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Afrique Liberté est une collection qui accueille essais, témoignages et toutes œuvres qui permettent
de faire connaître l’Afrique dans toute sa diversité et toute sa profondeur. Cette collection qui reste
ouverte se veut pluridisciplinaire. Son orientation sera essentiellement axée sur les rapports entre
l’Afrique et l’Occident. Elle refuse l’afro-pessimisme et se range résolument dans un afro-optimisme
réaliste. Sur quels repères fonder l’Afrique d’aujourd’hui ? Telle est une des questions majeure à
laquelle cette collection tentera de répondre. Afrique Liberté se veut un espace qui doit explorer
l’attitude de l’Africain ou des africanistes dans ses dimensions mentale, scientifique, culturelle,
psychologique et sociologique. Dans un monde en proie à de graves crises, un des enjeux majeurs de
cette plate-forme serait de voir comment faire converger les différents pôles de compétences pour
hisser l’Afrique à la place qui doit être véritablement la sienne.
Déja parus
Viviane Gbadoua Uetto, Marc Adoux Pape, Hommage à Bernard B. Dadié, père-fondateur de la
littérature ivoirienne d’expression française. Gloire à l’ancêtre vivant, février 2019.
Claude Koudou, Raymond Koudou Kessie, Pascal Kokora, Quel FPI et sa diaspora pour la
reconquête du pouvoir d’État ? mai 2018
Sous la direction de Claude Koudou, Des pensées de Laurent Gbagbo. Quel message pour la
réconciliation nationale en Côte d’Ivoire ? mai 2017
Félix Tano, Hubert Oulaye, Raymond Koudou Kessie, Le procès de la CPI contre le président
Laurent Gbagbo. Et si la politique quittait le prétoire ! avril 2016.
Hippolyte Yomafou, Pour un consensus entre foi et raison face à l’angoisse du mal, janvier 2016.
Remerciement
Merci à @EpubsFR d’avoir retravaillé cette version numérique, et permis son accès gratuit à tous.
Sous la coordination de
Justin Katinan KONÉ et Raymond KOUDOU Kessié
L’acquittement
de Laurent Gbagbo et Blé Goudé
Par
Pr. Raymond KOUDOU Kessié
Ambassadeur de Côte d’Ivoire
UFR Criminologie / Université d’Abidjan-Cocody
1. Qui a gagné l’élection présidentielle 2010 en Côte d’Ivoire ? Sous la coordination de Nyamien
Messou N’Guessan, Éditions Universitaires Européennes, Beau Bassin, 2019, 161 p.
2. Laurent Gbagbo et François Mattei : Libre Pour la vérité et la justice, Max Milo, 2018, p. 19.
3. M. Bernard HOUDIN, Mme Nicoletta FAGIOLO, M. Justin Katinan KONÉ, Dr. Claude
KOUDOU, Pr. Raymond KOUDOU Kessié, Maître Lisa MIMOUN, M. Moussa Bienvenu HABA,
Pr. Hubert OULAYE, Maître Alexandre RAMSAMY, Pr. Félix TANO, M. Jean- Hilaire YAPI.
CHAPITRE 1
Par
Maître Alexandre RAMSAMY
Avocat à la Cour
Barreau de Paris
Par
Dr. Claude KOUDOU1
Docteur ès Sciences de l’Université Pierre et Marie Curie
(Paris VI Jussieu)
Enseignant-Directeur de la Collection « Afrique Liberté »
chez les Editions L’Harmattan
Sur ce sujet que nous sommes amenés à traiter, il nous vient d’entrée de
jeu de se poser la question de savoir si son intitulé est une affirmation ou un
questionnement. En fait, les juristes pourraient mieux expliquer les choses
pour ce qu’il s’est réellement passé dans le procès du Président Laurent
Gbagbo et du Ministre Charles Blé Goudé ; mais sans doute également des
politiques. Pour l’instant, en tout cas, les Motifs de la majorité des juges de
la Chambre de première instance est susceptible de nous en dire plus sur
l’esprit qui a présidé à la posture du procureur.
Depuis l’arrestation du Président Laurent Gbagbo le 11 avril 2011, en
passant par sa détention pendant sept mois à Korhogo (Nord de la Côte
d’Ivoire), dans des conditions qui éprouvent gravement les droits de
l’homme et son transfèrement à la Cour pénale internationale, et les
procédures qui ont suivi, la politique était déjà dans le prétoire au détriment
du Droit. C’est pourquoi nous montrerons ici, en nous appuyant sur les
Motifs des juges, que parler de « plan commun et la politique » de Laurent
Gbagbo « pour se maintenir au pouvoir par tous les moyens » est une
construction de l’imaginaire du Procureur.
Le récit du Procureur veut montrer que le Président Laurent Gbagbo a
monté un complot pour se maintenir au pouvoir. S’il est vrai que nos
sociétés sont devenues vulnérables, que la peur est donc souvent présente,
est-ce suffisant pour qu’elles soient affectées par la schizophrénie ? En tout
cas, le Procureur a voulu peindre un autre Laurent Gbagbo, celui-là plutôt
complotiste.
Le juge Henderson écrit d’ailleurs : « … la majorité a acquitté M.
Gbagbo et M. Blé Goudé parce que la manière dont le Procureur a décrit
leurs actions et omissions d’un point de vue juridique ne pouvait être
soutenue par les preuves. »2
Par ailleurs, tout en admettant que le climat de guerre et le contexte de
crise pouvaient laisser plus de place à l’émotion qu’à la raison, le Procureur
a malheureusement voulu d’emblée se saisir de cette atmosphère pour
verser dans la manipulation. Le juge Henderson rappelle pour autant le rôle
du professionnel du droit : « … à une époque où les extraits sonores et les
fausses nouvelles dominent le discours public, souvent au détriment de la
nuance et d’un raisonnement solide, il est important pour la magistrature
de maintenir et de promouvoir certaines normes minimales de rationalité et
de transparence.3
Notre présentation dans ses lignes, ne revendique pas la présentation la
mieux adaptée. Parce que l’exercice n’est pas exempt de complexité vu la
densité du rendu du juge Henderson. Mais cette présentation peut permettre
au lecteur de suivre notre démonstration.
1. Le « plan commun » élaboré par Laurent Gbagbo « pour se
maintenir au pouvoir » et la réponse du juge Henderson
Dans ses déclarations, le Procureur s’en prend aux collaborateurs proches
du Président Laurent Gbagbo en leur prêtant des intentions pour construire
et soutenir sa thèse sur le prétendu « plan commun ou politique ».
Nous avertissons que pour rendre agréable la lecture et l’assimilation des
différents propos, les allégations du Procureur seront mises en italique pour
les différencier des arguments du juge Henderson. Les deux types
d’affirmations seront donc déclinés alternativement.
« Le Procureur s’est fondé, entre autres, sur le témoignage de P-0176
pour alléguer que Damana Pickass faisait partie du " cercle restreint ". Le
Procureur a allégué que, à la télévision nationale, il avait déchiré le
journal contenant les résultats de l’élection tels qu’ils avaient été compilés
par la CEI et était resté fidèle à M. Gbagbo pendant toute la durée des
violences postélectorales. P-0176 a témoigné que Guillaume Gbato, chef de
la Jeunesse FPI à l’époque en 2006, lui a dit que Damana Pickass était "
l’un des collaborateurs respectés du Président Affi N’Guessan " et qu’il
était un des jeunes qui était en contact avec M. Gbagbo. Il convient
également de noter que le témoin P-0176 a déclaré ce qui suit [Damana
Pickass] était de la fête de M. Laurent Gbagbo. Et la plupart de ces jeunes
étaient membres de l’aile jeunesse du FPI, et ils voulaient l’inviter à rendre
l’occasion encore plus solennelle pour le mouvement, encore plus crédible,
car M. Damana Pickass n’était tout simplement pas n’importe qui (…).
C’était quelqu’un d’important. »4
« Le Procureur allègue également que Damana Pickass était à la réunion
de 2002 où M. Blé Goudé a été choisi pour diriger la " lutte patriotique "
contre " la rébellion ". Les conclusions de cette réunion sont rappelées.
Damana Pickass semble avoir assisté à cette réunion qui a eu lieu après la
tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002. »5
« Le Procureur s’est également appuyé sur les émissions de la RTI des
1er et 2 décembre 2010 pour affirmer que les réactions de Damana Pickass
à la suite de l’annonce du second tour des élections ont démontré la mise
en œuvre du prétendu Plan commun. Dans cette émission, les commentaires
de Damana Pickass portent sur l’apparente "violation flagrante du mode
opératoire unanimement admise par la CEI". Ces événements ont été
signalés comme un manque de consensus entre les membres de la CEI.
… »6
« … Nous avons conclu qu’ils veulent opérer un coup de force électoral.
Il s’agit d’un véritable coup d’état électoral et nous ne pouvons pas
accepter ça. Je voulais, donc aux termes de cet éclairage, demander aux
Ivoiriens de rester calmes, de rester sereins, de rester imperturbables. Nous
allons proclamer les résultats. Nous allons proclamer les résultats de
l’élection présidentielle. Qu’ils ne fassent pas attention aux rumeurs, qu’ils
ne fassent pas attention aux allégations, aux SMS, ils n’ont qu’à rester
sereins. La CEI ira jusqu’au bout du processus, et va publier les résultats
crédibles, les résultats valables, les résultats où les élections se sont
déroulées normalement. Et c’est ce qui sera fait, et c’est ce qui sera
admis. »7
« Dans cette évaluation, les conclusions concernant les visites de Paul
Yao N’Dré, Président du Conseil constitutionnel, à la résidence
présidentielle à cette époque sont notées. »8
Le Procureur a cité une émission de RTI qui aurait démontré que Damana
M. Pickass est resté fidèle à M. Gbagbo “bien après la crise postélectorale
et a réitéré ses appels à la mobilisation en avril 2011”.
« À ce propos, le juge Henderson ne trouve rien d’étonnant à ce que
Damana Pickass soir resté fidèle à Laurent Gbagbo. Il ajoute même que le
soutien de Damana Pickass à Laurent Gbagbo ne constitue pas une preuve
au prétendu « plan commun »
« Le Procureur affirme que Pascal Affi N’Guessan, en tant qu’ancien
Premier Ministre et Président du FPI à l’époque, a joué un rôle
déterminant dans le maintien de M. Gbagbo au pouvoir par tous les
moyens. ». Le Procureur a allégué que le Président du FPI, M. N’Guessan,
se rendait régulièrement dans les locaux de l’Organisation. Résidence
présidentielle pendant la crise postélectorale du 12 novembre au 10 avril
2011 et, compte tenu de sa position, a contribué par tous les moyens à
maintenir M. Gbagbo au pouvoir. P-0048 a témoigné que selon les
dispositions constitutionnelles de la Côte d’Ivoire, un président sortant ne
peut pas être le chef d’un parti politique et Pascal Affi N’Guessan
représente le FPI. Il est rappelé les conclusions auxquelles sont parvenues
les réunions attestées par le Journal de bord de la Résidence. »9
« Compte tenu de sa position politique en Côte d’Ivoire à l’époque, on
peut supposer sans risque de se tromper que Pascal Affi N’Guessan
partageait l’intention de faire élire M. Gbagbo, mais que le Procureur n’a
pas fait état de preuves montrant qu’il avait accepté ou avait l’intention de
le faire en recourant à la violence et/ou en commettant des crimes contre la
population civile. Le Procureur cite également les témoignages du Général
Mangou, P-0625 et P-0331 pour démontrer ses contributions, mais aucun de
ces témoignages ne mentionne Pascal Affi N’Guessan comme ayant accepté
ou autrement eu l’intention de maintenir M. Gbagbo au pouvoir à tout prix.
Il ressort clairement du témoignage du Général Mangou qu’il a appelé M.
Affi N’Guessan en sa qualité de haut responsable du FPI pour l’informer de
son intention de prêter allégeance à M. Ouattara après l’arrestation de M.
Gbagbo. (…) »10
« Le Procureur a allégué qu’Alain Dogou, en tant que Ministre de la
défense, faisait partie du " cercle restreint ". En plus de sa présence
présumée à certaines réunions, le Procureur compte sur P-0435 pour le
relier à la direction du GPP. Eu égard aux conclusions tirées de ces
allégations, on ne saurait en déduire qu’Alain Dogou a accepté ou avait
l’intention de maintenir M. Gbagbo au pouvoir en recourant à la violence
et/ou en commettant des crimes contre la population civile. »11
« Notant que le fait de manifester publiquement son soutien à M.
Gbagbo, en soi, n’est pas une preuve de cette intention, la Chambre n’est
pas convaincue non plus que les déclarations d’Alain Dogou lors des
émissions de la RTI des 7, 8 et 10 décembre 2010 soutiennent cette
allégation. En particulier, sa déclaration du 8 décembre 2010 concernant la
hiérarchie a été faite en relation avec ses commentaires sur sa capacité
d’être approchable en tant que ministre tout en exhortant les personnes ci-
dessous à respecter la hiérarchie. Dans sa déclaration diffusée le
10 décembre 2010, il a exhorté les officiers à " accomplir leurs missions
officielles avec toujours plus de rigueur et une loyauté sans faille à travers
la République et ses institutions ". Le fait que M. Dogou ait appelé à la
loyauté peut indiquer sa volonté de maintenir M. Gbagbo dans une position
aussi forte que possible ; cependant, cette déclaration, surtout lorsqu’elle est
considérée dans son contexte, ne peut être interprétée comme une preuve de
son intention de commettre des violences contre des civils. »12
« Le Procureur allègue que M. Guiriéoulou, Ministre de l’intérieur, était
un membre du " cercle restreint " et un allié de confiance de M. Gbagbo.
Parmi les actes qui lui sont attribués, on peut citer une adresse aux préfets
et sous-préfets et son soutien public à M. Gbagbo… »13
« Il est à noter que l’adresse de M. Guiriéoulou aux préfets et sous-
préfets en date du 10 décembre 2010 ne démontre pas qu’il partageait
l’intention du prétendu plan commun ou politique. Il appelle les préfets et
sous-préfets à assumer leurs fonctions avec " confiance, sérénité, loyauté et
engagement dans la construction, la consolidation de la paix et la cohésion
sociale " ; il rappelle le principe que leur autorité est fondée, entre autres,
sur une égale distance des intérêts politiques et régionaux… »14
« S’appuyant sur le témoignage de P-0483, le Procureur allègue que M.
Guiriéoulou a fourni des fonds à des mercenaires libériens. »15
« Pourtant, cette allégation n’est pas reflétée dans le témoignage de P-
0483. Il est à noter que P-0483 a témoigné expressément qu’il ne savait rien
des noms des personnes qui avaient donné de l’argent aux mercenaires
libériens, qui faisaient partie des forces armées en 2002- 2003. En tout état
de cause, même s’il est vrai que M. Guiriéoulou a financé des mercenaires
en 2002-2003, qui auraient opéré dans l’ouest du pays, il est loin d’être
évident que cela a une incidence sur l’existence d’un plan visant à blesser
des civils à Abidjan en 2010. »16
« Le Procureur a allégué qu’Alcide Djédjé, le Ministre des affaires
étrangères, était un " membre important " du " cercle restreint " présumé.
M. Djédjé aurait " épousé " la prétendue politique de M. Gbagbo, … »17
« Compte tenu de sa position de ministre des Affaires étrangères pendant
la crise postélectorale, la fréquence de ses visites à la Résidence
présidentielle n’est pas surprenante. De même, le fait que, dans le contexte
des événements postérieurs au 25 mars 2011, P-0321 ait qualifié Alcide
Djédjé d’"un homme de confiance" de M. Gbagbo n’est pas nécessairement
révélateur d’un autre accord ou d’une intention criminelle commune. »18
« Alcide Djédjé aurait déclaré que " s’agissant de Koumassi, il ne s’agit
plus de manifestants mais de rebelles… »19
« Ayant également à l’esprit les conclusions relatives à l’acquisition
d’armes par l Lafont et Alcide Djédjé à cet égard, il n’est pas possible de
conclure, sur la base des éléments de preuve disponibles, que Alcide Djédjé
a accepté le prétendu plan commun. »20
« Dans sa réponse, le Procureur souligne également qu’en 2009, M.
Tagro a signé certains documents concernant des livraisons de grenades
lacrymogènes commandées par le gouvernement à Darkwood Logistics
alors qu’il était encore Ministre de l’intérieur. Il est également noté que la
Réponse allègue que Tagro a nié l’existence des "escadrons de la mort"
dans les images vidéo. »21
« Il est à noter que cette vidéo est datée de 2002 et que les commentaires
de Tagro dans cette vidéo n’ont pas d’incidence significative sur cette
affaire. »22
« Le Procureur a allégué que l’ancien Ministre de la fonction publique,
Hubert Oulaï [également appelé Oulay ou Oulaye] était un point de contact
essentiel entre les mercenaires libériens et le gouvernement de M. Gbagbo
et qu’il avait facilité la présence, le logement et le financement de ces
mercenaires ; il aurait également visité la résidence présidentielle pendant
la crise postélectorale. »23
« En ce qui concerne le lien allégué entre M. Gbagbo et les combattants
libériens, le Procureur a également fait référence au témoignage de P-0483
selon lequel il aurait vu Hubert Oulaï à la suite de Gbagbo, présumé être
un général LIMA/MODEL. »24
« Ces éléments de preuve ne suffisent pas à démontrer l’implication de
M. Oulaï et/ou la facilitation des liens entre M. Gbagbo et les mercenaires
libériens pendant la crise postélectorale. »25
« Dans le mémoire de mi-procès, le Procureur a allégué que Bertin Kadet
avait participé à la formation des jeunes par le GPP et à leur armement. Le
témoin P- 0435 a déclaré qu’à Gagnoa, Bertin Kadet a demandé à
Zagbayou de former 300 jeunes ; d’après P-0435, ils devaient s’assurer
qu’il y avait suffisamment de personnel formé et prêt à prendre les armes et
à combattre car “il pourrait y avoir de nombreux événements malheureux à
venir”. »26
« Dans sa réponse, le Procureur fait valoir que cela devrait être
“examiné dans le contexte des éléments de preuve concernant la formation
des jeunes par le GPP tant à Abidjan qu’à l’extérieur, avant les élections
présidentielles” et fait valoir que " la seule conclusion raisonnable est que
cette formation était coordonnée … »27
« Le Procureur se réfère à l’émission diffusée par la RTI le 3 avril 2011,
ainsi qu’au témoignage du Général Mangou à l’appui de son allégation
selon laquelle Bertin Kadet aurait été impliqué dans l’obtention de la
position de pouvoir de M. Gbagbo jusqu’à son arrestation en avril 2011.
