle mais sont de nature réglementaire. Toutefois, dans
l’arrêt R c. Hydro-Québec la Cour suprême soutient que la protection de
l’environnement est un objectif légitime du droit criminel canadien. Dès lors, le
Parlement fédéral peut légiférer en matière de substance toxiques en vertu de sa
compétence en droit criminel :
163 R c Sault Ste Marie, [1978] 2 RCS 1299, en ligne : RCS <http://canlii.ca/t/1mkbv> (consulté le 24 juillet
2019).
164 R c Hydro-Québec, [1997] 3 RCS 213, en ligne : RCS <http://canlii.ca/t/1fqzq>, para 130, juge La Forest.
165 R c Hydro-Québec, [1997] 3 RCS 213, en ligne : RCS <http://canlii.ca/t/1fqzq> paragraphe 42. Les juges
Iaccobucci et Lamer étaient d’accords sur ce point, comme ils l’expliquent au paragraphe 43 : « Par
conséquent, dans la mesure où le juge La Forest dit que la présente loi peut être justifiée en tant que loi
concernant la santé, nous devons exprimer, en toute déférence, notre désaccord. Nous sommes cependant
d’accord avec lui pour dire que la protection de l’environnement est en soi un objectif public légitime en
matière criminelle, analogue à ceux mentionnés dans le Renvoi sur la margarine, précité. Sans vouloir ajouter
quoi que ce soit à son raisonnement limpide sur ce point, nous tenons à préciser que cet objectif ne se fonde
sur aucun des autres objectifs traditionnels du droit criminel (santé, sécurité, ordre public, etc.). Dans la
mesure où il souhaite dissuader expressément de polluer l’environnement, par l’imposition de peines
appropriées, le Parlement est libre de le faire sans avoir à démontrer que ces peines visent, en fin de compte, à
atteindre l’un des objectifs « traditionnels » du droit criminel. La protection de l’environnement représente en
soi une justification légitime d’une loi criminelle. »
166 Syncrude Canada Ltd c Canada (Procureur général), 2016 CAF 160, en ligne :
<http://canlii.ca/t/j113w>.
167 Ibid, paragraphe 46.
75
paragraphe 5(2) de la LCPE.168 Or cette exigence vise la réduction des substances
toxiques dans l’atmosphère169, ce qui constitue un objectif de protection de
l’environnement et donc un objectif légitime de droit criminel au sens de l’arrêt
Hydro-Québec précédemment évoqué.170
Dès lors, afin d’éclaircir les développements précédents, il s’agit de retenir qu’en
droit canadien, un comportement doit provoquer un dommage non minime et
suffisamment grave pour que le droit pénal puisse le sanctionner. Or cela englobe
le droit pénal dans son ensemble, mais n’est pas un critère permettant de
déterminer l’intervention du droit criminel, celui-ci intervenant notamment lorsqu’un
objectif public légitime doit être défendu.
76
dommage environnemental. Cela s’explique principalement par le fait que le droit
pénal de l’environnement français est un droit pénal réglementaire 172, dès lors il
vient sanctionner le non-respect de prescriptions administratives. Or dans ce cas
précis, c’est l’administration qui vient évaluer la gravité du comportement, et le
seuil au-delà duquel l’acte de pollution est constitué. Le législateur pénal n’a donc
aucun rôle dans la fixation de ce critère. Ainsi le juge pénal prend en compte le
dommage principalement au stade de détermination de la peine, et assez peu au
stade de la détermination de culpabilité. Il est ainsi fréquent que la loi française
prévoie des circonstances aggravantes en matière de dommage d’une particulière
gravité, comme par exemple en ce qui concerne l’infraction de rejet de substances
polluantes en mer.173 De même la gravité du dommage infligé à l’environnement
sera prise en compte par le juge lorsque celui-ci voudra prononcer à titre de peine
complémentaire la réparation dudit dommage et la remise en état du site. 174
77
B/ UN DOMMAGE POTENTIEL
Ce qui doit être prouvé hors de tout doute raisonnable est plutôt l’exercice
par l’appelante, jour après jour et sans certificat d’autorisation, d’une activité
qui était, avant qu’elle soit entreprise, susceptible d’entraîner l’émission d’un
contaminant dans l’environnement. La possibilité objective qu’un projet
puisse provoquer une émission de contaminants ou une modification de la
qualité de l’environnement, sans égard à ce qui a pu être observé une fois
les activités entreprises sans autorisation, me paraît être le critère
applicable pour déterminer son assujettissement à l’article 22 LQE.177
177Auto-Core Désulmé et Gervais Ltés c. Québec (Procureur général), 2004 CanLII 48451 (QC CA), en
ligne : <http://canlii.ca/t/1jhmh> , paragraphe 27.
