Vous êtes sur la page 1sur 23

Un

DOSSIER de

Dialogue
Organe de l’asbl « Dialogue des Peuples »
Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le jeudi 19 janvier 2012.

Contre et Pour
Le rapport
Trévidic/Poux
Tout le monde, un jour ou l’autre, a suivi dans la presse ou à la TV les déroulement
d’un de ces procès à grand spectacle qui passionnent l’opinion publique. Au fil des audiences,
on voit défiler des enquêteurs et des experts qui ne sont pas d’accord entre eux. Au fil des
audiences, les chroniqueurs judiciaires et le public comptent alors les points. “La déposition
du policier accable l’accusé”; “La déposition du psychiatre laisse espérer des circonstances
atténuantes”; “Les graphologues ne sont pas d’accord entre eux”.
Depuis 1994, le procès des événements de cette année-là, qualifiés de “génocide
rwandais”, font l’objet d’un procès à ciel vert, auquel le monde sert de prétoire. Et la dernière
déposition en date est le rapport Trévidic (Madame Poux est en général oubliée. Où est passée
la galanterie française ?).

Le présent dossier, qui n’a d’autre prétention que d’être un florilège rassemblant
quelques avis à son sujet qui nous paraissent mériter l’attention, montre par le fait même que
ce rapport a soulevé bien des réactions. On ne peut faire une anthologie que si la littérature est
abondante. Et la raison de ce succès médiatique est analogue à celui d’une déposition dans un
grand procès d’assises. Le rapport tend à disculper l’un des suspects, Paul Kagame, et il est
l’œuvre de magistrats français.

Récemment, le temps s’était plutôt gâté pour Kagame et l’APR. Les éléments
nouveaux allaient en général à leur charge. Le fait que cette fois-ci les éléments révélés
semblent être à leur décharge est en soi un fait nouveau. Et comme le pouvoir de Kigali n’a
pas que des amis, il est clair que les réactions ne sont pas dépourvues d’arrière-pensées
politique.
Au départ, la France s’était fait une spécialité de la mise en cause de Kagame,
notamment par les recherches du juge Bruguière. C’était aussi une attitude défensive, parce
que Paris se voyait accusé par le Rwanda d’avoir une part de responsabilité dans le
déclenchement et la prolongation des massacres, et même peut-être dans l’attentat cotre
l’avion présidentiel.
Il n’est pas niable que le rapport Trévidic tombe bien, en ce sens qu’il cadre
harmonieusement avec la politique de rapprochement avec le Rwanda qui est celle de
Sarkozy. Cela ne suffit pas pour remettre en cause son objectivité. Le fait que les enquêteurs
français aient été autorisés à se rendre au Rwanda n’y suffit pas davantage. Il ne suffit pas
qu’un élément gêne la sympathie que l’on a pour une des thèses en présence pour qu’on
l’écarte à la légère. Il convient plutôt de rapporter ce élément au contexte plus général de
l’enquête, et de lui donner ainsi son véritable sens.

On constatera aisément que la plupart des commentaires ne font pas cela, mais se
préoccupent davantage de sonner le glas du juge Bruguière que d’examiner le rapport
Trévidic. Et, comme souvent quand les experts se contredisent, on cherche des raisons
objectives à mettre en avant pour préférer l’un plutôt que l’autre. Ainsi se plait-on à souligner,
à l’appui de Trévidic, qu’il est le seul enquêteur français “à être allé voir sur place” alors que,
comme cela signifie aussi “le seul à qui on ait accordé un visa”, on pourrait y voir un signe de
connivence avec Kagame, donc en sa défaveur.

Quel avantage essentiel y avait-il encore à aller sur place, dix-sept ans après le crime?
Le moins que l’on puisse dire est que la piste ne devait plus être très fraîche.
Le fait que ce voyage ait eu de l’importance tient uniquement à ceci: son but était
essentiellement d’établir d’où le missile avait été tiré. Il semble à présent établi que ce fut
depuis le territoire de la base militaire FAR de Kanombe. Mais cela ne dit nullement qui a
tiré. Le mystère reste donc entier, et les présomptions à l’égard de l’APR, aussi lourdes
qu’auparavant.

Missiles SAM-6

1
Rwanda : le «rapport Trévidic» concorde avec les analyses de plusieurs services
étrangers
12 janvier 2012 | Par François Bonnet

Enfin ! Enfin, une étape décisive vient d’être franchie qui permet de nous éloigner du
venimeux débat qui, principalement en France, empoisonne toute compréhension lucide du
génocide survenu au Rwanda en 1994. En cent jours, à partir du 7 avril 1994, plus de 800 000
personnes étaient exterminées par les milices hutues – essentiellement des Tutsis mais aussi
des Hutus opposés aux thèses extrémistes.

Le Falcon 50 abattu par un missile le 6 avril 1994.© (dr)

De ce crime des crimes, l’élément déclencheur a été, le 6 avril, les tirs de missiles qui ont
abattu au-dessus de Kigali le Falcon 50 transportant le président du Rwanda, Juvénal
Habyarimana, le président du Burundi, Cyprien Ntaryamira, et leurs entourages. Dès le
lendemain, les forces armées du régime hutu et les milices interahamwe déclenchaient les
massacres.

Dix-huit années plus tard, le rapport d’expertise technique sur les conditions de cet attentat,
qui a été remis par le juge d’instruction français Marc Trévidic aux avocats des familles de
l’équipage français du Falcon, ne dit pas tout. Il ne dit pas qui a tiré, et sur ordre de qui. Mais
il vient renverser une thèse âprement défendue en France, qui attribue la responsabilité directe
de l’attentat aux forces du FPR (Front populaire du Rwanda-tutsi) et à leur dirigeant Paul
Kagamé, devenu président du Rwanda.

Réalisé sur le terrain, à Kigali, par des experts en balistique, acoustique, explosif et par de
minutieux relevés cartographiques, le rapport remis par le juge Trévidic établit au contraire
que deux missiles SAM-6 ont été tirés depuis le camp militaire de Kanombé, place forte de
l’armée officielle, de la garde présidentielle du président Habyarimana et de commandos
d’élite. Ce rapport ne peut l’établir avec certitude : mais il accrédite le fait qu’une fraction
extrémiste du pouvoir hutu voulait à tout prix se débarrasser du président, suspecté d’être prêt
à un compromis et à un partage du pouvoir avec les forces tutsies dans la suite des accords
conclus à Arusha (Tanzanie) huit mois plus tôt.

2
L’attentat et l’élimination du président Habyarimana devaient ouvrir la voie à l’entreprise
génocidaire. L’avion abattu n’en fut pas la cause directe, tant les massacres étaient planifiés
de longue date. Mais l’acte donna le signal du déclenchement des opérations, par le choc et le
chaos provoqué.

Ce rapport technique – le juge a donné aux parties trois mois pour le contester ou demander
des compléments – ne fait pas tout à fait « basculer l’histoire », comme l’affirme la
spécialiste et journaliste belge Colette Braeckman sur son blog. Mais son premier intérêt est
de mettre à bas une thèse d’Etat : celle de la France. Thèse construite par le juge d’instruction
Jean-Louis Bruguière et régulièrement relayée par des journalistes (dont Pierre Péan) et des
experts.

Théorie et raison d'Etat


Dès 2004, mais dans une ordonnance de renvoi qui fut bouclée en 2006, le juge Bruguière
lançait une tout autre thèse, construite exclusivement à partir de témoignages puisqu’il ne se
rendit jamais sur le terrain pour enquêter. Le juge attribue à Paul Kagamé et à son entourage
la responsabilité directe de l’attentat. Les missiles auraient été tirés depuis la colline et la
ferme de Masaka, lieu également étroitement surveillé par les soldats et les milices du pouvoir
mais où auraient réussi à s’infiltrer des combattants du FPR.

JL. Bruguière© Reuters

Les témoignages sont fragiles, contestés. Les conditions dans lesquelles ils sont recueillis le
sont encore plus. Aucun élément matériel ne vient à l’appui de cette démonstration.

Peu importe, Bruguière construit de fait ce qui ressemble à une théorie, une théorie qui
arrange les autorités françaises mises en cause pour leur soutien au régime hutu voire
l’implication de nos forces sur le terrain dans les opérations de génocide. Paul Kagamé aurait
programmé l’élimination du président pour empêcher l’application de l’accord sur un partage
du pouvoir et la tenue d’élections. Sûr de sa domination militaire, aux portes mêmes de
Kigali, Habyarimana éliminé, Kagamé pouvait s’emparer du pouvoir et du pays.

A l’appui de sa thèse, Jean-Louis Bruguière délivrait en 2006 neuf mandats d’arrêt


internationaux visant des proches de Kagamé, dont l’actuel ministre rwandais de la défense,
James Kabarebe. Dans les années qui ont suivi, plusieurs témoins clés de l’enquête du juge
Bruguière se sont rétractés, d’autres ont été contredits. Pièce par pièce, la construction du juge

3
français s’est défaite. Son collègue Marc Trévidic, qui a repris le dossier depuis 2007, lui a
porté le coup de grâce.

