Vous êtes sur la page 1sur 140

Afrique liberté

Collection dirigée par Claude KOUDOU

Afrique Liberté est une collection qui accueille essais, témoignages et toutes œuvres qui permettent
de faire connaître l’Afrique dans toute sa diversité et toute sa profondeur. Cette collection qui reste
ouverte se veut pluridisciplinaire. Son orientation sera essentiellement axée sur les rapports entre
l’Afrique et l’Occident. Elle refuse l’afro-pessimisme et se range résolument dans un afro-optimisme
réaliste. Sur quels repères fonder l’Afrique d’aujourd’hui ? Telle est une des questions majeure à
laquelle cette collection tentera de répondre. Afrique Liberté se veut un espace qui doit explorer
l’attitude de l’Africain ou des africanistes dans ses dimensions mentale, scientifique, culturelle,
psychologique et sociologique. Dans un monde en proie à de graves crises, un des enjeux majeurs de
cette plate-forme serait de voir comment faire converger les différents pôles de compétences pour
hisser l’Afrique à la place qui doit être véritablement la sienne.

Déja parus
Viviane Gbadoua Uetto, Marc Adoux Pape, Hommage à Bernard B. Dadié, père-fondateur de la
littérature ivoirienne d’expression française. Gloire à l’ancêtre vivant, février 2019.
Claude Koudou, Raymond Koudou Kessie, Pascal Kokora, Quel FPI et sa diaspora pour la
reconquête du pouvoir d’État ? mai 2018
Sous la direction de Claude Koudou, Des pensées de Laurent Gbagbo. Quel message pour la
réconciliation nationale en Côte d’Ivoire ? mai 2017
Félix Tano, Hubert Oulaye, Raymond Koudou Kessie, Le procès de la CPI contre le président
Laurent Gbagbo. Et si la politique quittait le prétoire ! avril 2016.
Hippolyte Yomafou, Pour un consensus entre foi et raison face à l’angoisse du mal, janvier 2016.

Remerciement
Merci à @EpubsFR d’avoir retravaillé cette version numérique, et permis son accès gratuit à tous.
Sous la coordination de
Justin Katinan KONÉ et Raymond KOUDOU Kessié

L’acquittement
de Laurent Gbagbo et Blé Goudé

Les juges de la Cpi restituent la vérité historique

Une analyse thématique du verdict


AVANT-PROPOS

Par
Pr. Raymond KOUDOU Kessié
Ambassadeur de Côte d’Ivoire
UFR Criminologie / Université d’Abidjan-Cocody

Le présent ouvrage porte sur le Verdict d’acquittement de Laurent


Gbagbo et Blé Goudé par la Chambre de première instance 1 de la Cpi. Son
importance n’échappe à personne autant par son contenu que par le volume
des documents écrits par les juges, plus de 1 300 pages pour expliquer les
raisons de leur décision. Un document d’un tel nombre de pages n’est
cependant pas accessible à beaucoup, surtout quand on sait que lire n’était
déjà pas l’habitude du grand nombre.
Il mérite pourtant une large diffusion pour contribuer à déconstruire de
nombreuses contrevérités colportées par une presse internationale dite
indépendante. Les puissances d’argent et de l’ombre qui gouvernent
aujourd’hui le monde ont en effet mené, par une rébellion interposée, une
guerre contre la Côte d’Ivoire, son peuple et son Président, Laurent
Gbagbo, ce souverainiste dont ils ne voulaient pas à la tête du pays. Une
guerre pour la main mise sur le cacao, le pétrole et les terres ivoiriennes
notamment. Ouattara, leur homme, qu’ils avaient placé depuis longtemps
dans l’antichambre du pouvoir du Président Houphouët-Boigny, devait être
placé à la tête de l’État quoi qu’il en coûte. Croyant qu’ils étaient de bonne
foi, le Président Gbagbo avait sollicité le recomptage des voix pour vider le
contentieux électoral de la présidentielle 2010 et pour que la vérité des
urnes1 éclate au grand jour. Il l’a soutenu lors de la séance d’ouverture de
son procès, le 28 février 2013 :
« Madame la Procureure a dit une phrase qui m’a un peu choqué, en
disant que nous ne sommes pas là pour voir qui a gagné les élections et qui
ne les a pas gagnées. Mais on ne peut pas débattre de la crise
postélectorale et ne pas savoir comment les élections se sont passées. Qui a
gagné les élections ? Parce que c’est celui qui ne les a pas gagnées qui a
semé les troubles. Je crois que c’est ça la logique. La question est là : qui a
gagné les élections ? J’ai demandé que l’on recompte, ce n’était pas une
phrase en l’air. »
Il finira par découvrir que ce n’est pas la vérité des urnes qui les
intéressait. Sinon pourquoi « auraient-ils détruits tous les bulletins de vote
et tous les documents ayant trait au scrutin et ce, sur ordre de
l’ONUCI ? »2
Ils l’ont donc renversé par les armes et placé Ouattara au pouvoir. Ils
l’ont déporté à Korhogo, Nord du pays et ensuite au Pays-Bas, où ils l’ont
enfermé dans le pénitencier de Scheveningen de La Haye.
Le Verdict d’acquittement qui vient donc d’être rendu est un tournant
décisif du procès inique qui lui a été imposé. Acquittés, la liberté
inconditionnelle s’imposait pour Laurent Gbagbo et Blé Goudé.
Malheureusement, la Chambre d’appel saisie par Mme la Procureure a
transformé leur acquittement en un régime de semi-liberté non prévu par le
Statut de Rome. Les juges Howard Morrison et Piotr Hofmański de la
Chambre d’appel l’ont rappelé dans leur opinion dissidente :
« Si une personne est acquittée, l’article 81 (3)(c)(i) du Statut indique
qu’elle doit être immédiatement libérée. C’est une conséquence
automatique d’un acquittement et aucune décision ou ordre additionnel de
la Chambre de première instance n’est requis. »
De tout cela nous avons voulu rendre compte. C’est pourquoi, le Ministre
Justin Koné Katinan et moi-même avons pris l’initiative de la rédaction et
l’édition de ce livre avec une équipe de travail3 composée d’universitaires
et de professionnels, du Droit notamment. L’objectif est de mettre le verdict
d’acquittement à la portée du plus grand nombre par-delà les seuls
spécialistes de Droit.
Au moment où nous y mettions la dernière main, la Procureure a notifié
sa déclaration d’appel de ce verdict. Nous nous demandons pourquoi quand
on sait que depuis le transfèrement de Laurent Gbagbo à la Cpi, le
30 novembre 2011, les preuves pour soutenir sa cause demeurent toujours
insuffisantes. Pourquoi donc s’acharner sur les accusés ? La suite de la
procédure nous le dira.
Quant à nous, nous ne devons pas nous laisser distraire par ce nouvel
appel. Notre souci pour l’heure ne doit donc pas être la procédure dans
laquelle la Procureure veut nous enfermer. Laurent Gbagbo et Blé Goudé
ont été innocentés des crimes contre l’humanité. Ils ont déjà trop souffert
d’un embastillement injuste. Ils ne doivent pas souffrir plus longtemps.
C’est pourquoi nous devons porter, clamer partout la bonne nouvelle de leur
acquittement avec une exigence ferme :

Libérez-les, car maintenant ça suffit !

1. Qui a gagné l’élection présidentielle 2010 en Côte d’Ivoire ? Sous la coordination de Nyamien
Messou N’Guessan, Éditions Universitaires Européennes, Beau Bassin, 2019, 161 p.
2. Laurent Gbagbo et François Mattei : Libre Pour la vérité et la justice, Max Milo, 2018, p. 19.
3. M. Bernard HOUDIN, Mme Nicoletta FAGIOLO, M. Justin Katinan KONÉ, Dr. Claude
KOUDOU, Pr. Raymond KOUDOU Kessié, Maître Lisa MIMOUN, M. Moussa Bienvenu HABA,
Pr. Hubert OULAYE, Maître Alexandre RAMSAMY, Pr. Félix TANO, M. Jean- Hilaire YAPI.
CHAPITRE 1

LES FAITS INCRIMINÉS DANS LES CHARGES


DU PROCUREUR

Par
Maître Alexandre RAMSAMY
Avocat à la Cour
Barreau de Paris

Lors de l’ouverture du procès, le 28 janvier 2016, le Juge Président Cuno


Tarfusser tiendra, en ce qui concerne l’objet du procès, les propos suivants :
« (…) Il n’est pas du tout un procès à la Côte d’Ivoire ou même au peuple
ivoirien, mais à deux personnes physiques qui sont accusées par le Bureau
du Procureur de crimes. La tâche de cette Chambre est de vérifier, sur la
base des preuves… des preuves que les parties et les participants
soumettront à la Chambre pour son évaluation, si les charges formulées par
le Bureau du Procureur sont bien fondées ou pas. Je peux assurer tout le
monde, aussi de la part de mes collègues, que la C²hambre évaluera toutes
les preuves en toute impartialité́ et en toute conscience, et sera guidée
uniquement par la loi. Et que la Chambre ne permettra pas
l’instrumentalisation aux fins politiques de ce procès. Le procès est
maintenant ouvert (…) ».
C’est avec ces mots, que le procès va s’ouvrir, et que la Procureure va
présenter les accusations qui, selon elle, lui permettent de retenir des
charges à l’encontre du Président Laurent Gbagbo et du Ministre Charles
Blé Goudé, qui avaient été préalablement confirmées par la Chambre
Préliminaire dans deux décisions datant des 12 juin et 11 décembre 2014.
Si la promesse faite par le Juge Président Cuno Tarfusser, à savoir la
tenue d’un procès purement judiciaire et impartial, semble pour l’instant
avoir été tenue par la majorité des Juges de la Chambre de Première
Instance ; il en est tout autrement de l’attitude de la Procureure qui semblait
davantage dans une logique politique et partisane, en reprenant à son
compte les éléments de langage du camp Ouattara qui transparaissait dans
sa présentation des faits et des charges qu’elle retenait à l’encontre du
Président Gbagbo et du Ministre Blé Goudé.
1. Présentation des Charges et du récit des Évènements soutenus par
la Procureure à l’encontre du Président Gbagbo et du Ministre Blé
Goudé
Selon la Procureure, le Président Laurent Gbagbo a mis en œuvre, aidé
par ses proches, dont le ministre Charles Blé Goudé, un plan commun
visant à se maintenir au pouvoir par tous les moyens.
À la date du 27 novembre 2010, la mise en œuvre du plan commun avait
évolué de façon à inclure une politique d’État ou d’organisation qui avait
pour but le lancement d’une attaque généralisée et systématique contre les
civils considérés comme des partisans d’Alassane Ouattara. La poursuite de
ce « plan commun » et de cette politique était, selon la Procureure, de
nature criminelle. La mise en œuvre de l’attaque généralisée ou
systématique comprenait des multiples actes criminels tels que les meurtres,
les viols, d’autres actes inhumains et la persécution de la population civile.
Selon la Procureure, à l’époque considérée, le Président Laurent Gbagbo
exerçait commandement, contrôle et autorité́ sur les Forces de Défense et de
Sécurité́ (FDS). À cette époque, il exerçait également contrôle et autorité́
directement et par l’intermédiaire de son entourage immédiat, notamment le
Ministre Charles Blé Goudé, sur les jeunes pro-Gbagbo, les miliciens et les
mercenaires qui prêtaient main-forte aux FDS (les forces pro-Gbagbo). Les
forces pro-Gbagbo constituaient, selon l’Accusation, un appareil de pouvoir
organisé et hiérarchisé́. Du fait de leur position d’autorité et des
contributions qu’ils apportaient au plan commun et à la politique, le
Président Laurent Gbagbo et son entourage immédiat pouvaient se servir de
ces forces pour mettre en œuvre le plan commun et la politique en
commettant les crimes en cause.
Les crimes allégués par la Procureure auraient donc résulté de la mise en
œuvre du plan commun susmentionné, et seraient intervenus :
■ Entre le 16 et le 19 décembre 2010 pendant et après une marche des
partisans d’Alassane Ouattara qui se rendaient au siège de la RTI, et à
l’occasion de laquelle les forces pro-Gbagbo auraient :
➢ Tué au moins 45 personnes à l’occasion de cette marche.
➢ Violé au moins 16 femmes et filles ;
➢ Blessé au moins 150 personnes.
■ Le 3 mars 2011, lors d’une manifestation de femmes, à Abobo, durant
laquelle les forces pro-Gbagbo auraient :
➢ Tué 7 femmes à l’occasion de cette manifestation ;
➢ Blessé au moins 3 personnes.
■ Le 17 mars 2011, par bombardement au mortier dans un secteur
densément peuplé d’Abobo, à l’occasion duquel les forces pro-Gbagbo
auraient :
➢ Tué au moins 40 personnes au marché d’Abobo ou dans ses
environs, en bombardant au mortier ;
➢ Blessé au moins 60 personnes.
■ Le 12 avril 2011 ou vers cette date, à Yopougon, les forces pro-Gbagbo
auraient :
➢ Tué au moins 68 personnes originaires pour la plupart du Nord
de la Côte d’Ivoire, et des pays voisins d’Afrique de l’Ouest ;
➢ Violé au moins 22 femmes et filles ;
➢ Blessé au moins une personne.
Le Président Laurent Gbagbo est accusé d’avoir commis ces crimes
conjointement avec des membres de son entourage immédiat et par
l’intermédiaire des membres des forces pro-Gbagbo ou pour avoir contribué́
de toute autre manière à la commission de ces crimes.
Selon la Procureure, en posant ces actes et/ou omissions, le Président
Gbagbo avait l’intention et la connaissance requise relativement aux crimes
en cause.
En outre, il aurait su que son comportement faisait partie d’une attaque
généralisée ou systématique dirigée contre une population civile en
application ou dans la poursuite de la politique ou entendait qu’il en fasse
partie.
La Procureure a donc retenu contre le Président Gbagbo les charges
suivantes :
■ Charge n°1 : Le meurtre constituant un crime contre l’humanité d’au
moins 160 personnes ;
■ Charge n°2 : Le viol constituant un crime contre l’Humanité d’au
moins 38 personnes ;
■ Charge n°3 : Les autres actes inhumains ou tentatives de meurtre
constituant un crime contre l’humanité sur au moins 118 personnes ;
■ Charge n°4 : La persécution constituant un crime contre l’Humanité
d’au moins 316 personnes.
En ce qui concerne le Ministre Blé Goudé, la Procureure estime que pour
la mise en œuvre du plan commun, il serait responsable des mêmes crimes
précités.
Néanmoins, en plus des 4 évènements précités, un évènement
supplémentaire était retenu contre le Ministre Blé Goudé, à savoir une
attaque qui serait intervenue entre les 25 et 28 février 2011 et lors de
laquelle les forces pro-Gbagbo auraient :
■ Tué au moins 24 personnes, principalement originaires du nord de la
Côte d’Ivoire et des pays voisins d’Afrique de l’Ouest, dans la
commune de Yopougon à Abidjan ;
■ Blessé au moins 7 personnes.
La Procureure fera alors comparaitre 83 témoins censés appuyer,
démontrer, et prouver la constitution des charges retenues contre le
Président Laurent Gbagbo et le Ministre Charles Blé Goudé.
Le 10 septembre 2018, et à la suite du dépôt par les 2 équipes de défense
d’une requête en « No case to Answer », la Procureure abandonnera deux
des charges portées contre le Ministre Blé Goudé, en ce qui concerne les
évènements des 3 et 17 mars 2011, à savoir la marche des femmes
d’Abobo et le bombardement du marché d’Abobo.
À l’issue de la comparution de tous les témoins, et de la présentation de
tous les éléments de preuve par la Procureure, il s’agissait alors pour la
Chambre de Première Instance de savoir si la Procureure a présenté
suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de cette accusation pour
qu’une Chambre puisse raisonnablement estimer que la poursuite du procès
est nécessaire pour permettre à la Défense de soumettre elle aussi ses
éléments de preuve à décharge, et cela afin de permettre à la Chambre de se
prononcer sur la culpabilité ou non des Accusés.
Cependant, et si à l’issue de la présentation des éléments de preuve par
l’Accusation, la Chambre constate que ces éléments sont manifestement
insuffisants pour soutenir les charges alléguées, la Chambre de Première
Instance a la possibilité d’interrompre le procès et de prononcer un
acquittement.
C’est ce qui s’est produit, tant le récit des évènements et les preuves
présentées par la Procureure manquaient de solidité.
2. L’analyse des Charges et du récit de la Procureure par la Chambre
de Première Instance
A. Marche du 16 décembre 2010 sur la RTI
Selon la Procureur « M. Gbagbo lui-même a instruit les généraux le
7 décembre que la marche était interdite ».
Le Bureau du Procureur en déduit que « ses instructions ont effectivement
été suivies car les preuves démontrent que les FDS ont réprimé violemment
la marche ».
Le Juge Président Tarfusser relève cependant que c’est une chose
d’interdire une marche, et de donner des instructions pour que cette
interdiction soit respectée, et c’en est une autre que de réprimer violemment
une marche.
S’il existe effectivement des preuves de ce que le haut commandement
des FDS avait été informé de ce que l’opposition planifiait de faire
organiser une marche qui était interdite, et que des réunions étaient tenues
entre le Président Gbagbo et des responsables militaires, cela ne constitue
pas pour autant la preuve d’une répression, « par tous les moyens », de
ladite marche.
Le Juge Président Tarfusser a effectivement relevé, dans sa décision, que
la tenue de réunions, en période de crise, avec des responsables politiques et
militaires, n’est pas en soi illégitime.
Surtout, la Procureure n’a apporté aucun élément de preuve de nature à
démontrer que des instructions visant à tuer ou à blesser les manifestants
ont été données.
Étant observé que le Juge Henderson relève que dans son allocution à la
Nation du 31 décembre 2010, le Président Gbagbo annonçait la création
d’une commission d’enquête, qui sera effectivement créée par Décret du
7 janvier 2011.
Si la Procureure remet en question l’efficacité et l’intégrité de cette
Commission, le Juge Henderson relève cependant qu’il est difficile de tirer
des conclusions définitives sur le caractère simulé présumé de l’enquête
menée par la Commission.
Enfin, dans sa motivation, le Juge Henderson note que la Procureure
semble ignorer le fait que les FDS avaient des raisons de croire qu’il y
aurait une opposition armée parmi les manifestants. À cet égard, il est fait
référence aux décès des FDS survenus le jour de la marche (16 décembre
2010), et dont les éléments de preuves ont été versés au débat.
La Chambre Préliminaire constate ainsi qu’il n’est apporté aucune preuve
du caractère criminel des réunions tenues par le Président Gbagbo avec des
cadres politiques et militaires, ni que le Ministre Blé Goudé ait incité la
jeunesse à commettre des crimes à l’occasion de cette marche sur la RTI.
Le Juge Président précisant même qu’à l’instar du témoin P-0330, on
pourrait être tenté de conclure que la marche sur la RTI était une
manifestation armée déguisée, et donc un piège pour les FDS.
B. Les Évènements du 25 au 28 février 2011 À Yopougon
Selon la Procureure, les forces pro-Gbagbo auraient été incitées par un
discours prononcé par M. Blé Goudé, au Bar Le Baron de Yopougon, lors
d’un rassemblement le 25 février 2011.
La Procureure allègue qu’à la suite de ce discours, des jeunes pro-
Gbagbo du quartier de Yao Séhi auraient quitté le rassemblement et
provoqué une altercation avec les habitants de Doukouré, un quartier qui
serait habité principalement par des sympathisants réels ou supposés à M.
Alassane Ouattara.
Les affrontements entre les jeunes de Yao Séhi et Doukouré sur le
boulevard Principal, le 25 février 2011, ont été le début d’une vague de
violence qui s’est propagée dans tout Yopougon jusqu’au 28 février 2011.
Cependant, comme le relève le Juge Henderson, rien dans le contenu du
discours prononcé par M. Blé Goudé, au Bar Le Baron, ne permet pas de
conclure qu’il aurait été à l’origine des affrontements au Boulevard
Principal. Il n’y a pas non plus de preuve directe de l’existence d’un tel lien.
La preuve pertinente au dossier concerne le témoignage d’un membre de
la Galaxie Patriotique qui a assisté au rassemblement mais ne s’est pas
rendu au Boulevard Principal et des témoins qui se trouvaient au Boulevard
Principal lorsque les affrontements ont commencé mais qui n’ont pas assisté
au discours de M. Blé Goudé au Bar Le Baron.
Ainsi, aucun des témoins appelés par la Procureure n’était présent à la
fois au rassemblement où M. Blé Goudé a pris la parole et au Boulevard
Principal où les affrontements ont eu lieu. Leurs témoignages ne constituent
donc pas une preuve convaincante que les individus présents au
rassemblement étaient les mêmes que ceux qui jetaient des pierres sur les
résidents de Doukouré ce jour-là.
Étant observé que le Juge Henderson, a de surcroît relevé dans sa
motivation que le témoin P-0449, seul témoin présent au Bar le Baron, a
déclaré qu’à sa connaissance, tout le monde est rentré chez soi après le
rassemblement
Étant précisé qu’à la lumière des déclarations des témoins P-0433, P-
0109 et P-0449, il est tout à fait possible que les affrontements aient
commencé avant que M. Blé Goudé ne prononce son discours.
Le Juge Tarfusser, relevant d’ailleurs, dans sa motivation, que les
éléments de preuve qui leur ont été soumis, confirment que les quartiers de
Doukouré et de Yao Sehi avaient connu des affrontements violents avant la
crise postélectorale.
Surtout, le Juge Henderson note qu’il existe des preuves suggérant que la
vague de violence à Yopougon pourrait, en réalité, avoir été déclenchée par
des escarmouches impliquant l’incendie d’autobus par des jeunes pro-
Ouattara et l’incendie en représailles de minibus appelés Gbakas par les
jeunes pro-Gbagbo.
La Procureure affirme encore que pendant les affrontements, la police du
commissariat du 16ème arrondissement situé sur le boulevard Principal a
collaboré avec les jeunes de Yao Séhi et les a rejoints dans l’agression des
habitants de Doukouré. Au cours de leur intervention dans les
affrontements, les policiers auraient tué et blessé des civils qui, en raison de
leur appartenance ethnique, nationale ou religieuse, étaient associés au
camp pro-Ouattara.
La Procureure affirme également qu’à la même occasion, la mosquée
Lem située sur le boulevard Principal a été envahie et brûlée par des milices
pro-Gbagbo renforcées par des membres des FDS et des jeunes pro-
Gbagbo.
Sur ce point, le Juge Henderson relève que les 3 témoignages (P-0109, P-
0436 et P-0442) présentés par la Procureure sont contradictoires. Chacun
des témoins mentionne des faits que les autres ne corroborent pas, alors
qu’il est établi qu’ils étaient tous les 3 sur les mêmes lieux
A cet égard, le Juge Henderson relève qu’il n’est pas très plausible que P-
0436 n’ait pas remarqué que des éléments de la BAE avaient incendié la
mosquée (qui, selon P-0442, sont arrivés dans un char d’assaut), notamment
en raison de la proximité physique de P-0436 avec la mosquée selon son
propre témoignage.
Les déclarations de ces trois témoins, prises ensemble, sont ainsi peu
plausibles. Étant observé que l’intégralité de chacun des récits ne peut être
tout à fait vrai compte tenu de leurs contradictions.
Dès lors, les contradictions entre les témoins entravent la capacité de la
Chambre de Première Instance, de parvenir raisonnablement à des
conclusions concernant la participation de la police aux affrontements du
25 février 2011.
Pour ce qui est des 25 victimes des affrontements du 25 au 28 février
2011, le Juge Henderson estime que la Procureure tient un raisonnement
pour le moins peu convaincant qui consiste à sembler :
■ Croire que lorsque les éléments de preuve montrent qu’une personne
ayant des caractéristiques associées au camp pro-Ouattara a été
assassinée ou blessée par une personne dont l’affiliation pro-Gbagbo
peut également être présumée sur la base des éléments de preuve
limités, on peut en déduire que la personne pro-Gbagbo a attaqué la
victime du fait de son affiliation politique présumée
■ Demander à la Chambre Préliminaire de Première Instance de déduire
à la fois que l’auteur était pro-Gbagbo et qu’il ou elle a agi avec un
esprit discriminatoire sur la seule base que la victime était, par
exemple, d’origine ethnique Dioula ou était de nationalité malienne ;
■ Présenter des cas pour lesquelles il n’existe aucun élément de preuve
concernant l’affiliation (perçue) de l’auteur ou celle de la victime. La
Procureure fait valoir que, dans de tels cas, l’appartenance de l’auteur
peut être déduite du contexte. Et une fois que l’appartenance de
l’auteur est déduite, on peut en déduire une deuxième déduction,
c’est-à-dire que la victime doit avoir été perçue comme étant pro-
Ouattara, et une troisième déduction, c’est-à-dire que l’auteur doit
donc avoir une intention discriminatoire.
Avec un tel raisonnement, aucune Chambre de Première Instance
raisonnable ne pourrait accepter les inférences proposées comme base pour
tirer des conclusions contre un accusé. C’est dans ces conditions que la
Chambre de Première instance a constaté que les éléments de preuve
soumis par la Procureure ne lui permettent pas de déterminer la ou les
causes précises des différents incidents qui ont eu lieu à Yopougon du 25 au
28 février 2011, et qui semblent devoir être compris dans le contexte plus
large de l’évolution du conflit et des affrontements armés qui ont eu lieu
ailleurs à Abidjan.
C. La Marche des femmes À Abobo du 3 mars 2011
La Procureure affirme que le 3 mars 2011, un convoi des FDS a tiré
intentionnellement sur des manifestantes pacifiques anti-Gbagbo, et qu’il
l’a fait pour des motifs politiques, nationaux, ethniques ou religieux. Cela
aurait occasionné la mort de sept femmes et six autres ont été grièvement
blessées par les coups de feu tirés par le convoi des FDS.
Dans sa motivation, le Juge Henderson rappelle qu’il s’agit donc de
savoir s’il est possible pour une Chambre de Première Instance de
déterminer raisonnablement, sur la base des preuves disponibles, qui a tiré
les coups de feu qui ont tué et blessé les victimes et pourquoi on a ouvert le
feu.
Or, il n’y a pas de preuve directe de qui a tiré les coups de feu qui ont
touché les victimes. Si les éléments de preuve de la Procureure permettent
d’avancer qu’il y a eu 27 tirs, il est aussi à relever que :
■ 10 de ces tirs proviendraient d’une ou de plusieurs armes de gros
calibre, les 17 tirs restants d’une arme de calibre différent ou plus
léger ;
■ Seuls les trois premiers peuvent « probablement » être attribués à
l’une des deux mitrailleuses montées sur la tourelle du BTR 80 qui
est visible dans la vidéo.
Or, en ce qui concerne les 3 tirs attribués à l’une des mitrailleuses, selon
P-0607, le seul témoin ayant des informations de première main sur ce
point, le but de ces rafales initiales, tirées en l’air, était de disperser la foule,
qui bloquait la route, afin de permettre au convoi de passer.
D’après ces éléments de preuve, il ne semble pas que les hommes du
BTR 80 aient délibérément pris pour cible les manifestantes parce qu’elles
étaient des partisanes de M. Ouattara.
Surtout, aucun des rapports d’autopsie soumis par la Procureure
n’indique le calibre des balles qui ont causé les décès.
À cet égard, le Juge Henderson constate qu’une « grosse balle [d’]
environ 55 mm de long et 12 mm de diamètre » a été trouvée dans le sac
contenant le corps d’une victime, Malon Sylla. En supposant que la mesure
du diamètre de la balle soit correcte, il n’y a rien pour relier ce projectile au
canon de 14,5 mm du BTR 80.
De plus, la personne qui a procédé à l’autopsie a témoigné que rien ne
pouvait être conclu du fait que la balle se trouvait à l’intérieur du sac
mortuaire en relation avec les blessures de Mme Sylla.
En résumé, il n’est pas possible de relier la première salve du BTR 80
aux blessés. Aucune preuve ne liant de façon incontestable les blessures des
victimes aux FDS, le Juge Henderson estime qu’aucune Chambre de
Première Instance ne peut raisonnablement conclure que l’une quelconque
de ces femmes avait été tuée ou blessée par des coups de feu directs tirés
par le convoi du FDS.
Le Juge Tarfusser constate en outre, que la Procureure n’a jamais tenté
d’expliquer pourquoi cette marche, en particulier (et celle-ci seulement),
aurait été choisie comme cible alors que les preuves montrent que des
manifestations de partisans politiques du RHDP ont été organisées tout au
long de la crise postélectorale, avec l’intention des FDS de s’assurer
qu’elles seraient autorisées et de s’assurer qu’elles ne puissent entrainer des
troubles à l’ordre public. Dans ce contexte, selon le Juge Tarfusser, il ne
semble pas que le convoi « visait délibérément les manifestantes parce
qu’elles étaient des partisanes de M. Ouattara ».
Surtout, le Juge Président Tarfusser a été particulièrement frappé par le
choix de la Procureure d’ignorer les preuves selon lesquelles les femmes
participant à la marche auraient été utilisées comme boucliers humains par
des tireurs d’élites camouflés, et visant en premier lieu le convoi des FDS.
Ce point est d’autant plus important qu’il était cohérent avec les autres
preuves selon lesquelles la nature, la fréquence et le type des attaques
contre les FDS faisaient craindre à ces derniers d’être envoyés ou de devoir
traverser Abobo : « quand vous revenez, dites merci au Seigneur ».
D. Le bombardement du marché d’Abobo du 17 mars 2011
Selon la Procureure, le 17 mars 2011, en plein jour, les membres d’un
peloton de la BASA du Commando du camp d’Abobo ont exécuté des
ordres en lançant des mortiers de 120 mm sur des sites tels que le marché
Siaka Koné, le village SOS, une mosquée, un hôpital et des maisons, tuant
ainsi au moins 31 civils et blessant au moins 36 autres. Les FDS auraient
pris pour cible ces civils pour des raisons politiques, nationales, ethniques
ou religieuses.
Or, le Juge Henderson relève qu’aucune des preuves concernant la
présence de mortiers de 120 mm au Camp Commando ne concerne
spécifiquement et sans équivoque la date de l’incident en question, soit le
17 mars 2011 – à l’exception de P-0047, qui semble nier leur présence à
cette date.
Dans ces conditions, le Juge Henderson estime qu’aucune Chambre de
Première Instance ne peut raisonnablement affirmer que des mortiers de
120 mm étaient présents au Camp Commando le 17 mars 2011.
En outre, il est à noter que les éléments de preuves sur le bombardement
du 17 mars 2011 paraissent faibles. En effet, le témoin P-0239 a notamment
déclaré que :
■ Il ne connaissait pas la date précise à laquelle le tir a eu lieu de sorte
qu’il est difficile d’affirmer, avec certitude, que ce que P-0239 prétend
avoir vu est effectivement lié aux explosions du 17 mars 2011 ;
■ Les deux obus qu’il aurait vu tirer ont été lancés rapidement l’un après
l’autre depuis un seul mortier. Cela suppose que ceux qui ont tiré les
obus n’aient pas eu le temps d’ajuster 2 cibles différentes entre les deux
tirs. Pourtant, les explosions au sol se sont produites à différents
endroits, qui étaient relativement éloignés les uns des autres. Il est donc
peu probable que les deux tirs dont P-0239 a été témoin aient touché à
la fois le marché de Siaka Koné et le village SOS.
Ces incohérences laissent la porte ouverte à d’autres hypothèses telles
que des obus qui auraient pu être tirés d’autres endroits et/ou par d’autres
engins. Ce qui s’écarte considérablement des allégations du Procureur et
soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses.
À cet égard, le Juge Tarfusser relève encore que les allégations des
témoins P-0009 et P-0047, sur la base de considérations techniques de
nature militaire, ne corroborent pas le récit du bombardement tel que décrit
par la Procureure.
E. Attaque À Yopougon du 12 avril 2011
La Procureure affirme qu’après l’arrestation du Président Gbagbo le
11 avril 2011, les forces pro-Gbagbo ont tué au moins 61 personnes, violé
au moins six femmes et blessé au moins trois personnes dans les quartiers
de Yopougon, Doukouré et Mami Faitai le 12 avril 2011 ou vers cette date.
Au cours de cet incident, selon la Procureure, des membres des forces pro-
Gbagbo ont attaqué des personnes dans la rue ou les ont forcées à rentrer
chez elles.
Le Juge Henderson note néanmoins que parmi tous les crimes
mentionnés dans le récit de la Procureure, ceux qui ont trait à l’incident du
12 avril 2011 étaient les moins susceptibles de contribuer à la réalisation de
l’objectif de la politique alléguée consistant à maintenir M. Gbagbo au
pouvoir à tout prix, puisqu’à ce moment-là, le Président Gbagbo avait déjà
été arrêté, et M. Blé Goudé était déjà en fuite depuis plusieurs jours, de
sorte que la lutte pour le pouvoir était terminée.
Le Juge Président Tarfusser précisant que ces actes sont plus
raisonnablement attribués au climat général de chaos et d’anarchie. Ce
climat étant de nature à créer une attente d’impunité particulièrement
propice à alimenter la montée de violences non maitrisées. Si des attaques
sont effectivement intervenues, rien ne permet de démontrer qu’elles
seraient la conséquence d’instructions reçues par le Président Gbagbo ou le
Ministre Blé Goudé.
À cet égard, le Juge Henderson estime que le principal défaut de
l’argument de la Procureure est qu’aucune tentative n’a été faite pour
démontrer que les différents incidents sur lesquels elle s’appuie pour
prouver l’existence d’un schéma sont représentatifs de ce qui s’est passé à
Abidjan pendant la crise postélectorale.
Or, il incombe à la Procureure de montrer comment et pourquoi elle a
choisi les incidents sur lesquels elle s’est fondée.
Compte tenu de la durée de la crise postélectorale et de l’importance de la
ville d’Abidjan, il est impossible de supposer que les incidents invoqués par
la Procureure ont été les seules occasions où les différentes composantes
des forces dites pro-Gbagbo sont entrées en contact avec la population
civile dite pro-Ouattara.
F. Sur la Notion de plan commun selon lequel les Évènements
seraient intervenus
La Procureure allègue que M. Gbagbo et M. Blé Goudé partagent
l’intention commune de permettre à M. Gbagbo de « rester au pouvoir en
tant que Président de la Côte d’Ivoire par tous les moyens », et que dès le
« 27 novembre 2010, ce plan avait « évolué pour inclure » une politique
visant à lancer une attaque massive et systématique contre les civils perçus
comme soutenant Alassane Ouattara ».
Toutefois, le Juge Henderson a relevé que la Procureure avait néanmoins
reconnu, le fait qu’elle n’avait présenté aucune preuve directe de l’existence
du prétendu Plan/Politique commun. En lieu et place de preuves directes, la
Procureure a présenté à la Chambre une pléthore de preuves
circonstancielles et a demandé à la Chambre d’en tirer une énorme
conclusion.
Cependant, le Juge Henderson constate qu’après avoir analysé tous les
éléments de preuves du Procureur à l’appui de sa thèse, et cela pris tant
séparément qu’ensemble, il est devenu tout à fait clair qu’il n’est pas
possible pour une Chambre de Première Instance de déduire
raisonnablement que le Président Gbagbo, le Ministre Blé Goudé et d’autres
membres du « cercle étroit » avaient l’intention d’attaquer la population
civile dite pro-Ouattara.
Il n’a même pas été établi que le Président Gbagbo n’a jamais envisagé
de céder le pouvoir depuis son élection en 2000.
Ce qui ressort néanmoins, c’est que la Procureure a raison d’affirmer que
le Président Gbagbo n’était pas prêt à céder le pouvoir à son principal rival
politique, M. Ouattara, après que les résultats du deuxième tour des
élections n’aient pas été déclarés selon la procédure préalablement établie.
Malgré des appels répétés au dialogue et des demandes de recomptage
des voix, le Juge Henderson considère que le Président Gbagbo devait
savoir qu’il y avait une réelle possibilité que le conflit tourne à la violence,
et que la Procureure a également raison lorsqu’elle affirme que le Président
Gbagbo devait savoir que, dans un tel scénario, il existait un risque que
certains civils soient tués, ou blessés.
Le Juge Henderson note toutefois que malgré les efforts déployés par la
Procureure pour éluder cette question, il ressort clairement des éléments de
preuve que, le Président Gbagbo et son régime ont eu le dos au mur
militairement parlant. Une bonne partie des preuves dans cette affaire est la
preuve d’efforts – souvent désespérés – pour mettre sur pied une force qui
pourrait au moins prétendre être capable de résister à une confrontation
armée totale avec les forces de M. Ouattara, qui auraient peut-être agi en
tandem avec les troupes françaises.
S’il est possible de débattre de l’ampleur des risques qu’un dirigeant est
autorisé à accepter dans le cadre de la planification d’opérations militaires
ou de maintien de l’ordre, le fait qu’un tel débat soit nécessaire montre
clairement que cette situation ne relève pas des crimes contre l’humanité au
sens de l’article 7 du Statut et des éléments des crimes. Par conséquent, le
Juge Henderson conclut que la Procureure n’a pas fourni d’éléments de
preuve suffisants pour démontrer que l’accusé avait l’intention de maintenir
le Président Gbagbo au pouvoir en commettant des crimes contre la
population civile, et encore moins une attaque généralisée et systématique
visant des civils considérés comme soutenant Alassane Ouattara. Compte
tenu de ce qui précède, le Juge Henderson considère qu’il n’est tout
simplement pas possible pour une Chambre de Première Instance de
conclure raisonnablement que le Président Gbagbo et le Ministre Blé Goudé
ont commis les crimes contre l’humanité qui leur sont reprochés.
CHAPITRE 2