78
Or, cette potentialité n’est pas exigée seulement en matière de non-respect
de prescriptions administratives, mais également en matière d’infractions de
pollutions. Car bien souvent, les infractions de pollution sanctionnent l’introduction
dans l’environnement d’un polluant, sans qu’un résultat soit exigé. L’acte de
pollution est donc constitué par l’introduction du polluant, mais cela peu importe
ses effets. Pour rester dans l’exemple de la LQE, il suffit de prendre l’article 20 de
cette loi pour illustrer parfaitement cette situation. Cet article affirme une prohibition
générale de polluer en ces termes :
La deuxième partie de cette loi est intéressante car on parle bien de contaminant
dont la présence est « susceptible » de porter atteinte à la vie, à la santé, à la
sécurité… Cette incrimination ne décrit donc pas une infraction de résultat, car nul
résultat n’est exigé dans la loi, seulement un dommage potentiel mais présentant
un caractère non minime179.
79
pas toujours d’évaluer avec certitude le degré de pollution d’un site. De plus les
dommages peuvent apparaître plusieurs années après l’acte de pollution, et leurs
réelles conséquences s’exprimer sur plusieurs générations. Dès lors il paraît
logique de ne pas exiger de résultat avéré car dans ce cas présent le régime de
protection serait grandement amoindri. De même, pour que l’infraction soit
constituée on n’exige pas que l’environnement soit rendu nocif, on exige qu’une
substance nocive y soit introduite. Sur cette dernière question de nombreux
tribunaux québécois ont eu l’occasion de s’exprimer et d’affirmer cette assertion 180.
80
prescriptions administratives. Dès lors le même raisonnement que pour le droit
canadien est applicable. En effet, comme le rappelle Véronique Jaworski :
Mais ce droit pénal de réglementation peut poser des problèmes car la preuve qu’il
convient d’établir est celle du non-respect d’une prescription administrative, et ce
même si la pollution est avérée. Le juge pénal devient donc assujetti à
l’administration, ce qui pour Véronique Jaworski constitue un écueil certain lorsque
l’administration évalue mal le seuil de pollution. Car dans cas le juge pénal ne peut
intervenir et la pollution devient légale :
81
autonomes ne s’appuyant pas sur le non-respect de réglementations
administratives. La différence avec des prohibitions générales de polluer étant
qu’elles ne sont relatives qu’à des matières très précises du droit pénal
environnemental. On prendra pour exemple l’infraction autonome la plus célèbre et
utilisée du Code de l’environnement : l’article L432-2, soit le délit de pollution des
eaux douces de surface. Ce délit est décrit de la sorte :
Or ce que l’on constate immédiatement c’est qu’il s’agit non seulement d’une
infraction très précise et localisée, mais également qu’il s’agit textuellement d’une
infraction de résultat. En effet, pour que le délit soit constitué techniquement, on
demande à ce que les substances introduites aient détruit le poisson ou nui à sa
nutrition. Il ne s’agit pas d’un dommage potentiel mais bien d’un dommage avéré.
Or cela véhicule tous les problèmes énumérés précédemment, notamment
concernant la preuve de l’effectivité de la pollution. Bien que la prescription ait été
modifiée afin de courir à partir de la découverte du dommage et non de la
réalisation du dommage comme il s’agit traditionnellement en droit français 185, le
fait d’en avoir fait une infraction de résultat en amoindrit l’efficacité.
