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DP 8127 – Les génocides

Activité 3
Mémoires de la Shoah et construction de l’identité républicaine :
la lutte contre le négationnisme
Classes et programmes concernés
Collège, Cycle 4, EMC 3e « s’engager pour les valeurs de la République ».
Lycée, classes de première et de terminale.

Objectifs pédagogiques
- Culture de la règle et du droit :
« Comprendre les principes et les valeurs de la République française et des sociétés démocratiques »
« Comprendre le rapport entre les règles et les valeurs »
- Culture du jugement : « Développer les aptitudes au discernement et à la réflexion critique ».
« S’informer de manière rigoureuse »
- Acquérir et partager les valeurs de la République.
- Construire une culture civique

Documents utilisés
Document 1. « « L’épidémie du négationnisme » (texte), cf. dossier 8127 (p. 61).
Document 2. « Un livre précurseur, Les Assassins de la Mémoire », cf. dossier 8127 (p.61).
Document 3. « Le film Le procès du siècle », cf. dossier 8127, p. 63.
Documents 4. Extraits de l’ouvrage de Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Paris,
Seuil, 2000.
Document 5. Loi Gayssot.

Extrait 1. Les motivations du négationniste

« La haine se distille. Elle profite des maux et de la confusion de la société contemporaine pour
réapparaître sous d’autres travestissements. Comme toute propagande, le négationnisme exploite le
« malaise de la civilisation » sous couvert d’intentions louables. Depuis plus de cinquante ans, le
discours de la négation de l’histoire déploie ses tentacules sous des habits divers. Il s’accommode de
ramifications fascisantes et puise les substances qui lui sont nécessaires dans un organisme sociale en
déroute. Le danger est là, derrière ce camouflage pervers. « Le révisionnisme ne cherche pas à
réhabiliter et à faire renaître le passé. Il transformera la société sous laquelle nous vivons de plus en
plus mal », prétend Henri Roques.
Nous le savons, les motivations idéologiques des différentes générations de négationnistes pour
imposer leur discours sont diverses : réhabiliter son passé, remettre à l’honneur les politiques proches
de l’idéologie nazie, dresser un parallèle entre la politique hitlérienne et d’autres barbaries, lutter
contre Israël. Le microcosme négationniste s’apparente à une véritable secte. Petite communauté
hiérarchisée, unie par une même doctrine, ses « guides spirituels » exercent une autorité idéologique
sur leurs adeptes. Son développement va suivre plusieurs étapes :
-établir un postulat : le négationnisme. Autour de cette thèse se reconstitue un nouvel antisémitisme.
Sur son noyau dur, la haine des juifs, se cimente un soi-disant antisionisme. La prétendue domination
du « complot juif mondial » l’alimente ;
- choisir ses membres fondateurs : ils se comptent sur les doigts d’une main. Initiatrice de la
propagande négationniste, la première génération de négationnistes s’engage à la diffuser dès l’après-
guerre.
-Trouver un gourou qui consacrera sa vie à sa cause. Son profil psychologique répondra à quelques
critères (recherche de la notoriété, amour de la provocation, paranoïa, etc..). sa respectabilité culturelle
devra être garante de la noblesse de ses intentions (…). »
Extrait de Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Paris, Seuil, 2000, 605-606.

Extrait 2. Négationnisme et antisémitisme

Le texte suivant est un extrait d’un message posté par un internaute sur un « forum de discussion »
sur Internet, cité par Valérie Igounet (p. 575).
« Pour ce qui concerne le problème du révisionnisme et des chambres à gaz, j’aurais tendance à
répondre comme Le Pen. C’est un détail. Tout simplement parce que la mort de 300 000, 1 million ou
6 millions de juifs pendant la 2e guerre mondiale ne m’intéresse pas beaucoup. Les historiens
s’accordent pour dire que 8 millions d’Allemands sont morts pendant cette même guerre, et 20
millions de Russes. Mais on ne parle jamais de ces morts là, on ne se souvient pas de leurs
souffrances, ce sont des morts oubliés. Il n’y en a que pour les juifs.
De plus, je ne comprends pas pourquoi le concept de la chambre à gaz, pour autant qu’elles aient
existé, suscite tellement d’horreur. c’est quand même une méthode propre et rapide pour donner la
mort, et je ne pense pas qu’elle entraîne de grandes souffrances. Franchement, si je devais choisir de
mourir en juif en quelques minutes asphyxié par le gaz, ou bien mourir en Allemand de faim et de
froid sur le front de l’Est et sous les bombardements russes, je choisirais sûrement la première
solution. En poussant ce raisonnement au bout on pourrait aller jusqu’à dire que les juifs étaient les
privilégiés de la guerre, puisqu’ils avaient la chance de mourir dans des conditions de souffrances
minimales ».

