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Lyes Laribi
Quatrième de couverture
Sommaire
Page de copyright
Dédicace
PRÉFACE
INTRODUCTION
CONCLUSION
ANNEXES
CHRONOLOGIE
SIGLES
L’auteur nous livre son vécu sans théoriser ni même expliquer, et c’est ce
qui donne tout son mérite et toute sa force à l’ouvrage. Parallèlement, il tente,
à travers son expérience, de comprendre comment la révolution algérienne en
est arrivée à être livrée à ce type de pratiques et à ce type d’hommes, dans
une guerre qui a fait officiellement deux cent mille morts et disparus, comme
ensuite dans une réconciliation sans procès strictement réservée de part et
d’autre aux concepteurs, décideurs et exécutants des basses besognes, et enfin
dans la paix accordée avec mépris à un peuple humilié, souffrant dans le
silence. Il est obligé, pour ce faire, de remonter assez loin dans le temps ; il
trouve alors la source du mal en 1958, dans la confiscation de la lutte des
Algériens pour l’indépendance par les militaires stationnés aux frontières,
encadrés par les déserteurs de l’armée coloniale, à la suite de la destruction de
l’encadrement politique vivant au milieu des gens. Ces déserteurs sont
toujours là ; l’auteur ne nous suggère qu’indirectement comment ces
militaires ont néanmoins progressivement représenté un pouvoir autoritaire
de classe soutenu par les rares élites bureaucratiques d’alors et évoluant
lentement vers une oligarchie policière et financière.
Mais cela est une autre histoire ; la sienne, c’est le passionnant récit
mettant en scène de vrais policiers, de vrais terroristes et des terroristes en
service commandé, de vrais leaders populaires et des leaders « radicaux » en
service commandé.
C’est une première, qui vaut largement le détour.
Ghazi Hidouci,
ancien acteur politique de la tentative
avortée de démocratisation des institutions,
aujourd’hui en exil.
INTRODUCTION
Depuis l’annonce de l’hospitalisation de Bouteflika au Val-de-Grâce, en
décembre 2005, suite à l’aggravation d’une maladie entourée d’une grande
opacité, les Algériens se sont une fois de plus retrouvés face aux spectres qui
peuplent El-Mouradia, le palais présidentiel. Ils savent que leur pays est
malade de ses hommes.
Quarante ans après une indépendance chèrement acquise, l’Algérie
n’arrive pas à trouver sa voie. La situation politique est toujours bloquée. La
démocratie demeure une chimère. Le pouvoir est resté entre les mains des
deux clans de généraux – ceux de Liamine Zeroual et Khaled Nezzar – qui
n’ont cessé de s’entredéchirer.
Quant à l’économie, elle est dans l’impasse. L’Algérie demeure tributaire
de la rente pétrolière. Les tentatives de réforme et de libéralisation
rencontrent des résistances de la part de toutes ces clientèles prédatrices
groupées autour de quelques galonnés. Le chômage touche une bonne partie
de la population active (– 17 % en 2005 selon la version officielle). La
régression est tellement considérable sur la dernière décennie qu’elle a amené
le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) à classer
l’Algérie parmi les pays prioritaires dans son Rapport sur le développement
humain en 2003. Dans la liste, le pays occupe une place peu reluisante,
malgré des recettes pétrolières en pleine croissance.
Depuis la démission de Bendjeddid en 1992, l’Algérie vit toujours dans un
état d’exception. La situation sécuritaire demeure floue, même si les actes
terroristes dirigés contre les populations civiles ont régressé.
La seconde guerre d’Algérie, une guerre civile, a fait cent cinquante mille
morts, et laissé des centaines de milliers d’orphelins, des dizaines de milliers
de torturés, sans compter les milliers de disparus.
Les libertés civiles sont encore et toujours bafouées. L’absence de
représentation citoyenne a fait naître une culture de l’émeute selon laquelle
les conflits se règlent toujours par la violence. Le désespoir pousse les jeunes
au suicide et leur seul rêve est d’émigrer dans des pays lointains. Les crises
succèdent aux crises.
Ce livre m’a été demandé par de nombreux lecteurs de mon premier
ouvrage, Dans les geôles de Nezzar1. J’ai notamment essayé d’apporter des
réponses, alimentées par des faits, aux questions suivantes : quelle est la
nature de notre régime algérien ? L’armée était-elle pour le processus de
démocratisation après les émeutes d’octobre 1988 ? Pourquoi cette seconde
guerre et qui tire profit de la crise persistante ? Quelles sont les voies de
secours, quels sont les moyens pour sortir de cette impasse ?
Permettez-moi enfin de citer une phrase clé. Elle émane de la bouche de
l’actuel président de la République, qui, lors d’un discours en
septembre 2001, a déclaré : « L’État ne sert pas la nation mais lui porte
préjudice. » À bon entendeur salut.
3. Insurrection en Kabylie
5. La mort de Boumediene
1. La guerre de succession
Les vieux démons ont resurgi de nouveau, mais cette fois-ci, dans une
guerre au sein du même clan, celui d’Oujda. La question de la succession a
entraîné un éclatement du groupe. Le discours de Bouteflika, le jour de
l’enterrement de Boumediene, était déjà perçu comme un des signes de ce
malaise.