LE “PLAN COMMUN ET LA POLITIQUE” DE LAURENT


GBAGBO “POUR SE MAINTENIR AU POUVOIR PAR TOUS LES
MOYENS”

Par
Dr. Claude KOUDOU1
Docteur ès Sciences de l’Université Pierre et Marie Curie
(Paris VI Jussieu)
Enseignant-Directeur de la Collection « Afrique Liberté »
chez les Editions L’Harmattan

Sur ce sujet que nous sommes amenés à traiter, il nous vient d’entrée de
jeu de se poser la question de savoir si son intitulé est une affirmation ou un
questionnement. En fait, les juristes pourraient mieux expliquer les choses
pour ce qu’il s’est réellement passé dans le procès du Président Laurent
Gbagbo et du Ministre Charles Blé Goudé ; mais sans doute également des
politiques. Pour l’instant, en tout cas, les Motifs de la majorité des juges de
la Chambre de première instance est susceptible de nous en dire plus sur
l’esprit qui a présidé à la posture du procureur.
Depuis l’arrestation du Président Laurent Gbagbo le 11 avril 2011, en
passant par sa détention pendant sept mois à Korhogo (Nord de la Côte
d’Ivoire), dans des conditions qui éprouvent gravement les droits de
l’homme et son transfèrement à la Cour pénale internationale, et les
procédures qui ont suivi, la politique était déjà dans le prétoire au détriment
du Droit. C’est pourquoi nous montrerons ici, en nous appuyant sur les
Motifs des juges, que parler de « plan commun et la politique » de Laurent
Gbagbo « pour se maintenir au pouvoir par tous les moyens » est une
construction de l’imaginaire du Procureur.
Le récit du Procureur veut montrer que le Président Laurent Gbagbo a
monté un complot pour se maintenir au pouvoir. S’il est vrai que nos
sociétés sont devenues vulnérables, que la peur est donc souvent présente,
est-ce suffisant pour qu’elles soient affectées par la schizophrénie ? En tout
cas, le Procureur a voulu peindre un autre Laurent Gbagbo, celui-là plutôt
complotiste.
Le juge Henderson écrit d’ailleurs : « … la majorité a acquitté M.
Gbagbo et M. Blé Goudé parce que la manière dont le Procureur a décrit
leurs actions et omissions d’un point de vue juridique ne pouvait être
soutenue par les preuves. »2
Par ailleurs, tout en admettant que le climat de guerre et le contexte de
crise pouvaient laisser plus de place à l’émotion qu’à la raison, le Procureur
a malheureusement voulu d’emblée se saisir de cette atmosphère pour
verser dans la manipulation. Le juge Henderson rappelle pour autant le rôle
du professionnel du droit : « … à une époque où les extraits sonores et les
fausses nouvelles dominent le discours public, souvent au détriment de la
nuance et d’un raisonnement solide, il est important pour la magistrature
de maintenir et de promouvoir certaines normes minimales de rationalité et
de transparence.3
Notre présentation dans ses lignes, ne revendique pas la présentation la
mieux adaptée. Parce que l’exercice n’est pas exempt de complexité vu la
densité du rendu du juge Henderson. Mais cette présentation peut permettre
au lecteur de suivre notre démonstration.
1. Le « plan commun » élaboré par Laurent Gbagbo « pour se
maintenir au pouvoir » et la réponse du juge Henderson
Dans ses déclarations, le Procureur s’en prend aux collaborateurs proches
du Président Laurent Gbagbo en leur prêtant des intentions pour construire
et soutenir sa thèse sur le prétendu « plan commun ou politique ».
Nous avertissons que pour rendre agréable la lecture et l’assimilation des
différents propos, les allégations du Procureur seront mises en italique pour
les différencier des arguments du juge Henderson. Les deux types
d’affirmations seront donc déclinés alternativement.
« Le Procureur s’est fondé, entre autres, sur le témoignage de P-0176
pour alléguer que Damana Pickass faisait partie du " cercle restreint ". Le
Procureur a allégué que, à la télévision nationale, il avait déchiré le
journal contenant les résultats de l’élection tels qu’ils avaient été compilés
par la CEI et était resté fidèle à M. Gbagbo pendant toute la durée des
violences postélectorales. P-0176 a témoigné que Guillaume Gbato, chef de
la Jeunesse FPI à l’époque en 2006, lui a dit que Damana Pickass était "
l’un des collaborateurs respectés du Président Affi N’Guessan " et qu’il
était un des jeunes qui était en contact avec M. Gbagbo. Il convient
également de noter que le témoin P-0176 a déclaré ce qui suit [Damana
Pickass] était de la fête de M. Laurent Gbagbo. Et la plupart de ces jeunes
étaient membres de l’aile jeunesse du FPI, et ils voulaient l’inviter à rendre
l’occasion encore plus solennelle pour le mouvement, encore plus crédible,
car M. Damana Pickass n’était tout simplement pas n’importe qui (…).
C’était quelqu’un d’important. »4
« Le Procureur allègue également que Damana Pickass était à la réunion
de 2002 où M. Blé Goudé a été choisi pour diriger la " lutte patriotique "
contre " la rébellion ". Les conclusions de cette réunion sont rappelées.
Damana Pickass semble avoir assisté à cette réunion qui a eu lieu après la
tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002. »5
« Le Procureur s’est également appuyé sur les émissions de la RTI des
1er et 2 décembre 2010 pour affirmer que les réactions de Damana Pickass
à la suite de l’annonce du second tour des élections ont démontré la mise
en œuvre du prétendu Plan commun. Dans cette émission, les commentaires
de Damana Pickass portent sur l’apparente "violation flagrante du mode
opératoire unanimement admise par la CEI". Ces événements ont été
signalés comme un manque de consensus entre les membres de la CEI.
… »6
« … Nous avons conclu qu’ils veulent opérer un coup de force électoral.
Il s’agit d’un véritable coup d’état électoral et nous ne pouvons pas
accepter ça. Je voulais, donc aux termes de cet éclairage, demander aux
Ivoiriens de rester calmes, de rester sereins, de rester imperturbables. Nous
allons proclamer les résultats. Nous allons proclamer les résultats de
l’élection présidentielle. Qu’ils ne fassent pas attention aux rumeurs, qu’ils
ne fassent pas attention aux allégations, aux SMS, ils n’ont qu’à rester
sereins. La CEI ira jusqu’au bout du processus, et va publier les résultats
crédibles, les résultats valables, les résultats où les élections se sont
déroulées normalement. Et c’est ce qui sera fait, et c’est ce qui sera
admis. »7
« Dans cette évaluation, les conclusions concernant les visites de Paul
Yao N’Dré, Président du Conseil constitutionnel, à la résidence
présidentielle à cette époque sont notées. »8
Le Procureur a cité une émission de RTI qui aurait démontré que Damana
M. Pickass est resté fidèle à M. Gbagbo “bien après la crise postélectorale
et a réitéré ses appels à la mobilisation en avril 2011”.
« À ce propos, le juge Henderson ne trouve rien d’étonnant à ce que
Damana Pickass soir resté fidèle à Laurent Gbagbo. Il ajoute même que le
soutien de Damana Pickass à Laurent Gbagbo ne constitue pas une preuve
au prétendu « plan commun »
« Le Procureur affirme que Pascal Affi N’Guessan, en tant qu’ancien
Premier Ministre et Président du FPI à l’époque, a joué un rôle
déterminant dans le maintien de M. Gbagbo au pouvoir par tous les
moyens. ». Le Procureur a allégué que le Président du FPI, M. N’Guessan,
se rendait régulièrement dans les locaux de l’Organisation. Résidence
présidentielle pendant la crise postélectorale du 12 novembre au 10 avril
2011 et, compte tenu de sa position, a contribué par tous les moyens à
maintenir M. Gbagbo au pouvoir. P-0048 a témoigné que selon les
dispositions constitutionnelles de la Côte d’Ivoire, un président sortant ne
peut pas être le chef d’un parti politique et Pascal Affi N’Guessan
représente le FPI. Il est rappelé les conclusions auxquelles sont parvenues
les réunions attestées par le Journal de bord de la Résidence. »9
« Compte tenu de sa position politique en Côte d’Ivoire à l’époque, on
peut supposer sans risque de se tromper que Pascal Affi N’Guessan
partageait l’intention de faire élire M. Gbagbo, mais que le Procureur n’a
pas fait état de preuves montrant qu’il avait accepté ou avait l’intention de
le faire en recourant à la violence et/ou en commettant des crimes contre la
population civile. Le Procureur cite également les témoignages du Général
Mangou, P-0625 et P-0331 pour démontrer ses contributions, mais aucun de
ces témoignages ne mentionne Pascal Affi N’Guessan comme ayant accepté
ou autrement eu l’intention de maintenir M. Gbagbo au pouvoir à tout prix.
Il ressort clairement du témoignage du Général Mangou qu’il a appelé M.
Affi N’Guessan en sa qualité de haut responsable du FPI pour l’informer de
son intention de prêter allégeance à M. Ouattara après l’arrestation de M.
Gbagbo. (…) »10
« Le Procureur a allégué qu’Alain Dogou, en tant que Ministre de la
défense, faisait partie du " cercle restreint ". En plus de sa présence
présumée à certaines réunions, le Procureur compte sur P-0435 pour le
relier à la direction du GPP. Eu égard aux conclusions tirées de ces
allégations, on ne saurait en déduire qu’Alain Dogou a accepté ou avait
l’intention de maintenir M. Gbagbo au pouvoir en recourant à la violence
et/ou en commettant des crimes contre la population civile. »11
« Notant que le fait de manifester publiquement son soutien à M.
Gbagbo, en soi, n’est pas une preuve de cette intention, la Chambre n’est
pas convaincue non plus que les déclarations d’Alain Dogou lors des
émissions de la RTI des 7, 8 et 10 décembre 2010 soutiennent cette
allégation. En particulier, sa déclaration du 8 décembre 2010 concernant la
hiérarchie a été faite en relation avec ses commentaires sur sa capacité
d’être approchable en tant que ministre tout en exhortant les personnes ci-
dessous à respecter la hiérarchie. Dans sa déclaration diffusée le
10 décembre 2010, il a exhorté les officiers à " accomplir leurs missions
officielles avec toujours plus de rigueur et une loyauté sans faille à travers
la République et ses institutions ". Le fait que M. Dogou ait appelé à la
loyauté peut indiquer sa volonté de maintenir M. Gbagbo dans une position
aussi forte que possible ; cependant, cette déclaration, surtout lorsqu’elle est
considérée dans son contexte, ne peut être interprétée comme une preuve de
son intention de commettre des violences contre des civils. »12
« Le Procureur allègue que M. Guiriéoulou, Ministre de l’intérieur, était
un membre du " cercle restreint " et un allié de confiance de M. Gbagbo.
Parmi les actes qui lui sont attribués, on peut citer une adresse aux préfets
et sous-préfets et son soutien public à M. Gbagbo… »13
« Il est à noter que l’adresse de M. Guiriéoulou aux préfets et sous-
préfets en date du 10 décembre 2010 ne démontre pas qu’il partageait
l’intention du prétendu plan commun ou politique. Il appelle les préfets et
sous-préfets à assumer leurs fonctions avec " confiance, sérénité, loyauté et
engagement dans la construction, la consolidation de la paix et la cohésion
sociale " ; il rappelle le principe que leur autorité est fondée, entre autres,
sur une égale distance des intérêts politiques et régionaux… »14
« S’appuyant sur le témoignage de P-0483, le Procureur allègue que M.
Guiriéoulou a fourni des fonds à des mercenaires libériens. »15
« Pourtant, cette allégation n’est pas reflétée dans le témoignage de P-
0483. Il est à noter que P-0483 a témoigné expressément qu’il ne savait rien
des noms des personnes qui avaient donné de l’argent aux mercenaires
libériens, qui faisaient partie des forces armées en 2002- 2003. En tout état
de cause, même s’il est vrai que M. Guiriéoulou a financé des mercenaires
en 2002-2003, qui auraient opéré dans l’ouest du pays, il est loin d’être
évident que cela a une incidence sur l’existence d’un plan visant à blesser
des civils à Abidjan en 2010. »16
« Le Procureur a allégué qu’Alcide Djédjé, le Ministre des affaires
étrangères, était un " membre important " du " cercle restreint " présumé.
M. Djédjé aurait " épousé " la prétendue politique de M. Gbagbo, … »17
« Compte tenu de sa position de ministre des Affaires étrangères pendant
la crise postélectorale, la fréquence de ses visites à la Résidence
présidentielle n’est pas surprenante. De même, le fait que, dans le contexte
des événements postérieurs au 25 mars 2011, P-0321 ait qualifié Alcide
Djédjé d’"un homme de confiance" de M. Gbagbo n’est pas nécessairement
révélateur d’un autre accord ou d’une intention criminelle commune. »18
« Alcide Djédjé aurait déclaré que " s’agissant de Koumassi, il ne s’agit
plus de manifestants mais de rebelles… »19
« Ayant également à l’esprit les conclusions relatives à l’acquisition
d’armes par l Lafont et Alcide Djédjé à cet égard, il n’est pas possible de
conclure, sur la base des éléments de preuve disponibles, que Alcide Djédjé
a accepté le prétendu plan commun. »20
« Dans sa réponse, le Procureur souligne également qu’en 2009, M.
Tagro a signé certains documents concernant des livraisons de grenades
lacrymogènes commandées par le gouvernement à Darkwood Logistics
alors qu’il était encore Ministre de l’intérieur. Il est également noté que la
Réponse allègue que Tagro a nié l’existence des "escadrons de la mort"
dans les images vidéo. »21
« Il est à noter que cette vidéo est datée de 2002 et que les commentaires
de Tagro dans cette vidéo n’ont pas d’incidence significative sur cette
affaire. »22
« Le Procureur a allégué que l’ancien Ministre de la fonction publique,
Hubert Oulaï [également appelé Oulay ou Oulaye] était un point de contact
essentiel entre les mercenaires libériens et le gouvernement de M. Gbagbo
et qu’il avait facilité la présence, le logement et le financement de ces
mercenaires ; il aurait également visité la résidence présidentielle pendant
la crise postélectorale. »23
« En ce qui concerne le lien allégué entre M. Gbagbo et les combattants
libériens, le Procureur a également fait référence au témoignage de P-0483
selon lequel il aurait vu Hubert Oulaï à la suite de Gbagbo, présumé être
un général LIMA/MODEL. »24
« Ces éléments de preuve ne suffisent pas à démontrer l’implication de
M. Oulaï et/ou la facilitation des liens entre M. Gbagbo et les mercenaires
libériens pendant la crise postélectorale. »25
« Dans le mémoire de mi-procès, le Procureur a allégué que Bertin Kadet
avait participé à la formation des jeunes par le GPP et à leur armement. Le
témoin P- 0435 a déclaré qu’à Gagnoa, Bertin Kadet a demandé à
Zagbayou de former 300 jeunes ; d’après P-0435, ils devaient s’assurer
qu’il y avait suffisamment de personnel formé et prêt à prendre les armes et
à combattre car “il pourrait y avoir de nombreux événements malheureux à
venir”. »26
« Dans sa réponse, le Procureur fait valoir que cela devrait être
“examiné dans le contexte des éléments de preuve concernant la formation
des jeunes par le GPP tant à Abidjan qu’à l’extérieur, avant les élections
présidentielles” et fait valoir que " la seule conclusion raisonnable est que
cette formation était coordonnée … »27
« Le Procureur se réfère à l’émission diffusée par la RTI le 3 avril 2011,
ainsi qu’au témoignage du Général Mangou à l’appui de son allégation
selon laquelle Bertin Kadet aurait été impliqué dans l’obtention de la
position de pouvoir de M. Gbagbo jusqu’à son arrestation en avril 2011.
Dans cette émission, il est noté que Bertin Kadet a déclaré que la
population doit rester calme et continuer le combat. Le Général Mangou a
témoigné qu’après sa réunion du 3 avril 2011, Bertin Kadet lui a dit de
déclarer à la presse qu’ils avaient l’intention de reprendre les combats. Le
Général Mangou a en outre témoigné que le 9 avril 2011, alors qu’il
demandait un éventuel cessez-le-feu, le Général Mangou a appelé, entre
autres, Bertin Kadet pour l’informer qu’ils allaient demander un cessez-le-
feu, ce que Kadet a convenu qu’ils devaient faire. »28
« Eu égard aux conclusions précitées et compte tenu du fait que Bertin
Kadet aurait rencontré M. Gbagbo lors de cinq ou six réunions au cours de
la crise postélectorale, on peut conclure que Bertin Kadet a soutenu M.
Gbagbo sur le plan politique et qu’il a peut-être aussi eu certains liens avec
le GPP et le FLGO. »29
« Cependant, après avoir examiné ces liens à la lumière des rares
éléments de preuve disponibles, aucune chambre de première instance
raisonnable n’a pu conclure que Bertin Kadet partageait l’intention de
commettre des crimes contre la population civile. »30
« Le Procureur a allégué qu’Aboudramane Sangaré, inspecteur général
de l’État et ancien ministre des Affaires étrangères, était le “numéro 2 du
FPI” ; il est également accusé d’être l’un des “conseillers de confiance” de
M. Gbagbo en raison de sa présence à des réunions importantes entre M.
Gbagbo, Simone Gbagbo, et d’autres dirigeants du FPI pendant la crise
postélectorale. Il a également été signalé qu’il avait été présent à la
résidence présidentielle vers la fin des violences postélectorales en avril
2011. »31
«…»
« Sur la base des éléments de preuve examinés ci-dessus et à la lumière
d’autres éléments de preuve pertinents versés au dossier, il est clair que M.
Gbagbo était entouré d’un groupe de personnes qui soutenaient sa
candidature à la présidence et qui, dans une certaine mesure, lui étaient
fidèles. Compte tenu de la position de M. Gbagbo, il n’y a rien d’étonnant
ou d’extraordinaire à ce qu’un haut responsable politique ait des partisans
politiques, et il n’est pas non plus problématique en soi que des officiers
supérieurs restent fidèles à M. Gbagbo en attendant la résolution de la
question de savoir qui a remporté les élections présidentielles. Il n’est pas
non plus surprenant que certains de ces individus aient pu avoir un intérêt
personnel dans la survie du régime Gbagbo. En ce sens, l’affirmation du
Procureur selon laquelle un groupe de personnes partageait l’objectif de
maintenir M. Gbagbo au pouvoir est sans aucun doute vraie. »32
« Cependant, le Procureur attribue des motifs plus sinistres à ce groupe
de personnes et c’est là que les preuves sont beaucoup moins
convaincantes. »33
« Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de cas de comportement suspect de
la part de certaines des personnes mentionnées. Certains peuvent même
avoir été impliqués dans des affaires criminelles d’une façon ou d’une autre.
Cependant, les preuves sont pour la plupart anecdotiques et sont beaucoup
trop ambiguës pour permettre à toute chambre de première instance
raisonnable de conclure qu’il y avait un groupe d’individus qui partageaient
l’intention de maintenir M. Gbagbo au pouvoir à tout prix, en particulier en
commettant des actes de violence contre des civils soutenant M.
Ouattara. »34
2. « Genèse et conception du prétendu plan/politique commun »
Dans le mémoire de mi-procès, « le Procureur a allégué que « Pour
rester au pouvoir, le Gbagbo et les membres du Cercle Intérieur ont utilisé
des moyens violents pour réprimer les opposants politiques et Blé Goudé a
contribué à la répression en impliquant les jeunes dans ces actes. Il s’agit
notamment de l’utilisation de l’armée en milieu urbain, du recrutement et
de l’entraînement de jeunes Ivoiriens, et de l’utilisation de milices et de
mercenaires étrangers. »35
« Dans sa réponse, le Procureur souligne que M. Gbagbo ou Alassane
Ouattara ait gagné ou non les élections de 2010 en Côte d’Ivoire n’est pas
un problème dans ce cas. Il s’agit plutôt de savoir si M. Gbagbo et ses
associés ont pris la décision de maintenir M. Gbagbo au pouvoir en
utilisant toute la force de l’État – ainsi que des acteurs non étatiques –
contre des civils qui étaient perçus comme opposés à lui. »36
« Chercher à rester au pouvoir n’est pas criminel. Par conséquent, en
l’espèce, l’évaluation du prétendu plan commun implique nécessairement
une évaluation des crimes présumés résultant du maintien au pouvoir et/ou
utilisés comme moyen de le faire. Selon le dossier du Procureur, la
criminalité du prétendu Plan commun est centrée sur l’emploi par l’accusé
de “moyens violents pour réprimer les opposants politiques” et sur
“l’impunité des auteurs” de cette répression. Les deux éléments seront
traités à tour de rôle. »37
« Avant de passer à cette analyse, il convient de noter que
l’argumentation du Procureur concernant le prétendu Plan commun est
fondée sur des preuves circonstancielles. Dans le cadre de cette évaluation,
le Procureur a invité la Chambre à tirer des conclusions, entre autres, de
“l’action concertée ultérieure des coauteurs”. À cet égard, il est noté que,
souvent, le fait que ces actions soient concertées est également une question
d’inférence. Bien qu’il soit concevable, et souvent raisonnable, de tirer des
conclusions à partir d’une série d’inférences, il faut faire preuve de
prudence avant de tirer de telles conclusions. »38
« Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’un des éléments du
prétendu plan commun est le plan d’action de l’utilisation par le Procureur
de l’expression " opposants politiques ". Le Procureur a utilisé ce terme
pour désigner des groupes et des individus que, selon elle, M. Gbagbo
considérait comme politiquement opposés à lui. (…) »39
« Le Procureur a également allégué que " l’évolution de la situation sur
le terrain " a démontré que " la répression des opposants politiques et de
leurs partisans était le résultat recherché " ; et que les " cas répétés et
multiples " d’actes violents contre des " opposants politiques " ont confirmé
qu’ils étaient une conséquence du prétendu Plan commun. (…) »40
« Dans sa réponse, toutefois, le Procureur a allégué qu’il y avait deux
catégories de personnes perçues comme des partisans des Ouattara, à
savoir i) les militants ou sympathisants politiques réels ou présumés et ii)
les personnes de confession musulmane, d’origine ethnique Dioula et/ou
originaires du Nord de la Côte d’Ivoire ou d’autres pays d’Afrique de
l’Ouest. (…) (4) le caractère des individus qui ont procédé à
l’identification. En particulier, les Jeunes patriotes et les membres des
« organisations paramilitaires (milices) qui procèdent à des identifications
aux barrages routiers n’étaient pas des fonctionnaires de carrière ou des
agents légitimes de la force publique. »41
« Le Procureur a présenté plusieurs éléments à démontrer que M.
Gbagbo et le prétendu “cercle restreint” ont violemment réprimé les
opposants politiques dans le cadre du prétendu plan commun. Le Procureur
a allégué que l’intention qui sous-tend ce plan commun avait commencé dès
les élections de 2000. Le Procureur s’est également servi de ces événements
avant la crise postélectorale pour démontrer que les membres du prétendu
“cercle restreint” partageaient cette intention… »42…
« Il y a certaines allégations qui font partie des allégations du Procureur
selon lesquelles “la conception, l’élaboration et les premiers stades de la
mise en œuvre du Plan commun” doivent faire l’objet d’une analyse plus
approfondie. Il s’agit notamment du recrutement et de l’utilisation de
jeunes, de milices et de mercenaires après le coup d’État de 2002, du
contournement de l’embargo sur les armes imposé par l’ONU et de
l’objectif présumé de M. Blé Goudé de maintenir M. Gbagbo au pouvoir et
de son ascension comme jeune dirigeant. Elles ont été examinées dans les
sections qui suivent en raison de leur lien présumé avec des allégations liées
aux événements survenus pendant la crise postélectorale. Toutefois, deux
allégations concernant des événements antérieurs à la crise postélectorale
seront examinées ici. Pour parvenir à des conclusions sur la genèse et la
conception du prétendu Plan commun, l’analyse des allégations discutées
plus loin a été examinée en même temps que ce qui est discuté dans la
présente sous-section. »43
Conclusion
Après avoir examiné les preuves de l’accusation, le juge Henderson a
démontré leur faiblesse, l’incohérence des allégations, le manque de rigueur
et de professionnalisme du Procureur. À lire le rendu du juge, on peut
retenir qu’un tel dossier n’aurait jamais dû aller en procès. En fait, au lieu
d’avoir une démarche juridique pour servir le droit, le Procureur s’est
carrément mis dans la situation d’un acteur politique qui veut régler des
comptes. La réalité est que le Procureur voulait systématiquement faire
condamner Laurent Gbagbo en nourrissant un complot contre lui. C’est dire
que le « plan commun » n’est en fait pas l’œuvre de Laurent Gbagbo ; c’est
plutôt la démarche utilisée par le Procureur qui est un complot orchestré
pour servir des « mandants ».
« Je ne pense pas qu’il soit nécessaire, ou sage, d’engager ici un débat sur
la nature de la décision. Je note que, de l’avis du juge Henderson, “l’article
74 ne semble pas fournir le fondement approprié pour rendre des décisions
sur les requêtes en irrecevabilité” 1. À différents stades de cette procédure,
j’ai eu l’occasion d’exprimer mon point de vue sur la question et, plus
particulièrement, sur la procédure “no case to answer”. 2 À ce stade, je me
souviendrai de la décision orale d’acquittement, déclarant que, selon la
majorité, “la Défense n’a pas besoin de présenter d’autres éléments de
preuve puisque sur ordre de l’ONUCI, (…) c’est mon plein accord et mon
soutien à ce résultat équivalent que je tiens à souligner. Toutefois, il s’agit
dans une large mesure d’un débat purement théorique ; ce qui n’est pas du
tout théorique, c’est que la majorité a acquitté M. Gbagbo et M. Blé Goudé
de toutes les charges parce qu’elles ne sont pas étayées par les preuves. »44
Les conclusions des deux juges (Henderson et Tarfusser) qui ont tranché
en faveur de l’acquittement des prévenus sont implacables.
Au total, on doit retenir que Laurent Gbagbo n’avait pas en réalité de
« plan commun » pour se maintenir au pouvoir. Il a plutôt pris des décisions
d’un chef d’État qui, ayant une grande vision pour son pays, ne pouvait agir
autrement que de prendre des dispositions pour protéger son peuple En fait,
après avoir gagné la bataille pour le multipartisme, la politique de Laurent
Gbagbo était pour la suite basée sur l’instauration de la démocratie qui
serait le socle sur lequel la prospérité du pays devrait être bâtie. On peut
constater que le « plan commun » du Procureur et de ses mandants l’en a
empêché ; du moins pour l’instant.
1. Président de l’ONG « Convergences pour la Paix et le Développement de l’Afrique ».
2. P.5 paragraphe 2.
3. P.6 paragraphe 4.
4. P.62 paragraphe 122.
5. P.62 ; paragraphes 122-123.
6. P.62-63 ; paragraphe 124.
7. Ibid.
8. P.63 ; paragraphe 12
9. P.66 ; paragraphes 133-134.
10. P.66 ; paragraphe 135.
11. P.67 ; paragraphe 136.
12. P.68 ; paragraphe 137.
13. P.68 ; paragraphe 138.
14. P.69 ; paragraphe 139.
15. P.70 ; paragraphe 141.
16. Ibid.
17. P.70 ; paragraphe 142.
18. P.70 paragraphe 143.
19. P.71 paragraphe 144.
20. P.71 paragraphe 145.
21. P.72 paragraphe 148.
22. Ibid.
23. P.72-73 paragraphe 150.
24. P.73 paragraphe 152.
25. Ibid.
26. P.74 paragraphe 155.
27. P.75 paragraphe 156.
28. P.75 paragraphe 158.
29. P.76 paragraphe 159 ;
30. Ibid ;
31. P.76 ; paragraphe 160.
32. P.77 ; paragraphe 164.
33. P.78 ; paragraphe 165.
34. Ibid.
35. P.78 ; paragraphe 166.
36. P.79 ; paragraphe 167.
37. P.79 ; paragraphe 168.
38. P.79 ; paragraphe 169.
39. P.80 paragraphe 170.
40. P.80 ; paragraphe 171.
41. P.81 ; paragraphe 173.
42. P.88 ; paragraphe.
43. P.90 ; paragraphe 190.
44. Extrait du rendu du juge président, Cuno Tarfusser.
CHAPITRE 3

LA PROTECTION DES INSTITUTIONS, DES POPULATIONS ET


DES BIENS : LES ACTIONS DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
ET DES FORCES DE DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ LORS DE LA
CRISE POSTÉLECTORALE IVOIRIENNE DE 2010-2011

Par
Pr. Hubert OULAYE
Ancien Ministre
Agrégé des Facultés de Droit
Université d’Abidjan-Cocody

