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4e de couverture

L’Algérie des Généraux

Lyes Laribi

« … cet ouvrage poignant, c’est l’histoire du grand silence algérien. »


Florence Aubenas, in Libération, à propos de Dans les geôles de Nezzar,
de Lyes Laribi.
Depuis son indépendance, l’Algérie est dirigée par des Généraux qui
maintiennent le pays dans la guerre civile et la misère. Mais comment
fonctionne et perdure ce pouvoir ? Arrêté et torturé en Algérie pour avoir
créé un syndicat étudiant libre dans les années 1980, accusé d’islamisme et
souvent inquiété depuis, Lyes Laribi a été confronté de près à la Sécurité
Militaire, la police politique de l’État.
L’auteur dresse l’historique des querelles internes entre le clan du général
Zeroual et celui du général Nezzar : coups d’Etat, combines économiques,
crimes politiques qui s’étendent de 1962 à 1999… Aujourd’hui, Lyes
Laribi décèle derrière le gouvernement de l’actuel président, Abdelaziz
Bouteflika, la main-mise d’un troisième clan de Généraux, prolongement
de ces nomenklaturas corrompues.
Cette courageuse enquête de l’auteur de Dans les geôles de Nezzar est une
critique inédite et passionnée de l’histoire récente de l’Algérie. Une
invitation à rendre au peuple algérien la confiance et la parole qui leur ont
été confisquées.

Préface de Ghazi Hidouci, statisticien, économiste, ministre de l’Économie


et des Finances d’Algérie durant le gouvernement d’ouverture et de
réforme (1989-1991).
Avec un tableau inédit de la hiérarchie militaire algérienne depuis 1964.
Sommaire
Couverture

Quatrième de couverture

Sommaire

Page de copyright

Dédicace

PRÉFACE

INTRODUCTION

I. L’INDÉPENDANCE CONFISQUÉE (1962-1965)

II. L’ALGÉRIE DE BOUMEDIENE (1965-1978)

III. DE L’AVÈNEMENT DE CHADLI BENDJEDDID AUX ÉMEUTES


D’OCTOBRE 1988 (1979-1988)

IV. LE FAUX PROCESSUS DE DÉMOCRATISATION ET LA SECONDE


GUERRE D’ALGÉRIE (1989-2007)

CONCLUSION

ANNEXES

CHRONOLOGIE

SIGLES

TABLEAU DES NOMINATIONS DES GÉNÉRAUX ALGÉRIENS DEPUIS 1964


© Max Milo Éditions
Collection Essais-Documents, Paris, 2007
www.maxmilo.com
ISBN : 978-2-31500-188-0
A mon père.
PRÉFACE
Dans son premier ouvrage au titre explicite, Dans les Geôles de Nezzar,
Lyes Laribi, alors jeune syndicaliste et étudiant pacifique, nous avait livré un
témoignage direct de ce qu’il avait dû souffrir dans sa chair et dans sa dignité
dès 1991, uniquement parce qu’il était politiquement engagé, nourri des
valeurs de liberté, de justice et d’émancipation, pour lui-même, son quartier,
son université et son pays. Aucune raison « normative » ne pouvait justifier
son emprisonnement. Ni intégriste, comme disent aujourd’hui ceux qui
s’autorisent à civiliser de force celles et ceux qui leur font obstacle ; ni même
islamiste « modéré, politiquement correct ». Il allait jusqu’à s’afficher
démocrate !

Ce jeune étudiant sera enfermé et mutilé physiquement et moralement sans


avoir rien fait de répréhensible, mais seulement parce qu’il avait une
conscience et des principes. En vérité, avoir une conscience et le courage de
dire ce qu’elle vous dicte est vécu comme un danger extrême par un régime
qui ne peut exister que s’il a le monopole de la pensée et du langage. Il
connaîtra, hélas, la réalité de la guerre faite au peuple, ses pratiques barbares
et ses folies de différents postes d’observation et différents angles de vue : de
sa cellule par le contact avec les geôliers, les prisonniers politiques, les
prisonniers de droit commun, les terroristes et les visiteurs ; de chez lui, au
cœur d’un quartier populaire où il peut vivre les déchirures des familles et la
complexité des situations réelles ; à travers ses rencontres, fortuites ou non,
avec des acteurs directs de cette guerre. Libéré, il s’exile en Europe.
Longtemps sans droits, il vit alors d’expédients au milieu des marginaux, il
connaît la peur et se sent longtemps traqué. Une conscience est en effet
encore plus dangereuse au milieu des pauvres à l’étranger, où elle possède
malgré tout des marges de manœuvre, qu’en Algérie dans un confort
strictement sous surveillance.

Aujourd’hui, dans L’Algérie des Généraux, il raconte très simplement


comment il comprend cette guerre, ce régime et ce cauchemar qu’il partage,
hélas, avec la majorité des Algériennes et des Algériens. Et c’est là que se
situent tout l’intérêt et toute l’importance de son témoignage pour
comprendre et prendre position. Le présent ouvrage est avant tout un
témoignage de la guerre faite au peuple algérien, dans les années 1990, par
ses polices, son armée et ses appareils politiques ne reculant devant aucun
affairisme ni aucun aventurisme. Ce n’est ni un essai d’analyse d’un régime
politique, ni un travail de militant politique. Le témoin est dans une position
exceptionnellement nouvelle et riche d’enseignements pour toutes celles et
tous ceux qui sont en quête d’informations sur la manière dont s’est déroulée
cette guerre : il a directement observé dans le détail les liens internes entre
chefs terroristes et militaires chargés de la police politique, le partage des
tâches entre cette même police et les plus extrémistes des va-t-en-guerre de
l’intégrisme politique, la collusion entre les totalitarismes pour asservir le
peuple, le terroriser et l’empêcher longtemps d’espérer.

L’auteur nous livre son vécu sans théoriser ni même expliquer, et c’est ce
qui donne tout son mérite et toute sa force à l’ouvrage. Parallèlement, il tente,
à travers son expérience, de comprendre comment la révolution algérienne en
est arrivée à être livrée à ce type de pratiques et à ce type d’hommes, dans
une guerre qui a fait officiellement deux cent mille morts et disparus, comme
ensuite dans une réconciliation sans procès strictement réservée de part et
d’autre aux concepteurs, décideurs et exécutants des basses besognes, et enfin
dans la paix accordée avec mépris à un peuple humilié, souffrant dans le
silence. Il est obligé, pour ce faire, de remonter assez loin dans le temps ; il
trouve alors la source du mal en 1958, dans la confiscation de la lutte des
Algériens pour l’indépendance par les militaires stationnés aux frontières,
encadrés par les déserteurs de l’armée coloniale, à la suite de la destruction de
l’encadrement politique vivant au milieu des gens. Ces déserteurs sont
toujours là ; l’auteur ne nous suggère qu’indirectement comment ces
militaires ont néanmoins progressivement représenté un pouvoir autoritaire
de classe soutenu par les rares élites bureaucratiques d’alors et évoluant
lentement vers une oligarchie policière et financière.
Mais cela est une autre histoire ; la sienne, c’est le passionnant récit
mettant en scène de vrais policiers, de vrais terroristes et des terroristes en
service commandé, de vrais leaders populaires et des leaders « radicaux » en
service commandé.
C’est une première, qui vaut largement le détour.

Ghazi Hidouci,
ancien acteur politique de la tentative
avortée de démocratisation des institutions,
aujourd’hui en exil.
INTRODUCTION
Depuis l’annonce de l’hospitalisation de Bouteflika au Val-de-Grâce, en
décembre 2005, suite à l’aggravation d’une maladie entourée d’une grande
opacité, les Algériens se sont une fois de plus retrouvés face aux spectres qui
peuplent El-Mouradia, le palais présidentiel. Ils savent que leur pays est
malade de ses hommes.
Quarante ans après une indépendance chèrement acquise, l’Algérie
n’arrive pas à trouver sa voie. La situation politique est toujours bloquée. La
démocratie demeure une chimère. Le pouvoir est resté entre les mains des
deux clans de généraux – ceux de Liamine Zeroual et Khaled Nezzar – qui
n’ont cessé de s’entredéchirer.
Quant à l’économie, elle est dans l’impasse. L’Algérie demeure tributaire
de la rente pétrolière. Les tentatives de réforme et de libéralisation
rencontrent des résistances de la part de toutes ces clientèles prédatrices
groupées autour de quelques galonnés. Le chômage touche une bonne partie
de la population active (– 17 % en 2005 selon la version officielle). La
régression est tellement considérable sur la dernière décennie qu’elle a amené
le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) à classer
l’Algérie parmi les pays prioritaires dans son Rapport sur le développement
humain en 2003. Dans la liste, le pays occupe une place peu reluisante,
malgré des recettes pétrolières en pleine croissance.
Depuis la démission de Bendjeddid en 1992, l’Algérie vit toujours dans un
état d’exception. La situation sécuritaire demeure floue, même si les actes
terroristes dirigés contre les populations civiles ont régressé.
La seconde guerre d’Algérie, une guerre civile, a fait cent cinquante mille
morts, et laissé des centaines de milliers d’orphelins, des dizaines de milliers
de torturés, sans compter les milliers de disparus.
Les libertés civiles sont encore et toujours bafouées. L’absence de
représentation citoyenne a fait naître une culture de l’émeute selon laquelle
les conflits se règlent toujours par la violence. Le désespoir pousse les jeunes
au suicide et leur seul rêve est d’émigrer dans des pays lointains. Les crises
succèdent aux crises.
Ce livre m’a été demandé par de nombreux lecteurs de mon premier
ouvrage, Dans les geôles de Nezzar1. J’ai notamment essayé d’apporter des
réponses, alimentées par des faits, aux questions suivantes : quelle est la
nature de notre régime algérien ? L’armée était-elle pour le processus de
démocratisation après les émeutes d’octobre 1988 ? Pourquoi cette seconde
guerre et qui tire profit de la crise persistante ? Quelles sont les voies de
secours, quels sont les moyens pour sortir de cette impasse ?
Permettez-moi enfin de citer une phrase clé. Elle émane de la bouche de
l’actuel président de la République, qui, lors d’un discours en
septembre 2001, a déclaré : « L’État ne sert pas la nation mais lui porte
préjudice. » À bon entendeur salut.

Une grande partie de l’ouvrage est consacrée à la dernière décennie ; j’ai


essayé de revenir sur certains grands événements qui, je pense, ont eu une
répercussion sur le devenir de l’Algérie :
– l’assassinat de personnages historiques de la guerre d’indépendance,
d’Abane Ramdane à Mohamed Boudiaf ;
– les multiples coups d’État qui ont jalonné l’histoire de l’Algérie
indépendante, à commencer par celui dirigé contre le Gouvernement
Provisoire de la République Algérienne (GPRA) ;
– certains actes criminels et certaines décisions économiques que je
détaillerai.
Mais j’ai surtout tenté de comprendre comment quelques généraux ont pu
faire main basse sur le destin de l’Algérie, et tracer des lignes rouges autour
de leurs vitrines légales (présidents de la République, chefs de gouvernement,
ministres, juges, députés…). Comment ce pouvoir opaque et parallèle s’est-il
substitué au pouvoir légal ? Quels liens unissent ces hommes ? Comment les
clientèles civiles et militaires s’articulent-elles autour d’eux ? Comment les
conflits entre ces hommes sont-ils réglés ? Comment vaincre ces clans et leur
soustraire le devenir de l’Algérie ? Comment, en somme, rendre au peuple
algérien la parole, la dignité et la confiance ?

1. Éditions Paris-Méditerranée, 2002.


I

L’INDÉPENDANCE CONFISQUÉE (1962-1965)

Avant d’aborder la période de l’indépendance de l’Algérie, qui débute en


juillet 1962, je vais revenir sur deux événements qui ont eu lieu au cours de la
guerre de libération, et dont les conséquences ont été dramatiques : la mort
d’Abane Ramdane et la création du ministère de l’Armement et des Liaisons
Générales (MALG), à savoir le service de renseignements du Front de
Libération Nationale (FLN).

1. La mort d’Abane Ramdane

Le peuple algérien, sous domination française depuis 1830, s’est soulevé


contre la puissance occupante le 1er novembre 1954. Cette insurrection armée
a été l’aboutissement de plusieurs dizaines d’années de révoltes, de tentatives
de compromis, et d’échecs. Elle a été déclenchée par une poignée d’hommes
et menée sous l’égide du FLN.
Le 1er novembre 1954, Abane Ramdane est en prison. Il a été enfermé en
1950 pour son appartenance au mouvement nationaliste qu’il avait rejoint en
1946 après des études au collège de Blida, près d’Alger. Il est libéré en
janvier 1955 et rejoint les rangs de l’insurrection qui vient d’éclater. Il a
compris que cette insurrection, pour rester vivace, ne doit pas rester entre les
mains du CRUA. Un congrès donnera une dimension nationale au
mouvement. Abane Ramdane est avec Larbi Ben M’hidi, l’organisateur du
Congrès de la Soummam, qui s’est tenu le 20 août 1956, et lors duquel ont
été définies les limites entre les pouvoirs politique et militaire. Il est
l’idéologue de la révolution algérienne. Son assassinat constitue un moment
décisif à partir duquel s’est transformée la conception de l’État algérien. Il est
doté d’une forte personnalité et d’une solide culture. Jacobin, il a été à
l’origine du rassemblement de toutes les forces politiques nationales (le parti
communiste excepté), y compris les religieux représentés par les
« oulémas2 » sous l’égide du FLN. Il est entré en conflit avec les chefs
militaires, car il considérait que le politique devait primer sur le militaire, et
l’intérieur sur l’extérieur.
L’arrestation puis l’exécution de Larbi Ben M’hidi par les parachutistes du
colonel Bigeard, l’échec de la grève des huit jours en janvier 1957 à Alger,
l’exil non annoncé du Comité de Coordination et d’Exécution (CCE) à Tunis
en juin 19573, les retournements d’alliances et les ambitions personnelles ont
précipité sa chute. Lors d’une réunion à Tunis4, le colonel Boussouf,
responsable de la wilaya5 V, et Boumediene, son adjoint auquel il avait
délégué une grande partie de ses pouvoirs, ont été tout particulièrement pris à
partie par Abane Ramdane, qui leur a reproché leur comportement avec les
populations civiles des zones sous leur contrôle. Ce type d’attitude se répète
malheureusement avec certains autres seigneurs de la guerre qu’il ne manque
pas de fustiger publiquement. Son autorité est telle que nul n’ose l’affronter
ouvertement. Un jour, recevant plusieurs hauts responsables, il est entré dans
une violente colère, menaçant de les dénoncer publiquement : « Puis je
rentrerai en Algérie, pour mener la lutte au milieu des maquisards et des
militants. » Ceci a conduit Krim Belkacem, considéré comme le chef de
l’armée depuis le Congrès de la Soummam, à réagir lors de la réunion du
27 août 1957, lançant à Abane Ramdane : « Qui a déclenché la guerre ? Qui a
le plus souffert ? Il y a une majorité qui se dessine en faveur des colonels, que
cela te plaise ou non6. »
Abane Ramdane a été lâché au dernier instant par ses proches. Le premier
crime politique a alors été organisé par les trois « B », à savoir : Belkacem
Krim, Boussouf Abdelhafid, Bentobbal Lakhdar (chef de la wilaya II). Abane
Ramdane a été attiré dans un guet-apens. Des messages en provenance des
services de liaison du FLN ont commencé à arriver du Maroc, faisant état de
militants arrêtés et séquestrés, ainsi que de stocks d’armes saisis par les
autorités marocaines. Les messages sont devenus de plus en plus alarmants et
le roi Mohamed V s’est montré disposé à en discuter et à trouver une
solution, mais uniquement avec le principal dirigeant du FLN, Abane
Ramdane. Ce dernier s’est laissé convaincre par les trois principaux
instigateurs : Belkacem, Boussouf et Bentobbal. Belkacem a gagné le Maroc
pour préparer l’arrivée de son compagnon. Quelques jours plus tard, Abane
Ramdane accompagné de Krim Belkacem et de Mahmoud Cherif, tous les
deux membres du CCE, est arrivé au Maroc via l’Espagne. Ils ont été
accueillis par Boussouf à l’aérodrome. Abane Ramdane a été emmené dans
une ferme isolée. Dès son arrivée, six hommes se sont jetés sur lui et l’ont
ligoté, pendant que l’un d’eux lui pressait la pomme d’Adam avec le poignet.
Il a été emmené dans une pièce voisine et étranglé. Il aura ainsi été assassiné
le 27 décembre 1957 au Maroc par les hommes du colonel Boussouf, créateur
du MALG7.
Quelques mois plus tard, en mai 1958, El Moudjahid, le journal du FLN, a
rendu hommage8 à cet homme courageux, qui aurait succombé à ses
blessures survenues lors d’un accrochage avec l’ennemi : le premier
mensonge sur un assassinat politique dans un organe de presse venait de voir
le jour. Cette méthode sera considérée comme le meilleur moyen pour
contrecarrer toute opposition politique au régime, et elle est,
malheureusement, encore valable de nos jours.
L’assassinat d’Abane Ramdane, accusé d’autoritarisme et même de
trahison par ses compagnons de guerre, constitue la prise effective du pouvoir
par les militaires, qui ne le lâcheront plus. La révolution algérienne
accouchera d’une dictature : un système politique militarisé se mettra en
place et utilisera tous les moyens pour durer.

2. La mise en place de la machine infernale et la prise du


pouvoir par les militaires

Le colonel Boussouf, en charge de la wilaya V, un des principaux


conspirateurs contre Abane Ramdane et responsable direct de sa mort, est le
créateur du MALG, ancêtre de la sécurité militaire pendant la guerre
d’indépendance. Le MALG était basé à Tripoli, en Libye. Une école des
cadres, dirigée par Khalifa, le père de l’ancien golden boy Rafik Khalifa, a été
créée, d’où sortiront les futurs chefs de la sécurité militaire, appelés les
« Boussouf boys ». En 1962, juste avant sa mise à l’écart, le colonel Boussouf
a décidé d’envoyer ses élèves s’initier aux pratiques du KGB9 dans les écoles
de ce dernier, sous le fameux code « Tapis rouge10 ». Les « Boussouf boys »
apprendront de multiples méthodes d’élimination de l’adversaire, mais seront
surtout initiés au terrorisme d’appareil. Leur apprentissage sera plus qu’un
appui, dont Boumediene puis ses futurs successeurs tireront profit après
l’indépendance.
La sécurité militaire (SM), ou actuellement Direction du Renseignement et
de la Surveillance (DRS), est la police politique du régime. Elle représente sa
colonne vertébrale, elle a permis et permet encore sa survie. C’est une
véritable institution qui tissera sa toile partout. L’armée, les ministères, les
ambassades, les entreprises publiques, les collectivités locales, les
universités, les partis politiques, les associations, la presse publique et privée
seront infiltrés et, le cas échéant, manipulés. Aucun homme ne peut se
maintenir au pouvoir sans son soutien. C’est un État dans l’État. La rapide
croissance de Rafik Khalifa dans les années 1990 illustre la puissance du
réseau constitué par les anciens du MALG.
L’année 1958 a surtout été marquée par l’annonce, le 19 septembre, de la
création du GPRA, avec comme président Ferhat Abbas, pharmacien de
profession, politicien chevronné, ancien responsable du parti Union
Démocratique du Manifeste Algérien (UDMA) avant de rejoindre le FLN en
avril 1955 (il avait été arrêté au lendemain de l’insurrection et venait de
recouvrer la liberté à cette date). Ferhat Abbas restera à sa tête jusqu’au
4e congrès du CNRA qui se tiendra à Tripoli du 5 au 22 août 1961, où il sera
destitué et remplacé par Youcef Benkhada, un autre pharmacien, membre du
mouvement nationaliste depuis 1943, et centraliste.
Dans la version officielle, ce changement à la tête du GPRA était tactique
et consistait en un assouplissement ayant abouti aux accords d’Évian avec
l’État français. Mais la réalité est la suivante : Krim Belkacem, qui se méfiait
de plus en plus de Boumediene devenu entre-temps chef d’état-major, a
encouragé ce changement qu’il considérait comme stratégique. Cela
expliquera les désaveux publics exprimés par le GPRA à l’encontre de l’état-
major formé de Boumediene et des commandants Ali Mendjeli et Kaid
Ahmed. Le colonel Boumediene, de son vrai nom Mohamed Boukharouba,
est né le 23 août 1932 dans un bourg situé près de la ville de Guelma, dans
l’Est algérien. Il a rejoint le mouvement nationaliste en 1949. Il a fait ses
études à Constantine, puis à Tunis, et enfin à l’université El-Azhar au Caire.
Il a pris le commandement de la wilaya V en 1957, puis celui du PC d’Oujda
au Maroc. Il a ensuite pris le commandement opérationnel de l’Ouest, puis
est devenu chef d’état-major de l’Armée de Libération Nationale (ALN).
C’est alors que Boumediene a forgé l’esprit de soumission à l’autorité, et
surtout constitué une administration autoritaire favorisée par la présence de
fonctionnaires.
Le 19 mars 1962, après plusieurs rencontres infructueuses, un cessez-le-feu
a été signé entre le gouvernement français et le chef de la délégation du
GPRA, Krim Belkacem : ce sont les « accords d’Évian », qui conduiront, le
3 juillet 1962, à un référendum populaire proclamant l’indépendance de
l’Algérie. Mais à mesure que cette indépendance approchait, la lutte pour la
prise du pouvoir faisait rage entre les compagnons d’hier : d’un côté, le
GPRA, et de l’autre, le clan d’Oujda11, c’est-à-dire l’état-major de l’armée,
appuyé par les services du MALG.
L’affrontement entre les deux parties a eu lieu à Tripoli au cours du
congrès du Conseil National de la Révolution Algérienne (CNRA), entre le
27 mai et le 7 juin 1962 : c’est l’« affaire OAS12 » (Organisation Armée
Secrète). Le divorce est alors consommé.
Le GPRA rentre à Alger le 1er juillet 1962. Le 11 du même mois, l’état-
major du colonel Boumediene s’installe à Tlemcen avec Ahmed Ben Bella et
Mohamed Khider.
Ben Bella est né le 25 décembre 1916 à Maghnia, de parents paysans
marocains qui avaient émigré à la frontière algéro-marocaine. Il a rejoint le
mouvement nationaliste en 1947. Il a été arrêté en 1950, puis condamné deux
ans plus tard à sept ans de prison. Il s’est évadé en 1952 et a rejoint au Caire
Hocine Ait Ahmed et Mohamed Khider, avec lesquels il a constitué plus tard
la délégation extérieure du FLN. Il a été arrêté une seconde fois en 1956,
suite au détournement de l’avion qui le menait du Maroc à Tunis, en
compagnie de Hocine Ait Ahmed, Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf et
Mostefa Lacheref. Il a été incarcéré à la prison de la Santé et libéré en 1962.
Il s’est alors allié au colonel Boumediene pour prendre le pouvoir. Le
22 juillet, il a proclamé un bureau politique devant Mohamed Khider, Ferhat
Abbas, le colonel Boumediene et tout son état-major.
Le 27 juillet, Ait Ahmed, un des dirigeants historiques de la révolution
algérienne, ancien responsable de la branche armée du PPA-MTLD
(organisation secrète), qui avait joué un rôle de premier plan dans
l’insurrection contre la France en 1954 en participant à la création du FLN,
puis qui avait défendu la cause algérienne devant l’Organisation des Nations
Unies, a démissionné du gouvernement. L’armée des frontières est passée à
l’offensive : des affrontements ont éclaté aux portes d’Alger. Ils ont fait des
milliers de morts. Les maquisards de l’intérieur ont été balayés par une armée
mieux équipée, mieux organisée, plus reposée et ayant intégré dans ses rangs
tous les déserteurs de l’armée française.
La France a menacé d’intervenir. La population est descendue dans la rue.
De toute cette tragédie, on retiendra la fameuse phrase de Mohamed
Boudiaf : « Le coup d’État, si par malheur il venait à réussir, signifierait
l’instauration d’une dictature fasciste. »
Ainsi la crise tournera à l’avantage du clan d’Oujda qui s’est appuyé sur
l’armée des frontières pour prendre le pouvoir.

