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VIVRE L’UNITÉ DE L’ÉGLISE

TABLE DES MATIÈRES

Préface

Introduction

CHAPITRE 1
L’UNITÉ CHRÉTIENNE SELON JÉSUS
«Que TOUS soient un»
D’après le contexte de Jean 17
D’après tout l’enseignement de Jésus
«Que tous SOIENT un»
L’unité et la sanctification
L’unité et le monde
L’unité et la vérité
Le but de l’unité
«Que tous soient UN»
Une nation
Une plante
Un corps
«Un comme nous et en nous»
Conclusion

CHAPITRE 2
L’UNITÉ CHRÉTIENNE SELON LES APÔTRES
«Que TOUS soient un»
La séparation précède l’unité
Unité entre croyants
Discipline et unité
«Que tous SOIENT un»
L’unité de l’Église primitive est due à l’exaucement de la prière de Jésus
Comment cette unité s’est-elle manifestée et maintenue?
Le secret de l’unité dans l’église locale
Le secret de l’unité dans l’Église universelle
«Que tous soient UN»
L’unité de l’Église est fondée sur la mort du Christ
Un seul corps
Un seul corps dont l’unité n’a pas à être créée
Un seul corps dont l’unité doit être vécue
Par conséquent…
Résumé: «Que tous soient un»

CHAPITRE 3
L’UNITÉ DE L’ÉGLISE LOCALE AUJOURD’HUI
Comment travailler à l’unité de mon église locale?
Commencer par la base
Les vraies causes de division
Le chemin pratique de l’unité
Le secret de l’unité dans l’église locale
Persévérer «dans l’enseignement des apôtres»
Persévérer «dans la communion fraternelle»
Persévérer «dans la fraction du pain»
Persévérer «dans la prière»
Conclusion

CHAPITRE 4
L’UNITÉ DE L’ÉGLISE AU COURS DES SIÈCLES
Divisions
Dans l’Église primitive
Aux premiers siècles
Au Moyen-Âge
Depuis la Réforme
Essais de réunification
Avant le mouvement œcuménique et en dehors du Conseil œcuménique
Le mouvement œcuménique
Le point de bifurcation
Deux dangers

CHAPITRE 5
L’UNITÉ DE L’ÉGLISE UNIVERSELL E DANS LA PERSPECTIVE
ŒCUMÉNIQUE
«Que TOUS soient un»
Dans le COE, on cherche l’unité avec tous
Conclusion
«Que tous SOIENT un»
Par quels moyens l’unité est-elle réalisée?
Des moyens humains
«Que tous soient UN»
Comment envisage-t-on l’unité aujourd’hui?
Crise de l’œcuménisme

CHAPITRE 6
VERS UNE UNITÉ DE TOUTES LES RELIGIONS
Le dialogue avec les autres religions
Syncrétisme
Une nouvelle spiritualité
Une religion mondiale unique
Une humanité unifiée
Un seul chemin ou «à chacun sa vérité»?

CHAPITRE 7
COMMENT PROMOUVOIR AUJOURD’HUI L’UNITÉ DANS
L’ÉGLISE UNIVERSELLE?
L’unité donnée par Dieu
Sous quelles formes et à quelles conditions cette unité de l’Église
universelle peut-elle se manifester aujourd’hui?
Persévérer «dans l’enseignement des apôtres»
Persévérer «dans la communion fraternelle»
Persévérer «dans la fraction du pain»
Persévérer «dans les prières»

CONCLUSION
TÉMOIGNAGE

Bibliographie
PRÉFACE

Vivre l’unité est une tâche à la fois urgente et exigeante. Jésus n’a-t-il
pas prié le Père, dès avant la création de son Église, afin «que tous soient
un»? Or, force est de constater, quelque 2000 ans plus tard, que le peuple du
Seigneur n’a guère brillé en la matière. Pour ne parler que des Églises
évangéliques, il existe 50 dénominations différentes en France et 33000 dans
le monde! On peut certes expliquer de façon convaincante bien des
séparations et montrer également que diversité dénominationnelle n’est pas
toujours synonyme de difficultés relationnelles. Il n’en reste pas moins que le
défi de l’unité chrétienne est immense et qu’il conditionne pour partie la
crédibilité du témoignage que nous rendons au Seigneur et à sa Parole.
Soyons reconnaissants envers l’infatigable Alfred Kuen d’avoir écrit un
ouvrage bien argumenté sur le sujet. Paru il y a plus de cinquante ans sous le
titre Que tous soient un, son livre Vivre l’unité de l’Église est une édition
remaniée et augmentée qui tient compte des évolutions de la question dans
divers cercles. À l’heure où le Conseil National des Évangéliques de France
fait ses premiers pas, cette réédition est particulièrement opportune.
Avec la capacité de synthèse qui le caractérise, l’auteur explore sous
toutes les coutures – biblique, historique, ecclésiastique, etc. – la façon dont
les trois parties de la subordonnée «que tous soient un» sont soit à
comprendre, soit reçues, soit encore vécues. Il y ajoute le chapitre pratique
«Comment promouvoir aujourd’hui l’unité dans l’Église universelle?»
Comme il le dit lui-même, «la lecture de ce travail ne sera vraiment
profitable qu’à ceux qui auront le courage, Bible en main, de rechercher les
passages indiqués en référence». C’est dire si l’analyse biblique est
approfondie et mérite l’étude. À cela s’ajoutent une analyse historique et une
évaluation de la situation contemporaine sans concession. On pourra être ici
ou là d’un avis plus nuancé, mais le propos mérite l’attention.
Surtout, à l’image plus personnelle de la conclusion, Alfred Kuen est un
homme dont on peut difficilement mettre en cause le souci réel pour l’unité
de l’Église. J’ai eu le plaisir de l’avoir comme professeur à l’Institut Biblique
d’Emmaüs et je garde le souvenir d’une personne souriante et irénique,
animée d’un souci pastoral pour les étudiants et faisant œuvre de paix en
toutes circonstances.
Comme il le dit lui-même: «évitons de mettre en avant des noms qui
nous séparent et mettent en relief nos différences: tous les “-istes” et les “-
iens” qui rappellent nos cloisonnements; la Bible n’emploie pour désigner les
croyants que des mots qui unissent, parce qu’ils sont applicables à tous:
chrétiens, saints, frères, disciples, enfants de Dieu… Imitons-la.»

Étienne Lhermenault,
Président du CNEF
INTRODUCTION
Dans la prière que Jésus a présentée à son Père à la fin de son ministère
terrestre, l’unité de ceux qui croiront en lui occupe la place la plus
importante. Dans les lettres que les apôtres ont adressées aux églises, elle se
situe également à la première place des exhortations et c’est celle sur laquelle
ils s’arrêtent le plus longuement. Au cours de l’histoire de l’Église, le
problème de l’unité des chrétiens était la préoccupation majeure du peuple de
Dieu. De nombreuses divisions ont ravagé l’Église et accaparé les forces
vives des chrétiens. Elles ont fini par ruiner leur témoignage devant le
monde.
Encore aujourd’hui, «le scandale de nos divisions» tenaille la chrétienté.
Les efforts de réunification des diverses dénominations avancent très
lentement, l’œcuménisme n’a pas tenu ses promesses et se trouve, selon
beaucoup, dans une impasse. Les efforts de rapprochement des Églises
protestantes et orthodoxes avec l’Église catholique romaine semblent être au
point mort. Heureusement qu’entre diverses dénominations évangéliques, de
réjouissantes réconciliations ont lieu 1.
Il serait grand temps de méditer ce qui constituait l’un des derniers vœux
de Jésus-Christ, vœu qu’il a exprimé dans la prière et qu’il a présenté à son
Père peu avant de mourir:
«Que tous soient un» ( Jean 17: 21).
… Et d’étudier:
1. Comment le Seigneur voyait l’unité des chrétiens;
2. Comment les apôtres l’ont comprise;
3. Comment nous pouvons la promouvoir dans les églises locales;
4. Comment le problème de l’unité dans l’Église universelle s’est posé au
cours des siècles;
5. Comment il se pose aujourd’hui;
6. Si nous allons vers une unification de toutes les religions;
7. Comment promouvoir aujourd’hui l’unité de l’Église universelle.

Beaucoup de chrétiens sont désemparés devant la confusion actuelle:


comment lutter contre les germes de division dans nos communautés? Faut-il
s’engager dans les efforts de rapprochement avec les autres confessions
chrétiennes? Dans le dialogue interreligieux? D’autres chrétiens sont
allergiques à tout effort de rapprochement entre les églises.
Avant de nous embarquer vers l’un ou l’autre but que des chrétiens se
fixent pour répondre au vœu d’unité que le Seigneur a exprimé dans sa prière,
il serait bon de consulter la carte, c’est-àdire le seul document authentique de
la volonté divine: la Parole de Dieu. Le but essentiel de ce livre est de
confronter tous les efforts actuels aux déclarations de Jésus-Christ et des
apôtres dans les quatre récits de l’Évangile et dans les épîtres du Nouveau
Testament. C’est la raison d’être des nombreuses citations et références; la
lecture de ce travail ne sera vraiment profitable qu’à ceux qui auront le
courage, Bible en main, de rechercher les passages indiqués en référence. Et à
tous ceux qui, par découragement ou par peur des contrefaçons, se sont
retirés dans leur coquille, nous aimerions, par contre, transmettre l’appel de la
Bible à rechercher la véritable unité, celle que Dieu veut pour son peuple.
Une grande partie de ce livre a été écrite il y a plus de cinquante ans.
Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts (de Genève et de Rome),
mais la Parole de Dieu garde toute sa validité et son actualité.
Nous sommes reconnaissants pour le nouveau climat de cordialité et de
respect mutuel qui s’est instauré dans les relations entre les différentes
confessions chrétiennes, mais nous ne pouvons nous empêcher de poser la
question: Qu’est-ce qui a changé dans le fond? Sur le plan de la doctrine –
chez nous ou chez nos partenaires? Dialoguer pour mieux connaître celui qui
est en face de nous? Dialoguer sans combattre est une bonne chose, même
avec des adeptes d’autres religions, mais quel est le but de ces dialogues?
Devant les nouvelles tendances qui se manifestent de nos jours, toute la partie
de ce livre consacrée à la manière dont le problème de l’unité se pose
aujourd’hui a dû être réécrite pour tenir compte des orientations nouvelles de
l’Église romaine, du Conseil œcuménique des Églises et du dialogue avec les
autres religions. Les autres chapitres ont été restructurés.
Face à toutes les tendances et aux problèmes qu’elles nous posent, le
chrétien soucieux de connaître la volonté de Dieu revient sans cesse à la
question que posait déjà l’apôtre Paul: «Que dit l’Écriture?» (Galates 4: 30).
La Parole de Dieu est le seul pôle fixe au milieu des opinions changeantes de
notre temps.

1 Le récent Conseil National des Évangéliques de France (CNEF) regroupe à présent la plupart des
familles évangéliques.
CHAPITRE
1

L’UNITÉ CHRÉTIENNE SELON JÉSUS


Dans la dernière prière de Jésus avant son arrestation, prière que Jean
reproduit en détail dans le chapitre 17 de son récit de l’Évangile, la question
de l’unité des chrétiens revient plusieurs fois (v. 11, 21, 22, 23), comme si le
Seigneur avait pressenti que l’un des problèmes majeurs de l’Église qu’il
allait bâtir serait la désunion de ceux qui la composeraient. Il a prié pour
l’unité de ceux qui feront partie de son Église, car cette unité sera l’un des
moyens les plus convaincants d’amener des non-croyants à la foi (v. 21-23).
Devant les divisions qui se manifestent aujourd’hui aussi bien dans les églises
locales, entre les enfants de Dieu qui les composent, qu’entre ces différentes
églises, nous ne pouvons que nous humilier et chercher par quels moyens
nous pourrions mieux répondre au vœu de notre Maître: «Que tous SOIENT
un».
D’ailleurs, le désir d’union et de concorde répond à l’une des aspirations
fondamentales que Dieu a implantées dans la nature humaine. L’homme
moderne est en train d’expérimenter les bienfaits de l’union dans les
domaines économique, politique, financier – tout en laissant souvent dans
l’ombre le revers de la médaille. Nous vivons à une époque d’unifications:
trusts, cartels, Marché Commun, partis unifiés, fusions de banques,
fédérations de républiques, Europe unifiée, Nations Unies, etc. La
mondialisation affecte tous les domaines de l’économie et de la pensée.
Pourquoi la religion échapperait-elle à ce mouvement et serait-elle la dernière
à bénéficier des avantages de l’union? D’autant plus que cette volonté
d’union a bien été exprimée par Jésus-Christ lui-même: «Que tous soient un».
Et les chrétiens sont souvent les premiers à dénoncer «le scandale de nos
divisions».
Qu’a voulu dire le Seigneur par cette parole: «Que tous soient un»? Pour
comprendre les paroles d’un homme, il faut toujours les replacer dans leur
contexte: contexte immédiat de ce qu’il vient de dire et contexte général de
son enseignement et de sa pensée. À plus forte raison devons-nous situer ces
paroles dans le contexte immédiat de la prière dans laquelle elles figurent et
dans le contexte général de l’enseignement de Jésus. Sinon, ces paroles
perdraient le sens que le Seigneur a voulu leur donner et pourraient aussi bien
servir de devise à une société de secours mutuel, à un trust financier ou aux
Nations Unies.
Quelle sorte d’unité Jésus-Christ avait-il en vue lorsqu’il en a parlé à son
Père dans la prière sacerdotale? Examinons l’une après l’autre les trois
paroles de cette citation: «1. Que tous 2. soient 3. un».

«Que TOUS soient un»


Qui sont ceux que le Seigneur désigne ainsi? Évidemment les mêmes
que ceux qu’il nomme 45 fois à son Père dans cette prière. Comment en
parle-t-il?

D’après le contexte de Jean 17 (LSG)


1. Il en parle comme étant ceux que le Père lui a donnés (7 occurrences):
v. 2 Ceux que tu lui as donnés.
v. 6 Aux hommes que tu m’as donnés du milieu du monde.
v. 6 Ils étaient à toi, et tu me les as donnés.
v. 9 [Je prie pour] ceux que tu m’as donnés, parce qu’ils sont à toi.
v. 11 Père saint, garde en ton nom ceux que tu m’as donnés.
v. 12 J’ai gardé ceux que tu m’as donnés.
v. 24 Père, je veux que là où je suis ceux que tu m’as donnés soient aussi avec moi, afin qu’ils
voient ma gloire.

2. Il s’agit en premier lieu de ses apôtres (v. 12, 18: Jésus en parle au
passé), mais le verset 20 étend la portée de cette prière à tous «ceux qui
croiront en moi par leur parole».
v. 3 Qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. (cf. v. 25)
v. 6 Ils ont gardé ta parole.
v. 7 Ils ont connu que tout ce que tu m’as donné vient de toi.
v. 8 Ils les ont reçues [tes paroles]. (cf. Jean 1: 12)
v. 8 Et ils ont vraiment connu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé (v. 20: ceux
qui croiront).

3. Quinze fois dans sa prière (trente fois dans les chapitres 15 à 18), le
Seigneur parle de ses disciples dans leur opposition au monde:
v. 9 C’est pour eux que je prie. Je ne prie pas pour le monde.
v. 10 Tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi; et je suis glorifié en eux.
v. 11 Je ne suis plus dans le monde, et ils sont dans le monde.
v. 13 Je dis ces choses dans le monde, afin qu’ils aient en eux ma joie parfaite.
v. 14 Le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde.
(cf. v. 16)
v. 17 Sanctifie-les par ta vérité: ta parole est la vérité. (cf. v. 19)
v. 18 Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les ai aussi envoyés dans le monde.
v. 22 Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée.
v. 23 Que le monde connaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. (cf.
v. 26)
v. 24 Père, je veux que là où je suis ceux que tu m’as donnés soient aussi avec moi, afin qu’ils
voient ma gloire, la gloire que tu m’as donnée, parce que tu m’as aimé avant la fondation
du monde.
v. 25 Père juste, le monde ne t’a point connu; mais moi je t’ai connu, et ceux-ci ont connu que tu
m’as envoyé.

Après avoir lu ces différentes déclarations du Seigneur concernant ceux


qui doivent être un, pouvons-nous penser qu’il ait voulu désigner tous ses
auditeurs, ou même tous ceux qui le suivaient et écoutaient sa Parole?

D’après tout l’enseignement de Jésus


À travers tout son enseignement, Jésus-Christ a tracé une ligne de
séparation très nette entre deux classes d’hommes.
D’une part:
• «Les enfants de lumière», les «enfants de Dieu» (Luc 16: 8; Jean 1:
12);
• «Ceux qui croient», «ceux qui m’appartiennent», «mes brebis qui me
suivent» ( Jean 3: 18; 10: 3-4); •
• «Ceux qui ont la vie», «ceux qui ont la vie éternelle» ( Jean 3: 36).
D’autre part:
• «Les enfants des ténèbres» ( Jean 12: 46); •
• «Ceux qui ont pour père le diable» ( Jean 8: 44); •
• «Ceux qui ne croient pas» ( Jean 3: 36);
• «Ceux qui ne sont pas de Dieu», «ne connaissent pas Dieu», «ne sont
pas mes brebis», «me rejettent»;
• «Ceux qui n’ont pas la vie en eux-mêmes», «ceux qui ne verront pas
la vie», mais «restent sous la colère de Dieu».

Le poste frontière par lequel il faut passer pour franchir cette ligne de
démarcation, c’est la nouvelle naissance dont Jésus-Christ a parlé à
Nicodème:
Si un homme ne naît d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu […] Il faut
que vous naissiez de nouveau. (Jean 3: 5, 7)

Cette nouvelle naissance, Dieu l’accorde à ceux qui croient:


Celui qui croit au Fils a la vie éternelle; celui qui ne se confie pas au Fils ne verra pas la vie,
mais la colère de Dieu demeure sur lui. (Jean 3: 36)

Celui qui écoute ma Parole et qui croit à celui qui m’a envoyé a la vie éternelle et ne vient pas
en jugement, mais il est passé de la mort à la vie. (Jean 5: 24)

Avez-vous déjà franchi cette frontière?


Jésus-Christ souligne constamment ce caractère individuel, conditionnel
et sélectif de son appel. Des expressions comme «celui qui», «quiconque»,
«si un homme», «que chacun de vous», etc., reviennent près de 200 fois dans
la bouche de Jésus et plus de 600 fois dans l’ensemble du Nouveau
Testament.
Quels sont donc ceux qui sont appelés à être un? Rappelons brièvement
les caractéristiques de ceux que le Seigneur désigne, telles qu’elles ressortent
de la prière sacerdotale:
• Ils ont reçu la Parole de Dieu comme étant la vérité;
• Ils ont cru en Dieu et ont placé leur confiance en Jésus-Christ;
• Ils sont sortis du monde, n’en sont plus, bien qu’y vivant encore;
• Ils ont gardé la Parole de Dieu qui les sanctifie;
• Le Christ vit en eux, ils ont sa joie en eux;
• Ils sont aimés du Père qui leur donnera la gloire du Christ là où le
Christ est maintenant.

Pourrions-nous trouver une meilleure définition de ceux qui sont


convertis, nés de nouveau, devenus enfants de Dieu, identifiés à Jésus-Christ
par la même origine (v. 14, 16; cf. 2 Pierre 1: 4; Hébreux 11: 13; Galates 2:
20)? De ceux qui ont reçu la même mission dans le monde (v. 18; cf. Jean 5:
30; Luc 19: 10), le même avenir glorieux (v. 22, 24)? De ceux qui bénéficient
du même amour du Père (v. 23), de la même joie intérieure (v. 13), de la
même unité avec le Père (v. 23, 26), et sont en butte à la même haine de la
part du monde (v. 14)?
Quand le Seigneur Jésus demande à son Père «que tous soient un», il ne
peut s’agir ni de tous les hommes, ni de tous les hommes religieux ou
vaguement christianisés, mais uniquement de tous les vrais croyants, nés de
nouveau, dans lesquels la vie de Jésus-Christ est effective et agissante.

«Que tous SOIENT un»


Par qui doit être réalisée cette unité? Lorsqu’on entend certains chrétiens
citer cette parole, on croirait souvent qu’il s’agit d’une exhortation du
Seigneur à ses disciples: «Je veux que vous soyez tous un», et qu’il nous
appartient de réaliser cette unité. Or, ces paroles sont extraites d’une prière
adressée au Père. Depuis quand les hommes doivent-ils exaucer les prières
que Jésus adressait à Dieu?
Cela ne signifie pas que nous ne sommes pas concernés, mais pose
d’emblée des limites à notre action: elle ne répondra à l’intention de Jésus
qu’à l’intérieur du cadre posé par sa prière.
Nous nous trouvons là devant le paradoxe qui parcourt toute la Bible:
Dieu donne, agit, réalise… et il nous demande d’accepter ses dons, de calquer
notre action sur la sienne pour que sa volonté se réalise «sur la terre comme
au ciel». Nous prions: «Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour» – ce
qui ne nous dispense pas de cultiver notre champ et de gagner notre pain à la
sueur de notre front. Nous lui demandons: «Garde-nous de céder à la ten-
tation», mais sa Parole nous enjoint aussi de faire tout notre possible pour ne
pas nous induire nous-mêmes en tentation en nous aventurant sur un terrain
glissant. L’unité pour laquelle Jésus a prié est une réalité. Il n’empêche que la
Parole de Dieu nous demande de nous efforcer de «conserver l’unité de
l’Esprit par le lien de la paix» (Éphésiens 4: 3). C’est dans cette tension entre
l’agir de Dieu et l’action humaine qu’il nous faut comprendre toute cette
question de l’unité.
Une autre fois, Jésus priait: «Je savais que tu m’exauces toujours».
Pourquoi? Parce qu’il ne demandait que ce qui était conforme à la volonté de
Dieu (cf. Jean 5: 19, 30). Or si, à de simples chrétiens, Dieu promet
l’exaucement immédiat d’une prière conforme à sa volonté (1 Jean 5: 14-15),
à combien plus forte raison pouvons-nous être assurés de l’exaucement de
cette requête du Seigneur.
Cette demande que tous soient un n’est d’ailleurs pas seule dans la
prière sacerdotale, elle est accompagnée d’un certain nombre d’autres
requêtes parmi lesquelles elle doit être replacée pour être mieux comprise,
d’autant plus que les bénéficiaires de ces requêtes ne sont autres que ceux que
le Père doit unir. L’étude de ces requêtes nous éclairera encore mieux sur leur
identité et précisera un certain nombre de conditions de cette unité.

L’unité et la sanctification
Jean 17: 11: «Père saint, garde-les en ton nom, (ce nom) que tu m’as
donné, afin qu’ils soient un comme nous».
Le titre que le Seigneur donne à son Père est certainement en rapport
avec la demande qu’il présente. C’est la sainteté de Dieu qui est invoquée
pour garder les chrétiens dans les conditions qui permettent l’unité telle que
la connaît Jésus-Christ avec son Père.
«Garde en ton nom»: dans le langage biblique, le nom représente
l’essence de la personnalité de quelqu’un. Le nom de Dieu évoque sa
sainteté, son amour, sa haine du péché, sa justice, etc. Prier que les disciples
soient gardés dans ce nom revient à demander qu’ils soient maintenus dans la
sainteté, l’amour, la lumière, la justice. Voilà les conditions spirituelles d’une
unité réelle entre eux, d’une unité à l’image de celle de Jésus avec son Père.
C’est parce que Jésus persévérait dans l’amour, la sainteté, la justice (dans
tout ce que signifie le nom de Dieu), qu’il demeurait un avec lui.
La sainteté de Dieu qui est invoquée trace la ligne de démarcation entre
ceux que Dieu peut unir et ceux qui sont divisés, parce qu’ils vivent sous
l’empire de leurs instincts naturels et des tendances du moi charnel.

L’unité et le monde
Jean 17: 15: «Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les garder
du Malin. Ils ne sont pas du monde comme moi je ne suis pas du monde».
Le monde, c’est le domaine où règne «le prince de ce monde», le mal, la
chair, «le monde entier est au pouvoir du Malin» (1 Jean 5: 19). Ceux pour
lesquels le Seigneur prie ne font plus partie de ce monde bien qu’ils y vivent
encore. Ils ont été «arrachés du présent siècle mauvais» (Galates 1: 4),
«rachetés de la vaine manière de vivre héritée de [leurs] pères» (1 Pierre 1:
18). Ils ont d’autres buts de vie, d’autres aspirations, un autre comportement
que les «enfants de ce monde».
Ils peuvent encore être tentés par les convoitises de ce monde, c’est
pourquoi le Seigneur prie que le Père les préserve du mal. C’est dans la
mesure où ils seront gardés des «souillures du monde» ( Jacques 1: 27), de
«tout ce qui est dans le monde: la convoitise de la chair, la convoitise des
yeux et l’orgueil de la vie» (1 Jean 2: 16), qu’ils parviendront aussi à réaliser
cette unité parfaite entre eux 2.

L’unité et la vérité
Jean 17: 17: «Sanctifie-les par la vérité: ta Parole est la vérité».
Dans cette demande, le Seigneur prolonge la pensée des deux requêtes
précédentes (v. 11, 15): l’unité n’est possible que liée à la sanctification. Il
indique en même temps le moyen que Dieu a choisi pour opérer cette œuvre
de sanctification: la vérité. Quelle vérité? Celle qui se présente à nous dans la
Parole de Dieu: nous qui sommes «ceux qui croiront en moi par leur parole»
(v. 20). Cette Parole a été, à travers tous les siècles, le moyen par lequel Dieu
a opéré dans les croyants cette œuvre de transformation, c’està-dire de
sanctification, pour laquelle le Seigneur a intercédé. Aussi ne sommes-nous
pas étonnés de l’attachement que les croyants ont, de tout temps, manifesté
pour cette Parole, un attachement qui pouvait les conduire jusqu’au martyre.
Nous ne sommes pas étonnés non plus des attaques que l’Adversaire a
concentrées sur cette Parole: en faisant détruire les Bibles aux premiers
siècles, au Moyen Âge et au XVIe siècle ou, plus tard, en minant son autorité
par des théories niant l’inspiration divine et l’authenticité de ses écrits.
Le respect de cette Parole, que Dieu nous a donnée comme moyen de la
sanctification sans laquelle il n’y a pas d’unité, est une condition
indispensable de l’unité telle que le Seigneur la concevait:
L’unité chrétienne féconde ne peut se manifester que dans un climat de respect absolu pour la Bible.
Là où des traditions humaines supplantent l’Écriture, là où des autorités humaines s’arrogent le droit
de déchirer telle page du texte sacré, il ne saurait y avoir l’unité telle que le Seigneur Jésus l’a
voulue 3.
Enfin n’oublions pas que la Vérité, la Parole, ce n’est pas seulement le
livre. C’est avant tout la personne qui a pu dire «Je suis la vérité», celui que
l’Évangile selon Jean appelle «la Parole».
Comment cette Parole nous apparaît-elle à travers cette prière?
Autrement dit: en quel Christ croient ceux qui sont appelés à être un?
v. 5, 24: en un Christ glorieux, préexistant avant la fondation du monde;
v. 8: issu de Dieu et envoyé par lui;
v. 10, 21: qui est un avec Dieu;
v. 2: un Christ qui a reçu autorité sur l’humanité tout entière;
v. 2: qui donne la vie éternelle.
Ceux qui croient en ce Christ pourraient-ils être un avec ceux qui ne
voient en Jésus que le fils du charpentier de Nazareth, un prophète? Certes,
un des plus grands esprits religieux de l’humanité, mais un homme comme
les autres, «fils de Dieu» comme nous le sommes tous? Les apôtres ont
affirmé clairement la nécessité de reconnaître la divinité de Jésus pour rester
en communion avec les autres chrétiens (v. 11).
La sainteté et la vérité dont le Seigneur a parlé ici seront les deux points
sur lesquels les apôtres veilleront jalousement et, loin de prôner l’unité avec
tous, ils exigeront que les chrétiens se séparent de tout homme qui ne serait
pas en règle sur l’un ou l’autre de ces points.

Le but de l’unité
Jean 17: 21-23: «afin que le monde croie».
Ce monde d’où les croyants sont sortis doit être rendu attentif par un fait
auquel il n’est pas habitué: l’unité profonde des chrétiens. Le monde connaît
l’unité d’organisation, les grandes unions ou fédérations à système
parlementaire. Une telle unité se situe dans sa ligne de pensée et n’a rien
d’étonnant pour lui. Ce qui le frappe, c’est une unité de cœur, une unité
d’amour, cellelà même qui a fait dire aux païens des premiers siècles: «Voyez
comme ils s’aiment». Là où cette unité existe – avec ou sans organisation
commune – le monde est tiré de son indifférence car il voit là quelque chose
qu’il ne connaît pas, qu’il n’a pas cru possible. Cette unité-là l’attire à
l’Évangile et à Jésus-Christ.
Verset 24: Le Seigneur demande pour eux la gloire céleste qu’il avait
déjà promise à ses disciples: «Je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin
que là où je suis, vous y soyez aussi» ( Jean 14: 3); mais à eux seulement, car:
«Il dira à ceux qui seront à sa gauche: Retirez-vous de moi, maudits, allez
dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges»
(Matthieu 25: 41).
Verset 26: «Que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi, je
sois en eux». «Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole et mon Père
l’aimera; nous viendrons vers lui et nous ferons notre demeure chez lui. Celui
qui ne m’aime pas, ne garde pas mes paroles» ( Jean 14: 23-24).
Le Christ et son amour ne peuvent demeurer qu’en celui qui s’est donné
à lui et qui demeure en lui ( Jean 15: 4-6).
L’étude de ces requêtes ne laisse donc aucun doute sur l’identité de ceux
que le Père doit unir: ce sont ceux qui sont devenus ses enfants parce qu’ils
ont accepté la Parole ( Jean 1: 12), Jésus-Christ, comme leur Sauveur et leur
Seigneur, qui ont été régénérés par le Saint-Esprit et dans lesquels Jésus-
Christ peut vivre sa vie.

«Que tous soient UN»


Le Seigneur ne demande pas à son Père que ces croyants soient unis
mais qu’ils soient un. Le mot que les écrivains sacrés ont employé correspond
à notre adjectif numéral: un. La différence est grande, entre une nation et des
nations unies, entre une plante et des plantes réunies en un lieu, entre une
union d’individus et un corps.

Une nation
Une nation est constituée et caractérisée par un passé commun, par des
facteurs historiques communs (luttes, oppressions, révolutions, etc.) qui ont
déterminé une manière de réagir commune: un caractère «national» facile à
reconnaître, surtout si on le compare à celui d’une autre nation. Nous sommes
là en présence d’une réalité forgée à travers les siècles et qui apparaît
particulièrement aux heures critiques: devant une catastrophe ou une attaque
venant de l’extérieur, l’unité de la nation se manifeste sous forme d’élan de
solidarité ou de mouvements spontanés de défense. À l’étranger, cette unité
se constate plus facilement que dans le pays même: un Français se
rapprochera spontanément des autres Français parce que, entouré d’étrangers,
il prend davantage conscience de tout ce qui le sépare d’eux et de ce qui le
rapproche de ses concitoyens. Il en est de même du peuple de Dieu.
Vous êtes […] une nation sainte, un peuple racheté. (1 Pierre 2:9)

C’est lui notre paix, lui qui des deux [peuples] n’en a fait qu’un, en détruisant le mur de
séparation, l’inimitié. (Éphésiens 2: 14)

On ne peut pas en dire autant des Nations Unies: nous sommes là en


présence, non d’une réalité forgée par l’Histoire et le temps, mais du résultat
de la pensée et de l’effort d’un certain nombre d’hommes, de celui d’un
travail d’organisation. Le but de cette organisation est louable et il est
préférable de pouvoir régler pacifiquement les différends plutôt que de se
battre sous le moindre prétexte. Mais cette organisation ne fera jamais, de
toutes les nations qu’elle représente, un peuple, elle ne créera jamais une
unité profonde et réelle entre les individus qui composent des peuples aussi
différents que les Américains, les Indiens et les Russes; l’organisation s’avère
impuissante à réformer et ajuster les goûts, les sentiments, les volontés
d’hommes si divers.

Une plante
Il y a de même une profonde différence entre une plante et des plantes
réunies dans une serre. Ces plantes ont beau être soumises aux mêmes
conditions, soignées par le même jardinier, elles n’en continueront pas moins
à évoluer chacune selon les lois qui lui sont propres. Tout ce qu’on peut
éviter par cette réunion, c’est que l’une des plantes ne nuise à l’autre en
l’étouffant, en captant pour elle seule toute la lumière ou la pluie.
L’apôtre Paul écrit aux Romains que «nous sommes devenus une même
plante avec lui par la conformité à sa mort» (Romains 6: 5): tous ceux qui,
par le baptême du Saint-Esprit, sont morts à leur vieille nature ont été greffés
sur le cep divin qui est le Christ, ils sont devenus participants de sa nature
divine, sa vie coule en eux ( Jean 15; 2 Pierre 1: 4).
Ils ne sont plus des plantes autonomes, ils ont été «greffés et rendus
participants de la racine et de la sève» de l’arbre commun (Romains 11: 17).
Une seule vie coule en eux: la vie du Christ. Une unité organique lie toutes
les parties de la plante, elles sont dépendantes les unes des autres, parce que
chaque partie accomplit pour l’ensemble de la plante l’une des fonctions
vitales: absorption, respiration, transpiration, assimilation chlorophyllienne,
fécondation, fructification, etc. C’est lorsque toutes ces fonctions se font
normalement et harmonieusement que l’ensemble de la plante prospère et
croît. Ainsi en est-il dans l’Église du Christ:
Nous croîtrons à tous égards en […] Christ. De lui, le corps tout entier bien ordonné et
cohérent, grâce à toutes les jointures qui le soutiennent fortement, tire son accroissement dans
la mesure qui convient à chaque partie. (Éphésiens 4: 15-16)

Un corps
Ce que dit l’apôtre dans ce dernier passage, bien que pouvant
s’appliquer à la plante, se rapporte en fait à une autre image: celle du corps. Il
avait dit plus haut (Éphésiens 2: 15-16) que Dieu a voulu créer en Christ «Un
seul homme nouveau […] un seul corps». Qui ne voit la profonde différence
entre un homme et des hommes unis?
Tout ce qui a été dit au sujet de la plante pourrait être répété ici au sujet
de l’homme. La Parole de Dieu elle-même fait cependant une exception.
Deux êtres humains sont appelés à être tellement unis qu’ils ne forment «plus
deux, mais une seule chair» (Matthieu 19: 5-6). Le couple selon la volonté de
Dieu n’a plus qu’un désir, un but de vie, un destin. Ce couple est donné par la
Bible comme une image de l’unité parfaite entre le Christ et l’Église
(Éphésiens 5: 25-32). L’Église est représentée par une personne: l’épouse. Le
Christ est l’autre personne: l’époux, mais l’époux ne forme en fait qu’une
personne avec l’épouse.
Remarquons avec quelle précision et quelle insistance la Parole de Dieu
parle de cette unité que Dieu a voulu créer entre ses enfants. Ainsi, même
dans les images qu’elle emploie, elle évite toute comparaison qui pourrait
rappeler des formes d’associations ou d’organisations humaines, dans
lesquelles les différents éléments qui les composent gardent toute leur
autonomie, leurs intérêts et leur volonté propres. L’unité de l’Église se situe,
non sur le plan de l’action, du «faire», mais sur celui de «l’être». C’est la
différence qu’expriment en allemand les mots einheit (ou vereinigung) et
einssein ou, en anglais, unity et oneness.

«Un comme nous et en nous»


Dans sa prière en Jean 17, le Seigneur précise en outre le ca-ractère de
cette unité:
• «Qu’ils soient un comme nous» (v. 11, 21, 22);
• «Qu’ils soient parfaitement un» (v. 23).

Alors ils seront:


• «Comme nous» (v. 22); •
• «Comme toi, Père, tu es en moi, et moi, en toi» (v. 21);
• «Comme nous sommes un» (v. 22);
• «Parfaitement un» (v. 23).

L’unité du Père et du Fils reposait sur une identité de nature ( Jean 1: 1),
de sainteté ( Jean 8: 46), de volonté et de but ( Jean 5: 19, 30; 10: 30), sur un
amour réciproque parfait ( Jean 17: 24; 14: 31; 15: 10).
Les hommes ne peuvent être parfaitement un entre eux, comme le Père
et le Fils étaient un, que s’ils ont, entre eux et avec le Père et le Fils, cette
identité de nature: s’ils ont en eux la nature et la vie divines (2 Pierre 1: 4;
Galates 2: 20; 1 Corinthiens 12: 12-27), la volonté d’obéir à Dieu (Romains
12: 1-2; 1 Jean 1: 5-7) et cet amour pour Dieu et pour des frères qui ne peut
être versé dans nos cœurs que par le Saint-Esprit (Romains 5: 5).
Pour être un en Dieu les uns avec les autres, il faut, de toute évidence,
avoir tout d’abord été engendré en Dieu: être passé par ce que Jésus appelle
la «nouvelle naissance», être devenu en Christ une nouvelle créature (2
Corinthiens 5: 17) et puis demeurer en Christ ( Jean 15: 1-8).

Conclusion
D’après chacun des termes que le Seigneur emploie dans sa prière, il est
impossible qu’il ait voulu parler d’autre chose que de l’unité que réalise le
Saint-Esprit entre tous ceux qui, par lui, sont nés de nouveau. Toute unité
d’organisation entre chrétiens régénérés et chrétiens de nom est absolument
exclue de la pensée du Seigneur. C’est ce que confirmera l’étude de l’unité de
l’Église primitive d’après le livre des Actes et les épîtres.

2 Pour voir de façon plus précise ce que la Bible entend par «le monde» voir: Jean 14: 17, 27; 15: 18-
19; 16: 8, 33; 1 Corinthiens 1: 20; 2: 12; 3: 19; Galates 4: 3; 6: 14; Éphésiens 2: 2; Colossiens 2:
20; Jacques 4: 4; 1 Jean 3: 1, 13; 5: 4.
3 Jules-Marcel NICOLE, «Réflexions sur l’unité chrétienne d’après Jean 17», études données lors de la
convention d’Alès en 1955.
CHAPITRE
2

L’UNITÉ CHRÉTIENNE SELON LES


APÔTRES
Si «la chrétienté primitive est seule la vraie Église» (Luther), la manière
dont elle a compris l’unité chrétienne est certainement la seule vraie et la
seule conforme à la pensée du Seigneur.
Comment donc, d’après les Actes et les épîtres, les premiers chrétiens
ont-ils compris cette prière: «Que tous soient un»?
Pour conduire notre enquête, suivons de nouveau les trois mots clés de
cette prière.
TOUS — Qui sont-ils?
SOIENT — Comment la prière de Jésus est-elle exaucée dans l’Église
primitive?
UN — De quel genre d’unité s’agit-il?

«Que TOUS soient un»


S’agissait-il d’une unité entre tous les hommes, ou du moins entre tous
les sympathisants de l’Église, de l’ensemble de «ceux qui croient, ceux qui ne
croient pas encore et ceux qui ne croient plus» (Saint-Augustin)?
Trois remarques s’imposent:
• Avant d’être un appel à l’unité, le message des apôtres, comme celui
de Jésus-Christ, était un appel à la séparation d’avec le monde et la
génération perverse dans laquelle vit le chrétien.
• Les épîtres, dans lesquelles nous trouvons des exhortations à l’unité,
sont adressées à des églises locales, c’est-àdire à des groupements
de baptisés participant à la cène. Les apôtres lient fréquemment les
exhortations à l’unité au rappel de ces deux symboles. La pratique
et la signification de ces deux actes symboliques nous renseignent
sur l’étendue et les limites de la communauté appelée à l’unité.
• Les recommandations de l’apôtre, relatives à la discipline dans
l’Église, nous prouvent que l’unité à laquelle les chrétiens sont
appelés n’englobe même pas obligatoirement tous les croyants
convertis, mais seulement ceux qui vivent d’une manière digne de
leur vocation et qui demeurent dans toute la vérité enseignée.