Dans cette émission, il est noté que Bertin Kadet a déclaré que la
population doit rester calme et continuer le combat. Le Général Mangou a
témoigné qu’après sa réunion du 3 avril 2011, Bertin Kadet lui a dit de
déclarer à la presse qu’ils avaient l’intention de reprendre les combats. Le
Général Mangou a en outre témoigné que le 9 avril 2011, alors qu’il
demandait un éventuel cessez-le-feu, le Général Mangou a appelé, entre
autres, Bertin Kadet pour l’informer qu’ils allaient demander un cessez-le-
feu, ce que Kadet a convenu qu’ils devaient faire. »28
« Eu égard aux conclusions précitées et compte tenu du fait que Bertin
Kadet aurait rencontré M. Gbagbo lors de cinq ou six réunions au cours de
la crise postélectorale, on peut conclure que Bertin Kadet a soutenu M.
Gbagbo sur le plan politique et qu’il a peut-être aussi eu certains liens avec
le GPP et le FLGO. »29
« Cependant, après avoir examiné ces liens à la lumière des rares
éléments de preuve disponibles, aucune chambre de première instance
raisonnable n’a pu conclure que Bertin Kadet partageait l’intention de
commettre des crimes contre la population civile. »30
« Le Procureur a allégué qu’Aboudramane Sangaré, inspecteur général
de l’État et ancien ministre des Affaires étrangères, était le “numéro 2 du
FPI” ; il est également accusé d’être l’un des “conseillers de confiance” de
M. Gbagbo en raison de sa présence à des réunions importantes entre M.
Gbagbo, Simone Gbagbo, et d’autres dirigeants du FPI pendant la crise
postélectorale. Il a également été signalé qu’il avait été présent à la
résidence présidentielle vers la fin des violences postélectorales en avril
2011. »31
«…»
« Sur la base des éléments de preuve examinés ci-dessus et à la lumière
d’autres éléments de preuve pertinents versés au dossier, il est clair que M.
Gbagbo était entouré d’un groupe de personnes qui soutenaient sa
candidature à la présidence et qui, dans une certaine mesure, lui étaient
fidèles. Compte tenu de la position de M. Gbagbo, il n’y a rien d’étonnant
ou d’extraordinaire à ce qu’un haut responsable politique ait des partisans
politiques, et il n’est pas non plus problématique en soi que des officiers
supérieurs restent fidèles à M. Gbagbo en attendant la résolution de la
question de savoir qui a remporté les élections présidentielles. Il n’est pas
non plus surprenant que certains de ces individus aient pu avoir un intérêt
personnel dans la survie du régime Gbagbo. En ce sens, l’affirmation du
Procureur selon laquelle un groupe de personnes partageait l’objectif de
maintenir M. Gbagbo au pouvoir est sans aucun doute vraie. »32
« Cependant, le Procureur attribue des motifs plus sinistres à ce groupe
de personnes et c’est là que les preuves sont beaucoup moins
convaincantes. »33
« Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de cas de comportement suspect de
la part de certaines des personnes mentionnées. Certains peuvent même
avoir été impliqués dans des affaires criminelles d’une façon ou d’une autre.
Cependant, les preuves sont pour la plupart anecdotiques et sont beaucoup
trop ambiguës pour permettre à toute chambre de première instance
raisonnable de conclure qu’il y avait un groupe d’individus qui partageaient
l’intention de maintenir M. Gbagbo au pouvoir à tout prix, en particulier en
commettant des actes de violence contre des civils soutenant M.
Ouattara. »34
2. « Genèse et conception du prétendu plan/politique commun »
Dans le mémoire de mi-procès, « le Procureur a allégué que « Pour
rester au pouvoir, le Gbagbo et les membres du Cercle Intérieur ont utilisé
des moyens violents pour réprimer les opposants politiques et Blé Goudé a
contribué à la répression en impliquant les jeunes dans ces actes. Il s’agit
notamment de l’utilisation de l’armée en milieu urbain, du recrutement et
de l’entraînement de jeunes Ivoiriens, et de l’utilisation de milices et de
mercenaires étrangers. »35
« Dans sa réponse, le Procureur souligne que M. Gbagbo ou Alassane
Ouattara ait gagné ou non les élections de 2010 en Côte d’Ivoire n’est pas
un problème dans ce cas. Il s’agit plutôt de savoir si M. Gbagbo et ses
associés ont pris la décision de maintenir M. Gbagbo au pouvoir en
utilisant toute la force de l’État – ainsi que des acteurs non étatiques –
contre des civils qui étaient perçus comme opposés à lui. »36
« Chercher à rester au pouvoir n’est pas criminel. Par conséquent, en
l’espèce, l’évaluation du prétendu plan commun implique nécessairement
une évaluation des crimes présumés résultant du maintien au pouvoir et/ou
utilisés comme moyen de le faire. Selon le dossier du Procureur, la
criminalité du prétendu Plan commun est centrée sur l’emploi par l’accusé
de “moyens violents pour réprimer les opposants politiques” et sur
“l’impunité des auteurs” de cette répression. Les deux éléments seront
traités à tour de rôle. »37
« Avant de passer à cette analyse, il convient de noter que
l’argumentation du Procureur concernant le prétendu Plan commun est
fondée sur des preuves circonstancielles. Dans le cadre de cette évaluation,
le Procureur a invité la Chambre à tirer des conclusions, entre autres, de
“l’action concertée ultérieure des coauteurs”. À cet égard, il est noté que,
souvent, le fait que ces actions soient concertées est également une question
d’inférence. Bien qu’il soit concevable, et souvent raisonnable, de tirer des
conclusions à partir d’une série d’inférences, il faut faire preuve de
prudence avant de tirer de telles conclusions. »38
« Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’un des éléments du
prétendu plan commun est le plan d’action de l’utilisation par le Procureur
de l’expression " opposants politiques ". Le Procureur a utilisé ce terme
pour désigner des groupes et des individus que, selon elle, M. Gbagbo
considérait comme politiquement opposés à lui. (…) »39
« Le Procureur a également allégué que " l’évolution de la situation sur
le terrain " a démontré que " la répression des opposants politiques et de
leurs partisans était le résultat recherché " ; et que les " cas répétés et
multiples " d’actes violents contre des " opposants politiques " ont confirmé
qu’ils étaient une conséquence du prétendu Plan commun. (…) »40
« Dans sa réponse, toutefois, le Procureur a allégué qu’il y avait deux
catégories de personnes perçues comme des partisans des Ouattara, à
savoir i) les militants ou sympathisants politiques réels ou présumés et ii)
les personnes de confession musulmane, d’origine ethnique Dioula et/ou
originaires du Nord de la Côte d’Ivoire ou d’autres pays d’Afrique de
l’Ouest. (…) (4) le caractère des individus qui ont procédé à
l’identification. En particulier, les Jeunes patriotes et les membres des
« organisations paramilitaires (milices) qui procèdent à des identifications
aux barrages routiers n’étaient pas des fonctionnaires de carrière ou des
agents légitimes de la force publique. »41
« Le Procureur a présenté plusieurs éléments à démontrer que M.
Gbagbo et le prétendu “cercle restreint” ont violemment réprimé les
opposants politiques dans le cadre du prétendu plan commun. Le Procureur
a allégué que l’intention qui sous-tend ce plan commun avait commencé dès
les élections de 2000. Le Procureur s’est également servi de ces événements
avant la crise postélectorale pour démontrer que les membres du prétendu
“cercle restreint” partageaient cette intention… »42…
« Il y a certaines allégations qui font partie des allégations du Procureur
selon lesquelles “la conception, l’élaboration et les premiers stades de la
mise en œuvre du Plan commun” doivent faire l’objet d’une analyse plus
approfondie. Il s’agit notamment du recrutement et de l’utilisation de
jeunes, de milices et de mercenaires après le coup d’État de 2002, du
contournement de l’embargo sur les armes imposé par l’ONU et de
l’objectif présumé de M. Blé Goudé de maintenir M. Gbagbo au pouvoir et
de son ascension comme jeune dirigeant. Elles ont été examinées dans les
sections qui suivent en raison de leur lien présumé avec des allégations liées
aux événements survenus pendant la crise postélectorale. Toutefois, deux
allégations concernant des événements antérieurs à la crise postélectorale
seront examinées ici. Pour parvenir à des conclusions sur la genèse et la
conception du prétendu Plan commun, l’analyse des allégations discutées
plus loin a été examinée en même temps que ce qui est discuté dans la
présente sous-section. »43
Conclusion
Après avoir examiné les preuves de l’accusation, le juge Henderson a
démontré leur faiblesse, l’incohérence des allégations, le manque de rigueur
et de professionnalisme du Procureur. À lire le rendu du juge, on peut
retenir qu’un tel dossier n’aurait jamais dû aller en procès. En fait, au lieu
d’avoir une démarche juridique pour servir le droit, le Procureur s’est
carrément mis dans la situation d’un acteur politique qui veut régler des
comptes. La réalité est que le Procureur voulait systématiquement faire
condamner Laurent Gbagbo en nourrissant un complot contre lui. C’est dire
que le « plan commun » n’est en fait pas l’œuvre de Laurent Gbagbo ; c’est
plutôt la démarche utilisée par le Procureur qui est un complot orchestré
pour servir des « mandants ».
« Je ne pense pas qu’il soit nécessaire, ou sage, d’engager ici un débat sur
la nature de la décision. Je note que, de l’avis du juge Henderson, “l’article
74 ne semble pas fournir le fondement approprié pour rendre des décisions
sur les requêtes en irrecevabilité” 1. À différents stades de cette procédure,
j’ai eu l’occasion d’exprimer mon point de vue sur la question et, plus
particulièrement, sur la procédure “no case to answer”. 2 À ce stade, je me
souviendrai de la décision orale d’acquittement, déclarant que, selon la
majorité, “la Défense n’a pas besoin de présenter d’autres éléments de
preuve puisque sur ordre de l’ONUCI, (…) c’est mon plein accord et mon
soutien à ce résultat équivalent que je tiens à souligner. Toutefois, il s’agit
dans une large mesure d’un débat purement théorique ; ce qui n’est pas du
tout théorique, c’est que la majorité a acquitté M. Gbagbo et M. Blé Goudé
de toutes les charges parce qu’elles ne sont pas étayées par les preuves. »44
Les conclusions des deux juges (Henderson et Tarfusser) qui ont tranché
en faveur de l’acquittement des prévenus sont implacables.
Au total, on doit retenir que Laurent Gbagbo n’avait pas en réalité de
« plan commun » pour se maintenir au pouvoir. Il a plutôt pris des décisions
d’un chef d’État qui, ayant une grande vision pour son pays, ne pouvait agir
autrement que de prendre des dispositions pour protéger son peuple En fait,
après avoir gagné la bataille pour le multipartisme, la politique de Laurent
Gbagbo était pour la suite basée sur l’instauration de la démocratie qui
serait le socle sur lequel la prospérité du pays devrait être bâtie. On peut
constater que le « plan commun » du Procureur et de ses mandants l’en a
empêché ; du moins pour l’instant.
1. Président de l’ONG « Convergences pour la Paix et le Développement de l’Afrique ».
2. P.5 paragraphe 2.
3. P.6 paragraphe 4.
4. P.62 paragraphe 122.
5. P.62 ; paragraphes 122-123.
6. P.62-63 ; paragraphe 124.
7. Ibid.
8. P.63 ; paragraphe 12
9. P.66 ; paragraphes 133-134.
10. P.66 ; paragraphe 135.
11. P.67 ; paragraphe 136.
12. P.68 ; paragraphe 137.
13. P.68 ; paragraphe 138.
14. P.69 ; paragraphe 139.
15. P.70 ; paragraphe 141.
16. Ibid.
17. P.70 ; paragraphe 142.
18. P.70 paragraphe 143.
19. P.71 paragraphe 144.
20. P.71 paragraphe 145.
21. P.72 paragraphe 148.
22. Ibid.
23. P.72-73 paragraphe 150.
24. P.73 paragraphe 152.
25. Ibid.
26. P.74 paragraphe 155.
27. P.75 paragraphe 156.
28. P.75 paragraphe 158.
29. P.76 paragraphe 159 ;
30. Ibid ;
31. P.76 ; paragraphe 160.
32. P.77 ; paragraphe 164.
33. P.78 ; paragraphe 165.
34. Ibid.
35. P.78 ; paragraphe 166.
36. P.79 ; paragraphe 167.
37. P.79 ; paragraphe 168.
38. P.79 ; paragraphe 169.
39. P.80 paragraphe 170.
40. P.80 ; paragraphe 171.
41. P.81 ; paragraphe 173.
42. P.88 ; paragraphe.
43. P.90 ; paragraphe 190.
44. Extrait du rendu du juge président, Cuno Tarfusser.
CHAPITRE 3
Par
Pr. Hubert OULAYE
Ancien Ministre
Agrégé des Facultés de Droit
Université d’Abidjan-Cocody
• Mais si l’autorité du Président Laurent Gbagbo sur les FDS est établie,
en revanche, le Procureur reconnait que celui-ci n’a jamais donné des
ordres criminels. Dans ces conditions, la majorité ne peut conclure
que les ordres non criminels donnés aux subordonnés ont été
interprétés comme autorisant des comportements criminels de leur
part.
• L’accusé a-t-il incité par ses discours à commettre des crimes ou créé
une atmosphère permissive dans laquelle les FDS se sont sentis libres
de commettre des actes criminels ? En tout état de cause, pour la
majorité, le Procureur n’a pas pu établir un quelconque lien de
causalité entre les actions et les omissions prises ensemble ou
séparément et les auteurs individuels.
– La responsabilité sur la base de l’article 28 du Statut : la
responsabilité du supérieur hiérarchique
Cette forme de responsabilité a également été rejetée aux motifs
que :
• Le Procureur n’a pas formulé une théorie détaillée sur la base de cette
forme de responsabilité ;
• Le Procureur n’a pas expliqué pour chacun des crimes reprochés à
quel moment l’accusé a eu connaissance ou aurait dû avoir
connaissance d’un comportement criminel imminent ou complet. Le
Procureur n’indique pas si en dehors des crimes du 12 avril, il est
l’accusé d’avoir omis de prévenir, réprimer ou référer aux autorités
compétentes des comportements criminels.
• ne définit pas ce que l’accusé aurait dû faire et n’a pas fait, pour
chacun des crimes reprochés ;
Au total, la majorité a considéré que le Procureur n’a pas présenté
suffisamment d’éléments de preuves pour permettre à la Chambre de
conclure que des crimes contre l’humanité ont été commis.
Mais le Président Laurent Gbagbo non seulement n’a pas été déclaré
responsable de crimes contre l’humanité, mais en outre il a assuré la
protection des institutions et des populations.
B. Le président Laurent Gbagbo a protégé les populations et les
institutions de la république
La majorité a jugé que contrairement à la théorie du Procureur pour qui le
Président Laurent Gbagbo aurait pris des dispositions en vue de réprimer les
populations, celui-ci a plutôt pris des actes allant dans le sens de leur
protection à savoir la réquisition des FDS d’une part (1), l’adoption de
mesures spécifiques idoines d’autre part (2).
1) La réquisition à bon droit des FDS pour protéger les populations
Le Procureur conteste la nécessité de la réquisition des FDS faite par
décret présidentiel n° 2010-306 de novembre 2010 en vue de la sécurisation
du deuxième tour de l’élection présidentielle. Pour le Procureur la vraie
motivation était l’intention de Laurent Gbagbo de réprimer les civils
soutenant Ouattara, de sorte que la réquisition a été déterminante pour la
mise en œuvre du plan commun.
Selon le Procureur, la réquisition n’était pas nécessaire pour atteindre
l’objectif déclaré de sécurisation du deuxième tour de l’élection, puisque
aux dires des généraux Guiai Bi Poin et Brindou Bia, ils ne s’attendaient
pas à des problèmes majeurs de sécurité tout comme au premier tour.
Toutefois selon la majorité, le recours à la réquisition était fondé pour les
motifs suivants :
– La réquisition concernait l’ensemble du territoire et non pas seulement
la situation d’Abidjan ;
– Elle était destinée au Centre de commandement intégré (CCI) qui n’a
émis aucune protestation ;
– Il n’est pas possible sur la base de l’équivoque résultant du témoignage
du général Guiai Bi Poin, de « dire si la réquisition des FDS était ou
non disproportionnée par rapport à l’ampleur de la menace
sécuritaire » ;
– L’argument de la non présence des FDS réquisitionnés au siège du
RHDP où des incidents graves étaient survenus, n’est pas la preuve de
l’inutilité de la réquisition puisque la surveillance des locaux des partis
politiques relève essentiellement de la police et de la gendarmerie.
