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Olivier Nyirubugara
Février 2008
Introduction
S’il est acquis que personne ne peut nier la perte des vies humaines innocentes en 1994, il
vaut aussi la peine de reconsidérer cette idéologie du génocide aujourd’hui, puisque les
prétendus idéologues sont en prison (ou en cachette, ou tout simplement ont peur d’écrire et
de parler), et que les média de la haine ont cessé de répandre le poison génocidaire au
Rwanda. D’où puisent les enseignants et les parents leur idéologie génocidaire ? Pourquoi
cela s’appelle-t-il idéologie ? Par ailleurs, où est la ligne séparatrice entre l’idéologie et la
O. Nyirubugara L’idéologie du génocide hier et aujourd’hui 2
mémoire ? Au moment où nous rédigeons cet article, deux autres évènements importants
liés au génocide sont dans l’air. Il s’agit de la parution du livre Paix et châtiment de
Florence Hartman (2007) [3] et de la réduction par la chambre d’appel du Tribunal
International pour le Rwanda (TPIR) de la peine de la prison à vie à 30 ans pour les patrons
des média. Nous nous proposons donc d’étudier les questions posées plus haut à la lumière
de l’article ‘Justifier l’injustifiable: Ideologie en genocide in Rwanda’ de Ungor. [4] Nous
allons d’abord considérer sa perception de l’avant et de l’après génocide, avant d’étudier sa
compréhension de l’idéologie Hutu Power – l’autre non de l’idéologie du génocide au
Rwanda. Nous conclurons avec une brève réflexion sur les relations entre mémoire
collective et idéologie dans le Rwanda post-génocide.
Publié quelques mois après la condamnation des ‘patrons des média’ à la prison à vie par la
chambre de première instance du TPIR le 3 décembre 2003, l’article d’Ungor est presque
entièrement basé sur ce verdict. Dans les treize pages qui constituent le corps de cet article,
Ungor mentionne ce verdict trois fois (pp.342, 346, 347). Il commence l’article en disant:
Dans cet article, Ungor laisse conclure qu’une idéologie et des idéologues ont existé ainsi
que des média pour propager cette idéologie. En outre, il remonte le fil de cette idéologie
jusqu’à l’époque coloniale pour condamner le colonisateur belge qui a introduit des cartes
d’identité avec mention ethnique, et qui a favorisé les Tutsi au détriment des Hutu (Ungor,
2004: p.343). Il va plus loin pour dire qu’au départ, les trois ethnies du Rwanda n’étaient
que des catégories socio-économiques comprenant des éleveurs de bovins (Tutsi), des
cultivateurs (Hutu) et des céramistes (Twa). Pour preuve, écrit-il, les membres de ces trois
catégories parlent la même langue, le Kinyarwanda. Cette carte socio-ethnographique du
Rwanda nous semble fausse. S’il vrai que le colonisateur belge a volontairement favorisé
les Tutsi, il est faux que la raison de sa politique soit de créer une quelconque primauté des
Tutsi sur les deux autres groupes. Plutôt, comme son prédécesseur allemand, il voulait
collaborer avec les chefs locaux pour que ceux-ci ne s’opposent à son installation pacifique,
à son autorité, et à son exploitation de la terre conquise. Pour cette seule raison, le
colonisateur devait soutenir et défendre le pouvoir en place, ce qui revient à dire que cette
primauté des Tutsi existait même avant l’arrivée des européens au Rwanda. Introduire la
démocratie et l’égalité des groupes ethniques au Rwanda à la fin du 19ème et au début du
O. Nyirubugara L’idéologie du génocide hier et aujourd’hui 3
Comme d’autres chercheurs qui s’intéressent au Rwanda, Ungor n’explore pas le Rwanda