La séparation précède l’unité


Le message de Jésus-Christ et des apôtres est d’abord un appel à la
séparation d’avec le monde.

Le message de Jésus-Christ
Jésus-Christ dit lui-même qu’il est venu apporter la séparation entre les
hommes:
Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre
l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère, et l’homme
aura pour ennemis les gens de sa maison. (Matthieu 10: 34-36)

Car désormais cinq dans une maison seront divisés, trois contre deux, et deux contre trois.
(Luc 12: 52)

Conformément à la prophétie faite à son sujet, «cet enfant est là […]


comme un signe qui provoquera la contradiction» (Luc 2: 34) et «il y eut
donc, à cause de lui, division parmi la foule» ( Jean 7: 43).
Certes, Jésus est venu détruire nos divisions artificielles, nos séparations criminelles: de race, de
classe, de nationalité, de culture, d’âge, que saisje encore? Mais en détruisant toutes ces cloisons,
toutes ces barrières, il creuse un gouffre infranchissable entre l’humanité qui a dit oui et celle qui a
dit non 4.

Ruben Saillens écrivait déjà en 1938:


L’unité chrétienne ne peut exister que par la séparation des fidèles d’avec tout ce qui porte indûment
le nom d’Église. La fusion, telle qu’on la préconise aujourd’hui, ne peut être que confusion […] On
ne peut unir que des objets de même nature. Or, entre l’homme irrégénéré et l’enfant de Dieu, il y a
plus qu’une différence: il y a une opposition radicale. L’unité véritable, c’est celle du cep et des
sarments, laquelle n’a rien de commun avec des unions factices qui ne subsistent que par des
compromis dont la Vérité fait les frais 5.

Et François Gonin, dans L’unité chrétienne:


Ce n’est pas par hasard que les chapitres du Nouveau Testament qui insistent le plus sur l’unité des
enfants de Dieu soient ceux qui attirent le plus notre attention sur cette rupture nécessaire avec le
monde.

Le message des apôtres


Les apôtres n’ont fait que prolonger cette ligne tracée par le Seigneur.
Leur premier appel, le jour de la Pentecôte, est un appel à la repentance,
à la foi et à la séparation:
Et, par beaucoup d’autres paroles, il [l’apôtre Pierre] rendait témoignage et les exhortait, en
disant: Sauvez-vous de cette génération perverse. (Actes 2:40)

Ce même appel à la séparation retentit dans les épîtres de Paul:


Ne formez pas avec les incroyants un attelage disparate. Car quelle association y a-t-il entre la
justice et l’iniquité? Ou quelle communion entre la lumière et les ténèbres? Et quel accord
entre Christ et Bélial? Quelle part le croyant a-t-il avec le non-croyant? Quel contrat
d’alliance entre le temple de Dieu et les idoles? Car nous sommes le temple du Dieu vivant,
comme Dieu l’a dit:
«J’habiterai et je marcherai au milieu d’eux; je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple».
C’est pourquoi:
«Sortez du milieu d’eux; et séparez-vous, dit le Seigneur; ne touchez pas à ce qui est impur, et
moi, je vous accueillerai. Je serai pour vous un père, et vous serez pour moi des fils et des
filles, dit le Seigneur tout-puissant». (2 Corinthiens 6: 14-18)

Car, sachez-le bien, aucun débauché, impur ou cupide, c’est-à-dire idolâtre, n’a d’héritage
dans le Royaume du Christ et de Dieu. Que personne ne vous séduise par de vains discours;
car c’est pour cela que la colère de Dieu vient sur les fils de la rébellion. N’ayez donc aucune
part avec eux.
Autrefois, en effet, vous étiez ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur.
Marchez comme des enfants de lumière; car le fruit de la lumière consiste en toute sorte de
bonté, de justice et de vérité. Examinez ce qui est agréable au Seigneur; et n’ayez rien de
commun avec les œuvres stériles des ténèbres, mais plutôt dénoncezles. (Éphésiens 5: 5-11)

Et jusque dans l’Apocalypse:


J’entendis du ciel une autre voix: «Sortez du milieu [de Babylone], mon peuple, afin de ne
point participer à ses péchés et de ne pas recevoir votre part de ses plaies». (Apocalypse 18: 4)

Unité entre croyants


L’unité dont parlent les apôtres dans leurs épîtres est une unité entre
croyants baptisés, participant à la cène du Seigneur.
Les épîtres sont adressées à des églises locales. Or, nous savons que tous
les membres des églises locales étaient baptisés (voir Actes 2: 38-41;
Romains 6: 3; 1 Corinthiens 1: 13-17; 12: 13; Galates 3: 27; Colossiens 2:
12). Mais le baptême, tel que le pratiquait l’Église primitive, était
précisément le signe visible de la régénération. Il n’était accordé qu’à ceux
qui pouvaient témoigner qu’ils avaient passé par la nouvelle naissance (voir
Actes 2: 37-42; 8: 12-16, 36-39; 9: 18; 10: 44-48; 11: 16-17; 16: 14-15, 33-
34; 18: 8; 19: 1-7; Romains 6: 3-9; Galates 3: 26-27; 1 Pierre 3: 19-21).
Nous savons d’autre part que l’on n’admettait à la cène que des croyants
convertis et baptisés, dont la conduite et la profession de foi correspondaient
à l’enseignement des apôtres. Voyez en 1 Corinthiens 11: 27-29 et aussi dans
la Didachè 9: 4: «Que personne ne mange ou ne boive de votre eucharistie
sinon ceux qui ont été baptisés au nom du Seigneur 6».
On ne pouvait être uni qu’avec les membres du même corps. Et
comment devenait-on membre de ce corps du Christ? 1 Corinthiens 12: 13 le
précise: «Car c’est dans un seul Esprit que nous tous, pour former un seul
corps, avons tous été baptisés».
Le baptême du Saint-Esprit était donc indispensable pour faire partie de
ce corps du Christ. Or, le Saint-Esprit ne baptisait que ceux qui avaient cru
(voir Éphésiens 1: 13; Actes 2: 38; 10: 47; Romains 8: 9; 1 Corinthiens 6: 17;
12: 27).
L’étude de la pratique du baptême et celle de la cène dans l’Église
primitive confirment donc l’enseignement du Seigneur: il ne peut être
question d’unité qu’entre ceux qui ont cru personnellement, ceux qui ont
accepté Jésus comme leur Sauveur, qui ont reçu le Saint-Esprit et sont
devenus des membres du corps spirituel du Christ.

Discipline et unité
À l’intérieur de l’Église, c’est-à-dire entre ceux qui ont déjà choisi de
suivre le Christ, l’unité n’est maintenue que grâce à une séparation constante
d’avec ceux qui ne vivent plus conformément à leur profession de foi et ne
professent plus intégralement la doctrine des apôtres.
Dans 2 Corinthiens 7: 1, après l’appel à la séparation d’avec le monde,
l’apôtre écrit: «Purifions-nous de toute souillure de la chair et de l’esprit».
L’Église primitive prenait la discipline ecclésiastique au sérieux.

Les apôtres demandaient aux églises de se séparer de tous ceux qui


ne vivaient plus conformément à la Parole de Dieu
C’était l’ordre du Seigneur:
Si ton frère a péché, va et reprends-le seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. Mais, s’il
ne t’écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes, afin que toute l’affaire se règle sur la
parole de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Église; et s’il refuse aussi
d’écouter l’Église, qu’il soit pour toi comme un païen et un péager. (Matthieu 18: 15-17)

Cet ordre, l’Église devait le mettre en pratique:


Purifiez-vous du vieux levain, afin que vous soyez une pâte nouvelle, puisque vous êtes sans
levain, car Christ, notre Pâque, a été immolé.(1 Corinthiens 5: 7)

Maintenant, ce que je vous ai écrit, c’est de ne pas avoir de relations avec quelqu’un qui, tout
en se nommant frère, serait débauché, ou cupide, ou idolâtre, ou insulteur, ou ivrogne ou
accapareur, et même ne pas manger avec un tel homme. Qu’ai-je, en effet, à juger ceux du
dehors? N’est-ce pas de ceux du dedans que vous êtes juges? Ceux du dehors, Dieu les jugera.
Expulsez le méchant du milieu de vous.(1 Corinthiens 5: 11-13)

Nous vous recommandons, frères, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, de vous éloigner de
tout frère qui vit dans le désordre et non selon la tradition que vous avez reçue de nous […] Si
quelqu’un n’obéit pas à ce que nous disons dans cette lettre, prenez note de lui et n’ayez avec
lui aucune relation, afin qu’il en ait honte. Ne le considérez pas comme un ennemi, mais
avertissez-le comme un frère. (2 Thessaloniciens 3:6, 14-15)

L’apôtre va jusqu’à dire: «Si quelqu’un n’aime pas le Seigneur qu’il soit
anathème», c’est-à-dire banni, maudit, exclu de la communauté (1
Corinthiens 16: 22).

L’Église devait aussi se séparer de tous ceux qui professaient une


hérésie ou causaient des divisions
Paul met les anciens d’Éphèse en garde contre de tels hommes (Actes
20: 28-31) et il écrit aux différentes églises:
Mais si nous-mêmes, ou si un ange du ciel vous annonçait un Évangile différent de celui que
nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème! […] Si quelqu’un vous annonce un Évangile
différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème! (Galates 1: 8-9)

Je vous exhorte, frères, à prendre garde à ceux qui causent des divisions et des scandales,
contrairement à l’enseignement que vous avez reçu. Éloignez-vous d’eux. Car de tels hommes
ne servent pas le Christ notre Seigneur, mais leur propre ventre; par de bonnes paroles et par
des éloges, ils séduisent les cœurs des gens sans malice.(Romains 16: 17-18)

Ils garderont la forme extérieure de la piété, mais ils en renieront la puissance. Éloigne-toi de
ces hommes-là. Il en est parmi eux qui s’introduisent dans les maisons et qui captivent
certaines femmes chargées de péchés, et agitées par des passions variées. (2 Timothée 3: 5-6)
Éloigne de toi après un premier et second avertissement celui qui cause des divisions, sachant
qu’un tel homme est perverti, qu’il pèche et se condamne lui-même. (Tite 3: 10-11)

Car dans le monde sont entrés plusieurs séducteurs, qui ne confessent pas Jésus-Christ venu
dans la chair. Voilà le séducteur et l’antichrist. Prenez garde à vous-mêmes, afin de ne pas
perdre le fruit de notre travail, mais de recevoir une pleine récompense. Quiconque va plus
loin et ne demeure pas dans la doctrine du Christ n’a pas Dieu; celui qui demeure dans la
doctrine a le Père et le Fils. Si quelqu’un vient à vous et n’apporte pas cette doctrine, ne le
recevez pas dans votre maison et ne lui dites pas: «Salut!» Car celui qui lui dit: «Salut!»
participe à ses mauvaises œuvres. (2 Jean 7-11)

Les anciens et l’Église tout entière ont la responsabilité de maintenir la


pureté de la table du Seigneur (voir Actes 20: 28-31; 1 Timothée 3: 15; Tite
1: 9).

Par conséquent…
L’unité de l’Église primitive était limitée à une unité entre ceux qui
avaient accepté personnellement Jésus-Christ comme leur Sauveur, qui en
avaient témoigné par le baptême et qui restaient en communion avec l’Église
en persévérant dans une conduite et une doctrine pures.

«Que tous SOIENT un»

L’unité de l’Église primitive est due à l’exaucement de la prière


de Jésus
Jésus-Christ a demandé au Père que ses disciples soient un. Cette prière,
comme toutes ses prières, a été exaucée. Les disciples n’avaient par
conséquent pas à créer cette unité, elle leur était donnée, comme un cadeau,
au moment de la naissance de l’Église – au moment de leur nouvelle
naissance. Elle était, comme le salut, un fruit des souffrances de Jésus à la
croix:
Jésus devait mourir pour la nation. Et non seulement pour la nation, mais aussi afin de réunir
en un seul corps les enfants de Dieu dispersés. (Jean 11: 51-52)

Dès le jour de la Pentecôte, l’unité est là:


Tous ceux qui avaient cru étaient ensemble et avaient tout en commun. Ils vendaient leurs
biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous, selon les besoins de
chacun. Chaque jour avec persévérance, ils étaient au Temple d’un commun accord, ils
rompaient le pain dans les maisons et prenaient leur nourriture avec allégresse et simplicité de
cœur; ils louaient Dieu.(Actes 2: 44-47)

Nous n’entendons rien d’une exhortation à l’unité, d’une discussion sur


la foi, d’une entente entre ceux qui ont cru au sujet de la doctrine à professer,
de l’attitude à prendre vis-à-vis des Juifs, etc. L’unité est un cadeau du
Seigneur:
La multitude de ceux qui avaient cru n’étaient qu’un cœur et qu’une âme […] tout était
commun entre eux. (Actes 4: 32, voir aussi v. 33-35)

Comment cette unité s’est-elle manifestée et maintenue?


Actes 2: 42 en dévoile le secret:
Ils persévéraient dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la
fraction du pain et dans les prières.

Cela était vrai aussi bien pour l’église locale que pour l’Église
universelle.

Le secret de l’unité dans l’église locale

Ils persévéraient dans l’enseignement des apôtres


Les apôtres étaient les dépositaires réguliers de l’enseignement du Christ
et de la promesse qu’il leur avait laissée: «L’Esprit de vérité […] vous
conduira dans toute la vérité» ( Jean 16: 13). Ce sont eux qui fondaient les
églises et qui les enseignaient. Ils insistaient pour que ces églises retiennent
l’enseignement exactement comme il leur avait été transmis: «[L’Évangile]
par lequel aussi vous êtes sauvés, si vous le retenez dans les termes où je
vous l’ai annoncé; autrement, vous auriez cru en vain» (1 Corinthiens 15: 2;
voir Galates 1: 8-9 et 2 Corinthiens 11: 4).
Cette persévérance dans l’enseignement des apôtres n’était ni facile ni
naturelle. L’apôtre restait quelques mois, quelques années au plus, dans
l’église née de son ministère. Tous les jours, il enseignait les disciples, soit en
commun (Actes 19: 9), soit en particulier (Actes 20: 31). Mais une fois qu’il
était reparti, chacun risquait de déformer sa pensée suivant ses préférences et
les défaillances de sa mémoire. Il choisissait dans l’enseignement de l’apôtre
ce qui lui convenait le mieux et n’enseignait plus que cela.
Ainsi naissaient les hérésies. Le mot «hérésie» dérive d’un verbe
signifiant «choisir».
En plus de ces facteurs internes, des éléments externes venaient ternir la
pureté de la doctrine apostolique: sur la trace des apôtres, suivaient les
«judaïsants» qui annonçaient aux nouveaux disciples qu’il leur fallait
respecter toute la Loi s’ils voulaient être sauvés (voir Galates et 2
Corinthiens). Des philosophes combinaient leurs systèmes aux enseignements
de l’apôtre et se vantaient de posséder une «gnose» supérieure à la sienne
(voir Colossiens 2: 6-8; 1 et 2 Timothée; Tite).
Chaque apôtre avait, de plus, sa propre manière d’exposer la vérité et,
dans les villes où se rencontraient des chrétiens qui avaient reçu
l’enseignement de Paul et ceux qui l’avaient reçu de Pierre, de Jean, de
Jacques, de nouvelles difficultés risquaient de surgir (voir 1 Corinthiens 1 à
3).
Il n’existait encore aucune révélation écrite en dehors de l’Ancien
Testament. Le Saint-Esprit y suppléait par des messages prophétiques
accordés à ceux qui possédaient ce charisme. Ces messages pouvaient
devenir une nouvelle source de difficultés et de divisions, les chrétiens
risquant de s’attacher davantage à un enseignement vivant, donné avec
l’autorité de l’inspiration immédiate du Saint-Esprit, plutôt qu’au souvenir de
l’enseignement reçu par les apôtres.
Dans ces conditions, nous réalisons qu’il a fallu plus qu’une entente
humaine et un peu de bonne volonté pour maintenir l’unité de l’église locale.
Les apôtres repassaient bien, de temps en temps, dans les églises qu’ils
avaient fondées (Actes 15: 36) ou leur envoyaient une lettre, mais qu’était-ce
en face des éléments de division innombrables que «l’adversaire» semait
dans ces églises naissantes? Il a fallu rien de moins que l’action toute-
puissante du Saint-Esprit, en réponse à la prière que Jésus avait adressée à
son Père en faveur de ceux qui croiraient en lui, pour maintenir, dans les
églises locales, l’unité entre ceux qui avaient cru.

Ils persévéraient dans la communion fraternelle


Le mot «communion» vient du grec koinonia. Il peut avoir:
• Un sens spirituel: «union», dans la sphère du salut, avec Dieu et les
autres croyants (1 Jean 1: 3, 6, 7; 1 Corinthiens 1: 9; 2 Corinthiens
13: 13);
• Un sens matériel (Hébreux 13: 16; Actes 2: 44; 4: 32);
• Un sens lié à la célébration de la cène (1 Corinthiens 10: 16).
Dans l’Église primitive, les croyants étaient liés les uns aux autres sur
tous ces plans. Le lien, c’était l’amour, un amour que le monde ne connaît
pas, qui est un fruit et un reflet de l’amour de Dieu pour eux, qui leur a été
donné en cadeau, versé dans leur cœur par le Saint-Esprit (Romains 5: 5). Cet
amour sera pour le monde la preuve la plus convaincante de la vérité de
l’Évangile ( Jean 13: 35; 17: 21).
Il se manifestera spontanément sous différentes formes dans les églises
de Jérusalem, de Thessalonique, etc. (voir Actes 2: 44-46; 4: 32-35; 1
Thessaloniciens 1: 2-3, 7; 3: 6; 4: 9-10; 2 Thessaloniciens 1: 3).
Les apôtres rappellent constamment cette exhortation du Seigneur:
«Aimezvous les uns les autres» en indiquant aux jeunes croyants différentes
manières pratiques de manifester cet amour envers les frères:
Accueillez-vous les uns les autres comme le Christ vous a accueillis; rendez-vous serviteurs les uns
des autres, portez les fardeaux les uns des autres, consolez-vous, pardonnez-vous, saluez-vous les
uns les autres par un saint baiser, que les membres aient également soin les uns des autres, veillons
les uns sur les autres, encouragez-vous, instruisez-vous, édifiezvous les uns les autres, etc.

Partout où nous trouvons cette expression «les uns les autres» (elle
revient exactement 100 fois dans l’original), elle parle de la manière concrète
et pratique dont les premiers chrétiens avaient compris la communion
fraternelle. Elle trace en même temps les limites précises à l’intérieur
desquelles elle s’exerçait. C’était le milieu dans lequel on se connaissait les
uns les autres, où l’on pouvait dire en toute vérité: «Nous sommes membres
les uns des autres».

Ils persévéraient dans la fraction du pain


Ce n’est pas sans raison qu’on a appelé la cène «le sacrement de
l’unité». L’apôtre Paul souligne ce lien entre la cène et l’unité:
La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas la communion au sang du Christ?
Le pain que nous rompons, n’est-il pas la communion au corps du Christ? Puisqu’il y a un
seul pain, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps; car nous participons tous à
un même pain. (1 Corinthiens 10: 16-17)

Ce n’est pas non plus par hasard que l’expression «le corps du Christ»
s’applique à la fois au corps physique du Seigneur, au pain de la cène («ceci
est mon corps») et à l’ensemble des croyants.
Vivre en individualiste, se comporter comme un élément indépendant
dans l’Église, comme ces Corinthiens qui venaient aux agapes pour y manger
leur propre repas pendant que le frère avait faim (1 Corinthiens 11: 21),
c’était se rendre coupable envers le corps du Seigneur (v. 27), ne pas
discerner le corps du Seigneur (v. 29). Comme le repas familial est l’endroit
par excellence où se manifeste l’unité de la famille, ainsi la cène était le
moment où se concrétisait dans l’Église cette unité nouvelle et profonde que
le Christ crée entre des hommes et des femmes que leur race, leur origine,
leur niveau social avaient séparés jusque-là. Cette cène se célébrait d’ailleurs
généralement au cours d’un repas appelé «agape», c’est-à-dire «amour».
Comme l’enfant qui a commis une faute est exclu de la table familiale et doit
prendre son repas tout seul, celui qui se rendait coupable d’un péché grave ou
d’une hérésie était «excommunié» c’est-à-dire exclu de la communion de la
cène (1 Corinthiens 5: 11) et c’était là le châtiment le plus sévère.
Persévérer dans la fraction du pain était pour l’église locale le meilleur
moyen de persévérer dans l’unité, car ce pain rompu leur rappelait chaque
fois le prix que le Seigneur avait dû payer pour faire d’eux, grains épars et
dispersés, une seule pâte et un seul pain (1 Corinthiens 10: 17). Par l’examen
de conscience auquel la participation à la cène exhortait régulièrement (1
Corinthiens 11: 27-29), tous les sentiments d’animosité, de jalousie, de
rancune qui pouvaient naître dans le cœur contre un frère devaient être
extirpés à l’état de germe (Matthieu 5: 23-24). La racine de ce qui pouvait
conduire à des divisions se trouvait régulièrement arrachée et l’unité du corps
local était sauvegardée.

Ils persévéraient dans les prières


Les Actes mentionnent fréquemment des réunions de prière. La prière
est l’un des principaux facteurs d’unité parce qu’elle resserre les liens de
chacun et de l’ensemble avec le centre. Or, chacun sait que dans un cercle,
plus on se rapproche du centre, plus on se rapproche les uns des autres. La
croissance dans la foi et dans la connaissance est en même temps un facteur
d’approfondissement de l’unité (Éphésiens 4: 13-16). Les divergences de
point de vue qui peuvent subsister sont résolues, non par la discussion, mais
par l’action du Seigneur sur chacun des membres (Philippiens 3: 15).
Remarquons que, malgré les divisions constatées dans certaines églises
des temps apostoliques (1 Corinthiens et 3 Jean), nous ne trouvons nulle part,
dans les épîtres, une exhortation à prier pour l’unité. Pourquoi? Parce que ce
serait nier l’œuvre accomplie du Christ. La prière de Jésus et sa mort sur la
croix sont entièrement suffisantes pour le salut comme pour l’unité des
croyants. Nulle part nous ne sommes exhortés à supplier: «Seigneur, sauve-
nous». Le salut nous est toujours présenté comme accompli en Christ, nous
n’avons qu’à le saisir par la foi.
Il en est de même de l’unité. Si j’ai en face de moi un frère en Christ, né
de nouveau par l’action du Saint-Esprit en lui, alors nous sommes un en
Christ. Sur la base de cette unité spirituelle, de l’habitation du Christ en nous
deux par son Esprit, je puis croire que les divergences actuelles seront
surmontées au fur et à mesure de notre croissance en Christ. Ma prière sera,
non pas que Dieu nous unisse – ce serait de l’incrédulité – mais qu’il nous
fasse croître spirituellement l’un et l’autre afin que le Christ grandisse en
chacun de nous, que tout ce qui vient du monde et de l’homme diminue.
Ainsi, notre unité se manifestera de plus en plus concrètement et
profondément. Si j’ai en face de moi un «non croyant», même christianisé et
de bonne volonté, alors un abîme nous sépare et il n’y a aucune unité
spirituelle entre nous (2 Corinthiens 6: 14-18). Il ne peut même pas y avoir de
véritable unité, car nous appartenons à deux mondes aussi dissemblables que
le règne de la vie et celui de la mort (Éphésiens 2: 1-7; Luc 15: 24). La seule
prière que je puisse faire pour réaliser l’unité entre nous sera une prière pour
son salut.

Le secret de l’unité dans l’Église universelle

Indépendance des églises locales


Dans l’Église primitive, les différentes églises locales étaient autonomes
et indépendantes, il n’existait entre elles aucun lien d’organisation, au-dessus
d’elles, aucune autorité supra-locale pour les commander. Le lien entre elles
était un lien vivant: les apôtres et les frères qui voyageaient d’une assemblée
à l’autre. L’apôtre, il est vrai, se sentait autorisé à donner des directives et
même des ordres aux églises qu’il avait fondées. Cependant, pour toutes les
questions d’organisation interne, il veillait à ce que l’autonomie de chaque
assemblée soit maintenue. C’est l’église locale dans son ensemble qui:
• Nomme les anciens (Actes 14: 23) et les diacres (Actes 6: 3);
• Délègue certaines fonctions (2 Corinthiens 8: 19; Actes 15: 22; 1
Corinthiens 16: 3);
• Examine les questions de doctrine (Actes 15: 1-29);
• Exerce la discipline en son sein (Matthieu 18: 17; 1 Corinthiens 5: 11-
13; 2 Corinthiens 13: 1; 1 Thessaloniciens 5: 14; 2 Thessaloniciens
3: 6-15; Jude 22);
• Gère ses finances (Romains 15: 26-27; 1 Corinthiens 16: 1-4; 2
Corinthiens 8: 18-24; 11: 8; Philippiens 4: 15-16).
Aussi longtemps que cette indépendance a été maintenue, beaucoup de
difficultés ont été évitées aux églises. La plupart des schismes sont nés à
l’échelon supra-local lorsqu’une église voulait imposer sa loi aux autres 7.
Cependant, autonomie des assemblées locales ne signifie pas absence de
liens et de relations ou même de communion entre les églises.

Quelles étaient les formes et les conditions des relations entre les
églises primitives?
Les apôtres ne se contentaient pas de fonder des églises et de les
recommander à la grâce de Dieu.
Retournons visiter les frères, [disait l’apôtre Paul,] dans toutes les villes où nous avons annoncé
la parole du Seigneur, pour voir où ils en sont.(Actes 15: 36)

Ils portaient sur leur cœur le souci de la responsabilité de ces jeunes


églises. Ce souci trouve son expression constante dans les lettres qu’ils leur
écrivent 8. Quand ils ne peuvent eux-mêmes aller voir les nouveaux
convertis, ils leur envoient un de leurs collaborateurs (1 Thessaloniciens 3: 1-
3), demandant aux églises de le recevoir comme elles recevraient les apôtres
eux-mêmes 9. D’une façon générale, les épîtres fourmillent d’allusions à des
voyages de frères et de sœurs entre les églises 10. Ces relations maintenaient
vivants les liens d’affection entre des chrétiens qui ne se connaissaient
souvent pas de visage. On est frappé de la place que tiennent les salutations
personnelles dans les épîtres: preuve de l’importance et du caractère
personnel de ces liens entre assemblées. La prière des chrétiens pour tous
leurs frères occupait également une place importante dans l’Église primitive,
comme nous l’avons vu.
Cette unité entre les églises prenait aussi, à l’occasion, une forme plus
concrète: l’église de Philippes soutenait le ministère apostolique de Paul en
lui envoyant des dons (Philippiens 4: 15-16); fréquemment, les apôtres
recommandaient aux églises de pourvoir aux besoins des serviteurs
voyageant d’une église à l’autre 11.

Pourquoi les croyants sont-ils restés unis dans l’Église


universelle?
Le secret de l’unité dans l’Église universelle est le même que pour
l’église locale. Les croyants sont restés unis entre eux car ils ont persévéré
dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la
fraction du pain et dans les prières.

Ils sont restés unis parce qu’ils ont persévéré…


… dans l’enseignement des apôtres
Nous nous rendons compte, en lisant les épîtres du NT, de l’importance
que les apôtres attachaient à la vraie doctrine telle qu’ils l’avaient prêchée.
L’apôtre Paul, qui n’avait pas été l’un des Douze, s’efforce particulièrement
de conserver une pleine harmonie entre sa prédication et celle des autres
apôtres (voir Actes 15; 16: 4; Galates 2: 6-10; 1 Corinthiens 15: 11) et il
exhorte les disciples à persévérer dans cet enseignement pour rester en
communion avec les autres églises de Dieu. C’est là une des raisons
principales de ses voyages dans les églises qu’il avait fondées et, là où il ne
peut aller, il envoie des lettres pour maintenir l’unité de la foi. Pour nous
aussi, il est d’importance primordiale de maintenir notre enseignement en
parfaite harmonie avec les affirmations de la Parole de Dieu si nous voulons
conserver l’unité de la foi. Les divisions les plus graves de la chrétienté sont
nées en même temps que les doutes sur l’autorité et l’inspiration de la Bible.
Les chrétiens qui voyageaient d’une église à l’autre apportaient, en plus
des salutations et des nouvelles, des exhortations, des encouragements, des
messages d’édification aux chrétiens (1 Thessaloniciens 3: 2). Mais, à côté de
ces chrétiens approuvés par les apôtres, voyageaient d’autres prédicants qui
se prétendaient aussi serviteurs de Dieu, prophètes ou apôtres. Les apôtres
mettent les croyants en garde avec une sévérité exceptionnelle contre ces faux
ouvriers, ces faux prophètes, ces faux apôtres (Romains 16: 18; 2 Corinthiens
11: 4-5, 13; Galates 1: 7-9; 5: 10-12; Philippiens 3: 2-3; Tite 1: 10; Jude 12; 2
Pierre 2: 1; 1 Jean 4: 1; 2 Jean 7).
Beaucoup d’entre eux avaient commencé par prêcher la vraie doctrine
mais n’avaient pas persévéré dans l’enseignement des apôtres (1 Timothée 1:
19-20; 6: 21; 2 Timothée 2: 17-18; 1 Jean 2: 18-19; 2 Jean 9). C’est pourquoi
ces derniers demandent aux chrétiens de ne pas les recevoir et de ne pas les
écouter (2 Jean 7-11).
… dans la communion fraternelle
Les chrétiens voyageaient beaucoup au temps des apôtres, les épîtres en
font foi. Ainsi la communion fraternelle débordait le cadre étroit de la petite
communauté locale et s’étendait peu à peu à l’ensemble du corps du Christ.
Cette communion se concrétisait, à l’occasion, par l’entraide pratique entre
les églises, par exemple par la participation à cette grande collecte organisée
par l’apôtre Paul en faveur de l’église de Jérusalem éprouvée par la famine (1
Corinthiens 16: 1-12; 2 Corinthiens 8 à 9). Toutes les églises que l’apôtre
pouvait atteindre ont contribué à cette collecte en faveur de leurs frères
éprouvés par la famine.

… dans la fraction du pain


L’ensemble des tables du Seigneur dressées à travers tout l’Empire
romain était considéré comme une seule table. C’est probablement la raison
des lettres de recommandation dont nous trouvons mention dans le Nouveau
Testament (voir Actes 18: 27; Romains 16: 1-2). Il était certainement
impensable qu’un frère soit excommunié d’une église pour des raisons de
discipline et admis à la cène dans une autre église. Toutes ces fractions du
pain n’étaient que la préfiguration de ce grand banquet du royaume des cieux
où tous les enfants de Dieu seront rassemblés, de l’Orient et de l’Occident, du
Septentrion et du Midi, et où le Fils de Dieu accomplira la promesse qu’il
avait laissée à ses disciples la veille de sa mort: Matthieu 26: 29.

… et dans les prières


Les prières étaient celles de l’apôtre pour tous les chrétiens (Romains 1:
10; Philippiens 1: 3-4; Colossiens 4: 12), des chrétiens pour l’apôtre
(Colossiens 4: 3; 1 Thessaloniciens 5: 25), de chaque chrétien pour tous ceux
qui appartiennent à Dieu (Éphésiens 6: 18). Par ces prières, chacun se savait
lié à l’ensemble des frères et sœurs en Christ dispersés à travers le monde.
Pour les premiers chrétiens, l’unité était une réalité vécue.

«Que tous soient UN»


Comment les apôtres ont-ils parlé de l’unité? À quel genre d’unité
pensaient-ils? Étudions tous les textes des épîtres qui en parlent. Relisez-les
avant de continuer cette étude: Romains 12: 4-5; 1 Corinthiens 1: 10; 10: 17;
12: 12-27; Éphésiens 1: 23; 2: 14-18; 4: 1-16; Philippiens 2: 1-5; Colossiens
2: 19; 3: 15. Essayons de tirer de l’étude de ces textes quelques conclusions
d’ensemble.

L’unité de l’Église est fondée sur la mort du Christ


Déjà le Seigneur avait fait le lien entre l’unité du «seul troupeau»,
composé des Juifs et des non-Juifs, et le don de sa vie:
J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie; celles-là, il faut aussi que je les
amène; elles entendront ma voix, et il y aura un seul troupeau, un seul berger. Le Père
m’aime, parce que je donne ma vie, afin de la reprendre. Personne ne me l’ôte, mais je la
donne de moi-même; j’ai le pouvoir de la donner et j’ai le pouvoir de la reprendre; tel est
l’ordre que j’ai reçu de mon Père. (Jean 10: 16-18)

Le grand-prêtre, dans le sanhédrin, «déclara, sous l’inspiration de Dieu,


qu’il était «avantageux [...] que [ Jésus] meure pour [son] peuple». Et l’apôtre
Jean ajoute: «Et non seulement pour la nation, mais aussi afin de réunir en un
seul (corps) les enfants de Dieu dispersés» ( Jean 11: 50-52).
L’apôtre Paul a plusieurs fois souligné ce lien entre la mort du Christ et
l’unité de son corps:
La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas la communion au sang du Christ?
Le pain que nous rompons, n’est-il pas la communion au corps du Christ? Puisqu’il y a un
seul pain, nous qui sommes plusieurs, nous sommes un seul corps; car nous participons tous à
un même pain. (1 Corinthiens 10: 16-17)

L’amour du Christ nous étreint, nous qui avons discerné ceci: un seul est mort pour tous, donc
tous sont morts; il est mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes,
mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux […] Si quelqu’un est en Christ, il est une
nouvelle créature. Les choses anciennes sont passées; voici: (toutes choses) sont devenues
nouvelles. Et tout cela vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par Christ, et qui nous a
donné le service de la réconciliation. (2 Corinthiens 5: 14-18)

Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, étant devenu malédiction pour nous – car
il est écrit: «Maudit soit quiconque est pendu au bois» – afin que, pour les païens, la
bénédiction d’Abraham se trouve en Jésus-Christ et que, par la foi, nous recevions la
promesse de l’Esprit […]
Vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juifs ni
Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous tous, vous êtes
un en Christ-Jésus.
Et si vous êtes à Christ, alors vous êtes la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse.
(Galates 3: 13-14, 27-29)
Un seul corps
L’image la plus fréquente de l’Église – la seule que l’apôtre emploie
lorsqu’il parle de l’unité – est celle d’un corps dont le Christ est la tête.
• Un corps humain est une unité de vie, de croissance et de mouvement.
• Les millions de cellules qui le composent ont entre elles une certaine
identité: ce sont des cellules humaines. Plus que cela, ce sont des
cellules individualisées, portant certains caractères spécifiques qui
les distinguent des cellules d’un autre homme. Entre ces cellules, il
existe une relation très intime: elles sont toutes en liaison constante
avec le centre de la vie, le cœur, et en reçoivent sans cesse la
nourriture par les innombrables vaisseaux sanguins. Elles sont
également en relation ininterrompue avec le centre directeur, le
cerveau, dont elles reçoivent les ordres par l’intermédiaire du
système nerveux. Sans parler des autres corrélations qui, pour être
moins connues, n’en sont pas moins importantes.
• Ces cellules sont également liées entre elles par une unité de destinée:
c’est ensemble qu’elles croissent, s’épanouissent, s’étiolent et
meurent. Tout ce qui affecte le corps entier ou l’un de ses organes
se ressent et se répercute jusqu’à la moindre de ses cellules:
maladie, épreuve morale, joie ou tristesse.
C’est cette unité de relation et de destinée que souligne l’apôtre dans les
passages suivants:
Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui; si un membre est honoré [Litt.:
glorifié], tous les membres se réjouissent avec lui. (1 Corinthiens 12: 26)

De lui, le corps tout entier bien ordonné et cohérent, grâce à toutes les jointures qui le
soutiennent fortement, tire son accroissement dans la mesure qui convient à chaque partie, et
s’édifie lui-même dans l’amour. (Éphésiens 4: 16)

[Attachez-vous] au chef par qui tout le corps [...] grandit d’une croissance qui vient de Dieu.
(Colossiens 2: 19)

Cette unité dans le corps n’exclut pas la diversité de dons et de


ministères, au contraire: elle la conditionne. C’est parce que les différents
membres sont dans le corps qu’ils peuvent y remplir — leur vocation d’yeux,
d’oreilles, de mains, de pieds (1 Corinthiens 12: 14-24). Mais sous prétexte
de cette diversité, le corps ne pourra jamais absorber des corps étrangers. Les
cellules qui ne s’assimilent pas à celles du corps constituent un très grand
danger pour la santé et la vie même de ce corps puisqu’elles risquent de
proliférer de manière anormale, cancéreuse, et de mettre l’organisme entier
en danger.
Cette image du corps, que le Saint-Esprit a inspirée aux apôtres, contient
bien des enseignements pour nous et nous pose des questions très directes:
• Faisons-nous partie de ce corps, sommes-nous devenus, par la
transformation que la nouvelle naissance a opérée en nous, une
cellule vivante de ce corps du Christ, en relation avec la tête et avec
les autres cellules?
• Participons-nous, en liaison avec la tête et l’ensemble du corps, à cette
croissance vers l’unité de la foi et de la connaissance, vers la stature
parfaite du Christ (Éphésiens 4: 13-15)?
• Pour participer à cette croissance, nous sommes-nous placés au
bénéfice des divers ministères que le Seigneur a donnés à son
Église pour notre édification et notre perfectionnement (Éphésiens
4: 11-13)?
• Avons-nous trouvé notre place, notre vocation, dans ce corps et y
accomplissons-nous notre fonction en vue de l’utilité commune?
Or, à chacun la manifestation de l’Esprit est donnée pour l’utilité commune. (1 Corinthiens 12:
7)

Puisque chacun a reçu un don mettez-le au service des autres en bons intendants de la grâce si
diverse de Dieu. (1 Pierre 4:10)

En obéissant à ces directives, nous contribuerons à affermir l’unité du


corps du Christ.

Un seul corps, dont l’unité n’a pas à être créée


Une deuxième remarque s’impose à nous lorsque nous lisons l’ensemble
de ces textes apostoliques relatifs à l’unité: nous y chercherions en vain une
exhortation à réaliser cette unité. «Unissez-vous» est un mot d’ordre politique
mais non un ordre divin. Pourquoi? Parce qu’un tel ordre présupposerait la
division. Or, pour les apôtres, l’unité est une réalité existante, donnée au
départ comme un cadeau du Seigneur à son Église. Elle est la réponse à la
prière du Seigneur, le fruit de sa mort sur la croix. Tout ce que les hommes
pourraient faire serait de la détruire. C’est pourquoi l’apôtre exhorte les
chrétiens à «conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix» (Éphésiens 4:
3). On ne peut conserver que ce qu’on possède. C’est «l’unité de l’Esprit»
parce que c’est le Saint-Esprit qui l’a réalisée dans les croyants, en résidant
en eux.
Nous retrouvons ici la même démarche spirituelle que pour tous les
autres domaines de la sanctification:
• «Vous êtes morts […] faites donc mourir» (Colossiens 3: 3, 5);
• «Vous êtes saints […] devenez saints dans toute votre conduite» (1
Pierre 1: 13-17);
• «Vous avez été appelés à être enfants de Dieu […] marchez d’une
manière digne de votre vocation» (Éphésiens 4: 1-2).

Ici: vous êtes UN, membres d’un même corps. Vivez de manière à
conserver et à manifester cette unité.