Deux scénarios de succession étaient possibles. Tout d’abord, la prise du
pouvoir par l’appareil du FLN, en l’occurrence par Mohamed Salah
Yahiaoui, son secrétaire général ; mais les chefs militaires n’en voulaient pas,
parce qu’ils le trouvaient très conservateur. L’autre postulant était Abdelaziz
Bouteflika, le ministre des Affaires étrangères, dauphin et confident de
Boumediene, jugé, quant à lui, très libéral. Mais les chefs militaires, avec à
leur tête le colonel Kasdi Merbah, patron de la Sécurité Militaire, et le
colonel Hadjeres, chef de la 5e région militaire, ont imposé un troisième
larron : le colonel Chadli Bendjeddid, au titre d’officier le plus âgé dans le
grade le plus élevé. Le conclave d’intronisation a eu lieu à l’ENITA, école
des ingénieurs de l’armée, dirigée alors par Larbi Belkheir. Chadli
Bendjeddid a été désigné secrétaire général du FLN, et, en février 1979, il est
devenu président de la République.
Ce consensus a surtout permis aux militaires26 d’éliminer deux hommes
forts du régime, Abdelaziz Bouteflika et Mohamed Salah Yahiaoui. Cette
élection va marquer l’effritement puis l’éclatement du clan d’Oujda, dont les
conséquences seront désastreuses pour l’avenir du pays.
Plusieurs groupes d’intérêts gravitant autour des centres de décision vont
se constituer, parrainés surtout par de hauts dirigeants de l’armée, et ils vont
phagocyter – et phagocytent toujours – la vie institutionnelle. Les critères
d’appartenance ne sont basés ni sur du lobbying positif, ni sur une
quelconque vision socio-économique, mais sur des critères tribaux,
régionalistes, clientélistes et bassement mercantiles. Les désaccords entre
certains groupes ou entre des éléments puissants de ces groupes, à propos de
la répartition de la rente et des commissions pour les contrats avec des
entreprises étrangères, se traduisent par des remaniements ministériels
fréquents, et par des nominations d’ambassadeurs, de préfets, de directeurs
généraux d’entreprises publiques. Ces rapaces vont plonger le pays dans un
deuil infini, précédé de plusieurs événements annonçant la catastrophe de
cette dernière décennie.
4. Le printemps berbère
5. La montée de l’islamisme
26. Khaled Nezzar, Échec à une régression programmée, Publisud, 2001, p. 234.
27. Le Monde interactif, « Des généraux au cœur du pouvoir », juillet 2001.
28. Dénomination donnée aux anciens du MALG.
29. Habib Souaïdia, op. cit., p. 234.
30. Mohamed Samraoui, Chroniques des années de sang, Denoël, 2003, p. 87.
31. Par référence à l’ancien chef d’État égyptien, Djamel Abdel Nasser.
32. D’après son ouvrage L’Affaire Bouyali, Alger, à compte d’auteur, 1998, p. 45.
33. Annuaire de l’Afrique du Nord (1985), p. 584.
34. Interview accordée au Nouvel Observateur le 14 juin 2001.
35. Khaled Nezzar, Échec à une régression programmée, op. cit., p. 199.
36. Reporters sans frontières, op. cit., p. 95.
37. Ibid., p. 93.
38. Abdelhamid Brahimi, Aux origines de la tragédie algérienne (1958-2000), Hoggar Press, 2001,
p. 220-221.
39. Khaled Nezzar, Mémoires du général Nezzar, Chihab Éditions, Alger, 1999, p. 45.
IV
J’ai choisi de traiter cette vaste période en un chapitre dans le seul souci de
montrer que le lourd tribut payé par le peuple durant cette dernière décennie
est la conséquence directe de l’opposition ferme du régime en place à toute
véritable ouverture démocratique, qui aurait eu pour effet de remettre en
cause ses privilèges.
L’air était très lourd à respirer dans toute l’Algérie, et surtout à Alger. Les
Algérois ne voulaient pas oublier les émeutes et le massacre d’octobre 1988.
Cet événement restera enfoui dans la mémoire collective pour longtemps. Ce
martyre sera rappelé régulièrement dans les cris des manifestants à chaque
échauffourée avec les services de sécurité. Les jeunes supporters des clubs de
football du quartier de Bab-El-Oued en feront un chant : « Bab-El-Oued
echouhada. »
Dans les arènes du pouvoir, c’est la pagaille. Un nombre incroyable
d’échéances importantes ont été annoncées par le président de la République
en un temps record. Je retiendrai trois événements majeurs : le congrès du
Front de Libération Nationale, l’élection présidentielle, et le référendum sur
la nouvelle Constitution. Ces trois événements se sont succédé en l’espace de
quatre mois.
Dans son témoignage sur cette période, le général Nezzar dit avoir émis
des réserves sur un des articles de l’avant-projet de Constitution présenté par
Mouloud Hamrouche, juste après le 5 octobre 1988, en présence du général
Betchine. L’article 40 de la Constitution, qui ouvre le champ au
multipartisme, n’a pas été formulé de la même manière qu’il le relate. Cette
réflexion nous renseigne déjà sur la façon dont les décideurs envisageaient le
champ politique. À partir de cet écrit, une question se pose : la Constitution
a-t-elle été élaborée avant ou après octobre 1988 ? Car de cette réponse en
découlent d’autres. Qui était derrière les événements d’octobre 1988 et
derrière le massacre qui s’ensuivit ? Pourquoi les avoir provoqués ? Une
chose est sûre : durant cet été-là, le président de la République avait pris trois
mois de congé sur la côte oranaise. Quinze ans après ces événements, aucune
réponse précise n’a été apportée, excepté une lecture policée des événements
faite par des individus impliqués dans cette tragédie.
Le congrès a confirmé Bendjeddid au poste de secrétaire général du FLN,
candidat unique à l’élection présidentielle, balayant d’une main toutes les
rumeurs qui circulaient auparavant sur son probable retrait au profit d’autres
candidats, par exemple Taleb Ibrahimi et Messaadia.