82
dommage était potentiel et non nécessairement constitué 186. Cela a par ailleurs été
salué par la doctrine, celle-ci estimant que cela privilégie la protection de
l’environnement187.
186 Principe affirmé dans l’arrêt : Cass, Crim du 16 octobre 1963, 62-92310, Publié au bulletin ; et confirmé
dans l’arrêt : Cass, Crim du 18 juillet 1995, 94-85249, Inédit.
187 Voir la question : Jean LAMARQUE et al, Droit de la protection de la nature et de l’environnement, 20,
LGDJ, Paris, 1973, page 784 ; Michel DESPAX, Droit de l’environnement, Librairies techniques, 1980,
numéro 309, Paris, page 379 ; Roger MERLE et André VITU, Traité de droit criminel: Droit pénal spécial,
Ed Cujas, 1982, numéro 1357, page 1071.
188 Paule HALLEY «Recours de nature pénale», dans JurisClasseur Québec, coll. «Droit public», Droit de
l’environnement, fasc. 15, Montréal, LexisNexis Canada, 2012, para 17.
189 Paule HALLEY et Ariane GAGNON-ROCQUE, « La sanction en droit pénal canadien de l’environnement :
la loi et son application » (2009) 50:(3-4) Les Cahiers de droit 919-966, paragraphe 65.
83
prépondérante, qu’il a fait preuve de diligence dans les circonstances pour
prévenir l’infraction190.
Dès lors deux éléments sont à noter : une présomption de faute de négligence
s’applique en matière d’infraction environnementale réglementaire, si les éléments
matériels sont démontrés hors de tout doute raisonnable.
Dès lors pour revenir aux infractions pénales réglementaires, non seulement
l’infraction est constituée par un acte de négligence simple, mais celui-ci est
présumé à partir du moment où les éléments matériels sont prouvés. Cela fait du
sens car il est plus facile de prouver les éléments matériels qu’une intention, et
cela rend par là même la protection de l’environnement plus efficace. Toutefois, la
gravité de la faute n’est pas totalement ignorée, et intervient au stade de
détermination de la peine. Car en ce qui concerne le prononcé de la sanction le
84
juge pénal admet qu’une variété de fautes puisse exister, cette variété allant de la
diligence raisonnable venant acquitter l’individu, à la faute intentionnelle pouvant
aggraver la peine. A ce sujet, la Cour d’appel de l’Alberta pu affirmer que :
Dès lors le fait d’avoir connaissance de faits susceptibles de donner lieu à une
infraction peut constituer une circonstance aggravante 193, de même que d’ignorer
les avertissements des autorités, ou de pas prendre de mesures afin d’éviter
l’infraction194. Ainsi la faute n’est pas déterminante pour la constitution de
l’infraction mais elle l’est pour la détermination de la peine.
192 R v Terroco Industries Limited, ABCA 141, en ligne : <http://canlii.ca/t/1k3n3>, para 35, cité dans Paule
HALLEY et Ariane GAGNON-ROCQUE, voir supra note 189.
193 Ibid, para 35.
194 Ibid, para 36.
195 Supra note 188, para 19.
196 On recommande sur le sujet la lecture de : Ibid, para 19.
85
nouveau Code pénal de 1994. Effectivement, avant l’entrée en vigueur du Code
pénal de 1994, il n’existait pas de théorie des infractions de manière générale, et
encore moins concernant les infractions environnementales.197 Dès lors il fallait
examiner précisément chaque incrimination pour savoir si le législateur employait
des expressions comme « volontairement », « sciemment »,
« intentionnellement »… afin de savoir le degré de faute morale exigé. Il suffit pour
s’en convaincre de prendre pour exemple la loi du 15 juillet 1975 relative à
l’élimination des déchets198 et son article 24 qui exigeait une faute intentionnelle.
