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ÉDITIONS DU SEUIL
e
57, rue Gaston-Tessier, Paris XIX
ISBN 978-2-02-141367-0
www.seuil.com
À Delphine, Valisoa et Titouan.
À Clément et à tous ceux qui sont tombés au service d’un idéal universel.
« Tous les hommes rêvent, mais pas
forcément de la même manière.
Ceux qui rêvent la nuit dans les confins
poussiéreux de leurs âmes se réveillent avec
le jour pour réaliser que ce n’était que vanité.
Mais les rêveurs de jour sont des hommes
dangereux, car ils pourraient vivre leur rêve
les yeux grands ouverts, et le réaliser. »
Colonel T. E. Lawrence, introduction supprimée
aux Sept Piliers de la sagesse (1926)
Maurin Picard
New York, 31 janvier 2019
Avertissement
Notes
1. Par commodité, et par fidélité aux témoins de ce récit, le vocable anglais sera préféré à sa
traduction.
2. Un lexique des sigles et abréviations se trouve à la fin de l’ouvrage, p. 463.
3. Propos recueillis en septembre 1968 à Stockholm, en Suède, par l’ex-collaborateur de
Hammarskjöld et futur secrétaire général adjoint de l’ONU Brian Urquhart.
4. Une entrée dans son recueil de poèmes Jalons vers 1925-1930, publié à titre posthume.
5. Dans Berlin divisé entre zones occidentale et soviétique, un « mur de la honte » surgit le 13 août
1961, sur ordre du régime est-allemand, inquiet de l’exode accéléré de ses citoyens vers l’ouest.
6. Sur l’île de Cuba, conquise en 1959 par la guérilla anticapitaliste de Fidel Castro, un
débarquement anticastriste dans la baie des Cochons a lamentablement échoué le 17 avril 1961.
Chapitre 1
La longue nuit du Tanganyika
Dag Hammarskjöld, depuis qu’il dirige les Nations unies, a toujours pris
des risques importants, mais sciemment calculés. En novembre 1956, pour
imposer un cessez-le-feu aux commandos français et britanniques
combattant dans les rues de Port-Saïd, en Égypte, il s’est rendu lui-même à
Suez pour négocier avec le président Nasser et éviter de pousser davantage
ce dernier « dans les bras de Moscou », selon l’expression consacrée à
l’époque. À Bizerte, en Tunisie, deux mois plus tôt, en juillet 1961, pour
faire cesser les combats entre civils armés et parachutistes français
défendant les abords de la base aéronavale que de Gaulle refuse de restituer,
il s’est rendu en première ligne et s’est même fait malmener par les troupes
5
françaises . Chaque fois, Monsieur H a engagé son intégrité physique. En
1960, il a manqué de se faire abattre en plein vol, déjà au Katanga, lorsque
Moïse Tshombé voulait bien le laisser atterrir mais pas un deuxième avion,
transportant une compagnie de Casques bleus suédois, et menaçait d’ouvrir
le feu sans distinction. Dag Hammarskjöld avait forcé le passage.
Il y a un stoïcisme étonnant chez ce Suédois, tiré de son éducation
austère, de son apprentissage du service public incluant le sacrifice de soi.
« Des générations de soldats et d’officiels gouvernementaux du côté de mon
père, a-t-il déclaré, en 1953, j’ai hérité la croyance qu’il n’y a pas de vie
plus satisfaisante que celle de servir sans relâche son pays ou l’humanité.
Ce service requiert entre autres le courage de toujours défendre ses
6
convictions vent debout . »
Et là je vis le Congo
Se traînant dans la nuit sonore,
Coupant la jungle avec une piste d’or
Puis le long de la rive
Des miles et des miles,
Des cannibales tatoués dansèrent en file ;
J’entendis le bruit du chant ivre de sang
Et un os de cuisse qui frappait un gong de fer-blanc.
Et « SANG » hurlèrent les sifflets et sifflets des guerriers,
Et « SANG » hurlèrent les maigres sorciers aux figures de crâne,
Annoncez le mortel voodoo de la crécelle,
Torturez les montagnes,
Volez le bétail pêle-mêle,
Pêle-mêle, pêle-mêle,
Bing.
Boomlay, boomlay, boomlay, BOOM.
Un air qui rugit, un air épique, un ragtime, un air…
De l’embouchure du Congo,
Jusqu’aux montagnes lunaires.
La mort est un éléphant,
Aux yeux de torches et horribles,
Aux flancs écumants et terribles.
Ce qui suit repose sur les témoignages des contrôleurs aériens sollicités
par l’Albertina durant son vol de nuit, le recoupement des dernières
conversations sur le tarmac entre collaborateurs onusiens, les bribes de
Jacques Poujoulat, ainsi que les souvenirs du fidèle Sture Linnér. Et les
maigres indices exhumés dans les décombres de l’appareil.
L’Albertina, virant plein est, fonce à plein régime vers le lac Tanganyika,
9
qui borde l’Urundi et la Tanzanie, à quatre heures de vol et deux mille
deux cents kilomètres de Léopoldville. Dag Hammarskjöld extrait de son
attaché-case un bloc-notes de papier jaune et reprend la traduction en
10
suédois du livre du philosophe israélien Martin Buber Ich und Du , une
réflexion mystique sur l’émancipation de l’homme face à Dieu. Dans
l’habitacle, quelques rangées devant lui, deux Casques bleus du
11e bataillon d’infanterie suédois assignés à son escorte, le première-classe
Per Edvard Persson et le sergent Stig Olof Hjelte, jouent aux cartes en
modulant leur conversation pour ne pas déranger leurs compagnons de
voyage. Quelques rangs plus en amont, Bill Ranallo et Harold Julien
échangent leurs opinions sur la gravité de la crise katangaise et les
dispositions à prendre dès l’arrivée de l’appareil dans la nuit à Ndola. Le
commandant Hallonquist table sur un atterrissage autour de minuit, heure
locale. Bill Ranallo, qui connaît Hammarskjöld comme son ombre, sait ce
qui préoccupe le « patron » : Moïse Tshombé sera-t-il au rendez-vous ? Et
faut-il s’inquiéter d’un éventuel coup de sang des mercenaires ? D’une
interception aérienne par le Lone Ranger ? D’une tentative de prise
d’otages, une fois au sol ?
Ce sera à eux de jouer. Lui, Julien et les deux Suédois, là, avec leurs
pistolets-mitrailleurs. C’est maigre, comme dispositif de protection du
« patron », et c’est peu face aux affreux, armés jusqu’aux dents, mais il
faudra s’en contenter. Harold Julien semble faire l’affaire. Il est affûté,
intelligent, et a survécu aux effroyables combats de Corée.
La scène est déroutante. Le contrôle aérien vient de tenter de tirer les vers
du nez du pilote d’un DC-6 parti de Léopoldville et dont tout le monde, par
le bouche-à-oreille, subodore qu’il convoie le secrétaire général des Nations
unies.
Notes
1. Plus connue sous le sigle Aramco.
2. Un DC-6B emporte théoriquement jusqu’à 20 tonnes de carburant dans ses réservoirs d’ailes.
L’Albertina n’a donc pas fait le plein avant le décollage.
3. « Cavalier solitaire », en français. Nom d’un célèbre héros de western américain.
4. À Niemba, le 8 novembre 1960. Des membres de l’ethnie des Balubas les avaient pris pour des
Belges.
5. Nous y reviendrons dans le chapitre 20, p. 340-341.
6. Les références citées sont regroupées en fin d’ouvrage.
7. États-Unis, Russie, Chine, France et Royaume-Uni.
8. Il s’agit du sous-lieutenant Karl Erik Rosén.
9. L’ancien nom du Burundi.
10. Première traduction en français en 1938 aux éditions Aubier sous le titre Je et Tu.
11. Aujourd’hui Harare, la capitale du Zimbabwe.
Chapitre 2
L’attente
La foule est noire. Elle ne peut accéder au terminal aérien, réservé aux
Blancs, diplomates, policiers, mercenaires et hommes d’affaires. Alors, elle
attend, au-dehors, patiemment. Elle a toute la soirée, la nuit même, s’il le
faut. Les grands hommes, ceux qui incarnent l’espérance en un avenir
meilleur pour les plus miséreux, ne se bousculent pas dans cette bourgade
de la Copperbelt.
Ceux qui pullulent, en revanche, ce sont les mercenaires et les
journalistes. Porte d’entrée vers le Katanga, Ndola les accueille dans ses
hôtels et ses estaminets. Certains soldats de fortune y ont même posé leurs
valises et ouvert leur propre commerce. De boissons, bien sûr. Dans cette
antichambre britannique du grand chaos congolais, on vient décompresser,
croiser de vieilles connaissances, échanger renseignements et récits
abracadabrants.
Ndola, nid d’espions. Et ce dimanche soir plus que jamais.
Le bar de l’aéroport ne désemplit pas. Il y a les envoyés spéciaux des
quotidiens de Salisbury et de Johannesburg, des agences de presse et des
canards locaux. Sans oublier ces affreux notoires : le Belge Carlos Huyghé,
qu’on dit mouillé jusqu’au cou dans l’exécution de l’ex-Premier ministre
congolais Patrice Lumumba, le 17 janvier précédent, le Sud-Africain Jerry
Puren, vétéran de la Seconde Guerre mondiale tout juste embauché par
l’aviation katangaise, ou encore le Hongrois Sandor Gurkitz, dit
« Spoutnik », ex-« combattant de la liberté » en 1956 à Budapest, qu’il a
quitté avant la répression soviétique.
Cette brochette de mercenaires se fond sans peine parmi les officiels
nord-rhodésiens. Les soldats de fortune sont les bienvenus chez sir Roy,
puisqu’ils soutiennent la sécession katangaise et, partant, la cause des
colons blancs dans cette Afrique noire de plus en plus ingérable.
Alport et Unwin sont à pied d’œuvre, tandis que les badauds se pressent
contre la grille d’enceinte de l’aéroport, dans un silence impressionnant. À
17 heures, deux petits avions Cessna, aux couleurs de la compagnie African
Air Charters, se posent sur une piste latérale. En descendent Moïse
Tshombé, encadré par deux de ses ministres, Jean-Baptiste Kibwe
(Finances) et Évariste Kimba (Affaires étrangères), ainsi que deux
diplomates anglais, Denzil Dunnett et Neil Ritchie. Tshombé affiche une
grande nervosité. Le souffle court, il jette sur les abords de la tour des
regards inquiets.
« Il faut le comprendre, relève Unwin. La dernière fois qu’il s’est rendu à
des négociations sur l’avenir du Congo, c’était à Coquilhatville, cinq mois
auparavant. Et ça s’est mal passé. »
Doux euphémisme. Le soir même de son arrivée dans la capitale de la
province, dans le nord-ouest de l’Équateur, les autres dirigeants congolais
lui sont tombés dessus, jaloux de son opulence financière et de son
indépendance. Ils l’ont séquestré deux mois dans une geôle suintante de six
mètres carrés à Léopoldville, jusqu’à ce que leurs comptes bancaires en
Suisse soient mystérieusement approvisionnés.
Extorsion de haut vol, au sommet de l’État.
Ses ennemis se comptent aussi à l’extérieur du Congo : pour les
mouvements nationalistes noirs d’Afrique australe, Tshombé est « l’oncle
Tom » du pouvoir blanc. Le « bon nègre » corrompu, duquel les puissants
maîtres peuvent exiger n’importe quelle compromission.
L’opposition noire à Roy Welensky a choisi : tout ce qui peut ébranler le
Premier ministre est évidemment bon à prendre. Les coups de boutoir de
l’ONU contre la petite république rebelle du Katanga sont les bienvenus,
tout comme Dag Hammarskjöld, ce champion du droit à
l’autodétermination.
3
L’UNIP , que dirige le charismatique Kenneth Kaunda, a de bonnes
raisons de dénoncer la présence illégale de Tshombé en terre nord-
rhodésienne. Depuis sa fuite d’Élisabethville quatre jours plus tôt, le
président katangais se terre non loin d’un aéroport de brousse, à Kipushi,
une ville de frontière située à cent quarante kilomètres de Ndola. Vendredi
15 septembre, il a fait faux bond à Conor Cruise O’Brien, le représentant
local de l’ONU, qui l’attendait pour signer un cessez-le-feu. Cette angoisse,
toujours présente, de se faire arrêter et emprisonner.
Le dimanche 17 septembre au petit matin, lord Alport confie à Neil
Ritchie la mission de conduire Tshombé de Kipushi jusqu’à Ndola, par tous
les moyens, en le cajolant autant que nécessaire. Ritchie n’est pas un
diplomate comme les autres : en Rhodésie, ce quadra, qu’une rarissime
photo couleurs montre cheveux gominés et lunettes de soleil, aux faux airs
4
de Cary Grant, est le représentant du MI 6 . Depuis Salisbury, sous
couverture, en tant que premier secrétaire du Haut-Commissariat
britannique d’Alport, il « veille » sur le Katanga pour le compte de Londres.
En l’occurrence, il doit protéger Tshombé.
« Il est notre homme à La Havane », sourit Unwin, admiratif. Ce qu’il a
fait à Kipushi était « brillant » ! Il a reçu l’ordre d’aller chercher Tshombé,
parti au diable vauvert, il a foncé en réquisitionnant un hélicoptère, il l’a
trouvé au milieu du bush, et il l’a ramené illico en avion à Ndola.
« Brillant » !
Brian Unwin en fait un peu trop. La fuite de Tshombé d’Élisabethville
vers Kipushi, le 13 septembre, a été orchestrée de A à Z par le consul
britannique au Katanga, Denzil Dunnett5. Depuis, le contact radio est
permanent avec cette « planque » accolée à un terrain d’aviation et cernée
de troupes d’infanterie nord-rhodésiennes amies. La preuve
qu’Élisabethville, Londres et Salisbury marchent la main dans la main.
Mercenaires et commandos nord-rhodésiens se fréquentent dans les bars et
se saluent dans la brousse, des deux côtés de cette frontière végétale,
inexistante dans les faits.
Un quadrimoteur menant un train d’enfer s’en est allé vers l’ouest. Rien
de surprenant à cela : l’axe d’approche à Ndola s’étire sur un cap ouest-est.
L’Albertina est allé chercher son dernier virage pour se retrouver en finale
de la piste principale pouvant accueillir un lourd DC-6. Mais il n’en est pas
revenu.
Le contrôleur Martin appelle le pilote Hallonquist à la radio. Pas de
réponse.
« Le contrôleur aérien nous informe que l’avion a cessé de communiquer
avec eux, précise Unwin. Le contact a été rompu net, ce qui semble
indiquer que le pilote a décidé d’atterrir en visuel, sans se faire assister par
la tour de contrôle. Nous avons attendu, encore et encore, mais rien n’est
venu. »
En bout de piste, le DC-4 du marquis de Lansdowne attend, moteurs
tournants. Il n’a pas décollé, comme il était censé le faire, avant
l’atterrissage de Hammarskjöld. Le pilote, le capitaine belge Bob Deppe,
avertit son passager que le SE-BDY a cessé de communiquer avec la tour.
Lansdowne demande à Deppe d’essayer lui-même de joindre Hallonquist
avec la radio de bord. En vain.
Il est 0 h 35 lorsque le DC-4 OO-RIC prend finalement son envol, après
avoir maintenu un « statique » pendant vingt minutes sur le tarmac.
Jusqu’ici volubile, Brian Unwin marque une pause, aux prises avec sa
mémoire. Son plus grand étonnement tient à la décision funeste de Dag
Hammarskjöld de se rendre à Ndola.
« Je pense que les gens de l’ONU n’avaient pas vraiment soupesé les
implications d’une telle initiative. Que c’était vraiment prendre un risque
énorme pour lui de venir en personne. À la place de Hammarskjöld, j’aurais
envoyé un adjoint, aussi expérimenté que possible. »
Quelles implications ? Quel risque ? Unwin parle-t-il des dangers qui
guettaient le DC-6 onusien, ou bien de la possibilité d’un échec des
négociations et de la perte de crédibilité infligée à un Hammarskjöld
humilié ?
« Oui, c’est cela, opine-t-il. Le risque d’un fiasco politique total,
d’engager son prestige personnel, alors qu’il aurait mieux fait de s’enquérir
des agissements de son subordonné à Élisabethville, Conor Cruise O’Brien,
puis de paver la voie prudemment à des pourparlers en vue d’un cessez-le-
feu. En évitant d’y aller soi-même. »
Brian Unwin soupire, désolé.
« D’une certaine manière, oui, ce type était très courageux. C’était dans
son caractère. Mais il n’aurait pas dû s’exposer ainsi, sans préparation digne
de ce nom. Ndola, pour l’amour du Christ ! Qui avait jamais entendu parler
de Ndola avant cela ? »
Personne, assurément.
Dans la journée du 18 septembre 1961, le monde entier va apprendre à
prononcer le nom de ce petit bourg de Rhodésie du Nord rattrapé par une
notoriété involontaire, où les « avions de VIP » disparaissent parfois,
finalement.
Notes
1. Ces trois colonies deviendront respectivement la Zambie, le Zimbabwe et le Malawi.
2. Elle est décédée en 2018.
3. United National Independence Party, fondé en 1959.
4. Une agence de renseignement dont le nom demeure alors strictement confidentiel, seize ans
après la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais qui commence à gagner une notoriété involontaire
par la faute d’un héros de papier tout juste apparu dans les salles obscures : James Bond, le
personnage imaginé par Ian Fleming.
5. Ainsi qu’en atteste une note interne au ministère de la Défense norvégien rédigée par le
lieutenant-colonel Björn Egge et datée du 7 décembre 1961.
6. Le premier quotidien de Rhodésie de l’époque.
7. Le titre de ses mémoires, The Sudden Assignment.
Chapitre 3
Carnage
Entre les motoristes égarés, les pauvres hères terrorisés, les inconnus
patibulaires, les policiers et les militaires, la désintégration du DC-6 n’est
pas passée inaperçue. Personne ne songe cependant à porter secours aux
deux passagers sortis vivants de la catastrophe : Harold Julien et Dag
Hammarskjöld. L’un, grièvement brûlé et incapable de se mouvoir avec sa
cheville fracturée, à peine conscient, aurait dû attirer l’attention avec ses
râles ; l’autre, colonne brisée et thorax enfoncé, a rampé tout au plus
quelques centimètres avant d’expirer.
Note
1. New York Police Department, la police new-yorkaise.
Chapitre 4
Des recherches tardives
La police de Ndola arrive quinze minutes plus tard sur les lieux,
respectant une discipline toute coloniale, sur ordre du commissaire adjoint
Michael Cary : aux officiers blancs la tâche de fouiller les décombres en
quête de survivants, aux auxiliaires noirs celle de fouiller les environs et de
barrer l’accès aux curieux. La première ambulance se présente à 15 h 55.
Son conducteur, un aide-soignant nommé Eccles, apprend que l’unique
survivant a déjà été transporté à l’hôpital.
Son regard se porte sur le seul corps présentant forme humaine, celui de
Dag Hammarskjöld, qui a été déposé sur un brancard, à même le sol. Non
loin de là se trouve un revolver partiellement calciné, un calibre 38 comme
celui qu’emportait en dotation son garde du corps, Bill Ranallo.
Eccles est frappé par le bon état de conservation du cadavre, sa chemise
blanche, son pantalon de lin. Sa gourmette en argent, un cadeau de Noël de
Bill Ranallo, n’a pas bougé de son poignet droit. Elle a dû échapper aux
rôdeurs. Au poignet gauche, une montre qui semble s’être arrêtée à 0 h 25.