Texte cité par Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, p. 575.

Extrait 3. Internet et internationalisation du discours négationniste

« Quelle réaction adopter devant ce lycéen parisien qui, pour préparer un exposé sur Auschwitz, tape
le mot clé « chambre à gaz » et voit apparaître sur son écran aussi bien les écrits de Pierre Vidal-
Naquet que ceux de Robert Faurisson ? Comment s’étonner que, pour Robert Faurisson, Internet soit
synonyme de succès ? Le problème de la censure sur Internet se pose avec acuité. Des sites Web et des
forums de discussions négationnistes tombent sous le coup de la loi Gayssot […]. Quant à Robert
Faurisson, il s’aligne sur la législation la moins répressive. aujourd’hui, la plupart de ses textes ne
tombent pas sous le coup de la loi française, car le délit n’a pas été commis sur le territoire français. Le
négationniste l’affirme, « grâce principalement à Internet, le vent tourne en faveur du révisionnisme
historique ». le message passe au-delà des frontières.

Extrait de Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, p. 575-576.

Propositions de mise en œuvre.

L’étude de la lutte contre le négationnisme dans le cadre de l’enseignement de l’EMC au collège ou au


sein d’un cours de Lycée sur les mémoires de la Shoah se justifie parce que le sujet s’inscrit dans les
enjeux prioritaires de notre société contemporaine. Le négationnisme est non seulement le déni de
l’existence même des faits et des vérités objectives de l’Histoire, c’est aussi une démarche complotiste
envisageant le monde comme soumis à diverses forces obscures. Vincent Duclert écrit dans le dossier
8127 que « le négationnisme se fonde sur le mensonge, la manipulation et le complotisme ». Son
analyse rejoint donc une brûlante actualité pédagogique : lutte contre les « infox », notamment sur
internet, prévention et éducation des jeunes aux médias et à l’information. Ce n’est pas non plus un
problème du passé, à l’heure où les sociétés occidentales sont travaillées par des idéologies politiques
exaltant la haine d’autrui et qui profitent de la visibilité offerte par les avancées concernant les
technologies de l’information et de la communication. Tous les génocides ont leurs négateurs, parfois
situés au plus haut sommet de l’État comme l’illustre le cas turc. La négation du génocide des juifs et
des tziganes a également trouvé des relais dans quelques représentants politiques, comme Jean-Marie
Le Pen, ou du monde du spectacle, comme l’humoriste qualifié dans divers médias au mieux de
« controversé », Dieudonné. La démocratisation de l’accès à Internet a ouvert un immense champ des
possibles en terme de recherche et d’obtention de l’information, mais l’absence de hiérarchisation
fondée sur la pertinence pose un problème en terme de traitement de la part des élèves. Cultiver le
jugement, le discernement est un objectif majeur dans la formation des citoyens de demain. Aussi,
cette proposition de mise en œuvre a deux objectifs : premièrement faire réfléchir les élèves sur la
nature du négationnisme afin qu’ils puissent en déconstruire le discours. Il s’agira ici de contribuer à
aiguiser le sens critique et le discernement. La seconde entend valoriser la culture de l’engagement
pour les valeurs républicaines. Si le négationnisme a eu ses partisans, il a également suscité des
oppositions qu’il faut valoriser.

 Première étape : Définir le négationnisme : pourquoi s’oppose-t-il aux valeurs


républicaines ?