3. Insurrection en Kabylie

Au moment où les dissensions au sein du mouvement nationaliste


provoquées par la lutte pour le pouvoir battaient leur plein, le peuple, dans un
premier temps, a laissé éclater sa joie. Des manifestations grandioses ont été
organisées dans toutes les villes et les villages d’Algérie pour célébrer cette
indépendance conquise, payée d’un lourd tribut de morts et de souffrances.
Mais quelques jours plus tard, le peuple s’est retrouvé devant une guerre sans
merci entre ses propres chefs voulant se partager le butin. Ainsi, toutes ces
femmes, ces enfants, ces hommes et ces vieillards qui avaient sillonné les
rues en scandant « Tahya djazâir13 ! », manifestaient de nouveau, mais cette
fois-ci, sous les cris de « Sebaa snine barakat14 ». Cette seconde descente du
peuple dans les rues précipitera la chute du GPRA et l’accession du clan
d’Oujda au pouvoir.
Le 20 septembre 1962, une Assemblée Constituante a été élue. Elle a
investi le gouvernement d’Ahmed Ben Bella, devenu lui-même président du
Conseil. Les membres du clan d’Oujda se sont alors répartis les postes à
responsabilité, à l’exception du colonel Boussouf15, qui, au cours du mois
d’août 1962, a été écarté par le couple Boumediene-Ben Bella et ses hommes.
On retrouvera dans ce premier gouvernement toutes les personnes qui avaient
participé au meeting du 20 juillet 1962 à Oran, mais en revanche aucun
membre du dernier GPRA. Ainsi, Ahmed Ben Bella est devenu président,
Houari Boumediene ministre de la Défense, Mohamed Khider secrétaire
général du FLN, et Ferhat Abbas président de l’Assemblée Nationale. Aux
yeux du colonel Boumediene et de ses fameux « boys », ce partage n’était
que temporaire, et permettait seulement de laisser passer l’orage.
Quelques mois plus tard, le colonel Boumediene s’est arrogé la vice-
présidence du Conseil. Mohamed Khider a vite compris sa stratégie et a
demandé à Ahmed Ben Bella que l’armée retourne dans les casernes. Devant
le refus de ce dernier, Mohamed Khider a décidé de démissionner de son
poste de secrétaire général du FLN, le 16 avril 1963. Il a peut-être pensé qu’à
la faveur de cette démission, Ahmed Ben Bella mesurerait la dangerosité de
son ministre de la Défense, également vice-président du Conseil. Mais voyant
qu’il était incapable de comprendre les choses, il a décidé de prendre le
chemin de l’exil.
En 1964, à Genève, il a fait une déclaration remarquée condamnant la
politique menée par le pouvoir d’Alger. Bien sûr, entre-temps, la machine à
propagande avait essayé de le salir, en le traitant de voleur et en l’accusant
d’avoir détourné le trésor du FLN16 – une accusation sans aucun fondement,
puisque sa femme l’a restitué juste après sa mort. D’après ses proches,
Mohamed Khider considérait que cet argent appartenait au peuple algérien, et
il voulait l’utiliser dans le cadre d’un gouvernement en exil ayant pour
mission de renverser le pouvoir d’Alger et de se débarrasser du colonel
Boumediene. Mais ses pensées et ses souhaits furent vains et ses plans
resteront au stade préparatoire, car une main criminelle lui a fauché la vie : il
a été assassiné le 4 janvier 1967 à Madrid par un certain Youcef
Dakhmouche, truand et trafiquant d’or entre le Maroc et l’Algérie.
Ce délinquant, qui purgeait une peine d’emprisonnement, s’était vu
proposer un contrat d’assassinat en échange de sa mise en liberté, et il a
accepté. L’enquête menée par la police espagnole a dévoilé le rôle joué par
l’ambassade d’Algérie à Madrid et par un certain Boukhalfa, attaché culturel,
dans l’élimination de Mohamed Khider.
Quelques semaines après la démission de ce dernier, les services de
sécurité avaient démantelé le Parti de la Révolution Socialiste (PRS) et arrêté
ses principaux dirigeants, dont le chef, Mohamed Boudiaf (qui avait créé le
PRS le 27 septembre 1962), un des membres fondateurs du FLN et militant
nationaliste de la première heure : il avait été arrêté le 21 juin 1963 au pont
d’Hydra par les agents de la Sécurité Militaire, puis transféré à Tsabit, dans
l’extrême Sud algérien. Après cinq mois de détention arbitraire, il a été libéré
et forcé à l’exil.
Quelques jours avant, le 9 juin 1963, Hocine Ait Ahmed avait prononcé un
violent réquisitoire contre Ahmed Ben Bella et sa politique. Le 29 septembre,
il a annoncé la création du Front des Forces Socialistes (FFS).
Le 10 octobre, à la faveur de la Guerre des Sables17, le pouvoir a décrété la
mobilisation générale et est passé à l’offensive en Kabylie. L’Armée
Nationale Populaire (ANP) a ouvert le feu sur les troupes de la septième
région de Kabylie. Ait Ahmed et le colonel Mohand Oulhadj ont gagné les
maquis avec leurs partisans, mais le 12 novembre, un accord a été conclu
entre Ben Bella et le commandant Mohand (ou El Hadj). Ait Ahmed a
poursuivi la résistance. Il a été arrêté le 17 octobre 1964, condamné à mort
puis gracié. Il s’évadera de la prison d’El-Harrach en 1966 et choisira le
chemin de l’exil.
Une autre révolte armée a éclaté en 1964 sous le commandement du
colonel Chaabani, soutenu par Mohamed Khider, et a été réprimée dans le
sang. Le colonel Chaabani a été arrêté puis jugé par un tribunal militaire,
condamné à mort et exécuté. Lors de ce procès, le procureur de la République
était un certain capitaine Chadli Bendjeddid, futur président de la République.
À cela s’ajoute, le 14 août 1963, la démission de Ferhat Abbas de ses
fonctions à la tête de l’Assemblée Nationale ; il voulait ainsi se démarquer du
projet constitutionnel du FLN. Il a été arrêté le 3 juillet 1964, chez lui à
Kouba, et gardé au secret à El-Biar dans une clinique désaffectée jusqu’au
30 octobre, avec ses compagnons d’infortune : Abderrahmane Farès, ancien
président de l’exécutif provisoire, Amar Bentoumi, ancien ministre de la
Justice, le commandant Azzeddine, le commandant Larbi Berredjem, les
députés Boualem Oussedik et Brahim Mezhoudi, Ait Chaalal, futur
ambassadeur à Bruxelles, et d’autres. Ferhat Abbas sera déporté vers Bechar,
dans le Sud-Ouest et ne sera libéré que le 8 juin 1965.

4. Le coup d’État du 19 juin 1965


Le 28 août 1963, le Parlement algérien a « adopté » une Constitution.
Élaborée au Majestic18, une salle de cinéma d’Alger, par un groupe proche
d’Ahmed Ben Bella, elle sera plutôt imposée au Parlement. Cela a provoqué
la démission et l’ire d’un certain nombre d’acteurs importants de la
révolution algérienne, dont le président du Parlement Ferhat Abbas. Elle sera
entérinée par un pseudo-référendum populaire organisé le 8 septembre 1963.
Ainsi, Ahmed Ben Bella est devenu président de la République le
15 septembre 1963. Avec cette légitimité des urnes, il s’est acharné à
appliquer son programme socialiste, fondé sur une autogestion des
entreprises commerciales et industrielles.
Mais Ahmed Ben Bella se méfiait de Boumediene, grâce auquel il était
arrivé au pouvoir. Incapable de s’attaquer à lui directement, Ahmed Ben
Bella a tenté de l’affaiblir en le coupant de ses plus fidèles lieutenants. Il s’est
attaqué à Ahmed Medeghri et a soustrait les préfets à son autorité. Il a
provoqué sa démission du poste de ministre de l’Intérieur pour l’occuper lui-
même, puis il fera démissionner Gaïd Ahmed, ministre de l’Information. En
décembre 1964, Ahmed Ben Bella occupait à lui seul les fonctions de
président de la République, de secrétaire général du FLN, de chef du
gouvernement, de ministre de l’Intérieur, de l’Information et des Finances.
Les recommandations de la plate-forme de la Soummam et de la direction
collégiale, la lutte contre le culte de la personnalité, le respect de la diversité
étaient déjà loin. Quand, le 28 mai 196519, lors du congrès des chefs de
gouvernement arabes au Caire, il a annoncé la démission d’Abdelaziz
Bouteflika de son poste de ministre des Affaires étrangères, il ne savait pas
qu’il précipitait ainsi sa propre chute.
Boumediene a décidé de passer à l’action après avoir réuni son propre clan.
Le coup d’État a eu lieu le 19 juin 1965. Boumediene a arrêté Ben Bella,
après avoir fait investir les rues de la capitale par ses chars, pour faire face à
tout mécontentement possible de la population, car le président déchu, grand
populiste, avait su cultiver une image de président jovial et proche des gens.
Le même jour, à midi, Boumediene a prononcé un discours à la radio
algérienne, par lequel il a annoncé la création d’un Conseil de la révolution.
Ahmed Ben Bella restera quinze ans en prison et ne sera libéré qu’après la
mort du colonel Boumediene, par son successeur Chadli Bendjeddid, le
30 octobre 1980.
2. Les oulémas sont les théologiens de l’islam.
3. Suite à la répression subie après la grève des huit jours et la mise en place d’une cellule de traque
des dirigeants du FLN, le CCE a décidé de s’exiler à l’étranger.
4. Pierre Miquel, La Guerre d’Algérie, Fayard, 1993, p. 325.
5. Les wilayas sont des collectivités territoriales ; l’Algérie en compte 48.
6. Pierre Miquel, op. cit., p. 325.
7. Avant de devenir le « Ministère de l’Armement et des Liaisons Générales », le MALG était la
Direction Centrale des Liaisons Générales (DCLG), puis le Ministère des Liaisons Générales et des
Communications (MLGC).
8. Khalifa Mameri, Abane Ramdane, héros de la guerre d’Algérie, L’Harmattan, 1988, p. 301.
9. Services secrets de l’ex-URSS.
10. Reporters sans frontières, Le Drame algérien, La Découverte, 1994, p. 90.
11. En référence à la ville marocaine frontalière avec l’Ouest algérien, où est implantée la base
arrière de l’état-major.
12. Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002, p. 638.
13. « Vive l’Algérie ! »
14. « Sept ans, ça suffit. »
15. Reporters sans frontières, op. cit., p. 90.
16. La somme était de 5 751 844 638 anciens francs (voir Gilbert Meynier, op. cit.).
17. Différend frontalier opposant l’Algérie au Maroc.
18. Habib Souaïdia, Procès de la sale guerre, La Découverte, 2002, p. 114.
19. Benjamin Stora, Histoire de l’Algérie depuis l’indépendance, La Découverte, 1994, p. 31.
II

L’ALGÉRIE DE BOUMEDIENE (1965-1978)

1. Après le coup d’État

Le coup de force du colonel Boumediene contre Ahmed Ben Bella n’a


étonné presque personne dans l’opposition déclarée et clandestine. Durant les
trois années de règne de Ben Bella, ses compagnons de route n’ont cessé de
le mettre en garde contre ses propres dérives et contre les intentions de
Boumediene de prendre le pouvoir.
Pour Boumediene, il fallait démontrer rapidement son intransigeance vis-à-
vis de toute forme d’opposition. Des manifestations organisées par des fidèles
de Ben Bella dans quelques villes d’Algérie seront réprimées dans le sang et
suivies par des vagues d’arrestations. Certains fidèles seront torturés à mort,
tandis que d’autres seront envoyés dans des cachots pendant des années.
La torture, en tant que politique de dissuasion, a été érigée en système : la
peur s’est installée et les lettres « SM » sont devenues taboues. Boumediene a
régné d’une main de fer pendant treize ans et les moindres prémices
d’opposition, de remise en cause de la politique suivie étaient considérées
comme une déviance par rapport aux principes de Novembre (en référence au
1er novembre 1954, date du déclenchement de la guerre d’indépendance).
Boumediene s’est appuyé sur le CNRA pour asseoir son pouvoir. Du fait de
la duplicité de son régime, l’Algérie apparaîtra comme un des leaders du
tiers-monde en soutenant les grandes causes internationales et en aidant les
mouvements de libération des pays africains ; parallèlement, le régime en
place favorisera le développement des clientèles et de la corruption. Tout a
été fait pour donner à l’extérieur l’image d’un pays épris de liberté ; la
corruption a même été tolérée, mais on ne devait pas toucher à la nature du
régime.
2. Le putsch avorté de 1967 et l’assassinat de Krim Belkacem

La dictature de Boumediene s’est attachée à restreindre toutes les libertés :


la liberté d’association et la liberté de la presse ont été bannies, réduisant
l’opposition à la clandestinité. La dérive autoritaire de Boumediene a poussé
à la révolte même ses plus proches compagnons. Ainsi, en décembre 1967, le
colonel Tahar Zbiri, chef d’état-major de l’armée, un des participants au coup
d’État du 19 juin 1965, a tenté à son tour de renverser Boumediene, mais il a
échoué. Le colonel Tahar Zbiri20 a mis au jour un différend qui a toujours
miné les rangs de l’armée algérienne, à savoir la place prépondérante occupée
par d’anciens militaires de l’armée française21. Ces derniers ont déserté au
crépuscule de la guerre d’Algérie et ont rejoint les rangs de l’ALN. Le
colonel Tahar Zbiri, ainsi que d’autres officiers qui avaient pris les armes dès
les premières heures de la guerre d’indépendance, considéraient que ces ex-
déserteurs de l’armée française étaient là pour noyauter l’armée algérienne et,
au moment voulu, la détourner de la patrie au profit des intérêts de la France.
Mais Boumediene considérait que cette affaire était close, et il ne reviendrait
pas sur ce qui avait été décidé en 1964, à savoir l’incorporation de ces
anciens déserteurs dans la nouvelle armée algérienne. C’est ce qui a poussé le
colonel Tahar Zbiri à prendre les armes contre son chef. Boumediene utilisera
l’aviation pour bombarder les troupes de Tahar Zbiri aux portes d’El-
Affroun, à environ soixante kilomètres d’Alger. Ce dernier s’exilera et ne
rentrera qu’après la mort de Boumediene. C’est son successeur, Chadli
Bendjeddid, qui le graciera de sa condamnation à mort de 1969. Le colonel
Saïd Abid, chef de la 1re région militaire, qui avait refusé d’exécuter l’ordre
de Boumediene lui enjoignant d’engager ses unités contre celles de Tahar
Zbiri, a été retrouvé mort dans son bureau.
Ce putsch raté et l’assassinat de Khider ont signé le glas temporaire de
l’opposition, mais celle-ci va resurgir sous d’autres formes. L’année suivante,
des manifestations d’étudiants ont éclaté sous l’égide de l’Union Nationale
des Étudiants Algériens (UNEA), et la répression n’a pas tardé à s’abattre sur
eux : de nombreux militants ont été arrêtés, torturés puis déportés. L’UNEA
sera dissoute en 1971.
S’imprégnant de toute cette effervescence politique, Krim Belkacem a créé
le Mouvement Démocratique Républicain Algérien (MDRA) pour revenir sur
la scène politique algérienne. Mais ce geste ne pouvait échapper à la
vigilance de Boumediene, qui se méfiait de son ancien chef. Krim Belkacem
représentait un réel danger pour Boumediene : ancien chef militaire, il était
aussi le principal négociateur des accords d’Évian. Il était considéré par de
nombreuses chancelleries étrangères comme une personnalité crédible, et
certains voyaient en lui une alternative démocratique à Boumediene.
Le 20 octobre 1970, Krim Belkacem est retrouvé étranglé au moyen de sa
propre cravate dans un hôtel de Düsseldorf. Les services de police allemands
ont accusé les services secrets algériens d’être à l’origine de ce meurtre. Les
trois assassins avaient laissé des documents compromettants dans une
serviette abandonnée à la consigne de l’aéroport. Parmi eux se trouvait
H’Mida Ait Mesbah, chef du service opérationnel de la sécurité militaire, qui
avait fomenté une fausse tentative de coup d’État et tendu un piège à Krim
Belkacem.

3. Les réformes de Boumediene

Le coup d’État de juin 1965 a consacré l’avènement d’une bureaucratie


militaire composée d’acteurs sans passé, et surtout la mise à l’écart de ceux
qui avaient été directement à l’origine du déclenchement de la guerre contre
la France.
Les éliminations successives d’anciennes personnalités de la guerre
d’indépendance (Mohamed Khider, Krim Belkacem) par les sbires de
Boumediene appartenant à la fameuse Sécurité Militaire, et la répression de
tous les autres courants politiques (communistes, berbéristes, anciens
nationalistes) ont permis à ce dernier d’asseoir son régime.
Sur le plan économique, le régime de Boumediene a opté pour une
économie centralisée et dirigiste. L’État était le principal acteur économique
chargé du financement et de la redistribution des revenus. Même s’il a fallu
une vingtaine d’années et le second choc pétrolier de 1986 pour se rendre
compte de la gabegie régnante, certaines réalisations n’en sont pas moins
restées positives, favorisées par les recettes d’exportation et les recettes
budgétaires. Ainsi, la gratuité de l’école et des soins médicaux a permis à des
pans entiers de la société d’y avoir accès. La nationalisation des
hydrocarbures le 24 février 1971 a permis à l’Algérie de bénéficier, à partir
de 197322, d’une véritable rente, qui sera cependant mal utilisée et surtout
inégalement redistribuée.
La politique industrielle a été un échec : elle a entraîné la surprotection des
entreprises publiques par le contrôle des prix, une politique de taux d’intérêt
bas, entraînant des taux d’intérêt réels négatifs et des mesures de restriction
des importations. Le résultat a été une croissance extensive, au détriment de
la productivité. Ainsi le mythe de l’industrie industrialisante a surtout
autorisé le développement de la corruption à grande échelle. Les contrats
pour la création d’entreprises clé en main ont permis à des bureaucrates
véreux de s’enrichir. Ces entreprises, faute de transfert technologique, de
gestion rigoureuse et de vision économique, n’ont jamais été rentables. Elles
se sont surtout endettées auprès du Trésor public, augmentant le déficit
budgétaire, et alimentant la planche à billets. Elles seront fermées des années
plus tard, mettant des centaines de milliers de personnes au chômage.
La fameuse révolution agraire décidée au début des années 1970, contre
toute logique économique, sous le slogan pompeux de « La terre à celui qui la
travaille », avec la nationalisation de terres agricoles et la création de
coopératives, a instauré le fonctionnariat. Cette politique agricole a été un
désastre économique et humain. L’Algérie a fait partie des plus grands
importateurs au monde de blé dur, alors qu’elle était considérée par les
Romains comme « le grenier à blé23 » de l’empire, et qu’elle livrait à la
France, avant la colonisation, d’importantes quantités de céréales.
L’autosuffisance alimentaire reste un mirage : jusqu’au début des
années 2000, l’Algérie importait pour environ trois milliards de dollars de
produits agricoles. Certains économistes considèrent que cette somme
astronomique s’explique par le prix élevé des produits, mais aussi par leur
détournement au service d’intérêts privés.
Sur le plan humain, des centaines de milliers de paysans ont quitté la
campagne pour la ville, en quête d’un improbable eldorado. Ils sont venus
grossir les rangs des démunis à la périphérie des grandes villes. Le chômage,
la crise du logement et la pression démographique aidant, des centaines de
bidonvilles ont vu le jour.

4. La Charte nationale et la première insurrection islamiste


armée

Le 19 juin 1975, lors d’un discours télévisé prononcé à l’occasion de la


célébration de ses dix années de pouvoir, Boumediene a annoncé le
lancement d’un avant-projet sur la Charte nationale. En avril 1976, à coup de
millions de dinars en frais de publicité, il a lancé la campagne : il a organisé
des meetings populaires dans toutes les villes et villages pour réfléchir sur
l’avant-projet et l’enrichir.
Le 27 juin 1976, la Charte nationale a été adoptée avec plus de 98 % des
voix. Elle a consacré le socialisme comme seule et unique alternative au
développement du pays : « Le socialisme ne signifie pas autre chose qu’une
transformation radicale de la société algérienne, ce qui implique l’élimination
des intérêts en opposition avec les intérêts supérieurs du peuple algérien », a
expliqué le président.
Le 17 novembre 1976, le peuple algérien a voté pour une nouvelle
Constitution, dont la Charte nationale était l’élément vecteur. Le 10 décembre
1976, le colonel Boumediene est élu président de la République, retrouvant
ainsi une légitimité qui lui faisait défaut. Cette élection a coïncidé avec
l’apparition d’un mouvement islamiste revendicatif sous la houlette
d’Abdellatif Soltani, qui avait déjà fait connaître sa position vis-à-vis de la
politique de Boumediene, dans un manifeste rédigé en 197424. Abdellatif
Soltani appartenait au mouvement des Oulémas et se considérait comme le
continuateur de la pensée des cheikhs Bachir El Ibrahimi et Mosbah, ses
prédécesseurs à la tête de cette mouvance, morts en résidence surveillée. Il a
déclaré son rejet catégorique de cette nouvelle Constitution, qu’il a qualifiée
de conspiration communiste contre l’identité du peuple algérien. Cette
déclaration faisait écho à celle prononcée douze ans plus tôt par l’association
QIYAM25, qui avait condamné en 1966 l’exécution de Sayeb Qotb par
Nasser.
Cette opposition des islamistes fait exister pour la première fois sur les
monts de la Mitidja un groupe islamiste menant des actions de sabotage
contre des biens publics, sous la conduite d’un certain Mahfoudh Nahnah. Ce
dernier sera arrêté par les services de sécurité, déféré devant le tribunal de
Blida et emprisonné. Il sera relâché par le successeur de Boumediene, le
colonel Chadli Bendjeddid, et deviendra le leader d’un parti islamiste
participant à la coalition au pouvoir. Il est décédé le 20 juin 2003.

5. La mort de Boumediene

Entre 1976 et 1978, Boumediene s’est consacré à sa propre révolution.


Tous les projets portaient sa griffe. La télévision d’État ne manquait aucune
de ses sorties. Le culte de la personnalité a atteint à cette époque son
paroxysme. Cependant, ces deux années ont aussi marqué le début du conflit
entre l’Algérie et le Maroc autour de la question Sahraouie. Un conflit qui,
par la bêtise des hommes, va empêcher, trente ans plus tard, toute création
d’un espace maghrébin citoyen.
Au début du mois de novembre 1978, des rumeurs sur la détérioration de
l’état de santé du président ont commencé à circuler, faisant état d’une grave
maladie qui se serait manifestée à son retour d’une visite en Syrie, effectuée
le 23 septembre 1978. De plus, l’image du président avait complètement
disparu de l’écran de télévision. Le peuple algérien s’est rabattu sur Radio
Tanger, la radio la plus écoutée, et qui servait bien entendu la propagande
marocaine depuis le début du conflit sahraoui.
Le 27 décembre 1978, la radio et la télévision ont interrompu leurs
émissions afin de laisser place à la lecture du Coran, puis d’annoncer de
manière officielle la mort du président Boumediene. Rabah Bitat, président
de l’Assemblée Populaire Nationale, est devenu président par intérim pour
quarante-cinq jours, avant de céder sa place à Chadli Bendjeddid.
L’allocution funèbre lors de l’enterrement de Boumediene fut prononcée par
Abdelaziz Bouteflika, son compagnon de route et confident.