D’autres textes quant à eux exigeaient seulement une faute d’imprudence, et
devant le flou législatif la Cour de cassation a créé des catégories de délits
purement matériels, autrement dit caractérisés seulement par leur élément
matériel199. On peut ici prendre pour exemple l’infraction de pollution des eaux
fluviales, pour laquelle elle a estimé que « le fait d'avoir laissé s'écouler dans une
rivière des substances toxiques implique une faute qui n'a pas à être spécialement
rapportée par le ministère public et dont le prévenu ne peut être exonéré que par la
force majeure »200. Dès lors, par la suite de nombreuses infractions
environnementales furent crées et considérées comme des infractions purement
matérielles, ce qui permettait d’accroître l’efficacité de la répression. Car en
procédant de la sorte la constatation de l’élément matériel suffisait à caractériser
l’infraction.
197 Annie BEZIZ-AYACHE, « Environnement » [2018] Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, chap
1, section 3, para 39.
198 Loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux.
199 A. BEZIZ-AYACHE, supra note 197.
200 Cass, Crim du 28 avril 1977, 75-93284, Publié au bulletin, en ligne :
<https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007062544>.
201 A. BEZIZ-AYACHE, supra note 197, para 41.
86
Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.
Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger
délibérée de la personne d'autrui.
Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence,
de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de
sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits
n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la
nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que
du pouvoir et des moyens dont il disposait.
Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui
n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à
créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas
pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il
est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une
obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le
règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un
risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer.
Il n'y a point de contravention en cas de force majeure 202.
Dès lors cet article emporte plusieurs conséquences sur l’exigence d’élément
moral. Dans un premier temps le premier alinéa de l’article, en venant exiger
spécifiquement une intention, met un terme à la pratique des délits purement
matériels. Mais pour autant ces délits ne disparurent pas complètement, car
l'article 339 de la loi d’adaptation du 16 décembre 1992203, affirme néanmoins que
« tous les délits non intentionnels réprimés par des textes antérieurs à l'entrée en
vigueur de la nouvelle loi demeurent constitués en cas d'imprudence, de
négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d'autrui, même lorsque
la loi ne le prévoit pas expressément ». Ainsi les délits matériels purent être
sauvegardés même s’il faut prouver l’imprudence, la négligence ou la mise en
danger délibérée. Bien que cela affaiblisse l’efficacité de la répression, cela amène
87
une certaine homogénéité au sein des infractions pénales et de leurs éléments
constitutifs.
L’alinéa 3 quant à lui vient déresponsabiliser l’auteur des faits qui aurait accompli
des diligences raisonnables. Cela montre que la faute pénale est appréciée in
concreto, autrement dit « par référence au comportement d'un individu placé dans
la même situation que l'auteur de l'infraction et compte tenu de la nature de ses
missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des
moyens dont il disposait »204. Mais cela ne s’applique évidemment pas à un acte
de pollution délibéré, seulement aux infractions de négligence et d’imprudence 205.
Enfin, l’alinéa 4 peut paraître complexe pour un lecteur non français. En effet celui-
ci vise les cas de causalité indirecte entre la faute et le dommage. Autrement dit :
Les hypothèses de causalité indirecte visent, d'une part, les personnes qui
sans avoir directement causé le dommage ont créé ou contribué à créer la
situation qui a permis sa réalisation et, d'autre part, celles qui n'ont pas pris
les mesures pour éviter le dommage. Lorsque le lien est indirect entre le
dommage et la faute, celle-ci peut, selon le législateur, avoir l'une des deux
formes suivantes : violation manifestement délibérée d'une obligation
textuelle de prudence ou de sécurité ou bien faute caractérisée exposant
autrui à un risque très grave qui ne pouvait être ignoré206.
88
Ces cas de répression en situation de causalité indirecte viennent accroître les
possibilités de répression, et ce même des auteurs indirects. Toutefois, en raison
de la gravité des peines qu’ils encourent, il faut pour cela rechercher un élément
moral plus sérieux que lors d’une causalité directe. Il est par ailleurs intéressant de
noter que ces règles en matière de causalité indirectes ne s’appliquent pas pour
les personnes morales, la faute étant la même que dans les cas de causalité
directe, à savoir la simple imprudence ou la négligence 208.