Accusés par le Procureur de la Cpi de crimes contre l’humanité, commis


lors de la crise postélectorale ivoirienne de 2010-2011, les prévenus Laurent
Gbagbo et Charles Blé Goudé ont été acquittés de toutes charges le
15 janvier 2019, par la majorité des juges du tribunal de première instance,
alors même que les témoins de la défense n’avaient pas encore été entendus.
Ce scénario judiciaire inattendu s’explique selon la majorité, par la
« faiblesse exceptionnelle de la preuve du Procureur.
L’objet de la présente note n’est pas de commenter cette décision
historique pour la justice pénale internationale, qui vient confirmer
presqu’en tous points la décision majoritaire rendue le 3 juin 2013 par la
Chambre préliminaire 1, qui jugeait insuffisante la preuve du Procureur ce
qui rendait impossible l’ouverture du procès contre Laurent Gbagbo. On se
souviendra ici du « forcing juridique » opéré par la présidente de la
Chambre préliminaire 1 pour éviter l’arrêt de la procédure au stade de la
confirmation des charges, « forcing » qui a donné lieu au « douteux
compromis juridique » de la prolongation accordée au Procureur d’un
temps d’enquête supplémentaire de six mois.
L’exercice ici consistera essentiellement à expliquer le sens de la décision
et à exposer les motivations qui la fondent dans le but de rendre celle-ci
accessible au plus grand nombre par-delà les seuls spécialistes du droit.
Pour notre part, il nous a été demandé de présenter la position des juges
quant à la manière dont le Président de la République ivoirienne, prévenu
principal en l’espèce et les Forces de défense et de sécurité (FDS) se sont
acquittés ou non, de leur mission de protection des institutions, des
personnes et des biens durant la crise postélectorale de 2010-2011.
En effet, selon les allégations du Procureur, le prévenu Laurent Gbagbo,
président de la République à l’époque des faits, pour rester au pouvoir,
aurait, par l’intermédiaire des FDS sous son contrôle, commis des crimes
contre l’humanité en s’attaquant à des civils partisans d’Alassane Ouattara,
alors que tous deux avaient pour mission de protéger les institutions de la
République, les populations et les biens (I). Tel n’a cependant pas été l’avis
de la majorité de la Chambre de première instance, qui pour sa part a rejeté
la théorie du Procureur (II) et prononcé l’acquittement des deux prévenus
dont le Président Laurent Gbagbo.
1. Les allégations du procureur : le président Laurent Gbagbo et les
FDS n’ont pas rempli leur mission de protection des populations
On exposera d’abord la théorie ou la cause du Procureur (A) puis ensuite,
les failles majeures de celle-ci (B).
A. La théorie du procureur
Selon le Procureur, les crimes reprochés à l’accusé sont l’aboutissement
d’une décennie d’efforts déployés par M. Gbagbo pour maintenir son
emprise sur le pouvoir en Côte d’Ivoire. Ainsi, pour le Procureur, dès son
élection en octobre 2000, le Président Laurent Gbagbo avait pris la ferme
décision de ne jamais renoncer à la présidence mais plutôt d’utiliser tous les
moyens, y compris la répression violente des opposants politiques, pour
rester au pouvoir.
Dans cette logique, pendant les dix années de mandat de M. Gbagbo, les
forces de défense et de sécurité (FDS) ont eu recours à la violence et à la
force meurtrière contre des opposants politiques, y compris des
manifestants pacifiques, mais aucun de ces incidents n’a fait l’objet d’une
enquête sérieuse et personne n’a jamais été tenu responsable. Au contraire,
selon le Procureur M. Gbagbo a délibérément promu l’impunité incitant ce
faisant les forces publiques et les forces irrégulières à commettre de
nouveaux actes de violence. (para.52 Henderson).
Passant aux actes lors des élections de 2010, les prévenus Gbagbo et Blé
Goudé, ainsi que Mme Simone Gbagbo et plusieurs autres dirigeants
politiques, militaires et de la société civile, tous membres du « Cercle
restreint », ont adopté une politique d’attaque contre la partie de la
population civile ivoirienne qui soutient son principal rival politique, M.
Ouattara. Cette attaque généralisée et systématique avait pour but de
maintenir Gbagbo au pouvoir, quel que soit le résultat des élections. (Para.
54 ibidem).
Afin d’assurer la mise en œuvre de la politique alléguée, le Procureur
affirme que :
– M. Gbagbo et/ou d’autres personnes agissant en son nom ont créé,
formé, équipé et financé des groupes armés irréguliers.
– Il s’est assuré la fidélité de commandants de certaines unités bien
équipées, par des nominations.
– Il a réquisitionné les Forces armées ivoiriennes, les Forces nationales
armées de Côte d’Ivoire (FANCI), le 14 novembre 2010 en prévision de
leur déploiement contre des civils, et imposé plusieurs couvre-feux
– Il a mobilisé les forces irrégulières susmentionnées (Galaxie
patriotique, GPP, Fesci…). (Para. 55 ibidem).
Enfin, à la suite de l’élection présidentielle de 2010 l’accusé est passé à la
phase de mise en œuvre du plan pour garder le pouvoir. À ce titre, il a :
– Engagé les FDS ainsi que les forces irrégulières contre les partisans
d’Alassane Ouattara lors de la marche pacifique sur la RTI de
décembre 2010 ;
– Déployé des moyens militaires à Abobo en étant pleinement conscient
que cela porterait indistinctement préjudice à la population civile.
L’accusé Gbagbo est accusé a traité Abobo comme une zone de guerre
tout en refusant de la déclarer comme telle, cela pour ne pas donner à la
population locale un juste avertissement qui leur aurait permis de
chercher refuge hors de ladite zone.
– Permis l’escalade des activités militaires à Abobo visant également la
population locale, situation qui a conduit à l’assassinat présumé sans
provocation de manifestantes à Abobo le 3 mars 2011 et le
bombardement au mortier lourd de plusieurs localités de cette
commune le 17 mars 2011.
– Permis les tueries de populations civiles à Yopougon le 12 avril 2011,
dans la mesure où l’entrainement militaire d’une partie de la jeunesse
pro-Gbagbo, le Groupement Patriotique pour la Paix (GPP) rendait
prévisible le recours à la violence dans ce quartier. (para. 61
Henderson).
Au regard de tout ce qui précède, le Procureur conclut que sont réunies
contre le prévenu Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé les conditions pour
qualifier les faits qui leurs sont reprochés de crimes contre l’humanité en
vertu de l’article 7-1 du Traité de Rome à savoir : des meurtres,
exterminations, réduction en esclavage, viols, persécutions…, lorsqu’ils
sont commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée
contre toute population civile et en connaissance de cause.
Selon le Procureur, l’exécution par l’accusé Laurent Gbagbo de son plan
pour conserver le pouvoir a eu lieu entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril
2011 et a donné lieu à quatre chefs de crimes contre l’humanité, à savoir :
meurtres de 166 personnes ; viols et violences sexuelles sur 34 femmes et
jeunes filles ; actes inhumains sur 94 personnes ; des persécutions (voir
Document de charges amendé, ICC-02/11-01 du 25-01-13).
Toutefois, cette théorie du Procureur sur la base de laquelle il demande
que soit engagée la responsabilité pénale du Président Laurent Gbagbo et de
Charles Blé Goudé présente des failles majeures qu’il importe de relever.
B. Les failles majeures de la théorie du procureur
La majorité des juges a relevé trois failles majeures dans la théorie du
Procureur qui ont motivé de leur part une décision de rejet, à savoir : un
récit caricatural du contexte sociopolitique de la crise ivoirienne, l’omission
délibérée du contexte de guerre et la faiblesse « exceptionnelle » de la
preuve du Procureur.
2. Un récit caricatural du contexte sociopolitique de la Côte d’Ivoire
Tout le récit du Procureur est traversé par une césure opposant des
ivoiriens partisans d’Alassane Ouattara qui seraient originaires du nord du
pays et de confession religieuse musulmane et des ivoiriens originaires du
sud qui eux seraient tous de confession chrétienne. Pour la majorité de la
Chambre il s’agit là d’une compréhension « unidimensionnelle » du rôle de
la nationalité, de l’ethnicité et de la religion en Côte d’Ivoire pendant la
crise postélectorale.
Certes, on ne peut ignorer l’existence de ressentiments et de la méfiance
au sein des groupes nationaux, ethniques ou religieux liés à la guerre civile,
à des préjugés profondément enracinés, ou à des disparités
socioéconomiques.
Cependant il convient d’adopter une approche plus nuancée prenant en
compte les liens existants entre les différents groupes nationaux, ethniques
et religieux ainsi que la manière dont les interrelations ont évolué sur le
plan sociohistorique pour pouvoir donner une image plus proche de la
réalité sociale aujourd’hui, qui est plus complexe que la description
simpliste qu’en fait le Procureur.
Des témoins de tous horizons ont contribué à donner à la Chambre une
image de la Côte d’Ivoire tout simplement inconciliable avec celle
présentée par le Procureur. La Chambre a entendu, depuis le début, que “les
musulmans ne sont pas seulement du nord”. Il s’en trouve dans d’autres
régions. Par ailleurs tous les ressortissants du nord ne sont pas tous des
musulmans. Comme l’ont dit de façon simple et éloquente respectivement
les témoins P0449, P-0578, P-0440 “… c’étaient des quartiers
cosmopolites, les gens étaient mélangés… dans les quartiers, il y a toutes
les ethnies” (P-0449) et il y a même des étrangers ; tout le monde vit
ensemble” (para. 13. Cuno).
De même, le récit du Procureur simplifie à l’extrême le paysage politique
lors de la crise, donnant à croire que la population du pays est entièrement
divisée entre les partisans de M. Gbagbo et ceux de M. Ouattara. Ce qui est
faux au regard du nombre de candidats à l’élection présidentielle, une
douzaine et du soutien apporté au second par le candidat Henri Konan
Bédié. Preuve qu’il n’y a pas en Côte d’Ivoire que des partisans de Gbagbo
et de Ouattara, mais également des partisans d’Henri Konan Bédié. Le récit
du Procureur masque la réalité selon laquelle il y a des ressortissants du
nord qui sont membres du parti de Gbagbo ou d’Henri Konan Bédié, de
même que des ressortissants de l’ouest sont membres du parti d’Alassane
Ouattara et du parti d’Henri Konan Bédié.
Par conséquent, l’utilisation par le Procureur des termes “pro-Gbagbo”
ou “force pro-Gbagbo” semblait simpliste. Le Procureur était tenu de
fournir des critères suffisamment précis pour déterminer la composition de
ces groupes. Il s’en est dispensé croyant que la seule étiquette suffirait. Or
cette définition « artificielle et dénuée de sens » est sans aucune utilité.
(para. 13 ibidem).
3. L’omission délibérée et suspecte du contexte de guerre
La deuxième faille majeure du récit du Procureur est l’omission
consciente du contexte de guerre lors de la crise postélectorale. En omettant
volontairement et systématiquement un élément aussi important le
Procureur a donné une version biaisée des graves évènements qui ont
marqué la crise postélectorale. Son récit ne reflète nullement la réalité qui
est la suivante :
– Le régime Gbagbo est ébranlé par la rébellion dès septembre 2002 et
soumis à de fortes pressions internes et internationales
Il n’est un secret pour personne, encore moins pour le Procureur, que le
régime du Président Laurent Gbagbo a été attaqué le 19 septembre 2002 par
des rebelles venus du nord, constitués et entrainés au Burkina Faso. Un des
hauts responsables de cette rébellion a même déclaré qu’Alassane Ouattara
était le financier de ce mouvement armé. Du fait de cette rébellion, le
Président élu de la Côte d’Ivoire a perdu le contrôle de la moitié du Pays,
ainsi qu’une partie des forces armées qui s’est engagée à le renverser.
– Du fait de la présence et de la guérilla menée à Abobo par les
combattants du Commando invisible, pendant la crise postélectorale, la
situation à Abidjan était loin d’être sous le contrôle de l’accusé Gbagbo
Ce Commando violent et lourdement armé a contraint les forces de
l’ordre régulières à savoir la police et la gendarmerie à évacuer leurs
hommes des commissariats et du camp commando d’Abobo. Cette
évolution a conduit à l’intervention de l’armée réquisitionnée à Abobo,
d’abord en appui aux forces de l’ordre ensuite en substitution. Mais pour le
Procureur, aucune importance n’est à accorder au Commando invisible qui
a fini par se rendre maître d’Abobo par les armes lourdes alors que dans le
même temps il impute l’escalade des activités militaires dans ce quartier au
Président Laurent Gbagbo. (Para. 67 et s Henderson)
– L’existence d’un conflit armé en Côte d’Ivoire qui a opposé les forces
fidèles au régime du Président
Laurent Gbagbo aux forces rebelles depuis septembre 2002, ces dernières
ayant reçu l’appui direct lors de la crise postélectorale, des forces françaises
et onusiennes
Pour la majorité, l’existence d’une « force armée organisée et soutenue
sur le territoire qui constituait une menace active pour le régime Gbagbo »
explique nombre de décisions-clés prises par les accusés. (Para. 71 ibidem).
L’ignorance par le Procureur de cette situation ainsi que de l’impact de la
rébellion et du rôle du Commando invisible à Abobo, éloigne son récit de la
réalité du terrain.
4. La faiblesse « exceptionnelle » de la Preuve du Procureur
Beaucoup d’insuffisances grèvent la preuve du procureur et n’ont pas
permis à la Chambre d’évaluer celle-ci. Il s’agit particulièrement :
– De l’absence de preuves directes des allégations formulées. Si le récit
du Procureur est facile à comprendre, il ne dispose cependant d’aucune
preuve directe à l’appui de sa version des faits. Son argumentation ne
repose que sur des preuves circonstancielles, c’est-à-dire indirectes.
(Para.78 ibidem).
– Le Procureur doit ensuite démontrer les liens et la cohérence de ses
preuves avec l’affaire et tout particulièrement la manière dont elles
étayent les allégations. Cela n’a pas été fait. (Para.79 ibidem).
– Il incombe au Procureur qui a la charge de la preuve, de veiller à ce que
la Chambre dispose de toutes les informations pour replacer les
éléments de preuve à charge dans leur contexte et leur donner la valeur
probante appropriée. Pour la Chambre, le Procureur a également
échoué à cet égard. (Para. 80 ibidem).
– Aucune preuve directe n’indique clairement l’existence d’un plan ou
d’une politique visant à attaquer des civils. Le Procureur l’admet, mais
pense que mis ensemble, les faits feront clairement apparaitre le Plan
commun et la politique de nature criminelle. Mais alors il revient au
Procureur d’expliquer, suivant quelle procédure assembler les preuves
circonstancielles et ne pas se contenter d’énumérer les faits surtout
qu’il n’identifie pas les faits qu’il demande à la Chambre d’évaluer de
manière globale. En d’autres termes le Procureur met à la charge de la
Chambre le travail qui lui revient, à savoir relier les éléments de preuve
à la cause.
Sur la base de ces considérations il n’a pas été possible à la Chambre
d’évaluer correctement la preuve du Procureur. Ces failles auxquelles
s’ajoutent les éléments ci-dessous ont conduit la majorité au rejet de la
théorie du Procureur.
5. Le rejet de la théorie du procureur par la majorité
A. Le président Laurent Gbagbo n’a pas commis de crime contre
l’humanité/des populations civiles
1) Le Président Laurent Gbagbo n’a pas eu pour projet de commettre
des crimes contre des civils partisans d’Alassane Ouattara
Pour rejeter les allégations du Procureur, la majorité a tour à tour conclu :
à l’inexistence d’un cercle restreint ; à l’inexistence d’un plan commun ;
l’impossibilité d’établir une quelconque responsabilité pénale de l’accusé
Laurent Gbagbo dans la commission des crimes allégués.
– Absence de preuve de l’existence d’un cercle restreint
Selon le Procureur, outre Laurent Gbagbo, les membres du “cercle
restreint” sont : Simone Gbagbo, M. Blé Goudé et des “officiers de
confiance de la direction du FDS, de loyaux officiers de niveau
intermédiaire du FDS, d’anciens ministres et ministres durant la crise
postélectorale”. Pour le Procureur, l’argument qui fonde leur appartenance
au Cercle est tiré de la relative proximité de leur relation avec M. Gbagbo”.
(Para. 95 ibidem).
Selon la majorité de la Chambre, le fait que l’on trouve aux côtés de M.
Gbagbo un groupe de personnes fidèles y compris des militaires n’est
nullement étonnant bien au contraire. Il est normal « qu’un haut responsable
politique ait des partisans politiques. Il est normal également que des
officiers supérieurs lui soient fidèles en attendant la résolution de la
question de savoir qui a remporté les élections présidentielles. De même on
ne peut exclure que certaines personnes parmi elles soutenaient et
partageaient l’objectif de maintenir Gbagbo au pouvoir. Ces personnes
avaient par conséquent intérêt dans le maintien de ce dernier au pouvoir
comme l’affirme le Procureur.
Toutefois, le Procureur qui soutient, que le projet des membres de ce
Cercle restreint était de commettre des crimes pour parvenir à leurs fins,
n’apporte pas de preuves solides mais plutôt des preuves anecdotiques et
ambiguës qui permettent de conclure à l’existence d’un groupe d’individus
partageant l’intention de maintenir M. Gbagbo au pouvoir à tout prix, en
particulier en commettant des actes de violence contre des civils soutenant
M. Ouattara. (Para. 164-165 ibidem).
De même qu’on ne peut conclure à l’existence d’un Cercle restreint, de
même il est douteux qu’un plan commun ait été conçu pour être mis en
application.
– Absence de preuve de l’existence d’une politique ou d’un plan commun
Dans la mesure où n’existe aucune preuve directe du Plan commun, c’est
sur le fondement de preuves circonstancielles que le Procureur entend le
déduire. Pour le Procureur, c’est de la coordination des actions des membres
du Cercle restreint dans la commission des crimes que réside la preuve du
Plan commun. Ainsi, vouloir rester au pouvoir n’est pas criminel en soi,
toutefois selon le Procureur, « la criminalité du prétendu Plan commun est
centrée sur l’emploi par l’accusé de “moyens violents pour réprimer les
opposants politiques” et sur “l’impunité des auteurs” de cette répression ».
• Du recours de l’accusé à des moyens violents de répression des
opposants politiques
L’allégation du Procureur porte sur l’obstruction par l’accusé et les
membres du Cercle restreint aux mesures de rétablissement de la paix et la
répression violente de l’opposition politique avant la crise postélectorale.
(Para. 191 ibidem).
*S’agissant tout d’abord des allégations selon lesquelles des membres
du " cercle restreint " auraient entravé les processus de paix en Côte
d’Ivoire, le Procureur a allégué que M. Gbagbo, " les dirigeants du FPI et
les membres de son Cercle Intérieur ont pris part aux négociations avec les
dirigeants rebelles et les opposants politiques " tout en prenant des mesures
pour retarder ou entraver les processus de paix et la tenue des nouvelles
élections. Selon le Procureur, à l’appel de Blé Goudé, "des jeunes ont pris la
rue et perpétré des violences en 2003, 2004 et 2006, faisant obstacle aux
progrès politiques et sapant les accords de paix afin de maintenir M.
Gbagbo au pouvoir ".
La majorité a jugé les éléments de preuve disponibles insuffisants pour
permettre à la chambre de première de conclure qu’il y avait une intention
de recourir à la violence pour entraver le(s) processus de paix. (Para. 196
ibidem). « La preuve est soit anecdotique, soit presque entièrement
anonyme, il est difficile de voir comment une chambre de première instance
raisonnable pourrait lui accorder un poids probatoire significatif. En outre,
même si les éléments de preuve disponibles étaient tout à fait fiables, on
sait si peu de choses sur les circonstances dans lesquelles la violence a été
utilisée et sur la manière dont les ordres ont été diffusés le 25 mars 2004 ».
E tout état de cause ces preuves n’auraient pas constitué une base solide de
décision. (Para. 201 ibidem).
*S’agissant de la répression violente des opposants politiques
Selon le Procureur, « pour rester au pouvoir, le Gbagbo et les membres
du Cercle Intérieur ont utilisé des moyens violents pour réprimer les
opposants politiques et Blé Goudé a contribué à la répression en impliquant
les jeunes dans ces actes. Il s’agit notamment de l’utilisation de l’armée en
milieu urbain, du recrutement et de l’entraînement de jeunes Ivoiriens, et de
l’utilisation de milices et de mercenaires étrangers ». (Para. 166 ibidem).
Enfin, il convient de noter que le Procureur met l’accent sur le fait que les
partisans de M. Ouattara, parmi la population locale sont les cibles du
prétendu Plan commun. Toutefois, comme il ressort clairement des
éléments de preuve disponibles, M. Gbagbo et son régime semblent avoir
été beaucoup plus préoccupés par le rôle et l’influence de l’ONUCI et du
gouvernement/militaire français que les citoyens ordinaires de Côte d’Ivoire
qui ont soutenu M. Ouattara. Le Procureur a systématiquement ignoré ou
minimisé cet élément crucial, ce qui a entraîné une vision déformée de la
situation. Cela ne veut pas dire que l’ethnicité, l’origine régionale et la
religion n’étaient pas des facteurs totalement hors de propos dans la crise.
Toutefois, les éléments de preuve disponibles n’étayent pas la proposition
selon laquelle des personnes appartenant à certaines de ces catégories ont
été délibérément et violemment prises pour cible par le régime. (Para. 185
ibidem)
*Nominations fondées sur l’appartenance ethnique et la loyauté
personnelle
Le Procureur a également allégué que, lorsqu’il est devenu Président
de la Côte d’Ivoire en 2000, M. Gbagbo a nommé et promu des officiers
supérieurs des FDS sur la base de motifs ethniques ou religieux. Il s’agit de
Faussignaux Gagbei Vagba au poste de commandant de la marine, de
Brunot Dogbo Blé au poste de commandant de la Garde Républicaine, en
2004 de Philippe Mangou au poste de chef d’Etat-major, de Rigobert
Tohouri Dadi au poste de commandant de BASA et BASS. Il s’agit
également de Boniface Kouakou Konan comme COMTHEATRE et de
Jean-Noël Abéhi comme commandant du GEB. (Para. 202 ibidem).
La majorité n’a pas abondé dans le sens du Procureur pour plusieurs
raisons :
– Les éléments de preuve invoqués par le Procureur à l’appui de ces
allégations sont manifestement incapables de les étayer.
– Pas un seul témoin bien informé n’a affirmé que M. Gbagbo avait
nommé ou promu des officiers militaires sur la base de considérations
ethniques ou religieuses.
– Le Procureur n’a pas non plus présenté d’éléments de preuve montrant
que, lorsque les personnes mentionnées ont été nommées ou promues,
il existait d’autres candidats plus qualifiés d’origines ethniques ou
religieuses différentes (para. 203 ibidem).
– le Procureur n’explique pas comment cela établit que ces officiers
auraient été plus enclins à commettre des crimes contre des civils ou
que c’est pour cette raison que M. Gbagbo les a choisis. Peu de
dirigeants s’entourent délibérément d’aides supérieurs dont ils se
méfient.
– quels que soient le contenu et la qualité des éléments de preuve
disponibles, il est difficile de voir comment cette allégation pourrait
étayer l’allégation du Procureur selon laquelle il existe une politique
visant à attaquer une population civile. (Para. 205 ibidem).

• Sur l’impunité des auteurs de la répression violente de l’opposition


politique
Selon le Procureur Gbagbo n’a pas sanctionné la violence de la FDS et
avait activement nié sa responsabilité, créant un “climat d’impunité”. La
répression violente s’est accompagnée de l’impunité de ses auteurs tout au
long de la décennie du mandat du Gbagbo à la présidence. Ce climat
d’impunité a envoyé un signal clair aux supérieurs hiérarchiques de ne pas
punir leurs subordonnés pour les crimes commis contre des opposants
politiques soutiens d’Alassane Ouattara ; il a également donné à leurs
subordonnés l’assurance qu’ils ne seraient pas punis pour ces crimes. (Para.
206 ibidem).
Le Procureur cite à l’appui, les incidents de Wassakara, de la marche sur
la RTI où ce sont les manifestants qui ont été arrêtés et poursuivis et pas les
auteurs des crimes. (Para. 234 ibidem), la marche des femmes et les
bombardements d’Abobo.
Selon le Procureur M. Gbagbo a par ailleurs nié publiquement et à
plusieurs reprises l’implication du FDS dans tout crime et que toutes les
enquêtes qui ont été ouvertes se sont concentrées sur les victimes du FDS, à
l’exclusion des autres groupes. (Para. 221 ibidem)
Cependant pour la majorité, les éléments de preuve n’indiquent pas qu’il
existait une politique inhérente au système judiciaire ou à d’autres
mécanismes de sanctions qui pourrait donner à penser que le système
judiciaire était délibérément utilisé pour aider à la répression violente des
opposants politiques. (Para. 220 ibidem).
En résumé, sur la base de l’ensemble des éléments de preuve, une
chambre de première instance raisonnable pourrait conclure qu’il y avait
effectivement une impunité généralisée dans le sens où personne ne semble
avoir été tenu pour responsable des crimes violents présumés contre des
civils. (Para. 275 ibidem).
Toutefois, Il n’y a aucune preuve d’une (in) action concertée et délibérée
pour créer un " climat d’impunité " de la part de l’accusé ou du prétendu "
cercle restreint ". En particulier, il n’y a aucune preuve d’interruption ou
d’obstruction d’enquêtes en cours. Pour cette raison, on ne saurait en
déduire que l’impunité des forces du FDS pour des crimes qui auraient été
perpétrés contre des partisans civils de M. Ouattara était le produit d’une
politique adoptée par le prétendu " cercle restreint ".
2) Le président Laurent Gbagbo n’est pas pénalement responsable
des crimes reprochés
Quatre chefs de responsabilité ont été actionnés par le Procureur à
l’encontre du Président Laurent Gbagbo : en tant que co-auteur (25-3-a) ;
contributeur (25-3-d) ; instigateur (25-3-b) et supérieur hiérarchique (article
28). La majorité examinant tour à tour ces différents chefs d’accusation, a
conclu que l’accusé Laurent Gbagbo n’a engagé sa responsabilité sur aucun
d’entre eux.
– Sur la base de la co-action indirecte (25-3-a)
La majorité a fondé le rejet de cette forme de responsabilité sur les motifs
suivants :
• L’inexistence de preuve de plan commun ;
• L’absence de contrôle exercé par l’accusé Laurent Gbagbo sur les
auteurs, condition d’imputabilité de la responsabilité ;
• L’absence de preuve d’existence d’une structure parallèle de
commandement ;
• Incidents de la RTI :
*pas de preuves qu’un membre du Cercle restreint ait donné des
instructions en vue de la commission de crimes ;
*le simple fait d’interdire la marche ne peut être source de contrôle
au sens de l’article 23-3-a
*l’appel à l’érection de barrages ne constitue pas une instruction à
commettre des crimes ;
• Incidents de Yopougon
*les évènements de Yopougon I. Il n’y a pas de preuve d’allégeance
des auteurs des crimes à l’accusé ;
*les évènements du 12 avril. Les groupes, auteurs des crimes n’ont
pas été identifiés.
• Incidents d’Abobo :
*concernant la marche des femmes du 3 mars. Il n’y a pas de
preuves que les auteurs des tirs avaient reçu des instructions en ce
sens, ni que l’une des unités du convoi de ravitaillement était sous
le contrôle direct ou indirect d’un membre du Cercle restreint ;
*concernant le bombardement du marché d’Abobo, il n’existe
aucune preuve permettant de déterminer leur auteur, ce qui
s’oppose à l’établissement d’un quelconque lien entre les
explosions et le Cercle intérieur ;

– Sur la base de 25-3-d : la contribution au crime


Il s’agit de crimes commis par une ou plusieurs personnes appartenant à
un groupe, agissant dans un but commun, par le moyen d’une contribution
intentionnelle faite pour favoriser la commission du crime ou le but du
groupe.
Cette forme de responsabilité a été rejetée par la majorité de la Chambre
pour les motifs suivants :
– Absence de preuves quant à l’existence d’un groupe agissant
dans un but commun ;
– Sur la contribution de l’accusé à la commission des crimes
reprochés, les exemples donnés par le Procureur ne permettent pas
de l’établir :
• En quoi l’interdiction d’une marche contribue-t-elle aux
crimes et particulièrement aux viols qui ont été commis.
• En quoi Laurent Gbagbo, en ordonnant aux FDS de
continuer le combat pour la libération d’Abobo a-t-il contribué
aux meurtres à Abobo.
– Sur la participation à des réunions pour discuter de la mise en
œuvre du plan commun
*l’argument ne vaut que si le but commun expressément
poursuivi est de commettre des crimes et lorsque les réunions de
planification et de mise en œuvre sont directement liées à la
commission des crimes. Or cela n’est pas le cas en l’espèce. Le but
principal est le maintien au pouvoir de l’accusé par tous les moyens
y compris si nécessaire en commettant des crimes. Le Procureur n’a
pas présenté les éléments de preuves suffisants démontrant que la
discussion au cours de la réunion a porté sur la commission de
crimes. Cela n’a pas été fait de sorte qu’il n’est pas possible
d’établir une contribution aux crimes.
– Sur la base de 25-3-b : l’instigation à la commission de crimes
Il s’agit de la responsabilité fondée sur l’ordre donné, la sollicitation ou
l’incitation à la commission de crimes. L’accusé pour être responsable doit
exercer une autorité sur l’agresseur physique.

• Mais si l’autorité du Président Laurent Gbagbo sur les FDS est établie,
en revanche, le Procureur reconnait que celui-ci n’a jamais donné des
ordres criminels. Dans ces conditions, la majorité ne peut conclure
que les ordres non criminels donnés aux subordonnés ont été
interprétés comme autorisant des comportements criminels de leur
part.