20. Lahouari Addi, L’Algérie et la démocratie, La Découverte, 1994, p. 59.


21. Il s’agit des Déserteurs de l’Armée Française (les DAF).
22. Date du premier choc pétrolier.
23. Annuaire de l’Afrique du Nord (1984), p. 534.
24. Benjamin Stora, op. cit., p. 56.
25. Aile arabisante des oulémas.
III

DE L’AVÈNEMENT DE CHADLI BENDJEDDID AUX


ÉMEUTES D’OCTOBRE 1988 (1979-1988)

1. La guerre de succession

Les vieux démons ont resurgi de nouveau, mais cette fois-ci, dans une
guerre au sein du même clan, celui d’Oujda. La question de la succession a
entraîné un éclatement du groupe. Le discours de Bouteflika, le jour de
l’enterrement de Boumediene, était déjà perçu comme un des signes de ce
malaise.
Deux scénarios de succession étaient possibles. Tout d’abord, la prise du
pouvoir par l’appareil du FLN, en l’occurrence par Mohamed Salah
Yahiaoui, son secrétaire général ; mais les chefs militaires n’en voulaient pas,
parce qu’ils le trouvaient très conservateur. L’autre postulant était Abdelaziz
Bouteflika, le ministre des Affaires étrangères, dauphin et confident de
Boumediene, jugé, quant à lui, très libéral. Mais les chefs militaires, avec à
leur tête le colonel Kasdi Merbah, patron de la Sécurité Militaire, et le
colonel Hadjeres, chef de la 5e région militaire, ont imposé un troisième
larron : le colonel Chadli Bendjeddid, au titre d’officier le plus âgé dans le
grade le plus élevé. Le conclave d’intronisation a eu lieu à l’ENITA, école
des ingénieurs de l’armée, dirigée alors par Larbi Belkheir. Chadli
Bendjeddid a été désigné secrétaire général du FLN, et, en février 1979, il est
devenu président de la République.
Ce consensus a surtout permis aux militaires26 d’éliminer deux hommes
forts du régime, Abdelaziz Bouteflika et Mohamed Salah Yahiaoui. Cette
élection va marquer l’effritement puis l’éclatement du clan d’Oujda, dont les
conséquences seront désastreuses pour l’avenir du pays.
Plusieurs groupes d’intérêts gravitant autour des centres de décision vont
se constituer, parrainés surtout par de hauts dirigeants de l’armée, et ils vont
phagocyter – et phagocytent toujours – la vie institutionnelle. Les critères
d’appartenance ne sont basés ni sur du lobbying positif, ni sur une
quelconque vision socio-économique, mais sur des critères tribaux,
régionalistes, clientélistes et bassement mercantiles. Les désaccords entre
certains groupes ou entre des éléments puissants de ces groupes, à propos de
la répartition de la rente et des commissions pour les contrats avec des
entreprises étrangères, se traduisent par des remaniements ministériels
fréquents, et par des nominations d’ambassadeurs, de préfets, de directeurs
généraux d’entreprises publiques. Ces rapaces vont plonger le pays dans un
deuil infini, précédé de plusieurs événements annonçant la catastrophe de
cette dernière décennie.

2. La restructuration des services secrets par Bendjeddid

L’accession de Chadli Bendjeddid au pouvoir s’est traduite, comme pour


ceux qui l’ont précédé et ceux qui lui succéderont, par l’arrivée de nouveaux
hommes (les futurs généraux Belkheir et Mediene, dit « Toufik27 », formé à
l’école du KGB, entre autres), et par conséquent le départ d’autres. Cela a
engendré des résistances et des luttes au sommet prenant le peuple algérien en
otage.
Tous les événements qui se sont succédé, spontanés ou pas, justes ou non,
ont été sujets à manipulation. Les hommes forts du pouvoir en place les ont
utilisés pour écarter ceux qui sont tombés en disgrâce et pour essayer
parallèlement de discréditer tout mouvement de protestation, le souci majeur
étant qu’aucun de leurs nombreux privilèges ne puisse être, un jour, remis en
cause.
Le président Chadli Bendjeddid s’est attaqué aux hommes de Boumediene
appartenant aux services secrets. Le premier « Malgache28 » à en faire les
frais a été Kasdi Merbah, patron de la Sécurité Militaire depuis
l’indépendance. Il a été mis sur une voie de garage, nommé secrétaire général
du ministère de la Défense, et remplacé par son adjoint, le lieutenant-colonel
Noureddine Zerhouni, fondateur du service d’action. Ce dernier, à son tour, a
été écarté et envoyé loin d’Alger : nommé d’abord ambassadeur à Mexico,
puis à Washington en 1987. La direction de la Sécurité Militaire a été confiée
à Lakhal Ayat de 1982 à 1987, année où elle s’est scindée en deux, avec
d’une part la Direction Générale de la Prévention et de la Sécurité (DGPS),
dirigée par Lakhal Ayat, et d’autre part la Direction de Contrôle de la
Sécurité de l’Armée (DCSA), confiée à Mohamed Betchine. La séparation
des services donnera à Lakhal Ayat le pouvoir d’investigation qui était du
ressort exclusif de la DCSA.
Cette restructuration avait pour objectif de limiter le pouvoir exorbitant de
la Sécurité Militaire et surtout celui des plus fidèles de l’ancien patron de la
SM, Kasdi Merbah, au sein de la DCSA. Ce transfert de pouvoir d’un service
vers un autre va créer un conflit, qui va s’accentuer au fil des années, se
rapportant au rôle de chaque structure. Cela va engendrer par la suite la
méconnaissance et le manque de contrôle des éléments infiltrés dans chaque
mouvement, dont celui des islamistes. D’ailleurs, lors du procès ayant opposé
le général Nezzar au sous-lieutenant Habib Souaïdia en juillet 2002 à Paris,
un ex-officier des services secrets, le colonel Samraoui29, a exposé toutes les
difficultés rencontrées avec le problème des éléments infiltrés30.

3. La fuite en avant du FLN

Le FLN, créé à l’aube de la guerre de libération nationale pour rassembler


les différentes tendances politiques algériennes et pour mettre fin à la
discorde qui régnait au sein du Mouvement pour le Triomphe des Libertés
Démocratiques (MTLD) entre les partisans du vieux chef nationaliste Messali
El Hadj et les centralistes (auxquels s’ajoutaient les membres de
l’organisation secrète, la branche armée du MTLD et les militants des autres
formations politiques telles que l’UDMA, les Oulémas et le Parti
communiste), est devenu le parti FLN.
Les échecs successifs des politiques (grève des huit jours à Alger en
janvier 1956, assassinat d’Abane Ramdane, échec du GPRA dans sa lutte
fratricide contre l’état-major de l’armée, arrivée au pouvoir de Ben Bella puis
de Boumediene) a conduit à ce que les grandes décisions politiques soient
toujours prises en dehors du parti. Les militaires au pouvoir utiliseront celui-
ci comme une façade civile : le parti servira surtout à attirer toutes les
clientèles à la recherche d’un strapontin. Mouvement rassembleur à sa
naissance, il est vite devenu le modèle par excellence du parti unique. Parmi
ses instances, on vante le modèle socialiste dont on se réclame, mais la
politique appliquée est un capitalisme bureaucratique aboutissant à la
privatisation de l’État. C’est un parti exclusif et soumis aux militaires,
permettant de canaliser les masses. Vecteur de la pensée unique, rétrograde
dans ses orientations, il ira de dérive en dérive, se coupant de la majorité des
Algériens : les plus jeunes ne se reconnaissant pas en lui, il se fossilisera. Les
encartés y viennent pour réclamer un avantage social, une pension, une
licence d’importation ou de véhicule, un registre de commerce… En 1979, le
quatrième congrès du FLN a consacré l’idéologie du panarabisme de
l’Algérie.
Afin de mener à bien ce travail, Mohamed Messaadia a été coopté premier
responsable du parti. Il a été choisi pour ses idées nassériennes31. Le parti est
devenu l’unique porte-voix du peuple algérien.
Le fameux article 120 des statuts du parti promulgués lors de la quatrième
session du comité central du FLN, le 24 décembre 1980, avait pour but de
contrôler la vie associative et de domestiquer les autres courants politiques.
Il stipulait qu’il fallait être membre du parti FLN pour être élu ou pour
représenter une organisation de masse. Cela a engendré une véritable panique
au sein de la mouvance de gauche et en premier lieu chez les militants du
parti communiste, qui, après l’adoption de la Charte nationale en 1976,
avaient fait des organisations de masse le lieu de prédilection de la
propagation des idées marxistes. Ces militants de gauche se sont trouvés dans
l’obligation de se redéployer et ont choisi les collectifs étudiants pour faire
prévaloir leurs idées.

4. Le printemps berbère

Ce qu’on a appelé le « printemps berbère » de 1980 n’est que le


cheminement naturel d’une revendication citoyenne née dans le mouvement
nationaliste algérien avant la guerre et alors non aboutie. Le mouvement
nationaliste algérien (l’Étoile Nord-Africaine, ENA) est apparu dans
l’immigration française en 1924 et comptait des ouvriers kabyles parmi ses
fondateurs. Ces mêmes ouvriers kabyles formeront la majorité des militants
du Parti du Peuple Algérien (PPA), succédant à l’Étoile Nord-Africaine. En
1945 déjà, une première ligne de fracture s’était produite dans le mouvement
nationaliste entre Messali Hadj, chef du mouvement nationaliste, partisan de
l’« Algérie arabo-musulmane », et ceux qui militaient pour une « Algérie
algérienne » respectant sa diversité, dont son identité berbère. Ces derniers
ont été exclus sous l’accusation de « berbéro-matérialisme ».
Le déclenchement de la guerre de libération nationale a mis sous
l’éteignoir la question identitaire. Après l’indépendance, le pouvoir en place a
nié la berbérité de l’Algérie. Ainsi, ni la Charte d’Alger de 1963, ni la Charte
nationale ou la Constitution de 1976 n’y ont fait référence. Mais l’histoire
dépasse les hommes. Le « printemps berbère », fondé sur une cause juste, a
ébranlé le régime dans ses fondements et ouvert la voie aux protestations.
Ainsi, l’interdiction faite au docteur Mouloud Mammeri, écrivain et
anthropologue, de donner une conférence sur la poésie kabyle ancienne à Tizi
Ouzou a dégénéré : le docteur Mouloud Mammeri, invité par le comité des
étudiants de la cité universitaire de Tizi Ouzou, a été intercepté à un barrage
de police et emmené dans le bureau du secrétaire général de la wilaya. Celui-
ci lui a annoncé qu’il ne pouvait faire sa conférence, en donnant pour motif
fallacieux le « risque de troubles à l’ordre public ».
Les étudiants apprenant la nouvelle se sont réunis en assemblée générale et
ont décidé de manifester pour exprimer leur colère. Les manifestations se
sont reproduites les jours suivants. La population, d’abord curieuse et surtout
craintive, s’est adjointe aux étudiants : le flot des manifestants est allé
croissant, et les slogans se sont progressivement radicalisés ; la revendication
de l’amazighité (berbérité), portée par des étudiants militants au départ, a
touché tous les pans de la société. D’essence linguistique, elle est devenue
citoyenne. Les travailleurs se sont mis en grève, les commerçants ont baissé
leurs rideaux, les étudiants et les enseignants ont occupé les campus. Les
lycéens ont boycotté les cours. Les corps médical et paramédical ont occupé à
leur tour l’hôpital. Les manifestations se sont succédé. Le 7 avril, les
animateurs du mouvement ont transporté la revendication à Alger. Les
manifestants se sont dirigés vers la présidence. Les forces de sécurité se sont
abattues sur eux. Des dizaines de personnes ont été arrêtées et d’autres
blessées.
Le 16 avril, la ville a été paralysée par une grève générale. La
revendication culturelle est devenue une dénonciation de la dictature et une
quête de démocratie. Mais le pouvoir illégitime et dictatorial en place, ne
comprenant rien aux vertus du dialogue, a utilisé la force. Dans la nuit du 19
au 20 avril, les forces anti-émeutes de la police et de la gendarmerie appuyées
par l’armée ont investi le campus et la cité universitaires, les sièges des
entreprises en grève et l’hôpital. Cette répression policière a fait des dizaines
de blessés. Vingt-quatre animateurs du mouvement culturel berbère ont été
arrêtés, déférés devant la cour de sûreté de l’État à Médéa, et inculpés, au
motif d’atteinte à la sûreté de l’État.
Le pouvoir en place, fidèle à sa tradition, n’en a tiré aucune leçon.
L’utilisation d’une revendication légitime, celle de la reconnaissance de
l’amazighité du peuple algérien, a permis à Chadli Bendjeddid de se
débarrasser de Kasdi Merbah, patron de la Sécurité Militaire, accusé de
passivité vis-à-vis de sa région natale. Il sera remplacé par Lakhal Ayat.
Le pouvoir policier s’est aussi rapproché de certains des animateurs du
« printemps berbère » de 1980 pour diviser le mouvement. Les dégâts ont été
considérables et sont encore visibles une vingtaine d’années plus tard.

5. La montée de l’islamisme

La montée de l’islamisme en Algérie au cours des années 1980 est une


réalité patente touchant tous les pans de la société. Elle résulte de la
conjugaison de plusieurs événements internationaux et nationaux.
L’avènement de la République islamique en Iran en 1979 a poussé
l’Occident à réviser son système géostratégique, devant ce qui était appelé le
« péril vert ». Cet événement a influencé presque tous les mouvements
islamistes existant alors dans le monde, et en particulier dans le monde arabe.
Cette nouvelle forme d’expression de l’islam, un islam révolutionnaire
incarné par l’ayatollah Khomeiny, a poussé les pays occidentaux (à travers
leurs services de renseignements) à s’appuyer sur leurs alliés saoudiens et à
organiser la propagande wahhabite (dans le wahhabisme, les chiites sont
considérés comme des impies, et même comme des imposteurs), mais aussi à
s’appuyer sur l’Irak laïc pour faire face militairement à l’Iran. S’ensuivra une
guerre sans merci qui durera huit ans et fera un million de morts.
Les Saoudiens ont par ailleurs servi d’appendice aux Occidentaux lors de
l’invasion de l’Afghanistan par les Russes au début des années 1980. Ils ont
organisé la propagande du djihad à travers le monde musulman, s’appuyant
pour cela sur un système d’associations caritatives affiliées essentiellement
au wahhabisme. Dans les années 1990, un des émirs du GIA de la région de
Mitidja a été formé à la lutte armée pendant deux ans en Arabie saoudite
avant de rejoindre l’Afghanistan.
À l’instar de tous les pays musulmans, l’Algérie a connu les mêmes
turbulences, propagandes et manipulations de la part des services secrets
impliqués dans ces manœuvres à la veille du nouvel ordre mondial.
Le colonel Samraoui, dans son ouvrage, a accusé la DRS d’avoir mis un
lieutenant de ses services à la tête d’El Hijra oua Takfir (« Exil et
Expiation ») dans les années 1980. Le pouvoir en place, dénué de toute vision
géopolitique, va permettre toutes les dérives. On a assisté ainsi à la naissance
d’un foisonnement d’associations caritatives dont l’origine des fonds reste
incertaine. Des réseaux d’acheminement de jeunes Algériens vers
l’Afghanistan lointain se sont constitués, avec la bienveillance du pouvoir en
place, pour porter le djihad. Ces « combattants de la liberté » reviendront une
dizaine d’années plus tard faire le djihad dans leur propre pays. Bien entendu,
un État policier qui se respecte n’omet pas d’infiltrer ces « Afghans »,
pensant les manipuler au moment voulu.
Le régime algérien, embourbé dans ses contradictions, permissif par
moments, manipulateur à d’autres, policier et répressif toujours, pensant
avoir réglé les questions temporelles en muselant l’opposition et les différents
courants de pensée à coups d’articles statutaires, s’est attelé à s’approprier
l’islam en l’étatisant. Ainsi, des imams ont été payés par l’État pour prêcher
les bonnes vertus du socialisme. Certains imams fonctionnaires n’ont pas
hésité à affirmer lors de leurs prêches que l’islam véhicule des idées
socialistes ou que l’islam et le socialisme représentent les deux faces d’une
même pièce. Ils ont illustré cela par l’exemple de l’apôtre Abudher El
Ghofari, surnommé « Abudher le socialiste ».
Mais d’autres imams indépendants, souvent jeunes, issus de classes
populaires, proches des milieux islamistes, ont développé un tout autre
discours, fustigeant la politique du pouvoir. Ce discours radical fera de plus
en plus d’émules. L’échec de l’État FLN, symbolisé par la
crise multidimensionnelle à laquelle était confronté le peuple algérien, va
permettre l’expansion du mouvement islamiste.
Dans le milieu universitaire, le mouvement islamiste prenait de l’ampleur ;
les déçus de l’arabisation formaient la plus grande partie des troupes,
détournant et gâchant ainsi le système d’éducation algérien. Les étudiants
arabisants se retrouvaient avec des diplômes qui les conduisaient droit au
chômage, alors que les fils des dignitaires du régime qui prônaient
l’arabisation du système d’enseignement envoyaient leurs enfants poursuivre
leurs études dans des universités européennes ou américaines. Ainsi deux
mouvements idéologiques clandestins aux idées diamétralement opposées se
sont affrontés dans les campus et les cités universitaires : d’un côté, les
organisations de gauche, avec à leur tête des hommes du Parti communiste, et
de l’autre côté, les militants islamistes. Les conflits étaient multiples et
englobaient des sujets divers, comme l’organisation des comités de cités
universitaires, la place de la langue arabe dans l’enseignement, les lieux de
culte, les mœurs, l’interdiction des manifestations culturelles, les questions
pédagogiques…
Les agressions se sont multipliées, favorisées par les manipulations des
services de sécurité qui avaient infiltré les collectifs étudiants. Cela légitimera
par la suite la présence de ces mêmes forces de police dans les campus
universitaires au motif du maintien de l’ordre et de la sauvegarde des édifices
publics, suivie de l’interdiction de toute activité non inscrite dans le cadre dit
« légal ».
À l’automne 1982, un pas de plus a été franchi dans cette confrontation au
sein des campus. Un étudiant, Amzal Kamel, a été assassiné à l’université de
Ben Aknoun, déclenchant une campagne d’arrestations dans les milieux
islamistes et aboutissant au fameux rassemblement de la faculté centrale initié
par Abassi Madani (qui deviendra plus tard président du FIS, le Front
Islamique du Salut), les cheikhs Abdellatif Soltani et Sahnoun pour dénoncer
le harcèlement touchant les militants islamistes dans le milieu universitaire.
Mais ce rassemblement du 11 décembre 1982 a vite tourné à l’affrontement
avec les services de sécurité, aboutissant à l’arrestation des initiateurs de cette
manifestation. Ainsi Abassi Madani a été arrêté et emprisonné, et les cheikhs
Soltani et Sahnoun ont été placés en résidence surveillée. Ahmed Merah32,
bras droit de Bouyali, dira que ce dernier avait mis Abassi Madani en garde
contre un tel rassemblement, sachant qu’il permettrait aux services de
sécurité d’identifier les personnes anonymes. Ahmed Merah deviendra l’un
des hommes du général Smaïn Lamari dans les années 1990, ce qui lui
permettra d’entrer dans le milieu des affaires. Mais après un passage à la
prison de Serkadji en 2003, condamnation devant lui servir d’avertissement,
il sera assassiné.
Bouyali, militant islamiste de la première heure, ancien officier de l’Armée
de Libération Nationale, avait pris les armes dès avril 1982 et commençait à
organiser ce qui deviendrait par la suite le fameux maquis de Bouyali. Il avait
déjà à son actif un attentat commis contre des gendarmes à Ben Aknoun, le
17 novembre 1982. Le 3 janvier 1983, son frère a été tué par les services de
sécurité en guise de représailles. L’affaire Bouyali venait de naître, elle a duré
quatre ans. Il a été abattu le 3 janvier 1987 par les forces de sécurité sur la
route de Larbaa, à Blida. Il avait été dénoncé par son propre chauffeur et ami,
retourné par les services de sécurité. Cette affaire a été jugée la première fois
en avril 1985 par la cour de sûreté de Medéa, suite au premier démantèlement
du groupe. Le second procès a eu lieu en 1987, où deux cents personnes, dont
les dix-sept éléments les plus actifs, ont été jugées. Elles ont toutes été
arrêtées au cours de l’opération du 22 octobre 1985. Parmi eux figuraient
Mansouri Meliani (futur premier émir du Groupe Islamique Armé),
Abdelkader Chebouti (futur premier émir du Mouvement de l’État
Islamique), Azedinne Baa et Abderahmane Hattab. Des sentences lourdes ont
été prononcées, en particulier contre Bouyali, condamné à la prison à
perpétuité par contumace.
Le 16 avril 1984, plus de dix mille personnes ont assisté à l’enterrement de
cheikh Soltani, mort en résidence surveillée. Devant cette démonstration de
force de la mouvance islamiste, l’Assemblée Populaire Nationale a adopté,
quelques jours plus tard, le fameux Code de la famille. Pure coïncidence ?
Afin d’apaiser encore les choses, et d’éviter de faire grossir les rangs des
maquis de Bouyali, Chadli Bendjeddid décida de remettre Abassi Madani en
liberté, après que certains de ses anciens compagnons d’armes de la guerre
d’indépendance eurent plaidé sa cause auprès de lui.

6. Les révoltes sociales de 1985 à Alger, et de 1986 à


Constantine et Sétif

Le socialisme populiste a produit une caste de privilégiés qui exhibait de


façon ostentatoire une richesse mal acquise, alors que le peuple algérien
s’enfonçait de plus en plus dans la misère. Le FLN était discrédité par
l’affairisme et la bureaucratie. Le modèle de développement économique
d’inspiration soviétique choisi au lendemain de l’indépendance, privilégiant
l’industrie lourde, nécessitait d’énormes capitaux qu’assurait le pétrole.
Au début des années 1980, l’Algérie était endettée à cause de la faiblesse
de son épargne interne et restait dépendante de la rente pétrolière représentant
plus de 95 % de ses exportations. Les entreprises publiques étaient
économiquement défaillantes et le privé inexistant. En 198433, l’Algérie
importait 64 % des produits laitiers, 60 % des céréales et 80 % des légumes
secs. Les deux contre-chocs pétroliers de 1983 et de 1986 ont entraîné une
baisse des entrées en devises et ont précipité l’Algérie dans la crise, marquant
la fin de l’État providence garant du pouvoir d’achat et distributeur
d’emplois. Tandis que les besoins décuplaient, accentués par la pression
démographique, il était devenu impossible de rembourser la dette et
d’importer des produits (nourriture, produits pharmaceutiques, pièces de
rechange, etc.), provoquant alors un malaise social grandissant.
À partir du début des années 1980, deux cent mille personnes arrivaient
annuellement sur le marché du travail, auxquelles il fallait ajouter le million
de chômeurs hérité des années 1970. La qualité de l’enseignement se
détériorait et l’analphabétisme prenait de l’ampleur : après neuf années
d’enseignement fondamental, certains élèves ne savaient ni lire ni écrire. Le
système médical gratuit se fissurait : les médecins étaient sous-payés ; les
médicaments commençaient à manquer ; les maladies hydriques, qui avaient
régressé un temps, réapparaissaient ; les grèves succédaient aux grèves. Sans
compter que les élites fuyaient progressivement le pays : presque la moitié
des médecins de la promotion 1988 de la faculté de médecine d’Alger se sont
exilés, pour la plupart, en France.
Le manque de logements engendrait la promiscuité : des parents dormaient
à côté de leurs enfants, des balcons et des caves étaient transformés en
logements de fortune, et dans certaines familles, on dormait même à tour de
rôle. L’âge du mariage reculait. Les jeunes n’avaient aucun espace de liberté,
et leurs loisirs étaient inexistants. Dans Alger et ses environs, une des
occupations principales des jeunes et des moins jeunes était de guetter, de
jour comme de nuit, l’arrivée de l’eau. Celle-ci était disponible une à deux
fois par semaine, sinon moins, et souvent à l’aube. Parfois, comble de
malchance, seuls les étages inférieurs des immeubles étaient alimentés, faute
de pression. L’autre occupation était de faire la queue, des heures durant,
devant l’entrée des galeries marchandes de l’État, en espérant un
hypothétique produit alimentaire à prix contrôlé. Vu la probabilité infime
d’être servi, il valait mieux être jeune et en bonne santé.
Le reste du temps, la plupart des jeunes étaient occupés à ne rien faire. Ces
désœuvrés des quartiers populaires étaient surnommés les « hittistes »,
littéralement « ceux qui passent leur temps adossés à un mur ». Leur
occupation principale consistait à fumer des joints en rêvant de pays
lointains. Les autres sont tombés dans l’économie informelle, appelée aussi
« trabendo ». L’économie d’État, défaillante, a en effet entraîné une fuite des
capitaux vers ces circuits parallèles dont des pontes du régime ont profité
pour recycler l’argent de la corruption. Les trabendistes vont fleurir, comme
les « moutons ». Leur démarche était simple : il fallait se procurer un visa
d’entrée dans un pays de la rive nord de la Méditerranée (France, Espagne,
Italie), ou, pour les plus téméraires, dans un pays lointain (Turquie, Taïwan),
ou parfois, au Maroc voisin. Puis, il fallait choisir un genre de marchandise
facile à écouler (parfumerie, lingerie, téléphonie et accessoires, pièces
détachées), nouer des contacts avec un douanier corrompu – et ce n’est pas ce
qui manquait. En effet, certains douaniers se permettaient le luxe de circuler
dans des voitures coûtant 30 000 euros alors que leurs mensualités ne
dépassaient pas 150 euros. Après un accord préalable sur la commission de
ces fonctionnaires véreux, la marchandise importée passait la frontière sans
être vérifiée et, bien entendu, aucune taxe n’était payée.
Les grands trabendistes, eux, ne se déplaçaient pas : ils organisaient leur
trafic en recrutant des « moutons », des jeunes débutants auxquels ils
payaient le voyage, le séjour si nécessaire, et un petit solde.
Puis à l’échelon suprême, les caïds, qui vivaient comme des sultans dignes
de l’ère des califes omeyyades, importaient régulièrement des dizaines de
voitures, des containers remplis de marchandises de toutes sortes. Mais ceux-
là devaient agir sous la bénédiction d’un ponte du régime ou de l’un de ses
rejetons. L’exemple le plus célèbre à Alger était celui de Mouhouche, un
jeune issu du quartier populaire de Bourouba, ami et complice de Toufik, fils
du président de la République de l’époque, Chadli Bendjeddid. Grâce à cette
couverture, il a bénéficié de crédits bancaires que même des entreprises
publiques ne pouvaient espérer. Le fameux Mouhouche était surnommé par
les enfants de son quartier « Testosa » : ce malheureux ne savait même pas
prononcer le nom de sa Ferrari Testa Rosa, garée au pied d’immeubles
délabrés où habitaient des gens qui n’avaient pas les moyens d’acheter le pain
et le lait quotidiens.
Quand on a ébruité cette affaire, pour faire pression sur le président Chadli
Bendjeddid à la fin des années 1980, Mouhouche a été arrêté et condamné à
douze ans de prison. Quant au fils du président, il s’est réfugié chez son
oncle, ambassadeur au Venezuela, afin de se faire oublier. (Cette affaire sera
exploitée lors du coup d’État de janvier 1992, comme un des moyens de
pression exercés sur Chadli Bendjeddid pour l’obliger à démissionner.)
Pendant ce temps-là, les grèves dans les entreprises se sont multipliées : les
révoltes sociales ont commencé. La première, celle de la Casbah d’Alger, a
duré quatre jours, du 23 au 27 avril 1985. Des affrontements violents ont eu
lieu entre les habitants de ce quartier et les forces de l’ordre, suite à
l’effondrement d’un immeuble vétuste. Cette révolte a été suivie, une année
plus tard, par celles de Sétif et de Constantine (du 8 au 12 novembre 1986),
où la population s’est jointe aux lycéens et aux étudiants sortis dans la rue
pour exprimer leur colère contre la cherté de la vie. Ces deux secousses
semblaient annoncer le tremblement d’octobre 1988. Mais au lieu d’apporter
des réponses justes à une population en détresse, les dirigeants s’occupaient
de la consolidation de leurs réseaux et de la protection de leurs privilèges.
Ainsi Chadli Bendjeddid a décidé, juste après le premier contre-choc pétrolier
de 1983, d’élever certains officiers supérieurs de l’armée au grade de général,
un grade qui n’avait jamais existé auparavant dans l’armée algérienne. Parmi
ces nominations figuraient celles de Khaled Nezzar, futur ministre de la
Défense, et tête pensante du putsch de janvier 1992, d’Abdellah Belhouchet,
futur chef d’état-major de l’armée et premier responsable de la répression
d’octobre 1988, de Belloucif et de Belkheir.