– Que contrairement à l’argument du Procureur, le décret de réquisition
de 2004 n’était pas de nature offensive, mais visait selon la
Commission d’enquête de l’ONU, à apaiser les tensions politiques à la
lumière des violentes altercations qui avaient eu lieu la semaine
précédente entre les partisans de Gbagbo et ceux du RHDP. Le décret
était aussi justifié par la crainte que des éléments armés de l’opposition
ne s’infiltrent dans les manifestations pour tenter de renverser le
régime.
Compte tenu de ce qui précède ainsi que « du manque d’information sur
les motifs de la réquisition de novembre 2010, et du caractère équivoque
des preuves circonstancielles disponibles, il n’est pas possible à une
chambre de première instance raisonnable de conclure que les forces
armées ont été réquisitionnées le 14 novembre 2010 dans le but d’utiliser la
force armée contre les partisans civils de M. Ouattara ». (Para 276 à 289
Henderson).
Outre le décret de réquisition, le Président Laurent Gbagbo a pris un
certain nombre de dispositions d’ordre sécuritaires
2) L’adoption de mesures spécifiques idoines de protection des
populations
Le Procureur a reproché au Président de la République diverses mesures
prises en vue de protéger les populations et les biens. Toutefois la majorité
n’est pas allée dans le sens du Procureur. Elle les a plutôt jugées bien
fondées. Il s’agit :
– De l’installation de la Compagnie républicaine de sécurité de Divo
Le Président a procédé le 27 août 2010, à l’installation d’une unité de
CRS (Compagnie républicaine de sécurité) à Divo pour faire face aux
troubles de l’ordre public résultant de la petite délinquance. A cette
occasion, le Président Gbagbo a d’abord rappelé le contexte historique de la
création de la CRS (en France) et expliqué que le rôle de l’unité était de
lutter dans les villes contre les criminels et ceux qui créent le désordre. Il a
déclaré que, grâce à la CRS, les citoyens ordinaires devraient pouvoir
mener leur vie normale sans crainte. Il a également dit que ceux qui
voudraient voler des personnes honnêtes devraient y réfléchir à deux fois.
Le Président Gbagbo a ensuite ajouté que les ennemis de la CRS étaient
ceux qui étaient contre la paix en Côte d’Ivoire.
– Le poste de contrôle au carrefour de l’hôtel du Golf
Le Procureur a qualifié de « blocus » le poste d’observation de la police
positionné près de l’hôtel du Golf. Ce poste qui a été attaqué une première
fois avec prise d’otages et d’armes par des forces rebelles repliées à l’hôtel
du Golf a été par la suite transformé en poste de contrôle militaire, face au
risque que constituait cette présence.
Selon la majorité, loin d’être un blocus il se présentait « comme un
mécanisme visant plutôt à empêcher des individus armés, en poste à l’hôtel
du Golf, de venir en ville et d’attaquer, et donc comme une mesure de
protection et de contrôle par opposition à une expression d’une politique
visant à attaquer ou à nuire autrement aux partisans d’Alassane Ouattara ou
autres civils ». Ainsi pour la Chambre, il s’agit bien d’une mesure de
protection tout à la fois de la Résidence présidentielle qui se trouvait à
1,5km du poste de contrôle mais également et surtout des populations
riveraines.
Cette position est renforcée selon la majorité par l’invitation faite par M.
Gbagbo à « toutes les personnalités qui se trouvent encore à l’hôtel du Golf
de regagner leur domicile. Personne ne les a contraintes à se réfugier dans
cet hôtel. Personne ne les empêchera d’en sortir. Elles sont libres de leurs
mouvements ». (Para 59- Cuno ; para 1103 à 1119 Henderson).
– L’option de ne pas déclarer Abobo zone de guerre
A la suggestion du Chef d’État-major Philippe Mangou faite mi-janvier
2011, de déclarer Abobo zone de guerre, pour permettre à l’armée
d’affronter le Commando invisible qui s’était lourdement équipé, avec un
potentiel d’armement et une tactique militaire conséquents, le Président
Laurent Gbagbo opposera un refus. Cette option a été analysée par le
Procureur comme la volonté du Président Gbagbo d’attaquer des civils
partisans de Ouattara sans les avertir de l’offensive militaire imminente afin
qu’ils puissent évacuer la zone. Le Procureur en tire la conclusion que la
population civile était la cible principale de l’attaque.
Telle n’a cependant pas été la vision de la majorité pour les motifs qui
suivent :
– D’abord, rien n’indique que la population civile qui, depuis plusieurs
semaines avant le refus du Président Gbagbo de déclarer Abobo zone
de guerre, vit dans une zone de combat actif entre le Commando
invisible et les FDS a été empêchée d’évacuer le quartier ;
– Le Procureur n’apporte pas la preuve que le refus par l’accusé de
déclarer Abobo zone de guerre a entrainé plus de victimes civiles
inutiles ;
– Le Procureur ne démontre pas que la position du Chef d’Etat-major était
unanimement partagée. En fait cela est loin d’être le cas, les trois autres
officiers généraux trouvant qu’une telle déclaration serait plus
préjudiciable aux populations civiles, vu l’infiltration du Commando
invisible au sein de celles-ci.
Au total, au regard des observations relevées, il y a lieu selon la majorité
de douter de la conclusion du Procureur selon laquelle l’option du Président
Laurent Gbagbo serait motivée par l’idée de diriger des attaques contre la
population civile : « L’argument selon lequel, à compter du 12 janvier 2011,
le haut commandement des FDS a traité Abobo comme une zone de guerre
et que M. Gbagbo, en ne déclarant pas Abobo comme telle le 24 février, a
fait de la population civile la cible des opérations militaires qui ont suivi est
sans fondement ».
Selon la majorité, « le déni explicite que la question de déclarer ou non
Abobo zone de guerre » a plus à voir avec l’intention et l’objectif ultime
d’assurer la protection de la population civile, au lieu d’être une décision
qui aurait donné aux FDS une autorisation générale d’agir sans limite dans
une zone peuplée de civils.
De ce qui précède il ressort que le Président Laurent Gbagbo tout le long
de la crise postélectorale a eu pour souci constant la protection des
populations civiles. Qu’en-est-il des forces de défense et de sécurité
(FDS) ?
C. Les forces de défense et de sécurité n’ont pas failli dans leur
mission de protection des institutions et des populations
Les forces de défense et de sécurité, composées des corps de la
gendarmerie, de la police et des forces armées nationales, ont pour mission
traditionnelle d’assurer l’ordre public, de défendre les institutions et les lois,
de protéger les populations et les biens. Le Procureur affirme cependant que
la réquisition dont elles ont fait l’objet à l’occasion de la crise était motivée
plutôt par l’intention de réprimer les civils qui soutiennent Ouattara.
Cette allégation du Procureur n’a pas été retenue par la majorité de la
Chambre. En effet, pour cette dernière les FDS ont assuré tout le long de la
crise, la défense des institutions et des lois d’une part, la protection des
populations et des biens d’autre part.
1) La défense des institutions et des lois par les FDS
Dans la grave controverse qui a opposé les candidats Laurent Gbagbo et
Alassane à l’issue du deuxième tour de la présidence, sur le vainqueur de
l’élection, les FDS ont fait le choix du respect du résultat définitif proclamé
par le Conseil constitutionnel. Pour la majorité de la Chambre, les FDS se
sont déterminés en conformité avec « leur serment de défendre le pays, ses
autorités et ses lois » qui leur commandait de respecter la décision prise par
le Conseil constitutionnel de déclarer le candidat Laurent Gbagbo
vainqueur.
Pour les FDS, « l’intérêt à protéger était l’intérêt de la Présidence de la
République en tant qu’organe constitutionnel, et non celui du titulaire de
l’époque » (Para 60 Cuno).
2) La protection des populations et des biens
Les FDS au cours de la crise postélectorale ne se sont pas livrées à des
attaques contre les populations civiles contrairement aux allégations du
Procureur, mais ont plutôt engagé des opérations dans le sens de leur
protection à savoir, maintien de l’ordre public, protection contre les attaques
du Commando invisible. Pour la majorité de la Chambre, les mesures prises
au niveau des FDS répondent essentiellement à cet objet :
– La réquisition des forces armées et les couvre-feux
Contre le Procureur qui soutient que ces deux mesures traduisent la
volonté de M. Gbagbo de garder le pouvoir, la majorité considère quant à
elle qu’elles visent la protection des populations dans la mesure où :
• Les éléments de preuve montrent que ces deux mesures ont été
adoptées conformément aux textes ivoiriens pertinents dont certains
datent d’avant la crise comme le décret sur la réquisition qui remonte
à 1967 ;
• Il est de notoriété publique que les couvre-feux sont des mesures
généralement (et régulièrement) utilisées pour apaiser les tensions et
faciliter l’exercice du contrôle par les autorités. Le témoin P-0009 a
précisé que le couvre-feu avait été recommandé au Président par les
autorités militaires, notamment au vu du fait qu’entre le premier et le
deuxième tour des élections, le siège du RHDP avait été pillé et
qu’une "bagarre de rue" avait suivi. Dans ce contexte, le couvre-feu
aurait contribué à faciliter le travail des responsables la police en
matière de contrôle. C’est une mesure visant à rendre plus facile et
plus efficace le respect par le FDS de sa mission statutaire de défense
et de protection de la population et de ses biens ;
• L’argument du Procureur, considérant disproportionné le recours aux
forces armées pour des missions de sécurité publique n’est pas
opérant. Rien dans les documents, les comportements, les discours des
FDS ne suggère que leur mission sur le terrain soit conciliable avec un
plan d’attaque des populations civiles notamment : appel à la
population à garder son calme et rappel des missions institutionnelles
des FDS ; nécessité de préserver la légalité constitutionnelle et la
souveraineté de la Côte d’Ivoire ; appel des FDS à respecter les droits
humains et le droit international humanitaire ; instructions spécifiques
pour s’abstenir, dans le cadre d’opérations d’ordre public,
d’exactions" et de "pillages" et pour faciliter l’intervention du CICR,
de la Croix-Rouge nationale et du personnel médical.
• les réunions régulièrement convoquées tout au long de la crise avec
les responsables de la conduite des opérations sur le terrain se sont
révélées dictées par l’inquiétude face à la gravité de la situation et le
désir d’en être constamment informés ; les instructions qui auraient
été données lors de ces réunions, lorsqu’elles ont été confirmées, n’ont
consisté en un encouragement et une reconnaissance que d’un
dirigeant politique faisant véritablement confiance aux compétences
militaires de son état-major, respectueux du professionnalisme et
conscient de la gravité des difficultés auxquelles il était confronté.
– Le « blocus » de l’hôtel du Golf
Il ne s’agit au regard de la Chambre, que d’un mécanisme visant plutôt à
empêcher des individus armés, en poste à l’hôtel de golf, de venir en ville et
d’attaquer les populations et la résidence présidentielle, et donc comme une
mesure de protection et de contrôle par opposition à une expression d’une
politique visant à attaquer ou à nuire autrement aux partisans d’Alassane
Ouattara ou autres civils.
Conclusion
Dans leurs avis, les juges de la majorité ont mis en exergue les
motivations profondes de leur décision d’acquittement total des deux
accusés. Elles sont basées autant sur des arguments techniques (absence ou
insuffisance de preuves) que sur le bon sens tiré d’un réalisme « choqué ».
Comment en effet, la Procureure pouvait-elle penser un seul instant, qu’elle
pouvait occulter une partie de la vérité à savoir la présence, les attaques, les
faits et méfaits du Commando invisible qui s’est finalement rendu maître
d’Abobo et faire croire au monde entier, y compris à des juges « libérés »,
que les FDS s’attaquaient à une population civile sans raison apparente et
crédible ! C’est ce stratagème simpliste qui a été éventé par deux juges
admirables.
Dans ces conditions, que dire de la décision prise par la Procureure
Bensouda, de finalement faire appel du jugement majoritaire rendu
oralement d’abord le 15 janvier 2019 et par la suite matérialisé par les avis
écrits du 16 septembre 2019 par les juges Cuno Tarfusser et Geoffrey
Henderson ? Un appel portant principalement sur la forme de la décision,
notamment sa conformité à l’article 74 du Statut et accessoirement sur la
norme de preuve utilisée, dans une démarche dont l’articulation feint
d’ignorer l’abondance et la pertinence des arguments qui ont motivé la
décision de la majorité, tant sur la disposition évoquée et son applicabilité
en matière de « No case to answer », que sur la faillite manifeste du
Procureur dans l’administration de la preuve de la responsabilité des deux
prévenus dans la commission des crimes allégués.
Appel de bonne foi ou acharnement judiciaire ? Ne s’agit-il pas
manifestement d’une « manœuvre de retardement » d’un dénouement
judiciaire inéluctable qui se soldera tôt ou tard par un acquittement
confirmant ce que disait en substance la juge belge Wyngaert dans son
opinion dissidente suite à la confirmation des charges : « il n’y a pas de
preuves dans cette affaire contre l’accusé
Laurent Gbagbo » (ICC-02/11-01/11 du 12 juin 2014). L’appel de
Bensouda se ramènerait alors à « un simple abus de droit ou de procédure »,
actionné pour des raisons politiques inavouables !
CHAPITRE 4
Par
M. Bernard HOUDIN
Conseiller du Président Gbagbo
Le 15 janvier 2019, soit près de trois ans, jour pour jour, après l’ouverture
du procès le 28 janvier 2016, la Chambre de Première Instance de la Cour
pénale internationale a prononcé l’acquittement du Président Laurent
Gbagbo et du Ministre Charles Blé Goudé, en soulignant l’extrême vacuité
du dossier du Procureur dans cette affaire et ordonné leur libération
immédiate. Tako Kélé (un coup KO !) comme l’on dit à Abidjan.
Cependant, dans l’attente de la présentation par la Chambre du verdict écrit,
le Bureau du Procureur avait obtenu, au terme d’un débat « surréaliste » sur
les « circonstances exceptionnelles », le maintien des deux acquittés dans
une forme de semi-détention concrétisée par une assignation à résidence
particulièrement contraignante.
Le 16 juillet 2019, la Chambre a, enfin, remis son verdict écrit qui ouvre
le dernier chapitre du processus de libération finale du Président Laurent
Gbagbo et de son collaborateur Blé Goudé. Ce dernier chapitre dépend, en
théorie, de la volonté du Procureur de faire appel ou non du jugement. Sur
plus de mille pages, compte non tenu de l’opinion « dissidente » formulée
par la juge Carbuccia (dont les « arguments » sur près de trois cent pages
frisent l’irrationnel au sens le plus strict), le juge Président de la Chambre
de Première instance, Cuno Tarfusser, et le juge Geoffrey Henderson
développent de façon extrêmement détaillée et argumentée les raisons de
leur décision d’acquittement qui font de celle-ci un véritable réquisitoire
contre le Procureur et ses méthodes.
Nous avons toujours dit que le dossier contre le Président Gbagbo avait
été monté des toutes pièces à l’époque de la crise postélectorale en Côte
d’Ivoire en 2010/2011 (et, peut-être, bien avant quand on se souvient des
déclarations de Blaise Compaoré, alors président du Burkina-Faso, dès
2003 : « Gbagbo finira à la Cpi ! »).
Pour qu’il en soit ainsi il a fallu que la « communauté internationale »,
dans ce cas d’espèce la France sous couvert de sa position à l’ONU,
« construise » le cas Gbagbo à la fois sur les plans juridique, politique et
médiatique.
Soyons clairs : la Cpi, conceptuellement, n’est pas une mauvaise chose en
soi. Tout dépend des conditions dans lesquelles elle est sollicitée. Dans sa
procédure statutaire, particulièrement spécifique et parfois déroutante par
rapport au droit français par exemple, elle comporte une première phase,
celle de la Chambre Préliminaire, qui doit confirmer, ou infirmer, les
charges retenues par le bureau du Procureur dans ses enquêtes contre une
personne susceptible d’avoir commis des actes répréhensibles selon les
critères édictés par le Statut de Rome, acte fondateur de la Cpi. En clair, des
crimes contre l’Humanité et leur cortège d’infractions pénales. Le but final :
mettre fin sur la planète Terre à tous les abus de dictateurs sanguinaires.
« Vaste programme » aurait commenté le Général De Gaulle…
Le 9 avril 2013, dans l’attente de la décision de la Chambre Préliminaire
au terme de débats qui avaient, déjà, montré la faiblesse insigne du dossier,
j’avais rédigé une tribune où je disais ceci :
« Nous sommes à quelques semaines de la décision de la Cpi :
confirmation ou infirmation de charges contre Laurent Gbagbo.
Confirmer les charges aura deux conséquences : l’une, immédiate, de
déclarer la mort « clinique » de la Cpi en concrétisant une injustice qui
finira de discréditer un organisme déjà passablement décrié. L’autre, à plus
long terme, de déstabiliser durablement la Côte d’Ivoire en maintenant
enfermée la seule voix capable d’être écoutée quand il faudra
nécessairement, un jour, « s’asseoir et discuter ». À cet égard, les juges de
la Chambre Préliminaire de la Cpi porteraient devant l’Histoire la
responsabilité d’un chaos éventuel dans le pays.
Infirmer les charges c’est, d’abord, dire le droit et, ensuite, réparer une
faute. À aucun moment, au cours des débats du 19 au 28 février dernier, le
bureau du Procureur a pu apporter le commencement d’une preuve dans
ses accusations, pire il s’est enfermé dans des raisonnements spécieux et
falsifiés parfois (la vidéo kényane…) Ne pas reconnaître la culpabilité du
Président Laurent Gbagbo donnerait à la Cpi une sorte « d’acte de
baptême » qui lui offrirait la crédibilité qu’elle n’a pas su acquérir depuis
sa création ».
Le 3 juin 2013, dans le cadre d’un « ajournement » exorbitant de la
procédure habituelle, la Chambre préliminaire donnait, du bout des lèvres,
une deuxième chance au bureau du Procureur pour présenter un dossier
susceptible d’être validé par la Chambre.