Les bras en croix, par contre, l’empêchent d’insérer le brancard dans
l’ambulance. Eccles entreprend d’aligner les deux membres le long du
corps de Hammarskjöld, comme un archange replie ses ailes. Dans les
mains crispées, pourtant, Eccles distingue une pleine poignée d’herbe et de
terre, le genre de détail que l’on voit quand un blessé grave s’accroche à la
vie. Cet homme-là aurait-il survécu à l’accident, pour agoniser, seul, à
proximité du brasier ? L’autopsie l’établira d’une manière ou d’une autre.
Mais tout de même…
Eccles n’est pas médecin, mais autre chose le frappe : en soulevant les
1
bras du macchabée, il s’attendait à ressentir la rigor mortis , mais ce n’est
pas le cas. La vie a résisté longtemps, dans ce corps. Dag Hammarskjöld
n’est pas mort tout de suite. À moins que la chaleur du brasier ait entretenu
une vitalité des chairs artificielle. Eccles regarde de plus près encore : une
carte de jeu rougie est fichée dans le col de la chemise du défunt. Il
s’interdit de la retirer, de peur d’être sermonné par la police.
Installant précautionneusement le brancard dans sa fourgonnette Bedford,
le secouriste aperçoit un drôle d’orifice sous le menton du défunt. Le
rapprochement avec le calibre 38 aperçu à proximité, ainsi que la motte
d’herbe et de terre, est immédiat : celui-là s’est probablement suicidé.
Avisant les badauds qui s’agglutinent le long de la petite route forestière,
Eccles déclenche sa sirène.
Le colonel Ben Matlick, quant à lui, n’en a pas terminé avec l’hospitalité
britannique. À son souhait de se rendre sur le site du crash avec le premier
véhicule, John « Red » Williams oppose une fin de non-recevoir. Il parvient
à héler un Land Rover de la Royal Rhodesian Air Force (RRAF) et à
rejoindre la zone sinistrée. Mais un cordon de sécurité en bloque l’accès.
Les policiers nord-rhodésiens repoussent sans ménagement les badauds. Le
commissaire Cary interdit également à Matlick de prendre des photos, en
promettant de lui procurer celles des détectives du Criminal Investigation
Department (CID), la police criminelle coloniale. Les relevés
météorologiques du contrôle aérien lui sont également refusés.
L’officier américain, effaré, rendra compte dans son rapport de ces
tracasseries injustifiables. « Il ressort que la RRAF s’est montrée
coopérative mais pas les autorités civiles rhodésiennes, conclura Ben
Matlick à l’adresse de Léopoldville et Washington. Soit à cause de leur
attitude négative vis-à-vis des opérations de l’ONU au Katanga, soit pour
couvrir les traces de leur propre incompétence. » Ou les deux, bien sûr.
À l’évidence, les Américains ne sont pas mieux perçus en Rhodésie que
les troupes « afro-asiatiques » déployées au Congo. Matlick comprend qu’il
ne vaut mieux pas s’éterniser à Ndola. Lorsqu’un appareil de l’ONU et son
équipage norvégien étaient apparus en finale de l’aéroport, à 7 heures ce
matin-là, après avoir été déroutés du Katanga pour prendre part aux
recherches, ils avaient été aussitôt encerclés et placés aux arrêts de rigueur.
Une fois leur libération négociée, l’officier américain ordonna à l’ensemble
du personnel de l’ONU et de l’US Air Force d’éviter toute sortie en ville, et
de dormir près de leurs avions. Tout le monde devra avoir regagné le Congo
dès le lendemain matin, mardi 19 septembre.
Lord Alport n’a rien vu de tout cela. Brian Unwin et lui ont repris l’avion
pour Salisbury en milieu de matinée, laissant la conduite des opérations à
« Red » Williams et John Mussell, sans même croiser Ben Matlick. Le haut-
commissaire britannique était visiblement pressé de rallier la capitale
fédérale. Son DC-4 prêté par la RRAF se pose aux environs de midi à
Salisbury. Dans une tribune publiée en 2011 dans le quotidien anglais The
Guardian, Brian Unwin déclarera avoir reçu la confirmation du crash et de
la mort de Hammarskjöld dès leur atterrissage. Ce qui les placerait en
possession d’une telle information trois bonnes heures avant la découverte
de l’épave. Encore une incohérence chronologique.
Lors de ma rencontre avec lui à Londres, je ne peux m’empêcher de le
questionner sur cet autre détail surprenant. Quand Alport et lui l’ont-ils su
exactement ?
La réponse est un brin confuse.
« Non, non, non, ce n’est pas ça ! Je me suis emmêlé les pinceaux. Ma
mémoire m’a trahi. La nouvelle nous est parvenue un peu plus tard, un
certain temps après que nous avons atterri. À l’aéroport nous attendaient le
haut-commissaire adjoint David Scott, mon futur beau-père, et puis
Lansdowne, qui était encore là depuis son atterrissage à 3 heures du matin.
Il voulait tout savoir, bien sûr. Tout ce que nous savions, c’est qu’il y avait
des rumeurs d’une épave repérée dans la brousse, et c’est tout. J’insiste.
Nous n’en avons eu le cœur net que plus tard. »
L’histoire est impitoyable pour ceux qui pensent avoir bien agi. Le chef
d’escadrille John Mussell, dans un courrier adressé au New York Times en
2015, à la suite de la parution d’un article accablant pour les secours à
l’époque, reconnaît que ceux-ci « sont partis dans la mauvaise direction ».
Mais de là à dire que l’armée de l’air « a trempé dans un complot jusqu’au
cou » ou qu’elle « porte une responsabilité dans le désastre », ça, non ! À
l’instar d’Unwin, le vieux pilote suggère de ne pas chercher midi à quatorze
heures et pointe du doigt le commandant de bord suédois du DC-6 : « Peu
importe votre état de fatigue ou votre degré d’expérience, lorsque vous êtes
en Afrique, et que vous pénétrez en terre inconnue, une grave erreur est vite
commise. »
Note
1. Rigidité cadavérique.
Chapitre 5
Une immense tragédie
Lundi 18 septembre 1961. Une aube grise se lève sur la côte Est des
États-Unis, encore inconscients du drame qui se joue en Afrique centrale. À
Turtle Bay, le siège de l’ONU sur les bords de l’East River, le réveil est
e
brutal. Au 38 étage, un attroupement se forme autour du central de
télécommunications.
La « maison de verre » avait, dit-on, tendance à isoler les malheureux
ayant hérité du « job le plus impossible du monde ». Loin du cirque
permanent de l’assemblée générale et de ses quatre-vingt-dix-neuf États
membres1, on y devisait à voix basse, en petit comité, sur les actions
quotidiennes à mener aux quatre coins de la planète, les besoins des
Casques bleus dans le désert du Sinaï ou la jungle du Congo, les
télégrammes urgents à adresser à tel ou tel « grand » de ce monde. Des
secrétaires triées sur le volet, pour leur célérité et leur science de la dactylo,
retranscrivaient et câblaient avec une discrétion et une furtivité à toute
épreuve. Point de commérages ni de conversations triviales, dans ce décor
feutré, succession de suites exécutives aux portes toujours fermées. Dag
Hammarskjöld, prophète d’une organisation enfin « actrice » des crises
internationales et bourreau de travail, avait banni la mélancolie proverbiale
de son prédécesseur Trygve Lie, demandant l’impossible à ses
collaborateurs. Premier arrivé, souvent dès l’aube, dans son austère bureau
égayé d’une peau de léopard offerte par le Nigeria, dernier à en partir à la
nuit tombée, il attendait autant de sacrifices de la part des autres, nonobstant
leurs obligations familiales.
La tragédie qui frappe, dans ce vase clos, abolit les barrières et les castes.
Les portes s’ouvrent, les secrétaires et les cadres exécutifs se mêlent,
interrompant leurs occupations familières, échangeant des regards inquiets.
Le crépitement des machines trahit l’arrivée de nouveaux télex en
provenance de Léopoldville. Depuis la capitale congolaise, Sture Linnér, le
responsable des affaires civiles de l’ONU, qui, la veille, souhaitait bon
voyage à Hammarskjöld, au pied de l’Albertina, se manifeste à mesure que
lui parviennent les informations en provenance de Ndola.
2
Le premier câble arrivé dans la nuit, à 9 h 38 Zoulou (4 h 38, heure de
New York), est adressé à Ralph Bunche, à qui Dag Hammarskjöld a confié
les clés de la maison en son absence. « À 7 heures Zoulou, nous avons reçu
des nouvelles de la tour de contrôle de “Léo”, qui avait été en contact avec
la tour de contrôle de Salisbury, parce que l’avion du SecGen n’avait pas
atteint Ndola comme prévu. À 8 heures Zoulou, notre centre opérationnel
de Ndjili a appris que l’avion s’était présenté au-dessus de Ndola, puis que
le centre des vols de Salisbury avait perdu sa trace. Une personne a
témoigné à la police de Ndola avoir vu un grand éclair dans le ciel à
23 heures Zoulou en direction d’un lieu nommé Mufulira. Nous écumons
tous les canaux possibles de communication, notamment via les réseaux
américains et britanniques, pour obtenir plus d’informations. À 8 h 25
Zoulou, Lansdowne nous a fait savoir que le SecGen avait survolé Ndola et
nous a demandé s’il était reparti à “Léo”. Le consul adjoint britannique
Smith a ajouté qu’un appareil non identifié avait survolé l’aéroport de
Ndola et, bien que la piste ait été éclairée, l’avion n’a pas tenté d’atterrir et
n’a pas établi de communication avec la tour de contrôle. »
L’absence complète de nouvelles fait monter l’inquiétude. Inutile encore
de paniquer. La radio n’a-t-elle pas affirmé ce matin que le patron des
Nations unies était bien arrivé à Ndola ?
L’angoisse transpire dans un second câble du représentant de l’ONU à
Léopoldvile, Sture Linnér, envoyé à 10 h 39 Zoulou (5 h 39, heure de New
York). « J’ai requis d’urgence l’aide du Premier ministre nord-rhodésien
Roy Welensky pour qu’il lance un effort de recherche aérien visant à
retrouver le DC-6 immatriculé BDY dans la région autour de l’aéroport de
Ndola. J’ai aussi sollicité l’aide de la Grande-Bretagne, de la France et du
Portugal, de quelque manière que ce soit. “S’il vous plaît, faites votre
possible pour entrer en contact avec moi.” Tous mes efforts sont restés
vains. »
Andrew Cordier, le secrétaire général adjoint, d’origine américaine, a
e
rejoint l’attroupement au 38 étage. Depuis la veille au soir, il redoute le
pire, Monsieur H n’ayant pas repris contact depuis son départ de « Léo ».
Maintenir ainsi le silence radio ne ressemble pas aux habitudes du patron de
l’ONU. Il reprend la communication avec Sture Linnér.
« Ici Cordier. C’est un moment de très profonde angoisse que je partage
avec vous pour Dag et tous ses collègues dans l’avion, et dans l’espoir que,
malgré ces informations, il y ait miraculeusement de bonnes nouvelles. »
Arrive Ralph Bunche, mortifié lui aussi depuis la veille au soir.
« Ralph Bunche est là à présent, pianote l’opérateur new-yorkais. Nous
recevez-vous, hôtel Royal ?
— Je suis consterné par les nouvelles, répond Sture Linnér. Je me suis
fait du mouron toute la nuit, s’agissant de cette éventualité d’un crash, parce
qu’il n’y avait aucune confirmation d’aucune source que l’avion du
secrétaire général avait pu atteindre Ndola.
— Y a-t-il des nouvelles de l’avion à présent ? interroge New York.
— Cela sent très mauvais, mais il ne nous faut pas perdre espoir. Dans
tous les cas, nous devons poursuivre l’opération. »
Dix mille kilomètres plus au nord, un pays entier s’est figé. La Suède et
ses 7,5 millions d’habitants peinent à croire que le plus célèbre de leurs
compatriotes vient de connaître une fin tragique, qui plus est dans une
contrée lointaine.
Sur les murs de la capitale apparaissent les manchettes de une du grand
quotidien Dagens Nyheter : « Dag Hammarskjöld död » (« Dag
Hammarskjöld est mort »).
Dans la rue, les passants se découvrent la tête en parcourant la lugubre
litanie des titres de presse. Fierté de tout un peuple, ce Suédois devenu une
vedette planétaire n’est plus.
Un de ses successeurs au poste de secrétaire général de l’ONU, le
Ghanéen Kofi Annan, n’aimait guère évoquer ce jour, si ce n’est qu’il était
« un de ceux où vous n’oublierez jamais ce que vous étiez en train de faire
ni où vous vous trouviez ». Ce 18 septembre 1961, le jeune Annan, étudiant
de vingt-quatre ans, est de passage à New York, où il rend justement visite à
un ami diplomate. Il se trouve au rez-de-chaussée du siège de l’ONU,
devant l’accès aux ascenseurs. Une femme en émerge, se lamentant : « Ils
3
l’ont tué, ils l’ont eu ! »
En 1997, Kofi Annan s’est installé dans le fauteuil de Dag Hammarskjöld
e
au 38 étage. Il a été élu secrétaire général des Nations unies après un
passage à la direction des opérations de maintien de la paix et une longue
carrière dans les organisations internationales. Le 6 septembre 2001, invité
par la fondation Hammarskjöld à prononcer un discours sur son
prédécesseur, il loue « sa sagesse et sa modestie, son infaillible intégrité et
sa dévotion toute personnelle à son devoir », qui ont « placé très haut la
barre pour ses successeurs, si haut qu’elle est tout simplement impossible à
atteindre ». Que reste-t-il du Suédois dans le monde d’après-guerre froide
hanté par les crises de Somalie, de Bosnie, du Kosovo, du Timor oriental ou
du Rwanda ? « Il n’y a pas de meilleure règle d’or pour un secrétaire
général confronté à un nouveau défi ou une crise que de se poser la question
suivante : comment Hammarskjöld aurait-il géré ça ? »
Le conseil de Kofi Annan, décédé en 2018, résonne comme une variation
de l’adage préféré des diplomates onusiens du temps de Hammarskjöld :
« Laissez faire Dag ! » Il ressort en creux dans une interview accordée en
2007 au journaliste Alec Russell, du Financial Times. C’est la force de
caractère du Suédois, cette fois, qui est évoquée, ainsi que le curieux métier
de secrétaire général. Kofi Annan en donne une définition originale : ceux
qui sont passés par là « savent ce que c’est d’aller au lit en espérant que
vous n’allez pas vous réveiller avec une autre crise sur les bras ».
Comme disait son prédécesseur Trygve Lie à Hammarskjöld en 1953,
« le job le plus impossible du monde » tient pour beaucoup à « ces cinq
Premiers ministres qui siègent au Conseil de sécurité et mettent un point
d’honneur à éviter que le SecGen ne devienne ce dirigeant transformateur
comme en rêvent les idéalistes à l’ONU », écrit Alec Russell.
Notes
1. Ils étaient 82 en 1958, avant que l’ONU ne soit rejointe, en 1960, par le Cameroun, la
République centrafricaine, le Tchad, le Congo-Brazzaville, le Congo, Chypre, le Dahomey (partie du
Bénin actuel), le Gabon, la Côte d’Ivoire, Madagascar, le Mali, le Niger, le Nigeria, le Sénégal, la
Somalie, le Togo et la Haute-Volta (Burkina Faso), récemment décolonisés.
2. L’heure zéro, calée sur le méridien de Greenwich, cinq heures après New York, une heure avant
Paris et Léopoldville, deux heures avant Ndola.
3. Ces confidences sont tirées du documentaire de Stig Holmqvist Visions d’un secrétaire général
(2005).
4. Le 19 juillet 1963, des troupes tunisiennes attaquent la base aéronavale de Bizerte, une enclave
française sur le sol tunisien, que Tunis exige de voir rétrocéder par Paris. Les affrontements feront au
moins 630 morts dans le camp tunisien, 27 chez les Français. Dag Hammarskjöld se rend en première
ligne le 26 juillet pour tenter d’imposer un cessez-le-feu, à l’invitation du président tunisien Habib
Bourguiba. Voir p. 340.
5. Notamment lors du raid victorieux de la Royal Air Force contre le cuirassé nazi Tirpitz, réfugié
dans un fjord norvégien, le 12 novembre 1944.
6. Citation attribuée au poète suédois Erik Blomberg (1894-1965).
Chapitre 6
Schadenfreude
Note
1. Cousin du cannabis.
Chapitre 7
Un chevalier blanc
Notes
1. Jeu de mots avec l’acronyme de Government of North Rhodesia.
2. http://www.greatnorthroad.org
Chapitre 8
Seul survivant
« Pas coupable ! »
Dans l’hebdomadaire Paris-Match du 7 octobre 1961, un pilote
mercenaire pose tout sourire en double page, clamant son innocence depuis
le cockpit d’un Fouga Magister katangais. Moustache frisottante, cheveux
clairsemés et gominés, José Delin fait vaguement penser à Clark Gable, en
moins glamour. Depuis le drame de Ndola, son nom circule un peu à tort et
à travers dans les rédactions et les ambassades : ce serait lui le « rôdeur
solitaire » qui a scellé le sort du DC-6 de Monsieur H. Ce serait lui
l’assassin.
La rumeur est tenace. Et Joseph Delin, de son vrai nom, devient le
coupable idéal. Colon belge de quarante-sept ans, né en Afrique du Sud,
soi-disant patron de la base aérienne katangaise de Kolwezi, à trois cents
kilomètres au nord-ouest d’Élisabethville, il est marié à une Rhodésienne,
comme le découvrent des reporters consciencieux. Voilà pour la confusion
des premières dépêches d’agence accusant un pilote rhodésien ! Bilingue
français-anglais, bien introduit en Afrique du Sud, où transite l’essentiel du
trafic d’armes à destination de l’Afrique centrale, il était l’homme de la
situation lorsque le Katanga a décidé de se doter d’une aviation militaire,
baptisée Avikat.
Comme le régime excelle dans l’art de la propagande, des médias ont
reçu une invitation à rencontrer « l’accusé de l’ONU », ainsi que Paris-
Match surnomme Joseph Delin. Le message est clair : non, ce n’est pas lui
qui a « descendu » l’Albertina. Géographiquement impossible ! Avec le
Fouga, explique-t-il aux deux auteurs de l’article, le reporter Jacques
Le Bailly et le photographe Philippe Le Tellier, « mon rayon d’action
m’interdit, en partant de Kolwezi, ma seule base possible, d’atteindre
Ndola ».
« Je n’ai pu être au rendez-vous mortel de Monsieur H », lui fait dire le
magazine en caractères gras. Un simple calcul le prouve : un Fouga
Magister affiche une autonomie maximale de 925 kilomètres, alors qu’à vol
d’oiseau un aller-retour entre Kolwezi et Ndola fait au plus juste
851 kilomètres. La marge est infime. Le vol aller-retour impensable, sauf à
disposer de réservoirs supplémentaires ou d’autres ressources clandestines,
mais Paris-Match ne va pas explorer cette piste-là. Il s’agit de frapper le
lecteur avec le professionnalisme et la candeur du pilote belge. Tout est bon
pour présenter sous un jour favorable le petit Katanga, victime d’une
sournoise agression onusienne, que le magazine français se garde bien de
dénoncer formellement. Mais l’intention y est.