89
Chapitre 2 : Proposition d’évolution des modèles français et canadien
Il va s’agir ici, non pas de mettre en exergue toutes les insuffisances du modèle
canadien en matière de droit pénal de l’environnement, mais seulement celle ayant
fait l’objet de développement dans ce mémoire, à savoir le partage de
compétence. En effet, comme vu précédemment le droit pénal canadien opère une
distinction entre le droit pénal réglementaire et le droit criminel. Or si la protection
de l’environnement était traditionnellement du ressort du droit pénal
réglementaire209 et ainsi du ressort des pouvoirs des provinces et du fédéral, l’arrêt
Hydro-Québec210 est venu affirmer que concernant les substances toxiques, le droit
criminel peut également intervenir. Or ce partage de compétence est critiqué et
critiquable car il entretient un flou concernant la protection de l’environnement.
Comme l’indique Louis-Raphaël N. Lescop « la réalité écologique commande une
conception unitaire de l’environnement »211. Or cette conception unitaire est
malmenée dans un état fédéral qui par essence est fragmentaire, et partage ses
compétences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.
209 On renverra à l’arrêt R c Sault Ste Marie, [1978] 2 RCS 1299, en ligne : RCS <http://canlii.ca/t/1mkbv>.
210 R. c. Hydro-Québec, supra note 157.
211 Louis-Raphaël N.LESCOP, « R. c. Hydro-Québec : La dénaturation du droit criminel au profit de
l’environnement » ,(1999) 33 R.J.T. 421.
90
Ainsi c’est dans l’objectif d’unifier une partie de ce régime de protection que les
juges de la Cour suprême ont étendu la compétence fédérale en matière de
protection de l’environnement contre les substances toxiques dans l’arrêt Hydro-
Québec précédemment nommé. Si l’intention est louable, à savoir unifier la
protection de l’environnement, elle n’est pas nécessairement cohérente avec le
système fédéral canadien. Car « interpréter le droit criminel dans la seule optique
de servir aux fins de l'environnement entraîne forcément des conséquences
fâcheuses au plan du partage des compétences »212. Sans rentrer en profondeur
dans le sujet213, on peut toutefois relever certaines incohérences de ce modèle car
celui-ci met à mal la cohérence de la séparation entre droit criminel et droit pénal
réglementaire. Théoriquement les règlements n’entrent pas dans le champ
d’appréhension du droit criminel, or il s’agissait précisément d’un tel règlement
dans l’arrêt Hydro-Québec. On peut donc s’étonner qu’un tel règlement, qu’on
penserait par essence du ressort du droit pénal réglementaire, soit du ressort du
droit criminel. Cela va contre la logique intrinsèque de ce partage de compétence,
et rend l’extension de la compétence criminelle légèrement bancale car peu
fondée. Afin de rendre le tout cohérent les juges de la Cour suprême usent de
certains artifices, et notamment se fondent sur la finalité, à savoir la protection de
l’environnement, plutôt que sur la forme, à savoir un règlement, afin de justifier la
validité de celui-ci. On peut donc affirmer que selon le professeur Jean Leclair en
quelque sorte « la fin justifie les moyens » car selon lui :
91
Et ce, même si elle prend la forme d’un règlement comme dans le cas de la LCPE.
