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Lieutenant Abdul Joshua RUZIBIZA

RWANDA
L'HISTOIRE
SECRÈTE
Préface, notes et chronologie
Claudine Vidal

Postface
André Guichaoua

Éditions du PANAMA
Préface

Claudine Vidal 1

Cet ouvrage est édité par


Géraldine Faes

© Éditions du Panama, 2005 1 . Claudine Vidal est directeur de recherches émérite au CNRS . Elle a
26, rue Berthollet
signé le premier appel pour la création d 'une Commission d ' enquête par-
75005 Paris
lementaire sur le rôle de la France au Rwanda . Parmi ses publications,
ISBN : 2-7557-0093-9 Sociologie des passions : Rwanda, Côte d'Ivoire, Karthala, 1991 ; « Les poli-
N° : 0093-1 tiques de la haine », Les Temps Modernes, 1995, n° 583 ; « Le génocide des
Dépôt légal : octobre 2005 Rwandais tutsis : cruauté délibérée et logiques de haine », in Françoise
Héritier, De la violence, Odile Jacob, 1996 ; « Les commémorations du
www.editionsdupanama.com génocide au Rwanda », Les Temps Modernes, 2001, n° 613 .
En février 2005, m 'est parvenue une version élec-
tronique du livre écrit par le lieutenant Abdul Joshua
Ruzibiza sur les événements dont il a été acteur et témoin
au Rwanda de 1990 à 2001 . Charpentées par une chro-
nologie serrée, parfois quotidienne lorsqu 'il s'agit d'opé-
rations militaires, ces pages mêlent le récit de choses vues
personnellement ou par d 'autres témoins oculaires, à
l' accusation de tous ceux qui ont mis le Rwanda à feu et
à sang parce que, voulant le pouvoir pour eux seuls, ils
ont fait du massacre systématique l 'instrument de leur
politique . Né au Rwanda, en 1970, de parents tutsis,
l'auteur s' est engagé en 1990 dans l 'armée du Front
patriotique rwandais (FPR) pour faire la guerre au régime
du président Juvénal Habyarimana afin de libérer ses
« frères tutsis » de l 'oppression subie depuis des décen-
nies. On sait ce qu'il advint : durant cent jours, à par-
tir du 7 avril 1994, les Rwandais tutsis furent victimes
d'un génocide implacable qui ne laissa qu ' une minorité
de survivants . Il n'y eut pas de rescapés dans la famille
d'Abdul Ruzibiza.
Il m'est immédiatement apparu que ce long texte était,
pour ceux qui s 'intéressent à l'histoire tragique du
Rwanda, un document important sur de nombreux

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points. J' en indiquerai brièvement trois qui me semblent Deuxième point . Celui-ci concerne le comportement
principaux. de l' auteur. Il sait parfaitement combien le procès qu'il
Tout d' abord, très peu de choses ont été publiées sur intente au FPR sera insupportable à plusieurs publics,
la guérilla du FPR . Pour la première fois, un membre rwandais comme non rwandais, il connaît à l ' avance le
de I'APR (l ' Armée patriotique rwandaise) décrit les prix à payer en attaques personnelles . Lui qui, parce que
formes d ' organisation de cette armée et leur évolution né tutsi, avait été interdit d 'études et contraint à l 'exil
depuis le 1 er octobre 1990 (date de la première attaque par le régime Habyarimana, lui, dont le monde natal a
contre le Rwanda), relate de nombreux combats, donne été entièrement détruit par la volonté d ' autorités issues
la liste des armements . Mais l' auteur ne s' en tient pas de ce régime, s' engage, au sens radical du terme, dans
au seul récit militaire . En effet, il ne sépare pas ce récit une dénonciation qui le fera accuser d 'une double traî
d' une analyse dénonciatrice, portant sur l ' ensemble de trise : à l'égard du FPR, sa « famille », à laquelle il a juré
la stratégie politique déployée par le général-major Paul fidélité en 1990, à l'égard de ses « frères ethniques », tués
Kagame pour devenir le maître absolu de I'APR, pour d' abominable façon ou condamnés à une survie meur
ensuite recourir à une tactique d ' attentats terroristes trie, désolée . Une dénonciation, en outre, qui sera applau
avant de conquérir le pouvoir par les armes et sou die par des extrémistes hutus profitant de son témoignage
mettre, à force de massacres, les populations qui pour nier le génocide des civils tutsis et le travestir en
n' avaient pas fui le Rwanda . Nul doute que la partie fait de guerre défensive . Pourquoi Ruzibiza se risque-
« scandaleuse » (j ' expliciterai plus loin ce terme) du t-il dans cette entreprise, à quelle nécessité existentielle
texte réside dans cette accusation : Paul Kagame et son obéit-il ? Répondre à cette question n'éclaire pas seule-
groupe n' ayant jamais envisagé d ' appliquer les accords ment une démarche individuelle, c ' est aussi essayer de
de paix signés à Arusha (4 août 1993) ont voulu une restituer de ce point de vue singulier le contexte de la
guerre totale contre le pouvoir en place sans ignorer décennie 1990-2000 au Rwanda.
qu'ils risquaient ainsi d ' entraîner le génocide des Le troisième point relève d 'un autre ordre d' intérêt.
Rwandais tutsis . Ils ont lancé cette guerre le 6 avril 1994 Il tient à la structure de ce témoignage qui s 'affirme
par l'attentat contre l 'avion présidentiel et l ' ont gagnée témoignage oculaire à la fois personnel et collectif, sans
en choisissant une tactique menant le plus rapidement que les deux dimensions soient systématiquement dis
possible à la victoire, alors qu ' une autre, plus coûteuse tinguées . Une modalité de témoignage qui n'est pas fami
en temps, aurait permis de porter secours aux Tutsis. lière aux Occidentaux, voire qui les gêne en raison de
Enfin, Abdul Ruzibiza qualifie de génocide les tue l' arrière-plan juridique auquel est reliée la notion de
ries massives de Hutus perpétrées par I'APR durant témoin : le récit du témoin ne vaut, n'est crédible que si
et après la guerre . ce dernier rapporte ce qu' il a vu ou entendu, lui, per-

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sonnellement . Or, la culture rwandaise admet comme militaire, de forme de la mémoire propre à des sociétés
témoignage le récit d ' un homme qui n'a pas vu, per où la transmission orale demeure vivace, d'organisation
sonnellement, le fait qu ' il rapporte mais tient son récit personnelle de moyens mnémotechniques.
d ' un autre qui, lui, l' a vu et qu' il juge digne de foi . Pour Par ces quelques lignes, j ' ai voulu rendre compte des
avoir mené des enquêtes historiques au Rwanda, j ' ai sou raisons pour lesquelles le long texte de Ruzibiza m'a sem
vent eu l' expérience de ces relations où il n 'était pas facile blé d' un intérêt évident . Il reste qu' au moment où je l ' ai
de trier ce qui tenait à l ' observation personnelle du nar reçu, son auteur n ' était pas un inconnu car son nom était
rateur et ce qui relevait d 'un récit collectif. Ainsi, il est apparu dans le débat public . En effet, dans un article
arrivé à plusieurs reprises qu ' au cours des auditions de du Monde, daté du 10 mars 2004 et consacré à l'atten
témoins reçues dans le cadre du Tribunal pénal interna tat du 6 avril 1994 contre l'avion du président Juvénal
tional pour le Rwanda, le témoin admette, sans se trou Habyarimana, Stephen Smith révélait les conclusions
bler, qu'il n'avait pas observé lui-même le fait dont il était de l' enquête menée par le juge antiterroriste français, Jean-
question mais qu' un autre l ' avait vu et le lui avait dit. Louis Bruguière 1. Selon cette « fuite », l'attentat avait été
Il importe de retenir ce trait culturel pour comprendre préparé et exécuté, sur ordre de Paul Kagame, par un com
comment le récit a été construit et écrit, mais j 'y revien mando (Network Commando) du FPR. Le journaliste
drai plus précisément car le système des enquêtes menées apportait en outre cette précision : « Le témoignage d ' un
au Rwanda et à l' extérieur du Rwanda par Ruzibiza relève ancien membre du Network Commando, le capitaine
bien de ce trait' . Il reste que, lorsqu' il s' agit d ' épisodes Vénuste Josué Abdul Ruzibiza, est au coeur de l'enquête
importants, désireux de voir son ouvrage pris en compte de la justice française . » Or, le 10 mars précisément, le
par des instances judiciaires, l ' auteur fait part, en note, président Paul Kagame entamait une visite de trois jours
de ses sources (noms de témoins qui lui ont relaté ce en Belgique . Il répliqua, le 11 mars, dans une conférence
qu' ils ont vu), précise s ' il en est lui-même témoin ocu de presse donnée conjointement avec le Premier ministre
laire ou non . Enfin, le travail de mémorisation spéci belge, Guy Verhofstadt, en dénonçant une manipulation
fique, effectué pour « caler » le récit sur une chronologie, organisée par le gouvernement français pour masquer
mérite d ' être expliqué car il est un mixte d ' apprentissage sa propre implication dans le génocide et altérer les rela
tions entre le Rwanda et la Belgique . D ' autres médias
1 . Les Rwandais ont un nom personnel, en langue rwandaise
(français, belges, anglais, ougandais, etc .) s' intéressèrent
(kinyarwanda), donné par leur père à la naissance, qui n 'est pas un nom
de famille . Les prénoms, d 'origine étrangère, sont reçus le plus souvent
immédiatement à cette affaire et à la personnalité d'Abdul
en fonction de la religion (catholique, musulmane, protestante, pente
côtiste, etc .) . Ainsi, appeler un Rwandais par son seul nom en 1 . Stephen Smith, « Le récit de l ' attentat du 6 avril 1994 par un
kinyarwanda n 'est pas une familiarité, mais un usage courant au Rwanda . ancien membre du Network Commando », Le Monde, 10 mars 1994 .

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Ruzibiza. Le 11 mars 2004, Colette Braeckman, jour tard, le 14 mars, Abdul Ruzibiza lançait, sur des forums
naliste au quotidien bruxellois Le Soir, bien connue depuis internet rwandais, un texte en kinyarwanda, long d ' une
deux décennies comme spécialiste du Congo Kinshasa, vingtaine de pages . Présentant lui-même son identité et
du Burundi et du Rwanda où elle effectua de nombreux sa biographie, il ne s ' en tenait pas aux seules déclara
reportages, traçait un portrait de Ruzibiza 1. Elle l'avait tions sur l'attentat qu'il considérait comme une péripétie,
rencontré en mai 2003, à Kampala. Il lui avait révélé « sans une opération caractéristique de la politique de Kagame.
trop se faire prier » qu'il avait fait partie du Network Pourquoi cette soudaine intervention publique ? Lors de
Commando, se montrait prêt à « vendre » son récit à qui sa conférence de presse du 11 mars, à Bruxelles, le pré
s'y intéresserait et « était déjà en contact avec les Français ». sident Kagame, répondant à une question en kinyarwanda,
Par ailleurs, Colette Braeckman exposait brièvement son l' avait traité de « petit voyou sans adresse » . Furieux,
scepticisme sur les révélations de Ruzibiza qui ne lui parais- Ruzibiza rédigea d' une seule traite son témoignage-
sait pas « convaincant » . La journaliste, il est vrai, avait pamphlet contre Paul Kagame et le FPR . Traduit en fran
soutenu à propos de l'attentat contre l'avion du président çais, il circula dans de nombreux réseaux internet.
Habyarimana, dès 1994, la thèse d 'un complot ourdi
par des extrémistes hutus qui en auraient commandité Présentation du document
l'exécution à des militaires français . Elle rapportait enfin Après lecture du manuscrit, il m ' est apparu nécessaire
des informations données par d '« anciens compagnons de savoir si Ruzibiza en était bien l ' auteur exclusif, puis,
d'armes » qui démentaient la présence de Ruzibiza à Kigali une fois ce point éclairci, de comprendre comment il
le 6 avril, et ajoutaient qu'il avait fui en Ouganda après avait procédé pour construire cette très longue relation
avoir été « accusé de malversations financières » . De son des pratiques de l 'APR (de 1990 à 2001) . Le meilleur
côté, Ruzibiza fit des déclarations le 10 mars sur la chaîne moyen était de le rencontrer . En compagnie d 'André
publique flamande VRT, confirmant l 'implication de Paul Guichaoua 1 , je me rendis à Oslo où, durant deux jour-
Kagame dans l 'attentat. J'y reviendrai plus longuement nées et demie, nous avons posé à Ruzibiza de multiples
mais ce bref aperçu du dossier de presse concernant Abdul questions sur le manuscrit et effectué un entretien enre
Ruzibiza fait comprendre pourquoi sa position de témoin gistré de plusieurs heures portant sur sa biographie et sur
du juge Bruguière s'est trouvée immédiatement prise dans ses méthodes de travail . À l'évidence, Ruzibiza était bien
des controverses publiques internationales, anciennes et l'unique auteur du document : ses réponses à nos inter
dont la virulence n'a jamais faibli . Quelques jours plus rogations sur des éléments précis le démontraient sans

1 . Colette Braeckman, « Vénuste Abdul Ruzibiza, le témoin surprise », 1 . André Guichaoua rapporte dans la postface de cette édition com
Le Soir, 11 mars 2004. ment il en est venu à travailler avec Ruzibiza .

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L HISTOIRE SECRETE 17
PRÉFACE

équivoque . Par ailleurs, l ' entretien a été l ' occasion de trie masquée : les négociations de paix ont beau être menées
reconstituer sous forme orale, et en prenant tout le temps sous l'égide de pays extérieurs ou de la communauté inter
nécessaire, son histoire personnelle, la maturation et l ' éla nationale, chacun des deux chefs de guerre ne songe qu ' à
boration de son livre. remporter par les armes une victoire définitive, le
md
ascre es populations civiles étant un élément essentiel de
Le document avait été intitulé, dans un premier temps, leur stratégie . Ainsi écrit-il : « Le plus souvent, les gens
« Journal de campagne du lieutenant Abdul Ruzibiza », n'ont pas réalisé que tout ce qui s' est passé était la consé
titre qui correspondait sans doute au projet initial de quence directe d ' un plan élaboré secrètement par le FPR
l 'auteur : écrire, au jour le jour, ce qu ' il avait vu et vécu
d' une part, et par le MRND d ' autre part via ses services
en tant que militaire de l 'APR, depuis octobre 1990 . En de sécurité et de renseignement, ainsi que par l'Akazu 1
réalité, le texte ne retient que formellement les traits d' un (p. 83-84) . » Cette certitude d ' une planification à long
journal de campagne : si la rédaction est articulée par terme de la guerre civile n'a rien d' original et Ruzibiza
une chronologie fine, les récits de choses vues sont mêlés la partage avec beaucoup d 'autres Rwandais qui l ' ont publi
à des données précises sur l ' organisation militaire, au quement exprimée dans des forums internet, dans des
rappel des principaux événements politiques et diplo ouvrages . Toutefois, ces versions intentionnalistes de l'his
matiques liés à la guerre civile, à des analyses portant sur toire n'admettent et ne dénoncent le plus souvent qu ' un
les mobiles des principaux acteurs ainsi qu ' à la dénon unique « planificateur » : Paul Kagame pour les uns, Juvénal
ciation de leurs crimes . La relation spécifiquement mili Habyarimana (et son groupe) pour les autres . La thèse
taire demeure cependant prépondérante : l ' auteur lui d' une double planification est plus rare mais elle a déjà été
consacre les plus longs développements, ses témoins sont soutenue notamment par d ' autres Tutsis du FPR, ayant
exclusivement des militaires . Cependant, même en ce fui le Rwanda et qui l ' ont rendue publique en en faisant
qui concerne la description de la guerre vue du côté FPR, parfois explicitement la raison de leur dissidence . Ainsi,
Ruzibiza ne s' en tient pas à un récit spécialisé, technique. entre autres exemples, le 21 avril 2000, Jean-Pierre
Ce récit existe bien mais il n ' est pas indépendant des Mugabe, journaliste et ancien agent de renseignement de
deux impératifs qui charpentent l' ensemble du texte. l'APR, ayant obtenu le statut de réfugié politique au États-
Dévoiler la vérité constitue le premier impératif. Unis, publiait un long témoignage où il montrait com
Ruzibiza est certain que les deux rivaux, le président ment une guerre totale avait été préparée des deux côtés car
Habyarimana et Paul Kagame, avaient chacun conçu un « les généraux Habyarimana et Kagame savaient bien que
plan pour monopoliser le pouvoir et n ' entendaient pas
seulement vaincre l ' ennemi, mais le détruire . C ' est pour
1 . L'entourage du président Habyarimana était surnommé Akazu
quoi il interprète leurs actes selon la logique d ' une symé- (« petite maison ») .

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le partage du pouvoir en vertu des Accords d 'Arusha ne ment. C' est sa détermination à écrire qui le rend diffé
renforçait aucun des deux » . Mugabe accusait Paul Kagame rent, une détermination ancienne et qui n'a pas faibli en
d' avoir organisé l' attentat du 6 avril 1994 contre l 'avion dépit des obstacles : ne pas s' en tenir à témoigner une
présidentiel1 . fois pour toutes sous la forme d' un pamphlet, ou d'une
Le second impératif tient à la conviction que le der « Lettre ouverte » à des représentants de la communauté
nier espoir de paix pour le Rwanda réside dans l 'action internationale, mais écrire longuement, détailler, accu
judiciaire : les criminels, tous les criminels, doivent être muler les descriptions et les arguments afin de convaincre
jugés . Cette conviction explique pour une large part la du caractère mensonger de l'histoire officielle construite
rédaction de Ruzibiza . Les récits d' exactions sont sou- par le FPR après sa victoire de juillet 1994.
vent écrits dans une perspective de procès : « Je me suis
limité aux seuls cas sur lesquels je dispose de preuves suf- Je procéderai tout d' abord à une présentation ana-
fisantes et pour lesquels il existe des témoins oculaires, lytique de ce long document afin d ' en faciliter la lecture.
c'est-à-dire des témoins qui sont prêts à témoigner sans La version communiquée par l' auteur a reçu les cor
la moindre hésitation devant les tribunaux (p . 83). » En rections (orthographiques, grammaticales, éclaircisse
effet, les scènes de massacres, relatées avec une forme de ment de rédactions ambiguës) indispensables à une mise
précision qui peut sembler maniaque et répétitive, sont en forme pour l 'édition ; j 'ai également ajouté les notes
souvent associées à une liste de noms comme si l 'auteur d'informations factuelles qui m'ont paru nécessaires à la
prévoyait des questions posées dans le cadre d ' une compréhension du texte.
enquête judiciaire . Là encore, Ruzibiza rejoint nombre
de ses compatriotes pour qui la justice internationale Première partie : de la «guerre d'octobre » 1990
faillirait tant que les actions criminelles du FPR ne à l'entrée officielle du FPR à Kigali
feraient pas l' objet d'enquêtes et d'inculpations. Cette partie relate les stratégies de l'APR depuis l 'échec
Ainsi, la position du lieutenant Abdul Ruzibiza sur la de son attaque du 1er octobre 1990 jusqu'à la fin de l 'an-
guerre civile rejoint-elle celle d ' autres Rwandais, même née 1993, trois années durant lesquelles le général-major
s'ils demeurent peu nombreux à l ' exprimer publique- Paul Kagame poursuivit sans relâche trois objectifs : main-
tenir à tout prix sa pression militaire pour mettre le FPR
1 . Témoignage de Jean-Pierre Mugabe sur l 'assassinat du président
Habyarimana, The International Strategic Studies Association, Website :
en position de force durant les négociations par la
www.StrategicStudies .org, « Déclaration sur l ' attentat contre l' avion démonstration de sa capacité d'attaque ; s'emparer d ' une
dans lequel les présidents Habyarimana du Rwanda et Ntaryamira du large portion de territoire au Nord qui servirait de base
Burundi trouvèrent la mort le 06 avril 1994 », http ://www.empereur. pour partir à la conquête armée du pouvoir ; créer un
com/habyarimana2 .html . climat de chaos dans le pays . Le plan militaire ne put

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aboutir à cause du soutien actif des Français aux Forces Rwandais exilés en Ouganda . L'auteur explique le res
armées rwandaises (FAR) mais le FPR remporta une vic pect dont jouissait Rwigyema par son génie militaire,
toire décisive au plan diplomatique . En effet, selon par sa proximité des hommes de troupe et par sa
Ruzibiza, le départ de l ' essentiel des forces françaises en clairvoyance politique, mais son charisme provenait essen
mars 1993, acquis à la négociation de Dar es-Salaam du tiellement de cette vertu propre aux héros épiques : la
6-8 mars, fut une catastrophe pour les FAR . De plus, la magnanimité . Parce qu ' il était magnanime, le général
création d ' une zone démilitarisée entre le sanctuaire Rwigyema, « aimé de tout le monde », avait surmonté
du FPR et la partie contrôlée par le gouvernement la haine ethnique et se montrait prêt à accueillir sans
permit d ' introduire et de cacher des armes à l ' insu des obser réserve des Hutus dans le mouvement de libération
vateurs tout en procédant à l ' entraînement intensif des pourvu qu'ils fussent sincères . Il envisageait une guerre
soldats en vue de l ' attaque finale. Enfin, l' entrée officielle longue et prudente de façon à minimiser les pertes en
à Kigali de troupes et de représentants du FPR (le vies humaines, celles des soldats et celles des civils, de
28 décembre de la même année) a été un atout capital façon aussi à montrer aux Rwandais que le mouvement
pour la mise en oeuvre du plan conçu par Paul Kagame 1 . de libération n'était pas le fait de leaders tutsis revan
Le récit militaire ouvre la « guerre d 'octobre » sur chards mais une lutte menée au nom d ' idéaux démo
un événement lourd de conséquences, un événement cratiques . Le sentiment de Ruzibiza, sentiment qu'il dit
dans lequel l 'auteur lit l ' origine de la tragédie rwandaise. très partagé au FPR, est que, si Fred Rwigyema avait
Ce fut, le 2 octobre, l ' assassinat du général-major Fred vécu, la catastrophe que fut le génocide des Rwandais
Rwigyema par des éléments de l 'APR . Selon Ruzibiza, tutsis n'aurait pas eu lieu . Contraste, trait pour trait, avec
Rwigyema était le seul à pouvoir organiser et armer une cette figure du héros généreux, le personnage de Paul
guérilla, formée de déserteurs rwandais de l 'armée ougan Kagame, tel que le dépeint Ruzibiza . Déjà, ce dernier
daise, parce que, ancien chef d 'état-major du président était détesté en Ouganda où il exerçait des fonctions
Museveni, il était intouchable dans les plus hautes sphères au sein de la DMI (Directorate of Military Intelligence)
gouvernementales ougandaises et surtout parce qu 'il à cause de ses méthodes meurtrières . Paul Kagame,
jouissait d ' une grande popularité auprès des jeunes imposé de force à des troupes désemparées qui n'en vou
laient pas, les réorganisa et instaura une discipline fon
1 . En effet, elle permit de faire entrer secrètement des armes ainsi
dée sur la terreur. Les premières opérations qu 'il
que plusieurs centaines de soldats dans Kigali, renforçant les 600 soldats commanda en personne entraînèrent des massacres de
autorisés par les accords d ' Arusha. HUMAN RIGHTS WATCH, FÉDÉ-
RATION INTERNATIONALE DES LIGUES DES DROITS DE L'HOMME, Aucun populations civiles . Puis, dans la seconde moitié de l ' an
témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Paris, Karthala, 1999, née 1991, il commença à réaliser son projet de désta
p . 214 . bilisation du pays en faisant poser des bombes sur les

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routes et dans des endroits très fréquentés . Durant ces je voyais ces commandos, je pensais que c'était comme ça.
trois années, il fit du combat mené par le FPR une guerre Mais, arrivé au front, c'est dur. On n'a pas de quoi man
sans merci, conduite au mépris de la vie des populations ger, on boit de l 'eau laissée dans les trous où les buffles ont
quelle que soit leur ethnie et sans se soucier des massacres piétiné, de l'eau avec des insectes, des crapauds, des choses
de représailles à l ' égard des civils tutsis. comme ça. On la boit, on n'a pas de quoi manger. Tout
La relation des épisodes militaires qui ont eu lieu est dur. C ' était la période où nous subissions de lourdes
durant ces trois années, très détaillée, comporte des élé pertes, où la contre-offensive des FAR était vraiment
ments inédits jusqu'à présent . On ne peut donc la intense . J'étais un peu déçu ! Suite à tout cela, nos mili
confronter à d 'autres récits . Quoi qu ' il en soit, très taires s'en prenaient aux civils . Ils leur disaient :Avant,
vivante, la version composée par Ruzibiza à partir de ses on vous parlait de notre politique du FPR, vous nous com
souvenirs et ceux de ses camarades montre comment, preniez bien, maintenant, vous êtes allés nous trahir chez
après la catastrophe initiale que fut la disparition du chef, les FAR . Comment sont-ils arrivés à savoir que nous
l'APR, réorganisée et de mieux en mieux armée, applique sommes là ?" Il y avait une déception totale, mais on
une stratégie de guérilla qui lui fait remporter des vic pensait qu' on allait peut-être se relever . Puis Kagame est venu,
toires jusqu 'à ce que les Français, encadrant efficacement on ne l'acceptait pas mais il a fini par nous diriger . Il a ins
les FAR, bloquent leur avancée1 . tauré son système de terreur et c 'est tout 1. » A partir du
En octobre 1990, Ruzibiza avait vingt ans . Il arrive dans 30 octobre, Ruzibiza reprit l 'entraînement militaire et fut
la zone encore contrôlée par l 'APR dans la nuit du 21 de toutes les attaques. En février 1993, recruté par la DMI
au 22 octobre après quelques jours d ' entraînement. « C 'est pour faire partie du Network Commando, il participe à l'in
une confusion totale . Je trouve toute une armée en déban troduction clandestine d ' armes et de munitions à partir
dade . On n' ose pas annoncer que le chef est mort, ceux de l'Ouganda et à la préparation de leurs cachettes, puis
qui l' ont remplacé ne veulent pas le dire clairement, donc à des missions de renseignement dans le pays.
nous sommes comme des gens sans commandement . Je Si l'auteur veut montrer comment Paul Kagame n'a
n' avais pas cette idée-là de l' armée, je pensais que tout était reculé devant aucun sacrifice de vies humaines pour s 'em
organisé . Je voyais ça comme dans les films, les Stallone, parer du pouvoir, il n' en dénonce pas moins la politique
criminelle de Juvénal Habyarimana, lui aussi, prêt à tout
1 . Tout au long du document, deux puissances étrangères sont à plu-
pour le conserver. Le récit chronologique est effrayant.
sieurs reprises accusées par l ' auteur d ' avoir soutenu militairement les
deux belligérants (et ce, en dépit des différents accords de neutralité, de
De chaque côté, les tueries de civils font partie intégrante
non-livraison d ' armes, de non-participation aux combats) : la France, d' une stratégie basée sur un pur rapport de forces armées
sans qui les FAR auraient été vaincues en 1993 ; l ' Ouganda, qui servit
de base arrière au FPR et par où transitaient les armes de la guérilla . 1 . Entretien à Oslo, 24 avril 2005 .

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PRÉFACE

(qu' il s' agisse de militaires, de miliciens, de commandos) pétré le génocide des Rwandais tutsis . Le récit de
si bien qu ' à la date du 5 octobre 1993, lorsque l ' ONU Ruzibiza, dans cette partie et dans la suivante, accumule
crée une Mission d' assistance des Nations unies pour les éléments qui prouvent, selon l ' auteur, que, sous la
le Rwanda (MINUAR), chargée de faire appliquer les direction de Paul Kagame, le FPR n ' a pas été moins actif
accords de paix, le lecteur a le sentiment qu ' en réalité, le dans la ruine de toutes les tentatives de pacification.
pays est déjà tout entier plongé dans une guerre civile
irréversible 1 . Le sentiment d ' effroi provient évidemment Deuxième partie : « l'Apocalypse »
de ce que le lecteur connaît l ' atroce dénouement qui sur- Les multiples commémorations médiatiques qui ont
viendra quelques mois plus tard . Mais il provient aussi lieu, chaque année, au mois d ' avril, rappellent que la
de ce que toutes les médiations, destinées à empêcher les guerre civile rwandaise a entraîné l ' une des tragédies les
adversaires d ' aller jusqu ' au bout de leurs plans meur plus meurtrières de la dernière décennie du xxe siècle :
triers, restent sans effet : les partis politiques opposés aux un génocide « à la machette » . Cette formule, ressassée,
plans ethnistes du pouvoir éclatent et leurs tendances a fini par condenser une représentation simplificatrice de
« Hutu Power » rallient le camp de ceux qui veulent une l' événement : un crime de masse commis par des Hutus
« solution finale » . Les accords de paix, signés sous pres qui « levèrent la machette » sur leurs voisins tutsis1 .
sion internationale, n' empêchent pas que chacun s 'arme Cependant, j 'en ai souvent fait l ' expérience, l ' attentat du
le plus possible. 6 avril 1994 contre l'avion présidentiel reste présent dans
Bien des observateurs, universitaires et non universi les mémoires, moins parce qu ' il déclencha la reprise de
taires, ont déjà décrit, rétroactivement, cette marche for la guerre et le massacre des Tutsis que parce que
cée vers le pire . Mais, le plus souvent, ils font porter aux dlu'ciotmeaéntrsxécufil
'io bjet de nom-
autorités issues du régime Habyarimana la
responabiltécdeasrophcqu
'e lles ont per-
1 . En 2004, lors de la commémoration, qui eut un éclat médiatique
international, les descriptions de massacres, organisés et perpétrés par
1 . James K . Gasana, qui fut ministre de la Défense nationale (le des tirs d ' armes à feu, des jets de grenade, à la machette, au gourdin, ont
premier civil dans ce poste), suivit les négociations d 'Arusha puis s'exila le plus souvent fait place à l ' image d' un tueur à la machette, individua
le 19 juillet 1993 en Suisse, car sa vie était menacée, a montré de façon lisé, accomplissant son crime au plus près de chez lui . Un éditorial du
précise comment les deux adversaires recouraient à une stratégie de ten Monde, le 9 mars 2004, reprend cette image de façon on ne peut plus
sions fondée sur les massacres et les assassinats . Originaire de la préfecture explicite : « Les premiers [les Tutsis] furent victimes du "crime des
de Byumba, le premier territoire conquis par le FPR, il donne beaucoup crimes", celui consistant à vouloir anéantir des hommes pour ce qu ' ils
d'éléments sur la politique d'élimination de la population hutue de cette sont ; les seconds [les Hutus], opposants à la dictature ethnique, furent
préfecture par le FPR dès l 'attaque de 1990 . James K. Gasana, Rwanda : mis à mort comme "traîtres" , parce qu' ils refusèrent de lever la machette
du parti-État à l 'État garnison, Paris, l'Harmattan, 2002 . sur leurs voisins (souligné par nous) . »

26 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE PRÉFACE 27

breuses supputations, théories et investigations, suivies Hutu Power auraient éliminé celui qu'ils soupçonnaient
d ' âpres débats . C ' est que l ' énigme de l ' attentat contre de s ' être résigné à appliquer les accords d ' Arusha ;
Juvénal Habyarimana suscite un intérêt de même type selon certains, enfin, des Français auraient prêté main-
que l' attentat de Dallas contre le président Kennedy : elle forte, selon d ' autres, ce serait des Belges . . . quoi qu ' il
constitue un chapitre relevant de l 'histoire-complot, un en soit, Juvénal Habyarimana devait périr de mort
type d ' histoire qui capte l ' attention inlassable de toutes violente' . À. lire Ruzibiza, ce fut seulement parce que
sortes de publics . À cet égard, le livre de Ruzibiza ne déce l'attentat contre un avion était techniquement le plus
vra pas les lecteurs . En effet, l ' auteur relate de façon réalisable que le Président fut tué le 6 avril 1994 . Sans
détaillée l ' ultime réunion de préparation de l 'attentat diri quoi, il aurait dû être éliminé dès l ' année 1993, après
gée par Paul Kagame, le choix de l ' armement, le départ des forces militaires françaises . Le comman
l'introduction clandestine des missiles à Kigali, le repérage du dement du FPR, se sentant désormais capable de gagner
site de tir et l 'exécution de la mission . Son récit est le plus la guerre, l ' avait décidé et n ' attendait qu ' une occasion
précis de ceux qui furent jusqu ' à maintenant rendus opportune.
publics par des dissidents du FPR 1 . La chronologie des trois premiers mois de l ' année
Si l ' on en croit nombre d ' observateurs étrangers, 1994, reconstituée par l ' auteur, tient déjà du cauche
il y aurait eu une sorte de logique fatale dans l ' assassi- mar car elle détaille principalement les préparatifs meur
nat du président Habyarimana tant des groupes, par triers auxquels procède chaque camp, les propagandes
ailleurs antagonistes, auraient pu y trouver leur compte. d ' appel à tuer avant que d ' être tué soi-même lancées
Par exemple, Alison Des Forges, dans un rapport par des médias sous contrôle d'extrémistes hutus
indispensable à la connaissance du génocide des Rwandais 2, l'assassinat par le FPR d ' un ministre appartenant à un parti
tutsis, rapport qu ' elle a dirigé et en grande partie écrit, modéré entraînant le lynchage du leader de la CDR
retient trois hypothèses sur les possibles commandi (parti qui ne cachait guère son option pour la liqui
taires de l ' attentat : le FPR aurait préféré « une victoire dation des Rwandais tutsis), les massacres ciblés, les
militaire bien claire à un partage du pouvoir au sein
d' une coalition » ; des « Hutus modérés » auraient pensé 1. HUMAN RIGHTS WATCH, FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES

que seule la disparition du Président pouvait empêcher LIGUES DES DROITS DE L' HOMME, op.cit., p . 215-218.
2. Rétrospectivement, la lecture de certains journaux de la presse écri
le déclenchement des violences que son groupe pré
te et des transcriptions de la RTLM (Radio-télévision libre des Mille
parait au vu et au su de tous ; les durs de la tendance
collines) est glaçante, les appels au meurtre des Tutsis sont déjà lancés avant
le 6 avril 1994. On sait combien, après le 6 avril, la RTLM ne cessa d ' ap
1 . Ruzibiza avait déjà publié une première version de l ' attentat, mais peler au carnage systématique . Jean-Pierre Chrétien (dir.) avec Reporters
moins détaillée, dans son témoignage sur internet du 14 mars 2004 . sans frontières, Rwanda. Les médias du génocide, Paris, Karthala, 1995 .

28 RWANDA, L'HISTOIRE SECRETE 29

manifestations violentes, les menaces de coup d 'État. nement intérimaire . Le 17 juillet, la chute de Gisenyi et
Le 1 er mars, faisant allusion à une prophétesse célèbre la fuite du gouvernement mirent fin à la guerre.
vivant au Rwanda avant la colonisation et qui aurait Le récit retrace l ' embrasement immédiat du pays dès
annoncé, à la fin du xixe siècle, l ' arrivée des Européens la nuit du 6 avril : à Kigali, exécution des
ainsi que la chute de la dynastie, un journaliste rwan personnalités politiques qui avaient été opposées au régime
dais écrivait qu'elle avait aussi prédit la mort violente Habyarimana, début des massacres de Tutsis dans plu-
du chef de l ' État suivie d ' une guerre effroyable. sieurs préfectures tandis que des unités de l'APR fai-
Ruzibiza, pourtant peu enclin à l ' exotisme et au pathos, saient mouvement vers la capitale . Puis, jusqu ' au
a retenu la parution de cet article car elle 17 juillet, le document décrit, toujours selon l'ordre
symbolisait, pour lui, le climat de peur qui pesait sur le pays : chronologique, une guerre durant laquelle le massacre
« Il se lisait sur les visages que la guerre sonnait à toutes de populations civiles, désarmées, paraît être le but prin-
les portes (p . 228) . » Des témoins rwandais et non- cipal des forces armées . En effet, l ' énumération et les
rwandais ont, eux aussi, décrit combien les semaines modalités de ces massacres occupent le plus grand
précédant le mois d ' avril furent lourdes d' angoisse pour nombre de pages.
une population qui, même si elle ne savait pas tout, en Ainsi que l ' écrit Ruzibiza, le génocide des Tutsis a
savait assez pour comprendre que la reprise de la guerre été poursuivi sans interruption pendant toute la guerre :
était inéluctable. « Du 7 avril au 4 juillet 1994, date de la chute de Kigali,
Le lieutenant Abdul Ruzibiza (recruté par le rensei il y a 92 jours . Une semaine de plus a été nécessaire pour
gnement militaire en février 1993) avait été chargé, entre exterminer les Tutsis survivants dans la zone Turquoise
autres tâches, de procéder à des reconnaissances de ter- entre Bisesero, Gisovu, Rwamatamu, Karengera (en pré
rain : notamment étudier la topographie régionale de fecture Kibuye) et en préfecture Cyangugu . Soit en tout
Kigali en vue de futurs combats et faire des cartes pour 99 jours, mais si l' on ajoute les assassinats commis durant
le commandement de l 'APR . Le 6 avril 1994, après l 'at les quelques heures suivant l ' attentat du 6 avril contre
tentat contre l ' avion présidentiel, il regagna de nuit le l' avion de Habyarimana, si l 'on ajoute ce jour-là, c 'est
CND (le parlement rwandais, où le FPR avait été 100 jours au total qui furent consacrés au massacre sys
installé en application des accords d 'Arusha) . Reversé dans tématique des Tutsis (p . 328) . » De fait, la chronologie
son ancienne unité, la 59e mobile, il a combattu à Kigali qu' il a construite rend compte de l'acharnement mis à
et dans ses environs durant les trois premiers mois de la détruire les Tutsis : sont relevés des lieux (préfectures,
guerre et du génocide des Tutsis, jusqu 'à la prise de la communes, localités, églises, écoles, stades . . .) de mises à
ville, le 4 juillet. Le lendemain, il partit avec le 9 e bataillon mort, exécutées, sur ordre des autorités, par des militaires,
dans la direction de Gisenyi où s 'était replié le gouver- des gendarmes, des policiers, des miliciens (Interahamwe),

30 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE PRÉFACE 31

des paysans 1 . Ce sont le plus souvent des notations de Kigali, en même temps que dans les préfectures situées
laconiques, par exemple en date du 13 avril : « Début des au nord : Byumba est prise par l 'APR le 21 avril, puis,
massacres des Tutsis en communes Kibilira (préfecture le 27 avril, tombe Rwamagana, en préfecture de Kibungo
de Gisenyi), Butamwa (en préfecture de Kigali Ngari). et, le 30, le poste de Rusumo à la frontière tanzanienne,
Ailleurs, le génocide continue (p . 261) . » Parfois, l'auteur le 2 mai, l'APR s'empare de Kibungo : désormais l'APR,
procède à une description plus précise, comme en date qui n' a cessé de maintenir une pression terrible sur Kigali
du 12 avril : « Des milliers de Tutsis ont trouvé la mort à où les FAR disposent de forces très importantes, encercle
la paroisse protestante de Gikomero où ils s 'étaient réfu la capitale par le nord-est et l 'est. À partir du 3 mai, c'est
giés, croyant que les tueurs allaient respecter l 'église. Ils « la bataille de Kigali » avec la progression irrésistible de
ont été fusillés, tués à la machette en présence et sous l'APR qui s'empare de l' aéroport et du camp militaire
le regard des hauts responsables, comme cela a été dit du de Kanombe le 21 mai. Entre-temps, le 16 mai, des uni
ministre Jean de Dieu Kamuhanda par un jugement du tés de l'APR coupent, au sud de Kigali, la route menant
TPIR. Selon ce jugement, c ' est lui qui a conduit les gen à Gitarama (où le gouvernement intérimaire s'était trans
darmes et les Interahamwe à cet endroit . Ces derniers ont féré dès le 12 avril, et un mois plus tard, le comman
regroupé tout le monde avant d ' ouvrir le feu et de lancer dement des FAR) pour s ' emparer peu à peu des
des grenades dans la foule, les survivants ont été tués à la communes de la préfecture de façon à encercler la ville
machette et avec des gourdins plantés de clous appelés qui est conquise le 13 juin après des engagements achar
« sans pitié » ou « pas de rançon » (ntampongano) . Ce nés, colline par colline, durant plusieurs jours . Le plan
massacre a été précédé par des viols publics de filles et de de Paul Kagame consistant à contourner puis boucler
femmes tutsies triées sur le volet . C'était l' humiliation Kigali est achevé : ne reste plus à la capitale qu' une sor
totale (p . 261). » tie vers le nord-ouest par Shyorongi, dans la direction
Après l' attentat, les combats entre l ' APR et les FAR de Gisenyi . La suite logique était de s'emparer, sans trop
débutent immédiatement dans les quartiers périphériques de difficultés, étant donné la désorganisation des FAR
et des autorités, des préfectures du Sud et de l'Ouest
1 . André Guichaoua, après des enquêtes menées dans le cadre d 'une (Butare, Gikongoro, Cyangugu, Kibuye) . C'est alors que
expertise pour le TPIR, a récemment publié un ouvrage très documenté les troupes françaises de l'opération Turquoise prennent
montrant comment, dans la préfecture de Butare, des autorités adminis position le 22 juin à Goma et à Bukavu, villes fronta
tratives et politiques, ainsi que des notables, se sont effectivement achar-
nés à faire tuer les Tutsis . Démonstration qui apporte des éléments
lières du Zaïre, pour se déployer dans les préfectures
de l' Ouest . Pour le commandement de l'APR, et Ruzibiza
décisifs invalidant la thèse de la fureur populaire spontanée après l ' atten
tat contre l ' avion présidentiel . André Guichaoua, Rwanda 1994. Les poli adhère à ce point de vue, l 'objectif de Turquoise est de
tiques du génocide à Butare, Paris, Karthala, 2005 . stopper l 'avance du FPR et relancer les FAR au combat .

32 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE PRÉFACE 33

Cependant, en dépit de brefs accrochages avec les sol commune de la préfecture de Byumba : « Les ordres
dats français, l ' APR entre dans Butare le 3 juillet, s 'em étaient donnés par le général-major Paul Kagame lui-
pare le lendemain du centre de Kigali, prend Ruhengeri même : il ne voulait pas que l ' ennemi fasse passer quoi
et Gisenyi respectivement le 14 et le 17 juillet . Le reste que ce soit à cet endroit ni qu 'il reste des habitants en vie
des FAR encore au Rwanda s ' enfuit au Zaïre : la victoire parce que des FAR pouvaient se dissimuler parmi eux.
militaire de l 'APR est totale. Effectivement, toute personne qui vivait là-bas a été tuée.
J'ai résumé à grands traits la campagne de l' APR, me Selon un témoin, plus de 500 personnes ont été massa-
bornant à en indiquer la stratégie générale et les suc crées en peu de temps (p . 271) . » Massacres à caractère
cès. Ruzibiza en dit évidemment beaucoup plus et retrace génocidaire (il s ' agit de tuer « sans distinction d 'âge et de
les mouvements des unités, précise les armements utili sexe »), organisés « au plus haut niveau et dans les
sés, cite les noms des principaux officiers, relate par moindres détails » par des « équipes de tueurs profes-
fois des batailles, telles celles qui furent livrées dans la sionnels [. . .] encadrés par des officiers de renseignement
préfecture de Gitarama, retient les moments de plus de la DMI et la garde personnelle du général Kagame »,
grande résistance des FAR, explique le choix de certains de grande ampleur comme celui qui eut lieu le 23 avril,
itinéraires, si bien que le lecteur peut se former une repré- dans le stade de Byumba, où environ 2 500 personnes
sentation correspondant à des récits de guerre classiques. furent mitraillées jusqu'à ce que toutes aient péri, ou mas
Mais la relation ne se borne pas aux affrontements entre sacres moins massifs mais tout autant systématiques.
les deux armées . Elle ne cache pas, bien au contraire, les D'autres équipes devaient faire disparaître les cadavres
massacres constants de populations hutues désarmées par incinération, ou en les jetant dans des fosses septiques,
qui ont suivi chaque prise de ville, chaque investissement ou encore en les ajoutant aux charniers déjà existants
de localités communales, chaque marche d 'un endroit à contenant les corps des Tutsis . Le 12 mai, au lendemain
un autre . Ainsi, dès le 9 avril : « L' unité Alpha mobile d'une rencontre à Byumba avec José Ayala Lasso, haut-
avait déjà commencé à massacrer la population hutue commissaire des Nations unies aux droits de l ' homme,
partout sur son passage, surtout à Buyoga, Mugambazi Paul Kagame ordonne de rassembler une foule en fuite
et Rutongo . Ceux qui étaient arrêtés sur les chemins et de tuer tout le monde : « Finalement, il est monté lui-
devaient aider à porter l 'armement militaire puis étaient même dans sa jeep et a mitraillé la population rassemblée
tués et laissés sur la route lorsqu' ils étaient épuisés au canon 12 .7 machine gun antiaérien . Plus de 800 per
(p. 255) . » En date du 12 avril, un intertitre, « Début du sonnes furent tuées ce jour-là (p . 294) . »
génocide des Hutus », fait écho à celui placé en date En fait, la relation de la guerre au sens militaire est
du 7 avril, « Début du génocide des Tutsis » . Tueries tac- constamment submergée par la description d 'une poli
tiques, comme celle qui fut exécutée le 21 avril dans une tique de massacres où les assassins des deux camps

34 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE PRÉFACE 35

doivent tuer le plus possible. La lecture en est difficile, dans tous les secteurs de la commune et tua les religieux
éprouvante, jusqu ' à produire parfois un sentiment d ' ir- ainsi que les enseignants civils du petit séminaire de
réalité et l ' on comprend que beaucoup de ceux qui ont Rwesero 1 .
écrit sur le Rwanda de l ' année 1994 aient souvent uti- Ainsi, l' auteur affirme-t-il avec force qu ' il y a eu plani-
lisé les termes d ' enfer et de cauchemar . À sa façon, fication des massacres de Hutus par le haut comman-
Ruzibiza restitue l ' infernal quotidien . Relevant, en date dement du FPR, une planification concomitante de la
du 12 au 16 mai, les appels du Premier ministre et des guerre . La victoire, loin de faire cesser les tueries, ne fit
hauts responsables de la préfecture de Butare à continuer qu' en transformer les modalités d ' organisation. C ' est
de traquer les Tutsis qui auraient réchappé et à se lancer donc une organisation centrale restructurée et de nou-
contre l' APR avec des lances, des machettes, des gour- velles modalités de mises à mort que détaille le texte :
dins, des arcs et des flèches (une contre-offensive sui- captures dans toutes les communes du Rwanda, trans-
cidaire qui s' est soldée par un carnage chaque fois qu ' elle fert des prisonniers en différents lieux, exécution avec
a été pratiquée), il termine ainsi cette séquence : « Ailleurs, semblant ou pas de jugement, incinération des cadavres.
rien d' exceptionnel ne s ' est passé. Les Interahamwe sou- Cette phase de massacres, commençant en juillet 1994,
tenus par le Gouvernement ont continué à massacrer les dura selon Ruzibiza jusqu ' à la fin de l ' année 1996 2 .
Tutsis. Il n'y a pas eu de trêve non plus du côté de l 'APR,
des militaires triés sur le volet ont continué eux aussi à
1. Le bourgmestre de Giti, Édouard Sebushumba, fut félicité en
massacrer la population civile hutue (p . 296) . » 1996 par le président de la République, Pasteur Bizimungu, pour avoir
La recension des tueries commises contre les civils sauvé les Tutsis de sa commune . Quant aux Hutus, assassinés en avril
hutus comporte toujours les noms des officiers qui les 1994 par l'APR, il n' en fut jamais rien dit officiellement . Léonard
ont dirigées ; de plus, et ce de façon répétitive, il est Nduwayo, docteur en médecine de l ' Université nationale du Rwanda,
dit que les ordres d ' exécution émanaient du général- né dans cette commune et vivant en France où il travaille dans un hôpi-
major Paul Kagame . Selon Ruzibiza, l ' objectif principal tal, a mené une enquête sur ces massacres auxquels il ne crut pas tout
d'abord (à cette époque, il poursuivait des études en France) . Il a relaté
des massacres commis au Nord-Est et à l 'Est était de vider
son enquête qui confirme les massacres de Giti (et d ' autres massacres)
ces régions afin de créer des zones de peuplement pour dans un ouvrage appelant à la justice pour tous, pour les Rwandais tut-
d' anciens réfugiés tutsis venant de l ' Ouganda . Récusant sis et pour les Rwandais hutus . Léonard Nduwayo, Giti et le génocide
le mobile de la vengeance ethnique, l ' auteur cite le cas rwandais, Paris, l'Harmattan, 2002.
de la commune Giti, en préfecture de Byumba, où aucun 2. Deux témoins rwandais hutus ont publié un récit des massacres
Tutsi ne fut tué parce que les autorités communales réus- de familles entières perpétrés par le FPR au lendemain de la victoire.
Ils ont également témoigné du massacre des Rwandais tutsis exécutés
sirent à les protéger. Lorsque la commune fut investie,
par des Interahamwe et ordonnés par des autorités administratives.
le 15 avril, l'APR procéda à des massacres importants Il s' agit, pour la région de Butare, de Charles Karemano, Au-delà des

36 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE PRÉFACE 37

Tout au long des pages consacrées à la période du La fin de la seconde partie, intitulée « Le FPR est-il
6 avril au 17 juillet 1994, l ' auteur conserve un ton dis- le sauveur des Tutsis comme on le dit ? », contraste avec
tancié, rapporte le plus souvent les événements qu ' il a la réserve qui a prévalu jusqu ' alors. L' auteur intervient
reconstitués comme s ' il en était un chroniqueur exté- personnellement, argumente, accuse . Il dénonce à nou-
rieur. Lorsqu'un « nous » survient, il désigne non pas un veau l'indifférence de Paul Kagame et de son groupe aux
petit groupe bien spécifié mais l 'APR en tant qu' ensemble conséquences de leur stratégie pour les Tutsis vivant au
de soldats (les hommes de terrain que nous étions, on Rwanda . Tout d' abord, ils savaient par expérience qu ' un
nous apprenait, nous étions inquiets, nous avons répli- attentat contre le Président déclencherait immédiate-
qué avec des bombes . . .) . Quant au « je », il sert exclu- ment des massacres importants de Tutsis, massacres qui
sivement à la démonstration (comme je l ' ai dit, je l'ai justifieraient l'intervention de l ' APR contre les autorités
évoqué, je donne la liste . . .) et pourrait tout aussi bien de Kigali . Ils ont cependant pris ce risque . Pire encore,
être remplacé par un « on » (on sait que, etc .) ou un Ruzibiza soutient que la stratégie militaire conçue par
« nous » de modestie . Les qualificatifs sont rares (deux Paul Kagame n ' a pas eu pour objectif prioritaire de
fois le terme « atroce ») . On pourrait soupçonner Ruzibiza défendre les Tutsis menacés d ' extermination : « Je suis
d' avoir pris une posture académique d ' objectivité pour convaincu que nous (les militaires de l'APR) avions la
donner à son texte plus de crédibilité . Ce serait, à mon capacité et la volonté de sauver beaucoup plus de Tutsis
sens, une erreur . En fait, cette neutralité de l ' écriture, que nous l'avons fait, mais la clique placée à la tête de
cette froideur, cette attitude d ' un narrateur qui ne cède l ' armée patriotique rwandaise et à la tête du FPR a tout
pas à l'émotivité relèvent de la culture rwandaise : on ne fait pour ne pas nous permettre de les secourir (p . 347) . »
livre pas ses sentiments publiquement, on ne révèle pas Suit une longue analyse de la stratégie de Kagame à
son agitation. Ce maintien d ' impassibilité n'a pas man- laquelle il confronte une autre stratégie possible qui aurait
qué de surprendre les Occidentaux entendant (ou voyant, aussi abouti à la victoire mais sans sacrifier la presque
lorsqu'ils étaient filmés) les récits de rescapés qui avaient totalité des Tutsis I . Au lieu de concentrer l ' essentiel des
perdu leurs parents, subi d ' abominables sévices, vu des
scènes d' épouvante I . l'auteur est constamment exprimée, ainsi que ses sentiments et ceux de
son entourage face à l ' horreur. Lieutenant général Roméo Dallaire, J'ai
barrières. Dans les méandres du drame rwandais, Paris, l' Harmattan, serré la main du diable. La faillite de l'humanité au Rwanda, Québec,
2003, et pour la région de Gitarama, d' Édouard Kabagema, Carnage Libre expression, 2003.
d 'une nation . Génocide et massacres au Rwanda, 1994, Paris, 1 . Roméo Dallaire partage ce sentiment que la stratégie de Paul
l ' Harmattan, 2001. Kagame n' a pas eu pour objectif principal d ' épargner la vie des Tutsis de
1 . Le témoignage de Roméo Dallaire est d'une tout autre tonalité : l 'intérieur. Mais, à la différence d 'Abdul Ruzibiza, il pense que l 'APR
le récit est certes celui d ' un militaire, mais l ' implication personnelle de aurait pu remporter plus rapidement la victoire : « Cela ne fait aucun

38 RWANDA, L'HISTOIRE SECRETE PRÉFACE 39

forces sur la prise de Kigali, il aurait fallu déployer les la guerre contre les « infiltrés » au nord du Rwanda de
unités dans tout le pays selon plusieurs scénarios pos- 1996 à 2000 . Elle montre que l' usage de la force armée
sibles, scénarios qu ' analyse Ruzibiza . En voici la conclu- et les massacres de populations désarmées ont été les prin-
sion : « Sur la carte 4 montrant la progression des forces cipaux moyens de la politique menée par le pouvoir
de l'APR, on constate bien que les génocidaires hutus durant cette période I .
ont librement perpétré le génocide au moment où le FPR Certains camps regroupaient des dizaines de milliers
se concentrait sur Kigali, où ses troupes étaient prises par de déplacés qui provenaient des régions occupées jus-
des combats inutiles, ou même par des massacres de civils qu' au 21 août 1994 par l'opération Turquoise . Après
hutus ne participant pas au génocide . Cette carte indique plusieurs mois d ' offensives contre ces sites, ne restait
que près de la moitié du territoire national est restée sans en avril 1995 qu ' un seul camp important, à Kibeho,
qu ' aucun secours de 1 ' APR ne soit apporté aux Tutsis. comprenant plus de 100 000 personnes . Dans ce camp,
Les régions à forte concentration de Tutsis ont été les sous la protection d ' organisations onusiennes (la
plus éprouvées et le FPR n'y est parvenu qu ' après avoir MINUAR et le HCR), Médecins sans frontières (MSF)
obtenu ce qu ' il voulait, à savoir la ville de Kigali . Même apportait des soins et des secours . Paul Kagame, vice-
dans la ville de Kigali et ses environs, l'APR se concen- président du Rwanda et ministre de la Défense, prit la
trait sur certaines cibles et laissait les Tutsis mourir comme décision de le détruire . Il est vrai qu ' à Kibeho, se
des mouches alors qu ' elle prétendait vouloir stopper les cachaient encore des Interahamwe, possédant quelques
massacres (p. 362) . » armes, mais peu nombreux. Le 22 avril, vers 13 heures,
des soldats de l ' APR encerclèrent le camp, tirèrent à
Troisième partie : le FPR au pouvoir l 'arme lourde, à la mitrailleuse, lancèrent des grenades
La dernière partie du document comporte trois sur la foule compacte ; ils récupéraient ceux qui réus-
séquences principales : le démantèlement des camps sissaient à prendre la fuite pour les tuer plus loin . Le
de déplacés hutus qui existaient encore au Rwanda en récit d'Abdul Ruzibiza, composé avec l ' aide de ses
1995, l'attaque des camps de réfugiés au aire en 1996, témoins militaires, reconstitue la préparation straté-
gique de l ' attaque (équipement en armes des pelotons,
doute : la responsabilité du génocide rwandais incombe exclusivement
aux Rwandais qui l'ont planifié, commandé, supervisé et finalement 1 . « The regime that slaughtered a million people was destroyed in
dirigé. [ . . .] mais les morts rwandais peuvent être aussi attribués à Paul 1994, but the nightmare didn't end. With the Hutus beaten, the Tutsis are
Kagame, ce génie militaire qui n'a pas accéléré sa campagne quand l ' en- exacting revenge. Nick Gordon revisits the killing fields of Rwanda . »
vergure du génocide fut manifeste et qui, en quelques occasions, m ' a Ainsi commence un article du journaliste Nick Gordon, « Return to
même entretenu avec candeur du prix que ses camarades tutsis auraient hell », Sunday Express, 21 avril 1996 . Il s' agit de l'un des rares reportages
peut-être à payer pour la cause . » Roméo Dallaire, op . cit., p. 632 . sur les exécutions de masse ayant suivi la victoire du FPR .

40 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE PRÉFACE 41

organisation de l ' encerclement, enlèvement des cadavres) Troisième séquence . La « guerre des infiltrés » fit rage
et nomme les principaux responsables . Un récit de au nord du Rwanda, dans les préfectures de Ruhengeri
massacre terrifiant comme tant d 'autres dans ce texte . Mais et Gisenyi . D'anciens éléments des FAR et des
ce massacre eut des témoins occidentaux qui alertèrent Interahamwe intervenaient, à partir du Zaïre, non loin
les médias . Le lendemain, le président de la République, des frontières, pour tuer des Tutsis ainsi que des Hutus
Pasteur Bizimungu, et son vice-président, Paul Kagame, qui avaient été nommés dans la nouvelle administration.
se rendirent dans le camp, justifièrent l ' intervention Leur but était de chasser le FPR du Nord et de consti-
armée et déclarèrent un bilan de 300 morts . En réalité, tuer une base d' où attaquer le nouveau pouvoir . Ils
il y en eut des milliers 1 . s' étaient donné le nom de PALIR (Peuple en arme pour
À l' automne 1996, l'APR attaqua à l 'arme lourde tous la libération du Rwanda) et leurs pratiques consistaient
les camps de réfugiés (plusieurs centaines de milliers) à poursuivre, autant que possible, le génocide des Tutsis
situés au Kivu, à l ' est du Zaïre, en recourant à ses et à liquider les Hutus qui ne soutenaient pas leur mou-
méthodes habituelles : une partie des réfugiés fut forcée vement . Connaissant bien la région, connaissant aussi
de prendre le chemin du retour, une autre partie s ' enfuit la population qui avait déjà beaucoup souffert de l'APR,
à l' intérieur du Zaïre, traquée par les soldats de I'APR 2 . ils comptaient sur son appui qu'ils extorquaient de gré
ou de force, ils l ' utilisaient comme bouclier . Pour lutter
1. Plusieurs volontaires de MSF, qui étaient sur place à Kibeho, ont contre cette menace bien réelle, le pouvoir engagea une
écrit des témoignages sur ce qu 'ils avaient vu . Un autre témoin oculaire, politique de terreur et traita les habitants de ces régions
Paul Lowe, photographe à l ' agence Magnum, a fait un récit dont des comme s'ils étaient eux-mêmes des insurgés . L'auteur
extraits ont été publiés par Libération, le 15 mai 1995, « Le jour où l ' ar-
relate une vraie guerre, en ce sens qu ' elle était menée à
mée rwandaise a tiré sur les réfugiés de Kibeho . Paul Lowe, photo-
l'aide d' armements lourds, avec des hélicoptères, des
graphe, a été témoin du massacre du 22 avril ». Une grande partie des
témoignages émanant des volontaires de MSF a été reproduite dans chars de combat, que furent utilisées des roquettes et des
Laurence Binet, Violences du nouveau régime rwandais. 1994-1995, Paris, bombes à fragmentation, mais cette guerre n' était pas
Prise de paroles publiques, Médecins sans frontières, 2003 . J 'ai publié livrée à une autre armée, elle s'abattait sur une popula-
un article sur ce massacre, à partir de la consultation des archives de tion civile . De plus, les techniques de massacre de gens
MSF : Claudine Vidal, « Les humanitaires, témoins pour l ' Histoire », rassemblés pour de fausses réunions, ou encerclés sur des
Les Temps Modernes, 627, avril-mai-juin 2004.
2. La presse internationale couvrit ces violences qui ne restèrent pas
marchés, déjà éprouvées en 1994, furent reprises.
secrètes. Il y eut aussi des témoignages de volontaires humanitaires : Le 24 octobre 1997, des milliers d'habitants de la
Laurence Binet, Traque et massacres des réfugiés rwandais au Zaïre et au commune Kanama s' étaient cachés dans des grottes pour
Congo . 1996-1997, Paris, Prises de paroles publiques, Médecins sans se protéger des bombardements de l'APR . Après avoir
frontières, 2003 . tiré au lance-roquette dans les grottes, les soldats

42 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE PREFACE 43

placèrent des mines aux entrées et les firent sauter, uestions sur une histoire secrète
Q
murèrent tout ce qui ressemblait à un passage . L' attaque, De nombreuses recherches ont été consacrées à la mise
qui dura quatre jours, fit, selon Ruzibiza, plus de à mort des Rwandais tutsis, des témoignages importants
8 000 morts . Néanmoins, les infiltrés continuaient leurs écrits par des survivants ont été publiés, le TPIR fait pro-
incursions et causaient des pertes à l'APR qui répliquait céder à des enquêtes depuis des années . Même s' il
immédiatement par de très lourdes représailles sur les demeure des obscurités, des sujets à controverse, des
paysans hutus. débats d'interprétation très tendus, la connaissance pro-
Incontestablement, la répression sanglante de la pay- gresse incontestablement . C ' est pourquoi je n' ai indiqué
sannerie hutue eut des résultats : en 2000, toutes les que peu d ' ouvrages . Écrits en français et aisément dis-
régions du pays, soumises au nouveau pouvoir, étaient ponibles, il s'agit de synthèses dont la lecture est sans
étroitement contrôlées . Le FPR avait définitivement doute ardue mais qui donnent à un public non spécia-
gagné la guerre . Restait à l ' oligarchie qui le dominait à lisé une bonne perspective d' ensemble.
consolider sa dictature : elle pratiqua ce que l ' auteur En procédant à la présentation analytique du docu-
appelle des « assassinats ciblés » d ' hommes politiques, ment composé par Abdul Ruzibiza, j ' ai signalé des publi-
de militaires de l 'APR, de témoins occidentaux qui cations, essentiellement des témoignages, faisant écho à
auraient pu révéler les tueries dont ils avaient été les certains épisodes du récit ou à des analyses de l ' auteur.
témoins. Il existe aussi des rapports émanant d'organisations inter-
Une fois encore, l ' auteur rappelle qu' aucun massacre, nationales de défense des droits de l'homme et du Conseil
qu ' aucun assassinat n' est décidé sans l ' assentiment de économique et social de l ' ONU qui font état de la poli-
Paul Kagame, qui a enserré le pays dans les mailles d ' un tique de terreur systématiquement menée par le FPR'.
filet policier hiérarchisé dont il est le sommet, et qui
contrôle une organisation parallèle d ' agents chargés d' exé- 1 . Je n'en citerai que quelques-uns, tous accessibles sur internet . Des
cuter les crimes . Revenant pour finir sur l ' histoire du rapports émanant de la Commission des droits de l ' homme de l'ONU,
FPR depuis la guerre d 'octobre, il retrace comment l ' an- ainsi que d ' ONG internationales, telles Human Rights Watch (HRW), la
cien chef du renseignement militaire en Ouganda, déjà Fédération internationale des ligues des droits de l 'homme (FIDH),
redouté par sa cruauté, est devenu un dictateur 1 . Amnesty international, ont fait état, en 1994, d ' exactions et de massacres
dont était responsable l'Armée patriotique rwandaise . Amnesty inter-
national relate des tueries de populations civiles désarmées perpétrées
par I ' APR d'avril à août 1994 : Rwanda. L'année patriotique rwandaise
1 . Rony Brauman, Stephen Smith, Claudine Vidal, « Politique de responsable d'homicides et d'enlèvements (avril-août 1994), Index AI : AFR
terreur et privilège d ' impunité au Rwanda », Esprit, Les historiens et le 47/16/94 . Human Rights Watch/Africa publia, également en 1994 (le
travail de mémoire, 266-267, août-sept. 2000 . 15 septembre) un rapport sur divers massacres commis par le FPR durant

44 RWANDA, L'HISTOIRE SECRETE PRÉFACE 45

Les rédacteurs des rapports et les témoins, rwandais et Rwandais tutsis, non pas de façon théorique, mais en
non rwandais, dont je cite les assertions sur les massacres enquêtant et en restituant tout ce qu' ils savaient, avaient
commis par le FPR ont tous dénoncé le génocide des vu et avaient entendu.
Ces références montrent que des personnalités d'ori-
la même période : Human Rights Watch : The Aftermath of Genocide in
gine et de formation très différentes, toutes non suspectes
Rwanda : Absence ofProsecution, Continued Killings, septembre 1994. Le de faiblesse à l ' égard des responsables et des exécutants
rapporteur spécial de la Commission des droits de l ' homme (Nations de la mise à mort des Rwandais tutsis, savent et disent
unies), René Degni-Ségui, dans un document du 11 novembre 1994, que la vengeance n' a pas été l ' unique mobile des tueries
dénonce les graves atteintes aux droits de l' homme pratiquées en toute commises par l'APR, mais que ces tueries furent le résul-
impunité par des membres de l 'APR, de l'appareil administratif et judi-
ciaire : arrestations arbitraires sous couvert d 'accusations de génocide,
tat d' une décision politique . L'étonnant est que leurs
constitution de syndicats de délateurs, exécutions sommaires d ' individus
déclarations soient demeurées sans effet : elles sont
et de familles entières, enlèvements et disparitions : Nations unies, Conseil
économique et social — E/CN .4/1995/70, 11 novembre 1995 (E/CN, fiques sur les vagues de terreur, les arrestations arbitraires, les pratiques
4/1995/7-28 juin 1994) . Les éléments de ce rapport, incriminant l 'armée judiciaires gagnées par la corruption . Ces rapports sont trop nombreux
et le gouvernement, seront à nouveau repris et développés à la suite d ' une pour être tous cités ici . Retenons celui du 25 septembre 1997 qui éva-
nouvelle enquête du rapporteur au Rwanda : E/CN.4/1996/7/28 juin luait à 6 000 le nombre des civils tués entre janvier et septembre 1997
1995 . Rappelons que René Degni-Ségui, mandaté par la Commission des (AFR 47/08/98), celui du 23 juin 1998 qui signalait la recrudescence
droits de l' homme de l ' ONU, avait été l' auteur du rapport qui, en juin des « disparitions » (AFR 47/26/98) . En 1998, un rapport de la FIDH,
1994, préconisait la qualification de génocide en ce qui concernait les reproduit par la Commission des droits de l 'homme de l'ONU, dénon-
massacres perpétrés contre les Tutsis . Le 29 janvier 1996, après le massacre ça les meurtres et les disparitions, observa que la situation très précaire
du camp de Kibeho, en avril 1995, René Degni-Ségui fit à nouveau état des rescapés tutsis était largement ignorée alors que la course à l 'argent
des exactions, des exécutions sommaires et des disparitions touchant tous et la corruption devenaient « frénétiques » : Nations unies, Conseil éco-
les secteurs de la société : Nations unies, Conseil économique et social — nomique et social — E/CN .4/1998/NGO/79-20 janvier 1998.
E/CN .4/1996/68/29 janvier 1996. Human Rights Watch et Amnesty international ont chacune publié,
Les années 1996-1997 virent le démantèlement armé des camps de en avril 2000, deux longs rapports qui relatent les très graves violations des
réfugiés rwandais hutus au Congo-Zaïre, qui fut suivi du massacre sys- droits de l' homme, imputables au gouvernement et à l ' armée, dans tous
tématique de ceux qui fuyaient l 'avancée des forces rwandaises à l ' inté- les domaines : Human Rights Watch, Security " Used to Cover Abuses
rieur du Congo . Le secrétaire général des Nations unies, dans sa lettre Against Tutsi and Hutu. Killings, Torture by Rwandan Soldiers,
du 29 juin 1998 au président du Conseil de sécurité, a souligné que les 27 avril 2000, vol . 12, 1 (A) ; Amnesty international, Rwanda . The
massacres commis par l ' Armée patriotique rwandaise en 1996-1997, Troubled Course of Justice, 26 avril 2000, AFR 47/10/00 . Dans un docu-
constituaient des crimes contre l 'humanité : Nations unies, Conseil de ment du 31 mai 2000, Amnesty international dénonce massacres massifs
sécurité, S/1998/581, 29 juin 1998 . La situation intérieure du Rwanda de civils et viols dont sont responsables, à l'est du Congo, au Kivu, les
continua à faire l ' objet de dénonciations . De la part d 'Amnesty interna- troupes rwandaises, burundaises et ougandaises : Amnesty international,
tional qui publia, outre ses rapports annuels, plusieurs rapports spéci- Congo (DRC). Massive Violations Kill Human Decency, AFR 62/011/2000 .

46 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE PRÉFACE 47

connues, lues, non démenties sinon par les autorités installé au Burundi, s ' occupa de lui et il fit tout le cycle
de Kigali qui dénoncent la malveillance à leur égard mais secondaire au lycée de Musenyi à Ngozi . Adolescent, dès
ne proposent pas de contre-enquêtes . Quant aux 1984, il fait partie de l ' association estudiantine des
instances internationales, judiciaires et extra-judiciaires Rwandais en exil, association reliée à d' autres de même
auxquelles elles s 'adressent, elles restent sans réaction type, formant un réseau dont les buts étaient officiel-
publique, ne donnent suite à aucune enquête 1. Toute lement culturels . De fait, on y rappelait l'histoire du
une partie de l' histoire du FPR demeure une histoire Rwanda, on y écrivait des articles pour les petites revues
secrète, et donc, nécessairement, toute une partie de l ' his- des associations, mais les objectifs profonds étaient la
toire du Rwanda. mobilisation politique de la diaspora tutsie . En 1988,
Le long témoignage de Ruzibiza devait être publié. ces groupes adhérèrent immédiatement au FPR qui venait
d' être créé. Ruzibiza participa tout de suite aux activités
La méthode d'Abdul Ruzibiza du FPR. Ainsi, le lycéen, en plus de ses études, apprit-il
Je pense nécessaire de relater le parcours biographique à suivre des discussions politiques, à lire et écrire des
et intellectuel de Ruzibiza, en particulier par rapport à textes engagés, et à militer activement : « Je participais à
une question : comment a-t-il constitué son savoir, com- toutes les activités politiques, dans toutes sortes d 'orga-
ment en est-il arrivé à lui donner une forme écrite 2 ? nisations de jeunes de la diaspora . Je prenais le risque de
Il fit des études secondaires au Burundi où ses parents faire entrer au Rwanda des tracts, des papiers du FPR,
l'envoyèrent en 1980 . À dix ans, il prit donc le chemin j'entrais, je sortais . J' étais très convaincu, je voyais qu ' il
de l' exil scolaire comme beaucoup d 'autres jeunes Tutsis n' y avait pas moyen de nous libérer si nous ne com-
contraints de faire des études à l 'étranger parce que la mencions pas à agir . » Pour lui, à cette époque, la guerre
politique rwandaise des quotas leur fermait les portes de contre l' oppression de son ethnie au Rwanda était une
l' école publique à la fin du cycle primaire 3 . Un oncle, guerre de libération générale, une guerre contre la dic-
tature du régime Habyarimana . Il est envoyé, début
1. Dans le cas des massacres commis par l 'APR au Congo-Zaïre, des octobre 1990, en Ouganda pour rejoindre l 'APR au front
enquêtes ont été conduites et publiées mais elles sont restées sans suite. après une formation militaire de quelques jours.
Marc Le Pape, « L'exportation des massacres, du Rwanda au Congo- Il connaissait bien la géographie du Rwanda où il pou-
Zaïre », Esprit, Les historiens et le travail de mémoire, 266-267, août- vait circuler sans passer pour un Rwandais de la diaspora,
sept . 2000.
2. Le long entretien mené à Oslo, en avril 2005, m 'a permis de si bien qu ' à partir de février 1993, il est recruté par le ren-
reconstituer cette histoire.
3. Une politique de quotas était appliquée à la minorité tutsie esti et universitaires, les entreprises publiques et privées ne devaient pas
mée à 10 % de la population : en principe, les établissements scolaires compter plus de 10 % de Tutsis .

48 RWANDA, 1:HISTOIRE SECRÈTE PRÉFACE 49

seignement militaire de l ' APR . Les activités de recon- ticiper à l' invasion de l'ex-Zaïre ». Fin juillet 2000, envoyé
naissance qu ' il mène dans le Network Commando l ' en- en formation de commandant de compagnie, il se sent
traînent à pratiquer des exercices de mémoire et des menacé et s ' enfuit en Ouganda le 3 février 2001.
systèmes de notations codées . Après la victoire du FPR, Ruzibiza dit avoir depuis longtemps eu envie d ' écrire :
en juillet 1994, il continue à être agent de la DMI à l ' in- « J'aime écrire, mais je ne savais pas quoi écrire . Et puis,
térieur de son unité et travaille particulièrement sur les il m' est venu l'idée que je devais écrire sur la guerre de
infiltrations de Hutus dans le Nord-Ouest. Arrêté le 2 mai libération, s ' il n'y avait personne pour le faire . J 'ai attendu
1997, acquitté le 5 juin 1999, il passe deux ans en prison deux ou trois ans, mais j ' ai constaté que personne ne s ' in-
militaire où il recueille systématiquement des informa- téressait à écrire sur cette guerre . » Il dit lui-même à quoi
tions auprès des autres militaires incarcérés I . Il reste trois l'aide l'écriture : à surmonter le traumatisme provoqué
mois « au chômage », trois mois durant lesquels il conti- par le génocide des Rwandais tutsis, allié au sentiment
nue à s' informer sans relâche . En octobre de la même dévastateur que l 'APR n' avait pas leur protection pour
année, il est repris dans son ancienne unité, pour « par- priorité 1 . Pendant la guerre et le génocide, à mesure que
leurs unités avancent, ils découvrent des cadavres . Lui et
1 . Dans son bataillon, il était officier chargé de l ' administration . A
ses compagnons se disent que si eux sont arrivés trop
ce titre, il avance le montant de leur solde mensuelle à quatre officiers,
selon une pratique très courante . Mais les officiers sont mutés avant
tard dans tel endroit précis, ailleurs, les autres unités arri-
d ' avoir remboursé, lui-même est appelé à Kigali par la DMI et, ren- veront à temps . Mais ils se rendent compte que la des-
dant les comptes, il signale le prêt d ' argent qui lui est reproché, car il truction des Tutsis continue sans que l 'APR s'oppose aux
avait pris seul cette décision . Il en informe la DMI, à Kigali, et pro- assassins . « Je ne connaissais même pas le mot de géno-
pose de rembourser lui-même l ' argent pour éviter des ennuis . Il avait cide ! Je n ' étais pas informé du terme . Mais je savais que
prêté de l 'argent à un cousin à qui il demande de lui rendre la somme,
c' était la fin de tous les Tutsis . Parce que je suis un Tutsi
mais le cousin, loin d' obtempérer, va porter plainte contre lui, décla-
rant qu' il l' avait menacé de son arme . II est incarcéré durant deux ans, de l ' intérieur, j ' avais fait des cartes de reconnaissance
alors que l' argent avait été rapidement remboursé par les officiers. Le pour acheminer les militaires jusqu ' à tel ou tel endroit
l e' juin 1999, un procès public a lieu devant la chambre du Conseil de où il y a beaucoup de Tutsis, et nous n' y allons pas.
guerre, présidée par le capitaine Jimmy Hodari . L' auditorat militaire se Intérieurement, je deviens fou . [ . . .] On se demande
présente sans aucune charge et sans témoins . Le 5 juin, le tribunal pro-
nonce un verdict d ' acquittement, ordonne sa remise en liberté et sa 1 . « Nous n' avons pas eu de prise en charge psychologique après le
réintégration dans l ' armée . Lauditorat militaire ne fait pas appel. génocide . Je suis toujours très convaincu que si l ' on ne parle pas de ces
Ruzibiza pense qu' il s ' agissait d ' une affaire politique . Son lignage est problèmes, on devient de plus en plus frustré . On devient de plus en
apparenté au lignage dynastique, sa famille avait eu des relations per- plus coupable, on se sent de plus en plus coupable, on se sent de plus en
sonnelles avec l ' ex-roi Kigeri, ce qui pouvait rendre Ruzibiza suspect plus victime . Quand je parle, je me décharge, je me sens en bonne santé.
d ' opinions royalistes . C'est ça ma force, c' est ça qui m'anime . »

50 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

pourquoi on a tué Habyarimana si on n ' était pas en de libération et sur le génocide » . Il est envoyé au dépar-
mesure de gérer ce qui se passerait après . Donc ce sont tement de l'enseignement idéologique et politique de
des accusations qui commencent dans ma tête . J ' accuse, l'APR (G5) . On lui propose de faire des articles pour le
j ' accuse le régime, j ' accuse mes chefs . Mais je ne sais pas
journal de l' armée (Ingabo, Le Combattant) . Il n' insiste
comment le dire. » pas : « Je me dis : bon, je vais voir. Je m'abstiens, mais j'écris
Lemprisonnement a été l ' élément déclencheur : révolté régulièrement des choses sur des petits bouts de papier,
par son incarcération, il voulait dénoncer « l ' injustice des carnets, je me dis, un jour ou l ' autre, si j 'ai l'occasion. . .
extrême qui sévissait dans le pays », puis il comprend mais surtout, j ' écris les dates, je mets une seule phrase par
qu ' en prison il a la possibilité de rassembler suffisam- date, seulement pour me rappeler de quoi il s ' agissait.
ment d' éléments pour reconstituer toute l ' histoire mili- Et puis j'essaie de me mettre ça en mémoire.
taire de la guerre I . Il a donc trouvé une méthode, la méthode chrono-
Déjà, depuis 1991, il prenait des notes sur des agen- logique, pour organiser ses informations, tout en confiant
das . Il transcrivait le kinyarwanda dans l ' alphabet arabe l'essentiel à sa mémoire en cas de perte des traces écrites.
qu' il avait appris au Burundi . Il avait aussi l'habitude, En fait, une organisation mnémotechnique — une date,
dans son travail pour le renseignement militaire, de un (ou plusieurs) événement qui s ' est déroulé à cette date
mémoriser systématiquement de nombreuses informa- (ou bien peu avant ou peu après cette date), des listes de
tions . En prison, puis hors de prison quand il le peut, il noms, ceux des acteurs et ceux des témoins de cet évé-
enregistre des conversations . Il ne compose pas encore nement — une organisation simple mais à laquelle il s' en-
un grand livre, mais travaille sur des épisodes qu ' il recons- traîne systématiquement I . Durant les quelques mois de
titue en interrogeant plusieurs personnes : « Alors là, sa formation pour devenir commandant de compagnie,
je dois prendre des notes, de façon codée ou pas, mais je
n' écris pas nécessairement un grand texte » . À ce stade,
1 . Les ethnohistoriens savent par expérience combien la mémoire
au Rwanda, le projet est centré principalement sur la « traditionnelle », orale, est entraînée par toutes sortes de procédés pra-
reconstitution des événements militaires, il pense à un tiqués dès l'enfance . Ainsi, en menant des enquêtes orales au Rwanda où
montage de témoignages, le sien et celui des autres. j 'avais à recouper plusieurs récits concernant un événement, des infor-
Avant son incarcération, en mai 1997, ce projet lui mations de toutes sortes, j ' ai constaté la précision des savoirs sur le passé,
avait paru si légitime qu ' il avait demandé officiellement précision qui n' avait rien de gratuit, car il s' agissait de savoirs importants
pour les individus et leurs groupes . Ces formes de mémoire propres aux
à l ' état-major l ' autorisation d' écrire un livre « sur la guerre
anciens n'étaient pas détruites par la diffusion de l ' écrit . Ruzibiza a
spontanément créé un système de mémorisation de ce qu' il entendait,
1 . Ruzibiza rapporte dans son introduction quelles relations il a eues système conforté plus tard, au moment de l 'écriture, par les chronolo-
avec ses témoins . gies trouvées dans ses lectures.

52 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 53


PRÉFACE

a considérablement amoin-
qui débute en juillet 2000, il commence à écrire et, lors- de renforcer la MINUAR, l '
qu'il prend la fuite, il laisse derrière lui un manuscrit d 'en- drie, furent dénoncés sur le moment et le sont encore
viron deux cents pages, manuscrit dont les autorités prirent des années plus tard. En effet, le génocide des Rwandais
connaissance . Rétrospectivement, il réalise son impru- tutsis, loin d'être oublié, négligé ou minimisé, constitue,
dence : « Je me rends compte que j 'étais fou d'en avoir depuis 1994, dans le champ public mondial, un foyer
parlé, mais c'était à cause du traumatisme . Tout était dif- actif, suscitant témoignages, récits, romans, bandes des-
ficile parce que je me posais des questions qui ne trou- sinées, révélations, enquêtes et recherches, colloques,
vaient pas de réponse : qu' avons-nous fait pour récupérer sites internet, reportages photographiques, pièces de
le pouvoir et qu'avons-nous fait du pouvoir ? On l 'a encore théâtre, émissions radiophoniques ou télévisées, films
transformé en objet d ' oppression contre la population . Je (documentaires et fictions), ainsi que de multiples céré-
me posais tellement de questions . » monies mémorielles . Cet intérêt s' accompagne d 'un
En Ouganda, où il reste deux ans et demi à partir de double phénomène. D' une part, les instances interna-
février 2001, il recommence à écrire . De plus, il ren- tionales et les États qui ont abandonné les populations
contre des militaires rwandais de l'APR et d 'autres per- menacées à leur sort, ont observé et observent le plus
sonnalités qui avaient fui le régime et continue sa souvent une convention de silence, ou au moins d 'ex-
recherche d ' informations . Quittant l'Ouganda pour la trême modération lorsque, pour imposer sa domination,
Norvège, il emmène ses notes puis lorsqu'il est arrivé à le nouveau gouvernement rwandais a recouru et recourt
se procurer un ordinateur, il commence à rédiger la der- aux armes contre ses nationaux et au Congo-Kinshasa.
nière version de son livre . Il importe de mentionner D'autre part (je n' évoque ici que la situation française),
qu' à ce stade, il reste en contact avec un réseau de sol- certains milieux observent, vis-à-vis des autorités de
dats de l'APR, certains à l ' extérieur du Rwanda, d'autres Kigali, une attitude qui va d ' une forme de bien-pensance
à l ' intérieur, avec qui il vérifie (par téléphone, par à des comportements publics étonnamment sectaires.
mail, par courrier) l ' exactitude de ses données . C'est La bien-pensance consiste à arrêter l 'histoire du Rwanda
en quoi son témoignage est tout aussi bien collectif en 1994 et à accepter que le régime actuel, institué en
qu' individuel, ainsi que je l ' avais indiqué au début de représentant des victimes d' un génocide, ne puisse faire
ces pages. l'objet que de critiques mineures et de toute façon com-
préhensives . Le sectarisme consiste en des attaques
Controverses violentes contre ceux qui mettent en cause la politique
Lorsque les politiques de la haine se sont déchaînées passée et présente du FPR. Reproduisant le discours offi-
en 1994, les États qui auraient pu tenter d ' intervenir ciel de Kigali, les sectaires dénoncent violemment ceux
militairement et diplomatiquement, l ' ONU qui, au lieu qu'ils considèrent comme leurs adversaires, les traitant

54 RWANDA, UHISTOIRE SECRÈTE PRÉFACE 55

automatiquement de négationnistes, dénonciations sou- sur tous les crimes commis au Rwanda est un motif essen-
vent accompagnées d 'accusations de corruption, de liens tiel de mon soutien à l 'enquête de Ruzibiza et de ses amis.
avec des services secrets douteux, d ' amitiés inavouables, Le lieutenant Abdul Ruzibiza affirme qu ' il y a eu « un
etc . Le vocabulaire n' est plus le même, mais j'ai souvent autre génocide, celui des Hutus, qui n'est pas encore
constaté une homologie avec les diatribes s 'abattant, après reconnu faute d 'enquêtes officielles » (p. 218) . Pour jus-
la Seconde Guerre mondiale et au début des années 50, tifier cette qualification, l 'auteur prend appui sur la
sur tous ceux qui, pourtant en connaissance de cause, Convention pour la prévention et la répression du crime
osaient dévoiler le système criminel institué par le de génocide adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU
pouvoir soviétique . L'énergie des défenseurs du régime le 9 décembre 1948 (p. 161 et suivantes) . En d'autres
de Kigali ne s 'est pas affaiblie avec le temps . Au contraire, termes, il défend la thèse dite du « double génocide ».
la concurrence médiatique a créé un climat de surenchère N'étant ni juriste, ni juge, je n'ai pas pour référence
et l' amalgame selon lequel critiquer le FPR revient à nier exclusive les critères juridiques de définition du géno-
le génocide reste une arme courante d 'intimidation. cide . Je pense que la mise à mort des Rwandais tutsis
Je ne me fais donc pas d 'illusions sur les épithètes que et la mise à mort des Rwandais hutus sont des faits com-
me rapportera ma préface au livre de Ruzibiza I . Il fau- parables mais non semblables . Pour deux raisons.
dra bien s'en accommoder mais l 'essentiel est que ces En premier lieu, le FPR trouvait son compte à mas-
attaques ne détournent pas de prendre connaissance sacrer en masse les Hutus, tout particulièrement dans cer-
de cet ouvrage, aussi dérangeant soit-il, aussi imparfait taines régions, mais il n'a pas entrepris de tous les éliminer
soit-il, ainsi que le reconnaît son auteur. L'espoir que ce alors que, vis-à-vis des Tutsis, en 1994, l 'intention exter-
livre déclenche de nouvelles recherches et publications minatrice était totale.
1 . C ' est pourquoi je rappelle, entre autres, qu ' en 1995 j ' ai coédité La deuxième raison est d 'ordre historique et généa-
(avec Marc Le Pape) un numéro spécial des Temps Modernes (n° 583, logique . La République rwandaise, née de l' indépen-
juillet-août 1995) consacré au génocide des Rwandais tutsis, « Les poli- dance et dotée d ' une constitution moderne, n 'a
tiques de la haine . Rwanda-Burundi, 1994-1995 » ; j ' ai réalisé (avec cependant pas réellement reconnu les Rwandais tutsis
Robert Genoud) un documentaire critiquant la politique française au comme faisant partie du peuple politique . Ces derniers
Rwanda, La France au Rwanda : une neutralité coupable, documentaire, n' ont pas eu les mêmes droits que les autres citoyens
58 ' , Paris, Films du Village-État d ' urgence production, 1999 ; j ' ai pris
clairement parti contre ceux qui tentent d'innocenter du crime de géno-
rwandais, ils en ont même été déchus à bien des égards :
cide les responsables de la mise à mort des Rwandais tutsis en tirant pré- les centaines de milliers de réfugiés tutsis vivant à l'ex-
texte des crimes du FPR et de sa responsabilité dans l ' attentat contre le térieur du Rwanda ont été, durant des décennies, exclus
président Habyarimana, « Rwanda : refuser la tentation révisionniste », de la nationalité rwandaise, la seule proposition qui leur
Libération, 2 novembre 2000 . était faite étant de prendre la nationalité des pays

56 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

d'accueil ; quant à ceux qui continuaient à vivre au


Rwanda, soumis à de multiples pratiques discrimina-
toires, ils formaient un groupe séparé des autres, déclassé,
« racialisé » par l 'idéologie ethniste du pouvoir. L'atteinte
à leur personnalité juridique et morale, leur déclasse-
ment et leur déchéance ont été le préambule de leur des-
truction physique.
Les leaders du FPR ont mené une politique de ter-
reur, fondée sur des massacres, il ne devrait pas être néces- Aux Rwandais tutsis, victimes du génocide perpétré
saire d' affirmer l'existence d' un génocide pour que les par des éléments extrémistes hutus,
enquêtes existantes deviennent acceptables, pour que des Aux Rwandais hutus, victimes des éléments extré-
procès soient ouverts. Ils ne le sont pourtant pas . Le pro- mistes hutus et du génocide perpétré par des éléments
blème ne tient pas à la validité ou non d 'une défini- bien sélectionnés de l'Armée patriotique rwandaise,
tion juridique, il tient à ce que la stratégie d 'intimidation Aux Burundais, aux Congolais, toutes ethnies confon-
de Kigali à cet égard a été et reste extrêmement effi- dues, victimes des guerres dont la plupart ont eu comme
cace dans l 'espace public et sur les médias internatio- origine notre pays le Rwanda,
naux, à quelques exeptions près . Aux orphelins, aux veuves et à ceux portant des
séquelles de la tragédie rwandaise,
Aux assassinés, à ceux injustement mis en prison, mal-
menés ou forcés à l'exil,
Que vous tous sachiez que vos pleurs et gémissements
seront entendus, vos prières exaucées, que pour ceux qui
seront encore en vie, justice sera un jour faite.

Nul ne porte plainte avec justice,


Nul n'entre en jugement avec fidélité ;
Ils se fient à du vide
Et disent des non-sens,
Ils conçoivent l 'oppression
Et enfantent l'injustice.
Ésaïe 59,4
Pourquoi j'ai voulu écrire

À 35 ans, j'ai décidé de prendre la plume . Ma vie


est un long calvaire. J'ai été rejeté dans mon propre pays
où je n'ai jamais bénéficié de mes droits civiques . Le fait
d'être né d'une mère et d'un père tutsi, et d ' avoir vu le
jour au Bugesera, une région située au sud-est du
Rwanda, où résidaient beaucoup de Tutsis, m'ont valu
de souffrir tous les maux possibles.
Jadis presque inconnu, le Rwanda s 'est rendu triste-
ment célèbre par un innommable génocide qui a pris
pour cible mon groupe ethnique . Des Tutsis, qui avaient
échappé aux massacres lors de ce qu ' on a appelé « la révo-
lution de 1959 » et des troubles ethniques qui ont suivi,
vivaient quasi en quarantaine dans la région du Bugesera.
Nous subissions des massacres récurrents sous l'oeil com-
plaisant de l'État . L' accès des Tutsis aux écoles secon-
daires ou à l'Université publique était presque impossible.
Lorsque, le 1 e' octobre 1990, des Tutsis de la diaspora,
regroupés dans le Front patriotique rwandais (FPR), ont
lancé leurs attaques depuis l'Ouganda, nous, Tutsis vivant
au Rwanda, avons encore une fois été pris pour cible en
guise de représailles, comme si nous étions de conni-
vence avec les assaillants . Ces actes de représailles se sont

60 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

répandus un peu plus tard sur d ' autres régions du Je suis né en 1970 à Gitagata, dans la commune de
Rwanda . Ma commune natale figure en tête de liste Kanzenze . Par mon père, je suis tutsi, issu de la souche
parmi les communes rurales qui ont enregistré le plus de dynastique des « Abanyiginya-Abahindiro » (le lignage
victimes tutsies lors du génocide de l 'été 1994 . Certaines des « Abahindiro » est ainsi nommé parce qu ' il est com
familles, dont la mienne, ont été totalement anéanties. posé des descendants du mwamiYuhi Gahindiro) . Ma
Entre 1980 et 2003, j ' ai fui trois fois mon pays (vers mère est une Tutsie du clan des Batsobe . Toute ma
le Burundi, vers l ' Ouganda, vers la Norvège) ; j'ai pris famille, mes parents et mes six frères et soeurs, ont été
part à trois guerres différentes sur le territoire du Rwanda tués pendant le génocide de 1994.
et sur celui du Congo-Zaïre . Au début, je me suis enrôlé Ma carrière militaire au sein de l 'APR a duré un peu
de mon plein gré dans une lutte de libération mais par plus de dix ans.
la suite j ' ai été forcé de continuer, après avoir été arbi J' ai changé d' unité plusieurs fois : j ' ai été affecté suc-
trairement arrêté en mai 1997 et avoir passé deux ans en cessivement au 9e bataillon, à la Yankee Combined Mobile
prison. Force, à la Sierra Mobile Force, au 59e bataillon, au Network
Je me nomme Ruzibiza, mon nom de baptême catho Commando . Ensuite, j 'ai été affecté à la Directorate of
lique est Vénuste . Quand j ' ai rejoint le FPR, je me suis Military Intelligence (DMI), dans le Criminal Investigation
donné le surnom d 'Abdul comme nom d 'identification Department (CID), avant d' être transféré au Counter
(nom codé) et j'ai gardé ce surnom jusqu' à ce que je Intelligence Department (ou contre-espionnage) jusqu' en
rejoigne l 'APR (l'armée du FPR) en 1990 . Il faut savoir 1999. J' ai participé à l'invasion de l'ex-Zaïre, aujourd 'hui
que pour arriver dans la zone contrôlée par le FPR, tout République démocratique du Congo . J' ai reçu plusieurs
membre devait être identifiable par son nom codé . Celui formations militaires au Rwanda et très récemment à
qui se trompait et donnait un code qui ne correspondait l'Académie militaire rwandaise (RMA) émanant de l 'état-
pas avec le code signalé auparavant et répertorié dans les major, dans le Bureau G3, chargé des opérations.
registres ad hoc était immédiatement tué parce que consi- Je rappellerai que, même au moment où j 'étais offi
déré comme un espion. ciellement affecté dans les unités de combat, je tra
Quand j ' ai décidé de me convertir et me faire bap- vaillais en réalité pour les services de renseignement,
tiser dans la religion pentecôtiste, on m'a donné le pré- ainsi que je le développerai plus loin . Toutes ces muta
nom de Josué . Je reconnais donc que j ' ai porté tous ces tions m' ont permis de connaître plusieurs endroits
noms . Dans l' armée, on m' appelle Ruzibiza Abdul. du pays, y compris les zones de combat . C'est pour-
Quand j ' ai quitté le Rwanda, la nuit du 3 au 4 février quoi ce livre relate essentiellement des faits que j 'ai per
2001, j ' avais le grade de lieutenant et mon numéro de sonnellement vécus .
matricule est OP 1920 .