Un cliché sépia place Delin dans une salle d’opérations, cigarette aux
lèvres, pointant d’un index sûr les cibles sélectionnées lors de ses raids de
septembre contre les troupes de l’ONU et l’armée nationale congolaise.
Dans son uniforme de couleur sable, il ajuste son casque de vol blanc plutôt
rudimentaire et se dirige vers un Fouga Magister parqué en bordure de
piste. Prêt à s’envoler pour une nouvelle mission…
Et puis il y a ces deux raseurs qui ont exaspéré les policiers en fouillant
les décombres en quête de projectiles : les Suédois Bo Virving et Otto
Danielsson, qui se disent intrigués par « des trous qui pourraient avoir été
provoqués par des balles », ainsi que par « la déposition d’un Africain qui, à
l’encontre de tous les autres témoins, prétend avoir vu deux avions »,
comme l’écrit le diplomate belge Jacques Matthys, adjoint au vice-consul
de Ndola, venu assister à ces auditions. Ils « penchent pour la thèse du
Fouga », ajoute celui-ci, très circonspect.
Un Africain ? Avec Timothy Kankasa, Dickson Buleni et Davidson
Simango, cela fait déjà trois. D’autres vont suivre.
Arrive Joseph Delin, le pilote star de Paris-Match, qui s’emploie à
décrédibiliser la piste du Fouga, martelant qu’il n’aurait pu prendre l’air
cette nuit-là : pas d’instruments de navigation dignes de ce nom ni de radar.
Son témoignage, le 27 janvier 1962, vient étayer « la fragilité » des propos
des Suédois, commente Jacques Matthys. Cigarette rivée aux lèvres, il
décline son identité, précisant avoir reçu sa formation de navigant en
Afrique du Sud, puis expose les caractéristiques du jet français, son emport
de charge, son autonomie, ses performances.
Sous ses airs patelins, Delin démontre un sacré culot : pour faire bonne
mesure face à cet auditoire cosmopolite et fasciné par son récit, il
revendique ses « exploits » du 17 septembre. Contre l’Albertina ? Non.
Plutôt deux raids aériens contre la base de Kamina, tenue par les Casques
bleus, la destruction au sol d’un DC-4 de la compagnie belge Sabena, et le
mitraillage d’un DC-3 onusien en vol, avec de lourds dégâts matériels et
plusieurs blessés graves à la clé.
Dans la salle d’audience, un aviateur en uniforme sombre peine à
contenir son agacement : le capitaine Lars-Erik Starck, qui pilotait
justement ce DC-3 emportant vers Léopoldville des Casques bleus blessés
durant les combats de l’opération Morthor. Il n’apprécie guère la forfanterie
du mercenaire belge. À la suite de cet incident dans les airs, immédiatement
relaté au contrôle aérien de l’ONU à Léopoldville-Ndjili, les équipages
civils sous contrat avec les Nations unies refusent de survoler le Katanga,
tant qu’une protection militaire ne serait pas assurée contre la menace très
réelle du « rôdeur solitaire ».
L’attaque du DC-3 de Starck, le 17 septembre 1961, a bien eu lieu. Les
deux raids aériens et la grève des pilotes également. Mais Joseph Delin ne
peut en être tenu pour responsable. C’est un « rampant » doublé d’un
bonimenteur, qui dupe aussi bien les renseignements militaires de l’ONU au
Congo que les reporters de Paris-Match. Cela, les enquêteurs ne le savent
pas. Et puis Delin dit tout ignorer du vol de l’Albertina.
Tandis que l’usurpateur belge prend congé, un électricien de l’Union
minière se présente à son tour. Roland Parmentier a une bonne raison de se
trouver là : c’est lui qui, en avril 1961, a été « chargé sur réquisition des
autorités katangaises d’établir un balisage lumineux de la piste de Kolwezi
pour permettre le décollage de nuit ». Le Fouga Magister pouvait-il donc
décoller de là pour prendre en chasse l’Albertina ?
« Ce balisage a été enlevé en juillet à l’occasion des travaux d’entretien
de la piste », corrige Roland Parmentier. Le décollage de nuit n’était donc
pas possible au moment des faits.
Petit problème : le balisage dont il parle comme s’il s’agissait d’un
aéroport occidental moderne se résumait en l’occurrence à des fûts
enflammés, qui peuvent être aisément escamotés puis réinstallés sur
commande.
En un tournemain, deux témoins plus que douteux viennent de donner les
armes au juge Clayden pour invalider les fumeuses théories suédoises.
Non, dit l’enquête. Tout aussi problématique est cette assertion selon
laquelle l’équipage suédois manquait d’expérience africaine, de personnel
radio qualifié et de compétence en matière de navigation. L’argument va
étayer une bonne partie des conclusions penchant en faveur de l’accident
malencontreux.
QUELLES FURENT LES DÉFAILLANCES DE L’ÉQUIPAGE DE L’ALBERTINA ?
Celle des bourdes en série, finissent par conclure les limiers rhodésiens.
Le major belge Joseph Delin est autrement plus éloquent que les
« Africains », lui, avec ses cheveux gominés et ses belles bacchantes. Il
martèle son credo : une interception aérienne est inconcevable, de surcroît
avec un Fouga Magister à l’autonomie limitée, et de nuit, sans instruments
de navigation appropriés. Comme Brian Unwin lors de notre entrevue
londonienne, Delin semble défendre cet axiome de l’histoire des
civilisations : les plus grands événements découlent souvent de défaillances
en série. Appelez cela le mauvais sort.
Notes
1. 500 mètres.
2. Cité p. 83.
3. À peu près 1 200 euros en 2017, après ajustement du taux d’inflation.
Chapitre 10
Intimidation
La farce jouée par le major Joseph Delin va connaître une fin abrupte à
Ndola. Le mercenaire belge commet deux erreurs fatales.
La première, en se laissant aller à d’imprudentes élucubrations dans un
bar, au point de se vanter d’avoir dupé les interrogateurs rhodésiens.
La seconde, en négociant mal une question sur l’existence d’un éventuel
aérodrome de secours utilisé par l’Avikat, l’armée de l’air katangaise, pour
mettre à l’abri les aéronefs en cas d’offensive onusienne. Oui, il existe bien
un tel terrain de dégagement, a reconnu Delin un peu maladroitement, mais
hors de question de révéler où il se trouve.
La question est légitime, et elle fera longtemps jaser. Si le fameux Fouga
Magister ne pouvait faire l’aller-retour entre Kolwezi et Ndola pour
intercepter l’Albertina, l’éventualité d’un terrain de secours rend désormais
la manœuvre possible. Il y a bien cette piste de brousse à Kipushi, bourg
frontalier à plusieurs heures de route au nord de Ndola et où s’est réfugié
Tshombé, sous la double protection des mercenaires katangais et des
troupes rhodésiennes. Mais un avion à réaction, de surcroît court sur pattes
comme le Fouga, peut-il se poser sur un terrain de fortune, mal nivelé et
défriché ?
En quelques heures, le gaffeur Delin vient de se tirer une balle dans le
pied, en parlant trop et en attisant les soupçons sur les petits secrets de
l’aviation katangaise.
Le lendemain, 28 novembre, la sanction tombe. Un courrier officiel du
président Moïse Tshombé le déclare persona non grata, lui signifiant son
limogeage immédiat. Il a vingt-quatre heures pour faire ses valises.
Joseph Delin disparaît prestement de la scène, pour ne plus reparaître au
Katanga.
Ensuite, les tuyaux d’échappement des quatre moteurs Pratt & Whitney
R-2800, des monstres pesant une tonne chacun, produisent des flammèches
bien visibles dans l’obscurité. Et l’obscurité, justement, était ici toute
relative : nuit claire dans le ciel d’Afrique, sans un nuage, à cinq minutes
d’un coucher de lune prévu à 0 h 17. Enfin, parce que la furtivité de
l’Albertina était toute relative, l’appareil ayant rompu le silence radio et
contacté la tour de contrôle de Salisbury, puis de Ndola, pour affiner par
deux fois son heure d’arrivée, et son axe d’approche depuis le nord. Il y
avait là suffisamment d’informations pour renseigner parfaitement un avion
intercepteur tapi en embuscade.
Max Frei-Sulzer conclut, suivant la méthodologie imparfaite du rapport
Clayden, que « toute action hostile depuis le sol ou venant d’un autre avion
est impossible, puisqu’il n’en existe aucune trace distincte dans l’épave ».
« Il est donc établi, hors de tout doute raisonnable, que de telles actions
doivent être éliminées » de la liste des scénarios possibles, précise-t-il.
Au bout de seize pages, le policier zurichois ne voit qu’une seule
anomalie dans le cas du SE-BDY : il « ne s’explique pas » qu’un DC-6 en
phase d’approche « tout à fait normale », ses moteurs tournant comme des
horloges et son équipage ne trahissant aucun signe d’empoisonnement, ait
3
pu plonger brusquement de 1 000 pieds . Un fait « anormal », tranche Frei-
Sulzer, pour une fois perspicace.
Les débris épars du DC-6 Albertina sont rassemblés dans un hangar de Ndola,
dans l'espoir qu'une reconstitution partielle de l'épave, pourtant détruite à 85 %,
permettra de trouver le motif du crash. © Archives ONU
Ces propos définitifs m’incitent à jeter un œil sur le profil de Max Frei-
Sulzer. L’homme est une sommité dans le domaine médico-légal, qui a
inventé l’usage de rubans adhésifs pour recueillir des traces d’ADN sur une
scène de crime et que l’on sollicite pour les affaires les plus prestigieuses.
Son quart d’heure de gloire médiatique, il va le connaître douze ans plus
tard. En 1973, Max Frei-Sulzer, désormais âgé de soixante ans, est appelé
au chevet d’une autre énigme historique. Le Vatican sollicite l’expert
zurichois pour étudier le saint suaire de Turin, ce linge qui aurait enveloppé
le visage de Jésus-Christ après sa descente de croix et conserverait le reflet
sidérant d’un homme barbu. Utilisant ses fameux rubans adhésifs, Frei-
Sulzer va examiner la relique durant deux années pleines. Il identifie des
pollens compatibles avec des plantes recensées en Palestine du temps de
Jésus-Christ et en conclut à l’authenticité du suaire. Hélas, d’autres experts
usant de la datation au carbone 14 établiront après lui, en 1988, que celui-ci
e e
remonterait au XIII ou au XIV siècle. Premier accroc.
Le nom de Frei-Sulzer est également terni par une analyse erronée, en
1982, des fameux « carnets d’Hitler », le prétendu journal intime du
e
chancelier du III Reich, divulgué par l’hebdomadaire allemand Stern
l’année suivante et qui s’avère une mystification complète. Là encore, Max
Frei-Sulzer a livré un certificat d’authenticité, après avoir corrélé lesdits
carnets avec d’autres documents eux-mêmes falsifiés… et fournis par le
même escroc antiquaire, alors qu’il eût été plus judicieux de les comparer
avec des lettres réelles signées de la main d’Hitler. Deuxième accroc,
spectaculaire, pour cette légende de la police scientifique qui s’éteint dans
la foulée à l’âge de soixante-dix ans, en 1983.
Notes
1. Fédération des deux Rhodésies et du Nyassaland, dirigée par le Premier ministre Roy Welensky.
2. Organisation de l’aviation civile internationale.
3. 300 mètres.
4. Machel était un adversaire déclaré du gouvernement d’apartheid de Pretoria, soutenant
activement le parti d’opposition ANC. Son Tupolev pourrait avoir été détourné de sa route par une
fausse balise aéronautique. Quant au Helderberg, des témoignages font état d’un chargement d’armes
dans la soute qui aurait pu provoquer l’incendie fatal. L’Afrique du Sud faisait alors l’objet d’un
embargo international sur les armes.
5. Cecil Margo s’était illustré comme chef d’escadrille durant la guerre, recevant la Victoria Cross
des mains du roi George VI, puis comme fondateur de l’armée de l’air israélienne sur invitation du
Premier ministre David Ben Gourion, qui ne tarissait pas d’éloges à l’égard du juge sud-africain,
suivant cet entracte remarqué dans sa carrière de juge.
Chapitre 11
Affaire classée
Dag Hammarskjöld doit être un fantôme bien pesant pour ceux qui ont vu
l’Albertina s’éloigner dans le nadir. Bien qu’il s’en défende, Jacques
Poujoulat trouve extrêmement pénible de recoller avec la réalité, de faire le
deuil de ces vies fauchées en plein ciel, de lire les informations sur l’épave,
d’entendre les rumeurs sur l’état des corps carbonisés, les communiqués de
presse katangais, et de voir le rictus de ces colons belges ravis du « bon
tour » joué à l’ONU.
Le diplomate suisse a néanmoins accepté de témoigner le 26 janvier
1962, à Léopoldville. Mais il ne verra pas la conclusion des investigations
onusiennes, trois mois plus tard. L’adjoint de Sture Linnér a quitté le Congo
en avril, mettant un point final à quatorze années de missions sur le terrain
pour les Nations unies, inaugurées avec la Palestine en 1948.
« Je ne pouvais pas rester à l’ONU après cela », me confie-t-il au milieu
d’un concert de cigales, dans sa villa du Lubéron. En douze mois au Congo,
Jacques Poujoulat n’a pourtant pas manqué d’adrénaline ni de travail. Mais
ce fut éprouvant, et rarement gratifiant : il ne compte plus les nuits blanches
passées à son bureau de l’hôtel Le Royal, ni les interventions au pied levé
pour sauver un gouvernement vacillant, en permanence au bord du coup
d’État, et pour rabibocher ses ministres.
C’est aux Américains, ses amis diplomates à l’ambassade de
Léopoldville, que Jacques Poujoulat doit sa reconversion : chez Caterpillar,
le géant industriel spécialisé en engins de chantier. À l’entendre rassembler
péniblement ses souvenirs d’Afrique centrale, je réalise combien l’époque
congolaise fut une des plus sombres de son existence, au point d’être
remisée dans les tréfonds de sa mémoire.
Il n’est pas le seul à faire ses bagages. Après la mort tragique de Dag
Hammarskjöld, Sture Linnér va lui aussi quitter le Congo, écœuré,
moralement touché par la disparition de son patron. À Genève, un autre
proche collaborateur de Monsieur H, Claude de Kémoularia, décide à son
tour de quitter l’organisation, qu’il avait rejointe en 1957. Il avait organisé,
en 1959, « l’année mondiale du réfugié », une des grandes priorités de Dag.
Pour ce dernier, le Français avait accepté d’aller à Genève prendre un poste
subalterne, très en deçà de ses attentes. Sans Monsieur H, l’aventure
s’arrête.
« L’ONU orpheline de Dag Hammarskjöld n’est plus la même
organisation », me confie Jacques Poujoulat. Elle est devenue l’affaire
exclusive des non-alignés, qui ne parviendront cependant jamais plus à
placer un capitaine courageux à la barre. L’organisation se recroqueville,
après avoir entendu une dernière fois la Neuvième Symphonie de Beethoven
dans cette assemblée générale que Monsieur H rêvait de voir s’élever au-
dessus des contingences diplomatiques.
Le Birman U Thant, le nouveau secrétaire général, n’est pas
Hammarskjöld. L’ancien professeur d’histoire n’a ni la vision ni la
pugnacité nécessaires pour perpétuer la diplomatie ambitieuse et musclée de
son prédécesseur. « Plus secrétaire que général », comme le veut l’antienne
populaire dans les couloirs de l’ONU, il expédie les affaires courantes.
C’est exactement ce qu’attendent les États membres permanents du
Conseil de sécurité, bien décidés à ne pas répéter la cuisante erreur
commise avec Hammarskjöld. L’épreuve de la guerre du Vietnam va bientôt
confirmer l’effacement planétaire de l’ONU, coïncidant avec le reflux
global des opérations de maintien de la paix, qui entrent en hibernation
prolongée. L’organisation a cessé de se rendre utile. Au « laissez faire
Dag ! » se substitue un triste « U Thant laisse faire ». Il n’y aura plus
e
d’immixtion décisive du 38 étage dans une crise internationale, jusqu’à la
Bosnie de 1992.
Une page se tourne sur une plaie béante, à jamais douloureuse : l’enquête
menée par le Népalais Rishikesh Shaha n’a même pas permis de répondre
de manière satisfaisante aux trois questions posées par la résolution 1628 du
26 octobre 1961.
Premièrement, personne ne sait expliquer pourquoi le SE-BDY décolla si
tard de Léopoldville Ndjili, pour plonger dans la nuit africaine. Les retards
se sont accumulés, et leur principal responsable, le marquis de Lansdowne,
botte en touche, plein de candeur. Quant à une escorte aérienne, les faits
sont sans pitié : il n’existait tout simplement pas d’avion de combat sous le
drapeau onusien au Congo. L’Éthiopie s’efforçait d’en acheminer une
poignée, quand la Suède et l’Inde tergiversaient. Leurs escadrilles de renfort
arriveront en octobre en Afrique centrale, trop tard pour sauver l’Albertina.
Deuxièmement, le DC-6 est arrivé tardivement à Ndola parce que le
secrétaire général a ordonné au pilote de contourner le Katanga pour éviter
de croiser le « rôdeur solitaire ». Sans plan de vol exact ni de contact radio
durant le vol, l’ONU a perdu la trace de son patron durant ses dernières
heures. Le traumatisme est grand. Mais la question se pose des derniers
instants de l’Albertina, lorsqu’il arrive à sa destination, Ndola. L’avion a-t-il
pris la direction d’un autre aéroport ? Est-il entré en contact avec de
mystérieux interlocuteurs ?
Troisièmement, la rupture de contact entre le DC-6 et la tour, sans aucun
« mayday », aux dires du contrôleur, demeure incompréhensible, tout autant
que le retard des secours.
Avec le recul, cette incapacité à résoudre les questions posées par le
mandat initial n’est pas surprenante : plutôt que de s’affranchir de l’enquête
rhodésienne, l’ONU a très largement puisé dans le travail des commissions
précédentes. De nombreux témoins potentiels ont été purement et
simplement oubliés, à commencer par le consul britannique au Katanga
Denzil Dunnett, qui a pourtant laissé ses empreintes un peu partout : en
cachant un Moïse Tshombé en pyjama fuyant les Casques bleus le
13 septembre à Élisabethville, puis en arrivant avec le même Tshombé le
17 septembre à Ndola, dans l’attente de Monsieur H. D’autres témoins,
noirs ceux-là, ont été infantilisés par la faute du consultant américain Hugo
Blandori.
L’affaire est donc classée. Seule concession aux insatisfaits, le 26 octobre
1962, l’assemblée générale vote la résolution 1759, invitant le secrétaire
général à rouvrir l’enquête si de « nouveaux éléments » venaient à se faire
jour.
Il ne faudra pas attendre bien longtemps. Le cas d’André Gilson est porté
à la connaissance de l’ONU à la fin de l’été 1962. Quatre témoignages
d’employés noirs katangais impliquent cet ingénieur belge de l’Union
minière, alors basé à Élisabethville, dans l’attentat contre le défunt
secrétaire général de l’ONU.
Le premier, Léon Muyumba, se souvient d’avoir entendu Gilson menacer
de « faire à U Thant » ce qu’il « a fait à Hammarskjöld ».
Le second, Joseph Ntumba, dit avoir entendu le même Gilson, deux jours
avant le crash, déclarer qu’il allait « attaquer l’avion de Hammarskjöld ».