On sait aujourd’hui, grâce aux « fuites » révélant des échanges de mails
entre le premier Procureur de la Cpi, Luis Moreno-Ocampo, et son ancienne
assistante, Béatrice le Fraper du Hellen, devenue diplomate en poste à la
mission française aux Nations-Unies, en charge du pôle Droits de l’Homme
et Conseillère Juridique de la mission, que Gbagbo devait être relâché au
terme de la phase préliminaire (« will be released on May 28 » dans le texte
original du mail adressé par la Française à son ancien patron).
Or, cette même diplomate a été, de 2006 à juin 2010, Conseillère Spéciale
du Procureur de la Cpi et Directrice de la coopération, chargée, entre autres,
de l’arrestation des personnes poursuivies. Le Procureur Ocampo bénéficie
ainsi, du côté français, d’un relais qui fut pendant plusieurs années, son
assistante à la Cpi.
On connaît la suite. Il y a eu une visite éclair de Laurent Fabius, Ministre
des Affaires Étrangères français à l’époque, à La Haye et le 3 juin
« tombait » la décision d’ajournement. Finalement, le 12 juin 2014, la
Chambre Préliminaire renvoyait Laurent Gbagbo devant la Chambre de
Première Instance. Cette décision était accompagnée d’une opinion
dissidente de la juge belge, Christiane Van den Wyngaert, qui, en onze
pages, faisait litière de cette décision de renvoi. En voici les extraits les plus
percutants qui, on va le voir, sonnent de façon prémonitoire sur l’issue du
procès :
– Sur la valeur des témoignages : « Bien que la Chambre ait demandé la
présentation d’informations quantitativement et qualitativement supérieures
sur le nombre des victimes qu’auraient fait les éléments allégués, il n’a pas
été remédié au problème qui avait été mis en lumière, à savoir le recours à
des ouï-dire anonymes. »
– Sur le niveau de preuves : « Des charges ne devraient être confirmées
que si les éléments de preuve ont une chance réelle de fonder une
déclaration de culpabilité au-delà de tout doute raisonnable […]. S’il est
clair que, même en accordant aux éléments de preuve disponibles une
valeur maximale, on doute encore sérieusement qu’ils suffiront à fonder une
déclaration de culpabilité, il ne sert à rien de confirmer les charges. »
– Sur le « Plan commun » : « Je ne suis pas convaincue que Laurent
Gbagbo et son entourage immédiat aient délibérément entrepris de
préparer mentalement et matériellement leurs partisans à commettre des
crimes contre des civils. Par exemple, je ne suis pas d’accord avec mes
collègues lorsqu’ils interprètent le discours prononcé par Laurent Gbagbo
à Divo le 27 août 2010 comme indiquant à ses partisans qu’il leur serait
permis de commettre en toute impunité des crimes contre des civils pro-
Ouattara. »
– Sur le fondement de son opinion : « Je souhaite dire clairement que, si
je ne suis pas convaincue que les éléments de preuve figurant au dossier
suffisent à renvoyer Laurent Gbagbo en jugement pour les charges portées
en vertu des alinéas a), b), et d) de l’article 25-3, je ne nie pas que des
crimes horribles ont été commis contre des civils par des forces loyales à
Laurent Gbagbo. Toutefois, en tant que juge de la Chambre préliminaire de
la Cour, il est de mon devoir d’apprécier si les accusations formulées par le
Procureur contre Laurent Gbagbo, telles que présentées dans le document
amendé de notification des charges, sont suffisamment solides pour justifier
un renvoi en jugement. Après mûre réflexion, j’estime qu’elles ne le sont
pas, à tout le moins en ce qui concerne les charges portées en vertu des
alinéas a), b) et d), de l’article 25- 3. ».
Le juge-président Cuno Tarfusser fera une allusion sans équivoque dans
son verdict écrit sur les conditions qui ont entouré cette décision,
principalement concernant le sort du juge allemand Hans Peter Kaul…,
comme le rapporte le Ministre Justin Koné Katinan dans sa contribution1 au
présent ouvrage.
Car, maintenant que le verdict écrit est public, il révèle l’immense vide de
l’argumentaire du bureau du Procureur, dans des termes qui indexent sans
détour la méthodologie employée. Comme le rappelle le Juge-président (§
69 de son opinion) où, en discutant sur la recevabilité des preuves, il cite
son collègue Henderson qui dit que « s’il avait systématiquement évalué la
crédibilité et la fiabilité des preuves testimoniales du Procureur, il y aurait
encore moins de raisons de poursuivre la procédure dans cette affaire ».
Quand on connaît l’histoire de la Côte d’Ivoire dans les années qui ont
précédé les évènements de 2010 /2011, le dossier contre Laurent Gbagbo
prend un tout autre visage. Le Juge Henderson le souligne très vite au début
de sa très volumineuse opinion, qu’il justifie ainsi au § 3 de son texte :
« Les parties, les victimes, le grand public et d’autres parties concernées
ont le droit de savoir non seulement ce que nous pensons des preuves-à
savoir qu’elles sont insuffisantes-mais aussi pourquoi nous le pensons ».
Et, au paragraphe 66, le Juge Henderson recadre l’arrière-plan historique
de la crise ivoirienne qui a engendré ce dossier à la Cpi. Soulignant que la
Procureure, tout en reconnaissant les évènements historiques qui ont
conduit à la crise, ne semble pas disposée à y attacher « une quelconque
importance », il a rétabli la réalité qui « a évidemment des conséquences
importantes sur la position de M. Gbagbo en tant que Président élu de la
Côte d’Ivoire. M. Gbagbo n’a jamais été un président « normal » dans
« une situation normale ». Presque dès le début sa présidence a été
ébranlée et à partir de 2002, il n’a jamais été en mesure d’exercer son rôle
constitutionnel de manière régulière (…) En effet, à cause de la rébellion,
M. Gbagbo a perdu le contrôle de la moitié du pays et une partie
importante des forces armées de l’État a fait défection-avec leur (sic)
équipement-et s’est engagée à le renverser. Cela a dû inévitablement
éclairer un certain nombre de choix et de décisions qu’il a pris au cours de
la crise postélectorale ».
Cette précision – ô combien importante – du juge est l’écho de la
première déclaration du Président Gbagbo lors de la séance inaugurale
devant la Chambre Préliminaire de la Cpi le 28 février 2013 :
« Madame la Procureure a dit une phrase qui m’a un peu choqué, en
disant que nous ne sommes pas là pour voir qui a gagné les élections et qui
ne les a pas gagnées2. Mais on ne peut pas débattre de la crise
postélectorale et ne pas savoir comment les élections se sont passées.
Qui a gagné les élections ? Parce que c’est celui qui ne les a pas gagnées
qui a semé les troubles. Je crois que c’est ça la logique. La question est là :
qui a gagné les élections ? J’ai demandé que l’on recompte, ce n’était pas
une phrase en l’air. On nous a attaqué en 2002 (…) Je n’ai jamais cru que
la Côte d’Ivoire allait s’en sortir par la guerre. J’ai toujours cru à la
discussion. Nous avons tout fait pour que la discussion avance (…) Nos
États sont fragiles et chaque fois qu’un chef d’État occidental me disait
« faites la démocratie », je lui disais que nous avions besoin de la
démocratie pas parce que vous le dites, mais parce que nous-mêmes nous
en avons effectivement besoin pour construire nos États (…)
La démocratie c’est le respect des textes, à commencer par la plus
grande des normes en Droit qui est la Constitution. Qui ne respecte pas la
Constitution n’est pas démocrate (…) C’est parce que j’ai respecté la
Constitution que l’on veut me mener ici (…) Le salut pour les États en
Afrique c’est le respect des Constitutions que nous nous donnons et des lois
qui en découlent ».
Continuant sur sa lancée, au paragraphe 68, Henderson enfonce le clou :
« Le Procureur ne s’engage pas vraiment non plus dans la conduite du
contingent de l’ONUCI à Abidjan et s’interroge sur le rôle et l’influence
des forces françaises. Bien que formellement neutres, elles n’ont
certainement pas été perçues de cette manière par M. Gbagbo et son
régime ».
Et, au paragraphe § 70, Henderson conclut : « Quoi qu’il en soit, aucun
récit ne saurait refléter la réalité sans reconnaitre que le régime de M.
Gbagbo était confronté à tout moment à une menace existentielle ».
Le choix du « bon camp » avait été avoué, sans vergogne, dès le 12 avril
2011, soit au lendemain de l’arrestation du Président Gbagbo, par François
Fillon, Premier Ministre en exercice, qui avait déclaré à l’Assemblée
Nationale française, « qu’il était fier que l’armée française ai participé au
rétablissement de la démocratie en Côte d’Ivoire… ».
On connaît l’adage : « le mensonge prend l’ascenseur, la vérité prend
l’escalier mais, à la fin, c’est elle qui s’impose ». Le transfert, dans
l’illégalité déjà au regard des règles du Statut de Rome lui-même, car la
Côte d’Ivoire n’étant pas, en 2011, État-partie à ce Statut, aucun de ses
citoyens ne pouvait y être déféré, et ces longues années de procédures (près
de cinquante mois entre l’arrivée du Président Gbagbo à La Haye et le
début du procès) et d’audiences (près de trois ans), n’avaient donc qu’un
but : faire « disparaitre » Laurent Gbagbo du paysage politique ivoirien (et,
accessoirement, africain).
La collusion entre la Cpi et les autorités a été révélée, on l’a vu, au grand
jour par les « fuites » de documents sur la boîte email du Procureur Luis
Moreno-Ocampo.
Leur lecture est édifiante et sonne comme un coup tonnerre dans un ciel
bleu. Un email accablant sur la collusion, sinon la complicité malsaine entre
le bureau du Procureur et la diplomatie française, résume à lui tout seul
cette « porosité ».
Émis par Stéphane Gompertz, le Directeur Afrique du Quai d’Orsay (qui
rencontrera plus tard Ocampo quelques jours avant le transfert de Laurent
Gbagbo à La Haye), à dix-huit collègues et collaborateurs, le mail dit ceci :
« Un collaborateur d’Ocampo (E Rogier) vient de m’appeler. Le
procureur souhaite :
1/que Ouattara ne relâche pas Gb (sic)
2/ qu’un État de la région renvoie l’affaire à la Cpi au plus vite
Ocampo va essayer de joindre Ouattara ou un de ses proches.
Si nous sommes interrogés sur les poursuites, je pense que nous devons
avant tout renvoyer aux autorités légitimes (sic) de la Côte d’Ivoire ».
Au-delà de la teneur ahurissante du document, dont l’authenticité m’a été
confirmée par un des destinataires, d’autres éléments du mail interrogent :
– l’objet, peu en rapport avec le texte : URGENT À aucun moment les
forces françaises n’ont pénétré dans la résidence Gbagbo état-major
(sic)
– l’heure et le jour d’émission : lundi 11 avril 2011, 10.40.
Le jour d’abord. C’est bien le jour de l’arrestation de Laurent Gbagbo.
L’heure, ensuite : 10 h 40, soit, en Côte d’ivoire 8 h 40 (décalage en heure
d’été). Ce jour-là, les témoignages des personnes arrêtées à la Résidence en
même temps que le Président concordent, l’assaut final a eu lieu après 11
heures, soit 13 heures à Paris. C’est d’ailleurs peu après cette heure que j’ai
commencé à être sollicité par les médias français. À 15 h 10, je suis ainsi en
direct au téléphone avec la rédaction de BFMTV qui cherche à confirmer
l’arrestation du Président Gbagbo. Dans le même temps passe en
incrustation sur l’écran une Alerte info : « L. Gbagbo aurait été arrêté
par les forces spéciales françaises et remis aux forces de la rébellion
(Reuters) ». Et, présent au 43ème BIMA, le correspondant de BFMTV,
Alexandre Paré, n’a toujours pas, à cette heure-là, la certitude de
l’arrestation de Gbagbo.
Cela veut dire que ce mail, dans lequel Ocampo demande que « Ouattara
ne relâche pas Gb » (Gbagbo-NdA) est émis alors que le Président n’a pas
été arrêté.
L’objet, enfin. Il « officialise » l’intervention militaire française. Un des
destinataires qui m’a confirmé le document a, également, précisé que ce
jour-là, ils avaient été « inondés » de mails. Cela veut, sans doute, dire que
dans la précipitation les différents intervenants se sont envoyé des mails à
partir d’un premier, sans prendre garde à l’objet, ce qui fait, qu’à un certain
moment, le texte et l’objet n’ont plus eu, nécessairement, de rapport direct.
Or, si Gbagbo n’a été arrêté que vers 11 h TU (Temps Universel), pourquoi
les Français s’inquiètent-ils d’avoir à justifier, dès avant 8 h 40, du rôle
exact des militaires français ?
L’explication semble simple et se résumer ainsi : on a vu que presque
tous les journalistes occidentaux étaient restés confinés au camp de Port-
Bouët où stationnait la Force Licorne. Voyant s’ébranler la colonne
d’engins blindés du 12ème Cuirassier, ces journalistes ont dû envoyer
immédiatement à leurs rédactions des informations affirmant l’arrestation
prochaine de Gbagbo par les Français, ce qui a pu provoquer cette réaction
de déni de l’État-major à Paris. Les juges n’auront donc pas tort de
souligner vers où penchait la balance des « forces impartiales ».
La demande d’Ocampo prouve également que la Cpi n’avait pas été
officiellement saisie d’une enquête en Côte d’Ivoire et que la requête du
Procureur est totalement illégale car dénuée de tout fondement, aucune
enquête n’ayant pu être diligentée à ce stade. Ce que le juge-président
Tarfusser confirmera dans le verdict écrit (§ 116).
Le point 2 révèle la problématique des voies possibles pour l’envoi futur,
mais déjà programmé de Gbagbo à la Cpi. En dehors de la ratification du
Statut, mais qui n’est pas « rétroactive », et de l’intervention du Conseil de
Sécurité de l’ONU qui, on le verra, est dans l’impasse, c’est la troisième
possibilité statutaire qu’Ocampo tente d’utiliser : la saisine par un État
voisin du pays visé au prétexte, par exemple, que ses propres nationaux y
auraient été maltraités. Ocampo pense sûrement très fort au Burkina-Faso et
à Blaise Compaoré qui, on le rappelle, avait dit, très tôt dans la crise
ivoirienne que « Gbagbo finirait à la Cpi »…
La « consanguinité » s’exprime sans fard dans un mail que Béatrice Le
Frape du Hellen adresse au Procureur le 7 mars 2011 et dans lequel elle se
comporte plus comme une collaboratrice qu’une diplomate extérieure à la
Cour.
L’objet du mail est en lui-même révélateur, « Compte rendu démarche »,
et commence ainsi :
« En l’absence de La Haye du Procureur, j’ai effectué ce jour la
démarche prescrite par le TD en référence auprès du chef de la Section de
l’analyse des situations au sein du Bureau du Procureur, notre compatriote
Émeric Rogier » (celui qui va appeler Stephane Gompertz, le 11 avril).
Suivent des éléments d’analyses qu’elle a retenus. Ils portent,
essentiellement, sur comment accéder à « la demande française d’une
expression publique du Procureur face aux crimes commis la semaine
dernière en Côte d’Ivoire » et de la difficulté apparente pour la Cpi et pour
le Bureau du Procureur à « confirmer les faits ». Mais, c’est surtout le point
4 du courriel qui est prémonitoire de la forfaiture juridique qui se prépare :
« Le statut de la Côte d’Ivoire, non-partie au Statut de Rome, ajoute une
difficulté. Les dispositions de l’article 12 § 3 précisent que les déclarations
d’acceptation de la compétence de la Cpi (du type (sic) de celles de Gbagbo
en 2003 et du président Ouattara en décembre dernier, visent à consentir
que la Cour exerce sa compétence. Les lettres d’acceptation envoyées par
la Côte d’Ivoire à la Cour n’équivalent donc pas à une saisine directe de la
Cour. Il est question d’une saisine proprio motu du Procureur (article 15)
qui appelle une plus grande retenue que s’il était mandaté par le Conseil de
Sécurité des Nations-Unies ».
Un mois plus tard, le 6 avril, quelques jours avant le dénouement violent
de la crise postélectorale, un mail expédié par le Chef de la Mission
française à l’ONU, l’Ambassadeur Gérard Araud reflète crûment ce
problème :
« La saisine de la Cpi se heurte aux résistances les plus vives non
seulement de la part des membres du CSNU3 qui ne sont pas partie au
Statut de Rome – en particulier l’Indien, hystérique sur le sujet – mais de
tous ceux qui ne veulent pas que ce recours rende difficiles d’éventuels
accords pour mettre un terme aux combats ».
Au-delà de l’ « amabilité » proférée par l’ambassadeur à l’encontre de
son collègue indien, qui appréciera, le texte montre que même la
« communauté internationale » cherche toujours, à cette époque, une
solution négociée que Nicolas Sarkozy va « enterrer » le vendredi 8, lors
d’un « conseil de guerre » qui va déboucher sur l’assaut du 11 avril 2011.
En réponse, le même jour, Béatrice le Fraper du Hellen, s’adressant à ses
collègues du Quai d’Orsay, insiste sur une piste à trouver :
« Et la piste d’un renvoi de la situation CDI (Côte d’Ivoire) à la Cpi par
le Sénégal, Burkina-Faso, Nigeria/CEDEAO ou, au moins, la menace d’un
renvoi ? Ce sont tous des États parties à la Cpi et à ce titre ils peuvent
saisir la Cpi individuellement ou ensemble pour qu’elle se mette en action
immédiatement. Je crois comprendre que le Bureau du Procureur en
discutait encore aujourd’hui avec Blaise Compaoré. Mais c’est une chose
d’en parler… Just a thought ».
La piste Compaoré se révèle bien la voie privilégiée par le Procureur !