Dans cette première étape, il s’agit de déconstruire le discours négationniste et notamment de


montrer ses liens avec le complotisme et l’antisémitisme.
Le texte de Henry Rousso, extrait du Syndrome de Vichy, permet une entrée en matière selon
trois axes. Le premier concerne la dissociation nécessaire entre le « révisionnisme » et le
négationnisme. Il permet de mettre l’accent sur le premier aspect du discours des négationnistes :
ceux-ci s’autoproclament « révisionnistes » pour se donner une légitimité en se réclamant une
démarche intellectuelle propre aux historiens et aux historiennes. Or, comme le remarque Henry
Rousso d’une part, Valérie Igounet de l’autre (extrait 1), c’est un système de pensée qui se fonde sur
un postulat considéré comme indubitable, et donc inutile de prouver : les nazis n’ont pas exterminé les
juifs. Il faut insister ici auprès de l’élève : le discours historique s’appuie sur la méthode critique, et
non sur des idées préconçues, un système de pensée ou une idéologie particulière qui tendent à tordre
les faits, ou à les nier, quand ces derniers ne correspondent pas à sa « vision du monde ». L’extrait n°1
montre également la construction du discours et met l’accent sur la nature intrinsèque des
communautés négationnistes, ici envisagée en relation avec les sectes. L’extrait met de plus l’accent
sur le fait que le discours négationniste n’est pas un discours raisonné ou scientifique. C’est une
opinion fondée sur un postulat considéré comme indubitable, qui rejette l’utilisation d’une méthode
critique raisonnée. Il faut enfin rappeler que le négationnisme révèle une donnée importante. Nier
l’extermination est également motivé par son caractère inacceptable parce que ce dernier discrédite les
positions idéologiques des individus ou du gouvernement qui la met en œuvre. Pourtant, les nazis
n’ont eux-mêmes pas nié avoir commis ces crimes quand bien même ils s’efforcèrent de minimiser
leur rôle.
Le texte d’Henry Rousso permet de cerner la période d’inflation du discours négationniste à
partir de la fin des années 1970 et son principal acteur, Robert Faurisson. Il faut toutefois rappeler
qu’en aucun cas celui-ci n’en est l’inventeur. Il fut en effet précédé par des personnalités ancrées dans
des idées politiques particulières qui finissent par converger, Paul Rassinier ou Maurice Bardèche par
exemple. Robert Faurisson popularise en fait un courant de pensée jusqu’alors marginal à l’ultra-
gauche comme à l’extrême-droite. Il profite également de son titre universitaire pour donner une
caution intellectuelle.
La seconde étape consiste à faire identifier par les élèves les vecteurs principaux de la diffusion des
idées négationnistes. On peut mettre l’accent sur les mutations des modalités de diffusion et donc
établir une chronologie mise en perspective avec l’évolution des technologies de l’information et de la
communication. Comme le remarque Henry Rousso, « l’impact des médias » a nourri le
négationnisme. On peut, à ce titre, s’appuyer sur l’édition du journal Le Monde du 29 décembre 1978,
où Robert Faurisson peut étaler ses idées. Comme le remarque l’historienne Valérie Igounet, «  en
décidant de révéler Robert Faurisson, les médias exposent les thèses de la négation de l’Histoire au
grand jour, espérant qu’elles n’annihileraient d’elles mêmes. L’effet inverse se produit » (Histoire du
négationnisme en France, p. 236). L’extrait 3 met également l’accent sur le double rôle d’Internet. Le
Web a permis une internationalisation du négationnisme, au sens qu’une opinion marginale a pu se
répandre plus facilement et plus rapidement à travers le monde sans filtre ou presque. Il a aussi
favorisé la formation de ce qu’on pourrait nommer une « Internationale négationniste » pour citer
Valérie Igounet. Ces pseudo-chercheurs ont pu se regrouper et joindre leurs efforts grâce à Internet. Le
discours négationniste profite désormais de sites dédiés et disponibles en quelques clics à partir de
n’importe quel moteur de recherche. Le film Le procès du siècle montre que le négationnisme n’est
pas un phénomène uniquement français, à travers la personnalité du britannique David Irving. Il met
l’accent sur une méthode classique des négationnistes, à savoir la provocation de procès qui sont
autant de tribunes pour exposer leurs idées. David Irving provoqua un procès contre l’historienne
Deborah Lipstadt, Robert Faurisson contre Robert Badinter en 2007, pour les mêmes motifs. L’un et
l’autre ont été déboutés par la justice. Le film, quoi qu’il en soit permet également d’observer la
rhétorique négationniste et quelques extraits peuvent êtres montrés en classe. On peut montrer, par
exemple, la scène où l’historienne est interrompue en pleine conférence par le négationniste David
Irving. La construction de la scène est intéressante : d’un côté le refus de l’historienne de débattre
avec le négationniste, de l’autre les tactiques oratoires déployées par ce dernier : virulence des propos,
coups d’éclat, recours à la provocation sont autant de thèmes à évoquer pour démontrer la dissonance
des méthodes. La conclusion de la scène interroge : d’un côté l’historienne reste seule avec ses livres,
de l’autre les étudiants et les étudiantes qui suivent David Irving qui s’empresse de préciser que son
livre, à lui, est gratuit. La scène interroge les modalités d’accès au savoir, qui a un coût proportionnel à
ses qualités. L’autre interrogation porte sur l’attraction du négationnisme sur les jeunes, et la manière
dont certains, même parmi les plus instruits, peuvent tourner le dos (littéralement dans la scène) aux
savoirs construits méthodiquement pour préférer les solutions erronées. Ici aussi, le problème demeure
très contemporain.
Précisément, ceci fait la transition avec la troisième étape dont l’objectif est de montrer la
relation entre négationnisme et antisémitisme. Il paraît indispensable de se pencher sur le contenu d’un
discours négationniste, comme celui de l’extrait n°2, d’autant plus qu’il a été diffusé par internet. Ce
texte permet une réflexion sur le travail critique à avoir sur le contenu d’internet, l’utilisation des
réseaux sociaux et, bien sûr, le contrôle des contenus. On fait aussi le lien entre le négationnisme et la
banalisation du génocide des juifs, ici en regard des souffrances attribuées aux soldats allemands sur le
front de l’Est pendant la seconde guerre mondiale. Le génocide des juifs est régulièrement mis en
parallèle avec d’autres événements de l’époque, voire jusqu’à nos jours avec un contexte international
sans rapport avec l’objet, avec toujours le même objectif : relativiser l’horreur de l’extermination. Ici,
le principe est renforcé par une banalisation de la mort par asphyxie, censée là aussi relativiser les
souffrances des hommes, femmes et enfants assassinées dans les chambres à gaz.