Le troisième, Joseph Ngole, rapporte les propos de deux de ses amis qui
ont assisté à une « réception » donnée en l’honneur de Gilson le lundi
18 septembre, lendemain du crash, pour le féliciter de son exploit.
Le quatrième témoignage est une lettre anonyme reçue par l’ONU, qui
étaie les trois premiers, en ajoutant une curieuse précision : Gilson, toujours
lui, serait reparu le lundi matin, triomphant, avant que la nouvelle du crash
ait été connue dans la capitale katangaise.
Les services de renseignement de l’ONU se livrent à une petite enquête.
Celle-ci établira que Muyumba, Ntumba et Ngole ne semblaient pas se
connaître et n’avaient pas coordonné leurs initiatives. Mais pourquoi n’ont-
ils pas parlé lorsque la commission de l’ONU siégea à Léopoldville, puis à
Ndola ?
Toujours est-il que Ralph Bunche, à New York, juge le cas suffisamment
sérieux pour tirer la sonnette d’alarme. Ce « nouvel élément » va-t-il
justifier de rouvrir l’enquête ? Le conseiller juridique Constantin
Stavropoulos lui répond le 11 janvier 1963. Trouvant « étrange » que « de
telles remarques n’aient pas été rendues publiques » plus tôt, il les juge
« peu probables » mais suggère que le cas Gilson soit examiné
discrètement.
Le 29 janvier 1963, en conférence de presse, l’affable U Thant se
retrouve une fois de plus face au fantôme de « Dag ».
Un journaliste se lance :
« Un certain nombre de représentants des Nations unies continuent à
penser qu’il y a eu un complot délibéré pour tuer [Hammarskjöld], que
monsieur Tshombé ainsi que le gouvernement rhodésien ont été plus ou
moins responsables de sa mort. Voudriez-vous nous faire part de votre
opinion à ce sujet ? »
Le haut fonctionnaire birman reste délibérément vague, s’autorisant
subrepticement une entorse au discours officiel : « Si vous lisez le rapport
de la commission d’enquête, vous verrez que ses conclusions ne sont pas
précises. Il faut admettre, je pense, que ce rapport n’est pas concluant, bien
que certaines implications pointent certains individus. »
Le secrétaire général des Nations unies ne semble guère satisfait par la
clôture des débats. Mais les journalistes devront se contenter de ces propos
cryptiques. Les « individus » dont il parle seraient-ils des mercenaires en
cavale ? Ou bien pense-t-il à Gilson ?
L’affaire traîne. Le 18 avril 1963, deux inspecteurs suisses d’Interpol, les
commissaires Albert Taramarcaz, chef de la Sûreté valaisanne, et Werner
Säuberlin, de l’Identification vaudoise, s’envolent pour le Congo en mission
spéciale. Celle-ci sera pénible, et interminable. Il faut attendre le 28 août
pour qu’ils parviennent à mettre la main sur André Gilson à Élisabethville.
1
L’homme, qui émarge à la société Elakat , est furieux d’avoir été convoqué.
Gilson admet avoir lâché en public : « Ce type nous a bien eus », faisant
allusion aux deux opérations Rum Punch et Morthor, qui visaient à mettre
fin à la sécession katangaise, sous couvert d’expulser les mercenaires
blancs.
« C’est un peu ce que tout le monde disait dans la rue, à Élisabethville ! »
précise-t-il.
Pour le reste des accusations proférées contre lui, il nie en bloc. Est-il
vrai qu’il a tenu de tels propos en présence de personnel subalterne ?
Inconcevable, rétorque-t-il, avec cet argument imparable : « De toute façon,
je ne discute pas politique avec les Noirs. » Quant à ces prétendus exploits
de tueur, fadaises ! D’une, il n’est pas pilote, et de deux, il n’a trempé dans
aucun attentat.
Le rapport des deux limiers helvètes sera finalement remis à l’ONU le
18 décembre 1963, huit mois après leur départ pour le Congo. Les
commissaires Taramarcaz et Säuberlin sont formels : Gilson est innocent.
Le service juridique de l’ONU s’incline devant leur expertise. Le
6 février 1964, Constantin Stavropoulos rend son avis motivé : « Après
avoir examiné le rapport de MM. Taramarcaz et Säuberlin sur les
allégations de M. Gilson, j’estime que cela ne constitue pas un nouvel
élément au sens de la résolution 1759. Il n’est donc pas légalement
nécessaire de produire un rapport à l’attention de l’assemblée générale […].
Un tel rapport ne ferait qu’attiser l’intérêt pour de telles allégations et ne
serait pas très judicieux en l’état actuel des choses. »
La formulation est curieuse. Quel problème eût bien pu susciter un intérêt
à l’endroit du suspect ? Créer de nouvelles tensions entre l’ONU et la
Belgique, après deux années de brouille diplomatique liée au sort du
Katanga et de ses puissants intérêts miniers ?
Cette fin de non-recevoir, quoi qu’il en soit, sonne le glas des
investigations. André Gilson, lui, s’évanouit dans la nature, trop heureux de
s’en tirer à si bon compte.
À lire entre les lignes, la dernière phrase d’U Thant, durant la conférence
de presse du 29 janvier 1963, est un cri du cœur : le Birman eût aimé que
l’on retrouve les assassins de son prédécesseur. Mais c’est inconcevable,
politiquement et diplomatiquement, dans cette enceinte new-yorkaise où
s’écharpent les deux blocs, Est et Ouest, en pleine guerre froide. Les non-
alignés « afro-asiatiques » ont certes acquis le nombre, mais pas encore
l’influence. L’organisation a beau être passée de 54 à 99 États dans le
tourbillon de la décolonisation, elle demeure écrasée par le poids du Conseil
de sécurité et la menace permanente de veto des grandes puissances.
Minée par les divisions, l’ONU ne rouvrira pas la boîte de Pandore.
L’occasion était pourtant unique : la sécession katangaise vient d’être
écrasée, le 21 janvier 1963, par les Casques bleus. Tshombé et les
mercenaires sont en fuite, Élisabethville et Kolwezi reconquises. Mais le
monde tourne la page, obsédé par la crise des missiles à Cuba, qui a bien
failli déclencher la troisième guerre mondiale, avant d’être bientôt accaparé
par l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, puis par la guerre du Vietnam.
Le souvenir de Dag Hammarskjöld s’estompe, lentement.
Notes
1. Compagnie d’élevage et d’alimentation du Katanga.
2. Ses propos exacts sont : « We may never know exactly what happened to that aircraft that
night. »
3. Rolf Rembe, aujourd’hui décédé, raconte la double et frustrante entrevue avec Arundel
Campbell Martin dans son ouvrage en suédois Midnatt i Kongo (« Minuit au Congo »), rédigé à
quatre mains avec le journaliste Andres Hellberg, paru en 2011, chez Atlantis.
Chapitre 12
Premiers aveux
J’enrage. Un témoin crucial, un autre, est parti trop tôt. Comme Björn
Egge, comme Arundel Campbell Martin. Comme Sture Linnér, frappé
d’une crise cardiaque tandis qu’il commençait à rédiger ses propres
Mémoires, très attendus, mais dont il n’a pas dépassé l’introduction. C’est
une hécatombe parmi les anciens de l’ONU et du Congo post-
indépendance.
Le problème devient épineux : l’année 1961 ne me semblait pas si
éloignée avant de plonger tête baissée dans ces recherches. Youri Gagarine,
le mur de Berlin, la baie des Cochons ne relevaient pas d’un passé lointain
et inaccessible. Las, les protagonistes encore vivants se font rares. Comme
dans une affaire classée, seules subsistent les archives, oubliées de tous,
dans des caves poussiéreuses ou des bibliothèques ministérielles, sans
promesse de trouver l’arme du crime.
Ce travail d’exhumation laborieux, souvent ingrat, requiert des trésors de
patience pour éplucher d’épais rapports à l’encre délavée, compulser de
vieilles cartes d’état-major, scruter les photos du crash, des débris et du
positionnement des corps, ouvrir des cartons bizarrement vides, courir après
des clichés glaçants et légitimement censurés, des examens post mortem
inaccessibles, affronter les réticences des ayants droit.
Je me rends compte pour la première fois que le voyage sera long. À ce
moment précis, où l’abattement me guette, l’espoir renaît pourtant. Tout
n’est peut-être pas perdu. Malgré sa prudence initiale, Elizabeth de
Kémoularia, qui partage sa vie entre les États-Unis et l’Europe, ne referme
pas complètement la porte. Accepterais-je de venir compulser les archives
conservées par son père ? Attention, la cave est exiguë et poussiéreuse.
Mais Claude de Kémoularia, en diplomate et banquier d’affaires avisé, ne
jetait rien, cédant à la manie du classement méticuleux. Il faut creuser cette
piste encore chaude, malgré sa disparition toute récente. Je m’imagine ses
notes fébriles de 1967, tandis que Beuckels déroulait son histoire, le croquis
réalisé de l’interception dramatique. Il s’agit également de comprendre ce
que « Kémou » a pu faire de ces confessions. À qui confier un tel brûlot ?
Notes
1. Rolf Rembe, aujourd’hui décédé, raconte la double et frustrante entrevue avec Arundel
Campbell Martin dans son ouvrage en suédois Midnatt i Kongo (« Minuit au Congo »), rédigé à
quatre mains avec le journaliste Andres Hellberg, paru en 2011, chez Atlantis.
2. Il sera directeur de la Compagnie des forges de Châtillon-Commentry, dans le nord de la France,
avant d’être nommé, en 1966, directeur de cabinet du prince de Monaco Rainier III. Il poursuivra une
longue carrière dans la finance, chez Paribas, à compter de 1967. En 1983, le président François
Mitterrand le nomme ambassadeur aux Pays-Bas, puis en 1985 aux Nations unies, à New York.
3. Trois Fouga Magister avaient été livrés par la firme Potez, à Toulouse-Blagnac, le 15 février
1961, en violation d’un embargo sur les armes à destination du Congo.
4. En allemand : « Warum denn einfach wenn es auch kompliziert geht ? »
5. Le choix de Georges Chaffard par les affreux de Neuilly semble judicieux. Cet ancien soldat
d’Indochine et journaliste d’investigation passé par le quotidien Le Monde vient de publier, en 1965,
Les Carnets secrets de la décolonisation, chez Calmann-Lévy.
6. Au XVIIe siècle.
7. Intitulé « Hammarskjöld plane crash no accident » (« Le crash de l’avion de Hammarskjöld
n’était pas un accident »).
8. Pirates du ciel, par Jean-Michel Charlier, Marcel Uderzo et Jean Giraud, dont les premières
feuilles paraissent en 1965 dans la revue Pilote. L’album, lui, sortira en 1967.
9. Une alliance de trois personnalités, l’une représentant le bloc de l’Est, la deuxième celui de
l’Ouest, et la dernière choisie par les pays neutres, qui s’uniraient pour diriger l’organisation sur un
pied d’égalité.
Chapitre 13
L’omerta
Stockholm reste mutique. J’en trouve la preuve dans les efforts déployés
par Claude de Kémoularia. Depuis la réfutation de ses histoires de
mercenaires par Brian Urquhart, puis l’épisode sans lendemain avec le
préfet de police de Paris Maurice Grimaud, l’ex-collaborateur français de
Monsieur H s’est résolu à activer ses contacts dans la diplomatie suédoise.
Il dispose de deux relais précieux : Leif Belfrage et Axel Edelstam. Le
premier est ambassadeur à Londres depuis 1967, après avoir servi comme
directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères Östen Undén. Le
second fut premier secrétaire au ministère des Affaires étrangères de 1961 à
1967. Il en est devenu le directeur politique en 1972. Avec ces deux poids
lourds de la diplomatie suédoise, Kémoularia ne peut espérer mieux pour
faire bouger les choses.
Elizabeth, parcourant les archives de son père en Floride, m’informe de
ses trouvailles. Elle égrène les occurrences à mesure qu’elle ouvre de
nouveaux carnets Hermès. Les mentions de déjeuners et dîners s’enchaînent
entre le 23 janvier 1971 et le 29 septembre 1975, entre Londres, Paris et
Sarlat, en Dordogne. Une fois, les trois hommes se retrouvent à Paris, le
15 novembre 1974, à 20 h 30. Au-delà des amabilités, il s’agit bien sûr pour
Kémoularia de rappeler ses découvertes sur « Dag ». Ces huit réunions, au
total, l’ex-consul suédois au Congo Bengt Rösiö en prend connaissance
lorsqu’il rouvre l’enquête en 1993, sur ordre de Stockholm. Axel Edelstam
nie catégoriquement avoir jamais rencontré Kémoularia. « Il ne voulait pas
me dire ce qu’il faisait à Paris », en 1974, lâche Rösiö, ajoutant qu’il était
« bien regrettable » que les informations transmises par Kémoularia n’aient
pas été communiquées vingt ans plus tôt.
Greta, la femme de Leif Belfrage, se rappelle que son mari a abordé
directement le sujet avec le Premier ministre suédois Olof Palme. « Elle eut
alors l’impression que le rideau avait été tiré », précise Bengt Rösiö.
L’Australien George Ivan Smith a lui aussi tout tenté, allant jusqu’à écrire à
Olof Palme, le 2 juin 1976, dans l’espoir de le rencontrer. Je retrouve sa
correspondance avec l’ex-secrétaire particulier de Palme, Pierre Schori. La
requête n’a rien donné.
Cette chape de plomb ne lasse pas de m’étonner. L’image de Dag
Hammarskjöld confine pourtant au sacré, parmi les diplomates suédois.
Sven Göran Hallonquist, dans son salon de Södermalm, lève les yeux au
ciel.
« Le gouvernement a étouffé l’enquête, depuis le début. Ils n’ont jamais
rien fait pour nous. »
Après la brève investigation suédoise de 1993, l’horizon semble plus
bouché que jamais pour le fils de Per Hallonquist et les familles des
victimes désireuses de connaître le fin mot de l’affaire. Stockholm a botté
en touche, une fois de plus.
Mais l’histoire va connaître un rebond surprenant, à l’autre bout du
monde.
Note
1. Alport est décédé cinq ans plus tard, le 28 octobre 1998, à quatre-vingt-six ans.
Chapitre 14
Complot austral
Lors d’une réunion entre le MI 5, le Special Ops Executive, et le SAIMR, ont émergé les
faits suivants :
Dag a requis que des bombes perforantes soient envoyées au Katanga, via l’Afrique du Sud
3 4
et la Rhodésie. Le docteur V. et sir Roy ont tous les deux refusé. [Dag] devient gênant et il
est estimé qu’il devrait être supprimé.
Allen Dulles [le patron de la CIA] est d’accord et a promis l’entière participation de ses gens.
Il nous dit que Dag sera à Léopoldville le 12-9-61 ou dans ces eaux-là.
L’avion le convoyant sera un DC-6 portant la livrée de Transair, une compagnie suédoise.
S’il vous plaît, faites en sorte que l’aéroport de Léo ainsi qu’Élisabethville soient bien
couverts par nos hommes, afin que son élimination soit gérée de manière plus efficiente que
fut celle de Patrice [Lumumba].
Si le temps le permet, envoyez-moi un bref plan d’action, autrement, procédez avec diligence
dans la plus absolue discrétion.
Si [le général irlandais Sean] MacEoin et [le diplomate Conor Cruise] O’Brien peuvent être
traités simultanément, cela serait utile, mais pas si cela pouvait compromettre l’opération
principale.
Si, et seulement si, des complications venaient à se produire, dites à vos agents de composer
le numéro Johannesburg 25-3513.
L’OPÉRATION EST BAPTISÉE CELESTE.
OPÉRATION CELESTE 1) Le DC-6 portant une livrée Transair est parqué à Léo et destiné à
transporter le sujet. 2) Notre mécanicien a pour ordre d’implanter 6 livres de TNT dans le
compartiment de roues avec un détonateur contact qui sera activé lorsque les roues se
relèveront après le décollage. 3) Nous attendons l’heure de départ du sujet pour agir. 4) Nous
allons nous concentrer sur D.
Suit la mention d’un autre référent, signe qu’Allen Dulles a tenu parole :
C’est presque trop beau pour être vrai. Tout est là : le commanditaire, les
exécutants, et même le modus operandi de ce véritable complot.
À y regarder de près, ces documents posent problème, à plusieurs points
de vue. Certes, l’évocation de « Patrice » paraît compatible, avec le recul :
la CIA a reconnu avoir ordonné l’assassinat de l’ex-Premier ministre
congolais Patrice Lumumba, au Katanga, le 17 janvier 1961, avec le feu
vert du président sortant américain Dwight Eisenhower.
Il se méfie du nouveau président démocrate américain John Fitzgerald Kennedy,
jugé trop timoré face à Moscou, et dénonce la « menace rouge » aux quatre coins
de la planète : le directeur de la CIA Allen Dulles sera finalement limogé en
novembre 1961. Son nom apparaît des décennies plus tard dans un complot
international contre Dag Hammarskjöld au Congo. © World History
Archive/Alamy Stock Photo
Notes
1. En anglais : National Intelligence Agency, remplacée depuis 2009 par la State Security Agency
(SSA), l’Agence de la sécurité d’État.
2. En anglais : Your eyes only, qui signifie que le destinataire doit procéder à la destruction du
document aussitôt après lecture.
3. Sans doute le Premier ministre sud-africain Hendrik Verwoerd.
4. Le Premier ministre nord-rhodésien Roy Welensky.
5. Le SOE était chargé des opérations clandestines en relation avec les mouvements de résistance
intérieure dans l’Europe occupée par les nazis.
6. Le même Grant que celui qui frappera à la porte de Claude de Kémoularia en 1967 ? Possible.
Voir p. 202.
7. Voir p. 127.
Chapitre 15
Le « rôdeur solitaire »
Notes
1. Pierre Coppens est rattaché à la section aéroportée de la première colonne mobile de la Croix-
Rouge de Belgique.
2. Volets de freins sur les ailes.
3. Automatic direction finding : aide électronique à la navigation permettant de s’aligner sur une
balise d’aéroport, pour rentrer sans coup férir au bercail.
4. Carnet de vol, en anglais.
5. VSTOL se traduit en français par ADAC : avion à décollage et atterrissage courts.
Chapitre 16
Réveillez le président !
Si l’enquête relancée en 1993 par la Suède n’a rien donné, elle fait
néanmoins sortir du bois celui que personne n’attendait : un ancien analyste
de la National Security Agency (NSA), les services de renseignements
technologiques américains. Le genre d’homme dont on n’entend jamais
parler, sauf lorsqu’ils se muent en justiciers solitaires contre la raison
d’État. L’opinion les appelle « lanceurs d’alerte ». L’histoire contemporaine
des États-Unis en est émaillée, avec Daniel Ellsberg, Bradley Manning et
Edward Snowden.
L’individu qui nous concerne se nomme Charles Southall. Il n’a rien d’un
militant pacifiste ou d’un analyste rongé par le remords. Officier dans l’US
Navy, il a poursuivi sa carrière avec la NSA, puis dans le renseignement
commercial.