Le lendemain, 7 avril, le Directeur Afrique du Quai d’Orsay, répond :
« Quand je l’ai vu il y a un mois, le proc (sic) m’a dit que la meilleure
solution serait effectivement une saisine par un État d’Afrique
Occidentale ».
Tous ces mails ne font que confirmer, de façon éclatante, toutes les
intuitions de préméditation sur le sort que les dirigeants français et le
Procureur de la Cpi voulaient, sans coup férir, faire subir au Président
Laurent Gbagbo, en violant, en conscience, les propres textes de loi qu’ils
avaient préalablement approuvés.
La conclusion de cette séquence marquée par la volonté de voir Gbagbo à
La Haye se trouve dans un autre mail de Béatrice Le Fraper du Hellen à
Luis Moreno-Ocampo en date du 27 mai 2011. Il est rédigé à l’occasion du
Sommet du G8 qui se tient à Deauville. Il se rapporte à un entretien entre le
Ministre des Affaires étrangères français, Alain Juppé, et le Secrétaire
Général des Nations-Unies (SGNU), Ban Ki-Moon. À propos de la Côte
d’Ivoire, elle écrit :
« Le SGNU a remercié le Président de la République (Sarkozy, NdA) et
le Ministre d’État (Juppé, NdA) de leur leadership dans la gestion de la
crise (…) M. Ouattara avait demandé conseil au SGNU sur le traitement à
réserver (sic) à Gbagbo. Le SGNU et le Ministre d’État sont convenus que
le transfert à La Haye offrait les meilleures garanties de sécurité ».
On apprend ainsi que Ouattara est « aux ordres » des responsables du
dossier que sont la France et l’ONU qui, dans un grand accès d’humanisme
hypocrite, préconisent le transfert à la Cpi qui « offrait les meilleures
garanties de sécurité ». Mais pas d’interrogation sur la faisabilité juridique
de ce transfert.
De plus, sans doute en signe de reconnaissance pour bons et loyaux
services, la rédactrice du mail précise, à l’attention d’Ocampo que « le
Ministre d’État s’est entretenu avec Ban Ki-Moon le 26 mai en marge du
G8 de Deauville. Il lui a réitéré l’expression de notre soutien à sa
candidature à un deuxième mandat ».
Les dirigeants au pouvoir en France à cette époque ont orchestré
totalement le dossier du Président Gbagbo à la Cpi. L’image « parlante » du
Ministre français de la justice, Michel Mercier, conduisant par la main son
collègue ivoirien dans les couloirs de la Cpi, en prélude au transfert du
Président Gbagbo, en est la face la plus triviale.
Mais ne nous trompons pas. Même si la faiblesse exceptionnelle de
l’accusation a fini par être reconnue par la Chambre de Première Instance, il
aura fallu que le Président Gbagbo passe près de huit ans au pénitencier de
Scheveningen pour que la vérité arrive à bon port. Grâce à deux juges qui
ont su dire le droit et réhabiliter par la même occasion une Cpi au bord du
gouffre.
Le dernier problème est celui du choix de la Procureure : appel ou non ?
En son âme et conscience, au terme de la lecture du verdict écrit, son
véritable choix serait plutôt celui de préserver le (peu) d’honneur qui lui
reste. Non seulement renoncer à un appel, qui aurait d’ailleurs du mal à
prospérer devant la Chambre d’Appel, mais s’interroger sur son maintien à
un poste où son incompétence, et celle de toute son équipe, a entamé pour
longtemps la crédibilité du bureau du Procureur.
D’ailleurs dans un document publié le 17 juillet, soit au lendemain de la
publication du verdict écrit, intitulé « Plan stratégique 2019-2021 » elle
confesse : « malgré un certain nombre de succès obtenus à l’audience par
le Bureau entre 2016 et 2019 (…) celui-ci a essuyé d’importants revers (…
l’affaire Gbagbo et Blé Goudé) ». Elle ajoute, pour tenter de se dédouaner,
que « ces résultats insatisfaisants sont la conséquence d’un ensemble de
facteurs et notamment des effets résiduels de la stratégie du Bureau
antérieur à 2012… » Ocampo appréciera.
Elle précise, plus loin, que « tous ce succès ont été en partie occultés par
les revers essuyés par le Bureau dans les affaires Ruto et Sang et Gbagbo
et Blé Goudé, qui se sont achevés à l’issue de la présentation des moyens à
charge. »
Lundi 16 septembre la Procureure a choisi la voie insensée de
l’entêtement aveugle en faisant finalement appel. Le motif initial de sa
décision est « surréaliste » : la Chambre a rendu un jugement qui est une
« erreur en droit » pour avoir, le 15 janvier dernier, prononcé « oralement »
l’énoncé du verdict ! Puérilité quasi indécente après tant d’années de
procédure. D’ailleurs comme l’a noté la correspondante du journal Le
Monde à La Haye, dans un article le 17 septembre, « … ce rebondissement
a suscité des divergences à la Cpi et, cette fois, au SEIN même du bureau
du Procureur, rapportent plusieurs sources, certaines estimant préférable
de refermer le dossier ».
On comprend mieux les hésitations au sein du bureau du Procureur quand
on relit la décision écrite des juges publiée le 16 juillet dernier.
A titre d’illustration, je ne citerai que cet extrait de l’Opinion du juge-
président Cuno Tarfusser (§4) :
« Il existe des problèmes généralisés qui affectent un nombre
considérable de documents et rendent leur authenticité douteuse, ce qui
rend probablement juste de dire qu’une majorité de pièces documentaires
soumises par le Procureur dans cette affaire ne satisferait même pas le
critère de recevabilité le plus rudimentaire dans de nombreux systèmes
nationaux … »
Et, il ajoute au §6 :
« Le niveau de déconnexion globale, pour reprendre une expression des
motifs, entre le récit du Procureur et les faits tels qu’ils ressortent
progressivement des éléments de preuve, n’a cessé de croître » !
Cet appel n’a aucune chance de prospérer. S’il est destiné à reculer
l’échéance de l’élargissement complet du Président Gbagbo et du Ministre
Charles Blé Goudé, ce n’est qu’une énième manœuvre puérile qui va, pour
longtemps, entacher la crédibilité du bureau du Procureur de la Cpi, le mot
est faible, mais n’empêchera pas, dans un délai désormais proche, le retour
en Côte d’Ivoire du Président et de son Ministre.
Il reste, désormais aux Ivoiriens de se retrouver et de tourner une page
douloureuse de leur histoire où d’autres auront essayé de leur dicter leur
avenir au mépris des règles élémentaires du Droit international.
1. Justin Katinan Koné : L’acquittement : la grande victoire politique de Laurent Gbagbo, dans le
présent ouvrage.
2. L’élection présidentielle de 2010 en Côte d’Ivoire.
3. Conseil de Sécurité des Nations-Unies
CHAPITRE 5
Par
Pr. Félix TANO
Agrégé des Facultés de Droit
Université de Bouaké
Par
Mme Nicoletta FAGIOLO
Journaliste-Écrivain
Par
M. Justin Katinan KONÉ
Ancien Ministre
Porte-parole du Président Laurent Gbagbo
Plus que les images douloureuses qui ont circulé sur tous les médias du
monde tout juste après sa violente arrestation du 11 avril 2011, les chefs
d’accusations allégués par le Procureur contre lui constituaient la plus
grosse blessure morale portée au Président Laurent Gbagbo. En effet, finir
sa carrière politique d’environ la moitié d’un siècle par une image de lui qui
tranche totalement avec les valeurs qui ont justifié et orienté toute son
action politique était une charge très lourde pour l’homme.
La simple suspicion qu’il ait pu se comporter suivant des contre-valeurs
politiques qu’il a combattues toute sa vie était déjà, en elle-même, une
profonde blessure à sa conscience politique. Présenté Laurent Gbagbo
comme celui qui voulait se maintenir indéfiniment au pouvoir blesse
Laurent Gbagbo qui a lutté pour qu’il soit inscrit la limitation du nombre de
mandats à deux dans la constitution élaborée pendant la junte militaire. Dire
que Laurent Gbagbo a tué des civils qui manifestaient pacifiquement coupe
le souffle à Laurent Gbagbo qui a séjourné plusieurs fois dans les prisons de
son pays et connu l’exil à cause de son engagement politique pour les
libertés de ses concitoyens. C’est en cela que son procès devant la Cpi
présente des enjeux énormes pour lui. Devant cette Cour, beaucoup plus que
sa vie, se joue son honneur.
Or, tout le monde le sait, en matière politique Laurent Gbagbo a placé son
honneur au-dessus de sa vie. La narration que le Bureau du Procureur a
faite de la crise ivoirienne est offensante pour les deux accusés. À l’inverse,
le verdict de la chambre qui connait de cette affaire restitue Laurent Gbagbo
tel qu’il est. Cette décision unit définitivement Laurent Gbagbo des médias,
méchamment conditionnés, à Laurent Gbagbo que les Ivoiriens connaissent
et aiment. Si le verdict d’acquittement prononcé le 15 janvier restore le
Président Laurent Gbagbo du point de vue pénal, les motivations écrites des
magistrats qui ont prononcé l’acquittement rétablissent son honneur et sa
grandeur politique. Il se dégage desdites motivations écrites que :
– La crise de 2011 est le prolongement du coup d’État de 2002 suivi de la
rébellion ;
– Le pouvoir de Laurent Gbagbo a été déstabilisé depuis ses origines par
une coalition internationale ;
– Malgré cela, le Président Laurent Gbagbo n’a jamais créé ou
implémentée une politique visant à exclure une partie des populations
vivant en Côte d’Ivoire à l’effet de se maintenir au pouvoir par tous les
moyens.
I. La crise de 2011 est l’épilogue du coup d’État et de la rébellion de
2002
Dans ses soumissions, rappelées par les juges aux points 52 à 60, le
bureau du procureur s’est attelé à présenter une lecture conforme à sa
perception manichéenne de la crise ivoirienne (point 12 des motivations
additionnelles du juge Tarfusser). Dans cette narration, que les juges
trouvent partiale (point 65 al. 4), le Procureur fait fi de l’impact du coup
d’Etat manqué suivi de la rébellion de 2002. Pour les juges, ces
évènements, qui se sont déroulés en amont du mandat du Président Laurent
Gbagbo, ont dû inévitablement éclairé nombre de décisions qu’il a prises
pendant la crise électorale (point 66 in fine). Les juges établissent donc un
lien étroit entre la rébellion de 2002 et la crise post-électorale de 2011.
La crise ivoirienne n’est donc pas née de la volonté du Président Laurent
Gbagbo de demeurer au pouvoir par tous les moyens comme le prétend le
Procureur (point 52), qui a repris en cela les termes de la communauté dite
internationale qui s’était liguée contre lui dès l’entame de son mandat. Les
juges vont plus loin pour désigner, en filigrane, les autorités actuelles
ivoiriennes d’avoir été dans une logique guerrière contre Laurent Gbagbo.
C’est ce qui peut aisément inférer au point 76 de leurs délibérations
lorsqu’ils écrivent « la crise post-électorale n’est pas une histoire simple au
sujet d’un dirigeant qui ne pouvait accepter qu’il soit arrivé au bout de la
ligne et ne voulait pas céder le pouvoir à son successeur naturel. Il s’agit
de deux adversaires qui tenaient à se dépasser depuis des années et qui ont
fini par résoudre leur différend en détruisant l’autre militairement ». Quand
l’on ajoute à cela, le fait que les propres témoins du procureur ont relevé
dans leurs dépositions que les Forces de défenses et de sécurité de l’Etat
(FDS) étaient en position défensive (point 1224 al.10), l’auteur de
l’agression militaire est tout naturellement désigné.
Dans leurs délibérations écrites, les juges n’ont pas renié la qualité de
Président de la République à Laurent Gbagbo. Le procureur ayant éludé la
question de savoir qui a gagné les élections de 2010 les juges n’ont pas
voulu le faire à sa place. Ils ont même suivi le procureur sur cette question.
De cette esquisse du procureur, les juges tirent la conclusion que Laurent
Gbagbo était en droit de se reconnaître comme Président de la république et
d’agir en conséquence. Aussi écrivent-ils au point 301 « même si le
procureur a raison de dire que, sur le plan juridique, la question de savoir
qui a remporté les élections n’ont aucune incidence sur l’issue de cette
affaire, ce qui importe est de savoir comment Laurent Gbagbo perçoit le
processus électoral et s’il croit réellement ou nom avoir remporté la
Présidence ». Cela est d’autant plus juste que le procureur a failli à établir
le fait que le Président Laurent Gbagbo ne voulait pas céder le pouvoir
(point 1901). La seule certitude, selon les juges qui découle des écritures du
procureur, est que « Laurent Gbagbo n’était pas prêt à céder le pouvoir à
son principal rival politique, Ouattara, après que les résultats du second
tour de l’élection présidentielle n’aient pas été déclarés selon la procédure
habituelle ». Y-a-t-il meilleure preuve qui établit la légalité du pouvoir
Président Laurent Gbagbo que la reconnaissance, par les juges, de
l’irrégularité de proclamation de Ouattara comme Président ?
L’irrégularité se distingue ici par l’expression inhabituelle, car une
procédure juridique normale dans un pays ne peut être inhabituelle. Tout ce
qui est inhabituel par rapport à la loi est par essence irrégulier. Convaincu
d’être le Président de la République conformément à la Constitution de son
pays, il était en droit de défendre son pouvoir car, comme l’écrivent les
juges au point 168, chercher à rester au pouvoir pour un homme politique
n’est pas en soit criminel. La mauvaise foi des adversaires de Laurent
Gbagbo ne peut non plus criminaliser son refus de leur céder le pouvoir.
C’est à juste raison que les juges ont refusé de suivre le procureur dans sa
conclusion selon laquelle le Président Laurent Gbagbo devait être
culpabilisé parce qu’il savait que « malgré des appels répétés au dialogue
et des demandes de recomptage des voix, M. Gbagbo devait savoir qu’il y
avait une réelle possibilité que le conflit tourne à la violence. »
Au total, en guise de conclusion sur ce point, les juges reconnaissent que
la crise de 2011 est le prolongement normal de la tentative de coup d’État
suivie de la rébellion de 2002 et que, contrairement à ce qui a été répandu
pour ternir son image, le Président Laurent Gbagbo avait en face de lui un
adversaire qui voulait utiliser tous les moyens y compris la violence pour
accéder au pouvoir. C’est pourquoi, ce dernier a rejeté toutes les formes de
résolution pacifique de la crise que le Président Laurent Gbagbo lui
proposait. Convaincu d’être le Président légal et légitime, il était en droit de
défendre son pouvoir et les institutions de l’État qui le représentent, même
si, selon les juges il n’avait pas de chance parce que « les preuves du
Procureur, montrent des efforts, souvent désespérés, pour mettre sur pied
une force qui pourrait au moins prétendre être capable de résister à une
confrontation armée avec les forces de Ouattara qui auraient agi en tandem
avec les forces françaises » (point 1902). Par ces écrits, les juges mettent la
lumière sur une réalité de la situation politique à savoir que Laurent Gbagbo
a été déstabilisé par une coalition internationale.
II. Une coalition internationale contre Laurent Gbagbo depuis le
début de son pouvoir
Tous les négateurs des évidences trouveront de quoi remettre en cause
leur incrédulité après lecture de la décision des juges quant au fait établi
qu’une coalition internationale s’était liguée contre le Président l’entame de
son mandat. Cette information, longtemps battue en brèche par ceux qui
n’avaient pas intérêt à ce qu’elle soit connue du grand public, a été mise au
grand jour par les juges de la Cpi. Ainsi, ils écrivent au point 66 de leur
décision que « la tentative de coup d’État de 2002 et la guerre ont pour
conséquence importante de faire que Laurent Gbagbo n’a jamais été un
Président de la République normal dans une situation normale ». Puis, un
peu plus loin, ils enchainent en affirmant que « dès le début, sa présidence a
été ébranlée et à partir de 2002, il n’a jamais été en mesure d’exercer son
rôle constitutionnel de manière régulière ».
Comment cette évidence a pu échapper au Procureur dans sa narration de
la crise ivoirienne. Cela est d’autant plus invraisemblable que le patron du
parquet de la Cpi est une Africaine dont le pays d’origine est à quelques
encablures de la Côte d’Ivoire. Cette réalité, que le Procureur a voulu
cacher, a rendu suspectes ses poursuites aux yeux de la majorité de la
population ivoirienne et d’une partie importante de l’opinion africaine qui
reste informée de la situation ivoirienne. Ce faisant, le procès de la Cpi a
exacerbé la cassure sociale et rendu plus compliquée la réconciliation. C’est
en cela que la décision de l’acquittement des deux accusés a apporté une
grosse lueur d’espoir qu’il serait dangereux d’estomper par un éloignement
du Président Laurent Gbagbo. Toute décision d’éloignement de ce dernier
de son pays sera perçue, comme c’est le cas avec les restrictions portées à
sa liberté, comme une manœuvre politique. La Cpi compléterait ainsi, dans
l’esprit des Ivoiriens, la liste des comploteurs internationaux que le
jugement d’acquittement a révélés. En effet, les juges de la Chambre de
Première instance ont compris que « bien que formellement neutres,
l’ONUCI et les forces militaires n’ont certainement pas été perçues de cette
manière par Gbagbo et son régime. Il se peut fort bien que cette perception
ait été erronée ou fallacieuse. Toutefois, il serait tout aussi incorrect et
fallacieux de prétendre que la présence et le rôle de l’ONUCI et des forces
militaires françaises n’ont rien à voir avec la façon dont M. Gbagbo et ses
partisans voient la situation » (point 68).
Cette perception des choses était si forte qu’il ressort des preuves que le
Président Laurent Gbagbo et son régime étaient plus préoccupés par
l’influence et le rôle du gouvernement et des militaires dans leur agression
contre eux que les citoyens ordinaires ivoiriens pro-Ouattara (point 185).