Un seul corps, dont l’unité doit être vécue


On s’est longtemps demandé pourquoi l’apôtre Paul avait écrit l’épître
aux Éphésiens. Il n’avait pas de fausse doctrine à combattre (comme dans 1
Corinthiens, Galates ou 2 Thessaloniciens), pas d’exhortation particulière à
transmettre (les trois premiers chapitres n’en contiennent aucune). Ce n’est
pas non plus un exposé complet de sa doctrine (rien de ce qui concerne la vie
d’église: cène, réunions, anciens et diacres, ou les événements de la fin du
monde: retour du Christ, résurrection des morts, n’y est abordé). Il voulait,
certes, enseigner toutes ces églises d’Asie menacées par la même hérésie que
celle de Colosses (puisque la lettre est une circulaire). Mais si nous
examinons cet enseignement d’un peu plus près, nous constatons que l’apôtre
souligne particulièrement l’ex-hortation à l’unité des chrétiens, en lui
accordant la première place et en la répétant – aussi bien dans la section
doctrinale que dans la partie «pratique».
C’est spécialement l’unité des convertis du judaïsme avec les chrétiens
issus du paganisme qu’il a en vue. Le dessein de Dieu est de tout réunir sous
la tête de Christ (Éphésiens 1: 10):
Nous [anciens Juifs] qui d’avance avons espéré en Christ. (1: 12)

Vous aussi [les païens], après avoir entendu […] l’Évangile de votre salut, […] vous avez cru.
(1: 13)

Vous marchiez autrefois selon le cours de ce monde. (2: 2)

Nous tous aussi [Juifs et païens], nous nous conduisions autrefois selon nos convoitises
charnelles. (2: 3)

Souvenez-vous donc de ceci: autrefois, vous, païens dans la chair. (2: 11-12)

Mais maintenant, […] vous êtes devenus proches. (2: 13)

Le Christ a créé un seul peuple avec les deux (v. 15), il les a réconciliés
en un seul corps (v. 16):
Nous avons les uns et les autres accès auprès du Père, dans un même Esprit. (v. 18)

Le mystère révélé à Paul consiste en ceci: «Les païens ont un même


héritage, forment un même corps et participent à la même promesse [que les
Juifs] en Christ-Jésus par l’Évangile» (3: 6). À cause de cela, Paul demande à
Dieu que ses lecteurs connaissent la grandeur de l’héritage qu’il leur a
accordé (1: 15-23), qu’ils puissent comprendre, avec tous les saints, toutes les
dimensions du plan ou de l’amour de Dieu (c’est-à-dire qu’ils n’aient pas un
esprit étroit), et qu’ils connaissent l’amour de Christ (qui a aimé tous les
hommes), en sorte qu’ils soient remplis de toute la plénitude de Dieu (3: 14-
21).
Après l’invitation générale à marcher d’une manière digne du Seigneur,
la première exhortation précise concerne l’unité dans l’Église (4: 3-6). Les
dons divers accordés par Christ sont destinés à fortifier cette unité (v. 9-16),
unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu (v. 13), solide
assemblage de tout le corps (v. 16). L’unité de l’esprit est conservée lorsque
chacun reconnaît les dons de l’autre, sachant que tous les charismes, si divers
soient-ils, contribuent à la même tâche: l’édification du corps unique. Les
obstacles à l’unité sont le manque d’humilité, de douceur, de patience (4: 2),
ainsi que différents péchés énumérés de 4: 17 à 5: 8: mensonge (4: 25), colère
(v. 26), malhonnêteté (v. 28), paroles mauvaises (v. 29), amertume,
animosité, méchanceté (v. 31), refus de pardonner (v. 32), paroles et conduite
contraires à la bienséance (5: 3-4), dérèglement sexuel (v. 5), vie selon les
normes des païens (v. 6-14), conduite irréfléchie (v. 15-16), ivrognerie (v.
18). Ces péchés mettent l’unité en péril, car ils créent entre les chrétiens
d’une même église des sentiments de gêne, de frustration, de rancune, de
jugement, de rejet. Le remède indiqué par l’apôtre est la transformation,
illustrée ici par l’image d’un changement d’habit (4: 22-24). En réponse à ces
péchés, l’apôtre énumère les qualités qui doivent caractériser l’homme
nouveau: vérité, bienfaisance, paroles édifiantes, pardon réciproque, bonté,
circonspection… bref, une marche dans l’amour, calquée sur le modèle de
Christ (5: 2). Comment est-elle réalisable? Par l’Esprit qui habite en nous (2:
22): il nous a scellés (1: 13; 4: 30), il nous donne accès auprès du Père (2:
18), il nous fortifie dans l’homme intérieur (3: 16), il inspire nos prières (6:
18). S’il nous remplit (5: 18), nos relations avec Dieu et avec les autres seront
transformées (5: 19-20) et nous serons, en particulier, capables de nous
soumettre les uns aux autres dans la crainte de Christ, maris et femmes (5:
22-33), parents et enfants (6: 1-4), maîtres et serviteurs (6: 5-9), et de lutter
contre l’Ennemi avec des armes spirituelles (6: 10-20).
Vue sous cet angle, l’épître aux Éphésiens semble graviter
essentiellement autour d’une exhortation à l’unité. Qu’est-ce qui a pu motiver
cette exhortation? Épaphras aurait-il apporté à Paul des nouvelles alarmantes
concernant des dissensions dans les églises d’Asie? Ce n’est pas exclu, mais
l’apôtre n’en avait pas besoin pour mettre l’appel à l’unité au premier plan
des directives générales adressées aux églises. Il savait que, partout où une
église ou un foyer s’édifie, l’adversaire cherche à semer la zizanie. C’est
pourquoi l’exhortation à l’unité figure partout en tête de ses encouragements
aux différentes églises.
Cette unité a un certain nombre de caractéristiques:
Il y a un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à une seule espérance,
celle de votre vocation; il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et
Père de tous, qui est au-dessus de tous, parmi tous et en tous. (Éphésiens 4: 4-6)

Ces sept points définissent moins des articles de foi, des vérités
dogmatiques à accepter, qu’un ensemble de caractéristiques communes à
ceux qui sont unis dans le corps. Ce sont ceux qui, parce qu’ils ont accepté
par la foi Jésus-Christ comme Sauveur et Seigneur, sont devenus enfants de
Dieu. C’est-à-dire que Dieu est leur Père, non seulement qui règne sur eux et
agit par eux, mais qui est en eux. Ils sont conduits par l’Esprit saint (c’est-à-
dire qu’ils sont en relation vivante avec la sainte Trinité). Ils ont été baptisés
du Saint-Esprit pour former un seul corps (voir 1 Corinthiens 12: 13) et ils
vivent dans l’espérance de la gloire à venir. Nous trouvons dans ces «sept
colonnes de l’unité» les caractéristiques les plus importantes d’une vie
chrétienne normale – exactement les mêmes caractéristiques que celles que
nous avions dégagées de l’étude de la prière sacerdotale:
Éphésiens Jean 17
4
Une seule Ils ont reçu les paroles de Dieu, ils ont cru en Dieu et en Jésus-
foi Christ
Un seul Issu de Dieu et envoyé par lui (v..8), un avec lui (v..10,.21) qui a
Seigneur reçu autorité sur toute l’humanité entière et qui donne la vie
éternelle (v..2)
Un seul Qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu (v..3)
Dieu et
Père
Un seul Que je sois en eux (c’est par le Saint-Esprit que le Christ vit dans
Esprit le croyant)
Un seul Ils sont sortis du milieu du monde, ils ne sont plus du monde
baptême (le baptême symbolise cette mort au monde)
Un seul Un en nous
corps
Une seule L’espérance de la vie éternelle (v..2), je veux que là où je suis
espérance ceux que tu m’as donnés soient aussi avec moi afin qu’ils
contemplent ma gloire (v..24)
Quelle définition plus complète pourrions-nous trouver des vrais
chrétiens, de ceux qui sont appelés à être un dans un même corps?
De plus, n’oublions pas que le chapitre 4 des Éphésiens commence par
les mots: «Je vous exhorte donc». L’exhortation à l’unité découle de tout ce
qui a été dit dans les trois premiers chapitres. Nous ne pouvons être un que si
nous sommes entrés dans le plan de Dieu que nous expose l’apôtre dans le
premier chapitre: élus, rachetés, devenus héritiers, scellés par le Saint-Esprit,
par la foi en l’Évangile. Que si, comme il le souligne au chapitre 2, nous
avons été affranchis de la marche selon le train de ce monde, de la puissance
du prince de ce monde, en étant revivifiés par le Christ (v. 1-7), sauvés par
grâce par le moyen de la foi (v. 8). Que si, pour nous aussi, il y a un autrefois
(v. 11-12) et un maintenant (v. 13). L’unité n’est donc pas première, pas
condition du progrès spirituel. Elle est conséquence de l’acceptation du plan
de salut dans notre vie, elle est limitée à ceux qui sont «en Christ»
(expression qui revient 35 fois dans cette épître) c’est-à-dire dans son corps.
Le «nous tous» de 4: 13 désignant ceux qui doivent être unis, ne peut se
rapporter à d’autres que le «nous tous» de 2: 3-4 qui ont été régénérés par le
Christ. Le «vous» de 4: 1 s’adresse aux mêmes destinataires que le «vous» de
1: 13, 16; 2: 8, 11, 13.

Par conséquent…
L’unité dont parlent les apôtres est une unité organique analogue à celle
d’un organisme vivant – une unité vitale, réalisée par la même vie spirituelle
coulant en chaque membre – une unité que nous ne devons ni ne pouvons
réaliser, mais qui nous est donnée en même temps que la vie nouvelle, que
nous sommes exhortés à conserver et à manifester concrètement dans notre
vie de tous les jours.

Résumé: «Que tous soient un»


• Sous ce «TOUS», l’Église primitive, comme son Seigneur, n’incluait
que ceux qui, répondant à l’appel de Jésus-Christ, avaient cru en
lui, s’étaient séparés du monde, du mal et de l’erreur, et unis aux
autres croyants dans l’Église.
• Sous ce «qu’ils SOIENT», les apôtres considéraient la prière de Jésus
comme exaucée et l’unité comme une réalité donnée. Cette unité se
manifestait par la persévérance dans l’enseignement des apôtres,
dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les
prières.
• Sous ce «UN», c’était une unité organique et vivante analogue à celle
d’un corps qu’anime la même vie et qui obéit à la même tête.

4 Jacques BLOCHER, in Le bon combat, février 1957.


5 Ruben SAILLENS, 1938, p. 36-37.
6 Document datant de la fin du Ier siècle ou du début du IIe, mais qui n’émane pas des apôtres eux-
mêmes.
7 Voir E. H. BROADBENT, 1938 et Lang, 1959.
8 Galates 4: 11, 19-20; 1 Thessaloniciens 2: 17-19; 2 Corinthiens 11: 2-4; 3 Jean 4, 14.
9 Éphésiens 6: 21-22; Philippiens 2: 29; Colossiens 4: 7-10; 3 Jean 5-6.
10 Romains 16: 1-2, 3-4, 5, 7, 12; 1 Corinthiens 16: 17-18; 2 Corinthiens 7: 6; 8: 6; 9: 3; Philippiens 4:
16; Colossiens 4: 12-14, 16; 1 Thessaloniciens 3: 6-8; Tite 3: 12; 1 Pierre 5: 12; 3 Jean 3-4, 10-
14.
11 Romains 16: 1-2; Tite 3: 13; 3 Jean 7-8.
CHAPITRE
3

L’UNITÉ DE L’ÉGLISE LOCALE


AUJOURD’HUI
Nous nous rappelons les conclusions de notre étude de la prière
sacerdotale: le Seigneur ne parle pas d’être unis mais d’être un, «un comme
nous» ( Jean 17: 11) «comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, qu’eux
aussi soient un en nous» (v. 21). Une telle unité implique une identité de
nature, d’amour et de sainteté.
Les apôtres ont souvent et longuement parlé de cette unité, et ils en ont
parlé avant les autres exhortations.
• Ils en ont souvent parlé. Plus d’une trentaine de fois, l’apôtre Paul
emploie le mot «un» (en grec: heis) en parlant de l’unité du corps
du Christ. Parmi les impératifs adressés par les épîtres aux chrétiens
et concernant la vie d’Église, c’est la préoccupation de l’unité qui
en a inspiré le plus grand nombre.
• Ils en ont longuement parlé. Des chapitres entiers lui sont consacrés.
• Ils en ont parlé avant autre chose. L’épître aux Corinthiens, ainsi que la
partie pratique des épîtres aux Romains, aux Éphésiens et aux
Philippiens, commencent par des exhortations à l’unité. La question
est donc importante aux yeux de Dieu lui-même et nous ne pouvons
la mettre simplement de côté. Il nous faut rechercher l’unité telle
que la veut le Seigneur.
Quand Dieu veut faire une œuvre nouvelle, il commence toujours par la
base, par l’homme. Si nous voulons faire de grandes choses, il ne nous faut
pas commencer par le haut, mais par le bas. Pour changer un peuple, il est
inutile de changer les lois et les constitutions, il faut transformer les hommes
qui le composent. L’histoire démontre d’ailleurs que chaque fois qu’on a
voulu unifier une Église ou unir quelques églises par voie de décrets ou de
votes, on a créé de nouvelles divisions 12. Si nous voulons travailler à l’unité
de l’Église, nous devrons commencer par travailler à l’unité dans les églises
locales qui composent l’Église générale. À quoi me servirait de me savoir
uni, sur le plan de l’organisation, avec des milliers d’églises en Amérique, en
Asie et ailleurs, de confesser le même credo que quelques centaines de
millions d’hommes si, dans mon église, nous ne sommes pas un?

Comment travailler à l’unité de mon église locale?

Commencer par la base


Là encore, je devrais commencer par la base, chercher à être un avec
ceux qui me sont les plus proches: avec ma femme ou mon mari, avec le frère
ou la sœur qui vit dans mon quartier ou qui s’assoit chaque dimanche à côté
de moi. Et pour être un, il faudra peutêtre que je commence par apprendre à
les connaître autrement que de visage et de nom, que je m’intéresse à leur
histoire, à leurs problèmes, à leurs sujets de prière, que je forme avec eux,
lorsque l’occasion s’en présente, une unité de combat pour lutter contre
l’Adversaire dans leur vie et dans la mienne. Il faudra peut-être que je chasse
de mon cœur cette méfiance et cette rancune tenaces ou cet esprit de critique
et de jugement qui forment barrière entre nous. Ce désir d’unité peut se
concrétiser de bien des manières: en invitant ceux que je ne connais pas bien,
en priant avec eux, en allant les voir pour leur confesser un tort que je leur ai
causé, une médisance, un jugement, une négligence, en travaillant avec eux à
l’œuvre du Seigneur… Rien de tel pour unir.

Les vraies causes de division


Tous ces efforts concrets de rapprochement amèneront bien vite au jour
les vraies causes de division entre nous: notre orgueil, notre susceptibilité,
notre égoïsme, notre indifférence à l’égard des problèmes et des difficultés
d’autrui, notre manque d’amour véritable. Nous serons amenés à une
véritable détresse intérieure en constatant que l’obstacle à l’unité se trouve
dans notre propre cœur, mais c’est là que le Seigneur veut nous conduire afin
que, dans notre détresse, nous criions à lui. Alors nous comprendrons peut-
être cette parole que l’apôtre Paul place au centre de ses exhortations à
l’unité:
Car c’est dans un seul Esprit que nous tous, pour former un seul corps, avons tous été
baptisés. (1 Corinthiens 12: 13)

Pour que l’unité du corps puisse être réalisée, il faut que la réalité
spirituelle du baptême du Saint-Esprit soit vécue. Ce n’est pas par hasard que
le baptême d’eau, qui symbolise le baptême de l’Esprit, a été placé par toutes
les confessions comme condition d’entrée dans l’Église. Or, qu’est-ce qu’un
baptême? C’est une noyade, un enterrement. Par le Saint-Esprit, notre vieux
moi orgueilleux et égoïste – celui qui veut toujours la première place, qui
croit tout savoir mieux que les autres, notre moi susceptible, irascible et
entêté – a été noyé, tué (voir Romains 6: 1-10.) À sa place, cet Esprit dans
lequel nous avons été immergés nous pénètre graduellement, comme l’eau
chasse et remplace l’air de l’éponge qu’on y a plongée. Or, cet Esprit, c’est
l’Esprit du Christ, qui est humilité, douceur, patience, paix, amour:
exactement les qualités qu’il nous faut pour vivre dans l’harmonie avec nos
frères et sœurs et réaliser cette unité profonde et réelle.
Tout ce que l’apôtre nous exhorte à être dans ses épîtres, l’Esprit du
Christ le produit en nous. Automatiquement? Certes non! Sinon à quoi
serviraient toutes ces exhortations? Notre part consistera:
• En premier lieu, en un acte de foi dans la réalité de la mort de notre
vieil homme au moment de notre baptême de l’Esprit et dans
l’habitation de l’Esprit du Christ en nous;
• En second lieu, en un transfert des commandes, au moment de la
tentation, de notre moi au Christ.

Le chemin pratique de l’unité


Relisons les passages dans lesquels l’apôtre parle de l’unité et posons-
nous, durant cette lecture, la question: Que faire pour prendre conscience de
cette unité et la transposer sur le plan pratique?

Dans l’épître aux Romains


Je vous exhorte donc, frères, par les compassions de Dieu, à offrir vos corps comme un
sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable. Ne vous
conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de
l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu: ce qui est bon, agréable et
parfait. Par la grâce qui m’a été donnée, je dis à chacun d’entre vous de ne pas avoir de
prétentions excessives et déraisonnables, mais d’être assez raisonnables pour avoir de la
modération, chacun selon la mesure de foi que Dieu lui a départie. En effet, comme nous avons
plusieurs membres dans un seul corps, et que tous les membres n’ont pas la même fonction,
ainsi, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps en Christ et nous sommes tous
membres les uns des autres. Mais nous avons des dons différents, selon la grâce qui nous a été
accordée: si c’est la prophétie, (que ce soit) en accord avec la foi; si c’est le diaconat, que ce
soit dans (un esprit) de service; que celui qui enseigne (s’attache) à l’enseignement; celui qui
exhorte, à l’exhortation; que celui qui donne (le fasse) avec simplicité; celui qui préside, avec
empressement; celui qui exerce la miséricorde, avec joie. (Romains 12: 1-8)

L’apôtre Paul s’adresse à une église locale: les ministères qu’il énumère
(Romains 12: 6-8) supposent le cadre d’une assemblée locale. Les
exhortations des versets 4-5 se rapportent donc à l’unité de l’église locale.
Comment réaliser cette unité?
• v. 1: par l’offrande de son corps, par sa consécration à Dieu;
• v. 2: en étant transformé;
• v. 3: par l’humilité.
Lisez aussi la dernière exhortation de l’épître, en Romains 15: 5-7.

Dans la première épître aux Corinthiens


Je vous exhorte, frères, par le nom de notre Seigneur Jésus-Christ: [...] soyez en plein accord
dans la même pensée et dans la même opinion. (1 Corinthiens 1: 10)

C’est la première exhortation de l’épître et elle concerne aussi une église


locale. L’apôtre emploie ici un terme qui implique une action progressive
(katartizô): rendre parfait, fini, amener quelque chose, un assemblage par
exemple, à une finition, une adaptation parfaite.
Puisqu’il y a un seul pain, nous qui sommes plusieurs, nous sommes un seul corps; car nous
participons tous à un même pain. (10: 17)

Le moment de la cène est le moment où cette unité de l’église locale


s’exprime et se témoigne.
Il y a diversité de dons, mais le même Esprit; diversité de services, mais le même Seigneur;
diversité d’opérations, mais le même Dieu qui opère tout en tous. (12: 4-6; cf. 12: 12-27)

Il y a unité de vie, de croissance et de mouvement, créée par l’Esprit (v.


13).
Unité dans la diversité. La part de l’homme pour maintenir cette unité
consiste à accepter, sans complexe d’infériorité (v. 15-16) ni de supériorité
(v. 21), l’ordre établi par Dieu, la diversité des dons, des vocations et des
ministères, et la place que Dieu nous a assignée dans le corps.

Les deux unités en Éphésiens 4: 1-16


Dieu donne une unité de départ… qu’il s’agit de conserver:
En vous efforçant de conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix. (v. 3)

Il donne aussi une unité de but.


Cette unité de but est liée à l’espérance commune et à la maturité
spirituelle:
Jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de
Dieu, à l’état d’homme fait, à la mesure de la stature parfaite du Christ. (v. 13)

Cette unité de but est liée à l’union intime avec le Christ:


De lui, le corps tout entier bien ordonné et cohérent, grâce à toutes les jointures qui le
soutiennent fortement, tire son accroissement dans la mesure qui convient à chaque partie, et
s’édifie lui-même dans l’amour. (v. 16)

Travailler à la croissance spirituelle de l’Église, c’est donc travailler à


l’unité.
L’unité de départ porte un certain nombre de caractéristiques que nous
avons déjà analysées (v. 4-6): non pas des vérités dogmatiques à croire, mais
des caractères communs à tous ceux qui sont appelés à être unis.

Il ne suffit cependant pas que ces caractères soient là une fois pour
toutes pour que l’unité soit maintenue. Les vérités spirituelles ne sont pas des
étiquettes que l’on colle sur un flacon: elles demandent à être vécues jour
après jour. Nous maintenons l’unité du corps lorsque nous demeurons sous la
direction de l’Esprit, les yeux fixés sur notre commune espérance et
vocation, obéissant à Jésus-Christ comme au Seigneur (qui a le droit de tout
exiger de nous), vivant journellement notre baptême (la mort à nous-mêmes,
à notre volonté propre), ayant en vue la gloire de Dieu qui est Père de tous,
parmi tous et en tous les frères qui vivent avec moi.
Quand l’apôtre parle d’unité, il place cette question, non dans un
contexte dogmatique, («voilà les vérités auxquelles chacun devra adhérer»),
mais dans un contexte d’exhortations morales. Lisez les versets 1 à 3 qui
exhortent à l’humilité, à la douceur, à la patience, au support mutuel, à la
charité et à la paix. Pourquoi? Parce que ce qui menace l’unité, ce ne sont pas
tant les divergences d’opinions (cf. Philippiens 3: 15) que l’orgueil, la dureté
de cœur, l’impatience et le manque d’amour.
Garde-les en ton nom, ce nom [c’est-à-dire dans tout ce que représente ce nom: sainteté, amour,
patience] que tu m’as donné, afin qu’ils soient un comme nous. (Jean 17: 11)

L’apôtre dit par exemple: «Je vous exhorte […] à marcher […] en toute
humilité» (Éphésiens 4: 1-2). Un frère vient de prendre une décision dans
l’église mais je n’approuve pas cette décision. «Si on m’avait écouté… si on
m’avait laissé faire… De toute façon, je n’en ferai qu’à ma tête puisque je
suis sûr d’avoir raison…». Ainsi parle le vieux «moi» orgueilleux. Si je veux
marcher dans l’humilité, je considère ce «moi» comme noyé, crucifié avec le
Christ (Romains 6: 11). Ses raisonnements n’ont donc plus à influencer mon
comportement, j’écoute ce que dit l’humilité qui vient de l’Esprit de Christ.
Or, l’humilité me dit de considérer les autres comme supérieurs à moi-même
et cet Esprit qui habite en moi m’accorde la grâce de pouvoir le faire en toute
vérité. L’humilité me dit de me soumettre aux autres – en particulier à ceux
qui ont autorité dans l’Église – «dans la crainte de Christ» (Éphésiens 5: 21;
Hébreux 13: 17; 1 Thessaloniciens 5: 12; 1 Pierre 5: 5). En obéissant à cet
Esprit, j’aurai fait un grand pas dans la direction de l’unité de mon église. En
effet, un examen impartial de l’histoire de l’Église nous permet de conclure
que c’est l’orgueil qui a été la cause de toutes les divisions des églises et que
c’est l’humilité jointe à l’amour qui en sauvegarde l’unité.
«En toute humilité et douceur» (Éphésiens 4: 2). Au lieu d’exploser
quand on m’a vexé, d’aller reprendre vivement le frère qui a mal fait, de
répondre du tac au tac, je vais l’aborder avec douceur, gentiment, avec
l’amour qui ne soupçonne pas le mal, mais accorde le bénéfice du doute,
cherchant à «gagner le frère» (Matthieu 18: 15). La douceur a déjà plus d’une
fois sauvegardé l’unité de l’église locale.
«Avec patience. Supportez-vous les uns les autres avec amour»
(Éphésiens 4: 2): si l’autre n’évolue pas aussi vite que je le désirerais, s’il met
du temps à comprendre et à adopter mes vues, qui me paraissent pourtant
évidentes et bibliques, si même il me semble mettre en œuvre toute son
ingéniosité à déformer mes intentions, à contrecarrer mes projets, à
neutraliser mon influence, je ne suivrai ni les impulsions de mon vieux moi ni
la voix du diviseur qui me suggèrent de planter là ces entêtés et de me retirer
dans ma coquille, mais je laisserai libre cours à l’Esprit de Jésus qui a
supporté pendant trois ans cette poignée d’hommes charnels, égoïstes, lents à
comprendre, et qui a réussi finalement à en faire l’équipe la plus
désintéressée, la plus spirituelle, la plus soudée que le monde ait jamais vue.
En parlant de l’amour, l’apôtre emploie ici la même expression que celle
qu’il utilise pour désigner l’amour de Dieu envers les hommes. Cela n’est
possible que parce que cet «amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le
Saint-Esprit qui nous a été donné» (Romains 5: 5).
«En vous efforçant» (Éphésiens 4: 3): il y a donc un effort à faire, l’unité
ne se conservera pas d’elle-même parce que rien ne suscite tant la colère et
l’activité du diviseur qu’une Église unie. Plus nous serons unis, plus il
cherchera à nous attaquer, plus les efforts seront nécessaires pour conserver
l’unité de l’Esprit.
«De conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix» (Éphésiens 4: 3):
c’est par l’Esprit que nous avons été unis, mais nos âmes (selon la Bible: nos
pensées, nos sentiments, nos volontés) n’ont pas encore trouvé cette unité.
Elle sera le fruit de «l’œuvre du service» (v. 12).
Mais en attendant d’être parvenus à cette «unité de la foi et de la
connaissance […], à l’état d’homme fait, à la mesure de la stature parfaite du
Christ» (v. 13), que du moins nos esprits restent parfaitement un dans le lien
de la paix: qu’ils s’unissent pour la prière, la communion fraternelle, la
fraction du pain, l’étude de la Parole de Dieu et tout autre moyen spirituel de
progresser vers cette stature parfaite du Christ. Et, plus le Christ prendra de
place dans nos vies, plus nous nous découvrirons véritablement et
profondément UN, car le Christ n’est pas divisé, il ne divise pas mais unit par
l’action de son Esprit tous ceux qui lui appartiennent. Venant de côtés
différents, nous gravissons une même montagne. À mesure que nous nous
rapprocherons du sommet, nous nous rapprocherons aussi les uns des autres.

Le chemin de l’unité en Philippiens 2


N’avez-vous pas trouvé dans le Christ un réconfort, dans l’amour un encouragement, par
l’Esprit une communion entre vous? N’avez-vous pas de l’affection et de la bonté les uns pour
les autres? Rendez donc ma joie complète: tendez à vivre en accord les uns avec les autres. Et
pour cela, ayez le même amour, une même pensée, et tendez au même but. Ne faites donc rien
par esprit de rivalité, ou par un vain désir de vous mettre en avant; au contraire, par humilité,
considérez les autres comme plus importants que vous-mêmes; et que chacun regarde, non ses
propres qualités, mais celles des autres. Tendez à vivre ainsi entre vous, car c’est ce qui
convient quand on est uni à Jésus-Christ.

Lui qui, dès l’origine,


était de condition divine,
ne chercha pas à profiter
de l’égalité avec Dieu,
mais il s’est dépouillé lui-même,
et il a pris la condition du serviteur.
Il se rendit semblable
aux hommes en tous points,
et tout en lui montrait
qu’il était bien un homme.
Il s’abaissa lui-même
en devenant obéissant,
jusqu’à subir la mort,
oui, la mort sur la croix.

C’est pourquoi Dieu l’a élevé


à la plus haute place
et il lui a donné le nom
qui est au-dessus de tout nom,
pour qu’au nom de Jésus
tout être s’agenouille
dans les cieux, sur la terre
et jusque sous la terre,
et que chacun déclare:
Jésus-Christ est Seigneur
à la gloire de Dieu le Père.
(Philippiens 2: 1-11 – Semeur)

Ce passage place l’exhortation à l’unité dans ce même contexte: même


sentiment, même amour, même âme, même pensée (la pensée dont il est
question ici désigne plutôt l’attitude et le comportement que l’adhésion
purement intellectuelle à une vérité; voir 3: 15; 4: 2, 7).
Comment garder cette unité?
Verset 3: en ne laissant jamais l’esprit de parti ou de gloriole vaine
inspirer nos actions. Combien d’églises ont été ruinées par cet esprit qui
divisait les Corinthiens: «Moi je suis de Paul, moi d’Apollos, moi de
Céphas», par la vaine gloire d’une idée, d’un principe ou d’un homme.
Verset 3: par humilité, une humilité authentique qui nous fera estimer
les autres comme étant supérieurs à nous-mêmes. La division commence
toujours quand un membre de l’Église se juge plus sage, plus capable ou plus
spirituel que les autres et lorsque d’autres membres l’encouragent dans cette
opinion par leurs éloges, leur assentiment ou leurs critiques des autres frères.
Chacun de nous porte en lui l’âme d’un petit dictateur et estime que si c’était
lui qui gouvernait, cela irait bien mieux. Chacun de nous entretient une
secrète aspiration au pouvoir qui procède de celui qui, un jour, a dit en son
cœur: «Je monterai au ciel, j’élèverai mon trône audessus des étoiles de Dieu,
je siégerai sur la montagne de la Rencontre […] Je monterai sur le sommet
des nues, je serai semblable au Très-Haut» (Ésaïe 14: 13-14).
La soif du pouvoir date d’avant la création des hommes. La Bible nous
dévoile la destinée de cet «astre brillant 13, fils de l’aurore» (Ésaïe 14: 12)
devenu le diabolos, c’est-à-dire le séparateur, le diviseur. Il inculque aux
hommes son esprit de division en même temps que son instinct de puissance.
Mais quelqu’un a suivi un itinéraire opposé. Au lieu de dire: Je
monterai, je m’élèverai (cf. Ésaïe 14: 13), il dit: «il n’a pas estimé comme
une proie à arracher d’être égal avec Dieu [de gouverner à sa place],
mais il s’est dépouillé lui-même en prenant la condition d’esclave, en
devenant semblable aux hommes; après s’être trouvé dans la situation
d’un homme, il s’est humilié lui-même en devenant obéissant jusqu’à la
mort, la mort de la croix» (Philippiens 2: 6-8).
Conséquence: «Dieu l’a souverainement élevé» (Philippiens 2: 9).
Le chemin de la croix a mené le Christ au trône que convoitait Lucifer,
mais par un itinéraire diamétralement opposé à celui que Satan avait
emprunté. Pour parvenir à l’unité de l’Église, l’apôtre ne connaît pas d’autre
chemin: «Ayez en vous la pensée qui était en Jésus-Christ» qui s’est humilié
jusqu’à la croix.

Unité de doctrine?
Nous tous donc qui sommes des hommes faits ayons cette pensée, et si sur quelque point vous
avez une pensée différente, Dieu vous révèlera aussi ce qu’il en est. (Philippiens 3: 15)

L’identité de vue sur tous les points n’est pas nécessaire à l’unité. Il est
parfaitement possible d’avoir, dans une même assemblée, des opinions
différentes sur des enseignements ou des pratiques autres que les vérités
essentielles du salut, à condition de respecter les directives que donne l’apôtre
Paul aux Romains (14: 1-5). La hantise de l’uniformité de la doctrine a
constitué au contraire bien souvent un piège menant tout droit à la division.
Au cours des siècles, d’innombrables doctrines sont devenues tour à tour
des pommes de discorde. Placée tout à coup sur le chandelier, une question
sur laquelle on aurait bien pu conserver différentes interprétations, devenait le
«Schiboleth» (la pierre de touche) de la fidélité à la volonté de Dieu. Au lieu
d’admettre les deux interprétations possibles, on se cristallisait autour de cette
doctrine et on exigeait de chaque chrétien qu’il prenne position pour ou
contre l’une des interprétations. La question du Filioque (Le Saint-Esprit
procède-t-il aussi du Fils ou seulement du Père?), de la cène (présence réelle
ou commémoration), de la prédestination et de la liberté, du lavement des
pieds, de la prière et du voile de la femme, de l’enlèvement de l’Église, du
millénium, de l’unité de l’Église même, et bien d’autres sont ainsi devenues à
tour de rôle des sujets de querelles théologiques, de discordes et de divisions
entre frères et sœurs en Christ. Au lieu de consacrer leurs efforts à leur
édification et à l’évangélisation, les chrétiens voyaient tout leur temps, toute
leur énergie et toutes leurs pensées mobilisés pour des controverses et des
discussions stériles. Des sentiments de méfiance, de suspicion, de critique et
de jugement s’insinuaient dans leur cœur. L’Église se trouvait divisée en
camps opposés, d’où son impuissance en interne et ses scandales devant le
monde.
Sous prétexte de travailler à l’unité de doctrine, on faisait le jeu de
l’ennemi. Notons bien qu’il ne s’agissait pas, dans ces différents cas, de
l’introduction d’une fausse doctrine – la Parole de Dieu nous demande d’être
vigilants sur ce point – mais de la mise en relief exagérée d’une doctrine
biblique. Toute insistance unilatérale sur un point particulier est le
commencement d’une hérésie et porte en elle un germe de division. Sortir
une doctrine de l’harmonie biblique et lui donner plus d’importance que la
Parole de Dieu ne lui en donne, oblige automatiquement d’autres frères à
relever la doctrine complémentaire pour rétablir l’équilibre. Autour des
protagonistes de ces deux aspects de la vérité, les chrétiens se groupent alors
en partis opposés.
Combien plus sage est l’attitude que recommande ici l’apôtre aux
Philippiens, mais elle exige davantage d’humilité, de patience, de confiance
en Dieu, de persévérance dans la prière et dans l’amour. Cette attitude
demande aussi de notre part une confiance dans le frère: qu’il soit sensible à
la voix de l’Esprit, ouvert à son influence et désireux de faire la volonté de
Dieu et de progresser en Christ. Watchman Nee disait:
La chair aimerait n’inclure dans l’Église que ceux qui ont les mêmes vues que nous et exclure tous
ceux dont les vues diffèrent des nôtres. Être associé constamment et intimement avec des gens dont
l’interprétation de l’Écriture ne correspond pas à la nôtre est dur pour la chair, mais c’est excellent
pour l’esprit. Dieu n’a pas recours à la division pour résoudre le problème, il se sert de la croix. Il
voudrait que nous soyons soumis à la croix afin qu’à travers les difficultés même de la situation, la
douceur et la patience et l’amour du Christ puissent s’épanouir dans nos vies. Dans de telles
conditions, si nous ne connaissons pas la croix, nous argumenterons probablement, nous perdrons
patience et finalement, nous irons de notre côté. Il se peut que nous ayons des vues justes mais Dieu
nous donne une occasion d’adopter une attitude juste. Il se peut que nous croyions correctement
mais Dieu nous éprouve pour voir si nous aimons correctement… Dieu voudrait que nous
marchions dans l’amour envers tous ceux qui tiennent à des vues contraires à celles qui nous sont
chères (Romains 14: 15). Cela ne veut pas dire que tous les membres d’une Église puissent avoir
chacun les vues qui lui plaisent… Par un enseignement patient, nous pouvons être capables d’aider
chacun à parvenir à «l’unité de la foi». Si nous nous attendons patiemment au Seigneur, il peut
accorder aux autres la grâce de changer leurs vues, ou bien il peut nous accorder la grâce de
reconnaître que nous n’enseignons pas si bien que nous le pensions. Rien n’éprouve autant la
spiritualité de quelqu’un qui enseigne, que l’opposition à son enseignement. Celui qui enseigne doit
apprendre l’humilité, mais tous les autres croyants doivent l’apprendre de même. S’ils reconnaissent
leur place dans le corps, ils sauront qu’il n’est pas donné à chacun de définir des questions de
doctrine. Ils doivent apprendre à se soumettre à ceux qui ont été choisis par Dieu pour le ministère
spécifique d’enseigner son peuple. Des dons spirituels et une expérience spirituelle sont nécessaires
pour l’enseignement spirituel; par conséquent, il n’est pas donné à chacun de pouvoir enseigner 14.

Oscar Cullmann, professeur aux universités de Strasbourg, de Paris et de


Bâle, ainsi qu’à l’École pratique des Hautes Études, observateur au Concile
de Vatican ii , cofondateur de l’Institut œcuménique de Jérusalem et membre
de l’Institut de France, a publié ses vues sur l’œcuménisme dans deux livres
15. Il plaide, comme son collègue bâlois Karl Barth 16, pour le respect des
diversités entre les églises et pour une communion avec les églises-sœurs
«avant d’avoir vu réalisés en elles les changements et les réformes
nécessaires». Il préconise de chercher, «non une unité d’assimilation par la
réduction progressive des différences, mais une unité de complémentarité par
le respect des différences […], lieu d’une complémentarité enrichissante des
charismes et de la tolérance réciproque des divergences non surmontées, et
peut-être insurmontables» (p. 95). L’œcuménisme évangélique aurait tout
intérêt à s’inspirer de ces conseils, valables aussi bien dans l’église locale que
pour les relations entre églises.
Nous avons vu que le secret de l’unité des premiers chrétiens était leur
persévérance dans «l’enseignement des apôtres, dans la communion
fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières» (Actes 2: 42). C’est là
encore le secret de l’unité des chrétiens du XXIe siècle, aussi bien pour
l’église locale que pour l’Église universelle.

Le secret de l’unité dans l’église locale

Persévérer «dans l’enseignement des apôtres»


Persévérer dans l’enseignement des apôtres, cela signifie tout d’abord:
• Prendre du temps pour étudier ensemble cet enseignement que nous
trouvons aujourd’hui dans les écrits du Nouveau Testament;
• Reconnaître l’inspiration divine et l’autorité finale de cet
enseignement apostolique;
• En faire la pierre de touche de tout enseignement, le plaçant au-dessus
de toute autorité humaine et de toute révélation personnelle;
• Savoir ensemble se demander en toute honnêteté: «Que dit
l’Écriture?»;
• L’étudier objectivement, sans parti pris et se courber devant les
conclusions claires que nous pouvons en tirer.
Tout cela, j’en conviens, est beaucoup plus facile à dire qu’à faire. C’est
pourtant le seul moyen de conserver l’unité sur le plan doctrinal. Là où des
traditions ou l’autorité d’un homme, si spirituel fût-il, ou ses révélations, ses
écrits, son tempérament religieux sont élevés au rang d’autorité finale
commandant l’interprétation de l’Écriture, là est le germe de division.
Lorsque, devant une difficulté doctrinale, on sait se réunir autour d’une table,
écouter l’interprétation des uns et des autres, peser honnêtement et
objectivement les arguments, faire le tri entre ce qui est clair et indubitable et
ce qui est douteux, où l’on n’exige l’adhésion de tous qu’aux conclusions
évidentes que chacun peut tirer de la Parole elle-même, alors l’unité
doctrinale a de grandes chances d’être sauvegardée et de s’approfondir.
N’oublions pas que «l’unité de la foi et de la connaissance, l’état d’homme
fait» (Éphésiens 4: 13), où l’on n’est plus des «enfants flottants et entraînés à
tout vent de doctrine» (4: 14), est le fruit de l’œuvre persévérante du Saint-
Esprit qui s’exprime au travers des différents ministères dans l’église locale,
donnés «pour le perfectionnement» de ceux qui appartiennent à Dieu
(Éphésiens 4: 12). Nous n’atteindrons cette unité qu’en nous plaçant
régulièrement au bénéfice de ces divers ministères.