Bruguière et son enquête ont d’abord servi la raison d’Etat, visant à protéger la position de la
France et son rôle dans le dernier génocide du XXe siècle. Une raison d’Etat doublement
verrouillée, si l’on peut dire, puisque le génocide survint en période de cohabitation. Sont
donc mis en cause dans la gestion de cette crise la gauche comme la droite, Edouard Balladur,
Alain Juppé comme Hubert Védrine et François Mitterrand.

En 1998, une mission parlementaire présidée par l’ancien ministre socialiste de la défense
Paul Quilès s’efforçait de jeter un voile opaque sur cette politique. Tout en affirmant, sans
avoir pourtant recueilli beaucoup d’informations et en s’étant abstenu d’auditionner un certain
nombre d’acteurs clés, que la France n’était « nullement impliquée » dans le génocide, les
parlementaires voulaient bien reconnaître « une erreur globale de stratégie »…

Une note des services belges


Par dérapages et raccourcis successifs, la thèse Bruguière allait provoquer bien pire, une
relecture négationniste de l’extermination des Tutsis : en organisant l’attentat, les rebelles du
FPR et Paul Kagamé auraient provoqué le massacre de leur propre peuple. Et ces massacres,
soutinrent même certains, allaient permettre de masquer les propres exactions du FPR contre
les Hutus.

Dans l’avalanche de polémiques et d’argumentaires biaisés qui ont entouré cet attentat, on
néglige pourtant l’essentiel. Très vite, la thèse d’une opération menée par les extrémistes
hutus entourant la famille du président Habyarimana a été étudiée, solidement documentée et
finalement retenue par les services d’autres pays, par les Belges, par les Britanniques, par les
Américains !

La radicalisation voulue et préméditée par les franges les plus extrêmes du régime hutu a été
retenue par de nombreux experts. Ils s’appuyaient, outre des témoignages, sur un examen
attentif de l’engrenage génocidaire méthodiquement construit par des responsables hutus
depuis des mois. Ou par l’écoute attentive de la radio RTLM (la Radio Télévision Libre des
Mille Collines), créée à l’été 1993 par les extrémistes hutus et qui allait devenir la voix des
génocidaires.

Ainsi, comme l’ont expliqué Gabriel Périès et David Servenay


dans le livre Une guerre noire, le Service général de
renseignements (SGR) belge privilégie dès les premiers jours une
opération des ultras du Hutu-power. Le 22 avril, moins de deux
semaines après l’attentat, le SGR rédige la note suivante :

« Tout fait croire maintenant que les auteurs font bien partie de la
fraction dure des Ba-Hutu à l’intérieur de l’armée rwandaise.
Chose étrange, qui fait supposer qu’il n’y a pas eu improvisation
en la matière : une demi-heure après le crash, et donc bien avant
l’annonce officielle à la radio, la "purification ethnique"
commençait à l’intérieur du pays, menée sauvagement d’après des

4
listes pré-établies. »

Le rapport des services belges se fait encore plus précis :

« Ce groupe gravitait dans l’orbite de Madame la présidente dont les frères et cousins étaient
devenus de hauts dignitaires du régime. Ils avaient trempé dans des affaires de terreur et
d’argent et il était impensable pour eux de renoncer à leurs privilèges et passe-droits. C’est
eux qui dirigeaient les "Interahamwe", les jeunesses du MNRD qui formaient les sinistres
escadrons de la mort. Ce lobby comprenait également des militaires de haut rang, et c’est
parmi eux qu’il faut rechercher les responsables de l’attentat contre l’avion présidentiel.
Donc, pas Madame en personne, mais son clan qui a été dépassé par sa propre logique
interne de violence. »

A Washington, le département d’Etat fait la même analyse, selon un document déclassifié


dans le cadre d’une demande de Freedom of Information Act faite par un ancien de la
National security agency. Et aussitôt, l’administration américaine s’attend au déclenchement
des massacres de masse et crée dès le 7 avril au soir une cellule de crise pour suivre au plus
près les événements.

Agathe Kanziga, veuve Habyarimana, vit en France.© (dr)

Le jour suivant l’attentat voit se concrétiser la prise de pouvoir des ultras et l’élimination
rapide de tous les ministres du régime ayant soutenu le processus de négociations, toutes les
personnalités modérées susceptibles de succéder à Habyarimana. « C’est un putsch doublé
d’une purge, où but politique et objectif militaire se confondent », notent Gabriel Périès et
David Servenay. Le lendemain, les ordres filent vers toutes les communes rurales du pays : le
génocide a démarré.

L’enquête du juge Bruguière, négligeant tous les rapports et analyses des services étrangers, a
ainsi servi de leurre durant de longues années. Bruyamment relayée par Pierre Péan, cette
thèse a empêché toute recherche sereine de la vérité, amenant au passage à la rupture des
relations entre le Rwanda dirigé par Paul Kagamé et la France, de 2006 à 2010. Relations
péniblement rétablies aujourd’hui, comme en témoigne la visite de Nicolas Sarkozy à Kigali
et celle de Kagamé à Paris en septembre dernier.

Kigali se félicite
Bruguière a aussi évité de poser des questions embarrassantes que le rapport technique
commandé par le juge Trévidic relance. Le jour de l’attentat, des officiers français étaient
présents dans le camp militaire de Kanombe. Ils y entraînaient des forces spéciales de l’armée
rwandaise. Qu’ont-ils vu, su, qu’ont-il fait ? Les spéculations concernent aussi un homme,

5
l’ancien gendarme de l’Elysée et capitaine de gendarmerie Paul Barril. Il a été vu à Kigali la
veille, demeure durant le génocide dans des zones contrôlées par les forces hutues. Il n’a
jamais été entendu, ni par les parlementaires, ni par la justice.

Paul Kagamé: première visite en France en septembre 2011 depuis la rupture des relations
diplomatiques en 2006.© (Reuters)

Dès mardi, les autorités rwandaises se sont félicitées des conclusions de ce rapport. « Cette
vérité scientifique claque la porte sur dix-sept ans de campagne visant à nier le génocide et
blamer les victimes. Il est maintenant clair que l’attentat contre l’avion a été un coup d’Etat
des extrémistes hutus et de leurs conseillers », a déclaré la ministre rwandaise des affaires
étrangères, Louise Mushikiwabo.

Le régime de Paul Kagamé peut d’autant plus triompher que les expertises scientifiques
viennent soutenir les conclusions du rapport d’enquête demandé par le gouvernement
rwandais et rendu public en janvier 2010 – connu comme le « rapport Mutsinzi ». Ce rapport
désignait les cercles extrémistes du pouvoir hutu décidés à se débarrasser d’Habyarimana et à
en faire la raison du déclenchement du génocide. Son aspect polémique avait permis aux
responsables français de lui dénier toute crédibilité. Le “rapport Trévidic” vient changer la
donne et devrait aussi amener les autorités françaises à donner de nouvelles explications.

*
Attentat Habyarimana : Les expertises innocentent le Front patriotique (FPR)

C’est un tsunami judiciaire qui a emporté mardi après-midi l’enquête menée par le juge
« antiterroriste » Jean-Louis Bruguière sur l’attentat ayant visé l’avion du président du
Rwanda Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994. Du monstrueux empilement de
témoignages à charge qui avait abouti en 2006 à neuf mandats d’arrêt contre les hauts

6
gradés de l’Armée patriotique rwandaise, il ne reste pratiquement rien debout.

Les expertises balistiques et phoniques commandées par ses successeurs les juges Marc
Trévidic et Nathalie Poux démontrent que les deux missiles qui ont abattu l'avion le 6 avril
1994 vers 20 h 30 n’ont pu être tirés par un commando du Front patriotique infiltré sur la
colline de Masaka. Les tireurs se trouvaient au camp Kanombe sévèrement contrôlé par les
Forces armées rwandaises. Ce camp était sous le contrôle du major Aloïs Ndabakuze, chef des
parachutistes commandos de l'armée rwandaise, condamné en première instance par le
Tribunal pénal international à la prison à vie pour son rôle crucial dans le génocide.

Sous le contrôle du major Aloïs Ndabakuze

Les experts ont porté une grande attention aux témoignages du commandant français Grégoire
de Saint-Quentin et au médecin-colonel belge Massimo Pasuch, qui habitaient le camp
Kanombe et ont entendu le départ des missiles non loin (voir Afrikarabia)

Les experts estiment aussi que les tireurs étaient très expérimentés, relançant l’hypothèse de
l’intervention de spécialistes étrangers des missiles, qu’il s’agisse d’agents secrets ou de
mercenaires.