7. L’assassinat de l’avocat Ali Mecili

Quand le pouvoir panique, il tue ; sa cible privilégiée est la matière grise


armée de sa plume. Le 7 avril 1987, les dirigeants corrompus ont pris pour
cible l’avocat Ali Mecili, un proche de Hocine Ait Ahmed, leader du FFS. Il
était, parmi d’autres, à l’initiative de la rencontre organisée entre deux
anciens responsables de la guerre d’indépendance, Hocine Ait Ahmed et
Ahmed Ben Bella. Ces deux responsables politiques étaient invités à enterrer
leurs haches de guerre et à réfléchir à une alternative démocratique au
pouvoir en place.
Les services secrets ont décidé d’ajouter Ali Mecili à la longue liste des
opposants politiques assassinés. Le meurtrier choisi était un truand notoire,
proxénète et tueur à gages, dénommé Abdelmalek Amalou. Il fut arrêté à
Paris deux mois plus tard, et extradé vers Alger après avoir été mis en garde à
vue pendant quarante-huit heures par Charles Pasqua. Il avait sur lui un
laissez-passer des services secrets algériens l’autorisant à circuler dans des
zones militaires. Le fameux laissez-passer était signé par le capitaine Hassani,
bras droit de Lakhal Ayat, patron de la Sécurité Militaire durant ces années-
là. Hichem Aboud, dans son témoignage34, a rapporté qu’en échange Amalou
avait reçu 800 000 francs, et un appartement à Alger.
Lakhal Ayat s’est retrouvé cité par hasard dans l’affaire du colonel
Chabou35. Celui-ci est mort dans un accident d’hélicoptère (un Puma
fraîchement acquis auprès de la France) alors qu’il se rendait à un rendez-
vous avec un officier russe dans le bureau de Lakhal Ayat, où devaient se
trouver aussi Khaled Nezzar et Selim Saadi. Ce dernier devait être à bord de
l’hélicoptère, mais il avait préféré faire le trajet en voiture. Dans ses
Mémoires, Nezzar rappelle qu’il avait lui-même pris en charge l’invité de
Chabou, le général russe Kouroutchine, le soir de sa mort.
Selim Saadi est devenu chef de la 3e région militaire aux temps forts de la
crise avec le Maroc, avec pour adjoint Khaled Nezzar. Ensemble, ils se sont
opposés à la nomination de Chadli Bendjeddid comme président de la
République en 1979, mais ils ont été mis en minorité. À la mort de Boudiaf
en 1992, Selim Saadi est devenu ministre de l’Intérieur.
Le parcours de maître Ali Mecili donne peut-être l’explication de son
assassinat. Cet ancien officier des renseignements, pendant et après la guerre
d’indépendance, était connu pour son sens de l’organisation. Son assassinat
est intervenu à un moment où un vent de démocratie commençait à souffler
sur les régimes totalitaires en général, et dans les pays de l’Est en particulier.
Est-ce cette crainte qui a poussé le pouvoir en place à liquider une des têtes
pensantes du Front des Forces Socialistes, créateur de la « Libre Algérie », et
qui, quelques jours seulement avant sa mort, venait d’accuser le régime
algérien de faire de ce pays un territoire de terroristes36 ? Ou y a-t-il une autre
raison ? En 1989, Khaled Derbal, un militant benbelliste ayant fréquenté
quelques années auparavant le milieu du 18e arrondissement, a été assassiné
parce qu’il s’intéressait de très près à l’agenda des derniers jours de Mecili37.
Cela explique peut-être pourquoi l’Algérie a réagi par un communiqué
officiel à l’extradition d’Amalou en 1987, parlant d’une extradition de truand
sans aucun lien avec la mort de l’avocat. Le 27 novembre 1987, deux otages
français ont été libérés au Liban. L’Algérie était au « cœur de la
négociation », pour reprendre l’expression de Charles Pasqua.

8. Les émeutes d’octobre 1988

L’Algérie ne pouvait pas rester en dehors de cette vague de changements


qui déferlait presque sur toute la planète à la fin des années 1980. Ainsi les
rapports des services secrets ont aidé Chadli Bendjeddid à prendre conscience
de cette nouvelle ère de démocratie qui naissait dans les pays de l’Est.
L’une des premières dispositions prises a été l’assouplissement de la loi sur
les associations : le 21 juillet 1987, la tutelle du FLN était levée. Mais cela ne
suffisait pas.
À l’approche du congrès du FLN, Chadli Bendjeddid a chargé Mouloud
Hamrouche de réfléchir sur le sujet. Parmi les idées proposées figurait la
légalisation de certains partis politiques ayant déjà une assise populaire.
Devant cette fin programmée du parti unique et devant une possible
recomposition du paysage politique, certains piliers du régime et la horde de
charognards gravitant autour vont s’alarmer : ils feront de l’élimination de
leurs adversaires une priorité pour sauver leurs rentes et leurs privilèges.
Ainsi, l’année sociale 1987-1988 a été celle de tous les conflits et des coups
bas entre les clans. Le premier à faire les frais de cette bataille pour le
contrôle des affaires est le général Mustapha Belloucif, qui, une année
auparavant, avait été accusé de détournement par ses pairs et mis sur la
touche. Cette mise à l’écart était destinée à fragiliser Chadli Bendjeddid, et à
le dissuader de se présenter à nouveau aux élections du parti. On a accusé
Belloucif d’avoir détourné 38 millions de francs et 2,5 millions de dinars
prélevés sur les fonds de l’État, mais pour lui, la véritable raison était son
refus de signer avec la France un contrat concernant l’équipement de la
couverture aérienne, d’un montant de six milliards de francs, en 198438.
À cela s’ajoutait la non-autorisation de l’utilisation de l’espace aérien par
l’aviation française au cours du conflit tchadien, ainsi que son refus
d’exécuter l’ordre de réprimer la protestation citoyenne de l’est en 1985.
Le général Belhouchet, son adjoint, a accédé à son poste à la grande joie de
son ami intime Messaadia, le dauphin de Chadli Bendjeddid au FLN.
Messaadia et Belhouchet avaient participé ensemble à la tentative
d’assassinat avortée contre Ferhat Abbas, alors président du GPRA : ils ont
été graciés puis récupérés par Boumediene.
Devant cette défection d’un ami très proche, Chadli Bendjeddid a cru bon
d’utiliser un autre joker, en faisant appel à Nezzar, qui lui devait sa carrière et
qu’il avait nommé à la tête des forces terrestres. En 1958, Belloucif et Nezzar
avaient fait leurs premiers pas dans l’Armée de Libération Nationale (ALN)
aux côtés de Chadli Bendjeddid, leur supérieur39. Le premier avait quitté
l’école pour rejoindre le maquis, tandis que le second était déserteur de
l’armée française et avait besoin d’une protection qu’il a trouvée chez Chadli
Bendjeddid, au moment où dans d’autres sections et compagnies, certains
subissaient des humiliations de la part de simples soldats qui voyaient en eux
des taupes. (Cette décision s’est avérée fatale pour le président, puisque c’est
ce poulain qui le destituera en janvier 1992.)
Cette nomination a raffermi Bendjeddid à son poste, mais n’a pas évité
l’éclatement d’une guerre de clans, surtout entre Larbi Belkheir et Mouloud
Hamrouche, deux proches de Chadli Bendjeddid (l’un était chef de cabinet à
la présidence et l’autre secrétaire général à la présidence).
Cela a directement conduit aux émeutes d’octobre 1988, où le peuple
algérien a encore payé de son sang une guerre d’intérêts entre clans.
Bien entendu, certains analystes – et on leur accordera la bienveillance du
doute – ont avancé une hypothèse : ces émeutes seraient le fruit d’une colère
spontanée, sans aucune manipulation, exprimée par le peuple algérien face à
la dégradation de son pouvoir d’achat. Mais cette hypothèse est réfutée par
une majorité d’analystes qui prennent en considération certains événements
survenus juste avant cette tragédie, dont le fameux discours de Chadli
Bendjeddid exhortant le peuple à exprimer sa colère au cas où il se sentirait
victime d’une injustice : « Je ne comprends pas quelqu’un qui va chez le
boucher acheter de la viande, qui trouve le prix exorbitant et qui ne proteste
pas. » À cela s’ajoutent la rumeur qui circulait quelques jours avant dans tout
Alger à propos de la date du 5 octobre, et toutes les grèves qui ont éclaté
presque en même temps.
Bien sûr, beaucoup de questions restent encore posées presque dix-huit ans
après, et nul n’ose donner des explications plausibles pouvant justifier toutes
ces coïncidences, au risque de se retrouver devant un tribunal. Les pyromanes
qui ont planifié les émeutes du 5 octobre 1988 ont-ils été débordés par les
événements ? Le bilan est lourd : cinq cents morts, tués par les balles
assassines des forces de sécurité soucieuses de protéger les édifices publics.
C’est du moins l’explication officielle de ces tueurs, considérant alors que la
vie d’un jeune Algérien ne valait rien devant un immeuble en ciment. Cette
jeunesse, aux premières heures de la révolte, manifestait d’une manière très
pacifique, elle voulait seulement qu’on lui accorde de l’attention, qu’on
entende sa détresse. Mais d’autres en ont décidé autrement. Ainsi, les
instigateurs de cette tragédie, en usant de leurs armes pour tuer, n’ont fait que
radicaliser cette jeunesse, la poussant vers des solutions extrêmes.
La première victime est enregistrée le 4 octobre à Bachdjarrah, un quartier
populaire de la banlieue d’Alger. Le 5 octobre, les manifestations ont tourné à
l’émeute. Les édifices publics ont été saccagés. Les structures du parti FLN et
les commissariats, symboles du mépris, de la répression, et des passe-droits
ont été brûlés. Les affrontements entre les forces de sécurité et la population
ont fait des dizaines de victimes, jeunes pour la plupart, fauchées à la fleur de
l’âge. Le soir même, on a décrété l’état de siège. Chadli Bendjeddid a chargé
le général Nezzar de le gérer. Alger était quadrillée par les chars, et le calme
a été ramené au prix de centaines de tués, de milliers de blessés et autant de
personnes arrêtées. Des centaines d’autres jeunes ont été torturés dans des
commissariats, des casernes de gendarmerie ou des centres de détention de la
Sécurité Militaire. Les événements du 5 octobre 1988 ne sont pas restés
circonscrits à Alger, ils ont atteint de nombreuses autres villes algériennes.
La population algérienne est jeune, environ 70 % de celle-ci a alors moins
de 25 ans. La plupart de ceux qui sont sortis dans la rue ne connaissaient de
l’armée algérienne que les glorieux souvenirs de la guerre d’indépendance.
Ils ont découvert une armée brutale, tirant sans sommation sur ses propres
enfants ; ils ont découvert la torture utilisée de façon systématique, et des
dirigeants aux méthodes fascistes. Le mythe avait été battu en brèche.
Le président est passé à la télévision d’État en pleurs, promettant une
ouverture démocratique. Suite à cette tragédie, de grands changements sont
intervenus à la tête de l’État. Le patron des services secrets, le général Lakhal
Ayat, a été limogé, et remplacé par le général Betchine, tandis que Toufik
remplaçait ce dernier à la tête de la direction centrale de la Sécurité Militaire.
Kasdi Merbah a été nommé Premier ministre afin d’engager les réformes
promises par Chadli Bendjeddid, dont celle de la démocratisation de l’Algérie
avec l’élaboration d’une nouvelle Constitution. Le général Nezzar, quant à
lui, sera nommé chef d’état-major en juillet 1989, en remplacement du
général Belhouchet, qui suivra son ami Messaadia à la retraite. Mais cette
nomination entraînera une protestation de la part de certains généraux et
surtout la démission du général Kamel Abderahim.

26. Khaled Nezzar, Échec à une régression programmée, Publisud, 2001, p. 234.
27. Le Monde interactif, « Des généraux au cœur du pouvoir », juillet 2001.
28. Dénomination donnée aux anciens du MALG.
29. Habib Souaïdia, op. cit., p. 234.
30. Mohamed Samraoui, Chroniques des années de sang, Denoël, 2003, p. 87.
31. Par référence à l’ancien chef d’État égyptien, Djamel Abdel Nasser.
32. D’après son ouvrage L’Affaire Bouyali, Alger, à compte d’auteur, 1998, p. 45.
33. Annuaire de l’Afrique du Nord (1985), p. 584.
34. Interview accordée au Nouvel Observateur le 14 juin 2001.
35. Khaled Nezzar, Échec à une régression programmée, op. cit., p. 199.
36. Reporters sans frontières, op. cit., p. 95.
37. Ibid., p. 93.
38. Abdelhamid Brahimi, Aux origines de la tragédie algérienne (1958-2000), Hoggar Press, 2001,
p. 220-221.
39. Khaled Nezzar, Mémoires du général Nezzar, Chihab Éditions, Alger, 1999, p. 45.
IV

LE FAUX PROCESSUS DE DÉMOCRATISATION ET LA


SECONDE GUERRE D’ALGÉRIE (1989-2007)

J’ai choisi de traiter cette vaste période en un chapitre dans le seul souci de
montrer que le lourd tribut payé par le peuple durant cette dernière décennie
est la conséquence directe de l’opposition ferme du régime en place à toute
véritable ouverture démocratique, qui aurait eu pour effet de remettre en
cause ses privilèges.

1. De l’ouverture au coup d’État

Réélection de Bendjeddid en février 1989

L’air était très lourd à respirer dans toute l’Algérie, et surtout à Alger. Les
Algérois ne voulaient pas oublier les émeutes et le massacre d’octobre 1988.
Cet événement restera enfoui dans la mémoire collective pour longtemps. Ce
martyre sera rappelé régulièrement dans les cris des manifestants à chaque
échauffourée avec les services de sécurité. Les jeunes supporters des clubs de
football du quartier de Bab-El-Oued en feront un chant : « Bab-El-Oued
echouhada. »
Dans les arènes du pouvoir, c’est la pagaille. Un nombre incroyable
d’échéances importantes ont été annoncées par le président de la République
en un temps record. Je retiendrai trois événements majeurs : le congrès du
Front de Libération Nationale, l’élection présidentielle, et le référendum sur
la nouvelle Constitution. Ces trois événements se sont succédé en l’espace de
quatre mois.
Dans son témoignage sur cette période, le général Nezzar dit avoir émis
des réserves sur un des articles de l’avant-projet de Constitution présenté par
Mouloud Hamrouche, juste après le 5 octobre 1988, en présence du général
Betchine. L’article 40 de la Constitution, qui ouvre le champ au
multipartisme, n’a pas été formulé de la même manière qu’il le relate. Cette
réflexion nous renseigne déjà sur la façon dont les décideurs envisageaient le
champ politique. À partir de cet écrit, une question se pose : la Constitution
a-t-elle été élaborée avant ou après octobre 1988 ? Car de cette réponse en
découlent d’autres. Qui était derrière les événements d’octobre 1988 et
derrière le massacre qui s’ensuivit ? Pourquoi les avoir provoqués ? Une
chose est sûre : durant cet été-là, le président de la République avait pris trois
mois de congé sur la côte oranaise. Quinze ans après ces événements, aucune
réponse précise n’a été apportée, excepté une lecture policée des événements
faite par des individus impliqués dans cette tragédie.
Le congrès a confirmé Bendjeddid au poste de secrétaire général du FLN,
candidat unique à l’élection présidentielle, balayant d’une main toutes les
rumeurs qui circulaient auparavant sur son probable retrait au profit d’autres
candidats, par exemple Taleb Ibrahimi et Messaadia.
Le 23 février 1989, la nouvelle Constitution a été adoptée avec 73,43 %
des suffrages. Quelques jours avant, au cours des assises du mouvement
culturel berbère, Saïd Saadi, aux côtés de Ferhat M’henna, avait annoncé la
création du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), et le
18 février, l’idée de la création du Front Islamique du Salut (FIS) a été lancée
à la mosquée « Sunna » de Bab-El-Oued. Ainsi, l’idée de la création de deux
partis aux idéologies diamétralement opposées a bien été lancée avant
l’adoption de la nouvelle Constitution.