Le 23 février 1989, la nouvelle Constitution a été adoptée avec 73,43 %
des suffrages. Quelques jours avant, au cours des assises du mouvement
culturel berbère, Saïd Saadi, aux côtés de Ferhat M’henna, avait annoncé la
création du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), et le
18 février, l’idée de la création du Front Islamique du Salut (FIS) a été lancée
à la mosquée « Sunna » de Bab-El-Oued. Ainsi, l’idée de la création de deux
partis aux idéologies diamétralement opposées a bien été lancée avant
l’adoption de la nouvelle Constitution.
La création du FIS
Après les deux premières réunions de janvier 1992, tenues sur les monts de
Zbarbar et Sidi Moussa, et qui furent un semi-échec, tous les chefs des
groupes islamistes armés se sont réunis une troisième fois sur les monts de
Zbarbar entre fin mars et début avril, au moment du Ramadan. Les mêmes
personnes que lors des deux premières rencontres (Zebda, Sahnouni, Meliani,
Chebouti, Mekhloufi) étaient présentes, ainsi que les chefs de groupes
opérant à Alger et sa périphérie, dont Moh Leveilly. Les congressistes se sont
dotés d’une organisation de lutte armée, le MIA, dont l’émir national était
Chebouti, promu au grade de général. Mensouri Meliani, quant à lui, est
devenu coordinateur national de la lutte. Moh Leveilly, réduit à un rôle
secondaire, n’a pas adhéré à cette organisation et a quitté la réunion. Quelque
temps plus tard, Mansouri Meliani a délaissé son poste de coordinateur
national pour reprendre sa place de chef de groupe du centre. Il a alors tenté,
avec Moh Leveilly, d’unifier tous les groupes du centre. Ce travail n’a pas pu
être accompli, car Mansouri Meliani s’est fait arrêter en août 1992, et Moh
Leveilly abattre au cours du même mois. Ce travail sera achevé par Layada
Abdelhak et donnera naissance au Groupe Islamique Armé en
septembre 1993.
Le premier acte attribué au MIA est l’attentat de l’aéroport d’Alger, le
26 août 1992 à 10 heures du matin. L’aéroport a été soufflé par une bombe
placée sous les sièges des voyageurs dans le hall central, entraînant une
explosion de forte intensité, tuant neuf personnes et en blessant une centaine.
Le groupe accusé d’être à l’origine de cet attentat a été démantelé en quinze
jours. Tous les participants ont été arrêtés : Hocine Abderahim, ancien élu du
FIS à Bouzereah, Rachid Hchaichi, commandant de bord sur Air Algérie, et
Soussene, qui au moment des faits était déjà sous les verrous (arrêté le
18 août 1992, soit une semaine avant l’attentat). Cet attentat n’a fait aucune
victime parmi les membres des services de sécurité présents sur les lieux.
Une rumeur circulant dans le milieu des trabendistes rapporte qu’aucun
homme des douanes ou de la police (en civil ou en tenue) n’a été vu à cet
endroit habituellement très surveillé et très fréquenté. La bombe a été déposée
près de la cafétéria de l’aéroport, lieu assez prisé par les policiers et douaniers
de l’aéroport, où se nouaient et se dénouaient les affaires, et lieu de
convergence de vautours et de rapaces attirés par l’affluence de la
communauté immigrée lors de la période estivale. Si la justice est certaine de
l’implication de toutes ces personnes dans cet attentat, de même toute
personne ayant pénétré au moins une fois de sa vie dans cette aérogare a la
certitude que les services de sécurité, tous corps confondus, étaient au courant
et ont laissé la bombe exploser. Le tribunal d’Alger, le 17 mai 1993, a
condamné à mort sept participants, exécutés le 31 août 1993 à la prison de
Berrouaghia.
Les disparus
Entre 1996 et 1998, en plus des bombes qui explosaient à chaque coin de
rue, les massacres de populations civiles sans défense et l’atrocité des crimes
commis ont provoqué le courroux des ONG et soulevé l’effroi à travers le
monde entier. Les lieux visés étaient d’anciens fiefs du FIS des années 1989-
1992, situés pour la plupart dans la Mitidja. Les massacres de Bentalha, Raïs,
Beni Messous, Sidi Hamed et Relizane, qui ont fait plus d’un millier de
victimes, ont été les plus terribles. Ils ont été perpétrés le plus souvent à
l’arme blanche, et très rarement aveuglément, comme veulent nous le faire
croire les décideurs d’Alger : l’analyse de ces massacres nous permet de
déclarer qu’il y a eu une sélection des cibles et des victimes (les terroristes
pouvaient avoir à la main une liste de familles à exécuter) et que les
événements suivaient une voie rationnelle.
Revenons sur quatre des massacres, relatés par divers témoins.
À Raïs, tout d’abord. C’est une bourgade de trois mille habitants située à
quarante kilomètres au sud-est d’Alger, constituée d’habitations construites
autour d’un domaine agricole, sécurisée par un poste de gendarmerie qui se
trouve à l’entrée du village. Durant la nuit du 28 au 29 août 1996 à 22 heures,
cent à deux cents terroristes ont pénétré dans le village. Après plus de quatre
heures de carnage, ces derniers n’ont laissé derrière eux qu’horreur : le bilan
était de plus de deux cent cinquante morts. Le lendemain de la tragédie, les
survivants n’ont pas compris pourquoi aucune aide ne leur était parvenue,
pourquoi les gendarmes et les gardes communaux qui étaient à une centaine
de mètres des lieux n’étaient pas intervenus pour les protéger de cette horde,
ni pourquoi, eux, n’avaient pas subi de représailles. Comment expliquer ce
laisser-faire dans une région hautement sécurisée et aux moyens militaires
très sophistiqués ?
De même, à Bentalha, un massacre a eu lieu peu après celui de Raïs. C’est
un lotissement situé à la sortie est de Baraki, dans la banlieue est d’Alger.