Des agents secrets ou des mercenaires

En avril 2010, les juges antiterroristes Marc Trévidic et Nathalie Poux avaient désigné cinq
experts, géomètre, balistique, explosifs et incendie, rejoints plus tard par un acousticien, pour
déterminer les lieux possibles des tirs ayant abattu l'avion présidentiel, considéré comme l'acte
déclencheur du génocide rwandais.

Vingt mois plus tard et après un déplacement au Rwanda en septembre 2010 pour essayer de
reconstituer les conditions de l'attentat, juges et experts dévoilaient mardi après-midi leurs
conclusions aux parties concernées par l'enquête. Une vidéo en 3D réalisée sous le contrôle
des experts a également été montrée. Elle synthétise les éléments confirmés par les
spécialistes en balistique et en propagation des sons.

Une vidéo en 3D explicite

La connaissance du lieu de tir des missiles, déterminante pour identifier les tireurs, désigne
clairement des éléments extrémistes des Forces armées rwandaises, comme Afrikarabia le
laissait entendre ces derniers jours.

L'enquête du juge Jean-Louis Bruguière avait pourtant désigné en 2006 un commando du


Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion majoritairement tutsie dirigée en 1994 par
l'actuel président Paul Kagame. L’émission des neufs mandats d’arrêt internationaux avait
provoqué la rupture par Kigali des relations diplomatiques avec la France. Il aura fallu
beaucoup de patience à Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, et beaucoup de
détermination au président Nicolas Sarkozy, en butte aux critiques d’irréductibles hauts-
gradés français qui poursuivent une guerre médiatique contre Kagame, pour les rétablir.

L’aveuglement du juge Bruguière

Selon le juge Bruguière, les hommes du FPR se seraient infiltrés depuis le parlement rwandais

7
à travers le dispositif des Forces armées rwandaises (FAR, loyalistes) sur la colline de
Massaka, qui surplombe l'aéroport à l'est de la piste. De prétendus membres du commando ont
accrédité cette thèse avant de se rétracter.

A l'inverse, un rapport d'enquête rwandais (dit « Rapport Mutsinzi »), fondé sur près de 600
témoignages, a documenté la piste de tirs partis depuis le camp militaire de Kanombe,
importante base des FAR, jouxtant l'aéroport et la résidence présidentielle au sud-est, où il est
"impossible d'imaginer" que le FPR ait pu s'infiltrer.

Les faux témoins du juge antiterroriste

La thèse rwandaise, devenue aujourd’hui la thèse Trévidic, impute la responsabilité de


l'attentat aux extrémistes hutus des FAR, qui auraient voulu se débarrasser du président
Habyarimana, jugé trop modéré, pour faciliter un coup d'Etat.

Aux experts, les juges français avaient demandé de reconstituer la trajectoire du Falcon 50
présidentiel, d'évaluer sa position au moment où il a été touché, de déterminer le type de
missile utilisé, mais également les modes opératoires possibles, et de confronter le tout avec
les témoignages et données topographiques.

Ces experts ont définitivement démontré que les tirs ne pouvaient partir que du camp des
Forces armées rwandaises dit « camp Kanombe ».

Habyarimana liquidé par les extrémistes de son camp

« Nous attendons maintenant qu’un non-lieu soit prononcé en faveur de nos clients », ont
déclaré les avocats des mis en examen, Mes Bernard Maingain et Léon-Lef Forster, en
quittant le cabinet du juge Marc Trévidic, ajoutant que « la mise en cause du FPR est
dorénavant inimaginable".

Du côté des parties civiles, l'avocat de la veuve du président rwandais Agathe Habyarimana,
Me Philippe Meilhac, a manifesté un certain embarras. Selon lui, il n’est pas imaginable que
les FAR aient disposé de spécialistes des missiles du niveau requis.

L’embarras de l’avocat d’Agathe Habyarimana

Maîtres Léon-Lef Forster et Bernard Maingain, avocats de sept Rwandais toujours mis en
examen organiseront une conférence de presse ce mercredi à Paris. Ils reviendront sur les
conclusions des experts mandatés par les deux magistrats français, et comptent exposer les
nombreuses manipulations et irrégularités qui ont entaché cette information judiciaire pendant
la décennie où celle-ci était conduite par le juge Jean-Louis Bruguière.

Le gouvernement rwandais a salué hier le rapport des experts mandatés par les juges français
Marc Trévidic et Nathalie Poux. Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères et
porte-parole du gouvernement a déclaré : « Les résultats présentés aujourd'hui constituent la
confirmation de la position tenue de longue date par le Rwanda sur les circonstances qui
entourent les événements du mois d’avril 1994. Grâce à la vérité scientifique ainsi établie, les
juges Trévidic et Poux ferment avec éclat le chapitre de ces 17 années de campagne visant à
nier le génocide et à faire porter aux victimes la responsabilité de leur sort. Pour tout le
monde, il est désormais établi que l’attentat contre l’avion faisait partie d’un coup d’état mené

8
par des éléments extrémistes hutu assistés de leurs conseillers, qui détenaient le contrôle du
camp militaire de Kanombe ».

Satisfaction à Kigali

Louise Mushikiwabo a ajouté : « Pour le peuple du Rwanda, le rapport d'aujourd'hui résulte


d'une enquête de grande qualité, requise par des magistrats français aux références
irréprochables et réalisée par des experts de renommée internationale. Il rend justice à ceux
qui ont été faussement accusés d’avoir abattu l’avion, mettant une fin définitive aux
mensonges et aux théories du complot qui ont, trop longtemps, essayé de détourner l’attention
du monde loin des auteurs véritables des crimes abominables perpétrés au Rwanda pendant le
génocide.
La Ministre Mushikiwabo a conclu par ces mots : « Les Rwandais saluent ces conclusions qui
apportent un meilleur éclairage sur un chapitre vital de l’histoire de notre pays. Sans fléchir ni
nous laisser distraire, nous poursuivons la tâche capitale de reconstruction du pays pour les
générations à venir ».

*
Mise au point de B. LUGAN sur le rapport des Juges
TREVIDIC et POUX
1) Le Rapport parlementaire français date de 1998. Or, depuis, les
connaissances que nous avons de la question ont considérablement
progressé. C’est ainsi que devant les quatre Chambres du TPIR, des centaines
de témoins ont parlé, des milliers de documents ont été présentés, de
nombreux experts de toutes disciplines ont déposé des rapports. L’histoire a
donc avancé. Vous semblez l’ignorer et c’est pourquoi votre analyse des
évènements est obsolète.

Expert dans les principaux procès qui se sont tenus devant le TPIR[1], et
étant intervenu en fin de chaque procédure, j’ai très exactement eu à faire
le bilan de ces avancées historiographiques. Pour être clair, disons que je
fus à plusieurs reprises assermenté par le TPIR, à la demande de la
Défense, pour montrer au Tribunal en quoi les avancées scientifiques
résultant d’années de procédure contredisaient l’acte d’accusation dressé
dans les années 1995-1997, et le rendaient par conséquent obsolète.
Assermenté dans les deux principaux procès des responsables militaires
(Militaires I et Militaires II TPIR-98-41-T et TPIR- 2000-56-T), j’ai tout
particulièrement travaillé sur la question du « timing » de l’offensive du
FPR.
Cette question est en effet fondamentale car, depuis 1994, le FPR soutient
qu’il l’a lancée plusieurs jours après l’attentat pour se porter au secours des
populations massacrées.
Or, non seulement cette thèse n’a pas prospéré devant le TPIR, mais il a
même été établi et cela sans le moindre doute, que cette offensive - qui

9
avait été programmée puisque les forces et les moyens avaient été
prépositionnés -, a suivi l’attentat et qu’elle débuta dès la nuit du 6 au 7 avril
1994. Nous avons le nom des chefs de colonnes, leur lieu de concentration
dans le nord du Rwanda, leur effectif, leur ordre de marche et le minutage
précis de leur progression. Les premiers combats ont commencé à Kigali le
7 avril très précisément entre 5 et 6 heures du matin[2].

Il est insolite de constater que vous semblez l’ignorer ; mais il est vrai que
votre association n’a pas eu, comme moi, accès à l’ensemble des travaux
du TPIR.