62 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

Les raisons de ma désertion garde, on risque de se faire opprimer de plus belle au lieu
Hormis des motifs d ' ordre général en rapport avec de se faire libérer . En aucun cas nous ne devons, sous
mes prises de position politique et les menaces qu 'elles prétexte que nous avons nous-mêmes été opprimés, nous
m' ont attirées, plusieurs raisons m 'ont poussé à quitter débarrasser de notre fardeau pour le faire porter par les
le FPR et l'APR, mais la raison principale est la ligne autres. S ' il en est ainsi, nous donnons à ces derniers le
directrice du FPR. droit de mener une lutte contre nous, ce qui se solde tou-
J'ai été membre des organisations qui ont donné nais- jours par un bain de sang des innocents.
sance au FPR et je suis parmi ses membres de première Depuis bien longtemps, j ' avais constaté que le FPR,
heure . À sa fondation, le FPR était une formation poli- notamment un groupuscule de gens placés à sa tête, dans
tique qui visait à libérer le peuple opprimé, à instaurer l'armée et les divers échelons politiques, commettait des
la justice, à extirper la corruption, à éradiquer le clienté- bavures mais je continuais à espérer qu' avec le temps ils
lisme, à rapatrier les réfugiés contraints à rester en dehors allaient se corriger ou que les idées des gens de bonne
de leur pays . Mais cela s ' est avéré utopique, mensonger. volonté allaient l ' emporter sur celles des extrémistes.
Au lieu de réaliser le projet de société que nous avions Malheureusement, la situation a empiré d 'années en
conçu, le FPR a plongé le Rwanda et le Congo dans un années.
gouffre d' où ils ne pourront pas sortir de longtemps. J' ai vite remarqué que, parmi les Tutsis qui avaient
Je n' ai pas voulu continuer à oeuvrer pour le FPR car il longtemps clamé leur oppression, certains se montraient
a fait de ses forces militaires une armée de mercenaires, plus Tutsis que les autres . C' était le fond des propos tenus
pourtant très mal payés ; il favorise les uns au détriment par d'anciens réfugiés tutsis disant que les Tutsis qui
des autres et a mis en place une milice sanguinaire afin de n' avaient pas pris le chemin de l'exil et avaient choisi de
poursuivre le massacre du peuple rwandais . Comme je continuer à vivre à l'intérieur du Rwanda étaient restés
vais le développer dans ce livre, le FPR est en train de com- tutsis par leur physionomie mais étaient devenus, au fond
mettre deux fautes graves, à savoir tirer une rente politique de leur coeur, des Hutus, des hommes sans scrupule . Cela
du génocide des Tutsis et dénier le génocide qu 'il a com- a poussé les idéologues du FPR à accepter l'idée que
mis lui-même contre les Hutus . J' ai rompu avec un régime les Tutsis de l'intérieur du pays pouvaient être immo-
qui se plaît à faire l ' étalage des os de nos parents dans le lés pourvu que l' on prenne le pouvoir . Un grand idéo-
but d' accuser éternellement les Hutus. logue du FPR, Tito Rutaremara, l'a bien souligné, en
1996, lors de son entretien en Belgique dans la revue
Pour en finir avec les idées simplistes Trait d 'union (n°11) : « Lon ne peut pas faire d'omelette
Je n' ai plus mes idées simplistes sur les luttes de libé- sans casser les oeufs . » Il a poursuivi en disant : « Et
ration. J' ai fini par constater que, si l'on n'y prend pas d' ailleurs, pourquoi ces gens qui continuent à s'alar-

64 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

mer ne nous ont-ils pas rejoints dans le maquis ? » Pour coup d'informations qui, si elles étaient dévoilées, mon-
ceux qui continuent à se demander comment le géno- treraient clairement le rôle essentiel qu'il a joué dans l 'ex-
cide a pu être commis, c'est cette idéologie qui consis- termination du peuple rwandais.
tait à casser les oeufs, c'est-à-dire les Tutsis de l ' intérieur, je ne peux pas regretter d 'avoir été membre du FPR
afin que d 'autres Tutsis puissent manger l 'omelette, c'est- puisque ses objectifs n ' ont jamais été officiellement
à-dire prendre le pouvoir, qui l'a rendu possible. mauvais . Seulement, ses actes n'ont jamais correspondu
Ces dissensions ne se limitaient pas là car, au sein à ses paroles . Il est arrivé un moment où certains d 'entre
du FPR-même et de son armée, il y avait toujours des nous, moi y compris, avons compris que faire partie du
inégalités entre Tutsis, lesquelles étaient basées sur les FPR équivalait à porter une lourde croix à cause des
origines claniques et sur les pays d'asile. Quant aux Hutus contradictions qui caractérisaient son fonctionnement.
qui collaboraient avec le FPR, même si un bon nombre Que ce soit pour moi ou pour beaucoup d ' autres, cela
d'entre eux avaient été victimes du régime alors en place, était d' autant plus une croix à porter qu'il était impos-
miné par le régionalisme, ils étaient pour le FPR de sible de se retirer du FPR une fois qu' on en faisait par-
simples instruments à qui on pouvait donner quelques tie ou d'émettre une critique quelconque pour améliorer
postes dans la direction du pays en cas de victoire parce son fonctionnement . En effet, la moindre critique valait
qu'ils nous auraient aidés. C' est en tout cas l ' opinion une balle dans le front ou un écrasement de la tête par
générale que nous avions d 'eux, d'autant plus qu'il était une houe usagée . Cela s'expliquait par le serment que
dit que la plupart d ' entre eux avaient jadis, à des degrés l' on prêtait en ces termes avant d ' adhérer au FPR :
divers, collaboré avec ceux qui avaient tué ou persé- « Moi . . ., je jure solennellement devant les hommes que
cuté les Tutsis . Nous étions d ' avis que, si certains de j ' oeuvrerai pour la famille FPR (umuryango wa FPR),
ces Hutus avaient eu des problèmes d'ordre politique que je défendrai toujours ses intérêts et, s 'il m'arrive de
avec le régime des leurs, cela ne voulait pas dire qu'ils divulguer ses secrets, que je sois décapité comme tout
s' étaient résolus à aimer les Tutsis et à les aider, de bonne autre traître ! » Il va alors sans dire que quitter le FPR
foi, dans leur lutte de libération . La seule personnalité équivalait à enfreindre ce serment et que quiconque le
hutue que nous trouvions irréprochable était Seth faisait était prêt à se voir couper la tête comme énoncé
Sendashonga. dans le serment. En d' autres termes, quiconque devient
Par ailleurs, j ' ai été obligé de prendre la plume car il membre de la famille FPR est obligé d ' y rester jus-
faut bien constater que le FPR n' a jamais envisagé de qu'à ce qu' il en soit écarté par le FPR lui-même, sinon
faire le bilan de notre conquête du pays pour voir quels il en reste membre jusqu' à sa mort . C' est ici qu ' il faut
ont été les points positifs et les points négatifs de notre comprendre la férocité du FPR car, en plus de ne pas
guerre de libération . Et pour cause, car existent beau- être autorisé à dire ce qu' on a vu, on ne peut pas quit-

66 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

ter le FPR et continuer à vivre sur le territoire rwan- du FPR veut que les Rwandais se scindent en deux
dais. C'est pourquoi il a fallu attendre que les premiers catégories, à savoir : les victimes, c'est-à-dire, les Tutsis ;
Tutsis parviennent à s'arracher des griffes de ce pou- les criminels, c ' est-à-dire, les Hutus . Mais le parti
voir pour pouvoir accéder aux présents témoignages des génocidaires hutus proclame lui aussi sa version de
accablants. l'histoire.
Je crois qu'un régime qui veut renier ou étouffer sa véri- Lorsque des extrémistes hutus reconnaissent en même
table histoire prépare son déclin . Je dis cela puisque c'est temps le génocide des Hutus et celui des Tutsis, c'est
le passé lointain comme le passé récent qui recèlent l 'ori- pour les banaliser, renvoyer leurs auteurs dos à dos.
gine du génocide . Vouloir renier, biaiser ou redessiner le D ' autres n' admettent que le génocide des Hutus, sous
passé tel que le régime en place le désire, c'est donner la prétexte que tuer des Tutsis était tuer des ennemis du
possibilité aux criminels de poursuivre leur politique men- pays, tandis que le FPR a seul commis un génocide en
songère qui aboutirait encore une fois à un génocide ou à tuant des Hutus innocents.
des atrocités qui lui ressemblent . Voilà, en quelques mots, Des Tutsis ne veulent pas accepter qu'un génocide des
certains des motifs qui m'ont poussé à écrire. J'espère que Hutus a également été perpétré, certains, surtout les
ce livre apportera une lumière, quelque petite qu ' elle soit, Tutsis de l 'intérieur, parce qu'ils s'angoissent des réper-
à ceux qui s'efforcent de connaître la vérité sur l 'origine cussions qu' une telle reconnaissance pourrait entraî-
des atrocités qui ont frappé le Rwanda. ner, d'autres, surtout parmi ceux qui sont rentrés de
l' étranger, par extrémisme politique.
Ce que j'ai voulu écrire Selon moi, la position réaliste doit être de reconnaître
l'injustice qui a duré plus de trente ans a poussé les et le génocide des Tutsis et le génocide des Hutus, de
Tutsis à prendre les armes pour livrer une guerre de libé- poursuivre et de condamner au même titre les auteurs
ration. Le long chemin vers la libération a été caracté- de l' un et de l'autre.
risé par de graves erreurs que je ne peux pas taire car elles C' est ici que se trouve le message central de mon livre.
ont servi de prétexte aux extrémistes hutus pour exter- Décourager les criminels, que ce soit au Rwanda ou
miner les Tutsis . Bien plus, les mêmes erreurs ont fait ailleurs dans le monde, là où se commettent des atro-
massacrer un nombre considérable de Hutus innocents cités semblables aux atrocités qui ont déchiré le Rwanda,
par les éléments de l 'armée du FPR. éviter que les conséquences du génocide continuent de
La révision mensongère de l'histoire du pays et la peser de plus en plus sur nous, oser chercher des remèdes
dissimulation de la vérité donnent lieu à de fausses inter- efficaces une fois pour toutes . Cela va de pair avec la
prétations, notamment du génocide des Tutsis et de campagne de sensibilisation qui consiste à aider mes
celui des Hutus. Un escadron qui s'est constitué au sein concitoyens à ne pas persévérer dans l'erreur en confon-

68 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

dant le crime avec l' ethnie (considérer les Hutus comme où je n' étais pas personnellement, j ' ai eu la chance
étant tous des criminels ou faire croire que les militaires connaître un bon nombre de militaires qui étaient sur
du FPR étaient tous des criminels). place pendant que tel acte, bon ou mauvais, a été com-
Je désire que les Tutsis n 'oublient jamais ce qui leur mis . Ainsi, les faits que je n' ai pu voir moi-même m'ont
est arrivé, l 'injustice qu 'ils ont subie ainsi que ce qui a été rapportés essentiellement par des témoins oculaires.
causé leur extermination . En effet, il me semble qu'à part J'ai eu la chance d' avoir de bonnes relations dans toutes
les générations présentes, les générations futures ne com- les unités où j' ai vécu. C' est pourquoi tous les gens que
prendront pas les causes du génocide . Au contraire, ses l'ai contactés pour me renseigner sur un fait me don-
retombées continueront à peser sur elles sans qu 'elles naient des informations fiables ; de plus, j 'avais des façons
sachent comment les prévenir. herses d' en tester la fiabilité, en croisant les témoignages
Je désire que les Hutus n' oublient jamais ceux des leurs de plusieurs personnes qui étaient sur les lieux.
qui ont été tués par les bandes criminelles du FPR, qu'ils En ce qui concerne les informations recueillies auprès
ne confondent jamais le FPR avec les Tutsis et qu 'ils des militaires, je n'ai éprouvé aucune difficulté à les
ne soient pas persuadés que tous les militaires du FPR Obtenir, d'autant plus que j 'étais leur confrère et qu ' ils
étaient des criminels . Bien plus, je désire que les Hutus ne pouvaient rien me reprocher. Les crimes de guerre,
aient aussi le droit d 'enterrer dans l' honneur les leurs qui dont je ne suis pas témoin oculaire, notamment ceux qui
ont été tués à cause de leur ethnie et qu'ainsi ils puissent ont été commis contre les membres du groupe ethnique
mener publiquement leur deuil. hutu, m'ont été rapportés sans la moindre hésitation.
Pour les deux ethnies, je désire que ce soit l ' occasion Cette facilité s'expliquait par le fait que, moi-même, je
de comprendre que les projets criminels des politiciens suis tutsi . Mais ce sont aussi mes origines qui, en tant
ont plongé le pays dans l 'abîme et que toutes les deux que ressortissant de la région du Bugesera, leur faisaient
ont connu des pertes énormes . Tel est le thème central croire que je ne pouvais éprouver aucun sentiment de
de ce livre. pitié pour les Hutus et que, par là, il n'y avait aucune rai-
son de me cacher les atrocités qu'ils avaient commises
La méthodologie utilisée à l' encontre de ce groupe ethnique.
Dans la plupart des cas, je parle de faits dont je suis Durant la période de mon emprisonnement arbitraire,
témoin oculaire ou qui m ' ont été rapportés par des j'ai partagé la vie carcérale avec plus de 2 500 soldats
témoins directs . Cela a surtout été rendu possible par le répartis dans les prisons militaires de Kanombe, Mulindi
système même de l'APR, où l'on changeait constamment et Kibungo. Ils comptaient parmi eux beaucoup d ' in-
d' unité, où l'on bougeait de région en région dans les nocents mais aussi un nombre important de coupables.
zones de combat, etc. Ces prisonniers, qu'ils fussent coupables ou non, déte-
RWANDA, L'HISTOIRE SECRETE
70 71

naient des informations sûres . Les innocents connais- j'étais toujours officieusement l' agent secret des services
saient ceux qui avaient réellement commis des crimes. de renseignement. Il m' était souvent demandé de mener
Par exemple, de nombreux soldats m 'ont rapporté des enquêtes parallèles concernant un événement déli-
les crimes perpétrés lors des guerres lancées sur le ter- cat sur lequel les services de renseignement normaux des
ritoire du aire ou lors des guerres des infiltrés . Ils m'ont unités n'étaient pas habilités à enquêter. Une grande par-
expliqué comment ils avaient reçu l'ordre de leurs supé- tie des résultats de mes enquêtes était utilisée par le serv-
rieurs de commettre ces crimes de guerre et, par après, ice de contre-espionnage, le service de renseignement de
ce sont seulement les subalternes qui ont été poursui- guerre (Combat Intelligence) de la DMI, le service des
vis. Ces deux années passées en prison m ' ont surtout opérations au sein du G3 de l ' état-major ou par celui de
inspiré l'idée d' écrire sur l' injustice extrême qui sévis- la section spéciale de renseignement (Special Intelligence
sait dans le pays et elles m' ont offert une occasion pro- Branch) de la gendarmerie nationale . Cela m 'a permis
pice de rassembler des témoignages sur les atrocités dont également d' accéder à beaucoup d 'informations . J'ai sur-
est responsable l'APR. Parfois, durant cette même tout exercé cette fonction dès le début de la guerre d 'in-
période, je passais des jours à l 'hôpital militaire . Cela filtration menée par les ex-FAR quand ils ont commencé
me permettait de rencontrer plusieurs soldats blessés, à attaquer le Rwanda entre 1995 et 1997 . J' ai donc mené
fraîchement rentrés des champs de bataille . Ils se rap- des enquêtes parallèles, différentes de celles conduites
pelaient encore très bien de tout ce qui s'était passé ; ils par les services ordinaires de renseignement attachés aux
me le racontaient . Je mettais par écrit leurs histoires ou unités et ce, sur la plupart des atrocités qui ont été com-
les enregistrais. Après ma sortie de la prison, j 'ai été trois mises dans les préfectures de Kibuye, Gisenyi et une par-
mois au chômage avant d'être affecté dans les unités qui tie de Ruhengeri.
combattaient au Zaïre. J'ai profité de ces trois mois pour Hormis la période où j 'étais en prison, j 'avais toujours
mener une large enquête personnelle . Je passais plu- accès, en ma qualité d' officier militaire, à tous les mes-
sieurs heures par jour à circuler sur tout le territoire sages relatifs aux opérations et à l 'administration qui pas-
rwandais pour recueillir des informations . J'en suis arrivé saient par les radios militaires . Cela m'a permis de
au point où je disposais d 'une documentation si com- connaître tout ce qui se passait chaque jour.
plète que je pouvais directement rédiger un livre sur le En ce qui concerne les endroits ou l 'on a massacré des
déroulement de la guerre du FPR et les conséquences milliers d' innocents, les chiffres que je fournis sont sou-
de l'après-guerre. vent des approximations émanant de mes informateurs
Depuis le mois de juin 1993 jusqu' au moment où j'ai ou des approximations que j'ai faites à partir de ce que
pris le chemin de l'exil, je travaillais le plus souvent offi- j'ai vu en personne . Il importe de noter ici qu'avant de
ciellement au sein des unités militaires ordinaires, mais confirmer les chiffres qui m'ont été donnés par les autres,
RWANDA, UHISTOIRE SECRÈTE 73
72

Il existe encore beaucoup d'informations à ma dispo-


j e devais d ' abord confronter les informations venant sition pour lesquelles je n'ai pas trouvé de personnes accep-
de quatre personnes ou plus, si possibilité il y avait.
Par ailleurs, je me suis servi des différents rapports tant de se porter témoins, ou pour lesquelles j ' ai eu des
établis par les organisations non gouvernementales et les témoins qui n'ont pas voulu que je mette ces informations
organismes internationaux de défense des droits de par écrit, craignant que, le jour où elles seraient publiées,
l'homme . Bien plus, j' ai également eu recours aux sta- ils puissent être tués . De tels cas concernaient des infor-
tistiques et informations données par le régime du FPR mations que les témoins eux-mêmes affirmaient détenues
lui-même, que ce soit lors des recensements, lors des seulement par quelques individus bien spécifiques, de telle
funérailles des victimes du génocide, lors des différents sorte que, s' il y avait une fuite, les services secrets identi-
discours, ou par la presse gouvernementale ou privée. fieraient facilement la personne qui avait donné l'infor-
mation et l'élimineraient . Bien plus, il y a eu d'autres
Portée et limites des témoignages atrocités que je connais bien personnellement mais que je
Comme je l' ai déjà dit, le contenu de ce livre est essen- n'ai pas voulu consigner dans ce livre parce que je trou-
tiellement constitué de témoignages fournis par des per- vais que mon seul témoignage ne suffisait pas à les évo-
sonnes qui ont vu et/ou vécu les événements décrits. quer au même titre que celles sur lesquelles se disposais de
Mon travail a consisté à ordonner et mettre par écrit les- témoignages de sources différentes.
dits témoignages . Je n' ai rien écrit sur quoi je ne dispose Dans la période de guerre d 'avril à juillet 1994, je n'ai
pas de preuves . Parfois, j ' ai été obligé de raccourcir des pas pu obtenir assez d'informations sur le comportement
témoignages sur tel ou tel événement conformément à de certaines unités comme l 'Alpha mobile, la 21 e mobile
la volonté du témoin qui m ' a donné l'entièreté du témoi- et certaines autres parmi celles qui se formaient comme
gnage mais m'a demandé de ne pas tout écrire. la 15e. Ces unités étaient généralement proches de celles
Les informations les plus délicates, qui concernent que je connaissais mais les changements constants de
notamment les massacres de la population par les esca- leurs commandements ainsi que ceux des régions de com-
drons préalablement bien formés pour accomplir cette bat ne me permettaient pas de suivre convenablement
tâche, comme les escadrons de la DMI, la 157 e mobile, leurs agissements.
la 59e , la 7e , la Iol e Simba mobile, la Bravo mobile, les La méthodologie que j 'ai suivie dans mes recherches
escadrons de la police militaire et les instances char- diffère de celle utilisée par les chercheurs professionnels.
gées de la sensibilisation politique, l ' unité du haut com- je me suis heurté à plusieurs obstacles par manque d 'ex-
mandement (la garde présidentielle de Paul Kagame), rience et de moyens matériels, mais je me réjouis que
m'ont été fournies par certains des militaires qui étaient le résultat de mes recherches établisse la vérité . J'ai fait
personnellement chargés de ces sales besognes . des recherches sur le Rwanda en tant que Rwandais ;
74 RWANDA, UHISTOIRE SECRETE 75

je n'ai donc pas de problème de langue et je maîtrise bien Je suis disposé à autoriser que le contenu de ce livre
le contexte . J ' ai fait des recherches sur les causes de soit utilisé pour servir de preuve au cas où cela me serait
l' extermination du groupe ethnique tutsi dont je suis demandé par quiconque en a besoin, victimes, famille
membre, j 'éprouve un intérêt particulier à le faire car j 'ai des victimes ou une instance judiciaire fiable . Dans le
besoin de connaître les causes réelles de l 'extermination cas où je ne suis pas témoin oculaire, je suis disposé à
de ma propre famille . J'ai fait des recherches sur une faciliter l' entrée en contact avec le témoin direct.
armée dont je faisais partie, dont le fonctionnement Je dois avouer que j ' ai été limité par mes compétences
ne m' était pas étranger et dans laquelle je savais directe- personnelles ainsi que par mes moyens financiers ; mais
ment à qui m' adresser pour avoir des informations exactes je tenais à tout prix à apporter ma contribution, que je
au cas où je n' en disposerais pas moi-même . J'ai eu juge capitale pour montrer la face soigneusement cachée
suffisamment de temps pour effectuer mes recherches de la tragédie rwandaise . J 'ai mis beaucoup de temps
puisque, à vrai dire, cela fait dix ans au moins que j ' ai pour rédiger ce livre car je savais bien que la DMI vou-
commencé à rassembler des informations, parce que je lait à tout prix garder secrètes certaines informations
voulais écrire sur notre histoire. et que, si elle arrivait à apprendre que j 'allais les consi-
J'étais persuadé au départ, et j'en reste convaincu, que gner dans un écrit, elle n'hésiterait pas à m'éliminer . Dans
le génocide qui a frappé les Tutsis pouvait être évité ou les derniers jours qui ont précédé mon départ pour l ' exil,
encore être arrêté rapidement avant qu 'il n'emporte des la DMI avait cru que mon projet d ' écrire un livre sur
centaines de milliers d 'innocents. Quant au génocide tout ce qui s'était passé était mûr, de telle sorte que je
qui a frappé les Hutus, même si une partie de ce géno- subodorais déjà l'odeur de la mort devant ma porte.
cide a eu lieu en même temps que celui des Tutsis, j 'ai
recueilli de nombreux témoignages qui me paraissent En raison du caractère incomplet de mes recherches,
irréfutables et qui prouvent qu' il avait été prémédité. j 'exhorte la communauté internationale, les écrivains,
C'est pourquoi j 'ose affirmer qu'il y a eu aussi un géno- les spécialistes de tout genre à mener de façon indépen-
cide contre l'ethnie hutue . Certes, c 'est une épreuve dif- dante, à partir de ma modeste contribution, des enquêtes
ficile, pour moi et pour un bon nombre d'autres Tutsis, et des recherches plus approfondies sur les causes, la réa-
d'affirmer qu 'il y a eu également un génocide contre les lisation, les conséquences et les leçons des politiques
Hutus . Et ce, parce que la plupart des Tutsis croient que de génocide qui ont été perpétrées au Rwanda.
reconnaître ce génocide contre les Hutus revient à don- Du point de vue juridique, je demande instamment
ner raison à ceux qui ont perpétré le génocide des Tutsis. qu'une enquête indépendante soit menée sur tous les
Tel n'est pas mon point de vue . Je l'ai développé dans crimes commis au Rwanda, qu'ils aient été commis par
cet ouvrage . les extrémistes hutus ou par des militaires de l'APR, afin

76 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

que les coupables soient condamnés sans distinction.


II est insupportable de constater que certains Hutus conti-
nuent d' intimider les rescapés afin que ces derniers ne
les dénoncent pas, ou qu ' ils parviennent à tuer lesdits Introduction
rescapés, parfois au su des autres Hutus qui ne les empê-
chent pas de continuer à souiller l ' image de leur groupe
ethnique et ce, dans un État qui prétend assurer la sécu-
rité de tous les citoyens . Il est insupportable de consta-
ter qu' il existe des paysans hutus qui ont été l ' objet de
crimes semblables à ceux dont les Tutsis ont été l 'objet
mais qui n'ont pas la possibilité de mener le deuil de leur
famille ou celle d 'être rétablis dans leurs droits par la jus-
tice . Pourquoi le régime, essentiellement composé de
ceux qui ont massacré ce peuple, s 'acharne-t-il à faire
oublier définitivement toutes les atrocités dont il est res-
ponsable ? Cette attitude de dissimulation de la vérité
engendre le culte de l 'impunité et ne fait que conduire
à des bains de sang récurrents .
L'histoire du Rwanda a été marquée par beaucoup de
graves erreurs dont nous subissons aujourd 'hui les consé-
quences. Les atrocités, les guerres, la ségrégation eth-
nique et le monopole du pouvoir ne sont pas des
phénomènes accidentels . Je fais partie d'un bon nombre
de Rwandais qui pensent que le noeud du problème n 'est
pas l' ethnie, mais plutôt le partage du pouvoir . Les
membres des deux ethnies se sont étripés chaque fois
qu' ils y étaient incités par les hommes politiques . Cela
a conduit à la mauvaise habitude de confondre le crime
avec l'ethnie de ses auteurs . Il ne sied pas de culpabiliser
les gens sur base ethnique ; chacun devrait individuel-
lement répondre de ses propres actes.
Jusqu'aux années 60, le pouvoir était réputé apparte-
nir à une aristocratie tutsie qui n ' était pas prête à le par-
tager volontiers avec des Hutus . Même les rares Hutus
qui avaient pu goûter au gâteau du pouvoir le devaient
aux Occidentaux qui avaient réduit l 'autorité du roi . Je
peux me résumer en trois points : pendant les guerres pré-
coloniales de conquête, un bon nombre de Hutus ont été
massacrés par les armées royales. Tous les rois tutsis qui
se sont succédés ont exercé un pouvoir absolu . Ils ont
astreint les Hums à l'obéissance inconditionnelle . Jusqu'au

80 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE INTRODUCTION 81

coup d ' État de 1959, communément appelé « la l'État aux dépens des Tutsis . Lesdits régimes ont égale-
Révolution sociale », et au référendum de 1961, les élites ment été caractérisés par la discrimination des Tutsis dans
tutsies n' avaient jamais eu la moindre idée de partager l'administration, les écoles, l'armée, la police, le ren-
leur autorité avec des représentants d 'autres ethnies. seignement et par la perte de confiance totale des Tutsis
À l' indépendance du Rwanda, les politiciens hutus dans la vie du pays. Ces derniers devaient se contenter
ont commis les mêmes erreurs que celles dont ils avaient d' être des cultivateurs-éleveurs et se laisser diriger.
accusé les chefs tutsis . Ce fut comme une vengeance exer- Quelques-uns des Tutsis qui avaient des moyens fin-
cée à l'encontre de ceux qui les avaient longtemps domi- anciers se sont orientés dans le commerce, ceux qui
nés, mais une vengeance exercée sur tous les Tutsis . Ils étaient chanceux dans les études allaient dans les écoles
ont procédé aux massacres des Tutsis, à leur persécution privées, et très peu d'entre eux allaient dans les écoles
et ils les ont contraints à l 'exil. Ils ont pratiqué la ségré- publiques moyennant le recours aux connaissances et
gation dans l 'administration et dans tous les secteurs de aux pots-de-vin. Ces régimes voulaient que les Tutsis ne
la vie . Les Tutsis avaient même moins de droits qu 'un constituent plus jamais une entrave à leur pouvoir et
expatrié dans leur pays. Celui qui a vécu au Rwanda pen- cette volonté est allée jusqu'au génocide.
dant les Ire et IIe Républiques aurait pu constater qu 'un Sous la monarchie, jeter un regard critique sur le fonc-
réfugié hutu d' origine burundaise avait plus de droits tionnement du système était considéré comme un acte
qu' un Rwandais tutsi . C'était la même réalité avec les d'insurrection contre le roi . L'auteur était condamné à
Zaïrois : ces expatriés obtenaient des cartes d 'identité mort avec toute sa famille. Sous les Ire et IIe Républiques,
rwandaises comme naturalisés et pouvaient ainsi jouir soit respectivement sous les présidences de Grégoire
de plus de droits qu ' un Tutsi qui était né et avait grandi Kayibanda et de Juvénal Habyarimana et leurs gouver-
au Rwanda . Tout comme le pouvoir tutsi n'a jamais nements de parti unique, le MDR-Parmehutu puis le
accepté le changement pacifique, le pouvoir réputé appar- MRND, celui qui osait prendre de la distance vis-à-vis
tenir aux Hutus n'a jamais accepté l ' idée de partage par du pouvoir était considéré comme un traître ou un
des voies pacifiques . Pire encore, on en est arrivé à ennemi du pays . Il était tué ou jeté en prison . Sous le
dépasser les critères ethniques pour concentrer le pou- régime actuel dominé par le FPR et présidé par Paul
voir sur des bases régionales et même, plus tard, sur Kagame, toute personne qui ose critiquer quoi que ce
des bases familiales (sur ce qu ' on a appelé « la maison- soit est mise à mort, emprisonnée ou contrainte à l 'exil.
nette », Akazu). On a souvent utilisé le terme igipinga (« obstacle ») pour
Si je me limite à ces quelques lignes, je peux dire que désigner quelqu'un qui désapprouve l'idéologie du FPR,
les régimes hutus ont été caractérisés par les points sui- notamment au sein de son armée et dans ses divers serv-
vants : l'injustice, la persécution et la domination de ices de renseignement.

82 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 83

Suite aux problèmes de cette nature et à beaucoup parfois de citer la localité parce que les massacres se sont
d'autres, nombre de Rwandais ont opté pour le silence. déroulés sur une longue distance ou dans des endroits
Ce silence est effrayant . Les gens voient bien que les variés . Autrement, je précise le point exact où tel ou tel
choses vont mal, mais ils n' osent pas le dire . Le gou- forfait a été perpétré. Par ailleurs, les coordonnées géo-
vernement ne veut pas entendre parler de ces problèmes graphiques m'ont également permis d'écrire sur les atro-
afin de pouvoir poursuivre sa politique meurtrière . Cela cités qui se sont déroulées sur une étendue tellement
continue à créer un climat de panique qui ne profite grande que je ne pouvais pas me servir des moyens habi-
qu'au pouvoir dictatorial en place. Plus les années pas- tuels . Néanmoins, je n'ai pas répertorié tous les endroits
sent, plus grandissent les soupçons, la haine et la panique, qui ont connu ce vent macabre des massacres, car j'en
un phénomène qui peut déboucher sur des massacres connais encore plus. Je me suis limité aux seuls cas sur
tels qu'on en a connus dans le passé. lesquels je dispose de preuves suffisantes et pour lesquels
Dans les lignes qui vont suivre, j 'essaierai de décrire il existe des témoins oculaires, c 'est-à-dire des témoins
les événements comme ils se sont produits . Je ne man- qui sont prêts à témoigner sans la moindre hésitation
querai pas de relever les erreurs commises par des groupes devant les tribunaux . Ces exactions à l'encontre de la
tutsis au pouvoir ; je ferai de même du côté des groupes population sont à l 'origine des graves conséquences qui
hutus quand ils étaient encore au pouvoir. s'ensuivirent. C' est cela même qui m'a poussé à écrire
Dans cet ouvrage, je n'ai pas respecté les règles clas- ce livre . En effet, beaucoup de Rwandais et d ' étran-
siques de l ' agencement des épisodes, car je voulais essen- gers n'ont pas compris comment le génocide des Tutsis
tiellement mettre en pleine lumière la vérité des faits . Le qui a duré 100 jours, a coûté la vie à plus d'un million
lecteur constatera que je suis parti de dates et de lieux de personnes . Ce chiffre est sorti du recensement que le
bien connus pour dévoiler les crimes ainsi que leurs FPR prétend avoir fait et selon lequel plus de 90 % des
auteurs. Dans certains cas, j 'ai tenu à faire une descrip- victimes étaient tutsies.
tion minutieuse des événements afin d'aider le lecteur à Si je m'abstenais de parler des massacres des Hutus par
comprendre comment une telle atrocité a été prépa- le FPR pour ne m' intéresser qu' aux seules victimes tutsies,
rée, exécutée ou supervisée par tel ou tel groupe de gens. la plupart ne comprendraient pas non plus pourquoi les
A l'aide des cartes topographiques de toutes les régions miliciens, dits Interahamwe (ceux qui conjuguent leurs
du Rwanda, j 'ai donné des indications précises sur les efforts), étaient peu nombreux, alors qu'il y eut beaucoup
endroits qui ont connu des massacres divers . De temps de tueurs au sein du groupe ethnique hutu . Le plus sou-
à autre, je précise l 'endroit, ou le site, où des tueries de vent, les gens n'ont pas réalisé que tout ce qui s'est passé
grande ampleur se sont produites : les maisons, les était la conséquence directe d 'un plan élaboré secrètement
terrains de football, les églises, les écoles, etc . Je me contente par le FPR d'une part, et par le MRND d 'autre part via
84 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 85

ses services de sécurité et de renseignement, ainsi que par de ce que j 'ai vu, moi, personnellement, j 'affirme qu'il y
l'Akazu. La mauvaise compréhension de ce concours de a eu un génocide des Tutsis ainsi qu'un génocide des Hutus,
circonstances est à l 'origine de la mauvaise interprétation et que ni l'un ni l'autre n'était un pur accident . Tout a été
des rôles joués par chacune des parties en conflit . C'est planifié, orchestré par les organes de l ' État dominé par
également l ' origine de la globalisation ethnique. le MRND et ses acolytes d'un côté, et par le FPR et son
Aujourd'hui, trop souvent, un Hutu est assimilé à un assas- armée de l 'autre. Par ailleurs, fort de ces différentes infor-
sin tandis qu' un Tutsi est assimilé à un innocent . Il y en a mations, j ' ai l'intime conviction que si le MRND et le
même, parmi les Tutsis, qui sont considérés comme des FPR l 'avaient voulu, ces génocides n'auraient pas eu lieu.
rescapés du génocide alors qu 'au moment du génocide ils Je viserai particulièrement le FPR car il prétendait lut-
étaient à l'étranger. En ce qui concerne les Hutus, certains ter pour mettre fin aux massacres répétitifs des Tutsis,
ne font pas la différence entre un génocidaire et un Hutu à leur persécution et à la mauvaise habitude de les consi-
qui était en mission, au travail ou aux études à l 'étran- dérer comme des étrangers dans leur propre pays . Le
ger au moment du génocide . Outre cela, il existe beau- FPR avait plusieurs façons d' éviter le pire : il pouvait
coup de gens qui ne savent pas encore qu'il y a eu accepter les négociations au lieu de susciter sans arrêt des
d' innombrables Hutus qui se sont opposés au génocide difficultés ; il avait aussi une armée capable d 'arrêter les
soit publiquement, soit en refusant de s 'associer à ceux qui massacres, mais il ne l'a pas fait parce qu 'il voulait seu-
massacraient les Tutsis à cause de l ' ethnie de ceux-ci . Et lement conquérir le pouvoir à travers le chaos . J'essaierai
pourtant, il est vrai que tout Hutu n'est pas un assassin et de montrer comment le génocide aurait pu être évité ou
que tout Tutsi n'est pas un rescapé . Bien plus, ce serait un comment, s'il était réellement devenu inévitable, il aurait
mensonge impardonnable de dire qu 'aucun Tutsi n'a par- pu être arrêté avant d'emporter un million de civils inno-
ticipé aux massacres des autres Tutsis ou aux massacres des cents. Il faut rappeler ici que les pays en voie de déve-
Hutus . Nous aurons l' occasion de le voir. loppement devraient opter pour la voie démocratique
Jusqu' ici, mes écrits se sont basés sur de longs témoi- comme la seule permettant d 'accéder au pouvoir, sinon
gnages donnés par des militaires de différentes catégories. ils pourraient connaître le même triste sort que le
Certains témoins ont requis l'anonymat . Ceux qui se Rwanda. Il est grand temps que les dictateurs, les rébel-
sentent à l ' abri des menaces de mort du pouvoir en place à lions armées et les pays sponsors comprennent que les
Kigali ont parlé ouvertement . En général, cet ouvrage se exactions à l'encontre des populations innocentes pour-
limite aux témoignages . De temps à autre, je donne mon raient tourner en de multiples génocides.
point de vue sur certains événements ou incidents selon Personne ne se serait attendu à ce qu'un élément de
les informations dont je dispose et leurs conséquences la rébellion puisse révéler toutes les atrocités commises par
réelles ou éventuelles . Sur la base de ces témoignages, et cette rébellion . Ce sont ces atrocités qui ont donné au pou-
86 RWANDA, UHISTOIRE SECRETE 87

voir dictatorial alors en place un prétexte pour commettre ne veulent pas que l'on parle de génocide des Hutus.
le génocide de l'ethnie que ladite rébellion prétendait vou ur attitude s 'explique par le fait qu'ils ne se voient pas
loir libérer . Qui a gagné des deux côtés ? I :Etat qui a mas- éprouver de la compassion pour ceux qu'ils considèrent
sacré une ethnie a-t-il gagné quelque chose ? Les rebelles comme des tueurs ou des parents de tueurs . D 'autres
qui ont commis des exactions sur les populations civiles, craignent simplement de donner à certains Hutus géno
en prétendant vouloir libérer leurs congénères, ont-ils cidaires l'occasion de trouver des excuses en arguant que
eu un gain palpable ? Le pouvoir, conquis par ces rebelles si les Hutus ont tué les Tutsis et les Tutsis ont tué les
au prix de l'extermination d 'une grande partie de la popu Hutus, il s 'agit d' un match nul sur lequel il ne faudra
lation, en vaut-il la peine ? Tout homme réaliste peut se plus polémiquer. Pour moi, et je crois que c'est l'avis de
poser des questions et y apporter des réponses. toute personne réaliste, un mal n'en justifie pas un autre.
Le lecteur de cet ouvrage devra porter une attention Aucun crime planifié ne peut en justifier un autre . Si
particulière aux stratagèmes utilisés pour atteindre divers jamais il en était ainsi, il y aurait une violence cyclique.
objectifs politiques . Les mêmes stratagèmes ont abouti C' est une calamité qui s'est abattue sur notre pays . Quoi
à verser le sang des innocents . La mauvaise volonté dans qu' il en soit, le mal sera toujours considéré comme le
la recherche de solutions pacifiques aux problèmes poli- mal et le bien comme le bien.
tiques ou ethniques, des négociations auxquelles les par- J'affirme sans réserve que les exactions infligées aux
ties prenantes ne croient pas, etc ., voilà le détonateur du membres du groupe ethnique hutu par les militaires
génocide. Il ne restait qu' à chercher les exécutants, leur de l'APR constituent un génocide . Mes collègues et moi,
fournir le matériel nécessaire, notamment les machettes nous le confirmons parce que nous l'avons vu de nos
et les armes à feu, ensuite désigner ceux qui devaient propres yeux. Cela n'est pas un affront ni une honte pour
superviser et encourager les massacres. mes collègues et moi, car nous nous sommes dissociés
Concernant particulièrement le génocide dont les des criminels qui ne respectent pas l 'être humain . La
Hutus ont été victimes, j 'ai eu beaucoup d' hésitations balle est dans le camp des juridictions habilitées pour
avant de le confirmer, parce que je devais d 'abord ras- confirmer qu'il y a eu bel et bien un génocide du peuple
sembler des témoignages suffisants, dignes de foi . Bien hutu. Cet ouvrage recèle beaucoup de témoignages qui
plus, je devais d' abord me libérer de mon identité, c 'est- devront désormais leur servir de base dans la collecte des
à-dire celle d 'un Tutsi qui a perdu tous les siens à cause informations nécessaires à ce sujet.
des Interahamwe majoritairement hutus . Suite aux souf À propos des régimes dictatoriaux, j 'ai montré notam
frances qui leur ont été infligées depuis plus de trente ans ment comment le dénominateur commun de tous les sys
et au génocide des membres de leur groupe ethnique, la tèmes dictatoriaux est la prise du pouvoir par les armes.
plupart des Tutsis, même s' ils le savent ou s'ils l'ont vu, Autrement dit, sous ces régimes, la loi de la force écrase la

88 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE 89

force de la loi . Je voudrais dire ceci à mes lecteurs : la poli- taquer le Rwanda. Il est difficile de répondre à cette ques-
tique nationale sans garde-fous est un suicide collectif. tion. D 'un côté, il y avait des négociations en cours entre
Je veux dire par là qu 'un dirigeant fou se suicide dans la le Rwanda, l ' Ouganda, le HCR (Haut-Commissariat
mesure où il martyrise le peuple en sachant bien qu 'il finira des Nations unies pour les réfugiés) et des représentants
soit par être tué, soit par vivre en prison le restant de sa des réfugiés. Tout cela aurait pu conduire à la résolution
vie, soit par fuir son pays et être traqué par les tribunaux pacifique du problème . C'est mon opinion, mais je ne
internationaux. Dans sa folie meurtrière, le dictateur fait peux affirmer que les accords qui devaient être conclus
tout pour s'engouffrer dans l 'abîme avec toute la popula- auraient été facilement mis en application.
tion. C'est ce qui s' est passé au Rwanda . Qu'avons-nous Le président Habyarimana avait refusé un rapatrie-
réellement gagné ? Pourquoi ne pouvons-nous pas imiter ment massif et inconditionnel des réfugiés . Il avait tout
les pays développés qui prévoient des garde-fous afin d 'évi- essayé pour les désorganiser dans leurs pays d 'accueil en
ter que les conséquences des actes d 'un mauvais dirigeant tentant de leur faire prendre la nationalité de ces pays.
ne retombent directement sur la population ? Ce processus les aurait définitivement éloignés de leur
citoyenneté rwandaise, car la double nationalité était
Le régime monarchique a tenu jusqu'en 1961, sous inconstitutionnelle au Rwanda. Mais il a fini par se
domination coloniale, pour céder la place à l 'époque répu- rendre compte que cette politique conduirait inéluc-
blicaine . Les erreurs des Ire, IIe Républiques et du FPR tablement à la guerre . Il redoutait surtout les réfugiés
seront détaillées plus loin dans cet écrit . L'ère républi- tutsis vivant en Ouganda, car ils avaient la capacité de
caine a été associée aux Hutus et ce que je peux condam- mener une guerre. Il a oublié qu'il y avait aussi des réfu-
ner c' est que des Tutsis ont été tués en représailles contre giés au Burundi, au Zaïre et ailleurs . Tenter de négocier
une monarchie que les nouvelles générations n'ont même uniquement avec ceux de l 'Ouganda était une masca-
pas connue, et sans qu' aucune preuve n'ait été fournie sur rade . Suite à la pression des réfugiés, le président
le fait que tous les Tutsis étaient liés à la monarchie ou Habyarimana accepta la participation d 'autres réfugiés
avaient participé à l 'asservissement des Hutus. De la même aux négociations . Mais l'agenda des négociations n'avait
manière, sous le régime du FPR, les Hutus sont en train rien à voir avec les objectifs du FPR qui voulait que le
de payer pour les fautes commises par certains d 'entre rapatriement des réfugiés soit accompagné de leur inté-
eux qui ont exercé le pouvoir . Cela est un non-sens tra- gration dans le gouvernement, afin que les Tutsis ne
gique auquel il faut mettre fin. soient plus considérés comme de simples valets soumis
Il y avait certes des problèmes, dont celui des réfugiés par la force des armes.
tutsis en exil depuis plus de trente ans, mais on peut Il y avait ici un piège que beaucoup n ' ont pas corn-
se demander si le FPR devait prendre la décision d 'at- ris . Le président Habyarimana acceptait que tout

90 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 91

réfugié puisse rentrer s 'il avait les capacités financières tant que cela était possible, furent les motifs qui ont pré-
de subvenir à ses besoins sans aucune assistance de l'É- cipité la guerre . Beaucoup, dont moi-même, estiment
tat. En vérité, on ne pouvait pas prétendre que tout réfu- qu' il aurait été préférable d' attendre que les voies poli-
gié de retour dans son pays pouvait subvenir à ses besoins tiques et diplomatiques soient épuisées . Ce qui n'était
sans aucune aide, au moins dans les premiers jours de pas le cas à ce moment-là . Pour les jeunes gens, dont je
son installation . De plus, vouloir rapatrier les réfugiés faisais partie, ce moment avait trop tardé car tout le
en escamotant le problème de partage du pouvoir n 'était monde était convaincu que la seule et meilleure solu-
pas du tout une solution . L' approche préconisée par le tion était le recours aux armes . Les journaux publiés par
gouvernement était partielle : il était d'accord pour recon- la diaspora tutsie, tels Impuruza (Le Mobilisateur),
naître aux réfugiés rwandais leur droit inaliénable de Huguka (Sois attentif !), TheAlliancer (Le Rassembleur)
retourner dans leur pays ou de s'établir dans leur pays et plus tard Inkotanyi (Le Combattant), Le Patriote,
d'accueil en bénéficiant de la protection rwandaise, mais Muhabura (Le Phare), etc ., ne faisaient qu'augmenter
il ne donnait pas aux réfugiés des garanties politiques le feu en nous . Il n'y avait pas moyen d 'y résister.
suffisantes quant à leur intégration dans les structures
du pouvoir et de sécurité (gouvernement, administra-
tion, forces armées et police).
D' autre part, le fait que le FPR ne soit pas une force
crédible ne lui permettait pas de revendiquer ouverte-
ment le partage du pouvoir. Cette revendication aurait
alerté le Président sur les risques de son renversement
par les armes s'il n'acceptait pas cette revendication . Le
FPR avait par ailleurs investi énormément dans la for-
mation militaire, dans les mobilisations politiques et
dans la préparation de la guerre . Il espérait tirer davan-
tage de bénéfices suite à une action armée que grâce à
des négociations où il n' avait pas de place officiellement
reconnue . A cela s 'est greffée la détérioration des rela-
tions entre les Rwandais et les nationaux au sein de l'ar-
mée ougandaise, la NRA (National Resistance Army).
Nous y reviendrons plus loin . Ce concours de circons-
tances ainsi que la nécessité de piller des armes à la NRA,
Première partie : de 1990 à 1993
Le FPR et la guerre d ' octobre'

1 . J ' ai écouté beaucoup de gens, militaires et civils, ayant suivi de très


près ce qui se passait ou qui ont directement participé aux différents évé-
nements décrits ci-après . J'ai moi-même été au front quelques jours
après le déclenchement du conflit . J 'ai ensuite comparé les témoignages,
mes enquêtes et ce que j 'ai moi-même vu . Puis je me suis mis à écrire.
Parmi ceux qui m'ont donné les informations que j ' utilise, je peux citer
les noms suivants : major Rachid Mugisha, major Alex Ruzindana, lieu-
tenant-colonel Willy Bagabe, major Alex Shumba, capitaine E . Banga,
capitaine Sam Rwija, capitaine George Rwakampala, lieutenant Henry
Rwigyemera, lieutenant Gema, sous-lieutenant Steven Rutagengwa.
Les préparatifs
Le noyau des Inkotanyi (les « Lutteurs », surnom des
soldats de la future armée du FPR) était constitué par
des éléments qui évoluaient dans la NRA . Les réfugiés
rwandais et tous ceux qui leur étaient assimilés du fait
de parler kinyarwanda étaient nombreux. La plupart des
membres des autres ethnies au sein de la NRA ne pou-
vaient pas distinguer les Rwandais des Bafumbira et de
certains Banyankore ou Bakiga originaires ou domiciliés
dans des régions qui faisaient jadis partie du Rwanda.
Lors de sa prise de pouvoir en 1986, la NRA comptait
déjà environ 3 000 Rwandais dans ses rangs, soit à peu
près un cinquième de ses effectifs . Certains d'entre eux
occupaient d' importants postes de responsabilité . Les
exemples sont nombreux :
1 . Général-major Fred Gisa Rwigyema . Il était vice-
ministre de la Défense, responsable des opérations, notam-
ment de la répression des insurrections dans le nord de
l'Ouganda . Le ministre de la Défense était le président
Museveni lui-même . Il était donc la deuxième personna-
lité après le président Museveni au sein de l'armée. À aucun
moment, Rwigyema n'a tenté d ' obtenir la nationalité
ougandaise. De ce fait, même s'il était fort apprécié pour

96 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

ses hauts faits militaires, il restait, aux yeux de ses collègues, 7. Major Samuel Kanyemera (alias Kaka) . Il était com-
un étranger commandant des autochtones dans l 'armée. mandant de la police militaire en Ouganda.
À la fin de l'année 1989, ce général, abandonnant toute 8. Major Paul Kagame. Il était chargé du personnel
fonction militaire officielle, fut mis à la disposition du pré- et de l'administration de la DMI (Directorate ofMilitary
sident Museveni, ce qui apaisa les esprits des nationaux et Intelligence) en Ouganda. En réalité, ce poste n' était pas
lui permit de commencer l 'organisation de son propre très important par rapport à ceux détenus par les offi-
futur mouvement rebelle (entendez le FPR) puis, peu ciers cités précédemment . Il était craint parce qu'il exer-
de temps après, passer à l'action armée. çait ses fonctions par la terreur. L'importance accordée
2. Général-major Mugisha Muntu . Au moment du aux services de renseignement faisait que beaucoup des
déclenchement de la guerre, il était commandant de l 'ar- Rwandais au sein de la NRA le considéraient comme le
mée ougandaise (Army Commander) mais personne ne plus important dans la hiérarchie militaire après Fred
soufflait mot de ses origines rwandaises. Rwigyema.
3. Major Dr Peter Bayingana, médecin, responsable 9. D' autres officiers, commandants de bataillons, occu-
du service médical de l' armée (Director of Medical paient ainsi des fonctions plus importantes dans l 'armée
Services) . Plus tard, pour laisser ce poste à un autochtone ougandaise, même s ' ils étaient moins gradés (capitaines
ougandais, il sera nommé directeur de l ' hôpital militaire ou lieutenants) que Kagame . Parmi ceux-ci se trouvaient
de Mbuya. Il parlait français et anglais . Nous verrons d'anciens militaires, comme le capitaine Charles Musitu,
plus loin les problèmes que cela engendrait. qui avaient été au front dans d 'autres pays tels la Tanzanie,
4. Lieutenant-colonel Adam Wasswa . On ne parlait l Mozambique ou ailleurs . Dans la NRA, Musitu était
pas beaucoup de lui à cause de sa santé fragile qui ne lui é de l'entraînement de nouvelles recrues (Directorate
permettait pas d' aller souvent au front. Au sein de la (f Training and Recruitment) . Il y avait aussi d'autres com-
NRA, il commandait toutes les unités déployées dans la mandants d' unités comme le capitaine Twahirwa
région ouest et sud-ouest de l 'Ouganda. Ludoviko alias Dodo, le capitaine Samuel Byaruhanga
5. Major Chris Bunyenyezi . Combattant redoutable, (qui sera exécuté par Kagame plus tard), le capitaine
il était commandant militaire d 'une brigade de la NRA Cyiza, le capitaine Didas Kayitare (alias Intare batinya,
basée à Mbale, à l 'est de l'Ouganda . Personne au sein des « le Lion redoutable »), le capitaine Karangwa Edward
Inkotanyi n' avait plus de capacités de diriger le front que et son frère du même nom, ainsi que le capitaine Mico.
lui, à l' exception de Rwigyema. D'autres, comme les lieutenants Khaddafi, Bigabiro,
6. Major Steven K. Ndugute. Responsable d'une unité Fred Ibingira, Fred Nyamurangwa, complétaient la liste
d' élite de commandos marins, il a toujours secondé des officiers . Il y avait enfin des officiers subalternes, des
Kagame durant la guerre . us-officiers ainsi que des soldats qui évoluaient surtout
98 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE
99

au sein de la DMI, au département des finances ou de wandais, des Bakiga et des Bufumbira (Ougandais rwan-
la sécurité présidentielle, etc. dophones) furent placés à des postes stratégiques qui faci-
Les Rwandais se trouvaient essentiellement dans trois literaient le départ . Henry Rwigyemera fut nommé à
catégories d'unités militaires : la zone des combats au Mbarara parce que cette localité était un point de pas-
nord de l ' Ouganda ; la DMI, service de renseignement sage obligé . Kayumba Nyamwasa en était DA (District
militaires, section finance ; la sécurité présidentielle Administrator) . D' autres, comme le sergent Nziza Jack,
(Presidential Protection Unit) . Les capitaines Charles furent envoyés chez eux au Bufumbira pour préparer
Ngoga et Charles Muhire étaient très influents dans cette le passage et servir d ' équipe de reconnaissance à la fron-
dernière unité. tière. Les sous-lieutenants James Kabarebe, Charles
Du fait que des Rwandais étaient présents à tous les Kayonga et d ' autres, jusque-là sans fonctions connues
niveaux de pouvoir et que leurs prestations étaient fort après leur formation de cadets, furent mis à la disposi-
appréciées, hormis celles de Kagame qui avait la répu- tion du major Paul Kagame à la DMI . En fait, avant de
tation de faire périr les gens injustement, il a été facile partir en formation, ils étaient déjà des agent de la DMI.
de préparer la défection de l' armée le moment venu. Ils furent eux aussi utilisés pour les reconnaissances et
Et ce fut dans la plus grande discrétion. quelques tâches d 'ordre organisationnel . Le lieutenant
Juste avant le début de la guerre, il y avait une cer- Karake Karenzi (directeur du personnel et des finances
taine lassitude parmi les hommes de troupe qui accu- au sein de l 'ISO, Internal Security Organisation) joua
saient le général Rwigyema de temporiser alors qu' ils ne aussi un rôle important dans les renseignements.
supportaient plus l 'arrogance des autochtones ougan- Beaucoup d ' autres furent aussi envoyés près de la fron-
dais. Beaucoup d'exemples montrent que non seulement tière zaïroise avec la même mission de reconnaissance,
les Ougandais les détestaient, mais aussi qu ' ils redou- ainsi que ceux qui venaient du Burundi.
taient qu'un jour ils en arrivent à les diriger. Cette hos- En Ouganda, le plan était mûr mais tenu secret . Par
tilité ne datait pas du régime de Museveni, elle existait méfiance et pour éviter d 'éventer le projet, Rwigyema
déjà dans les régimes précédents . Ainsi, un politicien ne disait pas tout au président Museveni . Certains pré-
ougandais originaire d' Ankole, Chris Rwakasisi, avait tendent même que ce dernier n ' aurait jamais été mis au
réagi un jour aux propos selon lesquels les Rwandais nés courant de l ' invasion.
en Ouganda devenaient automatiquement ougandais . Il Les recrues qui devaient aller au front au Rwanda s'en-
déclara qu' un chien qui naît dans une étable ne devient traînaient dans le camp militaire de Singo . Rwigyema
pas pour autant une génisse. tien a pas dit un seul mot à Museveni . Le Président aurait
Peu avant l'invasion, des mesures avaient été prises pu être mis au courant par d 'autres échelons mais, du
pour faciliter la désertion des hommes le jour venu . Des fait de la notoriété de Rwigyema au sein de l ' armée,

100 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE


101

personne n ' osait pointer du doigt ce qu 'il faisait. pour la restauration de la monarchie au Rwanda ; la pro-
Rwigyema recherchait surtout des jeunes officiers éru- motion des jeunes recrues en provenance du Burundi,
dits et de préférence parlant français pour pouvoir du Zaïre et du Rwanda au grade d 'officier, qui créa un
opérer dans un système différent du système anglo- mécontentement chez les anciens qui ne pouvaient avoir
phone. C' était sur conseil de l'ex-roi du Rwanda en exil, accès aux plus hauts grades de l 'armée.
Kigeli V, qui lui avait par ailleurs suggéré d ' attendre un Depuis sa fondation en 1987/1988, le FPR avait des
peu, espérant peut-être que les négociations en cours branches un peu partout dans la population des pays
allaient porter leurs fruits et que les réfugiés pourraient limitrophes du Rwanda, mais particulièrement en
être rapatriés . Le roi l' avait aussi mis en garde de ne pas Ouganda, parmi les populations d 'origine rwandaise ou
mettre en avant l ' étiquette ethnique ou anglophone s'affirmant de nationalité rwandaise . Il y eut même des
et de ne pas commettre des exactions envers la popu- Ougandais de souche qui rejoignirent le front à cause du
lation rwandaise sans quoi la guerre serait difficile et charisme de Rwigyema.
conduirait à des massacres ethniques. Les régions ougandaises à forte prédominance rwan-
Quand les adversaires du monarque apprirent que daise sont Luwero district, Masaka district, Mubende
Rwigyema le fréquentait, ils commencèrent à manifes- district, Mbarara district, Rukungiri district, Toro dis-
ter publiquement leur désapprobation en le soupçon- trict, Kiboga district, Rakai district, etc . Dans certaines
nant de vouloir mettre en avant le retour de la monarchie localités, on se croirait au Rwanda du fait que presque
dans leur guerre . D'autre part, certains s' insurgeaient tout le monde parle kinyarwanda, y compris les res-
contre le fait de vouloir à tout prix recruter des jeunes ponsables politiques . J'ai déjà dit plus haut qu'un plan
francophones. Ceux-ci étaient orientés vers des forma- secret avait été élaboré pour que la désertion de l ' ar-
tions accélérées pour devenir des officiers . De ce fait, les mée ougandaise en soit facilitée . La plupart des militaires
anciens, pas forcément éduqués, étaient relégués au sec- se trouvaient dans le nord de l 'Ouganda dans les loca-
ond plan . Ceux-ci restaient des subalternes et souvent, lités de Soroti, Gulu, Pakwach, Lira, et ailleurs . Leur
ne pouvaient pas dépasser le rang de sous-officier. embarquement s' est fait en très peu de temps.
Pour Rwigyema, il était suicidaire d 'attaquer sans avoir Au Burundi, il y avait quatre localités à prédominance
beaucoup de gens habitués au système francophone . Il rwandaise : Mishiha en province de Cankuzo, Muramba
craignait aussi le risque de graves représailles contre les en province de Muyinga, Cibitoke dans la province de
Tutsis de l'intérieur. C'était aussi l' appréhension du roi. Cibitoke, et Bujumbura, dans les établissements scolaires
Deux raisons ont valu à Rwigyema d ' être exécuté dès secondaires et supérieurs . C' est là que des plans avaient
le déclenchement de la guerre : la suspicion d 'une alliance été élaborés pour que de jeunes gens puissent s' enrôler
avec le roi faisait penser que la guerre allait être menée dans l' armée en Ouganda dès le début de la guerre .

102 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 103

D' autres concentrations de Rwandais se trouvaient à arme propre et une autre arme d ' appui qui serait à sa
Kirundo, habitée presque totalement par des Rwandais, portée . Dans la mesure du possible, il emportait aussi
à Mpanda en province de Bubanza, et ailleurs . Au une autre arme de réserve qui serait utilisée par une
Burundi, le FPR était bien organisé, surtout chez les jeunes recrue . Cette consigne fut respectée scrupuleusement,
qui mouraient d' envie d' en découdre . Mais le plan res- rien n'a été laissé qui pouvait être emporté . Au moment
tait toujours secret . En Tanzanie, le FPR était présent sur- de franchir la frontière à Kagitumba, certains avaient jus-
tout à Karagwe, Kimuri et Nkwenda, Dar es-Salaam, qu' à cinq armes ou plus, en prévision de ceux qui n 'au-
etc. Au Zaïre, il y avait aussi de nombreux Rwandais : raient pu emporter leurs propres armes . Cette opération
des Tutsis d ' origine rwandaise comme les Bagogwes, se déroula dans la plus grande discrétion, sans quoi l 'ar-
Banyejombas, Banyamulenges, et autres . Il y avait aussi mée d' Habyarimana se serait mise en alerte . Cependant,
des Hutus qui étaient en très bons termes avec leurs voi- il semble que dès le 25 ou 26 septembre 1990, le pré-
sins tutsis ou qui avaient fui le pays avec eux à partir de sident Habyarimana n'ignorait pas qu 'il allait être atta-
1959 . Là aussi, le FPR était très présent . Des jeunes se qué, mais sans savoir ni quand ni comment.
sont vite enrôlés dès le déclenchement des hostilités. Toujours est-il qu' il estimait la qualité des combat-
Vers la fin du mois de septembre 1990, les préparatifs tants auxquels il avait à faire car il connaissait déjà
étaient terminés, il ne restait plus que l'opportunité de Rwigyema. En 1987, alors en visite officielle en Ouganda,
déserter. Le départ des Rwandais était comme une déser- lors de la cérémonie de collation de grades au sein de
tion en masse . Pour beaucoup d ' Ougandais, c 'était une la NRA, c'est Habyarimana en personne qui avait remis
aubaine, car ils allaient occuper les places de comman- à Fred Rwigyema son grade de général-major, lui disant
dement laissées vacantes . En effet, les Rwandais, recon- qu'ils étaient désormais deux . Du fait de ses actes de bra-
nus pour leur intrépidité, étaient envoyés dans les lieux voure et de sa magnanimité sans égale, Rwigyema, aimé
les plus chauds et occupaient des postes de commande- de tout le monde, possédait un grand charisme.
ment, y compris des postes subalternes. Le 25 septembre 1990, Rwigyema donna donc l 'ordre
Rwigyema avait prévu des camions pour le transport de lancer l 'opération de vols d 'armes autant que possible
des hommes et du matériel, placé des réserves de car- et là où c'était possible . Dans le même temps, il ordonna
burant sur les voies de passage de façon que l ' opéra- aux commandants rwandais de fournir des moyens de
tion soit menée très rapidement . Comme je l'ai dit, les transport aux jeunes et beaucoup commencèrent à faire
Rwandais avaient des postes de responsabilité dans la mouvement vers le sud — surtout ceux qui étaient du côté
NRA et certains étaient même commandants de camp. de Gulu, Lira, Pakwach, etc . — avec entrain, disant qu' ils
Il leur était donc facile de détourner des armes et des rentraient chez eux. Dans la nuit du 28 septembre 1990,
munitions . Selon la consigne, chacun devait prendre son il ordonna que toutes les recrues en formation au

104 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

camp Singo soient autorisées à faire mouvement vers raisons suivantes : il réalisait qu'il avait peu d 'hommes
Kagitumba. Le 29 septembre 1990, les camions parti- et que sa réserve de recrutement était beaucoup moins
rent de divers endroits en direction de Sofia près de la importante que celle de l ' État rwandais ; il savait qu ' il
frontière de Kagitumba. n'y avait pas eu de mobilisation politique par le FPR au
Ce même jour du 25 septembre, le président Rwanda même. Il savait pertinemment qu'Habyarimana
Museveni était absent . En effet, comme son homologue avait des amis qui n'hésiteraient pas à voler à son secours.
rwandais le général-major Juvénal Habyarimana, il devait Enfin, il s ' attendait à ce que cette guerre soit perçue
se rendre aux États-Unis pour participer à une réunion comme une guerre pour restaurer la monarchie et la féo-
importante organisée par l'Unicef. De plus, son demi- 'lité ainsi que cela fut déclaré dès son déclenchement ;
frère, le général Salim Saleh, était au combat dans le aussi avait-il prévu de se donner le temps d 'expliquer à
Nord. Personne n' avait le pouvoir de demander à la population qu 'il y avait une différence entre les
Rwigyema où il allait . Un autre élément favorisant les anciens Inyenzi I et le FPR. Il se doutait que cette guerre
mouvements de troupes était qu'à cette période, les deviendrait une guerre des Tutsis et que les Hutus allaient
militaires préparaient les cérémonies des fêtes du se mobiliser contre le FPR . Rwigyema était parmi les très
9 octobre, jour de commémoration de l 'indépendance rares personnes à dépasser le critère ethnique ; en raison
de l ' Ouganda . Donc, pour certains, ce mouvement de de sa magnanimité, il avait tiré un trait sur ce problème
troupes n'était pas suspect . Le moral était au plus haut et pensait rechercher le bonheur des Rwandais dans son
et beaucoup d ' Ougandais furent surpris par l 'invasion. action. D'ailleurs, il n' avait jamais considéré ses relations
Là, au sud-ouest de l ' Ouganda, où les combattants du avec le colonel Alexis Kanyarengwe, un Hutu qui devint
FPR passaient, ils dépensaient tout leur argent disant président du FPR, comme une carte pour attirer les
qu' ils ne voulaient pas franchir la frontière avec des shil- Hutus. Simplement, ce dernier avait haï les Tutsis à une
lings (monnaie ougandaise) . Les jeunes combattants certaine époque mais était revenu sur ses sentiments.
croyaient que l'armée du Rwanda était composée d 'in- ll y avait donc moyen de ramener certains extrémistes
dividus à embonpoint, gâtés par le régime et qui ne Hutus à la raison.
pourraient tenir pendant une semaine de combats . Ces Tous ces facteurs ont poussé Rwigyema à envisager sa
jeunes Tutsis de la NRA estimaient qu 'ils avaient suf- erre sur le long terme de façon à minimiser les pertes
fisamment d' expérience de la guérilla et d 'endurance,
de sorte que cette guerre ne leur faisait pas peur : elle
1 . Inyenzi, surnom signifiant « cancrelats », parce que ces insectes
serait une guerre éclair. attaquent de nuit comme les combattants tutsis exilés au Burundi après
Mais Rwigyema, qui n'avait rien dit de sa stratégie à l'indépendance rwandaise et qui lançaient des opérations de guérilla
personne, savait que la guerre allait durer longtemps pour pour rétablir la monarchie . (NdE)

106 RWANDA, I:HISTOIRE SECRÈTE 107

en vies humaines. Il avait beaucoup d ' amis et écoutait quelques coups de feu ont été entendus au poste fron-
volontiers leurs conseils . Il était très proche des hommes talier de Kagitumba (nord-est du Rwanda) en guise de
de troupe, ce qui a rendu son assassinat possible. cérémonial pour lancer les hostilités.
Il voulait à tout prix s'emparer d 'une zone inhabitée Parmi les soldats premiers arrivés au poste frontière,
pour ne pas être accusé de massacrer la population le plus haut gradé était le major Chris Bunyenyezi ; il
afin de planifier le renversement du gouvernement . C'est a réparti les combattants en deux bataillons provisoires
pour cette raison qu'il avait choisi le Mutara, alors que (le 1er et le 3 e ) dont l'un a été lancé aussitôt sur
d'autres voulaient s'emparer de Gatuna, Cyanika, etc ., itumba avant l ' arrivée de Fred Rwigyema . Celui-ci
parce qu'il y avait des vivres pour les hommes et un pay- n'est arrivé sur les lieux que vers 15 heures dans l 'après-
sage dénivelé qui permettait de se mettre à l 'abri des midi. Le 1 er bataillon était commandé par le capitaine
bombes . Pour ceux qui ont pris sa place, les victimes Sam Byaruhanga et le 3 e bataillon par le capitaine Mico.
civiles importaient peu, seule la prise du pouvoir comp- C'est le 1er bataillon qui a attaqué Kagitumba, les sol-
tait. C' est ainsi que la guerre sera conduite par Paul dats des Forces armées rwandaises, les FAR, qui gardaient
Kagame, sans tenir compte du prix à payer en vies frontière n'ont pas beaucoup résisté . Ils ont pris la fuite
humaines. vers Nyabwishongwezi . Après la prise de Kagitumba par
le 1er bataillon, le 3 e bataillon a poursuivi les FAR à
La guerre d'octobre 1990 jour après jour Nyabwishongwezi. Le même jour, Kagitumba et
1/10/1990 Nyabwishongwezi sont tombés aux mains des assaillants.
Des soldats de la NRA d 'origine rwandaise, sous le Le reste des soldats arrivant petit à petit de l 'Ouganda,
commandement du général-major Fred Gisa Rwigyema, le soir ils étaient plus nombreux.
ont attaqué le Rwanda en prenant le nom d 'Armée 2/10/1990
patriotique rwandaise (APR) . Il s'agissait de la branche Le front avançait rapidement sans résistance du côté
militaire du Front patriotique rwandais (FPR), organi- du gouvernement rwandais parce que l ' armée avait été
sation politique qui regroupait la plupart des réfugiés disséminée sur toute la frontière nord du pays, en pré-
rwandais dont beaucoup venaient de passer plus de trente vision d' une attaque en provenance de l ' Ouganda.
ans en exil. La désertion de ces soldats a été tenue secrète L' imminence de l' agression aurait été annoncée aux auto-
jusqu'au 28 septembre mais, dans les deux jours qui sui- rités rwandaises le 26 septembre 1990 . Ne sachant de
virent, le mouvement s'est fait publiquement. Ils empor- quel côté viendrait l' attaque, les soldats des FAR ont été
taient leurs équipements militaires : véhicules de transport dispersés le long de la frontière, c'est ainsi qu'à Kagitumba
de troupes, munitions et matériel de guerre en grande et ses environs il n'y avait pas suffisamment de soldats
quantité. Il n'y a pas eu de combats le premier jour, pour défendre les lieux .

108 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 109

Le fait de ne pas rencontrer de résistance a conduit il leur fut intimé l'ordre de n'en rien dire à leurs troupes
les Inkotanyi (APR) à penser que la guerre et même la pour ne pas les décourager. L'annonce officielle viendrait
prise du pays seraient faciles. Ils commencèrent ainsi à au moment opportun.
se disputer les postes du pouvoir comme si le pays était Cette réunion désigna le major Dr Peter Bayingana
déjà conquis . C'est dans ce climat d'intrigues entre chefs comme commandant provisoire des opérations, assisté par
militaires que surgit une conspiration pour éliminer le le major Chris Bunyenyezi, en attendant la décision finale
général-major Fred Gisa Rwigyema. Mais, après la prise du président Yoweri K. Museveni . Le sous-lieutenant
de Kagitumba et de Nyabwishongwezi, Rwigyema avait Alphonse Furuma fut désigné au poste de commissaire
déjà réorganisé et formé de vrais bataillons de combat politique et le capitaine Camarade Kayitare comme chef
avec des attributions de zones bien distinctes. des services du renseignement militaire de l 'APR.
Le nouveau 1er bataillon fut confié à Sam Byaruhanga, 3/10/1990
le 4e bataillon au major Ndugute mais commandé par Deux hélicoptères (Gazelle) et des véhicules blindés
le capitaine Bitamazire, le 9 e bataillon au major Sam (AML) furent utilisés par les FAR sur les localités de
Kanyemera alias Kaka. Une bataille de grande envergure Nyabwishongwezi (destruction d 'un camion citerne plein
était attendue à Nyagatare et à Gabiro . Chaque bataillon d'essence appartenant à un particulier), Kagitumba,
avait sa zone de combat. Ntoma et Matimba . Ces deux types de matériel militaire
Il était 10 h 30, après le passage d ' une jeep-mitrailleuse sont de fabrication française.
des FAR qui venaient de Lyabega et qui arrosa d ' une Les soldats du 4 e bataillon, sous le commandement
façon désordonnée les soldats de I'APR, quand le géné- du capitaine Bitamazire et du major Ndugute, quittè-
ral-major Fred Rwigyema fut assassiné par les siens, qui rent la route macadamisée à Nyabwishongwezi et s'en-
attribuèrent sa mort aux FAR I . Le soir, les hauts offi- gouffrèrent dans la forêt du parc national de la Kagera
ciers présents sur les lieux eurent droit à une réunion en vue d 'attaquer le camp militaire de Gabiro . Le
pour les informer de la mort du général Rwigyema . Mais 1 er bataillon, commandé par le major Sam Kaka, fut
chargé d 'attaquer Nyagatare.
1 . Les éléments d ' enquête dont je dispose m ' indiquent clairement Le reste des troupes fut conduit à Namuhemure pour
que le général Rwigyema a été abattu par balle d'un fusil de type sniper éviter les bombardements des avions . Ce campement
gun appartenant au major Chris Bunyenyezi qui, d ' ailleurs, dans toute deviendra par la suite un terrain d 'entraînement pour
l'APR à ce moment, était le seul à être en possession de ce type d ' arme.
les nouvelles recrues . Peu de temps après, la localité a
Le major Dr Peter Bayingana faisait partie de la conspiration . Les mêmes
également subi des bombardements par des hélicoptères.
éléments m 'indiquent aussi que ce sniper gun fut récupéré par le major
Paul Kagame . Ceux qui m' ont donné ces informations m ' ont demandé Le campement avait été également choisi pour regrou-
de ne pas citer leur nom pour leur sécurité . per les soldats en provenance d'Ouganda ainsi que les

110 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 111

nouvelles recrues en vue de les répartir dans les différents parvinrent à obtenir de la nourriture ont mangé soit dans
bataillons . Le chemin était encore long, les deux bataillons leurs chaussures soit sur leurs propres habits . Ils étaient
ne pouvaient pas atteindre rapidement Gabiro ou accusés de complicité avec le FPR . Depuis lors, les Tutsis
Nyagatare. furent persécutés par le seul fait que le FPR qui avait
4/10/1990 attaqué le pays était à majorité tutsie.
Deux nouveaux bataillons furent créés à Namuhe- Le président Juvénal Habyarimana annonça publi-
mure : le 3 e fut confié au capitaine Cyiza et le li e au quement qu'il avait été attaqué par l ' Ouganda et
capitaine Didas Kayitare. demanda aux pays amis de lui venir en aide . Il s'adressa
Nyagatare est tombée . Une partie des soldats des 9 e surtout à la Belgique, à la France et au Zaïre . Les trois
et 1 er bataillons continuèrent les combats en direction pays répondirent positivement.
de Ngarama et Mimuri. Ils étaient alors commandés par Sous le prétexte que le Rwanda avait été agressé par
le major Sam Kanyemera alias Kaka. l'Ouganda, la France envoya aussitôt entre 200 et 300
Après la prise de Nyagatare, d'autres renforts en pro- soldats avec pour mission de protéger les voies de cir-
venance d 'Ouganda arrivèrent et constituèrent le culation de la ville de Kigali et l 'aéroport de Kanombe.
6e bataillon commandé par le capitaine Sam Byaruhanga. Ils avaient également pour mission de protéger les res-
La direction militaire fut remaniée le jour même, le major sortissants français (environ 500) présents au Rwanda.
Sam Kanyemera devint le commandant de tous ces Cette intervention fut appelée opération Noroît.
bataillons, le 9e bataillon fut confié au lieutenant William 5/10/1990
Bagire tandis que le 6 e resta sous le commandement La Belgique a envoyé 535 militaires pour assurer la
du capitaine Sam Byaruhanga. sécurité de plus de 1 600 ressortissants belges résidant
A Kigali, la capitale, un stratagème fut monté en vue au Rwanda.
de l'arrestation, l ' emprisonnement et la persécution des Des troupes zaïroises sont intervenues sous le com-
Tutsis accusés de complicité avec le FPR. Des coups mandement du général Mahele . Elles ont été immédia-
de feu furent tirés en l 'air durant la nuit . Le gouverne- tement envoyées sur le front.
ment informa la population que les auteurs des coups Des contre-attaques acharnées furent dirigées sur les
de feu pourraient être des ennemis qui seraient parve- localités de Mimuri et Ngarama . Les soldats de l'APR
nus dans la ville de Kigali, et appela à la vigilance et à la eurent à subir des bombardements très violents.
chasse des complices . Plus de 10 000 Tutsis et des oppo- 6/10/1990
sants hutus furent arrêtés et conduits en prison après Dès l' aube et jusqu'au soir, des combats intenses furent
avoir transité au stade régional de Nyamirambo . La plu- engagés au camp de Gabiro . C'est le 4e bataillon com-
part furent battus, blessés, privés de nourriture, ceux qui mandé par le capitaine Bitamazire et le major Ndugute

112 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1990 A 1993 113

qui engagea les combats . Il y eut beaucoup de pertes des combats sans merci furent engagés, qui se poursui-
et de blessés du côté de l 'APR qui se replia le soir venu. virent jusqu'à Rwagitima et Nyakayaga.
Les FAR en profitèrent et se retirèrent également pen- L'APR a commis dès lors la grossière erreur de croire
dant la nuit, abandonnant le camp . Quand les soldats que les FAR n'étaient pas de vrais combattants . Pendant
de l'APR revinrent dans la matinée du 7 octobre pour que les combats progressaient le long de la route maca-
combattre, ils trouvèrent un camp vide qui fut aussi- damisée, les FAR se sont repliées sur les deux côtés de
tôt occupé. la route et laissèrent la voie libre à l 'APR. Le piège s'est
7/10/1990 refermé sur 1 'APR qui s'est retrouvé encerclée par les FAR.
Comme je l' ai déjà dit, les FAR ayant déserté le camp Les soldats de l 'APR furent mitraillés et plusieurs de ses
Gabiro, les soldats du 4 e bataillon APR s ' occupèrent éléments furent laissés sur le champ de bataille, ainsi que
à piller le guesthouse de Gabiro et le matériel mili- du matériel militaire. Pourtant, l'APR avait déjà été infor-
taire laissé la veille par les FAR dans leur fuite . Les FAR mée que les FAR allaient leur couper la route à Lyabega
revinrent le lendemain soir pour reprendre le camp et qu'il n'y aurait plus de contact entre les unités qui se
tombé aux mains des Inkotanyi. Il y eut beaucoup de sont rendues à Nyagatare et celles de Gabiro.
morts et de blessés des deux côtés . L'APR dut se replier Après la prise de Gabiro par les Inkotanyi, certains élé-
dans le parc. ments du 9e bataillon venus en renfort sont retournés
Des renforts furent demandés du côté APR pour épau- à Nyagatare à cause des attaques fulgurantes en prove-
ler le 4e bataillon . Des éléments du 4 e bataillon furent nance de Ngarama et Mimuri. Le 1 e' bataillon sous le
envoyés sous le commandement du capitaine Charles commandement du capitaine Mico est venu en renfort
Ngoga ainsi que le 11e bataillon sous le commandement au 4e bataillon dans les combats qui progressaient vers
du capitaine Didas Kayitare. Nyakayaga.
Ngarama et Mimuri furent repris par les FAR, l'APR Les combats à Rwagitima et à Nyakayaga furent très
dut prendre la fuite . Les FAR continuèrent leur contre- rudes car les commandos zaïrois étaient aussi de la partie.
offensive et repoussèrent l'APR jusqu' à Mimuri, ensuite Lorsque les soldats de l'APR constatèrent qu'ils ne
jusqu'à Rukomo dans la commune de Muvumba. pouvaient pas continuer de se confronter à plus nom-
8 et 9/10/1990 breux qu' eux et qu'ils étaient encerclés, ils choisirent
Les préparatifs pour la reprise de Gabiro durèrent de se replier sur le camp de Gabiro . A cause des tirs et
toute la journée . Très tôt le 9 octobre, les 4 e et li e des bombardements des FAR et des Zaïrois qui les avaient
bataillons attaquèrent en même temps, et reprirent Poursuivis, les soldats de l'APR choisirent de quitter le
Gabiro. Ils chassèrent les FAR hors du camp et les pour- camp. Ils se replièrent dans la forêt du parc d 'où ils conti-
suivirent par un feu nourri jusqu'à Kabarore. C'est là que n uèrent le combat avec les stratégies appropriées . Les

114 RWANDA, I:HISTOIRE SECRÈTE 115

Zaïrois ont également combattu à Mimuri et à Ngarama ci y sont revenus à plusieurs reprises . À partir de
pour récupérer Nyagatare. Nyagatare, des attaques ont été lancées sur Lyabega vers
Dans les ranchs de Nyagatare, les FAR massacrèrent la frontière ougandaise en passant par les secteurs
plusieurs paysans éleveurs himas pour le simple fait d 'être Shonga, Tabagwe et Kaborogota . Les FAR n'ont pas pu
des Tutsis. On a pu dénombrer 68 tués dans les ranchs déloger le jour-même les positions du 3 e bataillon à
de Cyonyo, Mihingo et Kibogo. Lyabega sous le commandement du capitaine Cyiza.
10/10/1990 Le major Paul Kagame, qui suivait un stage aux USA
La localité de Rukomo fut reprise . Certains éléments depuis près de trois mois, avait été rappelé par le pré-
des FAR sont passés par des pistes de campagne pour sident Yoweri Museveni pour diriger les combats.
encercler les environs de Nyagatare. Les combats ont Lorsqu'il arriva sur le front, les combattants de l'APR
continué jusqu'à la reprise de Nyagatare le 13 octobre ne voulurent pas de lui . Les plus hauts gradés comme
1990. les majors Chris Bunyenyezi et Dr Peter Bayingana lui
13/10/1990 dirent qu ' ils ne pouvaient pas obéir à ses ordres . Le
Prise de Nyagatare. Des éléments des forces zaïroises major Peter Bayingana lui dit : « You are mentaly and
furent accusés de ne pas être venus pour secourir le Rwanda physically unfit. How can you lead people ? (Tu es men-
mais uniquement pour piller et détruire . Quelque 1 500 talement et physiquement inapte . Comment peux-tu
soldats furent renvoyés chez eux . Ce retrait aurait été occa- commander des gens ?) » Le major Chris Bunyenyezi
sionné par la capture du général Mahele par l 'APR Il aurait ajouta : « Va dire à celui qui t ' envoie que s ' il ne fait
été relâché après avoir été débriefé :1'APR lui aurait expli- pas confiance aux commandants des opérations, il
qué qu'il ne s'agissait pas d 'une agression ougandaise et ferait mieux d' envoyer, à ta place, un simple soldat
que la raison de cette guerre était le refus d 'Habyarimana ougandais pour le commandement de l'APR. » Le reste
de laisser les Tutsis revenir au Rwanda . Le général Mahele des hommes de troupes non plus ne voulait pas du
n'avait pas bien compris qu'il se battait contre les Rwandais tout de lui parce qu'il était connu pour sa réputation
venant d 'Ouganda et non contre les Ougandais comme de meurtrier.
cela lui avait été dit . Après la reprise de Nyagatare, les com- De violents combats continuèrent depuis ce jour à
battants de l'APR se replièrent vers le lieu-dit Kazaza où Lyabega, Kizirakome, Mishenyi, dans les environs de
il y a un petit pont, derrière Nyagatare, en direction de Gabiro et dans le parc de la Kagera jusqu 'au 23 octobre.
l' Ouganda sur la rivière Muvumba. 15/10/1990
14/10/1990 Les FAR attaquèrent Nyagatare et y délogèrent l'APR.
Le major Kaka a lancé une attaque sur Nyagatare 16/10/1990
et l'a reprise après en avoir chassé les FAR, mais ceux- Récupération de Nyagatare par l'APR .

116 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

17/10/1990 taient en vie. Il revint alors avec un ordre strict de


Réunion à Dar es-Salaam, en Tanzanie, des présidents IYluseveni . Il était escorté par le général-major Caleb
du Rwanda, de la Tanzanie et de l'Ouganda pour essayer Akandwanaho alias Salim Saleh, avec douze jeeps de
de trouver une solution à la guerre au Rwanda . Elle se gardes du PPU (Presidential Protection Unit) . Museveni
termina par la signature des accords de Mwanza sur aurait transmis un message aux deux rebelles leur inti-
l'arrêt des hostilités . Ces accords n' eurent aucun effet sur mant que, s'ils n'acceptaient pas ses directives, ils devaient
le déroulement des combats. retourner immédiatement au sein de la NRA où ils
18/10/1990 seraient mis aux arrêts en tant que déserteurs.
Le président Juvénal Habyarimana est allé demander Mort des majors Peter Bayingana et Chris Bunyenyezi.
de l'aide militaire en France . Même si ses soldats rem- Du 23 au 26 octobre 1990 s'est tenue une réunion de
portaient des victoires sur le terrain, il savait bien que a CEPGL (Communauté économique des pays des
ses adversaires avaient été entraînés pour des techniques Grands Lacs, qui regroupait le Rwanda, le Burundi et
de guérilla et qu'ils n'abandonneraient pas la guerre de l'ex-Zaïre) à laquelle le président Museveni fut invité.
sitôt. C' est pourquoi il a sollicité une assistance militaire C'était une nouvelle tentative de trouver une solution à
en hommes et en matériel. la guerre entre le FPR et l'État rwandais.
La Belgique avait compris que le Rwanda avait été 27/10/1990
attaqué par des réfugiés rwandais et non par des De violents combats se soldèrent par la reprise de
Ougandais comme l ' affirmait le président Juvénal Rwempasha par les FAR ainsi que d'un autre point stra-
Habyarimana . Il en était de même pour le Zaïre. Les tégique permettant la libération de Kagitumba . C'est au
deux pays se préparaient plutôt à retirer leurs troupes du cours de ces combats que furent récupérées les locali-
Rwanda. Juvénal Habyarimana comprenait très bien que de Kizinga, Nyamiyonga et Rwimbogo . Les éléments
si le FPR perdait momentanément la guerre, une longue du FPR qui tenaient ces endroits n 'avaient pas le moral
guérilla allait néanmoins commencer. pour tenir tête aux FAR et furent copieusement mitraillés.
19 au 23/10/1990 Les combattants de l'APR étaient comme une armée
Les combats ont continué dans les localités citées sans un commandement qui puisse prendre des ini-
ci-dessus. tiatives et des décisions . Personne ne voulait respecter
23/10/1990 les ordres de Paul Kagame puisque tous les soldats le
Le major Paul Kagame était reparti en Ouganda rap- éprisaient.
porter au président Museveni l 'affront des majors De plus, une partie importante des soldats APR sous
Bunyenyezi et Bayingana. Il lui dit qu 'il ne pouvait pas le commandement du capitaine Bitamazire s ' était
retourner au front tant que ces deux majors rebelles res- ,gouffrée dans le parc à l ' assaut de Rusumo . Ils ren-

118 RWANDA, EHISTOIRE SECRETE 119

contrèrent des ennuis graves à cause du problème de tie du pays. Ceux qui étaient encore souffrants étaient
ravitaillement . La faim les obligea à se nourrir de fruits conduits à Mbulu — entre Mbarara et Lyantonde en
et de tubercules sauvages, de morceaux de peaux de Ouganda . Plus tard, vers la fin décembre 1990, ils furent
dépouilles animales et de s'abreuver de l'eau des mares déplacés à Nakivale où fut installé également un Training
creusées par les sabots de buffles . Les combats étaient Wing (centre d'entraînement) et un Sick Bay (dispen-
devenus impossibles . Alors que les autres combattants saire militaire).
prenaient la fuite vers le lieu-dit Gashenyi en Ouganda, 28 et 29/10/1990
ceux qui étaient sous le commandement du capitaine A cause de lourdes pertes subies par I'APR dans les
Bitamazire ont traversé la frontière pour se cacher en combats du parc de l 'Akagera et de nombreux blessés,
Tanzanie jusqu 'à leur retour en Ouganda vers la fin les techniques de combats avaient changé et un certain
novembre 1990. désordre était perceptible . Pourtant, des manoeuvres
Le capitaine Bitamazire n'a pas survécu . Ordre lui avait visant à divertir les FAR furent entreprises afin de pou-
été donné de ne pas attaquer Rusumo et de faire marche voir évacuer les blessés et une grande partie des com-
arrière : il trouva la mort sur le chemin du retour, dans des battants retranchés dans le parc.
embuscades des FAR et ses soldats se dispersèrent . Les res- Ces manoeuvres de diversion furent confiées à des élé-
capés de son unité traversèrent la frontière pour rejoindre ments d'élite avec tout l'équipement nécessaire sous le
la Tanzanie . La plupart de ces derniers se trouvaient à commandement des capitaines Sam Byaruhanga, Charles
Kaisho et Ishaka . Les blessés et les autres, souffrant de mal- Ngoga et du lieutenant Khaddafi Kazintwari . Ce petit
nutrition, se faisaient soigner chez les religieux de Singiro, bataillon fut baptisé Delta Force. Leur mission était de
tandis que ceux qui reprenaient leurs forces rapidement lancer des attaques de contournement des FAR en direc-
étaient conduits à Gashenyi . La plupart ont passé tout un tion de Nyagatare . Les FAR reviendraient ainsi en arrière,
mois à cet endroit. Parmi ceux qui ont vite retrouvé et les éléments de I'APR pourraient sortir aisément du
la forme, il y avait le lieutenant Fred Ibingira, qui avait parc de l'Akagera. Cette tactique n'a pas pu être mise en
également participé à l'expédition de Gatuna . Quelque oeuvre, aucune opportunité ne s 'étant présentée avant
200 soldats de l ' APR ont trouvé refuge en Tanzanie dont l'attaque des FAR.
le capitaine Didas Kayitare, les lieutenants Emmanuel Après le revers subi par l 'APR dans le parc et sa défaite
Kanamugire et Ferdinand Safari, le sergent Franco Rwempasha, il ne restait aux FAR qu'à rouvrir la route
Rutagengwa, le caporal Aloys Ruyenzi, et Charles Matungo Lyabega-Kagitumba . Plusieurs militaires des FAR arri-
qui faisait partie de l'escorte du capitaine Kayitare. vèrent de tous les côtés et se regroupèrent à Ntoma . Ils
Pour sortir de la Tanzanie, on a eu recours aux commencèrent le combat pour la libération du poste
membres du FPR qui étaient nombreux dans cette par- ;gantière de Kagitumba. Des combats acharnés furent

120 RWANDA, I;HISTOIRE SECRÈTE 121

livrés à Ntoma, Matimba et Nyabwishongwezi . Le gros targuait d ' avoir rassemblé plusieurs groupes contre le
des rescapés des troupes de l 'APR se replia à Gashenyi régime, continuait de faire pression pour que le Président
en Ouganda. accepte le multipartisme.
30/10/1990 Dans le cadre des relations entre les citoyens rwan-
Il n'y avait plus de combats, les FAR ont continué à dais, la situation s ' était dégradée . Les Tutsis étaient
mitrailler alors que les combattants de l'APR avaient tra- opprimés cette fois-ci ouvertement . Déjà, à l'exception
versé la frontière . Kagitumba fut alors repris . À partir de de quelques faire-valoir, privés de postes de responsa-
ce jour, les soldats de l 'APR qui ont survécu aux com- bilités, d'écoles et de postes administratifs, ils étaient
bats — mis à part ceux qui avaient déserté et qui étaient considérés comme des ennemis de leur propre pays, accu-
retournés dans leurs familles en Ouganda ou qui s 'étaient sés de complicité avec les envahisseurs . La moindre action
réfugiés en Tanzanie — furent rassemblés au lieu-dit entreprise par le FPR retombait sur les Tutsis de l 'inté-
Gashenyi en Ouganda . C ' est par la suite qu 'ils furent rieur qui en faisaient les frais, par exemple l 'emprison-
disséminés en plusieurs endroits comme j ' aurai l 'occa- nement de pseudo-complices ainsi que des massacres
sion de le détailler plus loin. commis contre eux.
Diplomatiquement, les plaintes émises par le gouver-
Les conséquences de la guerre d'octobre nement rwandais accusant l ' Ouganda d'avoir agressé le
Du côté de l 'État rwandais Rwanda n'étaient plus crédibles . Le simple fait de mal-
Militairement, les FAR avaient gagné les batailles sans traiter les Tutsis à cause de l' agression en provenance
pour autant être sûres que la guerre soit terminée. La d'Ouganda prouvait à l'opinion internationale que la guerre
méconnaissance du terrain et la perte de trois hauts gra- était menée par des Tutsis que le Rwanda voulait main-
dés en un seul mois ont contribué largement à la défaite tenir à l'étranger. Ce fut l'une des raisons pour lesquelles
des combattants de l'APR qui n'avaient presque plus de les gouvernements belge et zaïrois prirent la décision de
commandement . Mais ils avaient démontré qu'ils étaient retirer leurs troupes du Rwanda . Aussi, les prisonniers de
des guerriers redoutable qui, une fois réorganisés, pou- guerre et les porte-parole du FPR étaient bien des réfugiés
vaient encore attaquer. La victoire des FAR n' était que rwandais et non des Ougandais . Il reste que le président
provisoire et le président Habyarimana était bien Habyarimana avait profité de ce stratagème parce que l 'aide
conscient que ce n' était que partie remise. de ses amis permit d'arrêter les attaques du FPR
Politiquement, l'opposition intérieure au président
Habyarimana disposait d ' un prétexte pour exiger l ' ac- Du côté du FPR
ceptation du multipartisme afin de régler la question Les conséquences furent multiples, tant bonnes que
des réfugiés une fois pour toutes . L'opposition, qui se mauvaises .

122 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 123

Militairement, le FPR eut à déplorer, tout au début Politiquement, le FPR devenait un parti politique
des hostilités, la mort du commandant en chef de son reconnu. Il ne fut pas condamné publiquement par l 'opi-
aile militaire, le général-major Fred Gisa Rwigyema. nion internationale ; c'est pourquoi plusieurs pays ont
Au courant du même mois, les majors Dr Peter oeuvré pour la réconciliation et l'entente entre l 'État rwan-
Bayingana, Chris Bunyenyezi et le capitaine Bitamazire dais et le FPR afin de stopper cette guerre fratricide.
furent tués . Je n'ai cité que les plus hauts gradés qui Du côté de ses rapports avec les populations, le FPR
sont tous morts à la suite d ' une conspiration interne. n'a rien fait de bon, car la disparition du général-major
Ces assassinats eurent, sur le FPR, des conséquences Fred Rwigyema a occasionné un vide de commandement
graves qui ne sont pas encore effacées . La défaite et la à l 'origine du désordre et des exactions contre les civils.
perte de plusieurs de ses éléments a pesé lourdement uant à ceux qui se sont concertés secrètement pour
sur le moral des soldats et des membres du FPR . La le remplacer, ils n'ont pas été présentés aux troupes.
défaite était compréhensible pour beaucoup parce qu 'il En effet, personne n'a mis officiellement en place
n'y a plus eu de commandant officiel après la mort les différentes unités de l 'armée. En revanche, chacun se
de Fred Rwigyema . Personne en effet, parmi ceux qui donnait une position hiérarchique suivant ses capaci-
avaient organisé son élimination, n'a osé revendiquer tés sans savoir ce que les autres allaient penser de son ini-
ouvertement le commandement et donner des ordres tiative . Par exemple, il n'y avait pas de chef chargé de
pour diriger les combats . Du coup, chaque officier de la formation politique (Chief Political Commissar).
son côté a pris ses propres initiatives, ce qui a causé un Alphonse Furuma, qui s'était attribué ce poste, même
manque de coordination . Une autre erreur grave fut la s'il était compétent en la matière, s 'est mal comporté en
nomination imposée du major Paul Kagame à la direc- déclarant sur une radio d 'audience internationale qu'il
tion de l'APR. Il s'agit d 'une lourde faute qui a été com- infligerait une bonne leçon à Mobutu . Ces déclarations
mise à l'égard du peuple rwandais puisque Kagame s 'est n'ont servi qu'à discréditer ce poste . L'APR n'avait pas
retrouvé à la tête de troupes qui ne l ' acceptaient pas . Il non plus de directeur des renseignements car le capitaine
s'est maintenu par la terreur : assassinats, emprisonne- Camarade Kayitare qui s'était autopromu à ce poste ne
ments, exécutions à la houe usée (agafuni) I . Jusqu'à ce arvint pas à l'exercer. Personne au sein de l'APR n'était
jour, il n'a confiance en personne dans l ' armée . Ses chargé d 'exercer les fonctions de directeur des affaires
confidents sont de courte durée car il les repousse et les administratives et de la gestion du matériel militaire.
écarte au moindre soupçon. Je ne peux pas passer sous silence les massacres corn-
nus à l' encontre de la population civile, dont les réfu-
1 . Une houe usée, dont la lame est devenue pointue et coupante, gi és hutus originaires du Burundi installés par l'État
était utilisée pour fracasser le crâne de la victime. (NdE) Bandais à Rukomo et ailleurs dans la commune

124 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

Muvumba 1 . De même, les populations hima-tutsies n'ont yagatare, à Gabiro il a détruit et pillé énormément . Le
pas été épargnées . Même si elles avaient été opprimées bétail du Mutara a été largement abattu . Les animaux
et avaient subi des exactions de la part du régime u parc national ont été décimés, les autres ont pris la
Habyarimana, elles ne supportaient pas le comportement faite. Le tourisme en a été sérieusement affecté.
du FPR dont les soldats pillaient et consommaient gra-
tuitement leur bétail . C' était affligeant pour ces Himas Les conséquences pour le pays dans son ensemble
qui voyaient, impuissants, l 'abattage de leurs troupeaux La guerre d'octobre 1990 a mis sur la place publique
par leurs semblables tutsis . A un moment donné, Alphonse tous les problèmes qui étaient restés tabous.
Furuma a pris l' initiative de délivrer aux éleveurs qui se L'injustice à l'égard des Tutsis : ceux à qui le pou-
voyaient dépouillés de leur bétail des papiers de recon- voir avait refusé le droit de rentrer dans leur pays, ceux
naissance de dettes qui leur seraient remboursées une fois ui étaient considérés comme des étrangers dans leur
que le FPR aurait pris le pouvoir au Rwanda . Ces docu- propre pays, tous ceux qui avaient été opprimés et oubliés
ments sont restés lettre morte . La plupart du temps, le par les Ire et Ile Républiques, tout cela commençait à sor-
bétail était pris de force parce que Furuma ne pouvait être tir de l'ombre.
partout pour répondre au besoin de viande des soldats . Il Le Président, qui avait pris l' habitude d'être considéré
y a eu des pillages et des massacres de population civile comme le Père de la Nation, était désormais suspecté.
dans toute la sous-préfecture de Ngarama et même dans Les opposants commencèrent à exiger ouvertement le
les communes de la préfecture de Kibungo . Tout au début, toit de fonder des partis politiques . L' autorité person-
les idéologues du FPR tenaient des meetings populaires nelle du président Habyarimana avait été sérieusement
pour sensibiliser la population sur ses objectifs . Lorsque écornée.
I'APR était contournée par les FAR, la population était La méfiance entre les ethnies s 'était ravivée, doublée
accusée de complicité avec l' armée gouvernementale et de l' esprit régionaliste entre les Hutus du nord et ceux
subissait des représailles meurtrières de l'APR Les paysans du sud du pays qui se disputaient les postes importants
étaient massacrés uniquement parce qu'ils étaient accusés dans la gouvernance du pays.
de soutenir le MRND. Les Tutsis servaient de carte politique à jouer ou de
Economiquement, le FPR a détruit des investisse- monnaie d' échange entre les deux parties en conflit,
ments de développement partout où il a combattu : à du côté du FPR comme du côté gouvernemental . Les
exemples sont multiples : le MRND et les partis de la
1 . À la suite d'un violent conflit politique ayant éclaté au Burundi mouvance présidentielle considéraient le Tutsi comme
en 1972, suivi de massacres importants commis par l ' armée, des milliers un ennemi, un complice du FPR qui devait payer de
de réfugiés hutus burundais furent accueillis au Rwanda . (NdE) sa vie pour n ' importe quel enjeu politique .