La création du FIS

Dans ses Mémoires, Nezzar rapporte une conversation avec le général


Betchine à propos de la création du FIS (Front Islamique du Salut) : « Le
général Betchine me dit : “Si, Khaled, c’est pour mieux les surveiller.” »
Cette phrase résume tout. C’est le sens du projet de création du Front
Islamique du Salut. Le colonel Samraoui, numéro deux du contre-espionnage
algérien jusqu’en 1996, dira devant la Cour de Paris lors du procès qui a
opposé le sous-lieutenant Souaïdia au général Nezzar, sous l’œil attentif de ce
dernier, que « les services secrets algériens avaient dix-sept agents membres
du conseil consultatif du Front Islamique du Salut sur les trente-cinq
membres qui le composaient ».
On comprend déjà pourquoi la première réunion du FIS a eu lieu le
18 février, une semaine avant l’adoption de la nouvelle Constitution
autorisant le multipartisme. Ce 18 février, après la prière du coucher, la
mosquée « Sunna » de Bab-El-Oued était remplie de fidèles, venus en masse
de tous les coins du pays. Le bouche-à-oreille avait annoncé une réunion
importante. La quasi-totalité de la nomenklatura islamiste était présente :
Abassi Madani, Ali Benhadj, Zebda Benazouz, Hachemi Sahnouni,
Abdelbaki Sahraoui (l’imam assassiné à Paris), A. Djaballah (leader actuel du
Mouvement National du Renouveau), Ali Djeddi, Mohamed Saïd (assassiné
par Zitouni dans le maquis).
La question posée était la suivante : comment constituer un parti pouvant
représenter le courant islamiste, et ayant pour objectif l’application de la loi
islamique en Algérie ?
Tous les intervenants ont essayé d’apporter des réponses, en usant plus de
prêches religieux que d’une argumentation politique. Quand Abassi Madani a
pris la parole, il a développé, quant à lui, un tout autre discours : en plus de
l’argumentation religieuse (versets coraniques et paroles du prophète), il est
revenu sur la déclaration du 1er novembre 1954, dont il fera un de ses
chevaux de bataille tout au long de son parcours à la tête du FIS, pour
expliquer la nécessité de la création d’un parti pouvant défendre le sacrifice
des martyrs de la guerre de libération nationale. Il considérait en effet que ce
sacrifice était trahi par les gouvernants qui se sont succédé depuis
l’indépendance. Il reviendra souvent sur « les idéaux de novembre 1954 », et
sur la déviance subie. Mais la plupart des gens présents ont trouvé son
discours trop philosophique et ne l’ont pas apprécié.
Quand Mohamed Saïd (exécuté dans le maquis par Djamel Zitouni, chef
du Groupe Islamique Armé à la veille des élections présidentielles de
novembre 1995) a pris la parole, un chahut a éclaté à l’intérieur de la
mosquée, émanant de quelques personnes voulant l’empêcher de parler. Mais
il n’a pas été impressionné et a essayé, malgré tout, de donner son point de
vue, qui allait à l’encontre de ce que voulait entendre l’assistance puisqu’il
jugeait précoce la création d’un parti politique.
Hachemi Sahnouni a pris la parole juste après Mohamed Saïd pour le
fustiger, l’accusant d’être de connivence avec l’État, et d’être contre
l’émergence du parti de Dieu. Ces paroles ont incité quelques personnes
surchauffées à avancer vers Mohamed Saïd et à proférer des insultes et des
menaces contre lui. Ali Benhadj est venu apporter son soutien à Mohamed
Saïd, en s’interposant face aux fidèles de Sahnouni. Sans son intervention,
qui a réussi à calmer les esprits, un lynchage aurait sans doute eu lieu. Juste
après cet incident, Sahnouni reprendra la parole et lancera un avertissement
contre tous ceux qui oseront entraver la constitution du FIS : « Ce parti verra
sa naissance quel que soit l’avis de Mohamed Saïd », a-t-il dit. Le
« prédicateur DRS » tenait à ce que les ordres reçus soient exécutés. Ali
Djeddi et Abdellah Djaballah se sont retirés pour protester contre la façon
dont Mohamed Saïd avait été traité.
Le vendredi 10 mars 1989, le FIS est né à la mosquée « Ibn Badiss » de
Kouba. Abdelbaki Sahraoui l’a annoncé aux fidèles présents durant ce jour de
prière. Mais on retiendra surtout les contradictions au sein de la mouvance
islamiste : certains n’étaient absolument pas favorables à une politisation de
l’islam. Ainsi, les salafistes (adeptes d’un islam rigoriste), qui représentaient
le courant majoritaire parmi les initiateurs du Front Islamique du Salut, se
sont retrouvés divisés en deux tendances : les salafistes scientifiques
considéraient la participation au jeu politique comme contraire aux lois
islamiques. Ces idées étaient prônées par les prédicateurs Abdelmalek et
Elaïd de la mosquée « La Colonne » de Hydra. Les salafistes combattants,
plus connus sous le nom de « djihadistes », prêchaient, eux, le combat et le
djihad pour la restauration du califat.
Cette tendance était elle-même divisée en deux mouvances : la première
considérait que le jeu démocratique, même s’il avait pour objectif d’instaurer
une République islamique, était tout à fait contraire aux préceptes de l’islam
que seul le djihad pouvait accomplir, et que toute participation au jeu
politique était considérée comme impie. Cette mouvance a pour nom
« El Mouahidoun », plus connue sous le nom de « El Hijra oua Takfir », à
savoir « Exil et Expiation ». Elle avait comme prédicateur un ancien officier
de l’armée, le docteur Ahmed Bouamra (tué par les services algériens en
prison), ancien de la guerre d’Afghanistan. L’autre mouvance des
« djihadistes » était participationniste. Elle considérait que l’utilisation d’un
parti politique pour instaurer une République islamique était licite, mais
qu’une fois la République islamique acquise, le parti n’avait plus de raison
d’être. Cette mouvance était représentée par la majorité des prédicateurs qui
ont œuvré à la création du FIS, dont Ali Benhadj et Sahnouni. C’est cette
mouvance qui arrivera à récupérer la majorité des salafistes (même les
« Afghans ») et à les canaliser.
Quant à l’autre courant de pensée, proche des Frères musulmans avec ses
trois tendances, à savoir les « internationalistes » de Mahfoudh Nahnah, les
« djazaristes » de Mohamed Saïd, et les « nahdaouis » de Djaballah, il était
contre l’idée de la création d’un parti représentant à lui seul la mouvance
islamiste, et ce, d’autant plus que les initiateurs étaient des salafistes. Ces
derniers considéraient que toute personne prônant une autre idéologie que la
leur était impie. Par ailleurs, cela venait contrecarrer le travail de la ligue de
la « Daawa » du cheikh Sahnoun, où ce courant de pensée, proche des Frères
musulmans, était majoritaire, alors que le courant salafiste était quasi
inexistant. Les salafistes tirent leurs jurisprudences des savants saoudiens,
donc de l’école médinoise, tandis que les frères musulmans tirent leurs
jurisprudences des savants égyptiens, donc de l’école d’El-Azhar.
Ainsi la mouvance islamiste est passée de deux à six tendances avec
l’apparition du politique, et, de jour en jour, le fossé n’a cessé de grandir
entre les différentes factions.
Le 10 mai 1989, Abassi Madani a été désigné, par le conseil consultatif,
président du FIS et seul porte-parole. Mais au cours de cet été 1989,
beaucoup de conflits ont éclaté dans les mosquées pour le contrôle des
différentes factions, sous l’œil passif et complice des services de sécurité.
La plus meurtrière a été celle de la mosquée d’El-Fath à El-Harrach, dans
la banlieue d’Alger, qui a opposé, à coups de sabres et de haches, les
salafistes aux chiites. La police présente sur place n’est intervenue qu’à la fin
de la confrontation pour évacuer les blessés. Plusieurs autres incidents
similaires se sont produits un peu partout en Algérie, à Constantine,
Lakhdaria, Setif, Blida, et surtout à Alger, où la milice de Hachemi Sahnouni
faisait régner la terreur, se donnant même le nom de « police islamique ».
Durant ces trois années, de 1989 à 1992, où le FIS était la première force
politique de l’Algérie, la milice liée à ce prédicateur a fait parler d’elle plus
d’une fois : dans des affaires à rebondissements comme l’affaire Linda De
Susa, ou au sujet de l’interdiction faite à Ait Menguelet de chanter à la salle
Atlas à Bab-El-Oued, ou encore à propos des descentes punitives dans les
cités universitaires… Cette milice sera au sommet de son art avec la création
du GIA.
Mais depuis la mort de Bouyali et la mise hors d’état de nuire de son
groupe, le premier qui sera tenté par le passage à une action armée est
Abdelkader Chakendi, plus connu sous le nom d’Abdelkader El Asnami. Ce
prédicateur, universitaire licencié en littérature, ancien adepte de la doctrine
des Frères musulmans, a fait parler de lui en 1989 avec l’attaque du tribunal
et de la prison de Blida, où il a fait évader certains de ses amis arrêtés
quelques jours auparavant. En 1991, il sera l’instructeur paramilitaire de la
milice de Sahnouni, avant que ce dernier ne décide de lui tendre un piège, en
l’invitant à Bouzereah pour mettre au point un projet de guérilla. Les services
de sécurité l’attendaient, prêts à le cueillir. Pressentant la trahison d’une
personne qui lui paraissait suspecte, Chekendi a fait vérifier son chemin par
des tiers qui lui ont confirmé ses doutes. Il abandonnera les monts de Chréa
pour s’installer à Aïn Defla, sa ville natale, où il sera arrêté une année plus
tard, lors du ratissage de l’été 1992. Condamné à mort, le premier émir d’un
groupe armé attend, depuis, son exécution à la prison de Serkadji.
Le 22 août 1989, le FIS, par l’intermédiaire d’Abassi Madani, déposait son
dossier de légalisation au ministère de l’Intérieur.
Les répercussions de l’été mouvementé de 1989 n’ont pas tardé. Kasdi
Merbah a été démis de son poste de chef du gouvernement, au profit de
Mouloud Hamrouche jusqu’alors secrétaire général à la présidence. D’un
point de vue officiel, Mouloud Hamrouche était plus apte à engager les
réformes nécessaires (tâche dont il s’est acquitté convenablement d’ailleurs)
et les pourparlers avec le Fonds Monétaire International et la Banque
Mondiale pour éviter à l’Algérie un rééchelonnement de sa dette. Mais la
véritable raison était la conviction de Chadli Bendjeddid que Kasdi Merbah
postulait pour le remplacer à la tête de l’État. C’était un homme apprécié des
chancelleries étrangères, qui faisaient abstraction de ses antécédents de patron
des services secrets, comme en témoignaient le nombre de délégations
étrangères reçues et les réceptions organisées en leur honneur.
À cela s’ajoutaient les changements effectués à la tête de l’armée, quelques
mois auparavant. En installant Nezzar à la tête de l’état-major de l’armée, à la
place de Belhouchet, Chadli Bendjeddid a provoqué le courroux de certains
autres généraux, qui le lui feront savoir : parmi eux, Yahia Rahal, Sadek
Hadjress, Kamel Abderahim… Ce dernier demandera d’ailleurs à faire valoir
sa retraite, voyant l’insistance de Chadli Bendjeddid à vouloir garder Nezzar
à son nouveau poste.
La nomination de Zeroual à la tête des forces terrestres est elle aussi
controversée. Zeroual cédera sa place quelque temps seulement après sa
nomination, suite à un différend avec Nezzar concernant le programme de
restructuration de l’armée. Au cours de cet épisode, Chadli Bendjeddid a une
nouvelle fois plaidé la cause de Nezzar.
Le général Zeroual sera remplacé par le général Lamari. Paradoxalement,
quelques années plus tard, le général Nezzar nommera le général Zeroual à sa
place. Pourquoi lui et pas un autre ? La réponse est simple : avant de quitter
l’armée en 1989, Zeroual a présenté ses excuses au général Nezzar.
Constatant cette faiblesse, ce dernier a fait appel à lui, sachant qu’il lui serait
redevable : quelques années plus tard, certains événements et certains
facteurs, dont le désir d’émancipation de Zeroual vis-à-vis de Nezzar,
éclaireront cette vision des choses. J’y reviendrai.
Le 14 septembre 1989, le gouvernement de Mouloud Hamrouche a légalisé
le FIS. L’Algérie est devenue le premier pays arabo-musulman à reconnaître
un parti politique issu de la mouvance islamiste. Aucun parti politique ne s’y
était opposé, aucune association, aucun organisme international.
Le 27 septembre, Ahmed Ben Bella, premier président de l’Algérie
indépendante, en exil depuis sa libération en 1980, est rentré au pays. Il avait
entre-temps créé le Mouvement pour la Démocratie en Algérie (MDA), en
mai 1985, qui sera légalisé le 15 décembre 1989. Ait Ahmed, leader du FFS,
est lui aussi rentré en Algérie après un exil de 23 ans et surtout après la
légalisation de son parti le 20 novembre 1989. Mahfoudh Nahnah, quant à
lui, s’est contenté au départ de l’association à but caritatif « El Islah ouel
Irchad », créée le 30 novembre 1989. Il fera le grand saut une année plus tard
et créera son propre parti politique, l’actuel Hamas.

Les élections de juin 1990 et la guerre du Golfe

L’année sociale 1989-1990, coïncidant avec la nomination de Mouloud


Hamrouche à la tête du gouvernement et avec la légalisation de certains partis
politiques, a été marquée par une agitation politique sans précédent. La rue
est devenue un champ de bataille politique. Chaque parti a essayé de
conquérir la population. Réunions, conférences-débats, meetings se sont
succédé, avec un certain avantage pour ceux qui avaient déjà une base
populaire et une organisation issue de la clandestinité, comme le FIS, le FFS,
le MDA, le Parti d’Avant-Garde Socialiste (PAGS), ou le FLN qui, en tant
que parti au pouvoir, bénéficiait de toute la logistique d’État et de moyens de
propagande.
Ainsi le peuple algérien, privé d’expression pendant presque trente ans,
découvrait la liberté de parole et allait s’en abreuver. Les Algériens
discutaient de politique dans les usines, les facultés, les marchés, les
transports publics, les stades. Des groupes de jeunes et moins jeunes
refaisaient le monde pendant des heures au pied des immeubles. L’université
était devenue le premier lieu d’expression politique pour presque tous les
partis, à l’exception du FIS. Certaines situations étaient insolites : des
dignitaires du régime algérien se retrouvaient dans l’obligation d’expliquer
leurs attitudes antérieures devant des universitaires, et chacune de leurs
conférences devenait une épreuve d’examen où l’universitaire était le
correcteur.
L’une des premières décisions prises après le coup d’État de 1992 sera
l’interdiction de faire de la politique à l’université. Une conscience politique
était en train de naître, mais elle dérangeait beaucoup certains décideurs
affairistes dépourvus de bagage intellectuel. Le gouvernement de Mouloud
Hamrouche dérangeait aussi. Sa tentative de réformer l’économie, d’apporter
plus de transparence dans la gestion des affaires et de mettre fin à certains
monopoles va mécontenter tous les rentiers du régime et lui attirer leurs
foudres.
La première décision prise qui a dérangé certains militaires affairistes était
la réforme de la composition de la commission chargée de la distribution des
marchés. Celle-ci qui, durant des années, était composée de six militaires et
de trois civils, a été recomposée afin de limiter l’influence des militaires dans
les affaires : seulement cinq civils, et deux militaires. Ces derniers ne
pardonneront jamais ce geste à Mouloud Hamrouche et ils profiteront de la
grève du FIS de juin 1991 pour se débarrasser de lui ; ils essaieront plus tard
de le rendre responsable de la tragédie qui a suivi, au motif de la légalisation
du FIS. Mais personne n’était dupe. En 1999, un parti islamiste a encore été
légalisé.
Toujours dans cette logique de lutte contre la corruption, Mouloud
Hamrouche a créé un système de contrôle de l’acquisition des marchés en
Algérie, en particulier dans le domaine des hydrocarbures, dont la rente était
devenue la raison d’être de ces hommes corrompus. Quand Mouloud
Hamrouche a été désigné par Chadli Bendjeddid au poste de Premier
ministre, il pensait qu’il était capable de sortir le pays de la crise et surtout de
négocier de manière honorable avec le Fonds Monétaire International (FMI).
En effet, au moment de sa nomination en septembre 1989, l’endettement
extérieur qui arrivait à terme allait engloutir plus de 65 % des exportations,
d’où l’impossibilité pour l’État de financer des produits d’importation. Mais
le FMI voulait imposer sa vision de l’économie à l’Algérie et les discussions
avec le gouvernement ont été entourées du plus grand secret.
Dans ce contexte difficile, le gouvernement de Mouloud Hamrouche a subi
des critiques de plusieurs partis politiques, critiques subjectives aux visées
électoralistes, le plus souvent. Ainsi, toutes les thèses ou théories imaginables
pouvaient être envisagées, du moment qu’il y avait consommation partisane.
C’est dans ce contexte économique que les premières manifestations
politiques se sont déroulées. Les démonstrations de force par l’occupation de
la rue ont donné une idée de la capacité de mobilisation de chaque tendance
politique. Le jeudi 19 avril 1990, une coalition dite démocrate marchait dans
les rues d’Alger pour célébrer le « printemps berbère », en faisant de cette
revendication une condition sine qua non pour la concrétisation des libertés
démocratiques et culturelles en Algérie. Cette marche à laquelle participaient
le PAGS (ancien Parti communiste) et le RCD (Rassemblement pour la
Culture et la Démocratie) n’avait pas drainé de foule malgré la mobilisation
d’une partie importante de la presse. L’indifférence affichée par les Algérois
vis-à-vis de cette manifestation a marqué les esprits et n’a pas échappé aux
envoyés spéciaux de la presse internationale. Le lendemain, le FIS a lui aussi
organisé une marche depuis la place du 1er-Mai jusqu’au palais de la
présidence, son but inavoué étant de montrer à l’opinion internationale sa
capacité de mobilisation. Cette marche a été le premier plébiscite au parti
d’Abassi Madani. Elle a drainé des centaines de milliers de manifestants
selon les militants islamistes, et cinquante mille selon les services de police.
Le FIS venait de montrer qu’il faudrait, à l’avenir, le prendre en compte.
Abassi Madani a été reçu à la présidence par un conseiller du président, à
qui il a remis une lettre. Le lendemain, des rumeurs ont circulé à Alger selon
lesquelles Abassi Madani aurait été reçu par le chef cuisinier de la
présidence… Imaginez l’état d’esprit !
Le 21 avril, certains organes de presse parlaient de l’iranisation de la rue
algérienne. Un mois plus tard a débuté la campagne électorale pour les
premières élections libres de l’Algérie indépendante : les élections pour les
assemblées communales et départementales (APC et APW). Ces élections ont
eu lieu le 12 juin 1990. Le FIS a remporté plus de huit cents communes, avec
plus de quatre millions de voix (54,3 % de votants), tandis que le PAGS a
obtenu environ vingt mille voix. Le RCD, seul en Kabylie où il était
majoritairement implanté, avait bénéficié du boycott du FFS, et avait dû
céder certaines communes à d’autres partis politiques, dont le FIS. Le FFS et
le MDA avaient décidé de boycotter ces élections, sanctionnant le système
FLN.
Le même jour, Abassi Madani a mis en garde le pouvoir contre toute
tentative de remise en cause des résultats des élections. Le lendemain du
scrutin, une partie de la presse proche de la mouvance laïque a dénoncé la
naissance d’une République islamique aux portes de l’Europe. Les services
de sécurité sont alors passés à l’action. Pour discréditer le parti, ils ont
actionné leur système d’agents infiltrés à tous les niveaux, depuis les
membres du conseil consultatif, jusqu’aux simples militants.
Le succès du FIS aux élections communales résultait de la conjonction de
plusieurs facteurs : un vote sanction contre le parti FLN, un maillage de la
population à travers un système d’associations caritatives très actives,
l’utilisation des mosquées comme tribune politique, un discours politique très
populiste, un jeu morbide de la part du régime avec une loi sur les
associations à caractère politique dont le but était la fragmentation de la
représentation politique et qui a permis la naissance d’une soixantaine de
coquilles vides, l’absence d’alternative politique au FLN (si ce n’est des
groupuscules démocratiques autoproclamés aux discours surréalistes dans un
pays exsangue, avec un peuple à la mémoire fracturée et en quête d’identité).
La gestion des communes par le FIS, en qui une partie du peuple algérien
avait placé sa confiance, n’a pas différé fondamentalement de la gestion FLN.
Même s’il existait sûrement un but de moralisation de la chose politique au
sein des instances dirigeantes, à l’échelle locale, la rétribution des marchés et
la distribution des logements sociaux n’ont pas échappé aux passe-droits et à
l’enrichissement personnel.
Après le plébiscite du FIS, Larbi Belkheir a conseillé à Chadli Bendjeddid
de céder sa place de ministre de la Défense au général Nezzar afin qu’il ne
soit pas impliqué de manière directe dans un éventuel bras de fer avec les
militants du FIS. Chadli Bendjeddid a nommé le général Nezzar à ce poste le
25 juin, et Toufik à la place de Betchine à la tête de la DRS en
septembre 1990, afin de prévenir toute tentation de Nezzar, et surtout afin de
séparer les membres d’un duo pouvant devenir très gênant : le général Nezzar
et le général Betchine avaient collaboré à la répression des événements
d’octobre 1988. Par ailleurs, le général Mediene s’était déjà fait un nom à la
tête de la DCSA avec l’élaboration de dossiers compromettants pour
plusieurs personnalités. L’un de ces dossiers, fréquemment cité, est celui de
Riad El Feth.
Face à cette nomination, Belkheir a évité à Smaïn Lamari une retraite
certaine. Il l’a promu au grade de colonel par l’intermédiaire de Chadli
Bendjeddid, après que Betchine l’avait accusé de connivence avec les
services secrets français et mis sur la touche. Le général Smaïn Lamari
deviendra au cours de la décennie suivante l’homme le plus redouté
d’Algérie. Son arrivée à la tête de la Direction du Contre-Espionnage (DCE)
était destinée, au départ, à prévenir toute alliance entre Toufik et Nezzar.
L’homme deviendra au fil des années celui qui soufflera le chaud et le froid à
l’extérieur et à l’intérieur du pays. Il a créé, entre autres, les fameux
« escadrons de la mort », plus connus sous le nom de code 192 (en référence
au 1er janvier 1992, l’année du coup d’État). Les éléments qui les
composaient étaient dénommés « Firka Saoutia » (« groupe musical »), par
allusion à leur amour pour la musique lors des séances de torture : joli moyen
d’éviter que les cris d’agonie des victimes ne soient entendus… Les hommes
du général Lamari seront cités dans l’affaire des disparus (témoignage
d’Abdelkader Tigha, ex-chef de brigade de la DRS), dans l’assassinat de
hauts officiers supérieurs de l’armée qui s’étaient opposés à certaines
décisions de leur hiérarchie (témoignage de l’ex-colonel Samraoui), dans les
attentats de Paris…
Quelques semaines après le raz-de-marée du FIS, un autre événement est
venu, contre toute attente, ébranler la scène politique internationale en
général, et nationale en particulier : l’invasion du Koweït, un État souverain,
par le despote de Bagdad. Arguant de la légitimité historique de ses droits sur
cette terre, au mépris de tous les traités internationaux, et violant la Charte
onusienne, croyant en son impunité pour services supposés rendus à
l’Occident lors de la guerre contre l’Iran, le dictateur irakien a offert aux
Américains et à leurs alliés une occasion inespérée de réduire son potentiel
militaire et a permis une redistribution de la carte géopolitique de la région
suite à l’effondrement de l’Union Soviétique.
Au lendemain de cette invasion, le monde arabe officiel condamnait à
l’unanimité Saddam Hussein. Considéré un temps comme le dernier rempart
contre l’expansionnisme de la révolution islamique iranienne, et comme le
sauveur des monarchies féodales et corrompues du golfe Persique, Saddam
Hussein était lâché. Face à cette prise de position des régimes arabes qui ont
suivi de façon hypocrite la ligne légitime des nations occidentales pour le
respect de la souveraineté des États, la rue a répondu par des marches de
centaines de milliers de personnes à travers la quasi-totalité des pays arabes,
en soutien au peuple irakien. Le pouvoir algérien, dans un premier temps, est
tombé dans un mutisme digne des années de glaciation, puis, devant la
pression internationale, il s’est vu dans l’obligation de prendre position : il a
dénoncé l’occupation du Koweït et a demandé à l’Irak de se retirer et de se
conformer au droit international. Mais la rue algérienne, par la mobilisation
populaire, a imposé à ses dirigeants sa non-participation à la coalition
internationale.
Chadli Bendjeddid a même effectué, quelques jours avant le
déclenchement des hostilités, une tournée au Moyen-Orient où il a rencontré,
entre autres, Saddam Hussein, le président iranien Rafsadjani, et le roi
saoudien Fahd afin de les exhorter à trouver une issue pacifique à la crise,
mais sans succès. Au même moment, des milliers de jeunes Algériens enrôlés
par le FIS ont atterri à Amman via Tunis pour rejoindre le front aux côtés de
l’armée irakienne, emmenés par deux « prédicateurs DRS », Ali Aya et
Hachemi Sahnouni. Ces jeunes embrigadés sont restés cantonnés dans des
casernes irakiennes hautement surveillées. Ils ont même été interdits de sortie
avant d’être aimablement reconduits à la frontière sans avoir participé à cette
guerre. Pour beaucoup d’observateurs, c’était le premier faux-pas commis par
la direction du FIS, qui a permis aux services de sécurité de repérer tous les
militants susceptibles de représenter un danger pour l’ordre public. Les
agents de la DRS ont tout simplement récupéré chez leurs homologues
tunisiens les fiches d’embarquement des militants islamistes en direction
d’Amman. Mais ce laisser-aller des autorités algériennes était prémédité. Il
fallait, au moment voulu, convaincre l’opinion occidentale du caractère
internationaliste de ce parti.
Par ailleurs, le FIS, par cette prise de position surprenante pour une
dictature laïque contre les monarchies du Golfe, s’est coupé d’une manne
financière certaine perçue à travers leurs puissantes associations caritatives.
Le choix des deux prédicateurs n’était pas fortuit. Ali Aya et Hachemi
Sahnouni étaient connus pour leurs prêches virulents à l’encontre du pouvoir.
Ali Aya est l’homme qui, au cours de la marche organisée par le FIS pour le
soutien au peuple irakien, a déclaré devant des dizaines de milliers de
manifestants que l’armée ne savait employer ses munitions que pour tuer ses
enfants. Cet homme, après 1992, n’a jamais été inquiété par les services de
sécurité, mis à part lors d’un court séjour de deux mois à Reggane, où il a été
utilisé comme agent de renseignement (au cours de cette manifestation, Ali
Benhadj, en tenue militaire, et Abassi Madani ont été reçus au palais du
gouvernement par le général Nezzar et Mouloud Hamrouche, à qui ils ont
demandé l’autorisation d’entraîner leurs troupes dans des casernes, chose qui
leur a été refusée).
Sahnouni, quant à lui, l’homme clé des services, est tout simplement le
prédicateur de la fameuse mosquée que le général Nezzar aime tant citer,
celle de Kaboul à Belcourt. Non seulement ce membre fondateur du FIS ne
fut jamais inquiété, mais il fut tout au long de ces dix ans de « sale guerre »
l’homme que les Algériens redécouvraient à chaque circonstance
malheureuse. Son parcours est aussi obscur que celui de la plupart des
fondateurs du FIS. Il s’est fait connaître vers la fin des années 1980 : du haut
de son perchoir de Belcourt, il s’illustrait par ses prêches virulents et
insultants à l’encontre du pouvoir, qu’il considérait comme impie. Au cours
des événements d’octobre, il a offert sa mosquée à Ali Benhadj pour qu’il
puisse défier l’armée (Ali Benhadj comptait appeler à une marche pour défier
l’état de siège, mais certains membres de la ligue ont réussi, par leur sagesse,
à le convaincre d’y renoncer). Après la création du FIS, Sahnouni est devenu
non seulement le guide, mais aussi le chef spirituel de la tendance radicale du
FIS, constituée par les fameux « Afghans ». Durant la période faste du FIS,
cette tendance a composé la fameuse police islamique dénommée « Djamâat
amr bimaarouf oua nahy ala mounker » (« Groupe qui prêche le bon et
s’oppose à l’illicite »). Ce groupe ne pouvait agir que sous l’ordre direct du
chef suprême. C’est la plupart des militants de ce groupe qui ont fait le
voyage en Irak, pour participer à la guerre. Quelques jours après leur retour,
et frustrés de ne pas s’être mesurés aux Américains, ils ont frôlé
l’affrontement avec les hommes de la garde républicaine dans l’affaire du
centre hippique de Mohammadia, suite à un prêche virulent de Sahnouni à la
mosquée de ce quartier.
Sans l’intervention d’Abassi Madani, qui a préféré recourir à la justice, le
sang des innocents aurait certainement coulé. Par ailleurs, de ce groupe-là
naîtra par la suite le GIA.
Certains témoins ont rapporté que ce coup a été monté de toutes pièces par
les services de sécurité afin d’inciter le général Dib, chef de la garde
républicaine, à prendre conscience du danger que représentait le FIS. Mais le
général Dib semblait indifférent à cela. Les faits ont donné raison à ces
témoins : avant le coup d’État, Chadli Bendjeddid a fait appel au général Dib
afin de barrer la route au général Nezzar. Il a refusé l’offre et a préféré se
ranger aux côtés du ministre de la Défense, aux dépens du président.