2) Contrairement à ce que vous écrivez, les experts n’ont pas déterminé


avec une précision « qui n’est pas contestée » le lieu du tir des deux
missiles lequel est d’ailleurs en contradiction avec les témoignages des
acteurs de l’attentat. Mais, ce sera au juge de les confronter.
Dans l’immédiat, je vous livre quelques informations qui ont leur importance
au sujet de l’expertise acoustique puisque c’est elle qui l’a emporté sur les
hésitations des autres experts :

- L’expert acoustique ne s’est pas rendu au Rwanda et il a fait son expertise


« en chambre ».
- Il n’a jamais entendu un départ de SA 16.
- Selon certaines informations « officieuses » en cours de vérification, cette
expertise aurait été faite sur simulation, avec un missile d’un type voisin du
SA 16 et dans un camp militaire français de la région de Vierzon. Pour
mémoire, la région de Vierzon est plate alors que celle du lieu de l’attentat
est un cirque de collines…, ce qui a tout de même une certaine importance
dans la propagation des sons !!!
Si ces informations étaient vérifiées, nous serions donc en plein
amateurisme, pour ne pas dire en pleine dérive…

3) Le camp Kanombe n’était pas comme vous l’écrivez, le « sanctuaire » de


la garde présidentielle dont le cantonnement principal était situé au centre
ville de Kigali, face au CND, casernement de l’APR depuis la signature des
Accords d’Arusha.
J’ai bien connu le camp Kanombe quand je vivais au Rwanda. Je puis
certifier qu’à cette époque - peut-être y eut-il des changements ensuite -, il
n’avait rien d’une caserne de la Légion étrangère… et on y pénétrait
facilement à condition de ne pas franchir l’entrée principale. A mon époque
toujours, c’était un vaste espace en partie clôturé par deux rangs de
barbelés souvent détendus, ouvert vers Masaka sur des friches et des
taillis. J’y ai chassé la perdrix sur ses limites hautes vers la colline Masaka,
et la bécassine dans le vallon séparant la colline Kanombe de celle de
Masaka.

10
Ceci pour dire qu’effectivement, il n’est pas exclu qu’un commando FPR ait
pu s’y introduire. Mais les acteurs de l’attentat parlent tous de Masaka.
Or, vous faites totalement l’impasse sur ces témoignages extrêmement
détaillés qui figurent pourtant au dossier et que le juge confrontera au
rapport des experts.
Afin de précéder votre question, je porte à votre connaissance, car vous
semblez définitivement ignorer les travaux du TPIR, quel’un de ces
témoins, Abdul Ruzibiza, a fait sous serment devant la Cour les mêmes
déclarations que celles antérieurement faites au juge Bruguière et que,
quelques semaines avant sa mort, il les confirma devant la justice
française, revenant ainsi sur une précédente rétractation. Depuis, d’autres
témoins ou acteurs se sont déclarés qui, tous, confirment l’hypothèse
avancée par le juge Bruguière.

Nous sommes d’accord sur un point : l’avion présidentiel a bien été abattu
par deux missiles Sam7. Or, et là encore, et vous semblez l’ignorer, la
traçabilité de ces deux missiles a été établie. Grâce à la coopération
judiciaire de la Russie nous savons en effet que ces deux missiles
portables SAM 16 dont les numéros de série étaient respectivement 04-87-
04814 et 04-87-04835 faisaient partie d’un lot de 40 missiles SA 16
IGLA livrés à l’armée ougandaise quelques années auparavant. Or, vous
n’êtes pas sans savoir que Paul Kagamé et ses principaux adjoints furent
officiers supérieurs dans l’armée ougandaise avant la guerre civile
rwandaise et que, de 1990 à 1994, l’Ouganda fut la base arrière mais aussi
l’arsenal de l’APR. Sur ce point également, les travaux du TPIR permettent
des certitudes.
De plus, comme cela a été établi, une fois encore devant le TPIR, l’armée rwandaise ne disposait pas
de tels missiles.
Le FPR a tenté de faire croire qu’en 1991, quand il était chef d’état-major
des FAR, le colonel Serubuga en aurait commandé à l’Egypte. Cet
argument a été balayé de la manière la plus formelle par le TPIR qui a
admis qu’il s’agissait d’un faux, ou plus exactement d’une tentative de
manipulation à partir d’une facture pro forma (je donne la photocopie du
document dans mon livre page 297) que l’on avait tenté de faire passer
pour une facture authentique. Cette curieuse méthode attira d’ailleurs une
réponse cinglante du président de la Chambre que je cite pages 261-264
de mon livre.

Voilà, cher Monsieur, quelques éléments de réponse qui, j’en suis sûr,
n’entameront pas vos certitudes militantes.
Que peuvent en effet les preuves face à une croyance quasi religieuses
puisque vous êtes persuadé d’être le Bien contre le Mal ? L’historien dont la
position a évolué au fur et à mesure du dossier a, quant à lui, toujours à
l’esprit cette phrase de Beaumarchais que je vous invite à méditer : « Je ne
blâme ni ne loue, je raconte ».

11
Bernard Lugan
14/01/12

[1]Expert assermenté dans les affaires Emmanuel Ndindabahizi (TPIR-2001-71-T),


Théoneste Bagosora (TPIR-98-41-T), Tharcisse Renzaho (TPIR-97-31-I), Protais
Zigiranyirazo. (TPIR-2001-73-T), Innocent Sagahutu (TPIR-2000-56-T), Augustin
Bizimungu (TPIR- 2000-56-T). Commissionné dans les affaires Edouard Karemera
(TPIR-98-44 I) et J.C Bicamumpaka. (TPIR-99-50-T). La synthèse de ces rapports et
des travaux du TPIR a été faite dans Bernard Lugan (2007) Rwanda : Contre-
enquête sur le génocide et l’actualisation du dossier dans l’Afrique Réelle, n°4, avril
2010, disponible par PDF à la revue www.bernard-lugan.com
[2] Pour la chronologie détaillée de cette question, je vous renvoie à mon livre (Rwanda : Contre-
Enquête sur le Génocide à partir de la page 84.) Depuis la parution de ce livre, la chronologie a
encore été affinée.

*
Attentat Habyarimana : Le florilège de « l’enquête » Bruguière

Depuis sa saisine en 1998 jusqu’à son remplacement par le juge Marc Trévidic en 2007,
le juge « antiterroriste » Jean-Louis Bruguière a mené une instruction entièrement à
charge pour démontrer la responsabilité du Front Patriotique dans l’attentat du 6 avril
1994 à Kigali. L’Ordonnance qu’il diffusait ou laissait diffuser en 2006 constituait une
réécriture de l’histoire du Rwanda pour rendre le mouvement rebelle, majoritairement
tutsi, responsable du génocide des Tutsis dont l’attentat a été le déclencheur.

A présent que les expertises réduisent à néant cette thèse, il n’est pas inutile de
rassembler un florilège des citations les plus significatives du dossier Bruguière…

« Des témoignages enregistrés, il ressort que cet acte meurtrier a été l'oeuvre de rebelles du «
Front patriotique rwandais» (FPR ) placé sous l'autorité de M. Paul Kagamé, chef d'état-
major de l'armée ougandaise » 15 septembre 1999, note au juge Bruguière de l’inspecteur
général Marion, chef de la division nationale antiterroriste.

« Sans posséder d'informations précises et de témoignages, je suis cependant en mesure de


dire que cet attentat ne peut être que l'oeuvre du FPR. » Le 26 octobre 1998, interrogatoire de
Faustin Twagiramungu par le juge Bruguière

« C'est le FPR infiltré qui nous a tiré dessus » Catherine Mukamusoni, sœur d’Agathe
Habyarimana, lettre de plainte le 5 juillet 1994.

« La conviction de Robert Debré rendant le Front patriotique rwandais responsable de


l'attentat s'était forgée à la lecture des télégrammes du Quai d'Orsay, des notes de service
français (surtout !) et des journaux de l'époque » (cote 65 du dossier Bruguière et lors de son
audition devant la « Mission Quilès » le 2 juin 1998 (procès-verbal numéro 144/16))

« La responsabilité du FPR , sans être prouvée, est beaucoup plus vraisemblable (que celle
des proches du président Habyarimana ». Note de l'ambassadeur de France au Rwanda Jean-

12
Michel Marlaud, rédigée à Paris le 25 avril 1994

« L'hypothèse d'un attentat organisé par des extrémistes hutu de l'entourage du président
Habyarimana qui auraient voulu donner un coup d'arrêt au processus de paix ne semble pas
tenir à l'analyse ». Citation d’une « Fiche en possession du ministère de la Défense tendant à
démontrer que le FPR avec la complicité de l'Ouganda est responsable de l'attentat ».
Direction du Renseignement Militaire français, avril 1994 (document vraisemblablement
rédigé par le colonel Bernard Cussac).

« Je récuse totalement que cet attentat ait pu être l'oeuvre des FAR ou de l'entourage du
président ou des extrémistes hutus » Audition le 14 juin 2000 de Bernard Cussac, attaché de
défense et chef de la mission militaire de coopération au Rwanda de juillet 1991 à avril 1994

« La procureur du TPIR ou tout autre organe désigné par le Conseil de sécurité de l'ONU,
doit mener une enquête sur l'assassinat du président Habyarimana et sur la responsabilité du
FPR, pour mettre fin aux spéculations inacceptables » Lettre des détenus du TPIR au
secrétaire général des Nations unies au sujet de l'enquête sur l'assassinat du président
Habyarimana.