• L’accusé a-t-il incité par ses discours à commettre des crimes ou créé
une atmosphère permissive dans laquelle les FDS se sont sentis libres
de commettre des actes criminels ? En tout état de cause, pour la
majorité, le Procureur n’a pas pu établir un quelconque lien de
causalité entre les actions et les omissions prises ensemble ou
séparément et les auteurs individuels.
– La responsabilité sur la base de l’article 28 du Statut : la
responsabilité du supérieur hiérarchique
Cette forme de responsabilité a également été rejetée aux motifs
que :
• Le Procureur n’a pas formulé une théorie détaillée sur la base de cette
forme de responsabilité ;
• Le Procureur n’a pas expliqué pour chacun des crimes reprochés à
quel moment l’accusé a eu connaissance ou aurait dû avoir
connaissance d’un comportement criminel imminent ou complet. Le
Procureur n’indique pas si en dehors des crimes du 12 avril, il est
l’accusé d’avoir omis de prévenir, réprimer ou référer aux autorités
compétentes des comportements criminels.
• ne définit pas ce que l’accusé aurait dû faire et n’a pas fait, pour
chacun des crimes reprochés ;
Au total, la majorité a considéré que le Procureur n’a pas présenté
suffisamment d’éléments de preuves pour permettre à la Chambre de
conclure que des crimes contre l’humanité ont été commis.
Mais le Président Laurent Gbagbo non seulement n’a pas été déclaré
responsable de crimes contre l’humanité, mais en outre il a assuré la
protection des institutions et des populations.
B. Le président Laurent Gbagbo a protégé les populations et les
institutions de la république
La majorité a jugé que contrairement à la théorie du Procureur pour qui le
Président Laurent Gbagbo aurait pris des dispositions en vue de réprimer les
populations, celui-ci a plutôt pris des actes allant dans le sens de leur
protection à savoir la réquisition des FDS d’une part (1), l’adoption de
mesures spécifiques idoines d’autre part (2).
1) La réquisition à bon droit des FDS pour protéger les populations
Le Procureur conteste la nécessité de la réquisition des FDS faite par
décret présidentiel n° 2010-306 de novembre 2010 en vue de la sécurisation
du deuxième tour de l’élection présidentielle. Pour le Procureur la vraie
motivation était l’intention de Laurent Gbagbo de réprimer les civils
soutenant Ouattara, de sorte que la réquisition a été déterminante pour la
mise en œuvre du plan commun.
Selon le Procureur, la réquisition n’était pas nécessaire pour atteindre
l’objectif déclaré de sécurisation du deuxième tour de l’élection, puisque
aux dires des généraux Guiai Bi Poin et Brindou Bia, ils ne s’attendaient
pas à des problèmes majeurs de sécurité tout comme au premier tour.
Toutefois selon la majorité, le recours à la réquisition était fondé pour les
motifs suivants :
– La réquisition concernait l’ensemble du territoire et non pas seulement
la situation d’Abidjan ;
– Elle était destinée au Centre de commandement intégré (CCI) qui n’a
émis aucune protestation ;
– Il n’est pas possible sur la base de l’équivoque résultant du témoignage
du général Guiai Bi Poin, de « dire si la réquisition des FDS était ou
non disproportionnée par rapport à l’ampleur de la menace
sécuritaire » ;
– L’argument de la non présence des FDS réquisitionnés au siège du
RHDP où des incidents graves étaient survenus, n’est pas la preuve de
l’inutilité de la réquisition puisque la surveillance des locaux des partis
politiques relève essentiellement de la police et de la gendarmerie.
– Que contrairement à l’argument du Procureur, le décret de réquisition
de 2004 n’était pas de nature offensive, mais visait selon la
Commission d’enquête de l’ONU, à apaiser les tensions politiques à la
lumière des violentes altercations qui avaient eu lieu la semaine
précédente entre les partisans de Gbagbo et ceux du RHDP. Le décret
était aussi justifié par la crainte que des éléments armés de l’opposition
ne s’infiltrent dans les manifestations pour tenter de renverser le
régime.
Compte tenu de ce qui précède ainsi que « du manque d’information sur
les motifs de la réquisition de novembre 2010, et du caractère équivoque
des preuves circonstancielles disponibles, il n’est pas possible à une
chambre de première instance raisonnable de conclure que les forces
armées ont été réquisitionnées le 14 novembre 2010 dans le but d’utiliser la
force armée contre les partisans civils de M. Ouattara ». (Para 276 à 289
Henderson).
Outre le décret de réquisition, le Président Laurent Gbagbo a pris un
certain nombre de dispositions d’ordre sécuritaires
2) L’adoption de mesures spécifiques idoines de protection des
populations
Le Procureur a reproché au Président de la République diverses mesures
prises en vue de protéger les populations et les biens. Toutefois la majorité
n’est pas allée dans le sens du Procureur. Elle les a plutôt jugées bien
fondées. Il s’agit :
– De l’installation de la Compagnie républicaine de sécurité de Divo
Le Président a procédé le 27 août 2010, à l’installation d’une unité de
CRS (Compagnie républicaine de sécurité) à Divo pour faire face aux
troubles de l’ordre public résultant de la petite délinquance. A cette
occasion, le Président Gbagbo a d’abord rappelé le contexte historique de la
création de la CRS (en France) et expliqué que le rôle de l’unité était de
lutter dans les villes contre les criminels et ceux qui créent le désordre. Il a
déclaré que, grâce à la CRS, les citoyens ordinaires devraient pouvoir
mener leur vie normale sans crainte. Il a également dit que ceux qui
voudraient voler des personnes honnêtes devraient y réfléchir à deux fois.
Le Président Gbagbo a ensuite ajouté que les ennemis de la CRS étaient
ceux qui étaient contre la paix en Côte d’Ivoire.
– Le poste de contrôle au carrefour de l’hôtel du Golf
Le Procureur a qualifié de « blocus » le poste d’observation de la police
positionné près de l’hôtel du Golf. Ce poste qui a été attaqué une première
fois avec prise d’otages et d’armes par des forces rebelles repliées à l’hôtel
du Golf a été par la suite transformé en poste de contrôle militaire, face au
risque que constituait cette présence.
Selon la majorité, loin d’être un blocus il se présentait « comme un
mécanisme visant plutôt à empêcher des individus armés, en poste à l’hôtel
du Golf, de venir en ville et d’attaquer, et donc comme une mesure de
protection et de contrôle par opposition à une expression d’une politique
visant à attaquer ou à nuire autrement aux partisans d’Alassane Ouattara ou
autres civils ». Ainsi pour la Chambre, il s’agit bien d’une mesure de
protection tout à la fois de la Résidence présidentielle qui se trouvait à
1,5km du poste de contrôle mais également et surtout des populations
riveraines.
Cette position est renforcée selon la majorité par l’invitation faite par M.
Gbagbo à « toutes les personnalités qui se trouvent encore à l’hôtel du Golf
de regagner leur domicile. Personne ne les a contraintes à se réfugier dans
cet hôtel. Personne ne les empêchera d’en sortir. Elles sont libres de leurs
mouvements ». (Para 59- Cuno ; para 1103 à 1119 Henderson).
– L’option de ne pas déclarer Abobo zone de guerre
A la suggestion du Chef d’État-major Philippe Mangou faite mi-janvier
2011, de déclarer Abobo zone de guerre, pour permettre à l’armée
d’affronter le Commando invisible qui s’était lourdement équipé, avec un
potentiel d’armement et une tactique militaire conséquents, le Président
Laurent Gbagbo opposera un refus. Cette option a été analysée par le
Procureur comme la volonté du Président Gbagbo d’attaquer des civils
partisans de Ouattara sans les avertir de l’offensive militaire imminente afin
qu’ils puissent évacuer la zone. Le Procureur en tire la conclusion que la
population civile était la cible principale de l’attaque.
Telle n’a cependant pas été la vision de la majorité pour les motifs qui
suivent :
– D’abord, rien n’indique que la population civile qui, depuis plusieurs
semaines avant le refus du Président Gbagbo de déclarer Abobo zone
de guerre, vit dans une zone de combat actif entre le Commando
invisible et les FDS a été empêchée d’évacuer le quartier ;
– Le Procureur n’apporte pas la preuve que le refus par l’accusé de
déclarer Abobo zone de guerre a entrainé plus de victimes civiles
inutiles ;
– Le Procureur ne démontre pas que la position du Chef d’Etat-major était
unanimement partagée. En fait cela est loin d’être le cas, les trois autres
officiers généraux trouvant qu’une telle déclaration serait plus
préjudiciable aux populations civiles, vu l’infiltration du Commando
invisible au sein de celles-ci.
Au total, au regard des observations relevées, il y a lieu selon la majorité
de douter de la conclusion du Procureur selon laquelle l’option du Président
Laurent Gbagbo serait motivée par l’idée de diriger des attaques contre la
population civile : « L’argument selon lequel, à compter du 12 janvier 2011,
le haut commandement des FDS a traité Abobo comme une zone de guerre
et que M. Gbagbo, en ne déclarant pas Abobo comme telle le 24 février, a
fait de la population civile la cible des opérations militaires qui ont suivi est
sans fondement ».
Selon la majorité, « le déni explicite que la question de déclarer ou non
Abobo zone de guerre » a plus à voir avec l’intention et l’objectif ultime
d’assurer la protection de la population civile, au lieu d’être une décision
qui aurait donné aux FDS une autorisation générale d’agir sans limite dans
une zone peuplée de civils.
De ce qui précède il ressort que le Président Laurent Gbagbo tout le long
de la crise postélectorale a eu pour souci constant la protection des
populations civiles. Qu’en-est-il des forces de défense et de sécurité
(FDS) ?
C. Les forces de défense et de sécurité n’ont pas failli dans leur
mission de protection des institutions et des populations
Les forces de défense et de sécurité, composées des corps de la
gendarmerie, de la police et des forces armées nationales, ont pour mission
traditionnelle d’assurer l’ordre public, de défendre les institutions et les lois,
de protéger les populations et les biens. Le Procureur affirme cependant que
la réquisition dont elles ont fait l’objet à l’occasion de la crise était motivée
plutôt par l’intention de réprimer les civils qui soutiennent Ouattara.
Cette allégation du Procureur n’a pas été retenue par la majorité de la
Chambre. En effet, pour cette dernière les FDS ont assuré tout le long de la
crise, la défense des institutions et des lois d’une part, la protection des
populations et des biens d’autre part.
1) La défense des institutions et des lois par les FDS
Dans la grave controverse qui a opposé les candidats Laurent Gbagbo et
Alassane à l’issue du deuxième tour de la présidence, sur le vainqueur de
l’élection, les FDS ont fait le choix du respect du résultat définitif proclamé
par le Conseil constitutionnel. Pour la majorité de la Chambre, les FDS se
sont déterminés en conformité avec « leur serment de défendre le pays, ses
autorités et ses lois » qui leur commandait de respecter la décision prise par
le Conseil constitutionnel de déclarer le candidat Laurent Gbagbo
vainqueur.
Pour les FDS, « l’intérêt à protéger était l’intérêt de la Présidence de la
République en tant qu’organe constitutionnel, et non celui du titulaire de
l’époque » (Para 60 Cuno).
2) La protection des populations et des biens
Les FDS au cours de la crise postélectorale ne se sont pas livrées à des
attaques contre les populations civiles contrairement aux allégations du
Procureur, mais ont plutôt engagé des opérations dans le sens de leur
protection à savoir, maintien de l’ordre public, protection contre les attaques
du Commando invisible. Pour la majorité de la Chambre, les mesures prises
au niveau des FDS répondent essentiellement à cet objet :
– La réquisition des forces armées et les couvre-feux
Contre le Procureur qui soutient que ces deux mesures traduisent la
volonté de M. Gbagbo de garder le pouvoir, la majorité considère quant à
elle qu’elles visent la protection des populations dans la mesure où :
• Les éléments de preuve montrent que ces deux mesures ont été
adoptées conformément aux textes ivoiriens pertinents dont certains
datent d’avant la crise comme le décret sur la réquisition qui remonte
à 1967 ;
• Il est de notoriété publique que les couvre-feux sont des mesures
généralement (et régulièrement) utilisées pour apaiser les tensions et
faciliter l’exercice du contrôle par les autorités. Le témoin P-0009 a
précisé que le couvre-feu avait été recommandé au Président par les
autorités militaires, notamment au vu du fait qu’entre le premier et le
deuxième tour des élections, le siège du RHDP avait été pillé et
qu’une "bagarre de rue" avait suivi. Dans ce contexte, le couvre-feu
aurait contribué à faciliter le travail des responsables la police en
matière de contrôle. C’est une mesure visant à rendre plus facile et
plus efficace le respect par le FDS de sa mission statutaire de défense
et de protection de la population et de ses biens ;
• L’argument du Procureur, considérant disproportionné le recours aux
forces armées pour des missions de sécurité publique n’est pas
opérant. Rien dans les documents, les comportements, les discours des
FDS ne suggère que leur mission sur le terrain soit conciliable avec un
plan d’attaque des populations civiles notamment : appel à la
population à garder son calme et rappel des missions institutionnelles
des FDS ; nécessité de préserver la légalité constitutionnelle et la
souveraineté de la Côte d’Ivoire ; appel des FDS à respecter les droits
humains et le droit international humanitaire ; instructions spécifiques
pour s’abstenir, dans le cadre d’opérations d’ordre public,
d’exactions" et de "pillages" et pour faciliter l’intervention du CICR,
de la Croix-Rouge nationale et du personnel médical.
• les réunions régulièrement convoquées tout au long de la crise avec
les responsables de la conduite des opérations sur le terrain se sont
révélées dictées par l’inquiétude face à la gravité de la situation et le
désir d’en être constamment informés ; les instructions qui auraient
été données lors de ces réunions, lorsqu’elles ont été confirmées, n’ont
consisté en un encouragement et une reconnaissance que d’un
dirigeant politique faisant véritablement confiance aux compétences
militaires de son état-major, respectueux du professionnalisme et
conscient de la gravité des difficultés auxquelles il était confronté.
– Le « blocus » de l’hôtel du Golf
Il ne s’agit au regard de la Chambre, que d’un mécanisme visant plutôt à
empêcher des individus armés, en poste à l’hôtel de golf, de venir en ville et
d’attaquer les populations et la résidence présidentielle, et donc comme une
mesure de protection et de contrôle par opposition à une expression d’une
politique visant à attaquer ou à nuire autrement aux partisans d’Alassane
Ouattara ou autres civils.
Conclusion
Dans leurs avis, les juges de la majorité ont mis en exergue les
motivations profondes de leur décision d’acquittement total des deux
accusés. Elles sont basées autant sur des arguments techniques (absence ou
insuffisance de preuves) que sur le bon sens tiré d’un réalisme « choqué ».
Comment en effet, la Procureure pouvait-elle penser un seul instant, qu’elle
pouvait occulter une partie de la vérité à savoir la présence, les attaques, les
faits et méfaits du Commando invisible qui s’est finalement rendu maître
d’Abobo et faire croire au monde entier, y compris à des juges « libérés »,
que les FDS s’attaquaient à une population civile sans raison apparente et
crédible ! C’est ce stratagème simpliste qui a été éventé par deux juges
admirables.
Dans ces conditions, que dire de la décision prise par la Procureure
Bensouda, de finalement faire appel du jugement majoritaire rendu
oralement d’abord le 15 janvier 2019 et par la suite matérialisé par les avis
écrits du 16 septembre 2019 par les juges Cuno Tarfusser et Geoffrey
Henderson ? Un appel portant principalement sur la forme de la décision,
notamment sa conformité à l’article 74 du Statut et accessoirement sur la
norme de preuve utilisée, dans une démarche dont l’articulation feint
d’ignorer l’abondance et la pertinence des arguments qui ont motivé la
décision de la majorité, tant sur la disposition évoquée et son applicabilité
en matière de « No case to answer », que sur la faillite manifeste du
Procureur dans l’administration de la preuve de la responsabilité des deux
prévenus dans la commission des crimes allégués.
Appel de bonne foi ou acharnement judiciaire ? Ne s’agit-il pas
manifestement d’une « manœuvre de retardement » d’un dénouement
judiciaire inéluctable qui se soldera tôt ou tard par un acquittement
confirmant ce que disait en substance la juge belge Wyngaert dans son
opinion dissidente suite à la confirmation des charges : « il n’y a pas de
preuves dans cette affaire contre l’accusé
Laurent Gbagbo » (ICC-02/11-01/11 du 12 juin 2014). L’appel de
Bensouda se ramènerait alors à « un simple abus de droit ou de procédure »,
actionné pour des raisons politiques inavouables !
CHAPITRE 4

LA NON NEUTRALITÉ DE L’ONU ET DE LA FRANCE DONT LE


SEUL SOUCI ÉTAIT DE METTRE À L’ÉCART LE PRÉSIDENT
ÉLU LAURENT GBAGBO

Par
M. Bernard HOUDIN
Conseiller du Président Gbagbo

Le 15 janvier 2019, soit près de trois ans, jour pour jour, après l’ouverture
du procès le 28 janvier 2016, la Chambre de Première Instance de la Cour
pénale internationale a prononcé l’acquittement du Président Laurent
Gbagbo et du Ministre Charles Blé Goudé, en soulignant l’extrême vacuité
du dossier du Procureur dans cette affaire et ordonné leur libération
immédiate. Tako Kélé (un coup KO !) comme l’on dit à Abidjan.
Cependant, dans l’attente de la présentation par la Chambre du verdict écrit,
le Bureau du Procureur avait obtenu, au terme d’un débat « surréaliste » sur
les « circonstances exceptionnelles », le maintien des deux acquittés dans
une forme de semi-détention concrétisée par une assignation à résidence
particulièrement contraignante.
Le 16 juillet 2019, la Chambre a, enfin, remis son verdict écrit qui ouvre
le dernier chapitre du processus de libération finale du Président Laurent
Gbagbo et de son collaborateur Blé Goudé. Ce dernier chapitre dépend, en
théorie, de la volonté du Procureur de faire appel ou non du jugement. Sur
plus de mille pages, compte non tenu de l’opinion « dissidente » formulée
par la juge Carbuccia (dont les « arguments » sur près de trois cent pages
frisent l’irrationnel au sens le plus strict), le juge Président de la Chambre
de Première instance, Cuno Tarfusser, et le juge Geoffrey Henderson
développent de façon extrêmement détaillée et argumentée les raisons de
leur décision d’acquittement qui font de celle-ci un véritable réquisitoire
contre le Procureur et ses méthodes.
Nous avons toujours dit que le dossier contre le Président Gbagbo avait
été monté des toutes pièces à l’époque de la crise postélectorale en Côte
d’Ivoire en 2010/2011 (et, peut-être, bien avant quand on se souvient des
déclarations de Blaise Compaoré, alors président du Burkina-Faso, dès
2003 : « Gbagbo finira à la Cpi ! »).
Pour qu’il en soit ainsi il a fallu que la « communauté internationale »,
dans ce cas d’espèce la France sous couvert de sa position à l’ONU,
« construise » le cas Gbagbo à la fois sur les plans juridique, politique et
médiatique.
Soyons clairs : la Cpi, conceptuellement, n’est pas une mauvaise chose en
soi. Tout dépend des conditions dans lesquelles elle est sollicitée. Dans sa
procédure statutaire, particulièrement spécifique et parfois déroutante par
rapport au droit français par exemple, elle comporte une première phase,
celle de la Chambre Préliminaire, qui doit confirmer, ou infirmer, les
charges retenues par le bureau du Procureur dans ses enquêtes contre une
personne susceptible d’avoir commis des actes répréhensibles selon les
critères édictés par le Statut de Rome, acte fondateur de la Cpi. En clair, des
crimes contre l’Humanité et leur cortège d’infractions pénales. Le but final :
mettre fin sur la planète Terre à tous les abus de dictateurs sanguinaires.
« Vaste programme » aurait commenté le Général De Gaulle…
Le 9 avril 2013, dans l’attente de la décision de la Chambre Préliminaire
au terme de débats qui avaient, déjà, montré la faiblesse insigne du dossier,
j’avais rédigé une tribune où je disais ceci :
« Nous sommes à quelques semaines de la décision de la Cpi :
confirmation ou infirmation de charges contre Laurent Gbagbo.
Confirmer les charges aura deux conséquences : l’une, immédiate, de
déclarer la mort « clinique » de la Cpi en concrétisant une injustice qui
finira de discréditer un organisme déjà passablement décrié. L’autre, à plus
long terme, de déstabiliser durablement la Côte d’Ivoire en maintenant
enfermée la seule voix capable d’être écoutée quand il faudra
nécessairement, un jour, « s’asseoir et discuter ». À cet égard, les juges de
la Chambre Préliminaire de la Cpi porteraient devant l’Histoire la
responsabilité d’un chaos éventuel dans le pays.
Infirmer les charges c’est, d’abord, dire le droit et, ensuite, réparer une
faute. À aucun moment, au cours des débats du 19 au 28 février dernier, le
bureau du Procureur a pu apporter le commencement d’une preuve dans
ses accusations, pire il s’est enfermé dans des raisonnements spécieux et
falsifiés parfois (la vidéo kényane…) Ne pas reconnaître la culpabilité du
Président Laurent Gbagbo donnerait à la Cpi une sorte « d’acte de
baptême » qui lui offrirait la crédibilité qu’elle n’a pas su acquérir depuis
sa création ».
Le 3 juin 2013, dans le cadre d’un « ajournement » exorbitant de la
procédure habituelle, la Chambre préliminaire donnait, du bout des lèvres,
une deuxième chance au bureau du Procureur pour présenter un dossier
susceptible d’être validé par la Chambre.
On sait aujourd’hui, grâce aux « fuites » révélant des échanges de mails
entre le premier Procureur de la Cpi, Luis Moreno-Ocampo, et son ancienne
assistante, Béatrice le Fraper du Hellen, devenue diplomate en poste à la
mission française aux Nations-Unies, en charge du pôle Droits de l’Homme
et Conseillère Juridique de la mission, que Gbagbo devait être relâché au
terme de la phase préliminaire (« will be released on May 28 » dans le texte
original du mail adressé par la Française à son ancien patron).
Or, cette même diplomate a été, de 2006 à juin 2010, Conseillère Spéciale
du Procureur de la Cpi et Directrice de la coopération, chargée, entre autres,
de l’arrestation des personnes poursuivies. Le Procureur Ocampo bénéficie
ainsi, du côté français, d’un relais qui fut pendant plusieurs années, son
assistante à la Cpi.
On connaît la suite. Il y a eu une visite éclair de Laurent Fabius, Ministre
des Affaires Étrangères français à l’époque, à La Haye et le 3 juin
« tombait » la décision d’ajournement. Finalement, le 12 juin 2014, la
Chambre Préliminaire renvoyait Laurent Gbagbo devant la Chambre de
Première Instance. Cette décision était accompagnée d’une opinion
dissidente de la juge belge, Christiane Van den Wyngaert, qui, en onze
pages, faisait litière de cette décision de renvoi. En voici les extraits les plus
percutants qui, on va le voir, sonnent de façon prémonitoire sur l’issue du
procès :
– Sur la valeur des témoignages : « Bien que la Chambre ait demandé la
présentation d’informations quantitativement et qualitativement supérieures
sur le nombre des victimes qu’auraient fait les éléments allégués, il n’a pas
été remédié au problème qui avait été mis en lumière, à savoir le recours à
des ouï-dire anonymes. »
– Sur le niveau de preuves : « Des charges ne devraient être confirmées
que si les éléments de preuve ont une chance réelle de fonder une
déclaration de culpabilité au-delà de tout doute raisonnable […]. S’il est
clair que, même en accordant aux éléments de preuve disponibles une
valeur maximale, on doute encore sérieusement qu’ils suffiront à fonder une
déclaration de culpabilité, il ne sert à rien de confirmer les charges. »
– Sur le « Plan commun » : « Je ne suis pas convaincue que Laurent
Gbagbo et son entourage immédiat aient délibérément entrepris de
préparer mentalement et matériellement leurs partisans à commettre des
crimes contre des civils. Par exemple, je ne suis pas d’accord avec mes
collègues lorsqu’ils interprètent le discours prononcé par Laurent Gbagbo
à Divo le 27 août 2010 comme indiquant à ses partisans qu’il leur serait
permis de commettre en toute impunité des crimes contre des civils pro-
Ouattara. »
– Sur le fondement de son opinion : « Je souhaite dire clairement que, si
je ne suis pas convaincue que les éléments de preuve figurant au dossier
suffisent à renvoyer Laurent Gbagbo en jugement pour les charges portées
en vertu des alinéas a), b), et d) de l’article 25-3, je ne nie pas que des
crimes horribles ont été commis contre des civils par des forces loyales à
Laurent Gbagbo. Toutefois, en tant que juge de la Chambre préliminaire de
la Cour, il est de mon devoir d’apprécier si les accusations formulées par le
Procureur contre Laurent Gbagbo, telles que présentées dans le document
amendé de notification des charges, sont suffisamment solides pour justifier
un renvoi en jugement. Après mûre réflexion, j’estime qu’elles ne le sont
pas, à tout le moins en ce qui concerne les charges portées en vertu des
alinéas a), b) et d), de l’article 25- 3. ».
Le juge-président Cuno Tarfusser fera une allusion sans équivoque dans
son verdict écrit sur les conditions qui ont entouré cette décision,
principalement concernant le sort du juge allemand Hans Peter Kaul…,
comme le rapporte le Ministre Justin Koné Katinan dans sa contribution1 au
présent ouvrage.
Car, maintenant que le verdict écrit est public, il révèle l’immense vide de
l’argumentaire du bureau du Procureur, dans des termes qui indexent sans
détour la méthodologie employée. Comme le rappelle le Juge-président (§
69 de son opinion) où, en discutant sur la recevabilité des preuves, il cite
son collègue Henderson qui dit que « s’il avait systématiquement évalué la
crédibilité et la fiabilité des preuves testimoniales du Procureur, il y aurait
encore moins de raisons de poursuivre la procédure dans cette affaire ».
Quand on connaît l’histoire de la Côte d’Ivoire dans les années qui ont
précédé les évènements de 2010 /2011, le dossier contre Laurent Gbagbo
prend un tout autre visage. Le Juge Henderson le souligne très vite au début
de sa très volumineuse opinion, qu’il justifie ainsi au § 3 de son texte :
« Les parties, les victimes, le grand public et d’autres parties concernées
ont le droit de savoir non seulement ce que nous pensons des preuves-à
savoir qu’elles sont insuffisantes-mais aussi pourquoi nous le pensons ».
Et, au paragraphe 66, le Juge Henderson recadre l’arrière-plan historique
de la crise ivoirienne qui a engendré ce dossier à la Cpi. Soulignant que la
Procureure, tout en reconnaissant les évènements historiques qui ont
conduit à la crise, ne semble pas disposée à y attacher « une quelconque
importance », il a rétabli la réalité qui « a évidemment des conséquences
importantes sur la position de M. Gbagbo en tant que Président élu de la
Côte d’Ivoire. M. Gbagbo n’a jamais été un président « normal » dans
« une situation normale ». Presque dès le début sa présidence a été
ébranlée et à partir de 2002, il n’a jamais été en mesure d’exercer son rôle
constitutionnel de manière régulière (…) En effet, à cause de la rébellion,
M. Gbagbo a perdu le contrôle de la moitié du pays et une partie
importante des forces armées de l’État a fait défection-avec leur (sic)
équipement-et s’est engagée à le renverser. Cela a dû inévitablement
éclairer un certain nombre de choix et de décisions qu’il a pris au cours de
la crise postélectorale ».
Cette précision – ô combien importante – du juge est l’écho de la
première déclaration du Président Gbagbo lors de la séance inaugurale
devant la Chambre Préliminaire de la Cpi le 28 février 2013 :
« Madame la Procureure a dit une phrase qui m’a un peu choqué, en
disant que nous ne sommes pas là pour voir qui a gagné les élections et qui
ne les a pas gagnées2. Mais on ne peut pas débattre de la crise
postélectorale et ne pas savoir comment les élections se sont passées.
Qui a gagné les élections ? Parce que c’est celui qui ne les a pas gagnées
qui a semé les troubles. Je crois que c’est ça la logique. La question est là :
qui a gagné les élections ? J’ai demandé que l’on recompte, ce n’était pas
une phrase en l’air. On nous a attaqué en 2002 (…) Je n’ai jamais cru que
la Côte d’Ivoire allait s’en sortir par la guerre. J’ai toujours cru à la
discussion. Nous avons tout fait pour que la discussion avance (…) Nos
États sont fragiles et chaque fois qu’un chef d’État occidental me disait
« faites la démocratie », je lui disais que nous avions besoin de la
démocratie pas parce que vous le dites, mais parce que nous-mêmes nous
en avons effectivement besoin pour construire nos États (…)
La démocratie c’est le respect des textes, à commencer par la plus
grande des normes en Droit qui est la Constitution. Qui ne respecte pas la
Constitution n’est pas démocrate (…) C’est parce que j’ai respecté la
Constitution que l’on veut me mener ici (…) Le salut pour les États en
Afrique c’est le respect des Constitutions que nous nous donnons et des lois
qui en découlent ».
Continuant sur sa lancée, au paragraphe 68, Henderson enfonce le clou :
« Le Procureur ne s’engage pas vraiment non plus dans la conduite du
contingent de l’ONUCI à Abidjan et s’interroge sur le rôle et l’influence
des forces françaises. Bien que formellement neutres, elles n’ont
certainement pas été perçues de cette manière par M. Gbagbo et son
régime ».
Et, au paragraphe § 70, Henderson conclut : « Quoi qu’il en soit, aucun
récit ne saurait refléter la réalité sans reconnaitre que le régime de M.
Gbagbo était confronté à tout moment à une menace existentielle ».
Le choix du « bon camp » avait été avoué, sans vergogne, dès le 12 avril
2011, soit au lendemain de l’arrestation du Président Gbagbo, par François
Fillon, Premier Ministre en exercice, qui avait déclaré à l’Assemblée
Nationale française, « qu’il était fier que l’armée française ai participé au
rétablissement de la démocratie en Côte d’Ivoire… ».
On connaît l’adage : « le mensonge prend l’ascenseur, la vérité prend
l’escalier mais, à la fin, c’est elle qui s’impose ». Le transfert, dans
l’illégalité déjà au regard des règles du Statut de Rome lui-même, car la
Côte d’Ivoire n’étant pas, en 2011, État-partie à ce Statut, aucun de ses
citoyens ne pouvait y être déféré, et ces longues années de procédures (près
de cinquante mois entre l’arrivée du Président Gbagbo à La Haye et le
début du procès) et d’audiences (près de trois ans), n’avaient donc qu’un
but : faire « disparaitre » Laurent Gbagbo du paysage politique ivoirien (et,
accessoirement, africain).
La collusion entre la Cpi et les autorités a été révélée, on l’a vu, au grand
jour par les « fuites » de documents sur la boîte email du Procureur Luis
Moreno-Ocampo.
Leur lecture est édifiante et sonne comme un coup tonnerre dans un ciel
bleu. Un email accablant sur la collusion, sinon la complicité malsaine entre
le bureau du Procureur et la diplomatie française, résume à lui tout seul
cette « porosité ».
Émis par Stéphane Gompertz, le Directeur Afrique du Quai d’Orsay (qui
rencontrera plus tard Ocampo quelques jours avant le transfert de Laurent
Gbagbo à La Haye), à dix-huit collègues et collaborateurs, le mail dit ceci :
« Un collaborateur d’Ocampo (E Rogier) vient de m’appeler. Le
procureur souhaite :
1/que Ouattara ne relâche pas Gb (sic)
2/ qu’un État de la région renvoie l’affaire à la Cpi au plus vite
Ocampo va essayer de joindre Ouattara ou un de ses proches.
Si nous sommes interrogés sur les poursuites, je pense que nous devons
avant tout renvoyer aux autorités légitimes (sic) de la Côte d’Ivoire ».
Au-delà de la teneur ahurissante du document, dont l’authenticité m’a été
confirmée par un des destinataires, d’autres éléments du mail interrogent :
– l’objet, peu en rapport avec le texte : URGENT À aucun moment les
forces françaises n’ont pénétré dans la résidence Gbagbo état-major
(sic)
– l’heure et le jour d’émission : lundi 11 avril 2011, 10.40.
Le jour d’abord. C’est bien le jour de l’arrestation de Laurent Gbagbo.
L’heure, ensuite : 10 h 40, soit, en Côte d’ivoire 8 h 40 (décalage en heure
d’été). Ce jour-là, les témoignages des personnes arrêtées à la Résidence en
même temps que le Président concordent, l’assaut final a eu lieu après 11
heures, soit 13 heures à Paris. C’est d’ailleurs peu après cette heure que j’ai
commencé à être sollicité par les médias français. À 15 h 10, je suis ainsi en
direct au téléphone avec la rédaction de BFMTV qui cherche à confirmer
l’arrestation du Président Gbagbo. Dans le même temps passe en
incrustation sur l’écran une Alerte info : « L. Gbagbo aurait été arrêté
par les forces spéciales françaises et remis aux forces de la rébellion
(Reuters) ». Et, présent au 43ème BIMA, le correspondant de BFMTV,
Alexandre Paré, n’a toujours pas, à cette heure-là, la certitude de
l’arrestation de Gbagbo.
Cela veut dire que ce mail, dans lequel Ocampo demande que « Ouattara
ne relâche pas Gb » (Gbagbo-NdA) est émis alors que le Président n’a pas
été arrêté.
L’objet, enfin. Il « officialise » l’intervention militaire française. Un des
destinataires qui m’a confirmé le document a, également, précisé que ce
jour-là, ils avaient été « inondés » de mails. Cela veut, sans doute, dire que
dans la précipitation les différents intervenants se sont envoyé des mails à
partir d’un premier, sans prendre garde à l’objet, ce qui fait, qu’à un certain
moment, le texte et l’objet n’ont plus eu, nécessairement, de rapport direct.
Or, si Gbagbo n’a été arrêté que vers 11 h TU (Temps Universel), pourquoi
les Français s’inquiètent-ils d’avoir à justifier, dès avant 8 h 40, du rôle
exact des militaires français ?
L’explication semble simple et se résumer ainsi : on a vu que presque
tous les journalistes occidentaux étaient restés confinés au camp de Port-
Bouët où stationnait la Force Licorne. Voyant s’ébranler la colonne
d’engins blindés du 12ème Cuirassier, ces journalistes ont dû envoyer
immédiatement à leurs rédactions des informations affirmant l’arrestation
prochaine de Gbagbo par les Français, ce qui a pu provoquer cette réaction
de déni de l’État-major à Paris. Les juges n’auront donc pas tort de
souligner vers où penchait la balance des « forces impartiales ».
La demande d’Ocampo prouve également que la Cpi n’avait pas été
officiellement saisie d’une enquête en Côte d’Ivoire et que la requête du
Procureur est totalement illégale car dénuée de tout fondement, aucune
enquête n’ayant pu être diligentée à ce stade. Ce que le juge-président
Tarfusser confirmera dans le verdict écrit (§ 116).
Le point 2 révèle la problématique des voies possibles pour l’envoi futur,
mais déjà programmé de Gbagbo à la Cpi. En dehors de la ratification du
Statut, mais qui n’est pas « rétroactive », et de l’intervention du Conseil de
Sécurité de l’ONU qui, on le verra, est dans l’impasse, c’est la troisième
possibilité statutaire qu’Ocampo tente d’utiliser : la saisine par un État
voisin du pays visé au prétexte, par exemple, que ses propres nationaux y
auraient été maltraités. Ocampo pense sûrement très fort au Burkina-Faso et
à Blaise Compaoré qui, on le rappelle, avait dit, très tôt dans la crise
ivoirienne que « Gbagbo finirait à la Cpi »…
La « consanguinité » s’exprime sans fard dans un mail que Béatrice Le
Frape du Hellen adresse au Procureur le 7 mars 2011 et dans lequel elle se
comporte plus comme une collaboratrice qu’une diplomate extérieure à la
Cour.
L’objet du mail est en lui-même révélateur, « Compte rendu démarche »,
et commence ainsi :
« En l’absence de La Haye du Procureur, j’ai effectué ce jour la
démarche prescrite par le TD en référence auprès du chef de la Section de
l’analyse des situations au sein du Bureau du Procureur, notre compatriote
Émeric Rogier » (celui qui va appeler Stephane Gompertz, le 11 avril).
Suivent des éléments d’analyses qu’elle a retenus. Ils portent,
essentiellement, sur comment accéder à « la demande française d’une
expression publique du Procureur face aux crimes commis la semaine
dernière en Côte d’Ivoire » et de la difficulté apparente pour la Cpi et pour
le Bureau du Procureur à « confirmer les faits ». Mais, c’est surtout le point
4 du courriel qui est prémonitoire de la forfaiture juridique qui se prépare :
« Le statut de la Côte d’Ivoire, non-partie au Statut de Rome, ajoute une
difficulté. Les dispositions de l’article 12 § 3 précisent que les déclarations
d’acceptation de la compétence de la Cpi (du type (sic) de celles de Gbagbo
en 2003 et du président Ouattara en décembre dernier, visent à consentir
que la Cour exerce sa compétence. Les lettres d’acceptation envoyées par
la Côte d’Ivoire à la Cour n’équivalent donc pas à une saisine directe de la
Cour. Il est question d’une saisine proprio motu du Procureur (article 15)
qui appelle une plus grande retenue que s’il était mandaté par le Conseil de
Sécurité des Nations-Unies ».
Un mois plus tard, le 6 avril, quelques jours avant le dénouement violent
de la crise postélectorale, un mail expédié par le Chef de la Mission
française à l’ONU, l’Ambassadeur Gérard Araud reflète crûment ce
problème :
« La saisine de la Cpi se heurte aux résistances les plus vives non
seulement de la part des membres du CSNU3 qui ne sont pas partie au
Statut de Rome – en particulier l’Indien, hystérique sur le sujet – mais de
tous ceux qui ne veulent pas que ce recours rende difficiles d’éventuels
accords pour mettre un terme aux combats ».
Au-delà de l’ « amabilité » proférée par l’ambassadeur à l’encontre de
son collègue indien, qui appréciera, le texte montre que même la
« communauté internationale » cherche toujours, à cette époque, une
solution négociée que Nicolas Sarkozy va « enterrer » le vendredi 8, lors
d’un « conseil de guerre » qui va déboucher sur l’assaut du 11 avril 2011.
En réponse, le même jour, Béatrice le Fraper du Hellen, s’adressant à ses
collègues du Quai d’Orsay, insiste sur une piste à trouver :
« Et la piste d’un renvoi de la situation CDI (Côte d’Ivoire) à la Cpi par
le Sénégal, Burkina-Faso, Nigeria/CEDEAO ou, au moins, la menace d’un
renvoi ? Ce sont tous des États parties à la Cpi et à ce titre ils peuvent
saisir la Cpi individuellement ou ensemble pour qu’elle se mette en action
immédiatement. Je crois comprendre que le Bureau du Procureur en
discutait encore aujourd’hui avec Blaise Compaoré. Mais c’est une chose
d’en parler… Just a thought ».
La piste Compaoré se révèle bien la voie privilégiée par le Procureur !
Le lendemain, 7 avril, le Directeur Afrique du Quai d’Orsay, répond :
« Quand je l’ai vu il y a un mois, le proc (sic) m’a dit que la meilleure
solution serait effectivement une saisine par un État d’Afrique
Occidentale ».
Tous ces mails ne font que confirmer, de façon éclatante, toutes les
intuitions de préméditation sur le sort que les dirigeants français et le
Procureur de la Cpi voulaient, sans coup férir, faire subir au Président
Laurent Gbagbo, en violant, en conscience, les propres textes de loi qu’ils
avaient préalablement approuvés.
La conclusion de cette séquence marquée par la volonté de voir Gbagbo à
La Haye se trouve dans un autre mail de Béatrice Le Fraper du Hellen à
Luis Moreno-Ocampo en date du 27 mai 2011. Il est rédigé à l’occasion du
Sommet du G8 qui se tient à Deauville. Il se rapporte à un entretien entre le
Ministre des Affaires étrangères français, Alain Juppé, et le Secrétaire
Général des Nations-Unies (SGNU), Ban Ki-Moon. À propos de la Côte
d’Ivoire, elle écrit :
« Le SGNU a remercié le Président de la République (Sarkozy, NdA) et
le Ministre d’État (Juppé, NdA) de leur leadership dans la gestion de la
crise (…) M. Ouattara avait demandé conseil au SGNU sur le traitement à
réserver (sic) à Gbagbo. Le SGNU et le Ministre d’État sont convenus que
le transfert à La Haye offrait les meilleures garanties de sécurité ».
On apprend ainsi que Ouattara est « aux ordres » des responsables du
dossier que sont la France et l’ONU qui, dans un grand accès d’humanisme
hypocrite, préconisent le transfert à la Cpi qui « offrait les meilleures
garanties de sécurité ». Mais pas d’interrogation sur la faisabilité juridique
de ce transfert.
De plus, sans doute en signe de reconnaissance pour bons et loyaux
services, la rédactrice du mail précise, à l’attention d’Ocampo que « le
Ministre d’État s’est entretenu avec Ban Ki-Moon le 26 mai en marge du
G8 de Deauville. Il lui a réitéré l’expression de notre soutien à sa
candidature à un deuxième mandat ».
Les dirigeants au pouvoir en France à cette époque ont orchestré
totalement le dossier du Président Gbagbo à la Cpi. L’image « parlante » du
Ministre français de la justice, Michel Mercier, conduisant par la main son
collègue ivoirien dans les couloirs de la Cpi, en prélude au transfert du
Président Gbagbo, en est la face la plus triviale.
Mais ne nous trompons pas. Même si la faiblesse exceptionnelle de
l’accusation a fini par être reconnue par la Chambre de Première Instance, il
aura fallu que le Président Gbagbo passe près de huit ans au pénitencier de
Scheveningen pour que la vérité arrive à bon port. Grâce à deux juges qui
ont su dire le droit et réhabiliter par la même occasion une Cpi au bord du
gouffre.
Le dernier problème est celui du choix de la Procureure : appel ou non ?
En son âme et conscience, au terme de la lecture du verdict écrit, son
véritable choix serait plutôt celui de préserver le (peu) d’honneur qui lui
reste. Non seulement renoncer à un appel, qui aurait d’ailleurs du mal à
prospérer devant la Chambre d’Appel, mais s’interroger sur son maintien à
un poste où son incompétence, et celle de toute son équipe, a entamé pour
longtemps la crédibilité du bureau du Procureur.
D’ailleurs dans un document publié le 17 juillet, soit au lendemain de la
publication du verdict écrit, intitulé « Plan stratégique 2019-2021 » elle
confesse : « malgré un certain nombre de succès obtenus à l’audience par
le Bureau entre 2016 et 2019 (…) celui-ci a essuyé d’importants revers (…
l’affaire Gbagbo et Blé Goudé) ». Elle ajoute, pour tenter de se dédouaner,
que « ces résultats insatisfaisants sont la conséquence d’un ensemble de
facteurs et notamment des effets résiduels de la stratégie du Bureau
antérieur à 2012… » Ocampo appréciera.
Elle précise, plus loin, que « tous ce succès ont été en partie occultés par
les revers essuyés par le Bureau dans les affaires Ruto et Sang et Gbagbo
et Blé Goudé, qui se sont achevés à l’issue de la présentation des moyens à
charge. »
Lundi 16 septembre la Procureure a choisi la voie insensée de
l’entêtement aveugle en faisant finalement appel. Le motif initial de sa
décision est « surréaliste » : la Chambre a rendu un jugement qui est une
« erreur en droit » pour avoir, le 15 janvier dernier, prononcé « oralement »
l’énoncé du verdict ! Puérilité quasi indécente après tant d’années de
procédure. D’ailleurs comme l’a noté la correspondante du journal Le
Monde à La Haye, dans un article le 17 septembre, « … ce rebondissement
a suscité des divergences à la Cpi et, cette fois, au SEIN même du bureau
du Procureur, rapportent plusieurs sources, certaines estimant préférable
de refermer le dossier ».
On comprend mieux les hésitations au sein du bureau du Procureur quand
on relit la décision écrite des juges publiée le 16 juillet dernier.
A titre d’illustration, je ne citerai que cet extrait de l’Opinion du juge-
président Cuno Tarfusser (§4) :
« Il existe des problèmes généralisés qui affectent un nombre
considérable de documents et rendent leur authenticité douteuse, ce qui
rend probablement juste de dire qu’une majorité de pièces documentaires
soumises par le Procureur dans cette affaire ne satisferait même pas le
critère de recevabilité le plus rudimentaire dans de nombreux systèmes
nationaux … »
Et, il ajoute au §6 :
« Le niveau de déconnexion globale, pour reprendre une expression des
motifs, entre le récit du Procureur et les faits tels qu’ils ressortent
progressivement des éléments de preuve, n’a cessé de croître » !
Cet appel n’a aucune chance de prospérer. S’il est destiné à reculer
l’échéance de l’élargissement complet du Président Gbagbo et du Ministre
Charles Blé Goudé, ce n’est qu’une énième manœuvre puérile qui va, pour
longtemps, entacher la crédibilité du bureau du Procureur de la Cpi, le mot
est faible, mais n’empêchera pas, dans un délai désormais proche, le retour
en Côte d’Ivoire du Président et de son Ministre.
Il reste, désormais aux Ivoiriens de se retrouver et de tourner une page
douloureuse de leur histoire où d’autres auront essayé de leur dicter leur
avenir au mépris des règles élémentaires du Droit international.
1. Justin Katinan Koné : L’acquittement : la grande victoire politique de Laurent Gbagbo, dans le
présent ouvrage.
2. L’élection présidentielle de 2010 en Côte d’Ivoire.
3. Conseil de Sécurité des Nations-Unies
CHAPITRE 5