précolonial et ses traditions orales, qui, dans plusieurs cas, aident à comprendre certaines
situations même dans le Rwanda moderne. Dans son étude des poèmes dynastiques,
l’ethnographe-historien-philosophe Alexis Kagame analyse les mythes selon lesquels de
nombreux clans tutsi (Abasindi, Abashambo, Abahondogo et Abega ) ont des origines
célestes qui leur confèrent une certaine supériorité. C’est sur cette base que les
Abanyiginya, un sous-clan des Abasindi, ont été les seuls à pouvoir donner le monarque du
Rwanda pendant cinq siècles, tandis que les autres clans pouvaient donner des reines
(Kagame 1954: 37-61 ). Il est donc clair ici qu’il n’était pas question de partage du pouvoir
entre les éleveurs de bovins et les cultivateurs, mais plutôt d’un partage du pouvoir entre
les membres du premier groupe. Les origines célestes ne pourraient être considérées
comme des réalités historiques, mais, par contre, le fait que le monarque du Rwanda venait
exclusivement du sous-clan des Abanyiginya est une réalité historique du Rwanda d’avant
l’arrivée des européens. Par conséquent, toute étude du génocide rwandais et de sa genèse
devrait immanquablement plonger dans la période précoloniale, si du moins elle aspire à
être complète. Ce que Ungor appelle ‘l’antipathie des Hutu envers les Tutsi’ (p. 343) ne
devrait pas être étudiée uniquement pendant la période coloniale, mais plutôt pendant
toutes les époques historiques du Rwanda. Ceci est d’autant plus important que l’on
pourrait avancer l’argument que cette antipathie était la continuation de ce même sentiment
pendant des siècles avant la colonisation. L’élite tutsi à la fin des années 50 a basé ses
opinions extrémistes envers le mouvement émancipationniste hutu sur le mythe de la
création du Rwanda par la postérité de Kigwa [Le dégringolé du ciel] - l’ancêtre des
Abanyiginya. Quittant le domaine du mythique, cette postérité a conquis graduellement les
royaumes hutu et a émasculé leurs monarques. En mentionnant ce mythe et les atrocités
commis contre les rois hutu, l’élite tutsi voulait prouver qu’il n’y avait jamais eu de
relations fraternelles entre Hutu et Tutsi. Pour cette raison, les émancipationnistes hutu
n’avaient plus d’argument historique pour justifier leur association à la gestion des affaires
publiques du royaume du Rwanda. [5] Cette attitude de l’élite tutsi confirme la pensée de
Bo Strath selon laquelle:
Concernant la période la plus récente, Ungor brosse un tableau très simpliste de façon non
documentée. En guise d’exemple, il écrit que le Front Patriotique Rwandais (FPR), le
O. Nyirubugara L’idéologie du génocide hier et aujourd’hui 4
mouvement rebelle tutsi, a attaqué le Rwanda en octobre 1990 (Ungor, 2004: p.343), mais
n’informe pas le lecteur des conséquences que cette guerre a eu sur les plans social,
économique, et politique au Rwanda. Une esquisse comparative des relations sociales entre
Hutu et Tutsi avant et au cours de la guerre aurait pu mieux inspirer sa plume. Il se hâte
plutôt d’affirmer que dans les trois ans qui ont suivi le déclenchement de la guerre, les
extrémistes hutu on lancé une campagne de haine contre les Tutsi, et, encore une fois, se
refuse de renseigner le lecteur au sujet de la possible connexion entre la guerre d’octobre
1990 et cette « haine collective » (Ungor, 2004: p.343). En d’autres mots, il aurait dû
explorer la question de savoir pourquoi cette haine collective a attendu le mois d’octobre
1990 pour se manifester, et, ceci est souvent omis, si une haine collective anti-Hutu a pu
exister parmi les Tutsi.