Persévérer «dans la communion fraternelle»


Persévérer dans la communion fraternelle implique aussi des efforts de
notre part. Nous en avons déjà parlé plus haut, mais il y a tant de manières de
manifester et d’approfondir cette communion fraternelle. Les premiers
chrétiens «n’étaient qu’un cœur et qu’une âme; nul ne disait que ce qu’il
possédait lui appartenait en particulier, mais tout était commun entre eux»
(Actes 4: 32).
Il fut un temps où, étant à plusieurs frères dans un même internat, nous
avons vécu littéralement ces paroles et aucun de nous ne s’offusquait en
voyant le frère sortir avec la cravate qui vous appartenait ou venir se servir
dans votre casier s’il avait faim. L’expérience de la communauté des biens
n’a duré qu’un temps limité dans l’Église primitive mais l’esprit de
communauté a subsisté. Même dans notre vie individualisée, il reste
d’innombrables occasions de manifester cet esprit: bicyclette, auto, chambre,
voiture d’enfants, jardin, maison, etc. sont autant de moyens concrets
d’exprimer et d’approfondir la communion fraternelle, si je ne considère pas
ces choses comme m’«appartenant en particulier» mais si je sais les mettre à
la disposition des autres ou les en faire profiter. Je peux aussi mettre au
service des autres le temps et les talents que j’ai reçus (1 Pierre 4: 10) en les
dépannant dans leur travail, leur ménage, en les soignant, en gardant leurs
enfants, en faisant pour eux certains travaux pour lesquels le Seigneur m’a
donné plus d’aptitudes qu’à eux.
Les premiers chrétiens trouvaient une expression régulière de la
communion fraternelle dans les agapes (repas fraternels en commun). Dans
les églises où cette tradition a été maintenue, c’est un excellent moyen
d’apprendre à mieux se connaître et s’aimer. Dans notre civilisation actuelle,
on est toujours pressé avant et après les réunions. Rester tout un dimanche
ensemble sans soucis culinaires (pourquoi ne pas se contenter de sandwiches
pour une fois), quelle occasion pour tous (y compris les mères de famille) de
mieux faire connaissance avec les autres membres de l’église! Ces agapes
peuvent d’ailleurs être complétées ou remplacées par des invitations à
partager le repas familial: c’est autour d’une table que naît souvent la
véritable communion fraternelle. Ce ne sont là que quelques moyens
matériels mais ils nous aident à pénétrer jusqu’à l’esprit du frère: si nous
avons été attentifs à ses besoins matériels, il nous ouvrira peut-être aussi son
cœur en nous faisant partager ses besoins spirituels ou les richesses qu’il a
découvertes en Christ.

Persévérer «dans la fraction du pain»


«C’est autour d’une table que se crée la vraie communion» disions-nous.
Le Seigneur le savait quand il a institué la cène comme symbole de l’unité.
Le jeune Spurgeon s’était affilié à une église dans laquelle il ne trouva
pas la cordialité et la fraternité qu’il espérait. Personne ne lui parlait. Il
raconte:
Un certain dimanche de communion, je me tournai vers mon voisin et lui dis:

–J’espère que vous vous portez bien, Monsieur?

–Monsieur, me fut-il répondu, je ne vous connais pas.


–Et cependant, nous sommes frères! dis-je.

–Je ne vois pas bien ce que vous voulez dire?

–Lorsque j’ai pris le pain et le vin, symboles de notre fraternité en Christ, je l’ai fait avec sincérité.
Et vous?

Nous étions dehors. Le monsieur, mon voisin, mit alors ses mains sur mes épaules, en disant:

–Ô sainte simplicité! dit-il, ajoutant: Vous avez raison, mon frère. Venez prendre le thé chez moi.

J’avais seize ans. Une bonne amitié, amitié durable, s’établit entre nous 17.

N’y aurait-il pas là un exemple à imiter? Ou bien prenonsnous la cène


«sans discerner le corps du Seigneur» (1 Corinthiens 11: 29). Il est probable
que dans le contexte où cette expression «le corps du Seigneur» se trouve
placée, elle ait le même sens que dans le chapitre précédent (10: 17) et dans le
suivant (12: 12-27) et se rapporte à l’Église. Participer à la fraction du pain en
niant, par son attitude pratique envers les frères, que nous formons un même
corps avec eux, c’est manger et boire un jugement contre nous-mêmes (11:
29). C’est ce que faisaient les Corinthiens: dans les agapes, les uns se
gavaient de leurs provisions tandis que les autres avaient faim.
Affirmer, lors de la cène, que nous formons un même corps avec tous
ceux qui y participent engage à prendre cette réalité au sérieux et à la réaliser
dans notre vie de tous les jours. C’est considérer le frère ou la sœur qui rompt
le pain avec moi comme une partie de moi-même, qui ne peut souffrir sans
que je souffre avec lui (1 Corinthiens 12: 26), à qui je ne peux nuire sans me
nuire à moi-même (Galates 5: 15), dont j’ai à partager les faiblesses, à porter
les fardeaux, à redresser les torts (Galates 6: 1-2).
Je me souviendrai surtout que ce pain que nous rompons est le symbole
de notre communion au corps du Christ (1 Corinthiens 10: 16-17), que le
frère a été racheté par le même sacrifice que moi, qu’il participe à la même
vie, au même Esprit, à la même vocation et que, s’il agit d’une manière que je
ne comprends pas, c’est à son Maître qu’il aura à en rendre compte (Romains
14: 4, 6-12). C’est ce qui nous maintient dans l’unité malgré les divergences
passagères.

Persévérer «dans la prière»


La prière, comme la cène, souligne constamment ce fait que le lien de
l’unité entre nous passe par «en haut». Nous ne sommes unis qu’«en Christ»
et notre unité dépend constamment de lui. Combien de fois, lorsque l’unité
d’une église se trouvait compromise, lorsque toutes les discussions étaient
parvenues au point mort, la prière en commun a ouvert la perspective dans
laquelle la solution a pu être entrevue et l’unité maintenue.
Parce que la prière nous délivre de notre pensée irrémédiablement
horizontale en nous rappelant qu’être chrétien, c’est affirmer qu’en Christ le
plan vertical a fait irruption dans le temps, que dans la croix nous trouvons la
rencontre de l’horizontal et du vertical, et qu’au point de convergence des
deux lignes se trouvait – se trouve encore – la tête du corps du Christ. Prier,
c’est cesser de se dévisager l’un l’autre pour regarder ensemble dans la même
direction, au même Maître, et s’attendre à ses directives, c’est oublier les
divergences pour invoquer Celui qui unit.
La prière trouve de multiples expressions dans une vie d’église – au
culte, aux réunions de prière, dans les réunions de prière de quartiers ou de
maisons, mais aussi dans ces prières improvisées qui devraient clore chaque
rencontre fortuite d’enfants de Dieu, chaque entretien, et qui sont autant
d’occasions d’approfondir l’unité entre eux.
Dans une église qui persévère assidûment à travers les années dans ces
quatre directions, le diviseur multipliera ses tentatives, mais il devra en fin de
compte abandonner la partie. Rien dans le monde entier ne surpasse la
puissance de témoignage d’une église unie. Le monde antique l’a
expérimenté. C’est pourquoi il vaut la peine de faire quelques sacrifices pour
maintenir ou rétablir un tel témoignage. Ce qu’il nous faudra sacrifier ne sont,
en fin de compte, que les aspects les moins intéressants de nousmêmes: notre
égoïsme, notre orgueil, notre dureté de cœur, notre insoumission à Dieu.

Conclusion
Quelles conclusions pouvons-nous tirer de l’examen de ces différents
passages?
• Dans tout le Nouveau Testament, quand il est question d’unité, il s’agit
toujours, non d’une unité purement doctrinale ou d’organisation,
mais d’une union de personnes, de croyants nés de nouveau – non
d’une unité des églises, mais de l’unité dans l’église locale avec les
frères et sœurs que l’on voit et que l’on côtoie au quotidien.
• Cette unité a été créée par l’Esprit de Dieu répandu dans le cœur des
croyants, elle n’est pas à créer mais à conserver. • C’est une unité
d’esprit et de cœur autant qu’une unité de pensée, c’est une unité,
profonde comme celle de deux époux qui s’aiment, qui fait que
nous nous sentons attirés vers les frères et sœurs, sachant par une
conviction inébranlable que nos vies et nos destinées sont liées et
tendent vers un même but.
• La conservation et la réalisation parfaite de cette unité sont liées à
notre consécration à Dieu et à notre transformation par son Esprit.
• Quand les apôtres parlent de l’unité, ils placent toujours cette question
dans un contexte, non pas dogmatique, mais surtout moral. Ce qui
favorise l’unité, c’est l’humilité, la douceur, la patience et l’amour.
• Cette unité se réalise dans la diversité des vocations et des ministères;
l’acceptation en toute humilité de cette diversité, de ma place dans
le corps et de la vocation des autres, contribue au maintien et à
l’approfondissement de l’unité.
• Cette unité n’est pas brisée par la diversité des opinions, mais par
l’orgueil, l’impatience, le manque d’amour, le refus d’accepter le
frère avec sa personnalité et ses opinions différentes des miennes.

Mélanchton, le collaborateur de Luther, disait:


Dans les choses essentielles: unité.
Dans les choses secondaires: liberté.
En toutes choses: charité.

12 Voir GONIN, 1962, p. 25-27.


13 Litt.: Lucifer, d’après la traduction latine.
14 NEE, 1962.
15 Voir dans la bibliographie: CULLMANN, 1986 et 1992.
16 BARTH, 1943.
17 G. BRUNEL, Spurgeon, sa vie et son œuvre, Saône, La joie de l’Éternel, p. 61-62.
CHAPITRE
4

L’UNITÉ DE L’ÉGLISE AU COURS DES


SIÉCLES
Divisions

Dans l’Église primitive


La merveilleuse unité, don du Seigneur à son Église, a été bien
rapidement compromise à la fois dans les églises locales et entre elles.
L’unité de l’Église a été compromise de deux manières: par des
divisions (schisma) et des sectes (hairesis).
À Corinthe, des divisions sont apparues entre partisans des différents
apôtres ou enseignants de la Parole (1 Corinthiens 1: 10, 11, 18), bien que
Dieu ait disposé les membres du corps de manière à ce qu’il n’y ait «pas de
division» entre eux (1 Corinthiens 12: 25). D’autre part, des hommes
enseignaient de fausses doctrines (des «hérésies») créant ainsi des sectes dans
l’Église (Voir Romains 16: 17; 1 Timothée 6: 3, 21; 1 Jean 2: 19, 26; 4: 1; 2
Jean 7; Apocalypse 2 à 3). En Galates 5: 19-21, l’apôtre Paul compte les
«sectes» parmi les «œuvres de la chair», de l’homme livré à lui-même. Tite
doit écarter de l’Église celui qui cause des sectes (Tite 3: 10). En 2 Pierre 2:
1, 18-19, les sectes sont nettement identifiées à des fausses doctrines. En
Romains 16: 17-18, l’apôtre avertit les chrétiens:
Je vous exhorte, frères, à prendre garde à ceux qui causent des divisions [dichostasia] et des
scandales, contrairement à l’enseignement que vous avez reçu. Éloignez-vous d’eux. Car de
tels hommes ne servent pas Christ notre Seigneur, mais leur propre ventre.

D’autre part les «judaïsants», qui voulaient que tous les nouveaux
convertis issus du paganisme se soumettent à la Loi de Moïse, créaient aussi
des problèmes dans les églises. L’apôtre Paul les qualifie de «faux frères» et
lance l’anathème contre eux (Galates 1: 8). Ces judaïsants se sont entièrement
détachés de l’Église après l’an 70 et ont survécu sous les noms d’Ébionites ou
de Nazôréens.
L’unité de l’Église a donc déjà été compromise du vivant des apôtres.
D’autres considéraient l’Église comme leur œuvre et refusaient d’y recevoir
ceux qui ne pensaient pas comme eux, fussentils les apôtres eux-mêmes ou
leurs envoyés (3 Jean 9-10). Ainsi, dès avant la fin du premier siècle, l’unité
de l’Église était rompue à cause des hérésies et de la soif de domination de
certains responsables de l’Église.
Une autre séparation «à l’amiable» eut lieu entre Paul et Barnabas
(Actes 15: 37-40). Elle ne donna pas lieu à deux églises rivales mais à deux
équipes d’évangélisation, qui ont travaillé parallèlement et sans concurrence.
Par la suite, d’ailleurs, Paul parle très favorablement de Barnabas (1
Corinthiens 9: 6) et il demande que Marc, le cousin de Barnabas qui avait été
la cause du litige, vienne le rejoindre (Colossiens 4: 10).
Il en fut de même lorsque Paul s’aperçut qu’à Antioche, Pierre avait tort,
«il était condamnable» et ne marchait «pas droit selon la vérité de l’Évangile»
(Galates 2: 11, 14). Il l’a ouvertement repris, devant tous. Pierre ne lui en a
pas voulu. Il l’a prouvé en le défendant lors de la Conférence de Jérusalem
(Actes 15: 7-11) et a même utilisé les arguments que Paul avait employés à
son égard pour convaincre ses frères de ne pas imposer la Loi aux non-Juifs.
Nous voyons donc que des divergences d’opinions ou même des différends
entre frères ne doivent pas nécessairement amener des divisions dans
l’Église. L’amour fraternel et l’humilité permettent de dépasser ces
difficultés.
Après la disparition des apôtres, les hérésies foisonnèrent, d’autant plus
qu’il n’existait pas encore de canon de la vraie doctrine. Des copies des écrits
des apôtres circulaient bien d’une église à l’autre, mais le recueil complet des
écrits «canoniques» a mis plus de trois siècles à se constituer tel que nous le
connaissons, et à s’imposer partout.

Aux premiers siècles


Les siècles suivants verront s’accentuer et se multiplier ces séparations
et ces schismes au fur et à mesure qu’un système de plus en plus complexe de
croyances remplacera la simple foi comme condition d’intégration à l’Église,
et que le sacramentalisme et le cléricalisme se développeront. Les IIe et IIIe
siècles sont des siècles de divisions multiples et, lorsqu’au ive siècle, la
branche la plus nombreuse de l’Église fera alliance avec l’Empire et que les
païens superficiellement christianisés envahiront cette Église en masse,
l’unité de cette branche de l’Église n’aura plus rien de commun avec celle de
l’Église primitive. Elle ne pourra d’ailleurs être maintenue que par des
moyens qui n’avaient rien de spirituel. Malgré les efforts des autorités
ecclésiastiques supra-locales pour sauvegarder la cohésion, les séparations se
poursuivent.
L’une des premières difficultés surgit en l’an 154, entre les églises de
l’Orient et celles de l’Occident, à propos de la date de Pâques. L’évêque de
Rome décida que, comme pour les Juifs, sa date serait variable en fonction
des cycles de la lune. L’évêque Polycarpe de Smyrne imposait une date fixe
aux églises d’Asie mineure. Jusqu’à aujourd’hui, les deux fractions de
l’Église n’ont pas pu s’entendre sur cette question – qui ne touche vraiment
pas aux fondements de la foi. Derrière cette divergence se cachait une
différence culturelle: les Romains se considéraient comme les maîtres de
l’Empire et prenaient l’habitude des empereurs d’imposer leur loi à tous. Les
Grecs, par contre, les considéraient comme des «barbares», étant fiers de leur
culture, leur science, leur philosophie et leurs arts. Ces jugements pénétraient
jusque dans les églises et entretenaient un climat de suspicion mutuelle entre
les deux groupes d’églises, fomentant lentement le grand schisme qui eut lieu
au XIe siècle.
Au IIIe siècle, Novatien, un prêtre de l’Église de Rome, au-rait voulu
être nommé évêque. Comme on lui préféra Cornelius, il fonda sa propre
Église «des novatiens» qui se distingua par une discipline ecclésiastique très
sévère (refus de réadmettre dans l’Église ceux qui avaient abjuré sous la
persécution, refus de la cène aux remariés, pas de pardon pour les péchés
graves commis après le baptême). Le novatianisme ne fut jamais considéré
comme une hérésie (les novatiens ont même défendu la christologie la plus
orthodoxe). C’était typiquement un schisme né d’une ambition personnelle
insatisfaite, schisme qui a duré jusqu’au VIIe siècle.
Un schisme semblable, aux conséquences encore plus graves, eut lieu à
Alexandrie pour des raisons analogues. Il eut pour cause un conflit entre
Athanase, nommé évêque, et le prêtre Arius qui avait été écarté de ce poste
convoité. Ce dernier trouva des doctrines justifiant la séparation: du moment
que le Logos, le Fils de Dieu, fut «engendré», c’est qu’il n’était pas éternel
comme le Père. La querelle arienne dura de 318 à 381 et enflamma toute
l’Église. Le Concile de Nicée, présidé par l’empereur Constantin, rejeta les
doctrines d’Arius, mais le fils de Constantin, Constantius, prit parti pour lui.
Le Concile de Constantinople confirma la décision de Nicée, mais les ariens
ne démordirent pas de leur opinion et la querelle entre les deux fractions de
l’Église s’est poursuivie encore pendant des siècles. Plus tard, l’Église de
Germanie s’est prononcée nettement en faveur des Ariens, de même qu’une
grande partie de l’Église d’Orient. Toute cette querelle était sous-tendue par
des questions de culture et de langue, qui ont mené finalement à la rupture
entre l’Est et l’Ouest.

Au Moyen-Âge
Lorsqu’en 475, l’Empire romain succomba sous la pression des peuples
barbares, l’évêque de Rome survécut comme seule instance supra-locale de
l’Occident. En Orient, le patriarche de Constantinople pouvait continuer à
s’appuyer sur l’autorité de l’empereur. Les deux «chefs d’Église» luttèrent
pour le pouvoir sur toute l’Église jusqu’en 1054, où ils s’excommunièrent
mutuellement. C’est de cette lutte pour le pouvoir qu’est né le grand schisme
d’Orient entre l’Église grecque orthodoxe [qui a la «bonne doctrine»] et
l’Église catholique [«universelle»] romaine. Il a fallu attendre le XXe siècle
pour que les deux chefs d’Église se rencontrent de nouveau.
Le christianisme historique connaîtra trois grandes périodes de
divisions: le Ve siècle, où l’Église d’Orient se scindera en cinq branches, le
XIe siècle, qui voit se consommer le grand schisme entre l’Église d’Orient et
l’Église romaine, et le XVIe siècle qui divisera l’Église d’Occident en deux
tronçons. Parallèlement, de nombreux groupes (Vaudois, Pauliciens,
Bogoumiles, etc.) se séparent de l’Église romaine pour revenir à
l’enseignement des apôtres et à la simplicité des églises primitives.
Le canon des Écritures, fixé définitivement au Concile de Carthage en
397, a admis les 27 livres de notre Nouveau Testament comme étant inspirés
de Dieu et faisant autorité dans l’Église. Cependant leur autorité n’est que
théorique: des doctrines innombrables, d’origine païenne ou philosophique,
viennent s’agréger à la foi chrétienne, formant un «syncrétisme»
philosophico-religieux dont l’expression la plus caractéristique se trouve dans
La Somme de Saint-Thomas d’Aquin. Nous sommes loin de l’enseignement
des apôtres. Et aussi longtemps que le thomisme restera la norme occulte de
la doctrine dans l’Église romaine, aucun espoir d’unité doctrinale, avec les
églises qui ont admis en principe la Bible comme seule règle de foi, n’est
possible.
Depuis la Réforme
La Réformation du XVIe siècle est revenue sur un grand nombre de
points à la doctrine des apôtres. Cependant, elle n’est pas allée jusqu’au bout
de sa volonté de revenir au modèle de l’Église primitive. De plus, elle n’a pas
réussi à ramener toute la branche occidentale de l’Église dans la voie de
l’obéissance à la Parole de Dieu et n’a pas influencé l’Église orientale. De
sorte qu’aux Églises existantes (romaine, orthodoxes et groupes séparés)
s’ajouteront les Églises nées de la Réforme. Celles-ci ne tarderont pas à se
diviser entre elles pour des raisons dogmatiques, politiques ou personnelles.
Depuis le XVIe siècle, le souci de se rapprocher davantage du modèle
primitif a motivé de nombreux groupes qui se sont constitués en Églises
autonomes: anabaptistes, mennonites, baptistes, méthodistes, darbystes, etc.
À côté de ces communautés basées sur la redécouverte d’une vérité biblique
oubliée, de nombreux hommes ont constitué des groupements dissidents
autour d’un enseignement original, dans lequel se mêlaient éléments
bibliques et inventions humaines (Témoins de Jéhovah, Science Chrétienne,
Mormons, etc.). Ces deux sortes de communautés se sont ellesmêmes
subdivisées à l’infini pour des raisons souvent futiles.
La Réforme a déblayé le terrain de toutes les «autorités» venues
s’interposer entre la révélation divine et l’enseignement de l’Église. Elle a
proclamé la Bible seule autorité en matière de foi. Mais bientôt, cette autorité
a été minée par les affirmations de théologiens qui niaient l’authenticité des
écrits bibliques et même des faits rapportés par l’Écriture sainte. Un système
critique en remplaçait un autre, jusqu’à ce qu’il ne reste plus entre les deux
couvertures de la Bible qu’un tissu de légendes, de mythes, de pieux
mensonges et de faux attribués aux apôtres pour honorer leur mémoire. Pour
certains «savants», aucun des écrits néotestamentaires n’était authentique.
Que restait-il alors de l’enseignement des apôtres?
Aujourd’hui, des travaux plus sérieux et certaines découvertes
archéologiques ont ramené la critique biblique plus près de la vérité:
La mode de l’heure présente est certainement plus amicale vis-à-vis de la position évangélique que
ce n’était le cas lorsque la critique formelle était à son apogée 18.

Un survol rapide de la production théologique de ces dernières


décennies ne permet cependant guère, parmi la floraison des «théologies» de
toutes sortes, de relever un grand nombre d’hommes pour lesquels
«l’enseignement des apôtres» tel que nous le trouvons dans le Nouveau
Testament est l’autorité finale et dernière 19.
À côté de ceux qui s’efforcent de dégager la «Parole de Dieu contenue
dans la Bible», le nombre de ceux qui voudraient la «démythiser» ou
«démythologiser» ne cesse de croître. Dans les pays de langue allemande,
l’influence d’un Bultmann et celle d’autres néolibéraux se font encore
cruellement sentir. On ne peut plus demander, dit-on, à l’homme de notre
siècle de croire que Jésus soit le Fils de Dieu, né de la vierge Marie, qu’il soit
ressuscité des morts et monté au ciel d’où il reviendra pour juger les vivants
et les morts. De tels enseignements sont des mythes d’origine très ancienne
qu’il faut classer définitivement avec les légendes, contes de nourrices,
poésies épiques, etc. Les considérer comme des faits réellement accomplis,
«c’est non seulement bête, mais une telle position ne peut cacher que de
l’arrogance pharisaïque et de la présomption prétentieuse 20». Lorsqu’on
réalise que de telles affirmations sortent de la plume, non d’un athée ou d’un
moqueur, mais d’un docteur en théologie d’une Église chrétienne, n’est-on
pas en droit de se demander ce qui reste de l’enseignement apostolique?
Est-il possible de s’unir avec des hommes qui se disent chrétiens et qui,
non seulement ne croient pas aux affirmations essentielles de
«l’enseignement des apôtres», mais enseignent euxmêmes officiellement le
contraire de ce qu’ont déclaré les apôtres?
Le libéralisme théologique a engendré, aux XIXe et xxe siècles, une
division profonde qui parcourt la plupart des dénominations chrétiennes: d’un
côté se trouvent les chrétiens «modernistes», «libéraux», pour qui la Parole
de Dieu se trouve dans la Bible, de l’autre, se trouvent les chrétiens
«évangéliques» pour qui la Bible est la Parole de Dieu.
On nous assure [bien évidemment] que «le mouvement œcuménique veut être obéissant à la Parole
de Dieu, aux inspirations de l’Esprit saint». Mais également «à l’autorité de ceux dont le ministère
est d’assurer que l’Église demeure fidèle à cette Tradition apostolique en laquelle la Parole de Dieu
et les dons de l’Esprit sont reçus 21».

Le professeur Cullmann, observateur protestant au Concile de Vatican ii


, a fort bien vu le talon d’Achille de l’accord catholico-protestant sur la Bible
qui s’est dégagé du Concile. Dans son écrit intitulé Vrai et faux œcuménisme,
il montre que l’accord sur le fondement biblique est, en fait, miné par
l’exégèse existentialiste de l’Écriture adoptée par les théologiens catholiques
et protestants. Bien que récusant «une conception fondamentaliste de la Bible
qui se rapprocherait de l’inspiration verbale», Oscar Cullmann dénonce
néanmoins:
La menace que fait peser une dangereuse collusion de larges cercles protestants et catholiques basée
sur une position théologique qui ébranle l’autorité de la Bible […] Et l’on voit naître ainsi le danger
que le principe unifiant ne soit plus la Bible elle-même, mais bien au contraire, un abandon commun
de la Bible comme norme […] C’est ainsi que, du côté catholique, la «tradition» de l’Église
catholique peut, par le biais d’un renoncement partagé avec les protestants au caractère normatif de
la Bible, retrouver une position plus ou moins prépondérante, tandis que les normes protestantes
sont tirées, d’une autre façon, du «monde sécularisé».

C’est ce qui explique que l’on voit:


[…] tant de catholiques se prononcer d’une façon aussi positive en faveur de l’exégèse
existentialiste des théologiens protestants. En réalité, ce jugement favorable trouve fort bien son
explication dans le fait que cette interprétation leur offre la possibilité de conserver leur tradition,
tout comme elle leur semble permettre de conserver la Bible. Mais de cette façon la Bible perd sa
place de seule autorité en matière de foi, et ainsi sa fonction purificatrice. Et toute l’œuvre si
réjouissante accomplie au Concile pour revaloriser la Bible se trouve compromise. Car dans ce cas,
le fondement œcuménique commun n’est plus la Bible, mais c’est la mise en question de son
autorité. Sans doute, du côté protestant, ce n’est pas la «tradition» qui est placée à côté de la Bible,
mais c’est «le monde séculier».
Et Oscar Cullmann de terminer en lançant un appel solennel:
Gardons-nous d’une pseudo-unité qui reposerait sur un renoncement commun au fondement
biblique 22.

Essais de réunification

Avant le mouvement œcuménique et en dehors du Conseil


œcuménique
Au milieu de ces divisions, des chrétiens ont ressenti de tout temps la
souffrance du déchirement de l’Église et la nostalgie de l’unité primitive.
• Depuis le grand schisme de 1054, de nombreux essais de conciliation
ont eu lieu entre la branche romaine et la branche orthodoxe.
• Depuis le XVIe siècle, plusieurs tentatives ont été faites pour réunifier
l’Église romaine et l’Église anglicane (mouvement d’Oxford,
Pusey, Newman). Aucune n’est parvenue à une réalisation.
• Les protestants ont essayé, dès 1529, de fusionner luthériens et
réformés. Plusieurs groupements régionaux d’Églises ont pu être
réalisés (Pologne, Lituanie, Bohème).
• La fin du XIXe siècle a vu la constitution de fédérations et d’alliances
universelles d’Églises de mêmes dénominations ainsi que certains
rapprochements interconfessionnels dans un même pays.
• Des mouvements interconfessionnels naissent à l’échelon mondial:
1847, Alliance évangélique universelle; 1855, Alliance universelle
des Unions chrétiennes de jeunes gens; 1878, Unions chrétiennes de
jeunes filles; 1895, Fédération universelle des associations
chrétiennes d’étudiants. Le but de l’Alliance évangélique était, et
reste encore, «non pas de créer l’unité chrétienne, mais de confesser
l’unité que possède déjà l’Église du Christ en tant que corps du
Christ 23».

Sur le plan ecclésiastique, les Églises réformées (1875) et


presbytériennes (1877) constituent des alliances mondiales. Sur le plan
missionnaire, des conférences mondiales (1854 à New York: projet d’une
fédération de toutes les sociétés missionnaires évangéliques; 1910 à
Édimbourg) regroupent des missionnaires de toutes les dénominations
protestantes. Sur le plan de l’action, un certain nombre de mouvements
groupent des chrétiens de diverses dénominations autour d’un objectif
commun: Croix bleue, Armée du Salut, Fraternités, Sociétés d’activité
chrétienne, des écoles du dimanche, Amitié internationale par les Églises, etc.
Tous ces mouvements constituent des associations ou fédérations
internationales, au sein desquelles des chrétiens de divers pays et de diverses
églises apprennent à se connaître et à s’estimer. Une telle floraison de
mouvements de rapprochement ne pourra que créer un climat nouveau, un
désir de rapprochement entre chrétiens. C’est du prolongement des lignes
amorcées là qu’est né le mouvement œcuménique.

Rapprochements
En 1995, le pasteur André Birmelé écrivait: «Toutes les grandes familles
chrétiennes ont communiqué entre elles dans les trente dernières années 24».
Il faut signaler en particulier l’accord entre les églises luthériennes, les
églises réformées et les églises unies (80 églises), ratifié par la Concorde de
Leuenberg (1973). Bien que les compréhensions ecclésiologiques restent
différentes, cet accord permet néanmoins «une pleine communion
ecclésiale», à savoir la célébration commune de la cène, la reconnaissance
mutuelle des baptêmes et l’interchangeabilité des ministres. Une assemblée
générale des églises signataires de la Concorde de Leuenberg s’est réunie de
nouveau du 3 au 10 mai 1994 à Vienne, en Autriche. Des dialogues ont
également eu lieu entre ces églises et les anglicans, les baptistes, les
méthodistes, les orthodoxes, les Vaudois. La question du baptême reste l’un
des principaux points de désaccord: est-il la réponse du croyant à l’offre de
grâce de Dieu ou «une forme visible de la Parole de Dieu 25»?
Pendant ce temps, de nouveaux points de divergence se sont révélés:
l’ordination des femmes au ministère pastoral, certains choix éthiques
(avortement, homosexualité), l’engagement sociopolitique.

Un nouveau climat de relations


Les relations entre catholiques et protestants ont changé. Entre ces deux
confessions est né «un climat nouveau de confiance et de fraternité vraie, […]
un nouveau visage s’est révélé. Plus ouvert, plus amène, plus tolérant 26». En
tant qu’évangéliques, nous ne pouvons que «reconnaître et saluer un nouvel
esprit de tolérance et d’ouverture, jamais manifesté auparavant, de la part de
l’Église catholique 27». Témoins de cette ouverture sont les «Dialogues
évangéliques-catholiques 28» auxquels participent des évangéliques notoires
(comme John Stott) et où les divergences entre les deux conceptions du
christianisme peuvent être abordées en toute liberté. Trois de ces rencontres
ont eu lieu: en 1977 (à Venise), en 1982 (à Cambridge) et en 1984 (à
Landevennec, Bretagne). Le but de ces rencontres est-il identique dans
l’esprit de tous les participants? Peut-on espérer autre chose qu’une meilleure
compréhension des divergences radicales qui opposent les deux approches de
la foi? D’aucuns diront que c’est déjà là une avancée significative par rapport
aux relations tendues qui existaient auparavant.

Les entretiens baptistes-catholiques


Un exemple de ces rencontres de type nouveau est le comité mixte
baptiste-catholique qui s’est réuni de 1981 à 1991. Il comprenait les pasteurs
Louis Schweitzer, Robert Somerville, André Souchon et André Thobois, du
côté baptiste et, du côté catholique, Mgr Georges Soubrier, les pères Jean
Rogues, Bernard Sesbouë et Damien Sicard 29.
Les résultats de ces rencontres ont été publiés dans le livre Rendre
témoignage au Christ. Robert Somerville y témoigne:
Le but de ces conversations n’était pas la recherche d’une prochaine unité organique, mais plutôt
une meilleure connaissance mutuelle, un discernement plus clair des points d’accord et de désaccord
30.

Parmi les «domaines nécessitant un examen» figurent «les relations


entre la foi, le baptême et le témoignage chrétien». La déclaration commune
relève «des divergences évidentes» entre les deux confessions:
Les baptistes considérant la foi principalement comme une réponse des personnes au don gratuit de
la grâce de Dieu, insistent sur le fait que la réponse de la foi précède le baptême […] Les catholiques
romains considèrent les sacrements, tel le baptême, dans un contexte de foi, comme un exercice du
pouvoir du Christ ressuscité, comparable à celui exercé par Jésus lorsqu’il guérissait les malades ou
libérait les possédés. Soulignant la nature individuelle et collective de la foi, ils baptisent les enfants
et les catéchisent selon un itinéraire qui culmine dans la pleine participation à l’Église.

Les catholiques reconnaissent que «le baptême des enfants semble être
soutenu surtout par la Tradition et par une compréhension plus
communautaire de la foi» (p. 67s).
Le cœur du problème… semble être la nature de la foi et celle des sacrements… La foi est-elle
seulement une réponse individuelle au don de Dieu? La foi de la communauté peut-elle suppléer à la
foi d’un petit enfant? Peut-on parler de «communauté de foi», c’est-à-dire du corps du Christ,
comme étant lui-même un sujet de foi commune à laquelle les croyants participent
individuellement? Les sacrements sont-ils des signes extérieurs d’un engagement intérieur
préalable? Sont-ils les moyens par lesquels le Christ lui-même réalise son œuvre de guérison et de
salut? Que signifie de dire que le baptême est le «sacrement de la foi»? Les problèmes entre nous ne
se résoudront probablement pas sans que nous abordions ensemble ces questions (p. 69).

Un autre sujet de divergence est «la dévotion mariale» car, pour les
baptistes:
1. Elle semble compromettre la médiation unique de Jésus comme Seigneur et Sauveur; et 2. Les
dogmes mariaux, tels l’Immaculée Conception et l’Assomption, proclamés par les catholiques
comme infaillibles et comme devant faire l’objet d’un acte de foi, semblent avoir peu de fondements
explicites dans la Bible. Selon les catholiques romains, la dévotion mariale ne compromet pas le rôle
unique du Christ, elle est enracinée dans la relation intime (de Marie) avec Jésus, exprime son rôle
continu dans l’histoire du salut et a une base solide dans le Nouveau Testament (p. 73).

Le document conclut très honnêtement ce point en disant:


En raison de la longue histoire d’incompréhensions et de subtilités théologiques relatives aux
dogmes mariaux, nous ne nous attendons pas à un consensus dans un avenir prévisible (p. 74).

Robert Somerville en explique la cause:


La racine des divergences se situe dans la conception que les catholiques ont de l’Église. Les autres
points de désaccord en découlent. Pour le catholique, l’Église n’est pas seulement le peuple des
croyants, formant un grand nombre de communautés locales à travers le monde. Elle est aussi et
nécessairement une société visible, dont l’unité se manifeste par une organisation commune
hiérarchisée […] qui a autorité en matière de doctrine et de morale. En outre, pour les catholiques,
l’Église n’est pas seulement «l’autorité régulatrice de la foi», elle est aussi «sacrement du salut», en
ce sens qu’elle a reçu le mandat de transmettre aux humains les grâces du salut par le moyen des
sacrements. Le Christ lui-même agit dans le sacrement, principalement à travers le prêtre qu’il a
ordonné à cet effet […] Les sacrements sont des signes, mais des signes efficaces; ils communiquent
la grâce. D’où la place importante qu’ils occupent dans la vie des catholiques. D’où aussi le rôle
irremplaçable des évêques et des prêtres chargés de les administrer et ayant reçu pour cet office ce
qu’on peut appeler «un pouvoir sacré».

Et Somerville de conclure en disant:


Il y a là deux perspectives très différentes, dont il faut être bien conscient si l’on veut dialoguer dans
la clarté (pages 105-108).

L’accord luthéro-catholique de 1999


L’accord signé en 1999 entre la Fédération luthérienne mondiale et le
Cardinal Cassidy, représentant l’Église catholique, a été préparé pendant une
dizaine d’années par différentes rencontres entre des théologiens luthériens et
catholiques. Le 16 juin 1998, les délégués de 122 églises luthériennes se sont
réunis à Genève pour adopter à l’unanimité un texte d’accord. Le 28 juin,
l’Église catholique, dans sa réponse, émettait des réserves à ce texte.
Satisfaction lui fut donnée par une Annexe à la Déclaration commune le 11
juin 1999, de sorte que le 31 octobre de la même année, le Cardinal Cassidy
et le président de la Fédération luthérienne mondiale ont pu signer à
Augsbourg la Déclaration commune et son Annexe.
Les affirmations de la Déclaration commune sont suivies des
interprétations (différentes) des catholiques et des luthériens. Le doyen André
Gounelle de la Faculté de théologie protestante de Montpellier écrivait dans
Le Protestant d’août-sept. 1999:
On n’a pas tant un accord qu’un préambule à de futures discussions. [Comme les termes de l’accord
restent vagues] il est difficile de dire en quoi consiste aujourd’hui l’accord luthéro-catholique sur la
justification 31.

De plus, on a bien fait remarquer du côté catholique que le Cardinal


Cassidy faisait partie du Conseil pour l’Unité des chrétiens et non de la
Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Le but de cette Déclaration
commune est de promouvoir l’unité chrétienne. Mais si le contenu de la
Déclaration «est incompatible avec l’adhésion au magistère solennel de
l’Église, alors sa signature par le Cardinal Cassidy n’est pas un acte de
l’Église, et aucun catholique fidèle au magistère, au sens naturel de la foi et à
la droite raison ne peut tomber d’accord avec ce document 32».
L’importance de cet accord est donc essentiellement symbolique et
psychologique. Il ne change en rien la doctrine catholique (qui ne peut
changer, étant définie par des autorités réputées infaillibles). Mais pour le
grand public, l’impact de cet «accord» était considérable: «À présent, les
protestants et les catholiques sont d’accord sur la doctrine» – en oubliant que
les Réformés ne sont pas engagés par cet accord, pas plus que les autres
fractions du protestantisme. De plus, conclure d’une déclaration commune –
nuancée par des interprétations divergentes – sur un point de doctrine (la
justification) ne signifie pas encore accord sur toute la doctrine, loin de là!
Est-ce que l’accord signifie du moins la levée des anathèmes du Concile de
Trente contre Luther et sa doctrine de la justification? On veut bien le croire,
mais que signifie dans ce cas le serment des pères conciliaires de Vatican ii
qui ont dû confirmer leur accord avec ces anathèmes avant le début du
Concile?
L’accord luthéro-catholique a été signé le 31 octobre, jour anniversaire
de l’affichage des 95 thèses de Luther à Wittemberg. Étaitce pour dire que la
protestation du Réformateur contre les indulgences n’avait plus de raison
d’être? Dans un article intitulé «D’Augsbourg à Rome», J.-P. Bory rappelle
que le récent Catéchisme de l’Église catholique, présenté par le pape Jean-
Paul ii comme «l’instrument valable et autorisé […] une norme sûre pour
l’enseignement de la foi», réaffirmait clairement la nécessité, pour l’homme,
de collaborer au salut, pour lui-même et pour les autres. «Nous pouvons
mériter pour nous-mêmes et pour autrui les grâces utiles […] pour parvenir à
la vie éternelle» (§ 2010); «les mérites du Christ, de Marie et de tous les
saints coopèrent au salut de leurs frères» (§ 1475-1477). Les indulgences ne
sont nullement reléguées dans le passé. Les instructions relatives au Jubilé
2000 l’ont rappelé. Le récent Manuel des Indulgences de Mgr Dario Rezza
«reconfirme avec obstination, déclare l’Église protestante italienne, les motifs
qui, aujourd’hui comme hier, tracent le sillon entre les Églises de la Réforme
et l’Église de Rome». J.-P. Bory conclut son article en regrettant «que ce
traité luthéro-catholique ne soit pas l’amorce d’un retour de Rome vers une
position plus biblique du salut, mais plutôt un pas de la Confédération
Luthérienne Mondiale vers celle de Rome 33».
Néanmoins, dans tous ces mouvements et rapprochements, des points
positifs sont à la gloire de Dieu.

Le mouvement œcuménique
Nous ne pouvons pas entrer ici dans le détail de l’histoire de ce
mouvement. Notons quelques jalons essentiels:
1910: conférence mondiale des missions à Édimbourg. 1 200 délégués
de 160 sociétés missionnaires manifestent:
• Un désir d’apprendre à se connaître entre chrétiens, de dialoguer, de
rechercher ce qui unit au lieu de mettre l’accent sur ce qui sépare;
• Un désir sincère de renoncer aux polémiques stériles et surtout aux
luttes fratricides qui déshonorent le Christ et éloignent les
incroyants;
• La volonté d’entreprendre, entre chrétiens de diverses Églises, des
efforts communs d’évangélisation, d’action sociale, des
interventions auprès des pouvoirs publics pour la répression de
certains abus et pour le vote de lois justes, favorables à
l’épanouissement d’une vie chrétienne normale.