En d’autres termes, l’ONU, qui a créé la Cpi et le gouvernement français,
les deux donneurs d’ordre à leurs troupes étrangères présentes en Côte
d’Ivoire, se sont constitués en belligérants contre le Président Laurent
Gbagbo et son régime. Cette belligérance est allée jusqu’à précipiter le
bureau du Procureur de la Cpi, dirigé alors par Luis Moreno-Ocampo, dans
la compromission flagrante avec le gouvernement français, qui a abouti au
transfert, dans la plus grande illégalité, du Président Laurent Gbagbo à la
Cpi, comme révélé par certains médias en 2017. Même les enquêtes
diligentées contre le Président Laurent Gbagbo ont commencé dans
l’illégalité absolue. Ce fait n’a pas d’ailleurs échappé aux critiques du juge
Tarfusser dans ses motivations additionnelles. Aussi relève-t-il, dans sa
conclusion au point 116, que « je conclurai par une note sur le calendrier
anticipé de cette affaire : le 7 octobre 2011, quatre jours après que la
Chambre Préliminaire 1 eut rendu une décision autorisant l’enquête, le
personnel du bureau menait déjà des entretiens à Abidjan ; les actes
d’enquête, y compris les premiers contacts avec des témoins clés, étaient
antérieurs à l’autorisation. Les circonstances entourant la procédure de
confirmation des charges et les changements dans la majorité qui
détermineraient que l’affaire passe au procès, en dépit d’une forte
dissidence (et, a posteriori, prophétique), étaient aussi, à mon avis,
inhabituelles ». Il faudra comprendre dans le dernier alinéa de ce point que
le Juge Tarfusser fait allusion à la mort de l’honorable juge allemand Hans
Peter Kaul dont le changement d’opinion a permis l’envoi en procès du
Président Laurent Gbagbo après une première tentative infructueuse du
Procureur. Ce juge avait voté en 2013 contre la confirmation de charges et,
en 2014, il était réputé avoir voté pour. Malheureusement, il meurt un mois
après la délibération qui lui a été attribuée pour cause de longue maladie.
L’on s’était demandé si vraiment ce juge était en mesure de délibérer en
toute connaissance de cause en raison de son état de santé, ou sa prétendue
délibération lui avait été attribuée. Apparemment le juge Tarfusser a aussi
les mêmes interrogations.
Les juges établissent ainsi que le gouvernement français d’alors avait pris
la tête de la coalition internationale qui tenait à renverser le Président
Laurent Gbagbo. Dès lors, ce dernier était en position de défendre son
régime dont la survie était perçue par nombres d’Ivoiriens (ses nombreux
partisans) « comme condition préalable à l’émancipation continue de la
Côte d’Ivoire de l’influence économique et politique de l’ancienne
puissance coloniale » (point 69). Pour les juges, le Président Laurent
Gbagbo n’est pas le bourreau que l’on a dépeint dans les médias, mais bien
la victime d’une coalition menée par la France. Cette coalition était
devenue, au fil de temps, son principal adversaire. Laurent Gbagbo s’est
battu de 2002 à 2011 pour sauver l’État. C’est là une œuvre colossale quand
l’on voit la puissance des acteurs qui s’étaient coalisés contre lui. Cette
coalition a utilisé d’énormes moyens médiatiques et diplomatiques pour
noircir l’image de Laurent Gbagbo afin de dénigrer son combat pour
l’émancipation de son peuple, combat présentée comme une œuvre d’un
nationaliste sans cœur qui s’en prend à une partie de ses propres
compatriotes pour se maintenir au pouvoir. C’est pourquoi, il est heureux
que les juges de la Cpi aient reconnu que le Président Laurent Gbagbo n’est
pas l’auteur du concept d’ivoirité.
III. Le Président Laurent Gbagbo n’a jamais initié ni implémenté
une politique de ségrégation ethnique ou nationale
Le Président Laurent Gbagbo a passé tout le temps de son pouvoir à se
défendre contre une certaine restitution caricaturale de sa personnalité par
sa coalition d’ennemis. Les médias conditionnés l’ont présenté comme un
vulgaire dictateur qui aurait institué le quatrième Reich en Afrique par une
politique de préférence ethnique et nationale entre les populations
ivoiriennes. L’énorme quantité d’énergie dépensée pour contrer cette
campagne médisante a été vaine. Pour reprendre l’expression de ses
ennemis, ils avaient passé la savonnette afin de rendre la pente à la fois
abrupte et glissante de sorte qu’il était impossible au Président Laurent
Gbagbo de la surmonter. La Procureure de la Cpi n’a pas voulu se donner
une peine inutile pour chercher ce que les médias, opposés au Président
Laurent Gbagbo, lui offraient. Elle s’est contentée de la présentation prima
facie méchamment falsifiée pour construire sa narration de la crise
ivoirienne. Quelle a pu être sa peine d’entendre le bureau du Procureur lui
attribuer toutes les contrevaleurs qu’il a combattues toute sa vie. Sa
douloureuse patience vient d’être récompensée par les juges de la Cpi. Il
n’y a pas meilleure restitution de la vérité que ces mots des juges de la Cpi
repris par la journaliste Italienne Nicoletta Fagiolo1 qui écrit que selon le
juge Tarfusser, « au fur et à mesure du déroulement du procès, le rôle de
Gbagbo est passé radicalement du portrait fait par le procureur d’un
dictateur criminel pervers au « Président qui se soucie de son peuple, qui
veut être informé et qui assume ses responsabilités plutôt que de conspirer
contre son peuple ». Suivant la même trajectoire, le juge Tarfusser trouve
incompatible la description du méchant homme politique et certains
discours publics du Président Laurent Gbagbo. En effet, il écrit au
paragraphe 54 de ses motivations additionnelles que « Laurent Gbagbo a
prononcé des discours dans lesquels il a plaidé en faveur d’une médiation
de l’UA, saluant l’idée du comité chargé de l’examen de la situation afin
d’analyser objectivement les faits et le processus électoral pour un
règlement pacifique de la crise ». Plus loin, au paragraphe 55, il ajoute
« Gbagbo a invité toutes les personnes qui se trouvaient au Golf à regagner
leurs domiciles. Personne ne les a contraints à rester à l’hôtel, personne ne
les empêchera d’en sortir. Elles sont libres de leur mouvement ». De ce qui
précède, la journaliste Fagiolo, dans son article visé plus haut, ne peut
manquer de s’interroger : « Comment deux portraits aussi contradictoires
peuvent-ils coexister ? ». En effet quiconque, animé de la plus petite dose
de bonne foi, le connaissant, ne peut attribuer une image de dictateur
criminel au Président Laurent Gbagbo. La tentative de justification de la
rébellion de 2002 et de sa suite par une certaine politique d’ivoirité qui
aurait été implémentée et entretenue par le Président Laurent Gbagbo s’est
écroulée à la Cpi. Les juges ont rejeté les arguments du Procureur selon
lesquels la politique d’ivoirité serait l’illustration du plan commun. À ce
propos, l’opinion des juges telle qu’exprimée au point 185 de leurs
motivations écrites est sans équivoque. Pour eux en effet « le concept
d’ivoirité est antérieur au plan commun. Aucune preuve n’existe que le
Président Laurent Gbagbo est à l’origine du concept d’ivoirité ». Le
procureur, qui dénie la réalité politique qui prévalait en 2011, a tenté de
faire croire que ce concept a été utilisé par Laurent Gbagbo pour stigmatiser
une partie de la population ivoirienne catégorisée comme pro-Ouattara et
qu’il fallait éliminer. Aux dires du Procureur, le quartier d’Abobo aura été,
en autres, le théâtre d’implémentation de cette politique de stigmatisation
sur fond religieux, ethnique et de préférence nationale. Les juges, se
fondant sur les propres preuves du Procureur, arrivent à une conclusion qui
restitue la vérité politique de 2011. Les juges ont découvert qu’il n’y avait
pas exclusivement en Côte d’Ivoire des pro-Gbagbo et des pro-Ouattara. Il
y avait aussi des pro-Bédié, ce dernier ayant recueilli plus du quart des voix
du scrutin présidentiel de 2010. Mieux, selon les juges, ils ont découvert au
cours du procès que la présentation manichéenne de la situation politique
ivoirienne faite par le Procureur, qui rattache à Ouattara les populations
musulmanes du Nord et les populations chrétiennes du Sud à Gbagbo, est
totalement fausse. Ils ont ainsi relevé deux situations importantes dont
l’évidence est niée par le Procureur. D’une part, le Nord n’est pas habité
exclusivement par des musulmans tout comme le Sud n’est pas habité
exclusivement par les chrétiens. La proximité entre ces deux communautés
est si forte qu’il est fréquent que leurs différents membres cohabitent dans
des cours dites communes. Il est donc faux d’attribuer à l’une et à l’autre
une aire d’habitation exclusive. D’autre part, l’on rencontre des pro-Gbagbo
musulmans tout comme il existe des pro-Ouattara chrétiens. Soro
Guillaume, le maître d’œuvre de la rébellion et des opérations militaires de
2011 en est la parfaite illustration.
Un autre argument politique qui donne du poids à l’opinion des juges est
le résultat du scrutin de 2011 à Abobo.
Premier tour
– Suffrages exprimés 299.256
– Laurent Gbagbo : 106.364 voix soit 35,54 %
– Alassane Ouattara : 134.511 voix soit 44,95 %
Deuxième tour
– Suffrage exprimé : 290.997
– Laurent Gbagbo : 119.978 soit 41,23 %
– Ouattara Alassane : 171.019 soit 58,77 %
Ces résultats démontrent aisément qu’Abobo ne peut être considéré
comme une zone exclusivement Pro-Ouattara sur laquelle l’on peut larguer
des bombes dans l’espoir de ne tuer que ceux-ci.
En conclusion, la situation politique en Côte d’Ivoire dans le premier
trimestre de 2011 était le prolongement de celle qui a prévalu dans le pays
depuis le coup d’État de 1999. Un homme, Ouattara Alassane, l’actuel Chef
de l’État, avait décidé de devenir, à n’importe quel prix, Président de la
République de Côte d’Ivoire. Il n’était pas loin du coup d’État de 1999. En
2002, une rébellion se réclamant de lui a ouvertement pris forme après
l’échec d’une autre tentative de renversement du Président Laurent Gbagbo
fraîchement élu. En 2011, cet homme a refusé toutes les règles de jeu
démocratiques pour résoudre un simple conflit électoral comme il en existe
dans de nombreux pays. Fort du soutien de certains réseaux d’intérêts qui
ne supportaient pas la politique d’émancipation menée par Laurent Gbagbo,
il a mené une guerre contre les forces régulières à l’effet de prendre le
pouvoir d’État. Dans cette conquête du pouvoir, Ouattara Alassane a été
appuyé par les forces militaires de l’ONUCI et les forces militaires
françaises pourtant réputées neutres dans le conflit. C’est ce que les juges
de la Cpi ont bien compris lorsqu’ils écrivent au point 70 de leurs
motivations que « aucun récit ne saurait refléter la réalité sans reconnaître
que le régime de Gbagbo était confronté toujours à une menace
existentielle. »
1. Chapitre 6 du présent ouvrage.
CHAPITRE 8
Par
M. Jean-Hilaire YAPI
MBA, PhD., Ingénieur
Quand le mensonge est mis à nu, à quoi bon s’y accrocher ? C’est ce que
fait la juge Carbuccia en soutenant encore des allégations qui, selon
l’opinion dissidente de la juge Christine Van den Wyngaert des audiences
de confirmation des charges, n’avaient aucune chance de l’emporter dans
un procès. Et c’est ce qu’ont confirmé, à l’issue d’un procès qui n’aurait
jamais dû avoir lieu, les juges Cuno Tarfusser et Geoffrey Henderson en
disant que « les preuves présentées ne passeraient même pas un test
minimum de recevabilité dans de nombreux systèmes nationaux » et en
s’étonnant que la Cpi se soit arrangée pour mener un procès avec de telles
preuves.
L’argumentaire de la juge Olga Herrera-Carbuccia repose essentiellement
sur les points suivants :
a) Les FDS et des mercenaires, selon les témoignages recueillis, ont
procédé systématiquement et de manière coordonnée à des attaques
contre des populations civiles : assassinats ciblés de civils à Abobo, tirs
sur des manifestants à l’arme lourde lors de différentes marches,
attaques et assassinats de civils dans leurs maisons et sur des lieux de
culte, bûchers des personnes vives.
b) Les Jeunes Patriotes ont dressé des barrages dans les quartiers et
lynché puis brulé, des fois vives, des personnes identifiées à tort ou à
raison comme soutenant Alassane Ouattara, sur la base de leur
appartenance ethnique ou religieuse.
c) L’objectif de ces crimes était de maintenir à tout prix au pouvoir
Laurent Gbagbo et son entourage.
d) Les crimes graves commis entrent dans la catégorie des crimes contre
l’humanité tels que définis par le Statut de Rome.
e) Les FDS étaient dirigés par le Général Mangou à qui un compte-rendu
des crimes commis était effectué régulièrement et qui, à son tour en
rendait compte au Président Laurent Gbagbo.
f) Le Président Laurent Gbagbo était Président de la République et donc
de facto responsable des crimes commis.
g) Le Président Laurent Gbagbo n’a diligenté aucune enquête pour établir
les responsabilités sur les crimes commis et a plutôt défendu
systématiquement les FDS.
h) Le Président Laurent Gbagbo a utilisé les moyens de l’État (l’armée,
les médias d’état, le financement des Jeunes Patriotes …) pour
organiser et encourager la commission des crimes.
i) Le Ministre Charles Blé Goudé a reconnu être le Leader des Jeunes
Patriotes.
j) Le Ministre Charles Blé Goudé a prononcé des discours haineux qui
ont permis de mobiliser les jeunes et les a encouragés à ériger des
barrages où des crimes ont été commis sur des partisans supposés
d’Alassane Ouattara.
k) Le Ministre Charles Blé Goudé était de fait le chef des officiers qui
encadraient les jeunes recrutés dans l’armée suite à son appel à leur
mobilisation.
Chaque point de cet argumentaire peut être battu point par point par les
opinions des juges Cuno Tarfusser et Geoffrey Henderson.
Le plan commun, présenté comme élément central de l’accusation,
n’ayant pu être démontré par le Procureur, la juge Carbuccia pense qu’elle a
pu démontrer l’existence d’une politique d’État visant à attaquer la
population civile. Et elle cite comme « preuves acceptables » les réunions
auxquelles le Président Laurent Gbagbo, dont elle reconnaît au passage la
position de Président de la République, a participé tout le long de la crise.
Les réunions auxquelles ont participé la Première Dame Simone Gbagbo
ainsi que les dirigeants du FPI sont également brandis comme des preuves
sans égard pour le contenu des discussions de ces réunions. Le fait pour le
Président de réunir l’État-major de l’armée pour se rendre compte de la
situation sur le terrain est présenté comme la preuve qu’il organisait l’armée
pour commettre des crimes. Même si le Procureur n’a pas pu démontrer,
avec l’aide de ses témoins militaires et civils, que les FDS ont tiré sur des
civils, la juge utilise ces allégations comme preuves pour incriminer
Laurent Gbagbo et Blé Goudé qui auraient ainsi coordonné et mis en œuvre
cette politique. Dans son analyse, les victimes des charniers sont des
partisans de Ouattara.
Elle dit en substance :
« Il n’est pas nécessaire de prouver que l’accusé était au courant de tous
les détails de l’attaque. De plus, c’est l’attaque, et non les actes individuels
de l’accusé, qui doit être dirigée contre la population visée. Les éléments de
preuve étayent l’allégation selon laquelle Laurent Gbagbo et Charles Blé
Goudé savaient qu’une attaque généralisée et systématique était menée
contre la population civile pour des motifs d’ordre politique, ethnique ou
religieux et que leurs actes s’inscrivaient dans le cadre de cette attaque. »
Mais jamais elle ne cite de preuves mis à part des allégations de témoins
dont, le procès l’a montré, la majorité est d’une crédibilité douteuse. On se
demande comment elle a pu aboutir à une telle conclusion que rien, dans le
déroulé du procès, ne laisse présager. Pour justifier l’existence de la
politique d’État, donc du plan commun, elle met les crimes allégués sur le
compte d’attaques organisées et systématiques des FDS contre la population
civile, même si les éléments de preuves matérielles présentées lors du
procès ne permettent pas de le démontrer. Ainsi, en plus des attaques à
l’arme lourde, les FDS auraient aussi brûlé des personnes vives et commis
des viols, tout cela sous l’instigation et la coordination de Laurent Gbagbo
et de son entourage pour rester au pouvoir. La juge refuse de tenir compte
de la situation de violence qui prévalait et qui a été soulignée par ses pairs,
violence qui était due aux rebelles et parfois aux forces dites impartiales de
l’ONU et de la France à l’encontre des FDS.
Quand on sait que les principaux Généraux des FDS ainsi que certains
Colonels ont été appelés à témoigner et que ces derniers n’ont à aucun
moment indiqué avoir reçu d’ordres du Président Gbagbo ou de quiconque
de son entourage pour commettre des crimes sur la population civile, on
peut se demander pourquoi la Juge Herrera-Carbuccia tient tant à cette
version des faits qui n’est qu’un ramassis de mensonges pour salir l’action
du Président Gbagbo qui ne faisait que défendre son pays. C’est comme si,
dans l’affaire du bombardement de Bouaké qui a révélé les manipulations
meurtrières de la France, un juge s’arc-boutait à la version française qui
veut que le Président Laurent Gbagbo, pris de folie, s’attaque à l’armée
française comme stratégie pour déloger les rebelles sanguinaires et pillards
qui écumaient le nord de la Côte d’Ivoire. Quand le mensonge est mis à nu,
à quoi bon s’y accrocher ?