 Deuxième étape : S’engager contre le négationnisme.

Pour cette partie, on peut proposer aux élèves une activité d’abord personnelle qui évolue vers un
travail de groupe, avec pour objectif une production qui peut ressembler à une exposition dans
l’enceinte de l’établissement, un site internet, la fabrication d’un journal etc. à la libre appréciation de
l’enseignant ou de l’enseignante.
On peut tout d’abord commencer à faire réfléchir l’élève sur la manière dont le Droit et la Justice
traitent le problème. Un travail en amont sur la liberté d’expression, et ses limites, paraît nécessaire.
Selon la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 :
« Article 10. - Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur
manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.
Article 11. - La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de
l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette
liberté dans les cas déterminés par la Loi ».
On rappelle donc ici que c’est la Loi qui fixe le cadre de l’exercice des libertés en France, y compris
de la liberté d’expression.
Il est possible de faire travailler les élèves en plusieurs ateliers.
- Un groupe chargé d’une recherche sur la pénalisation de la négation de la Shoah, en parallèle avec
celle concernant le racisme et l’antisémitisme.
Pour rappel, on peut orienter les élèves sur les exemples suivants :
Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (chapitre IV), première loi sanctionnant les propos
publics discriminatoires.
Décret-loi Marchandeau du 21 avril 1939, modifiant la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Il réprime l’excitation à la haine raciale ou religieuse. Il est supprimé le 27 août 1940 par le
gouvernement de Vichy.
Loi du 13 juillet 1990, dite Loi Gayssot (citée dans l’extrait n°3) qui sanctionne les actes racistes,
antisémites ou xénophobes et qui créé le délit de contestation de crime contre l’humanité.
La loi du 21 juin 2004 qui oblige les fournisseurs d’accès Internet à contribuer à la lutte contre le
racisme, l’antisémitisme et le négationnisme.
L’objectif in fine peut aussi être de faire réfléchir les élèves sur les relations entre le Droit et l’Histoire,
en mettant en perspective avec les lois mémorielles et les débats qu’elles ont suscité.
Les autres groupes peuvent réfléchir aux engagements individuels contre le négationnisme. Le
dossier 8127 offre plusieurs perspectives d’enquêtes intéressantes : le rôle de Beate et Serge Klarsfeld
par exemple ou encore les parcours de Valérie Igounet ou Déborah Lipstadt. On peut proposer
également une analyse du film Le Procès du Siècle en lien avec le parcours culturel et le parcours
civique au collège. L’étude du film ouvre également le champ des travaux sur le relations entre le
cinéma et la Shoah ainsi que d’importantes possibilités de travaux.

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