Cette zone, comme celle de Raïs, est l’une des plus militarisées de la région.
À cette époque, on trouvait au moins six barrages de police, de gendarmerie
et de l’armée entre Baraki et El-Harrach, côté sud. Côté nord, à quelques
centaines de mètres, il y avait une caserne militaire, en plus de celles se
trouvant dans un rayon de cinquante kilomètres, et en plus de l’aéroport
militaire de Boufarik. De surcroît, le contexte, avec le massacre de Raïs
quelques jours avant, supposait un renforcement des mesures de sécurité. Le
22 septembre 1996, vers 23 heures, un groupe de terroristes composé de cent
à deux cents hommes a fait irruption dans ce lotissement. Même procédé,
même carnage. Quatre heures après, ils ont laissé derrière eux quatre cent
cinquante morts. Le lendemain de ce massacre, la stupéfaction pouvait se lire
sur tous les visages des Algériens, qui, une fois encore, ne comprenaient pas
comment un si grand nombre de citoyens pouvaient être égorgés dans la
banlieue de la capitale, sans le secours des forces de sécurité. Suite à ce
massacre, des voix se sont élevées de tous les coins de la planète pour
réclamer une enquête. Mais Liamine Zeroual était conscient de sa fragilité
face à une situation qui lui était imposée par ses derniers choix stratégiques ;
il a préféré reculer sur certaines de ses positions à cause de son implication
directe dans le conflit en tant que ministre de la Défense. Au lieu de laisser
éclater toute la vérité sur une guerre nauséabonde, et malgré la pression de
l’opinion internationale qui ne comprenait pas la passivité des forces de
sécurité face à des citoyens en danger de mort, Zeroual a préféré invoquer la
non-ingérence dans les affaires internes du pays, fuyant ainsi les
responsabilités morales d’un président élu. Il subira les conséquences de sa
naïveté qui l’a poussé à croire en des personnes qui n’oublient jamais, et dont
la rancœur les pousse à s’adjoindre, s’il le faut, jusqu’aux services d’un
homme comme Zitouni.
Un an après, à Relizane, le 31 décembre 1997, en plein mois de Ramadan,
et juste après la rupture du jeûne, cinq hameaux ont été attaqués au même
moment par des groupes terroristes. Cinq cent vingt-neuf personnes ont été
victimes de cette attaque : 117 morts à Had Chekala, 176 morts à Cherarba,
73 morts à El Abadil, 50 morts à Bentaleb, 113 morts à Oued Sahanne.
L’armée n’est intervenue que quarante-huit heures après pour porter secours
aux rescapés. Quelques jours plus tôt, les forces combinées de l’armée
avaient mené un vaste ratissage à Relizane, plus exactement à Ramka. Cette
région était considérée par les troupes de l’AIS comme acquise et servait de
base d’approvisionnement aux éléments de l’émir Benaïcha.
Enfin, peu après, la foudre est tombée sur Sidi Hamed. C’est un village
situé sur la route nationale 29, entre Meftah et Larbaa, ancien fief de l’AIS
servant de base de retrait et d’approvisionnement à ses troupes cantonnées là,
et remplacées par une unité militaire le 6 octobre 1997 dans le cadre de la
trêve qui a mené ensuite aux accords de la « concorde civile ». Le 11 janvier
1998, après la rupture du jeûne, vers 20 heures, un groupe armé composé
d’une centaine de terroristes a pénétré dans le village, et massacré plus de
cent quarante personnes, par le feu. L’unité militaire, stationnée à l’entrée du
village qu’elle était censée protéger, a observé le massacre et n’est pas
intervenue. Le lendemain, le même mot revenait aux lèvres de tous les
villageois : « punition ».
Tous ces massacres, ces attentats à la voiture piégée, ainsi que l’assassinat
des moines de Tibhirine, et la plupart des autres événements qui ont marqué
durant ces années la société algérienne s’expliqueront certainement, en partie
du moins, par les trois années de gérance d’un général président qui a voulu
s’émanciper de ses mentors.
L’affaire Lounès Matoub, à elle seule, montre que les véritables détenteurs
du pouvoir en Algérie ne reculent devant rien. Cet assassinat est survenu au
moment où la guerre des clans entre généraux battait son plein. Cet énième
assassinat politique entre dans une stratégie de guerre où la déstabilisation
des concurrents est un jeu que nos dirigeants maîtrisent à la perfection. Ainsi
s’explique la tentation de toujours de faire éclater une région épargnée par les
massacres à grande échelle et la moins touchée par les dix dernières années
de guerre.
En imputant ce crime abject à Hassan Hattab, chef du Groupe Salafiste
pour la Prédication et le Combat (GSPC), un groupe dissident du GIA, les
responsables de ce crime lançaient un avertissement aux autres clans et se
disculpaient. Quant à Lounès Matoub, l’histoire retiendra qu’en 1988 le
GSPC n’existait pas, et qu’il n’a eu la vie sauve que par miracle, car les
gendarmes choisis pour l’assassiner ont fait leur travail : non seulement ils
l’ont criblé de balles, mais ils ont cru qu’ils l’avaient tué. Cela n’était qu’un
rappel pour ceux qui doutaient encore des assassins.