Pour justifier le plan commun, elle prend également pour preuve le fait
que les FDS faisaient un rapport en temps réel de leurs crimes au Président
Laurent Gbagbo et que malgré cela, ce dernier niait ces crimes et prenait la
défense des FDS, sans même prendre le soin de diligenter une enquête sur
ces crimes allégués. En effet, pourquoi enquêter pour établir les
responsabilités de crimes dont on a soi-même planifié et coordonné la
commission ? Bien entendu, le fait que rien dans le procès ne vienne étayer
la thèse selon laquelle les FDS commettaient des crimes et en rendaient
compte au Président Laurent Gbagbo ne l’empêchent pas de faire une telle
assertion.
Blé Goudé, quant à lui, aurait prononcé des discours haineux et incité et
encouragé les Jeunes Patriotes dont il était le chef déclaré et assumé, à
commettre des crimes. Le procès a montré les manipulations du Procureur
pour justifier l’existence de ces fameux « discours haineux », en se limitant
à reprendre des bouts de discours sortis de leur contexte. En restituant les
discours dans leur contexte, la défense a démontré que, de manière
constante, Charles Blé Goudé a plutôt prôné l’apaisement et favorisé la
négociation pour préserver la paix. Mais la Juge n’en tient pas compte. Par
exemple, les témoins militaires ont beau dire que Blé Goudé ne participait
pas aux réunions des militaires pour la simple raison qu’il n’était pas
militaire, la juge n’en tient pas compte. Pourquoi ?
Lui reproche-t-elle, comme le font à l’unisson les nations occidentales
prédatrices, sa capacité à mobiliser les Ivoiriens contre l’attaque qu’a subie
la Côte d’Ivoire et qu’ont appelé Alassane Ouattara et Soro Guillaume qui
réclamaient l’option militaire, donc la guerre, pour mettre fin à la crise, là
où le Président Laurent Gbagbo appelait à une résolution politique donc
pacifique qui passait par un recomptage des voix ?
La Juge refuse de tenir compte du fait que les éléments dits de preuves
présentés devant la Cour par le Procureur et ses témoins aient été battus en
brèche. Elle s’appuie donc sur des généralités là où des éléments de preuve
au-delà de tout doute raisonnable sont nécessaires à la fois pour faire justice
aux victimes et respecter les droits des accusés.
En définitive, elle reprend la thèse du Procureur et estime qu’une
Chambre raisonnable devrait condamner les accusés sur la base des
allégations et sans tenir compte d’éléments probants de preuves.
Elle dit aussi ceci : « Une opinion n’est pas forcément juste parce que
c’est celle de la majorité ». Effectivement, c’est une décision injuste de la
majorité qui a conduit à ce procès et donc à cet échec plus que retentissant
du Procureur. Le Président Laurent Gbagbo et le Ministre Charles blé
Goudé en savent quelque chose puisqu’acquittés, ils sont de fait maintenus
en détention en raison d’une autre décision majoritaire injuste de la
Chambre d’appel. Cette injustice est éminemment mise à nu par les deux
juges Howard Morrison et Piotr Hofmański dans leur opinion dissidente :
« Si une personne est acquittée, l’article 81 (3)(c)(i) du Statut indique
qu’elle soit immédiatement libérée. C’est une conséquence automatique
d’un acquittement et aucune décision ou ordre additionnel de la Chambre
de première instance n’est requis. L’article 81 (3)(c)(i) du Statut donne à la
Chambre de première instance le pouvoir d’ordonner, à la demande du
Procureur, le maintien en détention d’une personne acquittée, en attente
d’une procédure d’appel contre l’acquittement. Si la Chambre de première
instance répond favorablement à cette requête, sa décision devient la
nouvelle motivation du maintient en détention de la personne acquittée. Si,
au contraire, la Chambre de première instance rejette la requête du
Procureur, cela ne modifie en rien le statut de la personne acquittée ; … En
ce qui concerne la détention, la disposition statutaire de l’article 81 (3)(c)
(i) qu’est la libération immédiate de la personne acquittée reste en
vigueur. »
Durant la crise postélectorale et surtout pendant la guerre menée par les
forces rebelles de Ouattara et ses commanditaires de la « communauté
internationale », des milliers de personnes sont mortes dont, manifestement
les plus nombreuses sont des partisans de Laurent Gbagbo. Le procès de
Laurent Gbagbo et Blé Goudé a abouti à leur acquittement juste après le
passage des témoins du Procureur. Et leur nombre impressionnant n’a rien
pu y faire. Il faut maintenant penser à chercher les coupables dans le camp
de l’autre protagoniste. Et, de la même manière que la responsabilité de
Laurent Gbagbo était engagée pour les actes allégués des FDS, nous nous
attendons qu’Alassane Dramane Ouattara et Guillaume Soro soient tenus
responsables des crimes de leurs hordes de rebelles analphabètes et pillards
et de dozos ainsi que des populations qui leur étaient acquises. À Abobo et
ailleurs, de nombreux Ivoiriens ont été mitraillés, molestés et brûlés vifs en
raison de leur soutien à Laurent Gbagbo.
À Duékoué, tout un peuple trié à l’aide de la carte d’identité, a connu un
génocide. Il est temps de leur rendre justice, car, comme pour les 776
victimes qui ont participé au procès, et pour paraphraser la Juge Carbuccia :
« Les préjudices subis par les victimes volontairement oubliées et la
violation des droits fondamentaux de ces victimes ne font aucun doute ».
La vérité triomphera !
CHAPITRE 9
Par
Pr. Raymond KOUDOU Kessié1
Ancien Ambassadeur de Côte d’Ivoire en France
Introduction
Laurent Gbagbo et Blé Goudé sont accusés de crimes contre l’humanité2,
tels que visés à l’article 7 du Statut de Rome. Ces crimes auraient été
commis lors des violences postélectorales contre des civils non armés et en
particulier lors de : i) la marche sur la Radiodiffusion-télévision ivoirienne
(RTI), le 16 décembre 2010 ; ii) la marche des femmes à Abobo, le 3 mars
2011 ; iii) le bombardement du marché Siaka Koné d’Abobo, le 17 mars
2011 ; iv) les évènements de Yopougon, le 12 avril 2011. Quatre charges
ont été retenues contre eux : i) meurtre d’au moins 160 personnes ; ii) viol
d’au moins 38 personnes ; iii) autres actes inhumains ou tentatives de
meurtre sur au moins 118 personnes et ; iv) persécution d’au moins 316
personnes.
La Chambre de Première instance 1 les avait acquittés de toutes ces
charges de crimes contre l’humanité par sa décision orale d’acquittement du
15 janvier 2019, dont les Motifs écrits3 ont été publiés, le 16 juillet 2019.
Le Procureur avait cependant attaqué cette décision devant la Chambre
d’appel qui, le 1er février 2019, a rendu un Arrêt très restrictif des libertés
des acquittés.
Notre publication rend d’abord compte de cet Arrêt ; ensuite, des
réactions motivées y afférentes des juges de la majorité (2) et des réponses
des prévenus lors de l’audience d’appel (3). Elle s’interroge également sur
les motivations profondes de l’appel du Verdict d’acquittement interjeté par
Mme la Procureure, le 16 février 2019 (4). Nous nous demandons enfin ce
qui se cache véritablement derrière ce que l’on fait subir au Président
Laurent Gbagbo et au Ministre Blé Goudé (5).
Les deux hypothèses qui la sous-tendent s’énoncent ainsi : i) Les
fondements de l’Arrêt de la Chambre d’appel de la Cpi restreignant les
libertés des acquittés sont ailleurs que dans le Statut de Rome ; ii) Le
Président Gbagbo a été attrait devant la Cpi rien que pour l’empêcher d’être
à la tête de l’État ivoirien au profit de Ouattara, leur choix, malgré leur
démenti.
1. L’arrêt de la Chambre d’appel
Au Paragraphe 59 de l’Arrêt4, il est écrit :
« La Chambre d’appel considère que l’argument du Procureur selon
lequel il existe un risque d’évasion est fondé. Dans le droit fil de sa
jurisprudence relative à la mise en liberté provisoire, la Chambre d’appel
est d’avis que la gravité des charges est pertinente aux fins de l’évaluation
du risque de fuite. Elle renvoie en particulier aux nombreuses décisions
rendues en l’espèce dans lesquelles il a été conclu que la gravité des
charges et le risque qui s’ensuit de condamnation à une lourde peine,
l’existence d’un réseau de partisans et les moyens dont dispose Laurent
Gbagbo sont de nature à l’inciter à prendre la fuite. S’agissant de Charles
Blé Goudé, la Chambre d’appel considère que la gravité des charges et le
risque qui s’ensuit de condamnation à une lourde peine sont de nature à
l’inciter à prendre la fuite. »
Au Paragraphe 60, la Chambre d’appel modifie la décision attaquée en
ces termes :
« La décision rendue oralement le 16 janvier 2019 par la Chambre de
première instance 1 en application de l’article 81-3-c-i du Statut
(ICC02/11-01/15-T-234-Eng) est modifiée en ce que les conditions exposées
au paragraphe 60 du présent Arrêt sont imposées à Laurent Gbagbo et
Charles Blé Goudé à leur libération dans tout État disposé à les accepter
sur son territoire, ainsi que prêt à faire respecter ces conditions et capable
de le faire. »
La Chambre d’appel a donc modifié la Décision attaquée au motif que la
Chambre de Première instance ne se serait intéressé qu’aux “circonstances
exceptionnelles” qui, au sens de l’article 81-3-c du Statut, justifieraient le
maintien en détention, mais sans se demander s’il existait des “raisons
impérieuses” justifiant de poser des conditions à la mise en liberté des
accusés. Les faits indiquent suffisamment, dit la Chambre d’appel, que s’ils
étaient mis en liberté sans conditions, Laurent Gbagbo et Charles Blé
Goudé pourraient prendre la fuite. Ce risque d’évasion identifié ne pourrait
cependant être atténué que par des conditions à leur mise en liberté. Elle
conclut donc qu’il existe des “raisons impérieuses” d’exercer les pouvoirs
que lui confère le Statut d’imposer à Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé
des conditions à leur mise en liberté pour garantir leur comparution lors de
la procédure à venir qui sont (Para.60) :
« i) S’engager par écrit à se conformer à toutes les instructions et
ordonnances de la Cour, notamment en comparaissant devant la Cour
lorsque celle-ci l’ordonnera, et accepter que la procédure d’appel devant la
présente Chambre pourrait se poursuivre en leur absence, s’ils ne se
présentaient pas devant la Cour après en avoir reçu l’ordre ; ii) Informer la
Chambre et l’État qui les accueille de leur adresse et de leurs coordonnées
et demander à la Cour son autorisation avant de changer d’adresse ; iii) Ne
pas se déplacer en dehors des limites de la municipalité dans laquelle ils
résident dans l’État d’accueil, à moins d’y avoir été expressément autorisés
au préalable par la Cour ; iv) Remettre au Greffe toutes les pièces
d’identité dont ils disposent, en particulier leur passeport ; v) Se présenter
chaque semaine auprès des autorités de l’État d’accueil ou auprès du
Greffe ; vi) Ne pas entrer en contact, que ce soit directement ou
indirectement, avec un quelconque témoin cité par l’Accusation dans le
cadre de cette affaire, ou avec une quelconque personne dont le Procureur
leur a révélé qu’elle a été entendue dans le cadre de l’enquête en cours en
Côte d’Ivoire, sauf par l’intermédiaire du Conseil autorisé à les représenter
devant la Cour et conformément aux protocoles applicables ; vii) S’abstenir
de toute déclaration publique au sujet de l’affaire, que ce soit directement
ou indirectement, ou d’entrer en contact avec le public ou de faire des
déclarations à la presse au sujet de l’affaire ; viii) Se conformer à toute
autre condition raisonnable imposée par l’État dans lequel ils seront
libérés. »
Les dispositions du Statut sur la mise en liberté d’un accusé en cas
d’acquittement autorisent-elles de telles restrictions contraignantes ? C’est
la question à laquelle il nous faudrait répondre maintenant au regard de
notre première hypothèse d’étude.
L’article 81 (3)(c)(i) du Statut dispose :
« En cas d’acquittement, l’accusé est immédiatement mis en liberté.
Cependant, dans des circonstances exceptionnelles, et en fonction,
notamment, du risque d’évasion, de la gravité de l’infraction et des chances
de voir l’appel aboutir, la Chambre de première instance peut, à la
demande du Procureur, ordonner le maintien en détention de l’accusé
pendant la procédure d’appel. »
Dans cette disposition du Statut, il ne s’agit ni plus ni moins que de
libération immédiate de l’acquitté. Et, les circonstances exceptionnelles
mentionnées ne le sont qu’à propos du maintien éventuel en détention de
l’acquitté et non pas comme conditions à sa mise en liberté. La Chambre
d’appel parle de l’existence de « raisons impérieuses », que nous ne lisons
pas dans la disposition ci-dessus visée. La restriction drastique de la liberté
des acquittés Laurent Gbagbo et Blé Goudé ne repose donc pas sur les
dispositions du Statut. L’obligation qui leur est faite de résider dans tout
État disposé à les accepter sur son territoire, ainsi que prêt à faire respecter
ces conditions et capable de le faire, autre que le leur, n’y figure pas non
plus. Notre première hypothèse suivant laquelle les fondements de cet Arrêt
de la Chambre d’appel sont ailleurs que dans le Statut de Rome se trouve
donc vérifiée. Les Motifs du juge Président Tarfusser qui suivent nous
renforcent dans cette thèse.
2. Les motifs des juges de la majorité
Le juge-président Cuno Tarfusser, dit ne pas s’être imaginé que la
Chambre d’appel transformerait la libération des acquittés Laurent Gbagbo
et Blé Goudé en une libération conditionnelle dans le cadre d’un régime très
restrictif. Pour M. Blé Goudé, un régime d’"assignation à résidence"
comparable, sinon pratiquement équivalente, au maintien en détention, qui
se poursuit toujours. Il relève par ailleurs l’incohérence intrinsèque de la
décision de la Chambre d’appel en ces termes :
« La décision déclare solennellement que le maintien en détention
conformément à l’article 81 (3)(c)(i) du Statut “doit être limité à des
situations véritablement exceptionnelles” et “ne peut être qu’un dernier
recours”, car elle réaffirme le principe selon lequel la détention “est et doit
rester exceptionnelle”, d’autant plus vis-à-vis d’un individu acquitté sur le
fond ; elle reprend même des décisions internes des hautes juridictions qui
affirment l’incompatibilité des restrictions à la liberté d’une personne
acquittée et des droits humains fondamentaux. Toutefois, toutes ces
considérations sont balayées par les déclarations ultérieures selon
lesquelles, compte tenu du fait que le Procureur n’a demandé qu’une
“libération sous conditions”, le pouvoir d’imposer de telles conditions doit
être considéré comme implicite et inhérent au pouvoir d’imposer une
détention prolongée. Au lieu de l’exigence de circonstances exceptionnelles,
énoncées à l’article 81 (3)(c) du Statut, le critère permettant de déterminer
si l’imposition de conditions à la libération d’une personne acquittée
consisterait en l’existence de “circonstances impérieuses”, une exigence
supplémentaire différente qui, bien que ne figurant pas dans la disposition,
devrait être évaluée en tenant particulièrement compte de l’existence “d’un
risque de fuite qui pourrait être limité par des conditions.” »
Le juge Tarfusser écrit au Paragraphe 4 de ses Motifs qu’il a passé au
crible des montagnes de documents prétendument à l’appui de cette affaire,
dont aucun n’a pu la confirmer, que ce soit individuellement ou dans son
ensemble. Beaucoup de ces documents, comme le soulignent les Motifs,
sont « d’authenticité́ douteuse » et/ou « contenant un ouï-dire significatif et
anonyme ».
Comme il est également indiqué dans les Motifs du juge :
« Il existe des problèmes généralisés qui affectent un nombre
considérable de documents et rendent leur authenticité́ douteuse », ce qui
rend « probablement juste de dire qu’une majorité de pièces documentaires
soumises par le Procureur dans cette affaire ne satisferait même pas le
critère de recevabilité́ le plus élémentaire dans de nombreux systèmes
nationaux ».
Quant au juge Henderson, il conclut ses Motifs en confirmant notre
deuxième hypothèse relative aux manœuvres pour empêcher que le
Président Gbagbo soit à la tête de l’État :
« Quoi qu’il en soit, aucun récit ne saurait refléter la réalité sans
reconnaître que le régime de M. Gbagbo était confronté à tout moment à
une menace existentielle ». (Para. 70, Henderson).
3. Les réponses des accusés
Ces réponses sont celles données à l’audience d’appel par Laurent
Gbagbo (3.1.) et Blé Goudé (3.2.) et rapportées dans l’Arrêt.