LES TÉMOINS ET LES EXPERTS


DU PROCUREUR À L’ÉPREUVE DES FAITS

Par
Pr. Félix TANO
Agrégé des Facultés de Droit
Université de Bouaké

Le 15 janvier 2019, la Chambre de première instance 1 de la Cour pénale


internationale (Cpi) a rendu une décision orale par laquelle elle a acquitté
Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé de toutes les charges de crimes
contre l’humanité qui auraient été commis en Côte d’Ivoire en 2010 et
2011. Le 16 juillet 2019, elle a présenté l’exposé détaillé des motifs de sa
décision.
Pour aboutir à cette conclusion, la chambre a estimé que les éléments de
preuve, soumis par le procureur, étaient abondants certes, mais pas
suffisants pour établir l’existence d’un plan ou d’une politique visant à
attaquer la population civile pro-Ouattara de la part des accusés et de leurs
plus proches partisans.
Dans un souci de clarté, la chambre a d’ailleurs expliqué comment elle a
abordé la preuve. Conformément au souhait du Procureur, elle a procédé à
une évaluation globale des éléments de preuve présentés. Puis, elle s’est
livrée à un examen minutieux et une analyse rigoureuse des éléments de
preuve individuels. À la fin de cet exercice, elle a constaté que les preuves
du procureur comportaient des faiblesses intrinsèques (1), insusceptibles de
soutenir les allégations du Procureur (2).
1. Les preuves du procureur comportent des faiblesses intrinsèques
Ces faiblesses ont été observées par les juges dans les témoignages, les
ouï-dire et les corroborations.
1.1. Les témoignages
La Chambre a reçu les dépositions de 96 témoins. 57 d’entre eux ont
témoigné en personne devant la Chambre, 25 ne l’ont fait qu’en partie et 14
ne l’ont pas fait du tout. Cette variété de témoignages a des implications sur
leur évaluation et, par conséquent, sur la solidité de la cause défendue par le
Procureur.
Au sujet des témoignages enregistrés antérieurement, les juges font un
constat préoccupant : « Bien que les témoins aient été systématiquement
invités à confirmer leur déposition au début, à plusieurs reprises, ils ont
changé leur déposition de manière plus ou moins significative lorsqu’ils ont
été interrogés par la Défense ». Ce constat a donc conduit les juges à
n’admettre aucune présomption de fiabilité et de crédibilité des
témoignages enregistrés antérieurement.
De plus, à l’occasion de l’examen des témoignages enregistrés
antérieurement, la Chambre a tenu compte d’un certain nombre d’éléments :
Des questions critiques qui auraient pu jeter un éclairage différent sur le
témoignage ont-elles été posées ? L’examinateur a-t-il examiné le
témoignage du témoin et l’intérêt de celui-ci dans l’affaire ? S’est-il assuré
que le témoin a fourni tous les renseignements pertinents et pas seulement
les faits qui auraient pu étayer l’argumentation de la partie qui a procédé
audit examen ?
Plus encore, la Chambre a fait deux autres observations : les dépositions
de cette catégorie de témoins n’ont pas été mises à l’épreuve par
l’interrogatoire de la partie non appelante, qui n’a donc pas eu l’occasion de
voir comment le témoin aurait pu réagir. Il a été refusé à la Chambre la
possibilité d’évaluer le comportement de cette catégorie de témoins.
Par ailleurs, et de façon plus générale, la chambre n’a pas cru nécessaire
d’évaluer systématiquement la crédibilité et la fiabilité des preuves
testimoniales du Procureur, Car, si elle l’avait fait, il y aurait eu encore
moins de base pour poursuivre la procédure dans cette affaire. Elle n’a
exclu aucun élément de preuve, concédant d’ailleurs que, sur ce point, elle a
été très indulgente.
1.2. Les ouï-dire
Le procureur a présenté une quantité extraordinaire de preuves reposant
sur des ouï-dire. Or, l’approche, adoptée par le Procureur dans l’utilisation
de cette catégorie de preuves, soulève de sérieuses questions d’ordre
méthodologique. En effet, pour que « la preuve par ouï-dire » puisse avoir
une valeur probante, il faut certaines conditions, notamment que la
Chambre reçoive des informations adéquates concernant la fiabilité et la
crédibilité de la source originale et des renseignements fiables sur la façon
dont la source de l’information en est venue à la connaître.
Malheureusement, ces informations font souvent défaut en ce qui
concerne les éléments de preuve présentés par le Procureur. Par conséquent,
lorsque la preuve relative à une allégation particulière est fondée
principalement sur des ouï-dire anonymes ou des ouï-dire sans information
adéquate sur la fiabilité et la crédibilité de la source, la Chambre a dû
conclure qu’une telle proposition n’est pas appuyée.
1.3. La corroboration
« La corroboration ou la preuve corroborative est une preuve qui tend à
confirmer la véracité ou l’exactitude de certains autres éléments de preuve
en les étayant d’une manière matérielle particulière ». Pour que la preuve
corroborative puisse être prise en compte, elle doit remplir deux
conditions : les différents éléments de preuve sont indépendants les uns des
autres et chacun d’entre eux a une valeur probante intrinsèque en soi.
L’analyse montre que, concernant cette catégorie de preuves, des
faiblesses existent. La conséquence est que, lorsque, sur la base de ouï-dire
anonymes, deux éléments de preuve affirment le même fait, la force
probante combinée reste négligeable, même s’il y a des motifs de croire que
les sources anonymes respectives sont indépendantes les unes des autres.
Des éléments de preuve présentant autant de déficiences, ne pouvaient donc
étayer valablement les assertions du procureur.
2. Les preuves du procureur ne peuvent soutenir ses allégations
Les insuffisances des preuves du procureur apparaissent clairement dans
le contexte des quatre évènements majeurs qui ont servi de prétexte aux
accusations du procureur.
2.1. L’interdiction de la marche RTI du 16 décembre 2010
Le 16 décembre 2010, le RHDP a programmé une marche sur la RTI qui
a fait l’objet d’une interdiction par le gouvernement. Le Procureur soutient
qu’en interdisant la marche, il était prévisible que cela conduirait à des actes
de violence contre des civils. Il ajoute qu’à cet effet, M. Laurent Gbagbo a
rencontré le haut commandement des
FDS et d’autres membres du “cercle restreint” pour orchestrer la
répression de la manifestation que le RHDP organisait pour installer un
nouveau directeur général de la RTI. Il cite à ce propos une réunion de M.
Gbagbo avec des membres de son “cercle restreint” et une autre avec des
hauts commandants des FDS uniquement, à l’état-major.
Mais les témoignages ne confirment pas les déclarations du procureur. Le
général Philippe Mangou a déclaré qu’à la réunion convoquée par le
Président Gbagbo, les instructions données ont été d’interdire la marche. Le
général Guiai Bi Poin a témoigné qu’un jour ou deux avant la marche, le
haut commandement des FDS a tenu une réunion à l’état-major pour
organiser l’opération de sécurité. L’objectif de la réunion à l’état-major était
de permettre à l’Inspecteur général de la police de présenter le plan et
d’informer le chef de cabinet des ressources nécessaires à sa mise en œuvre.
La chambre fait le constat que M. Gbagbo n’était pas présent à l’état-
major et les éléments de preuve ne suggèrent pas que les commandants
aient reçu des ordres ou des instructions de sa part avant la réunion. Par
conséquent, la seule “réunion de coordination” pertinente pour cette
discussion est celle qui aurait été convoquée par M. Gbagbo à la résidence
présidentielle. La chambre considère que le témoignage du général Mangou
ne peut être considéré comme une preuve, que M. Gbagbo a exercé une
influence sur les arrangements opérationnels des FDS dans la répression de
la marche. Et rien n’indique qu’à la rencontre de M. Gbagbo avec le “cercle
restreint”, il ait été question de recourir à la violence contre les civils pour
préparer la marche.
Le Procureur revient à la charge en établissant un lien entre la marche de
la RTI et les événements qui se sont déroulés au cours des années
précédentes (2000 et 2004). Selon le Procureur, si l’instruction de M.
Gbagbo d’interdire la marche sur la RTI en 2010 n’était pas de nature
criminelle, il savait que sa mise en œuvre entraînerait la commission de
crimes, étant donné que “l’application d’instructions similaires lors des
manifestations de décembre 2000 et mars 2004 avait entraîné un nombre
élevé de victimes”.
Pour évaluer la théorie du Procureur à cet égard, la chambre a cherché à
vérifier si les éléments de preuve mentionnés par le Procureur permettent de
prouver que M. Laurent Gbagbo savait ou non que son instruction
d’interdire la marche RTI entraînerait des crimes.
En ce qui concerne l’incident présumé de 2000, le seul élément de preuve
que le Procureur a présenté en relation avec cet incident est un rapport de
Human Rights Watch. Les juges estiment que ce rapport constitue un ouï-
dire anonyme. Il est donc difficile d’attribuer une grande valeur probante à
ce rapport.
En ce qui concerne l’incident de 2004, le Procureur s’est appuyé sur un
rapport de la Commission d’enquête de l’ONU qui constitue un ouï-dire
anonyme.
Les témoignages ont concerné les dépositions des témoins P-0184, P-
0172 et P-0048. Il faut signaler que P- 0184 et P-0172 faisaient partie des
manifestants du RDR lorsque les événements liés à la marche de 2004 ont
eu lieu. Et les informations fournies par le témoin P-0048 sont basées sur
des rapports qu’il a reçus de militants du G-7, sur des ouï-dire anonymes. P-
0184 a admis ne pas avoir vu les hélicoptères tirer sur des civils, et on ne
sait pas si P-0172 en a été témoin personnellement. Il y a donc peu
d’informations et presque aucune preuve directe de l’action du FDS
pendant la prétendue répression de la marche de 2004.
De plus, dans leurs témoignages, les témoins n’ont pas fourni de preuves
concluantes en ce qui concerne les auteurs des crimes présumés commis
contre des manifestants en 2004. P-0172 a témoigné qu’il avait été battu par
des “personnes en tenue fatiguée”. Le témoin P- 0184 a témoigné que des
éléments du FDS ont tiré sur des manifestants se rassemblant dans les rues
et se sont ensuite rendus à l’hôpital pour tirer en l’air et chercher des
blessés. Le témoin ne se souvient pas de ce que portaient les individus qui
ont tiré sur les manifestants dans la rue et il n’indique pas clairement
comment elle a identifié ces individus comme étant des officiels du FDS.
En ce qui concerne les personnes qui ont tiré à l’hôpital, P-0184 a témoigné
qu’elle savait qu’elles étaient des FDS parce qu’elle avait vu leurs bottes et
entendu ce qu’elles disaient.
Quant aux instructions prétendument données par le président Gbagbo à
cette occasion, le procureur a présenté le décret no 2004-236 du 22 mars
2004, par lequel il a réquisitionné l’armée jusqu’au 15 avril 2004. Le
document fait référence à un décret antérieur n° 2004-210, prétendument
publié le 11 mars 2004, interdisant toute marche et manifestation sur la voie
publique et dans les espaces publics.
Sur la base de ces éléments de preuve, les juges ont estimé qu’il est
possible de conclure que M. Gbagbo avait, au moment pertinent en 2004,
interdit toutes les manifestations publiques, y compris la marche du G-7
prévue le 25 mars 2004. Toutefois, il n’est pas possible d’établir sur la base
des preuves que les crimes présumés contre les manifestants politiques en
2004 étaient liés aux instructions données par M. Gbagbo. En conséquence,
il ne peut être conclu que M. Gbagbo avait ordonné la répression violente
de la manifestation de mars 2004, ni que son interdiction visait à signaler “à
ses commandants de déployer des unités armées contre des manifestants
opposés à sa politique”.
2.2. La marche des femmes du 3 mars 2011
Le Procureur affirme que le 3 mars 2011, un convoi des FDS a tiré
intentionnellement sur des manifestantes pacifiques anti-Gbagbo et qu’il l’a
fait pour des motifs politiques, nationaux, ethniques ou religieux. Sept
femmes auraient été tuées et six autres grièvement blessées. Les juges se
sont préoccupés de savoir qui a tiré les coups de feu qui ont tué et blessé les
victimes et pourquoi elles ont ouvert le feu.
En l’absence de preuve directe pour déterminer le ou les auteurs des
coups de feu qui ont touché les victimes, la chambre a fait appel aux
experts. L’analyse des séquences vidéo de l’incident par des experts a
permis d’identifier 27 coups de feu tirés en moins de 90 secondes. Dix de
ces tirs proviendraient d’une ou de plusieurs armes de gros calibre, les 17
tirs restants d’une arme de calibre différent ou plus léger. De ces 27 tirs,
seuls les trois premiers peuvent “probablement” être attribués à l’une des
deux mitrailleuses montées sur la tourelle du BTR 80 qui est visible dans la
vidéo. Après les premières prises de vue, la panique s’installe et l’image de
la caméra oscille violemment. Il est donc impossible d’établir la source des
bruits ou des explosions suivants.
Les juges ont, d’emblée, noté les limites de cette vidéo, qui ne montre
qu’un aspect très limité de l’incident dans son ensemble (une seule et même
séquence d’événements sans interruption) et dont les images sont de
mauvaise qualité. En dépit de cette fiabilité douteuse, ils ont pu faire un
certain nombre d’observations : Il n’est pas possible de savoir qui est
responsable de leurs morts et blessures ; aucun des rapports d’autopsie
soumis par le Procureur n’indique le calibre des balles qui ont causé les
décès ; il n’y a aucune preuve de lien entre les coups de feu et les morts et
les blessures des victimes.
La chambre de première instance n’a donc pas pu conclure que l’une
quelconque de ces femmes avait été tuée ou blessée par des coups de feu
directs tirés par le convoi des FDS.
Pour savoir pourquoi le convoi a ouvert le feu afin de déterminer le
mobile du crime, P-0607 est le seul témoin ayant des informations de
première main sur ce point. Selon son témoignage, le but des rafales
initiales était de disperser la foule, qui bloquait la route, afin de permettre
au convoi de passer. Il semble que, très rapidement par la suite, le convoi a
été attaqué et que deux soldats à l’intérieur du BTR 80 ont ouvert le feu
avec leurs fusils d’assaut en réponse. D’après ces éléments de preuve, il ne
semble pas que les hommes du BTR 80 aient délibérément pris pour cible
les manifestantes parce qu’elles étaient des partisanes de M. Ouattara.
Cependant, le Procureur, qui a appelé ce témoin, a jeté le doute sur son
témoignage. Tout d’abord, il a invité les juges à croire P-0607 lorsqu’il
s’agit de l’allégation selon laquelle le BTR 80 a ouvert le feu en premier,
mais à ne pas croire le témoin quant à l’affirmation selon laquelle le canon
de 14,5 mm était vissé en l’air ou que des agresseurs se trouvaient parmi la
foule.
Ensuite, le Procureur a produit d’autres témoignages qui contredisent le
témoignage de P-0607. Ainsi, P-0184 a témoigné que les manifestants ont
applaudi lorsqu’ils ont vu le convoi approcher, parce que le “char” avait un
drapeau blanc sur lui et que le convoi a ouvert le feu après son passage. P-
0580, qui aurait été personnellement témoin des événements du 3 mars
2011, a déclaré qu’il n’a pas vu le convoi tirer, qu’il n’a entendu que des
coups de feu, que la fusillade a duré 1 à 2 minutes, et que les corps des
victimes étaient relativement proches les uns des autres.
En tout état de cause, les juges ont trouvé certains témoignages peu
fiables. Ils ont estimé que P-0184 était un témoin peu fiable, dans la mesure
où elle a témoigné qu’elle ne savait pas “d’où venait le (coup de) feu”,
qu’elle était le dos tourné vers le convoi qui approchait, qu’elle est tombée
deux fois et a perdu connaissance “quelques secondes ou quelques
minutes”. Ils ont aussi estimé que le témoignage de P-0114 n’est pas très
instructif, dans la mesure où il a déclaré qu’il avait beaucoup oublié les
événements du 3 mars 2011 et qu’il a refusé de répondre à des questions.
Les témoignages ne pouvant être très utiles, la Chambre a dû recourir à
l’analyse de la vidéo par des experts, qui ont révélé que les trois premiers
coups de feu (calibre 3x3 lourd et 1x2 léger) sont tirés dans un délai de 7
secondes. Ensuite, il y a une pause d’environ 40 secondes avant le début de
la prochaine série de coups de feu.
Cependant, font remarquer les juges, à ce moment-là, « le convoi semble
avoir déjà dépassé l’endroit où les manifestants étaient rassemblés et
traverse … une intersection en grande partie déserte. Il … n’y a pas de
coups de feu lorsque le convoi traverse l’endroit où les manifestants
semblent avoir été concentrés ». De plus, ajoutent-ils, si les soldats du
convoi avaient vraiment eu l’intention d’attaquer les manifestantes, il est
difficile de comprendre pourquoi ils ont tenu le feu alors qu’ils étaient le
plus près des personnes qu’ils étaient censés viser ».
La chambre de première instance 1 n’a donc pas pu conclure que le
convoi avait ouvert le feu dans le but de tuer ou de blesser des
manifestantes pro-Ouattara non armées.
2.3. Le bombardement du marché d’Abobo
Selon les allégations du Procureur, le 17 mars 2011, en plein jour, les
membres d’un peloton de la BASA du Commando du camp d’Abobo ont
exécuté des ordres et lancé des mortiers de 120 mm sur plusieurs sites dont
le marché Siaka Koné, le village SOS, etc., tuant ainsi au moins 31 civils et
blessant au moins 36 autres. (…) Les FDS ont pris pour cible ces civils pour
des raisons politiques, nationales, ethniques ou religieuses.
Malgré les difficultés à comprendre pleinement ce qui s’est passé
exactement en ce qui concerne le lieu, le moment et le nombre d’explosions
qui ont eu lieu à cette date, sur la base des comptes rendus et des
témoignages, la chambre de première instance a supposé qu’au 17 mars
2011, il y a eu au moins quatre explosions, voire davantage, à au moins
deux endroits différents à Abobo. Elle a, en conséquence, cherché à
éclaircir les questions suivantes : qui a causé les explosions
susmentionnées, par quels moyens, qui est responsable des explosions et
quelle est la motivation derrière tout cela ? À cette fin, elle a fait intervenir
des experts et écouté plusieurs témoignages.
L’expert en question est un ancien officier technique britannique chargé
des munitions et membre de l’Institute of Explosive Engineers. Il a admis
que les dommages avaient probablement été causés par des obus de mortier
lourds de 120 mm, mais qu’il était possible que d’autres types de munitions
ou d’engins explosifs improvisés aient pu le faire.
Quant aux témoignages, même si certains concordent et se corroborent, il
est important de noter que, dans la majorité des cas, ils se contredisent,
apportent de la confusion, sont imprécis, constituent parfois des ouï dire.
Surtout, ces témoignages manquent de cohérence quand ils sont confrontés
à d’autres éléments de preuve (rapport quotidien de l’ONU, conclusions
d’une procédure pénale en Côte d’Ivoire, etc.). D’ailleurs, comme le notent
les juges, parfois, « le scénario (décrit par le témoin) s’écarte
considérablement des allégations du procureur ».
Sur la base de ces divers éléments de preuve, les juges ont conclu que la
présence de mortiers de 120 mm au Camp Commando au 17 mars 2011
n’est pas établie de façon non équivoque, qu’il est impossible d’attribuer la
responsabilité de cet incident et que rien n’indique que les obus ont été tirés
dans le but d’attaquer des civils considérés comme appartenant à
l’opposition politique.
Ayant constaté qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments du
Procureur concernant l’auteur présumé des charges, la chambre a tenu,
néanmoins, par excès de prudence, à faire quelques remarques sur l’autorité
qui aurait ordonné (autorisé) le tir des mortiers.
Selon le Procureur “l’ordonnance du 17 mars 2011 doit émaner de M.
Gbagbo lui-même”. Mais, reconnaissant qu’il n’existe aucune preuve
directe d’un tel ordre – “cette trace écrite aurait directement impliqué M.
Gbagbo et sa chaîne de commandement dans une conduite criminelle” – le
Procureur affirme que l’existence de l’ordre peut néanmoins être déduite de
“l’ensemble des circonstances” et renvoie spécifiquement aux quatre
éléments suivants : 1. M. Gbagbo a autorisé l’utilisation de mortiers de
120 mm à Abidjan pendant la crise ; 2. le Général Mangou a admis avoir
autorisé le tir de deux obus “à Abidjan” ; 3. Plusieurs témoins ont indiqué
que “l’ordre de tirer des mortiers de 120 mm depuis le camp Commando”
venait de la présidence ; 4. Le Général Mangou a exercé une pression sur P-
0164 pour tirer un mortier de 120 mm à une autre occasion.
Les deux premiers éléments ayant été abordés, les juges se sont focalisés
sur les troisième et quatrième points. A propos du point 3, les juges ont
estimé que, « bien qu’il soit vrai qu’un certain nombre de témoins des FDS
ont affirmé qu’on leur avait dit pendant leur formation que les ordres de tir
de mortiers de 120 mm et d’autres pièces d’artillerie lourde devaient venir
du Président, il est difficile d’accepter cela littéralement. En effet, il est
difficile de voir comment une force armée pourrait s’engager dans des
opérations militaires soutenues et complexes si, chaque fois qu’il était
nécessaire d’utiliser de l’artillerie lourde, il fallait d’abord obtenir
l’approbation préalable du chef de l’État ou du gouvernement. Il ne sert à
rien de spéculer sur ce qu’on a pu dire aux témoins. Il suffit de noter que la
Chambre n’a pas été saisie d’une preuve de l’existence d’une règle ou d’une
procédure en vigueur dans la FDS qui exigerait que le Président approuve,
personnellement, chaque cas d’utilisation de mortiers de 120 mm. Par
ailleurs, le Général Mangou a témoigné que, l’armée ayant été
réquisitionnée, il n’était pas nécessaire d’obtenir une autorisation spécifique
pour utiliser des mortiers de 120 mm ».
Concernant le point 4, le témoin P 0164 affirme que, le 5 mars 2011, le
major Niamké et le Général Mangou l’ont contraint à tirer des mortiers de
120 mm sur Abobo. Bien que P-0164 prétende que le Général Mangou a dit
au major Niamké de “tout faire pour persuader” P-0164 d’exécuter l’ordre,
il a également témoigné, au sujet d’une question concernant l’auteur de
l’ordre de tirer les obus de 120 mm, que le Général Mangou n’était “pas très
content”. Les juges ont interprété cette partie comme signifiant que le chef
d’état-major n’était pas satisfait de l’idée d’utiliser des mortiers de 120 mm
dans cette partie d’Abobo.
Les juges ont estimé que le témoignage de P-0164 n’était pas clair. Du
reste, il a rapporté des conversations téléphoniques avec les Généraux et
Mangou et Detoh Letho qu’ils ont nié catégoriquement. La véracité de ses
propos a été mise en doute par les juges. Et sans faire une évaluation
complète de sa crédibilité, ils n’ont pas accordé une valeur probante à son
témoignage.
En conséquence, la Chambre de première instance n’a pas jugé
raisonnable de se fonder sur ces éléments de preuve pour conclure que, si
des obus de mortier de 120 mm ont été tirés depuis le Camp Commando le
17 mars 2011, c’était en vertu d’un ordre donné par M. Gbagbo ou avec son
autorisation, directement ou indirectement.
2.4. Les massacres du 12 avril 2011 à Yopougon
Le 12 avril 2011 et les jours qui ont suivi, des massacres ont été perpétrés
à Yopougon, un quartier d’Abidjan. Il est bon de rappeler qu’à cette date,
M. Gbagbo était déjà détenu par les forces de l’opposition, après avoir
passé plusieurs jours en état de siège à la résidence présidentielle.
Selon le Procureur, le plan commun est resté en vigueur “même au-delà
de l’arrestation de M. Gbagbo, les forces pro-Gbagbo continuant à se battre
dans l’espoir de rétablir le pouvoir de M. Gbagbo”. De plus, le Procureur
soutient qu’avant son arrestation, en demandant à ses forces de poursuivre
le combat, M. Gbagbo “disposait de toutes les informations nécessaires
pour savoir qu’en demandant aux forces pro-Gbagbo de poursuivre le
combat, il commettrait d’autres crimes”.
Pour les juges, bien qu’il soit possible, en théorie, d’exercer un contrôle
sur la perpétration de crimes même après avoir perdu le pouvoir sur
l’organisation concernée, … il est difficile de voir comment M. Gbagbo
aurait pu exercer un quelconque contrôle sur les individus qui ont commis
les crimes allégués le 12 avril 2011. En effet, même si M. Gbagbo avait
expressément appelé ses forces à cesser les hostilités peu avant sa capture,
compte tenu des circonstances tout à fait chaotiques de l’époque, rien ne
permet de penser que les crimes en question n’auraient pas été commis ».
Les juges déclarent que « le Procureur n’est pas en mesure d’identifier le ou
les groupes qui ont commis les crimes présumés qui ont été commis à
Yopougon le 12 avril 2011. Il a seulement apporté un témoignage de P-
0441, qui a confirmé sa déclaration enregistrée antérieure dans laquelle il
affirmait avoir vu Maguy « le Tocard » et Agbolo, qui étaient accompagnés
de civils armés, de personnes en uniforme, de policiers et de vagabonds.
Les juges estiment en conséquence que la preuve de P-0441 à cet égard est
loin d’être claire. De plus, il n’y a aucune allégation selon laquelle Maguy
« le Tocard » ou Agbolo auraient été impliqués dans la commission de l’un
ou l’autre des crimes allégués ce jour-là.
De plus, estiment les juges, « Il ne faut pas oublier que les incidents du
12 avril 2011 se sont produits à un moment d’extrême agitation et de
changement rapide… tout indique que la situation était chaotique et rien
n’indique qu’il y ait eu un quelconque niveau de coordination ou même de
communication entre les membres du “cercle restreint” et les dirigeants des
groupes qui auraient commis les crimes ».
En conclusion, les rapports d’expertise ont permis d’avoir des éléments
d’ordre scientifique sur certains des événements. Ils n’ont pas toujours
soutenu les allégations du procureur. Il en est de même des témoignages
qui, pour l’essentiel ont été hostiles au procureur. Leur crédibilité a été
souvent remise en question. Il n’est donc pas étonnant que la chambre de
première instance 1 de la Cpi ait trouvé les preuves insuffisantes pour
condamner le président Gbagbo Laurent et le ministre Charles Blé Goudé.
CHAPITRE 6