Malgré ce précédent, après l’interruption du processus électoral, l’homme
a choisi un camp qu’il croyait être le sien. En octobre 1994, en pleine grève
des écoles (à ce moment, Zitouni était le chef du GIA), Lounès Matoub a été
kidnappé. Mais grâce à la mobilisation de la population locale, il a été libéré
après quelques jours de détention dans le maquis avec un message aux
Kabyles. Le témoignage de la sœur du chanteur nous donne un aperçu de ce
qu’attendaient de lui les terroristes qui l’ont kidnappé en 1994 : « Cette nuit-
là, à plusieurs reprises, il m’avait répété qu’on se trompait sur eux, qu’ils
n’en voulaient pas aux Kabyles mais au pouvoir, qu’ils étaient pour
Tamazight. J’étais inquiète. On nous avait changé Lounès. Il
était méconnaissable. »
En juin 1998, juste après l’annonce de sa mort, des manifestations
spontanées ont éclaté dans les rues et villages kabyles, où des milliers de
jeunes sont sortis crier leur colère, accusant le pouvoir d’être derrière cet
assassinat, et scandant : « Pouvoir assassin. » Cette maturité politique
affichée par toute la jeunesse démontre une fois de plus que la rue kabyle
n’est pas dupe, malgré son opposition farouche au projet de société islamiste.
Elle sait qui tue dans cette Algérie, malgré les tentatives de diversion du
pouvoir et de ses relais locaux. Alors, attribuer la mort de Lounès Matoub,
exécuté par des professionnels, à de simples terroristes islamistes, c’est non
seulement avoir réussi à le tuer mais aussi avoir souillé sa tombe.
La révolte kabyle
La Kabylie à l’histoire millénaire a toujours été une région revendicatrice
mais pacifique. La notion de tolérance n’est pas un vain mot et la
participation citoyenne est ancestrale. À l’aube de la révolution algérienne,
elle est le bastion d’où partira la voix de l’indépendance. Elle a engendré des
figures emblématiques qui ont marqué de leur sceau l’histoire de l’Algérie.
Après l’indépendance, elle deviendra une sorte de porte-parole de tous les
Algériens, exprimant leurs positions, à commencer par le refus de
l’hégémonie du parti unique. Au fil des années, elle est devenue un lieu de
combat pour la démocratie. Elle a le privilège d’être la seule à s’être élevée
contre Boumediene sous le regard passif d’une opinion internationale qui
était figée dans la vision Est-Ouest. L’année 1980 a marqué à jamais cette
région : répression féroce pratiquée à son encontre par l’État algérien,
désinformation et propagande qui l’ont présentée comme une région
scissionniste et traîtresse. Après avoir fait son deuil et laissé cicatriser ses
plaies, elle a décidé de commémorer chaque année cet événement, appelé par
les fils du Djurdjura le « printemps berbère ». Ce symbole interpelle tous les
Kabyles et revendique la reconnaissance de leur identité et d’une partie
de l’histoire de l’Algérie. Hélas, tout ce qui est légitime est susceptible de
manipulation et engendre la convoitise et l’opportunisme.
Le 18 avril 2001, à l’avant-veille de la célébration du « printemps
berbère », comme à l’accoutumée depuis une vingtaine d’années, c’est le
drame. Dans le cadre d’une arrestation banale suite à une simple
confrontation entre les jeunes et les forces de l’ordre, Massinissa Guermah,
un jeune lycéen, a été conduit au poste de gendarmerie de Beni Douala.
Après avoir subi l’humiliation, ce dernier a reçu une rafale de Kalachnikov de
la part d’un gendarme. L’assassinat de cet innocent a mis le feu aux poudres,
et toute la Kabylie a été ébranlée par un mouvement insurrectionnel
rarissime. Les jeunes se sont organisés et ont lancé un mouvement citoyen
qui les conduira à élaborer une plate-forme revendicatrice connue sous le
nom de « plate-forme d’El-Kseur ». Ces revendications ont vite été
dénoncées par le pouvoir, qui a crié à la manipulation et mis en vigueur sa
fameuse formule de « la main de l’étranger ». Le jeune lycéen tué a été traité,
par le ministre de l’Intérieur lui-même, de « voyou ». Une campagne de
répression s’est abattue sur toute la Kabylie, où le nombre de morts ne cessait
de croître au fil des jours. Malgré cela, le 16 juin 2001, plus d’un million de
Kabyles ont manifesté dans les rues d’Alger sous les cris de « Pouvoir
assassin », demandant la satisfaction de leurs revendications. Le pouvoir a
fait la sourde oreille, avant de jouer comme à l’accoutumée sur la division des
rangs. Mais le mouvement citoyen appuyé par les deux grands partis de la
région n’a pas faibli et a fait subir à l’État un échec sans précédent lors des
législatives du 30 mai 2002.
Le mouvement pacifique a été mis à mal devant la machine infernale du
pouvoir autoritaire. Faute de stratégie et surtout étant devenu une carte entre
les mains de certains manipulateurs qui essayaient de reprendre leur souffle
grâce au sang des Kabyles pour assouvir les désirs politiques de leurs
seigneurs, le mouvement s’est retrouvé dans l’impasse. L’absence
d’ouverture vers les autres parties de la société civile, comme les associations
féminines et les syndicats, ne l’aidera pas à s’étendre vers les autres régions
du pays. La notion d’horizontalité et l’absence d’organisation dans des
formes modernes ont autorisé la naissance de leaders autoproclamés ou
nommés par des officines parallèles (les fameux délégués Taïwan) dont
certains seront manipulés. L’absence de hiérarchisation des priorités et la
rigidité structurale feront le reste. Le mouvement finira par connaître un recul
dans la mobilisation d’une population lassée par la dégradation de la situation
économique et par le manque de perspectives. Les leaders seront arrêtés et
traduits en justice, puis libérés par le nouveau Premier ministre Ahmed
Ouyahia à quelques mois des élections présidentielles avec une nouvelle offre
de dialogue.
Depuis le début de l’insurrection, la Kabylie a enterré plus d’une centaine
de ses enfants sans pour autant qu’une commission d’enquête digne de ce
nom n’établisse réellement les responsabilités. La commission Issad s’est
arrêtée à l’entrée du manoir. L’assassin du jeune Massinissa a été condamné
par un tribunal militaire à une peine habituellement réservée à un vol à
l’étalage. Mais la Kabylie restera toujours une poudrière, tant que le mépris,
l’impunité des corps de sécurité, les passe-droits, la corruption, le chômage,
et surtout l’absence de liberté et de démocratie persisteront.