126 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 127

Les Tutsis jouaient le rôle d 'otages pour les agressions Ce bataillon attaqua et occupa le poste frontière de
du FPR dès avant le génocide. Ils étaient souvent pour- Gatuna ainsi que les localités avoisinantes, à savoir Kaniga
chassés et massacrés après des attaques meurtrières du et Mukono et les plantations de thé . Des attaques de
FPR. Du côté FPR, les représailles contre les Tutsis ser- genre continuèrent, jusqu'à la prise de Kivuye . Ces
vaient bien sa cause . C'était le prix à payer. expéditions étaient organisées en secret, les combattants
Plusieurs exemples sont là pour prouver comment de Task Force passaient par Karujanga pour attaquer
le FPR multipliait des attaques afin d 'inciter la popu- Kivuye. Parmi les militaires hauts gradés qui dirigeaient
lation à s'en prendre aux Tutsis . Il pouvait ainsi alerter des compagnies, il y avait le lieutenant Fred Ibingira,
l' opinion internationale qui ne constatait en général que le lieutenant Dan Gapfizi et le lieutenant Nzaramba
les exactions commises par le pouvoir en place. Martin. L'opération était destinée à distraire les FAR
et permettre aux soldats de l 'APR dispersés dans le parc
Novembre 1990 Kagera de pouvoir se dégager et rejoindre les autres en
1/11/1990 Ouganda.
Les troupes belges furent rapatriées . Aussi bien les 13/11/1990
troupes venues au secours du régime que les instructeurs Le président Habyarimana fit une déclaration impor-
de la coopération militaire furent retirés . Les relations tante dans laquelle il disait que le multipartisme démo-
entre le Rwanda et la Belgique n'étaient plus excellentes. cratique allait bientôt être accepté et que la mention
Certains ont même prétendu que ce serait la raison pour ethnique portée sur les cartes d 'identité pourrait être suppri-
laquelle le président Habyarimana s 'est de plus en plus mée dans un avenir proche . Cette déclaration annulait plu-
rapproché de la France puisque la Belgique l'avait aban- sieurs des revendications du FPR. Le multipartisme fut
donné alors qu ' il se préparait à une guerre terrible. lancé quelques mois plus tard mais la suppression de la
3/11/1990 mention ethnique dans les cartes d'identité n'eut pas lieu.
Pour remonter le moral des combattants et des sym- 20/11/1990
pathisants du FPR, on lança une attaque surprise et dans Les présidents Yoweri Kaguta Museveni et Juvénal
une localité que les FAR ne pouvaient pas prévoir. Ce Habyarimana se sont rencontrés à Cyanika pour se
fut l' ceuvre du capitaine Twahirwa Ludoviko alias Dodo, concerter sur le problème posé par le FPR.
venu un peu tardivement dans I'APR, après la mort de 22/11/1990
Rwigyema, Bunyenyezi et Bayingana . Twahirwa était à Sur proposition de l ' Organisation de l 'unité africaine
Kagitumba où il devait rassembler les nouvelles recrues (OUA) et avec l'accord des deux parties, le président
qui se préparaient pour le front . Il fit de ces recrues un Mobutu Sese Seko réunit autour d 'une table les repré-
bataillon d'élite appelé Task Force. sentants du gouvernement rwandais et ceux du FPR .
128 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE
129

Décembre 1990 devaient être enseignés même aux plus jeunes, pour évi-
Inauguration d ' un nouveau camp d ' entraînement de ter toute intrusion de l'ennemi.
l'APR à Nakivale en Ouganda et d 'un dispensaire mili- 15/12/1990
taire (Sick Bay) à Kigaga. Le camp fut utilisé jusqu' au Après la réorganisation de l'APR, Paul Kagame créa
mois de mai 1992. de nouvelles unités regroupant de petits bataillons . Ces
3/12/1990 nouvelles unités furent appelées des colonnes . Il y avait
Le colonel Alexis Kanyarengwe fut désigné président ainsi la l' colonne, la 3 e colonne, la 6 e colonne . Elles
du FPR. Ce Hutu avait participé à tous les régimes du étaient commandées par Charles Musitu, Twahirwa
pays depuis l'indépendance jusqu 'à sa brouille avec Ludoviko Dodo et Sam Byaruhanga.
Habyarimana en 1980. À cette époque, des rumeurs Il ordonna aussi que tous les officiers et tous les com-
circulaient selon lesquelles Kanyarengwe préparait un mandants au poste d ' officier ne portent plus leurs grades.
coup d'État. Il se réfugia en Tanzanie avant son arres- Ainsi, en quelques jours, il mit sur pied ce qui fut appelé
tation. C'est là qu' il a été recruté par le FPR. Il a été High Command composé de Members of High Command
un « Hutu de service » pour le FPR jusqu'à son évic- {MHC) . Ceci devenait presque un autre grade militaire.
tion de la direction du FPR et son limogeage du poste Lui-même se nomma Chairman of High Command
de ministre au sein du gouvernement dirigé par le FPR. (CHC).
Il a été toujours reconnu comme un extrémiste hutu
Il ordonna également que toutes les unités devaient
mais, pour Paul Kagame, il représentait une carte l'appeler Afande PC, ce qui cachait beaucoup de choses.
importante à jouer. Dans l' armée ougandaise, en effet, on l ' avait surnommé
6/12/1990 Pilate à cause de sa cruauté extrême et de sa propension à
Parution d ' un article dans le journal Kangura massacrer les innocents . Comme ce surnom s 'était répandu
(Réveillez-le), intitulé « Les dix commandements des parmi les soldats de l'APR, il craignait que même ceux qui
Bahutu ». Cet article recommandait aux Hutus de mépri-
ne le connaissaient pas soient informés de sa cruauté . Le
ser et de se séparer définitivement des Tutsis, de se défier prétexte de cette nouvelle appellation d 'Afande PCétait
d'eux, de ne pas épouser leurs filles, étant entendu que la volonté de cacher aux civils et à l ' ennemi qui pouvait
toute femme tutsie était prétenduement une complice porter ce titre . Normalement, le PC (Political Commissar)
du FPR. Ce texte demandait aux Hutus de ne plus avoir est une personne qui s ' occupe de tous les problèmes de
de complaisance envers les Tutsis et de n'avoir aucune
ses troupes, qui dispense une formation politique et
pitié à leur égard s 'il fallait les tuer. Le texte disait éga- montre bon père pour tous . C' était donc une façon
lement que les postes de haute responsabilité devaient
ad'effacer, petit à petit, sa renommée de chef cruel pour
être réservés aux Hutus . Ces dix commandements considéré comme un bon chef

RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993


130 131

Après tous ces chambardements, il ordonna de mener Nkana, Kiyombe, Rushaki et Kaniga d' aller se replier
une opération qu' il devait commander en personne dans à Gafunzo et Kavu en Ouganda.
la commune Kiyombe. D' autres batailles se déroulaient en même temps au
17/12/1990 Mutara sous les ordres du Commander Sam Kaka à
Des opérations militaires d' envergure furent entre- Rwempasha, Mashaka, Kangoma, Muraha, Mabare et
prises partout dans la commune Kiyombe comme dans ailleurs . Les soldats furent aussi priés de se replier vers
les localités de Nkana, Cyondo, Rushaki, Kaniga, Gasheke, Kamwezi et Rwamatunguru en Ouganda et
Gatonde, etc . C ' était la première expédition com- de se cacher dans les bananeraies des paysans ougandais.
mandée par le major Kagame lui-même . Des exactions 24/12/1990
de toutes sortes furent commises telles que les mas- Le major Kagame s ' est rendu dans le secteur de com-
sacres de populations civiles, l'enlèvement et la bat du Commander Dodo. Comme partout ailleurs, il
capture de gens pour le transport des produits pillés. faisait face à une puissance de feu supérieure et dut aban-
Une fois arrivés à destination, ces derniers étaient tués donner. Lui-même, ses soldats et Paul Kagame durent
eux aussi . On a pillé du gros et du petit bétail, les se réfugier à Karujanga, certains autres se replièrent à
tôles pour les toitures de maisons qui étaient reven- Rubaya et à Rwene en Ouganda.
dues en Ouganda. Toute l'APR avait été mobilisée avec À partir de cette date, l'APR débuta une guérilla qui
pour objectif de prendre et d ' occuper définitivement n'était pas destinée à occuper définitivement les endroits
la commune. attaqués . Elle a continué par Muremure en commune
Cet objectif ne fut pas atteint puisque les FAR ripos- Kidaho, sur le flanc du volcan Muhabura.
tèrent vigoureusement et repoussèrent l 'APR. Dans cette
expédition militaire, Kagame était assisté par les L'année 1991
Commanders (titre donné aux chefs de différentes uni- Janvier 1991
tés de combat dans l'APR) Steven Ndugute, Sam 7/1/1991
Byaruhanga, Didas Kayitare, Charles Ngoga, Charles À Kigali, des jugements furent prononcés contre des
Muhire, Mico et d 'autres. Tutsis et certains Hutus accusés de complicité avec
18, 19, 20/12/1990 le FPR. Quelques-uns furent condamnés à la peine
De violents combats opposèrent les deux armées pen- capitale, d ' autres à l ' emprisonnement à perpétuité
dant ces trois jours . Le 22 décembre, les FAR attaquè- ou à plusieurs années de prison . Certains furent libé-
rent par contournement avec un feu nourri de balles rés, les autres, plus de 1 500, furent jugés . Des oppo-
et de bombes et délogèrent l'APR Paul Kagame ordonna sants à ces procès organisèrent des manifestations le
à tous ses soldats qui avaient participé aux batailles de 8 janvier .

132 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 133

23/1/1991 : attaque de Ruhengeri 1 Les prisonniers libérés furent les premiers à être éva-
Une grande expédition militaire fut menée sur la ville cués . Près de 400 personnes furent capturées pour trans-
de Ruhengeri (chef-lieu de la préfecture du même nom) porter le butin, les blessés et les corps des soldats de
par les unités suivantes : l'APR À leur arrivée à Kagano, en commune Kinigi, une
Lima Combined mobile Force, dirigée par le Commander partie des porteurs fut massacrée . Les autres poursuivi-
Cyiza, Delta, commandée par Didas Kayitare, Oscar, 17e rent le trajet en transportant les blessés, le butin et les
mobile Force sous les ordres du Commander Kamiri. cadavres. Quand ils furent arrivés au sommet du volcan
Le commandant en chef de l 'expédition était le de Gahinga où s'était installé le haut commandement de
CommanderTwahirwa Ludoviko alias Dodo . Pourtant, l'APR, le major Paul Kagame donna à sa garde person-
la rumeur a attribué cette expédition à Kayitare qui s 'est nelle et à la DMI l'ordre de les tuer. En plus de ces 400
surnommé Intare batinya. L'unité Lima a bouclé toutes personnes, 1'APR avait massacré la population civile
les voies de circulation donnant accès à la ville de autour et dans la ville de Ruhengeri . À Musanze et dans
Ruhengeri, Delta et Oscar ont attaqué le camp Muhoza, les environs, l' unité Lima CMF avait tué au moins une
Nyamagumba et la prison. centaine de civils qui voulaient prendre la fuite en direc-
Toutes les portes de la prison de Ruhengeri furent for- tion de Gisenyi . Ils étaient d'abord rassemblés pour ne
cées . Les prisonniers avaient le choix de suivre les soldats pas éveiller les soupçons, ensuite, dès que l'on enten-
de l'APR ou de ne pas les suivre . Mais la consigne était dit des coups de feu dans la ville de Ruhengeri, ils furent
d' extraire le major Lizinde et le commandant Stanislas mitraillés ou exécutés à la houe. Il en fut de même pour
Biseruka . Le capitaine Muvunanyambo et le Dr Charles ceux qui tentèrent de fuir vers Nyakinama, Kigali ou
Rudakubana en profitèrent pour s 'évader. C'étaient tous Kidaho.
des prisonniers politiques. Dans leur retraite, les soldats de l'APR empruntèrent
L'APR a perdu plusieurs éléments dans les combats, deux itinéraires : une colonne prit la route en direc-
beaucoup d 'autres furent blessés. Après avoir capturé cer- tion de Kinigi et pénétra dans la forêt du volcan
tains prisonniers politiques, les soldats se livrèrent au Sabyinyo, une autre colonne suivit le chemin en direc-
pillage de la ville de Ruhengeri et enlevèrent des habi- tion de Kagano et passa au pied du volcan Gahinga.
tants pour transporter le butin. Partout sur son passage, l'APR a massacré des civils,
d' autres personnes furent enlevées pour transporter les
1 . Les informations que j'ai recueillies sur l ' attaque de Ruhengeri
proviennent de témoins oculaires dont le lieutenant Muvara dit TZ, le
bagages puis exécutées . Pas un seul porteur n' a survécu.
sergent Éric Kayiranga, le sergent A. Businge et d ' autres que j ' ai contac- Ce qui se disait à propos des enlèvements de popula-
tés par téléphone (dont un colonel en retraite forcée) et qui ne veulent tion civile par l'APR était la vérité . Mais l 'opinion
pas que je donne publiquement leur nom . publique ignorait que les personnes enlevées n ' étaient
134 RWANDA, l'HISTOIRE SECRÈTE
135

pas conduites en Ouganda elles étaient simplement exé- encé le 5 octobre 1990 . Une unité d'élite, le DAMI
cutées, une fois leur travail accompli. (Détachement d 'assistance militaire et d 'instruction)
Après cette attaque, le régime d'Habyarimana se livra avait également été mise en place pour former les mili-
à des exactions contre la population des éleveurs taires aux stratégies et tactiques de guerre . Ce détache-
bagogwes I , dans les communes de Mukingo, Nkuli et ment a formé non seulement les militaires, mais aussi les
Kinigi en préfecture de Ruhengeri, ainsi que dans les com- gendarmes et la garde présidentielle . À plusieurs reprises,
munes de Mutura et Rwerere en préfecture de Gisenyi. les membres de ce contingent prirent la direction des
Les premiers furent d 'abord publiquement tués à coup combats, manipulèrent l ' artillerie lourde et les blindés
de machettes, d' autres furent enlevés, un à un, à leurs quand les FAR étaient aux prises avec l 'APR.
domiciles . Quant à ceux qui étaient arrêtés aux points de Deux unités de I'APR, le 4 e et le 9e bataillons, à
contrôle sur les routes, on ne les revoyait plus. partir de leurs bases arrière en Ouganda, attaquèrent
A un moment donné, les Tutsis ne pouvaient plus fuir les positions de Nyagatare . Le 9e bataillon était sta-
les régions de Ruhengeri et Gisenyi, parce qu 'il y avait tionné à Mwanjari et Rwamatunguru en Ouganda, tan-
des barrières partout . Ils n'avaient pas le droit d ' aller dans dis que le 4 e bataillon était à Kizinga également en
d'autres communes, celui qui était trouvé dans un endroit Ouganda.
où il n' était pas chez lui était conduit à l'exécution . Les Ces unités ne purent déloger les FAR et perdirent
Bagogwes furent persécutés par divers groupes d'extré- beaucoup d' éléments de leurs troupes, surtout le
mistes hutus, dont la jeunesse du MRND, les militaires 4e bataillon . Certains militaires de l 'APR furent même
ou les réservistes, les gendarmes, les autorités locales, capturés et faits prisonniers.
ainsi que d' autres criminels qui voulaient piller leur biens. Depuis un certain temps, le régime d ' Habyarimana
Plus de 1 500 Bagogwes furent massacrés, y compris ceux s'efforçait de convaincre les Rwandais et la communauté
qui avaient été enlevés par l 'État. Ces exactions se pour- internationale que l' armée du FPR avait été anéantie et
suivirent, au su du gouvernement, jusqu' au mois de mars que ses rescapés ne pouvaient plus rien faire . Il savait per-
1991, sans être sanctionnées. tinemment que ce n' était pas vrai, son objectif était de
faire croire que le FPR était en position de faiblesse et d 'ac-
Mars 1991 corder très peu de concessions dans les négociations.
A la fin du mois de mars, la France avait fini de Les préparatifs des négociations de N 'sélé allaient bon
déployer au Rwanda l'opération Noroît qui avait corn- train . C' est la raison pour laquelle le FPR voulait prou-
ver son existence et sa puissance de feu . Dans les jours
1 . Les Bagogwes sont des Tutsis qui pratiquent une économie pasto- ui suivirent, I'APR attaqua simultanément les positions
rale . (NdE) Rwempasha, Mashaka et Kabuga . A l' exception de
136 RWANDA, UHISTOIRE SECRÈTE 137

Nyagatare, il s 'agissait partout d 'attaques de diversion Force a attaqué Kagano et Bisate, Charlie Combined
(bit and run). mobile Force attaqua Rwabutama et Nyamicucu.
29/3/1991 Il faut souligner que les exactions contre la popula-
Les négociations de N 'sélé au Zaïre eurent lieu entre tion civile ont été commises par les deux parties en
le FPR et le gouvernement rwandais . Un accord de conflit.
cessez-le feu fut signé dans le but de permettre des négo- Au cours des attaques, spécialement celle de Gishuro
ciations politiques sur tous les enjeux qui avaient déclen- en secteur Tabagwe, l 'armée gouvernementale procéda
ché la guerre. à la destruction des bananeraies et força même la popu-
Le lendemain, 30 mars, le FPR accusa le gouverne- lation à s' associer à la destruction de ses propres biens et
ment rwandais d'avoir violé l ' accord. Les deux parties de ses bananeraies . C'était une région riche en planta-
ne voulaient pas que les négociations aboutissent . En tions de bananiers et les forces gouvernementales crai-
effet, à Gatongore-Kizinga, les militaires de l 'APR, diri- gnaient qu' elles ne servent de couverture aux rebelles de
gés par Kazintwari Khaddafi, s'infiltrèrent au Rwanda 1' APR, car cette dernière y avait depuis un certain temps
pour prouver que l 'APR n'attaquait pas à partir de multiplié les embuscades.
l'Ouganda. La frontière était constituée de la rivière Au cours de ces opérations de destruction des bana-
Muvumba et d'une traverse de bois . À longueur de jour- raies, pour ne pas tomber dans les embuscades ou sau-
née, les FAR pilonnaient cet endroit aux mortiers afin ter sur les mines antipersonnelles, l 'armée mettait en
d' en déloger l'APR et de façon à prouver que les attaques avant les populations civiles . Quand l'APR tirait, ce sont
de l'APR, ne pouvant être lancées à partir du sol rwan- des civils, amenés de force, qui tombaient les premiers.
dais, partaient bien de l'Ouganda. Les unités de l 'APR qui ont combattu dans cette région
ont commis des atrocités . Il s'agit de l'unité Yankee
Avril-mai 1991 Combined Force dirigée par Commander Mustapha Higiro,
Ces deux mois furent marqués par une relative accal- Echo CMF dirigée par Commander Dominique Kalisa,
mie, entrecoupée de petites attaques de diversion . Voici sial Unit dirigée par un certain Gaga, Bravo Combined
les endroits où se cachaient les forces de l'APR et d 'où Force dirigée par CommanderJohn Bagabo . Ces unités se
elles menaient ces attaques de diversion. relayaient dans cette région de Shonga, Tabagwe, Gishuro,
Special Unit attaqua à deux reprises Kaborogota et Kabuga et ailleurs . Elles posaient des mines antiperson-
Gishuro ; Yankee Combined mobile Force a lancé une nel qui fauchaient la population civile . Elles se livraient
attaque sur Mashaka et Mabare, Bravo Combined mobile aussi à la destruction des maisons et au pillage des toits
Force attaqua Kabuga à deux reprises, Sierra Combined de tôle . Les occupants devaient se taire ou se faire mas-
mobile Force a attaqué Nyabihara, Lima Combined mobile sacrer à coups de houe . Même les charpentes des maisons

138 RWANDA, L'HISTOIRE SECRETE DE 1990 A 1993 139

étaient démontées et pillées comme du bois de chauffage. de Commander dont on abusait facilement . Cette situa-
Ceci permettait aux commandants de ces unités de conser- tion engendrait des insubordinations . Le major Paul
ver pour leur propre compte l'argent destiné à l'achat du Kagame dut changer le système des grades au sein de son
bois de chauffage . Ces exactions étaient commises sur armée. Ce nouveau système fut maintenu jusqu'à la fin
l'ordre de Paul Kagame, parce qu'il voulait chasser défi- du mois de décembre 1993 lorsque le système généra-
nitivement la population de cet endroit pour permettre lement reconnu dans les armées régulières fut adopté.
l'infiltration de l 'APR et l 'occupation définitive. En voici le détail :
Enfin, parmi les crimes partagés par les deux camps, À la tête de l 'armée se trouvait le chef du haut
il faut citer l' utilisation de la population civile comme commandement militaire (CHC : Chairman ofHigh
bouclier humain dans des opérations de combat . Pour Command) qu'on peut comparer au chef d'état-major.
parvenir aux FAR, l'APR devait massacrer d'abord des Il y avait ensuite les membres du haut commandement
populations civiles. (MHC : Members ofHigh Command) . Cette fonction
Toutes ces attaques du FPR se faisaient à partir de était considérée comme un grade.
l'Ouganda. La Yankee Combined Force se camouflait dans Les officiers supérieurs (SO : Senior Officer) . Cet éche-
les bananeraies de Gahondo, Special Unit dans les banane- lon était considéré également comme un grade . L'ordre
raies de Gasheke, Bravo et Sierra à Kavu. Bref, toutes les de subordination au sein de tous ceux qui avaient ce
unités de l'APR étaient stationnées sur le sol ougandais. grade se réglait par les fonctions exercées par chacun.
Au mois de mai, les unités Bravo Combined Force, diri- A l'échelon immédiatement inférieur, se trouvaient
gée par le commandant John Bagabo, Mike Combined les officiers subalternes : J01 (Junior Officer One), un
Force, dirigée par le commandant Kazintwari Khaddafi grade équivalent à celui de capitaine, ensuite J02 (Junior
et Twahirwa Ludoviko alias Dodo, membre du Haut Officer Two) équivalent du grade de lieutenant, ensuite
Commandement, furent envoyées en opération au parc P/J02 (ProvisionalJunior Officer Two) équivalent du
de l'Akagera et au Mutara. Elles y incendièrent beau- grade de sous-lieutenant.
coup de véhicules, effectuèrent des razzias de bétail et Il y avait uniquement deux grades au niveau des sous-
posèrent des mines dans beaucoup de localités des com- officiers, le grade de sergent et le grade de caporal.
munes du Mutara. Tout le reste avait le grade de soldat (Pte : private sol-
diers) .
Juin 1991 Ceux qui ne pouvaient pas avoir le grade d 'officier mais
Au courant du mois, des changements dans la struc- qui exerçaient des fonctions habituellement dévolues aux
ture de commandement de l 'APR furent entrepris, face officiers, comme ceux qui dirigeaient des pelotons ont
au mécontentement de l ' armée sur les dénominations reçu un titre spécial différent de celui des sergents : celui

140 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 141

de commandant de peloton par commission (APC : l'opposition intérieure, cette loi était une victoire histo-
Appointed Platoon Commander) . Ce n'était pas un grade rique. Pour le FPR, c 'était une occasion d' avoir des gens
en tant que tel mais ceux qui possédaient ce titre avaient qui pouvait le soutenir sur un front qui n 'était pas de
droit aux honneurs réservés aux officiers. tout repos . C' est pourquoi il fit tout son possible pour
Ci-après ceux qui avaient le grade de membre du haut récupérer le maximum de ces partis politiques.
commandement (MHC) :
Paul Kagame, CHC (Chairman ofHigh Command), Juillet 1991
était le chef de cet organe supérieur militaire ; 2/7/1991
Adam Wasswa, MHC, qui mourut en mai 1991 dans Une attaque d'envergure a été menée dans la région
un accident de circulation sur la route de Kampala, alors de Shonga, Gikoba, Kabuga et Tabagwe . L' attaque fut
qu'il allait se faire soigner ; lancée simultanément par Bravo Combined mobile Force
Steven Ndugute Kalisholisho, MHC ; à Kabuga, Yankee Combined mobile Force à Tabagwe et
Samuel Kanyemera-Kaka, MHC ; Gikoba, Special Unit à Tabagwe et Kaborogota, Mike et
Ludoviko Twahirwa-Dodo, MHC ; Kilo Combined mobile Force à Gishuro, Kangoma et
Thaddée Gashumba, MHC ; Mabare.
Charles Musitu, MHC ; Cette expédition était dirigée par MHC Steven
Théoneste Lizinde, MHC ; Ndugute en collaboration avec MHC Sam Kaka . Après
Stanislas Biseruka, MHC ; un jour d'occupation des localités attaquées, les FAR lan-
Muvunanyambo, MHC, qui a été exécuté par la garde cèrent une contre-attaque fulgurante et nous boutè-
personnelle du major Paul Kagame car il s' opposait aux rent hors du territoire rwandais.
massacres de populations civiles . Les autres Hutus du FPR 21/7/1991
étaient d'accord, mais lui ne l' était pas . Ainsi, il fut le pre- Une attaque similaire fut menée de nouveau par
mier à être dénoncé comme réactionnaire et exécuté. l'APR. Après deux jours de combat, toutes les unités de
Notons que trois Hutus (Théoneste Lizinde, Stanislas l'APR se replièrent, à l'exception notable de Yankee
Biseruka et Muvunanyambo, tous ex-membres de l'ar- Combined mobile Force aux mains du J01 (junior Officer
mée rwandaise) étaient au sein de cet état-major mais One) Fred Nyamurangwa . C' est grâce à lui que l'APR
sans pouvoir réel car ne disposant pas de postes dans put occuper la toute première portion du territoire rwan-
le commandement des combats. dais après octobre 1990 . C' est ce même officier qui prit
10/6/1991 la colline de Nyarurama à Rebero en préfecture de Kigali
La loi autorisant le multipartisme fut promulguée. Ville . La perte de cette position stratégique sapa sérieu-
Elle instaurait aussi le poste de Premier ministre . Pour sement le moral des FAR.

142 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

Suite à la multiplication de ces attaques d ' occupation 29/7/1991


en force sur le territoire rwandais avec des stratégies de Un plan de déstabilisation du pays fut inauguré par
guérilla, le président Habyarimana devint très inquiet et la pose de bombes sur les voies de circulation pour pié-
appela de nouveau ses amis français au secours . Il deve- ger les passants et les véhicules I . Cette campagne était
nait clair que l ' APR, que l ' on croyait sans commande- confiée à la DMI, tout spécialement au J02 Alex Ngoga
ment efficace, s ' était recomposée et pouvait entamer une yumba. Il était chargé de ce qu ' on appelle Field Engi-
autre phase qui serait très dure pour le régime. neering, en collaboration avec P/J02 Muvunyi, P/J02
25/7/1991 Gatera, P/J02 Gregori Gahizi, et d ' autres. La formation
Le gouvernement français donna l ' ordre à ses forces a été donnée finalement à une dizaine de soldats dans
stationnées au Rwanda de se mettre à l ' entière disposi- chaque unité qui avaient pour mission de miner ou de
tion du président Habyarimana et de l ' état-major des désamorcer les bombes posées par les FAR. Jusque-là,
FAR, afin d' être utilisées chaque fois que de besoin . Cela nous posions des mines uniquement dans les zones de
impliquait qu' elles pouvaient même être déployées sur embat et leurs environs, à présent le programme était
le front contre l 'APR. de poser des bombes partout dans le pays.
Des attaques sporadiques et des embuscades se pour- Pour cette opération, des artificiers bien entraînés
suivirent sur toutes les voies de circulation des locali- dans le maniement des explosifs furent envoyés au
tés de Gikoba, Kaborogota, Bushara, Tabagwe, Kabuga, Burundi et à Gisoro en Ouganda. Ils s ' infiltraient avec
Nyamirama, etc . Aussi, les FAR continuèrent de mener des explosifs par la voie de Bunagana-Rutshuru pour
des contre-attaques pour chasser l'APR mais sans suc- arriver dans les communes de Rubavu, Rwerere et
cès . Il était à chaque fois nécessaire pour les FAR de Mutura. J02 Jack Nziza était chargé de la supervision
déployer de nouveaux renforts. du côté ougandais en collaboration avec Rutinywa
Sur le plan politique, plusieurs partis virent le jour et Rugeyo alias Maître. Les exemples de pose d ' explosifs
furent reconnus. Les premiers à obtenir la reconnaissance par ce réseau sont, en préfecture de Gisenyi, la com-
officielle sont le MRND nouvelle formule (Mouvement mune Rubavu le 29 juillet 1991, le 23 août 1991, et le
révolutionnaire national pour le développement, ex-parti 22 octobre 1991 à Kabuhanga en commune de Mutura,
unique rebaptisé Mouvement républicain national le 29 octobre 1991 à Rwerere-Gisenyi.
pour la démocratie et le développement), le MDR
(Mouvement démocratique républicain), le PSD (Parti
1 . Je rapporte ce qui m' a été dit par plusieurs témoins . Je cite parmi
social-démocrate), le PL (Parti libéral) et le PDC (Parti eux le sous-lieutenant (PJ02) Gatera, le sergent Rugeyo dit « Maître »,
démocrate chrétien) . major Alex Ngoga (entendu quand j ' étais en prison) . Les autres ne
feulent pas que je cite leur nom .

144 RWANDA, I :HISTOIRE SECRETE 1990 A 1993 145

Des bombes furent également posées à l 'intérieur du fois la gare routière de Kigali les 19 février 1992, 19 mars
pays, via la région du Bugesera en provenance du 1992 et 25 avril 1992, le quartier de Kimihurura en date
Burundi . Je rappellerai que le Burundi prit une part très du 9 mars 1992.
active dans la guerre du FPR, en acheminant des recrues Les opérations de pose d'explosifs eurent lieu égale-
au front . Elles étaient escortées par des agents de ren- ment à Gitarama, Butare et Cyangugu : à Rusumo le
seignement jusqu'en Ouganda . Les exemples sont mul- 21 février 1992, à Kigoma le 12 mars 1992, à Muyira le
tiples, on ne peut les énumérer. Depuis le 3 octobre 1990, 7 avril 1992, à Ruhango le 1er mai 1992, à Butare Ville
les jeunes Tutsis, candidats au recrutement dans l'APR, k 31 décembre 1992, à Gisuma le 8 octobre 1992, sur
embarquaient sans passeport par l ' aéroport de Bujumbura le marché de Butare le 19 avril 1993.
avec la complicité des agents de renseignement de la Je ne peux pas citer tous les endroits où ces opérations
PAFE (Police des aéroports et des frontières). se sont déroulées, je tenais simplement à montrer des
Par ailleurs, l' armée burundaise a fourni les grenades, actions du FPR visant à déstabiliser le pays et qui se répé-
les fusils et les mines qui ont servi dans des actions de teront ainsi que nous le verrons plus loin.
déstabilisation au Bugesera, à Kigali, à Butare, à Gitarama Il faut souligner ici que poser des explosifs demande
et à Cyangugu. Le gros de ce matériel provenait des stocks une certaine habileté, des personnes formées, spécialisées.
saisis sur les Inyenzi dans les années 60, quand leurs opé- N'importe qui ne peut pas le faire . C'est pourquoi le gou-
rations prirent fin . La plupart de ces mines étaient de vernement et les FAR affirmaient que ces actions ne pou-
fabrication russe ou chinoise . Le gros du travail était vaient qu'être l'oeuvre de l'APR . Mais comme cela se
accompli par J02 Jackson Rwahama . Il ne devait pas for- roduisait loin des positions de l'APR, les actions étaient
cément être personnellement sur place Mis, avant de attribuées de façon simpliste à ses complices : parce que
rejoindre l'APR, il avait laissé un réseau qui allait faire ce les militaires de l'APR eux-mêmes ne pouvaient pas s 'aven-
travail . Ce type de mines a été posé par exemple en sous- turer dans des endroits inconnus et poser des explosifs sans
préfecture de Bugesera, dans les localités de Nyamata le bénéficier de complicités sur place . C'est vrai, il y avait des
17 décembre 1991, Mayange le 19 février 1992, Mbyo complices, mais ceux-ci se comptaient sur les doigts de
le 8 avril 1992, Gashora le 18 mars 1993. la main . Ce fut néanmoins une grande injustice d 'assimi-
À Kigali aussi, il y avait un réseau chargé de poser des ler tous les Tutsis aux complices du FPR et d'engager des
explosifs en provenance du Burundi . Le réseau était com- représailles contre eux suite aux actions terroristes de ce
posé, entre autres, par les caporaux Mahoro Amani et dernier. Cependant, les bombes qui ont explosé au Rwanda
Gashagaza . Les exemples d' endroits piégés sont entre n' ont pas toutes été posées par le FPR, d 'autres ont été
autres : l' hôtel Panafrique en date du 28 décembre 1991, posées par les FAR ou les milices pour donner des prétextes
le quartier de Biryogo en date du 12 février 1992, trois i l' arrestation de prétendus complices de l 'ennemi .

146 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE

Mois de septembre commandement à divers niveaux (Leadership course,


Du 2/8 au 10/9/1991 platoon Commander's course), un cours d 'artillerie
Les FAR lancèrent des attaques incessantes sur les posi- (Artillery course) qui a eu lieu à Kangoma en Ouganda,
tions de l'APR . Par ironie, nous appelions les FAR un cours de génie militaire (Field Engineering course)
« Kigali mobile » comme une seule unité de l'APR, parce et des cours de commando . Ces formations ont eu lieu
que les FAR était composées d'un peu plus de 5 000 sol- Nakivale en Ouganda. Ceux qui ont suivi le cours de
dats regroupés et composés en bataillons qui menaient nie militaire sont ceux-là mêmes qui ont ensanglanté
ces attaques . Ils utilisaient des véhicules blindés de fabri- le pays, comme nous le verrons plus loin.
cation française et des hélicoptères Gazelle . Ces attaques Du 2 au 3 octobre 1991, une attaque d 'envergure com-
ont pris fin sans avoir pu nous déloger de nos positions binée était prévue pour les unités Bravo CMF, Alpha CMF,
sur le sol rwandais . Elles étaient dirigées par le colonel Echo CMF, Mike CMF, Nkurumah CMF, Sierra CMF,
Déogratias Nsabimana alias Castal. L'APR tint ferme et Yankee CMF, et la 11 e CMF. Le but était d ' occuper toute
les attaques se soldèrent par un échec. la zone jusqu'à Muvumba vers Rukomo. Par coïncidence,
8/9/1991 les FAR avaient aussi planifié pour le lendemain une
Raid de l'APR sur le centre de santé de Nyarurema, attaque d' envergure que nous avons baptisée Rukokoma
en commune de Muvumba (préfecture de Byumba) . Ce composée de tout », soit de toutes sortes d 'armes, d'uni-
centre abritait des malades civils mais des renseignements tés et de toutes les tactiques possibles).
erronés faisaient état de blessés militaires. En fait, le plan
était de continuer à tuer ou chasser définitivement la Octobre 1991
population civile dans cette zone car sa présence facili- 3/10/1991
tait les opérations et les infiltrations d 'éléments des FAR Très tôt le matin, les foudres s 'abattirent sur nous, on
se faisant passer pour des civils . Au cours de ce raid mené aurait dit que le ciel nous tombait sur la tête . Des tirs d'ar-
par la 31 e Combined mobile Force, dirigée par JO1 tillerie lourde retentirent au point de casser les tympans.
Mubarakh Muganga, beaucoup de malades et six infir- C' était une véritable pluie de bombes . Au cours de ces
mières furent massacrés . Le matériel médical fut égale- combats, furent utilisées des armes capables de pulvériser
ment pillé . Ce raid était le troisième contre ce centre, les une zone de quelque 5 km . Il y avait environ neuf mor-
deux premiers ayant été menés par Sierra Combined tiers 120 mm, quatre 37 mm bitubes AAC anti-aériens,
mobile Force sous le commandement de SO Éric six 14 .5 mm AAC quadruples, des 11 .5 mm AAC
Murokore. machine gun (plus de vingt-cinq) . Il y avait des blindés
Au cours du mois de septembre, il y eut une série AML-60, AML-90 (plus de quinze) ainsi qu'un nombre
de formations des soldats de l'APR dont des cours de Indéterminé de machine guns et de canons sans recul . Bref,

148 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 149

c' était une attaque minutieusement préparée . Il semble du SO Fred Nyamurangwa et de son unité Yankee CMF.
que les plans avaient été préparés par les Français, mais on Vers la fin, il dut aussi recevoir l ' appui du MHC Sam
n'en a vu aucun sur le front . Nous nous sommes battus Kaka et du JO1 Charles Kayonga avec des équipes com-
toute la journée, chaque fois que nous les repoussions posant l 'escorte de Kagame stationnées à Gikoba . Depuis
les FAR revenaient à la charge . Cela s'est répété au moins lors, les attaques d ' envergure des FAR, surnommées
une dizaine de fois . Les pertes étaient importantes du côté Rukokoma, ont été abandonnées, il n'y eut par la suite
des Inkotanyi, parce que les FAR faisaient usage d 'un arme- que des pilonnages à distance.
ment très lourd, alors que nous n 'avions pas encore forti- Après l'échec des FAR dans ces attaques d'envergure,
fié les tranchées pour nous protéger . Néanmoins, les FAR le parti MRND chercha des prétextes pour tuer les Tutsis,
subirent beaucoup plus de pertes que nous, puisque dans afin de décourager le FPR et lui faire savoir que chaque
la localité de Gikoba, cent cinquante corps ont été dénom- fois qu' il attaquerait, les Tutsis en feraient les frais . Des
brés, sans compter ceux qui avaient été emportés. massacres eurent lieu en commune Murambi dirigée par
10/10/1991 son bourgmestre, le célèbre tueur Jean-Baptiste Gatete.
Une semaine plus tard, des contre-offensives furent Cette tactique du gouvernement cachait une stratégie à
menées partout sur nos positions . Les FAR ne purent long terme, visant à éliminer systématiquement les Tutsis.
encore une fois nous en déloger . Pourtant, certaines uni- Le FPR en était conscient et cela s 'est répété plusieurs
tés comme Bravo, dirigée par SO John Bagabo, avaient fois avant le début du génocide.
déjà fui vers l 'Ouganda . Quand ils sont revenus, le soir,
les FAR s 'étaient déjà retirées . Parfois, la tactique des Novembre 1991
FAR nous confondait . A certains moments, elles se bat- 20, 21, 22/11/1991
taient toute la journée au prix de nombreuses pertes, Il y eut ces jours là des pilonnages (Shelling incessants
mais, à la tombée de la nuit, elles abandonnaient les posi- à l'arme lourde, de 6 heures du matin à 6 heures du soir.
tions conquises pour retourner au point de départ . Pour Nous avons subi de nombreuses pertes, mais nous avons
nous, c' était une perte d 'énergie. gardé nos positions . Ce fut la première victoire du FPR.
17/10/1991 Il apparaissait donc que nous avions la capacité, chaque
Une nouvelle attaque d' envergure fut lancée par les fois que nous le voulions, d'occuper une portion de ter-
FAR sous le commandement du colonel Déogratias ritoire de façon permanente sans en être délogés.
Nsabimana . Il est venu lui-même au front . Des militaires Après ces attaques, d' autres combats eurent lieu à
qui tentaient de déserter étaient fusillés sur-le-champ par Rukomo en commune Muvumba. Echo Combined mobile
le colonel en personne . Toutes les unités de l 'APR ont Force et Alpha Combined mobile Force y menèrent des
fui, y compris les commandants supérieurs, à l ' exception raids. Certains éléments d'Alpha CMF furent tués,

150 RWANDA, UHISTOIRE SECRÈTE

d'autres furent blessés par des mines posées sur la rivière fut attaqué par l 'unité Bravo CMFde l'APR L'unité était
Muvumba. Ceux qui ont attaqué Rukomo purent l 'oc- commandée par le SO John Bagabo . Le bilan fut très
cuper brièvement . Ils tuèrent des populations civiles, à lourd : 19 personnes tuées et 34 blessées . Le but avoué
majorité composées de réfugiés hutus du Burundi, et de cette attaque était de tuer le maximum possible de
pillèrent les commerces . Un des officiers de I'APR, JO 1 déplacés. Au départ, l' attaque devait être menée par trois
Karakire, pilla la banque et volatilisa le butin, au point compagnies, en provenance de différents endroits.
d'oublier de rassembler ses troupes pour se défendre. Heureusement pour les déplacés, l ' une de ces compa-
Lorsque les FAR revinrent pour récupérer Rukomo, elles gnies a rencontré sur son chemin une patrouille des FAR
tuèrent beaucoup de ses hommes . J01 Karakire fut et ils échangèrent des coups de feu . C 'est à ce moment
ensuite arrêté et écroué pendant plusieurs jours. que le reste des attaquants a réalisé que leur plan avait
Je ne peux pas passer sous silence un autre fait qui a été déjoué et ouvrit le feu sans tarder sur le camp.
caractérisé la guerre de l'APR . Paul Kagame était venu
féliciter ses troupes rassemblées à Gikoba, secteur Shonga L' année 1992
en commune Muvumba . Il lui fut rapporté que les popu- Au cours de cette année, le FPR osa attaquer de nou-
lations civiles nous huaient et avaient même dressé des veau les positions des FAR avec pour but d 'occuper défi-
chiens pour nous traquer pendant la nuit . Il répondit nitivement le terrain . Des unités spécialisées ont été mises
qu'il ne voulait plus jamais entendre de telles choses, que sur pied pour la déstabilisation intérieure du Rwanda,
la solution pour ces populations hutues récalcitrantes en utilisant des explosifs, le renseignement et les infil-
était de les massacrer pour obliger les survivants à fuir, trations . À cette fin, il fallut augmenter sensiblement les
et que cette solution avait même été acceptée par leurs effectifs de spécialistes entraînés . Par ailleurs, certains
congénères ethniques, membres de l 'APR. Cet épisode partis politiques ont commencé à collaborer avec le FPR
a eu lieu quelques jours seulement après l 'assassinat du pour renverser le régime du MRND . C'est au cours de
capitaine Muvunanyambo (qui avait rejoint le FÂR après cette année également que furent planifiés, étape par
la prise de la prison de Ruhengeri où il était incarcéré) étape, la prise et le contrôle total du pouvoir . En effet,
par l ' escorte de Kagame, parce qu 'il s' était toujours fer- ceux qui avaient une vision à long terme se rendaient
mement opposé à l ' idée de tuer les populations civiles. compte que cela était possible . Un fait était révélateur :
fin 1991, durant les combats qui eurent lieu dans la com-
Décembre 1991 mune de Muvumba, les FAR, maintenant fortes de plus
1/12/1991 de 10 000 hommes, avec un matériel de pointe, enca-
Le camp de déplacés de guerre de Rwebare, en com- drées par des colonels et conseillées par les Français,
mune de Muvumba, abritant plus de 6 000 personnes, n'avaient pas pu récupérer une position perdue au pro-

152 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 153

fit des éléments du FPR dont le nombre ne dépassait nous pouvions lancer des attaques en profondeur et
pourtant pas 2 000 personnes. en provenance d 'endroits inattendus . Au cours de la
D'aucuns pensaient que l 'épisode le plus difficile de même nuit, l'unité Zulu CMF, dirigée par SO Wicliffe
la guerre trouverait sa conclusion à la frontière et c 'est Kwikiriza, a attaqué Nyagatare et razzié plusieurs têtes
en effet ce qui s'est passé. Nous avions réussi à semer de bétail. Ces deux opérations étaient coordonnées par
la peur au sein des FAR, car nos provocations les atti- MHC Sam Kaka et SO Edward Karangwa.
raient dans nos retranchements où ils subissaient des 23/1/1992
pertes énormes . Nous avions posé, autour de nos posi- SO Cyiza, à la tête de diverses unités de l'APR, dont
tions, des mines qui arrachaient les jambes des militaires Lima CMF, Charlie CMF, 43e CMF, ainsi que certains
des FAR chaque fois qu'ils voulaient nous attaquer. Nous éléments de la garde personnelle de Paul Kagame ont
les avons forcés à se battre à notre rythme, aux endroits attaqué plusieurs positions des FAR en commune Butaro
et aux heures qui nous convenaient, la nuit ou le jour. de la préfecture Ruhengeri . Les positions les plus visées
Nous pouvions même les attirer dans nos lignes, afin de furent celles de Nyamicucu, Kindoyi et Runaba . Entre-
minimiser les pertes de notre côté. temps, d 'autres éléments avaient attaqué la colline de
Dans l'ensemble, cette année fut consacrée à prouver Rwabutama. Nous ne connaissions pas l'objectif de ces
que nous étions toujours une force avec laquelle il fallait attaques car, après avoir perdu beaucoup d 'hommes, le
compter. Nous avions même démontré que nous pou- major Kagame donna l' ordre d'abandonner les positions
vions prendre des initiatives de combat et que nous pou- conquises et de nous replier en Ouganda dans la forêt
vions les gagner. Il était temps que le gouvernement réalise dite Urugano rwa Bishop parce que, dans cette forêt, se
qu'il allait de son intérêt de négocier avec nous. En effet, trouvait un ranch de l 'évêque catholique ougandais,
cette année vit le début des négociations et le président Bishop Harerimana, du diocèse de Kabale, qui a beau-
Habyarimana dut se convaincre lui-même que nous étions coup aidé le FPR Nous lui avions donc dédié cette forêt.
forts, contrairement à ceux qui en doutaient encore. 3/2/1992
Lorsque le président Juvénal Habyarimana a aban-
Janvier 1992 donné le portefeuille du ministère de la Défense et
2/1/1992 nommé un nouveau chef d 'état-major, il demanda à son
Les éléments de l 'unité Yankee CMF dirigés par SO ministre des Affaires étrangères, Casimir Bizimungu,
Fred Nyamurangwa, en collaboration avec JO1 Hassan d'écrire à l ' ambassade de France pour demander que le
Mwungeri et JO1 Mwesigye, attaquèrent Mimuri en commandant du DAMI (Détachement d 'assistance mili-
commune de Ngarama, après encerclement . Le but était taire et d 'instruction) reste son conseiller pour les affaires
de piller du matériel médical et de montrer aux FAR que militaires. Il ne s' agissait pas d'une demande mais d 'une

154 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE 155

simple information car depuis le 25 juillet 1991 les forces aux mitrailleuses . Ces tueries eurent lieu à Maranyundo,
armées et l' état-major avaient été placés sous la direction Muyenzi et Rebero . D'autres attaques eurent lieu à
du président Habyarimana. Agenda et à Gashora . Près de 300 corps tombés le long
Les attaques du FPR servirent encore de prétexte pour des routes et en d'autres endroits visibles ont été dénom-
massacrer les Tutsis lors d 'expéditions organisées com- brés. À. Nkanga, en commune de Gashora, aucun Tutsi
prenant des militaires, des responsables politiques et des n' a pu prendre la fuite à temps, aucun témoin huma-
miliciens du MRND . Ces attaques contre les Tutsis, qui nitaire n'est parvenu dans cette localité pour faire le
impliquaient même des militaires et la jeunesse du décompte des cadavres . Les Tutsis étaient complètement
MRND, furent intensifiées . C' est aussi à cette époque nclavés dans leur secteur par des barrières qui bloquaient
qu' une certaine propagande a été alimentée pour pré- toutes les issues pour que personne ne puisse s 'échapper.
parer les Hutus au massacre des Tutsis . Voici des Beaucoup périrent dans leurs maisons incendiées, les
exemples. autres furent tués et leurs corps jetés dans les marécages
de la Nyabarongo . Plus de 15 000 Tutsis se réfugièrent
Mars 1992 à Nyamata, Maranyundo, Ririma, Ruhuha, à la com-
3/3/1992 mune de Gashora et ailleurs.
Depuis un certain temps, circulaient des tracts écrits À Nyamata, où la plupart des Tutsis s 'étaient réfugiés
par le journaliste Hassan Ngeze pour mettre les Hutus pour se mettre sous la protection des autorités de la sous-
du Bugesera en alerte : selon ces tracts, le FPR aurait préfecture et de la commune, ils ont été expulsés après
dressé une liste des leaders hutus à assassiner, afin de s'être vus refuser l' accès à l ' eau, aux installations sani-
prendre le pouvoir . Hassan Ngeze, qui dirigeait le maga- taires et médicales . Les autorités leur ont dit qu ' ils
zine incendiaire Kangura, a sillonné le Bugesera sous devaient retourner chez eux où leur sécurité serait assu-
la couverture de l ' armée et de la gendarmerie . Suite à rée . Parmi ceux qui les ont expulsés, on peut citer le sous-
la diffusion de ces tracts, commencèrent les massacres préfet Sekagina, le bourgmestre Fidèle Rwambuka et
des Tutsis au Bugesera. l' agent de renseignement Déo Ndimubanzi.
Ce ne fut pas facile pour ces tueurs car la région est Radio Rwanda et la direction de l'ORINFOR (Office
peuplée en majorité par des Tutsis, au point que même rwandais d'information) avaient diffusé un communi-
les résidents hutus qui, par ailleurs, n 'étaient pas très qué alléguant que, d'après des informations obtenues de
enthousiastes pour les massacres, ne pouvaient rien faire. Nairobi, le FPR avait prévu l'élimination d'une vingtaine
Les Tutsis se sont si bien défendus que les Hutus qui de personnalités pour inaugurer ainsi une campagne de
avaient participé à ces tueries ont dû abandonner la terrorisme . Parmi les personnalités citées, il y avait Thaddée
besogne aux militaires du camp Gako qui ont recouru Bagaragaza, Laurent Rutayisire, Wellars Banzi, Donat

156 RWANDA, UHISTOIRE SECRÈTE 157

Murego, Seburikoko, Augustin Ruzindana, Shingiro n l'occurrence les tueries du Bugesera, car ce n'était pas
Mbonyumutwa, Joseph Nzirorera, Séraphin Rwabukumba, dans leur mission.
Thomas Kigufi, Félicien Ngango, Dismas Nsengiyaremye, 17/3/1992
Adonia Sebununguri, Émile Nyungura, Pierre Célestin Le parti CDR (Coalition pour la défense de la
Rwagafirita, Alphonse Ntirivamunda, Mporanyi, Callixte République) fut reconnu. Son président était Martin
Nzabonimana, Édouard Karemera, Innocent Butare, André Bucyana. Ce parti extrémiste jouissait d 'une certaine
Kagimbangabo et Félicien Kabuga. impunité, pouvait mener des expéditions meurtrières
Tout cela n'était qu'une mise en scène dont le seul but sans entrave et quand bon lui semblait.
était d' inciter les Hutus à tuer des Tutsis innocents. Du 14/3/1992 au début mai 1992
Quand on examine cette liste de près, on se rend compte L'APR a lancé des attaques sur toute la ligne de front.
qu'elle était pleine de sous-entendus . Les personnes citées Pour la première fois, la stratégie militaire changeait.
étaient toutes des responsables hutus au niveau de Désormais, il s 'agissait d'occuper le terrain de façon per-
l' État et dans tous les domaines . Beaucoup étaient des manente.
militants du parti MRND, mais il y avait aussi des figures Les premières localités visées furent Nyamirama,
de l'opposition qui étaient ainsi sensibilisées à se rap- Kabuga, Bushara, Runyinya et Mutojo . De l'autre côté
procher du régime pour demander la protection de de la rivière Muvumba, les localités de Karama, Gikagati,
l'État contre le FPR . Il y avait des religieux pour mon- Nyabihara, Kajuma, Gatunda et Shabana furent atta-
trer qu'ils n'étaient pas, eux non plus, à l'abri de la menace quées. La tactique variait dans les attaques surprises par
du FPR. Était également citées des personnalités de l 'op- l'arrière et les encerclements . L' unité Zulu CMF, sous le
position pour que, une fois éliminées, on en attribue tout commandement de SO Wicliffe Kwikiriza, attaqua
de suite la responsabilité au FPR. Mutojo et Runyinya ; l'unité Yankee CMF, sous le com-
Il faut rappeler que les troupes françaises station- mandement de SO Fred Nyamurangwa, conjointement
nées au Rwanda n' ont rien fait pour arrêter les massacres avec l' unité Nkrumah dirigée par SO Musana, attaquè-
des Tutsis . Il faut rappeler aussi que ce sont des Français rent Nyamirama et Bushara . Bravo CMF, dirigée par SO
qui étaient les conseillers militaires du président John Bagabo, attaqua Kabuga ; Sierra CMF, sous le com-
Habyarimana et qui entraînaient la gendarmerie et la mandement de SO Éric Murokore, a attaqué Nyabihara
garde présidentielle. et Kajuma . La 31 e CMF, dirigée par SO Mubarakh
11/3/1992 Muganga, a attaqué Shaba et Karama . Kilo CMFa atta-
L' ambassadeur de France au Rwanda à l ' époque, qué Bushara 2 et Gikagati . Ces attaques simultanées sur
Georges Martres, expliqua que les troupes françaises tous les fronts désorganisèrent les FAR au point que le
ne devaient pas se mêler des affaires internes du Rwanda, tommandant du secteur, le colonel Marcel Gatsinzi, fut

158 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 159

soupçonné de complicité avec l' ennemi ou tout au moins courtes distances. Les soldats encerclés de si près ne peu-
d'incompétence . Il était impensable qu' il perde toutes vent plus distinguer les soldats ennemis de leurs cama-
ces positions, pourtant il n'y était pour rien car l'APR rades de combat.
avait simplement changé de tactique. Pendant que l'ennemi encerclé se bat, il y a des bles-
La tactique utilisée avait été mise au point par SO Sam sés et des morts. Il n'a aucun moyen de les soigner ou de
Byaruhanga qui fut assassiné sur ordre du major Paul les évacuer pendant une fusillade incessante.
Kagame en août 1991 par JOl Mustapha Higiro. Celui qui a été attaqué est obligé de combattre pour
Byaruhanga était un stratège né. Il avait préconisé que, se dégager et éviter que les blessés ne meurent sur place.
dans toutes nos confrontations, la meilleure façon de par- C'est ce que nous recherchions, ils avaient un double
venir à la victoire était celle-ci : creuser des tranchées puis désavantage : ils combattaient à découvert, nous les obser-
attirer l 'ennemi à soi pour l' obliger à attaquer le premier. vions pendant qu'ils s'approchaient de nous à partir de
Jusqu' à cette date, c'est cette stratégie, à laquelle il n 'y a pas nos tranchées . Cela réduisait les pertes de notre côté et
de parade, qui permit à l 'APR de vaincre toutes les armées augmentait le risque du côté ennemi . Nous pouvions
qu'elle a eues à combattre . En mettant à profit cette stra- utiliser tout notre arsenal tandis que l 'ennemi ne pou-
tégie inventée par Sam Byaruhanga, qui n'est écrite dans vait pas utiliser tous ses moyens . Quand nous avions mis
aucun livre d 'art militaire, les soldats de l'APR devaient en place cette tactique d 'encerclement, il fallait sim-
s' approcher le plus près possible des positions de l 'ennemi, plement patienter, sachant très bien que les FAR fini-
même en rampant, jusqu'à une distance de 50 à 500 mètres. raient par lâcher leurs positions et prendre la fuite . Nous
Quand cela était possible, il fallait étouffer l ' ennemi en appelions cette tactique Ceiging.
bouclant toutes les voies qui conduisaient à ses positions. SO Sam Byaruhanga commençait à gagner une grande
Cette stratégie de combat avait plusieurs avantages : réputation et c'est ce qui l'a perdu . Il s'était révélé le
Couper les voies d'approvisionnement, l 'ennemi devant meilleur stratège . Il n' avait pas d'autre intelligence mais,
se rendre compte qu 'il ne pourrait plus se ravitailler. dans des situations difficiles, il trouvait rapidement la
Étouffer l ' ennemi en se ménageant les arrières : c'est- solution et la plus efficace de toutes . Il n'avait jamais
à-dire que la guérilla dispose des voies de ravitaillement, peur, d'aucuns pensaient que cette intrépidité était due
d'acheminement de matériel et d 'évacuation des blessés. à la consommation de la drogue . Il n'était pas le seul à
Continuer à pilonner les positions ennemies et tous en consommer, de très nombreux commandants de
les endroits à découvert sans que l ' ennemi puisse réagir 1 'APR en consommaient également mais ils ne se bat-
alors que tous les chemins sont ouverts pour la guérilla. taient pas aussi bien que lui.
Empêcher l'ennemi d 'utiliser les armements lourds, Il était impertinent vis-à-vis du major Paul Kagame
parce que la plupart n ' atteignent pas leur cible à de et n' hésitait pas à lui dire les erreurs qu 'il avait com-

160 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 161

mises. Il l ' avait prévenu qu'il n'accepterait pas d 'être Rukara et Mutagomwa . Des obus tombaient à longueur
bastonné et que, si Paul Kagame l' osait, il l 'abattrait de journée au milieu des réfugiés et tuaient les plus mal-
sur-le-champ . Sam Byaruhanga et Charles Musitu sont chanceux . Ces actes criminels s 'accompagnaient d'autres
les seuls au sein de l 'APR à avoir dit clairement qu' ils exactions, par exemple l'empoisonnement de l ' eau par
n'accepteraient pas d'être bastonnés par Paul Kagame, les soldats du 31 e CMFsous les ordres de SO Mubarakh
alors que les autres étaient régulièrement battus . Bref, Muganga . Je rapporte ici de telles exactions, mais elles
Sam Byaruhanga a été victime de son génie militaire et étaient régulièrement perpétrées pour tuer des civils inno-
de son impertinence envers Paul Kagame qui prévoyait cents qui ont fui les combats de I'APR et des FAR.
qu' il pouvait se rebeller contre lui et le renverser . Il Ces attaques avaient pour but d ' exercer une pression
en aurait eu la capacité. sur le gouvernement du MRND et sur le gouvernement
Le jour de son assassinat, Sam Byaruhanga avait été multipartite qui allait lui succéder, afin de démontrer
promu à un grade d 'officier supérieur. C'était une pro- que le FPR disposait d ' une puissance de feu suffisante
motion extraordinaire parce qu 'il y avait d'autres officiers pour être pris au sérieux durant les négociations.
plus hauts gradés que lui qu 'il ne pouvait devancer en 16/4/1992
grade. Pour Kagame, qui en avait fait son adjoint, c ' était Un gouvernement de coalition fut mis en place . Le
une façon de camoufler le forfait de son assassinat. Président, en acceptant, sous la pression internationale,
24/3/1992 l'investiture de ce gouvernement, eut la malignité de l 'ap-
Des essais de tirs de missiles portables (sur l 'épaule) peler « gouvernement de coalition » pour souligner la
ont commencé . Ils peuvent atteindre de petits avions et coalition de tout le monde contre le FPR. Mais beau-
des hélicoptères. Pour l'entraînement, on lançait d'abord coup attendaient que ce gouvernement puisse négo-
des fusées éclairantes et les tireurs essayaient de les cier avec le FPR pour recouvrer une paix pérenne. Même
atteindre. Ces fusées éclairantes étaient toujours lancées si le gouvernement était à base prétendument élargie, le
au-dessus du camp de réfugiés de Rwebare, ainsi que MRND avait plus de portefeuilles que d 'autres partis.
dans le ciel de Rukomo en commune Muvumba . Des De cette manière, les décisions qui étaient prises reflé-
missiles étaient lancés à leur poursuite . Ces fusées déga- taient souvent les vues du MRND.
geaient un gaz nocif qui se répandait parmi les réfu- Au début du mois de mai, I'APR avait poussé la ligne
giés et en tuait quelques-uns. de front au-delà du cours de la rivière Muvumba . Les
Ce camp était, chaque soir, la cible d ' au moins une .combats se déroulaient non loin du bureau communal
douzaine de bombes Katiusha tirés par des lanceurs LRM de Muvumba, dans les localités de Rukomo et Rurenge,
107 mm aux commandes de SO Murangira . Ce camp au bureau du secteur. Parmi les officiers supérieurs qui
était également la cible de mortiers 120 mm tirés par J02 ;3e sont battus dans cette région, je citerai SO Martin

162 RWANDA, 1:HISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 163

Nzaramba, SO Fred Nyamurangwa et SO Hassan chasser les buffles . Ces actions avaient pour but de faire
Mwungeri. croire que cette zone allait bientôt être le théâtre de com-
24/5/1992 bats . Ainsi, les FAR furent alertées et y concentrèrent
Le ministre des Affaires étrangères, Boniface beaucoup de troupes. Delta CMFde SO Ngumbayingwe,
Ngulinzira, s ' est rendu à Kampala pour rencontrer les Mike CMFde SO Dominique Kalisa, 17e CMFet Lima
dirigeants du FPR . Il en est reparti après un accord sur CMF, Bravo CMF de SO John Bagabo furent mis à un
le calendrier des négociations . Le FPR ne l ' entendait niveau d ' alerte que nous appelons Class One. A ce
pourtant pas de cette oreille . Il s' agissait de trouver une moment là, SO Didas Kayitare était prêt . MHC Sam
carte à jouer pour obtenir satisfaction à ses revendica- Kanyemera alias Kaka était sur le qui-vive.
tions. Rappelions qu ' avant la mise en place du gouver- Du 3 au 4 juin 1992, toutes ces unités furent trans-
nement de coalition, le FPR avait lancé des attaques pour portées à l'aide de plusieurs camions civils et de la NRA
obliger ce dernier à accepter les négociations dès son vers Karujanga, prêtes à mener une attaque sur la ville
entrée en fonction. de Byumba et ses environs . Ces troupes se cachèrent
28/5/1992 toute la journée dans des bosquets d'eucalyptus, des
D'un autre côté, après une préparation apparemment bananeraies et dans des masures en attendant la tombée
secrète, il y eut une rencontre, à Bruxelles, entre le FPR de la nuit pour attaquer.
et les partis MDR, PSD et PL. L' attaque a surpris l ' armée gouvernementale et les
Le président Juvénal Habyarimana crut que les par- hommes politiques . Personne ne pensait que le FPR pou-
tis d ' opposition et le FPR complotaient contre lui dans vait trouver une raison de reprendre les combats alors
le but de le dépouiller de tout pouvoir, lui et son entou- que les négociations étaient sur le point de commencer.
rage . Entre-temps, comme je l'ai dit, le FPR a préparé Il n'y a pas eu de Tutsis assassinés dans cet endroit contrai-
une autre attaque dont le but était de déstabiliser le rement aux accusations du FPR . Il n'y avait aucune réelle
Président et son armée. justification à cette attaque.
Toutes les unités de l 'APR ont été mises en alerte pour
se préparer sérieusement à toute éventualité . Personne Juin 1992
ne savait ce qui se préparait. 5/6/1992 1
Le 27 mai 1992, Yankee CMF, sous le commandement Dès 20 heures, les premières unités firent mouve-
de SO Fred Nyamurangwa, reçut l ' ordre de se rendre dans ment vers Byumba . C ' était un long trajet, les soldats
les localités de Gashenyi et Nyamiyonga pour mener des
actions de provocation à Nyabwishongezi tout près de 1 . Pour l' attaque de Byumba, je suis un témoin oculaire puisque j 'y
Kagitumba au nord-est du Rwanda . Il devait aussi aller ai participé .

164 RWANDA, UHISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 165

portaient des munitions et d ' autres équipements pour sant par Rukomo . Les soldats de l'APR, commandés par
rester longtemps sur place. Ils devaient porter chacun MHC Sam Kaka et SO Didas Kayitare, ne purent tenir
vivres et équipements militaires . Les hommes de Delta le siège de Byumba en raison de la physionomie même
CMF, Lima CMF et 17 e CMF partirent en tête pour de la ville et de la puissance de feu utilisée par les FAR
attaquer la ville de Byumba . Les autres sont allés blo- pour la récupérer.
quer la route vers Kigali à Rukomo . Les unités Alpha Le major Paul Kagame donna à ses hommes l 'ordre
CMF, Oscar CMF, Echo CMF sont arrivées par la suite de se retirer de la ville et de prendre fermement position
pour aider celles qui s' étaient emparées de la région de sur des collines environnantes . C'était le deuxième jour
Rushaki. après la chute de Byumba, c' est-à-dire le 7 juin . Les sol-
Aux environs de minuit, l 'unité Yankee CMFest par- dats stationnés à Rukomo devaient se dégager en der-
tie à l'assaut de la localité de Mukono . Il y avait trois nier pour servir de bouclier à ceux qui quitteraient
positions militaires sur une même colline . C'était une Byumba afin de leur éviter toute attaque surprise.
forte concentration de soldats comparativement aux L'abandon de ces positions a été consécutif à de vio-
autres zones qui allaient être attaquées . D' autres posi- lents combats, dirigés et supervisés par les militaires fran-
tions étaient implantées dans les hauteurs de Cyumba. çais. C 'est la raison pour laquelle il a été dit que ce sont
Les unités Mike CMFet Bravo CMFn'étaient pas encore les militaires français qui ont récupéré la ville de Byumba
arrivées pour lancer l'assaut sur Bungwe. Au lever du et chassé le FPR. Ils ont croisé le feu avec les soldats
jour, il y avait des coups de feu partout . C'est ainsi que de l'APR. Ceux-ci ne sont pas retirés parce qu'ils ont été
Byumba est tombée. Dans d ' autres zones, les combats vaincus mais parce que le positionnement des unités ne
eurent lieu en un seul jour. Lorsqu'ils apprirent la prise leur permettait pas de bien se battre.
de Byumba, les FAR s'enfuirent. Revenons un peu au positionnement des forces à la
Pendant les combats à la frontière rwando-ougandaise, frontière. Toutes les positions des FAR qui se trouvaient
nous avons utilisé des armes lourdes qui tiraient à par- à Kivuye, Bungwe, Cyumba, Mukono, Gatuna, Kaniga 1,
tir de Karujanga en Ouganda . Elles lançaient des obus Kaniga 2, Rushaki, Mugina avaient été prises . Ainsi, la
à Mukono, Cyumba, Kivuye, Manyagiro et Bungwe. ville de Byumba s'est retrouvée comme cernée d 'un demi-
Ces armes lourdes déversaient un déluge de feu de telle cercle de positions de l'APR.
sorte que les FAR ne pouvaient pas riposter. Cette attaque a augmenté la panique du côté du gou-
Les FAR n'avaient pas les moyens de défendre Byumba vernement du président Juvénal Habyarimana . Celui-ci
car toutes les unités de l'APR que j ' ai déjà citées avaient a demandé de nouveau le secours des Français . Le len-
attaqué simultanément de plusieurs côtés, tandis que les demain, le 6 juin 1992, la France a encore envoyé d'autres
autres devaient assiéger la ville par encerclement en pas- militaires pour aider les FAR .

166 RWANDA, l'HISTOIRE SECRÈTE

Les hommes politiques français, tout en aidant mili- ou d'armes lourdes, ils commençaient par y tirer ces
tairement le Rwanda, ont demandé la tenue de négo- bombes fumigènes (Smoke Bombs) qui dégageaient beau-
ciations franches entre le FPR et le gouvernement coup de fumée . Toutes les armes tiraient alors en rafale
rwandais, pour traiter entre autres de la fusion des armées dans cette fumée . En moins d 'une minute, la cible était
combattantes . Cette façon de concilier les deux côtés a arrosée d 'au moins une cinquantaine d'obus tirés par des
créé la suspicion envers la France : elle aidait militaire- armes différentes.
ment une partie des combattants et en même temps elle À un certain moment, nous avons fini par penser que
demandait des négociations. même les négociations envisagées étaient un leurre, que
16/6/ 1992 le souhait de Juvénal Habyarimana était symétrique de
De violents combats ont commencé ; les FAR avaient celui du major Paul Kagame lui-même : mettre le FPR
le moral remonté par la présence à leur côté de militaires en position de faiblesse avant les négociations afin de
français sur le champ de bataille . Ces derniers coordon- limiter ses revendications, et le bombarder au cas où il
naient les opérations, dirigeaient les combats, nous les n'y renoncerait pas . De son côté, le major Paul Kagame
voyions en plein échange de tirs . Ils ont apporté des voulait affaiblir le président Juvénal Habyarimana, pour
armes de type 105 mm Howitzer, 122 Howitzer et plu- pouvoir obtenir satisfaction à ses revendications . Dans
sieurs hélicoptères . Comme manoeuvre de diversion, ils ce contexte, la France a été un grand obstacle pour le
utilisaient simultanément des armes différentes, de telle FPR.
sorte qu' on ne savait pas laquelle tirait . Furent alors Sur le front militaire, beaucoup d 'hommes de I'APR
détruits du côté de l'APR deux mortiers 120 mm, trois sont tombés sous les bombes des Français. Les unités qui
mitrailleuses 14 .5 mm AA, deux mortiers 82 mm, et furent les plus touchées sont Delta CMF, Oscar CMF,
ceux qui les manipulaient furent tués sous les bombes 17e CMF et Lima CMF. Tous ces soldats se surnom-
tirées par les Français. maient Intare nto (« les Lionceaux ») parce que leur chef
En matière de tirs avec les mortiers, ils nous ont mon- SO Didas Kayitare avait pris le surnom d ' Intare
tré leur supériorité à tel point qu' à un moment donné (« Lion ») . Ces combats se sont poursuivis jusque vers le
nous avons cessé d' utiliser les armes lourdes . Cela a pro- 18 juillet 1992.
voqué des sentiments de rage et de haine contre les
Français . Ils étaient devenus un grand obstacle dans notre Juillet 1992
guerre . On aurait pu croire que les bombes tirées étaient 12/7/1992
toxiques parce que certaines n ' explosaient pas tout de Des négociations entre le FPR et le gouvernement
suite et continuaient à dégager de la fumée . Quand ils rwandais eurent lieu à Arusha en Tanzanie . Les deux par-
suspectaient la présence quelque part d ' un chef militaire ties ont convenu d 'arrêter les combats . Elles devaient

168 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 169

constituer une équipe sous la supervision d' un contin- qué mais, puisque les positions des deux belligérants
gent militaire de l ' OUA pour contrôler le respect du n'avaient été fixées nulle part, aucune preuve tangible ne
cessez-le-feu qui devait être effectif le 19 juillet 1992 à pouvait être donnée . C' était plutôt le FPR qui ameutait
minuit . Il avait été décidé que les discussions porteraient les journalistes pour leur montrer les cadavres et les
d' abord sur les questions politiques ; les négociations impacts d' obus tirés par les FAR.
devaient effectivement débuter le 10 août 1992. Les combats et les provocations ont véritablement
Le camp de l ' armée gouvernementale a respecté le cessé le 1 er août 1992 . Le FPR posa alors des mines anti-
cessez-le-feu ; mais il n' en fut pas de même du côté du personnel à divers endroits, y compris dans les champs
FPR . Je me rappelle qu' à Nyabishambi, Mugina, des paysans.
Ngondore et ailleurs dans Kibari, le major Paul Kagame
a donné ordre à ses hommes de mener des attaques sur- Août 1992
prises sur les positions de l ' armée gouvernementale, de 11/8/1992
manière à ne laisser aucune preuve pour les observateurs. Une force internationale commandée par le général
Même avant le cessez-le-feu instauré le 19 juillet, l 'APR nigérian Opareye fut envoyée avec la mission de vérifier
avait reconquis certaines collines d ' où l'avaient chassée et de superviser le respect du cessez-le-feu . Elle était com-
les bombes des Français . La perte de ces positions était posée d' officiers provenant de cinq pays africains . Le
dommageable pour le FPR qui ne pouvait les laisser aux FPR et les FAR y étaient également représentés.
mains des FAR . Dans la région de Ruhengeri, SO Cyiza 15/8/1992
a provoqué à plusieurs reprises les FAR à de violents com- Une deuxième session de formation de commando a
bats dans la localité de Ruhanga en commune Cyeru, et commencé . Dans un premier temps, il s' agissait d'offi-
à Ndago, sur les hauteurs de la sous-préfecture de ciers et de ceux qui étaient appelés à former plus tard la
Kirambo. garde personnelle de Kagame, mais la plupart d'entre eux
Il faut rappeler qu ' à partir du mois de mars, alors que furent affectés à des actions de déstabilisation du pays.
le gouvernement de coalition allait être investi, Paul 18/8/1992
Kagame avait choisi de mener des attaques de grande Intraitable, le FPR avait adopté une ligne très dure,
envergure pour que le FPR soit en position de force au prétendant qu' il n'y avait pas d'État de droit au Rwanda
moment des négociations. et que par conséquent, le gouvernement devait changer.
Le cessez-le-feu a été officiellement instauré le 19 juillet Cette idée fut rejetée par les délégués du gouvernement.
1992, il a duré seulement deux jours . Aussitôt de petites Ils avaient reçu pour mission de faire comprendre que,
attaques surprises de I'APR reprirent . Chaque fois, le dans l'éventualité d ' une participation du FPR au pou-
côté gouvernemental accusait le FPR de l ' avoir provo- voir, celui-ci devait rejoindre ce même gouvernement

170 RWANDA, L'HISTOIRE SECRETE

l'on discuterait alors sur le nombre de portefeuilles qui Une grande quantité de pommes de terre et de hari-
reviendraient à chaque parti. cots était consommée par les militaires et les nouvelles
C' est ce genre de négociations que souhaitait le pré- populations implantées dans la région.
sident Juvénal Habyarimana . Des négociations superfi- C'était une impardonnable erreur politique du FPR,
cielles qui ne pointeraient pas du doigt les torts qu ' il car ces exactions mettaient en danger les Tutsis de l'in-
faisait au pays. térieur du pays. La Radio Rwanda et la presse acquise
21 et 22/8/1992 à l ' idéologie du MRND et de la CDR prêchaient que le
Peu de temps après la signature de ces accords et le FPR voulait restaurer le système féodal tutsi, procéder
début du cessez-le-feu, les Interahamwe et les gendarmes au massacre des Hutus et les exproprier de leurs terres.
attaquèrent la population de Rutsiro dans la préfecture C' était la vérité pour les populations déplacées qui avaient
de Kibuye : des adultes, des bébés et des personnes âgées fui les régions occupées par le FPR.
furent tués . Ce fut là une preuve tangible que les accords Les populations originaires des régions occupées par
de paix n' avaient pas de valeur aux yeux du président le FPR ont subi des massacres, sauf celles qui avaient fui
Juvénal Habyarimana : cette cruauté nous montrait que et celles que le FPR avait épargnées et rassemblées pour
les accords de paix n'apporteraient rien de plus que des montrer aux journalistes des gens ayant accepté d 'adhé-
signatures, pendant que dans notre dos, nos frères tut- rer à sa politique et de rester avec lui . Ces populations
sis étaient massacrés. étaient regroupées sur deux sites : Kindoyi en commune
À partir du 15/8/1992 Butaro et Gishambashayo à Rubaya.
Le FPR a invité les réfugiés établis en Ouganda à venir Ces populations hutues n'étaient pas autorisées à quit-
récolter les cultures laissées par les Hutus en fuite I . Ils ter les lieux de cantonnement ; en revanche, les Tutsis
ont massivement répondu à l ' appel et se sont vite par- venus d' Ouganda avaient le loisir de se déplacer dans
tagés les terres et les habitations des personnes,lui avaient toute la région sous contrôle du FPR. Ceux qui parve-
fui. Cela s' est produit dans toute la région passée sous naient à fuir et à regagner le camp gouvernemental étaient
contrôle du FPR depuis la commune Muvumba jusqu ' à les seuls à pouvoir témoigner des exactions du FPR.
la commune Kivuye . Les maisons qui n'étaient pas occu- Aucun Hutu ne pouvait revenir dans la zone occupée.
pées par les militaires ou par les populations appelées par Les extrémistes hutus trouvaient ainsi des témoignages
le FPR étaient détruites . Les tôles étaient emportées pour de première main et des prétextes pour exercer des repré-
être revendues en Ouganda. Les produits récoltés, à part sailles à l ' encontre des Tutsis.
les pommes de terre et les haricots, étaient aussi vendus. 26/8/1992
Des accords ont été signés à nouveau entre la France
1 . Je suis témoin oculaire de ces exactions . et le Rwanda . Ces accords permettaient une collabora-

172 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 173

tion plus étendue entre le détachement français et et persécuter les Tutsis . Le Président ne donna aucune
l'armée rwandaise . Il était ainsi admis que les Français suite à cette lettre mais continua à distribuer partout ces
pouvaient participer aux expéditions militaires sans armes et à faire entraîner les Interahamwe.
crainte d'être vus.
Octobre 1992
Pendant tout le mois de septembre 1/10/1992
Après la signature des accords régissant le fonction- Date anniversaire du début de la guerre de libération.
nement de l ' État de droit, il y eut une petite pause ; puis Plusieurs officiers montèrent en grade, d ' autres soldats
suivirent les discussions pour le partage du pouvoir entre furent nommés officiers . Encore une fois, l ' organi-
le gouvernement de coalition et le FPR . Fin septembre, gramme de l'APR fut remanié . Les petites unités qui
les négociations n'avaient pas encore abouti . Le problème étaient plus de vingt-quatre ont été refondues en uni-
crucial était que le président Juvénal Habyarimana voyait tés militaires plus grandes appelées mobiles. Huit mobiles
un complot entre le FPR et les partis d' opposition pour furent formées :
lui ravir les portefeuilles assurant son pouvoir . Au lieu d'ac- Alpha mobile : MHC Sam Kanyemera Kaka,
cepter le désir de paix exprimé par le plus grand nombre, Bravo mobile : MHC Ludoviko Twahirwa-Dodo,
y compris par une partie de son gouvernement, le Président Charlie mobile : SO Cyiza,
a choisi de continuer à préparer et appuyer le chaos pro- 7e mobile : SO . William Bagire,
voqué par les milices des partis qui le soutenaient. 21e mobile : SO Charles Muhire,
22/9/1992 59e mobile : SO Charles Ngoga,
Le Premier ministre de l ' époque, Dismas Nsengiya- 10l e mobile : SO Didas Kayitare-Intare batinya,
remye 1, s' était donné comme objectif primordial de 157e mobile : MHC Thaddée Gashumba.
ramener le FPR à la table des négociations pour un arrêt Ces postes de commandement ont par la suite légè-
définitif des combats et la mise en place d 'un gouver- rement changé parce que, dans les 21 e, Iol e et 157 e
nement consensuel . Il écrivit une lettre au président mobiles, le commandement a été renouvelé.
Juvénal Habyarimana pour dénoncer la distribution des Après cette réorganisation de l 'armée en grandes uni-
armes au sein de la jeunesse Interahamwe du MRND. tés, la plupart de ceux qui dirigeaient de petits bataillons
Selon lui, des armes, destinées à être utilisées sur le champ se sont retrouvés commandants de grandes compagnies.
de bataille, étaient aux mains des Interahamwe pour tuer Cela s'est répercuté aux bas échelons : certaines sections
des unités étaient commandées par des officiers parce
1 . Vice-président du MDR, il fut Premier ministre d 'avril 1992 à que ceux-ci étaient devenus trop nombreux. Le fonc-
juillet 1993 . (NdE) tionnement de l 'armée s'en est trouvé facilité car le

174 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1990111993 175

nombre de commandants avait diminué . Le surnombre des manifestations. C' est un signe que, du côté du pré-
des commandants coûtait cher à l 'armée, parce que tout sident Habyarimana, on n'acceptait pas ces accords.
cela demandait beaucoup de moyens de communication 18/10/1992
ainsi que des véhicules que nous n' avions pas en quan- De nouvelles manifestations furent encore organisées
tité suffisante . Jusqu'à l' attaque de grande envergure qui à Kigali par la CDR, à l' occasion desquelles plusieurs per-
a eu lieu lors du génocide, la structure du FPR est res- sonnes furent tuées à l'arme blanche ou blessées . Les vitres
tée la même . Les unités augmentaient en effectifs . Les des véhicules furent cassées, des biens furent brûlés.
nouvelles recrues étaient enrôlées dans les unités exis- 30/10/1992
tantes qui devenaient ainsi plus importantes . Au mois Les délégations du gouvernement rwandais et celles
d'avril 1994, chaque mobile comptait au moins dix com- du FPR ont signé les accords sur le partage du pouvoir
pagnies dont la plus petite comptait au minimum 190 et la répartition des différents ministères . D'emblée, il
ou 200 hommes . Souvent, le commandant de cette com- était manifeste que le président Juvénal Habyarimana
pagnie avait été à la tête d 'un petit bataillon (CO), son craignait d'être dépouillé d 'une grande partie de son pou-
adjoint (2IC) ou le chargé des opérations (OPTO) . Il voir au profit d' un gouvernement dirigé par un Premier
était alors facile de diriger les combats parce que chacun ministre. Ce gouvernement, dont le FPR aurait fait par-
faisait un travail qui lui était familier. tie, aurait porté le nom de « gouvernement de transition
11/10/1992 à base élargie ».
Les extrémistes hutus du parti CDR 1 , opposés aux
accords de paix, sont descendus dans la rue à Kigali, Novembre 1992
en disant que les accords de paix en cours à Arusha étaient 5/11/1992
inutiles . Le parti CDR affirmait même que les négocia- Cinq jours seulement après la signature des accords de
tions d'Arusha étaient une trahison contre le pays et paix, le parti MRND du président Juvénal Habyarimana
les Hutus en général, que l 'opposition était en train de a officiellement accusé le ministre Boniface Ngulinzira
comploter avec l 'ennemi. d' avoir été à Arusha pour partager tous les postes de direc-
12/10/1992 tion du pays entre l 'opposition et le FPR et trahir ainsi
Le premier volet des accords concernant le partage du le pays. Selon le MRND, les accords d'Arusha allaient
pouvoir a été signé . La veille de la signature de ces accords être une occasion pour le FPR et ses acolytes des partis
par une délégation gouvernementale, la CDR a organisé d' opposition de s'emparer du pouvoir.
Le pays commençait alors à prendre le chemin condui-
1 . Ce parti ultra-raciste accusait le président Habyarimana de mol- sant à la catastrophe . Le président Juvénal Habyarimana
lesse à l 'égard du FPR et des Tutsis. (NdE) et ses acolytes, prétendument pour défendre les intérêts

176 RWANDA, I;HISTOIRE SECRÈTE

des Hutus, ont tout de suite inventé un stratagème pour saluer le retour de la paix . Les manifestants furent agres-
constituer une force capable de faire face à ces accords. sés par les Interahamwe avec des jets de pierre ou à l 'arme
Il s' agissait au départ, selon eux, d 'une lutte pour la démo- blanche . Ils furent ainsi dispersés par ces derniers qui les
cratie ; mais, par la suite, cette notion a été battue en accusaient de soutenir l'ennemi.
brèche, c'était une lutte pour la défense des intérêts des 22/11/1992
Hutus. À Kabaya, en préfecture de Gisenyi, Léon Mugesera
Du 13 au 20/11/1992 a prononcé un discours terrible qui appelait les Hutus à
Les informations qui nous parvenaient au sein de tuer les Tutsis, à les jeter dans la rivière Nyabarongo et
l'APR nous prouvaient que les forces françaises étaient les renvoyer en Abyssinie, leur lieu d 'origine
en train de montrer aux FAR comment prévoir les nou- 24/12/1992
velles positions et placer les canons dans de meilleurs Les résistances de la part du président Juvénal
endroits . Le FPR a immédiatement protesté . Alors Habyarimana furent comprises lorsqu'il déclara que les
qu'officiellement il s 'agissait d' organiser la paix, le pré- accords sur le partage du pouvoir n'auraient pas de valeur
sident Juvénal Habyarimana et les Français préparaient si le parti CDR ne participait pas au gouvernement avec
des expéditions militaires de grande envergure. trois portefeuilles . Le Président voulait obtenir ainsi, avec
15/11/1992 le total de ses ministres et ceux de la CDR, une mino-
Le président Juvénal Habyarimana a osé déclarer rité de blocage contre les décisions indésirables ou pour
publiquement que les accords d'Arusha n' avaient aucune empêcher une majorité de voix dans toute décision sou-
signification pour lui, qu'il s' agissait de « chiffons de mise à vote.
papier » (ni masezerano ki ?si ibipapuro ~ . Il déclara publi- Il s'agissait là d 'un obstacle majeur pour la paix natio-
quement qu'il allait mobiliser ses milices Interahamwe et nale. Il n' était pas question d 'accepter la participation
investir tout le pays (tuzambara tumanuke D . Pour ceux au pouvoir de la CDR dont les partisans prêchaient le
qui avaient une vision à long terme, c 'était signe que les divisionnisme et appelaient au massacre des Tutsis.
négociations étaient inutiles : il venait de mettre sur pied Accepter cette participation c 'était accepter la défaite des
un forum d 'extrémistes qui allaient détruire les autres défenseurs de la paix. Il fallait refuser l' entrée de la CDR
partis politiques, il se sentait bien soutenu par les Français, au gouvernement pour mettre en échec le plan de Juvénal
de telle sorte que le FPR ne pouvait plus l 'inquiéter.
1 . Léon Mugesera, un proche du président Habyarimana, était
Du 19 au 20/11/1992
conseiller aux Affaires politiques et administratives au cabinet de minis-
La population et les partis politiques qui ont bien tère de la Famille et de la Promotion féminine (MRND), membre du
accueilli les résultats des négociations entre le FPR et Comité national et vice-président du MRND pour la préfecture de
le gouvernement ont organisé des manifestations pour Gisenyi dont il était originaire . (NdE)

178 RWANDA, J1HISTOIRE SECRÈTE


179

Habyarimana, autrement les négociations n ' auraient Le FPR a poursuivi avec vigueur l ' entraînement
abouti à rien. Pour retrouver la paix, deux choses étaient e ses commandos dont la mission était de créer le
essentielles : les deux parties devaient faire preuve de chaos à l' intérieur du pays afin de justifier la reprise des
modération pour permettre à n 'importe quel parti d ' en- mbats 1 .
trer au gouvernement ; assurer le président Habyarimana Nous verrons plus loin que les soldats du FPR, par
que le gouvernement n ' irait pas à l ' encontre de ses sou- vagues successives, se sont infiltrés dans le pays et ont
haits . Rien de tout cela n'a été possible et c ' est l ' ori- commencé à assassiner de hautes personnalités, à poser
gine de la catastrophe qui a suivi. ,des bombes et à lancer des escarmouches dont la res-
À la fin de l'année 1992, plusieurs réalités étaient appa- ponsabilité était imputée à l 'armée gouvernementale . Le
rues au grand jour et plusieurs résolutions furent prises. FPR trouvait ainsi une occasion de provoquer systé-
Les négociations ont continué pour éviter le blâme t~atiquement les massacres des Tutsis par le MRND et
de la communauté internationale, mais les deux parties la CDR, aucune autre raison ne pouvant permettre la
savaient bien que les obstacles ne seraient jamais levés. eprise des combats . Le FPR a également planifié des
Les extrémistes du MRND ont poursuivi leur plan assassinats de Hutus de l ' opposition, dont le MRND
de massacre des Tutsis dans le but de forcer le FPR à ces- serait rendu responsable.
ser les attaques . Les accords ont été rejetés par le Président À la fin de l ' année 1992, il restait seulement à tester
lui-même, son parti MRND et la CDR. si le plan de la dernière attaque était réalisable, de sorte
De son côté, le FPR n ' avait pas cessé de protester, qu'elle serait acceptée comme inévitable par la commu-
il essayait en même temps de se rallier les partis de l ' op- nauté internationale . Face aux méthodes expéditives des
position, dont la plupart étaient composés de Hutus . Il extrémistes hutus qui ne cachaient pas leur dessein, aux
a également continué à semer la zizanie entre les Hutus actes répréhensibles commis au grand jour, les faits repro-
pour détruire l ' adversaire et gagner plus de forces de son chés au FPR n ' avaient pas terni son image aux yeux de
côté le jour où il serait question de reprendre les com- la plupart des observateurs . C ' est ainsi que la stratégie
bats. du FPR a été plus efficace que celle des extrémistes hutus.
Le MRND a initié un long programme de mobilisa-
tion des jeunes par le biais des jeunesses Interahamwe L'année 1993
qui seront transformées en milices et se concerteront avec La guerre entre le FPR et les FAR a généré plus d ' un
les Impuzamugambi (< ceux qui ont le même but ») de million de réfugiés qui sont venus grossir le nombre
la CDR. Il a également suscité la scission des partis à par- de personnes déjà déplacées, forcées de quitter leurs biens
tir des divergences de vue de leurs membres respectifs,
afin de rendre caducs les accords signés . 1 . Je suis témoin oculaire de l ' entraînement des commandos .

180 RWANDA, I:HISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 181

dans les zones de combat . La souffrance, le malheur et un accoutrement de feuilles de bananier . Tout ce tin-
la tristesse de ces populations augmentaient chaque jour ; tamarre était destiné à montrer à l'opinion publique qu'ils
il fallait fuir sans cesse, souvent après avoir été la cible étaient capables d' arrêter les négociations et rejetaient
de bombes, pour éviter l 'exécution à coups de houe ou en bloc les accords d 'Arusha.
de baïonnette selon l' usage du FPR. Quant aux Tutsis, 9/1/1993
ils ont subi un harcèlement systématique et des massacres Les représentants du gouvernement issus en grande
récurrents. majorité des partis opposés au MRND ont signé, sous
Au cours de cette année, le camp de Juvénal l'oeil des « facilitateurs » qui leur demandaient de faire
Habyarimana et des extrémistes hutus a établi un plan preuve de modération pour éviter la catastrophe, un
pour conserver le monopole du pouvoir. Le FPR avait important accord sur la politique qui devait régir le pays.
également de son côté planifié la déstabilisation du pays Un amendement a été apporté sur les accords de partage
avec l' intention de profiter du chaos pour s' emparer du pouvoir signés le 30 octobre 1992 . Dans cet amen-
du pouvoir, le garder ou le partager avec des partis de dement, il a été convenu de créer un poste de vice-
son choix. Premier ministre qui serait dévolu au FPR . En même
Deux camps antagonistes furent finalement consti- temps, une disposition régissant le code de conduite des
tués : le camp des partisans du président Juvénal partis politiques avait été prévue . Ainsi, les partis non
Habyarimana et d'autres extrémistes hutus, le camp qui représentés aux négociations qui approuveraient ce code
soutenait le FPR mais ignorait son véritable objectif. de conduite par leur signature, devaient disposer chacun
On pourrait se demander ce qui est advenu du reste d' un portefeuille ministériel et d 'un siège à l'Assemblée
de la classe politique . En réalité, très peu pouvaient nationale.
s'échapper : même si certains déclaraient officiellement Nous avons débuté les entraînements à de longues
n' appartenir ni à l'un ni à l'autre camp depuis le début marches, à l'endurance, à la fatigue et au transport de
de la guerre, la division en seulement deux camps finit matériel lourd . Au cours de cette phase, certaines unités
par l ' emporter. de l'APR pliaient bagage et se croisaient comme si elles
se relayaient. Chaque mobile quittait son campement,
Janvier 1993 comme s ' il s' agissait d'un déménagement, les soldats
1/1/1993 emballaient toutes leurs affaires et partaient comme pour
Le jour du Nouvel An, le MRND, la CDR ainsi que remplacer une autre mobile qui elle-même quittait
leurs milices ont investi la ville de Kigali et les voies l' endroit. Arrivés à destination, les soldats prenaient un
publiques pour créer le chaos par un vacarme de cris à petit moment de répit avant de recevoir l'ordre de
tue-tête et de sifflets . Certains d' entre eux portaient retourner au point de départ. Cela a permis à presque

182 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 183

tous les soldats des différentes mobiles de s ' habituer à Noroît, la France agira en accord avec les autorités rwan-
faire des marches de plus de 80 km et à ne prendre de daises . »
repos que pour préparer à manger . Certaines des unités La France a ainsi évité l ' erreur de permettre au prési-
de l'APR, comme la 157 e mobile, sont parties de dent Habyarimana de rejeter les accords, parce qu ' elle
Muvumba jusqu ' à Butaro ; elles sont même allées plus avait des observateurs qui suivaient de près les négo-
loin pour participer à l 'attaque de la ville de Ruhengeri le ciations d' Arusha . Cependant, elle a eu tort de main-
8 février1993. tenir la présence des militaires français au Rwanda aussi
Ces entraînements étaient destinés à préparer une longtemps que son gouvernement le souhaiterait . Le pré-
attaque afin d 'alerter le gouvernement et la communauté sident Habyarimana avait en effet besoin de cette force
internationale, en leur montrant que le FPR était capable parce qu' il n' ignorait pas que ce qu ' il préparait allait
de déjouer les manoeuvres du MRND et de prendre le conduire inévitablement à la guerre.
pouvoir. Comme je l' ai déjà écrit ailleurs, le président 20/1/1993
Juvénal Habyarimana était préoccupé par la force du Les miliciens Interahamwe et les Impuzamugambi orga-
FPR qu ' il n' osait pas reconnaître publiquement de peur nisèrent d' importantes manifestations à Kigali . Des Tutsis
que les Tutsis ne tentent d ' en profiter pour revendiquer rencontrés en cours de route ont été agressés, moles-
leurs droits . J 'ai par exemple déjà dit comment le men- tés, beaucoup ont été blessés.
songe estimant les Tutsis à 10 % de la population a per- 22/1/1993
duré plus de trente ans sans que personne ne puisse le Une commission internationale indépendante a rendu
démentir. Le président Juvénal Habyarimana tenait à ce public un rapport sur la violation des droits de l'homme
que le chiffre ne varie pas à travers des recensements régu- au Rwanda depuis l'attaque du 1er octobre 1990 1 . Ce rap-
liers afin qu' ils ne puissent réclamer des postes de res- port accusait le camp gouvernemental d' avoir été aux côtés
ponsabilité dans la direction du pays. de ceux qui se sont rendus coupables d 'actes visant l ' ex-
18/1/1993 termination des Tutsis ou de leur avoir apporté un sou-
En réponse à son homologue Juvénal Habyarimana, tien . Parfois, le rapport a noté une participation des officiels
le président français François Mitterrand a écrit : « Vous du gouvernement . Ce même rapport a fait état de crimes
savez, Monsieur le Président, que je suis attaché à la sta- de guerre commis par les deux côtés, à savoir le FPR (mais
bilité du Rwanda . [. . .] J ' ai cependant pris note des termes
1 . Rapport de la commission internationale d 'enquête sur les viola-
de l 'accord de cessez-le-feu d' Arusha . Je ne veux pas qu'on
tions des droits de l ' homme au Rwanda depuis le l e ` octobre 1990
puisse reprocher à la France d ' avoir nui à une bonne (7-21 janvier 1993) . Rapport final publié simultanément à Ouagadou-
application de l ' accord, mais je souhaite vous confirmer gou, Washington, Montréal et Paris par la Fédération internationale des
que, sur la question de la présence du détachement droits de l' homme, en mars 1993 . (NdE)

184 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

sans pouvoir les documenter) et le gouvernement Les communes de Cyeru, Nyamugali, Ruhondo et
d'Habyarimana. Pour le FPR, c 'était une raison suffisante Nyarutovu ont été attaquées par la 59 e mobile sous le
de tirer sur les positions des FAR et de tester la force néces- commandement de SO Charles Ngoga, secondé par SO
saire pour marcher sur Kigali . Plusieurs petites actions Fred Nyamurangwa et SO Eric Murokore.
furent organisées pour la déstabilisation du pays en divers Sa mission primordiale était de prendre d 'assaut la
endroits, la pose de bombes et l'attaque de certaines familles centrale hydroélectrique de Ntaruka, détruire les
des Tutsis bagogwes . Ceci a été un prétexte pour la reprise machines qui produisent l'électricité, puis continuer leur
des hostilités et l' attaque qui a suivi. chemin pour rejoindre d'autres compagnies dans les com-
munes Cyeru et Nyarutovu.
Février 1993 La centrale hydroélectrique de Ntaruka alimente tout
8/2/1993 le pays, sa destruction a créé des problèmes d ' approvi-
À. cette date, le FPR déclencha une attaque de sionnement en électricité qui se font ressentir encore
grande envergure en plusieurs endroits du nord du pays, aujourd'hui. En effet, selon un ordre qui venait de Paul
entre Mutara et Ruhengeri . Je vais la décrire précisément. ame en personne en passant par SO Charles Ngoga,
Les huit grandes unités de l ' APR ont attaqué en SO Eric Murokore a supervisé la destruction des tur-
même temps, à l ' exception de quelques éléments de la bines de la centrale à l 'aide de deux armes de type 82 mm
157e mobile qui sont restés stationnés dans une petite Recoiless et des roquettes Armour Piercing. Chaque arme
partie de la commune Muvumba . Toutes les autres sont a lancé neuf obus pour détruire définitivement cette cen-
parties à l' assaut de Ruhengeri. trale hydroélectrique et la rendre inutilisable. Les mili-
Préfecture de Ruhengeri I taires qui ont exécuté cet ordre sont le sergent Karake et
le J02 Mayivumbi.
Les différentes communes de la préfecture de
Ruhengeri ont été attaquées de la manière suivante : La centrale de dérivation électrique qui se trouvait à
Mucaca (non loin de Ntaruka) a également été détruite.
1 . Je suis témoin direct pour les événements qui se sont déroulés dans La destruction a été supervisée par le JO1 Gashayija
la sous-préfecture de Kirambo (communes de Butaro, Cyeru et Nyamu- Bagirigomwa de la 59e mobile.
gari) et une grande partie de la préfecture de Ruhengeri, comme les com- D'autres attaques ont eu lieu à Ryaruhirima, com-
munes Ruhondo et Nyarutovu . Le reste m ' a été raconté par d 'autres qui
étaient présents lors des exactions . L' un des officiers supérieurs qui m 'a lon- mune Nyamugali, sur les collines de Byumba et Kabuye.
guement parlé de ces opérations est le lieutenant-colonel Alfred Kareba, Cette opération a été suivie par la prise des collines qui
ainsi que quatre de ses gardes. D ' autres témoins oculaires sont le major surplombent le centre commercial de Base afin de per-
W. Bagabe, le sergent E. Ruzigana, le lieutenant Richard Bacishubwenge et mettre aux combattants de la 59e mobile de rallier ceux
le lieutenant J . Mutsinzi. de l'Alpha mobile.