« J’exclue toute éventualité d'un coup d'Etat de la part du mouvement hutu extrémiste »
Résumé par commissaire principal Philippe Frizon, chef de la division nationale antiterroriste
par intérim, de la déposition d'Aloys Ntabakuze le 7 juillet 2000.

« Le responsable sur le terrain des deux postes de tir de missile était ce soir-là le sous-
lieutenant Joseph Kayumba, chargé de la section missiles au Front patriotique rwandais ».
Déposition en prison d’Hassan Ngeze (directeur du journal extrémiste Kangura, condamné
par le TPIR, résumée par le commissaire principal Philippe Frizon, 7 juillet 2000.

« Le lendemain de l'attentat le 7 avril 1994, il avait eu entre midi et 14 heures, un message


émanant du Front patriotique rwandais capté à Gisenyi par les Forces armées rwandaises
dans lequel Paul Kagamé « félicitait les gens qui avaient réussi le coup de l'attentat contre
l'avion présidentiel avec l'apport de leurs amis belges ». Théoneste Bagosora, directeur de
cabinet du ministre de la Défense en 1994, déposition résumée par le commissaire principal
Philippe Frizon, 7 juillet 2000.

« Le FPR avait mis en place une cellule autonome chargée d'abattre Habyarimana. (...) c'est
tout ce que je suis en mesure de vous dire en affirmant la sincérité des informations que j'ai
obtenues auprès de Messieurs Seth Sendashonga et Claude Dusaidi. Je cite volontairement
mes sources aujourd'hui, car ils sont décédés tous deux ». 4 août 2000, déposition de Stephen
Smith, responsable de l'Afrique au quotidien Libération.

« En tout cas, Kagamé et son entourage étaient très fiers de l'avoir descendu ». Paul Barril,
interrogé par l’équipe Bruguière le 20 juin 2000

« (Mon) enquête, sur place, de même qu'une centaine de témoignages recueillis au Rwanda,
dans plusieurs pays d'Afrique de l'Est et en Europe, fait ressortir, en l'absence de preuves
matérielles, comme la plus plausible des différentes hypothèses, une monstrueuse
présomption que le Front patriotique rwandais, le mouvement représentant les Tutsi
minoritaires du Rwanda, ait pu commettre l'acte entraînant le génocide de ses partisans. »
Stephen Smith, Libération, 29 juillet 1994.

13
« Les missiles utilisés pour l'attentat avaient été transportés à Kigali par Kagamé et
l'opération en question était dirigée par le colonel Charles Kayonga, lequel était accompagné
de Rosa Kabuye, laquelle était chargée de l'installation des membres du commando ».
Christophe Hakizabera, interrogé sur commission rogatoire en Italie à la suite de son rapport
« l'ONU dans l'étau des lobbies du FPR » Note envoyée par fax à la Direction nationale
antiterroriste le 26 juin 2000

« Si l'on pense que l'attentat ait pu être l'oeuvre des extrémistes, il ne faut pas oublier que le
chef de ceux-ci Elie Sagatwa se trouvait dans l'avion présidentiel » Déposition d’Alphonse
Higaniro, ami du président Habyarimana devant le commissaire Payebien le 5 octobre 2000.

« Les sources ont toutes confirmé que le network, sous le commandement du général Paul
Kagamé avait planifié et exécuté l'attentat à la roquette contre le président Habyarimana.».
Dépositions de Michael Hourigan, ancien chargé d’enquête au TPIR.

« Ma conviction personnelle est que le FPR avait très bien préparé son coup. Une infiltration,
même de jour, à partir du CND dans la plaine de Masaka était tout à fait réalisable par une
équipe aguerrie. » Audition le 22 juin 2001 du colonel Jean-Jacques Maurin, adjoint à
l'Attaché défense et adjoint opérationnel conseiller du chef d'état-major de l'armée rwandaise
du 24 avril 1992 jusqu'au 14 avril 1994.

« J'avais été chargé de la sécurité extérieure d'une salle de réunion du quartier général de
l'APR à Mulindi (...)., j'ai distinctement vu et entendu le colonel Nyamwasa Kayumba
prononcer cette phrase : « Qu'il n'y avait pas d'autre façon de faire que de tirer sur son avion
» faisant explicitement référence à l'avion du président Habyarimana. » Évariste Mussoni, ex
soldat du FPR, interrogatoire par Jean-Louis Bruguière le 29 août 2001.

« J'ai été amené à être le témoin de trois réunions au cours desquelles il a été envisagé puis
arrêté la décision d'assassiner le président Juvénal Habyarimana ». Innocent Marana, dit
avoir été le chauffeur personnel de Paul Kagamé interrogatoire par Jean-Louis Bruguière le 29
août 2001

« J'ai entendu Paul Kagamé dire à James Kabarebe d'expliquer aux officiers présents le plan
retenu pour assassiner le président Habyarimana. James Kabarebe a détaillé qu'il avait déjà
sélectionné des hommes de confiance de son unité pour commettre l'attentat. Je n'ai pas
entendu clairement en détail ce qui a été dit mais j'ai saisi le mot "missile" ». Déposition
d’Innocent Marara réentendu par le lieutenant de police Frédéric Piwowarczyk, le 3
septembre 2002.

« J'ai vu le colonel Nyamwasa Kayumba prendre la parole et dire "qu'il n'y a pas d'autre
façon de faire que de tirer sur son avion". C'est la seule fois où j'ai entendu des propos ayant
un lien avec l'attentat commis contre l'avion du président Habyarimana le 6 avril 1994. »
Évariste Mussoni, ex soldat du FPR, réinterrogé le 4 septembre 2001 avec comme interprète
Fabien Singaye.

« (Par le) capitaine Jimmy Mwesige, membre du DMI et ancien membre des services de
renseignements ougandais (...), j'ai appris que le matériel ayant servi pour commettre
l'attentat était venu du quartier général de Mulindi et que cet armement antiaérien qui servait
à la défense du quartier général de Paul Kagamé provenait de l'Ouganda. (...) Il m'a été

14
indiqué que les militaires du commando impliqué dans l'opération faisaient partie d'une unité
qui avait été entraînée en Ouganda à l'utilisation du matériel anti aérien. » Audition de
Sixbert Musangamfura, ancien responsable du service civil de renseignement du Rwanda,
par le juge Bruguière, le 14 juin 2002.

« Anatole Nsengiyumva faisait remarquer que les membres de la "Coalition pour la défense
de la république CDR) ou "extrémistes hutus" était des civils et il ne voyait pas ceux-ci
utilisant des missiles sol air. » Déposition de Gratien Kabiligi, chef du bureau G3 des Far en
1994, résumée par l’équipe Bruguière, cote 6479

« Ce Network Commando avait également pour mission (...) la reconnaissance de la zone de


Masaka, Kanombe, située dans le secteur d'approche de l'aéroport de Kigali pour préparer
un attentat contre l'avion présidentiel dans sa phase d'approche. (...) Nous avons rejoint
chacun notre emplacement prévu. (...) Sur le terrain, l'avion du président Habyarimana a été
identifié aux alentours de 20 h 30. Le premier missile a été tiré par Éric Hakizimana mais a
manqué sa cible, l'avion étant toutefois déséquilibré. Franck Nziza a tiré le missile quatre ou
cinq secondes plus tard et l'avion a été détruit ». « Lieutenant » Abdul Ruzibiza par Jean-
Louis Bruguière 4 juillet 2003.

« En ce qui concerne la participation des FAR à un coup d'Etat contre le président


Habyarimana, je l'exclus totalement. (...) J'ai constaté que le colonel Bagosora était perdu,
voire isolé et il se demandait ce qu'il fallait faire » Lieutenant-colonel Marcel Bivugabagabo
interrogé par Jean-Louis Bruguière, cote 6667.

« Le projet qui m'a été présenté consistait à trouver un site de tir pour abattre l'avion
présidentiel avec des missiles. Je précise que j'étais sous-officier et plus exactement sergent et
chef d'un groupe de six hommes. Abdul Ruzibiza nous a donné des instructions pour nous
répartir en protection sur le site de tir à Masaka. (...) Je n'ai pas vu qui étaient les tireurs et
c’est plus tard que j'ai appris qu'il s'agissait du sous-lieutenant Franck Nziza et du caporal
Éric Hakizimana. » Audition par Jean-Louis Bruguière de Emmanuel Ruzigana, ex militaire
du FDPR, le 29 mars 2004.

« Lizinde a lu le rapport à Kagamé. Après la lecture du rapport, Kagamé a dit à l'adresse des
personnes présentes qu'il fallait monter l'opération le jour où arriverait l'avion du président,
ajoutant que si on ne passait pas à l'action, la guerre ne s'arrêterait jamais. » Déposition
d’Aloys Ruyenzi, ancien militaire du FPR, avec M. Fabien Singaye comme interprète en
langue kinyarwanda, en présence de Jean-Louis Bruguière, le 25 mai 2004.