En 2004, Bouteflika a été réélu dès le premier tour avec 83,49 % des
suffrages exprimés, d’après les chiffres officiels. La réaction de ses
adversaires ne s’est pas fait attendre : ils ont parlé de manipulation. Ouyahia,
un Premier ministre déjà accusé sous l’ère de Zeroual d’être un spécialiste du
bourrage des urnes, est le premier à être montré du doigt. En 1997, quelques
mois après sa création, le RND avait remporté les élections contre toute
attente. Ouyahia est aujourd’hui le secrétaire général de ce parti. Toute la
classe politique à l’époque était unanime pour dénoncer la plus grande
manipulation électorale de l’Algérie indépendante. En mai 2006, Ouyahia est
évincé de son poste de Premier ministre. Il est remplacé par Belkhadem,
secrétaire général du FLN. Le FLN a exercé tout son poids en tant que parti
majoritaire à l’Assemblée auprès de Bouteflika, afin qu’il effectue ce
changement. Rappelons que Bouteflika est le président d’honneur du Front de
libération. Le FLN reproche, entre autres, à Ouyahia le risque de
manipulation des élections de 2007 au profit du RND. Pour certains
observateurs, l’éviction d’Ouyahia n’est qu’une suite logique dans le
processus engagé par Bouteflika pour s’émanciper de la muette. Ouyahia est
considéré comme un commis d’État très proche du patron des services de
sécurité, le général major Toufik. Ils font partie du clan très restreint des
Kabyles d’Alger.
Le RND affiche son hostilité à la révision de la Constitution, car si elle a
lieu, elle permettra peut-être à Bouteflika de postuler pour un mandat à vie.
Le FLN propose, entre autres, dans cette révision de Constitution, une
suppression de la limitation du nombre de mandats présidentiels et un modèle
présidentiel total où le Premier ministre reçoit ses pouvoirs exclusivement du
président. Ainsi l’Assemblée n’aura plus le droit de censure, et l’on assistera
au retour à la situation d’avant octobre 1988. Pour le FLN, la révision
constitutionnelle mettrait fin au pouvoir de l’ombre. Et l’opposition
d’Ouyahia s’explique par la déclaration du général major Lamari, le
14 janvier 2004, lors d’une rencontre informelle avec les journalistes : il avait
déclaré ce jour-là que toute personne investie de prérogatives de président de
la République comptant toucher à l’ordre républicain, remettre en cause le
pluralisme politique, tenter un réaménagement constitutionnel sur mesure, ou
mépriser la société et le peuple, trouverait l’armée devant elle.
Vu l’hostilité affichée par Lamari envers Bouteflika, celui-ci a décidé, par
décret présidentiel, de le faire remplacer à la tête de l’état-major par le
général Gaïd Salah, chef des forces terrestres. Pour les uns, Lamari est
démissionnaire à cause de la mollesse de ses autres collègues devant
Bouteflika, et, pour d’autres, il a été écarté par ce dernier, il a payé son
arrogance d’avant les élections. Une petite revanche pour celui à qui, en
1979, la route d’El-Mouradia a été barrée par ceux qui ont finalement fait
appel à lui en 1999. La plupart des spécialistes de la question algérienne ont
qualifié la nomination de Gaïd Salah de solution provisoire. Bouteflika sait
qu’une telle nomination va accélérer les revendications internes des jeunes
officiers partisans de la professionnalisation de la grande muette : elle
mettrait en exercice des officiers qui ont envie de s’émanciper de la tutelle
des deux clans qui s’entredéchirent depuis 1962. On pourrait voir dans ce
mouvement la naissance d’un troisième clan, qui risquerait de provoquer un
déséquilibre interne dans l’armée algérienne et surtout la remise en question
de la légitimité des anciens. Plusieurs nominations de nouveaux éléments ont
eu lieu en 2005 : Malek Nessib a été nommé commandant des forces navales,
Malti Abdelghani nouveau patron de l’Académie militaire de Cherchel (qui
forme tous les futurs officiers), Laychi Ghrid commandant de la garde
républicaine, et Ali Benali commandant de la 5e région militaire.
Pour asseoir son pouvoir et son indépendance vis-à-vis du cabinet noir,
Bouteflika s’est offert un chèque en blanc en faisant adopter son projet de
réconciliation nationale au suffrage universel. Celui-ci a été adopté à 97 %, le
29 septembre 2005. En fin calculateur, Bouteflika a négocié son contenu avec
les militaires, avec entre autres l’immunité des responsables de la tragédie
algérienne, l’interdiction de ceux qui oseront remettre en cause la version
officielle de la tragédie, et surtout le fait que soient des laissés-pour-compte
les milliers de déportés des camps de concentration, ainsi que les centaines de
milliers de personnes déférées devant les tribunaux pour terrorisme : celles
qui ont subi les pires cauchemars dans les geôles des services de sécurité et
qui ont été innocentées par la justice algérienne pour manque de charges.
La théorie d’un accord entre El-Mouradia et Tagarrins ne peut qu’être
renforcée : en témoignent les démarches entamées pour le remboursement
anticipé de la dette extérieure auprès des Clubs de Paris et de Londres (que
certains économistes considèrent comme une démarche populiste, alors que
d’autres la considèrent comme une bonne chose à partir du moment où, en
Algérie, il n’y a plus de développement à long terme), ainsi que la
reconversion qui a été acceptée par les Russes pour changer la dette militaire
en contrat d’achat de matériel pour le renouvellement de l’arsenal militaire
algérien.