LES JUGES DE LA CPI REJETTENT LES PREUVES DU


PROCUREUR ET QUALIFIENT LAURENT GBAGBO DE
PRÉSIDENT RESPONSABLE

Par
Mme Nicoletta FAGIOLO
Journaliste-Écrivain

Faiblesse exceptionnelle, authenticité douteuse et/ou contenant des


rumeurs anonymes importantes, fragile, caricaturale, unilatérale,
incohérente ou autrement inadéquate, sans valeur probante ; ce sont en ces
termes que les juges Cuno Tarfusser et Geoffrey Henderson de la Cour
pénale internationale basée à La Haye, ont écarté, à la majorité, à mi-
procès, les dépositions du Procureur de la Cpi dans l’affaire contre Laurent
Gbagbo, ancien Président de la Côte d’Ivoire, pays de l’Afrique de l’Ouest,
et de Charles Blé Goudé, activiste et ex Ministre de la jeunesse.
Le Procureur de la Cpi Fatou Bensouda, défiant toute logique, a décidé
qu’elle pourrait faire appel ; elle a jusqu’à la mi-septembre pour le faire.
Pour le juge Henderson, « il est incompatible avec la présomption
d’innocence de poursuivre le procès avec l’espoir que l’accusé fournirait le
seul élément de preuve susceptible de justifier une condamnation ».
Dans leurs décisions écrites du 16 juillet, les juges majoritaires ont
déclaré que les documents soumis par le Procureur dans cette affaire
« n’auraient pas passé le test de recevabilité le plus rudimentaire dans de
nombreux systèmes nationaux ».
Comment se fait-il que la Cpi ait accepté des éléments de preuves aussi
peu convaincantes ? L’une des raisons semble être l’absence de décision sur
la recevabilité des preuves présentées : dès février 2016, une semaine après
le début du procès commencé en janvier de cette année, le juge Henderson
avait, dans une opinion dissidente, mis en garde la Chambre de première
instance contre ce risque grave de porter atteinte à la fois à l’équité et à
l’efficacité de la procédure.
Cette absence de ce qui est considéré comme une pratique établie et non
controversée dans toutes les procédures pénales internationales a permis à
ce dossier d’être inondé de documents : au total 4 610 éléments de preuve
documentaires et autres éléments de preuve non oraux. Aucun filtre n’a
également été appliqué aux 96 témoins présentés, dont 39 n’ont pas
comparu devant le tribunal.
« Si nous avions pu simplement exclure tout ouï-dire anonyme, ce
brouillon aurait été plus court de plusieurs centaines de pages », écrit le
juge Henderson dans ses motifs présentés dans un document de 961 pages.
Fort de 34 années d’expérience judiciaire, dont dix en tant que juge à la
Cpi, le juge Tarfusser a souligné le défaut le plus grave du Procureur dans
cette affaire : « son refus d’adapter et de modifier progressivement son
récit, en faisant le point des choses dites ou révélées dans la salle
d’audience : au lieu de cela, ce récit est resté le même que dans les
premiers jours de la phase préliminaire du procès, et jusqu’à ce jour
même. »
Selon Tarfusser, au fur et à mesure du déroulement du procès, le rôle de
Gbagbo est passé radicalement du portrait fait par le Procureur d’un
dictateur criminel pervers au « Président qui se soucie de son peuple, qui
veut être informé et qui assume ses responsabilités plutôt que de conspirer
contre son peuple ». Comment deux portraits aussi contradictoires peuvent-
ils coexister ?
Laurent Gbagbo, historien, militant non violent et père de la démocratie
ivoirienne, s’est engagé dans un conflit qui a vu des victimes civiles
succomber, alors qu’il combattait une rébellion bien structurée, les Forces
nouvelles, qui attaquait son régime depuis 2001 et occupait le nord du pays,
le séparant en deux depuis 2002.
Le récit du Procureur, en omettant ou en minimisant systématiquement la
présence des Forces Nouvelles, ou d’autres acteurs politiques et militaires
importants, tels que l’ONU (des éléments de preuve révélés au procès
montrent que, dans certains cas, l’ONU a soutenu les rebelles) et la France
(des preuves au procès indiquaient que des chars de l’armée française
avaient tiré sur les FDS (l’armée nationale ivoirienne) n’expliquait pas les
schémas de la violence sur le terrain.
Le fait que la Procureur Bensouda ait choisi les preuves qui convenaient
à son récit remet en question la capacité de la Cpi à rendre justice, comme
indiqué par le juge Henderson en comparant l’exercice juridique à une
partie d’échecs dans laquelle on « est informé que des mouvements d’un
joueur ».
Les obligations statutaires de la Cpi appellent le Procureur à enquêter
également sur les circonstances atténuantes, qui semblaient trop souvent
absentes. Par exemple, la preuve vidéo n’incluait pas le projet de film
documentaire que j’ai produit « Simone et Laurent Gbagbo, le droit à la
différence », qui contient des douzaines de témoignages de première main
d’hommes politiques sur la période postélectorale de 2010, période visée
par le procès.
Les juges Henderson et Tarfusser, qui ont fourni une analyse détaillée des
preuves présentées, sont parvenus à la conclusion juridique qu’aucune
chambre raisonnable ne pouvait conclure qu’un des ministres mentionnés,
encore moins la Première Dame Simone Gbagbo, contre laquelle la Cpi n’a
pas encore abandonné ses charges bien qu’elle ait été acquittée dans son
procès en Côte d’Ivoire pour crimes contre l’humanité, partageaient
l’intention de commettre des crimes contre la population civile.
Les juges, à la majorité, ont constaté que des irrégularités de procédure,
ainsi que d’enquêtes de la part du bureau du Procureur, existaient déjà avant
l’ouverture de l’enquête de la Cpi en Côte d’Ivoire, ce qui soulève la
question du manquement à l’impartialité et d’abus de pouvoir.
Ceci est corroboré par les documents diplomatiques français divulgués en
2017 qui révélaient que le 11 avril 2011, cinq mois avant l’ouverture d’une
enquête de la Cpi et des heures avant l’arrestation de Gbagbo, le Procureur
de la Cpi de l’époque, Luis Moreno-Ocampo, avait requis que Laurent
Gbagbo soit gardé en prison jusqu’à ce qu’un pays envoie l’affaire devant la
Cpi. Vingt diplomates français de haut niveau étaient ainsi au courant de la
manœuvre politique en cours pour renverser Laurent Gbagbo.
Ne pas faire le bilan de ce qui est ressorti de l’exercice juridique semble
être également un problème majeur dans l’opinion dissidente de 300 pages
de la juge Herrera Carbuccia. Par exemple, elle mentionne l’utilisation par
Charles Blé Goudé de « discours de haine » sans citer une source ou un
extrait d’un discours de Blé Goudé pour soutenir ses déclarations. La seule
note de bas de page mentionnant des éléments de preuve cite un procès du
Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.
Cela est particulièrement troublant, car de nombreuses preuves vidéo ont
été montrées au procès qui indiquaient exactement le contraire, montrant
que le Ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé, rejetait explicitement la
violence, ce que les juges de la majorité ont souligné.
Le 15 janvier 2019, les juges à la majorité ont également ordonné la
libération immédiate des deux accusés, décision qui a été muée par la
Chambre d’appel le 1er février en une libération conditionnelle sous un
« régime très restrictif », régime que les juges de la majorité ont déclaré être
en conflit avec le respect de droits fondamentaux de l’homme.
« La sévérité injustifiée des conditions imposées à Laurent Gbagbo et à
Charles Blé Goudé ne semble pas tenir compte du statut d’acquitté des
deux personnes, et en particulier de leur acquittement à la suite d’une
procédure de renvoi à la mi-procès, et de la détermination implacable de la
majorité des juges de la Chambre de première instance sur la faiblesse
exceptionnelle de l’acte d’accusation », a déclaré Moussa Bienvenu Haba1,
candidat au Doctorat en Droit international de l’Université Laval.
Lors d’une réunion du Réseau africain sur la justice pénale internationale
à Dakar, le 31 juillet, Femi Falana, Avocate nigériane spécialisée dans la
défense des droits de l’homme, a qualifié cette affaire de poursuite
sélective, et maintenant de persécution sélective.
Paolo Sannella, ancien ambassadeur d’Italie en Côte d’Ivoire lors de
l’attaque des rebelles de 2002, se réjouit de l’acquittement, considéré
comme « un premier pas vers la réhabilitation de la Cpi » de ce qui a été
jusqu’ici « une justice de vainqueur à sens unique, un harcèlement
néocolonial ayant entaché le nom de la France et de ses alliés qui ont
entraîné de manière irresponsable la Côte d’Ivoire dans la tragédie d’une
guerre. »
Ne pas reconnaître « l’ampleur des divergences entre les faits allégués à
l’origine par le Procureur et ces faits tels que révélés dans la salle
d’audience » semble également constituer une préoccupation majeure en
dehors de la salle d’audience : depuis janvier 2019, les experts en droit
pénal international, les journalistes et les ONG ont soit gardé le silence sur
cette affaire, soit souvent réprimandé la Cpi pour n’avoir pas été en mesure
de rendre la justice en condamnant un inculpé de grande notoriété tel qu’un
ancien Président.

1. Chapitre 10 du présent ouvrage.


CHAPITRE 7

L’ACQUITTEMENT, LA GRANDE VICTOIRE POLITIQUE DE


LAURENT GBAGBO

Par
M. Justin Katinan KONÉ
Ancien Ministre
Porte-parole du Président Laurent Gbagbo

Plus que les images douloureuses qui ont circulé sur tous les médias du
monde tout juste après sa violente arrestation du 11 avril 2011, les chefs
d’accusations allégués par le Procureur contre lui constituaient la plus
grosse blessure morale portée au Président Laurent Gbagbo. En effet, finir
sa carrière politique d’environ la moitié d’un siècle par une image de lui qui
tranche totalement avec les valeurs qui ont justifié et orienté toute son
action politique était une charge très lourde pour l’homme.
La simple suspicion qu’il ait pu se comporter suivant des contre-valeurs
politiques qu’il a combattues toute sa vie était déjà, en elle-même, une
profonde blessure à sa conscience politique. Présenté Laurent Gbagbo
comme celui qui voulait se maintenir indéfiniment au pouvoir blesse
Laurent Gbagbo qui a lutté pour qu’il soit inscrit la limitation du nombre de
mandats à deux dans la constitution élaborée pendant la junte militaire. Dire
que Laurent Gbagbo a tué des civils qui manifestaient pacifiquement coupe
le souffle à Laurent Gbagbo qui a séjourné plusieurs fois dans les prisons de
son pays et connu l’exil à cause de son engagement politique pour les
libertés de ses concitoyens. C’est en cela que son procès devant la Cpi
présente des enjeux énormes pour lui. Devant cette Cour, beaucoup plus que
sa vie, se joue son honneur.
Or, tout le monde le sait, en matière politique Laurent Gbagbo a placé son
honneur au-dessus de sa vie. La narration que le Bureau du Procureur a
faite de la crise ivoirienne est offensante pour les deux accusés. À l’inverse,
le verdict de la chambre qui connait de cette affaire restitue Laurent Gbagbo
tel qu’il est. Cette décision unit définitivement Laurent Gbagbo des médias,
méchamment conditionnés, à Laurent Gbagbo que les Ivoiriens connaissent
et aiment. Si le verdict d’acquittement prononcé le 15 janvier restore le
Président Laurent Gbagbo du point de vue pénal, les motivations écrites des
magistrats qui ont prononcé l’acquittement rétablissent son honneur et sa
grandeur politique. Il se dégage desdites motivations écrites que :
– La crise de 2011 est le prolongement du coup d’État de 2002 suivi de la
rébellion ;
– Le pouvoir de Laurent Gbagbo a été déstabilisé depuis ses origines par
une coalition internationale ;
– Malgré cela, le Président Laurent Gbagbo n’a jamais créé ou
implémentée une politique visant à exclure une partie des populations
vivant en Côte d’Ivoire à l’effet de se maintenir au pouvoir par tous les
moyens.
I. La crise de 2011 est l’épilogue du coup d’État et de la rébellion de
2002
Dans ses soumissions, rappelées par les juges aux points 52 à 60, le
bureau du procureur s’est attelé à présenter une lecture conforme à sa
perception manichéenne de la crise ivoirienne (point 12 des motivations
additionnelles du juge Tarfusser). Dans cette narration, que les juges
trouvent partiale (point 65 al. 4), le Procureur fait fi de l’impact du coup
d’Etat manqué suivi de la rébellion de 2002. Pour les juges, ces
évènements, qui se sont déroulés en amont du mandat du Président Laurent
Gbagbo, ont dû inévitablement éclairé nombre de décisions qu’il a prises
pendant la crise électorale (point 66 in fine). Les juges établissent donc un
lien étroit entre la rébellion de 2002 et la crise post-électorale de 2011.
La crise ivoirienne n’est donc pas née de la volonté du Président Laurent
Gbagbo de demeurer au pouvoir par tous les moyens comme le prétend le
Procureur (point 52), qui a repris en cela les termes de la communauté dite
internationale qui s’était liguée contre lui dès l’entame de son mandat. Les
juges vont plus loin pour désigner, en filigrane, les autorités actuelles
ivoiriennes d’avoir été dans une logique guerrière contre Laurent Gbagbo.
C’est ce qui peut aisément inférer au point 76 de leurs délibérations
lorsqu’ils écrivent « la crise post-électorale n’est pas une histoire simple au
sujet d’un dirigeant qui ne pouvait accepter qu’il soit arrivé au bout de la
ligne et ne voulait pas céder le pouvoir à son successeur naturel. Il s’agit
de deux adversaires qui tenaient à se dépasser depuis des années et qui ont
fini par résoudre leur différend en détruisant l’autre militairement ». Quand
l’on ajoute à cela, le fait que les propres témoins du procureur ont relevé
dans leurs dépositions que les Forces de défenses et de sécurité de l’Etat
(FDS) étaient en position défensive (point 1224 al.10), l’auteur de
l’agression militaire est tout naturellement désigné.
Dans leurs délibérations écrites, les juges n’ont pas renié la qualité de
Président de la République à Laurent Gbagbo. Le procureur ayant éludé la
question de savoir qui a gagné les élections de 2010 les juges n’ont pas
voulu le faire à sa place. Ils ont même suivi le procureur sur cette question.
De cette esquisse du procureur, les juges tirent la conclusion que Laurent
Gbagbo était en droit de se reconnaître comme Président de la république et
d’agir en conséquence. Aussi écrivent-ils au point 301 « même si le
procureur a raison de dire que, sur le plan juridique, la question de savoir
qui a remporté les élections n’ont aucune incidence sur l’issue de cette
affaire, ce qui importe est de savoir comment Laurent Gbagbo perçoit le
processus électoral et s’il croit réellement ou nom avoir remporté la
Présidence ». Cela est d’autant plus juste que le procureur a failli à établir
le fait que le Président Laurent Gbagbo ne voulait pas céder le pouvoir
(point 1901). La seule certitude, selon les juges qui découle des écritures du
procureur, est que « Laurent Gbagbo n’était pas prêt à céder le pouvoir à
son principal rival politique, Ouattara, après que les résultats du second
tour de l’élection présidentielle n’aient pas été déclarés selon la procédure
habituelle ». Y-a-t-il meilleure preuve qui établit la légalité du pouvoir
Président Laurent Gbagbo que la reconnaissance, par les juges, de
l’irrégularité de proclamation de Ouattara comme Président ?
L’irrégularité se distingue ici par l’expression inhabituelle, car une
procédure juridique normale dans un pays ne peut être inhabituelle. Tout ce
qui est inhabituel par rapport à la loi est par essence irrégulier. Convaincu
d’être le Président de la République conformément à la Constitution de son
pays, il était en droit de défendre son pouvoir car, comme l’écrivent les
juges au point 168, chercher à rester au pouvoir pour un homme politique
n’est pas en soit criminel. La mauvaise foi des adversaires de Laurent
Gbagbo ne peut non plus criminaliser son refus de leur céder le pouvoir.
C’est à juste raison que les juges ont refusé de suivre le procureur dans sa
conclusion selon laquelle le Président Laurent Gbagbo devait être
culpabilisé parce qu’il savait que « malgré des appels répétés au dialogue
et des demandes de recomptage des voix, M. Gbagbo devait savoir qu’il y
avait une réelle possibilité que le conflit tourne à la violence. »
Au total, en guise de conclusion sur ce point, les juges reconnaissent que
la crise de 2011 est le prolongement normal de la tentative de coup d’État
suivie de la rébellion de 2002 et que, contrairement à ce qui a été répandu
pour ternir son image, le Président Laurent Gbagbo avait en face de lui un
adversaire qui voulait utiliser tous les moyens y compris la violence pour
accéder au pouvoir. C’est pourquoi, ce dernier a rejeté toutes les formes de
résolution pacifique de la crise que le Président Laurent Gbagbo lui
proposait. Convaincu d’être le Président légal et légitime, il était en droit de
défendre son pouvoir et les institutions de l’État qui le représentent, même
si, selon les juges il n’avait pas de chance parce que « les preuves du
Procureur, montrent des efforts, souvent désespérés, pour mettre sur pied
une force qui pourrait au moins prétendre être capable de résister à une
confrontation armée avec les forces de Ouattara qui auraient agi en tandem
avec les forces françaises » (point 1902). Par ces écrits, les juges mettent la
lumière sur une réalité de la situation politique à savoir que Laurent Gbagbo
a été déstabilisé par une coalition internationale.
II. Une coalition internationale contre Laurent Gbagbo depuis le
début de son pouvoir
Tous les négateurs des évidences trouveront de quoi remettre en cause
leur incrédulité après lecture de la décision des juges quant au fait établi
qu’une coalition internationale s’était liguée contre le Président l’entame de
son mandat. Cette information, longtemps battue en brèche par ceux qui
n’avaient pas intérêt à ce qu’elle soit connue du grand public, a été mise au
grand jour par les juges de la Cpi. Ainsi, ils écrivent au point 66 de leur
décision que « la tentative de coup d’État de 2002 et la guerre ont pour
conséquence importante de faire que Laurent Gbagbo n’a jamais été un
Président de la République normal dans une situation normale ». Puis, un
peu plus loin, ils enchainent en affirmant que « dès le début, sa présidence a
été ébranlée et à partir de 2002, il n’a jamais été en mesure d’exercer son
rôle constitutionnel de manière régulière ».
Comment cette évidence a pu échapper au Procureur dans sa narration de
la crise ivoirienne. Cela est d’autant plus invraisemblable que le patron du
parquet de la Cpi est une Africaine dont le pays d’origine est à quelques
encablures de la Côte d’Ivoire. Cette réalité, que le Procureur a voulu
cacher, a rendu suspectes ses poursuites aux yeux de la majorité de la
population ivoirienne et d’une partie importante de l’opinion africaine qui
reste informée de la situation ivoirienne. Ce faisant, le procès de la Cpi a
exacerbé la cassure sociale et rendu plus compliquée la réconciliation. C’est
en cela que la décision de l’acquittement des deux accusés a apporté une
grosse lueur d’espoir qu’il serait dangereux d’estomper par un éloignement
du Président Laurent Gbagbo. Toute décision d’éloignement de ce dernier
de son pays sera perçue, comme c’est le cas avec les restrictions portées à
sa liberté, comme une manœuvre politique. La Cpi compléterait ainsi, dans
l’esprit des Ivoiriens, la liste des comploteurs internationaux que le
jugement d’acquittement a révélés. En effet, les juges de la Chambre de
Première instance ont compris que « bien que formellement neutres,
l’ONUCI et les forces militaires n’ont certainement pas été perçues de cette
manière par Gbagbo et son régime. Il se peut fort bien que cette perception
ait été erronée ou fallacieuse. Toutefois, il serait tout aussi incorrect et
fallacieux de prétendre que la présence et le rôle de l’ONUCI et des forces
militaires françaises n’ont rien à voir avec la façon dont M. Gbagbo et ses
partisans voient la situation » (point 68).
Cette perception des choses était si forte qu’il ressort des preuves que le
Président Laurent Gbagbo et son régime étaient plus préoccupés par
l’influence et le rôle du gouvernement et des militaires dans leur agression
contre eux que les citoyens ordinaires ivoiriens pro-Ouattara (point 185).
En d’autres termes, l’ONU, qui a créé la Cpi et le gouvernement français,
les deux donneurs d’ordre à leurs troupes étrangères présentes en Côte
d’Ivoire, se sont constitués en belligérants contre le Président Laurent
Gbagbo et son régime. Cette belligérance est allée jusqu’à précipiter le
bureau du Procureur de la Cpi, dirigé alors par Luis Moreno-Ocampo, dans
la compromission flagrante avec le gouvernement français, qui a abouti au
transfert, dans la plus grande illégalité, du Président Laurent Gbagbo à la
Cpi, comme révélé par certains médias en 2017. Même les enquêtes
diligentées contre le Président Laurent Gbagbo ont commencé dans
l’illégalité absolue. Ce fait n’a pas d’ailleurs échappé aux critiques du juge
Tarfusser dans ses motivations additionnelles. Aussi relève-t-il, dans sa
conclusion au point 116, que « je conclurai par une note sur le calendrier
anticipé de cette affaire : le 7 octobre 2011, quatre jours après que la
Chambre Préliminaire 1 eut rendu une décision autorisant l’enquête, le
personnel du bureau menait déjà des entretiens à Abidjan ; les actes
d’enquête, y compris les premiers contacts avec des témoins clés, étaient
antérieurs à l’autorisation. Les circonstances entourant la procédure de
confirmation des charges et les changements dans la majorité qui
détermineraient que l’affaire passe au procès, en dépit d’une forte
dissidence (et, a posteriori, prophétique), étaient aussi, à mon avis,
inhabituelles ». Il faudra comprendre dans le dernier alinéa de ce point que
le Juge Tarfusser fait allusion à la mort de l’honorable juge allemand Hans
Peter Kaul dont le changement d’opinion a permis l’envoi en procès du
Président Laurent Gbagbo après une première tentative infructueuse du
Procureur. Ce juge avait voté en 2013 contre la confirmation de charges et,
en 2014, il était réputé avoir voté pour. Malheureusement, il meurt un mois
après la délibération qui lui a été attribuée pour cause de longue maladie.
L’on s’était demandé si vraiment ce juge était en mesure de délibérer en
toute connaissance de cause en raison de son état de santé, ou sa prétendue
délibération lui avait été attribuée. Apparemment le juge Tarfusser a aussi
les mêmes interrogations.
Les juges établissent ainsi que le gouvernement français d’alors avait pris
la tête de la coalition internationale qui tenait à renverser le Président
Laurent Gbagbo. Dès lors, ce dernier était en position de défendre son
régime dont la survie était perçue par nombres d’Ivoiriens (ses nombreux
partisans) « comme condition préalable à l’émancipation continue de la
Côte d’Ivoire de l’influence économique et politique de l’ancienne
puissance coloniale » (point 69). Pour les juges, le Président Laurent
Gbagbo n’est pas le bourreau que l’on a dépeint dans les médias, mais bien
la victime d’une coalition menée par la France. Cette coalition était
devenue, au fil de temps, son principal adversaire. Laurent Gbagbo s’est
battu de 2002 à 2011 pour sauver l’État. C’est là une œuvre colossale quand
l’on voit la puissance des acteurs qui s’étaient coalisés contre lui. Cette
coalition a utilisé d’énormes moyens médiatiques et diplomatiques pour
noircir l’image de Laurent Gbagbo afin de dénigrer son combat pour
l’émancipation de son peuple, combat présentée comme une œuvre d’un
nationaliste sans cœur qui s’en prend à une partie de ses propres
compatriotes pour se maintenir au pouvoir. C’est pourquoi, il est heureux
que les juges de la Cpi aient reconnu que le Président Laurent Gbagbo n’est
pas l’auteur du concept d’ivoirité.
III. Le Président Laurent Gbagbo n’a jamais initié ni implémenté
une politique de ségrégation ethnique ou nationale
Le Président Laurent Gbagbo a passé tout le temps de son pouvoir à se
défendre contre une certaine restitution caricaturale de sa personnalité par
sa coalition d’ennemis. Les médias conditionnés l’ont présenté comme un
vulgaire dictateur qui aurait institué le quatrième Reich en Afrique par une
politique de préférence ethnique et nationale entre les populations
ivoiriennes. L’énorme quantité d’énergie dépensée pour contrer cette
campagne médisante a été vaine. Pour reprendre l’expression de ses
ennemis, ils avaient passé la savonnette afin de rendre la pente à la fois
abrupte et glissante de sorte qu’il était impossible au Président Laurent
Gbagbo de la surmonter. La Procureure de la Cpi n’a pas voulu se donner
une peine inutile pour chercher ce que les médias, opposés au Président
Laurent Gbagbo, lui offraient. Elle s’est contentée de la présentation prima
facie méchamment falsifiée pour construire sa narration de la crise
ivoirienne. Quelle a pu être sa peine d’entendre le bureau du Procureur lui
attribuer toutes les contrevaleurs qu’il a combattues toute sa vie. Sa
douloureuse patience vient d’être récompensée par les juges de la Cpi. Il
n’y a pas meilleure restitution de la vérité que ces mots des juges de la Cpi
repris par la journaliste Italienne Nicoletta Fagiolo1 qui écrit que selon le
juge Tarfusser, « au fur et à mesure du déroulement du procès, le rôle de
Gbagbo est passé radicalement du portrait fait par le procureur d’un
dictateur criminel pervers au « Président qui se soucie de son peuple, qui
veut être informé et qui assume ses responsabilités plutôt que de conspirer
contre son peuple ». Suivant la même trajectoire, le juge Tarfusser trouve
incompatible la description du méchant homme politique et certains
discours publics du Président Laurent Gbagbo. En effet, il écrit au
paragraphe 54 de ses motivations additionnelles que « Laurent Gbagbo a
prononcé des discours dans lesquels il a plaidé en faveur d’une médiation
de l’UA, saluant l’idée du comité chargé de l’examen de la situation afin
d’analyser objectivement les faits et le processus électoral pour un
règlement pacifique de la crise ». Plus loin, au paragraphe 55, il ajoute
« Gbagbo a invité toutes les personnes qui se trouvaient au Golf à regagner
leurs domiciles. Personne ne les a contraints à rester à l’hôtel, personne ne
les empêchera d’en sortir. Elles sont libres de leur mouvement ». De ce qui
précède, la journaliste Fagiolo, dans son article visé plus haut, ne peut
manquer de s’interroger : « Comment deux portraits aussi contradictoires
peuvent-ils coexister ? ». En effet quiconque, animé de la plus petite dose
de bonne foi, le connaissant, ne peut attribuer une image de dictateur
criminel au Président Laurent Gbagbo. La tentative de justification de la
rébellion de 2002 et de sa suite par une certaine politique d’ivoirité qui
aurait été implémentée et entretenue par le Président Laurent Gbagbo s’est
écroulée à la Cpi. Les juges ont rejeté les arguments du Procureur selon
lesquels la politique d’ivoirité serait l’illustration du plan commun. À ce
propos, l’opinion des juges telle qu’exprimée au point 185 de leurs
motivations écrites est sans équivoque. Pour eux en effet « le concept
d’ivoirité est antérieur au plan commun. Aucune preuve n’existe que le
Président Laurent Gbagbo est à l’origine du concept d’ivoirité ». Le
procureur, qui dénie la réalité politique qui prévalait en 2011, a tenté de
faire croire que ce concept a été utilisé par Laurent Gbagbo pour stigmatiser
une partie de la population ivoirienne catégorisée comme pro-Ouattara et
qu’il fallait éliminer. Aux dires du Procureur, le quartier d’Abobo aura été,
en autres, le théâtre d’implémentation de cette politique de stigmatisation
sur fond religieux, ethnique et de préférence nationale. Les juges, se
fondant sur les propres preuves du Procureur, arrivent à une conclusion qui
restitue la vérité politique de 2011. Les juges ont découvert qu’il n’y avait
pas exclusivement en Côte d’Ivoire des pro-Gbagbo et des pro-Ouattara. Il
y avait aussi des pro-Bédié, ce dernier ayant recueilli plus du quart des voix
du scrutin présidentiel de 2010. Mieux, selon les juges, ils ont découvert au
cours du procès que la présentation manichéenne de la situation politique
ivoirienne faite par le Procureur, qui rattache à Ouattara les populations
musulmanes du Nord et les populations chrétiennes du Sud à Gbagbo, est
totalement fausse. Ils ont ainsi relevé deux situations importantes dont
l’évidence est niée par le Procureur. D’une part, le Nord n’est pas habité
exclusivement par des musulmans tout comme le Sud n’est pas habité
exclusivement par les chrétiens. La proximité entre ces deux communautés
est si forte qu’il est fréquent que leurs différents membres cohabitent dans
des cours dites communes. Il est donc faux d’attribuer à l’une et à l’autre
une aire d’habitation exclusive. D’autre part, l’on rencontre des pro-Gbagbo
musulmans tout comme il existe des pro-Ouattara chrétiens. Soro
Guillaume, le maître d’œuvre de la rébellion et des opérations militaires de
2011 en est la parfaite illustration.
Un autre argument politique qui donne du poids à l’opinion des juges est
le résultat du scrutin de 2011 à Abobo.
Premier tour
– Suffrages exprimés 299.256
– Laurent Gbagbo : 106.364 voix soit 35,54 %
– Alassane Ouattara : 134.511 voix soit 44,95 %
Deuxième tour
– Suffrage exprimé : 290.997
– Laurent Gbagbo : 119.978 soit 41,23 %
– Ouattara Alassane : 171.019 soit 58,77 %
Ces résultats démontrent aisément qu’Abobo ne peut être considéré
comme une zone exclusivement Pro-Ouattara sur laquelle l’on peut larguer
des bombes dans l’espoir de ne tuer que ceux-ci.
En conclusion, la situation politique en Côte d’Ivoire dans le premier
trimestre de 2011 était le prolongement de celle qui a prévalu dans le pays
depuis le coup d’État de 1999. Un homme, Ouattara Alassane, l’actuel Chef
de l’État, avait décidé de devenir, à n’importe quel prix, Président de la
République de Côte d’Ivoire. Il n’était pas loin du coup d’État de 1999. En
2002, une rébellion se réclamant de lui a ouvertement pris forme après
l’échec d’une autre tentative de renversement du Président Laurent Gbagbo
fraîchement élu. En 2011, cet homme a refusé toutes les règles de jeu
démocratiques pour résoudre un simple conflit électoral comme il en existe
dans de nombreux pays. Fort du soutien de certains réseaux d’intérêts qui
ne supportaient pas la politique d’émancipation menée par Laurent Gbagbo,
il a mené une guerre contre les forces régulières à l’effet de prendre le
pouvoir d’État. Dans cette conquête du pouvoir, Ouattara Alassane a été
appuyé par les forces militaires de l’ONUCI et les forces militaires
françaises pourtant réputées neutres dans le conflit. C’est ce que les juges
de la Cpi ont bien compris lorsqu’ils écrivent au point 70 de leurs
motivations que « aucun récit ne saurait refléter la réalité sans reconnaître
que le régime de Gbagbo était confronté toujours à une menace
existentielle. »
1. Chapitre 6 du présent ouvrage.
CHAPITRE 8

QUAND LE MENSONGE EST MIS À NU,


À QUOI BON S’Y ACCROCHER ?