C’est ainsi que selon certains auteurs de doctrine on crée une forme de « droit
criminel réglementaire »215 car :
La France étant un état unitaire, son système juridique ne connaît pas ces
problèmes. Toutefois celui-ci n’est pas exempte de tout défaut, et la principale
influence que pourrait avoir le droit pénal de l’environnement canadien sur son
homologue français serait de créer des prohibitions générales de polluer. En effet
le droit pénal de l’environnement français n’en possède pas, ce qui est contraire au
fait que le droit pénal est un droit expressif. En ne créant pas de prohibition
générale de polluer on amoindrit l’expressivité du droit pénal, aussi bien au plan
symbolique que pratique, car le droit pénal réglementaire n’exprime pas aussi
clairement les valeurs que la Société entend protéger. L’argument principal
s’opposant à la création de telles infractions est que celles-ci seraient contraires au
92
principe de légalité français. Si les prohibitions générales de polluer sont valables
en droit canadien c’est que théoriquement celui-ci est plus permissif pour ce qui
concerne les infractions générales. Or l’interprétation restrictive de ce principe en
droit français s’oppose théoriquement à de telles incriminations. Toutefois, on l’a vu
durant ce mémoire, les deux états possèdent un principe d’interprétation
restrictive, et au Canada celui-ci vient limiter le champ de ces prohibitions
générales, sans pour autant leur faire perdre toute efficacité. Cela ne paraîtrait
donc pas incompatible avec le droit pénal français, tant que l’on crée des
infractions générales par éléments de l’environnement (par exemple, prohibition
générale de pollution de l’eau, puis du sol, puis de l’air…) en faisant varier à
chaque fois les éléments matériels afin de coller le plus efficacement possible aux
spécificités des milieux protégés. Et en réalité cette proposition n’est pas abstraite
dans la mesure où de nombreuses voix s’élèvent afin de créer une prohibition
générale de polluer, à savoir l’écocide (II). Mais afin de comprendre les
propositions de loi concernant cette infraction, il faut se pencher au préalable sur
l’unique crime autonome du droit de l’environnement, à savoir le terrorisme
écologique (I) afin de réaliser que de telles prohibitions générales de polluer ne
sont pas impossibles.
93
Cette notion de terrorisme écologique est intéressante car elle est doublement
autonome : non seulement il s’agit de la seule infraction de terrorisme à être
autonome, et donc à ne pas reposer sur des infractions de droit commun qui
seraient aggravées par la circonstance de terrorisme, mais il s’agit également de la
seule infraction générale en matière de droit pénal de l’environnement. En effet, les
auteurs n’ayant pas eu d’infraction générale de pollution sur laquelle ils auraient pu
s’appuyer, ceux-ci ont choisi de créer un dispositif autonome et original 218. Comme
l’indique Yves Mayaud :
218 Yves Mayaud, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, 2009, Article 1er, paragraphe 78.
219 Ibid, paragraphe 80.
220 Article 421-2, Code pénal, supra, note 217.
221 Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité - Article
8.
94
l’incrimination car on peut supposer légitimement que tout acte qui viendrait
déséquilibrer l’environnement en en prélevant certaines composantes ne rentrerait
pas dans le champ de l’incrimination. Dès lors « aussi large que soit la portée de
l'article 421-2, elle ne va donc pas jusqu'à autoriser des applications sans
contrôle»222. Pour autant, si ce terme « d’introduction » a l’avantage de restreindre
un peu le champ de cette incrimination, il n’est pas exempt de tout défaut. Celui-ci
engendre un flou quant aux actes qui entrent dans son giron : quid de l’acte de
brûler des pneus ? Y a-t-il introduction de polluants dans l’atmosphère ?…
B/ LE CRIME D’ÉCOCIDE :
95
l'ensemble de l'avantage militaire concret et direct attendu » 223. Cela faisait en
outre suite à la guerre du Vietnam et à l’agent orange utilisé par l’armée
américaine, et qui avait détruit près de 20 % de la forêt vietnamienne 224.
223 Statut de Rome de la Cour pénale internationale, UN Doc. A/CONF, 183, 1998, 17, article 8, b, IV.
224 Sandrine MALJEAN-DUBOIS, « L’écocide et le droit international, de la guerre du Vietnam à la mise en
péril des frontières planétaires. Réflexions à partir de la contribution de Richard Falk:«Environmental
Warfare and Ecocide. Facts, Appraisal and Proposals»(RBDI, 1973-1). », (2016) 48 Revue belge de droit
international 2015–2016.
225 « Reconnaissance du crime d’écocide - Sénat », en ligne : <http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl18-
384.html>.
226 Pierre JANUEL, « Pas de reconnaissance du crime d’écocide », Dalloz Actualité (6 mai 2019), en ligne :
<https://www.dalloz-actualite.fr/flash/pas-de-reconnaissance-du-crime-d-ecocide#.XRp6x-hKhPY>.
96
aux crimes existants ou en faisant avancer la notion d’écocide au niveau mondial
»227.
227 Ibid
228 « Reconnaissance de l’écocide : où en est-on? », en ligne :
<https://www.linfodurable.fr/environnement/reconnaissance-de-lecocide-ou-en-est-11942>.