Pire, il affirme que le 6 avril 1994, le président hutu Juvénal Habyarimana a été assassiné
par les Hutu extrémistes au moment où son avion amorçait son atterrissage à Kigali après
des pourparlers avec le FPR en Tanzanie (Ungor, 2004: p.343). Si nous pouvons fermer les
yeux sur la réunion fictive entre Habyarimana et le FPR qu’Ungor confond avec le sommet
des Chefs d’Etats (ou leurs représentants), nous ne pouvons pas laisser passer l’argument
selon lequel les Hutu ont tiré sur l’avion présidentiel. La précaution qui guide tout
chercheur aurait dû imposer une attitude différente pour traiter d’un évènement aussi frais
et complexe que le meurtre de Habyarimana. Contrairement à Ungor, Filip Reyntjens a
avancé prudemment sur ce dossier en étudiant plusieurs hypothèses (Reyntjens, 1996: pp-
20-43). Il considère l’hypothèse des extrémistes hutu épaulés par des soldats français
(p.20) ; la piste burundaise selon laquelle le président Cyprien Ntaryamira serait la
première cible (p.32) [6] ; la possibilité d’un putsch avorté des sudistes (p.33) ; et
l’hypothèse du FPR qu’il semble favoriser au vu de l’argumentation que Reynjtens lui
accorde :
Dans son analyse, Reyntjens ne perd pas de vue le principe qu’écrire l’histoire récente
exige le maximum de précaution, et cette attitude le met dans une position confortable
lorsque de nouvelles révélations sont faites. L’une de ces révélations est la découverte faite
par le juge français Jean Louis Bruguière qui affirme avoir des preuves de la planification
par chef du FPR, l’actuel président Paul Kagame, de l’assassinat de Habyarimana depuis la
signature des Accords de Paix d’Arusha en août 1993 (Bruguière 2006: p.14). Entre autres,
Bruguière base ses mandats d’arrêts internationaux contre les principaux chefs militaires du
FPR sur le témoignage d’Abdul Ruzibiza, un ancien agent spécial du FPR qui affirme avoir
été membre du commando qui a tiré sur l’avion présidentiel. [7] Dans son propre livre,
Ruzibiza indique que l’avion a été touché par les missiles tirés par deux agents du FPR – le
caporal Eric Hakizimana et le sous-lieutenant Frank Nziza (Ruzibiza, 2005: 250-1). En
O. Nyirubugara L’idéologie du génocide hier et aujourd’hui 5
outre, le président Kagame lui-même pose la toute dernière pièce du puzzle dans une
interview accordée à Stephen Sackur de la BBC le 7 décembre 2006. Kagame a dit:
En d’autres termes, Habyarminana était une cible militaire et le tuer n’était qu’une étape
dans cette guerre. A la lumière de ce qui précède, la position d’Ungor devient très délicate,
voire intenable. Toutes les bases théoriques de sa réflexion s’effondrent l’une après l’autre.
Un autre point que j’ai brièvement évoqué plus haut est qu’Ungor avance des déclarations
– et non des hypothèses – et se refuse de les argumenter. Il évoque l’attaque du FPR mais
n’indique nulle part les dégâts matériels, psychologiques et politiques de cette guerre.
D’autres auteurs se sont penchés longuement sur cet aspect, et je voudrais m’intéresser
spécialement à l’un d’entre eux. Dans son témoignage exceptionnel, Ruzibiza arrive à une
conclusion qui pourrait paraître scandaleuse que des Tutsi ont sacrifié d’autres Tutsi.
Ruzibiza étant lui-même Tutsi, il ne court pas le risque d’être rangé parmi les
négationnistes et les propagateurs de l’idéologie du génocide. Il affirme que le FPR aurait
pu éviter les massacres en acceptant les négociations, et qu’il avait la capacité d’arrêter le
génocide (Ruzibiza, 2005: p.85), mais que cela n’était pas dans son intérêt de l’arrêter. Il va
plus loin pour dire que « la moindre action entreprise par le FPR retombait sur les Tutsis de
l’intérieur qui en faisaient les frais, par exemple l’emprisonnement de pseudo complices
ainsi que des massacres commis contre eux » (Ruzibiza, 2005: p.121). Plus révoltante est la
révélation selon laquelle le FPR a non seulement incité les miliciens hutu à tuer les Tutsi
(Ruzibiza, 2005: p.209), mais aussi a massacré lui-même les Tutsi des régions éloignées du
front pour faire porter la responsabilité aux troupes gouvernementales (Ruzibiza, 2005: pp.