Par
M. Jean-Hilaire YAPI
MBA, PhD., Ingénieur

Quand le mensonge est mis à nu, à quoi bon s’y accrocher ? C’est ce que
fait la juge Carbuccia en soutenant encore des allégations qui, selon
l’opinion dissidente de la juge Christine Van den Wyngaert des audiences
de confirmation des charges, n’avaient aucune chance de l’emporter dans
un procès. Et c’est ce qu’ont confirmé, à l’issue d’un procès qui n’aurait
jamais dû avoir lieu, les juges Cuno Tarfusser et Geoffrey Henderson en
disant que « les preuves présentées ne passeraient même pas un test
minimum de recevabilité dans de nombreux systèmes nationaux » et en
s’étonnant que la Cpi se soit arrangée pour mener un procès avec de telles
preuves.
L’argumentaire de la juge Olga Herrera-Carbuccia repose essentiellement
sur les points suivants :
a) Les FDS et des mercenaires, selon les témoignages recueillis, ont
procédé systématiquement et de manière coordonnée à des attaques
contre des populations civiles : assassinats ciblés de civils à Abobo, tirs
sur des manifestants à l’arme lourde lors de différentes marches,
attaques et assassinats de civils dans leurs maisons et sur des lieux de
culte, bûchers des personnes vives.
b) Les Jeunes Patriotes ont dressé des barrages dans les quartiers et
lynché puis brulé, des fois vives, des personnes identifiées à tort ou à
raison comme soutenant Alassane Ouattara, sur la base de leur
appartenance ethnique ou religieuse.
c) L’objectif de ces crimes était de maintenir à tout prix au pouvoir
Laurent Gbagbo et son entourage.
d) Les crimes graves commis entrent dans la catégorie des crimes contre
l’humanité tels que définis par le Statut de Rome.
e) Les FDS étaient dirigés par le Général Mangou à qui un compte-rendu
des crimes commis était effectué régulièrement et qui, à son tour en
rendait compte au Président Laurent Gbagbo.
f) Le Président Laurent Gbagbo était Président de la République et donc
de facto responsable des crimes commis.
g) Le Président Laurent Gbagbo n’a diligenté aucune enquête pour établir
les responsabilités sur les crimes commis et a plutôt défendu
systématiquement les FDS.
h) Le Président Laurent Gbagbo a utilisé les moyens de l’État (l’armée,
les médias d’état, le financement des Jeunes Patriotes …) pour
organiser et encourager la commission des crimes.
i) Le Ministre Charles Blé Goudé a reconnu être le Leader des Jeunes
Patriotes.
j) Le Ministre Charles Blé Goudé a prononcé des discours haineux qui
ont permis de mobiliser les jeunes et les a encouragés à ériger des
barrages où des crimes ont été commis sur des partisans supposés
d’Alassane Ouattara.
k) Le Ministre Charles Blé Goudé était de fait le chef des officiers qui
encadraient les jeunes recrutés dans l’armée suite à son appel à leur
mobilisation.
Chaque point de cet argumentaire peut être battu point par point par les
opinions des juges Cuno Tarfusser et Geoffrey Henderson.
Le plan commun, présenté comme élément central de l’accusation,
n’ayant pu être démontré par le Procureur, la juge Carbuccia pense qu’elle a
pu démontrer l’existence d’une politique d’État visant à attaquer la
population civile. Et elle cite comme « preuves acceptables » les réunions
auxquelles le Président Laurent Gbagbo, dont elle reconnaît au passage la
position de Président de la République, a participé tout le long de la crise.
Les réunions auxquelles ont participé la Première Dame Simone Gbagbo
ainsi que les dirigeants du FPI sont également brandis comme des preuves
sans égard pour le contenu des discussions de ces réunions. Le fait pour le
Président de réunir l’État-major de l’armée pour se rendre compte de la
situation sur le terrain est présenté comme la preuve qu’il organisait l’armée
pour commettre des crimes. Même si le Procureur n’a pas pu démontrer,
avec l’aide de ses témoins militaires et civils, que les FDS ont tiré sur des
civils, la juge utilise ces allégations comme preuves pour incriminer
Laurent Gbagbo et Blé Goudé qui auraient ainsi coordonné et mis en œuvre
cette politique. Dans son analyse, les victimes des charniers sont des
partisans de Ouattara.
Elle dit en substance :
« Il n’est pas nécessaire de prouver que l’accusé était au courant de tous
les détails de l’attaque. De plus, c’est l’attaque, et non les actes individuels
de l’accusé, qui doit être dirigée contre la population visée. Les éléments de
preuve étayent l’allégation selon laquelle Laurent Gbagbo et Charles Blé
Goudé savaient qu’une attaque généralisée et systématique était menée
contre la population civile pour des motifs d’ordre politique, ethnique ou
religieux et que leurs actes s’inscrivaient dans le cadre de cette attaque. »
Mais jamais elle ne cite de preuves mis à part des allégations de témoins
dont, le procès l’a montré, la majorité est d’une crédibilité douteuse. On se
demande comment elle a pu aboutir à une telle conclusion que rien, dans le
déroulé du procès, ne laisse présager. Pour justifier l’existence de la
politique d’État, donc du plan commun, elle met les crimes allégués sur le
compte d’attaques organisées et systématiques des FDS contre la population
civile, même si les éléments de preuves matérielles présentées lors du
procès ne permettent pas de le démontrer. Ainsi, en plus des attaques à
l’arme lourde, les FDS auraient aussi brûlé des personnes vives et commis
des viols, tout cela sous l’instigation et la coordination de Laurent Gbagbo
et de son entourage pour rester au pouvoir. La juge refuse de tenir compte
de la situation de violence qui prévalait et qui a été soulignée par ses pairs,
violence qui était due aux rebelles et parfois aux forces dites impartiales de
l’ONU et de la France à l’encontre des FDS.
Quand on sait que les principaux Généraux des FDS ainsi que certains
Colonels ont été appelés à témoigner et que ces derniers n’ont à aucun
moment indiqué avoir reçu d’ordres du Président Gbagbo ou de quiconque
de son entourage pour commettre des crimes sur la population civile, on
peut se demander pourquoi la Juge Herrera-Carbuccia tient tant à cette
version des faits qui n’est qu’un ramassis de mensonges pour salir l’action
du Président Gbagbo qui ne faisait que défendre son pays. C’est comme si,
dans l’affaire du bombardement de Bouaké qui a révélé les manipulations
meurtrières de la France, un juge s’arc-boutait à la version française qui
veut que le Président Laurent Gbagbo, pris de folie, s’attaque à l’armée
française comme stratégie pour déloger les rebelles sanguinaires et pillards
qui écumaient le nord de la Côte d’Ivoire. Quand le mensonge est mis à nu,
à quoi bon s’y accrocher ?
Pour justifier le plan commun, elle prend également pour preuve le fait
que les FDS faisaient un rapport en temps réel de leurs crimes au Président
Laurent Gbagbo et que malgré cela, ce dernier niait ces crimes et prenait la
défense des FDS, sans même prendre le soin de diligenter une enquête sur
ces crimes allégués. En effet, pourquoi enquêter pour établir les
responsabilités de crimes dont on a soi-même planifié et coordonné la
commission ? Bien entendu, le fait que rien dans le procès ne vienne étayer
la thèse selon laquelle les FDS commettaient des crimes et en rendaient
compte au Président Laurent Gbagbo ne l’empêchent pas de faire une telle
assertion.
Blé Goudé, quant à lui, aurait prononcé des discours haineux et incité et
encouragé les Jeunes Patriotes dont il était le chef déclaré et assumé, à
commettre des crimes. Le procès a montré les manipulations du Procureur
pour justifier l’existence de ces fameux « discours haineux », en se limitant
à reprendre des bouts de discours sortis de leur contexte. En restituant les
discours dans leur contexte, la défense a démontré que, de manière
constante, Charles Blé Goudé a plutôt prôné l’apaisement et favorisé la
négociation pour préserver la paix. Mais la Juge n’en tient pas compte. Par
exemple, les témoins militaires ont beau dire que Blé Goudé ne participait
pas aux réunions des militaires pour la simple raison qu’il n’était pas
militaire, la juge n’en tient pas compte. Pourquoi ?
Lui reproche-t-elle, comme le font à l’unisson les nations occidentales
prédatrices, sa capacité à mobiliser les Ivoiriens contre l’attaque qu’a subie
la Côte d’Ivoire et qu’ont appelé Alassane Ouattara et Soro Guillaume qui
réclamaient l’option militaire, donc la guerre, pour mettre fin à la crise, là
où le Président Laurent Gbagbo appelait à une résolution politique donc
pacifique qui passait par un recomptage des voix ?
La Juge refuse de tenir compte du fait que les éléments dits de preuves
présentés devant la Cour par le Procureur et ses témoins aient été battus en
brèche. Elle s’appuie donc sur des généralités là où des éléments de preuve
au-delà de tout doute raisonnable sont nécessaires à la fois pour faire justice
aux victimes et respecter les droits des accusés.
En définitive, elle reprend la thèse du Procureur et estime qu’une
Chambre raisonnable devrait condamner les accusés sur la base des
allégations et sans tenir compte d’éléments probants de preuves.
Elle dit aussi ceci : « Une opinion n’est pas forcément juste parce que
c’est celle de la majorité ». Effectivement, c’est une décision injuste de la
majorité qui a conduit à ce procès et donc à cet échec plus que retentissant
du Procureur. Le Président Laurent Gbagbo et le Ministre Charles blé
Goudé en savent quelque chose puisqu’acquittés, ils sont de fait maintenus
en détention en raison d’une autre décision majoritaire injuste de la
Chambre d’appel. Cette injustice est éminemment mise à nu par les deux
juges Howard Morrison et Piotr Hofmański dans leur opinion dissidente :
« Si une personne est acquittée, l’article 81 (3)(c)(i) du Statut indique
qu’elle soit immédiatement libérée. C’est une conséquence automatique
d’un acquittement et aucune décision ou ordre additionnel de la Chambre
de première instance n’est requis. L’article 81 (3)(c)(i) du Statut donne à la
Chambre de première instance le pouvoir d’ordonner, à la demande du
Procureur, le maintien en détention d’une personne acquittée, en attente
d’une procédure d’appel contre l’acquittement. Si la Chambre de première
instance répond favorablement à cette requête, sa décision devient la
nouvelle motivation du maintient en détention de la personne acquittée. Si,
au contraire, la Chambre de première instance rejette la requête du
Procureur, cela ne modifie en rien le statut de la personne acquittée ; … En
ce qui concerne la détention, la disposition statutaire de l’article 81 (3)(c)
(i) qu’est la libération immédiate de la personne acquittée reste en
vigueur. »
Durant la crise postélectorale et surtout pendant la guerre menée par les
forces rebelles de Ouattara et ses commanditaires de la « communauté
internationale », des milliers de personnes sont mortes dont, manifestement
les plus nombreuses sont des partisans de Laurent Gbagbo. Le procès de
Laurent Gbagbo et Blé Goudé a abouti à leur acquittement juste après le
passage des témoins du Procureur. Et leur nombre impressionnant n’a rien
pu y faire. Il faut maintenant penser à chercher les coupables dans le camp
de l’autre protagoniste. Et, de la même manière que la responsabilité de
Laurent Gbagbo était engagée pour les actes allégués des FDS, nous nous
attendons qu’Alassane Dramane Ouattara et Guillaume Soro soient tenus
responsables des crimes de leurs hordes de rebelles analphabètes et pillards
et de dozos ainsi que des populations qui leur étaient acquises. À Abobo et
ailleurs, de nombreux Ivoiriens ont été mitraillés, molestés et brûlés vifs en
raison de leur soutien à Laurent Gbagbo.
À Duékoué, tout un peuple trié à l’aide de la carte d’identité, a connu un
génocide. Il est temps de leur rendre justice, car, comme pour les 776
victimes qui ont participé au procès, et pour paraphraser la Juge Carbuccia :
« Les préjudices subis par les victimes volontairement oubliées et la
violation des droits fondamentaux de ces victimes ne font aucun doute ».
La vérité triomphera !
CHAPITRE 9

LA MISE EN LIBERTÉ SOUS CONDITIONS DES ACQUITTÉS


LAURENT GBAGBO ET BLÉ
GOUDÉ OUTREPASSE LES DISPOSITIONS PERTINENTES DU
STATUT DE ROME

Par
Pr. Raymond KOUDOU Kessié1
Ancien Ambassadeur de Côte d’Ivoire en France

Introduction
Laurent Gbagbo et Blé Goudé sont accusés de crimes contre l’humanité2,
tels que visés à l’article 7 du Statut de Rome. Ces crimes auraient été
commis lors des violences postélectorales contre des civils non armés et en
particulier lors de : i) la marche sur la Radiodiffusion-télévision ivoirienne
(RTI), le 16 décembre 2010 ; ii) la marche des femmes à Abobo, le 3 mars
2011 ; iii) le bombardement du marché Siaka Koné d’Abobo, le 17 mars
2011 ; iv) les évènements de Yopougon, le 12 avril 2011. Quatre charges
ont été retenues contre eux : i) meurtre d’au moins 160 personnes ; ii) viol
d’au moins 38 personnes ; iii) autres actes inhumains ou tentatives de
meurtre sur au moins 118 personnes et ; iv) persécution d’au moins 316
personnes.
La Chambre de Première instance 1 les avait acquittés de toutes ces
charges de crimes contre l’humanité par sa décision orale d’acquittement du
15 janvier 2019, dont les Motifs écrits3 ont été publiés, le 16 juillet 2019.
Le Procureur avait cependant attaqué cette décision devant la Chambre
d’appel qui, le 1er février 2019, a rendu un Arrêt très restrictif des libertés
des acquittés.
Notre publication rend d’abord compte de cet Arrêt ; ensuite, des
réactions motivées y afférentes des juges de la majorité (2) et des réponses
des prévenus lors de l’audience d’appel (3). Elle s’interroge également sur
les motivations profondes de l’appel du Verdict d’acquittement interjeté par
Mme la Procureure, le 16 février 2019 (4). Nous nous demandons enfin ce
qui se cache véritablement derrière ce que l’on fait subir au Président
Laurent Gbagbo et au Ministre Blé Goudé (5).
Les deux hypothèses qui la sous-tendent s’énoncent ainsi : i) Les
fondements de l’Arrêt de la Chambre d’appel de la Cpi restreignant les
libertés des acquittés sont ailleurs que dans le Statut de Rome ; ii) Le
Président Gbagbo a été attrait devant la Cpi rien que pour l’empêcher d’être
à la tête de l’État ivoirien au profit de Ouattara, leur choix, malgré leur
démenti.
1. L’arrêt de la Chambre d’appel
Au Paragraphe 59 de l’Arrêt4, il est écrit :
« La Chambre d’appel considère que l’argument du Procureur selon
lequel il existe un risque d’évasion est fondé. Dans le droit fil de sa
jurisprudence relative à la mise en liberté provisoire, la Chambre d’appel
est d’avis que la gravité des charges est pertinente aux fins de l’évaluation
du risque de fuite. Elle renvoie en particulier aux nombreuses décisions
rendues en l’espèce dans lesquelles il a été conclu que la gravité des
charges et le risque qui s’ensuit de condamnation à une lourde peine,
l’existence d’un réseau de partisans et les moyens dont dispose Laurent
Gbagbo sont de nature à l’inciter à prendre la fuite. S’agissant de Charles
Blé Goudé, la Chambre d’appel considère que la gravité des charges et le
risque qui s’ensuit de condamnation à une lourde peine sont de nature à
l’inciter à prendre la fuite. »
Au Paragraphe 60, la Chambre d’appel modifie la décision attaquée en
ces termes :
« La décision rendue oralement le 16 janvier 2019 par la Chambre de
première instance 1 en application de l’article 81-3-c-i du Statut
(ICC02/11-01/15-T-234-Eng) est modifiée en ce que les conditions exposées
au paragraphe 60 du présent Arrêt sont imposées à Laurent Gbagbo et
Charles Blé Goudé à leur libération dans tout État disposé à les accepter
sur son territoire, ainsi que prêt à faire respecter ces conditions et capable
de le faire. »
La Chambre d’appel a donc modifié la Décision attaquée au motif que la
Chambre de Première instance ne se serait intéressé qu’aux “circonstances
exceptionnelles” qui, au sens de l’article 81-3-c du Statut, justifieraient le
maintien en détention, mais sans se demander s’il existait des “raisons
impérieuses” justifiant de poser des conditions à la mise en liberté des
accusés. Les faits indiquent suffisamment, dit la Chambre d’appel, que s’ils
étaient mis en liberté sans conditions, Laurent Gbagbo et Charles Blé
Goudé pourraient prendre la fuite. Ce risque d’évasion identifié ne pourrait
cependant être atténué que par des conditions à leur mise en liberté. Elle
conclut donc qu’il existe des “raisons impérieuses” d’exercer les pouvoirs
que lui confère le Statut d’imposer à Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé
des conditions à leur mise en liberté pour garantir leur comparution lors de
la procédure à venir qui sont (Para.60) :
« i) S’engager par écrit à se conformer à toutes les instructions et
ordonnances de la Cour, notamment en comparaissant devant la Cour
lorsque celle-ci l’ordonnera, et accepter que la procédure d’appel devant la
présente Chambre pourrait se poursuivre en leur absence, s’ils ne se
présentaient pas devant la Cour après en avoir reçu l’ordre ; ii) Informer la
Chambre et l’État qui les accueille de leur adresse et de leurs coordonnées
et demander à la Cour son autorisation avant de changer d’adresse ; iii) Ne
pas se déplacer en dehors des limites de la municipalité dans laquelle ils
résident dans l’État d’accueil, à moins d’y avoir été expressément autorisés
au préalable par la Cour ; iv) Remettre au Greffe toutes les pièces
d’identité dont ils disposent, en particulier leur passeport ; v) Se présenter
chaque semaine auprès des autorités de l’État d’accueil ou auprès du
Greffe ; vi) Ne pas entrer en contact, que ce soit directement ou
indirectement, avec un quelconque témoin cité par l’Accusation dans le
cadre de cette affaire, ou avec une quelconque personne dont le Procureur
leur a révélé qu’elle a été entendue dans le cadre de l’enquête en cours en
Côte d’Ivoire, sauf par l’intermédiaire du Conseil autorisé à les représenter
devant la Cour et conformément aux protocoles applicables ; vii) S’abstenir
de toute déclaration publique au sujet de l’affaire, que ce soit directement
ou indirectement, ou d’entrer en contact avec le public ou de faire des
déclarations à la presse au sujet de l’affaire ; viii) Se conformer à toute
autre condition raisonnable imposée par l’État dans lequel ils seront
libérés. »
Les dispositions du Statut sur la mise en liberté d’un accusé en cas
d’acquittement autorisent-elles de telles restrictions contraignantes ? C’est
la question à laquelle il nous faudrait répondre maintenant au regard de
notre première hypothèse d’étude.
L’article 81 (3)(c)(i) du Statut dispose :
« En cas d’acquittement, l’accusé est immédiatement mis en liberté.
Cependant, dans des circonstances exceptionnelles, et en fonction,
notamment, du risque d’évasion, de la gravité de l’infraction et des chances
de voir l’appel aboutir, la Chambre de première instance peut, à la
demande du Procureur, ordonner le maintien en détention de l’accusé
pendant la procédure d’appel. »
Dans cette disposition du Statut, il ne s’agit ni plus ni moins que de
libération immédiate de l’acquitté. Et, les circonstances exceptionnelles
mentionnées ne le sont qu’à propos du maintien éventuel en détention de
l’acquitté et non pas comme conditions à sa mise en liberté. La Chambre
d’appel parle de l’existence de « raisons impérieuses », que nous ne lisons
pas dans la disposition ci-dessus visée. La restriction drastique de la liberté
des acquittés Laurent Gbagbo et Blé Goudé ne repose donc pas sur les
dispositions du Statut. L’obligation qui leur est faite de résider dans tout
État disposé à les accepter sur son territoire, ainsi que prêt à faire respecter
ces conditions et capable de le faire, autre que le leur, n’y figure pas non
plus. Notre première hypothèse suivant laquelle les fondements de cet Arrêt
de la Chambre d’appel sont ailleurs que dans le Statut de Rome se trouve
donc vérifiée. Les Motifs du juge Président Tarfusser qui suivent nous
renforcent dans cette thèse.
2. Les motifs des juges de la majorité
Le juge-président Cuno Tarfusser, dit ne pas s’être imaginé que la
Chambre d’appel transformerait la libération des acquittés Laurent Gbagbo
et Blé Goudé en une libération conditionnelle dans le cadre d’un régime très
restrictif. Pour M. Blé Goudé, un régime d’"assignation à résidence"
comparable, sinon pratiquement équivalente, au maintien en détention, qui
se poursuit toujours. Il relève par ailleurs l’incohérence intrinsèque de la
décision de la Chambre d’appel en ces termes :
« La décision déclare solennellement que le maintien en détention
conformément à l’article 81 (3)(c)(i) du Statut “doit être limité à des
situations véritablement exceptionnelles” et “ne peut être qu’un dernier
recours”, car elle réaffirme le principe selon lequel la détention “est et doit
rester exceptionnelle”, d’autant plus vis-à-vis d’un individu acquitté sur le
fond ; elle reprend même des décisions internes des hautes juridictions qui
affirment l’incompatibilité des restrictions à la liberté d’une personne
acquittée et des droits humains fondamentaux. Toutefois, toutes ces
considérations sont balayées par les déclarations ultérieures selon
lesquelles, compte tenu du fait que le Procureur n’a demandé qu’une
“libération sous conditions”, le pouvoir d’imposer de telles conditions doit
être considéré comme implicite et inhérent au pouvoir d’imposer une
détention prolongée. Au lieu de l’exigence de circonstances exceptionnelles,
énoncées à l’article 81 (3)(c) du Statut, le critère permettant de déterminer
si l’imposition de conditions à la libération d’une personne acquittée
consisterait en l’existence de “circonstances impérieuses”, une exigence
supplémentaire différente qui, bien que ne figurant pas dans la disposition,
devrait être évaluée en tenant particulièrement compte de l’existence “d’un
risque de fuite qui pourrait être limité par des conditions.” »
Le juge Tarfusser écrit au Paragraphe 4 de ses Motifs qu’il a passé au
crible des montagnes de documents prétendument à l’appui de cette affaire,
dont aucun n’a pu la confirmer, que ce soit individuellement ou dans son
ensemble. Beaucoup de ces documents, comme le soulignent les Motifs,
sont « d’authenticité́ douteuse » et/ou « contenant un ouï-dire significatif et
anonyme ».
Comme il est également indiqué dans les Motifs du juge :
« Il existe des problèmes généralisés qui affectent un nombre
considérable de documents et rendent leur authenticité́ douteuse », ce qui
rend « probablement juste de dire qu’une majorité de pièces documentaires
soumises par le Procureur dans cette affaire ne satisferait même pas le
critère de recevabilité́ le plus élémentaire dans de nombreux systèmes
nationaux ».
Quant au juge Henderson, il conclut ses Motifs en confirmant notre
deuxième hypothèse relative aux manœuvres pour empêcher que le
Président Gbagbo soit à la tête de l’État :
« Quoi qu’il en soit, aucun récit ne saurait refléter la réalité sans
reconnaître que le régime de M. Gbagbo était confronté à tout moment à
une menace existentielle ». (Para. 70, Henderson).
3. Les réponses des accusés
Ces réponses sont celles données à l’audience d’appel par Laurent
Gbagbo (3.1.) et Blé Goudé (3.2.) et rapportées dans l’Arrêt.
3.1. Les réponses de Laurent Gbagbo
Dans sa réponse rapportée dans l’Arrêt (Para. 56-73), Laurent Gbagbo a
fait valoir que la liberté d’un individu est un droit essentiel et que, dans le
cas particulier d’un acquittement, la liberté ne peut être limitée que dans des
circonstances exceptionnelles, autrement dit lorsque cela est absolument
nécessaire sur la base de critères objectifs. (…) Il soutient donc que l’article
81-3-c-i du Statut ne peut être mis en œuvre qu’avec précaution, en dernier
recours et en cas d’absolue nécessité. (…) En ce qui concerne le premier
moyen d’appel, Laurent Gbagbo soutient que si aucune des circonstances
visées à l’article 81-3-c-i du Statut n’est exceptionnelle en soi, alors il n’est
pas possible que, cumulées, ces circonstances revêtent un tel caractère. Il
ajoute qu’en fait, le Procureur demande l’adoption d’une approche
superficielle de la notion de circonstances exceptionnelles. En ce qui
concerne le deuxième moyen d’appel, Laurent Gbagbo fait valoir que
l’affirmation du Procureur selon laquelle, il existe un risque concret
d’évasion repose essentiellement sur des hypothèses et des théories qui ne
sont basées sur aucun élément de preuve concret. Il ajoute (…), que le
Procureur ne tient pas compte du fait qu’il a été acquitté, ce qui constitue un
changement de circonstances fondamental. Quant à la préservation de
l’intégrité de la procédure telle que plaidée par le Procureur, il soutient qu’il
s’agit là d’une considération sans pertinence puisque le Procureur a terminé
la présentation de ses témoins (…). En ce qui concerne le quatrième moyen
d’appel, il affirme que le critère des « chances de voir l’appel aboutir » est
sans aucun doute subjectif et que le Procureur tente de baisser la norme
fixée à l’article 81-3-c-i du Statut en avançant que les chances en question
devront être « viables ». Il affirme également que l’existence d’une opinion
dissidente ne saurait donner d’indications sur les chances de voir l’appel
aboutir, en renvoyant à cet égard à des exemples d’acquittement confirmés
(…). Laurent Gbagbo a enfin fait valoir qu’il n’existait pas de base légale
permettant à la Chambre d’appel d’imposer des conditions à une libération
à la suite d’un acquittement. Il a cependant précisé que, si la Chambre
d’appel devait juger qu’elle en avait le pouvoir et imposait effectivement de
telles conditions, il les respecterait.
3.2. Les réponses de Blé Goudé
L’Arrêt rapporte également les réponses de Blé Goudé (Para. 77-106).
Ainsi, s’agissant du premier moyen d’appel, il affirme que, contrairement à
ce qu’avance le Procureur, l’article 81-3-c-i du Statut exige la
démonstration de circonstances exceptionnelles, ce qui constitue une norme
bien plus stricte que celle qui s’applique à la suspension de la mise en
liberté immédiate après acquittement, la première norme exigeant
d’apporter la preuve de raisons particulièrement fortes et entraînant des
conséquences différentes (…). Charles Blé Goudé affirme que le Procureur
n’a pas démontré ce qui pourrait l’inciter à prendre la fuite. (…). Il affirme
que la décision d’acquittement prononcée par la Chambre de première
instance a renforcé sa motivation à coopérer avec la Cour, ajoutant que son
acquittement milite en faveur de sa mise en liberté immédiate puisque le
risque d’évasion n’est plus un élément pertinent (…). Il fait valoir que
l’existence d’une opinion dissidente n’est pas pertinente aux fins de la
détermination des chances de voir l’appel aboutir, étant donné que les
opinions dissidentes ne sont pas exceptionnelles (…). Cependant, dans le
cas où la Chambre d’appel conclurait qu’elle a le pouvoir d’assortir de
conditions une mise en liberté faisant suite à un acquittement et déciderait
de le libérer sous conditions, il respecterait ces conditions.
4. Par son appel du verdict d’acquittement la procureure fait une
fuite en avant
Mme la Procureure a fait appel du verdict d’acquittement, le
16 septembre 2019, parce que la Chambre de Première instance aurait
commis une erreur de droit et de procédure : i) en omettant de fournir un
exposé complet et motivé des constatations de la majorité sur les preuves et
les conclusions qu’elle en a tirées ; ii) en omettant de fournir un résumé des
motifs en audience publique ; iii) en indiquant simplement que les motifs
seraient fournis « dès que possible », mais sans fixer de date précise pour
les fournir et, iv) en violant l’obligation de ne rendre qu’ « une seule
décision ».
Maître Lisa Mimoun5 consacre à cet appel l’analyse du chapitre 11 de ce
livre. Pour notre part, rien ne saurait valablement expliquer l’appel de la
Procureure qui se fonde principalement sur les problèmes de procédure
alors qu’elle était attendue sur l’administration des preuves irréfutables à
l’appui de ses charges. Et, qui plus est, elle fait montre d’une incohérence et
d’un manque de courage évident, alors qu’elle avait déjà reconnu avoir
« essuyé d’importants revers dans l’affaire Gbagbo et Blé Goudé. »6
Le juge-président Cuno Tarfusser a fait état de certaines de ses
incohérences lorsqu’il parlait du niveau de « déconnexion globale » entre
son récit et les faits tels qu’ils ressortent progressivement des éléments de
preuve, qui n’a cessé de croître ? (Para.5, Tarfusser). Heureusement, nous
dit le juge-président, que des témoins de tous horizons ont contribué à
donner à la Chambre une image de la Côte d’Ivoire tout simplement
inconciliable avec celle présentée par le Procureur. (Para. 13, Tarfusser).
L’on peut ajouter ici sa manière irrésistiblement compulsive de noircir
l’image du Président Gbagbo, qui n’est pour elle qu’un dictateur, un
criminel et un pervers qui tue son peuple et ses opposants pour se maintenir
au pouvoir. Rien donc de si étonnant que la Procureure continue son
acharnement contre les acquittés par la déclaration d’Appel qu’elle vient de
déposer.
L’on s’y attendait, puisque la France, commanditaire principal de ce
procès, n’est pas allée si loin contre le Président Gbagbo et son
administration pour s’arrêter en si bon chemin. Le problème, c’est que Mme
la Procureure s’engage dans une voie procédurale là où les juges de la
majorité ont mis en cause son dossier sur le fond, en des termes
particulièrement sévères. C’est sur l’argument des juges relatif à
l’insuffisance de preuves à l’appui de sa cause que nous aurions plutôt aimé
la voir faire appel car les preuves sont essentielles dans un procès, et en le
disant nous n’apprenons rien à personne. Rappelons-nous cependant cette
citation du grand criminologue français, Jacques Cujas : "là où la preuve
n’est pas complète, il n’y a pas de preuve".
Actore non probante reus absolvitur7. Voilà pourquoi Laurent Gbagbo et
Blé Goudé ont été innocentés, acquittés. Ils doivent donc être libérés. Mais
qui plus est, et nous n’avons eu de cesse de le dire, Laurent Gbagbo et Blé
Goudé ne sont pas, ne peuvent pas être les criminels contre l’humanité
dépeints par la Procureure et contre qui ce procès a été intenté. En réalité,
nous dit Me Jean Balan8, il n’y a jamais eu un procès réel dans cette
affaire :
« Il n’y a jamais eu un procès réel, l’accusation n’ayant jamais pu
prouver quoi que ce soit. Par ailleurs l’arrestation du Président Gbagbo fut
dès le début illégitime et même illégale. C’est pas un combat juridique mais
politique. La partie est déjà gagnée, le seul but étant de maintenir Gbagbo
hors-circuit le plus longtemps possible. »
Il faut que l’on sache que nous ne sommes pas dans un jeu. Donc, si Mme
la Procureure a maintenant les preuves irréfutables qu’elle n’avait pas eu le
temps de réunir et de présenter, en huit ans de procédure, afin de confondre
les accusés, alors qu’elle les mette sur la table et qu’on en finisse avec ce
procès. Car derrière son langage procédural se cache des intentions
inavouables.
5. Que se cache-t-il derrière ce que l’on fait subir au Président
Gbagbo ?
Laurent Gbagbo, le Président élu9, proclamé et investit comme tel par le
Conseil Constitutionnel ivoirien10, a vu sa victoire volée par la France, qui a
installé par les armes Alassane Dramane Ouattara dans le fauteuil
présidentiel. Bernard Binlin Dadié11, décrit ici fort justement la situation
dans laquelle se trouvent la Côte d’Ivoire et son peuple depuis
l’intronisation de cet homme de main de la France :
« – Un territoire sous occupation des forces armées étrangères :
françaises et Onusiennes qui ont fait la guerre à la Côte d’Ivoire de façon
sournoise et brutale ; – Un peuple soumis militairement à un gouvernement
dont le chef a perdu l’élection présidentielle 2010 en Côte d’Ivoire, et qui,
soutenu par des forces armées étrangères, bafoue la Constitution et les lois
de notre pays. »
Sous le couvert en effet du droit d’ingérence humanitaire, de défense de
la démocratie et des populations civiles contre les armes de destruction
massive, la France s’est en réalité illustrée dans une guerre d’intérêts. Pour
Fanny Pigeaud12, il est évident que :
« La France n’est pas intervenue en Côte d’Ivoire pour des motivations
humanitaires ou pour sauver le processus démocratique, comme on
voudrait nous le faire croire, mais pour protéger ses intérêts dans ce pays
en mettant en place un Président qui lui soit favorable. La version officielle
selon laquelle la France et les Nations-Unies ont été obligées d’intervenir
en Côte d’Ivoire pour soutenir Alassane Ouattara qui avait remporté
l’élection présidentielle, et pour faire partir Laurent Gbagbo qui, lui,
refusait de reconnaître sa défaite, n’est pas toute la réalité. »
L’arrestation du Président Gbagbo comme sa détention à Korhogo puis
son transfèrement à la prison de Scheveningen de La Haye sont dénués de
base juridique puisque la Côte d’Ivoire n’était pas partie au Statut de Rome.
Il y a subi un procès injuste alors que déjà de l’avis même des juges de la
Chambre préliminaire 1, les preuves étaient insuffisantes. La justice
imposait de rendre sa liberté au Président Gbagbo, liberté qu’il n’aurait
jamais dû perdre. Ils ne l’ont pas fait. Ils ont donné une autre chance à la
Procureure pour poursuivre ses enquêtes à l’effet de fournir des preuves
plus convaincantes. Elle en est revenue bredouille. Cela ne les a pas
empêché de poursuivre le procès après l’audition de quatre vingt deux
témoins à charge qui, pour la plupart, ont fini par disculper les accusés. Le
juge-président Cuno Tarfusser (Para. 4, Tarfusser) de dire à ce propos que
pendant près de deux ans, qu’il a aidé le Procureur à élucider l’affaire.
Cependant, les témoins, les uns après les autres, des plus humbles jusqu’aux
plus hauts échelons de l’armée ivoirienne, ont systématiquement affaibli,
quand ce n’était pas carrément ruiné, le dossier du Procureur, dossier qu’ils
étaient « attendus », et ont été appelés par le Procureur à appuyer.
Au bout du compte, et à la grande surprise des commanditaires de la
cabale contre Laurent Gbagbo, les juges ont prononcé l’acquittement.
En tout état de cause, l’actuel appel de l’acquittement par la Procureure
ne répond pour nous qu’à la seule volonté de gagner du temps. Maintenir
durablement le Président Laurent Gbagbo hors de son pays et loin du
pouvoir pour laisser les coudées franches à Ouattara afin que prospèrent les
intérêts des commanditaires au détriment du peuple de Côte d’Ivoire. Voilà,
me semble-t-il ce que cache ce jeu malsain.
Conclusion
Le procès contre le Président Gbagbo doit nous interpeller
impérativement sur la problématique de la prise en main de leur destin par
les Africains eux-mêmes en ayant l’œil, extrêmement sévère et très vigilant,
sur ceux des nôtres qui ont décidé d’être les porte-mallette des autres,
esclaves ou soumis à eux, par leur propre volonté, ce qu’Étienne de La
Boétie a rendu sous l’expression de « servitude volontaire »13. Il doit
également nous rappeler la déclaration du Président guinéen d’alors,
Ahmed Sekou Touré, faite le 28 septembre 1958 à l’occasion du référendum
sur le projet de Constitution proposé par le Général Charles de Gaulle, pour
l’établissement d’une Communauté franco-africaine :
« Il n’y a pas de dignité sans liberté. Nous préférons la liberté dans la
pauvreté à la richesse dans l’esclavage. »