Les émeutes de juin 1991

Après la guerre du Golfe, la politique nationale a repris le dessus. Le


gouvernement de Mouloud Hamrouche a présenté un avant-projet concernant
le nouveau découpage électoral et la nouvelle loi électorale, réalisés d’une
manière telle que le FLN, l’ex-parti unique, en soit le bénéficiaire.
La première opposition à cet avant-projet a émané du défunt Kasdi
Merbah, président du Mouvement Algérien pour la Jeunesse Démocratique
(le parti MAJD). L’ancien patron de la Sécurité Militaire a critiqué ce projet,
car il permettait aux mêmes personnes de rester au pouvoir. Quelques jours
plus tard, Saïd Saadi, leader du RCD, a lui aussi manifesté son opposition à
cet avant-projet.
Puis, juste avant son passage devant l’assemblée, Abassi Madani a quitté
son mutisme et a menacé le pouvoir d’une grève générale nationale, si un tel
projet devait être adopté par le pseudo-parlement FLN. Ce dernier a fait la
sourde oreille devant cette menace, et le 1er avril 1991, le projet a été adopté à
une écrasante majorité. Le lendemain, dans un communiqué signé par Abassi
Madani, le FIS a demandé au président d’intervenir pour annuler ce projet, ou
de « prendre ses responsabilités devant les conséquences désastreuses qui
pourraient en découler ». Le vendredi suivant, dans son prêche à la mosquée
de Kouba, Abassi Madani a demandé à ses militants de se mobiliser pour
faire face à ce nouveau défi du pouvoir.
Devant le silence presque total de tous les protagonistes politiques (à
l’exception du Front des Forces Socialistes et du Parti des Travailleurs, qui
ont dénoncé ce texte de loi), le FIS s’est retrouvé chaque jour de plus en plus
engagé dans un bras de fer avec le pouvoir.
Un mois et demi plus tard, le conseil consultatif du FIS, en l’absence d’Ali
Benhadj qui se trouvait en tournée à l’ouest du pays, a appelé à la grève
générale. Ali Benhadj n’a été informé de la décision de grève que le
lendemain, par de simples militants, au moment où il allait animer un meeting
à Mascara. Aucun membre du conseil, même ses plus proches, ne l’avait tenu
au courant de la décision prise. La plupart de ceux qui ont approuvé cette
décision n’ont pas été inquiétés au cours des événements qui ont suivi.
Une fois rentré à Alger, Ali Benhadj a eu plusieurs altercations avec des
membres du conseil, et, à partir de ce jour-là, il a imposé sa signature aux
côtés de celle d’Abassi Madani pour tout communiqué officiel du FIS.
La veille de la grève, Abassi Madani a rencontré Kasdi Merbah dans une
maison près de Kouba. Au cours de leur discussion, ce dernier a mis en garde
Abassi Madani contre certains membres du conseil du FIS susceptibles de lui
jouer un mauvais tour. Il lui a conseillé de faire appel à la masse intellectuelle
du FIS afin de faire face aux éléments infiltrés de majorité salafiste.
Au même moment, certains membres du conseil consultatif du FIS et
certains agents de la DRS confectionnaient des listes électorales, espérant
l’échec de cette grève qui limiterait par la suite le pouvoir d’Abassi Madani.
Les candidatures n’étaient validées qu’après la caution de Sahnouni.
Le 24 mai, lors du prêche du vendredi à la mosquée de Mohammadia,
Abassi Madani a lancé un appel à la grève générale jusqu’à satisfaction totale
des revendications du FIS, à savoir l’annulation de tous les textes
nouvellement adoptés. Suite à la tournure prise par la grève, le discours du
FIS s’est radicalisé, allant jusqu’à réclamer des élections présidentielles
anticipées. Le samedi 25 mai 1991 a été « un jour sans » pour le FIS.
Les grévistes étaient en majorité des militants qui avaient préparé une
ordonnance médicale pour justifier leur arrêt de travail. La rue semblait
attendre pour mieux voir. Même les Afghans n’étaient pas de la partie :
Sahnouni n’en avait pas donné l’ordre.
En dehors de quelques rassemblements de dizaines de personnes devant le
siège du FIS à Alger, dans les mosquées de Sunna, de Belcourt ou de Kouba,
la grève est passée presque inaperçue durant cette première journée. La
première étincelle est venue de la main tendue par les djazaristes à Abassi
Madani, à partir des universités du centre du pays, où, au second jour de la
grève, une mobilisation des étudiants avait commencé à prendre forme.
Suite aux attroupements d’étudiants, dont les cris et slogans favorables au
FIS se faisaient entendre depuis la faculté centrale d’Alger, les militants du
FIS qui étaient au niveau du siège du parti ont rejoint l’enceinte extérieure de
la faculté pour leur exprimer leur soutien. Les premiers camions de CNS
(équivalents des CRS en France) n’ont pas tardé à arriver, ce qui a incité
certains jeunes chômeurs algérois à rejoindre les manifestants, vu le mauvais
souvenir laissé par les CNS lors des événements d’octobre 1988. Ainsi la
contestation a pu commencer et la grève a pu prendre forme. Le soir même,
Abassi Madani a appelé ses militants à rester dans la rue et à occuper les
places publiques pour que les manifestations ne perdent pas leur élan. La
place du 1er-Mai et la place des Martyrs ont été les premières occupées.
Les militants du FIS semblaient de plus en plus organisés et, chaque jour,
le mouvement de contestation prenait de l’ampleur. De jeunes « hittistes » se
faisaient le plaisir de crier leur lassitude face à ce système à deux façades. La
capitale était de plus en plus paralysée, mais aucune réelle confrontation entre
les militants du FIS et les forces de l’ordre n’avait eu lieu. Même les
« Afghans » aux slogans provocateurs (« dawla islamiya bla ma n’voto » :
« État islamique sans vote ») n’ont pas mis le feu aux poudres. Les premières
bombes lacrymogènes n’ont été utilisées qu’au quatrième jour de la grève, à
l’université de Bab Ezzouar, quand les étudiants ont voulu organiser une
marche de soutien au FIS sur un itinéraire de dix kilomètres. De même, le
lendemain, un dispersement aux bombes lacrymogènes a eu lieu à Alger afin
de frayer un passage aux automobilistes bloqués par les manifestants.
Le même jour, Abassi Madani a déclaré que la grève était suivie à 90 %
par les travailleurs des secteurs du gaz et du pétrole au Sahara, tandis que des
rumeurs faisaient état de l’atterrissage d’un grand nombre de parachutistes
sur les aéroports d’Alger et Boufarik. Au même moment, le général Nezzar a
désigné les généraux Djouadi, Derradji, Touati et Taghrirt pour élaborer un
projet de décret d’état de siège et un document instituant un conseil
consultatif auprès du président.
L’armée pouvait ainsi surveiller les hommes politiques et contrôler les
sphères de décision. Cela ne fut pas une surprise pour de nombreux
spécialistes de la question algérienne, car en réalité, le ministre de la Défense,
Nezzar, en décembre 1990, au moment où il avait nommé Touati, Lamari et
Taghrirt comme conseillers du ministre de la Défense, avait déjà élaboré une
demande de type « état-major », pour le cas où le FIS aurait dépassé les
prévisions et les probabilités des militaires, et aurait alors échappé à tout
contrôle extérieur ou intérieur. Ainsi cette « intelligentsia » avait élaboré une
stratégie en plusieurs points, de façon à ce que les généraux ne puissent en
aucun cas perdre le contrôle du pouvoir. Il fallait réaliser par tous les moyens,
même illégaux (fraude électorale, manipulation de l’opinion), les conditions
du succès électoral pour n’importe quel parti ne remettant pas en cause les
intérêts des généraux. Parallèlement, il fallait tenter de neutraliser par des
moyens légaux les formations dites « hostiles », islamistes ou non, avant
l’échéance électorale. L’exploitation de leurs antagonismes était une
nécessité. La naissance du parti islamiste Hamas du cheikh Nahnah, en
décembre 1990, faisait partie de cette stratégie. Hichem Aboud rapporte dans
son témoignage que la veille de la création de ce parti, il avait vu Mahfoudh
Nahnah sortir du bureau du général Betchine, alors patron de la Sécurité
Militaire.
Le 2 juin 1990, des milliers d’étudiants ont manifesté sur le front de mer
jusqu’à la place des Martyrs, apportant leur soutien au FIS, malgré le
quadrillage policier et l’utilisation de bombes lacrymogènes par les forces de
l’ordre.
La nuit même, Mouloud Hamrouche et son gouvernement ont été destitués,
et les troupes d’élites de la gendarmerie et de la police ont évacué les
militants du FIS des places publiques par la force. Bilan bien lourd : quatre-
vingts morts selon les ONG, treize morts et soixante blessés selon la police.
Le 4 juin, l’état de siège a été décrété. Sid Ahmed Ghozali a été coopté
chef du gouvernement à la place de Mouloud Hamrouche. Il fallait éliminer
l’homme des réformes, un personnage jugé non docile, et le remplacer par un
exécutant de basses œuvres. Les généraux voulaient assurer leurs arrières
financiers (ainsi en 1994, alors que l’Algérie était en cessation de paiements,
les avoirs de ces derniers à l’étranger étaient évalués à environ 34 milliards
de dollars, dont dix-sept en France).
Le 7 juin, Abassi Madani a annoncé la fin de la grève, suite à un accord
qu’il aurait conclu avec le chef du gouvernement, Sid Ahmed Ghozali, mais
que ce dernier niera. Selon le dirigeant du FIS, l’accord stipulait que le parti
islamiste s’engageait à faire cesser la grève et les hostilités si le pouvoir
répondait favorablement à trois points : l’abrogation des textes sur le
découpage électoral et la loi électorale, le respect des résultats des futures
élections législatives et l’organisation d’une élection présidentielle anticipée.
Ne voyant rien venir, le FIS a de nouveau appelé à une grève générale et
demandé à ses militants, le 15 juin 1991, de réoccuper les rues. C’est dans ce
contexte que les premiers maquis se sont constitués autour de quelques
figures du mouvement islamiste radical : Chekendi à Chréa dans la Mitidja,
Mekhloufi à Zbarbar, ainsi que Chebouti et Meliani (inculpés dans l’affaire
Bouyali puis graciés par Bendjeddid en 1989, et dont Samraoui rapporte dans
son témoignage qu’ils ont été relâchés dans le cadre d’un accord avec les
services de sécurité afin d’infiltrer et de contrôler la tendance extrémiste). Ils
ont voulu au départ réactiver le Mouvement Islamique Armé (MIA), cher à
Bouyali, mais chacun est parti de son côté après leur désaccord.
La première tentative des généraux pour faire imploser le FIS a été faite
par l’intermédiaire des éléments infiltrés au sein du conseil consultatif. Le but
était d’écarter définitivement Abassi Madani et Ali Benhadj de la tête du
parti. À la surprise générale, la télévision algérienne a présenté un plateau de
scissionnistes appelant les militants du FIS à désobéir aux directives d’Abassi
Madani et Ali Benhadj. Ce jour-là, il y avait sur le plateau Sahnouni (le
prédicateur de la mosquée de Belcourt, qui a menacé à plusieurs reprises le
pouvoir de recourir au djihad s’il n’appliquait pas la Charia), Bachir Fkih
(prédicateur à Sidi Bel Abess, qui va mourir de façon obscure quelques jours
plus tard sur la route de Sidi Bel Abess, officiellement suite à un accident de
la route, et selon la rumeur suite à un assassinat) et Merani (futur ministre
puis sénateur). Tous étaient membres fondateurs du FIS. Au cours de cette
émission, ils ont dénoncé le caractère tyrannique d’Abassi Madani, et l’ont
accusé d’être assoiffé de pouvoir, pouvant sacrifier des vies humaines afin
d’atteindre ses objectifs.
Quelques jours plus tard, un plateau plus élargi a été organisé. Les
intervenants ont exhorté les manifestants à ne pas se sacrifier pour Abassi
Madani, mais la rue avait déjà choisi son camp. Certains, parmi ceux qui
étaient sur le plateau de télévision ce jour-là pour dénoncer la violence du
FIS, participeront le 16 janvier 1992 à Zbarbar à la première réunion pour la
création de groupes armés.
Suite à ces nouvelles exclusives de la télévision d’État, Abassi Madani et
Ali Benhadj ont organisé, le 29 juin, une conférence de presse au cours de
laquelle, dans un excès de nervosité, ils se sont laissés aller au fond de leurs
idées. Ali Benhadj a réclamé le droit à l’autodéfense des militants du FIS
devant le caractère criminel des généraux. En fin d’après-midi, il a été arrêté
au siège de la télévision d’État, en compagnie d’autres hommes de son
entourage, alors qu’il était allé réclamer un droit de réponse aux accusations
lancées contre lui et Abassi Madani. Le lendemain matin, ce dernier a été
arrêté à son tour, au siège du FIS. Une campagne d’arrestations a suivi dans
les milieux islamistes. Plus d’un millier de personnes ont ainsi été arrêtées et
certaines ont été extradées dans des camps de concentration dans le désert
algérien. S’ajoutent à cela plus d’une centaine de personnes tuées et plus d’un
millier de blessés. La main de fer du général Nezzar est une fois de plus
venue endeuiller des familles algériennes.

Les élections de décembre 1991 et la victoire du FIS

Le 26 juin 1991, Bendjeddid a décidé de céder son poste de président du


FLN à Abdelhamid Mehri, militant de la première heure et ancien centraliste,
au ton modéré, partisan du dialogue. Il s’affirmera comme un opposant
farouche de la ligne éradicatrice des généraux et de leurs relais dans le milieu
politique et associatif après le coup d’État de janvier 1992. Cette nomination
permettait à Chadli Bendjeddid d’apparaître comme le président de tous les
Algériens, et de se délester du poids encombrant d’un mastodonte aux pieds
d’argile. Le parti FLN était honni par la population et le réformer était
illusoire, vu tous les caciques qui y régnaient. Abdelhamid Mehri l’apprendra
à ses dépens quelques années plus tard. Ainsi Bendjeddid se mettait au-
dessus de la mêlée.
Au cours de l’été 1991, le Premier ministre, Sid Ahmed Ghozali, a réuni
tous les partis politiques (à l’exception du FIS) à la résidence du Club des
Pins pour une conférence nationale. Les débats étaient retransmis en direct à
la télévision. Pour combler l’absence du parti d’Abassi Madani, Sid Ahmed
Ghozali a fait de quelques dissidents, tels Kerrar et Merrani, ses invités
d’honneur, mais ces derniers se sont heurtés à une opposition farouche de la
part de certains partis qui ne voulaient pas cautionner la tactique du pouvoir
consistant à offrir à ses agents dissidents une tribune pour représenter un parti
après avoir décapité sa direction légitime. Parmi ces opposants, Louisa
Hanoune, leader du Parti des Travailleurs, s’est élevée de manière énergique
pour que ces scissionnistes ne participent pas au débat et ne parlent pas au
nom d’un parti dont les militants les accusaient de trahison.
Ainsi, après l’arrestation des deux dirigeants historiques du FIS, le 2 juillet
1991, Mohamed Saïd et Abdelkader Hachani se sont autoproclamés les seuls
porte-parole légitimes du FIS, faisant référence à une passation de consigne
établie par Abassi Madani avant son arrestation. Le vendredi 5 juillet, dans
un prêche virulent, Mohamed Saïd s’est attaqué au pouvoir et a réclamé la
libération des dirigeants emprisonnés. Il a déclaré que le parti survivrait à
toutes les rudes épreuves qu’il subirait, et qu’il continuerait dans la voix qui
lui avait été tracée.
Deux jours plus tard, le 7 juillet, suite à une réunion des bureaux de
wilayas, un bureau exécutif provisoire a été désigné. Abdelkader Hachani a
été nommé président de ce bureau exécutif, et Mohamed Saïd porte-parole du
FIS. Au moment où il s’apprêtait à donner une conférence de presse pour
expliquer les résultats des travaux, il a été arrêté devant les journalistes. Cette
arrestation n’a eu aucune répercussion sur la tenue du congrès du FIS, dont la
date venait d’être fixée lors de la réunion des bureaux de wilayas.
Le 25 et le 26 juillet 1991 s’est tenu à Batna le premier congrès du FIS, au
cours duquel tous les dissidents ont été exclus. Les congressistes ont exprimé
leur attachement à la direction historique, et se sont démarqués de toute lutte
armée dans laquelle certains membres fondateurs s’étaient déjà lancés. Ainsi
en juillet 1991, Kamradinne Kerabane et Saïd Mekhloufi, tous deux membres
fondateurs du FIS et anciens officiers de l’armée, ont créé, lors d’une réunion
tenue sur les monts de Zbarbar, un groupe armé dénommé « El baqoune ala
el ahd » (« Les fidèles au serment »). Mais après le coup d’État, Saïd
Mekhloufi a créé son propre groupe, dénommé MEI.
Juste après les événements de juin 1991, les services de sécurité ont lancé
la première chasse aux islamistes. La traque visait certains individus
considérés comme dangereux, pour la plupart d’anciens bouyalistes :
Chebouti, Meliani, Hattab Abderahmane, Azzedine Bàa. Mais d’autres
individus méconnus à ce moment-là étaient également recherchés : Moh
Leveilly, Djaafer El Afghani et Yahia « Rougi ». Ce dernier groupe a trouvé
refuge et appui dans le groupe de Chakendi à Tala Aicha à Chréa, déjà
recherché par les services de sécurité depuis 1989. Un nouvel émir répondant
au nom de Toufik a été choisi, tandis que Chakendi a été nommé instructeur
militaire. Mais au cours du mois de juillet, Toufik a trouvé la mort dans des
circonstances douteuses et Chakendi est devenu temporairement l’émir du
groupe, avant d’être évincé, fin juillet, par les partisans de Sahnouni.
Lors de mon séjour à la prison militaire de Blida aux côtés de certaines de
ces personnes, j’ai entendu dire que c’est à ce moment-là que Sahnouni avait
récupéré le groupe. Il est devenu guide spirituel, et a convaincu Meliani de le
rejoindre. Il l’a nommé plus tard premier émir. Ce groupe donnera naissance,
un an après, au Groupe Islamique Armé. Au début du mois d’octobre 1991,
deux journaux gouvernementaux, El Massa et El Khabar, rapportaient une
interview de Saïd Mekhloufi où il expliquait les raisons qui l’avaient poussé
vers le djihad contre le régime.
Le 15 octobre, Chadli Bendjeddid a annoncé des élections législatives pour
la fin de l’année. Quelques jours auparavant, le 30 septembre, le dinar était
dévalué de 22 %. Parallèlement, la loi relative aux activités de prospection,
de recherche et de transport par canalisation des hydrocarbures était adoptée,
suite à la visite effectuée le 2 septembre par des Algériens au siège du FMI,
pour négocier les modalités d’application de l’accord d’avril où la BNP
française était chargée de piloter pour le compte de l’Algérie un profilage de
la dette à hauteur d’un milliard et demi de dollars. Cet accord avait été signé
par l’ancien chef de gouvernement Mouloud Hamrouche, mais son
successeur, Sid Ahmed Ghozali, l’avait remis en cause. Cela expliquera la
visite de Camdessus, président du FMI, le 27 juillet 1991 à Alger. Sid Ahmed
Ghozali exécutera les termes de cet accord d’une manière maladroite,
soulevant la suspicion, comme le fera remarquer l’analyste F. Rouzeir. La
question qui reste posée est la suivante : est-ce que tout l’été tragique de
1991, vécu par les Algériens, n’était pas dû à cela ?
Le 1er novembre 1991, le FIS a rassemblé plus de cinq cent mille
personnes dans une marche pour célébrer la fête nationale, faisant de la
libération de ses dirigeants une condition à sa participation aux élections. Le
28 novembre, Mohamed Saïd a été remis en liberté provisoire par le
procureur du tribunal militaire de Blida. Le lendemain, un groupe armé dirigé
par un certain Tayeb Afghani a attaqué la caserne de Guemmar. Quelques
jours plus tard, le général Nezzar a accusé ouvertement le FIS d’être derrière
cette attaque. Il a lancé ses troupes d’élite sur la ville de Guemmar où des
atrocités ont été commises sur la population, qui avait pour seul tort d’avoir
élu un maire FIS.
Lors du procès ayant opposé le général Nezzar au sous-lieutenant Souaïdia
à Paris en juillet 2002, le capitaine Chouchene, ancien officier des forces
spéciales, a rapporté avec précision et détail ces atrocités. Les officiers
supérieurs ont couvert les faits, car ils considéraient que la population locale
méritait une punition. Les noms des criminels sont connus, car le capitaine
Chouchene les a cités lors du procès.
Le 14 décembre, au cours d’un meeting, Abdelkader Hachani a annoncé la
participation du FIS aux élections législatives du 26 décembre sans faire
référence à l’élection présidentielle. Au cours du dernier meeting tenu au
stade le 5 juillet à Alger, devant plus de cent mille militants, il a exhorté
l’armée et le président à respecter le choix du peuple.
Le 26 décembre 1991, le FIS a remporté les élections législatives avec plus
de 188 sièges dès le premier tour, devant le FFS (25 sièges), et le FLN,
l’ancien parti unique largement battu (16 sièges). Pour le second tour, le FIS
était en ballottage dans 167 circonscriptions, dont la majorité en position
favorable. Ces résultats ont provoqué un séisme : ceux qui n’avaient pas voté
pour le FIS se sont réveillés avec la « gueule de bois » : la panique a atteint
les Généraux et leurs relais multiples dans la société civile. Certains médias
se sont lancés dans une campagne de décrédibilisation du parti islamiste qui
frôlait l’hystérie.
Les chancelleries occidentales sont entrées dans la partie. Ainsi, quelques
jours après ces élections, les États-Unis ont accusé l’Algérie de posséder la
bombe atomique et des missiles non conventionnels. Ils ont exigé une
inspection des sites nucléaires. Mais après l’interruption des élections en
janvier 1992, les Américains ont annoncé que l’Algérie n’était pas une
puissance nucléaire, et que ses sites étaient conformes aux traités
internationaux, ce qui a laissé la rue algérienne perplexe et a fait dire à une
partie de la population que la bombe atomique avait pour nom « FIS ».
Après ces élections remportées par le FIS, l’Algérie va vivre le plus grand
cauchemar de sa jeune histoire : elle va sombrer dans une guerre civile
provoquée par un coup d’État militaire mené par une bande de généraux sans
scrupules, ne représentant qu’eux-mêmes, aidés par leurs valets et par une
flopée de parasites dont les intérêts étaient liés à ces corrompus. Ils feront
payer au peuple algérien un lourd tribut : deux cent mille morts, des dizaines
de milliards de dollars de dégâts matériels, des milliers de disparus, la
déportation de dizaines de milliers de personnes vers des camps de
concentration en plein désert, la torture de dizaines de milliers de personnes,
des exécutions extrajudiciaires de milliers d’autres, la création de milices
armées semant la terreur, la création du GIA qui a commis des crimes dont
l’atrocité et la férocité sont sans égales dans l’histoire de l’humanité.

2. La seconde guerre d’Algérie, la décennie noire

Après l’effondrement des cours du pétrole en 1986, et la croissance


négative enregistrée en 1986 (– 1,6 %), en 1987 (– 1,4 %), en 1988 (– 2,7 %),
associée surtout à une croissance démographique avoisinant les 3 %,
l’Algérie s’est engagée dans des réformes politiques signifiant la fin de
l’hégémonie du parti unique, le FLN. La société civile a retrouvé son
autonomie grâce à la Constitution de 1989 qui reconnaît le multipartisme, et
des réformes économiques ont été enclenchées. Ainsi, l’Algérie devait
négocier avec le FMI l’ajustement structurel, l’alignement du dinar sur sa
valeur réelle qui avoisinait celle du marché parallèle, et la libéralisation du
commerce extérieur.
Mais en décembre 1991, le FIS a remporté les élections législatives, et il
avait promis lors de sa campagne de se soulever contre le diktat du FMI,
disant que la dette algérienne se trouvait dans des comptes de banques
occidentales, où il fallait aller la chercher. Cela a permis au moins
partiellement aux Généraux algériens de trouver des justificatifs auprès des
grands argentiers du monde afin de liquider ce parti, qui menaçait non
seulement leurs intérêts, mais aussi ceux de leurs partenaires étrangers. Ce
n’est que sous cet angle-là que l’on pourrait comprendre l’absence de
condamnation du coup d’État, mais aussi l’aide concrète dont a bénéficié le
régime algérien pour financer sa guerre. La démocratie n’a jamais existé pour
sauver l’Algérie, et le danger islamiste est une création du pouvoir. La
sauvegarde de la République par l’annulation des élections est un mirage dont
on s’accommode quand les intérêts sont préservés. Ce parti, aussi tenté qu’il
fût pour modifier la Constitution, avait d’autres moyens pour éviter le pire. Il
avait perdu un million de voix en un an entre deux élections et Chadli
Bendjeddid disposait de moyens, en vertu de ses prérogatives
constitutionnelles, pour dissoudre le Parlement si la Constitution était
menacée. Les recours contre les élus du FIS se comptaient par centaines et
presque la moitié des Algériens n’avaient pas voté au premier tour.