186 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE

Revenons un peu sur les exactions de la 59 e mobile Kinigi . Entre-temps, les combats ne se sont pas dérou-
dans cette région de Ruhengeri : un programme de mas- lés comme prévu car la 157 e mobile a été surprise par les
sacre de la population a été mis sur pied . Il s'agissait d 'ap- FAR et des coups de feu ont été échangés . Les FAR ont
peler les gens à des réunions dites de « meeting été ainsi mises en alerte et ont commencé à lancer des
d'éducation politique » et de les exécuter une fois ras- bombes sur toute la chaussée macadamisée menant à
semblés . Cette sale besogne a été réalisée par les agents Cyanika. C'est dans ces circonstances que JO1 Donat,
des renseignements du FPR supervisés par JO 1 Hubert chef du renseignement de l 'unité Charlie mobile, a trouvé
Kamugisha, JO1 Dennis Karera, PJO2 Rwamfizi et la mort. La compagnie, sous le commandement de
PJ02 Buhozozo . Ils avaient une équipe de tueurs qui Hassan Mwungeri, avait reçu l'ordre de traverser la ville
écumaient la région en massacrant la population par et de déboucher au-dessus de la centrale hydroélectrique
ce stratagème. de Mukungwa sur la route macadamisée Kigali-
On a procédé ensuite à l'identification des belles mai- Ruhengeri . Ils furent bloqués à la hauteur des deux sta-
sons appartenant à des fonctionnaires de la région, à des tions d'essence au bout de la ville de Ruhengeri . L' unité
militaires des FAR ou à des hommes politiques pour les Charlie venait d' être boutée hors de la ville par les FAR
détruire par des explosifs ou des mines . L'opération a été en laissant sur le champ de bataille de Nyamagumba
exécutée par l' artificier P/J02 Gatera sous la supervision plusieurs de ses éléments, dont le commandant de com-
de SO1 Eric Murokore. pagnie qui combattait à cet endroit, JO1 Nshoza . C'est
Les corps des victimes étaient éparpillés partout, sur- ainsi que SO Fred Ibingira a donné l 'ordre à la com-
tout au marché de Base où une suite de véhicules trans- pagnie commandée par JO1 Hassan Mwungeri de faire
portant les fugitifs a été mitraillée par des soldats de son possible pour se replier sur Kinigi parce que l 'assaut
l'unité Alpha mobile. Du côté de la 59 e mobile, on a brûlé de la ville de Ruhengeri avait été déjoué . JO1 Hassan
certains corps tandis que les autres ont été enterrés dans Mwungeri et ses combattants sont passés par Musanze
des fosses communes. sous le feu des FAR jusqu ' à Kinigi . Les autres compa-
Les attaques menées dans d ' autres communes de gnies de la 157e mobile étaient toujours en train de com-
Ruhengeri seront décrites en deux parties car elles ont battre contre les FAR dans la localité de Karwasa sans
été menées par deux unités différentes, à savoir la Charlie parvenir à conquérir définitivement le lieu stratégique
mobile et la 157e mobile. dans les hauteurs de cet endroit.
L'unité Charlie mobile a lancé un assaut sur la ville de Avant de rejoindre les autres compagnies de la 157 e
Ruhengeri, notamment sur les camps militaires de mobile, la compagnie de JO1 Hassan Mwungeri, celle de
Muhoza et Nyamagumba ainsi que sur la localité de JOi Kwizera et celle de JO1 John Ntaganda ont corn-
Musanze . Le reste des troupes a attaqué la commune de attu dans la localité de Karwasa et ses environs . Plus loin

188 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE

de là, la compagnie de JO1 George Kirindi et celle JO1 la police militaire ougandaise, a été saisi par les militaires
Willy Bagabe combattaient du côté de Remera et aux envi- des FAR dans leur zone de contrôle . SO Cyiza fut mis aus-
rons des lacs Burera et Ruhondo où ils ont massacré beau- sitôt sous les verrous et remplacé par MHC Thaddée
coup de civils . À Karwasa, de nombreux civils ont Gashumba à la tête de la Charlie mobile. SO Fred Ibingira
également été tués parce qu' ils huaient les soldats de l'APR. devint ainsi le commandant en chef de la 157 e mobile.
Avant d'être repoussés par les FAR, les hauts dirigeants Charlie mobile a perdu la bataille de Ruhengeri à cause
de la 157e mobile, dont SO Fred Ibingira, JO1 Wilson du grand désordre qui régnait au sein de l'unité, contrai-
Gumisiriza, JO1 Rabooni Okwiiri et J02 Innocent rement aux autres fronts sur lesquels l 'APR a eu à com-
Kabandana, ont donné l'ordre de rassembler la popula- battre. Après avoir été repoussées par une contre-offensive
tion civile dans la cour du bureau communal de Nkumba fulgurante à laquelle ont participé des soldats français,
et ont tiré dans le tas. La même opération s'est produite Charlie mobile et la 157e mobile ont engagé des repré-
à Gashangiro, dans la commune de Kigombe. sailles sur les populations civiles restées à l 'arrière du front
JO2 Moses Rubimbura et le JO2 Munyambo de parce que la plupart avaient réussi à prendre la fuite sous
Charlie mobile ont également participé à cette opération. le vacarme assourdissant des canons . Plusieurs personnes
Lunité Charlie mobile dirigée par SO Cyiza était sur tous ont été rassemblées à certaines localités comme Nkumba,
les fronts : elle était en partie dans la commune de Kidaho et Kinigi afin d 'être massacrées . Les plus hauts
Kigombe, en partie dans la commune de Nkumba, et sur gradés qui se sont distingués dans ces tueries sont JO2
toute l'étendue des communes Kinigi et Mukingo . Elle a Rubimbura Moses, P/J02 Jérôme, JO2 Munyambo,
été boutée hors de la ville de Ruhengeri après les défaites J02 Diogène, JO1 Geoffrey Kabagambe, JO1 Hassan
inattendues de Nyamagumba, Muhoza et ailleurs, non Lumumba, JO1 Kato, etc.
seulement parce que l' attaque avait été éventée mais aussi
parce que son chef SO Cyiza et certains commandants Préfecture de Byumba I
étaient plutôt occupés à piller la ville et à massacrer la Dans la préfecture de Byumba, les combats ont été
population. C' est la raison pour laquelle il a été mis en menés par les unités suivantes : Alpha mobile, 101 e mobile,
prison. Il était notamment accusé d 'avoir chargé des médi- 21 e mobile, Bravo mobile et la 7e mobile. Trois compa-
caments pillés dans des camions de l'APR pour les vendre gnies de la 157e mobile ont maintenu leurs positions dans
en Ouganda. Or, ceci était considéré comme une faute la commune de Muvumba, elles n'ont pas combattu.
grave, d'autant plus qu'il s'agissait de médicaments . De
plus, par un manque de bonne coordination attribuée au 1 . Je raconte ce qui m' a été dit par beaucoup de témoins, dont ceux
commandement de la Charlie mobile, un véhicule imma- qui acceptent que leur nom soit cité : le capitaine Peter Balinda, le capi-
triculé en Ouganda, avec une feuille de route délivrée par ine Byakatonda, le lieutenant Th . Murwanashyaka .

190 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 191

Aucune unité n ' avait une cible particulière, elles ont atta- lieux et y ont rencontré les combattants de la 59 e mobile
qué à un même endroit après avoir contourné les posi- dirigés par P/J02 Francis Nyagatare et JO1 Steven
tions des FAR. Kanyesigye 1 . Ils ont demandé à ce dernier pourquoi
L' unité Alpha mobile, dirigée par MHC Sam Kaka, ils laissaient les cadavres se décomposer sans les enterrer.
a mené des attaques dans la région recouvrant les com- Il répondit qu'il venait d ' arriver sur les lieux et qu' il n' était
munes de Kibali, Buyoga, Cyungo et Tumba. Sa zone de pas l' auteur des massacres . Il appela sur Motorola les élé-
contrôle s' étendait de la route asphaltée Kigali-Byumba ments de l' unité Alpha pour leur dire que le GOMN
jusqu' à Base . Les combats les plus violents ont eu lieu avait trouvé sur place les cadavres des gens qu ' ils avaient
aux abords des positions des FAR à Buyoga et à Tumba. massacrés et qu' ils devaient venir les enlever.
Auparavant, l ' unité Alpha mobile s' en est pris aux véhi- Les soldats de l ' unité Alpha mobile ont rassemblé les
cules qui transportaient des populations civiles de la sous- quelques civils terrés dans les campagnes et les ont obli-
préfecture de Kirambo fuyant les combats . Des coups gés à creuser des fosses dans lesquelles les cadavres ont
de feu avaient commencé à crépiter dans la nuit du 7 au été enterrés . Ces civils ont été également tués et enter-
8 février. Beaucoup de gens avaient suivi attentivement rés dans les mêmes fosses pour éviter toute dénoncia-
à la radio le déroulement des négociations et les blocages tion. D ' autres terribles massacres, commis par les mêmes
entre le FPR et le MRND . Ils connaissaient la puissance éléments de l ' unité Alpha mobile, ont eu lieu à Buyoga,
de feu de l 'APR et l ' afflux de réfugiés des communes de Kisaro, Kinihira et Rukore en commune de Tumba . Ils
Butaro, Cyumba, Kivuye, Cyungo et Cyeru n' était pas ont été ordonnés et supervisés par le haut commande-
pour rassurer les civils, certains qu ' ils seraient massacrés ment.
si le FPR les trouvait sur place . C 'est ce qui s ' est passé. La Iol e mobile, sous le commandement de SO Didas
L' unité Alpha mobile qui les a surpris à cet endroit en a Kayitare, et Bravo mobile dirigée par MHC Ludoviko
massacré 400 en un rien de temps . La plupart des Twahirwa-Dodo ont combattu dans les communes de
cadavres ont été jetés à la rivière Base, tandis que les autres Bwisigye et Ngarama . Cependant les massacres de la ville
gisaient sur la place du Marché de Base . Parmi les plus de Ngarama, qui ont même été rapportés par Radio
hauts responsables présents sur place, je citerai JO1 Rwanda, ont été perpétrés par les éléments de la 7 e mobile.
Gakwavu, SO Ngumbayingwe, JO1 Mwesigye et J02 Les massacres les plus atroces ont été exécutés et super-
Tumusime 1 . visés par JO1 Gacinya Rugumya et P/J02 George
Pendant ce temps, les militaires du GOMN (Groupe
d ' observateurs militaires neutres) sont passés sur les 1 . Groupe d ' observateurs militaires neutres créé par l' Organisation
de l' unité africaine chargé de surveiller l 'application du cessez-le-feu,
1 . Je suis témoin oculaire de cette attaque à Base . composé de militaires africains, y compris rwandais . (NdE)

192 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 193

Rumanzi . Tous les autres officiers n 'hésitaient pas à tuer les FAR tiraient des obus en l'air qui tombaient très loin
des groupes de gens quand ils en rencontraient sur leur des positions des soldats de l 'APR. Mais les Français
chemin, toutefois les massacres massifs planifiés étaient ne rataient jamais leur cible . Quand ils l ' avaient déter-
de la responsabilité de JO1 Gacinya Rugumya et son minée, ils la détruisaient complètement et nous enre-
adjoint P/J02 George Rumanzi . Les endroits où de tels gistrions énormément de pertes.
massacres ont été exécutés furent Ngarama ainsi que les Nous avons appris par la suite que, du côté français,
localités de Nyagahita et Kigasha. c' était le colonel Didier Tauzin qui avait supervisé ces
La 7e mobile, commandée par MHC William Bagire, opérations 1 . Il était spécialiste de la guérilla . La façon dont
a combattu dans plusieurs localités de Ngarama et une il a coordonné les actions de la contre-offensive révèle qu' il
partie de Muvumba . Les combats étaient durs pour était effectivement un tacticien de ce genre de combats.
l 'APR. Elle y avait positionné beaucoup de combattants De fait, I'APR n ' avait plus les moyens de ravir et de
qui ont subi des pertes importantes, mais son objectif garder un seul kilomètre carré de terrain aux dépens des
a été atteint. FAR. Nous ne pouvions plus progresser . Si les négo-
Il faut rappeler que ces attaques de février 1993 ont ciations n' avaient pas eu lieu à ce moment-là, aussi long-
été lancées par I'APR afin d 'évaluer sa force de frappe et temps que les Français seraient restés dans les combats,
l' état d' avancement de la mission du Network Commando. nous pouvions être refoulés et perdre énormément de
Ce commando avait été créé et organisé pour susciter un terrain . Il reste que les Français étaient énervés par la
climat de chaos au niveau national, tout particulière- désorganisation militaire des FAR, sur le front même,
ment en s ' infiltrant dans les milices MRND et CDR nous les entendions leur faire des remontrances 2 . Les
et en renforçant leurs actions terroristes afin de montrer
que les Tutsis restant toujours la cible des tueurs, la reprise
1. Le colonel Didier Tauzin fut envoyé à Kigali le 22 février 1993,
des combats était justifiée.
accompagné d ' une vingtaine d' officiers et spécialistes du ter RPIMA,
Les militaires français ont combattu officiellement régiment connu sous le nom de Chimère . Selon le rapport de la Mission
aux côtés des militaires des FAR pour repousser les com- d' information sur les opérations militaires menées au Rwanda par la
battants du FPR, surtout à Rulindo, Byumba et France, d'autres pays et l ' ONU, entre 1990 et 1994, « l ' objectif du déta-
Ruhengeri . Les armes lourdes utilisées étaient notam- chement était d'encadrer indirectement une armée d'environ 20 000
ment de type 122 mm Howitzer, les mortiers 122 mm, hommes et de la commander directement » . Enquête sur la tragédie rwan-
daise (1990-1994), Assemblée nationale, 1998, T. I, p. 157 . (NdE)
les batteries 105 mm Howitzer que nous avions appe-
2. J 'ai personnellement vu (et entendu) des militaires français parti-
lées dimbahasi (<< tout à terre ») . Ces armes nous ont ciper aux combats à trois reprises, d'autres cas me furent racontés par
sérieusement désorganisés car la technique des combats mes collègues militaires . Dans ce cas précis, il est arrivé que 1 'APR et
utilisée était tout à fait différente de celle des FAR Parfois les FAR ne soient séparés que par une distance de 50 à 300 mètres,
RWANDA, I ;HISTOIRE SECRÈTE
194 195

autres militaires français utilisaient des blindés et des 59e mobile a continué de se battre pour le contrôle de la
hélicoptères. colline de Mbwe . Les combats n'ont pas duré longtemps,
15/2/1993 mais les deux parties continuaient à se livrer régulière-
Le GOMN accusa les militaires français d 'avoir pris ment à des escarmouches.
part aux opérations de la contre-offensive de la ville de
Ruhengeri . Nous, de notre côté, nous savions bien que Mars 1993
les Français combattaient aux côtés des FAR depuis long- 7/3/1993
temps et sur tous les fronts . Mais c'est à Ruhengeri que Le FPR et l ' État rwandais ont à nouveau conclu un
le GOMN a pu en être témoin oculaire et donner ainsi cessez-le-feu pour permettre aux négociations de conti-
des preuves irréfutables. nuer. Le FPR avait besoin de tester à nouveau ses forces
20/2/1993 et de donner une « raclée » au gouvernement pour obte-
Les militaires français ont reçu des renforts en pro- nir deux choses importantes, faute de quoi les combats
venance de Bangui en République centrafricaine . Ils sont reprendraient . Les facilitateurs de ces négociations lut-
arrivés en force avec des armes lourdes mais n'ont pas taient pour le retour à la paix à cause des souffrances cau-
réussi à faire bouger les combattants de l 'APR. sées aux populations civiles par une guerre qui avaient
22/2/1993 causé plus d ' un million de déplacés.
Des négociations ont eu lieu à Arusha, en Tanzanie, Les deux principales exigences du FPR qui reçurent
sous les auspices de l'OUA . Les parties conclurent un satisfaction étaient le retrait des militaires français du
cessez-le-feu qui devait débuter à minuit le même jour. Rwanda et l'instauration d'une zone démilitarisée.
Le cessez-le-feu n'a pas été respecté sur tous les fronts : Le FPR tenait à la création de cette zone démilitari-
à Rulindo, les FAR stationnées à Tare ont continué de sée, car il pourrait l ' infiltrer à sa guise tandis que les FAR
déverser le feu sur la colline de Tumba où se trouvaient ne pourraient y mettre pied sous peine de protestations
les combattants de l'unité Alpha mobile ; à Ngarama, idu FPR . Le FPR pouvait ainsi aisément préparer une
la 7e mobile a continué ses escarmouches ; à Kabuye, la attaque d ' envergure, la dernière, surnommée Simusiga
(« ne rien laisser derrière ») . Cette attaque devait se pré-
parer (entraînements, accumulation de matériel mili-
distance permettant d'entendre ce qui se dit à certains moments . Au
taire) sans se soucier de l' ennemi car la zone dite
front, les FAR n' utilisaient que très peu de mots français (par exemple :
avancez ! couchez ! repli !), le reste étant en kinyarwanda . Or, quand démilitarisée séparait les deux protagonistes.
nous pouvions les entendre, nous reconnaissions les militaires frança is Selon les accords des négociations, les militaires fran-
parce qu'ils s' exprimaient entièrement dans un français identifiable (dif - quitteraient le pays au plus tard dans huit jours.
férent de celui des militaires rwandais) . On les voyait aussi. tre le 14 et le 18 mars, l 'APR retournerait sur ses

196 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 197

anciennes positions, tandis que les FAR ne pourraient selon eux, le terrain perdu pouvait être récupéré à tout
plus récupérer le terrain perdu . C'était une victoire poli- moment puisque notre force était restée intacte.
tique relative comme nous le verrons plus loin. Même le major Paul Kagame avait des réticences à
7, 8, 9 et 10/3/1993 retirer ses combattants . Le président Yoweri Museveni a
Au cours de cette période, l 'APR a enterré et brûlé des dû le convoquer à deux reprises à Kampala pour lui faire
corps de populations civiles massacrées dans les régions comprendre que si l 'APR ne se retirait pas ce serait un
sous son contrôle . Il y eut pendant ce temps de nom- échec au niveau politique.
breux pillages des véhicules, de denrées alimentaires, de Une partie du contingent français a été rapatriée les
marchandises, de médicaments, à Rulindo, Kinihira, à 20 et 25 mars.
l'usine à thé de Cyohoha-Rukeri, Nkumba et Cyisaro.
Le 9 mars, le parti CDR proclama que la population Conséquences de l'attaque du 8/2/1993
devait recevoir des armes pour l ' autodéfense civile. Des Les conséquences de cette attaque furent multiples et
armes furent données aux réservistes de l ' armée, à néfastes pour le pays . Un désaccord est né entre le FPR
la gendarmerie, à la police communale et aux respon- et ses partenaires, car il était devenu clair que le FPR
sables locaux . Toutefois, avant même que cela soit avait l 'intention de diriger seul le pays, à l 'exemple du
demandé publiquement, des armes, des grenades et MRND vis-à-vis des autres partis . Mais certains esti-
d' autres matériels avaient déjà été distribués à des élé- maient que l' attaque du 8 février avait été nécessaire pour
ments de la population. ébranler le MRND, la CDR et leur chef Habyarimana.
15/3/1993 Cette attaque avait renforcé l'arrogance du FPR qui
Les négociations concernant la question la plus diffi- se targuait de pouvoir tout obtenir par lui-même, sans
cile de l' intégration de l 'armée du FPR dans l' armée gou- l'aide de quiconque, par l' usage de la force . Une telle atti-
vernementale ont commencé . C'est sur cet enjeu que tude avait irrité les partis d' opposition qui ne disposaient
misaient le président Habyarimana et le major Paul pas d'armée . En effet, c'était montrer que l 'avenir poli-
Kagame. tique appartenait à ceux qui disposaient d'une armée, le
17/3/1993 MRND/CDR d ' un côté, le FPR de l' autre.
Les combattants du FPR ont commencé le retrait Sur le plan économique, l 'attaque a désorganisé com-
de mauvais gré . La plupart, sans la contrainte de la force, plètement la situation du pays en créant plus d 'un mil-
n'auraient pas accepté d' abandonner le terrain conquis lion de déplacés de guerre . Tout ce monde devenait une
au prix de la vie de nombreux combattants laissés sur le charge pour un État absent qui devait les nourrir alors
champ de bataille et de blessés . Mais nos dirigeants nous qu'ils avaient laissé leurs récoltes derrière eux . Ces dépla-
ont convaincus qu'il s ' agissait d 'une victoire politique : cés de guerre avaient auparavant une occupation :

198 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 199

fermiers, travailleurs indépendants, tout ce monde, qui mesure de prendre le pouvoir par les armes . Ensuite, les
avait été réduit au chômage, portait sa colère sur le FPR responsables hums n ' ont pu se mettre d 'accord pour lut-
et sur ceux qu ' ils considéraient comme ses suppôts, ter contre les attaques du FPR Certains d' entre eux furent
notamment les Tutsis . Ils furent les premiers à rejoindre accusés d'être des collaborateurs de l ' ennemi. De plus, les
les rangs des Interahamwe. Le développement également négociations et la pression du FPR avaient eu pour résul-
avait reçu un coup fatal à cause de la démolition, sur tat le rapatriement des militaires français qui appuyaient
ordre du major Paul Kagame, de la centrale hydroélec- le président Habyarimana. La propagande du FPR attri-
trique de Ntaruka. buait toutes les atrocités au régime Habyarimana . File était
Au niveau social ce furent principalement les Tutsis qui très efficace si bien que le Président n 'était pas cru lors-
furent victimes d ' un climat de suspicion qui en faisait qu'il tentait de dénoncer les crimes également commis par
les complices du FPR Il est vrai que, sans calculer les consé- le FPR. Enfin, les négociations d ' Arusha entamaient for-
quences de leur comportement, certains Tutsis, adop- tement son pouvoir.
tant des attitudes de mépris à l ' égard des Hutus, disaient Face à cette situation, le président Habyarimana et
que le FPR allait gagner . Ces comportements ont attiré le ses alliés ont commencé à imaginer une nouvelle straté-
courroux sur ceux qui tenaient ces discours mais aussi sur gie qui leur permettrait d ' écarter tous ceux qui s' oppo-
ceux qui se taisaient . Au-delà de cette haine meurtrière saient à l 'Akazu et qui pouvaient être susceptibles de
entre les deux groupes ethniques, même les Hutus se sont collusion avec le FPR.
levés les uns contre les autres et ceux qui avaient soutenu
le FPR furent menacés de sorte qu ' ils regrettaient ce sou- Avril-mai 1993
tien. L'attaque de février 1993 a détruit beaucoup de choses 2/4/1993
dans les relations sociales entre les deux groupes ethniques. Après le départ des militaires français, la France a
Pour le président Juvénal Habyarimana, son entourage demandé à l ' ONU d ' envoyer une force internationale
et les extrémistes de façon plus générale, la situation s ' était d ' interposition sur la frontière rwando-ougandaise afin
encore compliquée . D ' abord, la propagande avait long- que l'APR ne reçoive plus d ' armes pour créer le désordre
temps affirmé que les Tutsis étaient minoritaires, qu ' ils à l ' intérieur du Rwanda ou pour relancer la guerre . La
n'avaient aucune force militaire et que les Inyenzi avaient mise en place de cette force internationale devait s' ac-
été défaits dans les années 1960 et en octobre 1990 1 . compagner d' un embargo sur les armes contre les deux
Or la réalité démontrait qu ' au contraire ils étaient en parties en conflit . Les FAR ne pourraient donc plus s' ap-
provisionner en armes 1 .
1 . Les attaques menées par les Inyenzi durant les années 60 avaient
toutes été repoussées par l 'armée rwandaise . (NdE) 1 . Le 22 juin 1993, l' ONU créa la Mission d'observation des Nations

200 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

Les discussions en vue de l'accord final entre les bel- Dès lors le FPR allait préparer la dernière attaque
ligérants furent longues et marquées de volte-face du côté de grande envergure pour prendre le pays . Un test avait
du FPR comme du côté gouvernemental . Pour le colo- été fait au cours des attaques de Byumba et de Ruhengeri,
nel Bagosora, il n' était pas acceptable d ' accorder à des le 8 février de la même année . Depuis que nous avions
guérilleros qui représentaient une minorité de la popu- obtenu que les militaires français soient retirés du pays,
lation rwandaise un pourcentage de 40 % dans l ' armée nous avions acquis l'assurance que nous pouvions prendre
nationale contre 60 % pour les FAR, et la moitié des offi- la ville de Kigali.
ciers pour chaque partie depuis le niveau de l 'état-major, L'APR a constitué de petits groupes d ' escadrons très
jusqu' au niveau des bataillons. spécialisés dans l ' infiltration dont la plupart avaient des
Cette argumentation n ' avait pas de poids pour le FPR physionomies trompeuses quant à leur ethnie parce qu ' ils
parce que le fait même d ' accepter de fusionner avec l ' ar- ressemblaient aux Hutus . Ils avaient appris à combattre
mée gouvernementale était un sacrifice, les FAR étant le gouvernement par des méthodes sophistiquées.
composées d' éléments inexpérimentés, criminels et indis- Des renseignements sur les hommes politiques et
ciplinés . Le FPR avait démontré sur le terrain que les leur position vis-à-vis du FPR ont commencé à être dis-
FAR n' étaient pas une bonne armée et qu ' il acceptait crètement recueillis. Celui qui était ouvertement contre
la fusion tout simplement pour ne pas bloquer les négo- le FPR devait être tué, les autres, qui pouvaient adhé-
ciations. rer à ses idées, ont été courtisés afin de ne pas consti-
Tout cela rendait furieux le colonel Bagosora qui en tuer un obstacle aux objectifs du FPR. Ce travail de
faisait rapport au président Habyarimana . La délégation renseignement sur des personnalités politiques hutues
gouvernementale était également bloquée, ne sachant a été confié à Seth Sendashonga et au major Théoneste
trop quelle position prendre. Lizinde, hutus l'un et l'autre I . Le rapport final devait
A cause de sa puissance de feu et de ses victoires écla- être confectionné par Seth Sendashonga et remis en
tantes, le FPR était devenu très arrogant . Il demandait, mains propres à Paul Kagame . Lorsque les contacts res-
la tête haute et avec menaces, la satisfaction de ses reven- taient infructueux, l'APR prenait l'affaire en mains pour
dications faute de quoi il pourrait reprendre les armes. donner une suite appropriée. Cette suite était évidem-
C ' est la raison du plus fort qui comptait. Cette étape de
1 . Seth Sendashonga, ancien opposant au régime Habyarimana, long-
la négociation a été plus difficile que celle du partage du
temps exilé, avait rejoint le FPR. Le major Théoneste Lizinde, soupçonné
pouvoir. d'avoir fomenté un coup d' État contre le président Habyarimana, était
incarcéré depuis 1980, dans la prison de Ruhengeri . Il en avait été libéré
unies pour l ' Ouganda et le Rwanda (MONUOR), chargée de contrôler par le FPR, suite à un coup de main victorieux sur la ville (23 janvier
la frontière . (NdE) 1991) . (NdE)

202 RWANDA, I;HISTOIRE SECRÈTE

ment l 'assassinat. La mission était confiée au SO Karake destinées à créer le désordre (par des actes de sabotage)
Karenzi. dans le pays au cas où la fusion des deux armées serait
18/5/1993 décidée . Ces armes étaient cachées à Kinyabishenge en
C ' est à cette date que le président de la commission commune de Butaro (Ruhengeri), à Bungwe en com-
politique du MDR et président du forum « Paix et démo- mune de Cyumba (Byumba), à Kaniga et à Cyondo en
cratie », Emmanuel Gapyisi 1 , fut assassiné par les com- commune de Kiyombe (Byumba) et à Karama en com-
mandos de I'APR dirigés par le P/JO2 Charles mune de Muvumba (Byumba) 1 .
Ngomanziza sous les ordres de SO Karake Karenzi . La Les militaires qui gardaient ces endroits avaient reçu
raison de son assassinat était d ' avoir dénoncé ouverte- de la DMI des consignes claires sur l ' utilisation future
ment le projet du FPR d ' accaparer tout le pouvoir. Des de ces armes . Même si la fusion des deux armées n ' était
émissaires lui furent envoyés pour obtenir son silence, pas, pour le FPR, prévue dans un futur proche,
mais sans succès . Paul Kagame ordonna son assassinat. tout ceci devait rester secret ; les hommes qui avaient
La mort de Gapyisi a créé une grande confusion dans à surveiller les fosses où les armes étaient enterrées,
la population . La plupart des gens croyaient qu' il avait devaient se dissimuler eux aussi . Ce travail avait été
été assassiné par le clan présidentiel . Très peu d 'hommes confié à SO Kayumba Nyamwasa et SO James
politiques affirmaient, sans pouvoir en fournir la preuve, Kabarebe . D ' autres officiers étaient au courant par le
que c ' était le FPR. fait que les militaires qui gardaient ces endroits venaient
de leurs unités. Il s ' agit de SO Charles Ngoga, SO
Juin-juillet-août 1993 William Bagire.
9/6/1993
Un protocole d ' accord sur le retour des réfugiés rwan- 1 . J 'étais membre de l' équipe chargée de cacher les armes destinées à
déstabiliser le processus de paix une fois les militaires de l 'APR réinté-
dais et leur réinstallation est signé à Arusha . Cet accord
grés, ou, en cas d' échec des négociations d ' Arusha, à lancer la dernière
prévoyait également la réintégration des déplacés de offensive pour prendre le pouvoir. Les armes devaient rapidement passer
guerre dans leurs biens. dans le territoire sous contrôle du FPR avant le déploiement des forces
Le FPR a fait entrer au Rwanda, en provenance onusiennes . Les officiers qui nous ont donné ces informations sont le
d ' Ouganda, quantité d ' armes, munitions et bombes colonel Charles Ngoga, le lieutenant-colonel James Kabarebe (informa-
tion de la part de Paul Kagame lui-même), le major Jacob Tumwine, le
capitaine Hubert Kamugisha, le capitaine Abdu Kaberuka, le lieutenant
1 . Emmanuel Gapyisi, responsable de la commission Politique et Ruganduka (agent de la DMI) . Après cette mission de cacher les armes et
idéologie du MDR, avait lancé le forum « Paix et démocratie » où il avait les munitions, les membre de cette équipe étaient utilisés dans des mis-
attiré des personnalités de plusieurs partis sur une ligne à la fois anti- sions spéciales . Cette équipe était composée seulement d ' hommes de
Habyarimana et anti-FPR. (NdE) grande confiance auxquels on disait presque tout .

204 RWANDA, L:HISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 205

22/6/1993 passaient par Shasha étaient transportées vers Kinya-


Le Conseil de sécurité a voté la résolution mettant en bishenge . Les camions convoyaient ce matériel jusqu 'à
place les observateurs de l'ONU pour surveiller la fron- la frontière, ensuite des civils ougandais les faisaient pas-
tière rwando-ougandaise afin d 'éviter que le FPR ne s'ap- ser au Rwanda. Les militaires de l'APR prenaient ensuite
provisionne en armes à partir de l'Ouganda. le relais et les transportaient vers les caches aménagées à
18/7/1993 cet effet . Les soldats, choisis pour le transport de maté-
Mme Agathe Uwilingiyimana fut désignée comme riel, ont servi ensuite pour l 'infiltration et l'espionnage
Premier ministre sur proposition du président du MDR, du Rwanda . Plus de 500 tonnes de matériel militaire
Faustin Twagiramungu . Le ministre des Affaires étran- sont entrées de cette façon.
gères d' alors décida de démissionner en soutien au
Premier ministre démis, Dismas Nsengiyaremye . Il fut Septembre-octobre 1993
remplacé par Anastase Gasana. L'APR s'est consacrée à trois activités essentielles.
25/7/1993 Faire une sélection minutieuse d'éléments pour la pro-
Les dernières difficultés ont été aplanies pour la signa- tection des responsables politiques du FPR à Kigali . Les
ture des accords de paix à Kinihira par le président militaires ainsi choisis ont été sérieusement entraînés
Habyarimana et le FPR . Les accords devaient être aus- pour la sécurité rapprochée des personnalités, dans les
sitôt mis en application. combats de rue et l'autodéfense en tous lieux et à tous
4/8/1993 moments. Après la constitution de l 'escorte des person-
Signature de l ' accord de paix entre le FPR et le gou- nalités, plusieurs autres formations ont été dispensées
vernement rwandais . La radio RTLM a commencé à notamment celle des instructeurs (Instructors course), celle
le dénoncer publiquement . Il était dit que la délégation des dirigeants de l ' armée (Leadership course), et celle des
gouvernementale aux négociations d 'Arusha était com- commissaires politiques (Political Commissar course).
posée de complices du FPR qui avaient comploté contre Environ 450 personnes ont été sélectionnées et ont
le pays et l'avait cédé aux rebelles. reçu une formation (Special course) pour devenir membres
Du 8 au 12/8/1993 de la future gendarmerie et de la police.
Le FPR a fait entrer beaucoup de matériel militaire La branche politique du FPR (PMM : Political Mass
par divers endroits avant l'arrivée des observateurs mili- Mobilization) dirigée par Protais Musoni a initié la for-
taires de l' ONU pour contrôler la frontière rwando- mation des encadreurs (cadres) du FPR. Ils reçurent une
ougandaise . Au Mutara, ce matériel entrait surtout par formation dans le domaine militaire, dans celui des ren-
Gasheke en direction de Karama . Les armes qui passaient seignements et celui de la sensibilisation politique des
par Rwene étaient transportées vers Kaniga, celles qui civils. Ils avaient instruction de combiner les trois

206 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

domaines dans la zone passée sous contrôle du FPR en CHC Paul Kagame : chef d'état-major de l'APR,
préparation à une longue guerre. MHC Steven Kalisholisho Ndugute : chef des
De telles formations avaient déjà été dispensées à opérations de combat (OOC- Overall Operations
Gishuro, puis à Karama . Ce n'était donc pas la première Commander),
fois . La différence avec les formations précédentes c 'est MHC Sam Kanyemera-Kaka : commandant de l'unité
que, cette fois-ci, il s ' agissait d' une attaque de grande Alpha mobile,
envergure . Au cas où le MRND acceptait, en applica- MHC Ludoviko Twahirwa-Dodo : commandant de
tion des accords, l' entrée du FPR au gouvernement, le l'unité Bravo mobile,
FPR devait, malgré tout, créer le chaos à l 'intérieur du MHC Thaddée Gashumba : commandant de l'unité
pays . Dans le cas contraire, le FPR devait engager une Charlie mobile,
guerre totale pour s ' emparer du pouvoir. Le FPR et l'APR MHC Charles Musitu : chargé du secrétariat, il devint
devaient donc préparer les militaires et les cadres pour par la suite commandant de l 'unité 21e mobile,
que cette opération puisse réussir. MHC Théoneste Lizinde : chargé de la documenta-
5/10/1993 tion et conseiller du CHC Paul Kagame,
La résolution de l' ONU n° 872 a mis en place une MHC William Bagire : commandant de la 7 e mobile,
force militaire, la MINUAR, chargée d 'accompagner MHC Charles Ngoga : commandant de la 59 e mobile,
l' application des accords de paix d 'Arusha I . MHC Dr Karemera : chef du Service médical de
l'APR,
Novembre et décembre 1993 MHC Kayumba Nyamwasa : chef du service de ren-
Le major Paul Kagame a promu certains officiers seignement militaire (DMI),
supérieurs au grade de MHC, à savoir Charles Ngoga, MHC Frank Mugambage : chef de la formation poli-
William Bagire, Charles Muhire, Dr Joseph Karemera, tique au sein de l'APR.
Frank Mugambage et Kayumba Nyamwasa. Un autre haut officier qui travaillait au niveau du haut
Le haut commandement militaire de l'APR était ainsi commandement, sans avoir le grade de MHC, est le SO
composé : Caesar Kayizari qui était chargé de la direction des opé-
rations de l'APR.
1 . La MINUAR, Mission d ' assistance des Nations unies au Rwanda, 5/11/1993
prend la relève de la mission d 'observation créée le 22 juin . Commandée Le président Juvénal Habyarimana a dirigé une
par le général canadien Roméo Dallaire et composée initialement de réunion à l'hôtel Rebero sur la colline de Nyarurama, en
1 260 militaires, elle atteindra le nombre de 2 500 militaires au début présence de ses proches collaborateurs du MRND et de
de l'année 1994 . (NdE) la CDR ainsi que de ses conseillers militaires . C'est au

208 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE QE 1990 A 1993 209

cours de cette réunion qu 'il fut décidé de poursuivre es dirigeants étaient : SO Éric Murokore, JO1 Jacob
et intensifier la distribution des armes au sein de la popu- Tumwine, JO1 Hubert Kamugisha . J02 Rwamfizi et le
lation. L'objectif visé était d' éliminer au moment oppor- sergent John Gahigana étaient également du nombre.
tun toutes les personnes qui ne suivaient pas la position Tout le reste étaient des agents de renseignement et
du président Habyarimana en ce qui concerne les accords d'autres qui avaient été sélectionnés sans savoir ce qu 'ils
d'Arusha, notamment les hommes politiques soutenant allaient faire . A Kidaho, l'opération a été supervisée par
officiellement le FPR ou n ' osant pas le condamner, les J01 Moses Rubimbura . Ces incursions ont eu lieu en
Tutsis de toutes les villes du pays, surtout les riches, les même temps à la minute près, une quarantaine de per-
érudits, les hommes d' affaires ainsi que les familles qui sonnes furent assassinées.
avaient envoyé leurs enfants dans l'APR. Il fallait d 'abord Ces incursions de I'APR avaient également pour objec-
recenser toutes ces personnes et identifier leur domicile. tif de chauffer les esprits, de créer le désordre afin de
Peu après cette réunion, des listes furent établies et cir- montrer l' impuissance de l'État et donner au FPR des
culèrent, suscitant une crainte diffuse. arguments pour s' emparer du pouvoir par la force . C'était
Du côté du FPR, c'était le même programme . Le FPR là le piège . Il fallait inciter les milices du MRND et de
avait planifié d' assassiner toutes les personnes qui ne le la CDR à tuer des Tutsis afin que le FPR puisse relancer
soutenaient pas, en commençant par les populations des les combats. Pour la première fois, des assassinats avaient
zones sous son contrôle I . &é perpétrés sans que personne n 'en connaisse les auteurs,
Par exemple, dans la nuit du 17 au 18 novembre 1993, sauf pour l ' assassinat de Fidèle Rwambuka (22 août
l'APR a mené des incursions dans les communes de la 1993) 1 . Alors que les milices du MRND et de la CDR
zone démilitarisée (zone tampon) de Ruhengeri, à savoir commettaient des massacres en plein jour sans se sou-
les communes de Cyeru, Nyamugali et Kidaho pour tuer cier de quoi que ce se soit, ces tueries non revendiquées
des personnes d 'avance identifiées comme n' étant pas et faites de nuit étaient la spécialité de l 'APR.
des sympathisants du FPR . Du côté de Nyamugali et 1/11/1993
Cyeru, ces opérations ont été exécutées par des éléments Début du déploiement des troupes de la MINUAR.
d' élite du 59 e bataillon sous le commandement de 23/11/1993
Charles Ngoga. Des équipes avaient été constituées dont Le parti CDR a sorti un communiqué invitant le
président Habyarimana et la Première ministre, Agathe
1 . Je suis témoin oculaire pour la commune de Cyeru . Le reste m ' a
été raconté par ceux qui ont directement participé à l ' opération . Parmi 1 . Fidèle Rwambuka, membre du comité central du MRND et
eux, le lieutenant Rwamfizi, le sergent John Gahigana et d ' autres qui ne boourgmestre de Kanzenze, au Bugesera, avait pris, en mars 1992, une
veulent pas être publiquement cités . Part très active dans les massacres des Tutsis de sa commune . (NdE)

210 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 211

Uwilingiyimana, à démissionner de leurs postes parce nation des Tutsis comme la meilleure solution 1 . Ces
qu' ils n' avaient pas réagi à propos des tueries perpétrées associations ont également dénoncé la distribution des
contre les Hutus dans la zone tampon . Dans ce com- armes à la population civile . Cette déclaration a été faite
muniqué, la CDR disait que si elles n ' agissaient pas, les 3 et 17 décembre 1993 par le CLADHO 2 et d' autres
ces deux personnalités auraient démontré qu'elles favo- associations opposées au gouvernement.
risaient le FPR et les Tutsis . Les Hutus devaient donc Du 11 au 15/12/1993
prendre leurs responsabilités pour lutter contre l ' en- Le deuxième contingent de militaires français a été
nemi et ses complices. rapatrié. Il est resté une quinzaine d 'hommes, soit-disant
Nuit du 29 au 30/11/1993 pour rassembler leurs effets et le matériel militaire qui
Des éléments de l' unité Charlie mobile sous le com- était utilisé sur le terrain.
mandement de JOl Gashayija Bagirigomwa et JO1 22/12/1993
Moses Rubimbura ont attaqué et massacré la population Le général-major Déogratias Nsabimana a dirigé une
civile à Kabatwa en commune Mutura avec des méthodes réunion regroupant les hauts officiers de l ' armée et de la
d ' Interahamwe. gendarmerie ainsi que les responsables des Interahamwe
Pour faire croire que les crimes avaient été commis et des Impuzamugambi. Il a été décidé d ' intensifier la
par le MRND et la CDR, certaines familles, parmi les distribution d ' armes à la jeunesse du MRND, de la CDR
victimes, étaient tutsies. et des milices Power3 des autres partis politiques, de
3/12/1993 manière à éviter la consignation de ces armes dans leurs
On rapporte que les hauts officiers des FAR ont écrit cachettes par la MINUAR . Un programme de saisie
au commandant de la MINUAR pour l ' informer que d' armes avait été établi . Le général Nsabimana leur a dit
des attaques semblables à celles effectuées par 1 ' APR
en commune Mutura allaient s ' étendre dans d ' autres 1. La Radio-télévision libre des Milles collines (RTLM), créée en avril
zones, surtout celles habitées par les Tutsis, afin d ' im- 1993, s'engagea rapidement dans une ligne extrémiste anti-Tutsis . En
puter ces crimes au MRND et de permettre au FPR de 1994, elle ne cessa d ' exhorter au massacre systématique des populations
relancer la guerre . Ce courrier avait pour objectif de pré- tutsies . (NdE)
venir à temps la MINUAR afin d ' éviter que ces actes de 2. Le CLADOH (Coordination des ligues et associations de défense
1'APR ne conduisent à l ' effusion de sang de la popula- des droits de l ' homme) dénonça vigoureusement, dès sa création en sep-
tembre 1992, les atteintes aux droits de l' homme perpétrées par les auto-
tion civile innocente.
rités rwandaises. (NdE)
Les associations des droits de l ' homme ont dénoncé 3. Power : appellation (un raccourci du slogan Hutu Power) que se
officiellement la propagande de la CDR et du MRND donnèrent des groupes appartenant à diverses formations politiques jus-
par le biais de la radio RTLM, qui incitait à l'extermi- qu'à rejoindre les partisans de l ' extrémisme anti-Tutsis . (NdE)

212 RWANDA, I:HISTOIRE SECRÈTE DE 1990 A 1993 213

qu'ils devaient se préparer à une nouvelle guerre lancée Rwandais . Les accords de paix entre le président
par le FPR. Habyarimana et le major Paul Kagame, désormais géné
24/12/1993 ral-major, ont été conclus sous la contrainte de la com
Paul Kagame a décidé de supprimer les grades utili munauté internationale. En réalité, chacun ne voulait la
sés pendant la guérilla et d'utiliser les grades reconnus paix qu'à la condition de diriger seul le pays . Les prépa
internationalement . C'est ainsi qu'il s'est attribué le grade ratifs du chaos étaient visibles .
de général-major ; les officiers supérieurs du haut com
mandement de l'APR (MHC) devinrent des colonels,
les SO ou des lieutenants-colonels ou des majors selon
la hiérarchie des fonctions occupées au sein de l 'APR.
Au niveau des subalternes, les JO1 sont devenus des capi
taines, les J02 des lieutenants, les P/J02 des sous-lieu
tenants . Pour les sous-officiers, on a maintenu les grades
de sergent et caporal.
27/12/1993
Les ailes Power des partis MDR et PL se sont ralliées
au MRND et à la CDR pour contester les accords de
paix d'Arusha.
28/12/1993
Un contingent de 600 militaires du 3 e bataillon de
l'APR a été envoyé à Kigali sous le commandement du
lieutenant-colonel Charles Kayonga et de son adjoint le
major Wicliffe Kwikiriza . Ce contingent était composé
d'éléments d'élite soigneusement sélectionnés pour leurs
hauts faits d ' armes . C' est à cette même date que les
hommes politiques du FPR sont allés à Kigali pour
attendre la cérémonie de prestation de serment.

Conclusion sur l'année 1993


Cette année a été caractérisée par des moments très
difficiles qui ont accru la nervosité dans les têtes des
Deuxième partie :
1994, l' année de l'Apocalypse
Au début de l'année 1994, les partisans de la paix,
militaires, politiciens ou civils en général, espéraient une
paix durable . Ils croyaient que l ' unité était de retour
parmi les Rwandais, que les erreurs commises n'allaient
pas être renouvelées, qu'un nouveau gouvernement
d' unité nationale allait prendre place même si tout le
monde n 'était pas sur la même longueur d 'ondes.
Personne ne considérait les différences d 'opinion comme
un problème parce qu'en démocratie chacun conserve
sa liberté de pensée.
Du côté de ceux qui voulaient garder ou conqué
rir le pouvoir à tout prix, chaque camp cachait son jeu
en vue de la mise en échec du processus de paix et de
l'éviction totale, sinon l 'élimination physique de l ' ad
versaire. Le FPR savait que le piège allait se refermer
sur le général Juvénal Habyarimana et tout son entou
rage. Cet espoir était renforcé par le fait que les plus
grands partis comme le MDR, le PSD et le PL n'étaient
pas opposés au FPR, même si des divisions internes
allaient se manifester plus tard.
Tandis que pour les Rwandais l 'espoir de la paix
était retrouvé, les deux adversaires armés s'attendaient
eux à l ' apocalypse prédite par le colonel Théoneste

218 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE 1994 219

Bagosora I . Le général Paul Kagame aussi avait préparé L'aggravation des conflits politiques sur fond de
quelque chose de semblable, projet que nous avions misère et de peur
nommé Simusiga — ondoa vumbi, « balayez la poussière Moins d' une semaine avant le début de l ' année, le
sans rien laisser derrière » . Le peuple ne pouvait rien feu vert avait été donné pour installer les soldats du
deviner derrière les apparences. 3e bataillon à Kigali en vue de protéger les personnalités
Je retracerai chronologiquement les événements de l 'an- politiques du FPR. Mais ce n' était pas le principal motif
née 1994, l ' année du génocide des Tutsis reconnu offi- de leur présence . Ils étaient plutôt là pour préparer l ' ul-
ciellement par la communauté internationale, et de l 'autre time bataille.
génocide, celui des Hutus, qui n 'est pas encore reconnu
faute d'enquêtes officielles . Il m' est plus facile de rap- Du 5 janvier au 6 avril
porter ce dont j 'ai été témoin oculaire du côté de l 'APR. 5/1/1994
Il s' agit bien de la réalité des crimes dont les soldats de C' est la date convenue pour mettre en place le gouver-
l'APR sont responsables et non d 'une histoire apprise nement selon les accords de paix signés entre le gouver-
ou lue quelque part . Je rapporte également les crimes com- nement rwandais et le FPR . À cette date, restait encore
mis par les extrémistes hutus à partir des témoignages exis- la question du parti CDR dont le FPR ne voulait pas dans
tants et selon mes connaissances actuelles. un gouvernement dit d' union nationale car il avait pris
part aux massacres de populations et prêchait la haine eth-
1 . Le colonel Théoneste Bagosora était directeur de cabinet au minis- nique . Pour le président Habyarimana, à ce moment, le
tère de la Défense . En janvier 1993, de retour d 'Arusha où il participait problème principal était que l 'opposition était très large-
aux négociations avec le FPR, il aurait déclaré qu ' il allait « préparer l ' apo- ment majoritaire à l'assemblée . Ce jour-là, le président
calypse » . Face à la polémique suscitée par ses propos, il soutint avoir été Juvénal Habyarimana a prêté serment mais le gouverne-
mal cité et aurait en fait dit au ministre Boniface Ngulinzira, qui diri-
geait la délégation rwandaise, que « la conclusion de l 'accord qu ' il venait
ment et l'Assemblée nationale de transition n'ont pas été
de signer préparait l 'apocalypse » . Au soir du 6 avril 1994, immédiate- installés après son serment comme cela aurait dû être, suite
ment après l 'attentat contre l'avion présidentiel, le colonel, alors retraité, à d' ultimes contestations sur la composition des listes des
organisa une réunion d 'officiers rwandais et conserva son poste dans le députés . Ce serment était une tromperie : si Habyarimana
« gouvernement intérimaire » autoproclamé (9 avril) . Très proche des lui-même était reconduit, le processus d'installation des
durs du régime Habyarimana, il est considéré comme l ' un des princi- institutions était bloqué . Le Président gagnait du temps.
paux responsables de l ' organisation et de l ' exécution du génocide des
Rwandais tutsis . Arrêté au Cameroun en 1996, il a été transféré en jan-
L' ambassadeur de Tanzanie a été pris à partie par la
vier 1997 au centre de détention de l 'ONU à Arusha . Sa première com- jeunesse CDR, lui reprochant d ' avoir favorisé certains
parution devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) partis politiques dans l'application de l'Accord de paix
a eu lieu le 20 février 1997 . (NdE) d'Arusha.

220 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 221

7/1/1994 MINUAR faisait l' objet de la part des filles tutsies et de


Au siège du MRND, une réunion s 'est tenue regrou- Landoald Ndasingwa 1 , marié à une femme canadienne,
pant le général-major Déogratias Nsabimana, le géné- compatriote de Roméo Dallaire, le commandant de la
ral-major Augustin Ndindiliyimana, le général-major MINUAR.
Augustin Bizimungu, Mathieu Ngirumpatse 1, Robert 11/1/1994
Kajuga et Jean Bosco Barayagwiza pour constater que La jeunesse du parti CDR a organisé une manifes-
les armes distribuées dans la population ou cachées dans tation à laquelle ont participé des autorités haut placées
des stocks pouvaient être saisies par la MINUAR . Les dont les ministres Callixte Nzabonimana et Pauline
caches d 'armes devaient être gardées, déplacées ou enter- Nyiramasuhuko . Tous fustigeaient les accords d 'Arusha
rées par les réservistes et les militaires dans les divers quar- et ceux qui les soutenaient.
tiers de la ville de Kigali . Un réseau de communication 16/1/1994
efficace devait être établi en cas de visite surprise de la Un meeting a eu lieu au stade régional, réunissant les
MINUAR afin que toute saisie soit mise en échec par partis MRND, MDR-Power de Froduald Karamira et le
une attaque contre la MINUAR. PL-Power de Justin Mugenzi, désormais rangés derrière
8/1/1994 l'idéologie du MRND . Le refrain était le même pour
L' organisation de défense des droits de l 'homme, tous : le pays avait été trahi, le FPR avait obtenu des
CLADHO a publié un communiqué fustigeant la haine sièges qu'il ne méritait pas, il fallait s'opposer à la mise
ethnique et la distribution des armes dans la population en place du gouvernement de transition à base élargie
hutue. Elle s'inquiètait des conséquences de ces actes qui au FPR, le GTBE . Les discours prononcés par les lea-
ne pouvaient qu' engendrer une guerre ethnique catas- ders contestaient l'utilité des accords de paix d 'Arusha.
trophique. À cette occasion, deux camionnettes Toyota Hilux
9/1/1994 sont arrivées sur les lieux, chargées de fusils et de gre-
La RTLM a diffusé, par la voix de Gaspard Gahigi et nades qui furent distribuées aux grands responsables des
Évariste Habimana alias Habimana Kantano, des infor- Interahamwe.
mations dénonçant la partialité de la MINUAR ainsi 19/1/1994
que son soutien au FPR et à ses acolytes . Ces informa- La Première ministre, Agathe Uwilingiyimana, s 'en
tions dénonçaient également la manipulation dont la est pris avec virulence au ministre de la Défense, le som-
mant d'user des compétences que lui conférait la loi pour
1 . Mathieu Ngirumpatse, président du MRND, Robert Kajuga, chef
récupérer les armes distribuées dans la population civile.
des Interahamwe, Jean Bosco Barayagwiza, dirigeant du parti extrémiste
CDR . (NdE) 1 . Landoald Ndasingwa, tutsi, dirigeant du parti libéral (PL) . (NdE)

222 RWANDA, I ;HISTOIRE SECRÈTE 1994 223

Elle fut accusée de complicité avec le FPR car, selon la sous-préfecture Kirambo . C' est dans le même mois
ses détracteurs, elle s' opposait à la protection de la popu- que plusieurs soldats du FPR en civil, dits « techniciens »,
lation, protection que le gouvernement pro-FPR qu 'elle avaient été envoyés clandestinement à Kigali et par-
dirigeait était incapable d'assurer. tout dans le pays. C' est dans le même mois que des per-
Le 27 janvier, la RTLM a continué sa campagne de sonnalités de divers partis ont été assassinées pour faire
dénigrement des accords d 'Arusha, dénonçant la col- empirer la situation.
lusion du gouvernement avec l 'ennemi, accusant tous 14/2/1994
les Tutsis d'être des complices du FPR et des ennemis du Le président Habyarimana a dirigé une réunion
pays . Elle a accusé également la Belgique de faire la part regroupant les cadres de la Gendarmerie nationale pour
belle au FPR, de dépouiller du pouvoir les Hutus mena- s'enquérir du climat régnant dans ce corps . Il a remar-
cés d'extermination . La radio appelait la majorité hutue qué que c'était l'impasse pour la plupart d 'entre eux . En
à combattre jusqu' au bout pour ne pas disparaître. effet, même s' il existait un plan, le secret était gardé
par l' entourage du Président, beaucoup de militaires haut
Février 1994 gradés ne savaient pas ce qui se tramait . Ceux-ci ont
8/2/1994 néanmoins exprimé leurs inquiétudes au Président sur
L'APR a lancé des escarmouches en divers lieux des la reprise imminente d' une guerre qui serait une sale
préfectures de Ruhengeri et Gisenyi pour montrer que guerre. Il leur a répondu que si le FPR reprenait la guerre,
la paix dont devaient répondre le MRND, le MDR- ses complices en paieraient le prix et que ce serait la der-
Power, le PL-Mugenzi ainsi que la CDR n'existait pas. nière guerre. Il leur a dit aussi qu 'il reconnaissait son
Des paysans tutsis ont été massacrés à Mutura, parti- erreur d 'avoir travaillé avec des « complices » qui étaient
culièrement à Kabatwa . Cette opération a été menée par même représentés au sein du gouvernement . A la ques-
le major Gashayija Bagirigomwa ainsi que le capitaine tion de savoir ce qu'il fallait faire, le Président est resté
Moses Rubimbura qui faisaient partie de l'unité Charlie évasif et a laissé le soin à ses collaborateurs de répondre.
mobile à Butaro, dont le major Gashayija Bagirigomwa Personne n'a donné une réponse satisfaisante mais tous
était OPTO (Operations and Training Officer, officier firent entendre que la reprise de la guerre par le FPR son-
chargé d'opérations et d ' entraînement) . Il était le nerait la fin des Tutsis et de leurs « complices » hutus.
numéro 3 du commandement de l'unité tandis que le Depuis lors, les services de sécurité de la gendarme-
capitaine Moses Rubimbura était IO (Intelligence Officer, rie ont commencé à élaborer et affiner des listes de « com-
officier de renseignement). plices » hutus et de personnalités tutsies . Dans sa
Des massacres avaient eu lieu ces jours-là, dans les- propagande, de façon à faire monter la tension, le FPR
quels ont péri des dirigeants de toutes les communes de ne cessait de répéter que tous les Tutsis étaient en train
RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994
224 225

d'être fichés sur des listes . Pour les hommes de terrain 23/2/1994
que nous étions, cette information n'était pas exacte : Plusieurs rumeurs ont été répandues selon lesquelles
nos rapports montraient que des listes d'une certaine Gatabazi avait été assassiné par la jeunesse Impuzamu-
catégorie de Tutsis — des personnalités, des cadres, des gambi de la CDR parce qu'il était l ' un des dirigeants oppo-
hommes d' affaires, des politiciens, ainsi que les Hutus sés au président Juvénal Habyarimana . Mais, comme je
opposants au MRND — étaient en train d 'être élaborées, l'ai déjà dit, il avait été assassiné par le FPR et il n 'était pas
afin qu' ils soient massacrés le jour J. le seul sur la liste de ceux qui devaient être tués.
Du 21 au 22/2/1994 C' est ainsi que le lendemain Martin Bucyana, lea-
Le ministre Félicien Gatabazi a été assassiné par des der du parti CDR, a été assassiné par la jeunesse du PSD
membres de I'APR qui s ' étaient dissimulés parmi les (Abakombozi), selon le stratagème monté par le FPR pour
Interahamwe 1 . Son meurtrier, le lieutenant Godfrey montrer à l ' opinion publique qu'il s' agissait de repré-
Ntukayajemo alias Kiyago, logeait chez Gatete Polycarpe, sailles . Il a été lynché à Mbazi, en préfecture de Butare,
actuellement sénateur au parlement rwandais à Cyicukiro. par une foule de gens, militants du PSD . Parmi eux, il
Il a été assisté par Mahoro Amani . Le capitaine Hubert y avait des agents du Network et d'autres agents du FPR
Kamugisha participa également à l'organisation de cet infiltrés dans la jeunesse Abakombozi.
assassinat . Les meurtriers se cachaient chez une femme Ces deux assassinats successifs ont surchauffé les esprits
taximan prénommée Emerita Mukamurenzi qui, elle- de sorte qu'à Kigali il y a eu des affrontements au cours
même, a été assassinée pour s 'assurer de son silence. desquels plus de trente personnes ont trouvé la mort.
L'assassinat a été ordonné par le général-major Paul Félicien Gatabazi avait été assassiné, Martin Bucyana
Kagame à partir de Mulindi, son quartier général. Le de la CDR aussi . D' aucuns pensaient que les blocages
complot a été monté par le lieutenant-colonel Karake allaient prendre fin parce que le FPR était contre la pré-
Karenzi . Ce même lieutenant-colonel occupait à ce sence au gouvernement de ce dernier parti accusé de divi-
moment la fonction très officielle d ' officier de liaison sionnisme . Au lieu d'être résolu, le problème s 'est aggravé.
entre le FPR et la MINUAR 2. Du 23 au 27/2/1994
Des Interahamwe, des Impuzamugambi, des Power
et leurs complices ont organisé des manifestations vio-
1. Félicien Gatabazi, membre du PSD, avait déclaré peu avant son lentes dans la ville de Kigali . La vie s'est arrêtée . Des per-
assassinat que son parti ne devait être le valet ni du MRND ni du FPR. sonnes furent pourchassées, des dizaines furent
(NdE)
massacrées . Parmi ces manifestants, il y avait des mili-
2. Je raconte ce qui m ' a été dit par le capitaine Hubert Kamugisha, le
caporal Amani et le sous-lieutenant Ngomanziza . D ' autres témoins ne taires du FPR infiltrés comme le lieutenant Kiyago, le
rendront leur identité publique que lorsqu ' ils seront sûrs de leur sécurité . lieutenant Jean-Pierre Gatashya, le capitaine Hubert
226 RWANDA, L'HISTOIRE SECRETE 1994 227

Kamugisha, le sergent Mugisha alias Interahamwe et FPR avait terminé les préparatifs d ' une attaque sans pré-
d'autres. Le but était de chauffer les têtes, de semer le cédent et que les Hutus devraient combattre avec la der-
chaos et la désolation dans tout le pays afin que la reprise nière énergie, sinon ils seraient exterminés . De son côté,
de la guerre soit opérée sur un terrain déjà préparé. le FPR collectait des informations sur le lieu de l 'at-
25/2/1994 tentat contre l ' avion du président Habyarimana ainsi
Robert Kajuga, le chef des Interahamwe, a tenu une que sur l' attaque ultime qui devait s 'ensuivre . L'élément
réunion avec ses hommes pour mettre sur pied un plan primordial était d ' identifier les endroits par lesquels il
d' attaque le moment venu . Il fallait désigner les chefs était possible d' aller au secours des Tutsis, surtout dans
des groupes, déterminer les moyens de communication les localités à forte concentration tutsie . Des sites furent
dont les sifflets et les tambours, les haut-parleurs sur des localisés dans tout le pays et une cartographie fut des-
véhicules et des bombes fumigènes . L'encadrement de sinée . Le schéma fut donné au lieutenant-colonel Karake
cette jeunesse devait être fait par les membres de la garde Karenzi et au lieutenant-colonel Charles Kayonga pré-
présidentielle et des réservistes de l 'armée et de la gen- sents à Kigali, une copie fut envoyée à Paul Kagame à
darmerie . Il fallait également mettre de l'ordre dans les Mulindi . Nous espérions que, grâce à ces cartes, les pertes
attaques meurtrières sans quoi les cibles désignées étaient humaines parmi les Tutsis seraient limitées.
la plupart du temps manquées parce que les meurtriers
étaient occupés à piller . Il fut décidé que la discipline Mars 1994
serait de rigueur dans les opérations et que les armes C' est au cours de ce mois qu 'ont été prises les der-
seraient utilisées plus tard. nières décisions qui déclenchèrent la catastrophe.
28/2/1994 Les extrémistes du côté du président Juvénal
Certains Tutsis saisis de frayeur, car pressentant qu'ils Habyarimana, les partis MRND, CDR, les branches
allaient être massacrés, sont allés demander protection à Power des quatre partis ainsi que les agents de la sécu-
la MINUAR. Certains ont été logés au stade de Remera rité, ont mis au point des mécanismes de blocage empê-
et d' autres dans les bâtiments des Magasins généraux du chant le gouvernement d ' être investi et se sont préparés
Rwanda (MAGERWA) à Gikondo. à l'éventualité d ' une guerre terrible . Ils ont commencé
Le journal Kangura, dirigé par l'extrémiste Ngeze à apprendre aux citoyens le maniement des armes tra-
Hassan, avait alors annoncé que l' infiltration du FPR ditionnelles dans l 'éventualité d ' un affrontement avec
dans la ville de Kigali était terminée et que le sort des l'ennemi . Au sein du FPR, les derniers préparatifs d'une
Hutus allait être réglé . Il demandait aux services de sécu- guerre totale pour la prise du pays ont été mis en place.
rité concernés d'être vigilants sinon le pays leur échap- Depuis le 14 mars jusqu'au 4 avril, des réunions se sont
perait . Le journal rapportait que, selon ses sources, le tenues pour préparer la reprise des combats . Dans cette
RWANDA, LHISTOIRE SECRÈTE 1994
228 229

perspective, les officiers supérieurs du haut com- Ils pouvaient également cacher les complices des
mandement ont analysé article par article le fonction- Inkotanyi. Ainsi, pour chasser les Inkotanyi de la ville de
nement du cadre militaire . Chaque unité a reçu des ordres Kigali, il fallait tuer tous les Tutsis . La situation se pré-
selon ses positions et le chemin à prendre. sentait différemment dans les campagnes où il s 'agissait
1/3/1994 plutôt de distinguer les Tutsis « opposants » des Tutsis
Dans le Journal Isibo (n° 125), le journaliste Modeste « complices ».
Urinzwenimana a écrit sur les prédictions d ' une pro- 14/3/1994
phétesse nommée Nyirabiyoro, reconnue dans la culture À Mulindi, siège du FPR, le général-major Kagame a
rwandaise pour avoir prédit des événements qui se sont dirigé une réunion regroupant les membres du haut com-
ensuite réalisés . Le journaliste affirmait que, selon ces mandement (MHC), les commandants des unités
prédictions, une guerre meurtrière sans précédent dans mobiles, leurs adjoints, les commandants des unités spé-
l'histoire du Rwanda se préparait et que le Président y cialisées, bref presque tous les officiers supérieurs . La
laisserait la vie . Mon objectif n' est pas de faire la publi- réunion avait pour objet de montrer à chacun où il
cité des prédictions mais celle-ci illustrait la peur qui devrait positionner ses soldats . Des cartes avaient été des-
avait gagné tout un chacun . De telles prédictions n'étaient sinées et distribuées lors de la réunion . Il a été décidé de
pas considérées comme de simples rumeurs, car chaque nettoyer de tout élément hutu les régions de Byumba,
partie adverse y voyait la réalisation de son plan macabre. Umutara et Kibungo . Pour éviter la pagaille et le manque
Il se lisait sur les visages que la guerre sonnait à toutes de professionnalisme dans cette opération, le travail a
les portes. été confié au colonel Kayumba Nyamwasa, au colonel
2/3/1994 Frank Mugambage, aux membres de la garde person-
Nous avions infiltré tous les réseaux dont ceux des nelle de Paul Kagame et aux responsables de Karama
Interahamwe. Les informations recueillies montraient Training Wing (camp d'entrainement) . Dans d'autres
que le plan d ' exterminer les Tutsis de la ville de Kigali unités, ce travail était fait uniquement par les agents
avait été arrêté par les Interahamwe. Tout le monde se de renseignement et les instructeurs politiques . Si jamais
connaissait et la population n 'avait pas besoin de dres- il fallait du renfort pour cette opération, chaque com-
ser des listes de leurs voisins, mais les miliciens se consa- mandant d'unité mobile devait fournir des hommes triés
crèrent à identifier les résidents originaires d ' autres sur le volet et dont on était sûr qu'ils n'étaient pas hutus.
préfectures et à clarifier le statut des « hybrides » . Chaque 15/3/1994
Tutsi avait été identifié ainsi que le lieu de son habita- Le directeur de l' usine à thé de Cyohoha Rukeri a été
tion . Pour les extrémistes hutus, les Tutsis de Kigali étaient assassiné ainsi que trois autres personnes qui étaient avec
instruits et connaissaient peu ou prou le plan du FPR . lui . Cet attentat a été exécuté par les soldats de I'APR
230 RWANDA, EHISTOIRE SECRETE 1994 231

dirigés par le sous-lieutenant John Karangwa . L'attentat passait par quelqu' un d'autre au sein de la CDR ou chez
a été préparé par le capitaine Rugumya Gacinya, agent les Power.
de renseignement de Bravo mobile. Du 25 au 28/3/1994
Ce jour-là, des fournitures d ' armes furent effectuées Les obstacles à la prestation de serment des ministres
au Rwanda par la société anglaise Mil-Tec' . Leurs avions et des députés avaient été levés et tout semblait rentrer
avaient demandé des autorisations d ' atterrissage pour dans l' ordre . Mais le jour de la prestation de serment, le
ces livraisons . La MINUAR s'y est opposée et, selon nos président Juvénal Habyarimana ne s' est pas présenté sur
renseignements, le matériel aurait été livré via l ' aéroport le lieu de la cérémonie . Quinze députés étaient égale-
de Goma et transporté dans la ville de Gisenyi par ment absents, la cérémonie a ainsi été reportée.
camions. 29/3/ 1994
18/3/1994 Une réunion du haut commandement militaire de la
Le Premier ministre désigné, Faustin Twagiramungu 2, branche de l'état-major chargée des opérations militaires
est arrivé au CND (Conseil national du développement, et des combats (G3) au sein des FAR s 'est tenue . Cette
le parlement rwandais) avec une liste de ministres qui réunion avait recommandé à la population de rester sur
devaient prêter serment ce jour-là . Mais la cérémonie n'a ses gardes parce que l ' ennemi l'assiégeait. Sans en avoir
pas eu lieu. L'espoir de l'avènement de la paix faisait place formellement la preuve, il semble que les membres de
au désespoir. Le 19 mars, une liste de députés avait été cette réunion ont expliqué la gravité d'une situation deve-
établie et acceptée par tout le monde . Ils ne purent prê- nue explosive puisque les Inkotanyi avaient infiltré en
ter serment, parce que les blocages entre Habyarimana grand nombre la ville de Kigali . Comme ils s'étaient dis-
et le FPR se sont multipliés . Les motifs de reprise des simulés au sein des jeunesses des partis comme le PSD,
combats étaient en train d'être trouvés et les deux adver- PL et Interahamwe, les Inkotanyi étaient devenus insai-
saires ne craignaient pas de le dire ouvertement . Le FPR sissables. Ceux qui se trouvaient au sein des Interahamwe
ne proclamait pas que la paix n' aurait jamais lieu, mais accomplissaient correctement le travail des Interahamwe
il faisait tout pour la torpiller sans bruit . Quant au pré- de sorte que personne ne pouvait les soupçonner. Ceux
sident Habyarimana, ce qu'il ne pouvait dire à haute voix qui se trouvaient dans d'autres partis étaient protégés par
leurs collègues . Cependant, après une réunion comme
celle-là, il n'était plus possible aux soldats du FPR d 'opé-
1. La Mil-Tec Corporation Ltd, domiciliée à l'île de Man, n' était pas
rer clandestinement dans la ville de Kigali ou dans les
alors soumise aux règlements concernant l ' embargo sur les armes en
vigueur au Royaume-Uni . (NdE) villes sous contrôle du gouvernement . La mise en place
2. Faustin Twagiramungu, président du MDR, le plus grand parti de la défense civile a accéléré les préparatifs du FPR
d'opposition. (NdE) à Mulindi . Il était recommandé à la population

232 RWANDA, U HISTOIRE SECRÈTE


1994 233

d'utiliser machettes, lances, couteaux, gourdins pour Avril 1994


se défendre contre l'ennemi . La tension de plus en plus C' est le pire mois de l'histoire du Rwanda parce que
grande incitait le général-major Paul Kagame à utiliser c' est le mois du génocide massif des Tutsis . Ils ont été
tous ses moyens pour déclencher l'apocalypse promise massacrés dans l'humiliation, des innocents qui n'avaient
par le colonel Théoneste Bagosora. rien d'autre à se reprocher que le fait d'être nés tutsis.
30/3/1994 Ce mois-là, un grand nombre de citoyens hutus a été
Des ordres ayant été donnés à chaque officier, le géné- massacré sous le prétexte d 'un crime qu'ils n'avaient pas
ral-major Paul Kagame a convoqué une réunion d 'ur- tous commis, celui d'avoir exterminé les Tutsis . Ils ont
gence pour préparer l 'attentat contre l 'avion du président été tués de façon organisée, calculée par le FPR seule-
Habyarimana. Hormis ceux qui se trouvaient déjà à ment parce qu'ils étaient nés hutus . Aucun Tutsi, aucun
Mulindi, ceux qui devaient assister à cette réunion organisme international n'a jusqu' à présent reconnu le
devaient venir du CND à Kigali . Ils se sont rendus à génocide des Hutus.
Mulindi le lendemain. Il y a différentes façons de l'appréhender : les sol-
31/3/1994 dats tutsis de l 'APR qui sont des témoins oculaires consi-
Une réunion s'est tenue à Mulindi, dirigée par le géné- dèrent que la reconnaissance du génocide des Hutus
ral-major Paul Kagame et à laquelle assistaient le colo- amoindrirait la reconnaissance du génocide des Tutsis.
nel Kayumba Nyamwasa, le colonel Théoneste Lizinde, C'est pourquoi ils craignent que l 'on puisse dire qu' il
le lieutenant-colonel James Kabarebe, le major Jacob y a eu génocide des deux côtés, que des Tutsis ont tué
Tumwine et Charles Karamba . La décision a été prise qu'à des Hutus et que des Hutus ont tué des Tutsis.
toute heure, dès que l'opportunité s'en présenterait, l 'avion Ce n'est pas ainsi qu'il faut le comprendre : le géno-
du président Habyarimana serait abattu . Le Y bataillon cide des Hutus ne devrait pas être mis sur le dos des
a reçu l 'ordre de se protéger puisque l 'attentat devait entraî- Tutsis, non plus le génocide des Tutsis sur le dos de tous
ner des combats contre ses hommes . Le major Jacob les Hums. La gravité de ces crimes dépasse la seule dimen-
Tumwine a reçu le plan de l'acheminement des renforts sion ethnique, ceux qui les ont perpétrés sont des sau-
pour la reprise immédiate des combats. vages qui doivent individuellement rendre des comptes.
Ce jour-là, le meneur des Interahamwe, Alphonse Pour que le lecteur puisse comprendre comment le
Ingabire alias Kayumba, qui dirigeait toutes les opéra- génocide des Tutsis a été possible, et par là comprendre
tions des Interahamwe, a été assassiné . Parmi les assas- comment le génocide des Hutus s'est produit, j'expliquerai
sins figure le lieutenant Jean-Pierre Gatashya et le sergent d'abord les faits qui ont conduit à ces génocides . Je rap-
Mugisha, « techniciens » de I'APR, qui opéraient dans porterai ce que j ' ai vu de mes propres yeux, même si par-
différentes unités . fois je ne connaissais pas les motifs de certains ordres . Je

234 RWANDA, l'HISTOIRE SECRÈTE 1994 235

commencerai par les crimes commis contre les Tutsis et sés à la politique du président Habyarimana dans sa
les combats de I'APR contre les FAR et les Interahamwe tentative de recherche de l'unité des Hutus pour résis-
depuis le 1er avril 1994 jusqu'au 31 juillet 1994 . Je rap- ter au FPR. L' on soupçonnait le général Déogratias
porterai ensuite les massacres de la fin de l'année 1994. Nsabimana, mais il a été remarqué par la suite qu ' il sou-
Le lecteur pourra ainsi comprendre comment I'APR a tenait le Président alors que d 'autres factions ne pou-
massacré des populations à cause de leur ethnie. vaient rien faire par manque d 'appui au sein de l'armée.
D'aucuns pensaient que cette information de la RTLM
Le déroulement des combats était une diversion destinée à camoufler les plans des
Dès la première semaine d'avril, l'APR avait fini les massacres.
derniers préparatifs . Toutes les armes et munitions ont Ce même jour, il a été rapporté que le général
été déterrées et chaque unité a reçu son armement. Déogratias Nsabimana aurait eu des entretiens avec le
1/4/1994 général Roméo Dallaire de la MINUAR pour lui faire
Toutes les unités ont changé de fréquences radios savoir que, selon leurs renseignements, le FPR allait
HF et VHF. De nouveaux codes ont été distribués, les reprendre la guerre.
signaux d' appel (call signs) ont également été changés ; 3/4/1994
les chargeurs de batterie ont été distribués . Cette opé- Le journaliste Habimana Kantano a annoncé sur la
ration, qui a duré trois jours, était supervisée par les RTLM que le FPR allait commettre l'irréparable (gukora
majors Bushanda et Kamiri Karege. Des spécialistes akantu) et que ce serait la fin des Tutsis . L'information a
ont même été envoyés à Kigali pour changer les fré- été reprise par Valérie Bemeriki et Gaspard Gahigi I . Nous
quences radios du 3 e bataillon . Des officiers, qui avions l' habitude de ce discours qui dévoilait le plan
n'avaient pas encore de tâches précises, ont reçu des macabre de l 'Akazu. Les membres de la CDR, du MRND
affectations et des mutations ont eu lieu parmi les et les factions Power des partis PL et MDR ne s 'en
hauts officiers . Concernant le côté gouvernemental, cachaient plus . Ils en étaient au point d' annoncer les
même si les informations étaient lacunaires, il a été attaques et de désigner les cibles qu 'ils devaient frapper.
rapporté que du matériel militaire comme des fusils et Les esprits étaient surchauffés et tout le monde sen-
des grenades, ainsi que des machettes, a été distribué à tait que la guerre allait reprendre, même si l'on n 'était
la population dans le cadre de ce qui a été appelé la pas au courant des préparatifs du FPR à Mulindi . Tout
défense civile. le monde voyait que le FPR ne pouvait pas supporter
2/4/1994
La radio RTLM a diffusé des rumeurs de coup d 'État 1 . Gaspard Gahigi était rédacteur en chef de la RTLM et Valérie
organisé par un groupe d 'officiers et des politiciens oppo- Bemeriki, journaliste, appela au massacre des Tutsis. (NdE)

236 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 237

longtemps les exigences des partis MRND/CDR/PL- L'assassinat du président Habyarimana 1


MDR Power visant à bloquer l ' application de l ' accord 5/4/1994
de paix d 'Arusha. Le président Habyarimana s ' est rendu au Zaïre, à
4/4/1994 Gbadolite, pour une courte visite chez Mobutu Sese
L' ONU a mis en garde le FPR et le gouvernement : Seko. Celui-ci lui aurait conseillé d ' accepter le gouver-
si le gouvernement issu des accords d' Arusha n ' était pas nement qui comprenait des membres du FPR et de
investi, toutes les aides allaient être interrompues . Les chercher les moyens de l ' anéantir après l'avoir accepté.
casques bleus se retireraient. Or, c' était bien ce que vou- C ' est du moins ce que certains affirment parce que le
laient les extrémistes des deux côtés : les casques bleus lendemain, en Tanzanie, il a accepté tout ce qui lui a
pouvaient empêcher le FPR de prendre le pouvoir par été demandé à la surprise générale . Le 5 avril, il a failli
la force ; pour les extrémistes du gouvernement, les être abattu à son retour du Zaïre mais il n'a pas été pos-
casques bleus constituaient un obstacle au massacre des sible de disposer les missiles à l ' endroit du tir en pleine
« collaborateurs » de l ' ennemi. Le pays se trouvait au journée.
bord de l ' abîme.
Ce jour-là, le lieutenant-colonel Charles Kayonga qui
avait interdit aux civils l ' entrée au CND savait très bien
que l' avion allait être abattu . L' état d 'alerte maximum 1 . Je suis témoin direct pour ce qui s ' est passé lors du lancement des
(standby ckiss one to all units) a été décrété dans toutes les roquettes SA-16, car j ' étais sur place. Pour le reste, c' est-à-dire la planifi-
unités . Personne ne pouvait plus recevoir de permission cation, le transport des missiles de Mulindi (quartier général de l'APR) à
ou d' autorisation de sortie . Kigali (au bâtiment du CND) et du CND à Masaka (site de l ' attentat), je
m' appuie sur des témoignages que les autres m' ont donnés ou également
sur des conversations personnelles entre moi et les gens qui ont directe-
ment ou indirectement participé à l ' une des étapes constituant l 'opération
dans son ensemble . Il s ' agit uniquement de ceux qui étaient à Mulindi
au High Command ou au 3` bataillon de l 'APR basé à Kigali à partir du
28 décembre 1993 jusque fin 1994 . Parmi les gens qui m' ont, de façon
cohérente et fiable, raconté comment les choses se sont déroulées, je peux
citer le major Jacob Tumwine, le capitaine Alphonse Kayumba, le capi-
taine Hubert Kamugisha, le capitaine George Rwakampala, le lieute-
nant Paul Karabayinga, le sous-lieutenant Aloys Ruyenzi, le lieutenant
Th . Murwanashyaka, le lieutenant J . Rubagumya, le lieutenant
A. Nyamvumba, le sergent Bélinge Muvandimwe, et d ' autres dont je ne
citerai pas les noms pour leur sécurité .

238 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 239

6/4/1994 qu' ils puissent s'emparer du pouvoir. Après les attaques


Attentat contre l'avion qui transportait le président du 8 février 1993 contre les préfectures de Ruhengeri et
Juvénal Habyarimana, son homologue burundais Byumba, qui n'ont été stoppées que par l 'intervention
Cyprien Ntaryamira, certains dirigeants politiques et du détachement français, il a constaté qu'une victoire
militaires ainsi que l' équipage. Voici la liste de ceux qui militaire du FPR était possible . Le FPR a également
étaient dans l'avion : découvert sur l'adversaire beaucoup de choses auxquelles
le général-major Juvénal Habyarimana, président du il ne s' attendait pas.
Rwanda, Il n'avait pas prévu qu'après l 'attaque du Mutara en
Cyprien Ntaryamira, président du Burundi, octobre 1990, le général-major Juvénal Habyarimana
le général-major Déogratias Nsabimana, chef d 'état- enverrait ses tueurs en différents endroits du Rwanda
major des Forces armées rwandaises, pour massacrer des Tutsis . Le FPR était ainsi averti qu' à
Cyriaque Simbizi, ministre du gouvernement burun- chaque expédition, il y aurait des représailles sanglantes
dais, contre les Tutsis . Pour le FPR, ce fut une carte à jouer
Bernard Ciza, ministre du gouvernement burundais, pendant toute la guerre, fournissant une accusation per-
le colonel Élie Sagatwa, beau-frère et conseiller par- manente contre le régime Habyarimana.
ticulier du président Juvénal Habyarimana, Le président Juvénal Habyarimana n 'a pas vu le piège
le major Thaddée Bagaragaza, fonctionnaire à la et n' a pas cherché à l'éviter. Or cette accusation dres-
présidence, sait contre lui une grande partie de la population et de
Dr Emmanuel Akingeneye, médecin du président l'opinion internationale . Cela peut paraître une simpli-
Juvénal Habyarimana, fication facile, mais cette stratégie a conduit le pays tout
Juvénal Renzaho, ambassadeur et conseiller à la droit à l'abîme.
présidence, Après avoir constaté que le FPR pourrait même s 'em-
le colonel Jean-Pierre Minaberry, pilote, parer du pouvoir par la force si les divisions persistaient
le major Jacky Héraud, pilote, parmi les Hutus, le président Juvénal Habyarimana et
l'adjudant-chef Jean-Marie Perrinne, mécanicien navi- ses proches ont pris l ' initiative de faire comprendre à
gant. tous les Hums que l 'ennemi c 'était le FPR, qu'ils devaient
Les causes de l'assassinat unir leurs forces pour le combattre au lieu de le ren-
L'état de guerre entre le FPR et le gouvernement du forcer. Comme le FPR était assimilé aux Tutsis, le pré-
Rwanda en 1990-1994 a révélé beaucoup sur les deux sident Habyarimana et son entourage ont choisi de
belligérants . J'ai déjà dit que le président Habyarimana désigner les Tutsis comme des collaborateurs ou des
avait peur du FPR et des Tutsis, mais il ne croyait pas ennemis du pays parce qu ' ils appuyaient le FPR . Les

240 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 241

Hutus ou les partis qui n' acceptaient pas cette position Préparatifs
ont été considérés comme des complices de l'ennemi. Les opportunités de l'assassinat
Pour le FPR, c ' était un gain politique. Au fur et à Plusieurs tentatives d' assassinat du président
mesure, le FPR était parvenu à montrer que le président Habyarimana ont été manquées . Parmi les possibilités,
Habyarimana était un obstacle à la paix . Sa stratégie, figurait celle de l ' abattre à bout portant sur la route . Ce
consistant à éliminer ceux qui se sont alignés derrière n' était pas facile parce qu' il avait limité ses déplacements
l'ennemi, rendait son assassinat envisageable. Par ailleurs, par voie terrestre, il ne sortait plus en dehors de Kigali.
certains membres de partis d 'opposition ont considéré Lorsqu'il était en déplacement, les forces de sécurité uti-
que sa disparition serait une bonne chose même s 'ils lisaient plusieurs stratagèmes pour que l 'on ne sache pas
n'avaient pas les moyens de l'exécuter. par quel moyen il était arrivé . Des hélicoptères et plu-
Il reste que l ' assassinat de celui qui avait bloqué l ' ac- sieurs voitures étaient mobilisés . Il avait été planifié de
cession à la démocratie et empêché le partage du pouvoir l'assassiner à Kinihira (en préfecture de Byumba) pen-
n'était pas, pour le FPR, un remède pour les Rwandais dant les négociations avec le FPR, du 19 au 25 juillet
mais le meilleur moyen de s'emparer du pouvoir. 1993 . Les exécutants n'ont pas pu accomplir le forfait
La mort du président Juvénal Habyarimana devait parce qu'il y avait plusieurs voitures remplies de gardes
occasionner des assassinats supervisés et exécutés par son du corps, de militaires du GOMN chargés de supervi-
entourage . Combattre les massacres des civils innocents ser l'arrêt des combats. Ceux qui devaient exécuter cet
pouvait constituer un prétexte valable pour reprendre attentat risquaient d 'y laisser leur peau.
les combats. En effet, les assassinats de Tutsis et de Hutus La dernière possibilité, la moins onéreuse pour le FPR-
opposés à l'extrémisme auraient lieu selon le plan connu Inkotanyi, était d'abattre l' avion transportant le prési-
de tout le monde dans le pays . Les listes avaient été notoi- dent Juvénal Habyarimana. Pour un avion aussi rapide,
rement établies et l ' information avait été relayée par il n'était pas possible d'utiliser n'importe quelle arme.
les médias . Les tueries devaient être supervisées par les Pendant la guerre du FPR contre le Rwanda, la branche
organes de sécurité, il était dès lors pensable de faire militaire disposait de missiles antiaériens SA-7B . Il y avait
un coup d'État pendant que les militaires étaient pris par peu d'opportunités d'utiliser ces armes sauf pour de petits
l'exécution des assassinats . Les massacres de Tutsis et de avions et des hélicoptères . Mais c'était une arme dans
Hutus innocents avaient déjà été perpétrés sous la super- laquelle I'APR n' avait pas confiance pour les raisons sui-
vision de hauts dignitaires du régime Habyarimana à vantes : SA-7B est un missile renfermé dans un long cof-
titre de représailles. Il n'y avait aucun doute pour le FPR fret dont une partie doit reposer sur l'épaule pour pouvoir
que de nouveaux massacres légitimeraient l 'ultime reprise viser l ' avion cible . Son fonctionnement nécessite une
des combats et la conquête du pouvoir . batterie pour le préchauffage du missile avant d'être tiré .
242 RWANDA, 1:HISTOIRE SECRÈTE 1994
243

La tête du missile est munie d 'une technologie infra- Ce type de missiles, comme les SA-7, provenaient des
rouge qui aide le missile à suivre le bruit du moteur de stocks de l ' armée ougandaise (National Resistance Army-
l'avion. NRA) aujourd ' hui appelée UPDF, Ouganda People's
Le missile SA-7B comprend une détente à double Defence Forces.
effet ; la première pression exercée sur elle connecte les Ces missiles n' ont jamais été utilisés au sein de l'APR.
batteries thermiques. Dans cette recherche du bruit du Il n'y avait qu' un seul spécialiste en la matière, nommé
moteur, la batterie se chauffe pour emmagasiner l 'éner- Frank Nziza . Il avait appris à manier les missiles Igla dans
gie nécessaire de lancement du missile. Quand la tête la NRA au quartier général de l 'armée à Bombo . En avril
chercheuse du missile a détecté suffisamment de radia- 1994, l'APR possédait seulement quatre missiles de ce
tions infrarouges émises par l'appareil cible, un signal type . Avant la planification de l ' attentat contre le prési-
sonore avertit le tireur qui enfonce la détente jusqu'à dent Habyarimana, ces missiles étaient gardés dans le
sa butée . Le détecteur infrarouge guide le missile vers stock de l'APR à Mbarara en Ouganda . Il y en avait un
l'échappement de l'avion cible. Tout cela nécessite beau- à Mulindi, au quartier général de l 'APR pour la sécurité
coup de temps de sorte qu' au moment du lancement du aérienne.
missile les avions à grande vitesse sont déjà loin. Par la suite, trois gardes du corps du major Paul
La vitesse du missile SA-7B peut atteindre 500m/s, Kagame furent sélectionnés et envoyés en formation en
c' est-à-dire 1 800km/h sur une longueur de 5 km à la Ouganda pour pouvoir utiliser ces missiles SA-16 (Igla).
poursuite de l'avion . Après 5 000 m (5 km), le missile Il s' agit des sergents Nyamvumba Andrew, Twagira Steven
n'a plus suffisamment de force et commence à décélérer et du caporal Hakizimana Eric. Les missiles qui se trou-
pour s'auto-détruire à 6 500m (6,5 km), si à cette vaient à Mbarara ont été transportés au Rwanda le 6 jan-
distance-là il n' a pas encore atteint l'avion. vier 1994, le 3 e bataillon était arrivé au CND depuis très
Ces missiles ne sont donc utilisables que lorsque peu de temps.
l'avion vole à basse altitude . Ceci exige que l'avion soit Comme je l'ai déjà expliqué, l 'utilisation du missile
abattu en phase de décollage ou d 'atterrissage . La phase SA-7 pour abattre un avion du type Falcon-50 n 'était
d' atterrissage est la mieux indiquée, car l' avion vole à pas fiable . C' est le type SA-16 (Igla) qui a été préféré
haute altitude quand il se trouve loin de l'aéroport d'atter- pour sa puissance, sa vitesse et le préchauffage qui prend
rissage, et lorsqu' il décolle, il atteint rapidement la très moins de temps . Ce type de missile peut abattre un avion
haute altitude . Il est donc important que le tireur se qui vole à une vitesse de 1 260 km/h . Le missile est lancé
trouve tout près de l'aéroport. à une vitesse de 2 000 km/h et commence à perdre de la
L'APR avait en sa possession un deuxième type de vitesse à une distance plus grande que celle du SA-7 . En
missile, le SA-16 que nous appellions SAM16 ou Igla . bref, il était beaucoup plus approprié que le SAM-7 d 'au-

244 RWANDA, L'HISTOIRE SECRETE 1994


245

tant que celui-ci aurait pu être détérioré après une longue Les missiles sont arrivés à Kigali, vers la fin janvier
conservation. 1994, cachés dans un convoi de six soldats de l 'APR sous
Le nombre de tireurs de missiles avait augmenté, les ordres du capitaine Gilbert Ruzahaza, l ' un des offi-
chaque unité mobile devait en compter au moins quatre, ciers de l'APR du 3e bataillon à Kigali . Cette équipe était
avec un nombre égal de missiles SA-7 . C 'est le lieute- accompagnée par des soldats de la MINUAR originaires
nant Alphonse Kayumba qui commandait ces tireurs . Il du Ghana ainsi que d ' un représentant de l'APR auprès
avait sous ses ordres le sous-lieutenant Frank Nziza plus de la MINUAR, le capitaine Godfrey Butare . Dès qu'ils
expérimenté mais moins gradé que lui. sont arrivés à Mulindi, le capitaine Godfrey Butare a
Introduction des missiles dans la ville de Kigali conduit les soldats de la MINUAR prétendument pour
C' est un stratagème qui avait été mis au point au préa- visiter les locaux de la direction de l 'APR, mais en fait
lable . Le FPR avait d'abord refusé tout ravitaillement en pour permettre le chargement des missiles en dehors de
nourriture sous prétexte de crainte d'empoisonnement. leurs regards . Il les a conduits sur un terrain de volley-
Il a exigé de se ravitailler lui-même à partir de Mulindi, ball pour faire passer le temps pendant que les missiles
les courses plus légères étant effectuées par l 'intermé- étaient chargés en dessous du bois de chauffage dans
diaire de ses agents aux environs et dans Kigali . Ce stra- le camion qui devait les transporter jusqu 'à Kigali au
tagème a servi pour faire entrer plusieurs soldats et Conseil national de développement . C' est le capitaine
d' autres armes non répertoriées dans la liste de la John Birasa et le lieutenant Joseph Nzabamwita qui
MINUAR II. C'est de cette manière-là également que étaient chargés d'envoyer ces missiles ainsi que des armes,
deux missiles SA-16 (Igla) ont été introduits dans la ville. des mines, des grenades et des munitions destinées aux
Quand c'était possible, le camion qui transportait le bois soldats de l' escadron Network dispersé dans le pays . Le
de chauffage de Mulindi à Kigali était également chargé chargement a été fait par les sergents Moses Nsenga et
du matériel nécessaire. Les grenades, les cartons de muni- Tumushukuru ainsi que par les caporaux Stanley
tions étaient enfouis dans des sacs de maïs ou de hari- Rwamapasi et Seromba dans un camion de marque
cots secs sous le bois de chauffage . La MINUAR n 'a Mercedes Benz 1924 vert, conduit par le caporal Eugène
jamais soupçonné cette supercherie . Des soldats étaient Safari surnommé Karakonje.
envoyés en tenue civile impeccable en tant que politi- La reconnaissance du lieu de tir des missiles
ciens du FPR, ou gardes du corps de politiciens devant L' avion du président Juvénal Habyarimana ne pou-
retourner avec eux à Mulindi . Les militaires restaient vait donc être abattu qu'en phase d' atterrissage à l 'aé-
dans la ville, d ' autres civils étaient envoyés à leur place roport de Kanombe . La colline de Masaka, non loin
à Mulindi . D'autres soldats entraient dans la ville par de l' aéroport, a été choisie comme offrant le meilleur
divers subterfuges . emplacement pour le tir.

246 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 247

Il fallait donc des militaires et des agents civils qui Une Landcruiser de Valens Kajeguhakwa 1 et une voi-
connaissaient très bien la région de Masaka . Les mili- ture officielle pour Alexis Kanyarengwe, président du
taires originaires de Masaka et des environs ont été sol- FPR.
licités . On utilisait des motos pour pouvoir s' y rendre Une petite voiture Hyundai utilisée pour les courses
et en revenir. Ceux qui les conduisaient s'habillaient en légères (achats de fruits et légumes) d ' officiers supé-
tenue d ' agronome et portaient des casques cachant le rieurs. Cette voiture a beaucoup servi pour la recon-
visage pour n' être pas reconnus . Deux véhicules ont été naissance de tous les endroits de Kigali jusqu ' à Kabuga,
utilisés dans les derniers jours avant l ' attentat : un mini- d ' où l ' on pouvait très bien observer le panorama de
bus, souvent conduit par un dénommé Jean-Marie Masaka afin de choisir l ' endroit idéal pour abattre
Munyankindi, et une camionnette, conduite par l ' avion.
Paul Muvunyi . Celui-ci a d ' ailleurs changé la peinture Il y avait une camionnette Toyota 2200 blanche dont
de la camionnette et porté sur les portières l ' inscrip- la plaque d' immatriculation était régulièrement chan-
tion : « Commune Kanombe » . Tout cela pour éviter gée . Elle était stationnée par un membre du FPR à l ' en-
les soupçons. droit où les militaires faisaient la cuisine . C ' est la même
Le sous-lieutenant Frank Nziza, qui a abattu l'avion, camionnette qui était utilisée pour ramasser les poubelles,
s ' est rendu à cet endroit deux fois : une fois le jour, une les cartons et les cannettes vides de bière ou de limo-
autre fois la nuit pour le repérage et la reconnaissance de nade Fanta.
l'endroit du lieu du tir. Sur la chaussée devant le CND, il y avait toujours des
La reconnaissance a été effectuée sous les ordres du militaires de la garde présidentielle (GP) déguisés en tra-
capitaine Hubert Kamugisha par des soldats qui ne vailleurs du MINITRAPE (ministère des Travaux publics
vivaient pas au CND . Le capitaine Charles Karamba, et de l ' Énergie) qui faisaient mine de désherber la chaus-
l'officier de renseignement du 3 e bataillon, faisait lui aussi sée . Nous connaissions leur identité par des gamins dégui-
sa propre reconnaissance en liaison avec les services à sés en enfants de la rue . C ' est ainsi que les véhicules qui
l ' intérieur du CND . Sous ses ordres, il y avait le lieu- partaient pour une commission précise évitaient de tra-
tenant Karegeya, un Hutu originaire de Kibungo qui ne verser la route devant le CND et descendaient plutôt
pouvait être suspecté à cause de sa morphologie. vers le rond-point de Kimihurura, faisaient deux ou trois
Au CND, il y avait des véhicules affectés à des tâches tours pour leurrer un éventuel poursuivant et allaient
diverses : vers leur destination.
Des camionnettes appartenant à la primature et des-
tinées aux soldats de l 'APR qui formaient les escortes des 1 . Valens Kajeguhakwa, un Tutsi, riche homme d'affaires vivant au
personnalités du FPR . Rwanda, et qui soutint financièrement le FPR . (NdE)

248 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE 1994 249

Le jour de l'attentat contre l'avion du président Juvénal subordonnés ; le major Jacob Tumwine, l' un des com-
Habyarimana, la camionnette Toyota 2200, conduite mandants de compagnie du 3 e bataillon, qui a passé une
par le sergent Didier Mazimpaka, avait déposé les deux grande partie de sa vie dans différentes unités comme
missiles à Masaka sur le lieu du tir. Le véhicule a aussi agent de renseignement . Ce dernier a suivi plusieurs for-
fait plusieurs fois le tour du rond-point, ensuite il est mations dans le domaine des opérations spéciales, du
sorti vers Remera . En attendant l' arrivée imminente renseignement de combat et des entraînements com-
de l'avion présidentiel, ledit véhicule effectuait des va- mandos . Il représentait le lieutenant-colonel Charles
et-vient entre Kabuga-Nyagasambu et la localité connue Kayonga et devait recevoir des ordres à exécuter pour le
sous le nom de 15 e (km). 3e bataillon au cas où l ' avion serait abattu. Il est parti
Plusieurs réunions avaient eu lieu pour la préparation après avoir pris connaissance du plan d' attaque de la
de l'attentat contre l'avion du président Juvénal ville de Kigali, la dernière opération, qui devait s'ache-
Habyarimana. ver sur la prise du pouvoir. Par ailleurs, les deux missiles
Auparavant, le général-major Paul Kagame avait mis étaient gardés chez lui dans sa chambre au CND . Enfin,
très peu de gens dans la confidence, dont le colonel était aussi présent le capitaine Charles Karamba, chef
Théoneste Lizinde qui avait suggéré que Masaka était le du renseignement du 3 e bataillon, qui devait donner les
meilleur emplacement pour le tir. C' est ainsi que Paul résultats de la reconnaissance des lieux par lui-même et
Kagame a donné l'ordre au lieutenant-colonel Charles par le capitaine Hubert Kamugisha . Il devait également
Kayonga, au lieutenant-colonel James Kabarebe et au donner des indications sur les positions des FAR dans
colonel Kayumba Nyamwasa d'effectuer la reconnais- la ville de Kigali afin que tout soit mis au point avant
sance du lieu. l' attaque.
La dernière réunion, qui a rassemblé plusieurs per- Des militaires, qui avaient la permission d 'entrer ou
sonnes pour donner des conclusions à ce plan, s 'est tenue qui se trouvaient à proximité du lieu de la réunion, ont
le 31 mars 1994 . Voici les noms de ceux qui étaient pré- entendu ce qui se disait dans cette réunion . Il s'agit du
sents : le général-major Paul Kagame dirigeait la réunion, sergent Aloys Ruyenzi, agent de renseignement de l ' unité
c' est lui qui a donné l'ordre d ' abattre l'avion ; le colo- du haut commandement en remplacement du lieute-
nel Kayumba Nyamwasa, chef de la DMI ; le colonel nant Silas Udahemuka qui avait été victime d ' un acci-
Théoneste Lizinde, directeur de la Documentation et dent de circulation. Le sergent Ruyenzi avait
conseiller du général-major Paul Kagame ; le lieutenant- l' autorisation d'entrer et de sortir du lieu de la réunion.
colonel James Kabarebe, chef des gardes du corps et aide Il s'agit aussi du sergent Paul Karabayinga et du sergent
de camp du général Paul Kagame par qui passaient la Peter Sempa qui étaient de garde au lieu même de la
plupart des ordres du général avant de parvenir aux réunion .