Bouteflika semble réunir toutes les conditions pour exercer un autre
mandat, sauf imprévu quelconque, se rapportant par exemple à son état de
santé. En décembre 2005, il a laissé perplexes plus d’un spécialiste en
médecine. Entre le communiqué officiel de la présidence et l’avis des
spécialistes sur son état de santé, les rumeurs les plus folles ont tenu tout le
peuple en haleine durant plus d’un mois. Cela explique peut-être cette légère
passivité des militaires à son encontre. La disparition de Bouteflika risquerait
de faire resurgir certains vieux démons. D’après le Maghreb Confidentiel du
20 avril 2005, la DRS travaille sur une possible succession de Bouteflika.
Parmi les postulants éventuels de l’aile politique de l’armée, figure Ouyahia.
Rappelons que seul le général major Toufik a réussi à rendre visite à
Bouteflika lors de son hospitalisation à Paris. La délégation de pouvoirs sur
l’administration et sur tous les corps armés, faite par décret au général major
Guenaizia, ministre délégué auprès du ministre de la Défense en juin 2005,
n’est pas un simple hasard dû à l’ordre du jour du président. Cela donne une
idée de toute l’agitation qui secoue les hommes politiques algériens. Même
les Américains sont de la partie. Pas moins de trois très hauts responsables
ont visité l’Algérie en quelques mois, dont Rumsfeld en février 2006 et très
récemment la conseillère personnelle à la sécurité du président Bush.
L’Algérie est devenue un partenaire privilégié des États-Unis. Depuis la
révision de leur position vis-à-vis des Généraux en 1996, les Américains se
sont emparés de la quasi-totalité du sous-sol du désert algérien (pour se
déplacer dans certains endroits, dans le sud de leur propre pays, les Algériens
doivent se munir d’un laissez-passer). Cette coopération s’est accentuée
depuis 2001, même dans le domaine de la sécurité. Lors de sa visite en
Algérie, le chef du FBI s’est félicité du niveau de la coopération des
Algériens dans la lutte antiterroriste. Ce n’est pas étonnant si, aujourd’hui,
l’Algérie est citée parmi les pays qui ont fait transiter les fameux vols de la
CIA par leur territoire. Pour les Américains, l’instabilité d’un très bon
partenaire en hydrocarbures et en sécurité risque de lui faire réviser ses
stratégies. Et l’arrivée d’une aile islamo-conservatrice au pouvoir risquerait
de lui poser des problèmes. Le déplacement des hauts responsables
américains voudrait dire que les États-Unis se sont mis sérieusement de la
partie.
CONCLUSION
En m’attelant à relater cette période de notre histoire, j’ai essayé avec
modestie de faire resurgir une partie du « non-dit », nécessaire dans la
compréhension des faits et surtout indispensable pour saisir le sens de la suite
des événements.
Si pour les premiers chapitres de ce livre, la plupart des faits étaient connus
depuis bien longtemps, les rapporter présentait un intérêt multiple : témoigner
pour la mémoire de toutes ces personnes sacrifiées sur l’autel de la lutte pour
le pouvoir, établir une appréciation pédagogique de la nature réelle de ce
pouvoir et des mécanismes autour desquels il s’articule, suivre de manière
linéaire cette méthode de gouvernance et les répercussions néfastes ayant
abouti à cette tragédie.
Car en tant que jeune issu de cette génération de l’indépendance, j’ai jugé
essentiel de comprendre comment une révolution aussi prestigieuse que la
nôtre a pu engendrer, quelques décennies plus tard, des monstres qui ont fait
payer à notre peuple un tribut en vies humaines digne d’une guerre coloniale.
Ce traumatisme causé au peuple algérien nécessite une psychothérapie qui
ne peut se faire qu’en revisitant l’histoire. La réalité d’aujourd’hui est dans
les détails de la mort d’Abane Ramdane et de tous les événements qui se sont
succédé depuis l’indépendance, depuis le coup d’État fait au GPRA jusqu’au
retour du « moins mauvais des candidats ». C’est dans tous ces événements
qui défilent à travers le temps et dans l’invraisemblable toile de sang qui les
tapisse que l’on peut trouver l’explication de la tragédie de cette dernière
décennie.
Même si certains répliquent comme à l’accoutumée par la calomnie ou la
diffamation en utilisant leurs meilleurs valets pour dénoncer la mauvaise foi
manifestée dans l’interprétation des événements, la réalité est là. L’Algérie
est un pays riche et vierge gouverné par des despotes qui l’ont mené à la
ruine. Le dernier tremblement de terre ayant touché Boumerdés et Alger nous
renseigne sur l’ampleur de la déliquescence de l’État, la bureaucratie et
l’ineptie des services administratifs, sur la corruption qui a fini par toucher
des pans entiers de la société, sur les passe-droits dans l’octroi des marchés,
sur la perte de repères et la course effrénée vers l’argent, qui, s’ils
persistaient, viendraient à bout du courage et de la solidarité de nos
concitoyens. Mais le ver est dans le fruit et ce régime en est le symbole.
Comment peut-on expliquer, un jour, aux générations futures cette partie
de l’histoire ? Pour la mort de trois mille personnes, les États-Unis ont exigé
des nations du monde entier qu’elles prennent leurs responsabilités devant le
phénomène du terrorisme. Alors, que devrait exiger le peuple algérien face à
l’assassinat de deux cent mille citoyens, la disparition de dix mille autres et
l’exil de cinq cent mille de ses meilleurs fils, sans oublier les victimes
d’octobre 1988, du printemps noir, des événements de 1980, de la répression
des années 1970, et les milliers de morts suite au conflit ayant opposé l’armée
des frontières aux maquisards de l’Armée de Libération Nationale ?