Et pourtant, son nom ressort durant les investigations au ministère des
Affaires étrangères à Stockholm. Le 18 juillet 1967, le chargé d’affaires
suédois dans la capitale du Maroc, Rabat, un nommé Bertil Ståhl, a rédigé
un rapport ainsi libellé :
« Un de mes amis à l’ambassade américaine, où il est attaché de l’air
adjoint, m’a dit l’autre soir qu’il avait été autorisé à écouter un message
radio que les Américains avaient recueilli quelques minutes après le crash
de l’avion de Dag Hammarskjöld à Ndola en 1961, et qui était
l’enregistrement d’un mercenaire belge à Ndola faisant usage d’un canon
antiaérien ou d’une mitrailleuse. D’après l’enregistrement, le mercenaire
avait observé l’avion de Hammarskjöld, non annoncé, se présenter au-
dessus de l’aéroport. Dans la mesure où il avait conclu que ce n’était pas un
de ses avions, et ne sachant pas par ailleurs de quel avion il s’agissait, il
avait tiré dessus et crié d’excitation dans le microphone lorsque l’avion
s’était écrasé. Cette version, que mon ami juge absolument authentique,
avait été immédiatement étouffée, car elle ne pouvait aider à un règlement
de la guerre en cours au Katanga, et des crises au Congo plus
généralement. »
Identifié comme l’auteur de ces confessions, Charles Southall est
contacté le 21 mars 1993 par la direction des affaires nordiques du
département d’État américain, sollicité à son sujet par Stockholm. Cela fait
plus de trente ans que le commandant Southall porte comme un fardeau le
souvenir de cette nuit particulière, et qu’il s’interroge sur le désintérêt
affiché par ses supérieurs. Un désintérêt qui se poursuit, d’ailleurs : se
disant prêt à mettre entre parenthèses ses occupations professionnelles pour
aider au mieux les Suédois, le vieil espion s’étonne que Washington coupe
alors le contact avec lui. Il finira par apprendre que les Suédois ont reçu une
fin de non-recevoir : d’après Washington, il n’aurait pas été possible de
retrouver le dénommé Southall ! Quelqu’un, à Washington, semble juger
inopportun de rouvrir un dossier toxique.
Mais Bengt Rösiö, l’enquêteur diplomate mandaté par Stockholm, a de la
suite dans les idées : bien qu’il continue de croire à la thèse de l’accident, il
a remarqué « la réticence marquée des autorités américaines et
britanniques » à exhumer le dossier Ndola. Et il retrouve Southall en
mars 1994 à Casablanca, au Maroc.
Ce que l’officier américain lui raconte alors ne suffira pas à convaincre le
diplomate suédois. L’histoire de Charles Southall, pourtant, est édifiante.
En 1961, cet officier de marine de vingt-sept ans est en poste dans une
station d’écoute en Méditerranée, à Nicosie, sur l’île de Chypre. À quatre
mille six cents kilomètres de Ndola, sur la même longitude, donc dans le
même créneau horaire. De retour à son domicile, le soir du 17 septembre,
Southall est appelé par l’officier de garde, qui lui communique un étonnant
message :
« Hey, rapplique ici un peu avant minuit ! Quelque chose d’intéressant va
se passer. »
Southall se présente à l’heure convenue, découvrant cinq collègues
attroupés autour d’un haut-parleur. Il écoute en leur compagnie un
enregistrement, qui semble avoir été réalisé tout juste sept minutes
auparavant. La voix qu’il entend est celle d’un pilote en mission de nuit, qui
commente ses évolutions de la manière suivante :
« Je vois un avion de transport qui arrive bas. Ses lumières sont allumées.
Je descends pour faire une passe sur lui. Oui, c’est le DC-6 de Transair.
C’est l’avion. »
La voix est « calme et professionnelle », précise Southall, qui dit
entendre alors le bruit de mitrailleuses. Puis à nouveau la voix du pilote :
« Je l’ai touché ! Il est en flammes ! Il est en perdition. Il s’est écrasé ! »
Une certaine excitation pointe dans la voix, selon Southall. L’homme
s’exprime en français, mais sans certitude absolue de la part du vieux
témoin américain. Bilingue anglais-français, Southall ne saurait être
catégorique pour un événement si lointain. L’excitation de l’agresseur, en
tout cas, est partagée par ses collègues à Chypre.
« C’est le Lone Ranger ! s’écrie l’un d’entre eux. Il attendait l’avion de
Hammarskjöld. »
« C’est l’histoire en marche », relève un autre.
« Ils l'ont tué ! » : le sang de Harry Truman, ancien président des États-Unis (à
gauche), ne fait qu'un tour lorsqu'il apprend la mort de Dag Hammarskjöld (à
droite), vingt-quatre heures après le crash de Ndola. Il n'en dira jamais plus rien.
© Photoshot
Le jeune Paul Henry Abram, engagé dans l'US Air Force et recruté par la NSA
dans une station d'écoute en Crète en 1961, a entendu en direct la destruction
d'un avion de l'ONU et les commentaires excités de troupes au sol non
identifiées. © Paul Henry Abram
Notes
1. D’après le son émis par les appareils de Morse, en anglais : ditty-bop.
2. EINT : electronics intelligence. Renseignements de nature électronique.
3. Government Communications Headquarters.
4. Mayday. Air Crash Investigation. Deadly Mission, 14e saison, 9e épisode, National Geographic,
première diffusion le 29 février 2016.
5. DD-214, dans la nomenclature militaire américaine.
6. Aujourd’hui Bishoftu.
Chapitre 17
Les mousquetaires
Susan, Hans Kristian, David, Henning et sir Stephen ont plusieurs années
d’avance sur moi. La masse critique d’éléments nouveaux compilés au
tournant de l’hiver 2011-2012 a provoqué une embardée dans l’enquête, au
point mort depuis un demi-siècle. Depuis, grâce à eux, l’histoire s’accélère.
Suivant l’engouement provoqué par le livre brûlot de Susan Williams,
une commission indépendante est portée sur les fonts baptismaux. La
nouvelle entité est composée de plusieurs éminents juristes internationaux,
qui s’y consacrent sans indemnité financière, à l’instar de l’Anglais Stephen
Sedley, du Suédois Hans Corell, ancien secrétaire général adjoint des
Nations unies, du Sud-Africain Richard Goldstone, ex-procureur des
tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, ainsi
que de la Néerlandaise Wilhelmina Thomassen, ex-juge à la Cour suprême
des Pays-Bas et à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.
Tous ne croient pas forcément à un attentat, mais tous ont accepté de
relever le défi. Ils sont confortés dans leurs recherches par la générosité du
romancier Henning Mankell, le célèbre auteur suédois de la série policière
Wallander : celui-ci, que le sujet passionne, a offert 100 000 euros, à
3
condition que son nom ne soit pas dévoilé . Cette manne permet de
rémunérer des travaux d’experts et d’aller questionner des témoins noirs
survivants en Zambie.
La commission Hammarskjöld présente son rapport le 9 septembre 2013,
au Palais de la Paix, à La Haye. Elle estime que le faisceau de preuves
inédites justifie « indubitablement » de rouvrir l’enquête, étant donné que
« le demi-siècle écoulé, loin d’avoir obscurci les faits, pourrait bien nous
avoir rapprochés de la vérité à propos d’un événement d’importance
mondiale, qui mérite tout à la fois l’attention de l’histoire et de la justice.
[…] Il existe des présomptions convaincantes, écrivent les quatre juristes,
que l’appareil [de Monsieur H] a été soumis à une forme d’attaque ou de
menace tandis qu’il virait pour atterrir à Ndola. »
Elle appelle de ses vœux une déclassification des documents en
possession de la NSA américaine et du GCHQ britannique relatifs à la
tragédie de Ndola. S’appuyant sur des requêtes au nom du Freedom of
Information Act (FOIA), elle donne lieu à une première et timide ouverture
des archives diplomatiques aux États-Unis, tandis que l’ONU poursuit
laborieusement la sienne, au compte-gouttes.
Informé des conclusions de Sedley, Corell, Goldstone et Thomassen, le
secrétaire général de l’ONU, le Sud-Coréen Ban Ki-moon, prend l’affaire à
bras-le-corps. Il prie les États membres de l’organisation de déclassifier tout
document pertinent qui puisse être en leur possession, s’adressant en
particulier aux États-Unis, au Royaume-Uni, à la Belgique, à la France, à
4
l’Afrique du Sud et à l’ONU elle-même .
2014 est une année charnière : la Suède, si frileuse depuis 1961, change
radicalement de posture. Après la constitution d’un nouveau gouvernement
social-démocrate et écologiste, Stockholm se montre enfin à la hauteur de
l’enjeu. Le 15 décembre 2014, une résolution est présentée à l’assemblée
générale de l’ONU, parrainée par cinquante-cinq États membres et adoptée
5
consensuellement par les 193 pays présents, le 29 du même mois. Les
États-Unis et la Grande-Bretagne s’abstiennent. La résolution 69/246
appelant à une « enquête exhaustive sur les conditions et les circonstances
relatives à la mort tragique de Dag Hammarskjöld et des membres du
groupe l’accompagnant » entraîne la création, le 16 mars 2015, d’un « panel
indépendant d’experts ». Ban Ki-moon charge l’ancien juge de la Cour
suprême tanzanienne Mohamed Chande Othman d’en diriger les travaux.
Celui-ci entend à son tour évaluer toutes les nouvelles informations glanées
depuis 1962 et réviser les documents originaux relatifs au crash. À nouveau,
les États membres de l’ONU sont priés de mettre à disposition du panel
toutes les informations concernant la tragédie, de près ou de loin.
Le 12 juin 2015, le panel soumet à Ban Ki-moon ses conclusions,
rendues publiques le 20 juillet suivant. Évoquant « de nouvelles
informations importantes » qui viennent étayer la théorie selon laquelle le
DC-6 aurait été abattu par « une attaque aérienne ou d’autres actions », le
rapport demande l’aide de la communauté internationale. Au passage,
Mohamed Chande Othman regrette d’« avoir été incapable de persuader les
États-Unis ou la Grande-Bretagne de mettre à la disposition leurs fichiers
classés confidentiels ».
Le panel Othman innove dans la méthodologie : il assigne une « valeur
probante » à tous les nouveaux éléments compilés depuis 1962, souvent
« faible » ou « nulle ». Les points suivants, en revanche, héritent d’une
valeur « modérée » suffisante pour creuser plus avant :
1. Neuf nouveaux témoins ont observé plus d’un avion dans les airs, des
flammes cernant le DC-6 SE-BDY avant sa chute ou des tirs dirigés contre
lui par un autre appareil.
2. Deux personnes certifient avoir entendu des interceptions radio ou en
avoir lu un compte rendu concernant une possible attaque depuis les airs ou
le sol contre le SE-BDY : Charles Southall et Paul Henry Abram.
3. Des informations supplémentaires sont apparues qui précisent les
capacités aériennes de l’armée de l’air katangaise et l’identité jusque-là
incertaine de ses pilotes mercenaires.
4. La possibilité que l’une des deux cryptomachines CX-52 sous la
responsabilité de la secrétaire Alice Lalande, à bord de l’Albertina, ait pu
émettre des données interceptées par des services d’écoute.
5. Des informations supplémentaires remettent en question la version
officielle de l’heure de la découverte du lieu du crash, ainsi que le
comportement des dignitaires britanniques au sol et des autorités locales.
À cet instant, tous les regards sont tournés vers Londres et, surtout,
Washington. L’opération Céleste et l’implication supposée du directeur de
la CIA, Allen Dulles, les révélations de Charles Southall, la déclassification
des télégrammes de l’ambassadeur Gullion, le souvenir des phrases
énigmatiques de Harry Truman et Pierre Salinger, les allégations de Paul
Henry Abram au sujet de la présence de troupes américaines au sol ainsi
que la pusillanimité de ses supérieurs en Crète, constituent un faisceau de
présomptions suffisant pour soupçonner des complicités américaines,
actives ou passives, dans un complot contre Hammarskjöld.
« Nous devons savoir, écrit Susan Williams, si le département d’État
américain détient des renseignements bruts qui auraient permis à
l’ambassadeur Gullion de penser que l’avion a été abattu et si d’autres
renseignements existent, notamment sous la forme d’écoutes sur
interception, qui seraient détenus par la NSA. »
« L’assemblée générale de l’ONU, ajoute-t-elle, doit demander aux
services américains, dont la NSA, de fournir toutes les preuves dont ils
disposent. »
Tous les espoirs sont permis, quatre ans après la sortie du livre de
l’universitaire britannique, grâce à l’activisme des diplomates suédois. À
présent qu’un pugnace juge tanzanien a repris le flambeau seul, ou presque,
va-t-on enfin savoir ? La chape de plomb va-t-elle être soulevée, au nom
d’une volonté commune de transparence ?
Cet optimisme était prématuré. L’action du panel indépendant de 2015 ne
provoque pas de percée notable. Elle ne recueille qu’un désintérêt marqué
parmi les représentations permanentes des grandes puissances à New York.
Le sujet sent le soufre. Pourquoi exhumer d’encombrants cadavres, à
l’heure où les chancelleries mobilisent tous leurs efforts pour mettre fin aux
hostilités en Syrie, vaincre le groupe djihadiste État islamique et son califat
en Syrie-Irak ? « L’embarras demeure un puissant levier en politique », me
confie le juge sud-africain Richard Goldstone dans un courriel reçu en
septembre 2016, tout en m’assurant de sa « forte » certitude « que la mort
de Hammarskjöld n’était pas un accident ».
En novembre 2017, un des fondateurs de la Commission Hammarskjöld,
lord David Lea of Crondall, syndicaliste et parlementaire du Labour, prend
la plume. Il a décidé de s’adresser au ministre anglais des Affaires
étrangères Boris Johnson, ainsi qu’à son homologue américain Rex
Tillerson. « Cela fait bien longtemps, écrit-il dans sa missive officielle, plus
de cinquante ans après cet événement tragique, que les États-Unis et le
Royaume-Uni auraient dû mener un examen poussé des archives en leur
possession, en particulier ceux qui sont toujours classifiés, et les mettre à la
disposition des Nations unies […]. Il est impensable qu’il n’existe aucun
compte rendu [des communications interceptées] dans les archives
américaines et peut-être aussi dans les archives britanniques. »
Lord David Lea n’obtiendra aucune réponse.
D’autres initiatives de ce genre restent sans effet. Il suffirait qu’une
célébrité, un acteur ou un homme politique se saisissent du dossier pour en
rehausser la visibilité. Joint par Mohamed Chande Othman, l’ancien
secrétaire général des Nations unies, le Ghanéen Kofi Annan, qui coule une
paisible retraite, accepte en 2018 une mission de bons offices : « toucher un
mot » à l’ancien président américain Barack Obama au sujet de « Dag ».
Les deux hommes doivent se retrouver à Johannesburg dans le cadre de la
réunion des « Sages pour la paix » initiée par le défunt président sud-
africain Nelson Mandela. Hélas, Kofi Annan prend froid dans l’avion qui
l’emmène en Afrique australe. Il décédera de complications pulmonaires à
Berne, en Suisse, le 18 août 2018, à l’âge de quatre-vingts ans. Personne ne
sait s’il a pu s’entretenir avec Barack Obama. À en juger par le silence de
celui-ci, la réponse est certainement négative.
Alan Cowell, dans le New York Times en 2017, pointe les vains efforts de
Ban Ki-moon. « Tant que les gouvernements n’auront pas déclassifié leurs
secrets, conclut le journaliste établi à Londres, leur réticence pourra être
interprétée moins comme un empilement de théories du complot que
comme une conjuration du silence. »
Notes
1. Fusiliers marins de Sa Majesté.
2. Le Monday Club fut ainsi nommé en référence aux traditionnels repas de midi de ses membres,
chaque lundi, depuis sa fondation, le 1er janvier 1961.
3. Henning Mankell est décédé en 2015.
4. C’est ainsi qu’apparaissent aux États-Unis les télégrammes du 18 septembre 1961 de
l’ambassadeur Edmund Gullion se rapportant au pilote Jan Van Risseghem.
5. Un vote par consensus permet d’éviter un vote formel, les États les plus réticents s’abstenant
juste de lever le bras pour exprimer leur hostilité et s’évitant ainsi une stigmatisation embarrassante
devant les caméras.
Chapitre 18
L’engrenage infernal
1
J’avais déjà tenté d’accéder à ce service baptisé UNARMS , pour me
2
heurter à des délais d’attente exagérés . Selon ma source, un responsable
des archives aurait déclaré en 2017 qu’il était « hors de question de laisser
des journalistes ou des chercheurs rôder » pour dénicher des informations
compromettantes.
Que peuvent donc receler ces archives qui incitent l’ONU à de telles
manœuvres dilatoires ?
Pour en avoir le cœur net, je me rends au siège d’UNARMS : un discret
e
petit local de la 45 Rue sans enseigne, accessible par une porte dans un
renfoncement, agrémentée seulement d’une sonnette vierge. Compulsant
l’arborescence des archives en ligne, je découvre qu’un certain nombre
d’entre elles sont agrémentées de la mention « SC » : « strictement
confidentiel ».
Une déclassification s’opère bel et bien depuis 2012, mais au compte-
gouttes. La procédure, longue et frustrante, est difficilement justifiable.
Confiée aux censeurs du Département des opérations de maintien de la paix
(DOMP), elle demeure très subjective : des centaines, des milliers de câbles
et télégrammes du Congo sont soustraits au regard bien qu’ils ne
mentionnent pas explicitement la tragédie de Ndola. Ils offrent pourtant un
éclairage précieux sur le contexte historique de la mission de la dernière
chance lancée par Monsieur H, mais d’autres critères justifient leur non-
divulgation : de vieux accrochages entre contingents de Casques bleus, ou
entre dirigeants de la mission ONUC, pourraient aujourd’hui encore
provoquer un incident diplomatique. D’où la nécessité de refouler les
« rôdeurs ». À ma grande frustration, une archiviste escamotera plusieurs
fois sous mes yeux des dossiers pour lesquels je ne dispose pas de
l’habilitation requise.
Malgré ces restrictions, les archives du Katanga disponibles à l’ONU
s’offrent à moi comme d’embarrassants instantanés du piège dans lequel
s’enferra Dag Hammarskjöld. Cette immersion en eaux bureaucratiques
permet de deviner l’engrenage infernal de la crise katangaise,
l’accumulation de haines poussées à leur paroxysme, tant du côté de l’ONU
que du régime Tshombé, avant le déclenchement de la sanglante opération
Morthor, qui visait à interpeller tous les mercenaires occidentaux.
Depuis sa tour de verre new-yorkaise, Dag Hammarskjöld avait sous-
estimé la vigueur du sentiment anti-ONU, tout comme il tarde à prendre la
mesure de son « erreur de casting » : le choix du diplomate irlandais Conor
Cruise O’Brien, recruté le 16 mai 1961 comme représentant à
Élisabethville, au Katanga, qui va jouer un rôle déterminant dans un
enchaînement de catastrophes aboutissant au crash de Ndola.
Inexpérimenté et colérique, l’homme de Dublin a été repéré pour ses
seuls talents littéraires ou presque, une qualité prisée par Dag
Hammarskjöld, qui affectionne les écrivains diplomates, à l’instar du
Français Saint-John Perse. O’Brien arrive donc au Katanga bien décidé à
faire appliquer la résolution 121 du Conseil de sécurité du 23 février 1961,
qui ordonne l’expulsion de tous les personnels militaires étrangers, ONU
exceptée, de la province sécessionniste.
De caractère entier, égotique, le favori de Hammarskjöld ne tarde pas à
fédérer la haine des Katangais. Sa personnalité abrasive, combinée à une
insuffisante compréhension de ses prérogatives, précipite l’affrontement
avec les durs du régime séparatiste. Excédé par leur jusqu’au-boutisme,
O’Brien parvient à la conclusion que la sécession du Katanga doit être
écrasée, à n’importe quel prix.