Sélection de citations par Jean-François DUPAQUIER

*
La lourde responsabilité du juge Trévidic

Ce matin, j’éprouve un sentiment d’indignation, d’effarement, de révolte. J’ai l’impression


que tous les efforts consentis depuis des années, par moi-même mais aussi par d’autres que
moi, souvent plus qualifiés, afin de faire éclater la vérité, ont été anéantis par quelques flashs
d’information claironnant depuis hier soir les résultats biaisés d’une enquête de
complaisance.

15
On l’aura compris, c’est la publicité donnée aux conclusions des « experts » désignés par le
juge français Marc Trévidic qui me met hors de moi. Ainsi donc, si j’en crois ce qui a été
abondamment relayé par les médias français, l’avion dans lequel les présidents rwandais et
burundais, leurs entourages respectifs et l’équipage français, en ce funeste soir du 6 avril
1994, ce Falcon 50 aurait été abattu par des « extrémistes hutu » (pour reprendre la
terminologie douteuse utilisée par nos grands médias). Il n’aurait donc pas été descendu par
les hommes de Paul Kagame, l’homme fort arrivé au pouvoir dans les mois qui suivirent cet
élément déclencheur d’épouvantables massacres et de la reprise de la guerre au Rwanda.

Ces mêmes grands médias ainsi que les relais traditionnels de la propagande kagamiste en
France et en Belgique nous « rappellent » que ces conclusions contredisent une thèse
officielle depuis 1994, à savoir celle qui indique que c’est le FPR de Paul Kagame qui serait
à l’origine du tir de missiles contre l’avion présidentiel. Il n’y a rien de plus mensonger ! Ces
conclusions remettent au contraire à l’honneur la thèse officielle qui a prévalu durant les
années qui ont suivi le génocide rwandais. En effet, durant toute la fin des années 90 et
jusqu’au début des années 2000, c’est bien cette thèse d’un acte commis par les « extrémistes
hutu » qui était considérée comme la plus crédible et qui était reprise par les grands médias
internationaux. Ce n’est que peu à peu que la gangue de mensonges accumulés pendant des
années a commencé à se craqueler. Tout doucement, on a commencé à évoquer une autre
possibilité : celle d’une action d’hommes du FPR, sur ordre de Paul Kagame. Il est vrai que
cette version-là fut largement diffusée à la suite du travail accompli par le juge Bruguière,
prédécesseur du juge Trévidic. Bruguière n’avait pas hésité à lancer des mandats d’arrêt
internationaux à l’encontre de proches de Paul Kagame, faute de pouvoir inculper Kagame,
protégé par son immunité de chef d’Etat. La procédure lancée par le juge Bruguière amena le
dictateur rwandais, rendu furieux, à rompre les relations diplomatiques avec la France, le 24
novembre 2006.

La thèse selon laquelle Paul Kagame a donné l’ordre d’abattre l’avion du président
Habyarimana n’émane pas de la seule ordonnance du juge Bruguière. De nombreux témoins
rwandais, dont certains issus des rangs du FPR, l’ont aussi défendue. Le dernier en date n’est
autre que le Dr Théogène Rudasingwa, qui fut secrétaire-général du FPR et qui était major
dans l’armée de Kagame au moment des faits. Monsieur Rudasingwa a fui aux Etats-Unis et
c’est depuis ce pays qu’il a publié une confession choc, en octobre 2011. Dans ce document, il
révélait que Kagame lui-même lui avait confirmé avoir donné l’ordre d’abattre l’avion. Dans
un communiqué publié hier, il s’étonne de ne pas avoir été entendu par le juge Trévidic,
malgré sa pleine et entière disponibilité pour témoigner.

Afin d’essayer d’y voir clair, il convient de reprendre un certain nombre d’éléments
importants.

1. Selon la thèse mettant en cause les « extrémistes hutu », le président Habyarimana aurait
été assassiné car il avait fait de trop grandes concessions lors des négociations d’Arusha. Les
extrémistes, craignant de voir le FPR entrer au gouvernement de transition, auraient décidé de
s’emparer du pouvoir. Pour cela, il fallait éliminer le président. Tous les témoins sur place
confirment la panique et l’inorganisation qui régnaient au sein de ce qui restait du
gouvernement rwandais dans les heures qui suivirent la mort d’Habyarimana. Ceux qui
devaient prendre les rênes du pouvoir le lendemain avaient été visiblement pris au dépourvu
par l’évènement. Leur état d’impréparation et d’inorganisation était total. Pour avoir vécu un
certain nombre de coups d’Etat militaires, je sais qu’une telle opération ne s’improvise pas.
Elle est toujours planifiée des semaines, voire des mois à l’avance. L’organigramme du

16
nouveau pouvoir est généralement prêt avant même que le coup d’Etat n’ait eu lieu. Cela n’a
pas été le cas au Rwanda le 6 avril 1994. Le sommet de l’Etat a été décapité par l’attentat et
des hommes de seconde importance se sont retrouvés propulsés sur le devant de la scène sans
y avoir été préparés, tel ce colonel Bagosora qui n’était que directeur du cabinet du ministre
de la défense. Par contre, l’offensive générale lancée par le FPR le soir même de l’attentat
était loin d’être improvisée. Sans avoir étudié dans une école de guerre, je sais qu’une
offensive générale doit nécessairement être minutieusement préparée, des mois à l’avance. La
logistique, en particulier, doit être en place (carburant, munitions, moyens de transport et de
communication). La coordination entre les différentes unités, entre les différents services, doit
être scrupuleusement réglée. Et enfin, les hommes doivent être prêts et ils doivent se trouver
rassemblés aux endroits voulus au moment voulu. Cette offensive générale du FPR ne peut
donc pas avoir été décidée en réaction à la mort du président Habyarimana, mais bien en
prévision de cette mort.

2. Des éléments du FPR se trouvaient depuis des mois à Kigali, en vertu des accords
d’Arusha. Ils étaient stationnés au CND, le parlement rwandais, et des convois escortés par les
forces de l’ONU leur permettaient d’aller et venir entre le territoire occupé par le FPR, au
nord du pays, et la capitale. Il n’est donc pas inconcevable de penser que des soldats du FPR,
probablement déguisés en soldats gouvernementaux, aient pu s’approcher de l’aéroport afin
de tirer des missiles contre l’avion en phase d’atterrissage.

3. Les missiles : il a été établi que ces missiles étaient d’origine soviétique. Or, l’armée
rwandaise n’en était pas équipée. Par contre, l’armée ougandaise en avait. Rappelons ici que
le FPR est une émanation de la NRA , l’armée du président ougandais Museveni. C’est une
faction de cette armée, composée de soldats et d’officiers d’origine rwandaise, portant
l’uniforme ougandais, utilisant des armes provenant des armureries ougandaises, qui a attaqué
le Rwanda, à partir du territoire ougandais, le 1er octobre 1990, déclenchant ainsi la guerre
qui devait amener le FPR au pouvoir. Durant toute la durée de cette guerre, le FPR a disposé
de bases en Ouganda, il a recruté en Ouganda et il a reçu son armement, son équipement et
ses renforts de ce pays. Et-il donc inconcevable de penser que les missiles sol-air qui ont
abattu l’avion du président Habyarimana aient été fournis au FPR par l’Ouganda ?

4. Les conclusions du rapport d’experts du juge Trévidic indiquent que les missiles auraient
été tirés depuis le camp militaire de Kanombe. Il convient d’expliquer ici la configuration
topographique de Kigali. Cette ville s’est progressivement étendue sur différentes collines, qui
sont devenues les différents quartiers composant la capitale rwandaise. Kanombe n’est pas
seulement un camp militaire. C’est avant tout un quartier de Kigali situé sur une colline
dénommée Kanombe, se trouvant à proximité immédiate de l’aéroport. S’il est difficile
d’admettre que des soldats du FPR aient pu tirer les missiles depuis le camp militaire de
Kanombe, il est par contre possible qu’ils aient opéré depuis la colline de Kanombe. Cela ne
contredirait en rien les conclusions du rapport d’experts.

Ceci étant posé, il convient aussi de rappeler dans quel contexte ce rapport d’experts est rendu
public. Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, la diplomatie
française, à l’initiative du ministre Kouchner, ami et propagandiste de Kagame, a tenté de
renouer avec le Rwanda. Claude Guéant s’est rendu à Kigali en 2009 pour négocier avec le
dictateur rwandais les termes de la réconciliation franco-rwandaise. Cela tombait à pic pour
Kagame : il était de plus en plus isolé, ses alliés anglo-saxons et ses amis scandinaves
commençaient à prendre leurs distances avec son régime. Kagame émit une condition sine
qua non au rapprochement avec Paris : l’effacement du contentieux juridique créé par

17
l’ordonnance du juge Bruguière. Tout fut donc mis en œuvre, en France, pour décrédibiliser le
travail de ce juge, afin de permettre l’annulation des mandats d’arrêts internationaux visant les
proches du général-président. Il fut convenu que le remplaçant de Bruguière aurait la
possibilité de mener son enquête sur le terrain. Jusqu’alors, Kagame s’était toujours opposé à
la moindre investigation sur la mort de son prédécesseur. Nul doute que ses services, fort
compétents en la matière, aient soigneusement préparé la venue des experts du juge Trévidic,
et qu’ils leur aient fourni des éléments savamment concoctés.