250 RWANDA, EHISTOIRE SECRETE 1994 251

Cette réunion s' est terminée sur la conclusion que, mise à Paul Kagame . Ils ont estimé que l ' avion serait au-
dès que l'opportunité s ' en présenterait, l 'avion serait dessus de Kigali vers 20 h 30 . Les ordres ont été don-
abattu. nés rapidement par téléphone satellite et devaient être
Le président de la République est sorti du pays à deux exécutés dès que l ' avion serait dans le ciel de Kigali . Son
occasions. La première fois, il s'est rendu au Zaïre le bruit était bien connu des soldats de l' APR stationnés
5 avril 1994 . Selon les informations recueillies par la à Kigali. C' était un avion très rapide, facile à reconnaître
direction de l'APR, le Président pouvait rentrer à la tom- par son bruit . Ce soir-là, différentes équipes de com-
bée de la nuit, de sorte que son avion pouvait être abattu. mandos ont été déployées à l 'endroit du tir. Les deux
Mais il est rentré un peu plus tôt. tireurs et un troisième soldat chargé de leur sécurité ainsi
La deuxième fois, c'était le 6 avril 1994 . Le président que le chauffeur se sont installés.
Juvénal Habyarimana devait se rendre au sommet des Vers 20 h 25, l'avion a été abattu par deux tireurs . Le
chefs d 'État à Dar es-Salaam en Tanzanie . Il a été abattu premier tireur, le caporal Eric Hakizimana, a touché
ce jour-là. Le problème primordial était de connaître le l'avion sur l'aile droite sans pouvoir le descendre . Le
moment et la façon dont le président Juvénal deuxième tireur, le sous-lieutenent Frank Nziza, a lancé
Habyarimana allait quitter Dar es-Salaam ainsi que le le second missile 3 ou 5 secondes après et a abattu défi-
moment où l'avion parviendrait dans le ciel de Kigali. nitivement l' avion.
Ces indications ont été données par les membres du Les prémisses de l'attentat
FPR et les officiers du renseignement extérieur (External La formation des soldats de l'APR aux combats de rue
Security) de l'APR qui se trouvaient à Dar es-Salaam . Ils (fighting in built-up areas) et celle des commandants des
travaillaient sous couvert de l'armée ougandaise et pré- unités spécialisées, décidée le 14 mars 1994, avaient été
tendaient avoir choisi cette armée pour ne pas rentrer achevées à la fin du mois.
au Rwanda . Ils étaient pourtant au service du FPR. La reconnaissance des voies par lesquelles devaient pas-
La direction de la NRA, y compris le commandant de ser les unités vers les lieux de combat était terminée.
l' armée, le général-major Mugisha Muntu lui-même, Dans le même temps, une réunion des dirigeants de
pouvait utiliser sans problème les agents de renseigne- l'APR s'était tenue à Mulindi durant trois semaines . Elle
ment de l'APR. C'est ainsi que Patrick Karegeya a été avait pour but la planification de la dernière attaque
envoyé en Tanzanie . Celui-ci est resté au sein de l 'armée devant s'achever par la prise du pouvoir. Chacun rece-
ougandaise jusqu'à la chute du gouvernement de Kigali. vait des ordres à exécuter à chaque étape du déroulement
Il a informé, à partir de Dar es-Salaam, le lieutenant- des événements . Le 4 avril 1994, le lieutenant-colonel
colonel James Kabarebe que l ' avion du président Charles Kayonga a donné l' ordre de ne plus accepter de
Habyarimana avait décollé . L' information a été trans- civils au CND afin de protéger le secret des préparatifs

252 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 253

pour l'attentat . Aussitôt après le crash de l'avion prési- culture, Agathe Uwilingiyimana du MDR, Première
dentiel, les soldats de l ' APR ont été regroupés pour enga- ministre, et son époux, Charles Shamukiga, consul
ger immédiatement les combats. du Luxembourg, ainsi que d' autres politiciens hauts
dirigeants.
Début du génocide des Tutsis Dans l' après-midi, vers 15 heures, les soldats du FPR
7/4/1994 1 sont sortis du CND, les uns sont restés pour garder l'en-
Les FAR pilonnaient, depuis l ' aube, les positions de ceinte, les autres sont partis dans des directions diffé-
l'APR au CND . Les rafles et les assassinats des opposants rentes, surtout vers les deux quartiers de Remera et
politiques par les extrémistes hutus avaient commencé Kacyiru.
avant l' aube . Furent assassinées les personnalités sui- Ce jour-là, entre 7 et 8 heures du matin, le colonel
vantes : Landoald Ndasingwa du PL, ministre du Travail, Théoneste Bagosora a convoqué une réunion des res-
Faustin Rucogoza du MDR, ministre de l'Information, ponsables du MRND dont Mathieu Ngirumpatse,
Frédéric Nzamurambaho du PSD, ministre de l 'Agri- Édouard Karemera et Joseph Nzirorera, pour mettre sur
pied un gouvernement extrémiste qui leur serait soumis
pendant les massacres des Tutsis.
1 . Après l'attentat contre l ' avion, chacun des commandos infiltrés dans Entre-temps, ceux qui étaient considérés comme des
Kigali pour diverses missions ont été en général récupérés par le High
Command et la DMI . Ceux qui le voulaient ou dont les commandants
Hutus complices du FPR dans le gouvernement de tran-
des unités demandaient qu ' ils reviennent dans leurs anciennes unités y sition ont été tués alors que les Hutus de l 'ancien gou-
sont retournés . Mon ancienne unité était la 59 e et j 'y suis reparti . Cette vernement ont été mis en sécurité dans des camps
unité a principalement combattu dans la ville de Kigali avant d ' aller à militaires pour être logés finalement à l' hôtel des
Gitarama vers fin mai et début juin 1994 . De même, à la fin du mois Diplomates avant de fuir vers Gitarama . Tout de suite,
de mai, Paul Kagame décida de créer d ' autres unités à partir des com- les massacres de Tutsis commencèrent en communes
pagnies en provenance d 'anciennes unités ajoutées aux nouvelles recrues.
Birenga, Kabarondo, Kigarama, Rutonde, Sake (en pré-
Dès lors, j 'ai été transféré au 9e bataillon . Ce dernier sera déployé de l 'autre
bout du mont Jali jusqu' à Kinihira et Base . Pour ce cas précis, je dirais fecture de Kibungo), Bicumbi, Gashora, Kanombe,
que j ' étais presque tout le temps à Kigali ou ses alentours, et donc je Kanzenze, Mbogo et Ngenda (en préfecture de Kigali
suis témoin oculaire dans la plupart des témoignages que je donne sur Ngari) ; à Nyarugenge (dans la ville de Kigali) ; en com-
le déroulement des opérations dans la ville de Kigali et ses environs durant munes Mudasomwa, Muko et Rwamiko (en préfecture
les trois mois du génocide des Tutsis . Notre nouveau bataillon n 'a quitté de Gikongoro) ; Mukingo, Nkuli, Nyarutovu et
ce déploiement que le 5 juillet, au lendemain de la prise de la ville de
Ruhondo (en préfecture de Ruhengeri) ; Kanama et
Kigali . Notre dernière destination a été Gisenyi . Là aussi, je suis témoin
direct de ce que je rapporte sur des exactions commises par certains élé- Rwerere (en préfecture de Gisenyi) et Murambi en pré-
ments de l 'APR entre juillet et novembre de l ' année 1994 . fecture de Byumba .

254 RWANDA, L°HISTOIRE SECRÈTE 1994 255

8/4/1994 fecture de Byumba) ; Rukara (en préfecture de Kibungo)


Les FAR ont investi sans difficulté au poste de Premier tandis que les tueries continuaient là où le génocide avait
ministre Jean Kambanda, un presque inconnu dans la déjà commencé.
politique rwandaise . Le but visé était de donner le pou- 9/4/1994
voir à un Premier ministre qui ne s 'opposerait pas aux Entre-temps, le 3 e bataillon du FPR continuait de se
massacres génocidaires. Ce gouvernement s'est donné le battre à Remera, Kimihurura, Kacyiru et Kicukiro sous
nom traditionnel de « libérateurs défensifs » (Abatabazi). les ordres du lieutenant-colonel Charles Kayonga, tan-
Tous les ministres étaient des Hutus, membres ou proches dis que le colonel Sam Kanyemera alias Kaka se dirigeait
du MRND. Ce gouvernement avait pour mission d'af- vers Kigali. Celui-ci prit le commandement des forces
fronter le FPR et d 'exterminer ceux qui étaient suppo- de l ' APR avançant sur Kigali après avoir reçu l 'ordre
sés être ses complices à l'intérieur. de ne tenir compte d'aucun obstacle : la MINUAR ne
Le plan de massacre des Tutsis dans la capitale exis- devait pas l'empêcher de livrer la dernière bataille qui
tait, mais les extrémistes hutus ne s 'attendaient pas à la nous sortirait de la forêt.
mort de leur Président . L'attentat a allumé une colère Les familles tutsies ont été attaquées, raflées et mas-
qui couvait déjà chez les extrémistes . Profitant du sacrées par les Interahamwe encadrés par des militaires.
désordre créé par cet assassinat, Bagosora fit éliminer par Certaines ont d 'abord été regroupées dans des églises.
la garde présidentielle, par le bataillon Recce (bataillon C'est ainsi qu' à Gikondo plus de cent Tutsis ont trouvé
chargé d'une mission de reconnaissance) et par les para- la mort.
commandos tous les politiciens qui auraient pu faire obs- Le général Paul Kagame a déclaré à Radio Muhabura
tacle à son plan . Par ailleurs, bon nombre d 'officiers qu'il n'acceptait pas le gouvernement des Abatabazi.
proches de l 'Akazu étaient convaincus que si le FPR L' unité Alpha mobile avait déjà commencé à massa-
n'avait pas été écrasé, c'était à cause des divisions sur les crer la population hutue partout sur son passage, sur-
raisons et l ' issue de la guerre. tout à Buyoga, Mugambazi et Rutongo . Ceux qui étaient
Le même jour, les massacres commencèrent en com- arrêtés sur les chemins devaient aider à porter l ' arme-
munes Gikoro et Rubungo (en préfecture de Kigali ment militaire puis étaient tués et laissés sur la route lors-
Ngari) ; Kayove et Rubavu (en préfecture de Gisenyi) ; qu'ils étaient épuisés.
Gitesi, Kivumu, Mwendo et Rutsiro (en préfecture de L' unité Alpha mobile partie en tête, les autres
Kibuye) ; Bugarama, Cyimbogo, Gatare, Gisuma, ont ensuite emboîté le pas comme Bravo mobile, la
Kamembe et Karengera (en préfecture de Cyangugu) ; 101e mobile, la 59e mobile et la Police militaire . Certaines
Musange (en préfecture de Gikongoro) ; Kinigi et unités avaient laissé des compagnies à l ' arrière pour
Cyabingo (en préfecture de Ruhengeri) ; Buyoga (en pré- prendre Byumba . Ceux qui sont restés étaient sous les

256 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994


257

ordres du colonel Steven Kalisholisho Ndugute, l ' adjoint divers endroits selon les combats, jusqu ' à la chute du
du général-major Paul Kagame. gouvernement . Ils se seraient rendus à Mukamira et à
Au Mutara, la 157e mobile a pris le chemin vers Gisenyi pour planifier les attaques avec les FAR.
Nyagatare afin de barrer la route aux militaires des FAR Début des massacres de Tutsis en communes Gishyita,
dans le croisement des routes Lyabega-Nyagatare et Gisovu, Mabanza et Rwamatamu (en préfecture de
Lyabega-Kagitumba . Ils étaient commandés par le lieu- Kibuye) ; Gafunzo, Kagano et Kirambo (en préfecture
tenant-colonel Fred Ibingira, appuyé par le lieutenant- de Cyangugu) ; Karambo, Kinyamakara, Mubuga et
colonel Eric Murokore et le major Muganga Mubarakh. Musebeya (en préfecture de Gikongoro) ; Kibari, Muhura
Ce 9 avril, l'opération française Amaryllis a été mise et Rutare (en préfecture de Byumba) et Rutongo (en pré-
en place sous prétexte d 'évacuer les ressortissants euro- fecture de Kigali Ngari).
péens des lieux de combat . L' un des agents de rensei- Une attaque d' envergure a été menée à l ' église de
gnement du FPR disséminés dans les faubourgs de Musha, dans la commune de Bicumbi, qui abritait des
l' aéroport, aurait vu atterrir à l 'aube de gros avions des- réfugiés tutsis, faisant des milliers de victimes . Il est rap-
quels on a déchargé de grosses caisses de bombes trans- porté que l ' attaque étaient supervisée par Laurent
portées ensuite par des camions Mercedes Benz des FAR Semanza, le bourgmestre qui, lui-même, portait une
vers le camp Kanombe . Après l'opération, les militaires arme ou une grenade.
français sont rentrés chez eux, n'emportant que les armes 10/4/1994
à main, laissant tout le reste du matériel de guerre aux Les journalistes Valérie Bemeriki et Noël Hitimana
militaires des FAR. ont appelé la population à déloger les Tutsis qui avaient
Les militaires français étaient supposés être tous par- trouvé refuge dans la mosquée de Nyamirambo, à Kigali,
tis mais il en restait encore à Kanombe . Ils logeaient dite « Mosquée de Khaddafi » . Ils auraient été pourchassés
dans de belles villas situées tout près du cimetière mili- et tués.
taire de Kanombe, villas actuellement occupées par Début des massacres de Tutsis en communes Satintsyi
les officiers de l 'APR. Le jour de l' attentat contre l 'avion (en préfecture de Gisenyi) ; Ndusu (en préfecture de
présidentiel, leur nombre était évalué à plus de cin- Ruhengeri) ; Kivu (en préfecture de Gikongoro) ;
quante . Nos collègues infiltrés dans le quartier de Gikomero, Mugambazi et Shyorongi (en préfecture de
Gikondo et Rebero dans le cadre du Renseignement Kigali Ngari) ; Kayonza et Rusumo (en Kibungo) et suite
nous rapportaient que les Français passaient leurs soi- des tueries ailleurs dans le pays.
rées à l' hôtel Rebero l'Horizon . Après l ' opération 11/4/1994
Amaryllis, d 'après nos sources, entre cinquante et quatre- Des Tutsis, habitant dans le quartier de Kicukiro, ont
vingts militaires français seraient restés au Rwanda dans péri par milliers . Abandonnés par la MINUAR, ils sont
258 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994
259

tombés dans les mains des Interahamwe. Certains ont Début du génocide des Hutus
été tués à l'École technique officielle (ETO), les autres 12/4/1994
ont été conduits à une école située un peu plus haut sur L'unité Alpha mobile est entrée à Kigali dans l 'enceinte
la colline de Nyanza . À leur arrivée, ils ont été accueillis du CND. Les soldats n' avaient rencontré aucune diffi-
par la garde présidentielle, les Interahamwe et d' autres culté en cours de route mais des tirs nourris les atten-
extrémistes hutus qui les ont massacrés . Le sang cou- daient à Kigali.
lait jusque sur la chaussée en contre-bas . Je ne puis cacher Sur leur parcours, les soldats de 1 'APR massacraient
que les soldats de l 'APR savaient que beaucoup de Tutsis la population civile de Byumba, tout particulièrement
avaient trouvé refuge à cet endroit . Aucune action n'a au camp de Nyacyonga où elle avait été regroupée . Le
été envisagée pour leur porter secours : le lieutenant- massacre de cette population avait été planifié et confié
colonel Charles Kayonga a volontairement refusé d 'es- au capitaine Gacinya Rugumya, IO (Intelligence Officer)
sayer de les sauver. Durant le trajet de l ' ETO à la colline de l'unité Bravo. Le haut commandement militaire avait
de Nyanza, qui a pris du temps, des soldats de l'APR, donné aux commandants de différentes unités et aux
habillés en civil et cachés parmi les Tutsis, ont réussi à agents de renseignement la consigne d 'éliminer le plus
prendre la fuite et à rejoindre le CND . Leur entraîne- grand nombre de Hutus possible, surtout si l ' on pouvait
ment militaire les avait préparés à de telles situations les trouver groupés.
et ils s' en tirèrent parce qu ' ils s' échappèrent isolément. L' équipe du capitaine Gacinya Rugumya comprenait
Les massacres se sont étendus dans les régions environ- en outre le lieutenant Rwakasisi, le lieutenant Karemera
nantes comme au Bugesera, dans les régions de Nyamata et les sous-lieutenants Jean-Baptiste Muhirwa (qui est
et Ntarama. devenu plus tard préfet de Gisenyi), John Karangwa et
Le ministre Boniface Ngulinzira a été tué par des Manassé Manzi . Ils ont été appuyés par des agents de
gardes présidentiels . Il était accusé de complot contre la renseignement subalternes et des militaires soigneuse-
République et contre ses congénères hutus pour donner ment sélectionnés par le capitaine Gacinya Rugumya.
le pouvoir au FPR et à ses complices. Le camp fut encerclé. Les militaires de l 'APR tiraient
Début des massacres de Tutsis en communes de tous les côtés pour regrouper les déplacés vers le centre.
Nyabikenke (préfecture de Gitarama) et Muhazi (pré- Celui qui tentait de fuir était arrêté, ligoté et tué à coups
fecture de Kibungo) . Ailleurs dans le pays les tueries de houe. Lorsqu' un nombre important de déplacés a
continuent . On rapporte que 15 000 Tutsis ont été dépla- forcé le dispositif pour sortir du camp, il a été fait usage
cés de leur refuge dans la cathédrale de Cyangugu au de fusils automatiques pour abattre les fuyards . Après la
stade Kamarampaka et qu 'ils y furent massacrés . destruction du camp, les rescapés du massacre furent
sommés de faire retour en arrière et canalisés vers
260 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 261

Byumba . Sur le chemin du retour, ils furent pris en C ' est le lieutenant-colonel Fred Nyamurangwa qui a
embuscade par les militaires de l'APR et tués. L' unité dirigé l' attaque sur Rebero Nyarurama.
Bravo mobile s ' est emparée de la position du mont Jali Des milliers de Tutsis ont trouvé la mort à la paroisse
d' où elle a opéré des massacres dans les localités envi- protestante de Gikomero où ils s ' étaient réfugiés, croyant
ronnantes comme Rutongo, Mugambazi, Gisozi, Kabuye, que les tueurs allaient respecter l 'église. Ils ont été fusillés,
Gasyata, etc. tués à la machette en présence et sous le regard des hauts
Les rescapés de ces massacres avaient été regroupés responsables, comme cela a été dit du ministre Jean de
pour accomplir la corvée de transport d ' armes et de Dieu Kamuhanda par un jugement du TPIR I . Selon ce
munitions . Ils furent ensuite contraints de suivre les jugement, c ' est lui qui a conduit les gendarmes et les
entraînements militaires . Le but final n' était pas d' en Interahamwe à cet endroit . Ces derniers ont regroupé
faire des soldats mais le capitaine Gacinya voulait que tout le monde avant d ' ouvrir le feu et de lancer des gre-
tous les jeunes gens viennent en masse . Ils étaient regrou- nades dans la foule, les survivants ont été tués à la
pés et ensuite tués . Les nouvelles recrues pensaient se machette et avec des gourdins plantés de clous appelés
faire enrôler pour échapper aux massacres . Ne trou- « sans pitié » ou « pas de rançon » (ntampongano) . Ce
vant personne à leur arrivée, ils étaient informés que leurs massacre a été précédé par des viols publics de filles et
aînés avaient été avancés de grade et mutés dans des de femmes tutsies triées sur le volet . C ' était l ' humilia-
classes supérieures ou avaient été envoyés au front . En tion totale.
réalité, ils avaient été tous massacrés . Par ce procédé, Le gouvernement de transition des Abatabazi s ' est
l' équipe du capitaine Gacinya a tué plus de 3 000 jeunes réfugié à Murambi en préfecture de Gitarama dans les
gens à Kabuye dans le seul mois d'avril 1994 . C ' est le locaux destinés à la formation des fonctionnaires . Il s ' est
sous-lieutenant John Karangwa qui sélectionnait les installé là-bas avant de gagner Gisenyi après la chute de
jeunes à exécuter. Gitarama.
Des Interahamwe, venant de Kigali, ont massacré des Début des massacres de Tutsis en communes Mutura
Tutsis avec l'aide de Hutus de la commune Murambi (préfecture de Gisenyi) ; Gatonde (préfecture de
dirigée par le bourgmestre Jean-Baptiste Gatete . Des Ruhengeri) et Gishoma (préfecture de Cyangugu).
massacres commis par des Hutus ont eu lieu à Zaza . Ces Ailleurs dans le pays, le génocide continue.
tueries de Zaza avaient commencé le 10 avril . L' unité
Bravo mobile et quatre compagnies de la Io 1 e mobile
1 . Jean de Dieu Kamuhanda, ancien ministre de l ' Enseignement supé-
se sont rendues au mont Jali, tandis que la 59 e s' est rieur du gouvernement intérimaire, reconnu coupable de « génocide »
d' abord avancée au CND avant d'être envoyée à Rebero et d'« extermination comme crime contre l'humanité », fut condamné par
sur la colline de Nyarurama qui surplombe Gikondo . le TPIR le 22 janvier 2004 à la prison à vie. (NdE)
262 RWANDA, EHISTOIRE SECRETE 1994 263

13/4/1994 était facile parce qu ' ils prenaient des renseignements


Depuis cette date, les unités se sont partagées les tâches auprès des familles tutsies réfugiées au CND ou au
à Kigali. stade Amahoro à Remera . Parmi ces civils, on peut citer
Le 3 e bataillon, le plus expérimenté dans la ville, a Gatete Polycarpe, Paul Muvunyi, Jean-Marie Munyan-
reçu la mission de protéger les dirigeants politiques kindi, Théoneste Mutsindashyaka et particulièrement
du FPR, d ' approvisionner en munitions le 59e mobile, Tito Rutaremara du FPR qui avait vécu à Kigali un cer-
le Iol e et Alpha mobile . L' autre tâche importante était tain temps, et encore d' autres . Les plus hauts dirigeants,
celle de délivrer les dirigeants politiques encore vivants comme Tito Rutaremara, qui ne connaissaient pas beau-
dans le camp adverse et que le FPR escomptait utili- coup de politiciens dans la ville de Kigali demandaient
ser après la prise du pouvoir. Hormis certaines personnes des renseignements à ceux qui connaissaient la ville,
qui devaient être délivrées, aucun plan de secours pour comme Deus Kagiraneza, pour désigner ceux qui
les Tutsis n ' a été mis en place . Le 3 e bataillon était au devaient être tués . Je citerai par exemple le cas
courant du massacre des Tutsis à l'ETO qui n'était pas d' Emmanuel Bahigiki qui avait été secrétaire général
loin mais il n' est jamais intervenu . Des massacres iden- au ministère du Plan et dirigeait le Centre Iwacu I . Le
tiques se sont déroulés au centre Christus de Remera, motif de son assassinat fut d' avoir déclaré être en pos-
rien n' a été entrepris pour les arrêter . Pire encore, à session d ' une liste d ' au moins cent personnes assassi-
Kimihurura, il n ' y eut aucune intervention pour sauver nées par l 'APR dans la zone tampon pour avoir refusé
les Tutsis massacrés au centre des Frères césariens, tout de suivre l ' idéologie du FPR, ainsi que des dirigeants
près des positions des militaires du 3 e bataillon de l'APR. locaux élus par la population qui refusaient l' allégeance
L' autre tâche, accomplie par le 3 e bataillon, la DMI au FPR. Son assassinat a été commandité par le capi-
et les extrémistes du FPR, a été la sélection et l ' enlève- taine Charles Karamba.
ment de Hutus partout où ils étaient faits prisonniers La 59e unité mobile avait pour mission de s' emparer
par l'APR dans la ville de Kigali . Ils étaient raflés pour de Rebero. Les autres unités devaient investir les endroits
être liquidés par la suite . Cette tâche a été accomplie qui leur avaient été montrés.
par des gens qui connaissaient bien la ville de Kigali et Début des massacres des Tutsis en communes Kibilira
par les politiciens protégés par le FPR. C ' est le capi- (préfecture de Gisenyi), Butamwa (en préfecture de Kigali
taine Charles Karamba, le capitaine Jean Damascène Ngari) . Ailleurs, le génocide continue.
Sekamana, le sergent Deus Kagiraneza et les autres
agents de renseignement qui ont établi des listes de
Hutus à tuer sous le prétexte qu'ils étaient des Hutus 1 . Le Centre Iwacu était une ONG d ' appui aux groupements et
instruits ou avaient des familles influentes . La tâche entreprises associatives . (NdE)
264 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 265

13 et 14/4/1994 refuge ou ceux qui avaient été arrêtés en chemin . Des Tutsis
Des combats intenses ont commencé à Jari entre la qui avaient une physionomie hutue ont également été
Bravo et les FAR. Massacres atroces de Tutsis dans la tués . Au début, les hommes ont été mis à part et les
région de Kabarondo en préfecture de Kibungo. femmes sont restées seules . Par la suite, le capitaine Charles
Des combats très durs ont eu lieu à Rebero . Le lieu- Karamba a donné l 'ordre de ne plus faire de tri et de tuer
tenant-colonel Fred Nyamurangwa a tenu tête pendant tout Hutu qui se réfugierait au stade sans être envoyé par
cinq jours contre les militaires, les gendarmes et les les services de sécurité du FPR.
Interahamwe. La 59e unité mobile a laissé sur le champ Le bourgmestre Ladislas Ntaganzwa, de la commune
de bataille au moins 300 soldats . À cette date, dans l'église Nyakizu, aidé par des Interahamwe et des JDR (Jeunesse
de Nyarubuye, des milliers des Tutsis furent massacrés du parti MDR), a tué des Tutsis dans les localités de
par des extrémistes Hutus. Nkakwa et Rutobwe.
La 157e unité mobile et surtout les soldats sous les ordres Début des massacres de Tutsis dans les communes de
du major Mubarakh Muganga, du capitaine Willy Bagabe Rukira (préfecture de Kibungo), Bwakira (préfecture de
et du capitaine Rugamba ont massacré les populations Kibuye) et Musambira (préfecture de Gitarama).
hutues et tutsies sans distinction parce que, disaient ces 15/4/1994
chefs militaires, il n'y avait plus de Tutsis encore en vie à Réunion entre les FAR et les officiers de l 'APR pré-
Nyarubuye et ses environs . Depuis Kiramuruzi, en pas- tendument pour chercher les voies du retour de la paix.
sant par Rukara, Kiziguro, jusqu 'à Kayonza, ces soldats Les membres de I'APR sont arrivés à la commune Giti.
étaient suivis de tueurs sous les ordres du major Wilson Ils s' étaient déjà emparés de Rutare après avoir mis en
Gumisiriza . Ils regroupaient les populations et les massa- fuite les soldats des FAR.
craient en masse ou les attachaient un à un pour les jeter De nombreux Tutsis ont été tués à la paroisse de
encore vivants dans le lac Muhazi . Par la suite, des vic- Cyahinda sous la supervision du sous-préfet Biniga . Des
times parfois vivantes étaient jetées dans la rivière Akagera. massacres de Tutsis ont eu lieu aussi à Kibungo.
Depuis le 14 avril, le tri était régulièrement effectué au Dans les localités de Nyakarambi et de Nyarubuye,
stade Amahoro : tout Hutu qui s'y était réfugié a été tué. dans la commune de Rusumo, des massacres de Tutsis
On ne posait pas de questions, un Hutu, qui était mon- ont commencé . Il ne s'agissait pas simplement de mas-
tré du doigt, était isolé et emmené pour être exécuté . Cette sacres mais aussi de viols, la femme qui résistait était
action était dirigée par le capitaine Charles Karamba, le empalée d' un morceau de bois dans le sexe . Ces atro-
capitaine Sekamana, le sergent Deus Kagiraneza et les cités ont été planifiées et supervisées par les Interahamwe,
agents de renseignement choisis par ceux-ci . Chaque jour, les gendarmes, les policiers et les extrémistes hutus . Tout
des Hutus étaient massacrés, ceux qui venaient chercher ce monde a participé à l'attaque conduite par le bourg-

266 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE 1994


267

mestre Sylvestre Gacumbitsi. Il avait reçu certaines armes Les 16, 17 et 18 avril, en commune Bicumbi sur la
de la préfecture, de la part, comme cela se disait, du colo- colline de Mwulire, des milliers de Tutsis ont trouvé la
nel Rwagafirita I . Des massacres ont eu lieu également mort à la suite d' attaques dirigées par le bourgmestre
à Nyakarambi et à la paroisse Nyarubuye les 15, 16 et Laurent Semanza et menées par ses Interahamwe, ses poli-
17 avril 1994 . Au cours de cette période, plus de ciers communaux et des Hutus extrémistes . Ils ont été
10 000 Tutsis ont été tués . À l'arrivée des soldats de tués dans l'humiliation . Des femmes étaient violées puis
l'APR, une multitude de civils ont été massacrés en repré- empalées . Sous prétexte d ' avoir refusé les avances des
sailles, leurs corps ont été mêlés à ceux des Tutsis. Hutus, elles étaient tuées à petit feu.
Début de grands massacres de Tutsis en communes Les Français ont plié bagage après l ' opération
Runda et Rutobwe (préfecture de Gitarama), Maraba et Amaryllis . Mais comme je l'ai déjà dit, un bon nombre
Nyakizu (préfecture de Butare). d' agents de renseignement seraient restés sur place jus-
16/4/1994 qu' à la fin de la guerre.
Des Tutsis, jusque-là protégés par des gendarmes à Début des massacres de Tutsis en commune Kigembe
Nyamirambo, un quartier de Kigali, ont été attaqués . Il de la préfecture de Butare.
resta peu de survivants qui se réfugièrent au collège Saint- 18/4/1994
André. Des combats intenses ont eu lieu à Kigali, surtout à
Les tueries ont commencé à Butare. Rebero (où étaient le lieutenant-colonel Nyamurangwa
Des expéditions ont été menées dans les communes et une partie de la 59 e unité mobile, Jari la Bravo), à
de Murambi, Muhazi, Rukara et aux alentours : les Kacyiru (une partie de la 59 e), Mburabuturo (une par-
Tutsis qui habitaient ces régions ont été presque tous tie de la 21 e), ainsi qu' aux alentours de Magerwa . De
massacrés. la grosse artillerie a été utilisée ce jour-là : 122 mm
Des massacres de Tutsis ont eu lieu à Mugonero, com- Howitzer/Gun (obusier), 107 mm LRM Katiusha,
mune Gishyita, en préfecture de Kibuye . Le pasteur 105 mm, 120 mm mortier et blindés.
Elizaphan Ntakirutimana, inculpé d ' implication dans Les Tutsis de la préfecture de Kibuye, plus parti-
ces massacres, fut jugé et condamné par le TPIR 2. culièrement ceux de la commune Gitesi et ceux de la
ville de Kibuye, ont été regroupés au stade Gatwaro
1. Le colonel Célestin Rwagafirita, extrémiste notoire, joua un rôle
et massacrés sans distinction, hommes, femmes,
important dans l' exécution du génocide après le 6 avril 1994 . (NdE)
2. Le pasteur Elizaphan Ntakirutimana et son fils, Gérard Ntakiruti-
vieillards et enfants . Au moins 3 000 personnes ont été
mana, furent condamnés par le TPIR respectivement à dix et vingt-cinq exécutées . Ces tueries étaient supervisées par les auto-
ans de prison pour avoir été reconnus coupables de génocide et crimes rités locales, de la tête jusqu'à l'autorité de base (nyum-
contre l' humanité. (NdE) bakumi) .

268 RWANDA, I ;HISTOIRE SECRÈTE 1994 269

Des Tutsis ont été massacrés dans l 'église de Gatare s'intensifièrent en communes Gaseke, Giciye, Kanama,
en préfecture de Cyangugu. Karago et Kayove de la préfecture de Gisenyi.
D 'autres massacres ont eu lieu en commune de 20/4/1994
Musebeya, en préfecture de Gikongoro. Des combats intenses ont eu lieu aux alentours de
19/4/1994 la ville de Byumba sous la direction du colonel Steven
La préfecture de Butare n'ayant pas répondu à l 'ap- Ndugute. L' ordre avait été donné de prendre cette ville
pel aux massacres, le gouvernement de Théodore Sindi- en trois jours . En effet, les FAR commençaient à pié-
kubwabo et Jean Kambanda s'est déplacé pour organiser ger certaines voies vers Kigali de sorte que l ' approvi-
un meeting public de destitution du préfet Jean- sionnement de Kigali en munitions commençait à se
Baptiste Habyalimana (qui sera assassiné quelques compliquer. Ensuite, les blessés et les fugitifs étaient si
semaines plus tard) et du commandant de la gen- nombreux qu' on ne pouvait plus les garder dans la ville
darmerie, Cyriaque Habyarabatuma, qui s 'opposaient de Kigali . Parmi les officiers supérieurs, le lieutenant-
aux massacres, et pour investir ceux qui accepteraient colonel Kazintwari Khaddafi était resté avec eux ainsi
l' ordre d' exterminer les Tutsis . Au cours du meeting que certaines compagnies de la 101 e unité mobile.
de Butare, le président Théodore Sindikubwabo et Les affrontements avec les FAR étaient encore en cours
le Premier ministre Jean Kambanda, tous deux origi- à Buyoga (en préfecture de Byumba) et dans les envi-
naires de cette préfecture, ont incité la population à rons. Les autres éléments avaient été laissés par les dif-
« travailler », c ' est-à-dire à « tuer » . Le Président a férentes compagnies parties pour Kigali . La ville de
ajouté : « Nous ne voulons pas d'indifférents », ceci Byumba devait être absolument prise d 'assaut. Dans les
pour dire que chaque Hutu devrait s'atteler à massa- postes avancés de Rutare, la 21 e unité mobile avait fermé
crer les Tutsis. la route qui menait à Kigali et pilonnait Byumba, Zoko,
Ce jour-là, les FAR ont tiré sur les réfugiés du stade Mutete, Nyinawimana, Butangampundu et les environs.
Amahoro à Kigali, sachant bien que ceux qui étaient res- Les soldats qui se trouvaient près de Rwesero étaient sous
tés là n'étaient que des Tutsis car presque tous les Hutus les ordres du colonel Charles Musitu.
qui s'y réfugiaient étaient systématiquement tués par des Début des massacres des Tutsis en communes Kibilira,
infiltrés du FPR, qui n'épargnait que des politiciens Mutura, Nyamyumba et Rubavu de la préfecture de
s'étant montrés proches du FPR et ceux qui faisaient par- Gisenyi.
tie de leur entourage. 21/4/1994
Le même jour, les massacres commencèrent en com- Le Premier ministre du gouvernement intérimaire,
munes Kibayi et Muganza (préfecture de Butare) ; Jean Kambanda, au micro de la radio RTLM, a remer-
Kayenzi et Taba (préfecture de Gitarama) et les tueries cié cette radio pour le « travail » accompli pendant la

270 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 271

guerre disant qu'il s' agissait « d' une arme redoutable secrets saisis ont accéléré la bataille, parce que, depuis
contre l'ennemi ». Il a continué en demandant à la popu- lors, tout ce qui se disait par radio était intercepté par
lation de répondre à l 'appel à la chasse et au massacre l'APR. L'APR connaissait ainsi le nombre de soldats sur
des Tutsis qualifiés de complices de l'ennemi. toutes les positions, leurs unités respectives et leurs chefs.
Nous avons intercepté, sur les radios saisies aux FAR, En contrebas de la paroisse de Muyanza à Buyoga, la
l'ordre donné par le haut commandement militaire au Io 1 e mobile a fermé la voie sous les ordres du lieutenant-
lieutenant-colonel Juvénal Bahufite et sa brigade de quit- colonel Kazintwari Khaddafi . Il n' est pas lui-même allé
ter Byumba . Il devait se frayer un chemin pour regrou- là-bas. Il a envoyé une compagnie dirigée par le major
per ses soldats à Gaseke juste après la colline de Zoko. Nkurunziza alias Karampenge, une seconde compagnie
Par la suite, on devait lui indiquer l'itinéraire à suivre dirigée par le major Steven Karyango, une troisième com-
pour rejoindre la commune de Kanombe (limitrophe de pagnie, dirigée par le capitaine Kamugisha qui, tué lors
Kigali) en renfort puisque des signes avant-coureurs mon- de cette opération, a été remplacé par le capitaine
traient que ce lieu allait être bientôt attaqué . Les autres Byakatonda, et enfin une quatrième compagnie diri-
devaient passer par Mugambazi et Mbogo pour rejoindre gée par le capitaine Kamuhanda alias Commando . Ce
l'OPS (secteur opérationnel) Rulindo . Ainsi, la route sont ces hommes-là qui ont reçu les ordres de nettoyer
Kigali-Ruhengeri-Gisenyi serait sous contrôle . Tout le cet endroit de toute âme qui vive. Les ordres étaient don-
plan fut donc connu de l'APR avant d ' être mis en exé- nés par le général-major Paul Kagame lui-même : il ne
cution. Toutes les voies prévues pour le passage des FAR voulait pas que l'ennemi fasse passer quoi que ce soit à
ont donc été fermées . La 21 e unité mobile a renforcé cet endroit ni qu'il reste des habitants en vie parce que
ses positions sur la voie de Gaseke tout près de Zoko, la des FAR pouvaient se dissimuler parmi eux.
2e compagnie, celle du capitaine Edward Banga de la Effectivement, toute personne qui vivait là-bas a été tuée.
59e mobile ainsi que celle du capitaine Balinda ont fermé Selon un témoin, plus de 500 personnes ont été mas-
la voie de Kiyanza à Mugambazi tout près du marché. sacrées en peu de temps. Les cadavres gisaient sur la route.
Au cours de cette nuit-là, un véhicule qui transportait Tout rescapé provenant de cet endroit a plus tard été
entre autres un lieutenant des FAR, aide du colonel pourchassé lors de la prise de la ville de Byumba . Ce jour-
Juvénal Bahufite, est tombé dans une embuscade ten- là, les FAR ont pris la fuite avec une partie de la popu-
due par les deux compagnies . L'un des passagers a trouvé lation et partout ils tombaient dans des embuscades .
la mort, les trois autres ont pris la fuite . Dans ce véhi-
cule, on a trouvé des cartes militaires indiquant toutes
les positions des FAR, les codes et les signaux d ' appels,
le système de codage, de l'argent et un pistolet . Tous ces

272 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994


273

Les massacres perpétrés par le FPR après la chute dans certaines régions, la possibilité de fuir car l ' une des
de Byumba tactiques du FPR consistait à encercler au préalable la
Après la prise de Byumba, l'APR a systématiquement région à attaquer et barrer toutes les issues de sortie . Ainsi,
tué la population civile, sans distinction d 'âge ou de sexe. par exemple, dans les pourtours de la ville de Byumba,
Je vais montrer qu'il y avait bien volonté d 'exterminer des unités de l 'APR avaient été positionnées de façon
l'ethnie des Hutus 1. que personne ne puisse sortir de la ville sans tomber sur
Après l'attentat contre l'avion du général-major Juvénal les éléments de l 'APR. Plus à l' intérieur de la préfecture,
Habyarimana, les unités de l'APR se sont déployées cette comme à Rutare, la 21 e mobile avait encerclé la région
même nuit. Elles ont pris différentes directions . L'unité et bloqué toutes les routes . La population a été ainsi déci-
Alpha CMFa été la première à prendre la direction de mée massivement et d'une façon planifiée . Ce plan visait
Kigali, sous la conduite de Sam Kanyemera alias Kaka. l' extermination de la population hutue du Nord-Est et
Dans cette nuit du 6 au 7 avril 1994, l'unité s'est diri- de l'Est, à savoir Byumba, Umutara et Kibungo, comme
gée vers Miyove et a attendu là-bas les derniers ordres du nous le montrerons plus loin.
général-major Paul Kagame. C'étaient effectivement ses Il a été dit plus haut qu 'avant le déclenchement de la
derniers ordres car tout avait été organisé auparavant première attaque, les troupes recevaient une courte visite
dans des réunions avec des commandants d ' unité. de Paul Kagame qui s 'entretenait sommairement avec
D'autres unités l'y ont rejointe. ses commandants militaires . Tout était organisé au plus
En préparant la reprise de la guerre, Paul Kagame avait haut niveau et dans les moindres détails.
également planifié, avec ses services de renseignement, Même chacune des unités non combattantes avait sa
l'élimination massive des Hutus vivant dans les régions tâche, comme le High Command, constitué en gros par
conquises par le FPR . La population civile n'avait pas, la garde rapprochée de Kagame, la DMI chargée du ren-
seignement, le département de l 'Éducation idéologique
1 . Je ne suis pas témoin oculaire des ces massacres . Ce que j ' en relate a (Political Department) . Il s 'agissait de tuer le plus grand
été la mise en commun de toutes les informations et de tous les témoi- nombre possible de Hutus et dans la plus grande dis-
gnages des militaires de l ' APR qui étaient sur place lors des forfaits de crétion.
ceux qui ont directement ou indirectement participé à ces crimes . Par Les stratégies suivantes avaient été mises sur pied :
information, je veux signifier ce qui m' a été dit parce que je l' ai expressé-
ment demandé ou seulement lors de nos conversations habituelles entre
nommer des militaires responsables des massacres pour
camarades . Parmi mes sources, je citerai à titre illustratif : major Jean exécuter le plan et faire disparaître les cadavres ; utili-
Birasa, capitaine Mugabo, lieutenant Th . Murwanashyaka, lieutenant ser la population pour le transport des munitions vers
Aloys Ruyenzi, sergent A. Muvunja, Charles Muyombano, des gardes per- des unités avancées dans la direction de Kigali . Après
sonnels de Paul Kagame qui ne veulent pas que je cite leur nom . deux ou trois tours, la population était en confiance et
274 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 275

une grande réunion était convoquée . Les jeunes étaient MRND et les réservistes militaires étaient les plus recher-
particulièrement visés par ce stratagème . Ce travail avait chés . Le stade était bondé . Le lieutenant Emmanuel
été confié au capitaine Dennis Karera. La population des Ntingingwa à la tête de 110 militaires, était épaulé par
communes frontalières de la ville de Byumba et des envi- des membres de la garde du général Kagame, des joueurs
rons, surtout celle de Cyumba, Cyungo, Buyoga, Kibali, de football de l 'APR venus de Mulindi sous les ordres
Mukarange et la localité de Buhambe, a été prise dans du lieutenant Eustache Ngenzi alias Sinawubaya, des
cet engrenage . Des rassemblements étaient organisés membres de la Police militaire et des cadres du FPR.
et la population était éliminée à la grenade et à l'arme Quatre officiers ont dirigé l'opération. Ils ont fait encer-
automatique. Nous y reviendrons . Enfin, des équipes de cler le stade et ordonné à la population de se coucher
tueurs professionnels ont été mises sur pied, encadrées à plat ventre sur le terrain . Ils ont voulu tuer les gens en
par des officiers de renseignement de la DMI et la garde leur fracassant le crâne à coups de houes, mais le nombre
personnelle du général Kagame . Elles ont été utilisées était trop élevé, c 'est pourquoi ils ont opté pour la
pour tuer la population civile dans les endroits suivants : mitrailleuse . Plus ou moins 2 500 personnes ont perdu
Le stade de la ville de Byumba . À Byumba, il y a eu la vie au bout de quelques heures.
des tueries dans divers endroits mais c 'est dans le stade Les bâtiments de l'Église épiscopale du Rwanda (EER).
que fut perpétré le plus gros des massacres . C'était le Dans l ' église, qui se trouve elle aussi dans la ville de
23 avril 1994 . La tâche avait été répartie entre les uni- Byumba, il y a eu des massacres de civils hutus . Ces mas-
tés . Le lieutenant Tom Byabagamba, qui dirigeait la garde sacres ont été planifiés par le haut commandement de
personnelle de Paul Kagame en remplacement du lieu- l'APR. Les personnes qui ne s'étaient pas rendues au stade
tenant-colonel James Kabarebe, chargé de la supervision ont été entassées dans cette église et massacrées par les
des armes lourdes, a reçu l'ordre du général Kagame membres de l'unité du haut commandement (High
de choisir des soldats pour massacrer la population . Le Command Unit) de Paul Kagame . Les massacres ont été
lieutenant Tom Byabagamba a proposé le lieutenant supervisés par le lieutenant James Ruzibiza alias
Emmanuel Ntingingwa . Celui-ci fut convoqué par Paul Ahimbisibwe, secondé par le sous-lieutenant Steven
Kagame qui lui ordonna de rassembler la population Mugisha.
dans le stade de Byumba et d' éliminer tout le monde, À Kageyo, Meshero, Mukarange, Kisaro, à l 'école pri-
sans laisser de survivants qui puissent témoigner du mas- maire de Kibali ont eu lieu des massacres qui ont fait plus
sacre. Des militaires ont sillonné les collines pour faire ou moins 6 000 victimes . Ces tueries ont été organisées,
sortir les gens de chez eux et les acheminer vers cet endroit à différentes périodes, par les officiers dont les noms sui-
sous le prétexte de fouiller les habitations à la recherche vent : le lieutenant-colonel Jackson Rwahama Mutabazi,
des armes et autre matériel militaire . Les adhérents du le lieutenant-colonel Augustin Gashayija, le major Steven
276 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 277

Balinda, le capitaine Dennis Karera, le capitaine Dan toyées par des militaires triés sur le volet, placés sous les
Munyuza, le lieutenant Théogène Rutayomba . Les mili- ordres du général-major Paul Kagame . On connaît de
taires qui ont été employés à cette besogne étaient issus nombreux exemples où il a lui-même donné l 'ordre aux
de différentes unités mais provenaient spécialement de la militaires de sa garde et à la DMI de massacrer la popu-
DMI, de la Police militaire et du High Commmand Unit. lation civile hutue . En voici quelques-uns.
Dans d'autres régions de Byumba, les massacres ont Comme je l'ai déjà dit, le travail avait été distribué selon
été organisés et exécutés par des militaires qui y tenaient les unités et chacune avait une tâche précise . Plusieurs uni-
position. Les consignes étaient données par le colonel tés combattantes étaient aux prises avec l 'ennemi. Dans
Kayumba Nyamwasa. C'est le cas notamment dans la ce face-à-face, la population civile exposée tombait sous
région de Rutare et de Kinihira. les balles. Cela se comprend . Mais une fois la région
Les cadavres ont été ensevelis dans les fosses septiques conquise par I'APR, des unités spéciales du renseignement
de la minoterie de l'homme d' affaires Félicien Kabuga, et de la mobilisation politique étaient chargées d'exécuter
sise à Byumba, d'autres ont été transportés pour être brû- les populations hutues derrière les lignes de combat.
lés dans six bâtiments du camp militaire de Byumba. Parmi les officiers de la High Command Unit qui gar-
Dans d'autres régions, la même tactique de massacrer dait Paul Kagame, il faut signaler le cas du lieutenant
des civils regroupés prétendument pour des réunions de Silas Udahemuka, responsable du renseignement . Au
sécurité ou de distribution de vivres a été utilisée . Les début de la reprise de la guerre en avril 1994, le géné-
cadavres étaient transportés par camions et enterrés dans ral Paul Kagame l 'a affecté auprès du lieutenant-colonel
les localités conquises au fur et à mesure par l 'APR. James Kabarebe pour la supervision de l 'emploi des armes
Cette opération de faire disparaître les corps a été lourdes . Mais, comme il n 'avait pas suivi d'école de
supervisée dans toute la région de Byumba par le lieu- guerre, le lieutenant-colonel James Kabarebe l'a renvoyé
tenant-colonel Jackson Rwahama avec ses officiers subal- et a demandé au général Paul Kagame de lui donner un
ternes dont le capitaine Dan Munyuza, le capitaine officier plus expérimenté en matière de combat . Il fut
Nelson Rugema, garde du corps du colonel Ndugute, et remplacé par le lieutenant Alex Masumbuko . Le lieute-
quelques officiers de la DMI. nant Silas Udahemuka fut alors envoyé au Mutara pour
organiser les massacres de la population civile de cette
Les massacres dans les régions de Byumba et Kigali région . Paul Kagame lui a demandé de se trouver un
rural adjoint expérimenté en massacre de population, ce fut
Les communes de Byumba entourant le lac Muhazi le sergent Innocent Gasana, ainsi que d ' autres soldats
dont Muhura, Giti, Murambi et d 'autres de Kibungo, qui avaient été sélectionnés pour nettoyer les communes
comme les communes Rukara et Muhazi, ont été net- du Mutara .
278 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994
279

Quand le capitaine Dan Munyuza eut terminé l'orga- sacré les Hutus de la région, l' objectif ultime étant de les
nisation des massacres à Byumba et dans ses environs, il exterminer totalement afin de créer des zones de peu-
fonça sur les communes de Giti et Muhura et fit jonc- plement pour d ' anciens réfugiés tutsis en provenance
tion avec l'équipe du lieutenant Silas Udahemuka . En d'Ouganda. Les Hutus survivants sont ceux qui ont réussi
compagnie du sergent Tharcisse Idahemuka (affecté à se cacher ou encore des indicateurs qui avaient mani-
actuellement à l 'auditorat militaire), le capitaine Dan festé du zèle à montrer les cachettes des autres . Le sort
Munyuza est passé par Rutare où il a laissé une petite de ces collaborateurs était le plus souvent la mise à mort
équipe chargée de trier les personnes à liquider parmi la pour ne pas laisser de témoins gênants.
population qui avait été forcée de s 'y réfugier. Cette petite L' opération était supervisée par le lieutenant-
équipe lui fut donnée par le commandant de la 21 e unité colonel Nyamvumba Patrick mais, sur le terrain, ce sont
commandée par le lieutenant-colonel Martin Nzaramba les capitaines Dan Munyuza et John Zigira, le lieutenant
dans cette région. L'équipe a fait jonction avec celle de Silas Udahemuka ainsi que le lieutenant Wellars Gahizi
Silas Udahemuka à Rwesero . Les deux équipes ont rejoint qui organisaient tout, non seulement les massacres en
les militaires stationnés dans le camp d'entraînement de masse mais également l ' incinération des cadavres ou leur
Gabiro. Le responsable du renseignement de ce camp, ensevelissement dans des fosses communes . Parmi les
le lieutenant Wellars Gahizi, se joignit à l 'équipe. Tous militaires qui faisaient partie de cette unité, basée à
ces soldats furent réorganisés et groupés en six compa- Karama dans la commune Muvumba, on peut citer le
gnies confiées au lieutenant-colonel Patrick Nyamvumba major Jean-Baptiste Ngiruwonsanga, le major Aloys
par le général Paul Kagame . Le stratagème de convoquer Muganga, le capitaine Tindamanyire, le capitaine Steven
les gens à de prétendues réunions afin de les massacrer Gashegu, le sous-lieutenant Assouman, le sous-lieute-
une fois regroupés avait été inventé par le capitaine John nant Nkusi, le sous-lieutenant Kirikiri, etc.
Zigira, placé sous les ordres du lieutenant-colonel La Simba mobile a semé la désolation dans la région
Nyamvumba . La réorganisation des compagnies répon- du Mutara et dans une partie de Kibungo . Ses soldats
dait à la nécessité de mieux organiser les massacres et ont circulé partout, dans les moindres recoins des com-
d' élargir la zone d ' opération. Non seulement cette zone munes Murambi, Rukara, Muhura, Muhazi, Giti et
comprenait toutes les communes du Mutara mais éga- d' autres localités pour éliminer la population locale . Ces
lement une partie des communes de Kibungo . L'unité crimes ne peuvent pas être considérés simplement comme
prit le nom de Simba mobile (simba, « lion » en swahili). des massacres, mais comme des actes de génocide.
Ils se sont déployés en petites équipes dans presque toutes Dans plusieurs autres endroits, des massacres ont été
les communes de la région dont Murambi, Rukara, organisés et exécutés par le général Paul Kagame et sa
Muhura, Muhazi, Giti . Ils ont systématiquement mas- garde personnelle . Voici des exemples précis.

280 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 281

Vers début mai, les combats se sont déplacés dans la La garde personnelle de Paul Kagame, sous les ordres
région de Musha en commune de Bicumbi . La chasse aux du lieutenant Charles Matungo, a continué l 'extermi-
populations humes a continué . Les hommes de Kagame nation des populations humes dans les régions de Gikoro
parcouraient des régions conquises à la recherche d 'en- et Kabuga en passant par Bicumbi, avec la même tech-
droits où les gens qui fuyaient les combats s 'étaient entas- nique d' exécution en masse de gens rassemblés en un
sés, afin de les massacrer. Officiellement, il s'agissait de même endroit . Beaucoup de personnes s ' étaient réfu-
rechercher des Interahamwe, mais dans le langage de giées dans les galeries des mines de Gikoro, elles ont été
Kagame et de ses hommes, Interahamwevoulait dire tout brûlées vives par la garde personnelle de Paul Kagame.
Hutu. li faut aussi noter que les Interahamwe avançaient Nul ne saura jamais le nombre des victimes . On ne peut
avec les combats et ne se faisaient jamais prendre par l'APR. pas dire que les exécutants de ces massacres n 'avaient pas
Ainsi, dans la commune Bicumbi, le général-major reçu d' ordre de leur supérieur. Dans la plupart des cas,
Paul Kagame avait décrété qu 'il ne pouvait y avoir que lorsque c'était possible, les cadavres étaient ensevelis dans
des Hutus criminels, à la solde du bourgmestre Laurent des fosses communes, ou alors ils étaient transportés à
Semanza qui s 'était illustré dans le massacre des Tutsis. Gabiro pour y être brûlés . Là où l ' on trouvait des cadavres
Tout le monde devait périr, ceux qui s ' étaient cachés de Tutsis, notamment dans des églises, des écoles ou des
devaient être trouvés et massacrés. L'opération de net- fosses communes, on y ajoutait des cadavres de Hutus
toyage de la commune Bicumbi a fait plus ou moins massacrés par l ' équipe du lieutenant Charles Matungo.
3 000 morts . Les massacres ont été exécutés par les élites Dans plusieurs communes de Byumba, il y a eu moins
de la High Command Unit, la garde personnelle de Paul de massacres de Tutsis qu'ailleurs, c'est pourtant la pré-
Kagame, conduite par le lieutenant Charles Matungo et fecture qui a été la plus touchée par les massacres de
le lieutenant Johnson Mugisha alias Pépé Kalé. Le lieu- populations hutues, exécutées par le FPR.
tenant Mugisha était un Hutu, qui était né et avait grandi 21, 22 et 23/4/1994
en Ouganda. Pris de remords, il est entré en conflit avec Une population estimée à plus de 200 000 personnes,
son collègue Matungo car il ne supportait plus que ces à laquelle s'étaient mêlés des Interahamwe, a franchi la
massacres prennent une aussi grande ampleur. Le fait frontière vers la Tanzanie et trouvé refuge dans la loca-
que ces civils innocents appartenaient à son ethnie l 'a lité de Ngara.
poussé à la révolte, surtout lorsque Mugisha avait dû Dans la préfecture de Gikongoro, la population tut-
donner l ' ordre de tirer sur la population rassemblée sur sie de la région a été regroupée dans les écoles primaires
la place du Marché de la région . Ce jeune lieutenant res- de Murambi et dans les églises de Kaduha et Cyanika.
tera lieutenant pour plus de dix ans, toujours sous sur- Leur nombre avoisinait 50 000 âmes . Elle a été exécu-
veillance permanente . tée à la machette en une nuit par les Interahamwe épau-

RWANDA, 12HISTOIRE SECRÈTE 1994


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lés par des éléments de la gendarmerie et des Hutus extré- tuer. Les uns ont été mis à mort dans le secteur
mistes . L' ordre de les exterminer a été donné par Ntaremba, tout près du bureau communal de Giti,
Théodore Sindikubwabo dans une réunion des cadres d' autres, dont les religieux, ont été tués à Karushya . Les
de la préfecture tenue le 19 avril . Parmi les personnes religieux assassinés à cette occasion sont les abbés Joseph
présentes à la réunion, on peut citer le préfet Laurent Hitimana, recteur du petit séminaire de Rwesero,
Bucyibaruta, le sous-préfet Ntegeyintwari, le bourgmestre Athanase Nkundabanyanga, son économe, Gaspard
Semakwavu et le capitaine gendarme Sebuhura . C'est le Mudashimwa, Alexis Havugimana, Faustin Mulindwa,
sous-préfet Ntegeyintwari qui a supervisé les massacres Fidèle Mulinda, Célestin Muhayimana, Augustin
exécutés par les Interahamwe ainsi que la population Mushyenderi ainsi que trois religieuses et d 'autres tra-
appelée en renfort . Les consignes avaient été données le vailleurs civils du séminaire . Ils ont été tués le 23 avril.
20 avril et mises en exécution le matin du 21 avril. Il n'y Tous ces religieux ont été assassinés à cause de leur eth-
a guère eu de survivants . La même opération a été exé- nie . Ces massacres ont été supervisés par l 'agent de ren-
cutée à Nzega non loin du chef-lieu de la préfecture de seignement Antony Rusagara.
Gikongoro. Après le départ de la 21 e mobile vers Kigali, il y avait
Après le 16 avril, certaines compagnies de la 21 e mobile dans les arrières un groupe de militaires conduits par
venaient de s'emparer d'une grande partie de la région le capitaine Dan Munyuza, les sergents Idahemuka
de Rutare (Byumba) . Elles commençaient même à lan- Tharcisse et Janvier M . dont le rôle était de ramasser
cer des bombes dans la commune Giti, tout près de et d' exécuter ceux qui n' avaient pu tomber sous les balles
Rwesero . Après la fuite des militaires des FAR, les com- de la 21 e mobile. Le groupe a abondamment massacré
battants du FPR sous le commandement du lieutenant- dans tous les secteurs de la commune Giti et pourtant
colonel Martin Nzaramba sont descendus pour faire cette commune avait été exemplaire dans la protection
jonction avec les hommes du colonel Charles Musitu des Tutsis : elle fut la seule du Rwanda dont aucun habi-
qui étaient déjà dans la région . Le 22 avril, ils ont lancé tant tutsi n'a été tué . Il y eut, à Ruzizi, à peu près 200 vic-
une offensive sur le petit séminaire de Rwesero, dans les times du fait de la 2P mobile.
localités de Ruzizi, Karushya, Ntaremba . . . Comme les Le 23 avril, des combats intenses ont opposé 1 'APR
FAR avaient pris le large, il n'y a pas eu de combats à aux FAR à Byumba et dans les collines environnantes.
proprement parler, mais plutôt des actes de tuerie sur la Les FAR ont été défaites et chassées de la ville. Des armes
population civile. lourdes dont les Katiyusha, 120 mm mortier, 14 .5 mm,
Avant de poursuivre sa route vers Kigali, le lieutenant- 122 mm sous les ordres du lieutenant-colonel James
colonel Nzaramba a donné l'ordre à ses militaires de ras- Kabarebe, ont été mises à contribution par l'APR pour
sembler les religieux et autres Hutus instruits et de les bombarder notamment les localités de Mutete, Kavumu

284 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994


285

et Zoko . L'APR interceptait et massacrait les civils en Le 22 avril, les grands massacres des Tutsis commen-
fuite . On a dénombré à peu près 400 corps . Le lieute- cèrent en communes Mugina, Mukingi, Murama,
nant-colonel James Kabarebe venait de recevoir l ' ordre Musambira, Mushubati et Ntongwe de la préfecture de
d'utiliser ces armes lourdes qui serviront dans les batailles Gitarama. Plusieurs communes de Butare comme Ndora,
à Kigali et dans les environs . Les autobus envoyés par le Shyanda et autres suivirent.
gouvernement pour évacuer la population civile ont éga- Le 23 avril, massacres en communes Nyabikenke et
lement été la cible des armes lourdes. Nyakabanda de la préfecture de Gitarama.
Le jour de la prise de Byumba, de violents combats Le 24 avril, massacres en communes Nyamabuye et
se sont déroulés également à Ruhengeri surtout dans les Runda de la préfecture de Gitarama.
régions de Nkumba et Kidaho. Le 26 avril, massacres en communes Taba et Tambwe
Le 21 avril, les massacres de Tutsis débutent en com- de la préfecture de Gitarama . Ailleurs dans le pays, les
munes Ngoma, Nyabisindu, Nyaruhengeri et Runyinya tueries continuent.
(préfecture de Butare) ; Karama (préfecture de Gikon- Le 27 avril, la commune de Birenga en préfecture de
goro) ; Masango et Ntongwe (préfecture de Gitarama). Kibungo rejoint les autres pour l' extermination des Tutsis.
Le 21 avril, en plein génocide, l'ONU prit une réso- 25/4/1994
lution réduisant les forces de la MINUAR au strict mini- Dans la capitale, beaucoup de monde s 'était réfugié
mum, abandonnant ainsi en toute connaissance de cause au stade Amahoro alors que celui-ci était bombardé à
les victimes à leur sort. l' arme lourde . De même au CND, il y avait de nom-
22/4/1994 breux réfugiés et des militaires blessés . Le FPR a com-
A Butare, le génocide des Tutsis avait commencé mencé l' évacuation des réfugiés vers Byumba . Ils étaient
depuis le 20 avril . Les cadavres commençaient à se triés à leur arrivée . A l' exception de ceux qui étaient
décomposer. Une opération de nettoyage fut décrétée. connus pour avoir été proches du FPR, les Hutus intel-
Des cadavres furent ensevelis mais cette action de « net- lectuels, les autorités, les jeunes gens et les hommes valides
toyage » signifiait également la poursuite des massacres. étaient mis à part et conduits à l 'exécution. Dans les envi-
Les 22 et 23 avril, plus de 150 Tutsis soignés à l 'hôpi- rons de la ville la population était conviée à des réunions
tal universitaire furent achevés sur leur lit par des mili- dites de « sécurité », destinées officiellement à expliquer
taires qui tuèrent aussi des employés tutsis de Médecins comment se prémunir de l 'infiltration de l' ennemi, ou
sans frontières . Les médecins étrangers, dont ceux de encore des rassemblements pour un recensement afin de
MSF, ont quitté un endroit où ils ne pouvaient plus faire faciliter la distribution de rations alimentaires . C' est à
respecter la vie humaine et où eux-mêmes étaient en dan- l' occasion de tels rassemblements que la population était
ger. Ils sont partis au Burundi . massacrée . Au même moment, d 'autres groupes de sol-

286 RWANDA, 12HISTOIRE SECRÈTE 1994 287

dats de l'APR sillonnaient les collines à la chasse des per- Les 26 et 27/4/1994
sonnes qui n'avaient pas répondu à l 'appel. Ces massacres La ville de Rwamagana est tombée en deux jours.
ont été supervisés par les hautes instances de l'APR dont Le haut commandement de l 'APR (High Command)
les colonels Frank Mugambage, Kayumba Nyamwasa, avait prévu des combats qui pouvaient durer plus long-
le lieutenant-colonel Jackson Rwahama, le major Steven temps, mais cela n' a pas été le cas.
Balinda, le capitaine Dennis Karera, John Birasa et Dans la ville de Rwamagana, la jonction a été faite
d' autres militaires de rang inférieur constitués spécia- entre les compagnies (Goys) de la 7 e mobile, comman-
lement des agents de renseignement, des PC (Political dées par le major Ngumbayingwe, et celles de la 157e
Commissars) et des militaires de la garde personnelle mobile, sous le commandement du major Kazungu assisté
de Paul Kagame. des capitaines Kwizera et Katabarwa . Entre-temps, les
Après la chute de la ville de Byumba, les massacres FAR ont envoyé des renforts pour déloger le FPR à
se sont étendus dans les périphéries et les localités éloi- Rwamagana, renforts qui sont tombés dans une embus-
gnées de la ville car il ne fallait pas que les politiciens cade de la 7 e mobile sous la supervision du lieutenant
hutus alliés du FPR et présents à Byumba constatent Emmanuel Nkundabagenzi . Celui-ci a ordonné de tirer
ces exactions . Ainsi, le 26 avril, à Kibali, Kageyo, sur les autobus transportant les soldats des FAR . Les élé-
Meshero, Kisaro et Muhondo, sous les ordres des offi- ments de la 7 e mobile ayant montré leurs performances,
ciers cités plus haut, la population a été rassemblée et les éléments de la 157e mobile ont été acheminés vers
exécutée dans les écoles primaires . Par exemple, depuis Sake, en passant par le Bugesera.
13 h 00, à Kageyo, la population avait été nombreuse C' est le 26 avril 1994 qu'un religieux espagnol, du
à se rendre à une réunion . Mais l ' on ne savait pas qui nom de Joaquim Vallmajô, a été assassiné à Byumba
allait diriger cette réunion . Finalement, se sont pré- par le lieutenant-colonel Jackson Rwahama qui s'em-
sentés le capitaine Dennis Karera et le lieutenant-colo- para de sa voiture . Ce religieux avait été appréhendé
nel Rwahama accompagnés de militaires qui devaient à Nyinawimana . Le lieutenant-colonel Rwahama a
exécuter la sale besogne . Les gens qui étaient déjà là ordonné qu' il soit acheminé à Byumba sous bonne
furent empêchés de rejoindre leur domicile pendant escorte . La tâche fut confiée à la 21 e mobile du colonel
que d' autres étaient arrêtés et ramenés sur le lieu de ras- Charles Musitu . Arrivé à Byumba, le lieutenant-
semblement. Vers 17 heures, leur nombre atteignait à colonel Rwahama l'a exécuté après lui avoir infligé des
peu près 1 500 personnes, sans compter les enfants . Le tortures atroces.
lieutenant-colonel Rwahama a donné l'ordre de tirer À Kigali, la guerre faisait rage notamment sur les
sur la foule et personne n'a survécu. monts Kigali et dans les quartiers de Nyamirambo et
À Kigali, les combats ont continué . Kacyiru .
288 RWANDA, 1:HISTOIRE SECRÈTE
1994
289

À Zaza, dans la préfecture de Kibungo, les Intera- dérés comme des Interahamwe. Ils étaient exécutés sans
hamwe auxquels se sont mêlés des éléments de la popu- sommation.
lation hutue ont massacré beaucoup de Tutsis . Les 30/4/1994
militaires du FPR qui portaient les uniformes des FAR Après de rudes combats dans les régions environ-
pillés à Gabiro (lors de l'attaque de 1990) sont arrivés nantes, le poste frontalier de Rusumo a été conquis par
dans la région et les ont pris en flagrant délit . La popu- des militaires des compagnies de la 157 e dirigées par le
lation ne s' est pas inquiétée, croyant que c ' étaient des lieutenant-colonel Eric Murokore et des commandants
militaires des FAR . Il s' agit de trois compagnies de la de compagnies dont le capitaine Willy Bagabe . À l'arri-
157e mobile sous les ordres du major Kazungu, et des vée sur les bords de la rivière Akagera, ces militaires et
capitaines Paul Katabarwa et Kwizera . Le major Wilson leurs responsables interceptaient la population en fuite.
Gumisiriza des Renseignements militaires accompa- Des personnes étaient ligotées et jetées bras et jambes
gné du capitaine Rabooni Okwiiri (un militaire ougan- liés dans la rivière.
dais devenu Inkotanyi) et du lieutenant Innocent Le Conseil de sécurité condamne les massacres mais
Kabandana réunirent la population dans l 'enceinte du n' emploie pas le terme de « génocide » . Le secrétaire géné-
petit séminaire de Zaza prétendument pour sa protec- ral, Boutros Boutros-Ghali, demande vainement une
tion et la distribution de rations alimentaires . Les sol- intervention armée.
dats tirèrent et lancèrent des grenades dans la foule. Alors que des Tutsis avaient déjà été tués en masse
Les trois compagnies ont continué leur chemin mais depuis le 7 avril, le major Dr Théogène Rudasingwa,
le major Wilson Gumisiriza est resté sur place avec un secrétaire général du FPR, a déclaré que seul le FPR pou-
groupe de militaires qu' il avait désignés dont des agents vait arrêter les massacres, que les forces de l ' ONU n'étaient
de renseignement militaire et des membres des escortes pas nécessaires . Gérald Gahima et Claude Dusaidi du
militaires . Ils sillonnèrent les campagnes en tuant les bureau politique du FPR ont confirmé cette position dans
personnes qui n 'avaient pas répondu à la réunion de une autre déclaration : « The time for UN intervention
Zaza . Zaza regorgeait de nombreux réfugiés qui sont is long past. The genocide is almost completed . Most of the
venus en masse à la réunion, mais bon nombre de per- potential victims of the regime have either been killed or
sonnes originaires de Zaza et des environs étaient res- have since fled. [. . .] Consequently, the Rwandese Patriotic
tées à la maison . L'équipe de tueurs supervisée par le Front hereby declares that it is categorically opposed to the
major Wilson Gumusiriza a massacré plus de 3 000 proposed UN intervention force and will not under any
personnes sous le prétexte de la recherche des caches circumstances cooperate in its setting up and operation . »
d'armes ou celui de la chasse aux Interahamwe, car ceux
qui ne s'étaient pas présentés à la réunion étaient consi-
RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE 1994
290 291

Mai-juin bombardements : treize victimes ont été recensées ainsi


1/5/1994 que de nombreux blessés 1 .
Depuis cette date, les militaires du FPR ont fermé Le FPR disposait d ' autres armes lourdes de ce genre
la frontière avec la Tanzanie et empêché les Hutus qui qu' il a utilisées pour bombarder des régions où il y avait
fuyaient de traverser . C ' est encore l ' oeuvre du major une grande concentration de personnes déplacées . Il en
Wilson Gumisiriza : il a ordonné et supervisé les mas- a fait usage notamment dans des endroits de la capitale
sacres . Les réfugiés en provenance des localités de Kigali dont l ' hôtel des Mille collines, le centre Saint-
Rusumo, Nyakarambi, Kirehe, Birenga, Rukira, etc ., Paul, le centre hospitalier de Kigali, le marché central
ont été regroupés puis massacrés . Les dépouilles étaient à Nyarugenge, les quartiers de Kimisagara, Biryogo
incinérées, d ' autres jetées dans la rivière Akagera. et Nyakabanda . Le marché du centre-ville et celui de
Pendant près de cinq jours, plus de 4 000 personnes Gakinjiro à Muhima ont été particulièrement visés et
ont été massacrées . Certaines ont été noyées dans bombardés également avec le 122 mm Howitzer . Les
l'Akagera, d ' autres ont été transportées à Nyarubuye personnes responsables de ces armes étaient les sui-
pour y être exécutées . Leurs cadavres ont été mélangés vantes : 122 mm Howitzer, sergent Patrick Nkusi ;
à ceux des Tutsis dans les charniers . Le major Wilson 122 mm Howitzer, lieutenant Karegeya ; 122 mm Gun,
Gumisiriza a été épaulé dans ces massacres par le lieutenant Alex Masumbuko ; 122 mm Gun, capitaine
lieutenant-colonel Murokore, le capitaine Willy Bagabe Mujinya.
et d'autres groupes formés d'agents de renseignement Ces armes lourdes étaient les seules en usage dans la
militaires. guerre de l ' APR en 1994 . Elles avaient été données par
À cette date également, l 'église Sainte-Famille à Kigali l ' armée ougandaise . Le maniement de ces armes exige
fut bombardée à l ' arme lourde (122 mm Gun) . L' arme beaucoup de militaires mais c ' est à dessein que leurs noms
était commandée par le lieutenant Alex Masumbuko, ne sont pas dévoilés, pour leur sécurité . Les militaires
tandis que les tireurs étaient des militaires dont des ougandais étaient du nombre, comme ceux déjà signa-
Ougandais comme le capitaine Mujinya, le caporal lés plus haut . Pour le bombardement de Kigali, d 'autres
Henry Oloya, le soldat Gilbert Akonaki et le soldat armes de plus petit calibre ont été utilisées comme le
Okello (il a été blessé par balles à Gikomero), le ser- 76 mm Gun du capitaine Secyanzi, le 107 mm LRM
gent Kamukama, etc.
Des Tutsis et des Hutus avaient trouvé refuge à 1 . Le lieutenant-général Roméo Dallaire, qui commandait la
l'église Sainte-Famille, mais le lieutenant-colonel James MINUAR, relate ce bombardement et l 'impute au FPR : j'ai serré la
Kabarebe a tout de même donné l'ordre de bombarder main du diable. La faillite de l'humanité au Rwanda, Québec, Libre
cet endroit . Des Tutsis ont trouvé la mort lors de ces Expression, 2003, p. 438-440 . (NdE)
292 RWANDA, I:HISTOIRE SECRÈTE 1994 293

Katiusha du lieutenant Nzaramba, le 120 mm mortier À l' église Sainte-Famille, les Interahamwe continuaient
du lieutenant Ndahiro, etc. de tuer des Tutsis, dont les jeunes gens et les hommes
Le lieutenant-colonel James Kabarebe, assisté du lieu- valides.
tenant Alex Masumbuko de la garde personnelle du géné- Une importante réunion s ' est tenue à Kibuye sous
ral-major Paul Kagame, supervisait l'utilisation de ces la direction du Premier ministre Jean Kambanda en com-
armes . Rien ne pouvait se passer sans qu 'il le sache et pagnie des ministres Édouard Karemera, Éliézer
sans son accord, notamment pour le bombardement des Niyitegeka, Emmanuel Ndindabahizi, avec les hauts res-
populations civiles. ponsables de la préfecture de Kibuye comme le préfet
A cette date, à Butare, vingt et un enfants orphelins Clément Kayishema et quelques bourgmestres . Presque
tutsis ainsi que des agents tutsis de la Croix-Rouge qui tous les Tutsis avaient été tués sauf quelques femmes épar-
soignaient ces enfants ont été tués par des Interahamwe gnées, des orphelins et des blessés qui pourrissaient à
et des extrémistes hutus. l'hôpital de Kibuye . Jean Kambanda aurait donné l 'ordre
2/5/1994 de tuer tout le monde, répétant l ' adage selon lequel « celui
Après la prise de Rusumo et d 'autres régions de qui dératise n' épargne pas les souris pleines » : il fallait
Kibungo par la 57e mobile, celle-ci s' est dirigée vers la donc tuer toutes les femmes enceintes de plusieurs mois,
ville de Kibungo. Le lieutenant-colonel Ibingira a super- les enfants et tous les autres . Les bébés et les mamans à
visé le saccage et le pillage de la ville, notamment la la maternité ont été massacrés.
paroisse, les banques, les magasins, etc . Le butin a été 4/5/1994
acheminé en Ouganda . Il a ensuite ordonné au major Les pourparlers prévus en Tanzanie entre le FPR et le
Wilson Gumisiriza et au lieutenant Muvunyi, spécialiste Gouvernement intérimaire n' ont pas eu lieu. Les FAR
de la pose des mines, de poser des bombes dans les bâti- ont passé presque toute la journée à lancer une pluie
ments résidentiels de valeur et de les faire sauter. de bombes sur les positions du FPR dans la capitale avec
3/5/1994 une riposte mesurée de l ' APR.
À. Kigali, les FAR ont repris le bombardement du bâti- Du 5 au 10/5/1994
ment du CND tandis que le bataillon 59 e mobile de Les massacres de Tutsis ont continué dans la ville de
1'APR attaquait le quartier de Nyamirambo, situé au- Kigali . Un cessez-le-feu fut signé à Gbadolite mais ne
delà de la mosquée dite de « Khaddafi » . D'autres com- fut pas respecté. La Charlie mobile de l'APR lança des
bats se déroulaient dans les quartiers de Mburabuturo, attaques dans la région de Ruhengeri à Karwasa,
Mvuzo, Gisozi, Gasyata . Depuis lors, le haut comman- Mukungwa, Musanze et Kinigi.
dement du FPR décréta d ' interrompre toute négocia- À Kigali, il y avait des combats intenses mais les bom-
tion avec le gouvernement intérimaire. bardements avaient cessé .
294 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994
295

11/5/1994 dont Kagame a ordonné le massacre et auquel il a par-


Radio Muhabura, la radio du FPR, a diffusé toute ticipé personnellement 1 .
la journée des félicitations et des chansons vantant la bra- Du 12 au 16/5/1994
voure de l 'APR Comme d' habitude, ses émissions étaient Le 15 mai, le Premier ministre, Jean Kambanda, a
ponctuées de chroniques et d'informations . Ce jour- présidé une réunion à l ' Université nationale du Rwanda,
là, Radio Muhabura a diffusé l'information selon laquelle dans l ' objectif d ' évaluer le travail d ' extermination des
le haut commandement du FPR avait mis fin au géno- Tutsis qu' il avait ordonné . Il était en compagnie des
cide des Tutsis et que les forces de l ' ONU n' étaient plus ministres Augustin Ngirabatware, Édouard Karemera,
nécessaires que pour assurer des missions humanitaires. Jean de Dieu Kamuhanda, Éliézer Niyitegeka, Justin
Autrement, elles seraient considérées comme des forces Mugenzi, Jérôme Bicamumpaka, Prosper Mugiraneza,
ennemies. Callixte Nzabonimana.
12/5/1994 Les hauts responsables de la préfecture et de
Kagame a quitté Byumba. La veille, il avait eu des l ' Université étaient présents . Il fallait éliminer les res-
entretiens avec José Ayala Lasso, haut-commissaire des capés et lancer la population dans la guerre contre le
Nations unies aux droits de l'homme . Il est passé par FPR. Il appelait la population à s ' enrôler dans les ins-
Muhura, croisant sur son chemin la population civile tances des Interahamwe et de l ' armée pour se défendre
en fuite . Il a ordonné de la rassembler puis de tirer dans contre le FPR . Il n'a pas hésité à leur prescrire d ' utili-
la foule de façon à ce que personne n'en réchappe . Il a ser des machettes, des gourdins, des lances, des arcs et
supervisé les massacres . Finalement, il est monté lui- des flèches pour repousser le FPR : c ' était un ordre
même dans sa jeep et a mitraillé la population ras- insensé . Partout où les gens ont utilisé ce type d ' arme-
semblée au canon 12 .7 machine gun antiaérien . Plus de ment, la population civile a été massacrée par le FPR
huit cents personnes furent tuées ce jour là . Avant son sans coup férir, comme à Byumba, à Kigali rural, à
départ, il a ordonné de sillonner les collines pour liqui- Kibungo et à Muyira . Au cours de la première quinzaine
der ceux qui y étaient restés terrés . Kagame était accom-
pagné de plus de cinquante militaires armés de machine 1 . Je ne suis pas témoin direct de cet épisode . Étaient présents sur les
guns, de RPG et 12.7 mm anti air craft machine gun. lieux : le lieutenant Fred Katumbura, le lieutenant Tom Byabagamba, le
Ses gardes étaient répartis dans trois jeeps et une Toyota sous-lieutenant Mugisha dit Pépé Kalé, le sergent Aloys Ruyenzi, le ser-
servant d' éclaireur et transportant une section de sol- gent Eric Ntazinda, le soldat Kimwanga Jabon, le soldat Gahizi Alain
dit « Capitaine » et d 'autres . En dehors d ' Aloys Ruyenzi et Fred Katum-
dats . Le responsable des militaires de la garde de bura, deux autres témoins figurant sur la liste ci-dessus m' ont raconté
Kagame était le lieutenant Tom Byabagamba . Il a super- comment le général-major Paul Kagame a personnellement dirigé et par-
visé le rassemblement, au marché, de cette population ticipé aux tueries de civils à Muhura .

296 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994


297

du mois de juin, une contre-offensive suicidaire de cette diat, il n'a jamais fait mention de leur mission d 'arrê-
sorte fut tentée dans les communes du nord de la pré- ter les massacres des Tutsis.
fecture de Butare . Ce fut la dernière opération de ce 19/5/1994
genre . Elle fit plusieurs milliers de victimes . Pour ceux Le lieutenant Alex Masumbuko, avec son 122 mm, a
qui y trouvèrent la mort, il n'y a pas de comptes à deman- lancé des bombes lourdes sur les salles d 'hospitalisa-
der au FPR . Le Premier ministre avait dit à cette occa- tion et de chirurgie du Centre hospitalier de Kigali . Il y
sion : « Si tu refuses de verser ton sang pour ton pays, les avait dans cet hôpital beaucoup de blessés dont bon
chiens le boiront gratuitement . » Il disait tout cela en nombre étaient des Tutsis ramassés par la Croix-Rouge
tenue militaire pour sensibiliser la population à s 'enga- sur la route où ils avaient été laissés pour morts par des
ger dans la guerre. Hutus. L'action du lieutenant Masumbuko et de ses supé-
Ailleurs, rien d 'exceptionnel ne s' est passé . Les rieurs est un acte criminel aussi car il savait très bien que
Interahamwe soutenus par le gouvernement ont conti- cet hôpital était rempli de patients dont des Tutsis qu ' il
nué à massacrer les Tutsis . Il n'y a pas eu de trêve non était censé vouloir sauver.
plus du côté de l 'APR, des militaires triés sur le volet ont 20/5/1994
continué eux aussi à massacrer la population civile hutue. La 7e mobile commandée par le colonel William Bagire
17/5/1994 a lancé une offensive sur l' aéroport international de
Le HCR a accusé le FPR de s 'être livré au massacre Kanombe, dit Aéroport Grégoire Kayibanda . Ce ne fut
de populations civiles de la région de Rusumo et de ses pas facile le premier jour.
environs. Les massacres ont continué partout dans le pays.
La résolution 918 des Nations unies fut votée. 21/5/1994
Elle préconisait l'envoi de 5 500 casques bleus de la Les combats ont continué à l ' aéroport de Kanombe.
MINUAR II . Le FPR a protesté contre l 'envoi d ' une La 7e mobile ayant enregistré des pertes importantes, l'APR
force aussi importante. changea de tactique . L'aéroport fut encerclé par de petites
Le Conseil de sécurité a décrété un embargo sur les unités issues des 7 e mobile, 59 e mobile et 21 e mobile. Il
armes contre le gouvernement rwandais. ne restait plus d 'issue de sortie ou d ' approvisionnement.
18/5/1994 Toutes les armes lourdes emmenées à Kigali ont été mises
Denis Polisi, vice-président du FPR, a déclaré que à contribution sous les ordres du lieutenant-colonel James
cette mission des casques bleus de la MINUAR II était Kabarebe. Il était accompagné d 'interprètes pour traduire
inutile si leurs préparatifs devaient durer un mois alors les messages émis par les radios des FAR. C'est ainsi qu'il
que la population souffrait . Il parlait ainsi des affamés a intercepté un message radio selon lequel les FAR et la
et des malades qui avaient besoin d ' un secours immé- population des environs devaient évacuer Kanombe et

298 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 299

emprunter le passage de Kicukiro dans la nuit du 21 au Ceux qui sont passés par Ndera ont subi le même sort :
22 mai. Or, la 7 e mobile avait fait le trajet partant de le colonel Bagire a ordonné leur exécution, y compris
Rwamagana, en passant par Muhazi et Musha, pour arri- celle des fous du centre psychiatrique de Ndera.
ver à Kabuga . Une autre colonne était passée par-dessus Le même jour, l 'hôpital militaire de Kanombe et la
les hauteurs de Gikomero puis avait emprunté l 'axe résidence du président Habyarimana tombèrent aux
Rubungo-Bicumbi. La 7e mobile est arrivée à Kigali en mains de l 'APR. Tout montrait que l'APR allait gagner
refoulant devant elle la population sur laquelle elle tirait la guerre . Quand les militaires de l'APR occupaient une
à bout portant. Les rescapés sont arrivés eux aussi dans la région, c'était définitif, mais les hauts officiers agissaient
région de Kanombe pour y chercher la protection des FAR comme si cet endroit n 'était pas pris pour de bon . C'est
qui n'ont rien pu faire. Ils se sont regroupés pour se déga- ainsi que l 'hôpital militaire de Kanombe fut pillé . De
ger par la voie de Nyanza à Kicukiro . À cet endroit, l 'APR grosses machines de l'hôpital, dont des appareils médi-
a massacré plus 2 000 personnes . Les armes étaient sur- caux et des générateurs d'électricité, furent démontées
chauffées au point de ne plus pouvoir tirer. Les soldats de et acheminées en Ouganda . Même après la guerre, cet
l'APR ont laissé les rescapés prendre la fuite. Il y eut même hôpital est resté un certain temps privé d 'électricité à
des militaires de l'APR qui périrent, piétinés par la foule cause de ce pillage.
des fuyards dans la bousculade. Du 24 au 26/5/1994
23/5/1994 Rien d'exceptionnel. L'APR s'est regroupée pour encer-
Certaines personnes, qui avaient trouvé refuge à cler la ville de Gitarama. Elle a bloqué toutes les issues
Ndera, Kabuga, etc., croyant qu'il n'y avait plus de guerre autour de Gitarama et positionné les unités mobiles 157e,
chez elles, sont revenues en passant par Gikomero où 101 e et 59e . Les massacres de Tutsis n'ont pas cessé.
étaient installées des armes lourdes 122 mm Howitzer 27/5/1994
et 122 mm Gun. Le lieutenant-colonel James Kabarebe La RTLM appelait à la résistance les Interahamwe et
ordonna que les gens interceptés à Gikomero soient ras- les Hutus qui fuyaient Kigali en masse . Le journaliste de
semblés et massacrés à l 'école primaire de Gikomero. la RTLM, Habimana Kantano, disait : « Où vont ces
Plus de 1 500 personnes y ont laissé la vie, tuées par la Hutus au gros nez qui abandonnent leur ville ? Ils vont
méthode d' agafuni, par des grenades et des balles. Il a encombrer Gitarama. Nous allons instaurer des cartes
supervisé lui-même le massacre . Il a employé les soldats de résistants, celui qui n'en aura pas aura de la peine à
de son escorte et ceux des deux compagnies de la police revenir dans Kigali . »
militaire ainsi que certains joueurs de football de l'APR, Le bourgmestre de Ngoma, Kanyabashi, a décrété
tous commis à la garde des armes lourdes. Les cadavres l'organisation de travaux communautaires pour déni-
furent brûlés, d'autres enterrés dans des fosses communes . cher les rescapés tutsis cachés dans la brousse . Cette opé-

300 RWANDA, 1:HISTOIRE SECRÈTE 1994 301

ration a continué dans la commune Mugusa jusqu ' au massacre des populations locales par ses agents de ren-
2 juin. seignement et ses PC . Tous les autres ont traversé Busoro
Le 30 mai, le Dr Théogène Rudasingwa, secrétaire en même temps . Trois compagnies de la Iol e mobile, sous
général du FPR a été cité par le journal allemand Der les ordres du major Sam Bigabiro, OPTO (Opération and
Spiegeldisant : « We are the only force that can put an end Training officer), sont venues en renfort . À leur arrivée,
to the killing, and the Hutus, too, know that ; they are just ces soldats sont repartis vers la commune de Butamwa et
as much victims as the Tutsis. » ont continué leur chemin vers Kanzenze . En atteignant
la commune Mugina, ils se sont affrontés violemment
La conquête de la préfecture de Gitarama à une colonne de soldats des FAR mêlés à des
Du 27 mai à la fin juin 1994, des combats se sont Interahamwe. Ceux-ci ont été défaits mais l 'APR est par-
engagés pour la conquête définitive de la ville de Kigali tie en laissant sur le champ de bataille beaucoup de sol-
par contournement et pour la prise de la ville de dats. Ils ont continué pour rejoindre la 157 e mobile. Une
Gitarama. fois toutes ces unités rassemblées, elles ont été déployées
Kigali ne pouvait tomber qu'à condition de combattre dans plusieurs directions différentes afin d ' encercler
les FAR de façon inhabituelle, car leurs éléments y étaient Gitarama . Une partie du 157e s'est dirigée vers Nyabisindu
encore très nombreux. De sorte que les soldats de l'APR qui a été conquise le 29 mai . Les autres ont pris la direc-
ne pouvaient rien faire . Il fallait boucler la ville en lais- tion de Kabgayi, les combats ont duré trois jours . La col-
sant une porte de sortie par la route de Shyorongi . Voici line du nom de Fatima était devenue imprenable à cause
comment l'opération a été menée. des positions indéracinables et des armements lourds des
La 59e mobile est partie de Butamwa, traversant la FAR. Le 2 juin, Kabgayi est tombée. Deux compagnies
Nyabarongo et passant par les communes de Runda et de la 157e mobile sont parties par Mukingi . La 59e mobile
Musambira, parallèlement à la route macadamisée. a traversé la route macadamisée et contourné Gitarama
Pendant ce temps, la 157e mobile avait fini de s 'emparer par le nord, toujours dans la commune de Nyamabuye,
d' une grande partie de l ' Umutara, de Kibungo et du en faisant un cercle pour rejoindre la 157 e. Les combats
Bugesera. Le 24 mai, la 157 e mobile avait rassemblé ses se sont intensifiés, nous étions le lundi 5 juin 1994.
hommes à Ruhuha en commune Ngenda. Des combats Le lendemain, une guerre sans merci a commencé sur
intenses étaient prévus de l ' autre côté du pont dit trois collines : Rucunshu et deux autres collines en face
Rwabusoro . Il y avait à cet endroit-là des positions qui de Gitarama . La 157e, la 59e et la Iol e ont combattu à
demandaient à être renforcées . Le quartier général de la cet endroit . Des combats très durs ont duré quatre jours.
157e mobile (Unit Head Quarters) s'y est installé . Le major Toutes les deux heures, la colline était prise par l'APR
Wilson Gumisiriza est resté sur place pour organiser le puis reprise par les FAR et ainsi de suite . L'enjeu de la

302 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 303

prise de cette colline était la chute de Gitarama. Pour en ont procédé à leur élimination . Ces massacres ont été
venir à bout, il a été décidé d' attaquer simultanément perpétrés par les mêmes personnes à Mututu, à Mukingi
les trois collines . La 157e a livré des combats acharnés (plus de 500 personnes ont été regroupées à Rugogwe,
pour la prise de Rucunshu . Restait la colline tout près prétendument pour une réunion, le major Wilson
du camp militaire . Elle a été attaquée par la 59 e, la 157e Gumisiriza a donné l ' ordre de les encercler et de toutes
est ensuite venue en renfort . La colline est tombée . La les tuer) ainsi qu' à Mugina.
troisième colline a été prise sans combattre car les autres Après la chute de Gitarama, beaucoup de gens qui se
étaient déjà conquises . La compagnie, dirigée par le major sont retrouvés coincés entre deux feux ont été regroupés
Wilson Kazungu, a fermé la route Kigali-Gitarama au et massacrés par le capitaine Jimmy Muyango alias
lieu-dit Mu cya kabili à Murambi, là où s ' était réfugié le Mwesigye. Le lieutenant-colonel Fred Ibingira a donné
gouvernement. Ainsi, l ' opération était terminée, une l' ordre que certaines des plus belles maisons de Gitarama
semaine avait été nécessaire jusqu' au 13 juin, pour la soient minées pour les faire sauter . Selon lui, de telles
prise définitive de la ville de Gitarama. maisons appartenaient à des Hutus qui avait de bonnes
Après la chute de Gitarama, une partie de la popu- relations avec le régime.
lation, les militaires et les rescapés de Kabgayi, consta-
tant que toutes les collines avaient été conquises, ont Le massacre des religieux â Gakurazo'
effectué une percée par un chemin qui sortait du camp Comme je l ' ai dit, la chute de Gitarama a commencé
militaire de Gitarama dans la direction de Kibuye. avec la prise de Kabgayi, le 2 juin 1994, par la
Cette route Gitarama-Kibuye avait été fermée par la
157 e mobile. Mais c ' était une foule nombreuse compre-
1 . Je ne suis pas témoin direct de ce massacre . À Gitarama, trois
nant une multitude de militaires, des véhicules, du petit
grandes unités mobiles ont participé aux combats . Il s' agit de la 59e , la
bétail, qui est tombée sur les Inkotanyi. Ceux-ci ont été 101 e et la 157e. Avant de prendre l ' axe Gitarama/Butare, la 59 e et la 101`
débordés et ont dû les laisser fuir. venaient de Kigali alors que la 157` avait parcouru tout le Mutara,
L'autre partie de la population s ' est retrouvée encer- Kibungo et une partie de Kigali rural (au Bugesera) . Les militaires qui
clée dans la ville de Gitarama et n'a pas pu fuir . Après m'ont raconté (comme témoignage pour certains et simples conversa-
avoir regroupé les gens sur les places publiques comme tions pour les autres) ce qui s' est passé à Gitarama comme sa prise, les
assassinats des religieux à Gakurazo et la conduite générale des opération
les marchés, les écoles, les terrains de football, les troupes
durant toute la période d' avril à juin 1994 (157e surtout et 101 e) sont
de l 'APR dirigées par le major Sam Bigabiro, l ' officier
les majors Wilson Kazungu, M . Muganga, le capitaine W. Bagabe, le
de renseignement Jimmy Muyango alias Mwesigye, les lieutenant Mbanzabugabo alias Mandevu, le sergent-major Butera, le
groupes d ' agents de renseignement dirigés par le major sous-lieutenant Kamaramaza, les sergents Ruzigana Emmanuel, Tumu-
Wilson Gumisiriza et le lieutenant Innocent Kabandana sifu, et d ' autres qui m 'ont prié de ne pas citer leur nom ici .