Quinze jours pour un coup d’État

Le 27 décembre à 1 heure du matin, Larbi Belkheir, ministre de l’Intérieur


depuis octobre 1991, a annoncé la victoire du FIS. Le jour même, le
gouvernement s’est réuni. Aboubakr Belkaid, ministre de la Justice, a
déclaré : « Le problème est de savoir si, oui ou non, nous devons organiser le
second tour. » Belkheir a alors pris la parole et a affirmé que « Chadli
[devait] démissionner ». Après la réunion, Sid Ahmed Ghozali a demandé au
général Nezzar de rencontrer Bendjeddid pour savoir ce qu’il en pensait : il
n’a détecté aucune panique chez le président, qui considérait que c’était la loi
du jeu démocratique. Mais Nezzar avait compris que le président était sous le
choc, ce qui l’a poussé à rencontrer Ait Ahmed, leader du FFS. Ce dernier lui
a demandé de ne pas faire intervenir l’armée et de laisser les hommes
politiques régler la question.
Le même jour, le général Nezzar a créé ce qu’il a appelé un « groupe de
travail et de réflexion » au ministère de la Défense, une sorte de cabinet noir,
ainsi qu’une commission composée des ministres Ali Haroun et Aboubakr
Belkaid, et des généraux Touati et Taghrirt afin de trouver un cadre légal à la
sortie de la crise. Cette commission représentait une sorte de second cabinet
noir qui allait servir plus tard de justificatif et de couverture au véritable
cabinet noir installé la veille, lequel était, quant à lui, composé uniquement de
militaires, préparés déjà à l’idée du coup d’État.
Le 29 décembre, l’avocat du pouvoir et des militaires, Miloud Brahimi, a
pris contact avec Abdelhak Benhamouda, patron du syndicat Union Générale
des Travailleurs Algériens (UGTA), pour lancer un mouvement de
protestation afin de faire barrage au FIS. Le même jour, le conseil
constitutionnel a été saisi de recours déposés par les partis. Le lendemain, le
Premier ministre, Sid Ahmed Ghozali, a déclaré que les élections avaient été
propres, pour ne pas attirer l’attention du président, car les mécanismes
nécessaires pour un coup de force n’étaient pas encore prêts. Comment peut-
on, sinon, expliquer par la suite son revirement sur cette question de la
propreté des élections ?
Le 30 décembre, le Conseil National pour la Sauvegarde de l’Algérie
(CNSA) a pris forme sur le perron du siège du syndicat UGTA, devant deux
cents personnes se revendiquant représentants de la société civile.
De nombreuses organisations ainsi que la ligue des droits de l’homme de
Miloud Brahimi ont participé à cette manifestation.
Le 31 décembre, le CNSA a reçu l’appui de quelques partis désavoués par
les urnes (le RCD de Saïd Saadi, le MAJD de Kasdi Merbah et le PAGS de
Hachemi Cherif, ancien Parti communiste) dans l’espoir d’une renaissance
sous les baïonnettes. Le PAGS n’avait même pas participé aux élections
législatives. Le CNSA a également reçu le soutien de quelques intellectuels,
d’artistes et d’anciens ministres.
Le FFS a appelé les Algériens à une manifestation le 2 janvier 1992 à
Alger. Il a demandé une mobilisation citoyenne pour le second tour et a cru
pouvoir convaincre les abstentionnistes du premier tour. Mais les militaires
ont utilisé cette manifestation comme un argument pour leur démarche alors
qu’elle était seulement organisée dans un but électoral. Ainsi le CNSA a
décidé de marcher sous les slogans du Front des Forces Socialistes, mais seul
Ait Ahmed a pris la parole le jour de la marche. Cinq cent mille personnes
défileront le long du front de mer à Alger sous le slogan « Ni État policier, ni
État intégriste ». Malheureusement, cette marche servira d’alibi pour les
putschistes.
Le soir même, vingt-cinq hauts officiers de l’armée se sont réunis à Aïn
Naadja où le sort de l’Algérie a été scellé. La solution du coup d’État a été
adoptée, il ne restait plus qu’à en choisir la forme. Cette réunion a duré toute
la nuit. Le 3 janvier même, le FIS, ayant appris la nouvelle, a demandé une
audience au président par le biais de Hachani, président par intérim d’un parti
islamiste. Le président de la République et chef suprême des armées a été
étonné de la nouvelle que lui apportait Hachani. Puis l’effroi s’est abattu sur
lui, car il n’était pas au courant d’une telle réunion. Juste après cette
rencontre, Bendjeddid a convoqué le général Nezzar, lui demandant
d’organiser une réunion avec les hauts officiers de l’armée, fixée au 6 janvier.
Le 4 janvier, le président de l’Assemblée, Abdelaziz Belkhadem, a
organisé une cérémonie de fin de mandat à l’attention des futurs anciens
députés issus du parti unique. Au cours de cette cérémonie, Belkhadem n’a
pas émis la moindre critique sur la manière dont s’était déroulé le scrutin.
Le lendemain, à la veille de la fameuse réunion de Chadli Bendjeddid avec
les officiers de l’armée, Sid Ahmed Ghozali, qui avait auparavant déclaré que
le scrutin n’avait été entaché d’aucune irrégularité, est revenu sur ses dires,
jugeant que le scrutin n’avait pas été honnête. Certains diront que c’est la
bouée de sauvetage qui a sauvé le lendemain le général Nezzar d’une
destitution certaine que le président voulait devant tous les officiers pour
reprendre le contrôle de l’armée.
Mais face à cette sortie médiatique, Bendjeddid s’est contenté de dire, au
cours de la réunion du 6 janvier, et après avoir entendu tout le monde, qu’il
allait prendre les décisions qu’il fallait. Le 7 et le 8 janvier, il a rencontré
Belkhadem en sa qualité de président de l’Assemblée Nationale. Ce dernier a
dit par la suite que Chadli Bendjeddid ne lui avait jamais signifié sa fin de
mission. Le 8 janvier, le président a reçu Abdelhamid Mehri, premier
responsable du FLN, à qui il n’a rien dit de sa probable démission. Il a aussi
reçu Abdelkader Hachani, qui lui a assuré qu’il ne demanderait jamais
l’organisation d’élections présidentielles anticipées si le second tour des
législatives était organisé et lui a promis de gouverner dans le cadre de la
Constitution.
Le jeudi 9 janvier, Chadli Bendjeddid a reçu un homme qu’il respectait
beaucoup, le général Djenouhat, en compagnie du général Nezzar. Le
président s’est senti en sécurité suite aux paroles formulées par le ministre de
la Défense. Après cette rencontre, il s’est retiré pour passer le week-end à
Zeralda, en toute tranquillité. Le même jour, de nombreuses rumeurs faisaient
état du débarquement d’un nombre impressionnant de militaires sur les bases
de Boufarik et d’Alger.
La direction du FIS s’est réunie de façon clandestine le soir même, se
préparant à un coup d’État de plus en plus probable. Sid Ahmed Ghozali a
déclaré « qu’il fallait s’attendre à des solutions ». Le 10 janvier, lors du
prêche, à la mosquée de Kouba, Abdelkader Hachani a déclaré que « le
peuple devrait s’attendre à ce que son choix soit confisqué ». D’après Hichem
Aboud, Chadli Bendjeddid n’a été prévenu du bruit de bottes que le samedi
11 janvier au matin. Devant ce fait accompli, il a informé le général Dib, chef
de la Garde Républicaine, qu’il venait de le nommer à la tête de l’armée à la
place du général Nezzar, informé aussi par la suite. Le compte à rebours a
ainsi été déclenché avant même d’avoir la réponse définitive du joker de luxe
trouvé au cours du week-end au Maroc : Mohamed Boudiaf.
Ali Haroun s’est déplacé le 11 janvier à Kenitra pour le convaincre de
venir au moins discuter avec les militaires, chose faite le lendemain. Toujours
d’après Hichem Aboud, les généraux Lamari, Ghozeil, Dib et Nezzar sont
entrés dans les locaux de la présidence le matin du 11 janvier, insultant et
menaçant Chadli Bendjeddid. Ce dernier, coupé de ses propres gardes du
corps, a abdiqué et signé sa démission. Mais au cours de sa déclaration à la
télévision, le soir même, il dira : « La seule conclusion à laquelle j’ai abouti
est que je ne peux pas continuer à exercer pleinement mes fonctions sans
faillir au serment sacré que j’ai fait à la nation. » Chadli Bendjeddid a
démissionné officiellement mais n’a jamais annulé le scrutin.

Boudiaf, de son arrivée à son assassinat

En précipitant le départ de Chadli Bendjeddid, les Généraux et Nezzar se


sont retrouvés devant un cas inédit : un vide constitutionnel. Face à cela, ils
ont effectué une réunion du Haut Conseil de Sécurité (HCS) dont la
présidence a été confiée à Sid Ahmed Ghozali, alors que le décret du
24 octobre 1989 précisait que le HCS ne pouvait être présidé que par le
président et comprenait le président de l’Assemblée Nationale, les ministres
de la Défense, des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de la Justice, de
l’Économie, ainsi que le chef d’état-major de l’armée. Pourquoi alors un
président qui a démissionné de son plein gré la veille seulement ne tient-il pas
une réunion du HCS, et n’annule-t-il pas lui-même le scrutin ? Le HCS a
décidé d’arrêter le processus électoral. Pour la plupart des Algériens, ce jour-
là a été fatidique, scellant le sort du peuple afin que soient protégés les
intérêts de certains généraux et de leurs valets.
Dix ans après, certaines de ces personnes continuent à s’enrichir
illicitement. L’anarchie qui a suivi, favorisée par la faiblesse et l’illégitimité
du pouvoir en place, le terrorisme dans toutes ses variantes abjectes,
l’opposition entre groupes de citoyens, les actes criminels des services de
sécurité, la vendetta des miliciens armés par le régime entraîneront
l’émergence de fléaux qui n’existaient pas ou très peu auparavant dans la
société algérienne.
Le chiffre de la délinquance a augmenté d’une manière très inquiétante,
amenant le pouvoir, une dizaine d’années plus tard, à considérer le combat
contre le crime organisé comme une priorité, au même titre que la lutte contre
le terrorisme. Les attaques à main armée contre des biens privés ou publics,
parfois contre de simples citoyens anonymes, se sont développées. Les faux
barrages effectués par de vrais ou de faux terroristes islamistes (de vrais
criminels en tout cas), par des policiers terroristes ou criminels se sont
multipliés. La consommation de drogue, touchant parfois des enfants en bas
âge et des femmes, a fait des ravages : la cocaïne, l’héroïne, les psychotropes,
la colle, ainsi que d’autres substances toxiques se sont ajoutés au traditionnel
« kif ». La misère et le désespoir ont poussé des femmes souvent jeunes,
parfois des adolescentes, à la prostitution.
Boudiaf a atterri le 12 janvier 1992 à Alger dans le plus grand secret. Il
s’est entretenu avec les chefs de l’armée, qui lui ont assuré leur collaboration
totale. Devant un parterre d’officiers supérieurs réunis à Aïn Naadja la nuit
même, Boudiaf a reçu le serment que toutes les décisions qu’il prendrait ou
actions qu’il entreprendrait seraient respectées. À la fin de cette réunion, il a
demandé quelques jours de plus pour retourner au Maroc et régler ses affaires
domestiques.
Le 13 janvier, lors de la réunion des élus du FIS, une cellule de crise a été
créée, composée d’Ikhlef Cherati, Mohamed Saïd, Kacem Tadjouri et
Abderazak Redjam. Elle avait pour rôle de veiller à la continuité du parti dans
la clandestinité, et de mettre en œuvre une nouvelle stratégie afin d’assurer la
survie du parti.
Durant la nuit du 13 au 14 janvier, le siège du FIS a été vidé de toute sa
documentation et de son matériel informatique. Le même jour, Ait Ahmed,
leader du FFS, qui considérait que la pseudo-démission de Bendjeddid et la
décision du HCS d’annuler le second tour des élections législatives
équivalaient à un coup d’État, a imploré le FIS de ne pas s’engager dans la
violence voulue par les militaires, car cela risquait d’ouvrir la voie à la guerre
civile, tandis qu’Abdelhamid Mehri, secrétaire général du FLN, rencontrait
Abdelkader Hachani et lui demandait de renoncer à la violence et de
privilégier le dialogue.
Sur le plan international, aucun pays n’a émis de condamnation officielle.
La France, historiquement liée à l’Algérie, était dans la confidence depuis le
début. Au lendemain du premier tour des élections législatives, Chadli
Bendjeddid avait informé l’ambassadeur de France à Alger, Jean Audibert, de
son intention de cohabiter avec les islamistes. L’ambassadeur a également été
informé quelques jours plus tard par le général Larbi Belkheir de l’intention
des Généraux d’annuler le second tour de ces élections. Cela a incité François
Mitterrand à envoyer un émissaire, le général arabisant Philippe Rondot, à
Alger, début janvier. Ce dernier a demandé que la sécurité du président soit
assurée et a reçu du quarteron de putschistes à Alger la garantie qu’ils
mettraient en œuvre leur opération dans « le respect des droits de l’homme ».
L’ex-président Valéry Giscard d’Estaing et Jean-Marie Le Pen ont été les
seuls hommes politiques français à condamner le coup d’État. François
Mitterrand n’a pris ses distances que fin 1992 lors d’un sommet européen
présidé par la France.
Les Généraux algériens n’ont dû leur survie qu’à l’appui trouvé à Paris, où
des pressions ont été exercées sur le Club de Paris et autres institutions
internationales pour aider les putschistes. On comprend mieux alors le flux
d’argent versé par les pays de la Communauté Économique Européenne
(CEE) quelque temps après le coup d’État.
Le 14 janvier, une direction collégiale, appelée Haut Comité d’État (HCE),
a été créée afin d’assurer la transition au pays. Le HCE était composé de
Mohamed Boudiaf, Ali Haroun (ministre de la Justice), Khaled Nezzar
(ministre de la Défense), Tidjani Haddam (recteur de la mosquée de Paris) et
Ali Kafi (secrétaire général de l’organisation des moudjahidines ou anciens
combattants). La présidence du HCE a été octroyée à Boudiaf en tant
qu’acteur primordial dans la révolution algérienne. Le retour de Boudiaf en
Algérie après 27 ans d’exil au Maroc pour collaborer avec les putschistes est
une des plus grandes énigmes de cette période de l’histoire de l’Algérie. Une
année seulement auparavant, il déclarait à la télévision algérienne (invité par
Ait Ahmed et Ben Bella à rentrer au pays) qu’il n’avait aucune confiance
dans ce régime. Comment a-t-on pu le convaincre en deux jours, même en lui
envoyant des proches ? Que lui a promis Ali Haroun lors de
sa visite à Kenitra ? Que contenait la fameuse lettre qu’on lui avait remise ?
C’est en répondant à toutes ces questions que l’on pourrait peut-être
expliquer ce qui l’a incité à accepter de servir de paravent aux Généraux, et
aider les Algériens à comprendre les raisons de son assassinat.
Le 15 janvier, Abdelkader Hachani a déclaré que Boudiaf était un président
importé. Le lendemain, Boudiaf est revenu sur le territoire algérien de
manière officielle. Il a déclaré à la presse qu’il était venu pour sauver
l’Algérie, et qu’il tendait sa main à tous les Algériens sans exception. Des
voix se sont élevées pour l’avertir qu’il faisait fausse route, et qu’il risquait sa
vie s’il pensait collaborer avec les Généraux. Ces voix-là avaient raison :
Boudiaf est le second président de toute la planète à avoir été assassiné en
direct à la télévision, le 29 juin 1992.
Le jour même de son arrivée à Alger, une réunion d’unification de
l’opposition islamiste armée s’était tenue à Zbarbar, à laquelle avaient assisté
les radicaux expulsés du FIS (Sahnouni, Zebda Benazouz, Saïd Mekhloufi) et
les bouyalistes (Chebouti, Meliani). C’était une réunion de prise de contact
sans aucun engagement, mais qui a tout de même permis à Meliani de trouver
en Sahnouni et Zebda un soutien potentiel pour ses idées. À la fin de cette
réunion, le groupe s’est quitté en se fixant un autre rendez-vous à Sidi
Moussa, pour y voir encore plus clair. Au cours de cette seconde rencontre,
aucun consensus n’a pu être dégagé et chaque protagoniste a essayé de
prouver son efficacité sur le terrain, d’où le début des attentats.
Malgré la dénonciation de l’arrêt du processus électoral par les trois Fronts
(FIS, FLN, FFS), la situation s’est dégradée jour après jour. Ainsi le
18 janvier, devant une foule de journalistes, les élus du FIS ont été évacués
matraque à la main par les forces de l’ordre du Comité Populaire de la Ville
d’Alger (CPVA) où ils tenaient réunion. Le soir même, Abdelkader Hachani
a déclaré que son parti avait épuisé toutes les voies légales pour éviter au
pays de déraper.
Le lendemain, les forces de l’ordre ont commencé à procéder à des
arrestations dans les milieux islamistes. Les premières personnes arrêtées ont
été torturées pour la simple raison qu’elles appartenaient au FIS. Celui-ci a
réagi par un communiqué signé par Abdelkader Hachani, mettant en garde le
pouvoir contre toute dérive, et demandant à la communauté internationale de
prendre ses responsabilités. Il a également précisé qu’il ne reconnaîtrait
aucun traité ou engagement élaboré par le nouveau pouvoir, et a mis
l’Occident en garde contre toute collaboration avec le nouveau régime. Le
soir même, le HCE a réagi par voix de presse, qualifiant les dirigeants du FIS
de déstabilisateurs. L’épreuve de force a alors pris forme, la deuxième guerre
d’Algérie a pu commencer.
Le 21 janvier, la guerre des mosquées a éclaté entre les militaires, qui
considéraient que les lieux de culte servaient aussi de terrain de propagande
aux militants du FIS, et ces derniers, qui considéraient que les lieux de culte
étaient les seuls endroits de liberté qui leur restaient.
Les manifestations ont été réprimées dans le sang. Les premiers
affrontements urbains ont abouti à un nombre impressionnant de morts et de
blessés par balles parmi les militants du FIS. En quelques jours, des centaines
de personnes ont été arrêtées et déportées dans des camps de concentration en
plein désert : Reggane est le premier de ces camps, officiellement ouvert en
février 1992.
Le 22 janvier, Abdelkader Hachani a été arrêté parce qu’il avait appelé les
militaires à ne pas obéir aux ordres de leurs supérieurs et à ne pas tirer sur les
manifestants. Il passera cinq ans dans la fameuse prison de Serkadji. Une fois
libéré, il sera assassiné en raison de son opposition à la concorde civile
concoctée par les Généraux. Quelques jours plus tard, Rabah Kebir a été lui
aussi arrêté, et relâché peu après pour manque de charges par le juge, qui sera
ensuite muté. Il a été mis en résidence surveillée, mais a réussi à quitter le
territoire clandestinement, pour rejoindre l’Allemagne.
Le mois de février 1992 serait vraiment le mois que les Algériens
aimeraient ôter de leur mémoire et du calendrier. En effet, bien qu’ils aient
été habitués, depuis l’indépendance, à des excès de violence entre les
citoyens et les forces de l’ordre, jamais, lors de ces confrontations, l’horreur
n’avait atteint de telles limites. La vie humaine n’avait plus aucun sens aux
yeux de ceux qui détenaient le pouvoir des armes : celui qui pouvait tuer
tuait ; celui qui pouvait humilier humiliait ; celui qui pouvait violer violait…
Des événements sans précédent ont éclaté : six jeunes policiers ont trouvé la
mort, rue Bouzrina à Alger, suite à un guet-apens tendu par un groupe
d’islamistes armés. À leur tête se trouvaient un certain Kamel Brimer, ancien
membre de la police islamique (qui a prêté par la suite allégeance à Mansouri
Miliani, futur chef du GIA), et Abdelghani Abdelaoui, membre de la police
islamique également. Ce dernier a été arrêté et condamné suite à cette affaire.
Il s’évadera en mars 1994 de la prison de Lambese et deviendra un des
proches des dirigeants du GIA à l’époque de Djamel Zitouni et Antar
Zouabri.
Trois jours plus tard, l’officier chargé de l’enquête a trouvé le fusil-
mitrailleur utilisé lors de l’attentat dans le puits d’une maison à la Casbah : un
fusil volé de l’amirauté, jamais déclaré. Pis encore, il a découvert que certains
membres de ce groupe faisaient partie du corps des marins de l’amirauté
d’Alger. Après l’arrestation de ces militaires et leur présentation devant le
juge qui les a condamnés à mort, un adjudant appartenant à ce groupe a été
aperçu par des policiers circulant place des Martyrs en toute liberté.
Du côté de la protestation civile, c’est Batna qui a marqué les esprits avec
le soulèvement de la quasi-totalité de la population de la ville. Cette
protestation a duré quatre jours, faisant, selon le bilan officiel, quatorze morts
par balles et cent soixante-dix blessés. Par ailleurs, suite à des manifestations
dans les campus du centre, les forces de sécurité ont occupé presque toutes
les universités du centre, procédant à des arrestations d’étudiants à l’intérieur
des amphithéâtres.
Le 9 février, le HCE a décrété l’état d’urgence pour un an, et Mohamed
Boudiaf a animé une conférence de presse, où il a fait état de la situation
sécuritaire en annonçant un bilan de cinquante morts et deux cents blessés
(cent cinquante morts et sept cents blessés selon le FIS), suite à la campagne
de reprise des mosquées engagée par l’armée depuis le 21 janvier. Deux jours
plus tard, Mohamed Boudiaf a donné carte blanche aux magistrats à propos
des dossiers de corruption. Au même moment, l’Italie a accordé le premier
grand prêt pour appuyer le coup d’État des Généraux : trois cents millions de
dollars pour le financement des importations. Quelques jours auparavant, la
France avait accordé un crédit de cinq cents millions de dollars au régime
algérien. Et étrangement, le 13 février, dans un communiqué télévisé, les
Généraux ont annoncé la création de sept camps de concentration en plein
désert algérien, certains centres étant situés sur des sites d’essais nucléaires,
comme ceux de Reggane et Aïn M’Guel, et d’autres ayant servi à des essais
chimiques comme ceux d’Oued Namous, Menaa, Ouargla, Aïn Salah et Bordj
Omar Idriss. Quelques jours plus tard déjà, Ali Haroun a annoncé
l’arrestation de cinq mille personnes (quatorze mille selon le FIS). Le
lendemain, une certaine presse a justifié ces arrestations par l’attaque
commise la veille par un groupe armé contre l’amirauté, et qui avait fait six
morts.
Le 22 février, Saïd Guechi, un ancien radical du FIS, expulsé du parti par
Abdelkader Hachani au congrès de Batna en juillet 1991, a fait son entrée
dans le gouvernement de Sid Ahmed Ghozali en tant que ministre de
l’Emploi. Le 2 mars, tandis qu’un très grand nombre de personnes ont été
arrêtées et transférées vers les camps, le gouvernement a annoncé la
découverte de huit gisements de pétrole dans le Sud algérien. Bien entendu,
les Généraux jouaient la carte du pétrole vis-à-vis de l’Occident afin de
passer sous silence toutes les exactions commises. Ainsi, pour effrayer les
Occidentaux avec la thèse de l’islamisme aux portes de l’Europe, le tribunal
de Tlemcen a prononcé une peine capitale à l’encontre de trois membres d’un
groupe dénommé le Hezbollah.
Vers la fin du mois, trois grands événements ont marqué l’actualité
politique en Algérie. Tout d’abord, le FIS a été dissous par le tribunal
administratif d’Alger. Puis, deux jours plus tard, le FIS a fait appel, et Kebir
s’est vu relaxer pour manque de charges. Enfin, entre ces deux événements,
le 30 mars, le général Mohamed Lamari a été mis à la retraite par décret
présidentiel et n’a été remplacé par le général Khalifa Rahim que dix-neuf
jours après sa destitution. Khaled Nezzar l’a récupéré, le nommant auprès de
lui conseiller du ministre de la Défense. Dix ans après, très rares sont ceux
qui parlent de cet événement, ou qui apportent des éclaircissements à propos
de ce conflit entre Mohamed Boudiaf et le général Lamari.
Le 1er avril, le Japon est entré en scène et a accordé un crédit de trois cents
millions de dollars à l’Algérie. Une semaine plus tard, la Banque
Internationale pour la Recherche et le Développement (BIRD) a débloqué un
crédit de trois cent cinquante millions de dollars.
Le 9 avril, Ahmed Merani, un ancien membre fondateur du FIS a été
nommé conseiller du chef du gouvernement aux Affaires religieuses et
deviendra plus tard sénateur. Le 12 avril, le tribunal militaire de Blida a
requis six chefs d’accusation contre Ali Benhadj, et cinq chefs d’accusation
contre Abassi Madani, pour la majorité passibles de la peine de mort. Le
22 avril, le Conseil Consultatif National (CCN) a été mis en place pour pallier
la vacance du Parlement : composé de soixante membres désignés par le Haut
Comité d’État (HCE), il a regroupé tous les rapaces et opportunistes du
régime, des êtres sans passé et sans avenir, dont le passage dans cette
institution ne laissera pas plus de traces que ceux qui les ont précédés.
Reda Malek a été désigné par ses amis comme président de la plus fantoche
des instances qui aient existé dans notre pays.
Le même jour, la BIRD a accordé un autre prêt pour la libéralisation du
commerce. Peu de temps après ont été créées des sociétés parasitaires qui
serviront de paravent pour la fuite des avoirs algériens vers l’étranger sous
l’appellation de « sociétés d’import-export ». En réaction à cela, sept partis
politiques ont réclamé au gouvernement de constituer un gouvernement
d’union nationale, de lever l’état de siège et de fermer des camps de
concentration. Le fils de Mohamed Boudiaf dira dix ans plus tard, dans un
témoignage, que « les camps de concentration étaient l’idée du général Larbi
Belkheir, que son père était contre et qu’il voulait en finir ».
Le 28 avril, le général Belloucif est apparu comme le premier dindon de la
farce dans la lutte contre la corruption et les détournements de biens publics :
il a été arrêté et accusé par les siens d’avoir détourné l’argent de l’État. Il a
été emprisonné pendant trois ans alors qu’il avait été condamné à douze
années de réclusion. Entre-temps, Boudiaf a été assassiné et remplacé par le
colonel Ali Kafi, lui-même remercié et remplacé par le général Zeroual, qui
sera poussé à la démission. La justice n’y était pour rien dans cette affaire,
comme dans les autres d’ailleurs : les affaires se font et se défont au gré des
alliances. Certains de nos hommes de pouvoir actuels habitent dans des palais
en plein centre d’Alger, alors que toute leur vie, ils n’ont été que
fonctionnaires. Ne parlons pas de toutes les richesses, visibles ou non,
accumulées par eux ou leurs rejetons. La morale et l’éthique ont laissé place à
la loi de la jungle.
Au début du mois de mai 1992, le tribunal d’Ouargla a jugé l’affaire
Guemmar, après seulement trois mois d’instruction, un record en matière
d’instruction criminelle, et surtout pour un acte terroriste visant la sûreté de
l’État. Treize condamnations à mort ont été prononcées.
Un mois plus tard, jour pour jour, Boudiaf a été assassiné lors d’une
tournée à l’est du pays, dans la ville d’Annaba. Ce jour-là, aucun des
décideurs ne faisait partie du voyage. Le général Larbi Belkheir, ministre de
l’Intérieur, le général Toufik, patron de la DRS, son adjoint, le général Smaïn
Lamari, responsable du contre-espionnage, étaient restés au chaud, chose
insensée pour un voyage où Mohamed Boudiaf devait rencontrer une
vingtaine de préfets (walis). Il a été assassiné par un homme du Groupe
d’Intervention Spéciale (GIS), le lieutenant Boumarafi, rajouté sur la liste des
accompagnateurs à la dernière minute. Il s’est retrouvé par enchantement à
l’intérieur de l’enceinte abritant la conférence, derrière les rideaux, alors que
la mission de ce genre de groupe est de sécuriser l’extérieur. La sécurisation
des espaces intérieurs incombe à la garde rapprochée du président, et à la
sécurité militaire. Mohamed Boudiaf a été assassiné lors de son discours
retransmis en direct par la télévision d’État et dont le dernier mot prononcé
fut « Islam ». L’assassin présumé s’est livré aux forces de police et on a bâclé
l’enquête. On a écarté l’hypothèse d’un complot, même si des témoins ont
affirmé que l’hypothèse d’un second tireur avec tentative de diversion était
véridique. Une réplique de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy ? En mai
2006, la femme de Boudiaf, dans une confidence faite à la chaîne quatariote
El-Djazira, a évoqué une cassette vidéo où l’on voit de manière très nette
l’assassinat de son mari ; elle en a même parlé à Bouteflika pour relancer
l’enquête mais sans succès…
Quelques jours avant sa mort, Mohamed Boudiaf avait ordonné
l’arrestation du plus grand contrebandier de l’histoire d’Algérie, Hadj
Bettou : il a été arrêté par une brigade de gendarmerie dépêchée spécialement
d’Alger, à la mesure de son influence sur une grande partie du Sud. Il a été
déféré devant une juridiction militaire, le tribunal de Blida, où on ne l’a
condamné qu’à six mois d’emprisonnement ferme.
Lors de mon passage dans cette prison, j’ai appris auprès de certains
détenus, qui le connaissaient, que Hadj Bettou était analphabète et incapable
d’être l’inspirateur de ce genre de trafic. Comment pouvait-il alors gérer une
des plus grosses fortunes du pays ? Il faut ajouter à cela le sentiment de
tranquillité qui l’inspirait : il ne se sentait nullement menacé, et avait un
comportement de pacha, distribuant ballons, survêtements, dattes même aux
détenus accusés d’actes de terrorisme. « Grande gueule », il aimait se vanter
du nombre de kalachnikovs volatilisés entre l’aéroport de Boufarik et Blida.
Il aurait été arrêté avec deux cents fusils : cela expliquerait pourquoi il a été
déféré devant une juridiction militaire et poursuivi pour détention et trafic
d’armes de guerre, alors qu’à son arrestation, il avait été livré à une
juridiction civile. Mais une fois chez le juge, il ne lui restait que deux fusils.
C’est de ces deux kalachnikovs que le général Nezzar parle dans son
témoignage à propos de cette affaire, oubliant l’essentiel.
En réalité, Hadj Bettou n’était que l’homme lige de Nezzar, comme le dit
si bien Hichem Aboud. Les trois officiers, dont un certain commandant
Mourad, qui ont travaillé sur ce dossier, ont été assassinés. Entre-temps,
Mohamed Boudiaf s’était rapproché de Kasdi Merbah, qu’il voulait remettre
à la tête des services secrets. Le général Mediene avait même tenté
d’empêcher Boudiaf d’assister au mariage de son fils à Kenitra, au Maroc, car
Kasdi Merbah y était invité.
En fait, Mohamed Boudiaf, au bout de quelques mois, s’était fait l’ennemi
de tous les membres du cabinet noir : le général Mohamed Lamari qu’il a
démis de ses fonctions, le général Nezzar qu’il a touché dans ses affaires, les
généraux Mediene et Smaïn Lamari qui risquaient de perdre leur poste par le
retour de Kasdi Merbah, et le général Belkheir par sa gestion du dossier FIS.
En émettant des réticences sur les conclusions de la commission d’enquête
chargée d’élucider les circonstances de décès de Mohamed Boudiaf, maître
Fathallah, président de la Ligue des Droits de l’Homme, a signé son arrêt de
mort : le GIA l’a abattu quelques jours plus tard.
Pourtant, la lecture du rapport de cette commission a souligné un ensemble
d’anomalies, qui, accumulées, ne pouvaient être le fruit du hasard, comme en
témoigne un extrait de ce rapport : « Il n’en reste pas moins que les lacunes,
les négligences et le laisser-aller que nous avons remarqués à tous les niveaux
des services qui ont programmé la visite, organisé son déroulement et assuré
la sécurité du président, ont constitué directement ou indirectement les
facteurs qui ont facilité objectivement l’exécution. » Ainsi, le lieutenant
Boumarafi avait un ordre de mission différent de celui de ses collègues du
même corps de sécurité, signé par le commandant Hamou. Celui-ci sera
défendu corps et âme par le général Nezzar, juste après la mort de Mohamed
Boudiaf, lors d’une réunion des hauts gradés de l’armée et des services
secrets, à laquelle participaient Kamel Abderahmane, Toufik, Smaïn Lamari,
Samraoui et Saïdi Fodhil. Ce dernier a été assassiné en 1996.
Les gendarmes n’ont pas eu le droit de surveiller la salle, et leurs moyens
de communication ont été brouillés une demi-heure avant l’attentat.
L’ambulancier qui a transporté Mohamed Boudiaf après l’attentat, ne
connaissait pas son itinéraire, et les gardes du corps avaient déserté leur
poste. Aucune analyse balistique, aucune autopsie n’a été effectuée. La
bombe a été retrouvée sous l’estrade à El-Hadjar. La thèse de la présence de
plusieurs tireurs a été écartée, alors qu’elle était justifiée par la balle ayant
touché Mohamed Boudiaf à la poitrine, par les grenades de Boumaarafi
récupérées lors d’un ratissage effectué par les hommes de Smaïn Lamari, par
la présentation de l’accusé devant une juridiction civile alors qu’il relevait de
la cour martiale. Le procureur qui s’est occupé du dossier a été promu dans
un service consulaire à l’étranger… Comment peut-on parler d’acte isolé si
l’on prend en considération tout cela ? Je laisse le soin aux pseudo-
démocrates, aux assoiffés de justice militaire, et aux défenseurs des Généraux
d’apporter une réponse qui nous éclairera. Mais je demande de laisser reposer
en paix celui qui les considérait comme amis et frères et de ne pas toucher à
sa mémoire ; ceux-là mêmes qui le désignaient comme leur espoir l’ont trahi.
Un autre événement pourrait être lié à la mort de Mohamed Boudiaf :
l’ouverture du procès des dirigeants du FIS, quelques jours plus tard, au
tribunal militaire de Blida. Ainsi, le 15 juillet 1992, après trois jours de
procès, Abassi Madani et Ali Benhadj ont été condamnés à douze ans de
prison, tandis que les cinq autres dirigeants du parti islamiste ont écopé de
peines allant de quatre à six ans de prison.
Malgré toutes les assurances données par le régime aux différentes
instances sur la transparence du procès de l’assassinat de Mohamed Boudiaf,
il sera émaillé d’irrégularités et les ONG n’y assisteront pas.