Que devrait exiger cet Algérien qui dans sa vie de tous les jours ne sait où
se mettre, et peut dans le meilleur des cas s’exiler pour connaître la
clandestinité, soumis à l’humiliation quotidienne de toutes les polices du
monde, alors que nos décideurs se comportent en vedettes dans les capitales
occidentales, et que leur progéniture fréquente les meilleures écoles du
monde, par la grâce du pétrole, richesse de tout le peuple algérien ? Le salut
de l’Algérie n’est pas dans ses gouverneurs. Il est dans la réconciliation des
Algériens entre eux et dans l’utilisation de toutes les voies pour mettre un
terme au terrorisme. Il ne peut exister de seuil de tolérance permettant un
certain équilibre, équilibre néfaste, volontairement entretenu, destructeur, car
n’avançant pas. Il est dans l’instauration d’une véritable démocratie, avec,
pour cela, un Parlement représentatif, librement élu et qui élabore une
Constitution adaptée au nouveau millénaire. Et dans ce sens, le champ
politique doit être libéré des entraves qui pèsent sur lui, à commencer par la
levée de l’état d’urgence et la liberté de manifester. Il faut une justice
indépendante qui ne soit pas soumise aux désirs du chef, il faut que la
présomption d’innocence soit respectée, que les droits des prévenus soient
respectés, que la détention provisoire soit limitée, que les prisons ne soient
plus bondées, que les syndicats de magistrats ne soient pas manipulés.
L’Algérie mérite pour le sacrifice de ses enfants une presse libre, non
inféodée, non manipulée par les services secrets, plurielle, et dynamique. Les
médias lourds (télévision et radio) doivent être libérés et ouverts à l’initiative
privée. La seule chose qui soit exigée d’eux est le respect d’un code de
déontologie sous une autorité régulatrice indépendante, pour qu’il ne tombe
pas entre les griffes de fossoyeurs et pyromanes de toutes sortes. Les libertés
fondamentales, individuelles et collectives doivent être respectées, et la
torture abolie. L’armée doit se désengager de la politique et assumer ses
missions constitutionnelles. La pluralité de l’Algérie doit être affirmée, et sa
triple identité (islamité, berbérité et arabité) respectée. Le tamazight doit être
officialisé et les moyens nécessaires déployés. Les droits des femmes doivent
être respectés. Il faut exiger une réforme de l’enseignement adaptée à la
réalité d’aujourd’hui : un enseignement libéré des contraintes idéologiques,
axé sur les sciences et les technologies, ouvert sur le monde, vecteur de
tolérance. Il ne faut pas dilapider nos acquis, à commencer par la langue
française. L’Algérie doit être soignée de son mal le plus profond, la
corruption, en restaurant les valeurs perdues sur l’autel des différents
pouvoirs. Pour exiger des divers services, censés lutter contre ce fléau, qu’ils
soient incorruptibles, des moyens humains doivent leur être octroyés et les
salaires valorisés. Les coupables doivent être sévèrement châtiés. De grâce
surtout, pas de retour à l’hégémonie d’avant octobre 1988, et laissez le peuple
vivre en paix. Sachez que l’histoire, quant à elle, est déjà écrite malgré vous,
votre argent et vos valets.
ANNEXES
CHRONOLOGIE
3e région militaire :
1964-1965 : Colonel Soufi
1965-1967 : Yahiaoui
1969-1975 : Zerguini
1975-1979 : Salim Saadi
1979-1982 : Nezzar
1982-1983 : Hachichi
1983-juin 1987 : Zeroual
Juin 1987-déc. 1987 : Betchine
Déc. 1987-1992 : Derradji
1992-1994 : Boughaba
1994-1997 : Benhadid
1997-2000 : Guedaidia
2000-2004 : Tafer
Depuis 2004 : Cheningniha
4e région militaire :
1964-1965 : Amar Mellah
1965-1967 : Abdelghani
1967-1969 : Zerguini
1969-1979 : Atailia
1979-1984 : Benmaalem
1984-1987 : Betchine
1987-1988 : Benmaalem
1988-1990 : Gheniem
1990-1992 : Djouadi
1992-1994 : Bekkouche
1994-1996 : Saïdi Fodhil
1996-1997 : Saheb Abdelmajid
1997-1999 : Kamel Abderahmane
1999-2005 : Saheb Abdelmajid
Depuis 2005 : Abderazak Cherif
5e région militaire :
1964-1967 : Belhouchet
1967-1974 : Abdelghani
1974-1982 : Hadjeress
1982-1984 : Nezzar
1984-1987 : Sadek Reffas
1987-1988 : Zeroual
1988-déc. 1990 : Lamari
1990-1992 : Boughaba
1992-1994 : Djouadi
1994-1997 : Boughaba
1997-2000 : Djemai
2000-2004 : Saïd Bey
2004-2005 : Kamel Abderahmane
Depuis 2005 : Benali
6e région militaire :
1982-1983 : Zeroual
1983-1987 : Abid
1987-1988 : Djenouhat
1988-1990 : Djouadi
1990-2000 : Kadri
2000-2005 : Benali
Depuis 2005 : Athmania
Chef d’état-major :
1964-1967 : Zbiri
1967-1978 : Boumedienne
1978-1984 : Chadli
1984-1986 : Beloucif
1986-1989 : Belhouchet
1989-1990 : Nezzar
1990-1993 : Guenaizia
1993-2004 : Lamari
Depuis 2004 : Gaid Salah
Commandement de la gendarmerie :
1964-1977 : Bencherif
1977-1983 : Cheloufi
1983-1988 : Hachichi
1988-1997 : Ghezeil
1997-fév. 2000 : Derradji
Depuis fév. 2000 : Boustila