304 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 305

157e mobile. Cela s' est passé en plein jour après trois jours l'APR s'attendaient à prendre une ville déserte.
de combats intenses. Logiquement, la population aurait dû fuir les combats
En effet, un groupe de militaires des FAR s 'était retran- qui allaient s'intensifiant, d' autant plus que les voies
ché sur la colline de Fatima qui surplombe Kabgayi pour de sortie ne manquaient pas : la route Gitarama-
résister aux militaires de l'APR . Dès l'aube de ce 2 juin, Ngororero-Mukamira était encore libre, de même que
les combats étaient acharnés si bien que la 157e mobile la route Gitarama-Kibuye . Et la population n'ignorait
n'arrivait pas à en venir à bout. pas que la route vers Kigali n'était plus accessible ainsi
C'est alors que le lieutenant-colonel Fred Ibingira alla que celle qui reliait Gitarama et Butare déjà aux mains
trouver les militaires qui occupaient un bosquet d'euca- de l'APR au niveau de Nyabisindu . Ceux qui affirment
lyptus et leur tint ce discours : « Vous n'allez pas rester que les Inkotanyi ont pris Kabgayi en sachant que cette
ici à vous faire massacrer inutilement sans pouvoir ville abritait des milliers de déplacés et des dignitaires du
prendre Kabgayi . Levez-vous, tirez tous en même temps clergé se trompent. La preuve en est que lorsque les mili-
et délogez-moi ces FAR de là qu' ils nous laissent passer. » taires de l'APR déferlèrent sur Kabgayi, ils tombèrent
Les armes lourdes lâchèrent une pluie de bombes dont nez à nez avec des évêques et d'autres personnes consa-
certaines atteignirent même Kabgayi . Après avoir bom- crées et en restèrent cois.
bardé sérieusement la colline de Fatima, les militaires de Les compagnies de la 157e mobile avaient encerclé
l'APR ont continué à tirer tout en progressant ; ils ont Kabgayi et pris en même temps tous les endroits stra-
contourné cette colline et débouché sur Kabgayi. tégiques : l 'hôpital, les écoles, le grand séminaire, les cou-
Les premiers militaires qui sont entrés dans la ville de vents de religieux et, plus bas sur la route, le garage du
Kabgayi furent ceux de la 157e mobile sous les ordres du diocèse.
major Wilson Kazungu ainsi que la compagnie du capi- Il y avait à Kabgayi des milliers de déplacés tutsis, envi-
taine Willy Bagabe . Toutes les autres compagnies sont ron 30 000 personnes entassées dans le couvent de
arrivées par la suite. Kabgayi. Le lieutenant-colonel Fred Ibingira, arrivé à
A leur arrivée dans la ville de Kabgayi, les militaires l' évêché aussitôt après la chute de Kabgayi, ordonna à
de l'APR ont été fortement étonnés par la présence d' une ses commandants de frapper leurs militaires pour qu 'ils
multitude de déplacés, dont un nombre important de cessent de se mêler à la masse de déplacés. C'est à cet ins-
religieux . Et il y avait de quoi. tant précis que les évêques ont ouvert un grand por-
En effet, depuis trois jours, des balles et des bombes tail . Les militaires furent ébahis.
pleuvaient sur la colline de Fatima et dans les environs. Le lieutenant-colonel Fred Ibingira s'exclama : « N'est-
Trois jours durant, des bombes de mortiers et de Katiusha ce pas des cardinaux que je vois là ? » Ses militaires répon-
s' abattaient sur Kabgayi . C'est pourquoi les militaires de dirent par l 'affirmative . Le lieutenant-colonel Ibingira
306 RWANDA, LHISTOIRE SECRÈTE 1994
307

s' approcha des religieux, leur parla et leur demanda de Muganga et des militaires de l ' état-major de la
lui montrer leurs supérieurs . C'est ainsi qu'il découvrit 157e mobile sont également restés là . Parmi ceux-ci figu-
l'évêque Vincent Nsengiyumva qui était à l 'époque arche- raient les militaires experts des armes lourdes ainsi que
vêque de Kigali. des missiles contre de petits avions sous les ordres de leur
Dans les enseignements du FPR, on nous apprenait chef, le sous-lieutenant Patrick Kamaramaza.
que ce dernier était l'un des proches collaborateurs de Le lieutenant-colonel Fred Ibingira a ordonné au major
Mgr Perraudin qui était à l' origine du bannissement des Wilson Gumisiriza de faire de son mieux pour assurer
Tutsis du Rwanda I . Cet évêque, Vincent Nsengiyumva, la sécurité de ces religieux pendant que le lieutenant-
était en outre accusé d' être membre du Comité direc- colonel allait en parler au général-major Paul Kagame.
teur du MRND . Il y en avait d 'autres, tels les évêques Il a appelé le lieutenant Muvunyi, responsable de la
Joseph Ruzindana, Thaddée Nsengiyumva et des digni- communication sur radio HF au sein de la 157 e mobile,
taires comme Mgr Jean-Marie Vianney Rwabilinda, pour lui demander de le mettre en liaison avec le PC
Mgr Innocent Gasabwoya et des prêtres . Ci-dessous, (général-major Paul Kagame) . Le lieutenant Muvunyi a
je parlerai de ceux qui ont laissé leur vie à Kabgayi. communiqué sur les ondes de la radio militaire avec le ser-
Les simples soldats de l'APR ont continué à pour- gent Shaija Steven, signaleur du général-major Kagame.
suivre les militaires des FAR . Seuls sont restés au cou- Ce sont ces deux militaires qui ont établi la communi-
vent les gardes du corps du lieutenant-colonel Ibingira, cation entre le général-major Kagame et le lieutenant-
des agents de renseignement dirigés par le major Wilson colonel Ibingira.
Gumisiriza et une partie de son équipe de tueurs, dont Ce dernier a expliqué à Kagame qu'il avait trouvé des
des instructeurs politiques . Parmi ces derniers, je citerai milliers de déplacés à Kabgayi dont beaucoup de reli-
le lieutenant Innocent Kabandana, le lieutenant Peter gieux et parmi ceux-ci l' évêque Vincent Nsengiyumva.
Kalimba, le capitaine Rabooni Okwiiri et d 'autres mili- Paul Kagame, fort étonné, s 'est exclamé : « Cet extré-
taires de la compagnie du major John Tibesigwa alias miste vit encore ? » Il ordonna à Ibingira de tuer tous ces
Kawaida. Les gardes du corps du major Mubarakh religieux mais en secret . Ibingira répliqua que c 'était
impossible sur le lieu même de Kabgayi, vu la multitude
de gens qui y avait trouvé refuge. Kagame lui a ordonné
1 . Mgr André Perraudin fut évêque de Kabgayi de 1956 à 1989 . Il de désigner un groupe de militaires avisés qui condui-
joua un rôle très important dans les événements politiques qui aboutirent
au renversement de la monarchie et à la proclamation de la République
raient les religieux loin de Kabgayi afin de les extermi-
rwandaise. Il avait pris ouvertement parti pour les revendications des lea- ner. Il a même ordonné de supprimer toute personne,
ders hutus . Vincent Nsengiyumva lui succéda à l ' épiscopat de Kabgayi en fût-elle militaire, qui pourrait avoir le moindre soupçon
1989 . (NdE) sur le sort de ces religieux.
308 RWANDA, I;HISTOIRE SECRÈTE 1994
309

Vers 14 h 30, l ' archevêque, les évêques et d ' autres reli- de les séparer des autres puisqu ' ils avaient été conduits
gieux comme Mgr Gasabwoya, Mgr Rwabilinda, les ensemble dans la prétendue réunion de sécurité . Il n ' y
prêtres Muligo, Uwimana ainsi que le frère Nsinga ont avait plus moyen de les sauver.
été conduits par les militaires à l ' école des infirmières de Ils ont été entassés à Gakurazo ; le lieutenant-colonel
Kabgayi. Le soir, au crépuscule, l ' archévêque et les évêques Ibingira a de nouveau demandé des instructions au
ont été reconduits à l ' évêché sous bonne garde pour qu' ils général-major Paul Kagame . Ce dernier a réitéré son
ne s ' y cachent pas . Chacun en est ressorti avec un très ordre de les tuer, en précisant qu'il serait trop tard si cela
petit bagage. n'était pas fait avant le lendemain . Il a lui-même donné
En un rien de temps, tous les religieux présents ont l ' autorisation de les tuer tous, pour éviter d ' épargner
été sommés de rejoindre le groupe des évêques sous le d ' éventuels témoins gênants . Il venait ainsi de signer
prétexte d ' aller étudier la question de la sécurité du cou- la mort des Tutsis présents dans ce groupe sous prétexte
vent de Kabgayi et la façon de continuer à prendre en qu ' il n' était pas sûr de leur silence plus tard.
charge les déplacés qui s ' y étaient réfugiés . C ' était plu- Avant d ' être tués, les religieux ont été rassemblés dans
tôt un ordre qu ' une invitation. Cela a été fait par les mili- une grande salle qui leur servait de réfectoire pour ter-
taires dirigés par le lieutenant Innocent Kabandana de miner la prétendue réunion . Le lieutenant Fred Ibingira
concert avec les agents de renseignement et l ' escorte avait ordonné au capitaine Willy Bagabe, au sous-lieu-
du major Gumisiriza. tenant Patrick Kamaramaza et au sergent Butera de tuer
Près du noviciat, étaient cantonnés les militaires de la rapidement ces religieux . Le peloton d ' exécution qui est
compagnie de Willy Bagabe qui en assuraient la sécurité entré dans la salle était composé du sous-lieutenant
tandis que les autres militaires se dirigeaient vers la ville Kamaramaza Patrick et du sergent Butera ainsi que de
de Gitarama. quatre autres soldats . D ' autres militaires encerclaient les
En pleine nuit, l' agent de renseignement sergent John maisons alentours, lorsque le capitaine Willy Bagabe a
Butera a évacué en catimini tous les religieux dans la mai- donné l ' ordre de tirer. Il était lui-même resté assis dehors,
son communale de Ruhango . Il était accompagné de six en retrait, en attendant d ' apprendre que tous les religieux
autres militaires, tous désignés par le major Wilson étaient rentrés dans la salle . Les religieux ont été massa-
Gumisiriza ; certains étaient ses propres gardes . Ces reli- crés le 5 juin 1994, le soir à 19 h 10 1 .
gieux sont restés enfermés à Ruhango jusqu' au dimanche
avant-midi . Ils ont ensuite été conduits au noviciat des 1 . L'abbé Vénuste Linguyeneza était présent à Kabgayi . Il a publié
Joséphites de Kabgayi . Le lieutenant-colonel Ibingira un témoignage détaillé et concordant de l ' assassinat des religieux (trois
n' avait pas voulu les exterminer en masse, ayant appris évêques, neuf prêtres et le supérieur général des Frères joséphites) . Dia-
la présence de religieux tutsis . Mais il lui était impossible logue, n° 213, nov-déc . 1999, p . 79-88. (NdE)
310 RWANDA, LHISTOIRE SECRÈTE 1994 311

Après l'encerclement de la ville de Gitarama, Kigali français seraient rapatriés, des instructeurs et des agents
était elle aussi bouclée . Il ne restait qu 'à la faire tom- spéciaux sont restés sur place . Ces informations, nous
ber. les avions transmises au haut commandement, c 'est-à-
13/6/1994 dire au général Kagame . Tout au long de la guerre, la
À Kigali, au collège Saint-André et à l'église Charles France a été considérée comme ayant prêté main-forte
Lwanga, les Interahamwe ont tué 185 personnes par exé- aux extrémistes hutus . Le prétexte de sauver les Tutsis
cutions au jour le jour sur les 250 qui y étaient réfugiées. n'était pour nous qu' une diversion.
16/6/1994 La mission officielle des militaires de l 'opération
Arrêt des combats pour que le 3 e bataillon puisse déli- Turquoise ne nécessitait pas d 'armes spéciales dernier
vrer 60 jeunes rescapés de l'église Sainte-Famille. cri . Des policiers français auraient pu s 'occuper de cette
19/6/1994 mission humanitaire . Mais la France a envoyé des com-
Les Français décident l'opération Turquoise. mandos (Special Operations Commandos), des tireurs
23/6/1994 d ' élite et des forces d 'intervention rapide (Quick
L' ONU donne son feu vert au déploiement de l'opé- Intervention Forces) . L' armement déployé montrait que
ration Turquoise pour une mission humanitaire (réso- ces militaires venaient pour une autre mission . Ils
lution n° 929 du 23 juin). avaient 4 avions Mirage, 10 hélicoptères modernes de
combat, des avions espions (4 recce jet planes), 100 véhi-
L'opération Turquoise cules blindés pour les combats et le transport des
Nous, les membres de l'APR, considérions l'opéra- troupes, des mortiers, des canons sans recul et des
tion Turquoise comme une provocation . Cela était mitrailleuses tractées par des camions . Plus étrange
d' ailleurs ainsi perçu dans l 'opinion générale des Tutsis. encore pour une intervention de type humanitaire,
Nous continuons à penser aujourd ' hui que la France a ces militaires avaient des jeeps et des blindés mais pas
aidé les extrémistes hutus à organiser le génocide des d' ambulances, pas de bus pour le transport des per-
Tutsis. sonnes, bref aucun signe ne montrait que ces forces
Alors que l 'opération Turquoise avait pour but de sau- armées venaient au secours de gens pourchassés, bles-
ver les Tutsis, elle est arrivée sciemment en retard . En sés, que l'on devait évacuer hors de la zone de combat.
effet, les militaires français étaient au Rwanda bien avant En outre, nous avons pu avoir des informations selon
1994 . Ils connaissaient toutes les exactions perpétrées lesquelles certains de ces militaires étaient au Rwanda
à l'encontre des Tutsis . Ils n'ont jamais levé le petit doigt depuis le début de la guerre en 1990 et connaissaient
pour dénoncer les actes des Interahamwe et de la garde très bien le terrain ainsi que la façon de se battre de
présidentielle . Lorsqu'il a été décidé que les militaires l'APR.
312 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994
313

Ces raisons suffisaient à elles seules pour penser que de 10 000 personnes étaient regroupées . Ce n'était pas
ces militaires venaient pour une confrontation armée un pur hasard, mais probablement un arrangement pour
avec l'APR. montrer qu' il y avait du monde à sauver.
Peu d' informations pouvaient échapper à l'APR car Les militaires de l' opération Turquoise sont arrivés à
nos militaires infiltrés au sein des Interahamwe étaient Bisesero le 29 juin 1994 . Là, des Tutsis avaient été tués
toujours à l' oeuvre . Ils sont partis au Zaïre avec les réfu- en grand nombre . Les rescapés se cachaient encore dans
giés dans des camps à Mugunga, au lac Vert mais sur- des buissons et des forêts . Les Français, au lieu de les secou-
tout à Goma où l' on avait régulièrement des informations rir immédiatement, ont promis de revenir . Ils sont reve-
sur la situation de la ville par des agents du Network. Ce nus, mais trois jours plus tard, et le massacre des Tutsis
sont eux qui ont rapporté que les Français étaient passés rescapés avait continué . Les Français n ' ont pu évacuer
par là. que 1 000 personnes alors que la guerre était terminée.
Revenant sur les actes posés par l 'opération Turquoise, À Gikongoro, les Français ont pu sauver 5 000 per-
il est facile de comprendre que les Français n 'ont rien sonnes, ils auraient pu en sauver plus s 'ils l'avaient voulu.
sauvé . Quelques exemples. Mais ce n' était pas leur mission première . J'y reviendrai.
Les éléments de l 'opération Turquoise se sont dirigés Nous ressentions, dans I'APR, la culpabilité de ne pas
tout droit à Nyarushishi, sans aucun problème, accom- avoir sauvé de Tutsis alors que nous en avions les capa-
pagnés de journalistes 1 . On aurait dit que l'intervention cités . Mais nous pensions que les Français auraient dû
avait été préparée depuis longtemps et que c ' était une nous laisser prendre tout le pays, surtout que nos enne-
sorte de mise en scène . En effet, on a vu les Français sur mis avaient été diabolisés par le monde entier et que les
les barrières, désarmant les Interahamwe sans aucune Français faisaient cavalier seul avec le Zaïre aux côtés de
résistance et cela sous l'oeil des caméras . Nulle part ailleurs ces criminels.
on ne les a vus pour une opération de sauvetage ana- De l'avis de l'APR, l 'objectif non dévoilé de l 'opéra-
logue. On aurait dit que les Français voulaient un show tion Turquoise était de rassembler les militaires des FAR
médiatique pour soigner leur image . A Nyarushishi, plus en débandade, de rehausser leur moral et de leur per-
mettre de reprendre les combats dans les préfectures non
1 . Des milliers de Tutsis étaient réfugiés à Nyarushishi (à une dizaine encore complètement conquises comme Gisenyi,
de kilomètres de Cyangugu) . Les forces françaises Turquoise ont sécurisé Ruhengeri, Kibuye, Cyangugu et Gikongoro . Nous étions
le camp le 23 juin, conformément à l ' ordre d' opérations de Turquoise
du 22 juin : « Ain de marquer le caractère humanitaire de l ' opération,
inquiets car, même si nous étions à deux doigts de
assurer d'emblée la protection de la zone de rassemblement des personnes prendre Kigali, la guerre était encore longue . En effet,
déplacées de Cyangugu [ . . .] . » Assemblée nationale, Enquête sur la tra- ces préfectures sont parsemées de forêts denses comme
gédie rwandaise (1990-1994), t . II, Annexes, p. 387 . (NdE) Gishwati, Gihundwe, Mukura, Nyungwe et la forêt des

1994 315

Volcans . Il est facile d'y organiser une résistance, sans rieurs commençaient à donner le mauvais exemple . Voyant
oublier que la région est constituée de hautes montagnes qu'il allait être dénoncé, il a massacré tout le groupe pour
favorisant ainsi l ' attaque de l ' ennemi dans les hauteurs. éviter des témoignages à charge . Il n' a pas tué seulement
Et puis ces régions font frontière avec le Zaïre qui devait les femmes mais aussi les hommes dont beaucoup de
servir de base arrière, sans parler de l 'appui de la popu- Tutsis et quelques Hutus au nombre de 36 . Il les a exé-
lation dont bénéficiait les FAR. cutés à la méthode agafuni ou par balles. Il a été dénoncé
L' objectif de l ' opération Turquoise était de ramener par l'un de ses gardes au bord du suicide et qui consi-
les extrémistes hutus au pouvoir et donc nous considé- dérait son chef comme pire que les Interahamwe. Bigabiro
rions les Français comme nos plus grands ennemis, plus a été arrêté et emprisonné . Il a été libéré plus tard.
même que les Interahamwe. 3/7/1994
Il y a lieu de signaler que les militaires français ont La ville de Butare est tombée entre les mains des mili-
voulu nous barrer le chemin dans la lutte pour la taires du FPR conduits par le lieutenant-colonel Éric
conquête de tout le territoire rwandais . Il y a même eu Murokore.
des accrochages, notamment au rocher de Ndaba (uru- Comme d ' usage, les équipes de tueurs avaient reçu de
tare rwa Ndaba) dans la commune Mabanza, préfecture nouvelles consignes . L' équipe de la 157 e mobile qui avait
de Kibuye. Les militaires français ont échangé des tirs été opérationnelle dans le nettoyage des populations dans
avec les éléments d 'une compagnie de la 59 e mobile. Le les régions de Kibungo et Bugesera s ' est jointe à celle qui
3 juillet, à 5 kilomètres de la porte de la ville de Butare, s' était illustrée dans le massacre des populations à
il y a eu également des échanges de tirs sur la route maca- Nyabwishongwezi . Certains membres de ce dernier
damisée vers Gikongoro . Mais, finalement, les Français groupe avaient été éparpillés dans différents coins : une
ont cédé et ont laissé l 'APR conquérir tout le Rwanda partie était restée à Gabiro pour l ' incinération des
en accédant à ses frontières de Cyangugu au lac Kivu, cadavres, une autre était partie avec la DMI pour aller
dans la préfecture de Kibuye. opérer des massacres dans Kigali Ville en implantant des
abattoirs humains à Masaka, à Kami et dans d 'autres
Juillet endroits. D' autres avaient pris la direction de Ruhengeri
2/7/1994 dans le sillage des 9e , 7e, Bravo et Charlie mobile. Il s'agit
Le major Sam Bigabiro, OPTO de la Iole mobile, avait entre autres du lieutenant Gasana Emmanuel, du ser-
séquestré un groupe de gens dont des femmes tutsies. gent Deus Kagiraneza et de l'encadreur politique
Il les violentait à tour de rôle, les filles mineures ainsi que Théoneste Mutsindashyaka.
leurs mères . Elles ont fini par se révolter. Cela a provo- Le groupe de tueurs constitué à Butare sous la conduite
qué une forte rumeur selon laquelle les officiers supé- du capitaine Zigira sillonnait la région dans six autobus
316 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 317

et deux camions dont l'un transportait des fûts d 'essence d'élimination de la population de cette ville, consti
pour brûler les cadavres. Ils sont passés par Muyira, ont tuée des natifs de Butare et aussi de gens qui fuyaient
continué vers Mugusa et Ndora et sont revenus par mais n'avaient pas voulu regagner la Zone Turquoise car
Muganza et Nyaruhengeri . La tactique était toujours ils pensaient que la guerre était finie . En effet, il n'y avait
la même : la population était conviée à des réunions plus de sifflement de balles ni de bruit de bombes ; tout
de sécurité ou de distribution des vivres . Quand la foule était calme et la population n' avait donc rien à craindre.
était suffisamment nombreuse, elle était aussitôt exécu Ceux qui ont été rapidement assassinés sont les habi
tée. Dans la commune de Ndora, il y eut une particu tants de la ville restés terrés dans leurs foyers. Jour et nuit,
larité : après avoir massacré une foule innombrable à les éléments de la 157 e mobile étaient à l'oeuvre. Ils ramas
Gisagara, le 5 juillet, le capitaine Zigira (Political saient les habitants un à un dans le secret . D'autres étaient
Commissar) a envoyé le reste de la population à Save où appelés pendant la journée à des réunions de sécurité . Les
elle a été a nouveau regroupée puis tuée. hommes valides, les intellectuels étaient conduits dans les
locaux de l ' Université nationale du Rwanda pour être
Les massacres à Butare assassinés . Les massacres dans la ville de Butare ont été
Le 3 juillet, c' est la prise de la ville de Butare par les organisés par des officiers qui y sont restés dont le major
éléments de la 157e mobile sous les ordres du lieutenant- Wilson Gumisiriza, le capitaine Okwiiri Rabooni, le lieu-
colonel Eric Murokore . Le lieutenant-colonel Fred tenant Innocent Kabandana et le lieutenant Peter Kalimba.
Ibingira était devenu commandant en chef des opéra L' équipe des tueurs, dans le sillage de la 157 e, qui avait
tions (Operation Commander) regroupant la 157e mobile organisé des massacres tout au long de la guerre, notam
et la 15e mobile. Alors que certains éléments de la 15T ment à Kibungo, au Bugesera (Mayange, Gako, Nzagwe,
gardaient la ville de Butare, d' autres ont continué leur Ruhuha) et dans les communes de Muyira jusqu 'à
chemin jusque dans les communes frontalières du Nyabisindu, était à l' oeuvre également dans Butare . Elle
Burundi et de la préfecture Gikongoro, à la lisière de ; était composée d 'agents de renseignement et de deux
la forêt de Nyungwe . Mais ils ne sont pas allés plus loin pelotons. Elle était dirigée par le lieutenant Wilson (nom
car au-delà c 'était la Zone Turquoise, occupée par les inconnu), épaulé par les sergents Ntegano Mathieu,
Français, zone qui s' étirait jusqu'à Cyangugu . Depuis un Burabyo, et Rukeba ainsi que d 'autres agents de rensei
certain temps, la 15 e mobile avait été mise sur pied sous gnement . Les consignes et les ordres étaient donnés par
les ordres de Paul Katabarwa, pour s'occuper spéciale le major Gumisiriza et le lieutenant Kabandana . Ils ont
ment de Gikongoro. regroupé la population dans la forêt (arboretum) entou
Les compagnies de la 157e mobile, restées dans la ville rant l' université, dans les locaux de l'école agri-vétérinaire
de Butare avec leur état-major, ont planifié une politique de Rwasave ou dans la forêt de Huye . Plusieurs strata-

RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 319


318

gèmes ont été inventés pour massacrer ces gens à partir d' apprêter toutes sortes d ' armes et de positionner ses
du 3 juillet 1994. hommes en contrebas du mont Kigali, sur la route
L' opération de ramassage des habitants un à un dans en direction de Nzove, pour empêcher la population
la ville de Butare a été abandonnée de peur qu ' elle ne de fuir 1 .
soit éventée . On a commencé par les habitants qui Kagame a donné cet ordre sur radio Motorola, qui
s ' étaient réfugiés à Tumba et dans les périphéries de la conque possédait cette radio a pu capter le message . Il
ville de Butare. L' opération a commencé le 12 juillet. fallait tirer sur cette masse de gens et personne ne devait
Après avoir noté l ' identité de chacun, on a pris un temps s' échapper. L' ordre était clair.
pour laisser passer la peur et faire venir beaucoup de Il a dit la même chose à ceux qui manipulaient les
monde. Ensuite, ils ont été transportés par camions à armes lourdes se trouvant sur le mont Jali, sur le mont
l'école agri-vétérinaire de Butare . Avant d ' être tuées à la Kigali et à Rebero . La population, qui fuyait en masse,
houe ou par balles, certaines personnes répondaient à de fut bombardée de tous côtés . Dans cette opération un
longs interrogatoires pour signaler tel ou tel qui aurait nombre indéterminé (certainement plusieurs milliers)
tué un Tutsi, ou pour désigner les habitations des auto de personnes furent tuées.
rités et d ' autres personnes influentes de la région . Ces Le colonel William Bagire reçut également l ' ordre de
gens identifiés étaient recherchés la nuit et éliminés . Plus Kagame de positionner la 7e mobile à Shyorongi pour
de 1 750 personnes ont été ainsi tuées à Kabutare, mais tirer sur la population en fuite qui avait emprunté ce
le nombre total est de loin supérieur car cela a duré long chemin . Les compagnies de cette unité furent déployées
temps avant que les personnes extérieures ne le sachent. dans la région sur différents axes et massacrèrent plu
Pour camoufler ce forfait, l'APR a exhumé les cadavres. sieurs milliers de gens . Des camions puisaient de l ' es
Ils furent ensuite transportés dans des camions dans la sence à la station de Kabuye et approvisionnaient les
forêt de Nyungwe aux lieux-dits Kamiranzovu et Muwa tueurs pour l' opération d ' incinération des cadavres sous
senkoko pour y être également incinérés . Ce travail de la supervision des capitaines Vincent Nyakarundi,
transport et d ' incinération a duré quelques cinq mois, Diogène Mudenge et du lieutenant Kagarura . Les restes
jusqu' au mois de décembre 1994. des corps étaient évacués par d'autres camions.
Le pillage de la ville de Kigali ne s' est pas fait en un
La chute de Kigali, le 4 juillet 1994 jour. Il s' est déroulé globalement comme suit.
Massacres et pillages ont accompagné la chute de
Kigali, comme nous le verrons plus loin. 1 . J 'ai personnellement entendu le général-major Paul Kagame don
Le général-major Paul Kagame a personnellement ner l'ordre, par radio walkie talkie, au colonel Charles Ngoga de massa
appelé le colonel Charles Ngoga pour lui donner l'ordre crer les civils fuyant la ville de Kigali .
1994
320 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 321

Quatre jours avant la prise de Kigali, 1'APR avait capté Rusagara, le capitaine Eugène Haguma et le lieutenant
un message radio des FAR qui donnait l 'ordre à toutes Théogène Rutayomba, etc.
les unités de sortir de la ville pour se réorganiser. Depuis La consigne était de piller notamment tout objet de
le 1 e` juillet, il y eut des tentatives de vider la Banque valeur, des marchandises et de récolter l ' argent des
nationale afin que l 'argent liquide soit transporté à la banques . Tout cela devait être versé dans le patrimoine
suite du gouvernement en fuite . Le lieutenant-colonel du parti (icyama) FPR. Ces officiers, épaulés par leurs
James Kabarebe a, depuis lors, ordonné le bombarde- subalternes, n'ont pas manqué évidemment de piller pour
ment incessant des lieux stratégiques : les banques, la leur propre compte.
Radio Rwanda, pour empêcher le gouvernement des Parmi les objets pillés, il y avait des appareils électro -
Abatabazi d'emporter quoi que ce soit. Le général-major ménagers de toutes sortes (cuisinières, machines à laver,
Paul Kagame avait ordonné formellement de ne rien lais- réfrigérateurs . . .), des groupes électrogènes, du matériel
ser sortir, surtout de la Banque nationale du Rwanda. médical, des véhicules neufs en attente de dédouane-
On a positionné des armes lourdes pour le bombarde- ment et ceux abandonnés par leurs propriétaires dans la
ment aux alentours de la BNR jusqu'à ce que l'APR se débandade, des matériaux de construction, des appareils
rende maître des lieux : deux 122 mm, trois 14 .5 four hi-fi, des ordinateurs, des meubles, etc ., sans oublier évi-
barreL des 23 mm et des mortiers de toutes sortes. dement l 'argent des banques . Bref, tout ce qui présen-
À part les agents de la BNR qui ont pu emporter tait une certaine valeur était pillé, acheminé au Mutara,
quelques billets dans leurs poches ou dans de petites tout près de Nyagatare où est érigé actuellement un vil-
mallettes, les fonds de la BNR sont restés intacts . Il y lage dédié aux invalides militaires . Un autre dépôt avait
avait aussi l'argent liquide emporté par le gouverne- été aménagé à Rwagitima.
ment pour son usage courant à Gitarama . Sinon, le gros Ce matériel pillé était gardé par des agents de la DMI
est resté dans les coffres de la BNR et a été emporté par ou des membres de la garde personnelle de la trésorière
le FPR comme butin de guerre . Mais, à des fins de pro- du FPR, Aloysia Inyumba, comme le sous-lieutenant
pagande, le FPR a crié haut et fort qu'il avait trouvé les Anthony Murindahabi.
caisses de la BNR vides, pillées par le gouvernement en D' autres hauts officiers ont pillé pour leur propre
fuite. compte . Les petits soldats et les encadreurs politiques
Le pillage de la ville de Kigali fut organisé systéma- ont suivi l ' exemple en ramassant les miettes restées
tiquement sous les ordres du colonel Kayumba notamment dans les maisons résidentielles.
Nyamwasa, qui s' est choisi des hommes de confiance Lorsque le propriétaire était trouvé, il était tué ou inti-
dont le lieutenant-colonel Jackson Rwahama Mutabazi, midé avant d' être spolié de ses biens . Il s'agissait de l'opé-
le major Rose Kanyange Kabuye, le major Frank ration dite kubohoza, cela n'a jamais été sanctionné par
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le haut commandement de l' armée qui était au cou- conquises complètement, dont Ruhengeri et Gisenyi,
rant de ces agissements. ainsi que les régions occupées par l ' opération Turquoise.
De son côté, Kagame a envoyé ses gardes du corps au En outre, des éléments des FAR avaient été détournés
pillage . Ils se servaient les premiers et personne ne pou- pour tuer des Tutsis et avaient oublié la guerre.
vait les contrarier, prétextant qu ' ils pillaient pour le Maintenant que le travail d ' exterminer les Tutsis était
compte d'Afande Kagame . Ces équipes de Kagame étaient fini, les FAR pouvaient se concentrer sur la guerre pro-
composées notamment du lieutenant Maridadi, officier prement dite et lancer des contre-attaques . Tout cela
d'administration (Administrative Officer) du haut com- inquiétait l 'APR. La solution fut de mobiliser toutes les
mandement, du sergent Steven Ruzibiza Kabasha et armes lourdes pour la poursuite des FAR . Ils furent bom-
du lieutenant Mitima qui a succédé au lieutenant bardés dans leur fuite jusqu ' à leur faire quitter le pays,
Maridadi pour cette opération . Avec leurs escortes, les ainsi que les populations civiles.
précités avaient un camion Mercedes Benz pour trans- Muhondo se situe entre la commune Shyorongi et
porter le butin . Cette opération a duré un mois . Cette Musasa. C' est dans cet endroit que les soldats des com-
équipe avait la priorité et n'hésitait pas à faire sortir un pagnies A, B et C de la Bravo mobile ont trouvé une
propriétaire de sa maison ou de son magasin pour prendre population nombreuse, fatiguée de marcher, qui avait
ce dont Paul Kagame avait besoin. fait une halte pour s' asseoir et prendre du repos . Les offi-
5/7/1994 ciers supérieurs, le major Bagret Ruzibiza, le major
Les militaires français ont fui la ville de Gisenyi, les Zubaire Rubayiza et le major Hassan Lumumba sont
uns vers Goma, au Zaïre, les autres vers Cyangugu . Il arrivés. Dès qu' ils ont vu cette foule de plus de 2 500 per-
ont abandonné le gouvernement des Abatabazi dans la sonnes fatiguées, le major Bagret Ruzibiza a demandé au
ville de Gisenyi. lieutenant-colonel Charles Kayonga ce qu 'ils devaient
6/7/1994 en faire . Certains étaient assis, d 'autres allongés à même
La guerre était terminée . Restait à pousser définiti- le sol . Le lieutenant-colonel Charles Kayonga était resté
vement les FAR défaits hors du Rwanda . Mais des ques- en retrait avec d 'autres militaires . Il répondit : « Dès que
tions restaient posées et certains pensaient qu ' une guerre je vais arriver, vous devez avoir fini de liquider tous ces
plus rude était probable après la réorganisation des FAR. imbéciles . » Ces officiers, le major Zubaire Rubayiza, le
Et cela pour plusieurs raisons : les FAR n'avaient pas été major Hassan Lumumba et le major Bagret Ruzibiza
vaincues en raison d ' une quelconque incapacité mais n' avaient peut-être pas l ' intention de massacrer tout ce
parce qu' elles avaient été attaquées sur plusieurs fronts monde, mais ils ont obéi à l ' ordre du lieutenant-colonel
à la fois et souvent à l'improviste sans pouvoir organiser Kayonga, implacable à cause du pouvoir exorbitant qui
des contre-attaques . Il y avait des régions non encore lui avait été donné par le général-major Paul Kagame . À

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l'arrivée du lieutenant-colonel Charles Kayonga, tout le ceux qui s' y présentaient étaient tués . Ils ont quitté les trois
monde n' était pas mort . Il a alors supervisé le massacre communes et sont partis à Kidaho où ils ont rejoint une
jusqu' au dernier I . autre équipe de tueurs redoutables du lieutenant
La Bravo mobile a continué la poursuite des FAR et Emmanuel Gasana alias Rurayi . Les deux équipes se sont
de la population rescapée jusqu ' à Rushashi, puis vers transformées en encadreurs politiques . Ils convoquaient
Mukingo, Nkuli, ensuite Karago, Giciye et le reste de la la population pour leur enseigner l 'idéologie du FPR et
sous-préfecture de Kabaya. repéraient ceux qui devaient être tués nuitamment par les
Jusqu' au 11 juillet, il y eut de rudes combats dans les hommes du lieutenant Emmanuel Gasana Rurayi.
communes Mbogo, Tumba et Tare . Les combats se sont 11/7/1994
déplacés jusque dans la commune Cyeru où la 9 e mobile Une première vague massive de réfugiés s' est retrou-
est intervenue puis a continué en contournant par vée à Gisenyi et à Goma.
Ntaruka pour arriver dans la région de Kidaho et 14/7/1994
Nkumba et y rejoindre la Charlie. Ruhengeri est tombée après de durs combats qui ont
Les tueries de la population civile dans les communes eu lieu à Karwasa, Kinigi et dans les périphéries de la
Cyeru, Nyamugali et Nyarutovu ont été exécutées par une ville . Les militaires, y compris les officiers, dont le géné-
équipe de militaires de la DMI . La méthode, toujours ral de brigade Kabiligi, ont fui la ville de Ruhengeri et
la même, consistait à appeler la population à des réunions. se sont dirigés vers Nyakinama . Une autre colonne a fui
Quand leur nombre était suffisant, on commençait alors en suivant la route macadamisée vers Gisenyi.
à les tuer systématiquement . Cette équipe de tueurs était 16/7/1994
sous l' autorité du sergent Deus Kagiraneza, assisté par des Des combats acharnés ont eu lieu entre les unités
encadreurs politiques (abakada) dont Théoneste 9e, Charlie et les FAR dans le camp militaire de
Mutsindashyaka . Ils avaient une camionnette Daihatsu Mukamira . Les FAR ne voulaient pas abandonner ce
bleue de la DMI, transportant des militaires et des sacs de camp avant de finir le chargement de leur matériel mili-
provisions alimentaires . Quand ils arrivaient dans une taire et de mettre le reste hors d 'état de nuire notam-
région, ils convoquaient chaque fois une réunion et tous ment en l 'incendiant . Le gros de la Charlie mobile est
passé derrière le camp Bigogwe pour barrer la route aux
militaires convoyant les armes lourdes . La guerre s 'est
1 . Je ne suis pas témoin direct . Seulement, j ' ai écouté les conversa-
tions par radio portable entre le lieutenant-colonel Charles Kayonga et le
donc déroulée le long de cette route . James Kabarebe
major Ruzibiza . Le reste m 'a été confié par deux militaires qui étaient était dans la région avec des armes lourdes 14 .5 mm
présents lors des massacres . Ils me prient de ne pas citer leur nom pour (4 barrel), 23 mm, 76 mm Canon, 107 mm, 122 mm
ne pas risquer leur vie . Howitzer.
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Sur les arrières, les 7 e et Bravo étaient prêtes à inter- Lors de la prise de Gisenyi 1 , deux avions Mirage ont
venir pour prêter main-forte aux 9 e et Charlie en action. survolé la ville à grande vitesse pour nous intimider et
Quand elles ne combattaient pas, ces unités (7 e et Bravo) nous dissuader de traverser la frontière à la poursuite des
pourchassaient les gens qui n' avaient pas pu fuir pour les FAR et des Interahamwe au Zaïre . Malgré tout, quelques
massacrer . Les ressortissants des autres régions, surpris militaires de la Charlie mobile ont poursuivi les
par les combats, étaient chargés dans des camions pré- Interahamwe au-delà de la frontière rwandaise . Entre-
tendument pour les conduire chez eux, mais en réalité temps, un groupe de militaires des FAR était bloqué
ils étaient convoyés vers des abattoirs humains implan- au niveau de la BRALIRWA . Ils ignoraient même que
tés à Kigali (Masaka), Mukamira, Nyakinama, Kidaho, Gisenyi était tombée aux mains de l 'APR. Nous avons
Gabiro, Rwinkwavu, etc . Leurs corps étaient ensuite inci- capturé plusieurs de ces militaires FAR et nous les avons
nérés . Entre le 15 et le 30 juillet, les tueurs des deux uni- tués . Cette même nuit, les FAR ont lancé de petites
tés ont tué plus de 30 000 personnes . Ces tueries étaient bombes sur la ville de Gisenyi, mais quand nous avons
supervisées par le lieutenant-colonel Charles Kayonga répliqué avec des bombes de forte importance, ils n ' ont
et le colonel William Bagire qui donnaient des instruc- plus recommencé . À partir de ce moment, c ' était la fin
tions à leurs IO (Intelligence Officer) et PC (Political de la guerre.
Commissar). Un gouvernement d ' unité nationale a été mis sur pied
le 19 juillet 1994, avec Pasteur Bizimungu, FPR, pré-
La chute de Gisenyi, le 17/7/1994 sident de la République ; le général-major Paul Kagame,
Ce jour-là, un bruit infernal de bombes et de balles a FPR, vice-président et ministre de la Défense ; Faustin
été entendu toute la journée dans la région : à Bazirete, Twagiramungu, MDR, Premier ministre.
Kanama, Nyundo, Rubavu et dans la ville de Gisenyi. Ce gouvernement ressemblait fort à ceux qui l ' avaient
La population en fuite était bombardée avec des 122 mm, précédé sauf que le FPR occupait les postes obtenus par
37 mm et 14 .5 mm (quadruples) . Il n'y avait aucune rai- les accords d'Arusha et s 'était attribué les postes destinés
son pour que l 'APR fasse usage des armes lourdes parce au MRND, y compris le poste de Président de la
qu'il ne restait plus que deux petites poches de résistance : République et celui de vice-président (non prévu par ces
un blindé à l' usine à thé de Pfunda qui lançait encore mêmes accords) . On a évité de nommer un ministre
des obus, ainsi qu ' au mont Rubavu où se trouvait une de l ' Information, parce que si ce poste devait revenir à
position des FAR . Il était clair que l'APR voulait seu- une personne qui n' appartenait pas au FPR, cela aurait
lement bombarder la population civile en fuite . Il n' y
avait pas d'entrave, tout militaire de l ' APR qui le vou- 1 . La prise de Gisenyi, ville frontière avec le Zaïre, a été décisive car le
lait tuait sans être inquiété . gouvernement intérimaire s 'y était replié . (NdE)
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pu le gêner . Il fallait éviter qu'il y ait des informations regroupements étaient ordonnés par les pouvoirs poli-
contradictoires avec celles distillées par le FPR pour l ' opi- tiques de proximité, les responsables de cellules, les
nion internationale. conseillers des différents secteurs I . Après avoir été arrê-
tés et regroupés, ils étaient massacrés dans l' humiliation.
Génocide des Tutsis et génocide des Hutus Ces actes criminels étaient principalement le fait des
Le génocide des Tutsis milices Interahamwe et Impuzamugambi de la CDR, ainsi
Du 7 avril au 4 juillet 1994, date de la chute de Kigali, que des factions Power des partis politiques qui tra-
il y a 92 jours . Une semaine de plus a été nécessaire pour vaillaient avec le MRND ou la CDR . Les Tutsis, accu-
exterminer les Tutsis survivants dans la zone Turquoise sés d'être des Inyenzi, ont été découpés à la machette, des
entre Bisesero, Gisovu, Rwamatamu, Karengera (en pré- pieds jusqu' à la tête ; pour les autres, les crânes étaient
fecture Kibuye) et en préfecture Cyangugu . Soit en tout fracassés avec des gourdins cloutés, sous les injures et
99 jours, mais si l'on ajoute les assassinats commis durant d'autres maltraitances ignobles.
les quelques heures suivant l' attentat du 6 avril contre Pour éviter les fuites ou les regroupements dans des
l'avion de Habyarimana, si l'on ajoute ce jour-là, c'est poches de résistance, des rondes ont été effectuées, nuit
100 jours au total qui furent consacrés au massacre sys- et jour, des barrières ont été posées en plusieurs endroits.
tématique des Tutsis. Par exemple, à Kigali, il y avait des barrières tous les
Pour les Tutsis, il n'y a jamais eu de jours plus 500 m environ et sur toutes les chaussées.
effroyables que ces jours-là . Même pour ceux qui avaient Des rumeurs ont été lancées par la propagande de
renié leur ethnie, pour ceux qui étaient métissés et dont Radio Rwanda et de la RTLM sur la pénétration de l 'en-
l' un des parents était hutu, ce fut des jours pires que ceux nemi dans la population afin d ' inciter les gens à effec-
de l'apocalypse . Ils ont été massacrés de la façon la plus tuer des rondes, à monter des barrières partout et mettre
ignoble. l'ennemi hors d ' état de nuire. Tout cela n' était destiné
De simples gens qui n'étaient pas des Interahamwe qu'à chauffer les têtes et pousser la majorité hutue à mas-
ont d'abord tergiversé ou refusé de s 'exécuter mais, à un sacrer les Tutsis.
moment donné, beaucoup ont obéi aux ordres donnés Depuis le 22 avril, bien que l 'ONU ait décidé de
par les autorités pour exécuter les massacres. réduire les forces de la MINUAR au strict minimum,
La première semaine, entre le jeudi 7 et le jeudi elle donnait en même temps l ' information que le gou-
14 avril, mais aussi dans les jours qui ont suivi, les Tutsis
ont été raflés et regroupés en certains endroits comme
1 . Les communes rwandaises étaient subdivisées en secteurs, eux-
les terrains de football, les écoles, les églises et d'autres mêmes subdivisés en cellules, regroupant une cinquantaine de ménages.
endroits destinés à accueillir beaucoup de gens . Les (NdE)
330 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 331

vernement était en train de massacrer les Tutsis . De son et ont commencé à tuer. Au début du génocide, ils étaient
côté, le FPR combattait en alertant l'opinion sur l 'ex- peu nombreux, en conséquence les massacres de Tutsis
termination des Tutsis. Cette pression n'intimidait pas n'étaient pas importants. C'étaient des extrémistes mais
le gouvernement de Théodore Sindikubwabo et Jean en trop petit nombre pour exécuter le génocide . Ils
Kambanda. Ils ont plutôt changé de stratégie et annoncé avaient besoin du renfort d'autres Hutus, de l ' armée, de
une trêve pour pouvoir éliminer ceux qui s'étaient cachés. la gendarmerie, de la police communale.
Pour les Tutsis rescapés, cette trêve annoncée fut un Deuxième catégorie : des Hutus, qui n' étaient pas des
guet-apens . Pour éviter de se faire massacrer, ils étaient Interahamwe ou qui ne soutenaient pas les extrémistes,
exhortés à sortir de leurs cachettes afin de se mettre sous mais qui ont vite assimilé les leçons et les ordres d 'appel
la protection des autorités dans des églises, des bâtiments aux massacres provenant du gouvernement.
communaux ou de secteur avec des hommes commis Troisième catégorie : des Hutus qui ont caché des
à leur sécurité . Beaucoup sont sortis de leurs cachettes. Tutsis, qui les ont nourris en cachette par amitié, mais
Ainsi, les Tutsis réfugiés dans des églises, croyant trou- qui participaient aussi aux massacres. Certains Tutsis
ver refuge dans la maison de Dieu et espérant qu ' ils peuvent témoigner aujourd 'hui qu'ils ont été sauvés par
seraient respectés par les tueurs, ont été sacrifiés devant des Hutus, mais ces derniers peuvent être accusés par
l'autel . Les autorités ont même parfois mobilisé des d'autres Tutsis d' avoir massacré les leurs.
bulldozers pour détruire les lieux de prière remplis à cra- Quatrième catégorie : des Hutus qui ne voulaient pas
quer de fugitifs encore en vie . Ils étaient écrasés et leurs verser le sang des Tutsis sans pourtant les aimer . Ils se
corps éclataient comme des ballons . Voilà ce qui s ' est contentaient de rafler des femmes tutsies sous prétexte
passé pour les Tutsis durant ces 100 jours. de vouloir les cacher, mais en réalité c 'était pour les vio-
La torture fut souvent utilisée de manière différente ler. Ils n'étaient jamais en reste pour piller, détruire les
pour les hommes, pour les femmes ou pour les enfants. maisons des Tutsis, abattre et consommer vaches, chèvres
La douleur, la peine, la peur, les Tutsis ont enduré tout et autres animaux de basse-cour appartenant aux Tutsis.
cela sans espoir d 'aucun secours . Leurs voisins se C' est la grande majorité des Hutus . Ils ne tuaient pas les
moquaient d'eux, ils les humiliaient. Tutsis mais ne faisaient rien de bien pour eux.
Cinquième catégorie : d'autres Hutus n'ont pas osé
Le comportement des Hutus pendant le génocide faire du mal même s'ils y étaient forcés. Ils n'avaient pas
Durant le mois d' avril 1994, le comportement des non plus la possibilité de faire quoi que ce soit pour sau-
Hutus a varié. ver les Tutsis. La plupart ont essayé de cacher des Tutsis
Première catégorie : des Hutus et quelques Tutsis qui autant que possible, mais ils pouvaient dévoiler, sous
avaient renié leur ethnie se sont regroupés dans les milices la menace, les cachettes aux meurtriers . Beaucoup de

332 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 333

gens se sont comportés ainsi, ils n 'avaient pas le pouvoir c'était de la simple bienfaisance . Au Rwanda, ceux qui
de faire plus que ce qu'ils ont fait . Ceux-là ne doivent considèrent tous les Hutus comme des tueurs nuisent
pas être comptabilisés parmi les tueurs. à la mémoire de ces braves.
Le reste, il s'agit d' un petit nombre . Mais cela pour- Au fil des combats, des signes montraient que le FPR
rait faire comprendre aux Tutsis, comme moi qui ai perdu pouvait prendre le pouvoir. Cela a changé beaucoup
tous les miens, que des Hutus se sont comportés en héros. de choses dans le comportement des Hutus.
Ils méritent la reconnaissance, des remerciements, et doi- En premier lieu, le pouvoir des Abatabazi a accru ses
vent être décorés comme tels . Ce sont des Hums qui sont moyens pour superviser et entraîner le plus possible de
passé outre les ordres du gouvernement, des extrémistes citoyens dans les massacres . C'était le seul espoir qui leur
et de tous les services de sécurité . Ils ont caché des Tutsis restait parce qu' ils pouvaient être redevables de leurs actes
condamnés à l' extermination . Ils ont donné le peu qu'ils et ne voulaient pas laisser de témoins . La chasse à ceux
avaient pour nourrir des personnes sans défense, sans qui ne voulaient pas tuer a commencé.
rien leur demander et sachant très bien que, s 'ils étaient Le nombre des tueurs s'est accru considérablement et
découverts, ils seraient massacrés avec eux . Il y en a même les massacres se sont étendus au fur et à mesure que le
qui ont été tués parce qu' ils ont refusé de livrer leurs pro- FPR s'emparait de plusieurs localités du pays. Ces vic-
tégés, ils ont été assassinés avant eux . Ces Hutus igno- toires étaient suivies par des exactions du FPR contre la
raient l'issue de la guerre . Ils ne savaient pas si leur population hutue et par des massacres, surtout à
magnanimité aurait des conséquences, y compris celle Kibungo, à Byumba ainsi qu ' à Kigali. Alors, de nom-
d' être assassinés . Ces Hums ont sauvé la vie, ils ont donné breux Hutus qui n'avaient pas participé aux massacres
de l'amour aux gens sans être sûrs d 'être payés en retour. ont répondu aux appels des Interahamwe.
Ils ne savaient pas si ces Tutsis cachés ne leur seraient pas Dans les régions où l'appel aux massacres n'était pas
arrachés par les tueurs . Ils ont vécu dans l'inquiétude très suivi, comme à Butare, à Gitarama, les comporte-
avec le risque d'être eux-mêmes tués avec leurs protégés. ments ont changé . Suivant l 'avancée du front, le FPR
Certains soldats de l'APR ont commis des crimes impar- chassait les populations des endroits conquis qui rap-
donnables . Plusieurs fois, lorsque des Tutsis vivants étaient portaient les massacres commis par le FPR . Ces nou-
retrouvés, leurs protecteurs hutus étaient assassinés par velles ont fait se répandre les tueries en plusieurs endroits.
les services secrets de l'APR . Cruauté la plus extrême : Des enquêtes ont été entreprises du côté gouverne-
voilà la récompense donnée à ceux qui ont sauvé des fugi- mental à Kigali. Les Tutsis massacrés pendant le géno-
tifs tutsis, se faire fracasser la tête au moyen d'une houe cide ont été recensés, ainsi que les endroits où ils ont été
usagée . Ils ont donné leur vie pour les Tutsis . Ils n'y tués. Des listes d' auteurs des massacres ont été dressées
étaient pas obligés . Ils n' attendaient pas de récompense, mais ce ne sont pas toujours les noms des plus actifs dans

334 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 335

les massacres qui y figurent. Des noms ont été souvent matiquement la population était attribuée à une caté-
inscrits sur les listes suite à l'incurie des enquêteurs, ou gorie de militaires bien choisis et formés spécialement
par désir de nuire. sous la supervision de bourreaux qui exerçaient en qua-
lité d'officiers de renseignement, de personnels de ren-
Le génocide des Hutus seignement (IO/IS) ou de commissaires politiques dans
L'APR a commis un génocide contre les Hutus si le l'armée (PC).
mot « génocide » se définit comme suit : Cela n'empêchait pas que les spécialistes des tueries
Génocide, crime contre l 'humanité imprescriptible fassent parfois appel à une compagnie pour les épauler
qui s'entend, selon la définition de la Convention des dans les opérations d'enterrement, de chargement, d'in-
Nations unies de 1948, comme : « l'un quelconque des cinération ou de dissimulation des corps . Tout dépen-
actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en dait de l'importance du nombre de gens tués ou devant
tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial être tués. Parfois, on faisait appel à plusieurs compagnies.
ou religieux, tels : meurtres de membres du groupe ; Mais de telles interventions étaient d'autant plus rares
atteinte grave à l ' intégrité physique ou mentale de que chaque unité militaire avait sa propre compagnie
membres du groupe ; soumission intentionnelle du spéciale ou son propre peloton spécial. Une compa-
groupe à des conditions d ' existence devant entraîner gnie de ce genre comptait souvent plus de 200 hommes
sa destruction physique totale ou partielle ; mesures visant et un peloton de plus de 100 hommes, opérant sous la
à entraver les naissances au sein du groupe ; transfert supervision des IO (Intelligence Officers) et des PC
forcé d ' enfants du groupe à un autre groupe 1 ». (Political Commissars).
Les massacres perpétrés par l'APR étaient toujours J'ai donné précédemment des exemples de massacres
planifiés . Il ne s'agissait pas d'actes de vengeance ni de planifiés par l'APR au courant de l'année 1994 jusqu ' à
simples faits accidentels comme certains le prétendent. la prise du pouvoir par le FPR. Je continuerai avec ce qui
Comme je l 'ai évoqué, après l'attentat contre l'avion a suivi après l'arrêt de la guerre en juillet 1994.
présidentiel de Juvénal Habyarimana, la guerre a direc- La première phase des massacres de la population,
tement embrasé le pays. J'ai dit également comment orchestrés par l'APR après le prise du pouvoir par le FPR,
toutes les unités avaient reçu des ordres bien spécifiques a concrètement débuté au mois de juillet 1994 pour
quant à leurs missions . La tâche de massacrer systé- continuer jusque fin 1996 . La plupart des Hutus ont cru
qu'il s'agissait de vengeances . Pourtant les massacres
1 . La Convention pour la prévention et la répression du crime de étaient planifiés . Les populations hutues ont été déci-
génocide a été adoptée par l 'Assemblée générale de l ' ONU le 9 décembre mées sur ordre des hauts militaires de l'APR . Les ins-
1948 . (NdE) tances militaires ont vu leur tâche facilitée par un service

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spécialisé de renseignement oeuvrant au sein d'autres Musangamfura 1 . Il était soi-disant responsable du ser-
services de renseignement. vice de renseignement . À vrai dire, c ' étaient des mili-
taires, faiblement galonnés de surcroît, qui assuraient
Constitution des services de renseignement de l'APR ledit service . Je citerai comme autre exemple le lieute-
G2 Army et G5 Army nant Gapaya. II s' occupait des renseignements civils qui
DMI (Directorate ofMilitary Intelligence) . Selon cette visaient notamment à traquer les opposants au FPR . Il
dénomination, on peut croire que sa tâche est la col- le faisait en collaboration avec les mobilisateurs poli-
lecte de renseignements militaires à propos de la sécu- tiques du FPR disséminés dans le pays, la DMI, la Garde
rité extérieure du pays ou sur la guerre en général . La républicaine et le service de renseignement de la gen-
réalité est différente car le service est plutôt au centre darmerie . Il a joué un grand rôle parce qu ' il avait tous
de tous les autres organes de renseignement . En effet, les moyens nécessaires pour suivre de près tout ce qui se
tous les services de renseignement sont dirigés par un tramait sur les collines et dans la communauté des intel-
seul homme, le général-major Paul Kagame . Après lui, lectuels hutus . Lorsqu' il avait décidé de tuer quelqu' un,
c' est James Kabarebe qui supervise tout . Les autres col- il se mettait à l ' écart et faisait signe aux gendarmes ou
laborateurs changent de poste selon l ' humeur de aux agents de la DMI . Quand on dit des Tutsis qu ' ils
Kagame . Les renseignements ne sont pas toujours four- pointaient du doigt la victime, cela a été fait, dans la plu-
nis par celui qui occupe officiellement le poste . A titre part des cas, par le lieutenant Gapaya avec l ' aide des
d ' exemple, si quelqu' un comme Jack Nziza a changé mobilisateurs politiques du FPR.
de poste et qu ' il est affecté au G5, cela ne veut pas dire Au niveau des services de la DMI ou de la G2 Army,
qu' il y a eu une modification dans ses fonctions . En les affaires traitées avaient une autre envergure . Il y avait
d' autres termes, il continue d ' exercer les mêmes fonc- des sections au sein de la DMI qui étaient chargées de
tions à un endroit et à un poste différent. C ' est le cas trier les personnes à assassiner, de les emmener sur le lieu
de Kayumba Nyamwasa qui, lorsqu ' il occupait le poste d ' exécution et de dissimuler toutes les traces . En sus,
de chef d ' état-major adjoint à la gendarmerie en 1994, comme la DMI compte beaucoup d ' agents dans chaque
était réellement le coordinateur des services de ren- unité de l 'APR, sélectionner, capturer, tuer et dissimu-
seignement. ler les traces, tout cela était fait par des agents dissémi-
Les modalités d ' exécution des ordres revenaient à
Kayumba Nyamwasa qui veillait à la coordination
1 . Le journaliste Sixbert Musangamfura, un Hutu, fut nommé direc-
des activités . On pouvait trouver des Hutus dans cer- teur des services de renseignement civil (au service de la Primature) entre
tains services de renseignement, notamment à la le 22 août 1994 et le 31 août 1995 . Après sa fuite du Rwanda, il fit des
Primature . C'est, par exemple, là que travaillait Sixbert révélations sur les massacres de Hutus perpétrés par l ' APR. (NdE)

33$ RWANDA, LHISTOIRE SECRÈTE 1994 339

nés ici et là dans le pays . La structure des instances de la tement a connu une succession de responsables qui se
DMI impliquées dans ces massacres comporte plusieurs sont illustrés par leur férocité . Il avait pour chef le lieu-
départements dont je donne la liste et les fonctions. tenant John Karangwa. Tueur professionnel, il est tou-
Le département d ' Enquête criminelle, autrement jours partout et présent dans tous les massacres.
dénommé Recherche criminelle . Ce département res- Le département de sécurité et de surveillance
semble à celui qu' on rencontre dans la police mais il dif- (Surveillance and Security) . Comme son nom le suggère,
fère dans son fonctionnement. Après la conquête du pays, ce département est chargé de suivre de près tout ce qui
ce département a été dirigé par le lieutenant Joseph se passe dans les grandes villes du Rwanda, en com-
Nzabamwita . Tous ceux qui ont été tués après avoir été mençant par Kigali . Il a des moyens d'action énormes
capturés et conduits aux postes de la DMI à Masaka, à car plus de la moitié des taxis voitures qui circulent dans
Kami ou à Kimihurura lui doivent leur mort . Je veux le pays lui rendent compte. La plupart des taxis motos
dire par là que, même si tous les ordres émanaient d ' un lui appartiennent aussi . Les recettes sont versées sur le
seul homme, le général-major Paul Kagame, en transi- compte du FPR. Inutile de répéter que tous ces gens qui
tant par le lieutenant-colonel James Kabarebe, ensuite passent pour des chauffeurs de taxi sont généralement
par le colonel Kayumba Nyamwasa et d 'autres personnes des soldats de la DMI.
comme les lieutenants-colonels Karake Karenzi et Jackson Le département d 'Organisation de la Sécurité exté-
Rwahama, celui qui sélectionnait les personnes à assas- rieure (ESO, External Security Organization) . Ce dépar-
siner dans l' immédiat avait le dernier mot . C' est le cas tement semble être indépendant, mais il oeuvre en
du lieutenant Joseph Nzabamwita, soi-disant juriste . Il collaboration avec la DMI . Il est surtout spécialisé dans
avait constitué sa propre équipe, spécialisée dans les tue- le rapt des hommes politiques qui ont fui le pays, ou leur
ries . Parmi les victimes, certaines étaient arrêtées et par- liquidation dans les pays d'asile ; il veille également à
fois exécutées immédiatement sous les ordres de quelques la dissolution de tout parti politique qui gêne le pouvoir
officiers comme les lieutenants-colonels Karake Karenzi en place à Kigali . Il existe plusieurs sections au sein de
et Jackson Rwahama et leurs collègues de la DMI . Le ce département, mais toutes convergent sur le même
lieutenant Joseph Nzabamwita intervenait spécialement point, à savoir la liquidation de tous ceux qui s'opposent
lorsqu'on devait d'abord sélectionner. à la politique du FPR.
Le département dit de « contre-espionnage » . Ce Bref, la DMI telle que nous venons de la décrire dans
département a servi à traquer les citoyens qui consti- sa structure, la police, la Garde républicaine et le service
tuaient un obstacle à l 'idéologie du FPR. Ce genre de de renseignement civil de la Primature dans leurs struc-
citoyens se rencontre dans toutes les ethnies . On les tures combinées donnent ce qu' on a appelé le Réseau
appelle les « forces négatives » par euphémisme . Ce dépar- (Network) . Néanmoins, tout le personnel de ces diffé-

340 RWANDA, LHISTOIRE SECRÈTE 1994 341

rents services de renseignement n'est pas d'office membre raient au niveau de la ville de Kigali . Ils avaient plusieurs
du Réseau . Au sein de ces services, on a plutôt sélectionné soldats sous leurs ordres.
les éléments les plus redoutables et les plus efficaces qui Après la prise de Kigali, on a organisé un programme
travaillent avec les mêmes consignes sous les ordres d'une de nettoyage dans les coins et recoins de la ville . Cela
seule équipe d'officiers supérieurs dirigée par James revient à dire qu'on devait vite rechercher les Hutus dans
Kabarebe . Hormis Paul Kagame, nulle autre personne la ville et aux alentours . Ceux qui étaient capturés étaient
ne peut donner des ordres à James Kabarebe. d'abord rassemblés dans un même endroit avant d'être
Je reviens maintenant aux atrocités commises après la transportés par camions . Parmi les différents lieux de ras-
conquête du pays I . Au sein de la DMI, à laquelle on semblements figurent le collège Saint-André et le stade
peut imputer la majorité des massacres avant même que Mumena à Nyamirambo, le stade Amahoro à Remera,
la gendarmerie ne soit suffisamment opérationnelle, j 'ai l' école secondaire ETO de Kicukiro, le camp Kigali, le
cité le lieutenant Joseph Nzabamwita qui était chargé camp Kami et Kabuga . Une fois qu'il y avait un nombre
du tri et qui se prononçait en dernier lieu quand on devait important de Hutus capturés, on envoyait, pour les trans-
désigner les victimes du jour. Parmi ses proches colla- porter, des camions remorques avec à bord des soldats
borateurs, j ' ajouterai le major Steven Balinda, le capi- chantant à tue-tête, ce qui laissait croire aux passants
taine Francis Mutiganda, le capitaine Geoffrey Shema, qu'il s'agissait de militaires en déménagement . La desti-
le sergent Cassius John (aujourd'hui capitaine), le lieu- nation finale était Masaka où la DMI s 'était d'abord ins-
tenant Richard Isoke, le sergent Tharcisse Idahemuka, tallée.
le sergent Janvier (nom inconnu), etc. Je rappelle qu'il À Masaka, il n'y avait pas d'enquête pour examiner la
s'agit ici uniquement de militaires de la DMI qui opé- gravité des crimes prétendument commis mais une sorte
d' interrogatoire mené par le lieutenant Joseph
1 . Je suis témoin direct des exactions commises au camp Bigogwe,
Nzabamwita qui se faisait passer pour le directeur du
au camp Mukamira, à Kidaho, à Nkumba et plus tard dans la préfecture service de Recherche criminelle . En effet, dans chacun
de Kibuye, de la fin de l ' année 1994 à la fin de l ' année 1996 . En ce qui des différents endroits de rassemblements évoqués plus
concerne d ' autres sites de massacre (Masaka, Ndera, Rwinkwavu et haut, il y avait, dans les débuts, au moins 2 000 per-
Nasho, Kidaho, Gabiro, Nyungwe, etc .) que je cite dans le texte ci- sonnes capturées quotidiennement . Dire qu'un seul
dessous, j ' ai procédé à des enquêtes, obtenu des témoignages et eu des homme pouvait analyser convenablement tous leurs dos-
conversations avec différents acteurs de ces opérations de nettoyage.
siers, désigner les coupables et les condamner à mort en
Parmi mes sources, je citerai à titre illustratif les capitaine Maridadi, lieu-
tenant Emmanuel Munyaneza, lieutenant Richard Isoke, adjudant-chef quelques heures de service par jour serait un pur men-
Abassi Musonera, sergent Nyirumuringa, sergent Minani D ., sergent songe ! D'ailleurs, il n'avait aucun droit de condamner
Gahutu, et d'autres dont je ne citerai pas les noms pour leur sécurité . quelqu'un à mort sans jugement, sans appel, sans aucune
342 RWANDA, L:HISTOIRE SECRÈTE 1994 343

preuve irréfutable qui puisse justifier la décision de peine fois par semaine . À l' aide des bulldozers, on allait jeter
capitale. Mais, une fois capturée, la personne n 'avait pas les cendres dans un endroit éloigné, souvent dans la rivière
plus de six heures à vivre . Le lieutenant Joseph Nyabarongo.
Nzabamwita en est arrivé à décréter que de simples sol- Durant les cinq premiers mois, c'est-à-dire jusqu'en
dats pouvaient faire passer l 'interrogatoire aux prison- décembre 1994, j ' évalue à plus de cinquante mille le
niers — exception faite des intellectuels et des hommes nombre des personnes tuées à Masaka sans compter celles
politiques — et les mettre à mort par la suite. qui ont été tuées à Kami-Ndera.
Il importe de rappeler ici que l' interrogatoire n'était Avant de terminer ce chapitre, je vais passer en revue
pas conçu pour les innocenter éventuellement, mais plu- les principaux auteurs de cette hécatombe.
tôt pour identifier les prochaines victimes, d 'autant plus A la tête figurait le colonel Kayumba Nyamwasa qui
que celui qui était pris était déjà un homme mort. était sous les ordres directs du général-major Paul
Kagame. Ensuite, venaient :
Le site de Ndera le lieutenant-colonel Karake Karenzi,
Il y avait un peloton de tueurs de la DMI dirigé par le lieutenant-colonel Jackson Mutabazi Rwahama,
le sous-lieutenant Edgard Kirenga . Tout visiteur de adjoint à la DMI,
ce site devenait témoin des massacres qui s'y produi- le major Steven Balinda,
saient et ne pouvait plus en revenir . Même les inno- le lieutenant Joseph Nzabamwita,
cents ne pouvaient plus être relâchés de peur qu'ils ne le lieutenant Francis Mutangana,
racontent ce qu 'ils avaient vu . On pouvait échapper à le capitaine Geoffrey Shema,
la mort uniquement lorsque le tri avait eu lieu ailleurs ; le lieutenant Richard Isoke (il a été assassiné),
il ne fallait pas avoir passé même une seule nuit là-bas le sergent John Cassius,
pour ne pas être témoin des tueries qui se faisaient nui- le sergent Tharcisse Idahemuka,
tamment . C' était plutôt rare que de telles circonstances le sergent Augustin Hodari,
se présentent. le sergent Jérôme Mukunzi,
À Ndera comme à Masaka, lorsqu 'on avait fini d'en- le sergent Innocent Gasana qui représentait la Garde
tasser les cadavres, le lieutenant-colonel Jackson Rwahama républicaine.
et lieutenant-colonel Karake Karenzi envoyaient, pour Le reste était constitué de simples soldats qui agis-
l'incinération, des camions pleins de barils d'essence en saient sous les ordres de leurs chefs.
provenance de la station d 'essence militaire de Kacyiru Je ne passerai pas sous silence le fait que les militaires
ou de la station d'essence de Kabuye près des anciennes qui étaient à Masaka, deux compagnies comptant plus
citernes de la société PetroRwanda . Cela se passait deux de 250 hommes, étaient tous de l'ethnie tutsie et qu'ils

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ne faisaient que tuer et incinérer les corps, soit sur place, connaître le nombre de gens qui sont morts de cette
soit au parc national de l 'Akagera. façon. Un recensement non contrôlé par le gouverne-
Il y eut encore d ' autres sites de tueries : les sites de ment pourrait évaluer le nombre de Hutus tués sur l ' en-
Gabiro, de Rwinkwavu et Nasho en préfecture de semble du pays.
Byumba, les sites de Kidaho et Nkumba en préfecture Ces actes ont continué jusqu'au début de l 'année 1995.
de Ruhengeri. Le ministre Seth Sendashonga, mis au courant, mon-
Il était facile de capturer et de tuer un très grand tra son indignation 1 . Il y eut une courte période d ' ac-
nombre de Hutus parce que les militaires de I'APR étaient calmie. Après l 'établissement des brigades militaires, vers
disséminés dans toutes les communes du pays . Je n' ou- la fin de l ' année 1995, ces actes ont été institutionna-
blierai pas de rappeler que bon nombre de communes lisés dans la mesure où les officiers de renseignement
étaient dirigées par les militaires, appelés abakada avaient les pleins pouvoirs pour accomplir cette tâche.
(« cadres ») . Il y avait, pour chaque groupe de 10 soldats,
un soldat du service de renseignement (Intelligence Staff G2. Gendarmerie
et un soldat jouant le rôle de commissaire politique . Les La gendarmerie, même si elle faisait fonction de police,
arrestations de personnes à assassiner étaient ordonnées était constituée uniquement de militaires bien choisis.
par les officiers du service de renseignement du bataillon Elle a été rebaptisée « Police nationale », mais elle n ' est
avec l ' aide des PC (Political Commissar) . Ils recevaient dirigée que par des militaires . Ce que je veux démontrer
les ordres de la DMI et du G5. ici c' est que la petite taille de la gendarmerie d ' alors ne
Chaque fois qu ' il y avait un détachement de 100 sol- l ' a pas empêchée d ' arrêter, de faire disparaître et de tuer
dats ou une compagnie, pour mieux dire, ils s ' arran- des milliers de gens.
geaient pour trouver une grande maison qu ' ils La présence de Kayumba Nyamwasa à la tête de la
transformaient en cachot . Si ledit cachot se trouvait à un gendarmerie rendait plus expéditifs les massacres col-
endroit discret, tous les prisonniers étaient tués pendant lectifs de la population par la gendarmerie que par l'ar-
la nuit. Mais lorsque le cachot se trouvait à un endroit mée. Dans la mise en place de la gendarmerie, on avait
tel que, s' il y avait des tueries la nuit, le lendemain la choisi des bourreaux notoires pour accomplir rapide-
nouvelle serait répandue, on procédait autrement . On ment la sale besogne. Tous n' ont pas rejoint la gen-
attendait que le cachot soit bondé et on prétextait qu ' une darmerie dans la même période . En voici quelques
partie des prisonniers devait être transférée au bureau exemples :
communal ou dans d ' autres cachots et presque tous
étaient tués avant d' arriver à destination . Cela s' est passé 1 . Seth Sendashonga avait été nommé ministre de l ' Intérieur après la
dans toutes les communes du Rwanda . On pourrait victoire du FPR. (NdE)
346 1994
RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 347

le colonel Kayumba Nyamwasa, A. propos du génocide des Hutus


le lieutenant-colonel John Bagabo, Si je me réfère à la notion de génocide que j ' ai don-
le major Damascène Sekamana, née plus haut, j 'utiliserai ce même terme pour désigner
le capitaine Dan Munyuza, ce que les Tutsis et les Hutus ont subi . D'après ce que
le capitaine John Zigira, j 'ai expliqué dans la partie sur la planification du mas-
le capitaine Gacinya Rugumya, sacre systématique des Hutus, soit sa préparation, la mise
le capitaine Augustin Macumu, en place des structures de supervision de son exécution
le lieutenant Célestin Kayitankore, ainsi que l ' effacement des traces, je ne puis nier qu ' il
le lieutenant John Karangwa, etc. s'agisse d'un génocide.
Tous ces officiers et beaucoup d 'autres encore ont versé Pourquoi cette situation reste-t-elle inconnue ? Il fau-
le sang de civils innocents dont je ne peux évaluer le drait une enquête complète et indépendante, sans pres-
nombre tellement ils sont nombreux. sions gouvernementales sur les citoyens ; ces enquêteurs
Les gendarmes ont abusé des compétences dont ils et les réponses recueillies auprès des rescapés des mas-
disposaient dans le cadre de la préparation des dossiers sacres pourraient, mieux que moi, apporter des explica-
judiciaires et emprisonnaient n'importe qui à n'importe tions sur ce silence . Mais avec l'actuel régime FPR, une
quel moment . Tous ceux qui ont été emprisonnés dans telle enquête est inenvisageable.
ces conditions n'étaient pas nécessairement coupables.
Nombre d'entre eux n ' ont encore jamais été interrogés Le FPR est-il le sauveur des Tutsis
jusqu' à ce jour (en 2005). Je suis convaincu que nous (les militaires de l 'APR)
Les arrestations visaient tout Hutu qui paraissait ins- avions la capacité et la volonté de sauver beaucoup plus de
truit ou qui avait été pointé du doigt par les encadreurs Tutsis que nous ne l 'avons fait, mais la clique placée à la
(abakada) ou mobilisateurs politiques du FPR. La nuit, tête de l'armée patriotique rwandaise et à la tête du FPR
les brigades de la gendarmerie étaient bondées de Hutus. a tout fait pour ne pas nous permettre de les secourir.
On les tuait durant la nuit . Le lendemain, les gendarmes- Les Tutsis habitaient surtout dans les régions suivantes :
bourreaux retournaient au bureau, à la quête des pro- —la ville de Kigali, commune Nyarugenge, ses alen-
chaines victimes . Telle était l ' activité principale de la tours et certaines communes de Kigali rural : Kanzenze,
gendarmerie durant les mois qui ont suivi la prise du Kanombe, Rubungo, Bicumbi et Gikoro ;
pouvoir par le FPR . —une grande partie de la préfecture de Butare, sur-
tout dans les communes Runyinya, Maraba, Nyakizu,
Gishamvu, Nyaruhengeri, Muganza, Ndora, Ntyazo,
Rusatira, Nyabisindu, Ngoma et les autres ;
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—les communes de la préfecture de Gikongoro : peut estimer que la plus petite des unités mobiles comp-
Nyamagabe, Karambo, Kibeho, Rwamiko, Muko, tait environ 2 000 militaires. Par exemple, une unité
Mubuga, et ailleurs ; mobile affectait 600 militaires pour la garde de la zone
—les communes de la préfecture de Gitarama : qu' elle occupait (ce chiffre correspond à 3 compagnies) ;
Mugina, Ntongwe, Masango, Nyabikenke, Taba, le restant des hommes se reposait ou suivait des forma-
Musambira, et ailleurs ; tions intensives . C'est pourquoi j'ai dit que chaque unité
—dans la préfecture de Kibuye, surtout les communes mobile avait seulement besoin du tiers de ses effectifs
Rwamatamu, Gishyita, Gitesi, Mabanza, Gisovu et pour garder la zone sous son contrôle.
Kivumu ; Si je considère les campements des militaires de l'APR
—dans la préfecture de Kibungo, surtout les com- depuis le Mutara jusqu 'à Ruhengeri, les commandements
munes Rusumo, Sake, Mugesera, Kigarama, et Muhazi ; se suivaient comme suit : la 157e mobile, la 7e mobile, la
—dans la préfecture de Byumba, surtout les communes 21 e mobile, la 101 e mobile, Alpha mobile, Bravo mobile,
de Muhura, Murambi, Giti, Rukara et Rutare ; la 59e mobile et Charlie mobile. Les autres commande-
— dans les préfectures de Ruhengeri et Gisenyi, sur- ments particuliers, comme l 'unité du haut comman-
tout les communes Mukingo, Nkuli, Mutura, Kayove, dement chargé de la protection du général-major Paul
Kibilira et Kanama. Kagame et des officiers supérieurs, avaient leur quartier
Ces communes où vivaient beaucoup de Tutsis étaient général à Mulindi, plus les quartiers généraux (GHQ)
connues des chefs militaires du FPR. basés à Mulindi et à Rubaya, plus des polices militaires
Pour affirmer que le FPR était capable de leur porter qui avaient leur siège à Rushashi ; les agents de rensei-
secours, je me base sur différents éléments. gnement déployés un peu partout avaient leur siège à
La zone occupée par le FPR avant la reprise des hos - Cyondo (Kiyombe), mais il y avait aussi Karama Training
tilités, le 7 avril 1994, était gardée par le tiers de son Wing (le centre d 'entraînement militaire et des cadres)
armée. Je veux dire que chaque unité mobile de l'APR qui était basé à Karama.
utilisait seulement 3 compagnies pour garder la zone À la reprise des hostilités, après l 'attentat contre l'avion
qu'elle contrôlait (quelques-unes seulement avaient besoin présidentiel, comme je l' ai déjà dit, tous les militaires de
de 4 compagnies) . Chaque unité mobile avait au moins l'APR ont été envoyés dans les zones de combat prévues
10 compagnies (A, B, C, D, E, F, G, H, etc .), des uni- dans le plan de l 'attaque ultime.
tés pour protéger l ' état-major. Dans l'APR, au lieu de La DMI n 'avait pas de localisation précise ni de tâche
dire la 1 1e compagnie, on disait A Coy (A Company), la déterminée, elle agissait sur tous les plans et partout, mais
2e compagnie, B Coy, et ainsi de suite . La plus petite la plus grande partie de son effectif s 'est associée aux mili-
compagnie comptait entre 190 et 220 militaires . On taires chargés de la protection de Kagame ainsi qu 'aux

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instructeurs militaires pour perpétrer les massacres de de l 'APR déployés à Kigali et sur les hautes collines voi-
Hutus . La police militaire devait rassembler et forcer sines de Rebero (Nyarurama), Jali, Mont Kigali, et aussi
la population à porter le matériel militaire jusqu 'à Kigali, sur Gisozi, Kami, Kabuga, et Rubungo, pouvaient être
sécuriser la route vers Kigali, assurer le contrôle de estimés à 12 000 soldats.
Byumba, et la protection des armes lourdes, tuer et faire Il est absurde d' entendre qu' autant de militaires,
disparaître les cadavres . L'unité du haut commandement connus pour être de grands guerriers et déterminés à
comprenait surtout les éléments qui protégeaient le secourir leurs frères et soeurs tutsis qui se faisaient mas-
général-major Paul Kagame et le colonel Alexis sacrer, n' ont rien pu faire alors que le FPR déclare aujour-
Kanyarengwe . Il y avait enfin les équipes chargées des d'hui que plus de 250 000 Tutsis ont été tués dans la ville
massacres de la population, de la disparition des traces de Kigali (ceux qui ont été officiellement enterrés à
des tueries et de la garde des armes lourdes. Gisozi), sans compter ceux qui ont été enterrés à Rebero,
L'artillerie et la défense aérienne, c 'est-à-dire les tireurs Nyanza, Kicukiro et ailleurs.
des armes lourdes et les poseurs de mines, leurs instruc- En considérant la topographie des régions à forte den-
teurs et les autres, ont continué à vaquer à leurs activités sité tutsie où tous les moyens devaient être mobilisés
relatives au tir à l'arme lourde . Durant toute l'offensive pour secourir cette population jetée dans le désarroi,
pendant le génocide, ils étaient dirigés par James Kabarebe. je constate que le général-major Paul Kagame n' avait pas
Les meilleurs instructeurs, très compétents, entraî- du tout envisagé de secourir les Tutsis . Je n'oublie pas
naient des civils, membres du FPR, quelques rescapés qu' il a donné un ordre stipulant que personne ne pou-
tutsis retrouvés çà et là, et quelques Hutus épargnés par vait aller combattre ailleurs que là où il avait été envoyé,
les tueries de la DMI . Après deux semaines, ces civils et celui qui passerait outre, s 'il perdait ses hommes ou
pouvaient aller combattre . C'est ainsi que l'armée s'est s'ils étaient blessés, aurait à rendre des comptes . C 'est
beaucoup agrandie . Ces instructeurs, plus les jeunes ainsi que ça s 'est passé à Kigali alors qu' il y avait plus de
recrues (exclusivement tutsies), certains éléments de la 12 000 soldats dirigés par les officiers supérieurs sui-
DMI et le haut commandement ont constitué une unité vants : les colonels Sam Kanyemera Kaka, Charles Ngoga,
spéciale appelée Simba mobile, qui a été l 'auteur de la Charles Musitu, Charles Muhire, Kayumba Nyamwasa,
tragédie dans beaucoup de régions comme Byumba, Twahirwa Ludoviko Dodo, William Bagire (à son retour
Umutara et Kibungo. de Kabuga et Rwamagana), les lieutenants-colonels
En bref, seulement deux semaines après le 7 avril et Charles Kayonga, Martin Nzaramba, Augustine Turagara,
la reprise de la guerre, les éléments d'au moins 7 uni- Fred Nyamurangwa, Caesar Kayizari, etc . Je ne cite que
tés mobiles de combat, le 3e bataillon, Alpha, Bravo, les plus importants, je ne parle pas des nombreux autres
la 7e, la 21 e, la 59e, la 101 e, étaient à Kigali. Les effectifs lieutenants-colonels et majors qui étaient également

352 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE


1994
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là. Il ne leur était pas impossible de secourir les membres les chasser de la ville de Kigali et de ses environs, avant
de leur groupe ethnique tutsi mais tous leurs efforts ont d'envisager la suite.
été centrés uniquement sur la prise de Kigali . Ce n'est Dégager un corridor entre Byumba et Kigali afin
pas par incompétence que Paul Kagame n'a pas planifié qu' après la prise de Byumba, Umutara, Kibungo,
la défense des Tutsis en même temps que le bon dérou-
Ubugesera et la fermeture de la route de Gitarama, la
lement de la guerre . S'il n'avait pas été préoccupé uni- ville de Kigali soit totalement prise et que l 'on mette en
quement par la conquête rapide et à tout prix du pouvoir, place le pouvoir du FPR, pour ensuite poursuivre les
il aurait sauvé beaucoup de Tutsis tout en gardant sa capa- combats . C' est ce qui s' est passé, sauf pour la ville de
cité de gagner la guerre . Au lieu de durer trois mois, la Butare qui est tombée à ce moment, le 3 juillet, sans être
campagne aurait peut-être pris six ou sept mois, mais dans les priorités du FPR (le centre de Kigali a été pris
sans sacrifier autant de personnes. le 4 juillet).
La stratégie militaire de Paul Kagame pour prendre le Beaucoup d ' étrangers et même des Rwandais quali-
pouvoir a été celle-ci : fient cette stratégie de géniale . C' est ainsi que je la ver-
— Envoyer plusieurs effectifs dans la ville et aux envi- rais pour quelqu ' un qui visait le pouvoir, mais pour celui
rons de Kigali pour harceler les FAR ; la peur de perdre qui aurait voulu défendre les Tutsis, c 'était une grave
l' État devait les déstabiliser, les persuader que l 'État allait erreur.
être pris, ce qui les poussaient à massacrer les Tutsis afin Rechercher la confrontation avec les FAR, attaquer
que le FPR arrive après leur extermination . Il a prévu leurs camps et prendre les collines nous retardait pour
que la plus grande bataille aurait lieu à Kigali, pour sa arriver là où il fallait défendre les Tutsis menacés.
défense, et au Nord-Ouest, d 'où étaient originaires les Attaquer à la fois en ces deux endroits Umutara, Kigali
dignitaires civils et militaires du régime (Ruhengeri et et protéger la zone conquise de Ruhengeri entraînait en
Gisenyi). plus du retard, le regroupement de toutes les forces enne-
— Faire passer les troupes dans les zones sans force mies et leur refoulement dans les zones à forte concen-
de résistance, afin de faire une campagne la plus rapide tration de Tutsis . Si nous prenons le cas de l ' Umutara et
possible, et prendre une très grande zone mais sans uti- de Kibungo, toutes les forces ennemies qui s 'y sont déver-
lité militaire. C'est ainsi que la 157e mobile a été envoyée sées provenaient de Ngarama, Nyagatare, Gabiro, jusque
dans une course effrénée à travers tout l 'Umutara, Kayonza Rwamagana, le côté de Kabarondo-Kibungo,
Kayonza, Rwamagana, Rwinkwavu, Kibungo, Rusumo, et Rusumo ; cela a été une occasion offerte aux tueurs
Sake, Zaza, jusqu'au Bugesera . Mais elle n'a sauvé nulle d' exterminer les Tutsis dans les communes de Murambi,
part ne fût-ce que 1 000 Tutsis . L'unique stratégie que Muhazi, Sake, Rusumo, et ailleurs . Quant au FPR, en
je vois dans cette attaque était d 'encercler les FAR pour plus de l 'extermination des paysans hutus restés sur place,
354 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994
355

il provoquait la fuite massive des autres vers la Tanzanie, a eu plus ou moins 600 tués parmi les militaires de l 'APR,
vers Sake et le Bugesera . Ceux qui fuyaient vers Kigali sans compter les blessés et, plus bas, à Giti cy 'inyoni,
se faisaient tuer en route par l 'APR. De leur côté, les Gatsyata et Nyabugogo, des milliers de Tutsis ont été
génocidaires ont également continué leur plan d ' exter- massacrés ! Sur le mont Rebero, 800 militaires furent
mination des Tutsis partout sur leur passage . Les tués, sans compter les blessés, tandis que non loin, à
combats à Byumba et à Kigali n'ont abouti qu 'à l' ex- Gikondo, Rwampala, Kicukiro, Gahanga, Butamwa et
termination des paysans restés sur place et au refoule- ailleurs, des milliers de Tutsis ont perdu la vie . Au mont
ment des tueurs vers les endroits habités par des Tutsis, Kigali, plus de 500 militaires de l'APR ont été tués, sans
surtout dans la ville de Kigali et Kigali rural . Une partie que toute la localité soit même prise ; au pied de ce mont,
d' entre eux s'est dirigée vers Gitarama, Butare, Amayaga à Nyakabanda, Cyahafi, Kimisagara et ailleurs, des inno-
et ailleurs, où ils (entendez par là ceux qui tuaient et non cents sont tombés pendant que les militaires de l 'APR
ceux qui fuyaient purement et simplement le FPR) combattaient pour conquérir des arbres et des pierres.
devaient poursuivre le massacre . L'erreur a été de ne pas Une dernière faute réside dans le grand nombre d 'uni-
disperser les tueurs unis pour exterminer les Tutsis ; au tés spéciales de l 'APR. Au lieu d 'être ajoutées aux autres
contraire, Kagame les a combattus de manière à facili- unités pour aider ou sécuriser les zones conquises, elles
ter leur regroupement et là où ils passaient après leur ont été envoyées massacrer les paysans hutus . Or, l'ef-
défaite, ils laissaient derrière eux un drame inouï. fectif total de tous ces militaires était de loin supérieur
Une autre faute a été de faire tuer ou blesser des sol- à 5 000 . Cette stratégie a été doublement criminelle :
dats suite aux combats insensés qui ne visaient pas à d' une part il y a eu génocide des Hutus, d 'autre part il
défendre la population . Je donne beaucoup d'exemples y a eu non-assistance à personnes en danger, les forces
qui montrent que les militaires de l 'APR se sont fait tuer qui auraient dû défendre les Tutsis ayant été détournées
pour prendre des collines inhabitées, couvertes de pierres à des fins génocidaires.
et de forêts d'eucalyptus, et que les FAR finissaient par Premièrement, à mon avis, il fallait envoyer les mili-
évacuer sans subir de grands dommages . J 'ai été mili- taires à Kigali, non pas dans le but de prendre le pou-
taire, je connais la stratégie militaire et je la respecte. voir, mais pour protéger la population . J' estime que 7 000
Je sais qu' il existe des endroits stratégiques qu 'il faut militaires suffisaient pour défendre les Tutsis menacés
prendre pour la bonne poursuite de la guerre . Mais il dans la ville de Kigali et dans Kigali rural . Les unités
y a eu cette exagération de concentrer les militaires sur Alpha mobile du colonel Sam Kaka, la oi e mobile du
les collines, alors que dans les vallées les Tutsis étaient en colonel Muhire et la 21 e du colonel Charles Musitu
train d' agoniser, en plein jour, sous les coups de machette. n' étaient pas loin et avaient assez d 'hommes pour le faire.
Par exemple, pour la prise de la colline Jali, à Kigali, il Si elles s ' étaient ajoutées à la Y du lieutenant-colonel

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Kayonga, elles auraient suffi pour porter assistance aux lité ou celui de massacrer les Hutus, 4 000 militaires
personnes en danger, à condition de ne pas viser uni- auraient suffi pour sillonner les collines et porter secours
quement la prise de Kigali (flèches vertes sur la carte 1 1). aux gens qui étaient aux abois . Il importe de rappeler
Deuxièmement, après Kigali, il fallait secourir les envi- qu' il y avait ici deux très grandes unités, à savoir la
rons de la ville . En faisant passer des unités de l 'APR 7e mobile du colonel William Bagire, et la 157 e mobile
entre Ruhengeri et Kigali jusqu'à Gitarama, et Butare, du lieutenant-colonel Fred Ibingira (flèches rouges sur
une partie des militaires pouvait porter secours à Kibuye, la carte 1) . Cette intervention aurait été efficace dans la
Gitarama, Butare, Gikongoro . Ici, 4 000 militaires suf- mesure où elle aurait entravé le plan du gouvernement
fisaient. La Bravo mobile du colonel Twahirwa Dodo intérimaire qui excitait la population hutue au massacre
et la 59e mobile du colonel Charles Ngoga pouvaient des Tutsis . Cette tactique aurait permis d' encercler les
se charger de cette mission tout en prévoyant la garde FAR en les empêchant d ' aller massacrer la population
des zones conquises et l 'acheminement du matériel mili- ou alors de les inciter à combattre au lieu de se livrer aux
taire vers les premières lignes de combat . Ces unités tueries de civils . Il en ressort que le commandement
n'étaient pas éloignées l ' une de l 'autre et étaient proches de l' APR n'a jamais voulu arrêter le génocide des Tutsis ;
de leurs garnisons (flèches mauves sur la carte 1). il était uniquement déterminé à prendre le pouvoir.
Une autre possibilité était d ' orienter le passage des La deuxième stratégie possible, mais non choisie par
militaires du côté des volcans pour protéger les Tutsis Paul Kagame, aurait consisté à envoyer beaucoup de mili-
proches de la forêt des Volcans ainsi que les Bagogwes taires à Kigali, qui se seraient scindés en deux groupes
de Gisenyi . Dans ce cas, 1 500 militaires suffisaient parce dès leur arrivée ; l'un serait parti pour l 'Est et l'autre pour
que le passage était camouflé et que l' Ouganda était der- l' Ouest comme si le pays était divisé en deux parties.
rière eux . Ainsi, l'unité Charlie mobile seule aurait pu les L' encerclement par l ' APR de la ville de Kigali aurait
secourir et pouvait avoir d' autres effectifs pour ache- été un préalable . Les 157e, 7e , 21 e et 101' mobiles auraient
miner le matériel sur les zones de combat et pour garder suffi pour porter secours aux gens qui se faisaient tuer
les secteurs conquis (flèches jaunes sur la carte 1). dans les préfectures de Kigali, Kibungo et Byumba
La dernière option était de faire passer les troupes par (flèches en rouge sur la carte 2) . Ensuite, l'Alpha mobile,
tout l ' Umutara en descendant vers Kibungo, pour por- la Bravo mobile, la 59 e et la Charlie mobile seraient inter-
ter secours à Rwamagana, Kibungo, Rusumo, Sake, Zaza venues dans les préfectures de Gitarama, Kibuye,
et ailleurs . Comme je l'ai déjà dit, si l' objectif n'avait pas Gikongoro, Butare, Cyangugu, Gisenyi et Ruhengeri
été celui de prendre des collines et des marais sans uti- (flèches jaunes sur la carte 2).
La carte 2 montre la possibilité de blocage de toutes
1 . Ces quatre cartes de l ' auteur sont reproduites en annexe . (NdE) les routes depuis le nord jusqu ' au sud du pays . Avec
RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994
358 359

un tel scénario, les FAR n'auraient eu aucune issue, les La carte 4 sur l ' avancée de l' APR montre que la guerre
Interahamwe auraient été bloqués, le gouvernement inté- qu' elle menait ne visait pas à sauver les vies . En dehors
rimaire n 'aurait pas eu la possibilité de sillonner le pays des préfectures de Byumba, Kibungo et Kigali, ailleurs
pour sensibiliser la population aux tueries. dans le pays les combats ont commencé à peu près deux
La troisième stratégie pour secourir un grand nombre mois après la reprise des hostilités . La préfecture de
de personnes aurait consisté à laisser sur le terrain Gitarama a été défendue contre les génocidaires seule-
quelques militaires gardant la zone de chaque unité pen- ment en juin, celle de Butare en juillet, les préfectures
dant que tout le reste devait avancer implacablement très de Gikongoro, Kibuye et Cyangugu n ' ont aucunement
loin, comme nous l'avons fait lors de notre attaque du été défendues, quant à Ruhengeri, l 'APR a bouté hors
8 février 1993 . Nous devions commencer à attaquer une du territoire les militaires vaincus après les combats et la
fois que nous nous serions positionnés sur une ligne hori- préfecture de Gisenyi n'a pas été non plus défendue.
zontale qui coupe le pays en deux, c'est-à-dire de la Partout dans ces lieux, les tueurs ont tué et quand ils
Tanzanie jusqu' au lac Kivu. Dans ce cas, nous aurions n' avaient plus personne à tuer, ils faisaient la chasse à
pu sauver rapidement beaucoup de Tutsis (flèches rouges toute personne qui ressemblait aux Tutsis.
sur la carte 3). Voici quelques exemples :
La carte 3 montre qu' en engageant des combats tous Dans les régions de Byumba et Umutara, près des gar-
azimuts à partir de l'intérieur du pays, les FAR, les nisons du FPR, sur le chemin de leur passage vers les
services de sécurité, les Interahamwe et le gouvernement combats, il y a eu beaucoup d ' innocents tués, tout par-
intérimaire n' avaient plus la possibilité de massacrer ticulièrement à Murambi, Muhura, Rutare et Rukara.
les gens . Les soldats des FAR qui faisaient face aux élé - Dans aucun de ces endroits le génocide n'a été arrêté.
ments de la base arrière de l'APR ne seraient pas restés Chaque fois, l'APR arrivait le lendemain ou le surlen-
clans ces zones s' ils avaient appris que plus de 15 000 mili- demain du massacre des Tutsis . Pourquoi ce retard ? Il
taires de l'APR les avaient contournés et qu 'il n'y aurait n'y a que deux explications possibles : primo, le retard
à la longue aucun moyen de les ravitailler . Il faut rap- était dû aux combats pour prendre des collines quasi-
peler ici que les soldats des FAR s'étaient surtout massés ment inhabitées mais considérées comme zones straté-
dans les zones qui étaient proches de la frontière avec giques ; secundo, le retard était dû aux massacres par
l'Ouganda mais qu ' ils étaient peu nombreux à l'intérieur les unités spéciales des Hutus qui n 'avaient pas fui.
du pays . Je dirais qu' à Kigali, là où il y avait le plus de Dans la région de Kibungo, ce fut le même scéna-
militaires des FAR, ils ne dépassaient pas le nombre de rio qu' à Byumba et Umutara. Nul n'ignore que le FPR
7 000, y compris les quartiers généraux . Beaucoup d'entre est arrivé à Kayonza, Muhazi, Kabarondo, Rwamagana,
eux n'allaient pas sur les fronts . Nyarubuye, Cyasemakamba, Muhazi, Sake, Zaza et

360 RWANDA, LHISTOIRE SECRÈTE 1994 361

Nyakarambi après le génocide des Tutsis . On ne décou- nous n'avions pas de problème parce que nous combat-
vrait que quelques rares rescapés qui avaient pu en réchap- tions en fonction des positions des FAR Personne n'igno-
per grâce à la Providence . La seule différence entre ces rait que les voies suivies pour ravitailler les FAR étaient
préfectures et le reste du pays est que les tueurs et leurs presque les mêmes que celles de l 'APR. Donc, envisager
chefs n' ont pas eu le temps de faire le ratissage des res- la possibilité de couper les voies de ravitaillement de
capés qui étaient encore dans leurs cachettes . Dans les l'APR équivalait à envisager la possibilité de couper tout
autres préfectures, on a tué et encore tué les Tutsis jus- approvisionnement aux FAR.
qu'à ceux qui s' étaient cachés dans les marais, les champs Les grands axes principaux pour les FAR et pour tout
de sorgho et dans les crevasses des collines. le pays en général étaient Kigali/Kayonza, Kagitumba/
Rusumo, Kigali/Byumba, Kigali/Ruhengeri/ Gisenyi et
Ravitaillement des militaires au combat Kigali/Gitarama/Butare . En dehors de ces régions, il n'y
Il n'était pas facile d ' approvisionner en matériel les avait pratiquement pas de soldats des FAR. Les FAR
militaires de l 'APR au combat . Le problème tenait à la n'ont gagné d'autres régions qu'en se repliant. Les autres
grande distance à parcourir (surtout vers Kigali) et à la routes sont branchées sur lesdits axes principaux.
grande concentration des FAR dans cette zone . Une des En regardant la carte 1, si Alpha ou Bravo mobile, la
questions importantes que beaucoup peuvent se poser 59e mobile et Charlie mobile, avaient procédé selon mon
est celle de savoir comment on ravitaillait l 'armée. La schéma, elles auraient pu bloquer la route à Tare ou
réponse est simple pour les raisons suivantes : ailleurs avant la ville de Ruhengeri . Elles auraient ainsi
premièrement, les FAR ne pouvaient pas placer par- traversé pour joindre Rushashi . Ainsi, comme je l'ai indi-
tout des militaires car les routes reliant les différentes qué sur la carte, ces unités auraient pu continuer jusqu'à
zones opérationnelles étaient coupées par le FPR . C'est- Kibuye en une très courte période . Plus de 6 000 mili-
à-dire qu' on ne pouvait ni les utiliser ni les traverser. taires pouvaient le faire . Le contrôle de la route
Les FAR avaient les mêmes problèmes d 'approvi- Byumba/Kigali ne demandait pas non plus beaucoup de
sionnement que l'APR . Mais l'APR avait plus de sou- forces, il y avait assez de militaires qui pouvaient com-
plesse que les FAR : la plupart du temps, les soldats de battre en descendant de Byumba sur Kigali . Dans ce cas,
l'APR portaient eux-mêmes leurs propres munitions, il fallait seulement ajouter 600 militaires au 3 e bataillon
il arrivait aussi qu' ils se ravitaillent dans les zones et aux clandestins infiltrés qui étaient déjà à Kigali . La
conquises . Ainsi, ils pouvaient poursuivre les combats. route de Kagitumba/Kayonza/Kigali aurait été prise par
En d'autres termes, la grande distance ne posait pas de les militaires qui s'y seraient battus en descendant de
problème insurmontable de ravitaillement. Bien plus, Kagitumba sur Kigali . Ici non plus, les 4 500 soldats qui
s'il arrivait que l'on coupe les routes que nous utilisions, sont passés par là n' auraient pas eu de difficulté à le faire .
362 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE 1994 363

Ce qu'il faut retenir des différents scénarios que j 'ai Le commandement des opérations militaires et de
avancés (cartes 1, 2 et 3), c' est que je ne les conçois pas la communication (Command and Signal)
dans l' optique de la lutte pour la prise du pouvoir mais Au début, l 'une des difficultés permanentes était l'in-
plutôt dans celle d' arrêter les massacres ou d'entraver les gérence de Paul Kagame en tout, ce qui étouffait les com-
plans de ceux qui voulaient les organiser, afin que, quand mandants dans leurs zones respectives . La terreur qu'il
bien même les tueries auraient été inévitables, on puisse faisait régner, son écoute de tous les émetteurs des
limiter leur ampleur . En bref, arrêter le génocide ne requé- militaires, l'espionnage de tout le monde et en tout
rait pas d' énormes efforts du point de vue militaire . Il constituaient des obstacles majeurs dans les combats.
suffisait de mener la guerre dans le seul objectif de mater Militairement, c' est une faute grave qui entraîne une
les forces qui pouvaient exécuter librement le génocide. mauvaise poursuite des combats . En général, les officiers,
Sur la carte 4 montrant la progression des forces de notamment les officiers supérieurs, ont seulement besoin
l'APR, on constate bien que les génocidaires hutus ont de directives claires sur le travail à effectuer et le temps
librement perpétré le génocide au moment où le FPR se requis pour le faire . Chaque officier est responsable de
concentrait sur Kigali, où ses troupes étaient prises par l' état d 'avancement de son travail . En cas de problème,
des combats inutiles ou même par des massacres de civils il lui revient d'en informer son chef hiérarchique . Du
hutus ne participant pas au génocide. Cette carte indique reste, il doit avoir le pouvoir élargi d 'organiser son tra-
que près de la moitié du territoire national est restée sans vail comme il l'entend en collaboration avec les officiers
qu'aucun secours de l'APR ne soit apporté aux Tutsis. placés sous ses ordres . Cela lui permet de s'adapter à dif-
Les régions à forte concentration de Tutsis ont été les férentes situations, d 'être souple et flexible devant les cir-
plus éprouvées et le FPR n'y est parvenu qu 'après avoir constances difficiles.
obtenu ce qu' il voulait, à savoir la ville de Kigali. Ça ne s'est pas passé du tout ainsi . Presque toute la
Même dans la ville de Kigali et ses environs, l'APR se guerre a été dirigée par Paul Kagame. Il donnait les ordres
concentrait sur certaines cibles et laissait les Tutsis mou- concernant des endroits qu'il n'avait même pas vus, quel-
rir comme des mouches alors qu ' elle prétendait vou- quefois 1'APR ne disposait pas des cartes de ces endroits,
loir stopper les massacres . On sait l 'importance des il fallait faire une évaluation approximative . C'est ainsi
effectifs des FAR et le nombre élevé des combattants du que l'APR passait parfois à quelques mètres du lieu où
FPR . Pourtant, cette présence combien importante n 'a allaient être massacrés les Tutsis sans s 'en rendre compte.
pas empêché que plus de 300 000 personnes tombent Celui qui essayait de dire qu'il avait entendu de l'autre
sous les balles, bombes et machettes dans la même ville côté des gens qui appelaient à l 'aide, on lui rétorquait
de Kigali . Que faisaient alors pour les protéger plus de qu' il connaissait bien les directives et qu 'il n'avait aucun
12 000 libérateurs du FPR ? droit de se mêler d'autre chose . C'est ainsi que les Tutsis

364 RWANDA, l'HISTOIRE SECRETE 1994 365

ont été exterminés au su et au vu de l 'APR. Ici, je don- écarté sous prétexte qu'il n'avait pas fait des études supé-
nerai l' exemple de Kabuye et de Gatsyata, où des cen- rieures . Pourtant, ce ne sont pas non plus les deux années
taines de Tutsis ont été cruellement massacrés alors que d'enseignement secondaire du colonel Sam Kaka qui
l'Alpha mobile traversait la route à Nyacyonga pour conti- pouvaient en faire un expert plus compétent pour
nuer vers Gisozi et rejoindre les bâtiments du CND . Le conduire la guerre dans Kigali.
fait de ne pas permettre aux officiers d 'assumer leurs res- Ce que nous avons pu faire, c 'est déloger le gouver-
ponsabilités, alors qu ' ils en étaient réellement capables, nement intérimaire et mettre en place un nouveau pou-
est l' une des causes de la non-assistance aux Tutsis I . Je voir en sachant bien qu 'une fois que le gouvernement
ne peux pas oublier que là où Kagame ne dirigeait pas déchu et son armée ne seraient plus sur le territoire, le
lui-même, il plaçait son espion, d' une manière visible ou génocide s'arrêterait de soi . Je ne vois pas comment je
invisible, afin que les officiers en place, quand bien même pourrais dire qu'il s'agissait là d 'arrêter le génocide. C'est
ils seraient plus gradés que l ' autre, se sentent toujours plutôt la prise du pouvoir qui s'est accompagnée de l'ar-
contrôlés par l ' oeil de Paul Kagame. C'est ainsi que, en rêt du génocide. À quoi cela a-t-il servi de provoquer le
dépit de la présence à Kigali de nombreux officiers supé- génocide sous prétexte que l 'on serait capable de l 'arrêter ?
rieurs reconnus pour leur compétence, c ' étaient plutôt Dans un pays peuplé d'à peine 1,5 million de Tutsis, quel
les lieutenants-colonels Kayonga et James Kabarebe, tous est l'intérêt d' en faire massacrer un million et de se tar-
deux acolytes de Kagame, qui semblaient donner tous guer d'avoir sauvé quelques rescapés ? Il est grand temps
les ordres . Le colonel Ndugute qui fut longtemps le que la population rwandaise, les pays voisins et la com-
second (au commandement) de Kagame a également été munauté internationale sachent que le FPR a plongé le
pays dans l'abîme . Il partage la responsabilité du désastre
avec le MRND, le CDR et les ailes Power des autres par-
1 . À titre d ' exemple, je citerai le colonel Twahirwa Ludoviko dit
Dodo qui faisait tout pour arrêter les tueries, mais puisque cela n ' entrait
tis politiques, les FAR et les organes administratifs d'alors.
pas dans la politique générale de Paul Kagame, il fut suspendu et rem- Toutes ces différentes parties se sont rendues coupables,
placé par le lieutenant-colonel Charles Kayonga, pourtant connu pour les notamment les organes de direction du FPR et du com-
assassinats qu' il commettait. Les autres, qui firent de leur mieux pour mandement de l'APR, et doivent toutes, sans exception
venir en aide aux Tutsis en désarroi, ont plus tard tous été chassés de l ' ar- aucune, répondre de leurs crimes .
mée un à un, comme le colonel Charles Musitu, les lieutenants-colonels
Khaddafi, Nyamurangwa, le major Frank Bizimungu, etc, ou sont morts
de façon suspecte comme les colonels Ndugute, Charles Ngoga, etc . Tous
ces officiers et beaucoup d ' autres étaient accusés de vouloir se rendre très
célèbres et populaires, ce qui revenait à détourner pour soi les louanges
dues au chef (Paul Kagame) .
Troisième partie : de 1995 à 2000
« Nous avons arrêté le génocide »
Avril 1995 :
les massacres de Kibeho planifiés et perpétrés
par l'APR
17-23/4/1995 1
Après la prise de Kigali et du reste du pays par l'APR,
il y avait encore une partie du pays non contrôlée par le
FPR et son armée.