Conor Cruise O'Brien, diplomate et écrivain irlandais, était un bien mauvais
choix pour le poste de représentant de l'ONU en 1961 au Katanga. Entier et
mégalomane, incapable d'amadouer les dirigeants séparatistes, il devient leur
bête noire en proclamant hâtivement la fin de la sécession et en promouvant
l'emploi de la force. © Archives ONU
Notes
1. United Nations Archives and Records Management Services.
2. « Nous nous engageons à traiter toute requête de consultation sous un délai de un à deux ans »,
me promettait une interlocutrice, pleine d’optimisme, lors de mes premières démarches.
3. Michel Tombelaine était un ancien journaliste du quotidien Le Monde, de 1948 à 1953. Devenu
artiste à New York, il est décédé en 2017 à l’âge de quatre-vingt-trois ans, avant que je puisse le
rencontrer.
4. Âgé de trente-six ans, ou de quarante, selon les sources, André Cremer meurt abattu par un
Casque bleu éthiopien lors d’une tentative d’évasion nocturne du camp Martini, à Léopoldville, le
28 octobre 1961. Ses deux acolytes français et anglais se rendront sans opposer de résistance.
5. Voir p. 263.
Chapitre 19
Les affreux
Mais les fausses barbes ne suffisent pas : repérés par l’ONU, qui redoute
leur pouvoir subversif, ils écopent d’un ordre d’expulsion signifié le 20 juin
suivant au consul français à Élisabethville, Joseph Lambroschini, dans un
câble dont je retrouve la trace à New York.
Récemment débarqué dans la capitale katangaise, Joseph Lambroschini
est un ancien du Bureau central de renseignement et d’action (BCRA), les
services secrets de la France libre à Londres. L’ex-commandant « Nizier »,
son pseudo au sein des maquis FFI de Haute-Savoie danse sur un fil : d’un
côté, il fait remarquer que cette poignée de soldats de métier, tous
officiellement démissionnaires de l’armée française, se trouvent au Katanga
en tant que simples citoyens et qu’il n’est pas habilité à leur donner des
6
ordres ni à confisquer leurs passeports ; de l’autre, il plaide auprès de
Conor Cruise O’Brien en faveur du maintien dans les forces katangaises de
ces officiers français, « dont le commandant La Bourdonnaye », comme le
révèle un télégramme diplomatique belge daté du 21 juin 1961. Tout au
long de l’été, les arrêtés d’expulsion se multiplient à leur encontre, souvent
7
stériles, parfois cocasses .
Les trois Français du consulat, ceux qui ont agressé l’officier norvégien
Björn Egge le 14 juillet 1961, vont regretter de s’être fait remarquer. Deux
sont expulsés, sur des vols de la compagnie française UAT, qui assure la
ligne Paris-Johannesburg, via Brazzaville et Élisabethville. Le premier,
celui qu’Egge nommait « Toupet-Thomé », se nomme en réalité Edgard
Tupët-Thomé. Il quitte le Katanga le 25 juillet 1961. Le second, Léon Egé,
l’imite le 5 août. Peut-être sont-ils revenus par la petite porte, mais leur
trace se perd ici. La Bourdonnaye, classé le plus dangereux de tous, est
quant à lui annoncé sur les vols UAT du 31 juillet, puis du 1er août, mais il
fausse compagnie à ses poursuivants et prend le maquis.
Lorsque les combats se déclenchent dans Élisabethville, le 13 septembre
1961, le plan guérilla dévoilé par Thérèse Erfield se matérialise : Roger
Faulques à la manœuvre lance de petits groupes de voltigeurs contre les
colonnes blindées de Casques bleus irlandais, indiens et suédois progressant
vers leurs objectifs en centre-ville. Ils sont les seuls réellement préparés à la
guerre côté katangais, ayant disposé en des points névralgiques des réserves
d’armes et de munitions, et vont assumer les rênes d’une insurrection
organisée.
Peu de photos existent de ces échauffourées, qui coûtent la vie à plusieurs
dizaines de soldats katangais, achevés sur la place publique par des
combattants indiens insensibles aux lois de la guerre, à quelques civils et
Casques bleus. Le même photographe qui avait « immortalisé » Joseph
Delin dans le cockpit du Fouga Magister, Philippe Le Tellier, saisit
néanmoins sur le vif Roger Faulques, cigarette aux lèvres, en bras de
chemise, grenade au phosphore dans la paume, émergeant tel un diable
d’une haie pour lancer son projectile sur des Casques bleus. Jusqu’au
vendredi 15 septembre, Faulques est omniprésent, hurlant ses ordres à la
radio, répartissant ses groupes mobiles pour harceler ceux que Trinquier
appelait les « branquignols d’Hammarskjöld », cet homme « qui se
considère le chef tout-puissant d’un super-État ».
Ceux que Monsieur H qualifiait de « résidu d’aventuriers laissés pour
compte de l’Algérie », dans sa dernière interview au quotidien anglais The
Observer, peuvent savourer leur succès inattendu. Il était « soucieux de
nous mettre hors de combat avant le 19 septembre 1961, date à laquelle
s’ouvre à New York la nouvelle session de l’assemblée générale des
Nations unies », écrit dans ses Mémoires Bob Denard, qui a été arrêté le
28 août, expulsé le 10 septembre vers Bruxelles-Zaventem et de retour à
Ndola, via Brazzaville et Salisbury, le 15.
Le succès de l’insurrection semble même dépasser toutes les attentes des
frères d’armes de Bob Denard, parmi les 105 ayant échappé à la capture.
Sur le site de l’INA (Institut national de l’audiovisuel), je visionne un
épisode de l’émission Seize millions de jeunes, d’Alain de Sédouy et André
Harris, diffusée sur l’ORTF (Office de radiodiffusion télévision française)
le 9 juin 1966 et intitulé « Les aventuriers ». Interviewé chez lui, un officier
français en bras de chemise raconte ses exploits katangais. Michel Badaire,
e 8
ancien lieutenant du 11 choc , explique que le mercenariat « consiste à se
mettre au service d’un État pour une très courte durée ». Le Katanga ? Il
prétend en avoir « entendu parler à la radio », trouvé que Tshombé avait
« l’air d’être un type bien », « ouvert une carte d’Afrique » pour savoir où
se trouvait le petit Ratanga et « écrit à Tshombé » pour proposer ses
services.
« Et puis il est arrivé quelques Français, poursuit Michel Badaire. Des
spécialistes, des professionnels de la guerre subversive, de l’action
psychologique : La Bourdonnaye, Faulques, celui dont on a parlé durant
toute la guerre d’Indochine, Egé. Et, à ce moment-là, on s’est mis au service
de l’indépendance de ce peuple, honnêtement. »
Mais cet indice seul ne suffit pas à nourrir des soupçons à leur encontre.
À nouveau, c’est en recoupant plusieurs sources qu’un faisceau de
présomptions se fait jour. Il y a d’abord le récit de la rencontre dans la
brousse, le 9 septembre, entre l’homme d’affaires anglais Gordon Hunt et
13
deux officiers français, comme un prélude au drame à venir . Il y a ensuite
les confessions de Thérèse Erfield au sujet d’un groupe de guérilla constitué
14
par Roger Faulques . Les témoignages qui évoquent des Français opérant
dans la brousse ne manquent pas. J’ai retrouvé par hasard d’autres
documents intrigants : à Oxford, les archives de George Ivan Smith
contiennent une lettre reçue le 5 février 1963, envoyée par Knut
15
Hammarskjöld, neveu de Monsieur H et président de l’AELE à Genève.
« Je comprends à présent, écrit celui-ci, que, durant le mois de
septembre 1961, un commando de guerre psychologique emmené par le
célèbre colonel [sic] français Faulques était stationné à Ndola. Il semble que
le commando était composé de quatre mercenaires. Il était chargé de mener
la propagande externe de Tshombé, spécialement en direction de
l’Occident. Je me demandais si vous en aviez entendu parler lors de vos
visites sur place, et si vous connaîtriez les noms des trois autres officiers,
ainsi que leurs qualités professionnelles et leur équipement
radioélectronique. » S’agit-il des mêmes hommes que ceux évoqués par
Erfield, Hunt et Badaire ? Ont-ils réellement établi une base arrière près de
Ndola ? Y étaient-ils le 17 septembre ? Et, surtout, d’où Knut
Hammarskjöld tient-il ces informations lorsqu’il écrit à Smith en 1963 ?
La réponse me sera donnée quelques mois plus tard, un peu par hasard,
tandis que j’inventorie les archives de l’Anglais Brian Urquhart, ancien
secrétaire général adjoint de l’ONU, préservées elles aussi à New York. Y
figure un compte rendu de son interview avec le même Knut
Hammarskjöld, en 1967 cette fois. Quatre années se sont alors écoulées, le
16
neveu du disparu a pris la présidence de l’IATA , mais il n’en démord pas :
« KH pense que le crash de Ndola n’est en aucune manière résolu. Il lui a
été dit qu’une unité de mercenaires français se trouvait près de l’aéroport,
qu’elle avait des hélicoptères à sa disposition et des équipements
électroniques sophistiqués. Il pense qu’ils avaient un arrangement avec la
tour de contrôle de Ndola et qu’ils se sont substitués à elle pour donner les
consignes d’atterrissage à l’avion, lui donnant de fausses informations
quant au réglage de la pression barométrique, des altimètres, etc.,
précipitant ainsi le crash. […] La source de Knut sur les Français est le
colonel Wern [sic], qui était à Éville au moment des faits et n’avait vraiment
aucun moyen de savoir tout cela. Lorsque Knut a dit qu’il allait creuser tout
cela, Wern [sic] l’a conjuré de s’abstenir car sinon “ils allaient avoir sa
peau”. Knut, très excité, s’est avéré incapable de me dire comment une telle
équipe aurait pu exécuter ce plan dans les temps, étant donné que personne,
y compris H lui-même, ne savait qu’ils iraient à Ndola avant le matin du
17 septembre. » Après vérification, « Wern » est en réalité le colonel
suédois Jonas Wærn, qui dirigeait un bataillon de Casques bleus dans la
capitale katangaise. Sa légitimité est discutée par Brian Urquhart, car
l’homme ne traitait pas du renseignement. Est-ce une raison suffisante pour
disqualifier ainsi un témoin, qui s’est retrouvé en première ligne lors des
combats de Morthor face aux redoutables mercenaires français ?
Impossible, en tout cas, de remonter cette piste-là : Jonas Wærn est décédé
le 6 novembre 2003, à l’âge de quatre-vingt-huit ans. Il n’existe aucune
archive sous son nom à l’ONU et celles qui existent peut-être en Suède
restent à exhumer.
Une autre mention dans le récit d’Urquhart me fait sursauter : les
hélicoptères. J’ai lu dans les Mémoires du représentant anglais de la firme
Rhopower Gordon Hunt que celui-ci avait hébergé un espion anglais, juste
avant le crash, et que celui-ci s’était offert les services d’un petit hélicoptère
Bell 47. Hunt ne donne pas le nom de « notre homme en Rhodésie », mais
nous le connaissons par ailleurs, grâce aux Mémoires de lord Cuthbert
17
Alport : il s’agit de Neil Ritchie, agent secret britannique et représentant
du MI 6 sous couverture diplomatique à Salisbury, chargé le 17 septembre
d’aller chercher Moïse Tshombé à Kipushi pour le ramener à temps à Ndola
juste avant l’arrivée supposée du DC-6 de Dag Hammarskjöld. Des
recherches menées de concert avec le chercheur norvégien Hans Kristian
Simensen, l’un des « mousquetaires » rencontrés à Londres, permettent
d’identifier la compagnie d’hélicoptères Autair, basée à Kitwe, qui fut bel et
bien réquisitionnée pour « des opérations clandestines au service de Sa
Majesté ». « J’ai été rappelé sous les couleurs, confiait son directeur Bill
Armstrong dans des Mémoires exhumés en 2014 en Grande-Bretagne, mais
tout cela reste encore soumis à un corset de confidentialité absolue. »
Neil Ritchie a-t-il également mis cet hélicoptère à la disposition d’un
« commando de guerre psychologique » français ? Nous savons, toujours
grâce à Gordon Hunt, que Neil Ritchie avait été prestement informé de la
rencontre du 9 septembre avec deux officiers français dans la brousse et de
leurs desseins belliqueux contre l’ONU.
Notes
1. Il lui avait été soufflé par son homologue britannique sir Gladwyn Jebb, qui avait entendu parler
de Hammarskjöld comme d’un brillant économiste du plan Marshall pour la reconstruction de
l’Europe occidentale après la guerre.
2. En 1984, George Ivan Smith confie au Times de Londres n’être jamais parvenu à identifier
l’origine de ces insinuations.
3. Seule était évoquée « une période transitoire » au-delà de laquelle toutes les forces françaises
devront évacuer la Tunisie, y compris Bizerte. En 1958, les relations se sont tendues entre Paris et
Tunis, suivant le bombardement par l’aviation française d’un camp d’entraînement de l’Armée de
libération nationale (ALN) algérienne à Sakiet Sidi Youssef, en territoire tunisien.
4. Fragments de métal projetés par une explosion.
5. Time Magazine, 4 août 1961, p. 17.
6. Il est probablement aussi celui qui remet directement leurs 4 000 francs d’émoluments aux
officiers du groupe Faulques, en février, au sous-sol d’un café de l’avenue George-V, comme l’a
confié le capitaine Yves de La Bourdonnaye à Marie-Monique Robin (voir p. 313).
7. D’après le télégramme ELLEO 86 non précisément daté (seconde partie de juin 1961) de Conor
Cruise O’Brien et Björn Egge.
8. Joseph Lambroschini œuvrait visiblement en ce sens. « Le consul de France joue un rôle
sournois, en sous-main, ne manquant jamais une occasion de souligner combien le gouvernement
français méprise l’ONU », écrit son homologue américain Bill Canup le 31 août 1961, à l’adresse du
secrétaire d’État Dean Rusk, à Washington.
9. Le reportage de ce journaliste resté anonyme est publié dans l’hebdomadaire en flamand Zondag
o
Nieuws, n 149, daté du 4 au 10 novembre 1961, et dont le chercheur allemand Torben Gülstorff a
retrouvé un exemplaire d’époque en couleurs.
10. Lors de la deuxième bataille d’Élisabethville en décembre 1961, la résidence du consul Joseph
Lambroschini a été détruite à la mitrailleuse et au mortier. Le 10 décembre, Armand Bérard s’en
plaint auprès d’U Thant, qui rétorque vertement : après enquête, les tirs ayant abîmé le bâtiment
provenaient des locaux de l’Union minière, occupé par… les mercenaires et la troupe katangaise.
Durant l’année 1962, des avions canadiens de transport de matériel et de troupes pour le Congo, ainsi
que pour Gaza, se verront encore interdire le survol du territoire français et l’atterrissage en France.
11. Propos attribués au général de Gaulle dans un article du New York Times du 24 septembre 1961
intitulé « UN role questioned by Paris » et daté de la veille.
Chapitre 21
Backwoods Boys
Non, la France n’est pas la seule à défier l’ONU en cette fin d’été 1961.
Lorsqu’il embarque pour Léopoldville, le 12 septembre, Monsieur H est
comme un funambule sur son fil : toutes les grandes puissances, sans
exception, condamnent les événements survenus au Katanga, lui adressant
de vifs reproches. Même les États-Unis, ses premiers soutiens au Congo,
font part de leur émoi, au vu des bavures commises par les Casques bleus,
abondamment décrites dans la presse internationale.
Le sol se dérobe sous les pieds de Hammarskjöld : parmi les cinq grands
au Conseil de sécurité des Nations unies, Moscou le bat froid, Washington
1
ne cache plus son exaspération, Taïwan détourne le regard , Londres et
Paris intriguent en sous-main.
Depuis le printemps, le secrétaire général de l’ONU souffre de
« l’absence totale de soutien de ceux qui auraient dû l’appuyer, en
particulier les pays occidentaux », confiera son collègue et ami le Tunisien
Mongi Slim sept ans plus tard2. Il juge même « insupportable » la
subversion des grandes puissances occidentales, en particulier celle de la
Grande-Bretagne et de la France, ainsi qu’il le confie le jour de son départ
3
pour Léopoldville, 12 septembre 1961, au même Mongi Slim .
Officiellement, pourtant, il ne laisse rien paraître : le 4 août 1961, il fait
même part de son optimisme à Mahmoud Fawzi, ministre des Affaires
étrangères de l’éphémère Union des Républiques arabes d’Égypte et de
Syrie, estimant qu’au vu des progrès en cours au Congo « la liquidation de
l’opération de l’ONU devenait envisageable ».
Mieux, il ne « voit pas comment le séparatisme peut survivre encore bien
longtemps » au Katanga. Dag Hammarskjöld espère-t-il vraiment annoncer
le retrait graduel des 16 000 Casques bleus du Congo en se rendant sur
place ? C’est en tout cas le message qu’il communique à son entourage
immédiat, au sein du Congo Club. Le 12 septembre, l’Américain Andrew
e
Cordier, son collaborateur au 38 étage de la maison de verre, lâche en guise
d’encouragement : « Eh bien, Dag, je pense que ce voyage sera
certainement le plus plaisant de tous à Léopoldville ! »
16
Tandis que lord Lansdowne boucle sa mission congolaise , les
Backwoods Boys se déchaînent. À l’université de Cambridge, dans les
archives de Julian Amery, ministre de l’Air et membre influent du lobby
katangais, l’universitaire Susan Williams a découvert une lettre du
21 septembre 1961 adressée au capitaine Charles Waterhouse, le président
de la firme minière Tanganyika Concessions. « Les choses ont tourné de
bien meilleure façon que je n’osais l’imaginer lorsque nous dînâmes
17
ensemble … La mort de Hammarskjöld me rappelle Le Pont de San Luis
Rey18, je pense qu’il s’est écrasé au bon moment pour lui. Il avait précipité
le Congo dans un tel bourbier que s’en extraire paraissait presque
impossible sans perdre terriblement la face, et je doute qu’il eût pu alors
trouver suffisamment d’amis pour l’aider à s’en sortir. Nous – le
gouvernement – avons agi plutôt honorablement cette fois. Pourvu que ça
dure, comme disait la mère de Napoléon. »
Julian Amery, en outre, n’« agit » pas seul : son agenda personnel,
également conservé à Cambridge, révèle d’intenses contacts simultanés
er
avec ses pairs du lobby katangais en septembre 1961. Le 1 du mois, il
déjeune avec Patrick Wall, le numéro deux du MI 6 George Kennedy
Young, le tory John Biggs-Davison. Le 4, il rencontre le vice-maréchal
Alfred « Raf » Bentley de l’armée de l’air rhodésienne, qui lui écrira de
Salisbury douze jours plus tard, le 16 septembre, se félicitant que « les
choses ont avancé ces derniers jours à une vitesse prodigieuse. J’ai toutes
les raisons de penser que nous allons survivre et réussir. » Que de confiance
et d’optimisme, à la veille du sommet de Ndola !
Le 14 septembre, Amery dîne à Londres avec Allen Dulles, le directeur
de la CIA incriminé dans la fameuse opération Céleste contre Monsieur H.
Le 27 septembre, il s’entretient avec le haut-commissaire pour les Rhodésie
et le Nyassaland, lord Cuthbert Alport. Le 25 octobre, il voit John Biggs-
Davison. Le 31 octobre, il retrouve le directeur de la CIA, Allen Dulles, de
19
retour en Grande-Bretagne . Une ultime entrée est relevée par Susan
Williams : l’année suivante, Julian Amery rencontre deux fois lord Alport, à
er
intervalles resserrés, le lundi 29 octobre, puis le jeudi 1 novembre 1962.