La prochaine étape de ce processus sera certainement l’annulation des mandats d’arrêts


internationaux lancés par le juge Bruguière.

Des militaires français sont morts le 6 avril 1994 : Jack Héraud, pilote du falcon 50, Jean-
Pierre Minaberry, co-pilote et Jean-Marc Perrine, mécanicien de l’avion. D’autres Français
furent mystérieusement assassinés dans leur résidence dès le lendemain : les adjudants-chefs
Maier et Didot ainsi que Gilda, l’épouse de ce dernier. Il est probable qu’ils en savaient trop
pour avoir vu ce qui s’était réellement passé la veille. Depuis près de 18 longues années, les
familles de ces citoyens français attendent que toute la lumière soit faite sur les circonstances
de ces décès. Les Burundais se demandent aussi quand seront élucidées les circonstances de la
mort du président Cyprien Ntaryamira, de Bernard Ciza, ministre du plan et de Cyriaque
Simbizi, ministre de la communication. Enfin, le peuple rwandais dans son ensemble
continue à espérer que la vérité finisse un jour par éclater au sujet de cet attentat qui coûta la
vie au président Juvénal Habyarimana, au général Déogratias Nsabimana, chef d’Etat-Major,
au colonel Elie Sagatwa, chef du cabinet militaire de la présidence, au major Thaddée
Bagaragaza, responsable de la maison militaire de la présidence, à Juvénal Renzaho,
conseiller du président pour les affaires étrangères et au Dr Emmanuel Akingeneye, médecin
personnel du chef de l’Etat. Car au-delà de la mort de toutes ces personnes, il s’agit de
comprendre qui a donné l’ordre d’abattre l’appareil, qui a commis ce crime et comment. Car
la réponse à ces questions permettrait aussi de savoir qui porte la plus grande responsabilité
dans les massacres de grande ampleur qui ont suivi l’attentat. C’est cet attentat, suivi par la
rupture de la trêve, qui a réuni les conditions pour que de tels massacres puissent avoir lieu.

Le juge Marc Trévidic porte donc une lourde responsabilité. Il devrait prendre le temps de
recueillir tous les témoignages, y compris celui du Dr Rudasingwa, qui ne demande qu’à
témoigner, et ceux d’autres anciens membres du FPR. Il devra faire preuve d’indépendance
pour résister aux fortes pressions politiques et diplomatiques. Et surtout, les grands médias
devraient se garder de toutes conclusions hâtives et avoir davantage d’esprit critique. La
tragédie rwandaise dépasse beaucoup d’autres grands drames par son ampleur, sa magnitude
et surtout son horreur. Les victimes, toutes les victimes, doivent avoir le droit au respect et à
la vérité.

Hervé Cheuzeville, 11 janvier 2012

(Auteur de trois livres: "Kadogo, Enfants des guerres d'Afrique centrale", l'Harmattan, 2003;
"Chroniques africaines de guerres et d'espérance", Editions Persée, 2006; "Chroniques d'un
ailleurs pas si lointain - Réflexions d'un humanitaire engagé", Editions Persée, 2010)

18
Génocide rwandais : "les dysfonctionnements sont intervenus à tous les niveaux"

André Guichaoua, sociologue | LEMONDE.FR | 11.01.12

Près de dix-huit ans après la fin du génocide rwandais, de nouveaux éléments avancés par le juge
français Marc Trévidic suggèrent que des Hutus extrémistes pourraient être à l'origine de l'attentat du
6 avril 1994 contre l'avion du président Juvénal Habyarimana, point de départ des massacres.

Jusqu'à présent, la thèse qui désignait l'actuel président du Rwanda, Paul Kagamé, comme instigateur
de l'attaque prévalait. Le sociologue André Guichaoua, témoin des événements en 1994, avait lui-
même qualifié de "certaine" cette version des faits. Aujourd'hui, s'il se félicite que le dossier soit
relancé grâce à ces nouvelles informations, il déplore les dysfonctionnements d'un dossier judiciaire
qui "sont intervenus à tous les niveaux".

Que change la publication de ce nouveau rapport d'expertise présenté mardi 10 janvier par le juge
Marc Trévidic ?

Premier élément, et le plus important à mon sens, c'est que le dossier est aujourd'hui relancé pour de
bon. Ces nouveaux éléments, qui ont fait l'objet d'investigations scientifiques, rouvrent le jeu, en
quelque sorte. Il faut s'en féliciter, car cela démontre que les juges sont en mesure de mener des
enquêtes et d'apporter des faits établis inédits, qui permettent d'enclencher des débats
contradictoires.

Mais il importe désormais de valider les hypothèses qu'impliquent ces nouveaux éléments. Je salue
d'ailleurs la décision de M. Trévidic d'avoir proposé un délai de trois mois qui devrait ouvrir la voie à
une procédure contradictoire, à des enquêtes complémentaires ou encore à des procédures d'appel.
Au terme de cette démarche, il se prononcera sur ces rapports et sur ce que tout le monde veut
désormais savoir : qui sont les auteurs de l'attentat ? Une question qui impose une grande prudence
aujourd'hui, d'autant que ce dossier provoque des scénarios quasiment conspirationnistes.

Vous avez vous-même affirmé que le président du Rwanda, Paul Kagamé, était à l'origine de l'attentat
du 6 avril 1994. Quel est votre sentiment par rapport à ce revirement de la justice française ?

Je ne suis pas chargé des enquêtes. En tant que témoin expert au Tribunal pénal international pour le
Rwanda (TPIR), si je devais m'offusquer de toute conclusion qui ne correspond pas à ce que je
pense, je n'en finirais plus. Mais pour l'instant, j'ai quand même l'impression que beaucoup de
discours sont tenus un peu abusivement, alors qu'en l'état, le rapport n'indique pas qui sont les
auteurs, et ne disculpent pas non plus ceux qui étaient mis en cause jusqu'à maintenant. Ca ne veut
pas dire que ça ne se fera pas, mais pour l'instant, on n'a pas ces éléments, et il faut respecter le
rythme et les procédures de la justice.

Aujourd'hui, il y a des questions que je continue de me poser après ce rapport. Si on valide l'idée que
ce sont donc des Hutus qui sont à l'origine de l'attentat du 6 avril 1994, il reste des zones d'ombre. Il y
a deux thèses généralement évoquées à ce sujet. La première, c'est que la belle-famille du président
serait à l'origine de l'attentat. Mais le seul qui aurait été en mesure d'organiser l'affaire, le colonel Elie
Sagatwaagatwa, demi-frère de la veuve Habyarimana, est mort avec le président dans l'attentat. C'est
donc difficile d'accorder du crédit à cette idée. La deuxième thèse, c'est celle des officiers extrémistes,
mais le chef d'état-major est lui aussi mort dans l'attentat. A mon sens, ce ne sont pas des
"djihadistes", je ne pense pas qu'ils se soient sacrifiés pour leur cause. Il faudra donc avancer des
éléments précis pour étayer ces thèses, et je les attends avec impatience.

Ces nouvelles informations illustrent-elles les dysfonctionnements de la justice française sur le dossier
rwandais ?

Il faut souligner que les dysfonctionnements sont intervenus à tous les niveaux. Déjà, notons que si
les procureurs du TPIR avaient voulu assumer ces faits, on n'en serait pas là aujourd'hui. Si la France,
partie prenante dans ce dossier, ne s'était pas retrouvée chargée de l'enquête, on aurait certainement
pu éviter bien des polémiques et des dysfonctionnements.

19
Ensuite, les autorités rwandaises se sont quand même toujours opposées à ce que le tribunal pénal
prenne en charge le dossier, et ont toujours systématiquement bloqué les enquêtes. Aujourd'hui
encore, la collaboration s'est faite, mais sur la base de nouvelles hypothèses qui convenaient
davantage à Kigali.