1 . Je ne suis pas témoin direct . La partie de l' information que j 'avais


lors de l 'opération de Kibeho venait de ce que je consultais régulière-
ment les messages radio HE Ces messages concernant les opérations et
les affaires administratives sont d ' habitude écrits dans de gros cahiers que
consultent les hauts dirigeants de l ' unité et les officiers chef de départe-
ments . J ' ai attentivement suivi cette opération et ai fait ma propre
enquête depuis déjà huit ans . Cette opération m' a particulièrement tou-
ché car elle a montré une extraordinaire animosité appliquée à une popu-
lation civile . Jusqu' au moment où j ' écris cet ouvrage, je continue à
chercher d ' autres informations par e-mail, par téléphone ou par courrier
postal, pour encore une fois essayer de comprendre pourquoi un État,
en temps de paix, peut se permettre de brutaliser, tuer sans merci, tortu-
rer entre 6 et 8 000 civils non armés en moins de trois jours . Les élé-
ments que j 'ai pu avoir pourraient même constituer un livre à part . Bien
que certaines de mes sources m'aient demandé de ne pas les exposer, je
peux quand même donner quelques noms : lieutenant-colonel Gasana
Emmanuel, capitaine John Sengati, capitaine David Safari, lieutenant

RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 À 2000


370 371

Cette partie du pays, dite « zone humanitaire sûre », nombre croissait chaque jour, les déplacés provenaient
était sous contrôle de l'opération Turquoise . Elle cou des communes voisines de Kibeho, soit de la préfecture
vrait une grande partie des préfectures de Kibuye, de Gikongoro ou de Butare et de Kibuye . Les causes liées
Gikongoro et Cyangugu . Elle était protégée par les à ces déplacements étaient variées . Premièrement, l 'APR
troupes françaises avant de céder la place à l 'APR. était en train de capturer systématiquement les gens ici
Une partie des habitants de cette zone a profité de et là, surtout parmi les hommes et les jeunes, et elle les
la présence des troupes françaises pour ne pas fuir . Cette tuait ou les incarcérait . Ces opérations avaient lieu dans
population espérait que les militaires français resteraient tout le pays, de façon qu ' en dépit de la victoire du FPR
plus longtemps et que le FPR n 'aurait pas l 'occasion qui prétendait avoir rétabli la paix, la plupart des Hutus
de la massacrer . Je dis bien ainsi parce que le FPR était continuaient à fuir vers les régions voisines . Les popu
connu pour tuer. Néanmoins, en date du 21 août 1994, lations qui habitaient près de la Tanzanie ou du Burundi
ce qu'on avait redouté s 'est produit avec le départ des s'y réfugiaient . Celles qui étaient proches de l ' île Idjwi
militaires français. s'y enfuyaient la nuit, mais beaucoup d ' entre elles étaient
L'armée de l 'APR était tellement aux aguets qu ' au fusillées pendant qu 'elles tentaient d ' embarquer. Il y a
moment où les militaires français ont quitté les lieux, eu beaucoup de Hutus qui se sont réfugiés également en
elle a immédiatement occupé toute la région qui s 'étend Ouganda . Qu' il y ait eu une partie de la population qui
le long du lac Kivu, de la préfecture de Kibuye à la pré a fui vers Kibeho n ' est pas étonnant, car c ' était un refuge.
fecture de Cyangugu. D' autres militaires de l 'APR ont Le FPR laissait entendre qu 'il n'y avait aucun moyen
contourné la forêt naturelle de Nyungwe dans le sens de d' innocenter les Hutus parce qu ' ils étaient tous consi
la frontière entre le Rwanda et le Burundi . Étant ainsi dérés comme des bourreaux . Pour un gouvernement qui
encerclée, cette population ne pouvait plus fuir vers le déclarait avoir ramené la paix et qui venait de passer à
Zaïre. peu près une année à la tête du pays, laisser errer les dépla
À. l' instar des autres camps de déplacés hutus à l 'in cés à l' intérieur du pays n' était pas un bon signe aux yeux
térieur du pays, les camps de Kibuye, Gikongoro et de la communauté internationale . En outre, au moment
Kibeho abritaient environ 150 000 personnes . Leur du démantèlement des camps, le service de renseigne-
ment militaire affirmait que certains déplacés détenaient
des armes à feu et qu 'ils s' en servaient pour tuer les res
Maringumu, sergent Munana, caporal Karekezi, soldat Kubwimana Jean
capés qui pourraient éventuellement les dénoncer . Ces
Népomuscène, et d ' autres. Certains, parmi eux, m 'ont donné ces infor
mations sans savoir que je peux les utiliser un jour pour écrire un livre.
affirmations étaient en partie correctes . En effet, lorsque
D ' autres m'ont donné leurs témoignages sachant bien pourquoi j 'en avais l'APR a attaqué le camp de Kibeho, certains déplacés
besoin . ont essayé de se défendre . Mais la présence des armes

372 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000


373

dans les camps a été rapportée d 'une façon exagérée afin nécessaire pour détruire le camp de Kibeho ainsi que les
qu' on puisse justifier le démantèlement du camp par les petits camps qui l 'entouraient . Le général-major Paul
armes lourdes . Le général-major Paul Kagame n'éprou Kagame a ordonné au major Kamanzi Mushyo de mettre
vait pas de pitié pour ces gens, même si la plupart des les camions ainsi que le carburant nécessaire à la dis
membres du gouvernement lui disaient que les déplacés position des militaires chargés de l ' opération . Il a
mouraient de faim chaque jour alors qu'ils avaient des demandé aussi qu'on apprête des conserves dont se nour
biens qu'ils avaient dû abandonner . Le démantèlement riraient les soldats qui devaient d 'abord encercler les
du camp de Kibeho a été le fruit d'un plan bien élaboré. camps pendant trois jours . L'APR disposait de conserves
Je tâcherai de passer en revue le déroulement de ce mal- qu'elle avait ravies à la MINUAR et qu'elle gardait tou
heureux événement tel qu'il est survenu sous la direction jours en stock . Après la réunion, le général-major Paul
de quelques officiers supérieurs. Kagame, accompagné des lieutenants-colonels Karake
Le mardi 11 avril, Paul Kagame, vice-président et Karenzi, Fred Ibingira, Caesar Kayizari et du capitaine
ministre de la Défense, a envoyé un message par radio John Zigira, est allé visiter les alentours des camps pour
militaire au commandant de la 301 e brigade, en infor vérifier si la façon dont il avait réparti les différentes
mant en même temps les commandants des bataillons tâches était respectée . Il est même arrivé au fin fond des
Alpha et 157 e. L' objet de ce message était la réunion qui collines dans les communes frontalières.
devait se tenir au siège de la 30le brigade à Butare et être À son départ, le vice-président a demandé au lieute
dirigée par le vice-président lui-même . Étaient égale nant-colonel Ibingira de le tenir régulièrement au cou
ment convoqués les chefs des départements à l 'état-major rant de l ' évolution de la situation.
et à la 301 e Brigade . La réunion était fixée au 13 avril On a d'abord désigné quatorze militaires parmi les
à 11 heures. quels les soldats du service de renseignement qui faisaient
Hormis le président de la réunion en la personne du partie du groupe du lieutenant Emmanuel Gasana alias
général-major Paul Kagame, étaient également présents Rurayi . Ils ont reçu la mission de pénétrer dans les camps
les officiers suivants : le lieutenant-colonel Fred Ibingira, et d 'analyser la situation intérieure afin de proposer des
le lieutenant-colonel Karake Karenzi, le major Frank modalités d 'attaque . Pourtant, les déplacés ne voulaient
Mushyo Kamanzi, le capitaine John Zigira, le major pas que ces militaires entrent dans les camps . Les auto
Wilson Gumisiriza, le lieutenant Emmanuel Gasana rités ont laissé entendre que lesdits militaires devaient
Rurayi, le lieutenant Peter Kalimba, le lieutenant identifier les gens qui empêchaient les autres de revenir
Innocent Kabandana et la suite du général-major Kagame dans leurs communes respectives . Cependant, vu leur
composée notamment de ses gardes du corps . Ceux qui nombre et les moyens mis à leur disposition, ces mili
étaient présents ont convenu que l 'usage de la force était taires n'étaient pas capables d 'accomplir une telle mis-

374 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 375

sion. Ils appartenaient au bataillon Alpha mobile et ils Kibeho étaient déjà encerclés . Les militaires avaient eu
avaient été désignés par le major Philibert Rwigamba sur vent d' informations selon lesquelles les camps abritaient
ordre du lieutenant-colonel Fred Ibingira. Les militaires des éléments dangereux et qu' il fallait rester sur le qui-
du service de renseignement ont été choisis et envoyés vive, prêt au combat . Pendant la journée, les militaires
par le lieutenant Emmanuel Gasana Rurayi qui suivait du bataillon Alpha mobile ont poussé les réfugiés vers
depuis quelques jours ce qui se passait dans les camps . Il l'intérieur des camps . La situation n'a pas évolué jus-
avait voulu empoisonner l 'eau, mais les déplacés ont vite qu' aux environs de 18 heures . Les militaires du service
eu le pressentiment de ce qui pouvait se produire et ils de renseignement emmenés par le lieutenant Peter
ont commencé à protéger leur citerne d' eau. Voilà qui Kalimba avaient dressé une barrière, à la sortie des camps,
explique pourquoi les déplacés ont progressivement mis qu'aucun déplacé n' avait le droit de franchir. Les camions
en doute l' intention des éléments de l'APR qui voulaient qui approvisionnaient les camps en eau n 'avaient plus le
pénétrer dans les camps . Pour l'APR, laisser une sec droit d' entrer. Or, vu l 'emplacement des camps, il n'y
tion de militaires entrer dans les camps était un acte de avait pas moyen d' avoir facilement une quantité d'eau
provocation . Lorsque lesdits éléments de I'APR sont arri suffisante pour une population d'environ 150 000 per
vés dans les camps, ils se sont heurtés à une résistance sonnes. On devait régulièrement alimenter la citerne
farouche des déplacés qui ont voulu confisquer leurs d'eau . La plupart des déplacés vivaient au jour le jour
armes. Les militaires ont résisté et cela a vite tourné en des vivres distribués par les ONG . En encerclant her
un combat de quelques minutes . Les Interahamwe, qui métiquement les camps, les militaires mettaient à exé
étaient parmi les déplacés, ont tiré sur deux soldats, dont cution les mesures prises par le général-major Paul
l'un s' appelait Kanyankole du bataillon Alpha mobile. Kagame : les priver de manger pendant trois jours . Les
Après cet incident, durant lequel les autres militaires ont militaires avaient aussi la consigne d 'avancer petit à petit
été blessés par les couteaux et les pierres lancées par des vers l' intérieur. Lorsqu ' ils attrapaient quelqu'un, ils le
déplacés, le lieutenant-colonel Fred Ibingira a directe- reléguaient derrière leurs rangs . Lorsque le nombre des
ment donné l ' ordre de détruire les camps par la force captifs était important, on les faisait monter à bord des
militaire. camions qui les acheminaient à Butare où ils devaient
Son plan consistait à encercler le camp de Kibeho être tués. J 'y reviendrai plus loin. Les interventions des
et les deux petits camps qui l'entouraient . Cela devait organisations humanitaires se limitaient désormais à soi
commencer dans la nuit du lundi au mardi, soit le gner les déplacés qui étaient blessés par les balles de l'APR
17 avril 1995 vers minuit . Cela a été fait et des tirs qui Celle-ci demandait au HCR, au CICR et aux soldats
ont emporté la vie de certains déplacés se sont fait zambiens de la MINUAR d'inviter les gens à rentrer
entendre cette nuit même . Au petit matin, les camps de de leur propre gré chez eux . Les déplacés n'ont pas été

376 RWANDA, I :HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 377

enthousiasmés par cette invitation et ont cru être pro- dix mètres séparait un soldat d 'un autre . Ceux qui ont
tégés par lesdits organismes. essayé ont été fusillés et sont morts sur-le-champ
L'APR a continué à serrer les rangs et à soumettre et d' autres ont été grièvement blessés . Le lieutenant-
les déplacés à l'épreuve de la soif et de la faim pour les colonel Ibingira a saisi cette occasion pour décréter le
forcer à sortir des camps . Le lieutenant-colonel Fred bombardement des camps sans se soucier de ceux qui
Ibingira, connu pour être un spécialiste des opéra- n'avaient pu sortir des camps à cause des Interahamwe
tions Songamana qui consistent à serrer les gens le plus qui les retenaient. Je voudrais rappeler qu'il y avait dans
étroitement possible, espérait bien qu'en les privant de cette région d 'autres petits camps, tels que le camp
manger et de boire et en les frappant avec des ceintures Ndago qui comptait environ 40 000 personnes et le
militaires pour les pousser à se serrer le plus possible, ses camp Munini qui abritait au moins 15 000 personnes.
militaires finiraient par les forcer à rentrer chez eux . Il Le samedi 22 avril, dans son rapport quotidien, le lieu-
était également prêt à donner l'ordre de recourir à la tenant-colonel Ibingira a dit que, comme les bons
force, si ces manoeuvres ne réussissaient pas . Pendant ces citoyens étaient déjà sortis des camps, la guerre pouvait
deux jours, on avait déjà apprêté les véhicules qui devaient désormais être déclarée au reste des déplacés.
transporter les corps au cas où l 'usage de la force aurait Les militaires avaient eux-mêmes constaté que les gens
été nécessaire. Les escadrons spécialisés dans l 'enterrement avaient eu beaucoup de difficultés pour sortir des camps,
rapide et l'incinération des corps étaient également prêts. car certains de ceux qui parvenaient à en sortir avaient
Le travail proprement dit était prévu au terme des trois des blessures . Pourtant, le message du lieutenant-colo-
jours d' ultimatum et de torture. nel Ibingira laissait entendre qu'il n'était désormais plus
À l'intérieur des camps, certains déplacés ont tenté question de s'apitoyer sur le cas des civils innocents et
de demander à la MINUAR, au CICR et au HCR de que tout le monde devait être bombardé . Rappelons que,
les inscrire pour rentrer sur leurs collines, mais ils se depuis la nuit du 17 avril, les camps n 'étaient plus ravi-
sont heurtés à l'opposition farouche de quelques-uns taillés en vivres . Même ceux qui avaient essayé d'éco-
d' entre eux. Il y a même eu des bagarres à la massue, au nomiser n'avaient plus rien à se mettre sous la dent . Le
couteau et à la machette . Ceux qui détenaient des armes lieutenant-colonel Ibingira a ordonné qu 'on installe des
intimidaient ceux qui voulaient rentrer. Celui qui par- mortiers de 60 mm tous les 100 m, des armes moyennes
venait à sortir informait les militaires qu'il y avait des et légères dans chaque section . Cela revient à dire qu'il
gens armés qui empêchaient ceux qui voulaient rentrer y avait un intervalle d'à peu près 50 m entre une arme
de le faire. À un certain moment, les Interahamwe qui et une autre . En outre, il a ordonné que chaque peloton
étaient dans les camps ont voulu se ruer sur les sol- s' équipe en lance-grenades (Anti Tank Weapons) ainsi
dats d'Alpha mobile parce qu' une distance d 'à peu près qu'en RPG. Son plan de bombardement des camps a été

37$ RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 379

le même que celui qu' il a utilisé pour bombarder la ville poignardé ceux qui n'avaient pas encore rendu l' âme,
de Gitarama dont la prise avait été très dure. sans distinction aucune.
C'était le samedi 22 avril vers 13 heures . Tous les La scène était effroyable . Les corps étaient déchi-
déplacés s ' étaient repliés vers l'intérieur des camps du quetés et déformés par des grenades et des bombes.
côté des anciens sites de distribution des vivres . Ils avaient Comme les militaires tiraient souvent à bout portant,
dû quitter leurs abris en sheeting. À cette heure là, il est chaque victime encaissait plusieurs balles . Le soir même,
tombé une très forte pluie et les déplacés ont couru en allait commencer le travail dévolu aux lieutenants
masse vers leurs tentes en sheeting pour s 'abriter. C'est Emmanuel Gasana alias Rurayi, Peter Kalimba et Zigira.
alors que les militaires de l'APR ont cru à une attaque et Ils ont emmené de gros camions qui ont transporté les
ont tiré sur la foule . De 13 heures à 14 h 30, I'APR avait cadavres toute la nuit durant. On a utilisé trois camions-
déjà fait usage de toutes les armes : plus de 100 bombes conteneurs hermétiquement couverts, six camions mili-
mortiers 60 mm, des milliers de balles de mitrailleuses taires envoyés de la logistique par le major Mushyo
et RPG étaient tombées dru dans la foule des dépla- Kamanzi et deux camions de l ' état-major de la gen-
cés. Vers 17 h 30, une nuée de gens a tenté de franchir darmerie de Kacyiru . Après cette évacuation des corps,
les barrières pour sortir, mais sans succès, car le lieute- il restait encore des cadavres parsemés dans les camps
nant-colonel Fred Ibingira ne voulait plus que quelqu'un ainsi que dans les fosses septiques et les fosses com-
puisse s'échapper. Au contraire, il voulait que les gens munes où ils avaient été jetés provisoirement par des
continuent à se ruer sur les militaires, qui les massacraient militaires qui ne connaissaient pas la procédure et qui
alors impitoyablement. Il était comme un fan qui assiste voyaient la nuit tomber.
à un match ; il éprouvait du plaisir à voir les gens mou- Comme je l'ai déjà dit un peu plus haut, les déplacés
rir en masse et encourageait ses militaires par ces mots: qui parvenaient à s'échapper étaient récupérés par les
Tuez ces imbéciles d ' Interahamwe. » Lorsque, comme militaires et chargés à bord des camions qui devaient les
je viens de le dire, vers 17 h 30, une foule de gens a tenté conduire aux endroits où ils devaient être tués . Le nombre
de franchir les barricades pour fuir, c 'est alors que les de gens qui échappaient au carnage est monté en flèche,
véritables tirs nourris à l'arme lourde ont eu lieu I . Les rendant ainsi insuffisant celui des camions affectés à leur
soldats ont continué vers l 'intérieur des camps et transport . Ont dû alors intervenir le colonel Kayumba,
les lieutenants-colonels Jackson Rwahama, James
1 . Cette scène ressemblait à la bataille sanglante qui avait eu lieu le
Kabarebe, Karake Karenzi ainsi que d ' autres officiers qui
4 juillet 1994 lors de la prise de Kigali, où, pendant plus d ' une heure, ont dépêché des camions supplémentaires . On a égale-
une compagnie de la 7 e unité mobile, la Bravo mobile et surtout la ment réquisitionné le camion Benz de couleur orange
59 e mobile ont fusillé et bombardé la foule qui fuyait (cf. p. 319) . (NdE) d' un commerçant de Butare qui s 'appelle Bihira .

380 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 381

Voici en quoi consistait le travail des camions . Les camions pour être transportés à l ' endroit d'incinération.
camions qui transportaient les cadavres avaient comme Tout cela se passait sous les yeux de la MINUAR sans
destination finale l ' endroit dénommé Muwa Senkoko inquiéter le colonel Ibingira. Le travail d 'évacuation s'est
au milieu de la forêt naturelle de Nyungwe . C'est là que poursuivi jusqu'à 9 heures du matin . Il y avait eu un pro-
l' incinération avait lieu . Les camions qui transportaient blème de coordination dans le transport des cadavres,
les gens encore en vie ne partaient pas tout de suite. c'est pourquoi, à cette heure-là, beaucoup de corps, parmi
En effet, les militaires prenaient soin de les ligoter avant lesquels ceux de personnes âgées et d 'enfants, gisaient
de les jeter, pieds et poings liés, dans les camions qui les encore devant les militaires de la MINUAR . Le lieute-
acheminaient près de l 'aérodrome de Butare . Il y avait à nant-colonel Ibingira avait passé la nuit à boire avec
cet endroit un petit camp militaire de la gendarmerie et les autres officiers supérieurs . Les militaires du service
des maisons spacieuses dans le voisinage . C'est là que de renseignement ont porté plainte contre lui parce qu ' il
l' on entassait des déplacés et qu'on les tuait en fracassant n'avait pas achevé le travail d'évacuation et que, le matin,
leur tête avec une houe usagée, en les asphyxiant avec la MINUAR avait pu faire le décompte des cadavres.
des sacs en plastique, en les transperçant à coups de C' est alors que le général-major Paul Kagame a pris la
baïonnette . Environ deux mille personnes ont péri à cet décision de l'incarcérer. Que le lieutenant-colonel Fred
endroit. On y avait dépêché quelque 130 militaires issus Ibingira n'ait pas pu superviser convenablement l'éva-
des unités suivantes pour remplir cette mission : 32 sol- cuation totale des corps alors qu 'il avait reçu des recom-
dats d'Alpha, 40 soldats du groupe du lieutenant mandations était sa seule faute !
Emmanuel Gasana Rurayi et plus de 30 soldats issus de Les hauts responsables de la MINUAR et des ONG
l' escorte du colonel Kayumba Nyamwasa et dirigés par se sont rendus sur les lieux du drame au courant de la
le sergent John Sengati . Certains d'entre eux étaient char- journée de samedi et ont constaté eux-mêmes que les
gés de tuer tandis que d 'autres devaient charger et escor- soldats de l'APR avaient des taches de sang partout,
ter les cadavres jusqu'à Nyungwe pour les incinérer. notamment sur leurs uniformes et leurs bottes, parce
qu'ils venaient de passer la nuit entière à faire le char-
La situation dans le camp gement et le transport des cadavres. Leurs baïonnettes
Même si les tirs nourris ont fini par cesser pour évi- était également souillées de sang. Je ne saurais dire le
ter que les militaires s'entretuent, l 'APR ne se lassait pas nombre exact des victimes, mais je l ' estime à plus de
d' entrer méthodiquement dans les abris en sheeting à six mille.
l' aide des lampes torches et de tuer les survivants . Ainsi Lorsque lesdits hauts responsables sont arrivés, ils ont
entendait-on sporadiquement des tirs durant toute la compté les corps qui gisaient encore à même le sol et leur
nuit . Les corps étaient ramassés et chargés dans les nombre s' est élevé à plus de 500 . Les soldats du

382 RWANDA, I;HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 383

157e bataillon et de l 'Alpha mobile commençaient à y avait des Interahamwe parmi la population et que
remonter les corps qu 'ils avaient provisoirement jetés dans l'État ne pouvait pas rester les bras croisés devant ce pro-
les fosses et à les entasser afin qu 'ils puissent aussi être éva- blème . À la fin de sa visite, le président Pasteur
cués par des camions le soir . Le jour suivant, les rescapés Bizimungu a osé déclarer qu' il y avait eu à peu près
de ce massacre, traumatisés, se sont rassemblés dans les 300 morts. Non seulement c'était un mensonge ignoble,
anciens bâtiments des médecins . Ces gens qui l ' avaient mais cette négation du massacre était aussi une torture
échappé belle et qu'on n' avait pas encore fait monter à morale pour la population . Mais ce qui reste fort éton-
bord des camions de la mort étaient approximativement nant est le silence qui s 'en est suivi . La vie a continué son
2 000 . Le lieutenant-colonel Ibingira a ordonné qu ' ils cours normal comme si de rien n'était ! Durant la période
sortent des bâtiments ; en cas de refus, il menaçait de des massacres de Kibeho, l'APR a déploré au total trois
donner l' ordre à ses militaires de faire usage des armes morts, dont deux avant et un après les massacres . Elle
lourdes pour faire écrouler les bâtiments sur eux . Les sol- a eu sept blessés légers et un blessé grave.
dats de la MINUAR qui avaient assisté, impuissants, à Jusqu'à ce jour, beaucoup de gens ne savaient pas que
ces horreurs espéraient que cette fois l'APR n 'allait pas la nuit entière, en plus de charger les cadavres dans les
oser bombarder ces gens en présence des hauts respon- camions, on chargeait aussi vieillards, hommes, femmes
sables de la MINUAR . En fin de compte, le lieutenant- et enfants pour aller les tuer à Butare pendant que le mas-
colonel Ibingira n'a pas donné l 'ordre, non pas parce qu 'il sacre se poursuivait dans les camps.
craignait la MINUAR, mais parce qu 'il avait appris entre- Les gens qui ont pris part à ce massacre sont nom-
temps que les éléments du service de renseignement breux car la population a été bombardée par tout un
avaient porté plainte contre lui auprès du général-major bataillon de l 'armée de l'APR en collaboration avec les
Paul Kagame qui avait par la suite décidé de l 'emprison- militaires issus des différentes unités, notamment des
ner. On a ramassé le reste des corps qui étaient éparpillés escortes du général-major Kagame, du colonel Kayumba
ici et là, même aux environs de l ' église, et on les a char- Nyamwasa et de la DMI . Ont également participé à
gés dans les camions qui les ont évacués. ce massacre les soldats du 157e bataillon alors à Butare.
Le président Pasteur Bizimungu, en compagnie de Mais la lourde responsabilité d ' avoir planifié, organisé
son vice-président, le général-major Paul Kagame, s 'est et mis en exécution les massacres des déplacés des camps
rendu sur les lieux . Les deux hommes n' ont pas été émus de Kibeho incombe indubitablement aux personnalités
par le drame . Au contraire, ils tenaient des propos bles= suivantes : le général-major Paul Kagame, le colonel
sants et incongrus. Ils disaient que le recours aux armes Kayumba Nyamwasa, le lieutenant-colonel Fred Ibingira,
lourdes était justifié par le simple fait que les déplacés le major Philibert Rwigamba, le capitaine John Zigira,
n' avaient pas voulu sortir des camps . Ils ajoutaient qu'il le lieutenant Emmanuel Gasana Rurayi, le major Wilson

RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000


384 385

Gumisiriza, le lieutenant Peter Kalimba, le lieutenant prison d' une façon frénétique et sans explication ; tous
Innocent Kabandana. les Hutus étaient considérés comme des coupables et
Les autres militaires impliqués, même si on compte personne ne pouvait avoir l' occasion de prouver son
parmi eux des officiers, y compris supérieurs, n ' ont pas innocence ; le risque de spoliation de tous les biens,
participé à la réunion de planification de ces massacres. notamment les immeubles, les automobiles et les champs
Ils ont purement et simplement exécuté les ordres éma- sans aucun moyen de défense . La spoliation a gagné
nant de leurs supérieurs. tous les coins du pays . Lorsque la personne qui s ' était
emparée des biens en question était militaire, gendarme
Juillet 1995 : la guerre des infiltrés 1 (Abacengezi) ou mobilisateur politique du FPR, celui qui réclamait
Après la victoire de l 'APR, les FAR et leurs alliés ont ses biens devait être éliminé le soir même . Ces raisons
fui vers le Zaïre . D ' autres sont allés du côté de leurs suffisent à expliquer pourquoi le retour des réfugiés n'a
régions natales, notamment vers le Burundi, la Tanzanie, pas été rapide. En plus, à côté de ces diverses exactions
etc . Il importe de mentionner ici que, même si la guerre perpétrées à l ' encontre des populations, notamment
a coûté la vie à de nombreux militaires tant du côté des d' origine hutue, il y avait les nouveaux départs, un à
FAR que du côté de l'APR, les meurtriers s 'en sont un, de ces réfugiés récemment revenus pour la Tanzanie,
généralement sortis indemnes . En effet, le FPR s 'est le Zaïre, le Burundi ou l'Ouganda . Tout cela inquiétait
contenté de les bouter hors du territoire rwandais . Point le gouvernement du FPR car c 'était pour lui une tâche
n' est besoin de relever également le fait que parmi ces difficile de pouvoir convaincre la communauté inter-
centaines de milliers de réfugiés figuraient des militaires nationale qu' il avait restauré la paix alors que plus de
et des extrémistes qui n' envisageaient aucun retour pos- deux millions de réfugiés n'osaient pas encore rentrer
sible tant que le pays serait entre les mains du FPR. au pays, pendant qu'en même temps il y avait des nou-
Néanmoins, les causes de la crainte des réfugiés à leur veaux départs pour l 'exil. C' est ainsi qu 'est née l ' idée
retour, causes plausibles mais soulevées en vain, sont les d' attaquer et de détruire les camps de réfugiés . Plus tard,
suivantes : les Hutus étaient tués, kidnappés ou jetés en on pensera aussi à piller les ressources naturelles du
Zaïre. Du côté des réfugiés au Zaïre, on a continué à
1 . Je suis témoin oculaire pour les opérations militaires menées dans préparer des attaques sporadiques contre le Rwanda . Il
les préfectures de Kibuye, la partie sud de Gisenyi, la partie nord-ouest y avait des entraînements militaires au niveau des camps.
de Gitarama et ce, pendant la période, de fin 1994 à mi-1997 . D ' autre Je citerai quelques exemples d 'attaques sporadiques qui
part, je rapporte ce qui m 'a été dit par des témoins directs . J ' avais la pos-
sibilité de vérifier si l ' information donnée était correcte ou pas. Pour le
ont eu lieu à partir du territoire zaïrois.
reste de la guerre dite des infiltrés de 1998 à 2001, je me réfère aux À partir du mois de juillet 1995, on a connu de petites
témoignages des autres et procède à mes propres analyses . attaques du côté notamment de Karengera, en préfec-

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387

ture de Cyangugu, et de Rwamatamu, Gishyita, Gitesi, lac . Dans les autres communes de Ruhengeri et de
Mabanza, Rutsiro, en préfecture de Kibuye, du côté Gisenyi que j ' ai mentionnées, on avait trouvé comme
de Kayove, Nyamyumba, Kanama, Rwerere et Mutura, solution de placer le plus de militaires possible afin de
en préfecture de Gisenyi, du côté de Mukingo, Nkuli, parer à toute brèche.
Kinigi, en préfecture de Ruhengeri . Ces attaques n'étaient A l' automne 1996, I'APR a attaqué tous les camps de
pas d'une grande ampleur, mais elles consistaient à tuer réfugiés situés à l ' est du Congo et a impitoyablement
des familles bien ciblées, notamment des Tutsis ou des massacré les réfugiés . Les uns sont rentrés par force et les
responsables de base sur les collines, à razzier le bétail, à autres ont été traqués dans la forêt. Comme l'APR avait
piller de petits magasins, à placer des mines, etc . Cela encerclé les camps, nombreux sont les réfugiés qui ont
suffisait en soi pour justifier une possible attaque des pris le chemin du retour au Rwanda faute d 'alternative.
camps de réfugiés du Zaïre par des militaires de l 'APR. Ceux qui ont échappé aux balles ont entrepris une longue
Après que cette dernière eut constaté que les assaillants fuite à l' intérieur du Zaïre, pourchassés et massacrés par
faisaient leurs préparatifs sur les îles Idjwi et Iwawa avant les soldats de l 'APR.
de traverser le lac Kivu pour attaquer le Rwanda, elle a Ceux qui ne pouvaient plus avancer par fatigue ou
mis sur pied une unité de marines. Sans plus attendre, des éléments des FAR échappaient parfois à l 'APR qui
cette unité a été équipée de petits bateaux de guerre très les encadraient sur le chemin du retour et se cachaient
rapides, munis de tout ce qu' on peut attendre d 'une tech- non loin de la frontière du Rwanda . Certains de ces
nologie moderne en matière de radars et d'équipements éléments des FAR qui n' ont pas continué jusqu'à
de vision nocturne . Comme la présence et l'équipement Kinshasa, en Zambie, en Angola, en République cen-
sophistiqué de ces bateaux avaient été vite perçus par les trafricaine ou au Congo-Brazzaville ont mené des
réfugiés, vers la fin de l ' année 1996, aucune pirogue attaques par infiltration entre 1997 et 2001 à partir de
en provenance du Zaïre n'osait plus traverser le Kivu vers la région du Kivu.
le Rwanda. On avait également procédé au démantè ,,
lement de l 'unité des FAR qui occupait l 'îlot d'Iwawa et Qui sont les infiltrés ?
à la mise en place d 'une base militaire de l 'APR sur ledit C' est une question à la fois difficile et facile . Quelque
îlot. Les FAR ne pouvaient plus utiliser le lac pour lan- nuancée qu'elle soit, la notion d 'infiltrés englobe les
cer des attaques et un bon nombre de réfugiés avaient anciens éléments des FAR . Un bon nombre d'entre eux
commencé à évacuer les camps situés sur l 'île Idjwi . Les ont pris part aux massacres des Tutsis . Par la même
marines de 1'APR patrouillaient l' étendue du lac toute la notion, nous devons aussi entendre les anciennes milices,
nuit durant. Au jour de l'attaque des camps de réfugiés, notamment les Interahamwe ainsi que les jeunes qui ont
il n'y avait plus de problème d ' insécurité au niveau titi reçu une formation militaire .
388 RWANDA, L'HISTOIRE SECRETE DE 1995 A 2000 389

Comme les FAR avaient souillé leur image, elles ne perpétrés durant les escarmouches qui avaient des cibles
pouvaient plus livrer une guerre qui soit politiquement bien précises . Elles visaient surtout les sièges adminis-
approuvée, même contre un régime de tueurs comme tratifs régionaux, les bureaux de secteurs, les bâtiments
celui du général-major Paul Kagame. Elles ont cherché administratifs, les dispensaires, les établissements sco-
à redorer leur image en s'autoproclamant PALIR (Peuple laires, etc . Les Tutsis étaient la cible privilégiée des infil-
en armes pour la libération du Rwanda), dont le bras trés. Il arrivait parfois qu 'on fasse le contrôle des passagers
armé était nommé ALIR (Armée de libération du à bord des véhicules qui circulaient sur la route et les
Rwanda) . Par la suite, il y a eu deux factions ALIR 1 Tutsis étaient mis à l 'écart et tués. Mais, plus tard, les
et ALIR 2, qui furent probablement le fruit d'une mésen- infiltrés ne se donnaient plus la peine de trier. Ils tiraient
tente au sein du groupe. purement et simplement sur les véhicules.
Personnellement, je n'ai jamais connu le programme Les infiltrés procédaient également à des pillages sys-
politique du PALIR et de son armée ALIR. Mais leurs tématiques d 'argent, de médicaments, de bétail et d'armes
actes parlaient d 'eux-mêmes . Ce qu' on a pu consta- dans le but de bouter le pouvoir en place, notamment
ter et qui pourrait être considéré comme leur idéolo- dans les préfectures de Ruhengeri et Gisenyi.
gie politique est le message qu' ils diffusaient par des Pendant la période de ces attaques, l'ALIR a aussi eu
tracts parsemés dans le pays, surtout dans le Nord. recours à la propagande . Elle faisait circuler les tracts
Quelques-unes des actions du PALIR et de l 'ALIR ont qui disaient que la guerre qu 'elle menait avait été annon-
démontré la malfaisance de leur programme politique. cée par Dieu et qu'elle était par conséquent une guerre
Ils ont tué des Tutsis, qu' ils soient des rescapés du sainte . Certains messages commençaient par des tour-
génocide, rentrés de l 'extérieur ou Congolais d'origine nures telles que : « Je vous salue au nom de Jésus-Christ
tutsie. Ce comportement a été perçu généralement notre Seigneur » et finissaient par : « Que la paix du
comme une perpétuation du génocide des Tutsis . Du Seigneur soit avec vous ! » Parfois, les messages étaient
côté de la direction du parti et de son armée, rien n'a été illustrés par des versets bibliques . Les infiltrés en sont
entrepris pour montrer aux Rwandais et à la commu- arrivés à sensibiliser la population en leur expliquant
nauté internationale que leurs objectifs différaient des que cette guerre était destinée à délivrer le Rwanda des
allégations faites à leur encontre jusque-là . En effet, ils mains des ennemis qui l'avaient assiégé et que Dieu était
avaient été accusés de génocide contre les Tutsis et ils avec eux.
continuaient à le pratiquer. Le PALIR/ALIR a profité des fautes que le FPR ne
Ils ont tué des Hutus qui n'approuvaient pas l'infil- cessait de commettre, entre autres le massacre de la popu-
tration, notamment les Hutus que le FPR avait nommés lation, les spoliations, les arrestations et emprisonne-
à différents postes d'administration . Les massacres étaient ments arbitraires des Hutus considérés tous comme des

390 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 391

tueurs, et a fait comprendre que le but des infiltrations entre autres, l'enrôlement forcé de la population . Parmi
était de mener une guerre sans merci, non seulement les enrôlés, on pouvait distinguer trois catégories,
pour délivrer la population des griffes du pouvoir tutsi, d'après les noms que s' étaient donnés les groupes mili-
mais aussi pour arrêter l'extermination des Hutus . D' un taires et les milices pro-ALIR : les « jeunes », c ' étaient
côté, c'était la vérité mais, de l 'autre, les infiltrés regrou- les plus nombreux, les « résistants » et les « partisans ».
pés au sein du PALIR/ALIR en profitaient pour com- La plupart d' entre eux oeuvraient dans la sous-préfec-
mettre des atrocités. Leurs objectifs, à ce qu'il me semble, ture de Ngororero, dans les communes de Satintsyi,
étaient au nombre de deux : forcer le gouvernement Ramba, Gaseke et Kibirira . Nombre d' entre eux
du FPR à accepter les négociations pour partager le pou- jouaient le rôle d ' éclaireurs et signalaient aux militaires
voir et, en cas de refus, lutter jusqu 'à ce qu'ils s'empa- de l'ALIR l'arrivée de l 'APR. Certains étaient chargés
rent du pouvoir. Ils comptaient surtout sur l'appui de la de préparer et d' apporter à manger aux militaires de
population majoritaire hutue . Ce fut un piège tendu l'ALIR. Les autres aidaient à transporter les blessés et
contre la population . Le FPR voyait bien qu'une guerre les munitions ; ils ont parfois aidé aux barrières ou dans
de ce type risquait d' être approuvée par les Hutus en rai- les combats . Ils n'avaient pas nécessairement fait ce
son de ce qu 'il leur avait fait subir. choix, ils y étaient contraints ; ceux qui s 'y refusaient
Les premières attaques de l'ALIR avaient montré que pouvaient être tués.
son but était de chasser le FPR du Nord du pays afin que Je dois rappeler également que l'ALIR avait enrôlé les
cette région reste aux mains de l 'ALIR et de la popula- femmes et les jeunes filles . Lors des combats, I'APR a pu
tion qui la soutenait . Cela aurait aidé à constituer une constater qu' il y avait même des femmes militaires de
base militaire qui faciliterait les replis et attaques éven - l'ALIR qui commandaient les opérations . Cela a entraîné
tuels . Leur tactique consistait à attaquer par petites uni- beaucoup de gens dans le malheur et dans une situation
tés très mobiles qui frappaient vite et disparaissaient après d'impasse.
avoir commis des forfaits . Ils donnaient un seul nom fic- Les actes d'infiltration ont été dirigés par des officiers
tif à tous les commandants . Les noms les plus utilisés supérieurs, comme le colonel Dr Froduald Mugemanyi
étaient Kazungu et Ninja. Par exemple, quand il y avait qui a fini par tomber sur le champ de bataille à
des attaques simultanées dans des régions différentes, on Nyarutovu, en préfecture de Ruhengeri, le 3 août 1998,
pouvait dire qu' elles avaient été toutes dirigées par et le lieutenant-colonel Léonard Nkundiye qui lui aussi
Kazungu. C'était pareil avec Ninja. a été tué lors des sérieux combats qui se sont déroulés
Pour arriver à répandre la guerre sur plusieurs régions dans la commune de Giciye, en préfecture de Gisenyi,
et prétendre qu 'elle était menée par tous les Hutus, le 22 juillet 1998 . Ces deux décès ont découragé les com-
le PALIR/ALIR a utilisé plusieurs tactiques . Je citerai, battants de l'ALIR qui ont dès lors diminué le nombre

392 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 393

d'attaques. Ces actes, en plus d'avoir inquiété l' État, ont Qu'une ethnie soit sacrifiée par les assoiffés du pouvoir
eu des conséquences désatreuses pour les habitants des est un crime très récurrent dans la vie politique du
régions des combats. Rwanda.

Les différentes erreurs commises par l'ALIR/PALIR Le gouvernement du FPR et son armée
et l'APR dans la guerre des infiltrés Hormis le seul problème d ' infiltration, le FPR n'a
De prime abord, je dois signaler que la dénomination jamais espéré gagner la confiance des gens de Ruhengeri
même de Peuple en armes pour la libération du Rwanda et de Gisenyi pour la simple raison que les anciens digni-
(PALIR) a creusé la tombe d 'un grand nombre de taires du régime du général-major Juvénal Habyarimana
Rwandais . Dire que le peuple était en armes revenait à étaient originaires de cette région. Le fait de prêter des
dire que l'État était en guerre contre toute une popu- mauvaises intentions à la population de la région était
lation de même appartenance ethnique dans les régions déjà une erreur et un faux départ . Le FPR s'était résolu
déchirées par les combats. C'était une occasion pro- bien avant tous les événements au recours à la force pour
pice pour le FPR et son armée d'exterminer l 'ethnie hume ramener les habitants du Nord à l 'obéissance.
dans ces régions et de faire endosser la responsabilité à Le FPR s'est de nouveau servi des stratagèmes qu ' il
tous les acteurs de la guerre. avait utilisés depuis 1991 et qui consistaient à profiter
Le PALIR et son armée l'ALIR ont par ailleurs conti- des massacres perpétrés par certains extrémistes hutus
nué à s'illustrer par leur volonté d'exterminer les Tutsis pour relancer des attaques meurtrières contre une popu-
et de rendre à nouveau tous les Hutus coupables de force : lation innocente.
un Hutu qui n' obtempérait pas devait être tué . C' est Le terme « infiltrés » a fini par prendre une autre
pour cela que cette armée a été classée parmi les groupes connotation, à savoir celle d'« insurgés » . Cela revenait
terroristes recherchés au niveau international . Les Hutus à dire qu'il était question d' une population, hutue en
ont été martyrisés et les Tutsis ont encore une fois été l'occurrence, qui s'était insurgée contre les autorités du
massacrés pour les mêmes raisons que celles du génocide pays. Le FPR savait bien que cette population n 'y était
de 1994. pour rien, mais il a vite saisi cette occasion combien pro-
L'ALIR a commis plusieurs forfaits, entre autres les pice pour broyer tous les habitants . La lourde responsa-
massacres, les pillages, les enlèvements, les destructions bilité de ces massacres revenait aussi indirectement au
des infrastructures, etc. PALIR et à l'ALIR qui ont fait entendre que la popu-
Le PALIR, comme le FPR pour les Tutsis, a sacri- lation faisait partie des insurgés et ainsi donné l'oppor-
fié ses congénères hutus afin de pouvoir mener une tunité au FPR de massacrer cette population dans laquelle
guerre qui n'avait pour but aucun idéal politique élevé. il n'avait jamais eu confiance .

394 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 395

Durant la guerre qui l' opposait aux infiltrés, l 'APR les infiltrés. À plusieurs reprises, l'APR a massacré après
a utilisé un armement lourd et sophistiqué . Il n'était pas avoir simulé des attaques d'infiltration pour valider un
nécessaire de se servir d ' un tel armement sinon par massacre de représailles . En outre, des tueries massives
cruauté . Je citerai à titre d'exemple les hélicoptères de ont toujours suivi des simulations de réunions de sécu-
type Mi24 et Mi 17 qui ont été utilisés pour bombarder rité ou de rassemblements supposés faciliter la protec-
la population dans plusieurs régions, notamment à tion des habitants . Les militaires de l'APR du service de
Vunga, Kabaya, Nkuli, Mukingo et Nyarutovu . Un peu renseignement tuaient des centaines de gens par jour. Ils
plus tard, on a aussi utilisé l 'hélicoptère Mi35 . Ces héli- sont allés jusqu' à démolir les maisons et à arracher les
coptères survolaient les collines en lançant des bombes cultures vivrières dans les champs pour montrer à la
et cela amenait la population à se retrouver regroupée population que toute collaboration avec les infiltrés
dans des cachettes . Une fois qu'était formé un groupe conduirait à sa disparition . Ces exactions ont été
important de fuyards, l 'hélicoptère larguait sur eux des commises de connivence avec les colonels Kayumba
bombes en forme de tonneaux qui pulvérisaient tout être Nyamwasa, Charles Muhire, Fred Ibingira, les
vivant se trouvant à l ' endroit où elles tombaient et lieutenants-colonels Martin Nzaramba, Karake Karenzi,
enfouissaient les corps des victimes . Ces hélicoptères qui, ainsi qu'avec les commandants des bataillons qui étaient
normalement, sont utilisés dans des situations de véri- sur le champ de bataille. À un certain moment, la popu-
table guerre, survolaient les toits des maisons et bom- lation ne savait plus comment se protéger . En effet,
bardaient à leur guise la population qui n ' avait aucun lorsque les gens accouraient vers les zones des éléments
moyen de se défendre . L'APR se servit aussi de chars infiltrés, l'APR les bombardait indistinctement. Et lors-
de combat du type T55, T56, BTR, Nyala, etc, ayant qu'ils accouraient vers l'APR, à chaque intervalle d ' une
à leur bord des armes lançant des bombes de 105 mm, heure, elle venait trier ceux qu'elle devait tuer. Et enfin,
100 mm, 90 mm et des armes de calibre 14 .5 mm, lorsque la population se décidait à rester à la maison, elle
12 .7 mm et 11 .5 mm. En outre, furent utilisées des était délogée par les hélicoptères qui prenaient aussi pour
roquettes et des bombes à fragmentation comme des cible tous les endroits d'où montait la fumée, signe de
37 mm, 60 mm, 82 mm, 81 mm, des CSR (canons sans présence humaine.
recul) 75 mm, 82 mm, LRM 107 mm Katiusha (lance- Un autre geste de cruauté de la part de l'APR a été ce
roquettes multiple), etc. qu'on a appelé Songamana Operations. Le terme clef vient
LAPR, sur ordre d 'officiers supérieurs comme le colo- de la langue swahili et signifie « se serrer » . Autrement
nel Kayumba Nyamwasa, a fait subir à la population dit, ces opérations consistaient à serrer les gens les uns
toutes sortes de tortures : massacres, destruction des mai- contre les autres . C' est une pratique que l'on trouve chez
sons, traitements inhumains . La population payait pour les nouvelles recrues militaires que les instructeurs

396 RWANDA, L'HISTOIRE SECRETE DE 1995 A 2000 397

forcent, en les bastonnant, à se serrer jusqu 'à ce qu'elles 11/9/1995 : embuscade à Mahoko en commune
se tiennent debout sur les orteils, faute d'espace . Même Kanama
les jeunes soldats soumis à cet exercice de Songamana Ce jour-là, une embuscade a été tendue par des soldats
pendant une durée de dix minutes sont généralement de l'APR contre le lieutenant Claude Ruraza, un agent de
pris de vertige et tombent par terre, avec le risque d 'être renseignement qui n'obéissait généralement pas aux ordres
piétinés par les autres et d'avoir des fractures . Au sein de de massacrer les populations civiles . Celui-ci a été abattu
l'APR, certains sont morts de hoquet suite à cet exercice. à bout portant après avoir immobilisé son véhicule au
Soumettre la population à cette épreuve de Songamana milieu de la chaussée . L'attentat a eu lieu à Kanama sur la
relève de la pire cruauté dans la mesure où elle se com- place du Marché à Mahoko . Il a été préparé et exécuté par
pose de nombreux individus faibles, notamment les per- des officiers de la DMI, le capitaine Jimmy Muyango
sonnes âgées, les enfants, les femmes et les jeunes filles. (Mwesigye) et le lieutenant Manassé Manzi. Les ordres
La cruauté de l 'APR ne s'est pas arrêtée là. Elle soumet- sont venus d'en haut en passant par le lieutenant-colonel
tait la population, bébés y compris, à l'épreuve de la faim, Karake Karenzi et le colonel William Bagire.
en l' obligeant à rester en montagne sans pouvoir s 'abri- L'assassinat de Claude Ruraza par ses compagnons de
ter en cas de pluie. Personne n'avait le droit d'aller cher- l'APR devait être imputé aux rebelles infiltrés pour créer
cher à manger ni d ' aller faire ses besoins avant la fin l'opportunité d'enclencher les opérations de représailles
de la punition . Celle-ci durait généralement de deux à et, le lendemain, une expédition a été menée pour mas-
quatre jours . L' APR a fait ce genre de choses dans plu- sacrer une multitude de gens parmi la population de
sieurs endroits, notamment à Gatonde, Ndusu, la commune Kanama . Cent dix-huit personnes habitant
Nyamutera, Mukingo, Giciye, Rwerere et Kanama. dans un même endroit ont été tuées sélectivement.
Il serait hasardeux de vouloir relever d 'une façon Certaines étaient des dignitaires de l 'ancien régime ou
exhaustive tous les forfaits qui ont été commis dans les des intellectuels supposés contester l ' autorité du FPR
régions qui ont connu la guerre d' infiltration . Je me dans cette région . Le bourgmestre de la commune a éga-
contenterai de relever les différentes batailles qui ont eu lement été tué, ainsi que son conseiller. Ce forfait a été
lieu à partir de 1995 et qui ont coûté la vie à des civils supervisé par le colonel William Bagire, ce qui lui a valu
innocents . Les exemples que je donnerai témoignent de la prison juste pour tromper l'opinion . En réalité,
des atrocités que la population a dû subir à cause de le général-major Paul Kagame les punissaient parce qu'ils
l'ALIR/PALIR, qui prétendait mener une guerre de libé- n' avaient pas pu faire disparaître les corps rapidement.
ration des Hutus, et de l'APR/FPR, qui a saisi le prétexte Après quelques temps, ces soldats qui ont massacré la
pour diminuer le plus possible le nombre de gens qui se population ont été libérés et ont vaqué à leurs occupa-
disaient majoritaires . tions dans l'armée nationale .

398 RWANDA, L'HISTOIRE SECRETE DE 1995 A 2000 399

D'avril à août 1996 : les mois d'horreur Du 5 au 14 juillet 1996, sur la colline de Muhungwe
Le 99e bataillon commandé par le lieutenant- en commune Karago, les militaires du 99 e bataillon ont
colonel Khaddafi Kazintwari et le 35 e bataillon com- tué 22 paysans . Cet endroit était dans la zone de com-
mandé par le major Wilson Kazungu ont effectué des mandement du capitaine Shyaka communément dit TM
opérations dans les communes de Giciye, Karago, (Tango Mike) . Le même bataillon a également massacré
Gaseke, Satintsyi, Kibilira et Ramba de la préfecture de plus de 100 personnes dans la commune de Giciye . Le
Gisenyi. On craignait toujours que ces régions, avec la 59e bataillon a, quant à lui, organisé à plusieurs reprises
forêt de Gishwati et les grottes qui les caractérisaient, les opérations dénommées Songamana dans le souci de
ne soient utilisées par l' ennemi . Dans quelques-unes de trier ceux qui devaient être tués sous prétexte qu 'ils étaient
ces régions, il restait encore, effectivement, des mili- des infiltrés . Cependant, personne n'ignorait qu' au
taires de l'ancien régime . Je citerai par exemple le sec- moment où I'APR rassemblait la population pour une
teur de Bayi de la commune de Ramba et surtout les fausse réunion, les infiltrés étaient déjà partis.
secteurs de Ntaganzwa et de Kimanu dans la commune La guerre d' infiltration gagnait de plus en plus les
de Kibirira où les ex-FAR sont longtemps restées . La régions de Kigali rural, notamment les communes de
localité de Gihira en commune de Giciye a longtemps Tare et de Rushashi et quelques communes voisines telles
été la cible des malfaiteurs provenant des ex-FAR Même que Tumba, Nyamugali et Nyarutovu . La DMI prévoyait
s' ils ne constituaient pas une raison valable pour I'APR que les responsables locaux qui n'épousaient pas les idées
d'aller massacrer la population, ces actes de sabotage lui du FPR faciliteraient la tâche aux infiltrés et elle a com-
ont permis d'y effectuer des opérations meurtrières sous mencé à les éliminer dans les embuscades . Le capitaine
prétexte de ratissage des éléments infiltrés . En ce qui Gakwerere a travaillé dans ces régions et il a réussi à tuer
concerne notamment le secteur de Bayi, il fallait bien un bon nombre de dirigeants locaux des communes
que I'APR use de la force pour déloger les ex-FAR qui Rushashi et Tare . Je citerai, à titre d'exemple, le cas de
s'y cachaient et continuaient à lancer des attaques spo- Floribert Habinshuti qui dirigeait le parquet de Rushashi.
radiques dans les différents endroits tels que le secteur Il a été tué en date du 7 juillet 1996 par les membres de
de Kabona de la commune Rutsiro à Kibuye, Gikungu l'escorte du capitaine Gakwerere . Celui-ci devait par-
et dans Gaseke. tager un verre avec ledit magistrat et, après avoir donné
Le problème était seulement que les ex-FAR savaient un walkie-talkie à ses soldats, il les a chargés de l ' em-
esquiver les tirs et que c' était la population qui en buscade. Il allait ainsi pouvoir leur signaler le départ du
pâtissait. En peu de temps, le nombre de victimes parmi magistrat afin qu ' ils puissent le tuer et la responsabi-
la population a dépassé 600 . Et les exemples ne man - lité en reviendrait aux infiltrés . Le magistrat a été assas-
quent pas . siné avec toute sa famille . Le nombre de victimes se

400 RWANDA, 1:HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 À 2000 401

montait à 13 et elles ont péri sous les balles des RPG Août 1996
et des machine guns ainsi que sous les grenades. Dans ces Le 6 août 1996, le colonel Charles Ngoga en colla-
mêmes embuscades ont également péri le bourgmestre boration avec le major Dan Gapfizi ont effectué une opé-
de Rushashi, Vincent Munyandamutsa, et le directeur ration dénommée Cordon and Search qui consistait à
de l'école secondaire de Rushashi, qui s 'appelait Laurent encercler la région pour faire des fouilles . Cela s'est passé
Bwanakeye. dans les communes Nyamutera, Nyakinama et Nkuli.
Du 10 au 12 juillet 1996,1'APR a tué plus de 70 per- On prétendait rechercher des infiltrés . Participaient à
sonnes dans les communes Satintsyi, Gaseke et Giciye. cette opération le 13 e bataillon commandé par le major
L'APR tuait dans tous les endroits : les champs, les mon- Augustin Gashayija et le 59 e bataillon commandé par le
tagnes et les vallées. major Dan Gapfizi . Ce dernier était le chef de l' opéra-
En date du 13 juillet 1996, dans le secteur de Bayi, tion . Après les fouilles, le capitaine Ntambara, assisté par
les soldats du 35 e bataillon ont tué plus de 50 paysans les soldats du service de renseignement, a procédé à la
qui étaient en train de labourer leurs champs après l 'at- capture des jeunes gens . Quatre-vingts jeunes gens ont
taque de ce secteur par les infiltrés. été sélectionnés par les militaires après que la popula-
Du 2 au 13 juillet 1996, environ 130 civils ont été tion, qui avait été réunie afin de désigner les infiltrés en
tués à Ramba au cours des différentes attaques du son sein, n'était pas parvenue pas à le faire . Le
35e bataillon commandé par le major Wilson Kazungu. 59e bataillon a procédé au tri des jeunes gens boucs émis-
D' autres civils avaient été tués dans les communes de saires qu'il prétendait aller interroger, tout en accusant
Giciye et de Karago en préfecture de Gisenyi par le 99 e la population de ne pas vouloir dénoncer les infiltrés.
bataillon commandé par le lieutenant-colonel Khaddafi Ces jeunes ont été conduits dans les anciens bâtiments
Kazintwari. D' autres encore furent massacrés entre-temps universitaires de Nyakinama et le lendemain, soit le
à Nyamutera (Ruhengeri) par les militaires qui étaient 7 août, ils ont été tués et jetés dans les fosses septiques.
sous le commandement du major Dan Gapfizi, dans C' est le capitaine Ntambara du service de renseignement
la commune de Rushashi (Kigali) par les soldats du au 59e bataillon qui a supervisé ces tueries.
7e bataillon commandé par le major Eugène Nkubito.
Partout le prétexte était le même : les infiltrations . Mais Destruction des camps de réfugiés au Zaïre
il faut savoir qu ' il n'y avait aucun infiltré parmi toutes D'août jusqu'à fin septembre 1996, le FPR a procédé
ces victimes, parce que les infiltrés se sauvaient bien avant au tri des militaires originaires du Zaïre qui étaient dans
les attaques de l'APR. l'APR . On les rassemblait d 'abord aux différentes bri-
gades militaires avant de les acheminer à Gabiro où ils
devaient suivre une formation militaire . Ceux qui y arri-

402 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 403

vaient étaient régulièrement rejoints par beaucoup du monde) . Cet acte a été imputé aux infiltrés alors que
d'autres . On y a aussi entraîné des civils banyamulenges, c'est la DMI qui l'a commandité.
bagogwes et d'autres groupes originaires de la région du
Kivu I . Ils étaient tous sous le commandement du lieu- L'assassinat de Griet Bosmans par l 'APR
tenant-colonel James Kabarebe . On y avait également La nuit du 27 au 28 avril 1997, Mme Griet Bosmans,
ajouté des militaires du service de renseignement répu- originaire de la Belgique et alors directrice de l 'école
tés pour leur compétence dans les actes d ' atrocités . Ils secondaire de Muramba dans la commune de Satintsyi,
devaient tous passer pour des Zaïrois-Banyamulenges. a péri avec 17 de ses élèves et 4 autres personnes sous les
On a aussi sélectionné des unités de l 'APR qui devaient balles des militaires du 9 e bataillon qui avaient été envoyés
appuyer cette force pour attaquer et détruire les camps par le lieutenant John Cassius et étaient dirigés par le
des réfugiés. Je citerai entre autres les 59e , 15e, 101 e , 1 er, sergent Camille Zuba, en compagnie de 15 soldats du
157e et 3e bataillons. peloton spécial qui était affecté à la sous-préfecture de
Ngororero.
Les années 1997 et 1998 Il y avait là deux compagnies du 9 e bataillon, l'une
L'assassinat des volontaires espagnols 2 était dirigée par le capitaine Eugène Rukundo et l 'autre
Le 18 janvier 1997, le capitaine Justus Majyambere, par le capitaine Christopher Rwibogora . Entre les deux
en collaboration avec les sous-lieutenants Kabalisa et compagnies, il y avait une distance de deux minutes à
Karenzi ainsi qu'avec dix autres soldats sous les ordres pied. Il y avait également une troisième compagnie non
du colonel Kayumba Nyamwasa, a fait tuer dans la ville loin de là, celle du capitaine Steven Rukara . Aucun de
de Ruhengeri les volontaires espagnols qui travaillaient ces militaires n'a bougé pour secourir la directrice et le
dans l'ONG dénommée Medicus del Mundo (Médecins groupe qui l ' accompagnait . La DMI soupçonnait Griet
Bosmans de livrer des informations sur les atrocités de
1. Il s' agit de populations pastorales d ' origine rwandaise qui étaient l' APR au ministre de l'Intérieur, Seth Sendashonga. En
installées depuis plusieurs générations dans des régions extérieures à l'an- outre, la DMI croyait qu'elle mettait des mouvements
cien royaume, mais restées rwandophones . (NdE) d' action catholique au courant de ce qui se passait au
2. Je ne suis pas témoin direct . Je raconte ce que m 'ont dit les autres, Rwanda. C'est pourquoi elle a été tuée.
je fais mes enquêtes et je continue à chercher pour en savoir plus . Parmi
ceux qui m 'ont donné ces informations, je citerai certains, tels les sous-
lieutenant Jean Karenzi, lieutenant Bacishubwenge, capitaine Karemera, Les événements de Ryinyo
lieutenant Sebera, lieutenant Azarias, sergent Emmanuel Ruzigana, ser- Le 9 mai 1997, le lieutenant-colonel Martin Nza-
gent Rubayiza J ., etc. D ' autres témoins ne veulent que je cite leur nom ramba, commandant de la 211 e brigade, s'est fait tirer
qu'en cas de procès judiciaires et quand ils seront dans des endroits sûrs . dessus dans une embuscade tendue par les infiltrés . Son

404 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 405

escorte s ' est battue contre les infiltrés et les a repous- Les événements de juin 1997
sés . Ce jour-là, six gardes du corps de son escorte ont Dès le début du mois de juin, il y a eu de violents
trouvé la mort . Cela s'est produit dans le secteur Gitwa, affrontements entre l'APR et l 'ALIR. De nombreuses
en commune Nkuli, préfecture de Ruhengeri . Le com- familles tutsies et même de nombreux soldats de l'APR
bat terminé, le lieutenant-colonel Nzaramba est rentré y ont laissé la vie. Les massacres de la population en guise
au camp Mukamira pour planifier une opération de de représailles s'en sont suivis.
chasse aux infiltrés . Mais en réalité, nous savions qu 'après Le 4 juin 1997, il y a eu de violentes attaques des infil-
de telles escarmouches, les combattants se repliaient rapi- trés à Rwankeri en commune Nkuli . Ils ont perdu beau-
dement dans la forêt . À cette époque, ils ne pouvaient coup des leurs, mais eux aussi ont pu tuer six soldats
pas se cacher dans la population . Cette opération visait de l'APR et en blesser un grand nombre . Ces infiltrés
certainement le massacre de la population pour qu 'elle ont aussi tué six personnes de la famille d ' un directeur
dénonce les infiltrés . L' opération a été mise sur pied par de l'école secondaire de Rwankeri dont un visiteur . C'était
les soldats de la 211 e brigade au quartier général de le 99e bataillon de l 'APR qui se battait contre eux.
Mukamira. Parce qu'ils n' étaient pas en nombre suffi- Le 6 juin, il y a eu de nouveaux affrontements qui ont
sant, ils ont demandé des renforts au 99 e bataillon qui duré deux jours . Les infiltrés restaient très habiles et insai-
stationnait non loin et qui était également confronté à sissables et le 99 e bataillon a dû demander un renfort.
des difficultés à Cyibisabo, Gihira et Giciye . C'est ainsi Le 8 juin, le 99e bataillon, la Force d 'intervention
que les gendarmes et la Force d 'intervention ont été mis et le groupement de la gendarmerie de Ruhengeri ont
à contribution. Ils ont rassemblé environ 1 400 personnes lancé une attaque générale dans tous les secteurs de la
qui ont été massacrées . Des listes de gens qui avaient des commune de Nkuli. De nombreux civils ont été tués au
relations familiales avec les ex-FAR avaient été établies cours de cette attaque . Le même jour, le major Firmin
et des massacres ont été programmés . Au lieu dit Ryinyo, Bayingana a donné l'ordre de massacrer un groupe de
404 personnes furent assassinées dont les cadavres ont gens qui priaient (des pentecôtistes, abarokore) dans une
été retrouvés ; à Mukamira, 253 personnes tuées ont été église qui se trouvait à Cyamabuye.
recensées ; 325 à Gitwa ; 148 à Gatovu et 98 à Rukoma . Le 9 juin, une foule nombreuse a été regroupée au
stade de Ruhengeri, prétendument pour rechercher des
infiltrés. Pourtant, il était impossible de les reconnaître,
même s'il y en avait eu . Cette opération visait plutôt à
semer la crainte dans la population afin qu 'elle n' ait
aucune tentation de soutenir l'ennemi . La plupart des
jeunes gens et des hommes ont été emmenés par les gen-

406 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 407

darmes du groupement de Ruhengeri dirigé par le major lement attaqué en provenance de la colline de Kabuye
Firmin Bayingana. Parmi eux, 70 personnes ont été tuées en commune Cyeru . Cette opération a coïncidé avec
immédiatement dans le camp de l ' EGENA (École de la l'expédition des infiltrés en commune Gatonde et
Gendarmerie nationale) . Toutes les voies qui conduisent Nyamutera . C ' est le lieutenant-colonel Karenzi Karake
à ou sortent de Ruhengeri avaient été barrées pour inter- qui en a donné l ' ordre.
cepter les jeunes gens. C ' était la tombée de la nuit, ceux
qui cherchaient à échapper aux arrestations en fuyant Les massacres de Kanama 1
dans les bananeraies étaient immédiatement abattus . La Le matin du 8 août 1997, les ex-FAR et les miliciens
population aux alentours savait que si l ' on avait la mal- Interahamwe ont lancé une attaque jusqu' au milieu
chance d' être arrêté à ces heures-là, on allait la plupart
du temps se faire tuer et elle choisissait de fuir au lieu de 1 . Je ne suis pas témoin direct . Cette opération a eu lieu au moment
se livrer. Quinze personnes ont été tuées de cette manière. où j ' étais injustement emprisonné . J ' ai eu pendant près de deux ans la
Des directives ont été données pour que ceux qui avaient possibilité d ' analyser toutes les informations que j ' obtenais d ' une dou-
zaine d ' officiers détenus pour ces opérations de Kanama. Se trouvaient
été arrêtés soient d ' abord interrogés, mais personne n ' a
aussi en prison près d ' une cinquantaine de militaires moins gradés . Ils
été revu.
étaient unanimes sur un point : « Nous sommes punis parce que nous
La veille du 10 juin, les infiltrés avaient attaqué les n' avons pas pu dissimuler les corps de ces Interahamwe. » Ce langage ne
communes Gatonde, Nyamutera et une partie de Ndusu. m' était pas étranger, c'est ainsi que nous appelions les Hutus en général. À
L' attaque avait coïncidé avec l ' opération de bouclage de un certain moment, il y avait, seulement dans la prison militaire de
toutes les communes de Ruhengeri afin de chasser les Kibungo, plus de cent officiers de 1'APR et un nombre important d'offi-
prétendus infiltrés . Ce jour là, beaucoup de gens ont été ciers ex-FAR. Parmi tout ce monde, j 'ai pu obtenir des informations de
gens arrivant fraîchement des zones de combat. Je les recoupais et faisais
massacrés dans diverses communes et, à chaque fois, il
mes propres analyses . À ma sortie de détention, j ' ai complété mes
fallait dissimuler les corps . On a décompté 294 corps, enquêtes. Parmi les officiers avec lesquels j 'ai à plusieurs reprises discuté en
soit 80 à Kinigi, 143 à Gatonde, 40 à Nyamutera, 31 tant qu'ami, je citerai le major Gashayija, le capitaine Kasavubu, le lieu-
à Ndusu. Les militaires qui ont ordonné et supervisé ces tenant Nkusi, le lieutenant Clément Kayihura, le lieutenant Manassé

tueries sont le major Augustin Gashayija, qui dirigeait Manzi, le lieutenant John Mukono, et encore d 'autres . Tout comme pour

le 13 e bataillon à Kinigi, le capitaine Albert Rugambwa, le camp des déplacés de Kibeho, les tueries de Kanama m ' ont aussi ouvert
les yeux et j ' ai pu me rendre compte de ce que signifie le régime de terreur
qui dirigeait la Force d ' intervention sise à Musanze.
FPR . Il y avait un prétexte : les infiltrés sont des Hutus, d ' ailleurs ils ont
D ' autres bataillons ont été mis à contribution dans cette commis le génocide . Pour qu' ils abandonnent leur entreprise, il faut tuer
opération comme le 67e dirigé par le major Philibert leurs frères et soeurs, leurs congénères hutus chaque fois qu ' il y a une
Rwigamba et qui opérait à Gatonde, à Ndusu jusqu ' à bonne opportunité. Or, la meilleure des opportunités ce sont justement
Vunga . Deux compagnies du 105 e bataillon avaient éga- les attaques des Hutus en provenance du Congo.

RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000


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du marché de Mahoko . Les assaillants venaient de direc- le sous-lieutenant John Mukono lui-même ainsi que des
tions différentes mais ils se sont tous rencontrés sur ledit militaires sous son commandement.
marché de façon spectaculaire . Le marché n' était pas Les habitants de la commune Kanama ont été tout
protégé, le seul peloton qui stationnait aux environs se particulièrement la cible des combats entre l 'APR et
trouvait un peu plus haut au siège du bureau commu- les infiltrés . Chaque fois qu' il y avait une escarmouche,
nal de Kanama, où il assurait la protection de la com- les habitants la payaient doublement après le départ des
mune ainsi que celle des prisonniers entassés dans le assaillants . À chaque acte de représailles, il y avait au
cachot communal . Leur nombre variait entre 250 et moins 200 paysans tués . Les habitants de cet endroit en
300 . Le chef du peloton était le sous-lieutenant Makaka. sont arrivés à se réfugier aux sommets des montagnes
Il a été pris au dépourvu par les tirs des infiltrés et est pour éviter que l 'APR ne continue à les massacrer au fin
directement entré en contact avec les autorités militaires fond des vallées . Leur présence aux sommets des collines
de Gisenyi pour leur apprendre que les infiltrés avaient ne plaisait guère aux militaires de l 'APR qui voyaient en
attaqué . Aussitôt, le lieutenant-colonel Murokore a cela un système pour communiquer avec les infiltrés.
demandé au 5 e bataillon qui était à Bigogwe de l 'ai- Il ne restait qu' un seul endroit où les gens pouvaient ten-
der à encercler la commune de Kanama pour découvrir ter de se réfugier : les grottes . Celles-ci étaient nom-
les assaillants. breuses, vastes et profondes . Au départ, l'APR ignorait
Les compagnies du 21 e bataillon qui étaient à Gisenyi leur existence.
ont été les premières à intervenir. À leurs têtes, figuraient Je crois que même si elle avait su que de telles grottes
entre autres les sous-lieutenants Clément Kayihura et existaient, elle n'aurait pas imaginé qu 'un jour elles puis-
Mukono ; ce dernier était aussi un agent de renseigne- sent être utilisées tant leur intérieur empestait car il n'y
ment. Aux environs de 10 heures, le marché avait déjà avait pas d 'aération. En outre, plus on avançait vers l 'in-
été bouclé. Les militaires ont regroupé tous les gens qui térieur, plus il faisait noir . Confrontés aux bombarde-
s'y trouvaient, soit à peu près 300 personnes et les ont ments incessants de l 'APR, les rescapés parmi la
tués sur-le-champ . Bien plus, le lieutenant Manassé population n'ont pas hésité à s'engouffrer dans ces grottes.
Manzi s'est directement rendu au bureau communal de L'APR s'est vite rendu compte que la population avait
Kanama avec ses soldats et, se joignant aux soldats diri- disparu . Elle a alors procédé à la torture des captifs afin
gés par le sous-lieutenant Makaka, ils ont massacré plus qu' ils dévoilent ce qui se passait. Ils ont fini par parler
de 200 prisonniers alors détenus dans le cachot com- des grottes.
munal. Le même jour, plus de 200 personnes qui étaient Du 24 au 27 octobre 1997, a été montée une opé-
détenues au cachot de la commune Rubavu ont égale- ration destinée à massacrer la population des secteurs
ment été massacrées . Les auteurs de ces massacres sont Kayove, Bisizi, Kanama, Karambo, Rwerere, Mutura et
DE 1995 A 2000 411

Rubavu qui s 'y était réfugiée . Aussitôt qu'ils ont eu le Octobre 1997
schéma de la localité, le colonel Kayumba Nyamwasa et Le 8 octobre 1997, après de rudes affrontements sur
les commandants des 21 e et 5e bataillons, l'unité méca- l'aérodrome de Gisenyi et à Birere, le 21e bataillon avec
nisée commandée par les capitaines Charles Ruzibiza et la collaboration des éléments de la DMI représentés par
Nelson Rugema et l ' équipe de minage et déminage ont le major Jack Nziza et le sous-lieutenant Patrick Mucyo
obstrué les six entrées des grottes qui avaient été identi- ont encerclé cette région, capturé et entassé la popula-
fiées . On y a placé des blindés de toutes catégories, des tion à la frontière du Rwanda avec le Zaïre . C'est là qu'ils
BTR, Nyala, T55 et T56 . On a utilisé des bombes ont massacré des centaines de gens, souvent après une
fumantes pour forcer les fugitifs à sortir et ensuite des lente et longue torture . Certains ont été emmenés du
lance-roquettes susceptibles de fendre les rochers . Les côté du aire et tués là-bas . Le nombre de victimes dépas-
fuyards tombaient directement sous les obus des canons serait facilement un millier.
sans recul et les balles des mitrailleuses de calibre Le 16 octobre 1997, tôt le matin, de 5 à 11 heures,
12 .7 mm et 11 .5 mm. une opération d ' envergure fut mise en oeuvre par des
Ensuite, les soldats de l'APR ont fait sauter en même gendarmes du groupement Ruhengeri qui ont bouclé
temps les mines et les bombes placées aux entrées des plusieurs localités dans la commune de Gatonde et fusillé
grottes pour les détruire et les faire s 'écrouler com- plus de 390 personnes dans la cellule de Kirehe du sec-
plètement sur ceux qui se cachaient à l 'intérieur. teur Gahanga . Pourtant, il n' y avait jamais eu d'infiltra-
Comme si cela ne suffisait pas, ils ont pris soin d 'en- tions dans ces localités . Les militaires qui ont commis
tasser de grosses pierres sur tout ce qui paraissait comme ces atrocités étaient commandés par le capitaine Misingo
un passage possible, de murer certaines sorties et de Karara, le lieutenant Alphonse Kaje, le sous-lieutenant
placer des soldats en permanence au cas où des survi- gendarme Jean Karenzi et le lieutenant gendarme Éva-
vants sortiraient des décombres . Je ne connais pas exac- riste Kabalisa . Le capitaine Justus Majyambere était éga-
tement le nombre de personnes qui ont péri dans les lement présent.
grottes, mais il atteindrait facilement 10 000 . Certains
avancent un chiffre de 8 000 mais ils oublient que tous Novembre 1997
les chemins vicinaux, les bananeraies, les montagnes et Tout le mois de novembre a été caractérisé par de
les vallées étaient jonchés de cadavres . Ces atrocités ont sérieux affrontements et beaucoup de blessés du côté de
été supervisées par le colonel Kayumba Nyamwasa et l'APR. L' hôpital militaire de Kanombe accueillait au
l'ensemble des commandants que j 'ai déjà évoqués, moins quinze blessés chaque jour . Les autres étaient soi-
notamment le major Gashayija Bagirigomwa . Elles ont gnés à Mukamira . Il y a eu également beaucoup de morts.
duré quatre jours, soit du 24 au 27 octobre 1997 . Les infiltrés avaient intensifié leurs attaques . Ils obli-

412 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000


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geaient parfois la population à servir de bouclier . L'APR les grottes. Les soldats de Charlie (devenu le 73 e bataillon
perdait de plus en plus le contrôle de la situation jus- par la suite), commandés par le major Mugunga
qu' au moment où le colonel Kayumba Nyamwasa a Muhirima, les y ont poursuivis et en ont tué 197 . Les
donné un ordre par cette déclaration : « Plus question victimes étaient de toutes catégories : hommes, femmes,
de faire la différence entre un infiltré et un paysan, il faut enfants et personnes âgées.
tirer sur tout ce qui bouge ! » Le 17 novembre, les infiltrés ont lancé une attaque
A partir de ce moment, chaque fois qu 'il y avait un au bureau de la commune Giciye pour libérer les pri-
affrontement ou une infiltration, on faisait directement sonniers qui étaient détenus au cachot communal, mais
appel aux hélicoptères qui bombardaient impitoyable- ils n'y sont pas parvenus . En effet, les soldats de l 'APR
ment toute la localité . Je citerai quelques cas à titre sont vite arrivés sur les lieux et ont maîtrisé la force enne-
d'exemples. mie. Quelque 100 prisonniers ont alors été directement
Du 4 au 13 novembre, des escarmouches ont opposé massacrés par les militaires sous le commandement du
les infiltrés et l'APR en commune Giciye . Le colonel lieutenant John Cassius, qui était chargé du renseigne-
Charles Muhire, le colonel Kayumba Nyamwasa, le lieu- ment au sein du 9 e bataillon . En plus des détenus, les
tenant-colonel Nzaramba, le capitaine Joseph Muzungu, militaires ont également tué des infiltrés et beaucoup
le major Chris Murari ainsi que des militaires russes qui de civils.
pilotaient les hélicoptères passaient leurs journées à sur- Le 18 novembre, les infiltrés ont attaqué le camp des
voler la région et, avec la collaboration des commandants réfugiés à Mukamira et tué environ 20 Tutsis d 'origine
de l'armée de terre, larguaient des bombes sur la popu- congolaise . Personne n'a jamais compris ce qui s'était
lation . En quelques jours, on a tué plus de mille personnes. réellement passé, car les militaires de l 'APR campaient
Comme les militaires avaient constaté que les hélicoptères non loin de là et montaient la garde aux alentours du
tuaient un grand nombre de gens en très peu de temps, camp.
ils n'hésitaient plus à avoir recours aux hélicoptères chaque Le 23 novembre, les militaires qui stationnaient à la
fois qu ' il y avait un moindre soupçon d'infiltration . La sous-préfecture de Kabaya ont intercepté les gens qui
population et les rebelles infiltrés en sont arrivés à sur- allaient au marché, les ont conduits au bureau commu-
nommer les hélicoptères « dieux des Tutsis ». nal de Gaseke, en ont sélectionné 35 qui ont été direc-
Le 13 novembre, les infiltrés ont attaqué de nouveau tement tués et laissé les autres rentrer chez eux . Ont
le secteur Rubare de la commune Giciye et ont direc- été sélectionnés et éliminés les hommes, les jeunes gens
tement pris la fuite . LAPR a encore une fois utilisé déli- et les enfants de sexe masculin . Cet acte a été commis
bérément un armement lourd dans sa riposte et let par le lieutenant John Cassius et le sergent Camille Zuba .
habitants ont couru se cacher dans les montagnes et

DE 1995 A 2000 415


414 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE

Mars 1998 était embarrassée par cette évidence, elle a choisi un bouc
Le 24 mars, un infiltré de l'ALIR, le sous-lieutenant émissaire en la personne du capitaine Kwizera qu 'on a
Frédéric Itangayenda, connu sous le pseudonyme de accusé de fuir ses responsabilités . J'ai évoqué plus haut
Ninja, a dirigé une attaque contre une école de Nyange les auteurs de cette barbarie. Mais le fait que ce capitaine
en commune Kivumu (préfecture de Kibuye) et tué des avait désapprouvé cette atrocité et déclaré qu'il pou-
élèves . Au départ, il a voulu séparer les Hutus des Tutsis vait être juridiquement responsable, car il était présent
afin de pouvoir tuer seulement ces derniers mais les sur les lieux au moment de l'organisation de l'attentat,
enfants n' ont pas voulu dire leur ethnie et ont préféré lui a valu non seulement la prison, mais aussi sa démo-
mourir tous plutôt que de se dénoncer mutuellement. bilisation. Qu'il se soit opposé au massacre de la popu-
Cinq d' entre eux ont été tués et sept autres blessés . En lation a été, en fait, sa seule faute grave.
même temps, il y a eu d'autres attaques dirigées par le
lieutenant qui portait le pseudonyme de Kazungu . Peu Les assassinats ciblés
après sa reddition (24 décembre 2000), Ninja a été inté- dans le contexte du régime FPR
gré dans l'APR où il a reçu le grade de major et a été Une première phase, de juillet 1994 â octobre 1996
envoyé immédiatement au Nord-Kivu pour mener la C' est la période où le FPR savourait les délices de sa
guerre contre ses ex-confrères de l'ALIR. victoire ; une victoire qui ne devait être perturbée ni par
les démocrates, ni par les ONG, ni par la communauté
Juillet 1998 internationale . En effet, dans les dérives de la victoire,
Les 12 et 13 juillet, les militaires du 7 e bataillon, sous le FPR se donnait le mérite d ' avoir été le seul à sauver
le commandement du major Eugène Nkubito, qui étaient les Tutsis, alors qu'ils avaient été massacrés . Dans cette
en poste dans les secteurs de Shyorongi, Tare et Rulindo phase, les Tutsis survivants mouraient du chagrin causé
et qui devaient assurer la sécurité de la localité dénom par la perte des leurs.
mée Pensez-y du secteur Remera de la commune de Tare, Pour les Hutus, c' est la période la plus sombre, car ils
ont désigné quelques-uns d 'entre eux qui sont partis en étaient tous, sauf quelques-uns qui avaient les faveurs du
espions sous le commandement du lieutenant Wellars FPR, considérés comme coupables. Même les Hutus qui
Gahizi et ont tiré sur une foule de gens qui regardaient étaient à l' étranger pendant la période des massacres,
le match de football de la coupe du monde entre la étaient vus comme des bourreaux. C'est la période des
France et le Brésil . C'était un endroit où se trouvaient emprisonnements massifs, des arrestations et des tueries
des cafés, des hôtels et des restaurants. publiques ou discrètes d' une ampleur sans précédent . La
La manière dont l'attaque a été conduite a directe- délation avait conquis le terrain. Il suffisait qu'une seule
ment montré qu' il s ' agissait de l'APR. Comme celle-ci personne déclare qu'elle avait eu ouï-dire qu'un tel avait

416 RWANDA, L'HISTOIRE SECRETE DE 1995 A 2000 417

participé à la chasse aux Tutsis pour que ce dernier soit FPR envers la population et a démissionné de son poste
condamné à mort et que les soldats de l 'APR lui fra- en août 1995 pour se dissocier des criminels . Cela lui
cassent le crâne avec une houe usagée. a coûté la vie car il a été assassiné à Nairobi au Kenya
Hormis les gens qui étaient rentrés de l 'Ouganda, les le 16 mai 1998 . Je citerai également feu colonel
autres n'avaient pas le droit de propriété . En d'autres Théoneste Lizinde qui était membre du Parlement au
termes, on pouvait vous exproprier comme on voulait moment de sa fuite . Le FPR l ' avait largement impli-
et, en cas de résistance, vous étiez traité d' Interahamwe qué dans les événements qui ont déclenché le génocide.
ou tout simplement tué . Le pillage, le banditisme, l ' es- Néanmoins, il a fini par désapprouver les actes génoci-
croquerie, le détournement des fonds publics et beau- daires du FPR et s 'exiler au Kenya où il a été assassiné
coup d 'autres vices sociaux étaient couverts par l'État car en octobre 1996 . De nombreux ministres hutus ont dû
les autorités étaient impliquées en premier lieu. Les belles démissionner ou s' exiler. Les objectifs cachés du FPR
maisons, les usines, les magasins, les cafés, les hôtels et étaient alors les suivants :
beaucoup d' autres biens commerciaux portaient des Affermir le pouvoir dictatorial en éliminant tous les
enseignes selon lesquelles ils avaient été récupérés par éléments gênants, quand bien même ils seraient membres
quelqu'un ou étaient placés sous garde militaire. du FPR.
Le pays était devenu une jungle . Personne ne pouvait Tuer, emprisonner, brutaliser les Hutus et leur faire
oser critiquer quoi que ce soit . Il y avait une extrême endosser la responsabilité du génocide commis en leur
arrogance du côté des anciens réfugiés, notamment ceux nom. Ainsi, ils ne pourraient plus jamais oser revendi-
qui étaient rentrés d' Ouganda parce qu'ils croyaient que quer le pouvoir même s 'ils se disaient majoritaires.
la victoire du FPR appartenait à eux seuls . C' étaient eux Faire taire les rescapés du génocide afin d 'éviter qu'ils
qui s'adressaient aux Tutsis rescapés et blessés à la puissent soulever la responsabilité du FPR dans leur exter-
machette en ces termes : « Pourquoi n'es-tu pas mort mination.
alors que les autres sont morts ? » Préparer l' opinion publique à ce que toutes les atro-
C'est pendant cette période que certains des hauts cités commises entrent toujours dans la logique du géno-
dignitaires du FPR, au vu des injustices que l 'on conti - cide des Tutsis . Ainsi, le FPR étant réputé avoir arrêté le
nuait à faire subir à la population, ont décidé de rompre. génocide, personne n' oserait l'en rendre responsable.
Je citerai parmi eux feu Seth Sendashonga, devenu C' est un piège que le FPR a tendu à toute la commu-
ministre de l'Intérieur, qui s ' était tellement investi dans nauté internationale : les atrocités dont il se rend res-
le FPR qu'il ne s'était jamais préoccupé de tous les mal- ponsable sont commises pour prévenir le génocide .
heurs dont souffraient ses congénères hutus . À un cet-
tain moment, il n'a plus pu supporter les cruautés du

418 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 419

Quelques-uns des hommes politiques assassinés En date du 5 mars 2000, dans la ville de Kigali, Assiel
par le FPR Kabera, alors conseiller à la présidence de la République,
Suite à son opposition acharnée aux arrestations arbi- a été abattu devant la porte de sa maison . Parmi ses assas-
traires et massives de la population par les soldats de sins figuraient le lieutenant Steven Vuningoma et le lieu-
l'APR, notamment par ceux du service de renseignement tenant Jean Bosco Ndayisaba, tous les deux appartenant
et de la commission politique, le préfet Pierre-Claver à la Garde républicaine qui assure la protection du géné-
Rwangabo a été assassiné dans la nuit du 4 au 5 mars ral-major Paul Kagame. Ils ont été aidés par le lieutenant
1995 . Cet assassinat a été programmé par le capitaine Eraste Munyentwari de l 'unité spéciale de renseignement
John Zigira en association avec le lieutenant-colonel Fred dirigée par Gacinya Rugumya . Ont également participé
Ibingira. d' autres officiers de la DMI comme le lieutenant Aimable
Le 27 juillet 1995, à Ruhango, dans la préfecture de Nkunda et deux soldats non gradés . Les motifs de son
Gitarama, un commando dirigé par le sergent Yves Naho assassinat étaient multiples . Il croyait que, étant donné
et envoyé par le capitaine Hubert Kamugisha a assassiné qu'il était tutsi, il lui était permis de dire ce qu 'il voulait.
Placide Koloni, sa famille et leur domestique. Le com- Cependant, son combat pour les rescapés du génocide
mando les a incinérés à l 'aide d'essence et de matelas. gênait largement le FPR qui utilise le génocide exclu-
Le 7 juillet 1996, en commune Rushashi de la pré- sivement pour servir ses propres intérêts.
fecture rurale de Kigali, l'escorte du capitaine Gakwerere Il avait un lien d ' amitié particulier avec Joseph
a assassiné un certain Floribert Habinshuti ainsi que plus Sebarenzi, président de l 'Assemblée nationale, tutsi lui
de dix passagers à bord de sa camionnette. aussi. Les deux partageaient l' idée de la restauration de la
Le 16 janvier 1996, à Rutare, en préfecture de Byumba, monarchie . En outre, il était connu pour être le pilier de
le député du parti libéral, Évariste Burakari, a été tué l'association des ressortissants de la préfecture de Kibuye
par le sous-lieutenant Kabera suite à sa réticence à faire (Solidarité Kibuye) . Cette association empiétait beau-
adhérer son parti aux directives du FPR . Les tueurs, qui coup sur les intérêts des gens du FPR. En l' éliminant,
étaient en groupe, ont été arrêtés puis libérés, seul le sous- le FPR voulait affaiblir, voire détruire ladite association.
lieutenant Kabera est resté en prison. Le 23 avril 2003, à Kigali, le lieutenant-colonel
Dans la sous-préfecture de Ngororero, en date du Augustin Cyiza a été enlevé par un groupe dirigé par
16 mai 1997, Maurice Sebahunde, alors sous-préfet, le capitaine John Karangwa de la DMI et l ' inspecteur
a été assassiné par un groupe de militaires commandé principal de l'unité spéciale de renseignement, Murangira.
par le sergent Camille Zuba du service de renseigne- A ce jour, il n'a jamais reparu.
ment du 9e bataillon, sur l'ordre du lieutenant John La liste des gens assassinés n'est pas exhaustive . Je me
Cassius . suis limité à quelques exemples sur lesquels il existe des

420 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 421

preuves tangibles qui peuvent être utilisées par les familles poison très violent versé dans son verre par le colonel
des victimes pour traduire les assassins devant les tri- Dan Gapfizi.
bunaux. Le lieutenant-colonel Wilson Rutayisire, qui se sur-
Quelques uns des militaires de I'APR assassinés nommait Shabani, ancien directeur de l'ORINFOR, a
pour des raisons diverses été tué par balles par le lieutenant-colonel Mulisa sur
La question des soldats de l'APR qui sont régulière- ordre du général-major Paul Kagame . Il était soupçonné
ment tués est très complexe . Les assassinats difTerent dans d'être à la tête d' un groupuscule de militaires rentrés de
leurs formes, mais ils sont tous dus à ce qui suit : lorsque l' Ouganda et qui n' approuvaient pas la façon dont
vous avez travaillé pour 1'APR et que vous perdez la Kagame dirigeait le pays . Ces militaires étaient persua-
confiance de l'armée, vous devenez un élément dange- dés que le général-major Paul Kagame commettait des
reux, susceptible de divulguer des secrets ; lorsque vous erreurs graves qu ' il serait difficile de corriger plus tard,
commencez à fréquenter un milieu hostile au FPR où comme tuer et emprisonner injustement la population,
vous pouvez également faire des révélations ; lorsque accuser tous les Hutus de génocide et engager beaucoup
vous êtes marié à une femme hutue ou une femme née de miliciens Interahamwe reconnus dans l 'APR.
de parents hutu et tutsi ; lorsque vous n'êtes pas d 'accord Le major Rachid Mugisha alias Kyojo est décédé d'une
avec les agissements de I'APR contraires à la dignité injection administrée par le major Dr Joseph Ntarindwa
humaine ; lorsque vous êtes soupçonné de collaborer à l' hôpital militaire de Kanombe . L'ordre d'exécution
avec les opposants au régime de Paul Kagame. provenait de la DMI qui avait elle-même reçu ledit ordre
Il y avait aussi d'autres raisons. du général-major Kagame en personne . Il semble qu 'il
Le colonel Charles Ngoga a été assassiné parce qu'il a été assassiné à cause de son amitié avec le capitaine
concurrençait le marché du commerce de lait du géné- Serwanda, lui-même assassiné sous prétexte qu ' il pré-
ral-major Paul Kagame. Plus de six fois, le lait des vaches parait une guerre contre le FPR . Mais le major Mugisha
du colonel Charles Ngoga a été déversé en plein milieu a aussi provoqué son assassinat par son caractère magna-
de la route par les gardes du corps du président Paul nime qui ne supportait pas les maladresses et les injus-
Kagame . Il demanda si l' homme fort de Kigali ne tices au sein de l 'armée.
croyait pas avoir combattu seul pour la libération du Le major Alex Ruzindana a été assassiné quelque temps
Rwanda. Ajoutées au rôle combien important qu ' il après sa démobilisation de l'APR . On a prétendu qu 'il
avait joué au sein du FPR, ces paroles acerbes consti- faisait partie des militaires qui préparaient un coup
tuaient désormais un danger imminent, d 'autant qu'il d' État . Il a été abattu par le capitaine Butera. Qu'on
était accusé de comploter avec ceux qui préparaient ait cru qu 'il voulait faire un coup d ' État est dû au fait
un coup de force . Finalement, on l'a tué avec un qu'il s' opposait ouvertement aux massacres et aux assas-

422 RWANDA, L'HISTOIRE SECRETE DE 1995 A 2000 423

sinats des gens à cause des divergences d'opinion . Il était Le capitaine Hubert Kamugisha avait été utilisé par
persuadé que si on ne mettait pas fin à ce phénomène, le général-major Paul Kagame pour commettre plusieurs
le pays courait à sa perte. atrocités, notamment dans les assassinats d 'hommes poli-
Le major Dr Ndahiro et Dr Jean Gahungu ont été tiques parmi lesquels le ministre Félicien Gatabazi du parti
abattus, vers fin juillet 1994, du côté de Rwamagana PSD, Martin Bucyana du CDR et d 'autres. Il a servi dans
dans la direction de Kayonza . A bord de la voiture que le placement des mines au Rwanda, plus particulièrement
conduisait le major Dr Ndahiro, ils sont tombés dans dans la ville de Kigali au début de l 'année 1994 . Il a aussi
une embuscade tendue dans un virage par des militaires. été utilisé pour recueillir des renseignements plus poussés
Le conducteur a essayé d'esquiver ces tueurs et il a perdu pendant les jours qui ont précédé l 'attentat contre l'avion
le contrôle de la voiture . Les deux officiers et un des présidentiel . En fin de compte, contrairement à la plupart
membres de leur escorte ont été tués dans cet accident. des autres, il n'a pas été récompensé et il n 'est même pas
Le major Dr Ndahiro a été éliminé non seulement parce monté en grade pour tout le travail qu ' il avait pu accom-
qu'il avait fait de brillantes études, mais aussi parce qu 'il plir. Son mécontentement public lui a valu une mutation
n'aimait pas les intrigues . En dépit de ses relations avec de la DMI au 17 e bataillon (il a été relégué dans les uni-
les Inkotanyi, le Dr Jean Gahungu a été éliminé parce tés qui n'avaient rien à voir avec le renseignement) . Peu
que son fils avait noué une forte amitié avec la famille de jours après, il a été tué par balles suite à la conspiration
du président Juvénal Habyarimana (aujourd'hui son fils de la DMI et sur ordre de Paul Kagame et on a rapporté
a épousé l ' une des filles de feu Habyarimana). qu'il s'était suicidé . Il importe de rappeler ici qu 'il était le
Le major John Birasa et le capitaine Eddy ont péri seul officier de l'APR qui avait bravé des situations très
dans une embuscade qui leur a été tendue par le propre dangereuses en se mêlant aux Interahamwe tout en sachant
adjoint de Birasa . Ce major a été tué parce qu'il n'ac- que, s'il était découvert, il risquait de se faire crever les
ceptait pas le mauvais fonctionnement du FPR et d ' une yeux. Cependant, il est resté au grade de capitaine pen-
armée mercenaire. Dans les années 1993-1994, c'est lui dant que de plus jeunes que lui étaient promus majors ou
qui était responsable de la logistique des militaires qui lieutenants-colonels.
s'infiltraient dans la ville de Kigali et de ceux qui semaient Le capitaine S. Kavuma . Cet officier avait été démo-
l'insécurité dans tous les coins du pays . Il avait égale- bilisé de l'APR parce qu ' il ne s 'entendait plus avec le
ment participé à l'attentat contre l 'avion du président régime du FPR. En route vers l ' Ouganda, il fut arrêté
Juvénal Habyarimana. En le tuant, on voulait éviter qu'il au poste frontalier de Gatuna . Il a été conduit à la DMI
dévoile ce qui s'était passé, d'autant plus qu'il commençait à Kami et tué à l 'aide d'une houe usagée.
à montrer son mécontentement sur la façon dont le pays Le capitaine David Sabuni . Comme il désapprouvait
et l'armée étaient dirigés. le fonctionnement du régime du FPR, notamment l'in-