3.1. Les réponses de Laurent Gbagbo
Dans sa réponse rapportée dans l’Arrêt (Para. 56-73), Laurent Gbagbo a
fait valoir que la liberté d’un individu est un droit essentiel et que, dans le
cas particulier d’un acquittement, la liberté ne peut être limitée que dans des
circonstances exceptionnelles, autrement dit lorsque cela est absolument
nécessaire sur la base de critères objectifs. (…) Il soutient donc que l’article
81-3-c-i du Statut ne peut être mis en œuvre qu’avec précaution, en dernier
recours et en cas d’absolue nécessité. (…) En ce qui concerne le premier
moyen d’appel, Laurent Gbagbo soutient que si aucune des circonstances
visées à l’article 81-3-c-i du Statut n’est exceptionnelle en soi, alors il n’est
pas possible que, cumulées, ces circonstances revêtent un tel caractère. Il
ajoute qu’en fait, le Procureur demande l’adoption d’une approche
superficielle de la notion de circonstances exceptionnelles. En ce qui
concerne le deuxième moyen d’appel, Laurent Gbagbo fait valoir que
l’affirmation du Procureur selon laquelle, il existe un risque concret
d’évasion repose essentiellement sur des hypothèses et des théories qui ne
sont basées sur aucun élément de preuve concret. Il ajoute (…), que le
Procureur ne tient pas compte du fait qu’il a été acquitté, ce qui constitue un
changement de circonstances fondamental. Quant à la préservation de
l’intégrité de la procédure telle que plaidée par le Procureur, il soutient qu’il
s’agit là d’une considération sans pertinence puisque le Procureur a terminé
la présentation de ses témoins (…). En ce qui concerne le quatrième moyen
d’appel, il affirme que le critère des « chances de voir l’appel aboutir » est
sans aucun doute subjectif et que le Procureur tente de baisser la norme
fixée à l’article 81-3-c-i du Statut en avançant que les chances en question
devront être « viables ». Il affirme également que l’existence d’une opinion
dissidente ne saurait donner d’indications sur les chances de voir l’appel
aboutir, en renvoyant à cet égard à des exemples d’acquittement confirmés
(…). Laurent Gbagbo a enfin fait valoir qu’il n’existait pas de base légale
permettant à la Chambre d’appel d’imposer des conditions à une libération
à la suite d’un acquittement. Il a cependant précisé que, si la Chambre
d’appel devait juger qu’elle en avait le pouvoir et imposait effectivement de
telles conditions, il les respecterait.
3.2. Les réponses de Blé Goudé
L’Arrêt rapporte également les réponses de Blé Goudé (Para. 77-106).
Ainsi, s’agissant du premier moyen d’appel, il affirme que, contrairement à
ce qu’avance le Procureur, l’article 81-3-c-i du Statut exige la
démonstration de circonstances exceptionnelles, ce qui constitue une norme
bien plus stricte que celle qui s’applique à la suspension de la mise en
liberté immédiate après acquittement, la première norme exigeant
d’apporter la preuve de raisons particulièrement fortes et entraînant des
conséquences différentes (…). Charles Blé Goudé affirme que le Procureur
n’a pas démontré ce qui pourrait l’inciter à prendre la fuite. (…). Il affirme
que la décision d’acquittement prononcée par la Chambre de première
instance a renforcé sa motivation à coopérer avec la Cour, ajoutant que son
acquittement milite en faveur de sa mise en liberté immédiate puisque le
risque d’évasion n’est plus un élément pertinent (…). Il fait valoir que
l’existence d’une opinion dissidente n’est pas pertinente aux fins de la
détermination des chances de voir l’appel aboutir, étant donné que les
opinions dissidentes ne sont pas exceptionnelles (…). Cependant, dans le
cas où la Chambre d’appel conclurait qu’elle a le pouvoir d’assortir de
conditions une mise en liberté faisant suite à un acquittement et déciderait
de le libérer sous conditions, il respecterait ces conditions.
4. Par son appel du verdict d’acquittement la procureure fait une
fuite en avant
Mme la Procureure a fait appel du verdict d’acquittement, le
16 septembre 2019, parce que la Chambre de Première instance aurait
commis une erreur de droit et de procédure : i) en omettant de fournir un
exposé complet et motivé des constatations de la majorité sur les preuves et
les conclusions qu’elle en a tirées ; ii) en omettant de fournir un résumé des
motifs en audience publique ; iii) en indiquant simplement que les motifs
seraient fournis « dès que possible », mais sans fixer de date précise pour
les fournir et, iv) en violant l’obligation de ne rendre qu’ « une seule
décision ».
Maître Lisa Mimoun5 consacre à cet appel l’analyse du chapitre 11 de ce
livre. Pour notre part, rien ne saurait valablement expliquer l’appel de la
Procureure qui se fonde principalement sur les problèmes de procédure
alors qu’elle était attendue sur l’administration des preuves irréfutables à
l’appui de ses charges. Et, qui plus est, elle fait montre d’une incohérence et
d’un manque de courage évident, alors qu’elle avait déjà reconnu avoir
« essuyé d’importants revers dans l’affaire Gbagbo et Blé Goudé. »6
Le juge-président Cuno Tarfusser a fait état de certaines de ses
incohérences lorsqu’il parlait du niveau de « déconnexion globale » entre
son récit et les faits tels qu’ils ressortent progressivement des éléments de
preuve, qui n’a cessé de croître ? (Para.5, Tarfusser). Heureusement, nous
dit le juge-président, que des témoins de tous horizons ont contribué à
donner à la Chambre une image de la Côte d’Ivoire tout simplement
inconciliable avec celle présentée par le Procureur. (Para. 13, Tarfusser).
L’on peut ajouter ici sa manière irrésistiblement compulsive de noircir
l’image du Président Gbagbo, qui n’est pour elle qu’un dictateur, un
criminel et un pervers qui tue son peuple et ses opposants pour se maintenir
au pouvoir. Rien donc de si étonnant que la Procureure continue son
acharnement contre les acquittés par la déclaration d’Appel qu’elle vient de
déposer.
L’on s’y attendait, puisque la France, commanditaire principal de ce
procès, n’est pas allée si loin contre le Président Gbagbo et son
administration pour s’arrêter en si bon chemin. Le problème, c’est que Mme
la Procureure s’engage dans une voie procédurale là où les juges de la
majorité ont mis en cause son dossier sur le fond, en des termes
particulièrement sévères. C’est sur l’argument des juges relatif à
l’insuffisance de preuves à l’appui de sa cause que nous aurions plutôt aimé
la voir faire appel car les preuves sont essentielles dans un procès, et en le
disant nous n’apprenons rien à personne. Rappelons-nous cependant cette
citation du grand criminologue français, Jacques Cujas : "là où la preuve
n’est pas complète, il n’y a pas de preuve".
Actore non probante reus absolvitur7. Voilà pourquoi Laurent Gbagbo et
Blé Goudé ont été innocentés, acquittés. Ils doivent donc être libérés. Mais
qui plus est, et nous n’avons eu de cesse de le dire, Laurent Gbagbo et Blé
Goudé ne sont pas, ne peuvent pas être les criminels contre l’humanité
dépeints par la Procureure et contre qui ce procès a été intenté. En réalité,
nous dit Me Jean Balan8, il n’y a jamais eu un procès réel dans cette
affaire :
« Il n’y a jamais eu un procès réel, l’accusation n’ayant jamais pu
prouver quoi que ce soit. Par ailleurs l’arrestation du Président Gbagbo fut
dès le début illégitime et même illégale. C’est pas un combat juridique mais
politique. La partie est déjà gagnée, le seul but étant de maintenir Gbagbo
hors-circuit le plus longtemps possible. »
Il faut que l’on sache que nous ne sommes pas dans un jeu. Donc, si Mme
la Procureure a maintenant les preuves irréfutables qu’elle n’avait pas eu le
temps de réunir et de présenter, en huit ans de procédure, afin de confondre
les accusés, alors qu’elle les mette sur la table et qu’on en finisse avec ce
procès. Car derrière son langage procédural se cache des intentions
inavouables.
5. Que se cache-t-il derrière ce que l’on fait subir au Président
Gbagbo ?
Laurent Gbagbo, le Président élu9, proclamé et investit comme tel par le
Conseil Constitutionnel ivoirien10, a vu sa victoire volée par la France, qui a
installé par les armes Alassane Dramane Ouattara dans le fauteuil
présidentiel. Bernard Binlin Dadié11, décrit ici fort justement la situation
dans laquelle se trouvent la Côte d’Ivoire et son peuple depuis
l’intronisation de cet homme de main de la France :
« – Un territoire sous occupation des forces armées étrangères :
françaises et Onusiennes qui ont fait la guerre à la Côte d’Ivoire de façon
sournoise et brutale ; – Un peuple soumis militairement à un gouvernement
dont le chef a perdu l’élection présidentielle 2010 en Côte d’Ivoire, et qui,
soutenu par des forces armées étrangères, bafoue la Constitution et les lois
de notre pays. »
Sous le couvert en effet du droit d’ingérence humanitaire, de défense de
la démocratie et des populations civiles contre les armes de destruction
massive, la France s’est en réalité illustrée dans une guerre d’intérêts. Pour
Fanny Pigeaud12, il est évident que :
« La France n’est pas intervenue en Côte d’Ivoire pour des motivations
humanitaires ou pour sauver le processus démocratique, comme on
voudrait nous le faire croire, mais pour protéger ses intérêts dans ce pays
en mettant en place un Président qui lui soit favorable. La version officielle
selon laquelle la France et les Nations-Unies ont été obligées d’intervenir
en Côte d’Ivoire pour soutenir Alassane Ouattara qui avait remporté
l’élection présidentielle, et pour faire partir Laurent Gbagbo qui, lui,
refusait de reconnaître sa défaite, n’est pas toute la réalité. »
L’arrestation du Président Gbagbo comme sa détention à Korhogo puis
son transfèrement à la prison de Scheveningen de La Haye sont dénués de
base juridique puisque la Côte d’Ivoire n’était pas partie au Statut de Rome.
Il y a subi un procès injuste alors que déjà de l’avis même des juges de la
Chambre préliminaire 1, les preuves étaient insuffisantes. La justice
imposait de rendre sa liberté au Président Gbagbo, liberté qu’il n’aurait
jamais dû perdre. Ils ne l’ont pas fait. Ils ont donné une autre chance à la
Procureure pour poursuivre ses enquêtes à l’effet de fournir des preuves
plus convaincantes. Elle en est revenue bredouille. Cela ne les a pas
empêché de poursuivre le procès après l’audition de quatre vingt deux
témoins à charge qui, pour la plupart, ont fini par disculper les accusés. Le
juge-président Cuno Tarfusser (Para. 4, Tarfusser) de dire à ce propos que
pendant près de deux ans, qu’il a aidé le Procureur à élucider l’affaire.
Cependant, les témoins, les uns après les autres, des plus humbles jusqu’aux
plus hauts échelons de l’armée ivoirienne, ont systématiquement affaibli,
quand ce n’était pas carrément ruiné, le dossier du Procureur, dossier qu’ils
étaient « attendus », et ont été appelés par le Procureur à appuyer.
Au bout du compte, et à la grande surprise des commanditaires de la
cabale contre Laurent Gbagbo, les juges ont prononcé l’acquittement.
En tout état de cause, l’actuel appel de l’acquittement par la Procureure
ne répond pour nous qu’à la seule volonté de gagner du temps. Maintenir
durablement le Président Laurent Gbagbo hors de son pays et loin du
pouvoir pour laisser les coudées franches à Ouattara afin que prospèrent les
intérêts des commanditaires au détriment du peuple de Côte d’Ivoire. Voilà,
me semble-t-il ce que cache ce jeu malsain.
Conclusion
Le procès contre le Président Gbagbo doit nous interpeller
impérativement sur la problématique de la prise en main de leur destin par
les Africains eux-mêmes en ayant l’œil, extrêmement sévère et très vigilant,
sur ceux des nôtres qui ont décidé d’être les porte-mallette des autres,
esclaves ou soumis à eux, par leur propre volonté, ce qu’Étienne de La
Boétie a rendu sous l’expression de « servitude volontaire »13. Il doit
également nous rappeler la déclaration du Président guinéen d’alors,
Ahmed Sekou Touré, faite le 28 septembre 1958 à l’occasion du référendum
sur le projet de Constitution proposé par le Général Charles de Gaulle, pour
l’établissement d’une Communauté franco-africaine :
« Il n’y a pas de dignité sans liberté. Nous préférons la liberté dans la
pauvreté à la richesse dans l’esclavage. »
Par
M. Moussa Bienvenu HABA
Chercheur sur la justice pénale internationale
Doctorant en Droit international
Université Laval (Québec)
Par
Maître Lisa MIMOUN
Avocat à la Cour
Barreau de La Seine Saint-Denis
Par
Justin Katinan KONÉ
Ancien ministre
Porte-parole du Président Laurent Gbagbo
Couverture
4e de couverture
Afrique liberté
Titre
Copyright
AVANT-PROPOS
CHAPITRE 1
LES FAITS INCRIMINÉS DANS LES CHARGES DU PROCUREUR
1. Présentation des Charges et du récit des Évènements soutenus par la
Procureure à l’encontre du Président Gbagbo et du Ministre Blé Goudé
2. L’analyse des Charges et du récit de la Procureure par la Chambre de
Première Instance
A. Marche du 16 décembre 2010 sur la RTI
B. Les Évènements du 25 au 28 février 2011 À Yopougon
C. La Marche des femmes À Abobo du 3 mars 2011
D. Le bombardement du marché d’Abobo du 17 mars 2011
E. Attaque À Yopougon du 12 avril 2011
F. Sur la Notion de plan commun selon lequel les Évènements seraient
intervenus
CHAPITRE 2
LE "PLAN COMMUN ET LA POLITIQUE" DE LAURENT GBAGBO
"POUR SE MAINTENIR AU POUVOIR PAR TOUS LES MOYENS"
CHAPITRE 3
LA PROTECTION DES INSTITUTIONS, DES POPULATIONS ET DES
BIENS : LES ACTIONS DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ET
DES FORCES DE DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ LORS DE LA CRISE
POSTÉLECTORALE IVOIRIENNE DE 2010-2011
1. Les allégations du procureur : le président Laurent Gbagbo et les FDS
n’ont pas rempli leur mission de protection des populations
A. La théorie du procureur
B. Les failles majeures de la théorie du procureur
2. Un récit caricatural du contexte sociopolitique de la Côte d’Ivoire
3. L’omission délibérée et suspecte du contexte de guerre
4. La faiblesse « exceptionnelle » de la Preuve du Procureur
5. Le rejet de la théorie du procureur par la majorité
A. Le président Laurent Gbagbo n’a pas commis de crime contre
l’humanité/des populations civiles
1) Le Président Laurent Gbagbo n’a pas eu pour projet de
commettre des crimes contre des civils partisans d’Alassane
Ouattara
2) Le président Laurent Gbagbo n’est pas pénalement responsable
des crimes reprochés
B. Le président Laurent Gbagbo a protégé les populations et les
institutions de la république
1) La réquisition à bon droit des FDS pour protéger les populations
2) L’adoption de mesures spécifiques idoines de protection des
populations
C. Les forces de défense et de sécurité n’ont pas failli dans leur mission
de protection des institutions et des populations
1) La défense des institutions et des lois par les FDS
2) La protection des populations et des biens
Conclusion
CHAPITRE 4
LA NON NEUTRALITÉ DE L’ONU ET DE LA FRANCE DONT LE
SEUL SOUCI ÉTAIT DE METTRE À L’ÉCART LE PRÉSIDENT ÉLU
LAURENT GBAGBO
CHAPITRE 5
LES TÉMOINS ET LES EXPERTS DU PROCUREUR À L’ÉPREUVE
DES FAITS
1. Les preuves du procureur comportent des faiblesses intrinsèques
1.1. Les témoignages
1.2. Les ouï-dire
1.3. La corroboration
2. Les preuves du procureur ne peuvent soutenir ses allégations
2.1. L’interdiction de la marche RTI du 16 décembre 2010
2.2. La marche des femmes du 3 mars 2011
2.3. Le bombardement du marché d’Abobo
2.4. Les massacres du 12 avril 2011 à Yopougon
CHAPITRE 6
LES JUGES DE LA CPI REJETTENT LES PREUVES DU PROCUREUR
ET QUALIFIENT LAURENT GBAGBO DE PRÉSIDENT
RESPONSABLE
CHAPITRE 7
L’ACQUITTEMENT, LA GRANDE VICTOIRE POLITIQUE
DE LAURENT GBAGBO
I. La crise de 2011 est l’épilogue du coup d’État et de la rébellion de 2002
II. Une coalition internationale contre Laurent Gbagbo depuis le début de
son pouvoir
III. Le Président Laurent Gbagbo n’a jamais initié ni implémenté une
politique de ségrégation ethnique ou nationale
CHAPITRE 8
QUAND LE MENSONGE EST MIS À NU, À QUOI BON
S’Y ACCROCHER ?
CHAPITRE 9
LA MISE EN LIBERTÉ SOUS CONDITIONS DES
ACQUITTÉS LAURENT GBAGBO ET BLÉ GOUDÉ OUTREPASSE
LES DISPOSITIONS PERTINENTES DU STATUT DE ROME
Introduction
1. L’arrêt de la Chambre d’appel
2. Les motifs des juges de la majorité
3. Les réponses des accusés
3.1. Les réponses de Laurent Gbagbo
3.2. Les réponses de Blé Goudé
4. Par son appel du verdict d’acquittement la procureure fait une fuite en
avant
5. Que se cache-t-il derrière ce que l’on fait subir au Président Gbagbo ?
Conclusion
CHAPITRE 10
LES LACUNES DE LA DÉCISION DE LIBÉRATION
SOUS CONDITIONS DE LAURENT GBAGBO ET BLÉ GOUDÉ
PAR LA CHAMBRE D’APPEL DE LA CPI
1. Le pouvoir de libérer sous conditions en vertu de l’article 81 (3)(c) du
Statut de Rome
2. Les « mesures impérieuses » vs les « circonstances exceptionnelles »
pour la libération conditionnelle des personnes acquittées par la Cpi
3. La sévérité des conditions imposées à la libération de Gbagbo et Blé
Goudé
CHAPITRE 11
MALGRÉ LA FAIBLESSE EXCEPTIONNELLE DE SES PREUVES LA
PROCUREURE FAIT APPEL DU VERDICT D’ACQUITTEMENT
I. Sur la violation des dispositions de l’article 74 (5) du Statut de Rome
II. Sur la prétendue nécessité de la détermination préalable de la norme de
la preuve
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