Cette conférence a été une source d’enrichissement mutuel et d’un


élargissement de l’horizon. L’Évangile a acquis de nouvelles dimensions,
délivrant d’une étroitesse mesquine et chicanière; des paroles de l’Évangile
qu’on n’avait pas remarquées ont pris une importance et un relief nouveaux.
Par ces contacts, on découvre, dans les Églises ou les sociétés
missionnaires – jusque-là jugées sur la doctrine – le frère en Jésus-Christ: un
frère sincère qui reste dans cette Église ou ce mouvement, non par infidélité,
mais parce que, dans sa hiérarchie des valeurs, il place l’amour, la vocation et
la vérité dans un autre ordre que soi.
1925: Conférence de Stockholm convoquée par l’évêque luthérien
Nathan Söderblom. Naissance du mouvement du Christianisme pratique «Vie
et action» (Life and Work).
1927: Conférence de Lausanne. Naissance du mouvement «Foi et
Constitution» (Faith and Order) qui a lancé au monde le mot d’ordre: «Dieu
veut l’unité de son Église».
1948: Après la fusion des deux mouvements, décidée en 1937, après les
conférences d’Oxford et d’Édimbourg, a lieu à Amsterdam la première
assemblée du Conseil œcuménique des Églises (COE).
1954: 2e assemblée à Evanston. À partir de là, les Assemblées plénières
auront lieu environ tous les sept ans.
1961: 3e assemblée à New-Delhi: fusion du COE avec le Conseil
international des Missions. L’Église orthodoxe russe fait officiellement son
entrée au COE.
1968: Uppsala (théologie de la révolution).
1975: Nairobi (tendances syncrétistes).
1983: Vancouver (tendances pluralistes).
1991: Canberra (Australie).
1998: Harare (Afrique). Célébration du 60e anniversaire du COE. Le
pape envoie ses vœux au Conseil et reconnaît «le rôle précieux du COE pour
la promotion de l’unité des chrétiens».
Actuellement, le COE a 25 000 églises membres (une église peut
devenir membre si elle a au moins 10 000 membres). Sa vocation est de
«promouvoir l’avènement d’une seule famille humaine dans la justice et la
paix» (communiqué internet du 3 avril 2000).
Parallèlement à ce mouvement œcuménique, se sont constitués deux
autres mouvements de rapprochement des chrétiens: l’Union évangélique
universelle (WEF: World Evangelical Fellowship) et le Conseil international
des églises chrétiennes (ICCC) créé quelques heures avant le COE à
Amsterdam 34(1948).

Le point de bifurcation
On oublie souvent que l’idée et le Mouvement œcuméniques sont des
créations des «évangéliques»: l’Alliance Évangélique est née bien avant que
l’on parle d’œcuménisme. Le mot même «œcuménique», dans le sens actuel
d’unité des chrétiens, a été inventé par Adolphe Monod à propos de cette
Alliance Évangélique 35. À Édimbourg (1910), ce furent en grande partie des
missionnaires appartenant à des missions évangéliques (par exemple la China
Inland Mission fondée par Hudson Taylor) qui donnèrent l’impulsion à ce
mouvement d’unification. Les grandes églises, qui depuis longtemps étaient à
la recherche d’une nouvelle méthode leur permettant de résoudre l’insoluble
problème de l’unité, s’intéressèrent à ce mouvement – à deux conditions
toutefois:
a. Que la base doctrinale fût élargie afin de permettre aux représentants de
toutes les tendances théologiques qu’elles hébergeaient de se sentir à l’aise;
b. Que l’adhésion individuelle soit remplacée par une adhésion collective
des Églises en bloc. Ainsi, au lieu d’être une union de chrétiens d’accord
avec une base doctrinale précise, le Mouvement est devenu le «Conseil
œcuménique des Églises» dont les représentants négocient avec les
délégués de grands ensembles ecclésiastiques l’adhésion de ces
collectivités au COE. Le chrétien membre de ces églises n’a plus grand-
chose à dire et son désaccord sur tel ou tel point ne pèse pas lourd dans la
balance au moment des grandes décisions. Cette tendance, il est vrai,
s’inscrit dans la ligne générale de la collectivisation qui prévaut de plus en
plus dans le monde moderne, mais contre laquelle tout l’Évangile, avec son
respect de la personne humaine, s’inscrit en faux.
Or, ces deux conditions – confession de foi évangélique précise et
adhésion individuelle – étaient précisément la garantie nécessaire pour que le
mouvement reste dans la voie de l’unité telle que la Bible la conçoit. Une fois
ces deux points abandonnés, le mouvement ne tarda pas à dévier de la
direction primitive.
Là où l’on exige et respecte ces deux points, une possibilité
d’oecuménisme évangélique s’ouvre de nouveau. C’est la raison pour
laquelle l’Alliance Évangélique Française, par exemple, insiste sur l’adhésion
individuelle et la souscription personnelle à sa confession de foi.

Deux dangers
Je me souviendrai toujours d’une expérience du temps de la guerre.
Postés depuis une heure à peine au front, nous voyions dans la nuit des
ombres s’avancer vers nous. Le mitrailleur ouvrit le feu. Les ombres
l’interpellèrent vivement en français: c’étaient les sentinelles de la première
ligne qui venaient chercher leur soupe et que nos soldats avaient pris pour des
ennemis: une méprise qui aurait pu être fatale! Combien de fois des chrétiens
n’ont-ils pas commis cette méprise parce qu’ils n’ont pas pris la peine de
dévisager de près celui qu’ils attaquaient.
Quelques jours plus tard, une autre méprise aurait pu être plus fatale
encore: des soldats ennemis revêtus d’uniformes français avaient pénétré
dans les lignes françaises afin de déposer des bombes à retardement dans
notre camp. Heureusement que nos sentinelles les ont démasqués à temps.
L’Église chrétienne doit à son Maître cette double vigilance: vers
l’extérieur pour accueillir tout frère en Christ et lui tendre la main, vers
l’intérieur pour démasquer tout ennemi qui se serait introduit avec l’intention
de saper l’œuvre de Dieu. Seul son Esprit peut nous accorder la sagesse
nécessaire pour cela.

18 HARRISON, 1957, p. 53.


19 Voir Roger NICOLE, «Theology», in Contemporary Evangelical Thought, p. 67-106.
20 Dr Heinrich Buhr, «Zur Theologie des Geiste», Pfulingen, Neske, 1960, cité par Fritz Rienecker,
Bibel und Gemeinde, n° 2, 1961, p. 115.
21 Directoire œcuménique de l’Église catholique, Paris, Cerf, 1994, § 30, cité par WHEELER, 1996, p.
100.
22 CULLMANN, 1971, p. 71-75.
23 New International Dictionary of the Christian Church London, Paternoster Press, 1974 p. 359.
24 Le christianisme au XXe siècle, avril 1995, p. 6.
25 Pour les différentes tentatives de rapprochement entre les diverses confessions chrétiennes, voir
TAVARD, 1994.
26 MÜTZENBERG, 1987, p. 14 et p. 16.
27 WHEELER, 1996, p. 76.
28 ERCDOM: Evangelical Roman Catholic Dialogue On Mission.
29 Dix-sept autres personnalités ont participé à différentes rencontres. Lire Rendre témoignage au
Christ, p. 76-77.
30 Ibid. p. 102.
31 Voir RAMELET, 2000.
32 Ansgar SANTOGROSSI, Catholica, n° 66, hiver 1999-2000.
33 Servir en l’attendant, n° 6, novembre-décembre 1999, p. 19.
34 Pour l’historique du COE, voir l’article de Bruno CHENU dans le Cahier Hors-série du
Christianisme au XXe siècle, mai 1995 p. 21-30 ainsi que TAVARD, 1994, p. 31-47
(préliminaires), p. 67-80 (88) (depuis 1948). Voir aussi CONORD, 1958, ainsi que GAVALDA,
1959.
35 Cité par CONORD, op. cit.
CHAPITRE
5

L’UNITÉ DE L’ÉGLISE UNIVERSELLE


DANS LA PERSPECTIVE
ŒCUMÉNIQUE
Qui sont les bénéficiaires des efforts d’unification entrepris par le
Conseil œcuménique des Églises? Par quels moyens veut-il réaliser cette
unité? Quel genre d’unité envisage-t-on?

«Que TOUS soient un»


«Tous», qui sont-ils dans ces divers mouvements? Que doivent-ils être
pour réaliser l’unité telle que le Christ l’entend?
Nous avons vu que, d’après la Parole de Dieu, ce «tous» désigne tous
ceux qui sont nés de nouveau, passés de la mort à la vie par la foi en Jésus,
leur Seigneur, ceux dont Dieu est devenu le Père, qui sont conduits par le
Saint-Esprit, baptisés par lui en un seul corps, qui vivent dans l’espérance de
la gloire à venir et persévèrent dans la sanctification et dans l’enseignement
des apôtres.
Dans le mouvement œcuménique, ce «tous» désigne en fait tous les
membres des diverses églises qui ont demandé d’adhérer au COE. Ce sont:
1. Les vieux-catholiques: cette dénomination regroupe ceux qui rejettent le
dogme de l’infaillibilité pontificale mais conservent tous les dogmes
catholiques concernant la messe, les saints, la vierge, les prêtres, les
sacrements, etc.
2. Les Églises orthodoxes qui se proclament infaillibles (comme l’Église
romaine) et seules détentrices de la vérité, qui admettent comme autorité
suprême, non pas l’Écriture, mais l’Église, qui gardent leurs icônes des
saints, leurs litanies de la vierge, leur service liturgique très proche de la
messe et qui persécutent des chrétiens évangéliques dans les pays où elles
couvrent la majorité de la population.
3. Les Églises anglicanes, luthériennes et calvinistes par leur théologie,
mais catholiques par leur organisation et leur liturgie.
4. Des Églises luthériennes qui attachent une grande importance à la
pratique correcte des sacrements: le baptême, qui fait du nourrisson un
chrétien régénéré, et la cène dans laquelle le Christ est présent dans
l’hostie, (doctrine de la consubstantiation).
5. Des Églises réformées calvinistes qui, en principe, insistent sur la
justification par la foi, l’autorité des Écritures, la prédestination et le
sacerdoce universel. Ces églises diffèrent quant à leur organisation:
presbytériennes, synodales ou congrégationalistes.
6. Des Églises méthodistes, issues du réveil wesleyen du XVIIIe siècle, qui
insistent surtout sur la piété active et la décision personnelle.
7. Des Églises baptistes qui mettent l’accent sur l’expérience chrétienne
individuelle comme point de départ de l’Église.
8 Les Quakers qui rejettent tous les sacrements et les ministères.
9. Quelques Églises évangéliques: quelques pentecôtistes, des églises
kimbanguistes du Congo, etc.
On ne saurait accuser le COE de manquer de diversité! Cette
juxtaposition d’églises à traditions, formes et théologies tellement différentes
est un des plus grands obstacles à l’unité au sein du COE.
Mais, à supposer qu’elle soit réalisée, serait-ce l’unité telle que
l’envisage le Nouveau Testament? Il existe entre les deux unités, celle dont
parle le Nouveau Testament et celle que poursuit le COE, des différences
radicales.

Dans le COE on cherche l’unité avec tous

Avec croyants et incroyants


L’unité de l’Église du Nouveau Testament est une unité entre seuls
croyants – l’unité au sein du COE est une unité entre croyants régénérés et
chrétiens de nom.
La majorité des églises groupées dans le COE sont des églises de type
multitudiniste, c’est-à-dire des églises qui n’exigent pas de ceux qui veulent
devenir membres qu’ils témoignent avoir accepté personnellement Jésus
comme Sauveur et Seigneur. La qualité de membre de droit est acquise
généralement par le baptême des enfants, confirmée lors d’une cérémonie
placée à âge fixe et au cours de laquelle le jeune homme ou la jeune fille
ratifie le vœu qu’ils sont censés avoir prononcé en la personne de leurs
parrain et marraine. Les modalités d’application de cette cérémonie non
biblique ôtent généralement toute valeur aux engagements pris et la pratique
ne démontre que trop, hélas, que dans la plupart des cas, aucune décision ou
foi personnelle n’a accompagné le rite.
En fait, il est très possible d’être un bon membre de ces églises sans
avoir jamais fait l’expérience de la nouvelle naissance que le Seigneur posait
pourtant comme condition sine qua non d’entrée dans le royaume de Dieu.
L’unité au sein du COE est donc une unité entre croyants et incroyants, ce
que la Bible rejette formellement (2 Corinthiens 6: 14-18). Les notions de
conversion et de nouvelle naissance sont presque systématiquement éludées
des textes œcuméniques. Tout ce qui risquerait de rappeler la barrière que le
Nouveau Testament élève entre les rachetés et les enfants du monde est
soigneusement évité mais, comme l’a dit le pasteur Catel, à force d’insister
sur l’unité entre brebis de diverses bergeries, on en vient à oublier la porte par
laquelle il faut passer pour être sauvé.
Karl Barth lui-même disait:
Plus la communion est authentique et profonde, moins elle est communion avec tous. L’Église qui
prétend posséder cette communion avec tous montre par là qu’elle est morte, qu’elle ne connaît pas
la vraie communion, qu’elle la considère, non pas comme un mystère mais comme une plate vérité
36.

Avec hérétiques et libéraux


L’unité des églises apostoliques était maintenue grâce à l’exercice de la
discipline ecclésiastique. Tout croyant dont la vie morale ne correspondait
plus à la profession de foi était mis en marge de l’Église. L’hérétique était
exclu après avertissement.
L’unité n’était maintenue qu’entre ceux qui vivaient leur foi et
persévéraient dans la vérité. Les églises de la Réforme ont rétabli ces
principes, excluant le pécheur notoire ou le propagateur de fausses doctrines.
Luther écrivait à Mélanchton: «L’homme qui tient sa doctrine pour vraie et
certaine ne peut rester dans la même bergerie que ceux qui soutiennent une
doctrine opposée».
Mais le COE se glorifie d’être une association d’églises sans anathème.
Si on accepte des incroyants comme membres d’Église, on serait mal venu
d’exclure des croyants dont la vie ne correspondrait pas aux exigences de
l’Évangile ou dont la doctrine ne serait pas en accord avec l’enseignement de
la Bible. En fait, dans la plupart des églises multitudinistes, la discipline
ecclésiastique est pratiquement inexistante et toutes les tendances
théologiques y sont accueillies. La seule «vérité absolue» est l’absence de
vérité absolue.
Le COE a bien une base doctrinale évangélique, précisée à New-Delhi
sous la pression des orthodoxes. En fait, chacun a une entière liberté
d’interpréter cette base comme il veut 37, et aucun anathème n’a jamais été
lancé par le COE contre des théologiens qui nient la divinité du Christ, sa
résurrection corporelle et son ascension, la valeur expiatoire de la croix ou
d’autres doctrines fondamentales. Au contraire, des théologiens libéraux ont
occupé et occupent encore dans le COE des places dirigeantes 38.
On ne trouve aucune unité dogmatique au sein du COE: sur aucun des
sept points mentionnés dans Éphésiens 4: 4-6, les Églises membres du
mouvement œcuménique n’ont réussi à se mettre pleinement d’accord.
Toutes critiques contre les libéraux, ou contre les hérésies de certaines
églises, sont écartées au nom de l’amour. «Toutes les doctrines sont bonnes,
chacune contient une part de vérité»: une telle attitude n’a que peu de points
communs avec celle des apôtres au sujet de l’unité.

Avec orthodoxes et catholiques romains


L’Église orthodoxe russe était cofondatrice du mouvement œcuménique
avec l’Église anglicane. Elle fait partie depuis 1961 du COE, bien qu’elle
prétende – conformément à son nom – être seule détentrice de la vraie
doctrine. Dans les premières séances auxquelles des délégués orthodoxes ont
assisté, ils se sont levés pour affirmer que leur Église seule avait toute la
vérité. Consternation dans les rangs des autres assistants! «Dans ce cas, à
quoi sert de dialoguer?» Mais après avoir fait leur déclaration – comme ils la
feront «par acquit de conscience» à chaque séance – ils ont pleinement joué
le jeu du dialogue.
Sur toutes les questions dogmatiques, l’Église orthodoxe est restée fidèle
aux confessions de foi œcuméniques des premiers siècles 39. Sur beaucoup de
points, l’Église orthodoxe est plus proche du catholicisme romain que des
églises protestantes ou évangéliques:
• Elle a gardé la forme et la signification des principaux sacrements
catholiques;
• Dans l’eucharistie, les éléments sont «transmutés» en corps et sang du
Christ;
• Le baptême pratiqué par immersion sur les nourrissons leur confère la
vie divine;
• La vénération des saints et des icônes joue un rôle capital dans le culte
orthodoxe;
• Marie est vénérée comme «Mère de Dieu».
Le Dictionnaire du mouvement œcuménique est assez critique à l’égard
de la foi orthodoxe. Dans un article de N. Lovsky, il est dit que:
Le baptême tend à être un événement purement social, comme le mariage. Les fidèles participent
une fois par an à l’eucharistie – si jamais ils y participent. Les prières eucharistiques sont dites de
manière telle que les fidèles ne peuvent pas les entendre. Les laïcs se considèrent – et sont
considérés – comme des membres passifs de l’Église 40.

D’ailleurs, là où l’Église orthodoxe se sent en position de force, elle ne


craint pas d’adopter une attitude persécutrice en face des autres églises, en
particulier en face des évangéliques, et cherche à faire pression sur les
gouvernements pour être déclarée seule religion officielle du pays.
L’une des preuves les plus convaincantes que la hantise de l’unité avec
tous a engagé le Conseil œcuménique sur une fausse voie est son attitude
envers l’Église romaine (qui n’est pas membre du COE). Le but final des
efforts œcuméniques est l’unité de toutes les églises se réclamant du Christ au
sein d’une même organisation, «un seul troupeau»:
On ne pourra légitimement parler d’œcuménisme tant qu’il manquera dans l’union projetée une
Église: l’Église romaine, qui commande au surplus à la moitié des chrétiens. Une union restreinte
n’est pas l’unité 41.
François Méjean se demande si cet œcuménisme partiel jus-tifierait tous
les sacrifices, tant de doctrine et de foi (c’est-à-dire de vérité) que de structure
et de liberté ecclésiastique, que nécessiterait une telle union.
Qu’il existe des chrétiens authentiques au sein de l’Église catholique ne
fait de doute pour personne. Chacun de nous a eu l’occasion de rencontrer de
ces vrais chrétiens qui, dans le mélange de vérité et de superstitions qui leur
est offert, savent, avec une remarquable intuition, trier le bon grain d’avec la
balle et se nourrir des seules vérités qui sauvent, les vérités que le dogme
catholique a retenues souvent avec plus de fidélité que maintes églises
protestantes contaminées par le libéralisme.
En se fondant par la foi sur le sacrifice du Christ pour eux sur la croix et
en l’acceptant comme leur Seigneur, ils sont devenus des enfants de Dieu (
Jean 1: 12). Nous pouvons donc manifester notre communion avec eux, par
exemple, en priant avec eux individuellement. Ce ne sont pas ces frères et
sœurs en Christ qui sont en cause, si nous parlons de l’Église catholique.
C’est le système catholique romain que nous dénonçons. Nous ne
méconnaissons nullement la bonne volonté et les efforts de tous ceux qui
attendent depuis Vatican ii un renouvellement du catholicisme; une
transformation effective est en cours, mais elle ne modifiera en rien – elle ne
peut modifier – la structure essentielle de l’Église romaine. Assez de voix
autorisées se sont élevées au sein du catholicisme pour rassurer les fidèles,
effrayés devant la perspective d’un changement total.

Les avances œcuméniques de Jean-Paul II


Jean-Paul ii a participé à un rite œcuménique avec le patriarche orthodoxe de Constantinople. Puis,
en 1982, à Canterbury même, le pape a célébré avec le primat de l’Église anglicane, la foi
baptismale que catholiques et anglicans partagent. Ensuite, en 1983, nous le trouvons humblement
assis à la Christus Kirche luthérienne de Rome, écoutant le pasteur de l’église, Christophe Meyer,
considéré comme évangélique, avant qu’il n’y prêche lui-même en allemand. Rome a su si bien
«réhabiliter» Martin Luther. Et en 1989 encore, lors de sa visite aux pays scandinaves, à majorité
luthérienne, Jean-Paul ii précise, en réponse à une question qui lui avait été posée, qu’un
excommunié de l’Église catholique – Martin Luther en l’occurrence – ne l’est que jusqu’à sa mort
(physique) 42.
Mais n’oublions pas que, pour le pape, «œcuménisme» signifie toujours:
«retour des frères séparés à l’Église romaine».

L’Église romaine a-t-elle changé?


Radio Vatican avait prévenu, avant le Concile de Vatican ii:
Aucune révision ne peut être apportée à la doctrine de la primauté ou de l’infaillibilité du pape
43[…] Ce que l’Église catholique a déclaré une fois comme article de foi a été déclaré tel, non pas
arbitrairement, mais sous l’inspiration du Saint-Esprit. L’Église n’y peut donc faire même le plus
petit changement, quelle qu’en soit l’importance 44.

Le serment qu’ont dû signer les pères conciliaires avant l’ouverture de Vatican ii et qui exigeait
l’adhésion inconditionnelle à tous les dogmes romains ainsi que la condamnation de toute Église
non romaine, a ouvert les yeux à bien des protestants qui se berçaient d’illusions 45.

D’ailleurs, le schéma De Ecclesia de Vatican ii réaffirme solennellement


que l’Église catholique romaine conduite par le souverain pontife est la seule
Église de Dieu. Il n’est jamais question dans ce schéma des autres Églises, il
n’est fait mention que des chrétiens non catholiques pris individuellement.
Leurs communautés n’existent pas en tant qu’Églises pour Rome. Dans sa
bulle Unam Sanctam, le pape Boniface VIII a proclamé: «Toute créature
humaine est sujette du pape et nous prononçons que cette doctrine est
absolument nécessaire au salut». Cette affirmation n’a jamais été désavouée.
Comme l’a résumé le pasteur Bourguet dans ses Opinions sur le Concile:
«Un ton nouveau, des exigences inchangées».
L’unique Église du Christ subsiste en l’Église catholique qui est gouvernée par le successeur de
Pierre et par les évêques qui sont en communion avec lui 46.

Le très irénique pape Jean xxiii disait:


Si les frères qui se sont séparés de nous, et qui sont aussi divisés entre eux, veulent réaliser l’unité
que nous souhaitons tous, nous pourrons leur dire avec la plus vive affection: Notre maison est la
vôtre, c’est la maison de ceux qui portent la marque du Christ 47.

Si Jean-Paul ii reconnaît bien que «les autres églises et communautés


ecclésiastiques examinent toujours plus et d’un regard nouveau son ministère
de l’unité», sa conviction est que «par le pouvoir et l’autorité, sans lesquels
cette fonction serait illusoire, l’évêque de Rome doit assurer la communion
de toutes les églises 48».
C’est pourquoi il prie l’Esprit saint de «nous donner sa lumière et
d’éclairer tous les pasteurs et théologiens de nos églises, afin que nous
puissions chercher, évidemment ensemble, les formes dans lesquelles pourra
se réaliser un service d’amour reconnu par les uns et par les autres» (ibid. §
95). Et Pierre Wheeler (qui cite ces textes) ajoute: «Bien entendu, ce
ministère est celui du pape 49».
«Les longs débats de Vatican ii , s’ils ont abouti à un assouplissement de
la discipline, ne changeaient pas grand-chose de fondamental 50. […]
L’aggiornamento ne touche pas la doctrine 51». Un climat nouveau a été
introduit dans les relations entre catholiques et protestants:
Les «hérétiques» sont devenus des «frères séparés». On maintient, il est vrai, qu’il n’y a point de
salut en dehors de l’Église (catholique romaine), mais, qu’à cela ne tienne puisque le chrétien non
romain est, en fait, un membre de cette Église sans le savoir, qu’il le veuille ou non 52.

Beaucoup de protestants et d’évangéliques aspirent à participer avec les


catholiques à la table du Seigneur. Un certain nombre d’entre eux
communient clandestinement à l’eucharistie lorsqu’ils en ont l’occasion. Ils
ne savent certainement pas comment cette participation est valorisée par les
autorités catholiques. Il est intéressant de lire ce que le •••Cardinal Suenens,
qui, par certains côtés, se trouvait très proche des évangéliques, écrivait à ce
sujet:
Selon l’enseignement de l’Église, la réception de l’eucharistie est en même temps l’expression de sa
communion ecclésiastique avec les bergers de l’Église. Celui qui reçoit la sainte communion lors
d’une célébration eucharistique catholique ne reçoit pas seulement le corps et le sang du Christ, il
confesse aussi publiquement sa communion avec les évêques et avec le pape. D’après les règlements
de l’Église catholique, on ne peut pas séparer ces deux aspects l’un de l’autre 53.

Il est vrai que c’est surtout affectivement que la séparation est ressentie
et que c’est sur ce plan que la question de l’unité se résout apparemment plus
facilement:
Si, autrefois, on voyait l’autre à travers des préjugés, aujourd’hui, on le définit au moyen
d’expériences communes où le sentiment a une grande place. On se fie à ses impressions. Un accueil
chaleureux nous donne à croire que tout a changé – alors qu’il n’en est rien. La porte s’ouvre sur
l’illusion 54.

La doctrine catholique a-t-elle changé?


«La doctrine reste la doctrine. Pas question de la changer. La doctrine
romaine n’est pas négociable 55», et l’historien parle d’une Église «dont
l’immutabilité dans l’erreur défie les siècles 56».
La messe reste la messe: «une négation du caractère unique du sacrifice
et de la Passion de Jésus-Christ» (Catéchisme de Heidelberg) avec la
«transsubstantiation» du pain et du vin opérée uniquement par les paroles
d’un prêtre régulièrement ordonné par Rome. Le pape reste le chef de toute la
chrétienté, qui s’arroge le droit de représenter tous les chrétiens auprès des
peuples et des États. Marie reste «la reine du ciel», «Mère du Christ et Mère
de l’Église» ( Jean-Paul ii ), «invoquée sous les titres d’Avocate, de Secours,
d’Auxiliaire, de Médiatrice 57» en passe d’être proclamée «corédemptrice».
Les indulgences n’ont pas été abolies, elles ont été remises à l’honneur lors
de l’année jubilaire 2000 58.
Le Cardinal Béa qui était, en son temps, à la tête du Secrétariat d’État
pour l’unité des chrétiens, a déclaré:
Tant qu’il s’agit de l’élucidation de la doctrine et de la condamnation des erreurs, il est hors de
doute que les anathèmes du Concile de Trente doivent rester à l’avenir en vigueur. Moi-même j’ai
souvent répété dans mes conférences qu’il ne faudrait laisser d’espoir à personne qu’au cours du
Concile de Vatican ii les décisions dogmatiques du Concile de Trente seraient retirées ou affaiblies,
ou que l’on n’exigerait des non-catholiques que la reconnaissance des dogmes soi-disant essentiels
59.

Dans sa Lettre aux évêques de l’Église catholique de 1992, le Cardinal


Ratzinger, primat du pontife romain 60, rappelait dans son point 17 «aux
orthodoxes et a fortiori aux protestants, qu’ils ne sont pas complètement des
églises. De plus, la Lettre se termine sur un appel à la pénitence et au
dialogue qui n’a d’autre but que de préparer les églises et communautés non
romaines à la pleine reconnaissance du primat de Pierre dans ses successeurs,
les évêques de Rome 61». Olivier Fatio dit que cette lettre a «fait l’effet d’une
douche froide pour ceux qui ont mis leur volonté et leur intelligence au
service d’un dialogue censé aboutir à une reconnaissance réciproque […]
Comment des protestants avertis pourraient-ils penser qu’ils puissent jamais
satisfaire aux critères posés par Rome pour avoir le droit d’être reconnus
comme Église?»
La lettre ne devrait cependant étonner personne:
Ce que le Cardinal Ratzinger a réaffirmé avec l’approbation du pape Jean-Paul ii ne fait qu’exprimer
une doctrine établie bien avant l’existence du présent pontificat, en tout cas depuis le Concile de
Trente. Et on ne pourrait y renoncer que si le Saint-Esprit convainquait chaque évêque catholique
romain du contraire.

[La Lettre] est parfaitement cohérente avec la doctrine de l’Église catholique romaine qui estime
qu’elle seule détient la totalité de la catholicité de l’Église. Cette prétention peut paraître excessive,
elle n’en est pas moins une vérité de foi pour Rome, donc irréformable.

[Il n’est donc pas étonnant que l’on se trouve dans la situation actuelle où] les perspectives du
traditionnel dialogue interconfessionnel sont bouchées 62.

Plus récemment encore, le même Cardinal Ratzinger, Préfet de la


Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a de nouveau suscité l’étonnement
(et l’indignation) des milieux non romains par sa «Déclaration Dominus
Jesus sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Église»
publiée à Rome le 6 août 2000.
Ce «texte provoquant», comme le présente Michel Salamolard dans la
revue catholique Paroisses vivantes, contient d’abord des affirmations
parfaitement bibliques sur «l’unicité», à savoir le caractère unique de la
révélation «complète et définitive» apportée par Jésus-Christ et du salut en lui
(cf. note du chapitre 6). Dans une seconde partie, la Déclaration rappelle la
continuité qui rattache l’Église au Christ et à son Esprit. Et cette Église,
suivant l’expression technique de Vatican ii , c’est «dans l’Église catholique
qu’elle subsiste» (Lumen Gentium, § 8). C’est dans le chapitre 4, intitulé
«L’unicité et l’unité de l’Église», que la Déclaration précise que:
Tout comme il existe un seul Christ, il n’y a qu’un seul corps, une seule épouse: une seule et unique
Église catholique et apostolique […].

Il existe une continuité historique – fondée sur la succession apostolique 63– entre l’Église instituée
par le Christ et l’Église catholique: C’est là l’unique Église du Christ […] que notre sauveur, après
sa résurrection, remit à Pierre pour qu’il en soit le pasteur (cf. Jean 21: 17), qu’il lui confia, à lui et
aux autres apôtres, pour la répandre et la diriger (cf. Matthieu 28: 18s), et dont il a fait pour toujours
la colonne et le fondement de la vérité (1 Timothée 3: 15). Cette Église comme société constituée et
organisée en ce monde, c’est dans l’Église catholique qu’elle se trouve [subsistit in], gouvernée par
le successeur de Pierre et les Évêques qui sont en communion avec lui 64[…].

L’Église du Christ continue à exister en plénitude dans la seule Église catholique. [Bien que] «des
éléments nombreux de sanctification et de vérité subsistent hors de ses structures 65» c’est-à-dire
dans les églises et Communautés ecclésiales qui ne sont pas encore en pleine communion avec
l’Église catholique […] la plénitude de grâce et de vérité a été confiée à l’Église catholique.

[La note sur ce point précise] qu’il existe une seule «subsistance» de la véritable Église, alors qu’en
dehors de son ensemble visible, existent seulement des elementa Ecclesiae qui – étant des éléments
de la même Église – tendent et conduisent vers l’Église catholique.

Il existe donc une unique Église du Christ, qui subsiste dans l’Église catholique, gouvernée par le
successeur de Pierre et les évêques en communion avec lui 66. Les églises qui, quoique sans
communion parfaite avec l’Église catholique, lui restent cependant unies par des liens très étroits
comme la succession apostolique et l’eucharistie valide, sont de véritables églises particulières 67.
En revanche, les Communautés ecclésiales qui n’ont pas conservé l’épiscopat valide et la substance
authentique et intégrale du mystère eucharistique 68, ne sont pas des églises au sens propre [bien
que leurs baptisés] se trouvent dans une certaine communion quoique imparfaite avec l’Église.

Ce chapitre est celui qui a provoqué la plus vive réaction dans les
milieux chrétiens, hors de l’Église romaine. Le Conseil national de l’Église
réformée de France a vivement protesté contre cette Déclaration qui prétend
que «l’Église catholique romaine est la seule et l’unique véritable Église de
Jésus-Christ 69». Le pasteur Jacques Stewart parle d’impérialisme et
d’oukases 70. Si l’on écarte l’Église orthodoxe (qui a maintenu «la succession
apostolique et l’Eucharistie valide») toutes les Églises ne sont que des
«communautés ecclésiales» et pas des Églises. Le pasteur Konrad Raiser,
Secrétaire général du Conseil œcuménique des Églises, «estime que ce
document marque une régression» par rapport aux efforts de rapprochement
entrepris au cours des dernières décennies. Le pasteur Raiser parle des
«interrogations qui traversent les Églises anglicane et luthérienne qui
venaient de signer avec Rome des accords importants (sur l’autorité, sur la
justification) et avaient le sentiment qu’une phase nouvelle était en train de
s’ouvrir. Tous se demandent aujourd’hui comment il est possible que l’Église
catholique, à son sommet, fasse entendre deux voix si différentes et que le
texte d’une congrégation semble vouloir corriger une encyclique. De ces
deux voix, laquelle est la plus autorisée 71?» «L’encyclique Ut Unum sint de
Jean-Paul ii partait, au contraire, d’une appréciation positive de tout le
parcours accompli en commun», alors que «dans le document Dominus
Jesus, c’est l’absence presque totale de prise en compte des développements
du dialogue œcuménique depuis quarante ans» (ibid.).
Mgr Carey, archevêque de Canterbury, s’est exclamé que l’Église
anglicane «n’accepte pas une seconde que ses ordres ministériels et son
eucharistie soient déficients».
Même du côté catholique, les avis sont très partagés. L’hebdomadaire
La Vie a publié «Hors de Rome, point de salut?», long article de Jean
Mercier:
[La Déclaration du Cardinal Ratzinger] choque tous ceux qui œuvraient jusqu’alors au dialogue
interreligieux et œcuménique. On savait l’œcuménisme mal en point. La Congrégation pour la
Doctrine de la Foi vient de lui porter un coup dont il aura du mal à se remettre.

Cette Déclaration «résonne comme une provocation pour les églises


protestantes» qui sont toutes «“déficientes” et ne peuvent être considérées
comme des églises au sens propre». Une note secrète du Cardinal Ratzinger à
tous les présidents des conférences épiscopales demande d’éviter à l’avenir
l’emploi de l’expression «Églises sœurs» – même pour l’Église orthodoxe,
reconnue comme telle depuis les accords de Balamand (Liban, 1993).
Comme l’Église catholique romaine est «la mère de toutes les Églises», elle
ne peut donc pas les considérer comme des sœurs. D’autres personnalités
catholiques comme Gabriel Ringuet, vicerecteur de l’Université catholique de
Louvain, Jean-Marie Viennet, secrétaire d’Emmaüs international ou Jean
Delumeau ont exprimé leur tristesse, leur consternation et leur
désapprobation quant à cette prise de position.
La réaction de Konrad Raiser – et d’autres – laisse supposer un conflit
de pouvoir «au sommet» entre le pape et la Congrégation pour la Doctrine de
la Foi. La Vie se demande même si cette dernière cherchait à marquer des
points en vue d’une succession sur le siège de Pierre ou si elle agissait sous
l’influence de l’Opus Dei par ce texte qui a «des allures de Syllabus».
Cependant, pour éviter toute équivoque et empêcher de soupçonner un
quelconque conflit «au sommet», la Déclaration précise:
Sa sainteté le Pape Jean-Paul ii, au cours de l’audience accordée le 16 juin 2000 au soussigné
cardinal Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, avec science certaine et son autorité
apostolique a approuvé la présente Déclaration, décidée en session plénière, l’a confirmée et en a
ordonné la publication.

Le «double langage» dont Konrad Raiser accuse Rome fait partie de la


dialectique romaine: selon les interlocuteurs, c’est l’ouverture ou la fermeté:
Affirmation de nos convictions chrétiennes et ouverture à l’égard des autres chercheurs de Dieu
peuvent et doivent se conjuguer. Non seulement elles ne s’opposent pas, mais elles sont condition
l’une de l’autre 72.

Une déclaration publiée en Italie par l’Institut de formation évangélique


et de documentation de Padoue (dirigé par Pietro Bolognesi) et acceptée par
l’Alliance évangélique italienne explique le fondement philosophique de cette
dialectique romaine:
L’objectif global du catholicisme, c’est l’universalité (la catholicité). Dans la perspective catholique
romaine, l’universalité, c’est à la fois l’unité et la totalité. De telles prémisses impliquent que la
multiplicité doit être amenée à l’unité. L’Église est perçue comme l’expression, le garant et le
promoteur de cette vraie unité. Aussi longtemps que la structure institutionnelle qui préserve l’unité
demeure intacte, tout peut et doit trouver son lieu quelque part à l’intérieur du royaume catholique.

Étant donné le présupposé fondamental et le principal objectif du catholicisme, la méthode choisie


pour sa réalisation est celle de l’intégration. Le catholicisme romain est passé maître dans l’art
d’intégrer à son système des éléments qui ne sont pas seulement différents, mais aussi opposés,

voire incompatibles avec lui. Le critère essentiel n’est pas alors celui de la pureté évangélique ou de
l’authenticité chrétienne, mais celui d’une inclusion progressive – l’insertion de ce particulier dans
une perspective plus large qui élimine sa spécificité en le dissolvant dans le service de l’universalité.

Dans le paysage religieux contemporain, il est clair que le catholicisme développe un programme
très clair dans sa poursuite de l’universalité. C’est particulièrement manifeste dans sa stratégie
œcuménique après Vatican ii – toute occasion d’avancer cette cause a été saisie. Les signes
apparents de cette volonté de dialogue et de cette disponibilité aux relations avec les évangéliques
devraient inciter ceux-ci à se demander si le but ultime de l’Église catholique n’est pas en réalité
l’extension de sa propre synthèse afin d’inscrire les idéaux des évangéliques à l’intérieur de ses
propres horizons. Cette stratégie, cependant, n’inclut pas seulement les évangéliques, mais elle
s’étend également à toutes les religions et à tous les corps religieux autour du monde 73[comme
nous le verrons dans le chapitre suivant].

Ce sont ces présupposés de base (qui se trouvent être aux antipodes des
présupposés évangéliques) qui déterminent les objectifs et les méthodes du
catholicisme. La Réforme a affirmé ses principes dans des formules
commençant par sola ou solus: l’Écriture seule, le Christ seul, la grâce seule,
la foi seule et à Dieu seul la gloire. La Déclaration de Padoue dit:
Sur la base du sola, solus, la distance qui sépare le catholicisme contemporain de la foi évangélique
n’est pas plus réduite qu’au moment de la Réforme du XVIe siècle. En fait, après les premier et
second Conciles du Vatican, le catholicisme continue d’ajouter à l’Écriture l’autorité de la tradition
et l’autorité de l’enseignement du magistère. Au Christ, il a ajouté l’Église comme une extension de
l’incarnation. À la grâce, il a ajouté la nécessité de bénéfices qui proviennent de l’office sacramental
de l’Église. À la foi, il a ajouté la nécessité des bonnes actions pour le salut. À la célébration de
Dieu, il a ajouté la vénération d’une foule d’autres figures qui détournent du culte du vrai Dieu.
[Donc, depuis le Concile de Trente] aucun changement de fond n’est intervenu [car il n’y a pas eu]
de changements dans les éléments sousjacents qui structurent la nature même du catholicisme.

La Déclaration de Padoue ajoute néanmoins:


Ce qui est vrai de l’Église catholique en tant que réalité doctrinale et institutionnelle n’est pas
nécessairement vrai des catholiques en particulier. La grâce de Dieu est à l’œuvre dans des hommes
et des femmes qui, même s’ils se considèrent eux-mêmes catholiques, mettent leur confiance en
Dieu seul, cherchent à développer une relation personnelle avec lui, lisent les Écritures et vivent de
manière chrétienne.

C’est ce que j’écrivais déjà il y a près de cinquante ans, dans une édition
antérieure de ce présent livre: notons cependant que cette immutabilité de la
doctrine n’empêche pas l’évolution de beaucoup de catholiques vers une
attitude de plus en plus proche de celle des évangéliques.