229 Article 1246, Code civil.
230 Article 1252, Code civil.
231 Sur la question, voir notamment: Ghislain Poissonnier, « Tribunal Monsanto : vers une définition de
l’écocide ? » (2016), en ligne : Dalloz Actualité <https://www-dalloz-fr-s.biblio-dist.ut-
capitole.fr/documentation/Document?
id=RECUEIL/CHRON/2016/1415&ctxt=0_YSR0MT3DqWNvY2lkZcKneCRzZj1zaW1wbGUtc2Vhcm
No&ctxtl=0_cyRwYWdlTnVtPTHCp3MkdHJpZGF0ZT1GYWxzZcKncyRzb3J0PcKncyRzbE5iUGFnP
TIwwqdzJGlzYWJvPVRydWXCp3MkcGFnaW5nPVRydWXCp3Mkb25nbGV0PcKncyRmcmVlc2Nvc
GU9RmFsc2XCp3Mkd29JUz1GYWxzZcKncyRicT0=&nrf=0_TglzdGU=>.
97
de produits toxiques dans la nature. Il n’est pas question ici de nier la
gravité de tels comportements, mais de dire qu’il convient de les traiter en
recourant aux instruments traditionnels du droit pénal 232.
En opposition à ces crimes communs, ces auteurs proposent la création de la
catégorie de crimes hors du commun, catégorie comportant ainsi le crime
d’écocide. Ces crimes sont particuliers du fait de « la gravité de la faute constatée,
en l’occurrence une faute intentionnelle orientée vers la recherche d’effets
dommageables graves, ainsi que par la gravité des atteintes à
l’environnement »233. Ces crimes mériteraient donc un traitement et une
pénalisation particulière du fait de ces deux éléments de gravité. Or cela n’est pas
anodin car si la gravité des dommages est souvent prise en compte par le droit
pénal de l’environnement, la gravité de la faute ne l’est pas. Et en cela le concept
est intéressant car il rejoint celui de terrorisme écologique de l’article 421-2 du
Code pénal français234.
232 Laurent NEYRET, « Pour la reconnaissance du crime d’écocide », (2014) 39-HS01 Revue juridique de
l’environnement p177–193.
233 Ibid
234 Article 421-2, Code pénal.
98
Conclusion générale :
235 « Environnement : le “jour du dépassement” arrive de plus en plus tôt », Franceinfo (29 juillet 2019), en
ligne : <https://www.francetvinfo.fr/meteo/climat/environnement-le-jour-du-depassement-arrive-de-plus-
en-plus-tot_3556601.html> (consulté le 29 juillet 2019).
236 « Canicule : le nord de l’Europe en surchauffe », Sciences et Avenir, en ligne :
<https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/meteo/la-canicule-se-deplace-les-pays-nordiques-
en-surchauffe_135939> (consulté le 29 juillet 2019).
237 Guillaume BEAUSSONIE, « Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la
nature et des paysages », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé 2016.4.813 à 829.
99
Dès lors la définition de l’environnement telle qu’appréhendée par le droit pénal
n’étant ni incomplète ni insuffisante, le réel problème se révèle du côté des
atteintes réprimées par le droit pénal de l’environnement. En réalité, le droit pénal
de l’environnement étant majoritairement un droit pénal réglementaire, on assiste à
l’émergence malheureuse de véritables marchés de « permis de polluer » 238, le
droit pénal perdant dans ce cas son rôle de dissuasion. Les solutions afin d’éviter
ce phénomène ne sont pas évidentes, la principale étant de créer de véritables
infractions autonomes anti-pollution qui ne serait pas assujetties de fait à
l’influence de l’administration. Si cela existe depuis de nombreuses années au
Canada, les problèmes de partage de compétence faisant suite à l’arrêt Hydro-
Québec jettent un flou quant à leur efficacité à l’avenir. De son côté la France
essaie de se doter grâce à l’incrimination d’écocide de ce type de prohibitions
générales de polluer, ce qui pourrait donner une certaine colonne vertébrale
législative au droit pénal de l’environnement français.
100
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