222-3). Ruzibiza tire simplement une conclusion orwellienne tout en lançant un appel à
tous ceux qui ‘continuent à se demander comment le génocide a pu être commis’, y
compris donc Ungor :
O. Nyirubugara L’idéologie du génocide hier et aujourd’hui 6
…parmi les Tutsis qui avaient longtemps clamé leur oppression, certains se
montraient plus Tutsis que les autres...Pour ceux qui continuent à se demander
comment le génocide a pu être commis, c’est cette idéologie qui consistait à
casser les œufs, c’est-à-dire les Tutsis de l’intérieur, afin que d’autres Tutsis
puissent manger de l’omelette, c’est-à-dire prendre le pouvoir, qui l’a rendu
possible. (Ruzibiza, 2005: pp.63-4).
De ce qui précède, nous dirions que l’aperçu de la période d’avant le génocide tel
qu’esquissé par Ungor est trompeur, surtout qu’il manque d’approche comparative et
d’arguments solides. Son article n’est donc pas à mettre à jour, mais plutôt à retirer de la
circulation, du moins si l’auteur tient à sauvegarder sa crédibilité. Sa mise à jour signifierait
que les données exploitées par l’auteur sont devenues obsolètes, ce qui n’est pas le cas chez
Ungor qui a tout simplement basé sa réflexion sur de fausses informations. Son essai laisse
le lecteur à sa faim quant au possible lien entre des événements qui ont eu lieu dans la
même période et impliquant les mêmes acteurs. Un lecteur attentionné mettra également en
cause l’exactitude des informations fournies par Ungor, comme la section suivante tente de
le montrer.
Pour qu’il y ait génocide, il faut qu’il y ait une idéologie, et, au fait, l’histoire a pu montrer
qu’il y avait des idéologies génocidaires derrière la Shoah et le génocide cambodgien. Dans
le cas du Rwanda, la situation demeure confus, et jusqu’à ce jour, aucun chercheur n’a osé
aller plus loin que le stade des hypothèses. Au TPIR, le procureur a demandé et obtenu de
la chambre d’appel, le retrait de la tâche de prouver l’existence de la planification
[idéologie] du génocide. Selon le bureau du procureur, cet arrêt a le seul mérite de
bâillonner les négationnistes qui se plaisaient à nier l’existence du génocide rwandais. [8]
Donc, l’existence de l’idéologie du génocide est devenue une sorte de vérité biblique que
personne ne doit plus chercher à prouver. Ungor avait anticipé cette situation en suggérant
que l’idéologie dite Hutu Power était responsable du génocide.