Le test mariologique
Le pape Jean XXIII , considéré comme étant à l’origine de la rénovation
de l’Église catholique (il a convoqué le Concile de Vatican ii ), était un
fervent défenseur du dogme mariologique:
Nous nous trouvons dans une crise de la foi. Si notre temps est malade par manque de foi en Christ,
alors Marie peut se révéler une aide pour les chrétiens. Nous avons besoin d’une foi mariale […]
Marie doit nous révéler son Fils. Personne d’autre que Marie ne peut nous donner une meilleure
réponse, une réponse plus valable à la question: «Qui est Jésus?» Avec elle, que nous vénérons
comme triomphatrice de toutes les hérésies, nous vaincrons la crise de foi actuelle. Si quelqu’un
veut être chrétien, il doit être marial. Marie nous ouvre le chemin qui mène à elle […] Le Saint-
Esprit a créé l’homme nouveau, et cet homme nouveau, c’est la Vierge Marie. Toi, Marie, tu es
notre joie, tu es la maîtresse du monde, tu es notre espérance, notre Médiatrice, notre Avocate, notre
Réconciliatrice, nous te recommandons le monde entier 74.

Pour préparer le Jubilé de l’an 2000, le pape Jean-Paul II a décrété une


Année mariale en 1987. Dans l’encyclique Redemptoris Mater, il disait:
C’est précisément le lien spécial de l’humanité avec cette Mère qui m’a conduit à proclamer dans
l’Église, en la période qui précède la conclusion du deuxième millénaire depuis la naissance du
Christ, une Année mariale.

Ceux qui pensent que l’Église catholique a changé se détromperaient


probablement en consultant les instructions données au sujet de cette année
aux fidèles catholiques. Dans •••L’Année mariale dans le diocèse de Sion, par
exemple, sont énumérés les différents sanctuaires où les fidèles peuvent
acquérir une «indulgence plénière» moyennant certaines pratiques. Jean-Paul
ii déclare:
Interprétant les sentiments maternels de l’Église, je dispose que l’indulgence du Jubilé pourra être
gagnée, au choix, de l’une des manières suivantes, qui seront à la fois l’expression et l’engagement
renouvelé d’une vie ecclésiale exemplaire.

Le Décret sur l’Année mariale et le don de l’Indulgence plénière


concède…
… l’Indulgence plénière à tous les fidèles, les conditions habituelles étant dûment remplies:
Confession sacramentelle, Communion eucharistique, Prière selon les intentions du Souverain
Pontife:

1. Le jour où commencera l’Année mariale et le jour où elle s’achèvera, si dans leur église ou dans
un sanctuaire marial, ou dans un autre édifice sacré, ils assistent avec piété à une célébration liée à
l’Année mariale.

2. Tous les jours de solennité et de fêtes liturgiques de la bienheureuse Vierge Marie […] s’ils
participent avec ferveur à un rite célébré en l’honneur de la bienheureuse Vierge Marie.

3. Tous les jours de l’Année mariale, s’ils effectuent de manière collective un pèlerinage aux
sanctuaires de Notre Dame désignés par l’évêque pour son propre diocèse et s’ils y participent à des
rites liturgiques […] ou à une célébration pénitentielle communautaire, ou à la récitation du
chapelet, ou s’ils accomplissent quelque autre pieux exercice en l’honneur de la bienheureuse
Vierge Marie.

4. S’ils visitent avec piété, même individuellement, la basilique patriarcale de Sainte-Marie-Majeure


à Rome.
5. Quand ils reçoivent avec piété la bénédiction papale impartie par l’évêque, même par le moyen de
la radio ou de la télévision 75.

La brochure de 40 pages se termine par l’exhortation:


Exprimons notre prière de louange à Dieu en nous unissant dans un même élan vers Jésus par
Marie. [Souligné dans le texte].

La seule possibilité humaine de réussite de l’œcuménisme


Envisager donc une union avec l’Église romaine a deux implications:
1. Il faut être prêt à accepter de faire cause commune avec l’institution
ecclésiastique qui a accueilli et gardé au cours des siècles un nombre
incalculable d’hérésies, qui actuellement encore égare et asservit des millions
d’hommes, qui a persécuté de tout temps et persécute encore les chrétiens
évangéliques où elle le peut, une institution qui n’a rien renié de son
intransigeance et de son exclusivisme. Il ne semble pas que cette
compromission effraie les dirigeants du COE. Une des plus hautes
personnalités du COE a en effet affirmé que «si le pape écrivait demain une
lettre d’admission cela voudrait dire que son Église accepte notre base,
pourquoi ne l’accepterions-nous pas?».
2. À cause de cette intransigeance et de cet exclusivisme de l’Église
romaine, rechercher l’union avec elle signifie qu’on est prêt au sacrifice de
bien des vérités évangéliques puisque Rome affirme nettement qu’aucun
compromis n’est possible de son côté et qu’elle ne peut envisager l’unité
chrétienne que dans la perspective d’un retour des frères séparés à la sainte
mère l’Église. «L’œcuménisme est interprété par Rome comme une nostalgie
de Rome, comme un désir de retour à la seule “véritable Église 76”».
La seule possibilité humaine de réussite pour l’œcuménisme c’est qu’il conduise ses partisans au
catholicisme, qu’il aboutisse au retour de tous les chrétiens non-catholiques à l’Église romaine car
celle-ci ne cédera jamais, elle ne le peut pas 77.

En fait la «catholicisation» progressive d’un nombre croissant de


secteurs du protestantisme n’échappe à aucun observateur objectif 78, alors
qu’à part le climat psychologique, rien d’essentiel n’a changé dans le
catholicisme. Actuellement, beaucoup de pasteurs ne collaborent déjà plus
avec d’autres églises (pour une action d’évangélisation, par exemple) qu’à
condition d’y associer également les catholiques.
Le BEM, transcrit sous la présidence de Max Thurian [de Taizé], infléchit la doctrine dans le sens
d’un sacerdotalisme et d’un ritualisme fort éloignés de l’Évangile 79.

Le rôle de Taizé
La communauté de Taizé fut fondée en 1940 par le frère Roger Schutz, protestant. Actuellement 80
«moines» de 20 nationalités y vivent en communauté, dont des franciscains et des orthodoxes. Max
Thurian, devenu catholique et ordonné prêtre à Naples en mai 1987, en est actuellement le prieur,
tandis que Roger Schutz, le fondateur «communie à l’Eucharistie catholique».

La communauté de Taizé n’a jamais caché son désir d’entraî-ner le


protestantisme vers l’Église catholique. Lors du Concile de Vatican ii ,
l’évêque de Bobo-Dioulasso a demandé au frère Schutz comment il se faisait
qu’avec ses sympathies pour l’Église romaine il ne se ralliait pas à cette
Église. Le frère lui a répondu: «Si je venais maintenant, j’y viendrais seul. Si
j’attends encore quelque temps, j’espère pouvoir y entraîner une partie du
protestantisme 80».

Et le Renouveau charismatique catholique?


Beaucoup de catholiques et de protestants ont espéré que le mouvement
charismatique favoriserait l’unité des chrétiens. Le Se-crétaire général du
COE, Philip Potter, l’a exprimé: «Le Renou-veau charismatique crée un pont
des églises de la Réforme aussi bien vers l’Église catholique romaine que
vers les évangéliques conservateurs 81».
De nombreux catholiques romains ont trouvé, au travers de ce
mouvement, un chemin d’accès vers la Bible et une foi personnelle en Jésus-
Christ comme Sauveur, mort sur la croix pour pardonner leurs péchés et leur
assurer la vie éternelle. Cependant, sur le plan de l’institution, l’influence du
mouvement charismatique a été quasi nulle.
On pouvait croire, nourris par la Parole de Dieu, qu’ils évolueraient vers une pratique religieuse
dépouillée des excroissances romaines. Hélas! Le jeu subtil d’une hiérarchie habile à exercer la
discipline et les capacités enseignantes – le pape Paul vi en tête – parvint, au bout de quelques
années, à réintégrer le mouvement dans les rangs du catholicisme traditionnel 82.

Beaucoup d’évangéliques ont nourri cet espoir. H. Blocher écrivait en


1974:
Dieu est à l’œuvre, et nous n’avons pas à nous montrer plus pressés que lui. La Réforme ne s’est pas
faite en un jour. Certes le renouveau de l’Église exige à la fois la vie de l’Esprit et la vérité de
l’Écriture, mais nous n’avons pas à exiger d’emblée une parfaite lucidité théologique et une
orthodoxie impeccable 83.

C’était aussi mon espoir lorsqu’en 1975 j’écrivais dans Le renouveau


charismatique (p. 85-87) concernant l’avenir de ce Renouveau:
Tout dépend de l’évolution du mouvement: a-t-il atteint d’ores et déjà son profil d’équilibre ou bien
est-il ce que son nom indique: un mouvement, c’est-à-dire quelque chose en devenir? Or, ce
mouvement veut honorer à la fois l’Esprit et la Parole de Dieu. Mais l’Esprit de Dieu qui a inspiré sa
Parole conduit immanquablement ceux qui lui obéissent vers une fidélité plus grande à ses directives
consignées dans la Bible, même s’ils devaient, pour cela, s’opposer à ceux qu’ils continuent à
respecter comme leurs chefs spirituels. Un jour, ils seront amenés à leur poser la question: Jugez s’il
est juste, devant Dieu, de vous obéir plutôt qu’à Dieu (Actes 4: 19).

On a aussi pu lire:
C’est la première fois, depuis la naissance du système romain, que la Bible est diffusée aussi
largement et officiellement dans l’Église catholique. Les millions de Nouveaux Testaments de
toutes traductions – avec ou sans notes – répandus et lus par des catholiques, ne peuvent rester sans
effet. «L ’une des marques de l’authenticité divine de l’expérience charismatique, dit Le Cossec, est
la soif de lire et d’étudier la Bible qui en découle 84».

Sauf quelques rares exceptions, la suite du mouvement n’a guère justifié


les espoirs de tous ceux qui attendaient du système catholique romain un vrai
mouvement de rénovation de cet authentique souffle de l’Esprit. S’il est vrai
que de nombreux catholiques ont trouvé, à travers les groupes
charismatiques, une foi personnelle qu’ils n’auraient jamais cherchée dans
des églises protestantes ou dans une évangélisation de type évangélique, sur
le plan ecclésiastique, rien n’a changé. Les rencontres charismatiques
œcuméniques sont restées très généralement un «œcuménisme affectif». Le
Cardinal Suenens, qui était à la pointe du mouvement charismatique
catholique, a donné des consignes très précises aux catholiques engagés dans
le Renouveau:
Les responsables des groupes devront veiller à ce que ce qu’il y a de catholique en eux reste
clairement reconnaissable […] La présence de noncatholiques ne doit pas les empêcher d’exprimer
ouvertement ce qui fait intégralement partie de leur foi catholique et de leur spiritualité. Il est
normal et souhaitable […] qu’ils adressent régulièrement leurs prières à Marie et aux saints et qu’ils
intercèdent pour des sujets spécifiquement catholiques (le pape, les évêques, etc.) 85.

Conclusion
Dans le mouvement œcuménique, on s’efforce d’unir – et si possible
d’unifier – toutes les Églises qui portent un nom chrétien, sans se préoccuper
de savoir si ce titre est justifié, c’est-à-dire si ces églises correspondent à ce
que la Bible appelle ainsi. Il est évident qu’aucune Église ne saurait prétendre
être à 100 % fidèle au modèle biblique. Des limites existent cependant, qu’il
semble difficile de dépasser. L’ekklésia du Nouveau Testament était une
assemblée de chrétiens qui avaient confessé personnellement leur foi en
Jésus-Christ Sauveur et Seigneur – généralement au moment de leur baptême
– et qui «persévéraient dans l’enseignement des apôtres, dans la communion
fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières» (Actes 2: 42). Les
apôtres veillaient en particulier à leur persévérance dans la doctrine qu’ils
leur avaient transmise. La doctrine de beaucoup d’églises membres du COE –
ou que l’on voudrait en voir devenir membres – se réfère souvent davantage à
l’évolution de cette doctrine au cours des âges et à leurs propres traditions
qu’à la Parole de Dieu.

«Que tous SOIENT un»

Par quels moyens l’unité est-elle réalisée?


Nous avons vu que l’Église primitive jouissait de cette unité dès le
premier jour comme d’un cadeau de son Maître mais, à mesure que les
églises se sont éloignées de la pratique apostolique, elles ont dû recourir aux
moyens humains pour sauvegarder l’unité et suppléer à celle que crée le
Saint-Esprit.

Des moyens humains


D’après les déclarations du COE, comme celles du pape, on a nettement
le sentiment que c’est aux hommes de réaliser l’unité de l’Église.
L’unité de l’Église reste possible. Il n’est que de la conquérir. Et pour cela de multiplier les
rencontres, les prières et les partages 86.

Le Conseil œcuménique des Églises (COE) et le Vatican, pour ne citer que les deux plus grosses
organisations ecclésiastiques, nous donnent trop souvent l’impression que l’unité est leur affaire. Ils
sont là, pensent-ils pour la promouvoir, pour la favoriser, pour en faire une priorité, pour la mettre
en œuvre partout 87.
Ce qui a frappé les participants à la Conférence de Canberra, c’était:
L’absence de toute discussion de l’évangélisation et du rôle du Saint-Esprit dans la conversion et
dans le renouveau des églises ainsi que l’approche radicale de beaucoup de problèmes
contemporains qui nous concernent tous […] Beaucoup de participants ont eu l’impression que les
activistes de la justice, les féministes et les environnementalistes, qui avaient dominé la Consultation
de Séoul en 1990, avaient cogité tout le programme et dominé toute la scène de l’Assemblée 88.

Dès le lendemain de son élection, le pape Jean-Paul ii déclarait dans l’un


de ses discours inauguraux:
Nous ne pouvons oublier nos frères d’autres églises et d’autres confessions chrétiennes. La cause
œcuménique est en ce moment si importante et si délicate que nous ne pouvons pas ne pas nous y
référer. Combien de fois avons-nous médité sur le dernier vœu du Christ qui demande à son Père le
don d’unité pour ses disciples […] Il ne semble pas possible que demeure à toujours le drame de la
confusion, voire le scandale. Nous avons donc l’intention d’avancer sur le chemin déjà emprunté, en
encourageant les différentes étapes qui servent à enlever les obstacles. Nous espérons donc, grâce à
des efforts communs, arriver finalement à une pleine communion 89.
Au moment où les scissions se multiplièrent dans l’Église, on chercha
des moyens de réduire ces divisions. On en trouva deux, qui furent employés
successivement:

La discussion
Ce fut l’ère des grandes controverses, des conciles œcuméniques des IIIe
et ive siècles. Mais la discussion a rarement atteint son but: chacune des
parties eut plutôt tendance à durcir ses positions à force de les défendre. On
eut alors recours au deuxième moyen:

La coercition
Celle-ci prit différentes formes au cours des âges, depuis
l’excommunication jusqu’à la torture et la mise à mort. Le professeur
Gaudemet retrace les différentes étapes de cette progression et montre
comment l’Empire romain fut amené à édicter des lois de plus en plus
brutales pour réduire les schismes et ramener les dissidents dans «le giron de
l’Église»: confiscation des biens, bannissement, emprisonnement, torture,
exécution:
L’expérience le prouve: seuls le fer et le sang d’une persécution, d’autant plus odieuse qu’elle
prétend s’appliquer au nom d’une religion d’amour, ont pu maintenir l’uniformité religieuse 90.
Le dialogue
Dans le mouvement œcuménique, on en est à la phase des discussions,
ou pour employer le mot qui a la cote: du dialogue. Pour mener à bien ces
discussions en vue de l’élaboration de l’unité, il a fallu mettre en place une
organisation imposante, calquée sur celle des grandes collectivités humaines
(ONU, partis politiques, parlements). Le budget annuel de cette organisation
se chiffre en millions de dollars, provenant des membres des églises
adhérentes du COE. Une bonne partie de cette somme se trouve engloutie par
les frais de bureaucratie.
Les problèmes spirituels sont résolus à la manière des parlements:
rapports, discussions, votes. Il est évident qu’avec une telle manière de
procéder, ce seront toujours les grandes Églises majoritaires (Églises
multitudinistes) qui imposeront leur point de vue aux Églises minoritaires
(Églises de professants).
Pour amener les non-œcuméniques à entrer dans le mouvement, on a
aussi recours au dialogue: c’est la fonction spécifique de certaines institutions
(Institut d’études œcuméniques de Bossey, par exemple). Mais il faut dire
que:
Les organes directeurs du christianisme, qu’il s’agisse du Conseil œcuménique ou de la Curie
vaticane, voient souvent d’un œil glacé ceux qui ne se soumettent pas à leur autorité. Ils les
regardent comme des sectaires. De là, dans la pratique – en est-on toujours conscient? – une manière
de totalitarisme administratif en même temps qu’un certain laxisme doctrinal 91.

Mais si les dissidents refusent de se rendre à la raison? On ne peut


pourtant pas abandonner le beau rêve et la «dernière volonté du Seigneur» à
cause de quelques irréductibles obstinés!
Alors il ne reste plus que la seconde méthode. Déjà à Amsterdam, le Dr
Douglas Horton disait: «L’hérésie principale d’aujourd’hui est l’esprit de
non-coopération» et il ajoutait cette formule significative: «L’assemblée a
dressé des plans pour réduire les petits schismes et a laissé la porte largement
ouverte à Rome». Max Thurian, le théologien de la communauté de Taizé,
reprend cette pensée:
Certes, il est encore des chrétiens qui, par intransigeance et sectarisme refusent d’entrer dans ce
mouvement qui s’étend de plus en plus à toutes les églises, à l’Église romaine comme aux autres.
C’est par là que se définit aujourd’hui l’hérésie… Aujourd’hui l’hérésie consiste à nier l’unité
visible fondamentale de tous les chrétiens par l’Écriture et le baptême, et à ne pas entrer dans le
dialogue œcuménique 92.
À l’Assemblée de la Jeunesse chrétienne de toute l’Afrique (tenue à
Nairobi, au Kenya), le point numéro un du programme fut l’unité de l’Église.
On insista par-dessus tout pour que les jeunes utilisent toute leur énergie à
atteindre les buts du mouvement œcuménique dans toutes les églises
d’Afrique. Et comme on sait que la génération actuelle des conducteurs
d’églises africaines n’a pas trop de sympathie pour la théologie et les buts du
mouvement œcuménique, on fit comprendre clairement aux jeunes que leur
devoir était d’agir au besoin en opposition à toute direction d’Église qui ne
sympathise pas avec l’œcuménisme 93. De telles méthodes porteraient-elles
des fruits spirituels 94?
«La mort est le vrai nom de l’unité sans la liberté» (Alexandre Vinet).
D’autres chemins ont été explorés au cours de ces dernières années pour
réaliser la vision qui a commandé dès le départ les dirigeants du mouvement
œcuménique: «Un monde – une Église» – et l’on pourrait ajouter: une seule
religion. Car de tout temps, la religion était considérée comme un facteur
d’unité (ou d’unification). Ces voies nouvelles sont l’action politique, le
dialogue interreligieux, le syncrétisme et la préparation d’une religion
universelle.

L’action politique
Déjà à Stockholm en 1925, lors de la première Conférence du
mouvement «Vie et action», on a opposé la théologie, qui voit dans le
royaume de Dieu une réalité eschatologique relevant de l’ordre de la
rédemption, à l’idée que c’est aux hommes de construire ce royaume…
… par une transformation de la société impliquant un engagement concret des chrétiens – par
exemple en faveur du pacifisme ou de l’idée d’arbitrage symbolisée par la Société des Nations […]
Soixante-sept ans après Stockholm, le problème demeure: le COE a-t-il raison de s’occuper de tous
les problèmes de la société ou n’est-il pas en train de négliger son objet propre qui est l’unité et
l’édification des chrétiens 95?

L’on ne peut écarter d’un revers de main ceux qui disent que l’adoration, la prière et la louange de
Dieu auraient eu autant d’effet pour l’unité des chrétiens que les entreprises éthiques du COE96.

Dès sa création à Amsterdam en 1948, le COE a manifesté sa volonté de


«combattre contre toutes les formes d’oppression raciale par lesquelles les
populations d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Afrique du Sud ont subjugué
des membres d’autres races». C’est ce qui a motivé les dirigeants du COE à
subventionner les mouvements révolutionnaires d’Afrique, d’Asie et
d’Amérique du Sud. Les sommes allouées devaient, en principe, servir à des
projets culturels et humanitaires. Il était néanmoins évident pour tous qu’une
partie de ces subventions était allouée à des achats d’armes – alors que le
COE n’a jamais débloqué un centime pour les chrétiens persécutés des pays
de l’Est, de Cuba ou d’ailleurs.
En 1964, le Dr Visser’t Hooft, secrétaire général du COE, justifiait cette
politique de soutien des courants révolutionnaires africains en s’appuyant sur
le droit calviniste de résistance au mal, sur la Confessio Scotica de John Knox
et sur des déclarations de Dietrich Bonhœfer.
[La Commission des affaires étrangères du COE] a commencé à exercer des pressions sur des
gouvernements en place et à soutenir des organisations politiques de tendances révolutionnaires. En
1973, la Conférence mondiale sur la Mission, réunie à Bangkok, fait une déclaration au sujet du
«salut aujourd’hui», mot d’ordre de la Conférence. Elle parle du «scandale du racisme, des
injustices sociales, des oppressions économiques et politiques, de la honte tragique de la guerre
d’Indochine» et de «la répression sanglante des mouvements de libération». Puis une deuxième
circulaire, intitulée Le salut aujourd’hui et l’Indochine engage le COE «à ne pas abandonner le
combat spirituel et à ne pas déserter la lutte politique 97».

La conséquence de ces résolutions fut l’engagement du COE dans la


lutte politique, soutenant des fronts de libération dont le but était le
renversement de gouvernements en place: «Le COE, soutenant directement
cette fameuse théologie de la libération, en est venu à subventionner des
ventes d’armes aux rebelles de plusieurs pays d’Afrique et d’Amérique latine
98». De sorte qu’il est arrivé que des missionnaires soient attaqués par des
troupes rebelles financées par l’argent des églises collecté par le COE:
Est-ce donc par de tels moyens dont le COE se sert que l’intercession de Jésus-Christ devrait être
exaucée 99?

L’une de ces actions qui a alarmé l’opinion mondiale fut le soutien


accordé au Front de libération du Mozambique (FRELIMO ) par Eduardo
Mondlane (l’un des délégués de la Conférence «Église et société» du COE).
Les chefs du frelimo estimaient qu’une action armée était la seule possibilité
de réaliser leurs objectifs. À la Conférence de Mindolo, ils précisaient quatre
formes de résistance au «mal» (c’est-à-dire à la discrimination et à
l’oppression raciales): la résistance spirituelle, l’opposition politique,
l’opposition politique illégale et l’emploi de la force.
Nous sommes bien conscients qu’une poursuite fidèle de ces actions peut entraîner des persécutions,
des souffrances et même des morts. Mais peut-être que des chrétiens ne peuvent réaliser que de cette
manière leur identification avec leur Maître et leurs compatriotes, identification qui correspond si
clairement à la volonté de Dieu (Jean 17: 15-21) 100.

C’est ainsi que le COE a financé 19 organisations «anti-raciales» qui


menaient un combat de guérillas contre des gouvernements africains. Les
armes et les instructeurs militaires venaient de la Chine communiste et des
pays du bloc communiste de l’Est. Le but de ces mouvements était la
constitution de «républiques populaires» sur le modèle de la Chine. En fait,
ces «mouvements de libération» ont fait régner la terreur en Guinée, en
Angola et au Mozambique. Des centaines de milliers de personnes ont été
tuées ou gravement blessées. On a remarqué que les plus touchés étaient des
civils africains, beaucoup de femmes et d’enfants, et que les premières
victimes étaient les prêtres catholiques noirs et les enseignants africains.
Les nouvelles de ces actions terroristes qui parvenaient – malgré la
censure – en Europe et en Amérique du Nord y suscitèrent une vive
indignation. On y développa un programme «d’aide aux victimes des
guérillas et du programme genevois qui fut à l’origine du sang et des larmes
versés au nom de Dieu 101».
Au sujet des tendances actuelles du COE et de son intérêt pour les
questions sociales, économiques et politiques, Georges Tavard pose deux
questions pertinentes:
La lutte des chrétiens pour la justice et la paix risque-t-elle d’oublier que la paix et la justice
chrétiennes ne peuvent passer que par Jésus-Christ? L’œcuménisme ne serait-il qu’une théologie
politique qui tend à justifier, en les améliorant, les progrès de la civilisation 102?

«Que tous soient UN»

Comment envisage-t-on l’unité aujourd’hui?

Un monde, une Église!


À Amsterdam, le Dr Douglas Horton, Président du Comité américain
pour le Conseil œcuménique, a dit: «Une fusion effective des églises
chrétiennes du monde en une seule, caractérisée par la continuité catholique
et la liberté protestante en Christ est l’essentiel de notre espérance» et
l’évêque Oxnam, l’un des présidents du Conseil œcuménique, évoquait le
jour où l’union du protestantisme et de l’orthodoxie serait un fait accompli et
où les chrétiens du monde entier n’appartiendraient plus qu’à deux grandes
Églises (l’œcuménique et la romaine): «Ce jour-là, dit-il, les chefs de ces
deux Églises seront assez grands et “créateurs” pour s’agenouiller ensemble
devant la table de communion, puis se lever et former la Sainte Église
catholique à laquelle appartiendront tous les chrétiens».
À la conférence d’Amsterdam, une immense affiche accueillait les
participants. Sur cette affiche, une devise: «Un monde, une Église». Le Dr
Vissert Hooft lui-même, qui a défendu à plusieurs reprises le COE de vouloir
édifier une «super-Église», parle des «mesures à prendre en vue de la réunion
des églises» et des pas à faire «dans la direction d’une Église unie». Les
«jeunes églises» (c’est-à-dire les églises nées des efforts missionnaires en
Afrique et en Asie) exercent une forte pression pour que l’unité ne soit pas
seulement fédérale, mais organique et complète, elles espèrent «une Église
organiquement une» comme celle de l’Inde du Sud 103.

Le but de cette unité


Il s’agit donc avant tout d’unité extérieure vis-à-vis du monde, d’unité
d’organisation comme celle de l’Église romaine ou comme l’unité politique
d’un pays. Et quel est le but de cette unité? Est-ce pour préparer au Seigneur
un corps uni et saint pour le jour de son retour? Dans la pensée de quelques-
uns sans doute, mais l’étude détaillée des déclarations de plusieurs chefs du
mouvement nous révèle une tout autre espérance.
Le proverbe dit: «Qui paie, commande». Les statistiques officielles nous
montrent que 80 % des fonds du COE proviennent de la Fédération
protestante américaine. Cette Fédération est réputée pour son libéralisme
théologique (quelque 30 millions de protestants américains refusent d’y
adhérer à cause de son libéralisme, parce que plusieurs de ses dirigeants nient
la divinité du Christ, sa résurrection, l’inspiration des Écritures, etc.).
Les vues eschatologiques des dirigeants de cette Fédération se meuvent
sur un plan assez parallèle à celui des «sages de ce monde». Le Federal
Council a adopté un «credo social» dans lequel on envisage l’établissement
du royaume de Dieu sur la terre par la réalisation d’un système de législation
sociale et coopérative. La prière de l’Église des premiers temps: «Viens,
Seigneur Jésus» est remplacée par des prières du genre de celle-ci:
Aide-nous à bâtir le monde qui rendra les hommes bons.
Délivre-nous […] d’un système économique qui place le profit au-dessus de la personnalité.

Introduis-nous dans le royaume de Dieu coopératif, dans lequel toutes les familles de la terre seront
bénies 104.

À la conférence œcuménique d’Evanston, dont le thème était «Jésus-


Christ, seul espoir de l’Église et du monde», les théologiens européens qui
parlaient d’eschatologie se sont heurtés aux théologiens libéraux des États-
Unis pour lesquels l’espoir du monde était lié au message social.
Aussi n’est-il pas étonnant de trouver les questions sociales, culturelles,
morales et politiques au premier plan des préoccupations œcuméniques:
Dans le rapport consacré au service, il est significatif qu’il soit avant tout question de monde en
pleine évolution dans lequel le chrétien peut et doit agir: il est prêt à provoquer des changements et à
favoriser les réformes qui ont pour fin la justice et la liberté et qui brisent les chaînes de la pauvreté.
Il désire collaborer avec ceux qui partagent son souci du bien-être de l’humanité.

On a beaucoup parlé à New-Delhi des questions de désarmement, de


l’arrêt des essais nucléaires, de l’utilisation pacifique de l’espace, de
l’indépendance des États, du développement économique et social, des
réfugiés et de l’émigration, de l’aide technique aux pays sous-développés
mais…
L’un des interprètes officiels de l’assemblée œcuménique a été frappé par le fait qu’aucun effort n’a
été fait pour apporter l’Évangile à la population non chrétienne de la ville. Au contraire, les délégués
de l’assemblée œcuménique qui ont visité les temples païens ont exprimé leur admiration pour la
beauté des édifices ou du culte qui y était célébré 105.

Le thème de la Conférence de Bangkok était «Le salut aujourd’hui». Ce


sujet a suscité un grand espoir parmi les évangéliques qui s’attendaient à ce
que l’on parle enfin de l’évangélisation du monde. En fait, il n’en a rien été.
Dans un rapport sur l’Assemblée du COE à Bangkok, Harold Lindsey,
rédacteur principal de Christianity Today, dit ceci:
Virtuellement, rien n’a été dit à Bangkok au sujet du commandement du Christ d’évangéliser le
monde, c’est-à-dire de finir la tâche de prêcher la Bonne Nouvelle de la repentance et du salut à tous
les hommes. Rien non plus n’a été dit de ces deux milliards de gens qui n’ont jamais entendu
l’Évangile – sauf une seule phrase de Philip Potter qui a refusé le débat sur cette question comme
«totalement futile» […] L’accent mis sur le salut par la libération de l’oppression politique, sociale
et économique aurait été tout autant à sa place dans une conférence purement humaniste et séculière
106.
L’unité telle que l’envisage le mouvement œcuménique ressemble
beaucoup plus, par ses caractères, ses moyens et ses buts, à celle que
recherche aussi le monde qu’à celle dont nous parle l’Écriture. Pourtant,
comme on l’a dit: «L’affaire du chrétien n’est pas de rendre le séjour du fils
prodigue au pays éloigné plus confortable, mais de ramener l’égaré à la
maison».

Au-delà de l’œcuménisme: vers une religion unique?


Le COE a déjà largement dépassé les buts que ses initiateurs lui ont
fixés: unir les différentes fractions du christianisme. Aujourd’hui, on voit
bien plus grand: pourquoi unifier seulement le christianisme? Serait-ce la
seule religion? Ou la seule valable? Chacune des religions mondiales n’a-t-
elle pas une contribution importante à apporter à «la conscience religieuse de
l’humanité»? L’heure est au dialogue interreligieux. Ne serait-ce pas
merveilleux si tous les hommes du monde avaient la même religion? Ce
dialogue a pris une telle importance au cours de ces dernières décennies qu’il
faudra lui consacrer un chapitre à part.

Crise de l’œcuménisme
De l’avis de tous les observateurs, l’œcuménisme se trouve actuellement
dans une situation de crise.
L’évêque luthérien norvégien Erling Utnem a demandé que son Église
se retire du COE. Interrogé sur les raisons de cette décision, il a répondu, à la
grande rencontre de Berlin en 1974: «Le Conseil œcuménique des Églises
ressemble à un navire sans carte, sans boussole et sans gouvernail. Je ne
pense pas que cela ait un sens d’abriter ce mouvement».
Le Journal du dimanche de Mecklenburg publiait les vers suivants:
Un navire qui se nomme Église
flotte allègrement dans le sillage du temps.
À l’horizon, luit un phare,
mais il est étranger et loin.

L’aiguille de la boussole
a, depuis longtemps, perdu le nord,
les souris ont mangé le livre de bord,

la carte a volé par-dessus bord.


Ils ont changé la couleur du fanion,
ils modifient leur cours sans vergogne,
Ils changent tout.

C’est un Autre qui renouvelle toutes choses.

En Allemagne, la Conférence des communautés confessantes dans les


églises évangéliques d’Allemagne a invité, pour le jour de l’Ascension 1974
et les jours suivants, tous les leaders de l’évangélisme à Berlin pour une
grande rencontre, afin de protester contre les dérapages du COE vers la
politisation, le syncrétisme et l’infiltration des idéaux humanistes dans les
églises. Les centaines de représentants des divers mouvements, églises et
communautés évangéliques rédigèrent une déclaration commune dans
laquelle ils dénonçaient «le nouvel humanisme» du COE comme étant «une
tentation antichrétienne», le «programme de libération [politique] du COE»,
«la vision d’une Église mondiale unique et d’une religion mondiale». Ils
accusaient le COE d’être un esprit d’erreur et d’exercer une stratégie de
conquête en faveur de ses idéologies.
Un livre de 544 pages reproduit les discours de ces journées et des
contributions des évangéliques les plus représentatifs d’Allemagne et d’autres
pays. Parmi eux, on trouve des évêques luthériens, des professeurs de facultés
de théologie et des membres – ou anciens membres – du COE. Les éditeurs
du livre sont Walter Künneth, professeur de théologie systématique à la
faculté d’Erlangen et Peter Beyerhaus, titulaire de la chaire de théologie
oecuménique à la faculté de Tübingen et doyen de cette faculté,
anciennement membre du COE et orateur de la Conférence œcuménique de
Bangkok. Ceux qui lisent l’allemand trouveront dans ce livre 107 une ample
documentation au sujet des objectifs idéologiques et politiques du COE, avec
140 pages de textes à l’appui des thèses de la Conférence de Berlin.
Dans l’introduction, les deux éditeurs disent leur inquiétude devant «la
déformation de l’Évangile biblique par l’infiltration d’un humanisme social
démonisé qui ne se limite pas au COE, mais cherche aujourd’hui à s’insinuer
dans toutes les églises» (p. 9). «Cet esprit illuministe et syncrétiste s’efforce
d’éliminer et de tordre toutes les influences bibliques» et d’imposer «une
idéologie visant à l’unité de toute l’humanité» et «gommant la ligne de
démarcation entre l’Église de Jésus-Christ et le monde». «L’un des concept-
clés de l’idéologie œcuménique est l’idée d’une communauté mondiale» qu’il
s’agit de réaliser par tous les moyens en combattant – si besoin par les armes
– le racisme, l’oppression politique et la discrimination sociale. Plusieurs
exposés bien documentés expliquent comment cette lutte a été menée dans
divers pays du Tiers-monde.
Les Informations catholiques internationales évoquaient déjà en 1976:
La difficile intégration des orthodoxes, l’infécondité du dialogue avec Rome, le retour d’une vague
de conservatisme religieux, la divergence des opinions quant au rôle et à la mission de COE108.

En 1992, quelques membres du corps professoral de la Faculté de


théologie de Genève ont lancé une série de conférences intitulée: «Comment
sortir l’œcuménisme du purgatoire?» Le texte en a paru sous le titre Pour
sortir l’œcuménisme du purgatoire. Olivier Fatio constate, dans son exposé,
que l’œcuménisme s’est engagé dans une série d’impasses. La liste des
principaux problèmes théologiques qui se posaient au mouvement Foi et
Constitution lors de son Assemblée constitutive en 1927 («le problème de
l’ordination, donc du ministère, celui de l’intercommunion, du sens à donner
à l’unité») «n’a pas varié en 65 ans et on n’a pas avancé d’un pouce dans les
solutions» (p. 10).
Parlant des «limites de l’œcuménisme actuel», Georges Tavard dit:
Par la nature de ses préoccupations, il est tel que des traditions respectables, profondément ancrées
dans l’Écriture, ne s’y reconnaissent pas. Plutôt que l’unité visible, le but des églises ne doit-il pas
être la prédication de l’Évangile pour la gloire de Dieu et le salut du monde 109?

Heureusement qu’avec son Esprit, le Seigneur nous a laissé un autre


guide infaillible pour nous diriger à travers le dédale ecclésiastique actuel: sa
Parole. «Que dit l’Écriture?» demandait déjà l’apôtre Paul. C’est avec cette
pierre de touche qu’il nous faut aussi juger les divers efforts d’unification de
l’Église et voir dans quelle mesure les conclusions que nous avons dégagées
de l’étude du Nouveau Testament trouvent leur application dans les temps
actuels. L’étude des prophéties bibliques nous renseignerait certainement
mieux que les déclarations plus ou moins utopiques des dirigeants du COE,
sur l’aboutissement de ces efforts pour réaliser l’unité à tout prix avec «tous
110».