Enfin, ça pose effectivement un certain nombre de questions sur la manière dont les choses ont été
instruites à l'époque par le juge Bruguière. N'oublions pas tout de même qu'elles correspondent aussi
à des rapports bien particuliers à l'époque. Un certain nombre de personnes ont payé de leur vie le fait
d'avoir fourni des témoignages sur ce dossier, des procédures de protection incroyables ont dû être
mises en place... Un contexte difficile pour mener des investigations. Même les derniers communiqués
de la présidence rwandaise sur les jugements du TPIR accusaient directement le tribunal de servir de
porte-voix des génocidaires. Ça tranche un peu avec l'exaltation qui prévaut aujourd'hui parce qu'une
décision semble accréditer une thèse. Je crois surtout qu'aujourd'hui il faut respecter la justice, quand
elle travaille sur la base de débats et de confrontations. Si elle ne travaille pas sur ces bases, ce n'est
pas de la bonne justice, et ça il faut le dire aussi.
Propos recueillis par Charlotte Chabas

*
Attentat contre Habyarimana : "Le rapport est à prendre au sérieux"

Un rapport d'expertise français sur l'attentat du président rwandais Habyarimana, dévoilé mardi,
exonère implicitement le camp tutsi. André Guichaoua, témoin expert auprès du TPI pour le Rwanda,
analyse pour FRANCE 24 ce revirement judiciaire.

Un rapport d'expertise français sur l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président hutu Juvenal
Habyarimana, dévoilé mardi, exonère les sept proches de l'actuel chef d'État Paul Kagame encore
inculpés en France pour leur participation présumée à cet assassinat. Une attaque qui est considérée
comme l'élément déclencheur du génocide rwandais. Cette réorientation de l’enquête pourrait ouvrir la
voie au règlement du contentieux politico-diplomatique entre Paris et Kigali, après la détente amorcée
il y a deux ans.
André Guichaoua, professeur de sociologie à l'Université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et témoin expert
auprès du TPI pour le Rwanda répond aux questions de FRANCE 24.

FRANCE 24 : Les juges français chargés de l'enquête sur l'assassinat du président rwandais Juvenal
Habyarimana ont présenté de nouveaux éléments dans un rapport d’expertise. Comment l’analysez-
vous ?

André Guichaoua : Il faut respecter ce rapport qui apporte des éléments inédits. Il doit être pris très au
sérieux. Les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux se sont donnés des moyens différents pour dénouer
des témoignages en se rendant sur place et en s’appuyant sur des éléments scientifiques. Ces
données semblent affaiblir les conclusions du juge Bruguière, qui avaient abouti au lancement en
2006 de neuf mandats d'arrêt contre des proches du président rwandais Paul Kagame. Toutefois, il
faut rester prudent, car il ne s’agit pas d’une décision judiciaire définitive mais d’un rapport qui, par
définition, peut être contredit, contesté ou confirmé. D’autant qu’il reste des zones d’ombres majeures
et des éléments du scénario à éclaircir. Le rapport ne désigne pas, par exemple, les auteurs possibles
de l’attaque. Il est donc trop tôt pour tirer des conclusions et l'affaire est loin d'être réglée.

F24 : Pourtant, Kigali s’est félicité des conclusions de ce rapport qui "rend justice"au Rwanda. Quel
impact peut avoir cette volte-face judiciaire sur les relations entre la France et ce pays ?

A.G : L’impact ne pourra être que positif, même si certains ne manqueront pas de sous-entendre qu’il
tombe à pic pour les deux pays qui sont engagés dans un processus de normalisation. Cependant, la
fonction de ce rapport n’est pas de renforcer les relations diplomatiques entre la France et le Rwanda
ou alors ce n’est plus un document judiciaire mais politique, ce qui revient à faire insulte à la justice
française et à sous-entendre qu’elle est aux ordres des politiques.

20
F24 : Après plusieurs années de tensions, la France a renoué les liens avec le Rwanda. Quels sont
les enjeux d’un tel rapprochement ?

A.G : Depuis quelques années, le Rwanda est devenu une plateforme dynamique et incontournable à
l’échelle de la région des Grands Lacs. Au point de jouer un rôle prépondérant sur le plan
économique, notamment en matière d’investissements et d’échanges. La France ne peut rester à
l’écart de cette région. Au plus fort de la crise diplomatique, Kigali avait fait en sorte que ses voisins
ainsi que les pays de la sphère africaine anglophone -du Kenya à l’Afrique du Sud-, soient réservés à
l’égard de Paris. Les Français ont toujours du mal à faire entendre leur voix dans certaines régions du
continent, tant le dossier rwandais contribue à brouiller leur image. En outre, Paris reste soucieux de
la stabilisation de la RD Congo. Or, l’Elysée sait parfaitement que rien ne peut se faire dans ce pays
sans la bienveillance du Rwanda, qui peut jouer au choix, un rôle de stabilisateur ou de perturbateur.
Autant de raisons qui ont poussé au réchauffement entre les deux pays.

*
L’ancien chef de cabinet de Kagame reagit au Rapport Technique du Juge
Français Marc Trévidic

Le 1er octobre 2011, j’ai communiqué au public une confession dans laquelle j’ai indiqué que
Paul Kagame était responsable de la destruction le 6 avril 1994, de l’avion à bord duquel se
trouvaient les Présidents Juvénal Habyarimana du Rwanda, Cyprien Ntaryamira du Burundi,
ainsi que Messieurs Déogratias Nsabimana, Elie Sagatwa, Thaddée Bagaragaza, Emmanuel
Akingeneye, Bernard Ciza, Cyriaque Simbizi, Jacky Hérault, Jean-Pierre Minaberry, et Jean-
Michel qui furent tous tués. J’ai indiqué que Paul Kagame en personne m’avait dit qu’il était
responsable des tirs qui ont abattu l’avion.

J’ai dit que Paul Kagame devait répondre de son rôle dans ce crime terroriste qui est l’élément
qui a déclenché le génocide de 1994 au Rwanda. J’ai également déclaré que moi-même, ainsi
que d’autres témoins étions disposés, capables et prêts pour fournir des informations
supplémentaires aux juridictions nationales et/ou internationales qui seraient intéressées pour
contribuer à la vérité, à la justice, à la réconciliation et au processus de guérison au Rwanda.

Ni moi-même, ni aucun autre des nouveaux témoins capables et disposés n’avons pu


rencontrer le Juge Marc Trévidic, ou tout autre Tribunal international pour leur donner les
vraies informations sur les évènements relatifs aux tirs qui ont abattu l’avion.

Aujourd’hui, le 10 janvier 2012, le Juge français Marc Trévidic chargé de l’enquête sur le
crime terroriste de 1994, a rendu publiques les conclusions du rapport technique fournies par
des experts en balistique. Le rapport affirme notamment que a) les experts penchent plus vers
la version des faits selon laquelle le missile qui a abattu l’avion serait parti de plusieurs
endroits et en particulier des environs de Kanombe a Kigali ; que b) les missiles étaient de
fabrication russe et avaient été livrés par l’ancienne Union Soviétique ; et que c) les avocats et
les autres parties intéressées ont jusqu’à trois mois pour contester tout éléments relatif au
rapport.

A cet égard, je voudrais souligner ce qui suit :

1. Le fait que les missiles aient été tiré des environs de la zone de Kanombe ne signifie
nullement que Kagame n’a pas commis le crime ;

21
2. Le fait que les missiles étaient d’origine soviétique constitue un élément technique essentiel
pour déterminer le véritable coupable ; et

3. Nous avons encore le temps, (moi-même et les autres témoins intéressés et nouveaux) pour
répondre intégralement au rapport technique et donner des témoignages crédibles au juge
Marc Trévidic ou à toute autre juridiction internationale, pour démontrer avec précision que
Kagame est l’auteur de ce crime terroriste.

Je confirme avec force l’esprit et la lettre de ma confession du 1er octobre 2011. Le rapport
du Juge Marc Trévidic n’a en rien démenti ce que j’ai dit. Pas plus qu’il n’a lavé Paul Kagame
de son crime même si Kigali est en train de sortir l’affaire de son contexte pour célébrer ce
qu’ils appellent une « victoire ». Dans les tous prochains moins et années, moi-même, les
autres témoins, les Rwandais ainsi que d’autres personnes de la communauté internationale
qui entendent l’appel, allons continuer à faire en sorte que Kagame réponde de son rôle dans
ce crime et dans plusieurs autres actes criminels.

Je tiens à souligner à l’attention de tous les Rwandais et de la communauté internationale que


ce rapport ne constitue pas un jugement sans appel du juge Marc Trévidic sur cette affaire. Par
ailleurs, pour les Rwandais, les questions relatives à la vérité et à la justice seront réglées en
premier lieu par nous, les Rwandais. Même confrontés au fait que la communauté
internationale et les étrangers en général se sont illustrés en décevant les Rwandais, nous
devons avoir foi dans notre lutte pour la vérité, la justice, la réconciliation et le processus de
guérison.

Nous devons nous mobiliser et nous organiser, car la vérité et la justice finiront par prévaloir.
Nous vaincrons !

Dr. Théogène Rudasingwa, In Washington 10.01.2012

22

Vous aimerez peut-être aussi