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La Canadienne Judi Rever pré- dont les desseins se sont révélés aus-
tend rétablir la vérité sur les évé- si sanguinaires qu’expansionnistes » :
nements qui ont marqué l’Afrique Paul Kagame, président rwandais en
des Grands Lacs ces trente dernières poste depuis 2000.
années. Dénonçant « l’histoire offi-
cielle », elle accuse notamment le Judi Rever présente comme un
Front patriotique rwandais (FPR) scoop la révélation de massacres com-
d’avoir délibérément déclenché le gé- mis par le FPR, comme celui de
nocide contre les Tutsi en avril 1994 Byumba, lors de son offensive de 1994
en abattant l’avion du président Ha- qui mit fin au génocide. En réalité,
byarimana, et de n’y avoir pas mis dès 1999, le volume dirigé par Ali-
un terme mais, au contraire, d’y avoir son Des Forges, Aucun témoin ne
participé, tout en commettant un gé- doit survivre, consacrait un chapitre
nocide contre les Hutu rwandais. Judi complet aux exactions du FPR, sans
Rever adosse ses thèses à un corpus confondre le crime de génocide, avé-
de témoignages et à un dossier confi- ré contre les Tutsi du Rwanda entre
dentiel, rendu public en 2003 par le avril et juillet 1994, et les crimes com-
service des « Enquêtes spéciales » du mis en temps de guerre par une ar-
Tribunal pénal international pour le mée en lutte1. De même, Judi Re-
Rwanda (TPIR). Elle conclut que « le ver évalue le nombre de victimes du
demi-dieu caché derrière ces atrocités FPR à plusieurs centaines de milliers,
n’est ni un personnage colonial ni une tandis que les travaux des organisa-
créature fictive », mais « un Africain tions internationales (Fédération in-
ternationale des droits de l’homme et
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explique l’extrême efficacité du gé- commis par le FPR sont tous mobi-
nocide contre les Tutsi, est mise de lisés de la même façon. Tant que les
côté par l’auteure, qui privilégie un bons mots sont prononcés, ils se suf-
recours peu scrupuleux au langage fisent à eux-mêmes et sont triompha-
ethnique : tout se résume à la di- lement présentés comme des preuves.
chotomie Hutu/Tutsi. Les soldats du Dans le (rare) cas contraire, ils sont
FPR, formé par des exilés tutsis ayant le signe du complot en marche. En
fui le Rwanda et les pogroms qui les effet, le monde que dessine ce livre
visaient depuis 1959 et par des oppo- est lisse comme le plateau d’un jeu
sants politiques hutus, sont systéma- d’échecs. Les lourdeurs du réel dis-
tiquement désignés comme « tutsis ». paraissent devant la volonté absolue
Sans s’embarrasser des précautions de Paul Kagame, qui déclenche les
méthodologiques de l’histoire, de la guerres, le génocide, impose ses dé-
sociologie ou de la géopolitique, les cisions à l’ONU et aux États-Unis, et
réalités africaines sont résumées à ce dicte leurs livres aux spécialistes du
socle ethnique. L’intentionnalité, le sujet…
travail politique de stigmatisation et Paul Kagame, maître du monde :
de mise à l’écart des Tutsi rwandais c’est ainsi que pourrait s’intituler ce
depuis 1959, l’implication de l’appa- réquisitoire. L’énormité des pouvoirs
reil d’État et le soutien logistique aux qui lui sont prêtés va de pair avec
tueries pour s’assurer de leur effica- une disparition des contextes poli-
cité, tous ces éléments constitutifs tiques : la guerre civile rwandaise de
du génocide commis en 1994 s’éva- 1990-1994 puis le génocide des Tut-
nouissent. Parce que tout est ethnie si apparaissent comme un drame joué
en Afrique, tout est aussi génocide. par un seul acteur, le FPR de Ka-
Pour soutenir ses thèses, Judi game. L’État rwandais de Juvénal
Rever invoque les témoignages, ma- Habyarimana puis, après son assas-
joritairement anonymes, en nombre sinat, du Gouvernement intérimaire
imprécis, qu’elle a recueillis auprès rwandais, composé d’extrémistes Hu-
d’exilés (déserteurs du FPR, dissi- tu power, est quasiment absent. Tous
dents politiques), d’« experts » auprès ces éléments rangent Rwanda, l’éloge
du TPIR, d’« enquêteurs » des Na- du sang dans les archives du négation-
tions unies, de diplomates, d’avocats nisme concernant le dernier génocide
de plaignants auprès de différentes du XXe siècle.
juridictions. Les propos d’un avocat 1.Voir Alison Des Forges, Aucun
de parties civiles, ceux d’un ancien témoin ne doit survivre. Le génocide
« proche » de Kagame ou ceux d’un au Rwanda, Paris, Karthala, 1999.
anonyme survivant d’un massacre 2.Hélène Dumas, Le Génocide au
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