36 BARTH, 1943.
37 La base doctrinale du COE est communiquée ainsi: «Le COE est une communion d’Églises qui
confessent le Seigneur Jésus-Christ comme Dieu le Sauveur conformément aux Écritures et qui,
par conséquent, cherchent à accomplir leur vocation commune à la gloire de Dieu le Père, le Fils
et le Saint-Esprit. Dans la constitution du Mouvement, la déclaration suivante est attachée à la
base:
a. La base n’est pas une pierre de touche par laquelle on puisse juger de la foi des Églises; b. Le
Conseil œcuménique ne s’occupe pas de la manière dont les Églises interprètent la base; c. Il est
laissé à la responsabilité de chaque Église de décider si elle veut collaborer sur cette base». The
World Council of Churches, Geneva, p. 182, cité par PACHE, 1950, p. 21.
38 Pour plus de détail, voir PACHE, 1950, p. 15, 18-23, 27-28.
39 Sur la question de la Trinité, voir le Agreed Statement from Orthodox-Reformed Dialogue de World
Alliance of Reformed Churches, Genève 1998 aux éditions L. Vischer.
40 Dictionary of the Ecumenical Movement, Genève, WCC Publ., 1991, p. 768.
41 MÉJEAN, 1961.
42 WHEELER, 1996, p. 34.
43 «Ce qui implique l’impossibilité d’une révision quelconque d’une doctrine définie par le magistère
pontifical», DOULIÈRE, 1964, p. 18.
44 Cité par Doulière, ibid., p. 18.
45 Les pères conciliaires ont dû déclarer avant d’être admis au Concile de Vatican II, que l’Église
catholique est toujours liée par les décisions du Concile de Trente. Celles-ci disent, entre autres:
«Je confesse qu’il y a sept sacrements de la nouvelle alliance: le baptême, la confirmation,
l’eucharistie, la confession, l’extrême onction, l’ordination et le mariage, et qu’ils confèrent la
grâce [nous ajoutons l’italique].
Je confesse en outre que, dans la messe, un vrai, authentique sacrifice expiatoire est offert à Dieu
pour les vivants et les morts; que, dans le saint sacrement de l’eucharistie, le corps et le sang de
notre Seigneur Jésus-Christ est réellement et essentiellement présent avec son âme et sa divinité,
qu’il se produit une transformation de toute la substance du pain en corps et de toute la substance
du vin en sang.
Je maintiens qu’il y a un lieu de purification [le purgatoire] et que les âmes qui y sont retenues
trouvent de l’aide dans l’intercession des croyants.
J’accepte entièrement, dans l’ensemble et en détail, tout ce que le Saint Concile de Trente a
décrété et déclaré concernant la justification.
Je reconnais en la Sainte Église, catholique, apostolique et romaine, la mère et la maîtresse
enseignante de toutes les Églises et je promets et jure une véritable obéissance au pape romain,
successeur de saint Pierre, le prince des apôtres et vicaire de Jésus-Christ».
46 Directoire œcuménique de l’Église catholique, Paris, Cerf, 1994, § 17.
47 Cité par MÜTZENBERG, 1987.
48 Encyclique Ut Unum Sint [Qu’ils soient un] du 25 mai 1995, Paris, Cerf, 1995, § 94. Voir aussi
Symboles et définitions de la foi catholique, Paris, Cerf, 1996, p. 1028-1031.
49 WHEELER, 1996, p. 110.
50 MÜTZENBERG, 1987, p. 36.
51 Ibid., p. 48.
52 DOULIÈRE, 1964, p. 22.
53 Dans son livre Gemeinschaft im Geist cité par BAUER, 1980, p. 56.
54 MÜTZENBERG, 1987, p. 15.
55 Ibid., p. 21.
56 Ibid., p. 22.
57 Actes du Concile Vatican II, 1966, p. 90.
58 Tous ces points sont développés dans MÜTZENBERG, 1987, p. 49-75.
59 Cité par BAUER, 1980, p. 69.
60 Il a succédé au pape Jean-Paul II le 19 avril 2005 sous le nom de Benoît XVI. À notre connaissance,
sa pensée n’a pas changé.
61 FATIO, 1993, p. 11.
62 FATIO, ibid., p. 12-13.
63 Concile œcuménique Vatican II Const. Dogm. Lumen Gentium, n° 20.
64 Concile œcuménique Vatican II Const. Dogm. Lumen Gentium, n° 8.
65 Ibid. cf. Jean-Paul II , Encycl. Ut Unum Sint, n° 13. Cf. aussi Concile œcuménique Vatican II Const.
Dogm. Lumen Gentium, n° 13 et Décr. Unitatis redintegratio, n° 3.
66 Cf. Congr. pour la Doctrine de la Foi, Décl. Mysterium Ecclesiae, n° 1.
67 Cf. Concile œcuménique Vat. II , Décr. Unitatis redintegratio, n° 14 et 15; Congr. pour la Doctrine
de la Foi, Lett. Communionis notio, n° 17.
68 Cf. Concile œcuménique Vat. II , Décr. Unitatis redintegratio, n° 22.
69 Le Monde, 28 sept. 2000, p. 13.
70 La Vie, 14 sept. 2000.
71 «Rome utilise un double langage: Une réaction au document du cardinal Ratzinger». Interview du
pasteur Konrad RAISER, Le Monde, 1er et 2 oct. 2000, p. 5.
72 Abbé François-Xavier AMHERDT, «Présentation de la Déclaration», in Paroisses vivantes.
73 Vivre, n° 7, août-septembre 2000, p. 10-14.
74 Cité par BAUER, 1980, p. 51.
75 Décret sur l’Année mariale et le don de l’Indulgence plénière, p. 22-23.
76 GAVALDA, 1959. L’encyclique Mortalium animos définissait la position de l’Église romaine en
face du problème de l’unité: l’union des chrétiens ne peut être procurée qu’en favorisant le retour
des dissidents à la seule Église du Christ qu’ils ont eu jadis le malheur d’abandonner. Dans sa
conférence de presse, le professeur Schlink, observateur au concile du Vatican, a expliqué
comment l’Église catholique envisageait son lien avec les chrétiens hors de son sein. Ces
chrétiens ne sont pas sauvés selon elle par leur foi ou leur union avec Jésus-Christ, mais par leur
lien avec l’Église romaine. Ce lien est fondé sur deux choses:
1. Sur leur baptême dont l’Église catholique reconnaît l’équivalence avec son baptême;
2. Sur le votum ecclesiae, l’aspiration à une seule Église, c’est-à-dire l’Église romaine. Pas de
salut sans baptême – mais dans sa théologie, l’Église romaine reconnaît la validité du «baptême
de désir». «Hors de l’Église pas de salut» mais il y a des membres de l’Église catholique qui sont
«membres de désir». L’Église romaine de Vatican ii accorde cette faveur à tous les œcuménistes!
Puisque le schéma considère les chrétiens non romains comme liés déjà à l’Église romaine par le
baptême et par leur nostalgie d’unité, puisqu’aussi ils ne participent qu’incomplètement aux
moyens de grâce, ces chrétiens non romains devraient être encouragés à quitter leur propre Église
et à devenir membres de l’Église romaine. C’est seulement par la conversion qu’ils pourraient
devenir les membres authentiques de l’Église une, sainte, catholique et apostolique. Dans ces
conditions, l’œcuménisme catholique romain se ramènerait à un effort tendant à absorber le reste
de la chrétienté (Professeur SCHLINK, SŒPI, Genève).
77 CATEL, 1960. Comme l’a écrit un peu crûment un correspondant catholique pratiquant dans la
«Tribune libre» de Réforme: «Dans l’ensemble, je crois que tout ce que les réformés pensent ou
disent du Concile et de l’œcuménisme en général est entaché de naïveté. Qu’on ne s’y trompe
point: il est impossible, pour qui a fait tant soit peu de théologie, de penser à l’unité chrétienne
autrement qu’en terme de retour [à Rome]. Tout ce qui est dit et fait hors cela est inspiré par des
sentiments louables, mais, en terme propre, c’est faux. J’attends encore et pour longtemps, une
déclaration officielle modifiant les positions de Vatican i. Dans l’Église romaine, tout le reste est
littérature. Vous savez aussi bien que moi que les formules du type «Abbé Couturier», sont vides
de sens, si elles sont pleines de charité. À mon avis les réformés sont en train de se faire «avoir»
de façon magistrale. Ils oublient l’adage Timeo Danaos, et dona ferentes («Je crains les Grecs,
même quand ils font des offrandes», paroles que Virgile met dans la bouche du prêtre Laocoon
pour dissuader les Troyens de faire entrer dans leurs murs le fameux cheval de bois que les Grecs
avaient laissé sur le rivage – un cadeau qui causera la perte de Troie. NDLR). Un beau jour, ils se
trouveront empêtrés dans tant et tant de déclarations lénifiantes qu’ils ne s’apercevront plus eux-
mêmes du chemin parcouru, et ils seront dans l’impossibilité de faire un repli stratégique».
78 Voir PACHE, Les tendances catholicisantes au sein du protestantisme.
79 MÜ;TZENBERG, 1987, p. 30. Voir Alfred KUEN, Le baptême dans la Bible et dans l’Histoire, p.
279-294; et Le repas du Seigneur, p. 261-271.
80 En rentrant chez lui, l’évêque a raconté cet entretien à ses paroissiens – parmi lesquels figurait une
dame qui s’est convertie par la suite au protestantisme, emportant la cassette qu’elle avait
enregistrée lors de cette réunion avec leur évêque. Par divers cheminements, cette cassette a
abouti chez Jacques Blocher, qui a ainsi pu répondre à l’accusation de calomnie répandue contre
lui par les moines de Taizé lorsqu’il a publié cette déclaration du frère Schutz.
81 Documents du COE, mai 1980. Cité par BAUER, 1980, p. 82.
82 MÜTZENBERG, 1 987 p. 38.
83 «L’Esprit souffle», in Ichtus, n° 40, février 1974, p. 23.
84 Documents, Expériences, n° 8, p. 72.
85 Gemeinschaft im Geist, p. 96., cité par Bauer, 1980, p. 88. Au Congrès charismatique de Strasbourg
(1970), l’évêque du diocèse et le président de l’Église réformée d’Alsace et de Lorraine ont très
nettement demandé à tous les participants de rester sous la direction de leurs conducteurs
spirituels – ce qu’ils n’ont pas manqué de faire, attendant que l’Église change depuis l’intérieur.
Mais, comme le dit un peu lapidairement MÜTZENBERG: «On ne réforme pas l’Église romaine
de l’intérieur. On en sort» (L’œcuménisme, p. 79).
86 Claude DUCARROZ, in Choisir, Genève n° 323, novembre 1986, p. 10, cité par MÜTZENBERG,
1987, p. 21.
87 Ibid., p. 28.
88 NICHOLLS & RIN Ro, 1993, p. 7.
89 Cité par WHEELER, 1996, p. 33-34 d’après Mary CRAIG, Man from a far Country, Hodder &
Stougthon, 1979, p. 178.
90 Jean GAUDEMET, L’Église dans l’Empire romain (ive et Ve siècles), tome iii de L’histoire du
Droit et des Institutions de l’Église en Occident, publié sous la direction de Gabriel LE BRAS,
Paris, Sirey, 1958, livre iii , chap. 1, p. 598-620. de Gabriel Le Bras, Paris, Sirey, 1958,
91 MÜTZENBERG, 1987, p. 18.
92 Max THURIAN, 1961, p. 15.
93 Rapport du Comité évangélique d’Afrique sur la conférence de Nairobi. Dr Clyde TAYLOR et Rév.
Sidney LANGFORD.
94 Voir PACHE, 1950, p. 67, 70; GAVALDA, 1959, p. 108; CHASTAND, s. d.
95 FATIO, 1993, p. 12.
96 Ibid., p. 13.
97 Circulaires du COE, Assemblée de Bangkok, 9 au 12 janvier 1973, citées par WHEELER, 1996, p.
22.
98 WHEELER, 1996, p. 23.
99 Ibid.
100 Rapport de la Conférence, p. 16.
101 D’après BEYERHAUS & KÜNNETH, 1975, p. 94, 96, 119s., 127, 129, 229, 345.
102 TAVARD, 1994, p. 80-81.
103 PACHE, 1950, p. 60-65.
104 Ibid., p. 29.
105 Revue catholique La Vigie, n° 5, p. 5.
106 WINTER, 1973, p. 134. Effectivement deux demandes de considérer cette question de
l’évangélisation du monde, émanant de Peter BEYERHAUS et de Donald McGAVRAN, furent
écartées par le Secrétaire général du COE par ces mots:
«totalement futile».
107 BEYERHAUS & KÜNNETH, 1975.
108 Informations catholiques internationales, n° 506, 15 septembre 1976.
109 TAVARD, 1994, p. 81-82.
110 Voir Matthieu 24: 12; Luc 12: 32; 2 Thessaloniciens 2: 3; 2 Timothée 3: 1-5; Apocalypse 17.
CHAPITRE
6

VERS UNE UNITÉ DE TOUTES LES RELIGIONS

Au cours de ces dernières années, l’œcuménisme entre les Églises


protestantes et orthodoxes, ou entre ces Églises et l’Église catholique romaine
a perdu son attrait sur les masses chrétiennes et non chrétiennes.
Actuellement, on parle davantage de dialogue interreligieux et certains voient
déjà poindre à l’horizon une religion universelle unique qui combinerait en
elle les atouts des grandes religions mondiales. S’il y a un seul Dieu,
pourquoi n’y aurait-il pas aussi une seule manière de l’adorer et de le servir?
Pour beaucoup, le dialogue des chrétiens avec les tenants d’autres religions
n’est qu’une étape en vue d’une religion syncrétiste qui constituerait le
ciment d’une humanité unifiée.

Le dialogue avec les autres religions

Du côté protestant
Dès la Conférence du COE de Nairobi (1975), une proposition
demandant davantage d’ouverture aux religions non chrétiennes fut bien
reçue par les membres de cette Assemblée:
Certains théologiens envisagent l’existence, non plus de deux alliances divines successives (avec
Israël, puis avec le nouveau peuple des chrétiens), mais soit de deux alliances parallèles (avec Israël
et, à travers Jésus-Christ, avec les Gentils devenus chrétiens), soit d’un nombre indéfini d’alliances,
chaque religion devenant alors une voie spirituelle authentique vers Dieu, tracée par des prophètes
inspirés.

D’autres théologiens, également soucieux de rendre justice à l’authenticité de l’expérience de Dieu


en dehors du christianisme, ont proposé de voir dans les religions une multitude de voies
providentielles de salut, dont Jésus-Christ ne serait plus qu’un modèle vaguement normatif 111.

Cette idée de «voies providentielles de salut», parallèles et équivalentes


au christianisme, fait peu à peu son chemin jusque dans les milieux chrétiens
les plus «conservateurs». Les abonnés au Messager évangélique, l’organe de
l’Église luthérienne d’Alsace et de Lorraine, ont ainsi pu lire dans le n° 19 de
mai 2000, sous la plume du pasteur Christian Kempf, sous le titre «À la
croisée des fois», un article qui annonçait fort élogieusement les Rencontres
interreligieuses du 7 au 12 mai 2000:
Force est de reconnaître qu’en moins de 2000 ans, le christianisme, non seulement n’a pas conquis
le monde, mais s’est largement discrédité, justement dans sa prétention d’hégémonie (conversions
de masse, colonisation, collusion avec des pouvoirs dictatoriaux).

Il est temps, estiment des femmes et des hommes «de bonne volonté» à l’extérieur ou aux marges
des Églises, mais aussi des chrétiens engagés ainsi que des théologiens patentés, que le christianisme
accepte de n’être qu’une religion du monde parmi d’autres.

Car, après tout, ce renoncement au monopole d’une vérité absolue est déjà présent, en germe, dans
la position de Jésus de Nazareth, «le chemin, la vérité et la vie» pour qui il existe une autre voie
d’accès au Père: celle, royale, de l’amour. Et s’il a combattu, au prix de sa vie, la prétention
religieuse exorbitante «des scribes et des pharisiens» de l’époque à disposer, à eux seuls, de l’accès
à YHWH par l’observance des lois, ce n’est pas pour que l’Église qui se réclame de lui s’érige en
détentrice exclusive des moyens de salut. C’est pourquoi il faut saluer les rencontres organisées du 7
au 12 mai prochains à Strasbourg sous le titre «Regards croisés occident orient»: les religions du
monde n’y seront pas toutes représentées, mais mettre en présence des chrétiens (catholiques et
protestants), des juifs, des musulmans, des bouddhistes et des shintoïstes est un véritable pas de
pionnier qui fera date dans l’histoire de la région et – osons le dire – de l’humanité.

Suivait le programme de ces rencontres: — Dimanche, messe d’accueil


à la cathédrale. — Mardi, chants spirituels et prières avec cinq moines du
monastère Gomang (bouddhiste), quatorze musiciens et «Mikos» du
sanctuaire Kamakura, des chants chrétiens, soufi et séfarade, des prières
musulmanes. — Dimanche 14-17 h, atelier pour les enfants de 6 à 12 ans
avec un moine bouddhiste et un prêtre shinto. — Et 18 h 30-20 h, cérémonie
tibétaine, avec les bouddhistes tibétains du monastère Gomang en Inde et leur
moine supérieur.
Même son de cloche du côté réformé. Dans la revue Ensemble publiée
par les différentes Églises protestantes de Strasbourg, un article intitulé «Au
commencement est la mission» qui présentait le pasteur Jean-Paul Humbert,
nouveau président de l’Église réformée d’Alsace et de Lorraine:
Le christianisme est à un tournant tout à fait décisif de son histoire, dit le pasteur Humbert. Il est
urgent qu’il s’ouvre au dialogue en reconnaissant qu’il est une voie parmi d’autres. Toutes les
Églises sont appelées à entrer dans cette «conversation œcuménique», tout particulièrement avec le
judaïsme et l’islam. Non pas à la recherche d’un maigre consensus mais pour un approfondissement
mutuel, dans une courageuse confrontation. Ainsi l’effort de la Ville de Strasbourg pour la
construction des mosquées va dans le bon sens.

Il aurait probablement été plus juste d’intituler l’article «Au


commencement était la mission» et de mettre en exergue le verset de 1 Jean
2: 24: «Pour vous, ce que vous avez entendu dès le commencement doit
demeurer en vous. Si ce que vous avez entendu dès le commencement
demeure en vous, vous demeurerez, vous aussi, dans le Fils et dans le Père».
Il faut dire que ces rencontres «interreligieuses» se propagent de plus en
plus, au point de dépasser les simples efforts d’œcuménisme catholico-
protestant.
Témoin en est, par exemple, la Bible 2000, luxueuse publication illustrée
en plusieurs volumes, qui juxtapose le texte biblique et des citations du
Coran, de Confucius ou des hymnes védantiques, sous-entendant le parallèle
entre ces textes, voire leur équivalence. Autre témoin de cette évolution de
l’intérêt du public: la revue Informations catholiques internationales a
changé deux fois de nom au cours des dernières années, d’abord en Actualités
religieuses dans le monde, puis en Actualité des religions. Dans ses pages, les
diverses religions – et les diverses prières – sont présentées sur un pied
d’égalité.

Du côté catholique
Dans le catholicisme aussi, on cherche le dialogue avec les autres
religions. Déjà en 1964, le pape Paul vi instituait un Secrétariat pour le
dialogue avec les religions, puis, en 1965, un Secrétariat pour le dialogue
avec les non-croyants.
Certaines prises de position de Jean-Paul ii peuvent être interprétées
comme des jalons en vue de la création d’une religion universelle – sous la
présidence du pape. Pierre Wheeler écrit:
Lors de son voyage aux Philippines, il y a quelques années, le pape a parlé de l’hindouisme «qui se
sert de la philosophie pour répondre à l’homme, pratique l’ascèse et la méditation pour atteindre
Dieu», puis du bouddhisme «qui enseigne que, par une confiance dévote, l’homme atteint la liberté
et la révélation», ainsi que des musulmans «qui adorent un Dieu unique et se rattachent à Abraham,
révérant le Christ et honorant Marie, professant la morale, la prière et le jeûne». Et Jean-Paul ii de
poursuivre: «L ’Église catholique accepte la vérité du Christ qu’elle proclame comme la voie de la
vérité de la vie. Elle souhaite faire tout son possible pour collaborer avec les autres croyants dans la
préservation de tout le bien de ces religions et cultures, en insistant sur ce qu’elles ont en commun»
[…] Sans conteste, jusqu’à présent, la plus grande concrétisation de cette attitude a été Assise. Le 27
octobre 1986, lorsque 160 représentants d’une douzaine des grandes religions mondiales se sont
retrouvés pour demander à leurs «dieux» respectifs la paix sur la terre. Même si l’on joue sur les
mots en disant «nous n’étions pas là pour prier ensemble, mais nous étions ensemble pour prier», il
s’agit d’une très grande infidélité puisqu’on nie la spécificité de la religion monothéiste et reconnaît,
au moins tacitement, l’existence spirituelle et la valeur de ces «autres dieux 112».
Pour le Jubilé de l’an 2000, le pape a souhaité «ardemment que
Musulmans et Juifs s’y associent» en réponse à son invitation. Ces divers
indices font penser que, dans l’esprit de certains dirigeants du COE comme
de la curie vaticane, l’objectif lointain n’est plus seulement la constitution
d’une Église unie, mais l’avènement d’une religion universelle qui
combinerait en elle tous les aspects positifs des diverses religions mondiales:
le mysticisme hindou, la réincarnation brahmane, la morale chrétienne, la
piété mariale et tout l’apport des philosophies orientales (confucianisme,
taoïsme).

Syncrétisme
La Déclaration évangélique œcuménique de Berlin (1974) disait:

La 8e Conférence du COE à Bangkok a ouvert le chemin au syncrétisme par les dialogues


interreligieux qui doivent promouvoir la collaboration des différentes religions (Thèse 2).

Le but final semble en être la fusion des différentes expériences religieuses de l’humanité en une
«spiritualité» commune qui devra constituer le fondement pour la communauté mondiale envisagée
(Thèse 7).

Le document préparatoire de la 5e Assemblée plénière du COE disait:


La lutte pour libérer l’humanité de son état élémentaire de non-liberté et l’aspiration à une
communion mondiale ne sont concevables que si les efforts et les richesses de toutes les religions,
les cultures et les idéologies sont considérés ensemble.

[Dans ce dialogue, l’Église doit] mettre sa foi en jeu et s’ouvrir sans préalable aux autres religions.

La tendance au syncrétisme s’est manifestée clairement lors de la


Conférence œcuménique de Canberra (1992). Le thème de la rencontre était
une prière: «Viens, Esprit saint, renouvelle toute la création!»

Le second jour de l’Assemblée, un groupe de danseurs coréens


traditionnels apparut sur scène, conduits par Miss Chung Hyun-Kyung, jeune
professeur de théologie réformée à l’Université d’Ewha. Durant la danse, elle
invoqua une vingtaine d’esprits des morts et de la nature – avec l’esprit de
Jésus-Christ:
Viens esprit de Hagar l’Égyptienne,
femme esclave exploitée et abandonnée par Abraham et Sara,
les ancêtres de notre foi.
Venez, esprits du Mahatma Gandhi, de Steve Biko, de Martin Luther King Jr,
de Malcolm X
qui ont lutté pour la libération de leur peuple.
Elle a invoqué de même l’esprit de la forêt amazonienne, l’esprit de la
terre, de l’air et de l’eau, celui des Juifs tués dans les chambres à gaz durant
l’Holocauste et des victimes d’Hiroshima. Et à la fin de ce long
martyrologue, elle a appelé:
Viens, esprit du Libérateur,
notre frère Jésus,
torturé et tué sur la croix.

Puis elle a brûlé les papiers mentionnant les esprits des défunts pendant
qu’un chamane coréen en transe invoquait l’esprit des morts. Ensuite, elle a
lu son discours théologique, l’un des discours principaux de l’Assemblée
dans lequel elle défendait l’idée que le temps des théologiens européens
masculins était révolu et que c’était au tour des jeunes femmes du Tiers-
monde de prendre leur place. Lorsqu’elle a quitté la scène, l’assemblée a
applaudi frénétiquement. Selon le Dr Yong Bok Kim, directeur de l’Institut
de recherches sur le christianisme asiatique à Séoul, «la présentation
théologique clé de la Dr Chung a posé les fondements des discussions
théologiques subséquentes de toute l’Assemblée». D’autres professeurs de
théologie approuvèrent aussi chaudement la prestation de la jeune
théologienne.
Bong Rin Ro, l’un des leaders de l’Alliance évangélique universelle
(WEF), émet quatre réserves au sujet de cette prestation:
1. Elle n’a pas considéré le Saint-Esprit dans le cadre de la Trinité, mais
comme un esprit semblable à ceux des animaux, des végétaux ou de
l’humanité.
2. Le centre de gravité de son discours était «la liberté, la justice et
l’intégrité de l’homme». Aucune mention n’était faite du ministère du
Saint-Esprit pour convaincre l’homme de péché et lui apporter la
connaissance salvatrice de Jésus-Christ.
3. Elle a utilisé les formules chamaniques pour invoquer les esprits des
défunts et de la nature, comme les médiums spirites du chamanisme
dansent autour d’une maison en invoquant les esprits des ancêtres.
4. Elle a comparé le Saint-Esprit au bodhisattva du bouddhisme qui, pour
l’amour des autres, a refusé d’entrer dans le Nirvana. «Pour moi, disait-
elle, l’image du Saint-Esprit vient de celle de Kwan In, vénérée comme
Déesse de la compassion et de la sagesse dans la religiosité populaire des
femmes de l’est asiatique. Elle est un bodhisattva, un être éclairé. Bien
qu’elle puisse entrer au Nirvana quand elle le veut, elle reste dans ce
monde par compassion pour tous les êtres qui souffrent afin d’achever de
les éclairer». D’ailleurs, en parlant du Saint-Esprit, elle utilisait toujours le
genre féminin.
Les théologiens libéraux faisant partie du Conseil national des églises de
Corée (NCC) ont entièrement approuvé le Dr Chung. Mais, comme le fait
remarquer Bong Rin Ro, le NCC ne représente que 6 dénominations sur les
112 dénominations protestantes de la Corée. La majorité des chrétiens
coréens ne fait pas partie du COE – et ne fut donc pas représentée à Canberra.
Nul doute, conclut Bong Rin Ro, que les tendances syncrétistes manifestées
là-bas ont encore affaibli le mouvement œcuménique en Corée, car même des
membres du NCC ont élevé leur voix contre la théologie pluraliste et
libérationniste du COE 113.
Dans sa présentation, dit le théologien allemand Rolf Hille, le Dr Chung
«a montré la direction vers laquelle l’œcuménisme est en train de se diriger
ces jours-ci. Dans cette assemblée pluraliste de quelque 4 500 théologiens
représentant 317 Églises protestantes, orthodoxes et anglicanes, Miss Chung
représente précisément les positions qui ont été développées avec persistance
par les fonctionnaires dirigeants du Quartier général du COE depuis la
quatrième Assemblée générale d’Uppsala en 1968».
«Comment la puissance primordiale de la vie cosmique et créationnelle
peut-elle subsister dans un monde de pauvreté, d’oppression et de règne
militaire?» Telle était la question de départ de l’exposé du Dr Chung. Voici
ce qu’en dit Rolf Hille:
Dans sa réponse, elle a fait une combinaison de trois traditions culturelles totalement distinctes: une
part de psychologie religieuse bouddhiste qui est censée montrer un chemin pour sortir du cercle
vicieux de la souffrance; ajoutez l’appel à la libération de toute autorité traditionnelle lancé par le
siècle européen des Lumières (y compris les mouvements d’émancipation et de droits des femmes);
et finalement, mélangez le tout à la religiosité du culte coréen des ancêtres. De cette mixture
interculturelle se dégage pour la théologienne asiatique, un chemin de salut nouveau, fondé sur
l’humanisme, politiquement efficient et religieusement conditionné.

Et encore:
Selon Chung, les mauvais esprits de l’avarice et de la soif de pouvoir, exprimés dans la société
patriarcale masculine, n’ont conduit qu’à des atrocités et de l’oppression. Mais les esprits de ceux
qui ont été privés de leurs droits et tués au cours de l’histoire ne se contentent pas de crier; ils se
lèvent contre leurs oppresseurs. En priant pour la venue de l’Esprit, ce sont ces esprits morts qui
sont invoqués comme étant des incarnations de la déesse spirituelle. Ce sont eux qui libèrent les
vivants pour qu’ils se révoltent contre le règne violent de l’esprit de mort.

Parmi les esprits invoqués, celui de Jeanne d’Arc côtoie les esprits des
sorcières qu’on a brûlées au Moyen Âge, les esprits de la forêt tropicale sont
invoqués contre l’esprit de cupidité capitaliste. Le Dr Chung disait:
L’action politique n’attend pas avec une foi enfantine naïve que les grands problèmes du monde
soient résolus par la prière au Dieu omnipotent, macho et guerrier [c’est-à-dire le Dieu chrétien
traditionnel]. L’humanité doit prendre elle-même en mains la lutte pour la liberté et pour le salut
politique du monde.

Rolf Hille remarque:


C’est comme si le COE avait invité l’orateur qui puisse présenter le plus grand nombre d’erreurs
dans le temps le plus court et de la manière la plus efficace.

[Cette présentation a] rendue nulle sous tous rapports la base doctrinale du COE… Dans cet
œcuménisme, le caractère unique de Jésus-Christ comme Fils de Dieu peut être nié sans qu’aucune
voix contraire ne s’élève. Le Saint-Esprit peut être réinterprété comme une collection d’esprits
féminins adorés dans le culte païen des ancêtres. Et personne ne s’est levé pour protester 114! Mais
dans ce cas, que valent réellement les anciennes confessions ecclésiastiques du Dieu trinitaire que le
COE cite comme autorités? La justification du pécheur par la foi en Jésus-Christ seul peut être
«courbée» et réinterprétée comme étant les efforts d’un militant politique pour se sauver lui-même.
Et pas un seul dirigeant d’Église de ces grandes églises de la Réforme – pas même l’un des 54
membres de la délégation allemande qui comprenait plusieurs évêques protestants de différentes
églises établies régionales – ne s’est levé pour contredire sérieusement cette présentation du salut
par les œuvres. N’y a-t-il plus de protestants dans l’œcuménisme 115?

Que cette théologienne, qui se situe en total contraste avec tant d’églises revivifiées en Corée, ait été
capable de donner sa conférence dans l’assemblée plénière inaugurale doit répondre sans aucun
doute à une stratégie qui ne restera pas sans effet. Si les quelques bribes de la Bible parsemées dans
cette présentation pouvaient servir à la justifier théologiquement, alors les citations bibliques avec
lesquelles les Témoins de Jéhovah vont de maison en maison seraient du pur Évangile 116.

Après cela, chaque pasteur de village d’une Église membre du COE qui, contrairement au serment
qu’il a fait lors de son ordination, prêche une telle hérésie, sera capable, du moins moralement, de
citer en sa faveur l’acceptation silencieuse des déclarations du Dr Chung. Chaque responsable de
jeunes qui mène son groupe dans une spiritualité syncrétiste peut sans difficulté se légitimer
œcuméniquement […] Avec cette présentation ouvertement louée, critiquée seulement du côté
orthodoxe, le COE a donné un signal qui ne trompe pas en faveur d’une religion mondiale unifiée
mais utopique, dans laquelle l’aspiration bouddhiste à la délivrance a supplanté l’offense et la folie
de la croix 117.
Même un observateur étranger aux milieux évangéliques se demande:
L’appel à l’esprit des forces de la nature qui retentit à Canberra évoque de trop près le paganisme
contre lequel a lutté l’Église chrétienne depuis sa naissance. Le paganisme asiatique, africain ou
amérindien serait-il plus proche de la révélation chrétienne que le paganisme gréco-romain, celtique
ou germanique? La mission n’exige-t-elle pas que les nouvelles églises transforment leurs sociétés,
comme les anciennes ont autrefois transformé la société de l’Empire romain? Par ailleurs le souci de
problèmes qui, tel le racisme, relèvent surtout de la culture et de l’éducation, risque d’orienter le
militantisme chrétien loin de la prédication évangélique telle qu’elle est décrite dans le Nouveau
Testament 118.

D’ailleurs, dans cette perspective syncrétiste, des observateurs non-


chrétiens avaient été invités à la Conférence pour représenter le judaïsme,
l’islam, le bouddhisme, l’hindouisme, le shintoïsme et les Sikhs.

Une nouvelle spiritualité


Pour tous les syncrétistes, le monde du religieux trouve son expression
dans le terme impersonnel de «spiritualité».
Le dialogue, comme signe d’espérance, a apporté à la plupart d’entre nous une nouvelle spiritualité,
une spiritualité interreligieuse que j’ai ressentie le plus clairement dans la prière commune. Peu
importe qui conduisait la prière ou la méditation, que ce soit un chrétien ou un musulman, un hindou
ou un bouddhiste: cela n’avait aucune importance. Même ce qui était dit dans la prière n’était pas
nécessairement important. Qu’un musulman dise «Amen» à une prière chrétienne impliquant la
filiation divine de Jésus, n’a aucune importance. Ce que nous avons tous ressenti réellement, c’était
notre commune situation humaine devant Dieu et en Dieu 119.

Même le nom de Christ ou de Jésus-Christ ne signifie pas


nécessairement qu’il s’agisse du Christ de la Bible. Ce nom est devenu un
concept général dans lequel chacun met ce qui lui convient. Dire, par
exemple, que «la vérité est en Christ» a un sens pour le chrétien – mais n’est
pas nécessairement celui qu’y met un bouddhiste ou un humaniste:
C’est le Christ seul qui est reçu comme lumière lorsque la grâce touche un brahmane, un bouddhiste
ou un musulman pendant qu’il lit ses propres écrits sacrés. Celui qui meurt martyr d’une cause qu’il
estime juste, meurt en communion avec le Christ. Tous les mystiques de l’Islam qui ont vécu
comme témoins d’un amour sacrificiel, ont vécu l’amour johannique dans sa spécificité. Car si l’on
reconnaît l’arbre à ses fruits, alors tous les pauvres, tous ceux de tous les peuples qui vivent dans
l’ombre et soupirent sérieusement après Dieu, reçoivent la paix que Dieu donne à ceux qu’il aime
120.

Peter Beyerhaus commente:


Le Christ auquel des chrétiens, des musulmans, des bouddhistes ou des Hindous peuvent donner
leur Amen commun, sans toutefois modifier leurs postulats humanistes – religieux ou areligieux –
n’est pas le Christ annoncé par les apôtres. Ce dernier est évacué de la conscience religieuse des
participants au dialogue interreligieux. C’est un Christ substitutif qui, selon 2 Thessaloniciens 2: 4,
prendra un jour visiblement sa place. Principiis obsta [opposez-vous aux commencements] 121.

[Une conséquence de cette nouvelle attitude est] la fin des efforts missionnaires en vue de la
conversion et de l’implantation d’églises [dans les pays non-chrétiens] 122.

Par le programme de dialogues du COE, a été initié un mouvement qui étend le but œcuménique de
l’unité des églises à une réunification de toute l’humanité. Dès à présent apparaissent les contours
d’une religion syncrétiste universelle dans laquelle l’homme s’efforcera de transcender ses
limitations humaines par une conception humaniste de la spiritualité. Mais c’est précisément sur
cette voie qu’il parviendra dans la zone d’influence des puissances transcendantes de caractère
démoniaque 123.

Une religion mondiale unique


En 1968, le Dr Stanley Samartha fut appelé comme secrétaire adjoint
pour les questions de proclamation au COE à Genève. Ses vues sur les
questions religieuses étaient très larges:
Les religions ne doivent pas être considérées comme des systèmes doctrinaux et rituels fixes, avec
des frontières et des étiquettes claires. Les frontières sont effacées par les puissances agissant dans
l’Histoire, qui amène tous les hommes vers des préoccupations communes 124.

Il demandait aux chrétiens de devenir «sensibles à l’œuvre du Saint-


Esprit dans le monde entier, et pas seulement dans les religions, mais aussi à
l’intérieur de tous les credo et toutes les idéologies du monde non religieux».
Le pasteur L. A. da Silva, directeur du Centre d’études œcuméniques de
Colombo (Ceylan), reproduisait le discours d’un leader bouddhiste, Ananda
Mangala Thera, qui disait:
À l’avenir, les théologiens ne citeront plus les Écritures saintes. Ils se référeront plutôt au caractère
humanitaire […]. Le Christ, le Bouddha, Mahomet est en chacun de nous […]. Nous avons besoin
de la richesse de la conscience chrétienne, de la profondeur et la largeur de la conscience
bouddhiste, de la pleine communion de la conscience islamique. Il nous faut mettre ensemble les
richesses de la spiritualité, au lieu de les gaspiller. Nous devons les immerger dans un seul lac, au
lieu de laisser couler les différents affluents, c’est-à-dire les fleuves de la spiritualité, vers des
océans différents. Jetons-les dans la corbeille de l’humanité, au service de l’humanité.

Ou encore:
Le principe fondamental commun à toutes les religions est un idéal social humanitaire.
Ananda Mangala Thera a aussi participé à la Consultation organisée par
le COE en avril 1974 à Colombo dans le cadre du programme de dialogue.
Ces pensées correspondent à celles du mystique hindou Rama-Krishna
qui considère toutes les affirmations dogmatiques des religions comme des
chemins différents vers le divin. Ainsi, il a aussi incorporé, comme une
nouvelle dimension de sa spiritualité universelle, la mort et la résurrection du
Christ.

Une humanité unifiée


Les religions doivent créer ensemble une communauté mondiale unifiée:
Les différentes religions ont aujourd’hui un devoir vital: celui de créer une communauté mondiale
125.

Au Congrès mondial des religions, créé en 1936 à Londres, Georges


Appleton dit à son auditoire chrétien, juif, sikhs, hindou, bouddhiste et
musulman:
Sans une communauté mondiale, aucun ordre mondial et aucune paix mondiale ne pourraient
subsister. Nous vivons un moment créatif de l’action de Dieu: une communauté mondiale est en
devenir. Le temps des «religions comparées» est révolu. À présent, les différentes religions du
monde doivent chercher ensemble le sens de la vraie religion.

Au cours de ce culte dans l’église St John de Londres, des extraits des


différents livres sacrés des religions représentées ont été lus 126.
Dans son exposé initial au Comité central du COE de 1972, intitulé «La
paix dans le monde», Jürgen Moltmann s’est référé à l’histoire de la Rome
antique, où l’unité religieuse fortifiait et garantissait l’unité politique de
l’Empire:
Autrefois, ajoutait-il, les peuples avaient leurs histoires au pluriel. Chaque nation, chaque religion
avait son histoire particulière. Nous n’avons d’avenir et d’espérance qu’au singulier. Les différentes
institutions – qu’elles soient politiques, économiques ou religieuses – à l’avenir ne pourront se
constituer et se légitimer que dans la perspective de la paix mondiale à venir et du futur
gouvernement mondial. Seul celui qui s’engage substitutivement pour la paix de l’ensemble a droit à
l’existence. Chaque prétention d’absolu empêche la paix. Il s’ensuit pour le christianisme qu’il ne
peut plus revendiquer le don de Dieu en Christ pour tous les hommes comme une prétention
exclusive de l’Église, mais seulement dans un dialogue ouvert et une coopération inconditionnelle
avec des groupes d’autres religions. Seuls ceux qui veulent effacer les vérités contenues dans la
religion juive, dans le bouddhisme et dans le marxisme refusent le dialogue avec Israël, avec les
bouddhistes et les marxistes.
Au Comité central du COE, le Secrétaire général Philip Potter disait en
1973:
Il est de la plus haute importance que nous ayons une claire compréhension de ce que signifie le mot
œcuménique: pas seulement la rencontre et la collaboration des églises, mais, dans une vision
profondément biblique, toute la terre habitée par des hommes et des femmes qui luttent pour être ce
qu’ils doivent être dans le plan de Dieu. Dans cette perspective, le mouvement œcuménique est
partout où des chrétiens et d’autres sont préoccupés de l’unité de l’humanité. Les églises participent
à ce mouvement avec la pleine conscience qu’il est oikoumene 127 de Dieu […] C’est pourquoi
l’aspiration à l’unité de l’Église est intimement liée à l’aspiration à l’unité de l’humanité.
«Sans une communion de toutes les races et de toutes les religions, il n’y
a aujourd’hui pas de salut pour le monde», disait-on à Utrecht en 1972.
C’est pourquoi, nous autres chrétiens, nous voulons manifester notre unité en Christ en entrant, là où
nous vivons, dans une pleine communion avec des gens d’autres races, d’autres classes, plus vieux
ou plus jeunes, ayant des convictions religieuses et politiques différentes 128.

Ainsi nous enrichirons et nous élargirons notre foi chrétienne et – ce qui a aujourd’hui une
importance vitale: nous serons à la recherche d’une communauté mondiale fondée sur le caractère
humain commun et une commune aspiration vers Dieu 129.
Le succès des conférences œcuméniques et le bon accueil fait à
l’œcuménisme dans le public ne sont pas encore des preuves que sa
conception de l’unité soit celle qui répond à la volonté de Dieu. Un des plus
grands théologiens actuels de l’Église a écrit:
De fausses églises peuvent parfaitement bien se rencontrer dans une unité supérieure de ce genre, et
l’on peut se demander si telle conférence, telle union ecclésiastique n’ont pas été couronnées de
succès précisément parce qu’entre fausses églises, il est facile de s’entendre et de s’unir le mieux du
monde 130.
Et nous pourrions aussi appliquer aux unités ce que Jésus a dit aux
chrétiens:
Malheur lorsque tous les hommes parleront bien de vous, car c’est ainsi que leurs pères
agissaient à l’égard des faux prophètes! (Luc 6: 26)

La Bible, il est vrai, prédit une telle unité de l’humanité sous le


gouvernement d’un seul homme à qui il «fut donné pouvoir sur toute tribu,
tout peuple, toute langue et toute nation» (Apocalypse 13: 7). Mais il s’agit
de «la bête» et «tous les habitants de la terre se prosterneront devant elle,
ceux dont le nom n’a pas été inscrit sur le livre de vie de l’Agneau immolé
dès la fondation du monde» (v. 8).
Un seul chemin ou «à chacun sa vérité»?
Nous venons d’évoquer l’une des tendances de notre époque: le dialogue
interreligieux avec, comme postulat souvent sousjacent, l’équivalence de
toutes les approches de la divinité. Cela nous pose la question: N’y a-t-il
qu’une seule vérité? Ou faut-il dire: «À chacun sa vérité»? Pourquoi le
christianisme serait-il une religion supérieure aux autres?
On raconte l’histoire de ces quatre aveugles qui se sont approchés d’un
éléphant:
– C’est un tronc, dit celui qui avait attrapé une jambe.
– Non, c’est un serpent, s’écrie celui qui a saisi sa trompe.
– Une feuille!
– Non, une liane, disent ceux qui ont agrippé une oreille ou la queue.
Et les voilà qui se chamaillent – comme les tenants des différentes
religions. Car la réalité échappait à leurs sens limités – comme la réalité de
Dieu nous échappe. Chaque religion en saisit une partie.
Voilà ce qui nous est présenté comme la sagesse supérieure pour notre
temps, ce temps du «retour de Dieu», de la «soif de Dieu» – selon la parole
attribuée à Malraux: «Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas».
Mais quelle religion? Les grands périodiques qui ont tablé sur le «retour
du religieux» présentent à leurs lecteurs tout l’éventail des religions du
monde et des diverses sectes. Chacun peut faire son petit cocktail religieux
selon son goût: un fond de christianisme («on n’est pas contre»), un zeste de
bouddhisme, quelques graines taoïstes ou coraniques, et c’est bon. Agiter
avant de s’en servir, et vous avez de quoi étancher votre «soif de Dieu»!
Vraiment? Si la recette répond bien à l’esprit de notre temps, répondra-t-
elle au besoin religieux de l’homme?