Selon Ungor, l’idéologie dite Hutu Power a été conçue par l’ancien parti unique – le
MRND – et son allié, la CDR, tous deux majoritairement hutu. Les principaux concepteurs
seraient Léon Mugesera, Ferdinand Nahimana et Hassan Ngeze (Ungor, 2004:p 345). Il
compare même Nahimana à l’idéologue Nazi Rosenberg et l’idéologie dite Hutu Power au
nazisme (Ungor, 2004:p 345). Malheureusement, à part les 10 commandements des Hutu
publiés par Ngeze en 1990 dans Kangura – pour lesquels il ne se donne pas la peine de
démontrer si l’action de Ngeze était personnelle ou concertée - Ungor ne parvient pas à
prouver l’existence d’un quelconque plan du génocide. S’il l’avait trouvé il aurait secouru
le bureau du procureur du TPIR qui n’a pas caché ses jubilations à l’annonce de l’arrêt de
la chambre d’appel. Nous voudrions ici mettre l’accent sur l’idéologie dite Hutu Power, un
concept dont Ungor abuse et déplace de son contexte. Lier ce concept au MRND et à la
CDR d’une part, et à Mugesera, Nahimana et Ngeze, d’autre part, c’est comme placer la
naissance du Stalinisme au Etats-Unis ou la naissance de l’Islam au Vatican. Le concept est
apparu pour la première fois dans le vocabulaire politique rwandais, du moins du côté des
Hutu, le 25 septembre 1993. L’ancien ministre de la défense issu du MRND (1992-1993)
James Gasana, qui est devenu un des critiques les plus virulents du Habyarimanisme, nous
donne la genèse du concept Hutu Power :
O. Nyirubugara L’idéologie du génocide hier et aujourd’hui 7
Nous donnons cette longue citation pour mettre deux choses en relief : tout d’abord le
concept Hutu Power n’a pas ses origines dans le MRND et la CDR comme l’affirme Ungor
qui ignore que Frodouald Karamira du MDR est le concepteur et le propagateur de ce
concept, et non Mugesera, Nahimana et Ngeze. Deuxièmement, les dates mentionnées dans
la citation excluent d’office le discours ‘génocidaire’ de Mugesera de l’idéologie dite Hutu
Power, car il a été prononcé une année avant la naissance de cette idéologie. Ignorer
Karamira et sa faction au sein du MDR ainsi que le climat politique du moment montre à
suffisance qu’Ungor comprend mal le mouvement dit Hutu Power, ce qui explique son
usage hors de son contexte.
L’Akazu
Depuis les années 90, une ère qui correspond au début du multipartisme, des voix ont
commencé à s’élever surtout dans l’élite hutu non satisfaite par la gestion des affaires
publiques. Christophe Mfizi, l’homme qui a longtemps géré le département de l’
information du régime Habyarimana avant de dissocier de celui-ci, a utilisé le terme
‘Akazu’ pour traduire l’expression ‘Réseau Zéro’ qu’il venait de créer. Le prédécesseur de
Nahimana à l’Office Rwandais de l’Information informe le public de l’existence de
l’Akazu dans un pamphlet en 1992. Le terme kinyarwanda est plutôt alors que l’expression
française est plus poétique et fournit plus de renseignements. Mfizi explique que le mot
‘Zéro’ n’a rien à voir avec le chiffre 0, mais plutôt, de part sa phonétique, fait penser à la
lettre Z, initiale de Zigiranyirazo (Mfizi, 2006). Connu sous son initiale Z, Protais
Zigiranyirazo est le beau-frère du président Habyarimana et était, aux yeux de Mfizi,
l’initiateur et l’animateur de l’Akazu :
Gasana parle également de l’Akazu, qu’il préfère appeller OTP – les Originaires du
Terroire Présidentiel. Il note que les critiques du régime Habyarimana ne dénonçaient pas
le pouvoir qu’il exerçait, mais plutôt celui qu’il n’exerçait pas, c’est-à-dire, celui exercé par
sa belle famille et les amis de celle-ci (Gasana, 2005: p. 62). Des écrits de Gasana et de
Mfizi émerge un point de convergence, à savoir qu’un certain groupe proche de la belle
famille du président Habyarimana a eu une forte influence négative sur la gestion des
affaires publiques. Les deux anciens proches collaborateurs de Habyarimana désignent ses
trois beau-frères – Zigiranyirazo, Séraphin Rwabukumba, et Elie Sagatwa - comme étant au
cœur de ce groupe, entourés par des personnalités influentes émanant des mondes politique
et militaire ainsi que celui des affaires, toutes originaires de la préfecture natale de
Habyarimana – Gisenyi.