1. Docteur ès Lettres et Docteur 3ème cycle en Sciences du comportement. Enseignant-chercheur à


l’UFR Criminologie de l’Université d’Abidjan-Cocody. Ancien chargé de cours à l’UER des
Sciences du Comportement et de l’Éducation de l’Université de Toulouse-le-Mirail. Ancien
chercheur associé au Labo N° 259 du CNRS.
2. Fiche d’Information sur l’affaire situation en Côte d’Ivoire Le Procureur c. Laurent Gbagbo et
Charles Blé Goudé, ICC-02/11- 01/15, ICC-PIDS-CIS-CIV-04-02/19_Fra., mise à jour 6 août 2019.
3. Reasons for oral decision of 15 January 2019 on the Requête de la Défense de Laurent Gbagbo
afin qu’un jugement d’acquittement portant sur toutes les charges soit prononcé en faveur de Laurent
Gbagbo et que sa mise en liberté immédiate soit ordonnée, and on the Blé Goudé Defence no case to
answer motion, ICC-02/11-01/15-1263 16-07-2019 3/8 EK T, 16 July 2019.
4. Arrêt relatif à l’appel interjeté par le Procureur contre la décision rendue oralement par la Chambre
de première instance 1 en application de l’article 81-3-c-i du Statut, ICC-02/11-01/15-1251- Red2-
tFRA 08-03-2019 1/32 EC T OA14, 1er Février 2019.
5. Malgré la faiblesse exceptionnelle de ses preuves la Procureure fait appel du Verdict
d’acquittement.
6. « Plan stratégique 2019-2021 », 17 juillet 2019.
7. Si le demandeur ne fait pas sa preuve, le défendeur est libéré.
8. Yeclo.com, l’actualité ivoirienne mage in Côte d’Ivoire, 18 septembre 2019. Me Jean Balan, est
l’avocat des familles des soldats français morts en novembre 2004 à Bouaké et qui a clairement dit
qu’il s’agissait d’une manipulation française.
9. Il a été élu par 2 054 537 voix, soit 51,45 %, contre 1 938 672 voix pour Ouattara, soit, 48,55 %,
en référence à la Décision du Conseil Constitutionnel ivoirien du 28 Novembre 2010.
10. Conseil Constitutionnel ivoirien : Décision N° CI-2010-EP-34/03- 12/CC/SG portant
proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle du 28 Novembre 2010, Abidjan,
2010.
12. Ibid., 2015.
13. Voir Raymond Koudou Kessié : Des Chrysanthèmes pour la Françafrique, Londres, Mary Bro
Foundation Publishing, 2017, p.167.
CHAPITRE 10

LES LACUNES DE LA DÉCISION


DE LIBÉRATION SOUS CONDITIONS
DE LAURENT GBAGBO ET BLÉ GOUDÉ
PAR LA CHAMBRE D’APPEL DE LA CPI

Par
M. Moussa Bienvenu HABA
Chercheur sur la justice pénale internationale
Doctorant en Droit international
Université Laval (Québec)

Nous soutenons que la Décision rendue le 1er février 2019 par la


Chambre d’appel de la Cpi libérant sous conditions Laurent Gbagbo et Blé
Goudé souffre de plusieurs lacunes sur le plan juridique. Trois d’entre elles
vont brièvement faire l’objet de la présente analyse.
1. Le pouvoir de libérer sous conditions en vertu de l’article 81 (3)(c)
du Statut de Rome
Les juges d’appel de la Cpi ont considéré que la chambre de 1ère instance
avait commis une erreur de droit en ne se prononçant pas sur la demande
accessoire du Procureur de libérer sous conditions les acquittés Gbagbo et
Blé Goudé, à défaut d’obtenir leur maintien en détention pendant la
procédure d’appel. Alors que les quatre motifs d’appel du Procureur
portaient sur les conclusions de la Chambre de 1ère instance rejetant le
maintien en détention des acquittés, la Chambre d’appel décide sans aucune
justification pertinente que le cœur de l’appel dont elle est saisie se rapporte
à la libération sous conditions des deux acquittés. Cette interprétation est
d’autant plus surprenante que l’article 81 (3)(c) porte sur le maintien en
détention de personnes acquittées par la Cpi et non sur leur libération sous
conditions.
La Chambre d’appel fonde son interprétation sur un « pouvoir inhérent »
qu’auraient les Chambres en l’espèce, leur permettant de libérer les
acquittés sous conditions, à défaut de prononcer leur maintien en détention.
Pourtant, la même chambre a insisté moins d’un an plus tôt sur l’importance
de l’usage restrictif des « pouvoirs inhérents » par les Chambres, qui doit
être conditionné par un constat préalable d’une lacune dans le cadre
juridique régissant la Cour (Voir Bemba et al, para 75-79 ; voir aussi Banda
et Jerbo, para 78). Les textes de la CPI sont pourtant clairs en prévoyant la
libération sous conditions pendant le procès (art 60 : 2 Statut de Rome), et
la liberté ou, dans les circonstances exceptionnelles la détention pour les
personnes acquittées (art 81 : 2 : c). Plus encore, la chambre d’appel a
explicitement rappelé ce qui est confirmé par toutes les juridictions
nationales et les cours régionales de droits humains, à savoir le principe
sacrosaint de la liberté pour les personnes acquittées en première instance.
Certes, il est vrai que le TPIR dans de rares cas avait libéré sous conditions
des personnes acquittées en attendant le dénouement de la procédure
d’appel (Voir les affaires Ntagerura et Bagambiki et Bagilishema).
Toutefois, comme l’a rappelé la Chambre d’appel de la Cpi, la
jurisprudence des autres juridictions internationales pénales ne constitue pas
une source du droit applicable devant la Cour conformément à l’article 21
du Statut de Rome. Qui plus est, le caractère très limité de cette pratique
devrait davantage militer contre son application devant la Cpi ; une Cour
dont le cadre juridique a été élaboré avec grand détail par ses rédacteurs
(Bemba et al, para 79).
De ce qui précède, le recours à des « pouvoirs inhérents » résultant
d’une interprétation peu justifiée de l’article 81 (3)(c) nous apparaît peu
solide au regard du cadre juridique de la Cpi et du droit international des
droits humains, qui militent pour la libération sans conditions des acquittés
en 1ère instance, à moins de circonstances exceptionnelles commandant
leur détention.
2. Les « mesures impérieuses » vs les « circonstances
exceptionnelles » pour la libération conditionnelle des personnes
acquittées par la Cpi
En faisant usage de la possibilité que lui reconnaît la Règle 158 (1) du
Règlement de procédure et de preuve de modifier la décision appelée
devant elle après l’avoir infirmée, la Chambre d’appel a eu recours à un
critère inédit : « raisons impérieuses » pour fonder sa décision de libérer
les acquittés Laurent Gbagbo et Blé Goudé sous conditions. En fait, selon la
Chambre d’appel, la libération sous conditions des acquittés doit être
fondée sur des « raisons impérieuses », et non sur les circonstances
exceptionnelles prévues explicitement à l’article 81 (3)(c) du Statut de
Rome. La Chambre ne précise pas cette notion de « raisons impérieuses »
qui n’est nullement prévue dans les textes de la Cpi. L’existence de
circonstances exceptionnelles relatives notamment au risque d’évasion, à la
gravité de l’infraction et aux chances de voir l’appel aboutir qui constituent
le critère applicable en vertu de l’article 81 (3)(c) pour détenir des
personnes acquittées. C’est ce critère qui devrait en toute logique servir de
fondement pour une libération sous conditions en vertu d’un éventuel «
pouvoir inhérent » revendiqué par les juges d’appel. Au contraire, la
Chambre d’appel a eu recours à un nébuleux critère de « raisons
impérieuses » dont elle n’explique pas le contenu.
En plus, la Chambre d’appel s’est prononcée sur le risque de fuite des
acquittés en recourant dans les faits au critère moins élevé de « simple
possibilité » d’occurrence prévue à l’article 58 (1) et qui s’applique aux
demandes de libérations conditionnelles ou provisoires en cours de procès
(cf. art 60 : 2) (voir Katanga et Chui, para 21). En fait, les juges d’appel ont
considéré qu’il existait un risque d’évasion en s’appuyant principalement
sur les décisions antérieures rendues sur les demandes de libération
conditionnelle formulées par Gbagbo et Blé Goudé sur la base de l’article
60 (2). En aucun moment les juges d’appel n’évaluent le risque de fuite au
regard de la situation nouvelle créée par l’acquittement des deux accusés.
Cela affaiblit considérablement leur décision, car il aurait fallu en toute
logique évaluer l’existence de circonstances exceptionnelles conformément
à l’article 81 (3)(c) qui en l’espèce requiert la preuve de l’existence d’un «
risque concret de fuite » et non d’une simple possibilité de fuite. Le
Procureur lui-même adhérait à cette interprétation du Statut de Rome, en
postulant sans ambages que la détention ou la mise en liberté sous
conditions des personnes acquittées conformément à l’article 81 (3)(c) sont
conditionnelles à l’existence de circonstances exceptionnelles, notamment
le « risque concret » de fuite des acquittés (Requête du procureur, para 12-
13 et 17). Ce critère plus élevé aurait milité clairement pour la libération
sans conditions des acquittés, car les arguments du Procureur en appui de sa
demande de maintien en détention ou de libération sous conditions des deux
acquittés ne constituaient en réalité qu’une reprise de ceux avancés
inlassablement lors des décisions antérieures prises par la Chambre de 1ere
instance sous l’article 60 (2), sans une prise en compte réelle du
changement fondamental occasionné par l’acquittement à mi-procès. Qui
plus est, la faiblesse exceptionnelle de la preuve de l’accusation constatée
avec autorité par les juges majoritaires dans leur décision orale de mise en
liberté immédiate de Gbagbo et Blé Goudé, affaiblit également le risque
concret de fuite des acquittés, car le risque de condamnation est fortement
atténué.
3. La sévérité des conditions imposées à la libération de Gbagbo et
Blé Goudé
Le troisième constat qui renforce notre incompréhension quant à l’arrêt
de la Chambre d’appel de la Cpi rendu le 1er février 2019 contre Laurent
Gbagbo et Blé Goudé réside dans la sévérité des conditions imposées aux
deux acquittés jusqu’au dénouement d’un éventuel appel du Procureur
contre leur acquittement. Après avoir rappelé clairement la primauté de la
liberté pour les personnes acquittées en 1ère instance, la Chambre d’appel
semble à notre avis avoir inutilement eu la main lourde à l’égard de Gbagbo
et Blé Goudé, en ce sens que les conditions imposées sont sévères tant
quantitativement que qualitativement.
S’agissant de la sévérité quantitative, relevons que les juges d’appel ont
en fait imposé toutes les 8 conditions proposées par le Procureur. Ce
nombre est considérablement élevé si nous les comparons avec les
conditions imposées par le TPIR dans les rares affaires similaires, à savoir
Ntagerura et Bagambiki (4 conditions) et Bagilishema (5 conditions). Plus
encore, devant la Cpi elle-même, la décision de libération provisoire de
Bemba en attendant une nouvelle audience sur la peine, à la suite de la
confirmation en appel de sa culpabilité pour atteinte à l’administration de la
justice par la Cpi, n’était assortie que de 5 conditions. L’imposition d’autant
de conditions restrictives à des personnes acquittées ne semble donc pas
justifiée.
En ce qui a trait à la sévérité qualitative ou intrinsèque des conditions,
nous constatons que celles imposées à Gbagbo et Blé Goudé sont également
plus exigeantes. Deux conditions notamment nous interpellent. La 3e
condition impose à Gbagbo et Blé Goudé l’interdiction de se déplacer en
dehors de la municipalité dans laquelle ils résident dans l’État d’accueil, à
moins d’y avoir été expressément autorisés au préalable par la Cour. En
comparaison, Bemba devait juste informer la Cour et non requérir son
autorisation, et seulement pour les voyages avec nuitée, c’est-à-dire si le
voyage comprenait qu’il passe la nuit hors de ses lieux de résidence (Bemba
et al). Pour les acquittés libérés sous conditions par le TPIR, l’autorisation
écrite du tribunal n’était requise que pour les voyages hors du pays de
résidence (Ntagerura et Bagambiki et Bagilishema). La rigueur injustifiée
de cette condition l’a rendue impossible à mettre en œuvre et poussée la
Belgique à demander sa modification à la Chambre d’appel en vue de son
applicabilité à Laurent Gbagbo (Arrêt du 28 février 2019). Dans la même
veine, la 5e condition requiert des acquittés de se présenter chaque semaine
auprès des autorités de l’État d’accueil ou auprès du Greffe. En
comparaison, Bemba n’avait pas cette exigence du tout. Les acquittés
libérés sous conditions par le TPIR devaient se présenter une fois par mois
au poste de police le plus proche de leur lieu de résidence. Et non une fois
par semaine.
La sévérité injustifiée des conditions imposées à Laurent Gbagbo et
Charles Blé Goudé ne semble pas tenir compte du statut d’acquittés des
deux personnes, et en particulier de leur acquittement à la suite d’une
procédure de non-lieu à mi-procès, et du constat implacable de la majorité
des juges de la chambre de 1ère instance relative à la faiblesse
exceptionnelle du dossier d’accusation. Par ailleurs compte tenu de ces
conditions très strictes et de la difficulté de les mettre en œuvre, aucun État
n’a encore accepté d’accueillir Blé Goudé. Il vit reclus dans une chambre
d’hôtel à La Haye depuis le 1er février 2019.
CHAPITRE 11

MALGRÉ LA FAIBLESSE EXCEPTIONNELLE DE SES PREUVES


LA PROCUREURE FAIT APPEL DU VERDICT
D’ACQUITTEMENT

Par
Maître Lisa MIMOUN
Avocat à la Cour
Barreau de La Seine Saint-Denis

Le 16 septembre 2019, la Procureure de la Cour pénale internationale


(Cpi) a notifié sa déclaration d’appel. Selon la Procureure cet appel est
motivé par les « nombreuses erreurs de droit et de procédure » qui auraient
abouti à l’acquittement du Président Gbagbo et du Ministre Blé Goudé.
L’appel de la Procureure repose ainsi sur deux moyens :
■ La Chambre de Première Instance aurait violé les dispositions de
l’article 74 (5) du Statut de Rome en faisant une mauvaise application
de son pouvoir discrétionnaire ;
■ La Chambre de Première Instance aurait commis une erreur en rendant
une décision d’acquittement sans avoir préalablement déterminé la
norme de la preuve qui permettrait d’en évaluer le caractère suffisant
ou non.
I. Sur la violation des dispositions de l’article 74 (5) du Statut de
Rome
L’article 74 du Statut de Rome pose les conditions qui doivent être
respectées par la Chambre de Première Instance pour rendre sa décision. Le
point 5 de cet article dispose que :
« La décision est présentée par écrit. Elle contient l’exposé complet et
motivé des constatations de la Chambre de première instance sur les
preuves et les conclusions. Il n’est prononcé qu’une seule décision. S’il
n’y pas unanimité, la décision contient les vues de la majorité et de la
minorité. Il est donné lecture de la décision ou de son résumé en audience
publique ».
Or, selon la Procureure, le 15 janvier 2019, la Chambre de Première
Instance a rendu une décision orale d’acquittement :
➢ En omettant de fournir un exposé complet et motivé des
constatations de la majorité sur les preuves et les conclusions
qu’elle en a tirées ;
➢ En omettant de fournir un résumé des motifs en audience
publique ;
➢ En indiquant simplement que les motifs seraient fournis « dès
que possible », mais sans fixer de date précise pour les fournir ;
➢ En violant l’obligation de ne rendre qu’ « une seule décision ».
Selon la Procureure, ces erreurs n’ont pas été corrigées par les
motivations de la décision qui n’ont été notifiées aux parties que le
16 juillet 2019.
La Procureure estimant que s’il est vrai que l’article 21 du Statut de
Rome donne la possibilité à la Chambre de
Première Instance d’interpréter les dispositions légales, l’approche
adoptée par la Chambre de Première Instance, pour rendre sa décision
d’acquittement, n’en est pas pour autant valide.
En effet, selon la Procureure, lorsque le 15 janvier 2019, la Chambre de
Première Instance rend sa décision orale d’acquittement, « la majorité
n’avait pas encore achevé sa formulation écrite ni le processus nécessaire
pour tirer toutes ses conclusions sur les éléments de preuve et parvenir à
toutes ses conclusions » comme l’exige l’article 74 (5) de sorte que cela
affecte nécessairement la validité de la décision d’acquittement.
Cette analyse de la Procureure est néanmoins contestable car l’article 21
(3) du Statut de Rome dispose que :
« L’application et l’interprétation du droit prévues au présent article
doivent être compatibles avec les droits de l’homme internationalement
reconnus et exemptes de toute discrimination fondée sur des considérations
telles que l’appartenance à l’un ou l’autre sexe tel que défini à l’article 7,
paragraphe 3, l’âge, la race, la couleur, la langue, la religion ou la
conviction, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale, ethnique
ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre qualité́ ».

Ainsi la mise en œuvre de l’article 74 (5) doit nécessairement tenir


compte et respecter les droits de l’Homme internationalement reconnus.
Or, dans sa décision orale du 15 janvier 2019, la Chambre de Première
Instance a indiqué que :
« Après avoir méticuleusement analysé les éléments de preuve et pris en
considération tous les arguments de droit et de fait présentés oralement et
par écrit par les parties et les participants, la Chambre conclut, à la
majorité́ de ses membres, qu’il n’est pas nécessaire que les équipes de la
Défense poursuivent la présentation des moyens de preuve, étant donné
que le Procureur ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve en ce qui
concerne plusieurs éléments constitutifs essentiels des crimes tels que
réprochés aux accusés (…) »
C’est donc après avoir analysé chaque élément de preuves déposées par
la Procureure que la Chambre a constaté qu’ils étaient insuffisants pour
permettre la poursuite du procès et a prononcé l’acquittement.
La Chambre de Première Instance qui avait besoin davantage de temps
pour rédiger la motivation de sa décision d’acquittement avait donc décidé
d’ordonner la mise en liberté du Président Gbagbo et du Ministre Blé
Goudé car il devenait inutile, et contraire aux droits de l’Homme de
maintenir leur détention alors que la motivation de la décision de la
majorité des juges de la Chambre de Première Instance était de prononcer
l’acquittement.
En effet, pourquoi maintenir en détention, le temps de la rédaction de la
motivation de la décision, des personnes que la Chambre avait décidé
d’acquitter ? Cela n’aurait eu aucun sens et aurait était une grave atteinte
aux droits de l’Homme.
Dans sa décision du 15 janvier 2019, la Chambre de Première Instance
l’explique d’ailleurs ainsi :
« (…) La Chambre rendra sa décision pleinement motivée le plus
rapidement possible. La Chambre reconnaît qu’il aurait été́ préférable de
rendre dès aujourd’hui une décision motivée en détail. Cependant, bien que
la règle 144-2 du Règlement de procédure et de preuve dispose que la
Chambre doit fournir des copies de ses décisions – et je cite – « le plus
rapidement possible » après les avoir prononcées en audience publique,
aucun délai particulier n’est fixé à cet égard. La majorité́ est d’avis que
l’obligation que le Statut (sic), article 21-3 du Statut de Rome, impose à la
Chambre d’interpréter et d’appliquer ledit Statut d’une manière
compatible avec les droits de l’homme internationalement reconnus
l’emporte sur l’exigence de livrer des motifs pleinement détaillés au
moment du prononcé de la décision. En effet, une interprétation trop
stricte de la règle 144-2 obligerait la Chambre à retarder le prononcé de sa
décision, dans l’attente de la préparation d’un exposé détaillé́ de
l’ensemble des motifs qui sous-tendent tant les constatations qu’elle a tirées
des preuves que ses conclusions de droit. Étant donné le volume du dossier
des preuves et le degré́ de détail des arguments avancés par les parties et
les participants, et comme la majorité́ a déjà̀ pris sa décision sur la base de
l’évaluation des preuves, la majorité́ ne saurait justifier le maintien des
accusés en détention durant la période nécessaire à la préparation d’un
exposé détaillant par écrit l’ensemble des motifs de sa décision. (…) ».
Il est d’ailleurs à noter que dans sa notification d’appel, la Procureure se
garde bien d’évoquer le respect des droits de l’Homme internationalement
reconnus. Elle se limite à dire qu’il fallait rendre une décision motivée le
15 janvier 2019, estimant que le pouvoir d’interprétation des dispositions
légales par les juges ne permettait pas à ces derniers de rendre leur
motivation postérieurement. Or, les conditions requises par l’article 74 (5)
du Statut de Rome pour rendre une décision, doivent être appliquées dans
le respect des Droits de l’Homme tels que rappelés par l’article 21 (3) du
Statut de Rome.
II. Sur la prétendue nécessité de la détermination préalable de la
norme de la preuve
Selon la Procureure, aucune décision d’acquittement n’aurait pu
intervenir sans que ne soit préalablement déterminée la norme de la preuve
à appliquer pour en déterminer le caractère suffisant ou pas.
Selon la Procureure, cela a conduit la Chambre de Première Instance à
mal évaluer les éléments de preuve au stade de la Requête de « No Case to
Answer » (NCTA).
En effet, la Procureure estime que le seul fait pour la Chambre de
Première Instance d’avoir rendu une décision orale le 15 janvier 2019, sans
avoir simultanément donné la motivation, démontrent que les Juges
n’étaient pas encore parvenus à une conclusion quant aux normes et à
l’approche qu’ils appliqueraient pour évaluer les moyens de la requête
NCTA de la Défense.
Cette seule critique suffit à elle seule, selon la Procureure pour infirmer la
décision d’acquittement rendue par la Majorité.
Surtout, la Procureure estime que dans la mesure où l’accusation n’a pas
été dûment informée de la norme et de la méthode à appliquer, en ce qui
concerne les éléments de preuve, cela n’a pas été équitable, et ne pouvait
donc aboutir juridiquement ou procéduralement à une décision
d’acquittement.
Or, cet argument ne saurait être pertinent dans la mesure où le Juge
Henderson a pris le soin de rappeler que ce n’est pas la première fois que la
Cour est saisie d’une requête NCTA.
Cela a déjà été le cas dans l’affaire « Le Procureur c/ Ruto et Sang », à
l’occasion de laquelle la Chambre a rendu une décision dans laquelle elle
déclarait que :
« Le critère à appliquer pour se déterminer sur une requête « No Case To
Answer » […] consiste à savoir s’il existe des éléments de preuve sur
lesquels une Chambre de première instance raisonnable pourrait déclarer
coupable. Dans le cadre de cette analyse, chaque chef d’accusation […]
sera examiné séparément et, pour chaque chef d’accusation, il ne sera
nécessaire que de satisfaire au critère relatif à un seul mode de
responsabilité, tel que plaidé ou pour lequel un avis publié en vertu du
Règlement 55 du Règlement a été publié par la Chambre. La Chambre
n’examinera pas les questions de fiabilité ou de crédibilité relatives aux
éléments de preuve, sauf si les éléments de preuve en question sont
impossibles à croire par une Chambre de première instance raisonnable ».
Ainsi, et comme l’a rappelé le Juge Henderson, la question essentielle est
de savoir, en ce qui concerne chaque chef d’accusation, si le Procureur a
présenté des preuves suffisantes à l’appui de ce chef d’accusation pour
qu’une chambre raisonnable puisse entrer en voie de condamnation.
Ainsi, et à ce stade :
➢ Soit la Chambre conclut que les preuves sont insuffisantes pour
parvenir à une telle condamnation en rapport avec un crime
particulier ou sur le fondement d’une forme particulière de
responsabilité pénale ; dans ce cas la Chambre met fin aux
procédures en première instance relatives à cette accusation et
prononce un acquittement ;
➢ Soit la Chambre conclut que le Procureur a soumis des preuves
suffisantes à l’appui d’une ou plusieurs accusations permettant à
une Chambre de se prononcer ; et dans ce cas le procès doit se
poursuivre en ce qui concerne les accusations étayées de manière
évidente.
Ainsi et à la lumière de la Jurisprudence, la Procureure ne peut dès lors
sérieusement prétendre ignorer la norme de preuve applicable dans le cadre
d’une requête NCTA.
Cet argument soutenu à l’appui de la notification d’appel, apparait ainsi
peu convaincant. Enfin, et surtout, il convient de rappeler que la Chambre
de Première Instance n’est pas une Chambre préliminaire, mais une
juridiction de Jugement qui n’a en principe plus à se prononcer sur
l’existence de la preuve, mais sur la qualité de cette dernière.
L’insuffisance manifeste de la preuve à charge par l’accusation doit dont
nécessairement aboutir à l’acquittement des accusés.
POSTSCRIPTUM

Par
Justin Katinan KONÉ
Ancien ministre
Porte-parole du Président Laurent Gbagbo

Depuis le 11 Avril 2011, la recherche de la vérité sur ce qui s’est passé en


Côte d’Ivoire durant ce que l’usage nomme « crise postélectorale » mobilise
beaucoup de personnes de bonne volonté, chacune selon ses capacités et
son talent. Cette mobilisation a pris du relief après la déportation du
Président Laurent Gbagbo à la Cpi le 29 novembre 2011. Que ce soit dans
les rues, dans les ouvrages (individuels ou collectifs), dans les salles de
conférence, les hommes épris de justice de divers horizons, n’ont de cesse
de dénoncer l’inacceptable injustice qui est faite au Président Laurent
Gbagbo et à son ancien Ministre Blé Goudé et, à travers eux, à une très
grande partie de la population ivoirienne.
Le présent ouvrage est un résumé des 1300 pages des motivations écrites
de la majorité des deux juges qui ont prononcé l’acquittement des deux
prévenus et des 300 pages de l’opinion dissidente de la troisième juge qui
s’est prononcée contre cet acquittement. Il est l’œuvre d’intellectuels et de
professionnels du droit qui ont décidé de réunir dans un document, de
lecture facile, les grandes lignes des arguments des juges.
Je voudrais, en tant que son porte-parole, traduire par ces lignes, la
profonde gratitude du Président Laurent Gbagbo à toutes ces personnes.
Notre souhait est que cet opuscule soit lu par un grand public. Une
version anglaise suivra après la publication de la version française. La
décision des juges a une portée qui va bien au-delà de la perception
juridique de cette affaire. Elle a aussi une portée politique et historique très
forte. En lisant ce petit livre, l’on découvrira la vérité sur les évènements
qui ont endeuillé et défiguré la Côte d’Ivoire ; une vérité simple que l’on a
tenté de noyer en désignant, dans une approche manichéenne, avec une
mauvaise foi consommée, un bouc émissaire en la personne du Président
Laurent Gbagbo.
Les maîtres d’ouvrage du drame ivoirien cherchaient à la Cpi des
exorcistes pour libérer leur conscience souillée par tant de mensonges afin
de sanctifier leur besogne honteuse en Côte d’Ivoire, ils sont tombés,
malheureusement pour eux, sur des juges qui ont dit tout simplement le
droit.
Ce n’est pas l’appel de la Procureure, qui sonne comme un chant du
hibou qui annonce le crépuscule des temps sombres qui enveloppent la Côte
d’Ivoire depuis plus de dix ans, qui empêchera l’histoire de suivre son
cours, contre vents et marées.
Bonne lecture à toutes et à tous !
ACRONYMES

BASA : Bataillon d`artillerie sol-air


BTR : Véhicule de transport blindé amphibique 8X8
43ème BIMA : 43ème Bataillon d’Infanterie Marine
CC : Conseil Constitutionnel
ICC : International Criminal Court
CCI : Centre de Commandement Intégré
CEDEAO : Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest
CEI : Commission Électorale Indépendante
CICR : Comité International Croix Rouge
CNRD : Congrès National de la Résistance et la Démocratie
CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique
CRS : Compagnie Républicaine de Sécurité
CPI : Cour pénale internationale
FAFN : Forces Armées des Forces Nouvelles (mouvement rebelle)
FANCI : Forces Armées Nationales de Côte d’Ivoire
FDS : Forces de Défense et de Sécurité
FLGO : Front de Libération du Grand Ouest FN : Forces Nouvelles
FRCI : Forces Républicaines de Côte d’Ivoire
FPI : Front Populaire Ivoirien
GPP : Groupement Patriotique pour la Paix LMP : La Majorité
Présidentielle
MPIGO : Mouvement Populaire Ivoirien du Grand Ouest (mouvement
rebelle)
ONG : Organisation Non Gouvernementale ONU : Organisation des
Nations-Unies
ONUCI : Opération des Nations-Unies de Côte d’Ivoire
PDCI-RDA : Parti Démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement
Démocratique Africain
RDR : Rassemblement Des Républicains
RHDP : Rassemblement des Houphouëtistes Pour la Démocratie et la Paix
RTI : Radio Télévision Ivoirienne
TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda UER : Unité
d’Enseignement et de Recherche
UFR : Unité de Formation et de Recherche
Table des matières

Couverture

4e de couverture

Afrique liberté

Titre

Copyright

AVANT-PROPOS

CHAPITRE 1
LES FAITS INCRIMINÉS DANS LES CHARGES DU PROCUREUR
1. Présentation des Charges et du récit des Évènements soutenus par la
Procureure à l’encontre du Président Gbagbo et du Ministre Blé Goudé
2. L’analyse des Charges et du récit de la Procureure par la Chambre de
Première Instance
A. Marche du 16 décembre 2010 sur la RTI
B. Les Évènements du 25 au 28 février 2011 À Yopougon
C. La Marche des femmes À Abobo du 3 mars 2011
D. Le bombardement du marché d’Abobo du 17 mars 2011
E. Attaque À Yopougon du 12 avril 2011
F. Sur la Notion de plan commun selon lequel les Évènements seraient
intervenus

CHAPITRE 2
LE "PLAN COMMUN ET LA POLITIQUE" DE LAURENT GBAGBO
"POUR SE MAINTENIR AU POUVOIR PAR TOUS LES MOYENS"

1. Le « plan commun » élaboré par Laurent Gbagbo « pour se maintenir au


pouvoir » et la réponse du juge Henderson
2. « Genèse et conception du prétendu plan/politique commun »
Conclusion

CHAPITRE 3
LA PROTECTION DES INSTITUTIONS, DES POPULATIONS ET DES
BIENS : LES ACTIONS DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ET
DES FORCES DE DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ LORS DE LA CRISE
POSTÉLECTORALE IVOIRIENNE DE 2010-2011
1. Les allégations du procureur : le président Laurent Gbagbo et les FDS
n’ont pas rempli leur mission de protection des populations
A. La théorie du procureur
B. Les failles majeures de la théorie du procureur
2. Un récit caricatural du contexte sociopolitique de la Côte d’Ivoire
3. L’omission délibérée et suspecte du contexte de guerre
4. La faiblesse « exceptionnelle » de la Preuve du Procureur
5. Le rejet de la théorie du procureur par la majorité
A. Le président Laurent Gbagbo n’a pas commis de crime contre
l’humanité/des populations civiles
1) Le Président Laurent Gbagbo n’a pas eu pour projet de
commettre des crimes contre des civils partisans d’Alassane
Ouattara
2) Le président Laurent Gbagbo n’est pas pénalement responsable
des crimes reprochés
B. Le président Laurent Gbagbo a protégé les populations et les
institutions de la république
1) La réquisition à bon droit des FDS pour protéger les populations
2) L’adoption de mesures spécifiques idoines de protection des
populations
C. Les forces de défense et de sécurité n’ont pas failli dans leur mission
de protection des institutions et des populations
1) La défense des institutions et des lois par les FDS
2) La protection des populations et des biens
Conclusion

CHAPITRE 4
LA NON NEUTRALITÉ DE L’ONU ET DE LA FRANCE DONT LE
SEUL SOUCI ÉTAIT DE METTRE À L’ÉCART LE PRÉSIDENT ÉLU
LAURENT GBAGBO
CHAPITRE 5
LES TÉMOINS ET LES EXPERTS DU PROCUREUR À L’ÉPREUVE
DES FAITS
1. Les preuves du procureur comportent des faiblesses intrinsèques
1.1. Les témoignages
1.2. Les ouï-dire
1.3. La corroboration
2. Les preuves du procureur ne peuvent soutenir ses allégations
2.1. L’interdiction de la marche RTI du 16 décembre 2010
2.2. La marche des femmes du 3 mars 2011
2.3. Le bombardement du marché d’Abobo
2.4. Les massacres du 12 avril 2011 à Yopougon

CHAPITRE 6
LES JUGES DE LA CPI REJETTENT LES PREUVES DU PROCUREUR
ET QUALIFIENT LAURENT GBAGBO DE PRÉSIDENT
RESPONSABLE

CHAPITRE 7
L’ACQUITTEMENT, LA GRANDE VICTOIRE POLITIQUE
DE LAURENT GBAGBO
I. La crise de 2011 est l’épilogue du coup d’État et de la rébellion de 2002
II. Une coalition internationale contre Laurent Gbagbo depuis le début de
son pouvoir
III. Le Président Laurent Gbagbo n’a jamais initié ni implémenté une
politique de ségrégation ethnique ou nationale

CHAPITRE 8
QUAND LE MENSONGE EST MIS À NU, À QUOI BON
S’Y ACCROCHER ?

CHAPITRE 9
LA MISE EN LIBERTÉ SOUS CONDITIONS DES
ACQUITTÉS LAURENT GBAGBO ET BLÉ GOUDÉ OUTREPASSE
LES DISPOSITIONS PERTINENTES DU STATUT DE ROME
Introduction
1. L’arrêt de la Chambre d’appel
2. Les motifs des juges de la majorité
3. Les réponses des accusés
3.1. Les réponses de Laurent Gbagbo
3.2. Les réponses de Blé Goudé
4. Par son appel du verdict d’acquittement la procureure fait une fuite en
avant
5. Que se cache-t-il derrière ce que l’on fait subir au Président Gbagbo ?
Conclusion

CHAPITRE 10
LES LACUNES DE LA DÉCISION DE LIBÉRATION
SOUS CONDITIONS DE LAURENT GBAGBO ET BLÉ GOUDÉ
PAR LA CHAMBRE D’APPEL DE LA CPI
1. Le pouvoir de libérer sous conditions en vertu de l’article 81 (3)(c) du
Statut de Rome
2. Les « mesures impérieuses » vs les « circonstances exceptionnelles »
pour la libération conditionnelle des personnes acquittées par la Cpi
3. La sévérité des conditions imposées à la libération de Gbagbo et Blé
Goudé

CHAPITRE 11
MALGRÉ LA FAIBLESSE EXCEPTIONNELLE DE SES PREUVES LA
PROCUREURE FAIT APPEL DU VERDICT D’ACQUITTEMENT
I. Sur la violation des dispositions de l’article 74 (5) du Statut de Rome
II. Sur la prétendue nécessité de la détermination préalable de la norme de
la preuve

POSTSCRIPTUM

ACRONYMES

TABLE DES MATIÈRES

Adresse

Vous aimerez peut-être aussi