Le vendredi précédent, l’assemblée générale de l’ONU avait voté la
résolution 1759 appelant le secrétaire général à rouvrir l’enquête en cas de
nouveaux éléments. Cet événement a-t-il précipité la double rencontre entre
les deux hommes ? Encore une coïncidence que seule la déclassification des
archives confidentielles britanniques pourrait expliquer.
Notes
1. De 1945 à 1972, c’est la Chine nationaliste qui siège à l’ONU, et qui possède un droit de veto au
Conseil de sécurité. La Chine populaire l’y supplantera, après la normalisation des relations
diplomatiques avec les États-Unis.
2. Propos rapportés le 12 octobre 1968 à Brian Urquhart par cet ancien ambassadeur de Tunisie à
l’ONU, nommé président de l’assemblée générale à New York en février 1961.
3. Ibid.
4. Voir p. 306.
5. Propos rapportés à Brian Urquhart par Mongi Slim, le 12 octobre 1968. Urquhart a retrouvé
trace d’un entretien entre Hammarskjöld et Slim le 5 septembre 1961, et non le 12.
6. Archives orales de l’ONU, 21 février 1990.
7. Le 23 septembre 2004 à Washington, lors d’une conférence du Wilson Center sur la crise au
Congo, 1960-1961.
8. Voir p. 288.
9. Amery est parlementaire aux Communes, secrétaire de l’Air (1960-1962) ; Smiley, McLean et
lui se sont illustrés avec le Special Operations Executive (SOE) en Albanie durant la guerre. Tous
sont proches du MI 6, qui se nomme officiellement Secret Intelligence Service (SIS) et dont
l’existence n’a été reconnue qu’en 1994.
10. Il est limogé juste avant l’opération Rum Punch, en août 1961, pour ses vues trop radicales,
mais continue à avoir de l’entregent jusqu’en Afrique australe.
11. Sa francophonie plonge ses racines dans celle de son grand-père Henry Petty-Fitzmaurice,
cinquième marquis de Lansdowne. Ministre des Affaires étrangères en 1900, ce dernier préconise
ouvertement la fin du « splendide isolement » pour la protection des intérêts de l’empire et préside à
la naissance de l’Entente cordiale avec la France en 1904.
12. Anecdote contée dans le livre de William Mortimer Moore, Free France’s Lion : The Life of
Philippe Leclerc, de Gaulle’s Greatest General. Leclerc, en outre, sera choisi comme parrain du fils
de Mercer Nairne, Charles, né en 1941.
e
13. Le 3 SAS correspond en français au 3 RCP (régiment de chasseurs parachutistes). Opération
Harrods 2, sous le commandement de Château-Jobert : 85 hommes parachutés le 12 août 1944 sur la
Saône-et-Loire avec pour mission de harceler les troupes allemandes.
14. Voir p. 327.
15. Lord Privy Seal (vice-chancelier) est un titre honorifique désignant un ministre sans
portefeuille, doyen d’un cabinet ministériel. Le destinataire de la lettre est probablement le ministre
des Affaires étrangères en exercice, que l’on nommait alors « secrétaire d’État », lord Alec Douglas-
Home, alors en déplacement aux États-Unis.
16. Il repartira de Salisbury le 18 septembre au soir à destination de Léopoldville, muni d’une
lettre du Premier ministre Roy Welensky à l’attention de son homologue congolais Cyrille Adoula.
Le 18 octobre 1961, il relate son « odyssée » africaine devant la Chambre des lords, insistant sur le
fait que Dag Hammarskjöld avait décidé seul du choix de Ndola pour rencontrer Moïse Tshombé,
omettant les éclats de voix avec le même Hammarskjöld dans les bureaux de l’ONU à Léopoldville le
16 septembre et son retard inexpliqué au décollage de Léopoldville le lendemain, 17 septembre.
17. Date inconnue pour ce dîner.
18. The Bridge of San Luis Rey, roman qui valut le prix Pulitzer de littérature à l’Américain
Thornton Wilder en 1928, racontait l’enquête d’un moine sur la mort de cinq personnes lors de
l’écroulement d’un pont, illustrant et célébrant la sujétion de l’homme à la volonté de Dieu, donnant
et retirant la vie indépendamment du comportement des hommes sur Terre.
19. Un mois exactement avant le limogeage de celui-ci par le président Kennedy.
Chapitre 22
Les boutiquiers
Il a fui dans la brousse pour échapper aux Casques bleus : le président katangais
Moïse Tshombé (premier plan, au centre) semblait bien près de s'entendre avec le
secrétaire général de l'ONU Dag Hammarskjöld, en septembre 1961, et de
soutenir le projet d'une paix durable au Congo. Mais le ministre de l'Intérieur
katangais Godefroid Munongo (en retrait de Moïse Tshombé, à droite) était bien
décidé à ne pas laisser se produire un tel rapprochement. © Terence
Spencer/Getty
Notes
1. Adjoint du bourgmestre (maire) de Bruxelles, chargé du climat et du sport.
2. Anciens services de renseignement des colonies belges.
3. La Tanks détient ainsi 14 % du capital de l’UMHK en 1960, et 20 % de ses voix au conseil
d’administration.
4. L’équivalent de 935 millions d’euros en 2018, après ajustement du taux d’inflation.
5. Selon le journaliste anglais Patrick Keatley, dans un article du Guardian daté du 6 décembre
1961.
6. Voir p. 240.
7. D’après un télégramme diplomatique de l’ambassade de Grande-Bretagne à Paris, le diplomate
français Francis de Noyelle fait part de « l’extrême embarras » du gouvernement à propos de cette
histoire et invoque la plus grande discrétion à ce sujet. Six autres appareils du même type au moins
étaient commandés, mais le scandale de l’arrivée des trois premiers au Katanga, en février 1961,
obligea Paris à geler leur exportation. Au domicile du ministre de l’Intérieur katangais Godefroid
Munongo, les Casques bleus indiens découvrent durant l’opération Morthor un courrier signé du
« ministre résident » katangais à Paris, Dominique Diur, qui propose une « combine » à Munongo :
faire passer une commande fictive de six Fouga Magister par la République du Congo (Brazzaville).
L’affaire, éventée le 7 octobre 1961, obligera Paris à mettre un veto définitif à toutes les commandes
d’armement vers le Katanga. Les mercenaires, eux, resteront jusqu’en janvier 1962.
8. La Katangaise : « Allons, allons, marchons, Katangais valeureux ».
9. Conversation avec le Tunisien Mongi Slim, le 12 octobre 1968.
10. Voir p. 336.
11. Père du Prix Nobel de la paix 1991, Aung San Suu Kyi.
12. Gordon Hunt a raconté son épopée birmane dans deux livres, parus en 1965 et 1967, One More
River et Forgotten Land. D’après son fils Simon, il préparait un troisième ouvrage relatant son
expérience au Katanga lorsque la mort l’a surpris. Le récit Hotline to Katanga apparu sur WikiLeaks
en était le canevas originel.
13. Surnom de la Société générale de Belgique, maison mère de l’UMHK.
14. Vice-chancelier d’Angleterre, titre revenant au doyen d’un cabinet ministériel. Voir note p.
362.
15. En tant que manager de la Liberian-American-Swedish Mining Company (LAMCO).
16. La deuxième bataille d’Élisabethville, trois mois plus tard, lui redonnera l’avantage sur les
mercenaires, contraints de battre en retraite. Et, pour le groupe de Roger Faulques, de quitter
définitivement le Katanga en janvier 1962, à l’exception du capitaine Michel de Clary, dont le séjour
se prolonge durant l’année 1962, à en croire les archives onusiennes.
Chapitre 23
Retour à Ndola
Deux jours plus tard, j’ai rendez-vous avec un petit groupe de vétérans
suédois, octogénaires, compatriotes des deux Casques bleus tués dans le
crash, Per Persson et Stig Olof Hjelte, auxquels ils viennent rendre
hommage, les bras encombrés de fleurs.
L’un des visiteurs est un petit homme souriant aux joues couperosées. Il
arbore son vieux béret bleu religieusement conservé et se présente, la main
tendue : Stig von Bayer.
Je suis d’autant plus heureux de le rencontrer que son nom m’avait déjà
été indiqué à un stade antérieur de mes investigations. Stig était un jeune
lieutenant rattaché au bataillon suédois du colonel Jonas Wærn, l’officier
supérieur qui avertit le neveu de Monsieur H, Knut Hammarskjöld, de la
menace exercée par les mercenaires français4. Sa mission : le
renseignement militaire. « G2 », dans la nomenclature Otan. Nous nous
asseyons dans le petit bâtiment musée attenant au mémorial, sous le regard
bienveillant d’un buste sombre de Dag Hammarskjöld. Stig von Bayer
alterne l’anglais et le français, m’expliquant que sa connaissance du swahili
et du bemba, deux langues vernaculaires dans la région, lui fut précieuse
dans ses fonctions d’officier « rens’ » au Katanga. Il n’a pas oublié
l’affrontement avec les mercenaires emmenés par le groupe français de
Faulques, se remémorant des actions de cow-boy, revolver au poing, et des
situations périlleuses. Mais il reste assez disert sur le sujet, s’interdisant de
confirmer les propos de Jonas Wærn à Knut Hammarskjöld sur la
culpabilité de ceux-ci dans l’attentat contre l’Albertina, peinant à se
remémorer Roger Faulques, qu’il a « sans doute croisé ici ou là ».
Après une bonne heure de questions-réponses, nous abordons l’identité
du « rôdeur solitaire » et les différentes théories relatives à un bimoteur
De Havilland Dove ou au Fouga Magister. Stig von Bayer fait la moue,
comme s’il renâclait à s’aventurer sur ce terrain-là.
Je lui demande s’il a conservé par-devers lui des documents concernant
les « événements » du Katanga.
« Un bon officier de renseignement ne laisse jamais rien traîner derrière
lui », dit-il en souriant, énigmatique.
Puis il ajoute, au débotté :
« Nous savions qu’ils avaient un Dornier, bien caché à Sakania. »
Je m’étrangle presque.
« Un… Dornier, où ça ?
— À Sakania, sur une petite piste de brousse, à vingt kilomètres au nord-
5
ouest d’ici, tout près d’une mine de cuivre à ciel ouvert . »
Je balbutie une nouvelle question, à propos des dates exactes de présence
du Dornier et des conditions dans lesquelles cet appareil, révolutionnaire
dans sa conception, nouveau venu dans cette partie du globe, fut repéré par
la section G2 du bataillon suédois. Mais le petit groupe de vétérans nous
interrompt : ils doivent prendre congé, étant attendus dans une école
primaire attenante, bien involontairement coincée entre le mémorial et le
chantier du futur aéroport. Notre conversation s’arrête ainsi prématurément.
Obligé de repartir, j’enrage d’une telle déveine. Resté essentiellement
sous les écrans radars depuis 1961, Stig von Bayer a tant à raconter, et voilà
que nos chemins se séparent déjà. Nous convenons de nous recontacter,
lorsqu’il sera de retour en Suède.
À l’hôtel, ce soir-là, pour ma dernière nuit à Ndola, je relis mes notes et
vérifie l’emplacement de Sakania. Premièrement, le rapport de l’ONU daté
du 5 septembre 2017, œuvre du juge tanzanien Mohamed Chande Othman,
fait l’inventaire de tous les aérodromes du Katanga et de la Rhodésie
voisine. Mais rien à Sakania.
Deuxièmement, les images satellites montrent bien une piste d’aviation
collée à la mine, avec une aire de dégagement, assortie d’un baraquement
rudimentaire, et un appareil de type ATR aux longues ailes blanches
effilées. Elle est donc opérationnelle, cette piste, et certainement reliée à
l’activité de la mine. La frontière ex-rhodésienne se trouve à quelques
centaines de mètres plus à l’ouest. L’aéroport de Ndola, lui, est à moins de
cinq minutes de vol. Se pourrait-il que Sakania constitue le chaînon
manquant de l’histoire, la « planque » de l’appareil agresseur ?
Mon partenaire berlinois n’a pas non plus perdu son temps : Heinrich
Schäfer est un fantôme lui aussi, tout autant que le Dornier d’août.
Quelques photos datant des années 1950, dont celles d’un tour d’Afrique en
avion réalisé en 1959, dévoilent un individu râblé et de petite taille, toujours
souriant, le cheveu ras et l’embonpoint.
Aucune biographie ne subsiste de cet homme apparemment décédé en
1996, et dont la vie professionnelle demeure une énigme. Tout juste Torben
Gülstorff a-t-il réussi à identifier cinq ou six résidences principales et
secondaires. L’ancien pilote de la Luftwaffe vivait bien et diversifiait ses
activités. En 1962, un documentaire en couleurs, Traumreise unter weissen
Segeln, le montre aux commandes d’un Dornier Do 27 monomoteur. En
janvier 1963, la revue interne de Dornier lui souhaite bon rétablissement,
tandis qu’il se trouve en convalescence à l’hôpital de Murnau pour un souci
médical non précisé. C’est la dernière photo de lui, cinquantenaire souriant
et visiblement dur au mal.
Mon correspondant en est persuadé : l’homme a poursuivi ses missions
clandestines longtemps après 1945. Mais pour le compte de qui ? Et quelles
étaient ses instructions au Katanga en 1961 ?
L’étau se resserre, bien que les archives officielles allemandes, ainsi que
celles de Dornier, restent hermétiquement fermées. Dans son étude, Torben
Gülstorff se contente de démontrer la plausibilité de cette nouvelle théorie,
face à celle du Fouga et du Dove : le Dornier Do 28A était l’appareil le plus
manœuvrable des trois, sa vitesse maximale, 328 kilomètres par heure, lui
permettait parfaitement d’intercepter un DC-6 ayant réduit les gaz à 250
kilomètres par heure environ avant son dernier virage. Il pouvait être armé
et s’en prendre à d’autres aéronefs, comme l’ONU le découvrira le
30 octobre 1961 : au-dessus de Kaniama, à sept cents kilomètres à l’ouest
d’Élisabethville, un DC-4 de l’ONU est attaqué en plein ciel par un Dornier
qui tente de l’abattre avant de renoncer à sa proie, trop coriace.
Afin d’en avoir le cœur net, je reprends contact avec Roger Bracco. Ce
dernier et Van Risseghem ont effectué un vol sur Dornier le 24 septembre
1961 depuis Élisabethville, comme en atteste son carnet de vol, ce qui
accrédite au passage la thèse d’un appareil précurseur arrivé avant les
quatre autres Do 28 d’octobre. A-t-il croisé le chemin de Heinrich Schäfer ?
« C’est la première fois que j’entends prononcer ce nom », me répond par
courriel l’ancien pilote mercenaire.
Notes
1. Voir p. 156.
2. The Observer, 16 juin 1962.
3. Petite exagération : le « bon docteur » est mort à Ilala en 1873, au nord du pédicule katangais.
La distance est de quatre cents kilomètres à vol d’oiseau, sept cents par la route.
4. Voir p. 322-323.
5. Propriété de l’Union minière du Haut-Katanga, elle était directement reliée à la ligne de chemin
de fer toute proche entre Élisabethville et Ndola, restée active même durant les combats de
l’opération Morthor, du 13 au 20 septembre 1961. Rebaptisée Frontier, elle est aujourd’hui propriété
de la firme britannique Eurasian Natural Resources Corporation, qui l’a rachetée en prenant
indirectement le contrôle des actifs de la société Gécamines, héritière de la défunte UMHK depuis
1972.
6. Voir p. 347.
7. Le surnom donné aux as de la Luftwaffe.
8. Compagnie congolaise de matériel de mines, transports et constructions, avec des bureaux à
Léopoldville, Élisabethville et Bruxelles.
9. Voir p. 266.
10. Paul Van Zeeland (1893-1973), Premier ministre en Belgique de 1935 à 1937, puis ministre des
Affaires étrangères de 1949 à 1954. Il fut nommé président de la Banque belge d’Afrique en 1956.
Son nom n’a jamais été mentionné dans aucun des documents relatifs à l’enquête que l’auteur ait été
amené à compulser.
11. Voir p. 266.
12. Stig von Bayer évoque par là les combats de Morthor entre le 13 et le 20 septembre 1961 au
Katanga.
Chapitre 24
Reconstitution
QUESTIONS EN SUSPENS
3. DAG HAMMARSKJÖLD A-T-IL SUBI DES PRESSIONS POUR MENER UNE TELLE
MISSION, AVEC LES RISQUES QU’ELLE COMPORTAIT ?
Oui. La veille du crash, ses premiers soutiens, les États-Unis, lui
signifient leur mécontentement au sujet des événements au Katanga et
l’incitent à rester au Congo tant que le problème n’aura pas été réglé. La
France lui barre la retraite par l’aéroport de Brazzaville, tandis que la
Grande-Bretagne menace de cesser sa contribution financière aux
opérations de maintien de la paix et lui enjoint d’aller rencontrer Tshombé
lui-même, pourquoi pas en Rhodésie du Nord, où la sécurité de la rencontre
pourra être assurée avec le concours du Commonwealth.
Non. C’est l’objectif limité de Conor O’Brien, mais ce n’est pas le sien.
Lui vise plus loin : il ne pense faire qu’une escale très brève à Ndola, y
signer un cessez-le-feu avec Moïse Tshombé, puis redécoller sans perdre
une minute avec ce dernier à bord de l’Albertina, en direction de
Léopoldville, afin d’y négocier un accord de paix pour tout le Congo. Dans
ses échanges supposés avec la tour de Salisbury, le commandant de bord du
DC-6, Per Hallonquist, stipulait en effet qu’il ne comptait pas rester la nuit
sur place avec le SE-BDY. Ces communications enregistrées n’ont jamais
été retrouvées.
Oui. Cinq témoignages font état d’un second avion, fondant en piqué sur
le DC-6 par les trois quarts arrière, projetant vers lui des rais de lumière et
provoquant son écrasement, avant de disparaître dans la nuit.
Oui, deux témoins les ont vus : le Sud-Africain Edwin Wren Mast-Ingle
et le charbonnier Lemonson Mpinganjira.
19. DES MERCENAIRES FRANÇAIS SE TROUVENT-ILS DANS LA BROUSSE LE
17 SEPTEMBRE 1961, PRÈS DE NDOLA ?
Non. Ils sont en tout une vingtaine dépêchés en mission officielle pour le
compte de l’Élysée et du SDECE, malgré la défiance entre de Gaulle et la
communauté de l’espionnage. Les hommes de Roger Faulques sont
« aperçus entrant et sortant fréquemment du consulat » de Joseph
Lambroschini, a priori pour rendre compte de leurs activités, selon le
1
diplomate américain Francis Terry McNamara . Or, Joseph Lambroschini
porte une double casquette, Quai d’Orsay et SDECE, servant très
certainement d’officier traitant pour le groupe Faulques. Et plusieurs
e
mercenaires, dont Michel Badaire, sont des anciens du 11 régiment
parachutiste de choc, ou 11e choc, l’unité organique du service action du
SDECE.
Non, aucune n’a filtré des archives, hormis leur plan de guérilla et leur
liste noire de dirigeants onusiens à abattre. À leur départ, début 1962, les
mercenaires français laissent des liasses de feuilles carbonisées dans leurs
cantonnements.