424 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 425

justice dans l 'élévation aux grades et les nominations aux mandée par le lieutenant Bosco Ndayisaba sur ordre du
postes de direction dans I'APR, il a décidé de s 'exiler en capitaine Silas Udahemuka. Il a été tué parce qu'il dénon-
Ouganda . Paul Kagame a convoqué une réunion mili- çait l'injustice qui caractérisait les arrestations et empri-
taire où il a demandé à tous les commandants des bri- sonnements massifs de la population.
gades d' user de tous les moyens à leur disposition, en Le sous-lieutenant Dan Ndaruhutse, commando de
collaboration avec la DMI, pour rapatrier tous les mili- formation, qui était le garde du corps de Paul Kagame
taires qui s 'étaient exilés en Ouganda . C'est ainsi que dans la Garde républicaine, a été abattu en même temps
le colonel Mubarakh Muganga a essayé d ' entrer en qu'un autre soldat qui était soupçonné d'avoir participé
contact avec le capitaine David Sabuni. Quand il est par- à un vol armé . Le sous-lieutenant Ndaruhutse n ' avait
venu à le joindre, il lui a menti et dit qu'on avait expli- rien à voir avec cette affaire de vol . Il a été tué tout sim-
qué son problème au président Paul Kagame qui, lui plement parce qu'il aurait osé demander pourquoi son
aussi, l'avait trouvé compréhensible. Le colonel Muganga confrère était arrêté brutalement . Leur tueur aurait dit
a invité le capitaine à rentrer pour être rétabli dans ses qu'il avait eu la chance de tomber sur le sous-lieutenant,
droits, au lieu de continuer à lutter contre le régime . Le car ce dernier était recherché pour divulgation des secrets
capitaine Sabuni a d ' abord eu quelques hésitations mais aussi bien de la Garde républicaine que du président
le colonel Muganga l'a rassuré en lui promettant qu'il se Kagame lui-même. Les deux militaires ont donc été assas-
chargeait de l'affaire . Le colonel lui a alors envoyé de l 'ar- sinés sur ordre du capitaine Silas Udahemuka.
gent et les moyens nécessaires pour rentrer en toute dis- Le lieutenant Karegeya, qui était dans le 3 e bataillon
crétion . Arrivé à Gatuna, le capitaine a été remis, pieds au CND durant la guerre de 1994, a été abattu par le
et poings liés, aux bourreaux de la DMI et fut assas- lieutenant-colonel Charles Kayonga dans la ville de Kigali
siné après avoir été longuement torturé. quelque temps après la fin de la guerre. On craignait qu'il
Accusé de vouloir lancer une guerre contre I'APR, ne dévoile les informations relatives non seulement à l 'at-
le capitaine Serwanda a été tué au parc national de tentat contre l'avion présidentiel de Habyarimana, mais
l'Akagera avec son escorte. La nouvelle s'est vite répan- également aux assassinats des hommes politiques comme
due selon laquelle il aurait été tué en tentant d 'organi- Félicien Gatabazi, Martin Bucyana, Emmanuel Gapyisi
ser une rébellion armée dans la forêt pour renverser le et Emmanuel Bahigiki . Ce militaire, originaire de
pouvoir du FPR. Mais les vraies raisons de son élimi- Kibungo, avait longtemps vécu à Kigali avant de joindre
nation étaient tout à fait autres . On voulait se débar- l'APR. Il a été très utilisé dans l'espionnage qui s'effec-
rasser de lui. tuait au Rwanda et dans la ville de Kigali en particulier.
Le lieutenant Aloys Rupari a été assassiné à Mulindi Il s'était évertué à obtenir des cartes d'identité rwandaises
(Kanombe) par les soldats de la Garde républicaine coin- pour les soldats de l'APR qui s'étaient infiltrés dans la

426 RWANDA, UHISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 427

ville de Kigali avant le génocide . Il l'a fait en collabo- même se marier à Kibuye, il fut empoisonné et on a laissé
ration avec le capitaine Charles Karamba, le colonel croire qu'il était mort du sida.
Lizinde et les proches de Kanyarengwe qui étaient dans Le sous-lieutenant Peter Sempa . Il a été le garde du
l' administration. Cette collaboration facilitait l' obten- corps personnel de Paul Kagame depuis le début de la
tion des pièces d 'identité pour les militaires de l'APR. guerre. Après avoir été soupçonné de côtoyer les éléments
Le lieutenant Rwagasana, un Hutu, très doué en fran- de l' opposition, on a déduit qu'il pouvait leur dévoiler cer-
çais et en anglais, avait servi de traducteur-interprète taines informations cruciales relatives à la mort de Juvénal
pour Paul Kagame pendant la période de guerre . Il a été Habyarimana, parce qu 'il avait participé au chargement
abattu dans le 101 e bataillon par le capitaine Jimmy des missiles . Ainsi, les autorités militaires l 'ont directe-
Muyango. Son élimination s 'expliquait par le fait qu 'il ment affecté dans les bataillons qui se battaient au aire.
était hutu, qu'il n'avait plus la confiance de l ' unité du C'est là qu' il a été abattu lors d'une attaque simulée par
haut commandement qui assurait la sécurité de Kagame, les éléments de l'APR qui l'y avaient poursuivi.
qu'il connaissait toute la correspondance de Kagame Le sous-lieutenant Jean-Claude Ruraza faisait partie
et qu' il détenait des informations fondamentales sur les de l ' équipe de la DMI . Il a été soupçonné de ne pas sou-
assassinats des hommes politiques, Juvénal Habyarimana tenir le programme d 'extermination de la population
y compris . Sa mort a été qualifiée d 'accidentelle. Il a été alors que cela était la tâche principale de tout officier de
remplacé par le lieutenant Jean Bosco Kazura au poste renseignement. L'APR a préféré l'éliminer comme je l'ai
de traducteur-interprète. déjà décrit dans la partie qui porte sur la guerre impu-
Le lieutenant Dan Twahirwa. Il a été liquidé suite aux tée aux infiltrés.
propos acerbes qu'il avait tenus lors de son séjour dans Le premier sergent Nyirumuringa a été tué par balles
la prison militaire de Kibungo à l ' égard du haut com- dans la ville de Kigali à l 'endroit où il venait souvent
mandement de l'APR, de la DMI et des services mili- prendre un verre. Comme il avait été utilisé contre son
taires judiciaires qui emprisonnaient les soldats d 'une gré pour transporter les cadavres et des gens à exécuter
façon injuste. dans la forêt de Nyungwe où ils devaient être inciné-
Le lieutenant Fred Gatumbura . Il a été le chauffeur rés, il a été tué pour éviter que, plus tard, il ne puisse le
de Paul Kagame pendant plusieurs années et connaissait raconter.
ainsi beaucoup de secrets . Après avoir perdu de sa cré- Loin de moi l 'intention d 'énumérer toutes les vic-
dibilité dans l 'armée suite à des rumeurs selon lesquelles times, car elles sont trop nombreuses . Il existe des preuves
il avait un lien de parenté direct avec des Hutus et après suffisantes pour les quelques cas que j ' ai relevés . Elles
que ces rumeurs avaient été renforcées par sa relation peuvent être mises à la disposition de quiconque inten-
amoureuse avec une femme hutue avec laquelle il allait terait un procès contre ces criminels . Je me suis gardé

428 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 429

également d'évoquer tous ceux qui ont été tués pendant Quelques-uns des agents des organisations non
la guerre . Leur nombre est tellement élevé que je leur gouvernementales assassinés au Rwanda
réserve un livre à eux seuls qui commencera par le géné- En date du 19 janvier 1997, à Ruhengeri, dans l'en-
ral-major Fred Rwigyema et le major Peter Bayingana et droit dénommé Yaoundé, trois volontaires espagnols,
évoquera leurs compagnons d'armes jusqu'à aujourd' hui. membres du personnel de l'organisation Medicus Del
Hormis les soldats de l 'APR, le régime Kagame a éga- Mundo (Médecins du monde) ont été assassinés . Les vic-
lement tué les éléments des ex-FAR qui avaient rejoint times répondaient aux noms de Dr Manuel Madrazo
l'APR . Je citerai quelques exemples de ceux qui ont été Osuna, Maria Fortuny Flors Sirera et Luis Valtuefia
éliminés parce qu 'ils avaient manifesté leur méconten- Gallego. Leur assassinat est dû au fait que, ce jour du
tement sur les arrestations massives et les massacres répé- 19 janvier 1997, les gendarmes du groupement de
titifs des membres de leur groupe ethnique hutu. Ruhengeri ont mené une opération de chasse aux infil-
Le major Lambert Rugambagye a été tué dans la pri- trés et de massacre de la population dans la localité
son militaire de Kibungo au début de l ' année 1997. dénommée Kabere 1, tout près de Nyakinama . A la fin
Comme il n' avait rien à se reprocher, il se permettait de de la chasse, les gendarmes, n' ayant trouvé aucun infil-
dénoncer les atrocités que 1'APR était en train de com- tré, se sont livrés à des tueries massives de la population
mettre. Même un Inkotanyi qui osait agir comme lui était de cette localité . À leur départ, ils ont laissé de nombreux
tué. Mais il ignorait cela. cadavres jonchant les routes et les bananeraies . Pendant
En date du 24 octobre 1997, à Gitarama, le capitaine qu' ils effectuaient leur trajet vers les centres de santé des
Théoneste Hategekimana, commandant du groupement différentes communes pour leur fournir des médicaments,
de la gendarmerie de Gitarama, a été assassiné . Il a été les Espagnols sont passés à côté de centaines de cadavres
victime de son opposition ouverte aux arrestations mas- sur les routes . C'est alors qu ' ils ont demandé aux survi-
sives et aux massacres de la population, notamment des vants ce qui s'était passé . Ces derniers leur ont répondu
intellectuels hutus ainsi qu'aux mises en scène des infil- qu'il s'agissait des habitants qui venaient d'être systé-
trations dans la préfecture de Gitarama. matiquement massacrés par l'armée gouvernementale.
Des exemples d'ex-FAR assassinés et de gens exécu- Les trois volontaires espagnols ont pris soin de prendre
tés parce qu'ils avaient eu un militaire des FAR dans leurs note de tout ce que la population leur racontait comme
familles abondent . Nous ne manquerons pas d 'ajouter témoignage et se sont fait aider par l'assistant bourgmestre
d'autres noms de victimes dès que nous serons en pos- de la commune de Nyakinama qui jouait le rôle d 'inter-
session d' informations suffisantes sur les circonstances prète. Ce dernier en a profité pour donner son témoi-
de leur mort. gnage et exprimer ses inquiétudes . Il a dit que l'APR, en
collaboration avec la gendarmerie, allait exterminer la

430 RWANDA, LHISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 431

population et qu'il connaissait l 'endroit où les militaires service de renseignement de la gendarmerie . Les trois
cachaient les corps de leurs victimes . Cet endroit était officiers ont choisi eux aussi quelques soldats du service
l'ancien site du campus universitaire de Nyakinama . Les de renseignement qui devaient les aider dans cette tâche.
Espagnols l'ont pris à bord de leur voiture et il est allé Ils constituaient en tout un groupe de quatorze mili-
leur montrer cet emplacement . Ils ont pu eux-mêmes taires. Comme les Espagnols vivaient avec une quatrième
se rendre compte de l'horreur. Toutes les fosses septiques personne d 'origine américaine, il a été nécessaire que
étaient pleines de cadavres et n'étaient pas gardées . Cette le colonel Kayumba Nyamwasa donne l'ordre de ne pas
négligence a été imputée au capitaine Justus Majyambere la tuer. En effet, quand les militaires sont arrivés au domi-
qui n'avait pas pensé à placer des soldats de garde sur ces cile de ces volontaires, ils leur ont demandé d 'exhiber
charniers en attendant que l'on puisse procéder à l ' inci- d'abord leurs pièces d 'identité. C' est ainsi que les trois
nération . Après avoir pris des photos de ces différents Espagnols ont été identifiés et tués sur-le-champ tan-
charniers, les trois volontaires sont directement rentrés dis que la personne d' origine américaine a été épargnée.
sur la ville de Ruhengeri. En même temps, la nouvelle La chasse aux volontaires d'origine espagnole a été
selon laquelle les Blancs avaient photographié les corps étendue . Il existe plusieurs cas de meurtres d 'Espagnols
des gens tués par les gendarmes, ainsi que les emplace- qui ont eu lieu avant ou après celui de Ruhengeri. Je cite-
ments qui servaient de caches de cadavres est parvenue rai à titre de rappel les cas suivants.
aux services de renseignement et au colonel Kayumba L'assassinat de Joaquim Sala Vallmaj6
Nyamwasa . Celui-ci a directement convoqué une réunion Le 26 avril 1994, à Byumba, dans la localité dénom-
de crise à l'EGENA (Ecole de la Gendarmerie nationale) mée Kageyo, a été assassiné le père Joaquim Vallmajô . Ce
afin d' examiner les mesures à prendre dans l'immédiat. prêtre avait fondé des centres de santé à Nyarurema, au
Au terme de la réunion, on a décidé que l ' assistant Mutara, et à Nyagahanga . Après que l'APR y avait lancé
bourgmestre qui avait accompagné les Espagnols serait plusieurs attaques, tué des malades hospitalisés, pillé les
immédiatement arrêté, que les Espagnols seraient tués médicaments et le matériel médical, ce prêtre avait eu peur
et que le gouvernement dirait qu ' ils avaient été tués de continuer à travailler dans une zone de combat et était
par des infiltrés . Tout cela devait se faire au plus tard parti . Mais les rapports fournis par les services de ren-
le même soir. Le lieutenant Abassi Migabo a été chargé seignement de I'APR affirmaient que ce missionnaire avait
d' arrêter le fonctionnaire communal tandis que le capi- une radio qu' il utilisait pour informer la presse interna-
taine Justus Majyambere a été chargé de diriger l 'équipe tionale sur les atrocités contre la population civile.
qui devait aller tuer les Espagnols . Deux sous-lieutenants L'assassinat des frères maristes à Nyamirangwe
devaient l'assister, à savoir le sous-lieutenant Evariste En date du 31 octobre 1996, à Nyamirangwe près de
Kabalisa et le sous-lieutenant Jean Karenzi, tous deux du Bukavu, dans la région du Sud-Kivu, au Zaïre, quatre

432 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000


433

frères maristes qui venaient en aide aux réfugiés ont par des soldats de la 305e brigade mandatés par le capi-
été assassinés après la destruction des camps des réfugiés taine Peter Kalimba . Depuis quelques jours, ce dernier
hutus fuyant le FPR. Ces frères ont été arrêtés par les avait désigné des éléments qui devaient le suivre de près
militaires du 157e bataillon de l'APR. À leur capture, le pour le tuer aussitôt qu'ils en auraient l 'occasion.
lieutenant-colonel Caesar Kayizari a ordonné au capi- Le capitaine Peter Kalimba était d' autant plus inquiet
taine Charles Karangwa de les tuer sans plus attendre, qu' il avait été membre de l ' équipe des tueurs du
puisque les Espagnols gênaient de plus en plus le régime 157e bataillon qui avait massacré les évêques et des reli-
du FPR par la publication incessante de rapports sur les gieux après la prise de Kabgayi le 5 juin 1994 . Il était
massacres de la population par l 'APR. Quelques jours convaincu que ce prêtre arriverait à connaître ceux qui
après, le capitaine Charles Karangwa a été incarcéré mais avaient assassiné les évêques.
pour des motifs de pillage . Le capitaine Joachim En ce qui concerne les religieux et religieuses rwan-
Habimana a aussi participé à ces assassinats. dais victimes de l 'APR, hormis un petit nombre d 'entre
L'assassinat du pire Isidro Uzcudun Pouso 1 eux dont j ' ai déjà parlé, je reviendrai sur leur cas, plus
La soirée du 10 au 11 juin 2000 a vu l 'assassinat du tard, dans un document séparé.
père Isidro Uzcudun à Mugina, en préfecture de J' ai voulu démontrer par quelques exemples prove-
Gitarama, par des soldats envoyés par le capitaine Moses nant de sources sûres comment la junte militaire au pou-
Rubimbura. Ce prêtre a été tué à cause de ses nombreux voir à Kigali ne tolère jamais qu 'on puisse dénoncer les
rapports sur les massacres de la population de la com- massacres et les bavures en tout genre dont elle ne cesse
mune de Mugina par l'APR avant et après la conquête de se rendre responsable depuis des années . Par la même
du pouvoir. occasion, je ne manquerai pas d'attirer une attention par-
L' assassinat du prêtre croate Curic Vjecko ticulière sur la persécution que continuent à subir
Hormis les volontaires et religieux espagnols, l'APR les journalistes rwandais qui sont jetés en prison ou
a tué d'autres expatriés . Entre autres, je citerai le père contraints à l'exil parce qu 'ils osent dénoncer les atro-
Vjecko Curic abattu à Kigali en date du 31 octobre 1998 cités régulièrement commises par un groupuscule de san-
guinaires du FPR et par l'APR. La persécution est subie
par des Rwandais de différentes catégories et elle vise à
1 . En juillet 2005, le juge espagnol Fernando Andreu a déclaré la
les faire taire.
recevabilité de la plainte déposée le 22 février 2005 devant 1 'Audienca
Nacional contre des officiers supérieurs de l 'APR pour leur implication
directe dans le meurtre de ressortissants espagnols et pour d ' autres crimes Questions sur Paul Kagame
commis entre 1990 et 2002 . Le juge a décidé d'ouvrir des investigations Comment et pourquoi le général-major Paul Kagame
contre soixante-neuf membres de l 'APR . (NdE) est-il régulièrement cité ?

434 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000


435

Parce que aucun des crimes signalés ne pouvait être il est arrivé sur le champ de bataille, les deux hommes
commis sans son ordre, ou du moins sans qu ' il en soit sont morts.
informé au préalable . Il est capable de gérer une vaste Après ce forfait, Paul Kagame a enrôlé dans sa garde
organisation criminelle grâce à des éléments de l 'armée personnelle les anciens gardes du corps de Fred
et de ses services transformés en instrument personnel Rwigyema et les quelques éléments venus avec lui de
pour l'oppression du peuple rwandais. l' Ouganda . Il faut signaler que Rwigyema était gardé
À l'arrivée de Paul Kagame sur le front, dans la troi- par les militaires appartenant à la PPU (Presidential
sième semaine du mois d'octobre 1990, il a été confronté Protection Unit), qui formaient aussi la garde rappro-
à l' opposition des militaires qui ne voulaient pas de lui. chée du président Museveni . Ce sont ces éléments de
C' était un mauvais début . Mais Paul Kagame a eu une confiance qui ont aidé Kagame à diriger l 'APR. Dans
chance inattendue pour deux raisons. cette tâche, il a également eu recours aux anciens agents
La première est qu'il est arrivé au plus fort de la guerre. ougandais de la DMI qui étaient sous ses ordres du
Les militaires des FAR en provenance de Ngarama, temps où il appartenait à la NRA . Ils lui étaient sou-
Mimuri et Muvumba venaient de contourner les posi- mis car ils connaissaient sa cruauté : personne ne devait
tions de I'APR par surprise . Les responsables militaires discuter ses ordres sous peine d 'être fusillé sans autre
étaient occupés par cette situation difficile où l 'APR forme de procès ou alors exécuté, le crâne fracassé par
subissait des tirs nourris de l ' ennemi. un coup de houe.
La deuxième raison était la colère du président Parmi ses hommes dévoués, il y avait Kayumba
Museveni causée par le fait que les officiers du FPR Nyamwasa. Il y avait aussi Didas Kayitare, alias Intare
avaient lancé la guerre sans attendre ses consignes. batinya, « le Lion redoutable » . Il était responsable des
D' autre part, Museveni ne s ' est jamais remis du fait gardes du corps de Rwigyema . Paul Kagame s' en est
qu' au déclenchement de la guerre, les extrémistes du débarrassé plus tard car il se montrait insolent . Il s'est
FPR aient assassiné son conseiller, le général-major Gisa rapproché d'autres militaires de rang inférieur mais dont
Rwigyema. Le président Museveni l 'aimait comme son il connaissait la soumission totale comme James
propre enfant . À cause de l'élimination de Rwigyema, Kabarebe. Celui-ci a été nommé aide de camp puis est
il a perdu toute confiance dans les commandants mili- devenu commandant d' unité au sein du haut comman-
taires de l'APR. Faute de mieux, il a envoyé Paul dement . Kabarebe était le coordinateur de toute la garde
Kagame. personnelle de Kagame et son conseiller le plus écouté
La prise de fonction ne pouvait que s ' accompagner en matière militaire . Il a également recruté dans son cercle
de l'élimination des majors Bayingana et Bunyenyezi, le sous-lieutenant Charles Kayonga comme adjoint de
ses concurrents directs . Son but fut réalisé car le jour où James Kabarebe.

436 RWANDA, L'HISTOIRE SECRETE DE 1995 A 2000


437

Ces deux sous-lieutenants avaient acquis une impor- la complicité de Kayitare . Ce dernier n'en sera pas moins
tance telle que personne ne pouvait discuter leurs ordres. assassiné sur ordre de Kagame, car les deux hommes
Ils disaient tout au nom de Kagame tandis que son adjoint étaient en désaccord sur bon nombre de points . Quelques
direct officiel ne pouvait rien dire . Ils ont été favorisés jours après cette scène, le commandant Sam Byaruhanga
jusqu' à provoquer les jalousies de leurs confrères plus fut abattu par un militaire JO1 Mustapha Higiro . Ce
compétents et plus gradés . C'était un calcul de Paul dernier fut simplement emprisonné sur ordre de Kagame.
Kagame, qui voulait provoquer des divisions dans l 'ar- Quatre ans après la prise du pouvoir, il fut relâché et
mée pour mieux la dominer. C'est dans le cadre de cette promu au grade de capitaine . Il reçut une régularisation
politique que le capitaine Camarade Kayitare a perdu sa de son salaire pour toute la période de son emprisonne-
place en faveur de Kayumba Nyamwasa. On a prétexté ment . Quant à Charles Musitu, il fut mis précocement
que Kayitare, en charge du renseignement, n 'avait pas pu à la retraite pour le seul fait d 'avoir dénoncé le système
expliquer la mort du général Rwigyema . Un autre sous- de la chicotte.
lieutenant, Frank Mugambage, a été attiré dans ce cercle Pour asseoir son autorité totale, Kagame a désorga-
restreint . Il a occupé le poste d'Alphonse Furuma comme nisé l'APR au niveau du commandement . Il donnait des
commissaire politique en chef. Mugambage venait du promotions à ses favoris en écartant des postes de res-
9e bataillon où il était officier chargé de l'administration. ponsabilités ceux dont il redoutait la concurrence . Au
L'action de Didas Kayitare fut la plus déterminante départ, il a ordonné à tous les officiers d ' enlever de leurs
pour asseoir la dictature de Paul Kagame sur l 'armée. épaulettes les galons reçus dans l' armée ougandaise . Du
Il fut en effet le premier à instaurer la chicotte chez les simple sergent qui dirigeait le peloton à l ' officier supé-
officiers. Alors que certains officiers étaient méprisants rieur, tout le monde pouvait alors être commandant
envers Kagame, Kayitare inventa un stratagème : il vint (Commander) . Lui seul est resté avec le grade de major.
volontairement en retard dans une réunion et se laissa Ensuite, il a dissous tous les bataillons déjà éprouvés par
giffler et frapper à coups de pied par Kagame. Les offi- la guerre de 1990. Le 1 er, le 4e, le 9e, le 11 e . . . furent
ciers supérieurs présents n'en crurent pas leurs yeux . Sam mélangés pour être à nouveau répartis dans un système
Byaruhanga et Charles Musitu furent les premiers à de colonnes (Columns) . Dans des guerres non conven-
dénoncer cette mise en scène. Ils dirent : « Kayitare, tu tionnelles comme la guérilla, un tel système peut porter
es un chien . Tu nous as vendus . Tu viens d' instaurer ses fruits. C' est une façon aussi de dérouter l ' ennemi.
un système où la chicotte sera d'application chez les offi- Mais, pour Kagame, c 'était le moyen d 'écarter ceux qui
ciers. » Par la suite, effectivement, des officiers, y com- lui faisaient ombrage et promouvoir ceux qui lui étaient
pris ceux du haut commandement militaire, furent battus dévoués corps et âmes . Ce mélange a déstabilisé les mili-
par Kagame car la « coutume » avait été inaugurée avec taires au point que certains d 'entre eux étaient chicottés

438 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 439

pour n' avoir pas su à quelle colonne ils appartenaient. face à un membre de cette organisation parallèle . Les
Après ces changements, Paul Kagame mit sur pied rôles étaient renversés car normalement le IO (Intelligence
une autre organisation de l'APR. Au sommet, il créa un Officer) doit rendre compte au CO . Tous les IO ren-
poste de chef du haut commandement (Chairman of daient des comptes à Kagame, à son organisation paral-
High Command) pour lui-même, sans aucun adjoint. Sa lèle, ou à la DMI . L'armée était mise en coupe réglée par
politique de 1991 n'a pas changé car après la prise du les agents de renseignement de Kagame.
pouvoir en 1994, s' il a été vice-président, lorsque lui- C' est cette organisation parallèle qui est responsable
même est devenu président en 2003, il n ' a pas voulu de l ' essentiel des crimes commis par 1'APR, depuis la
d' adjoint : le poste de vice-président a été supprimé. guerre de 1990 jusqu'à aujourd'hui. Il y avait un agent
Cette organisation de l'armée dans laquelle Kagame de renseignement dans chaque section . Leur nombre
était le seul gradé lui permettait de donner des ordres est impressionnant . Par exemple, pour 4 divisions, il y
n' importe comment, surtout quand il s'agissait de dili- a 12 brigades, subdivisées en 45 bataillons, ceux-ci sub-
genter des crimes de toutes sortes . En effet, depuis que divisés en 360 compagnies, celles-ci en 1 080 pelotons,
j ' étais entré dans l'armée, je n' avais jamais vu Kagame ceux-ci comprenant 3 040 sections . Pour ces 4 divi-
convoquer une réunion pour débattre d'un sujet quel- sions, 1'APR dispose au moins de 3 500 agents de ren-
conque . Il les convoquait non pour se concerter mais seignement, dont certains n'étaient même pas connus.
pour donner des ordres ou pour annoncer des rema- La DMI emploie elle aussi 500 agents reconnus qui
niements . Il convoquait également une réunion pour viennent régulièrement dans ses bureaux . A ceux-là, il
cibler certaines personnes et les humilier séance tenante faut ajouter les PC (Political Commissars) qui eux aussi
par des insultes, de mauvais traitements comme la bas- font du renseignement mais dispensent officiellement
tonnade, les gifles . Enfin, les réunions n' avaient aucun des cours politiques . Ils sont disséminés dans la popu-
ordre du jour . Elles commençaient chaque fois par des lation pour repérer les civils à même de faire allégeance
insultes et finissaient par des insultes . Aucun compte au pouvoir et de les signaler. C'est dire à quel point
rendu ne pouvait en être fait. le Rwanda est quadrillé par des agents de renseigne-
Tous les actes commis par 1'APR ont été exécutés sur ment . À ceux-là, il faut encore ajouter la garde per-
ordre de Paul Kagame ou de quelqu' un d'autre com- sonnelle de Kagame estimée à 3 500 hommes, du moins
missionné selon ses propres critères . En effet, même si ceux qui sont connus . Tous sont des agents de rensei-
le High Command existait, Kagame avait une organisa- gnement . Dans la police militaire, il y a au moins 1 000
tion parallèle secrète qui recueillait le renseignement agents de renseignement sur les 2 500 hommes que
et dont les membres avaient un pouvoir supérieur à celui compte ce corps. La structure de la police comporte,
des Commanders. Le Commanding Officer n'était rien elle aussi, au moins 3 000 agents de renseignement .

440 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE DE 1995 A 2000 441

Tous les actes des agents sont ordonnés par Kagame qui Dans les paragraphes précédents, nous avons voulu
transmet ses ordres à travers une pyramide jusqu ' au montrer que l 'APR a été dirigée d 'une façon autori-
plus bas échelon de l'organisation . Les rapports emprun- taire et dictatoriale depuis l ' arrivée de Kagame jusqu 'à
tent le chemin inverse en remontant la hiérarchie jus- aujourd 'hui . Sous la menace de renvoi, les militaires qui
qu' à Paul Kagame. savent qu'ils n'ont aucun niveau d 'études, sans autre alter-
D ' une façon générale, l'élimination de la population native dans la vie, acceptent tous les caprices de leur chef.
civile sur ordre de Kagame suit la même logique . Certains Ils savent qu' en cas de renvoi, Kagame fera tout pour
agents sont tellement habitués et devenus intouchables leur compliquer la vie en les plongeant dans la pauvreté
qu' ils peuvent tuer sans être inquiétés tant ils anticipent la plus totale, de façon à ce que le retour à la vie civile
la volonté de Kagame pour avoir longtemps travaillé avec soit une véritable galère . En outre, une fois renvoyé, le
lui. Ils l' informent de leurs actes et de leur importance militaire est poursuivi, voire traqué par les services spé-
pour le maintien du pouvoir entre les mains de Kagame ciaux pour activités subversives supposées . Il est empê-
et de sa clique, et le dossier est ainsi clos. ché de s' exiler. Cette situation traumatise certains
Au fil des jours, certains militaires choqués d ' être militaires qui préfèrent se rattacher à Kagame même s 'ils
impliqués dans des crimes ont manifesté leur désappro- ne sont pas d'accord avec ses agissements.
bation de la politique dictatoriale et criminelle de Un stratagème employé par Paul Kagame pour asseoir
Kagame . Ils ont tout de suite été écartés parce que l 'or- sa dictature sur l ' armée est de faire en sorte que chaque
ganisation ne pouvait plus les exploiter. militaire de son entourage proche ait au moins participé
Autres prétextes de Kagame pour chasser les militaires à des massacres de civils et autres assassinats . Il se sent
dont il ne veut plus : leur niveau d'études ou leur han- ainsi lié au chef par le secret du crime, obligé de se soli-
dicap physique . La majorité de ceux qui ont été renvoyés dariser avec lui et de se protéger mutuellement . Ce point
ont pourtant fait des études de loin supérieures à celles est important pour comprendre la politique criminelle
de Kagame. Il ne cesse par ailleurs de répéter que le métier de Kagame . La plupart des officiers de son entourage
de militaire n'exige pas des études poussées . Mais que peuvent mourir pour lui par le seul fait de leur conni-
dire par exemple des officiers comme Fred Ibingira, un vence à propos des crimes perpétrés de concert .
analphabète qui signe son nom avec des lettres majus-
cules renversées mais qui est à la tête d 'une division mili-
taire de plus de vingt mille hommes . Il y a dans l'armée
des postes qui exigent des études, parce que les hommes
sous commandement sont des combattants mission-
nés par leur pays .
Conclusion
Nous avons constaté, tout au long de ces pages, que
nous n'avons aucune raison de nier l 'existence du pro-
blème ethnique . Mais toutes les tueries qui se font au
nom d' une ethnie ne lui profitent en rien . Les Hutus
n' ont rien gagné aux tueries que leur régime leur a fait
faire. Au contraire, tous, coupables ou non-coupables,
sont en train d 'en subir de lourdes conséquences . Ceux
qui sont à l'intérieur du pays sont considérés comme des
tueurs, ceux qui entrent en prison sont condamnés avant
le jugement, ceux qui sont dans la fonction publique
perdent leur identité pour servir le FPR et sont utilisés
pour trahir leurs frères hutus . Une fois qu'il les a exploi-
tés à fond, le FPR, ou les renvoie, ou les emprisonne sous
le prétexte fallacieux qu' ils sont des semeurs de trouble,
ou les liquide. Celui qui a pu s'exiler et celui qui n'est
jamais retourné au Rwanda après la prise du pouvoir par
le FPR n'osent pas rentrer et vivent comme s 'ils n'avaient
pas de famille au Rwanda . En ce qui concerne les Tutsis,
ils continuent d'être immolés depuis quarante-cinq ans.
Ils sont massacrés à chaque changement de régime . Le
pouvoir actuel qui agit en leur nom alors qu 'il ne fait
rien de concret pour eux est en train de nourrir une haine
qui se soldera encore une fois par leur massacre .

446 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE CONCLUSION 447

Nous devrions en tirer une leçon . Le noeud de nos être poursuivis et traduits en justice . Je dois dire par la
conflits n'est pas nos différences ethniques . Personne ne même occasion que le FPR n 'a aucun droit de poursuivre
devrait avoir honte de son ethnie. Nous tous, Rwandais, devant les tribunaux les gens qui, comme lui, ont tué les
devrions nous lever comme un seul homme et lutter autres à cause de leur ethnie . Lors de l'ouverture de la
contre ces groupuscules de politiciens qui, sur la base de conférence internationale sur la réconciliation de
nos différences ethniques, nous livrent aux conflits fra- mai 2004 à Kigali, le président Paul Kagame a osé salir
tricides, nous contraignent à l' exil ou nous oppriment la mémoire des Hutus qui ont été tués par l 'APR en
froidement. disant que les victimes étaient toutes de l'ancienne milice
Interahamwe . Nous qui avons servi dans son armée,
Message à mes compatriotes : que devrait-on faire sommes prêts à réfuter ces affirmations qui ne visent qu' à
à l'avenir ? blesser les familles des victimes . Nous n' accusons pas
C' est une décision très difficile à prendre ! Mais si le président Kagame de la mort des miliciens Interahamwe
nous aimons notre patrie, si nous nous aimons et si nous qui ont été tués sur le champ de bataille en nous com-
aimons notre progéniture, nous devrons la prendre. battant, nous l' accusons de la mort des civils innocents
Premièrement, tout Rwandais qui a la chance d 'être qui ont été tués sous ses ordres et de façon planifiée.
encore en vie devrait accepter que le bien soit reconnu Si nous convenons que tous ceux qui ont commis des
comme le bien et que le mal soit reconnu comme le mal. crimes doivent être poursuivis, qui devra les poursuivre ?
Deuxièmement, nous devrions nous dissocier de celui Est-ce le gouvernement actuel de Kigali qui va les tra-
qui a fait le mal ou qui continue à le faire quels que soient duire en justice alors que lui-même doit être poursuivi
les liens qui nous unissent avec lui. pour des crimes semblables ? Mon point de vue est qu 'un
On doit instaurer une justice impartiale pour punir criminel ne peut pas rendre justice à un autre crimi-
les gens qui ont trahi le pays en tuant et en déshuma- nel . De plus, on ne peut pas être en même temps le jus-
nisant ses habitants . Les coupables se trouvent aussi bien ticiable et le justicier. C' est pourquoi les Rwandais qui
parmi les anciens dirigeants du pays, parmi la popula- n' ont pas trempé dans les tueries devraient se mettre
tion elle-même que parmi les membres du FPR . Celui- ensemble pour lutter contre le régime de bourreaux en
ci ne veut pas que l 'on en parle parce que le premier place à Kigali et, parallèlement, rechercher et traduire
coupable est bien celui qui est à sa tête et à la tête du en justice les autres bourreaux qui ont quitté le pays après
pays, à savoir le général-major Paul Kagame . Il n'a pas avoir participé à l 'extermination des Tutsis.
agi seul, il était avec un groupe de bandits et de mal- Que chaque Tutsi cherche à faire comprendre aux
faiteurs qui doivent tous être traduits en justice . Les gens autres Tutsis que les Hutus ne sont pas tous leurs enne-
qui sont accusés de génocide contre les Tutsis doivent mis comme certains Tutsis le proclament et que, si les

448 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE CONCLUSION 449

bourreaux et les bandits qui les ont tués appartenaient Le silence de la communauté internationale
au groupe ethnique hum, ils ne peuvent condamner tout Je poserai quelques questions pour connaître les raisons
le groupe. En outre, les Tutsis ne devront pas oublier que qui poussent la communauté internationale à un silence
les bourreaux et les bandits de leur propre ethnie les ont complice . Pourquoi laisse-t-elle des régimes totalitaires
tués ou les ont fait tuer pour arriver au pouvoir. naître, grandir et s 'affermir malgré les appels au secours
Les Hutus doivent expliquer aux leurs que les tueries lancés par des populations meurtries et des organisations
ont été faites par certains membres de leur ethnie mais humanitaires ? Pourquoi ne prend-elle pas à temps de
que la responsabilité est retombée sur toute l 'ethnie. C'est mesures adéquates à l 'encontre de tels gouvernements, au
pourquoi ils doivent combattre une telle interpréta- lieu d'attendre le dernier moment où il sera inévitable d'uti-
tion parce qu' il n' y a aucune raison que le crime soit liser des bombes qui font des victimes parmi les popula-
imputé à tous les Hutus . En outre, les Hutus doivent se tions déjà meurtries ? Pourquoi attendre et dépenser des
dire entre eux que les Tutsis ne sont pas tous leurs enne- milliards de dollars pour destituer un régime alors que cela
mis comme le proclament certains Hutus. aurait pu se faire sans dépenser le moindre sou ? Un blâme
Quant à vous, gens de l 'armée, je vais vous dire la des cinq pays qui dirigent le monde suffit pour amener un
vérité ! Moi-même, j 'ai fait la carrière militaire pendant régime à améliorer ou à changer sa politique ! C ' est le
onze ans . Je sais bien que la plupart d 'entre vous rejoi- cas avec le Rwanda . Ce pays a connu des atrocités inouïes
gnent l'armée dans le souci de servir tous les Rwandais, au vu et au su du monde entier . Deux parties sont res-
tandis que d'autres la rejoignent pour d'autres motifs. ponsables de cette hécatombe, mais l 'une, c'est-à-dire le
Vous qui étiez animés de motifs nobles en la rejoignant, gouvernement du FPR en fonction à Kigali, reste intou-
vous devez être au service de tous les citoyens sans dis chable alors qu'elle continue à faire des morts dans la popu-
tinction ; ne vous laissez pas entraîner dans des massacres lation innocente. Les organisations humanitaires n'ont
de la population . Que vous acceptiez d'être utilisés pour jamais cessé de crier tout haut que les droits de l'homme
exterminer les gens qui n'appartiennent pas à votre groupe sont bafoués au Rwanda. Rien n'y fait car la communauté
ethnique est un crime impardonnable, même si vous y internationale se reproche toujours de n'avoir pas secouru
avez été forcés . Aujourd'hui, on rejoint l 'armée à l 'âge les Tutsis pendant qu'ils étaient tués comme des mouches.
de 18 ans. Cela suffit pour annuler l 'argument d'avoir A quoi la bénédiction du pouvoir en place à Kigali ser-
été forcé à tuer . Devant la loi, vous êtes responsables virait-elle si les exactions commises par ces autorités devaient
de vos actes. Même si vous avez agi sous les ordres de vos aboutir à un nouveau génocide, des Tutsis ou des Hutus ?
supérieurs, ce n'est pas une excuse . Vos supérieurs et vous, Pourquoi ladite communauté internationale n'a-t-elle jamais
tôt ou tard, devrez répondre, chacun individuellement, daigné sommer ce régime sanguinaire de répondre des atm-
de vos crimes devant les tribunaux . cités qu'il ne cesse de commettre depuis des années ?
Postface
André Guichaoua'
La volonté d'écrire

1 . André Guichaoua est professeur de sociologie à l ' université de


Paris 1 Panthéon-Sorbonne . Spécialiste de l ' Afrique des Grands Lacs, il a
publié dès 1992 une étude sur Le Problème des réfugiés rwandais et des
populations banyarwanda dans la région des Grands Lacs africains
(UNHCR, Genève) . Son dernier ouvrage, Rwanda 1994. Les politiques
du génocide à Butare, Karthala, 2005, reprend une partie de ses recherches
menées en tant que témoin-expert auprès du procureur du Tribunal pénal
international pour le Rwanda depuis 1996 .
Je connais Abdul Ruzibiza depuis l'année 2003 et nous
avons eu depuis lors de nombreuses occasions de tra-
vailler et de réfléchir ensemble . Les raisons, fortuites, à
l'origine de nos relations se sont établies à partir de pré-
occupations communes de recherche et d 'analyse sur les
événements récents advenus au Rwanda . Au cours de
cette période, j'ai eu l 'opportunité d'apprendre à mieux
connaître Abdul Ruzibiza, d 'apprécier sa démarche et
ses méthodes de travail, d'assister à la maturation de son
projet.
Chercheur, spécialisé sur la région des Grands Lacs
africains, je collabore parallèlement avec le Tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR) depuis sa création.
A ces divers titres, je réalise donc de nombreuses enquêtes
de terrain au Rwanda et dans les divers pays qui
accueillent les Rwandais expatriés . C' est ainsi que je suis
entré en contact avec le lieutenant Abdul Ruzibiza,
comme je l'ai fait avec des dizaines d ' autres témoins
ou informateurs : paysans, commerçants, fonctionnaires,
cadres politiques, militaires . . . Dans le cas d ' Abdul
Ruzibiza cependant, mes attentes étaient très fortes . En
avril 2002, suite à plusieurs contacts préalables, il avait
été auditionné par des enquêteurs du Tribunal pénal

454 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE POSTFACE 455

international pour le Rwanda . En juillet 2003, il déposa compris très vite que j 'étais enfin arrivé au terme de mes
dans le cadre de l ' instruction conduite en France par le investigations . En effet, sur chaque dossier, les versions
juge Bruguière sur le dossier de l ' attentat du 6 avril 1994 qu'il me communiqua sur la base des notes dont il dis
contre l' avion du président Juvénal Habyarimana . J' avais posait correspondaient exactement à mon propre fais
appris qu' au cours de ces entretiens le thème des assas ceau de « preuves » (heures, nombre de personnes,
sinats, durant les années 1993 et 1994, de plusieurs per moyens de déplacement, armes utilisées, etc .) . Je pou
sonnalités politiques, membres de partis de l ' opposition vais enfin mettre des noms sur les acteurs jusque-là ano
intérieure rwandaise, avait été brièvement abordé . Ces nymes de mes scénarios . Nous avons confronté
meurtres, qui pesèrent fortement sur les évolutions poli l'ensemble, recensé les quelques points encore mal éclair
tiques nationales, demeuraient depuis lors non élucidés. cis et les éléments manquants et, en quelques heures,
Bien des hypothèses avaient été avancées sur leurs auteurs, après avoir joint au téléphone plusieurs militaires et autres
chaque camp politique accusant l 'autre sur la base de pré interlocuteurs, toutes les pièces des puzzles étaient regrou
somptions plus ou moins argumentées, mais jamais déci pées, recoupées et assemblées.
sives. Je m' étais personnellement investi sur ces dossiers De tels entretiens sont rares . Nous ne nous connais
dès le départ, notamment parce que je travaillais à l 'époque sions pas. Le niveau d'exigence de la « confrontation »
régulièrement avec l 'une des victimes, Emmanuel Gapyisi, attendue était élevé et chacun testait l'autre en véri
dans le suivi de programmes sociaux du Bureau interna fiant sa maîtrise des dossiers qui avaient été soigneuse-
tional du travail (BIT) et de la Banque mondiale . Toutes ment préparés . Le plus surprenant à mes yeux fut
les procédures d 'enquêtes officielles et informelles avaient cependant la compréhension qu'il manifesta face à mes
permis d' accumuler beaucoup d'informations sur le mode demandes de vérification, qui pouvaient apparaître
opératoire des commandos sans pouvoir néanmoins accé comme d 'ultimes réserves ou du raffinement pointilliste.
der à des témoins ou acteurs directs qui les corrobore Sur ce point notamment, son comportement tranchait
raient . A l'automne 2003, j 'achevais pour le TPIR la radicalement avec celui de la plupart de mes interlocu
préparation de mon étude sur le procès dit de « Butare », teurs habituels avec lesquels j 'avais déjà abordé ces ques
préfecture d' où une autre victime éminente était origi tions. Pour les partisans de la thèse des « escadrons de la
naire, Félicien Gatabazi, et je savais que les avocats ne mort » du président Habyarimana, la seule évocation
manqueraient pas de m' interroger sur ce sujet. d'une version alternative mettait en général fin à l'en
Les premiers échanges téléphoniques avec Abdul tretien, de même, pour les anciens ou nouveaux « oppo
Ruzibiza me laissèrent penser qu 'il était raisonnable de sants », l'affaire était entendue depuis longtemps . A leurs
poursuivre. Compte tenu de l 'enjeu, je me rendis en yeux, il était évident que le FPR était l 'auteur de ces assas
Norvège à la mi-décembre 2003 pour le rencontrer et je sinats et de bien d'autres massacres et exactions et c'est

456 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE POSTFACE 457

le fait même de s ' interroger sur cet « acquis » qui leur s'était passé dans son pays ? Devant son insistance, je
paraissait étrange . Très rares étaient ceux qui s ' intéres- commençais à interpréter comme de la défiance ce ques-
saient aux modalités d ' exécution et aux « preuves », relé- tionnement, normal dans un premier temps vis-à-vis de
guées au rang de détails . Pour eux, la priorité devait être tout interlocuteur inconnu, lorsqu ' il me fit part de sa
accordée au combat politique et les interrogations des préoccupation majeure : comment mettre en forme et
chercheurs ne faisaient que détourner l ' attention sur des exploiter l'impressionnant travail d ' acteur-observateur-
débats subalternes . Chez Abdul Ruzibiza, le souci de archiviste auquel il se consacrait depuis des années ?
comprendre et de savoir, tout comme l ' efficacité déployée Là résidait pour lui l ' essentiel il voulait écrire . Militaire
pour y parvenir étaient remarquables . Nos trois jours de « démobilisé » et contraint à l ' exil, écrire était sa nou-
rencontre consistèrent en un jeu ininterrompu de ques- velle arme. Ses interrogations cherchaient en fait à situer
tions-réponses partagées . J ' avais moi-même été audi- la portée et l ' impact d' une publication et à préciser son
tionné le 15 novembre 2002 dans le cadre de l ' enquête propre projet. Il ne cernait pas encore clairement le pro-
du juge Bruguière sur l ' attentat du 6 avril 1994 . Je lui duit final et, confronté à des objectifs multiples et incom-
avais ensuite fait parvenir un dossier établi à Kigali par patibles, avait du mal à « commencer ».
des officiers rwandais pour apporter la preuve de la res- Une première occasion d ' écrire lui fut donnée par les
ponsabilité du FPR dans cet attentat . Dossier initiale- propos fort méprisants tenus à son égard par le général-
ment destiné à l ' attention de la procureure du TPIR, président Paul Kagame en mars 2004 . Abdul Ruzibiza
Mme Carla del Ponte, qui refusa de le réceptionner. 1 avait été déstabilisé par la notoriété inattendue que lui
En outre, depuis plusieurs mois, je travaillais étroite- conféra alors le journal Le Monde en le citant comme
ment avec de nombreux officiers des ex-FAR pour la pré- principal témoin du juge Bruguière dans le dossier de
paration des dossiers du TPIR et je commençais à l ' attentat du 6 avril 1994 1 . Placé involontairement au
m' imprégner de la chose militaire : chacun profita au coeur de vives polémiques en raison d ' une fuite judiciaire,
mieux de ce que l' autre savait sur tel ou tel événement il réagit avec la diffusion d ' une réplique spontanée en
ou dossier et apprécia cet étrange regard croisé entre un kinyarwanda (Ubuhamya bwa Abdul Ruzibiza,
officier et un universitaire. « Témoignage d ' Abdul Ruzibiza ») « sur la responsabi-
Je fus aussi surpris par les questions répétées qu 'il me lité du FPR/APR dans le génocide des Tutsis et les mas-
posa sous de multiples variantes sur mes motivations sacres des Hutus au cours de la guerre » et bénéficia un
et intérêts . Pourquoi un universitaire étranger consacrait- temps de sollicitations pressantes des médias . Cette expé-
il autant d' énergie à vouloir savoir et comprendre ce qui
1 . Stephen Smith, « L'enquête sur l'attentat qui fit basculer le Rwanda
1. Cf Stephen Smith, Le Monde, 10 mars et 3 avril 2004 . dans le génocide », Le Monde, 9 mars 2004 .

458 RWANDA, L'HISTOIRE SECRETE POSTFACE 459

rience contrainte fut l ' occasion de divers apprentissages. À cette époque, nous avions à nouveau travaillé
J ' en retiendrai trois . Le premier tenait à l ' obligation de ensemble sur le dossier des attentats commis au Rwanda
répondre à de vives contestations et d ' affronter des contra- envers les populations civiles au cours des années 1991-
dicteurs officiels qui ne le ménagèrent guère . Sa défense 93 i . Je disposais de mon côté de nombreuses sources et
fut solide et il ne fut guère pris en défaut, notamment documents précis et détaillés établissant la responsabi-
lors d' un débat contradictoire sur Voice ofAmerica avec lité du FPR, mais l ' évidence était bien ancrée : les atten-
le ministre rwandais des Affaires étrangères qui dut remi- tats étaient communément attribués à des commandos
ser les accusations personnelles aussi graves qu' infondées présidentiels et personne n 'avait jusqu' alors étayé les soup-
qu' il porta au sujet de l ' emprisonnement d ' Abdul çons ou accusations épisodiques envers le FPR . J ' avais à
Ruzibiza . De même, si des commentateurs reprirent à nouveau sollicité Abdul Ruzibiza pour qu' il mène ses
leur compte les diatribes de la propagande officielle rwan- propres investigations . S ' il ne connaissait pas le détail
daise, ils se gardèrent bien de solliciter les réactions per- des opérations, il connaissait parfaitement ceux qui les
sonnelles de l ' intéressé . Abdul Ruzibiza constatait alors coordonnaient et il lui fut aisé de vérifier l ' ensemble.
l ' efficacité de la maîtrise de ses propos et de sa rigueur Une nouvelle fois, sur la base de sources totalement
documentaire. Au-delà de la dénégation globale, ses déconnectées, nous arrivions aux mêmes résultats, y com-
détracteurs ne prirent pas le risque d 'aborder les éléments pris sur des points de détails . Lors de la publication de
factuels de sa démonstration, de contester les « preuves » l' entretien dans Le Monde, nous avons constaté une césure
qu' il avait patiemment consignées . Sur le plan de la nette entre la faible répercussion de la publicité accor-
méthodologie, le souci de la vérification, le recours à des dée à ces faits auprès du lectorat européen comparée à
sources multiples, la passion des détails sortaient confor- l' impact très grand déclenché au Rwanda . La découverte
tés de l' épreuve. Le second enseignement découla de la ou la confirmation que la plupart des attentats aveugles
diffusion du manuscrit . En mettant en circulation lui- opérés contre les civils étaient le fait du FPR causèrent
même son texte sur Internet, il en contrôlait le contenu un choc chez de nombreux rescapés.
original, mais la suite inévitablement lui échappa . Il se J ' ai estimé personnellement important de retracer ici
découvrit alors des amis ignorés qui diffusèrent des ver- les quelques antécédents de la réalisation de cet ouvrage
sions commentées, des traductions plus ou moins fiables. auxquels j ' ai été associé pour expliquer ce qui à mes yeux
Pour le français par exemple, il lui fallut a posteriori éta- fonde l'intérêt et l'originalité de l ' apport d 'Abdul
blir et valider une version conforme à ses propos . Ces
aléas lui permirent de mesurer pleinement l ' enjeu que 1 . « André Guichaoua : " I;assassinat du président Habyarimana a été
représentait la maîtrise des conditions de diffusion d ' un programmé dès 1993 " », propos recueillis par Stephen Smith, Le Monde,
document. 7 mai 2004 .

460 RWANDA, I;HISTOIRE SECRETE

Ruzibiza. Si sa publication est particulièrement bien-


venue, il ne s'agit pas néanmoins d'un ouvrage de cir-
constance inspiré par la conjoncture . Il est l'aboutissement
d'un projet d'écriture ancien que l 'exil et l'isolement dans
Annexes
sa résidence nordique ont conforté . Il s'agit surtout d'un
récit et d'un travail personnels, les deux termes étant
inséparables . La force du témoignage vient de là.
Assurément, ce besoin d 'écrire pour « témoigner » sur la
guerre qu' il a menée traduit une personnalité bien aty-
pique de la part d'un membre des commandos de la gué-
rilla du FPR plus familier du « bush » que des tribunes
littéraires . En effet, cet ouvrage est aussi le fruit d 'un
apprentissage intensif en matière de rédaction, de
méthode de travail et d'organisation des informations.
J'achèverai mon propos en insistant sur le fait qu 'Abdul
Ruzibiza pense « à son compte » et prend les risques qu 'il
estime devoir courir. Cette posture suppose un cou-
rage certain vis-à-vis des nouveaux maîtres du Rwanda
peu enclins au débat contradictoire, a fortiori lorsqu' il
prend sa source dans ses propres rangs .
Chronologie
(1892-1994)
1892. Premier Européen au Rwanda, un explorateur
Allemand.
1957. Début des revendications politiques des leaders
hutus, totalement évincés de l ' appareil de l 'État colonial
et dominés dans toutes les autres fonctions par une frac-
tion sociale d'origine tutsie.
1961 . Proclamation de la République rwandaise.
1962. Proclamation de l ' indépendance du Rwanda
(1er juillet) . Grégoire Kayibanda est le président de la
République.
Les massacres et les exactions dont sont victimes les
populations tutsies entraînent de très nombreux départs
(plus de 100 000) vers l ' Ouganda et le Burundi.
À plusieurs reprises, des guérilleros tutsis attaquent le
Rwanda à partir du Burundi . Les incursions sont repous-
sées, mais se soldent par des représailles sanglantes sur la
population tutsie . En 1963, 10 000 Tutsis sont massa-
crés à la suite d' une attaque (ce sera la dernière jusqu 'à
octobre 1990).
1973. Le 5 juillet, Juvénal Habyarimana, chef d'état-
major du président de la République, s 'empare du pou-
voir à la suite d'un coup d'État militaire . Une situation
de troubles ethniques précède le coup d 'État : les Tutsis

466 RWANDA, L'HISTOIRE SECRETE CHRONOLOGIE 467

sont chassés des écoles, des administrations, de leurs lieux 4 août . Le gouvernement rwandais et le FPR signent
de travail, de nombreuses exactions sont commises à leur l'accord de paix d 'Arusha.
encontre . Ces événements provoquent une nouvelle vague 5 octobre . Le Conseil de sécurité adopte à l'unani-
de départs (à la fin des années 80, on a estimé le nombre mité la résolution 872 (1993) portant création de la
des réfugiés Rwandais tutsis entre 600 000 et 700 000). Mission des Nations unies pour l 'assistance au Rwanda
1990 (MINUAR) pour une période de six mois . Cette réso-
.o1ectbr Le FPR attaque le Rwanda. lution donne suite à la proposition faite par le secrétaire
1991 général le 24 septembre 1993 (S/26488) de créer la
10 juin . Adoption de la nouvelle Constitution ins- MINUAR en la dotant d' une force de maintien de la
taurant le multipartisme. paix de 2 548 hommes (dont deux bataillons d 'infante-
1992 rie). Toutefois, le Conseil de sécurité n 'autorise le déploie-
10 mars . Les populations tutsies du Bugesera subis- ment que d 'un bataillon d'infanterie.
sent massacres et exactions à la suite d'un tract annon- 21 octobre . Le président hutu du Burundi, Melchior
çant l'assassinat d' une vingtaine de personnalités hutues. Ndadaye, élu le 1 er juin 1993, est assassiné lors d' un coup
16 avril. Un deuxième gouvernement de transition est d'État militaire . Des dizaines de milliers de personnes
mis en place . MRND (parti du Président) minoritaire. sont tuées et quelque 600 000 réfugiés fuient dans les
11 août. La dernière négociation entre le gouverne- pays voisins (dont 375 000 au Rwanda).
ment et le FPR, sous l 'égide de l 'OUA, se tient à Arusha. 22 octobre . Le commandant de la Force de la
Un cessez-le-feu effectif est appliqué le 1 er août. MINUAR, le général de brigade canadien Roméo A.
1993 Dallaire, arrive à Kigali, capitale du Rwanda.
20-22 janvier. Des massacres de Tutsis et d 'opposants 10 décembre . Le représentant spécial de l' ONU,
ont lieu dans les préfectures de Gisenyi, Ruhengeri, Jacques Booh Booh, convoque une réunion entre le gou-
Kibuye et Byumba. vernement rwandais et le FPR à Kinihira, à 80 km de
8 février. Le FPR rompt le cessez-le-feu et attaque Kigali, lors de laquelle les deux parties conviennent de
massivement dans les préfectures de Byumba et former un gouvernement de transition à base élargie
Ruhengeri, provoquant la fuite d' un million de dépla- avant le 31 décembre 1993.
cés qui s'entassent autour de Kigali où ils survivent clans 15 décembre . Le déploiement de la MINUAR est
des conditions misérables. achevé à Kigali.
22 juin . La Mission d 'observation Ouganda-Rwanda Les troupes françaises se retirent du Rwanda où elles
de l' ONU, chargée de surveiller la frontière, est mise en étaient stationnées depuis le 5 octobre 1990 après que
place. le FPR eut attaqué le pays, le 1 er octobre 1990.

468 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE CHRONOLOGIE 469

27 décembre . La phase 1 du déploiement de la et secrétaire du parti social-démocrate (PSD), Félicien


MINUAR se déroule comme prévu, avec des effectifs Gatabazi, et du président de la Coalition pour la défense
totaux de 1 260 militaires originaires de 19 pays . A l'issue de la République (CDR), Martin Bucyana . Le PSD était
de la phase 1, l' opération devait compter 1 428 hommes. le deuxième parti d'opposition en importance.
28 décembre . La MINUAR accompagne 600 soldats 5 avril. Le Conseil de sécurité adopte à l ' unanimité la
du FPR jusqu'à Kigali. Un bataillon du FPR s'installe résolution 909 (1994), dans laquelle il décide de pro
dans le bâtiment du Conseil national de développement longer le mandat de la MINUAR jusqu 'au 29 juillet,
(CND) à Kigali conformément à l 'accord de paix étant entendu qu'il procédera dans les six semaines à
d'Arusha. Le FPR doit en principe prendre part à la for venir à un réexamen de la situation et que des progrès
mation du gouvernement de transition à base élargie. devront être réalisés dans la mise en place du gouverne-
31 décembre . Le gouvernement rwandais et le FPR ment de transition à base élargie.
ne parviennent pas à constituer le gouvernement de tran 6 avril. A 20 h 30 environ, le président Habyarimana
sition à base élargie. et le président Cyprien Ntaryamira du Burundi, qui reve-
naient d ' un sommet régional tenu à Dar es-Salaam
1994 (Tanzanie), sont tués dans un attentat contre leur avion
1 er janvier. Le Rwanda devient membre non perma aux abords de l'aéroport de Kigali.
nent du Conseil de sécurité. 7 avril. Agathe Uwilingiyimana, Premier ministre, est
6 janvier. Le Conseil de sécurité adopte la résolu assassinée. Dix soldats de la paix belges de la MINUAR,
tion 893 (1994), dans laquelle il approuve le déploie- chargés de la protéger, sont torturés et assassinés par des
ment rapide du deuxième bataillon dans la zone militaires rwandais.
démilitarisée et demande à la MINUAR de continuer à 8 avril . Le « gouvernement intérimaire » est mis en
faciliter le processus de paix au Rwanda . Le Conseil de place . Le FPR rejette son autorité, déclarant qu 'il s'agit
sécurité souligne que la Mission ne sera assurée d'un de l' ancien gouvernement sous une autre forme . Les uni
appui suivi que si les parties appliquent intégralement tés du FPR basées dans la zone démilitarisée entrent à
et rapidement l'accord de paix d'Arusha. Kigali. La MINUAR s 'efforce d'obtenir un cessez-le-feu
11 janvier. Dans un télégramme au siège de l ' ONU, et de protéger la population civile et le personnel des
Roméo Dallaire avertit qu'il va effectuer des raids à Kigali Nations unies.
contre les caches d 'armes préparées en vue de l'extermi 8 et 9 avril. Six cents soldats français arrivent à Kigali
nation des Tutsis. pour évacuer les expatriés et les ressortissants d 'autres pays.
21 et 22 février. La tension monte partout dans le pays 11 avril. Après l 'évacuation des expatriés, les forces
à la suite de l' assassinat du ministre des Travaux publics belges de la MINUAR quittent l 'École technique offi-

470 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE CHRONOLOGIE 471

cielle (ETO) à Kicukiro, où leur présence protégeait 21 mai . Le FPR investit l ' aéroport de Kigali et refuse
2 000 civils qui s'y étaient réfugiés et qui furent mas- d' en céder le contrôle à la MINUAR II comme le
sacrés dès leur départ. demande la résolution 918.
12 avril. Alors que les combats entre les forces gou- 25 mai. Lors d ' une conférence de presse au siège, le
vernementales et le FPR s'intensifient, le gouvernement secrétaire général des Nations unis qualifie les massacres
intérimaire est transféré de Kigali à Gitarama, à 40 km au Rwanda de génocide (SG/SM/5297/Rev.l) . La
au sud-ouest de Kigali. Commission des droits de l' homme nomme René Degni-
21 avril . Le Conseil de sécurité adopte à l'unanimité Ségui rapporteur spécial chargé d 'examiner la situation
la résolution 912 (1994) dans laquelle il décide de modi- des droits de l' homme au Rwanda et appelle les parties
fier le mandat de la MINUAR et de réduire ses effectifs belligérantes à mettre immédiatement fin à toutes vio-
à 270 hommes. lations des droits de l 'homme.
11 et 12 mai . Le haut-commissaire des Nations unies 9 au 20 juin . Le rapporteur spécial pour le Rwanda
aux droits de l 'homme, José Ayala Lasso, se rend au désigné par la Commission des droits de l 'homme, René
Rwanda pour y enquêter sur les graves violations du droit Degni-Ségui, effectue sa première mission sur le terrain
international humanitaire commises durant le conflit et au Rwanda et dans les pays voisins en vue d 'enquêter sur
rencontrer des représentants du « gouvernement inté- les violations des droits de l 'homme, notamment les
rimaire » et du FPR. crimes contre l'humanité et les actes de génocide.
17 mai . Le Conseil de sécurité adopte la résolution 18 juin. La MINUAR se compose de 503 hommes
918 (1994) qui autorise un accroissement des effectifs tous grades confondus (354 soldats, 25 officiers d 'état-
de la MINUAR à concurrence de 5 500 hommes et l ' éta- major et 124 observateurs militaires) placés sous le com-
blissement de la MINUAR II chargée, au titre du mandement du général Dallaire.
Chapitre VI de la Charte des Nations unies, de conduire 22 juin . Le Conseil de sécurité adopte la résolu-
une « mission de maintien de la paix pour des motifs tion 929 (1994) qui autorise les États membres à lancer
humanitaires (protection des personnes déplacées, des une opération multinationale au Rwanda à des fins
réfugiés et des civils en danger et appui aux activités d'as- humanitaires en attendant le déploiement de la
sistance au Rwanda) ». MINUAR renforcée . Le même jour, les forces françaises
19 mai . Le rapport dans lequel M . Ayala Lasso pro- lancent l' opération Turquoise.
pose à la Commission des droits de l 'homme que l 'on 30 juin . Le rapport présenté par le rapporteur spécial
nomme un rapporteur spécial chargé d 'examiner la situa- désigné par la Commission des droits de l'homme pré-
tion des droits de l'homme au Rwanda, secondé par des conise la création d ' un tribunal international chargé
observateurs des droits de l'homme, est rendu public . de juger les responsables des massacres au Rwanda ou
472 CHRONOLOGIE 473

un élargissement du mandat du Tribunal pénal interna- à cinq ans . Pasteur Bizimungu assume les fonctions de
tional pour l 'ex-Yougoslavie. président, le général Paul Kagame celles de vice-
Fin juin . Les forces gouvernementales rwandaises recu- président et Faustin Twagiramungu celles de Premier
lent devant l'intensification de l 'offensive menée par le ministre.
FPR pour s'emparer de Kigali et investir les zones contrô- 21 août. La France entame le retrait des troupes par-
lées par le gouvernement entre Kigali et la frontière avec ticipant à l'opération Turquoise.
le Zaïre. 7 septembre . Alison Des Forges, représentante de
1 et juillet. Le représentant permanent de la France auprès Human Rights Watch, présente à Bruxelles un rapport
de l' ONU adresse une lettre au secrétaire général pour sur des violations graves des droits de l'homme commises
l' informer de l'intention de son gouvernement d 'orga- par le FPR, durant les mois de juin et juillet.
niser une zone humanitaire sûre dans le triangle Cyangugu- 23 septembre . Le Haut-Commissariat des Nations
Kibuye- Gikongoro, dans le sud-ouest du Rwanda. unies pour les réfugiés (HCR) dénonce publiquement
3 juillet. Des affrontements se produisent entre des les massacres commis par l'armée du FPR.
troupes du FPR et les forces françaises de l 'opération 8 novembre . Le Conseil de sécurité des Nations unies
Turquoise. institue le Tribunal pénal international pour le Rwanda
9 juillet. Les troupes de l' opération Turquoise com- (résolution 955) .
mencent à se déployer dans la zone humanitaire sûre, au
sud-ouest du Rwanda. Début juillet, les effectifs de l'opé-
ration Turquoise se composent de 2 330 soldats français
et 32 soldats sénégalais.
14 juillet. Le FPR s'empare de Ruhengeri, principale
ville du nord du Rwanda, provoquant un exode massif
de la population hutue.
17 juillet. Le FPR se rend maître de Gisenyi, dernier
bastion des forces gouvernementales.
18 juillet . Le FPR, qui contrôle la totalité du terri-
toire rwandais à l'exception de la zone humanitaire éta-
blie dans le cadre de l 'opération Turquoise, déclare un
cessez-le-feu unilatéral.
19 juillet. Le gouvernement d 'unité nationale prend
ses fonctions à Kigali pour une période de transition fixée
Index

Les chiffres en italiques renvoient aux notes.

(Nom inconnu) Azarias, 402 Bahufite Juvénal, 270


(Nom inconnu) Diogène, 189 Balinda Peter, 189, 270
(Nom inconnu) Eddy, 422 Balinda Steven, 276, 286, 340,
(Nom inconnu) Janvier, 283, 343
340 Banga Edward, 93, 270
(Nom inconnu) Jérôme, 189 Banzi Wellars, 155
(Nom inconnu) Wilson, 317 Barayagwiza Jean Bosco, 220,
Akandwanaho Caleb alias Salim 220
Saleh, 104, 117 Bayingana Firmin, 405, 406
Akingeneye Emmanuel, 238 Bayingana Peter, 96, 108, 109,
Akonaki Gilbert, 290 115, 116, 117, 122, 126, 428,
Andreu Fernando, 432 434
Assouman, 279 Bemeriki Valérie, 235, 235, 257
Bacishubwenge Richard, 184, Bicamumpaka Jérôme, 295
402 Bigabiro Sam, 97, 301, 302,
Bagabe Willy, 93, 184, 188, 314, 315
264, 289, 290, 303, 304, 308, Bihira, 379
309 Biniga, 265
Bagabo John, 137, 138, 148, Birasa Jean, 272
151, 157, 163, 346 Birasa John, 245, 286, 422
Bagaragaza Thaddée, 155, 238 Biseruka Stanislas, 132, 140
Bagire William, 110, 173, 192, Bitamazire, 108, 109, 111, 117,
203, 206, 207, 297, 299, 319, 118, 122
326, 351, 357, 397 Bizimungu Augustin, 220
Bagosora Théoneste, 200, 218, Bizimungu Casimir, 153
218, 232, 253, 254 Bizimungu Frank, 364
Bahigiki Emmanuel, 263, 425 Bizimungu Pasteur, 35, 40,

476 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE INDEX 477

327, 382, 383, 473 Donat, 186 Gashumba Thaddée, 140, 173, 426, 427, 454, 455, 459, 465,
Bosmans Griet, 403 Dusaidi Claude, 289 189, 207 469
Boutros-Ghali Boutros, 289 Furuma Alphonse, 109, 123, Gatabazi Félicien, 224, 225, Haguma Eugène, 321
Bruguière Jean-Louis, 13, 14, 124, 436 423, 425, 454, 469 Hakizimana Éric, 243, 251
454, 456 Gacinya Rugumya, 191, 192, Gatashya Jean-Pierre, 225, 232 Harerimana, 153
Bucyana Martin, 157, 225, 230, 259, 260, 346, 419 Gatera, 143, 143, 186 Hategekimana Théoneste, 428
423, 425, 469 Gacumbitsi Sylvestre, 266 Gatete Jean-Baptiste, 149, 260 Havugimana Alexis, 283
Bucyibaruta Laurent, 282 Gaga, 137 Gatete Polycarpe, 224, 263 Héraud Jacky, 238
Buhozozo, 186 Gahigana John, 208, 209 Gatsinzi Marcel, 157 Higiro Mustapha, 137, 158,
Bunyenyezi Chris, 96, 107, Gahigi Gaspard, 220, 235, 235 Gatumbura Fred, 426 437
108, 109, 115, 116, 117, 122, Gahima Gerald, 289 Gema, 93 Hitimana Joseph, 283
126, 434 Gahindiro Yuhi, 61 Gumisiriza Wilson, 188, 264, Hitimana Noël, 257
Burabyo, 317 Gahizi Main, 295 288, 290, 292, 300, 302, 303, Hodari Augustin, 343
Burakari Évariste, 418 Gahizi Gregori, 143 306, 307, 308, 317, 372, 384 Hodari Jimmy, 48
Bushanda, 234 Gahizi Wellars, 279, 414 Habimana Évariste Ibingira Fred, 97, 118, 127,
Businge A ., 132 Gahungu Jean, 422 alias Habimana Kantano, 220, 187, 189, 256, 292, 303, 304,
Butare Godfrey, 245 Gahutu, 340 234, 299 305, 306, 307, 308, 309, 316,
Butare Innocent, 156 Gakwavu, 190 Habimana Joachim, 432 357, 372, 373, 374, 376, 377,
Butera John, 303, 308, 309, Gakwerere, 399, 418 Habimana Kantano, 378, 381, 382, 383, 395, 418,
421 Gapaya, 337 cf. Habimana Évariste 440
Bwanakeye Laurent, 400 Gapfizi Dan, 127, 400, 401, Habinshuti Floribert, 399, 418 Idahemuka Tharcisse, 278, 283,
Byabagamba Tom, 274, 294, 421 Habyalimana Jean-Baptiste, 268 340, 343
295 Gapyisi Emmanuel, 202, 202, Habyarabatuma Cyriaque, 268 Ingabire Alphonse alias
Byakatonda, 271 425, 454 Habyarimana Juvénal, 9, 13, Kayumba Alphonse, 232, 237,
Byaruhanga Sam, 97, 107, 108, Gasabwoya Innocent, 306, 308 14, 16, 17, 17, 18, 23, 26, 27, 244
110, 119, 129, 130, 158, 159, Gasana Anastase, 204 29, 50, 54, 81, 89, 103, 104, Inyumba Aloysia, 321
160, 436, 437 Gasana Emmanuel alias Rurayi, 105, 111, 114, 116, 120, 121, Isoke Richard, 340, 340, 343
Cassius John, 340, 343, 403, 315, 325, 369, 372, 373, 374, 125, 127, 128, 142, 152, 153, Itangayenda Frédéric, 414
413, 418 379, 380, 383 154, 156, 162, 165, 167, 170, Kabagambe Geoffrey, 189
Ciza Bernard, 238 Gasana Innocent, 276, 343 172, 174, 174, 175, 176, 176, Kabalisa Évariste, 402, 411,
Cyiza, 97, 110, 115, 132, 153, Gasana James K ., 24 177, 177, 178, 180, 182, 184, 430
168, 173, 188, 189 Gashagaza Claude, 144 196, 197, 198, 199, 200, 201, Kabandana Innocent, 188, 288,
Cyiza Augustin, 419 Gashayija Augustin, 275, 401, 204, 207, 208, 209, 213, 217, 302, 306, 308, 317, 372, 384
Dallaire Roméo, 36, 37, 38, 406, 407 219, 223, 225, 227, 230, 231, Kabarebe James, 99, 203, 203,
206, 221, 235, 291, 466, 468, Gashayija Bagirigomwa, 185, 232, 235, 237, 238, 239, 240, 232, 248, 250, 274, 277, 283,
471 210, 222, 410 241, 243, 245, 248, 250, 272, 284, 290, 292, 297, 298, 320,
Dodo, cf. Twahirwa Ludoviko Gashegu Steven, 279 299, 328, 334, 393, 422, 425, 325, 336, 338, 340, 350, 364,

478 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE INDEX 479

379, 402, 436 Kalimba Peter, 306, 317, 372, Karangwa Edward, 97, 153 227, 236, 248, 249, 251, 255,
Kabera, 418 375, 379, 384, 433 Karangwa John, 230, 259, 260, 258, 323, 324, 324, 326, 351,
Kabera Assiel, 419 Kalisa Dominique, 137, 163 339, 346, 419 356, 364, 364, 425, 435
Kaberuka Abdu, 203 Kamanzi Mushyo Frank, 372, Kareba Alfred, 184 Kayumba Alphonse, cf Ingabire
Kabuga Félicien, 156, 276 373, 379 Karegeya, 246, 291, 425 Alphonse
Kabuye Kanyange Rose, 320 Kamaramaza Patrick, 303, 307, Karegeya Patrick, 250 Kayumba Nyamwasa, 99, 203,
Kagame Paul, 10, 13, 14, 15, 309 Karekezi, 370 206, 207, 229, 232, 248, 276,
16, 17, 18, 19, 20, 21, 23, 25, Kambanda Jean, 254, 268, 269, Karemera, 259, 402 286, 320, 336, 338, 343, 345,
26, 31, 33, 34, 37, 37, 38, 39, 293, 295, 330 Karemera Édouard, 156, 253, 346, 351, 379, 380, 383, 394,
40, 42, 72, 81, 96, 98, 99, 106, Kamiri, 132 293, 295 395, 402, 409, 410, 412, 430,
108, 115, 116, 117, 122, 128, Kamiri Karege, 234 Karemera Joseph, 206, 207 431, 435, 436
129, 130, 131, 133, 138, 139, Kamugisha Hubert, 186, 203, Karenzi Jean, 402, 402, 411, 430 Kazintwari Khaddafi, 97, 119,
140, 149, 150, 153, 156, 159, 208, 224, 224, 226, 237, 246, Karenzi Karake, 99, 202, 224, 136, 138, 269, 271, 364, 398,
160, 165, 167, 168, 169, 185, 249, 271, 418, 423 227, 338, 342, 343, 372, 373, 400
196, 197, 198, 201, 202, 203, Kamuhanda alias Commando, 379, 395, 397, 407 Kazungu Wilson, 287, 288,
206, 207, 212, 213, 218, 224, 271 Karera Dennis, 186, 274, 276, 302, 302, 304, 398, 400
227, 229, 232, 243, 248, 251, Kamuhanda Jean de Dieu, 30, 286 Kazura Jean Bosco, 426
252, 255, 256, 271, 272, 272, 261, 261, 295 Karyango Steven, 271 Kigeli V Ndahindurwa Jean
273, 274, 275, 277, 278, 279, Kamukama, 290 Kasavubu, 407 Baptiste, 100
280, 281, 286, 292, 294, 295, Kanamugire Emmanuel, 118 Katabarwa Paul, 287, 288, 316 Kigufi Thomas, 156
295, 307, 309, 311, 318, 319, Kanyabashi, 299 Kato, 189 Kimwanga Jabon, 295
319, 320, 322, 323, 327, 336, Kanyankole, 374 Katumbura Fred, 295 Kirenga Edgard, 342
338, 340, 343, 349, 350, 351, Kanyarengwe Alexis, 105, 128, Kavuma Steven, 423 Kirikiri, 279
352, 354, 357, 363, 364, 364, 247, 350, 426 Kayibanda Grégoire, 81, 465 Kirindi George, 188
372, 373, 375, 381, 382, 383, Kanyemera Sam alias Kaka, 97, Kayihura Clément, 407, 408 Kiyago, cf. Ntukayajemo
388, 397, 419, 420 ,421, 423, 108, 109, 110, 114, 131, 140, Kayiranga Eric, 132 Godfrey
424, 425, 426, 427, 428, 434, 141, 149, 153, 163, 165, 173, Kayishema Clément, 293 Koloni Placide, 418
435, 436, 437, 438, 439, 440, 190, 207, 255, 272, 351, 355, Kayitankore Célestin, 346 Kubwimana Jean
441, 446, 447, 457, 473, 491 365 Kayitare Camarade, 109, 123, Népomuscène, 370
Kagarura, 319 Kanyesigye Steven, 191 436 Kwikiriza Wicliffe, 153, 157,
Kagimbangabo André, 156 Karabayinga Paul, 237, 249 Kayitare Didas alias Intare 212
Kagiraneza Deus, 262, 263, Karake, 185 batinya, 97, 110, 112, 118, Kwizera, 187, 287, 415
264, 315, 324 Karakire, 150 130, 132, 163, 165, 167, 173, Lasso José Ayala, 33, 294, 470
Kaje Alphonse, 411 Karamba Charles, 232, 246, 191, 435, 436, 437 Linguyeneza Vénuste, 309
Kajeguhakwa Valens, 247, 247 249, 262, 263, 264, 265, 426 Kayizari Caesar, 207, 351, 373, Lizinde Théoneste, 132, 140,
Kajuga Robert, 220, 220, 226 Karamira Froduald, 221 432 201, 201, 207, 232, 248, 417,
Kaka, cf. Kanyemera Sam Karangwa Charles, 432 Kayonga Charles, 99, 149, 212, 426

480 RWANDA, EHISTOIRE SECRÈTE INDEX 481

Lumumba Hassan, 189, 323 Muganga Aloys, 279 Murangira, 160, 419 Mwesigye, 152, 190
Macumu Augustin, 346 Muganga Mubarakh, 146, 157, Murari Chris, 412 Mwungeri Hassan, 152, 162,
Madrazo Osuna Manuel, 429 161, 256, 264, 303, 307, 424 Murego Donat, 156 187
Mahele, 111, 114 Mugemanyi Froduald, 391 Murindahabi Anthony, 321 Naho Yves, 418
Mahoro Amani, 144, 224, 224 Mugenzi Justin, 221, 295 Murokore Éric, 146, 157, 185, Ndadaye Melchior, 467
Majyambere Justus, 402, 411, Mugesera Léon, 176, 176 186, 209, 256, 289, 290, 315, Ndahiro (lieutenant), 292
430 Mugiraneza Prosper, 295 316, 408 Ndahiro (major), 422
Makaka, 408 Mugisha alias Interahamwe, Murwanashyaka Th ., 189, 237, Ndaruhutse Dan, 425
Manzi Manassé, 259, 397, 407, 226, 232 272 Ndasingwa Landoald, 221, 221,
408 Mugisha Johnson alias Pépé Musana, 157 252
Maridadi, 322, 340 Kalé, 280, 295 Musangamfura Sixbert, 337, Ndayisaba Jean Bosco, 419, 425
Maringumu, 370 Mugisha Muntu, 96, 250 337 Ndimubanzi Déo, 155
Martres Georges, 156 Mugisha Rachid alias Kyojo, Museveni Yoweri Kaguta, 20, Ndindabahizi Emmanuel, 293
Masumbuko Alex, 277, 290, 93, 421 95, 96, 98, 99, 104, 109, 115, Ndindiliyimana Augustin, 220
291, 292, 297 Mugisha Steven, 275 116, 117, 127, 197, 434, 435 Ndugute Steven alias
Matungo Charles, 118, 280, 281 Mugunga Muhirima, 413 Mushyenderi Augustin, 283 Kalisholisho, 96, 108, 109, 111,
Mayivumbi, 185 Muhayimana Célestin, 283 Musitu Charles, 97, 129, 140, 130, 140, 141, 207, 256, 269,
Mazimpaka Didier, 248 Muhire Charles, 98, 130, 173, 160, 207, 269, 282, 287, 351, 276, 364, 365
Mbanzabugabo alias Mandevu, 206, 351, 355, 395, 412 356, 364, 436, 437 Ngango Félicien, 156
303 Muhirwa Jean-Baptiste, 259 Musonera Abassi, 340 Ngenzi Eustache alias
Mbonyumutwa Shingiro, 156 Mujinya, 290, 291 Musoni Protais, 205 Sinawubaya, 275
Mico, 97, 107, 113, 130 Mukamurenzi Emerita, 224 Mutagomwa, 161 Ngeze Hassan, 154, 226
Migabo Abassi, 430 Mukono John, 40Z 408, 409 Mutangana Francis, 343 Ngirabatware Augustin, 295
Minaberry Jean-Pierre, 238 Mukunzi Jérôme, 343 Mutiganda Francis, 340 Ngirumpatse Mathieu, 220,
Minani D ., 340 Muligo, 308 Mutsindashyaka Théoneste, 220, 253
Misingo Karara, 411 Mulinda Fidèle, 283 263, 315, 324 Ngiruwonsanga Jean-Baptiste,
Mitima, 322 Mulindwa Faustin, 283 Mutsinzi J ., 184 279
Mitterrand François, 182 Mulisa, 421 Muvandimwe Bélinge, 237 Ngoga Charles, 98, 112, 119,
Mobutu Sese Seko, 123, 127, Munana, 370 Muvara alias TZ, 132 130, 173, 185, 203, 203, 206,
237 Munyambo, 188, 189 Muvunanyambo, 132, 140, 150 208, 318, 319, 351, 356, 364,
Mporanyi, 156 Munyandamutsa Vincent, 400 Muvunja A., 272 401, 420
Mucyo Patrick, 411 Munyaneza Emmanuel, 340 Muvunyi, 143, 292, 307 Ngoga Kayumba Alex, 143,
Mudashimwa Gaspard, 283 Munyankindi Jean-Marie, 246, Muvunyi Paul, 246, 263 143
Mudenge Diogène, 319 263 Muyango Jimmy alias Ngomanziza Charles, 202, 224
Mugabo, 272 Munyentwari Eraste, 419 Mwesigye, 302, 303, 397, 426 Ngulinzira Boniface, 162, 175,
Mugambage Frank, 206, 207, Munyuza Dan, 276, 278, 279, Muyombano Charles, 272 218, 258
229, 286, 436 283, 346 Muzungu Joseph, 412 Ngumbayingwe, 163, 190, 287

482 RWANDA, LHISTOIRE SECRÈTE INDEX 483

Niyitegeka Eliézer, 293, 295 Ntukayajemo Godfrey alias Rubimbura Moses, 188, 189, Ruzigana Emmanuel, 184, 303,
Nkubito Eugène, 400, 414 Kiyago, 224, 225 209, 210, 222, 432 402
Nkunda Aimable, 419 Nyagatare Francis, 191 Rucogoza Faustin, 252 Ruzindana Alex, 93, 421
Nkundabagenzi Emmanuel, Nyakarundi Vincent, 319 Rudakubana Charles, 132 Ruzindana Augustin, 156
287 Nyamurangwa Fred, 97, 141, Rudasingwa Théogène, 289, Ruzindana Joseph, 306
Nkundabanyanga Athanase, 149, 152, 157, 162, 185, 261, 300 Rwabilinda Jean-Marie Vianney,
283 264, 267, 351, 364 Rugamba, 264 306, 308
Nkundiye Léonard, 391 Nyamvumba Andrew, 237, 243 Rugambagye Lambert, 428 Rwabukumba Séraphin, 156
Nkurunziza alias Karampenge, Nyamvumba Patrick, 278, 279 Rugambwa Albert, 406 Rwagafirita Pierre Célestin,
271 Nyirabiyoro, 228 Ruganduka, 203 156, 266, 266
Nkusi, 279, 407 Nyiramasuhuko Pauline, 221 Rugema Nelson, 276, 410 Rwagasana, 426
Nkusi Patrick, 291 Nyirumuringa, 340, 427 Rugeyo Rutinywa alias Maître, Rwahama Mutabazi Jackson,
Nsabimana Déogratias alias Nyungura Émile, 156 143, 143 144, 275, 276, 286, 287, 320,
Castal, 146, 148, 211, 220, Nzabamwita Joseph, 245, 338, Rukara, 161 338, 342, 343, 379
235, 238 340, 341, 342, 343 Rukara Steven, 403 Rwakampala George, 93, 237
Nsenga Moses, 245 Nzabonimana Callixte, 156, Rukeba, 317 Rwakasisi, 259
Nsengiyaremye Dismas, 154, 221, 295 Rukundo Eugène, 403 Rwakasisi Chris, 98
172, 204 Nzamurambaho Frédéric, 252 Rumanzi George, 192 Rwamapasi Stanley, 245
Nsengiyumva Thaddée, 306 Nzaramba, 292 Rupari Aloys, 424 Rwambuka Fidèle, 155, 209,
Nsengiyumva Vincent, 306, Nzaramba Martin, 127, 162, Ruraza Jean Claude, 397, 427 209
306, 307 278, 282, 351, 395, 403, 404, Rusagara Anthony, 283 Rwamfizi, 186, 208, 209
Nshoza, 187 412 Rusagara Frank, 321 Rwangabo Pierre-Claver, 418
Nsinga Jean-Baptiste, 308 Nzirorera Joseph, 156, 253 Rutagengwa Franco, 118 Rwibogora Christopher, 403
Ntaganda John, 187 Nziza Frank, 243, 244, 246, Rutagengwa Steven, 93 Rwigamba Philibert, 374, 383,
Ntaganzwa Ladislas, 265 251 Rutaremara Tito, 63, 263 406
Ntakirutimana Elizaphan, 266, Nziza Jack, 99, 143, 336, 411 Rutayisire Laurent, 155 Rwigyema Gisa Fred, 20, 21,
266 Okello, 290 Rutayisire Wilson, 421 95, 96, 97, 98, 99, 100, 101,
Ntambara, 401 Okwiiri Rabooni, 188, 288, Rutayomba Théogène, 276, 321 102, 103, 104, 105, 106, 107,
Ntarindwa Joseph, 421 306, 317 Ruyenzi Aloys, 118, 237, 249, 108, 108, 122, 123, 126, 428,
Ntaryamira Cyprien, 18, 238, Oloya Henry, 290 272, 295 434, 435, 436
469 Opareye, 169 Ruzahaza Gilbert, 245 Rwigyemera Henry, 93, 99
Ntazinda Éric, 295 Perraudin André, 306, 306 Ruzibiza Charles, 410 Rwija Sam, 93
Ntegano Mathieu, 317 Perrinne Jean-Marie, 238 Ruzibiza Goodman alias Bagret, Sabuni David, 424
Ntegeyintwari, 282 Renzaho Juvénal, 238 323, 324 Safari David, 369
Ntingingwa Emmanuel, 274, Rubagumya J ., 237 Ruzibiza James alias Safari Eugène alias Karakonje,
275 Rubayiza J ., 402 Ahimbisibwe, 275 245
Ntirivamunda Alphonse, 156 Rubayiza Zubaire, 323 Ruzibiza Kabasha Steven, 322 Safari Ferdinand, 118

484 RWANDA, LHISTOIRE SECRÈTE

Sagatwa Élie, 238 Tumwine Jacob, 203, 209, 232,


Salim Saleh, 23Z 249
cf. Akandwanaho Caleb Turagara Augustine, 351
Sebahunde Maurice, 418 Twagira Steven, 243
Sebarenzi Joseph, 419 Twagiramungu Faustin, 204, Abréviations
Sebera, 402 230, 230, 327, 473
Sebuhura, 282 Twahirwa Dan, 426
Sebununguri Adonia, 156 Twahirwa Ludoviko alias Dodo,
Seburikoko, 156 97, 126, 129, 131, 132, 138,
Secyanzi, 291 140, 173, 191, 207, 351, 356, 105 mm Howitzer 23 mm AAC ou ZU-23 mm
Sekagina, 155 364
Obusier de 105mm de calibre Antiaérien de 23 mm de calibre
Sekamana Jean Damascène, Udahemuka Silas, 249, 277,
262, 264, 346 278, 279, 425
107 mm LRM ou T63-107-1 37 mm
Semakwavu, 282 Urinzwenimana Modeste, 228
Katiusha Antiaérien de 37 mm de calibré
Semanza Laurent, 257, 267, Uwilingiyimana Agathe, 204,
Lance-roquettes multiple de
280 210, 221, 253, 469
107 mm de calibre 76 mm
Sempa Peter, 249, 427 Uwimana Emmanuel, 308 Lance-roquettes de 76 mm de
Sendashonga Seth, 64, 201, Uzcudun Pouso Isidro, 432
11 .5 mm calibre
201, 345, 345, 403, 416 Vallmajô Sala Joaquim, 287,
Mitrailleuse lourde de 11 .5 mm
Sengati John, 369, 380 431
de calibre 82 mm
Seromba, 245 Valtuefia Gallego Luis, 429 Mortier médium de 82 mm de
Serwanda, 421, 424 Vjecko Curic, 432
12 .7 mm calibre
Shaija Steven, 307 Vuningoma Steven, 419 Mitrailleuse lourde de 12 .7 mm
Shamukiga Charles, 253 Wasswa Adam, 96, 140
de calibre ALIR
Shema Geoffrey, 340, 343 Zigira John, 278, 279, 315, Armée de libération du Rwanda
Shumba Alex, 93 316, 346, 372, 373, 379, 383, 120 mm
Shyaka, 399 418
Mortier lourd de 120 mm de AML-60
Simbizi Cyriaque, 238 Zuba Camille, 403, 413, 418 calibre Automitrailleuse légère avec
Sindikubwabo Théodore, 268, canon de 60 mm
282, 330
122 mm Howitzer
Sirera Maria Fortuny Flors, 429
Obusier de 122 mm de calibre AML-90
Tauzin Didier, 193, 193 Automitrailleuse légère avec
Tibesigwa John alias Kawaida,
14 .5 mm canon de 90 mm
306
Mitrailleuse lourde de 14 .7 mm
Tumushukuru, 245
de calibre APR
Tumusifu, 303 Armée patriotique rwandaise
Tumusime, 190

486 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE ABRÉVIATIONS 487

BNR Coy FARG HQ


Banque nationale du Rwanda Company Fonds d'aide aux rescapés du Head Quarters
génocide
BRALIRWA CPC IO
Brasserie et limonaderie du Chief Political Commissar FPR Intelligence Officer
Rwanda Front patriotique rwandais
CSR IS
CDR Canon sans recul G5 Army Intelligence Staff
Coalition pour la défense de la Bureau 5
République DA ISO
District Administrator G2 Army Internal Security Organisation
CEPGL Bureau 2
Communauté économique des DAMI JDR
pays des Grands Lacs Détachement d'assistance G3 Army Jeunesse démocratique
militaire et d'instruction Bureau 3 républicaine
CHC
Chairman ofHigh Command DMI GHQ JOI
Directorate ofMilitary General Head Quarters Junior Officer Class One
CICR Intelligence (First Class)
Comité international de la GOMN
Croix-Rouge EER Groupe d'observateurs militaires J02
Église épiscopale du Rwanda neutres Junior Officer Class Two
CLADHO (Second Class)
Collectif des ligues et EGENA GP
associations rwandaises de École de la Gendarmerie Garde présidentielle MAGERWA
défense des droits de l'homme nationale Magasins généraux du Rwanda
GTBE
CMF ESO Gouvernement de transition à MDR
Combined mobile Force External Security Organisation base élargie Mouvement démocratique
républicain
CND ETO HCR
Conseil national de École technique officielle Haut-commissariat aux réfugiés MHC
développement Member ofHigh Command
FAR HF
CO Forces armées rwandaises High Frequency MINADEF
Commanding Officer Ministère de la défense
488 RWANDA, I:HISTOIRE SECRÈTE ABRÉVIATIONS 489

MINUAR P/J02 SA-16 ou SAM 16


Mission des Nations unies pour Provisional Junior Officer Class Surface to Air (Missile) 16e série
l'assistance au Rwanda Two (Second Class)
SA-7 ou SAM 7
MRND PALIR Surface to Air (Missile) 7 série
Mouvement révolutionnaire Peuple en armes pour la
national pour le développement, libération du Rwanda SIB
puis Special Intelligence Branch
Mouvement républicain PC
national pour le développement Political Commissar SO
et la démocratie Senior Officer
PDC
NRA Parti démocrate-chrétien TW
National Resistance Army Training Wing
PL
OC Parti libéral UNICEF
Officer Commanding United Nations International
PMM Children's Emergency Fund
ONG Political Mass Mobilization
Organisation
non-gouvernementale PPU
Presidential Protection Unit
ONU
Organisation des Nations unies PSD
Parti social-démocrate
00C
Overall Operations Commander Recce
Reconnaissance
OPTO
Operations and Training Officer RPG
Rocket Propelled Grenade
ORINFOR Lance-roquettes à guidage laser
Office rwandais d'information
RTLM
OUA Radio-télévision libre
Organisation de l'unité africaine des Mille collines
Remerciements de l'auteur

Cet ouvrage n'aurait pas été possible sans l'aide d'un


grand nombre de personnes, rwandaises et non-rwan-
daises . Ma gratitude va spécialement aux personnes qui
m'ont fait confiance et m ' ont donné des témoignages
pouvant leur coûter la vie . Je partage avec eux le statut
« d'ennemi du pays » comme le régime en place au
Rwanda le dit souvent . Que Paul Kagame sache bien que
nous n' avons pas peur d' être sacrifiés car nous luttons
pour le bien de notre peuple et un avenir meilleur .

Table des matières

Préface par Claudine Vidal 7

Pourquoi j 'ai voulu écrire 59

Introduction 77
Première partie : de 1990 à 1993
La guerre d'octobre 93
L' année 1991 131
L'année 1992 151
L'année 1993 179

Deuxième partie : 1994, l 'année de l'Apocalypse 215


Du 5 janvier au 6 avril 219
L'assassinat du président Habyarimana 237
Début du génocide des Tutsis 252
Début du génocide des Hutus 259
Mai-juin 290
Juillet 314
Génocide des Tutsis
et génocide des Hutus 328
Le FPR est-il le sauveur des Tutsis ? 347

Troisième partie : de 1995 à 2000


« Nous avons arrêtés le génocide 367
Avril 1995 : les massacres de Kibeho 369

494 RWANDA, L'HISTOIRE SECRÈTE

Juillet 1995 : la guerre des infiltrés 384


D'avril à août 1995
les mois d 'horreur 398
Les années 1997 et 1998 402
Les assassinats ciblés dans le contexte
du régime FPR 415
Questions sur Paul Kagame 433

Conclusion 443

Postface par André Guichaoua


La volonté d'écrire 451

Annexes 461
Carte du Rwanda 462
Chronologie 463
Index 475
Abréviations 485

Remerciements de l 'auteur 491

Achevé d' imprimer en octobre 2005


sur les presses de France Quercy, 46001 Cahors
N° d'imprimeur : 52406/
Imprimé en France
L'histoire secrète
En mars 2004, un article du Monde révélait les conclusions de l'enquête
menée par le juge français Jean-Louis Bruguière sur l'attentat du 6 avril 1994
contre l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana . Selon ces infor-
mations, l'attentat, élément déclencheur du génocide des Rwandais tutsis,
avait été exécuté par une unité clandestine (Network Commando) du Front
patriotique rwandais, agissant sur ordre du général Paul Kagame, leader
du FPR, aujourd'hui au pouvoir à Kigali . L'article apportait cette précision :
« Le témoignage d'un ancien membre du Network Commando, Vénuste Abdul
Joshua Ruzibiza, est au coeur de l'enquête de la justice française . »
Voici le livre-somme du lieutenant Abdul Ruzibiza sur une histoire étouffée,
celle des crimes commis depuis 1990 par Paul Kagame et des éléments extré-
mistes du FPR . Témoin-clef, il nous livre le récit d'un soldat qui a sillonné le
pays pendant de longues années pour des missions de renseignement . Il ras-
semble un nombre impressionnant de témoignages, très souvent << sourds »,
malgré les risques encourus par ceux qui ont accepté de se dévoiler.
Pour la première fois, c'est de l'intérieur du FPR, avec une implacable préci-
sion documentaire, que sont mises en lumière les exactions sur lesquelles le
régime de Kigali et ses soutiens internationaux tentent, par tous les moyens,
d'imposer le silence.

Abdul Joshua Ruzibiza est né au Rwanda en 1970 dans une


famille tutsie exterminée en 1994. Interdit d'études, il s'exile au
Burundi où il devient membre du FPR dès sa création . ll fait
partie de I'APR, la branche militaire du FPR, pendant plus de dix ans,
de 1990 à 2001. Il est affecté à différentes unités, dont le Network
Commando et, organe au coeur du pouvoir, la Direction du
renseignement militaire (DMI), puis le contre-espionnage . Il fait
défection en 2001, avant de se réfugier en Ouganda, d'où il gagne
l'Europe.
Claudine Vidal, auteur de la préface et des notes, est directeur de recherches émé-
rite au CNRS.
André Guichaoua, auteur de la postface, est professeur de sociologie à l'univer-
sité de Paris 1 Panthéon-Sorbonne . Il est témoin-expert auprès du procureur du
Tribunal pénal international pour le Rwanda depuis 1996 .

22 €
Prix TTC valable France
ISBN 2-7557-0093-9
Diffusion-distribution Interforum

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