La religion, c’est ce qui est censé nous relier à Dieu. Et si, comme le
disait Saint-Augustin: «notre âme est inquiète jusqu’à ce qu’elle repose en toi
[Seigneur]». Ce n’est que lorsqu’elle aura trouvé le Dieu véritable qu’elle
jouira du repos.
Mais là commencent les difficultés. Quelle religion nous met en contact
avec ce Dieu véritable?
[Les] grands courants de pensée de l’Extrême-Orient et de la Chine (taoïsme, bouddhisme et
confucianisme) sont habituellement classés parmi les religions. Aucun d’entre eux cependant ne
s’appuie explicitement sur l’existence d’un Dieu 131.
Ce sont donc plutôt des philosophies ou des morales (comme le
confucianisme) qui ne nous relient… qu’à nous-mêmes.
Logiquement, une religion devrait s’appuyer sur une révélation, car les
idées des hommes sur ce que pourrait être Dieu ne valent pas plus que leurs
philosophies. «Seul Dieu parle bien de Dieu» disait Pascal.
– Donc, limitons-nous aux religions «révélées» (judaïsme,
christianisme, brahmanisme et toutes les «sectes» «chrétiennes» issues d’une
«révélation» supplémentaire, comme le mormonisme ou la Science
chrétienne).
Problème: si elles reposent toutes sur une révélation, il faut croire que
Dieu s’est révélé de manière bien contradictoire aux uns et aux autres: à l’un,
il dit d’aimer ses ennemis, à l’autre de lui faire une «guerre sainte» (qui
assure le paradis immédiat à ceux qui tombent au combat), aux uns il prescrit
le mariage monogame, aux autres il permet la polygamie. D’après l’une des
«révélations», on est sauvé par la foi, d’après l’autre, par des œuvres
prescrites. Comment s’en sortir?
Ces contradictions révèlent en tout cas une chose: l’impossibilité de la
solution du «cocktail». À quoi l’on répond:
– De toute façon, la réalité ultime est inconnue et inconnaissable.
– Donc, toutes les religions (qui prétendent nous la faire connaître) sont
fausses? C’est bien ce que disent les athées.
– Non, elles sont toutes justes.
– Donc, tout est bon en elles: les vaches et les moustiques sacrés, la
crémation des veuves hindoues, les automutilations et excisions ordonnées
dans certains cultes, la prostitution sacrée et même les sacrifices humains?
Votre tolérance vous amène à tolérer l’intolérable.
– Non, je prends ce qu’il y a de meilleur (et de commun) dans toutes les
religions.
– Donc, vous vous fabriquez votre religion, sur la base de vos idées,
mais ce n’est plus une religion révélée. D’autant moins que chacune d’elles
est exclusive et prétend seule pouvoir assurer la communion avec Dieu et le
salut éternel. Logiquement, elles ne peuvent donc pas être toutes vraies.
Prenons l’une d’elles, celle que vous connaissez peut-être le mieux: le
christianisme. Les hommes de quelque religion qu’ils soient sont d’accord
pour respecter la personne de Jésus. Beaucoup en font l’un des «grands
initiés» qui a apporté à l’humanité une «conception de la divinité» supérieure
à celle de la plupart des autres religions.
Mais si l’on considère l’ensemble des paroles qui lui sont attribuées par
les quatre évangélistes, on peut se demander si ce respect est justifié. S’il
avait dit (comme je l’ai entendu citer): «Je suis un chemin vers la vérité et la
vie», d’accord! Mais prétendre: «Je suis le chemin, la vérité et la vie» et
ajouter encore: «N ul ne vient au Père que par moi» ( Jean 14: 6) nous place
devant un choix cruel: ou bien, c’était un paranoïaque possédé par la folie des
grandeurs – et alors, merci pour toutes ses belles et bonnes paroles par
ailleurs, elles ne valent pas plus que celles de n’importe quel pensionnaire
d’un asile psychiatrique – ou bien… il était effectivement ce qu’il prétendait
être: le Fils de Dieu venu révéler Dieu au monde («Celui qui m’a vu, a vu le
Père 132»), la porte par laquelle il faut passer pour être sauvé ( Jean 10: 9) et
avoir la vie éternelle. Sans une relation personnelle avec lui, on reste sous «la
colère de Dieu» ( Jean 3: 36). C’est en tout cas ainsi que l’ont vu ses premiers
disciples après avoir assisté à sa résurrection et son ascension. L’apôtre Pierre
déclarait devant les autorités du judaïsme de l’époque: «Le salut ne se trouve
en aucun autre; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom donné parmi les
hommes, par lequel nous devions être sauvés» (Actes 4: 12).
L’apôtre Paul n’est pas moins absolu: «Car il y a un seul Dieu, et aussi
un seul médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ-Jésus homme» (1
Timothée 2: 5). Il a provoqué un soulèvement populaire en disant que «les
dieux faits par la main des hommes ne sont pas des dieux 133» et seul
«JésusChrist est le Fils de Dieu» (2 Corinthiens 1: 19), l’Unique par qui et
pour qui «tout a été créé» et en qui «habite corporellement toute la plénitude
de la divinité» (Colossiens 1: 16; 2: 9).
L’apôtre Jean, «l’apôtre de l’amour», est tout aussi catégorique: Jésus
est le «Fils unique» par lequel la vérité est venue dans le monde, celui qui
«est dans le sein du Père, [et nous] l’a fait connaître 134». C’est pourquoi
«quiconque nie le Fils n’a pas non plus le Père; celui qui confesse le Fils a
aussi le Père», la vie éternelle est «dans le Fils» de Dieu, et «celui qui a le
Fils a la vie; celui qui n’a pas le Fils de Dieu n’a pas la vie» (1 Jean 2: 23; 5:
11-12).
On ne saurait être plus clair… ou «plus intolérant».
Sur ce point, on ne peut qu’être d’accord avec le premier chapitre de la
Déclaration Dominus Jesus sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-
Christ et de l’Église, publiée le 6 août 2000 par la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi à Rome (voir chap. 5), alinéa 5:
Pour remédier à la mentalité relativiste toujours plus répandue, il faut réaffirmer avant tout que la
révélation de Jésus-Christ est définitive et complète.
Suivent les rappels suivants:
Personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père, personne non plus ne connaît le Père, si ce n’est
le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler.

(Matthieu 11: 27) Personne n’a jamais vu Dieu; Dieu (le Fils) unique, qui est dans le sein du
Père, lui, l’a fait connaître. (Jean 1: 18) En lui, habite corporellement toute la plénitude de la
divinité. Et vous avez tout pleinement en lui, qui est le chef de toute principauté et de tout
pouvoir. (Colossiens 2: 9-10)

Les seuls textes inspirés sont ceux des «livres canoniques de l’Ancien et
du Nouveau Testament, en tant qu’inspirés par le Saint-Esprit» (§ 8). Le § 13
rappelle «l’unicité et l’universalité du mystère salvifique de Jésus-Christ»:
Le Nouveau Testament en témoigne clairement: «Le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du
monde» (1Jean 4: 14); «Voici l’agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde» (Jean 1: 29). Pierre
proclame: «Il n’y a sous le ciel aucun autre nom donné parmi les hommes, par lequel nous
devions être sauvés» (Actes 4: 12). Le même apôtre ajoute en outre que Jésus-Christ est «le
Seigneur de tous»; il est «désigné par Dieu comme juge des vivants et des morts»; et donc
«quiconque croit en lui reçoit par son nom le pardon des péchés» (Actes 10: 36, 42, 43). Dans le
Nouveau Testament, la volonté salvifique universelle de Dieu est strictement reliée à la médiation
unique du Christ: Dieu «veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la
connaissance de la vérité. Car il y a un seul Dieu, et aussi un seul médiateur entre Dieu, et les
hommes, le Christ-Jésus homme» (1 Timothée 2: 4-6). […] Les solutions qui envisageraient une
action salvifique de Dieu hors de l’unique médiation du Christ seraient contraires à la foi chrétienne
et catholique.

Voilà qui répond clairement aux tendances syncrétistes dont il a été


question plus haut. René Girard écrit, au sujet de cette Déclaration:
Il faut beaucoup de force spirituelle pour ne pas transiger sur cette vérité face à la plus vaste foule
jamais réunie contre l’affirmation chrétienne fondamentale […] Le Cardinal Ratzinger met en cause
les chrétiens qui sont prêts à toutes sortes de compromis et qui pensent que le christianisme est une
religion comme les autres 135.

C’est cette prétention à l’exclusivité qui rebute beaucoup de gens


aujourd’hui. Mais cela fait partie de la religion chrétienne et c’est à prendre…
ou à laisser. Or, laisser signifie écarter totalement de notre cocktail le
christianisme qui serait fondé sur les prétentions d’un malade mental qui
aurait su convaincre des «suiveurs» peu perspicaces. Pour se tourner vers où?
Dans l’ouvrage cité plus haut, Michel Malherbe, après avoir analysé sur
plus de 500 pages, Les religions de l’humanité, pose la question: «Y a-t-il une
religion meilleure qu’une autre?» Pour les départager, il propose deux
critères: l’amour universel et l’épanouissement de l’homme 136 puis il passe
les différentes religions au crible de ces deux paramètres. Le résultat penche
très nettement en faveur de celle qui prêche un Dieu qui aime tous les
hommes – au point de donner son Fils unique pour les sauver – et qui assure
à ses disciples la «vie abondante» et la «joie parfaite». Dommage de
l’éliminer!
L’autre solution, c’est prendre; mais alors prendre le tout de la foi
chrétienne – avec la prétention d’exclusivité. Et de faire partie de ces gens
«étroits» qui se croient seuls en possession de la vérité?
Oui et non.
Oui, car si Jésus-Christ est «le Dieu véritable et la vie éter-nelle 137»,
nous avons «tout pleinement en lui» (Colossiens 2: 10), il «est le
rayonnement de la gloire de Dieu et l’expression parfaite de son être»
(Hébreux 1: 3 – Semeur). Que peuvent nous apporter de plus les autres
religions?
Non, parce que nous ne disons pas que tout est faux dans les autres
religions. Comme Don Richardson l’a montré, il y a des traces de la
révélation primitive dans toutes les religions 138.
Nous ne refusons pas le dialogue avec ces religions: il nous permet de
déceler çà et là en elles des traces de cette révélation, d’en louer Dieu, de
nous en servir comme points d’accrochage pour rejoindre nos frères humains
et les inviter à considérer aussi les autres points de notre foi. L’Islam, par
exemple, était au départ «une secte du christianisme». Pas étonnant, par
conséquent, qu’il contienne des points communs avec le christianisme.
Beaucoup d’affirmations du Coran sur Jésus sont vraies et peuvent ser-vir
d’amorces à un dialogue fécond.
À condition qu’à force de dialoguer nous n’oubliions pas le oui que nous
avons prononcé – par la foi qui reste un pari autant qu’une certitude – à la
Révélation unique apportée par Jésus le Christ. Un pari qui, après coup,
s’avère largement gagnant.
– Mais alors, les 7/10e de l’humanité qui n’ont jamais entendu parler du
Christ, à qui son offre de salut n’a jamais été présentée, sont tous perdus?
– Heureusement, ce n’est pas à nous de répondre à cette question: c’est
l’affaire de Dieu. Sa Parole nous dit qu’il «veut que tous les hommes soient
sauvés 139», que c’est un Dieu «sans injustice, […] juste et droit 140» en
même temps qu’un Dieu d’amour. Si nous-mêmes, nous sommes révoltés à
l’idée que Dieu condamnerait aux peines éternelles des innocents, combien
plus une telle idée doit être étrangère à Dieu.
– Mais comment peut-il concilier le salut par Jésus seul avec le salut de
tous ceux qui ne le connaissent pas?
– Encore une fois, c’est son affaire. C. S. Lewis disait: «Nous savons
que personne ne peut être sauvé, si ce n’est par le Christ; nous ne savons pas
si seuls ceux qui le connaissent peuvent être sauvés par lui». La Parole de
Dieu est infaillible, mais notre interprétation de cette Parole ne l’est pas.
Une chose, cependant, est claire: notre mission est d’aller «dans le
monde entier» et de faire «de toutes les nations des disciples» (Matthieu 28:
19) pour qu’ils connaissent la vérité, qu’ils deviennent «réellement libres» (
Jean 8: 32, 36) et qu’ils soient sauvés.

111 TAVARD, 1994, p. 116.


112 WHEELER, 1996, p. 36-37.
113 NICHOLLS & RIN Ro, 1993, p. 53 à 59.
114 Les orthodoxes ont protesté plus tard.
115 Ibid., p. 66-67.
116 Rolf HILLE.
117 Ibid., p. 68.
118 TAVARD, 1994, p. 81.
119 Le Dr ASKARI, mémorandum de la Consultation d’Ajaltoun (Beyrouth).
120 KLOSTERMAIER, 1968, p. 136.
121 BEYERHAUS & KÜNNETH, 1975, p. 228.
122 Ibid., p. 220.
123 Ibid., p. 222.
124 SAMARTHA, 1972, p. 111.
125 George APPLETON, archevêque anglican à Jérusalem.
126 Religious News Service (Foreign Service), 6 juin 1974.
127 NDE: ce terme grec désignait dans l’Antiquité le monde habité connu.
128 The Ecumenical Advance, A History of the Ecumenical Movement, t. 2, Londres, SPCK, 1970, p.
414.
129 W. BLAKE, Secrétaire général du COE. BLAKE fut l’un des représentants dirigeants de la
Fondation Templeton, une sorte de Prix Nobel religieux, dirigée par des chrétiens, des Israélites,
des hindous, des musulmans et des bouddhistes.
130 BARTH, 1945, p. 160.
131 MALHERBE, 1992, p. 243.
132 Jean 14: 9; cf. Jean. 8: 32; 12: 45; Matthieu 11: 27.
133 Actes 19: 26; cf. 1 Corinthiens 8: 4-6.
134 Jean 1: 18; 17; 18: 37.
135 René GIRARD, La Vie, 14 septembre 2000.
136 Op. cit., p. 539.
137 1 Jean 5: 20; cf. 2 Pierre 1: 1.
138 Cf. Don RICHARDSON, L’éternité dans leur cœur, Lausanne, JEM, 1982.
139 1 Timothée 2: 4; cf. 2 Pierre 3: 9.
140 Deutéronome 32: 4; cf. Sophonie 3: 5; Job 34: 10.
CHAPITRE
7

COMMENT PROMOUVOIR
AUJOURD’HUI L’UNITÉ DANS
L’ÉGLISE UNIVERSELLE?
La division de la chrétienté en quelques centaines de dénominations
différentes qui se réclament toutes de Jésus-Christ ne correspond
certainement pas au plan de Dieu. Si les efforts d’unification entrepris par le
mouvement œcuménique et par l’Église romaine ne nous semblent pas
correspondre aux normes fixées par la Bible, cela ne nous dispense pas de
chercher comment promouvoir aujourd’hui l’unité sur le plan de l’Église
universelle.

L’unité donnée par Dieu


Nous avons vu que l’unité pour laquelle le Seigneur a prié le Père existe,
elle est une réalité, même au XXIe siècle, une réalité qui est peut-être à
redécouvrir, mais non à créer.
Elle existe au sein des églises locales fondées, comme celles des temps
apostoliques, où l’admission comme membre de l’Église est subordonnée à
une confession personnelle de Christ comme Sauveur et Seigneur.
Elle existe dans l’Église universelle par-dessus et par-dessous toutes les
barrières confessionnelles, entre les enfants de Dieu nés de nouveau. Cette
unité est plus forte que toutes les divisions que le monde voit dans le
christianisme, plus forte que les liens du sang, de la race ou de l’appartenance
nationale, plus forte que les tabous que certains groupements font peser sur
leurs adhérents, leur interdisant la communion avec des chrétiens d’autres
milieux, plus forte aussi que toutes les divergences doctrinales entre les vrais
chrétiens. Quand deux enfants de Dieu se rencontrent, ils ne mettent pas
longtemps à se reconnaître comme frères et sœurs en Christ et aussitôt,
l’unité est là entre eux, une conviction forte jaillissant des profondeurs de
l’être les avertit de l’existence et de la réalité de cette unité qui leur permettra
de s’aimer, de prier ensemble, de travailler en commun et de se confier l’un à
l’autre.
Une telle unité n’a rien de commun avec ce que le monde peut nous
offrir ou que des efforts humains peuvent réaliser. Elle est «une donnée
immédiate de la conscience», un fruit du Saint-Esprit en nous, une des plus
belles réalités d’ici-bas. Aucun de ceux qui l’ont goûtée ne saurait l’oublier
ou la confondre avec ce qu’une organisation humaine peut créer. Elle est
l’exaucement de la prière de Jésus-Christ.

Sous quelles formes et à quelles conditions cette unité de


l’Église universelle peut-elle se manifester aujourd’hui?
Les formes et les conditions de la communion d’une Église avec les
autres pourraient encore se résumer par ces paroles que nous avons déjà
considérées plusieurs fois:
Ils persévéraient dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la
fraction du pain et dans les prières. (Actes 2: 42)

Persévérer «dans l’enseignement des apôtres»


Une unité chrétienne authentique n’est possible qu’entre des chrétiens
pour lesquels «toute l’Écriture est inspirée de Dieu», qui reconnaissent la
Bible comme autorité suprême et sont décidés à soumettre, en toute vérité et
objectivité, toutes leurs doctrines et leurs pensées à son arbitrage. «Ce n’est
pas d’unité dont les églises et le monde ont le plus besoin, mais d’Évangile»,
disait Paolo Ricca, professeur à la Faculté de théologie protestante de Rome,
en 1972.
Une telle unité trouve déjà une expression concrète dans nombre de
rencontres et conventions interecclésiastiques, ainsi que dans les activités
communes au sein des Alliances évangéliques et de certains groupements
rattachés à l’Union évangélique universelle, dans les rassemblements de
jeunes pour la mission, etc. On ne saurait qu’encourager ces rencontres entre
enfants de Dieu qui nous délivrent d’une vision trop étriquée du corps du
Christ, qui élargissent les dimensions de notre amour et de notre pensée. De
telles rencontres ne sont possibles dans la clarté que si une déclaration de foi
non équivoque précise le terrain sur lequel on convient de se rencontrer: celui
de la soumission inconditionnelle à la Bible, Parole de Dieu.
Cette unité de l’Église universelle trouve également son expression à
l’échelon local à travers les visites que des frères d’autres églises peuvent
faire. Chaque fois qu’un frère d’ailleurs vient remplacer les frères de
l’assemblée dans le ministère de l’enseignement, c’est comme une bouffée
d’air frais qui vient vivifier l’atmosphère. Quel privilège lorsqu’on peut
aimer, penser et agir à la dimension de l’Église entière du Christ, lorsqu’on
peut porter les fardeaux des frères d’Afrique, d’Asie, d’Amérique, entrer dans
leur pensée et leur manière de comprendre l’Écriture, collaborer avec eux à
l’œuvre commune au service du Maître! Comme cela nous délivre de cette
mesquinerie et de cet esprit de clocher qu’on déplore si souvent chez les
chrétiens! En notre siècle, les efforts déployés par le monde non-chrétien et
pseudo-chrétien nous invitent à repenser notre vision de l’Église et à sortir
des pieux ghettos dans lesquels nous nous sommes souvent laissé enfermer.
Et n’oublions pas, dans nos efforts d’intégrer l’Église universelle à l’église
locale, toutes les richesses que nous ont léguées nos frères des siècles passés.
L’Église universelle, c’est l’Église de tous les temps comme de tous les lieux.
C’est l’ensemble des ministères accordés à cette Église, tant sur le plan
temporel que sur le plan spatial, que le Seigneur voudrait mettre à la
disposition des croyants pour leur perfectionnement, leur édification, afin
qu’ils soient:
tous parvenus à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’homme fait, à
la mesure de la stature parfaite du Christ. (Éphésiens 4: 13)

Persévérer «dans la communion fraternelle»


Comment rester en communion fraternelle avec les chrétiens de l’Église
universelle?
Nous pouvons les accueillir lorsqu’ils viennent chez nous, les inviter,
leur démontrer pratiquement qu’en Christ toutes les barrières sociales,
nationales et raciales sont abolies. Nous pouvons essayer de les rencontrer
dans des camps, des conventions, dans leur Église ou leur foyer lorsque nous
sommes en voyage. Cela nous obligera souvent à faire un effort pour sortir de
notre cercle de connaissances et de pensées et à faire un pas vers les frères, à
comprendre leur démarche de pensée, leur hiérarchie des valeurs, leurs
vocations et leurs convictions. Mais si, par cet effort, nous agrandissons les
dimensions de notre communion fraternelle, quel gain pour nous!
Et si nous consacrions une partie de nos vacances à travailler avec des
frères et sœurs d’ailleurs à une œuvre d’évangélisation? Quel enrichissement!
Il ne faudra pas non plus oublier que la communion fraternelle
impliquait dans l’Église primitive un intérêt pour les besoins matériels des
frères au loin. Envoyer un secours à des frères qui passent par l’épreuve –
même s’ils ne font pas partie de la même dénomination que nous – envoyer
des paquets aux missionnaires qui annoncent le Christ en terre lointaine,
soutenir le travail de la mission en divers pays: tout cela resserre les liens de
la communion fraternelle à l’échelon universel. Tout en reconnaissant une
légitime priorité aux œuvres dépendant de notre église locale, il faudra nous
garder d’oublier que le corps de Christ déborde largement l’Église ou la
dénomination dans laquelle nous nous sommes trouvés placés. Faute de quoi,
notre appartenance à l’Église dégénérera bientôt en ce que le monde ne
connaît que trop dans ses clubs, ses sociétés et ses syndicats: un attachement
partisan et aveugle à son organisation. Lorsque les païens des premiers
siècles disaient des chrétiens «Voyez comme ils s’aiment», ils constataient
qu’il y avait entre eux autre chose que ce qu’ils connaissaient dans leurs
temples et leurs cénacles. La vie des chrétiens étant la seule Bible que le
monde actuel consente encore à lire, il faut qu’il y découvre cet amour et
cette communion fraternelle d’une qualité toute différente de ce qu’il est
habitué à voir dans ses sociétés. La communion entre chrétiens de différentes
nations, races et églises est une des choses qui peuvent le plus forcer sa
réflexion.

Persévérer «dans la fraction du pain»


C’est là peut-être l’un des points les plus difficiles. Même dans le
mouvement œcuménique, le problème de l’intercommunion est loin d’être
résolu et, entre chrétiens et églises évangéliques, la participation à une même
table pose quelquefois des problèmes épineux. Si nous plaçons au-dessus de
tout esprit de parti, au-dessus de toute barrière humaine, notre appartenance
commune au corps de Christ, les différences des églises évangéliques en ce
qui concerne la manière de célébrer la cène ne devraient jamais constituer un
empêchement majeur à la prendre avec d’autres enfants de Dieu.
Dans notre assemblée, nous avons notre part de responsabilité dans la
manière dont est célébrée cette cène – ou tout au moins nous l’avons
acceptée: large ou restreinte, debout ou assis, coupe collective ou coupes
individuelles, trimestrielle, mensuelle ou hebdomadaire, pain ordinaire ou
pain azyme, etc. Lorsque nous allons dans une autre église, où la cène est
donnée conformément aux prescriptions apostoliques, avec les avertissements
que donnaient les apôtres (1 Corinthiens 11), ces différences dans le mode
d’administration de la cène ne devraient jamais nous priver de la joie de
manifester notre communion avec ces frères et sœurs d’ailleurs.
Dans notre église locale, nous avons de même notre part de
responsabilité dans l’admission à la cène des chrétiens venant d’ailleurs. S’il
s’agit de frères en Christ, nés de nouveau, ils ont leur place à notre table qui
est, non la table d’une église particulière, mais la table du Seigneur. Déjà au
siècle dernier, un chrétien a défini clairement la position biblique sur ce
point:
Quand une corporation de chrétiens reconnaît comme seuls ayant le droit de participer à la cène ses
membres à elle, il y a une unité formellement opposée à l’unité du corps du Christ […] Si je
reconnais tous les chrétiens comme membres du corps du Christ, si je les aime, si je les reçois de
grand cœur même à la cène, en supposant qu’ils marchent dans la sainteté et la vérité, invoquant le
nom du Seigneur d’un cœur pur (2 Pierre 2: 19-22; Apocalypse 3: 7) alors je ne marche pas, moi,
dans l’esprit de secte […] parce que je marche selon le principe de cette unité du corps du Christ, et
que je cherche l’union pratique parmi les frères. Si je m’unis avec d’autres frères pour prendre la
cène, seulement comme membre du corps du Christ, non comme membre d’une Église quelle
qu’elle soit, mais vraiment dans l’unité du corps, prêt à recevoir tous les chrétiens qui marchent dans
la sainteté et dans la vérité, je ne suis pas membre d’une secte. Je ne suis membre de rien d’autre que
du corps du Christ. Mais se réunir sur un autre principe en quelque manière que ce soit, pour faire
une corporation religieuse, c’est faire une secte.

L’auteur de ces lignes s’appelait John Nelson Darby 141.

Persévérer «dans les prières»


C’est le point qui semble a priori le plus facile à réaliser. Un slogan
répandu dans le monde chrétien actuel prétend que la doctrine divise, mais la
prière en commun unit. Partant de là, on organise des «semaines de prière de
l’unité», des cercles de prière interecclésiastiques, des cultes liturgiques
(donc de prière) communs, etc. Cela vaut certainement mieux que de se
combattre les uns les autres, mais est-ce là ce qui répond à l’intention du
Christ et des apôtres et ce qui nous conduira vers l’unité chrétienne véritable?
Quelles sont les conditions d’une prière unie? Remarquons tout d’abord
que les prières sont citées en dernier lieu, non parce qu’elles sont les moins
importantes, mais parce qu’elles ne sont possibles et efficaces que lorsqu’on
est uni sur le plan de la doctrine et de la communion fraternelle, à tel point
qu’on peut prendre la cène ensemble. Rappelons ensuite que ni Jésus-Christ,
ni les apôtres n’ont exhorté les chrétiens à prier pour l’unité; les croyants
devaient conserver l’unité qui leur avait été donnée – en réponse à la prière de
Jésus – pour pouvoir prier ensemble. Si nous examinons les conditions que le
Seigneur et les apôtres ont posées à une prière efficace, nous constaterons que
l’unité de ceux qui prient figure au premier rang (Matthieu 18: 19):
Une vraie communion dans la prière n’est pas possible avant que nous soyons d’accord sur le
chemin d’accès dans la présence de Dieu […] l’un dit qu’il peut se tourner vers Dieu quand il veut,
il lui suffit de s’asseoir et de se relaxer et déjà il écoute Dieu et lui parle. Un autre dit qu’il n’y a
qu’un chemin pour pénétrer dans le «lieu très saint» et que c’est «par le sang de Jésus». Comment
ces deux hommes pourront-ils prier ensemble 142?

L’un ne voit en Jésus qu’«un prophète puissant en paroles et en


œuvres», l’autre l’invoque comme le Fils unique de Dieu. Les uns, en priant
pour le monde, demandent à Dieu de convaincre les hommes de péché et de
produire des nouvelles naissances, les autres se contenteront de demander une
pénétration de l’esprit de l’Évangile dans les structures sociales et politiques.
Comment pourront-ils s’accorder pour une prière efficace?
Si nous suivons l’exemple de l’Église primitive, nous trouverons de
nombreuses occasions de resserrer les liens avec l’ensemble de l’Église
universelle grâce à la prière: prière pour les serviteurs de Dieu en terre
lointaine, pour les jeunes églises missionnaires, pour les frères dans les pays
où l’Église est persécutée, pour ceux qui sont en prison, prières pour ceux qui
portent la responsabilité de l’œuvre de Dieu dans différents secteurs de
l’Église (doctrine, action sociale, formation de serviteurs, etc.), pour les
entreprises d’évangélisation à grande échelle, les œuvres de jeunesse, la
diffusion de traités et de littérature évangélique, les différents témoignages
pratiques de l’amour chrétien (diaconat, dispensaires, œuvres de relèvement,
enfance déficiente et inadaptée, etc.). Un champ d’intercession infini s’offre
au chrétien sur ce plan de l’Église universelle, pour collaborer efficacement à
l’œuvre de Dieu dans le monde entier, un champ qui n’est limité ni par les
frontières, ni par les cloisonnements ecclésiastiques, ni par la faiblesse ou les
circonstances de l’intercesseur. Quand une église locale a compris sa
vocation de prière à l’égard de l’Église universelle, elle est délivrée de
l’étroitesse et du sectarisme 143.

141 DARBY, 1878.


142 D. Martin LLOYD-JONES, The Basis of Christian Unity, Londres, Inter-Varsity Fellowship, 1962.
143 Voir aussi le chapitre «Le temps des questions» de Alfred KUEN, in Qui sont les évangéliques?,
Saint-Légier, Emmaüs, 1998, p. 115-128: Pourquoi les Églises évangéliques restent-elles en-
dehors du courant œcuménique? Faudrait-il unifier les Églises évangéliques? Toutes les
dénominations sont-elles encore justifiées? Communion de foi.
CONCLUSION

TÉMOIGNAGE
Tout ce qui précède n’est pas le produit d’une réflexion abstraite: c’est le
fruit d’une soixantaine d’années d’expérience pra-tique de l’unité tant sur le
plan local que sur le plan mondial.
Tout a commencé le jour où quelques jeunes chrétiens de confessions
différentes se sont retrouvés dans un internat avec la décision de prier
ensemble et de soumettre toute leur foi à ce qu’ils découvriraient dans
l’Écriture. C’était le début d’une aventure merveilleuse. Dieu nous fit d’abord
découvrir la vie du corps local: la cellule initiale grandit rapidement, des
problèmes de plus en plus nombreux se posèrent, mais chaque fois l’examen
de la Parole de Dieu nous permit de trouver des solutions ralliant l’unanimité
et sauvegardant l’unité. Puis ce fut la découverte de l’Église universelle:
après avoir évolué pendant une année en vase clos, ignorant l’existence
d’autres communautés basées sur les mêmes principes que la nôtre, Dieu
nous mit en contact avec des chrétiens et des assemblées de toutes les
dénominations du monde évangélique. Et chaque fois, ce fut un nouveau
ravissement, un nouvel enrichissement. On n’était pas une demi-heure
ensemble qu’on se savait et se sentait frères en Christ comme si on se
connaissait depuis des années. L’amour fraternel est une réalité si tangible
qu’elle nous permet de savoir si nous sommes nés de nouveau: «Nous savons
que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons les
frères» (1 Jean 3: 14). Cet amour engendre confiance réciproque, communion
spirituelle, aide matérielle en cas de besoin, il permet de prier et d’œuvrer
ensemble: combien de fois l’avons-nous expérimenté durant nos
pérégrinations à travers la France et la Suisse pendant la guerre.
Après la guerre, la communauté dispersée se regroupa et vécut la vie
plus normale d’une église locale stable: période de lente construction, de
découvertes nouvelles, de crises aussi et de déchirements. Mais à travers
toutes ces expériences, nous avons fait l’apprentissage – souvent douloureux
– des lois de l’unité de l’Église telles que le Seigneur nous les a transmises
dans sa Parole. Nous avons appris surtout que seule l’obéissance
inconditionnelle à cette Parole – pas seulement à ses principes doctrinaux
mais aussi à ses impératifs spirituels et moraux – peut maintenir l’unité de
l’Esprit dans un corps local. Nous avons compris par-dessus tout que l’unité
spirituelle de tous ceux qui portent la responsabilité de la vie de l’Église était
une condition absolue de l’unité de l’assemblée locale.
Sur le plan de l’Église universelle, notre horizon ne s’est pas rétréci
depuis que l’Église s’est enracinée localement – bien au contraire. Des
échanges constants dans les deux sens ont maintenu vivants les liens avec
l’ensemble du corps de Christ. Un nombre sans cesse croissant de frères de
toutes dénominations, nations et races viennent nous enrichir de leur
expérience et nous apportent un reflet de la vie de l’Église dans les cinq
continents. Malgré l’extrême diversité d’origine de ces chrétiens, nous
sommes chaque fois frappés de la profonde identité du message, du
parallélisme des expériences et de l’unité de la foi. Qu’ils viennent
d’Angleterre, de Norvège ou d’Espagne, d’Amérique, d’Afrique, de la Chine
ou des Indes, tous ces frères nous ont apporté le même message de la croix du
Christ et de sa seigneurie, nous ont parlé des mêmes expériences
individuelles et collectives faites dans le chemin de l’obéissance à Dieu. Et
cependant, comme dans tout organisme vivant, il n’y a aucune stéréotypie
dans l’Église universelle, chaque corps local vit à son rythme, suivant son
tempérament et sa vocation propres, de sorte que l’ensemble nous permet de
découvrir un reflet des richesses infiniment variées du Christ.
Combien nous bénissons le Seigneur pour tous ces trésors ainsi mis à
notre disposition – et nous n’oublions pas non plus ce cercle infiniment plus
vaste de l’Église de tous les temps et de tous les lieux qui, par les écrits de
frères depuis longtemps disparus, continue à nous apporter son expérience et
son édification… «Tout est à vous»: nous avons découvert des richesses dans
les écrits de frères et de sœurs venant de toutes les branches de la chrétienté
et nous en bénissons le Seigneur.
Qu’on veuille bien excuser le caractère plus personnel de cette
conclusion: elle ne voudrait en aucune manière glorifier une entreprise
humaine mais apporter un témoignage: témoignage de reconnaissance envers
Dieu de qui viennent «toutes grâces excellentes et tout don parfait» et envers
tous les frères et sœurs qui, par leur ministère, ont enrichi notre vision du
Christ – témoignage d’encouragement pour tous les isolés et ceux qui
souffrent du déchirement du corps de Christ – mais aussi témoignage
d’exhortation à rechercher la vraie unité de l’Église: dans le corps local
d’abord, avec les chrétiens d’autres lieux et d’autres assemblées ensuite.
Apprenons à nous connaître et à nous aimer comme frères en Christ.
Recherchons et développons, partout où nous le pouvons, cette unité et cette
communion qui existe entre nous par le Saint-Esprit. Prions pour les chrétiens
des autres milieux – et avec eux lorsque nous le pouvons.
Réjouissons-nous de leurs succès et de leurs progrès. Recherchons,
lorsque nous nous rencontrons, ce qui nous unit, ce que nous avons en
commun, et évitons de mettre en avant des noms qui nous séparent et mettent
en relief nos différences: tous les «-istes» et les «-iens» qui rappellent nos
cloisonnements; la Bible n’emploie pour désigner les croyants que des mots
qui unissent, parce qu’ils sont applicables à tous: chrétiens, saints, frères,
disciples, enfants de Dieu… imitons-la. Veillons avec un soin particulier à
mettre en pratique les exhortations de la Parole concernant le jugement des
autres et la médisance, surtout «ne jetez pas vos perles devant les
pourceaux», c’est-à-dire ne critiquez pas les enfants de Dieu devant les
enfants du monde, «de peur qu’ils ne les foulent aux pieds et ne se retournent
pour vous déchirer» (voir tout le contexte Matthieu 7: 1-6). Ne mettons pas
plus l’accent que la Parole ne le fait sur des vérités secondaires qui risquent
de nous diviser et gardons-nous surtout de remplacer l’indispensable humilité
et honnêteté devant la Bible qui, devant des passages difficiles ou
controversés nous fait dire: «Je ne sais pas… je pense… je crois… mais…»,
par un dogmatisme autoritaire et exclusiviste s’appuyant sur on ne sait quelle
infaillibilité personnelle ou révélation particulière. Tout cela cloisonne,
sépare et divise le corps de Christ!
Mais, plus nous nous rapprocherons du centre, c’est-à-dire non pas
d’une doctrine mais de la Personne du Christ, plus nous nous rapprocherons
aussi les uns des autres. Plus le Christ prendra de place dans nos vies, plus
nous nous découvrirons véritablement et profondément UN, car le Christ
n’est pas divisé. Il unit tous ceux qui lui appartiennent.
Il les a unis par la croix, réunissant par elle tous les enfants de Dieu
dispersés, en un seul corps ( Jean 11: 52). Il nous unit pratiquement quand
nous laissons cette croix s’implanter dans nos vies et y faire mourir tout ce
qui appartient à notre vieille nature.
Le temple de Salomon a été construit sur la montagne de Moriya (2
Chroniques 3: 1), c’est-à-dire sur le lieu du triomphe de la foi et de
l’obéissance. Le temple de la nouvelle alliance ne saurait être édifié sur une
autre base. Si chacun des membres du corps réalise dans sa vie tout ce
qu’impliquent Moriya et Golgotha, alors:
C’est de lui [du Christ] que le corps tout entier tire sa croissance pour s’affermir dans l’amour,
sa cohésion et sa forte unité lui venant de toutes les articulations dont il est pourvu, pour
assurer l’activité attribuée à chacune de ses parties. (Éphésiens 4: 16 – Semeur )
BIBLIOGRAPHIE

La littérature au sujet de l’œcuménisme est abondante. Nous


n’indiquerons ci-dessous que les livres cités et quelques titres plus récents
consultés.
Une liste des principaux ouvrages en français parus jusqu’en 1994 se
trouve dans le livre de Georges Tavard.

Madeleine BAROT, Le Mouvement œcuménique, Paris, PUF, Coll. «Que sais-je?», n° 841, 1967.

Karl BARTH, Gemeinschaft in der Kirche, Zürich (Suisse), Evangelischen Gesellschaft, 1943.

Karl BARTH, Connaître Dieu et le servir, Neuchâtel, Paris, Delachaux & Niestlé, coll. «L’Actualité
protestante», 1945.

Helmut BAUER, Liebe, Einheit, Frieden – um jeden Preis?, Wuppertal-Zürich (Suisse),


Evangelischen Gesellschaft, 1980.

Werner BEYER, Einheit in der Vielfalt, Wuppertal-Zürich, Brockhaus, 1995.

Peter BEYERHAUS et Walter KÜNNETH, Reich Gottes oder Weltgemeinshaft?, Bad Liebenzell,
1975.

Erich BEYREUTHER, Der Weg der Evangelischen Allianz in Deutschland, Wuppertal, Brockhaus,
1969.

André BIRMELÉ, Le salut en Jésus-Christ dans les dialogues œcuméniques, Paris, Cerf, Genève,
Labor & Fides, 1986.

Klaus BOCKMÜHL, Die Stellung des Pietismus zur Separation, Dillenburg, Gnadauer, 1978.

Marc Boegner, En marche vers l’unité chrétienne, Alençon, Christianisme social, 1937.

E. H. BROADBENT, L’Église ignorée, Yverdon, Je sème, 1938.

Pasteur CATEL, L’œcuménisme catholique, Francescas, Union des chrétiens évangéliques de


France, 1960.

E. CHASTAND, L’œcuménisme danger pour l’évangélisation, Auteur, Anduze.

Comité mixte baptiste-catholique, Rendre témoignage au Christ, Paris, Cerf, 1992.

Paul CONORD, Brève histoire de l’œcuménisme, Paris, Les Bergers et les Mages, 1958.
Oscar CULLMANN, Vrai et faux œcuménisme, Neuchâtel, Delachaux &Niestlé, 1971.

Oscar CULLMANN, L’unité par la diversité, Paris, Cerf, 1986.

Oscar CULLMANNn, Les Voies de l’unité chrétienne, Paris, Cerf, 1992.

John NELSON DARBY, Qu’est-ce qu’une Secte?, Vevey-Paris, 2e édition, 1878.

Richard DOULIÈRE, Œcuménisme ou Unité?, Les Cayes, 1964.

Olivier FATIO, Pour sortir l’œcuménisme du purgatoire, Genève, Labor et Fides, 1993.

Olivier FATIO, Henri MOTTU, Roland CAMPICHE, Jean-Claude BASSET, Éric FUCHS, Éric
GAILLARD, L’unité des églises au carrefour, New-Delhi, Paris, Les Bergers et les Mages, 1962.

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