22. CES FRANÇAIS POURRAIENT-ILS AVOIR AGI DE CONCERT AVEC DES COLLÈGUES
SUD-AFRICAINS ?
Oui. Il rentre se coucher sans s’être assuré que les aéroports de la région
sont placés en état d’alerte maximum pour un avion disparu. Il éconduit les
policiers venus le réveiller. Il réapparaît à l’aéroport à 9 heures du matin,
alors qu’il avait annoncé sa venue dès l’aube. Il attend l’autorisation de
Salisbury pour déclencher les recherches aériennes. Sa seule ligne de
défense consistera à rejeter le blâme sur lord Cuthbert Alport, celui qui se
disait certain que Dag Hammarskjöld était « allé se poser ailleurs ».
– Oui. Les deux Percival Provost qui décollent sont envoyés vers le nord
et le sud de l’aéroport, alors que l’axe d’approche finale sur Ndola est
orienté ouest-est et que l’Albertina a été aperçu pour la dernière fois
survolant Ndola en direction du nord-ouest, la direction habituelle pour
opérer le dernier virage avant atterrissage.
– Un avion de reconnaissance Canberra, quant à lui, survole
Élisabethville à la verticale et rend compte, de manière erronée, du fait qu’il
a aperçu un DC-6 sur le terrain d’aviation local, l’assimilant à l’Albertina
de Monsieur H.
– Oui. Ses blessures auraient été moins graves si le retard des secours
n’avait pas empêché son hospitalisation rapide juste après le crash. Avant
qu’il ne souffre de déshydratation et d’une longue exposition au soleil.
– Il décède brutalement d’une insuffisance rénale, au cinquième jour
d’hospitalisation à Ndola, tandis que son état semblait se stabiliser. Jamais il
n’a été question de l’évacuer vers un établissement mieux adapté à sa
condition. L’enregistrement de ses paroles durant ces cinq jours à l’hôpital,
consignées par des policiers, n’a jamais été retrouvé.
10. S’étant assurés que le patron de l’ONU a péri dans le crash, les
membres du crash group remontent dans leurs véhicules. Ils repassent
immédiatement la frontière katangaise. Ils rallient la piste de brousse de
Sakania, où est retourné se poser le Dornier de Schäfer et où se trouve sans
doute Neil Ritchie avec un hélicoptère affrété par la compagnie. L’équipage
prend conscience de la gravité du crash et redécolle aussitôt vers Kipushi,
imité par Neil Ritchie. À Kipushi, un rapide conciliabule entre les dirigeants
katangais et les exécutants de l’attentat aboutit au départ précipité du
Dornier vers Brazzaville, pour s’y terrer le temps que les choses se tassent,
avec le probable aval de Jean Mauricheau-Beaupré et du « palais » (Fulbert
Youlou). Moyennant plusieurs escales en territoire angolais, Heinrich
Schäfer atteint l’aéroport de Brazzaville le 18 septembre en soirée ou le 19
au matin. Il y est repéré par des diplomates américains, mais pas ses
occupants.
Note
1. Interview réalisée par Charles Stuart Kennedy en 1993, pour le compte de l’Association pour les
études et la formation diplomatiques (ADST).
Chapitre 26
Les derniers secrets
AFRIQUE DU SUD
ALLEMAGNE
CONGO-BRAZZAVILLE
ÉTATS-UNIS
FRANCE
ROYAUME-UNI
PORTUGAL
Pourquoi ?
Parce que les gouvernements démocratiques intègrent toujours
inévitablement une part d’ombre, tapie au sein de leurs élites et de leur
dédale bureaucratique.
Parce que cette part d’ombre ne s’exprima jamais aussi fortement qu’en
1961, à l’apogée de l’autonomie des services de renseignement anglais,
américains, français, allemands, belges et sud-africains, autorisés à tous les
coups au nom de la lutte contre l’ennemi communiste. Ceux qui attentèrent
à la vie de « Dag H » agissaient en roue libre. « Le GCHQ et le MI 6
n’avaient pas d’existence légale avant 1994, leur nom ne pouvant pas même
être murmuré entre les murs du Parlement, relève l’historien Max Hastings
dans son livre The Secret War : Spies, Codes and Guerrillas, 1939-1945. Ce
qui leur donnait le droit de commettre toutes les folies. L’histoire récente
nous enseigne que ce secret officiel a plus protégé ces services de
renseignement d’une quelconque responsabilité de leurs actes que des
réelles tentatives de pénétration ennemies. »
Hastings entend par là les efforts du KGB en Europe occidentale. « Ces
agences n’avaient dans les faits aucun compte à rendre envers les
institutions démocratiques, poursuit-il. Et cela leur a procuré un voile épais
derrière lequel ils pouvaient simplement agir, selon leurs habitudes, avec
toute l’inefficacité et peut-être même la corruption » observées du temps de
l’empire.
Parce qu’au nom de l’embarras évoqué par Richard Goldstone aucune
chancellerie n’admettra jamais avoir trempé dans la froide exécution d’un
secrétaire général des Nations unies, même dans un autre siècle. Malgré sa
tragique impuissance face aux guerres contemporaines, l’organisation new-
yorkaise n’est plus le « machin » conspué par Charles de Gaulle en 1960,
mais un forum incontournable des affaires mondiales et le réceptacle d’une
politique multilatérale prisée par ces puissances moyennes, dont l’influence
passée vacille. « L’ONU n’est pas là, comme le disait Dag Hammarskjöld,
pour amener le paradis sur Terre, mais pour le préserver de l’enfer. »
Parce que, l’ONU étant devenue un outil d’apaisement des tensions
internationales bien plus affûté qu’en 1961, quoi qu’en disent ses
détracteurs, la mort de Monsieur H revêt une dimension encore plus
inavouable. Des confessions, même soufflées du bout des lèvres,
déclencheraient un tollé planétaire, risquant d’altérer durablement les
relations bilatérales et transversales entre Londres, Paris, Washington,
Pretoria, Stockholm, Bruxelles et Berlin.
J’attends
là, où ils m’ont mis
tout nu devant la cible,
cloué par les premières flèches.
L’arc se tend encore.
La flèche siffle
et me manque.
Est-ce qu’ils jouent ?
La main a-t-elle tremblé ?
Ou était-ce le vent ?
Qu’ai-je à craindre ?
S’ils atteignent leur but
et me tuent,
pourquoi pleurer ?
D’autres m’ont précédé.
D’autres me suivront
Remerciements
Lorsque l’ONU a rouvert l’enquête en 2016 sur la mort de son secrétaire général, ce qui n’était à
l’origine qu’une simple recherche en vue d’un article de presse écrite a pris une ampleur inattendue,
pour devenir une aventure exaltante. Celle-ci ne fut jamais une quête solitaire. J’ai été accompagné
par la plus attentionnée et la plus perspicace des compagnes, Delphine, qui m’a toujours incité à
persévérer et a su me remettre à flot lorsque perçaient quelques doutes existentiels. Écouter
patiemment quelqu’un discourir sur la praticabilité des pistes de brousse dans la Rhodésie profonde
des années 1960 et sur les horaires de passage d’une compagnie aérienne depuis longtemps disparue,
supporter les sautes d’humeur d’un apprenti détective sans broncher sont autant de preuves d’amour
absolues. Je n’aurais jamais pu avancer dans un tunnel si obscur sans ce réconfort permanent.
Une rencontre originelle a bouleversé mes perspectives. Roger Lipsey, auteur d’une exceptionnelle
biographie de Dag Hammarskjöld, avait préparé notre entrevue avec une rare empathie. Un
exemplaire annoté de son livre m’attendait, pointant toutes les facettes méconnues du personnage et
les étapes de sa douloureuse relation avec les autorités françaises. C’est lui qui m’a fait réaliser
l’envergure, méconnue, de l’étonnant Monsieur H et son impact sur le monde d’après-guerre. Roger
continue de sillonner le monde, en livrant des conférences sur l’héritage politique et spirituel de
Hammarskjöld.
Ma gratitude s’étend naturellement à Elizabeth de Kémoularia. La fille de l’ex-collaborateur
français de Monsieur H fut initialement surprise par la nature de ma démarche, mais elle a
rapidement et admirablement sauté le pas, pour assumer dans ces investigations un rôle déterminant.
Son ouverture d’esprit, sa curiosité intellectuelle, sa volonté de voir reconnus les efforts de son père
pour identifier les assassins de « Dag », son flair lorsqu’il fallait « foncer », ont fait d’Elizabeth une
précieuse camarade d’équipée, dont les inspirations ont souvent fait mouche.
À Paris, l’amitié, l’érudition et l’expertise de David Servenay m’ont servi de compas
méthodologique et de source de motivation permanente. Son œil sûr et ses encouragements
renouvelés m’ont permis de progresser à pas de géants. Mais je lui dois tant et plus encore. Cette
histoire devait être racontée, et lui le savait déjà bien avant que je ne l’envisage.
En France, toujours, les réflexions échangées avec l’historien Jean-Pierre Bat et l’expert militaire
Guillaume Ancel ont considérablement fait avancer ma compréhension des coulisses, pour
l’implication de la France dans la sécession katangaise et la faisabilité d’une attaque aérienne de nuit
contre un quadrimoteur civil. Je dois aussi une fière chandelle à Marc Dupont, auteur de la seule
biographie existante sur le commandant Roger Faulques, et confronté, comme moi, aux pièces
manquantes du puzzle que fut le parcours mouvementé de « l’homme aux mille vies ».
Par le biais d’innombrables courriels, j’ai conçu une estime profonde pour Simon Thomas, le plus
résilient des investigateurs et aussi le plus affable des Australiens égarés dans l’hémisphère Nord.
Pour notre rencontre dans leur Sud-Ouest natal, Jeanne et Paul Ropagnol avaient préparé un poulet
basquaise qui mijotait au four tandis que j’écoutais le récit des tribulations du dernier mercenaire
français du Katanga, contées avec drôlerie et simplicité.
Dans le Lubéron, Setsuko et Jacques Poujoulat m’ont déroulé le tapis rouge, fait apprécier leur
conduite très sûre à travers la garrigue et leur piscine au petit matin, dans un concert de cigales tout à
fait impressionnant. Que le Congo était loin, et proche à la fois, tandis que Jacques, albums photo à
l’appui, faisait revivre une brève mais intense période de sa vie.
Honneur à ces valeureux mousquetaires dont j’ai pu croiser le chemin, et savourer les talents de
cuisinier, de David Wardrop à Londres, ainsi que l’hospitalité, de sir Stephen Sedley à Oxford. Je ne
saurais tarir d’éloges à l’égard de Susan Williams, auteure du livre qui, en 2011, a relancé toute
l’affaire et suscité des vocations de limier, à commencer par la mienne. Universitaire rigoureuse,
enquêtrice pugnace et passionnée, Susan reste la référence bienveillante pour nombre de
protagonistes dans l’enquête, ne rechignant jamais à partager ses réflexions et sa documentation. Ce
sont peu ou prou les mêmes sentiments qui m’animent à l’égard de l’irremplaçable Hans Kristian
Simensen, dont je m’enorgueillis d’avoir fait la connaissance à l’égal des autres mousquetaires. Sa
science inestimable, sa passion du détail, son organisation sans défaut ont maintes fois réamorcé des
efforts entravés par mon ignorance, aussitôt comblée par le virevoltant Tintin de Göteborg. Un autre
mousquetaire, Henning Melber, a su m’indiquer le nord, rappelant la nécessité de se conformer aux
valeurs défendues par Dag Hammarskjöld et d’avancer dans les ténèbres en les conservant toujours à
l’esprit.
Cette enquête doit également beaucoup à Annie et Heinrich Wieschhoff, eux aussi poussés par une
admirable quête personnelle de justice et mus par une grande générosité d’âme. Je formule le vœu
qu’ils puissent un jour voir leurs efforts récompensés, contre une raison d’État indéboulonnable.
À Johannesburg, en Afrique du Sud, j’ai trouvé en Wren Mast-Ingle non seulement un témoin
inestimable, mais aussi un conteur merveilleux, journaliste, musicien et éditorialiste témoin des
soubresauts de toute l’Afrique australe. Qu’il soit remercié pour sa gentillesse et son hospitalité, sa
compagnie dans Soweto, ainsi que Terecita et leur petit-fils Daniel. Faire la navette quatre fois de
suite à l’aéroport international OR-Tambo, pour m’éviter toutes sortes de tracas nocturnes, semblait
être la moindre des choses à leurs yeux. Ça ne l’était pas.
En Zambie, le conservateur du site du crash de Ndola, Richard Hanguwa, m’a lui aussi réservé un
accueil chaleureux, accompagnant ma découverte de ces lieux tourmentés avec le tact requis.
Une mention spéciale à Torben Gülstorff, rencontré tardivement durant cette aventure. La
connexion avec le bouillonnant universitaire berlinois fut immédiate, et des plus fructueuses. Tant de
pistes restent encore à arpenter !
À Londres, j’ai trouvé en Brian Unwin un orateur intarissable et totalement accaparé par la
résistance au Brexit. Le plaisir d’évoquer avec lui l’avenir d’Albion et de l’Union européenne
justifiait bien cet intermède dans nos conversations rhodésiennes et congolaises.
À Bruxelles, Jurek Kuczkiewicz, Philippe Deboeck et Béatrice Delvaux, du journal Le Soir, m’ont
toujours encouragé à persévérer et m’ont apporté leur précieux concours pour le volet belge de cette
enquête. Benoît Hellings, devenu premier échevin tandis que nous échangions sur la question des
archives de la Sûreté coloniale, fait partie de la caste rare des édiles curieux et compétents dont la
scène politique bruxelloise peut se flatter.
En Belgique, encore, un ancien parachutiste des forces spéciales, au cœur énorme et au courage
exceptionnel, se reconnaîtra.
La Suède fut une destination tardive mais ô combien enrichissante dans le déroulement de mes
recherches. À Stockholm, Karin Abbor-Svensson, de la Fondation Hammarskjöld, s’est montrée la
plus précieuse des guides, me faisant regretter de n’avoir pu me rendre à Uppsala, fief de la dynastie
Hammarskjöld, quand le temps, soudain, vint à manquer.
À Västerhaninge, Björn Virving m’a ouvert ses portes avec une chaleur bienvenue dans l’hiver
scandinave, acceptant de me soumettre son incomparable collection d’archives et d’artefacts relatifs
au crash de l’Albertina.
J’exprime la même gratitude à Sven Göran Hallonquist, le fils du commandant de bord de
l’Albertina, qui n’a pas hésité à me recevoir chez lui un dimanche, pour réhabiliter la mémoire de son
père et débattre des trajectoires aériennes comparées du DC-6 et du rôdeur solitaire. Lui et Björn
Virving ont singulièrement contribué à améliorer ma compréhension du volet aéronautique de
l’enquête.
À Hongkong, Victor Rosez m’a aidé à braver un froid piquant qui avait pris par surprise toute
l’hôtellerie locale, acceptant de partager ses souvenirs du Katanga, de ses pérégrinations à Ndola et
surtout une philosophie admirable, aux antipodes des vieilles rancœurs coloniales.
Je tenais à exprimer ma fierté de compter parmi mes amis et proches ceux qui supportèrent mes
soporifiques monologues, renvoyant des sourires las en guise d’approbation. Merci du fond du cœur
à ma mère, Évelyne, à Olivier, Nathalie, Nicolas, Christine, Dominique, Tiphaine, Boris, Nathalie,
Grégory, Julie, Nicolas, Stéphanie, Marc, Sabrina, Thierry, Véronique, Laurent. Vous avez été
héroïques. Je jure de trouver des sujets de conversation qui nous transportent ailleurs que dans la
Copperbelt de l’automne 1961. Je suis certain qu’ils existent.
Je conclus en passant le flambeau à mes deux redresseurs de torts préférés, Valisoa et Titouan, qui
porteront un jour les mêmes idéaux de justice et de paix que Monsieur H naguère. Ce n’est pas un
vœu pieux. C’est plus nécessaire que jamais.
Bibliographie sélective
OUVRAGES ET ARTICLES
LES AMÉRICAINS
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Adoula, Cyrille 17, 21, 38, 110-111, 353, 364
Agostini, Roland 412
Ahier, Robert 202, 209
Aiken, Frank 36, 119
Allen, Alfred « Paddy » 140
Alport, Cuthbert 53, 55-63, 65-68, 70-73, 85-88, 95-96, 126, 130-133, 155, 159, 166, 168, 171, 180,
199, 208, 218, 226, 324, 354, 361, 366, 391, 414, 417, 426, 431, 440
Amery, Julian 246-247, 355, 365-366, 410, 412, 414
Annan, Kofi 39, 103-104, 296, 445
Annandale, Keith Maxwell 245-246
Anstee, Margaret 448
Appleton, David 122, 136, 286
Armstrong, Bill 324, 414
Assheton, Ralph (lord Clitheroe) 355
Assoignon, Gérard 373
Campbell Martin, Arundel 49, 68, 96, 159, 199, 205, 226, 281, 417, 419
Canup, Bill 346, 412, 436
Cary, Michael 92, 94, 132
Cassart, Jean 403
Castro, Fidel 24, 247
Chaffard, Georges 210
Charlot 319
Charpentier, Pierre-Albert 335
Château-Jobert, Pierre 360
Chipoya, Custon 83, 158, 161
Chisanga, Steven 177
Churchill, Winston 228, 437
Clary (de), Michel Vidal 319, 386, 415
Clayden, John 160-161, 164, 168, 170, 183
Cloître, Jean-Louis 319
Colvin, Ian 103
Coppens, Pierre 255-258, 281, 407
Cordier, Andrew 99, 145, 148, 352
Corell, Hans 291-292
Coty, René 339
Cowell, Alan 296, 448
Craxford, Gerald « Jerry » 92, 114
Cremer, André 303, 307
Crondall (of), David Lea 295
Culligan, Roland « Bud » 214-215
O’Brien, Conor Cruise 22, 25, 38, 60, 65-66, 73, 102, 118, 129, 198, 212-213, 233, 236-237, 264,
301-303, 306-309, 316, 328, 344, 352, 354-355, 370, 372-374, 383, 411-413, 424, 435-437
Omar, Dullah 240-241, 245
Opangault, Jacques 335
Ormandy, Eugene 110
Othen, Christopher 325
Othman, Mohamed Chande 293, 296, 349, 399, 446, 448
Quinlan, Pat 22
Wachtmeister, Wille 21
Wærn, Jonas 323, 396, 398, 415, 428
Wall, Patrick 288-290, 355, 365, 410
Wallef, Louis 376
Walus, Janusz 245
Wardrop, David 283, 448, 453
Waterhouse, Charles 365, 381-383, 385, 413
Welensky, Roy 38, 54-55, 60-62, 77, 87, 96, 99, 111, 116, 156, 160, 168, 170, 178, 211, 235, 305,
364, 377, 418
Wieschhoff, Heinrich 40, 453
Wilford, Michael 62, 87
Wilhelmsson, Nils Göran 29, 122, 224-225
Willard (major) 70
Williams, John Howell « Red » 63, 66-67, 69-71, 86-88, 92, 94-95, 121, 137, 158-159, 167-168, 170,
199, 226, 228, 390, 417, 431, 437, 440, 443-444
Williams, Paul 355
Williams, Susan 243, 272, 280, 283-284, 286-289, 291, 294, 309, 320, 365-366, 374, 448, 453
Wilson, Archie 91
Wilson, Woodrow 24
Wrenacre, Robin 319, 321, 331, 333