Cette description de l’Akazu est généralement acceptée par les chercheurs et les rwandais
ordinaires, mais elle est l’inverse de ce qu’Ungor comprend par ‘Akazu’. Pour lui, à part la
première dame et ses trois frères, l’Akazu comprenait des personnalités clés tels le colonel
Théoneste Bagosora, le major Augustin Bizimana [sic!], le colonel Protais Mpiranya, le
président intérimaire Théodore Sindikubwabo, Joseph Nzirorera et Robert Kajuga. Il ajoute
que ces membres étaient tous originaires de Ruhengeri, la région natale du président
Habyarimana (Ungor, 2004: pp. 344-345). Cette description scandalise tout connaisseur du
Rwanda. Premièrement, il n’y a jamais eu de major Augustin Bizimana. C’est certainement
une autre confusion excusable entre Augustin Bizimana – le ministre [civil] de la défense –
et le général major Augustin Bizimungu, nommé en Avril 1994 chef d’Etat Major des
Forces Armées Rwandaises, tous originaires Byumba. Fermons encore une fois les yeux
sur cette confusion tout en nous posant cette question : serait il acceptable de mettre des
originaires de Byumba dans l’Akazu tel que défini par Mfizi, Gasana et d’autres experts du
Rwanda ? Deuxièmement, mettre Sindikubwabo parmi les membres de l’Akazu et affirmer
que ceux-ci étaient exclusivement de la région présidentielle de Ruhengeri, c’est ignorer
que ce médecin pédiatre est de Butare au sud du Rwanda, et que son passage à la
présidence de la République a été accidentelle et indépendante de toute volonté de l’Akazu.
Enfin, peut-être aurais-je dû commencer par ici, affirmer que le président Habyarimana
était originaire de Ruhengeri est purement et simplement un aberration, car Habyarimana
est originaire de Gisenyi. On ne peut pas fermer les yeux sur ce point ou le qualifier
d’excusable confusion. Ça serait trop pour un seul article. Au vu de ces inexactitudes, nous
nous demandons quel crédit nous devons accorder à l’essai d’Ungor. S’il ne parvient pas à
identifier correctement le groupe qu’il étudie, comment parviendra-t-il à étudier les méfaits
de celui-ci ? A vous, lecteurs, de répondre. Ceci nous amène à la conclusion que nous
allons consacrer à la réflexion sur les relations entre la mémoire collective rwandaise et
l’idéologie du génocide.
Même si le Rwanda a fait preuve d’un développement fulgurant dans ses politiques
d’alphabétisation et d’éducation depuis l’indépendance, la société rwandaise est restée
profondément orale préférant la parole à l’écrit. C’est par le bouche-à-oreille que le passé
O. Nyirubugara L’idéologie du génocide hier et aujourd’hui 9
se transmet entre générations. Ce passé est tout d’abord personnel, ensuite familial, avant
d’être local, régional et national. Chaque rwandais a une histoire à raconter au sujet des
années passées en exile, des souffrances dans les camps de déplacés, des meurtres atroces
des proches parents ou amis, de la traversée périlleuse des forêts et rivières congolaises, etc.
Chacun de ces rwandais tente de trouver une explication politique de sa misère et dans cet
exercice, ils informent/intoxiquent leurs enfants envers lesquels ils ont le devoir parental de
transmettre le passé familial. Quels que soient les enseignements idéologiques en vigueur
au pays, le parent fera tout, en tout cas avant de quitter ce monde, pour trouver un moment
propice et raconter ses ‘vérités’ à sa postérité.
Pour tout connaisseur du passé du Rwanda, les rats et les chiens sont des rois hutu et leur
descendance qui ont été exterminés et émasculés par les rois Tutsi. Ces derniers ont
conquis les royaumes des premiers et y ont imposé leur tambour emblème - qu’ils ont ornés
des organes génitaux de leurs victimes – et la vache comme centre du système économique.
Une étude approfondie des contes nocturnes autour du feu est urgente car elle permettrait
O. Nyirubugara L’idéologie du génocide hier et aujourd’hui 10
Bibliographie:
Notes:
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