L’escalade, de Zbarbar à l’aéroport d’Alger

Après les deux premières réunions de janvier 1992, tenues sur les monts de
Zbarbar et Sidi Moussa, et qui furent un semi-échec, tous les chefs des
groupes islamistes armés se sont réunis une troisième fois sur les monts de
Zbarbar entre fin mars et début avril, au moment du Ramadan. Les mêmes
personnes que lors des deux premières rencontres (Zebda, Sahnouni, Meliani,
Chebouti, Mekhloufi) étaient présentes, ainsi que les chefs de groupes
opérant à Alger et sa périphérie, dont Moh Leveilly. Les congressistes se sont
dotés d’une organisation de lutte armée, le MIA, dont l’émir national était
Chebouti, promu au grade de général. Mensouri Meliani, quant à lui, est
devenu coordinateur national de la lutte. Moh Leveilly, réduit à un rôle
secondaire, n’a pas adhéré à cette organisation et a quitté la réunion. Quelque
temps plus tard, Mansouri Meliani a délaissé son poste de coordinateur
national pour reprendre sa place de chef de groupe du centre. Il a alors tenté,
avec Moh Leveilly, d’unifier tous les groupes du centre. Ce travail n’a pas pu
être accompli, car Mansouri Meliani s’est fait arrêter en août 1992, et Moh
Leveilly abattre au cours du même mois. Ce travail sera achevé par Layada
Abdelhak et donnera naissance au Groupe Islamique Armé en
septembre 1993.
Le premier acte attribué au MIA est l’attentat de l’aéroport d’Alger, le
26 août 1992 à 10 heures du matin. L’aéroport a été soufflé par une bombe
placée sous les sièges des voyageurs dans le hall central, entraînant une
explosion de forte intensité, tuant neuf personnes et en blessant une centaine.
Le groupe accusé d’être à l’origine de cet attentat a été démantelé en quinze
jours. Tous les participants ont été arrêtés : Hocine Abderahim, ancien élu du
FIS à Bouzereah, Rachid Hchaichi, commandant de bord sur Air Algérie, et
Soussene, qui au moment des faits était déjà sous les verrous (arrêté le
18 août 1992, soit une semaine avant l’attentat). Cet attentat n’a fait aucune
victime parmi les membres des services de sécurité présents sur les lieux.
Une rumeur circulant dans le milieu des trabendistes rapporte qu’aucun
homme des douanes ou de la police (en civil ou en tenue) n’a été vu à cet
endroit habituellement très surveillé et très fréquenté. La bombe a été déposée
près de la cafétéria de l’aéroport, lieu assez prisé par les policiers et douaniers
de l’aéroport, où se nouaient et se dénouaient les affaires, et lieu de
convergence de vautours et de rapaces attirés par l’affluence de la
communauté immigrée lors de la période estivale. Si la justice est certaine de
l’implication de toutes ces personnes dans cet attentat, de même toute
personne ayant pénétré au moins une fois de sa vie dans cette aérogare a la
certitude que les services de sécurité, tous corps confondus, étaient au courant
et ont laissé la bombe exploser. Le tribunal d’Alger, le 17 mai 1993, a
condamné à mort sept participants, exécutés le 31 août 1993 à la prison de
Berrouaghia.

Le GIA, Zeroual et le pétrole

Une semaine après la mort de Mohamed Boudiaf, BP, Philips petroleum,


Mobil, Atlantic Richter, ont obtenu des autorisations d’exploitation de
gisements pétroliers.
Au lendemain de la signature de l’accord, Sid Ahmed Ghozali a été
remplacé à la tête du gouvernement par Belaïd Abdeslam, ancien ministre de
l’Industrie sous Boumediene, un vieil apparatchik, qui a décrété l’économie
de guerre, pourvu que cela ne le touche pas.
Ali Kafi, un autre cacique du régime, secrétaire général de l’Organisation
Nationale des Moudjahidines (anciens combattants de la guerre
d’indépendance), a remplacé Mohamed Boudiaf à la tête du HCE, coquille
vide, car le pouvoir réel est entre les mains des militaires. Lors de son
éviction au profit de Zeroual, il a refusé de quitter sa résidence d’État, comme
l’a fait aussi Sid Ahmed Ghozali, en sa qualité d’ambassadeur d’Algérie à
Paris, après avoir été chef du gouvernement. Reda Malek a fait son entrée au
Haut Comité d’État.
Le projet de Mohamed Boudiaf de créer un grand rassemblement
(Rassemblement National Patriotique) a été dynamité par des conspirations
de clan, auxquelles la main des dignitaires du régime n’était pas étrangère.
Pendant ce temps, l’Algérie s’est enfoncée dans la guerre civile et la crise
économique (elle est en cessation de paiement). En effet, elle traversait alors
une crise économique sans précédent alors qu’elle était citée à la onzième
position des pays producteurs de pétrole avec 1,8 % de la production
mondiale, à la sixième position pour le gaz avec 2,7 % de la production
mondiale et 4 % des réserves mondiales. Elle était confrontée à la difficulté
de remboursement de sa dette engendrée par la chute des entrées en devises
que représentait le pétrole, sa seule manne financière, dont les prix s’étaient
effondrés. Sa situation de pays à risque (risque politique, vu l’instabilité qui y
règne, et risque économique, vu sa dépendance vis-à-vis de ses seules
ressources énergétiques) ne lui donnait droit qu’à des emprunts à brève
échéance et à taux majoré, accentuant sa dépendance financière.
Parallèlement, les importations étaient en hausse à cause de la pression
démographique : elles représentaient 8,5 milliards de dollars, dont
2,5 milliards pour l’alimentation. Et n’oublions pas, de surcroît, le mal qui
ronge tous les régimes totalitaires : la corruption. En effet, les commissions
occultes représentaient environ 15 % du montant total des transactions. Elles
étaient – et sont toujours – partagées entre tous les protagonistes. La moitié
de ces commissions est prélevée par les firmes étrangères pour différentes
raisons, comme le surcoût du crédit international, ou le risque pays, tandis
que l’autre moitié est répartie en deux parts égales, entre les commissions des
managers des firmes exportatrices et les commissions versées dans des
comptes étrangers à nos responsables. En Algérie, l’élaboration d’un cahier
des charges se fait en fonction du fournisseur choisi : une transaction avec la
Chine coûte moins cher qu’avec l’Italie, l’Espagne ou la France. Il y a un
suivi minutieux des différentes phases de la transaction sous le parrainage
d’un des hauts dignitaires du régime, et chacun a son rayon d’action. L’argent
est viré sur un compte à l’étranger sous un prête-nom, celui d’un proche ou
d’un homme d’affaires de confiance.
C’est ainsi qu’en Algérie le portefeuille du ministre de l’Intérieur assure
l’attribution du terrain et du marché, le portefeuille du ministre des Finances
assure les crédits et les facilités douanières, et le portefeuille du ministre de la
Justice assure l’impunité en cas de problèmes judiciaires.
Ces postes ministériels ne sont octroyés qu’après caution des Généraux. Le
cas de Mahi Bahi, ancien ministre de la Justice démis de ses fonctions le
14 novembre 1992 pour s’être attaqué à des magistrats et juges d’instruction
soupçonnés de corruption, sans l’aval des décideurs, est l’un des exemples les
plus significatifs de ce début des années 1990.
C’est dans ce contexte de crise grave et multi-structurelle que, le 19 juillet
1992, Belaïd Abdeslam a formé son gouvernement. Onze jours après sa mise
en place, il s’est octroyé le poste de ministre des Finances en plus du poste de
chef du gouvernement. Le 10 août 1992, il a prôné une économie de guerre,
refusé la dévaluation du dinar et décidé de réduire les importations, mais la
crise ne fera que s’aggraver. Belaïd Abdeslam s’est vite retrouvé face à la
réalité de sa nomination : il n’était qu’un pion sur l’échiquier. Les décideurs
militaires ne voulaient en aucun cas lui donner le feu vert dont il avait besoin
pour appliquer son programme, qui, au passage, était utopique. Pire encore,
d’après le témoignage de Belaïd Abdeslam, le général Nezzar aurait refusé sa
stratégie de changement de billets de banque pour lutter contre l’évasion
fiscale. Et lors du procès Nezzar-Souaïdia, Benderra, l’ancien président du
Crédit Populaire, a très bien expliqué comment les militaires avaient
délibérément choisi l’immobilisme pour aboutir à une faillite certaine en
1994.
Quelques jours seulement après l’enterrement de Mohamed Boudiaf, et en
plein deuil national, Mohamed Lamari, Khalifa Rahim, Derradji, Djennouhat
et Djouadi ont été promus au grade de général major.
Le 7 juillet 1992, le premier ratissage à grande échelle a été lancé contre
les fiefs des troupes d’Abdelkader Chebouti à Lakhdaria, et d’Aïn Defla et
Constantine. Un nombre important d’hommes appartenant à cette mouvance
ont été tués ou arrêtés, et tous ces fiefs ont été récupérés par les troupes du
groupe de Mansouri Miliani, qui deviendra par la suite le GIA. Jamais dans
l’histoire des guérillas modernes un groupe armé n’a travaillé contre ses
propres intérêts, menaçant son existence même, comme l’a fait le GIA. Lors
de la réunion de Baba Hassen, Moh Leveilly, émir du Groupe du Centre
depuis quelques jours grâce à Mansouri Meliani, a refusé de se joindre aux
autres chefs de guerre. Il sera abattu après cette réunion, sur le chemin du
retour, par les forces de sécurité. Abdelhak Layada lui a succédé et a accusé
Abdelkader Chebouti et Saïd Mekhloufi d’être à l’origine de sa mort et d’être
des traîtres au service des militaires. Mais le travail que fournira Abdelhak
Layada laissera perplexe plus d’un spécialiste. Malgré ses capacités
intellectuelles assez réduites, il a réussi en quatre mois seulement à créer,
implanter et fédérer des groupes armés à travers tout le territoire national ; il a
fourni les moyens matériels (communication, armes, argent) et a trouvé les
hommes. Surnommé « le tôlier » par la presse algérienne en référence à son
métier d’avant la guerre, Abdelhak Layada a partagé l’Algérie en régions de
guerre. Chaque région est divisée en zones, et chaque zone est partagée selon
le nombre de katibats (« compagnies ») qui sont elles-mêmes partagées selon
le nombre de sarayats (« cellules »). Ainsi quand Layada s’est proclamé chef
des groupes islamiques armés en janvier 1993, il savait qu’il contrôlait la
quasi-totalité des groupes armés, sur l’ensemble du territoire national. Génie
militaire ou simple tôlier au service de la DRS ?
Après son arrestation au Maroc, le 10 juin 1993, et son extradition deux
mois plus tard vers l’Algérie, il a été incarcéré à la prison de Serkadji sans
pour autant que les services de sécurité arrivent à démanteler au moins la
structure du groupe.
Mourad Sid Ahmed, dit « Djaafer El Afghani », lui a succédé comme émir
national du GIA. Juste après, il a exécuté un membre de son propre conseil,
un des bras droits de l’ex-émir Abdelhak Layada, l’accusant d’être un agent
infiltré des services secrets. Cet agent, surnommé « Rafik », était non
seulement le bras droit de l’ancien émir, mais aussi émir de la « Compagnie
de la mort » (« Katibat El Mout »). Il avait comme bras droit Djamel Zitouni.
Cette katibat avait déjà à son actif à ce moment-là certains attentats contre les
étrangers et intellectuels, mais elle était surtout impliquée dans l’enlèvement
des trois agents du consulat de France à Alger.
Le 26 septembre 1992, le général Lamari a été nommé à la tête du Centre
de Conduite et de Coordination des Actions de Lutte Anti-Subversive
(CCCALAS) réunissant les unités des forces spéciales de l’armée, chargées
de mener la lutte anti-terroriste. Lamari s’est retrouvé à la tête d’une troupe
d’élite composée de dix mille hommes, devenant ainsi l’homme le plus fort
du système.
Le 30 septembre 1992, le décret législatif n° 93-03, relatif à la lutte contre
la subversion et le terrorisme, et appelé « loi anti-terroriste », a été promulgué
et est entré en vigueur le lendemain. Le 31 octobre 1992, Alger a enregistré
son premier attentat à la bombe, au centre commercial de Riad-El-Feth,
faisant quatre morts. Un mois après, le 30 novembre, un couvre-feu a été
décrété au centre du pays. Les mairies et associations liées au FIS ont été
dissoutes. Ce couvre-feu a entraîné une peur effroyable dans la capitale. Les
ratissages de nuit succédant aux attentats de jour sont devenus de plus en plus
fréquents. On a assisté ainsi à l’apparition des « escadrons de la mort »
appelés « escadrons 192 » (en référence au 1er janvier de l’année du coup
d’État), qui se spécialiseront dans les disparitions et les exécutions
extrajudiciaires. Les premières personnes victimes de ce système répressif ont
été les militaires eux-mêmes, et tous ceux qui n’obéissaient pas à la ligne
officielle éradicatrice. En effet, entre le 17 et le 30 décembre 1992, le tribunal
de Bechar a condamné 92 militaires pour appartenance au FIS. Le même jour,
le Français converti à l’islam, Roger Guyon, a été condamné par le tribunal
d’Alger à la peine capitale pour appartenance à un groupe terroriste. Il sera
remis aux autorités françaises, en geste de bonne volonté.
Quelques semaines plus tard, le 13 février 1993, la France a octroyé cinq
milliards de francs de crédits commerciaux au profit de l’Algérie, et pour
toute l’année 1993, elle lui a fourni une aide de deux milliards de dollars.
Roland Dumas, suivi quelque temps après par le ministre des Finances,
Michel Sapin, le 13 février 1993, a effectué une visite à Alger les 8 et
9 janvier 1993 où il a déclaré que la France soutiendrait l’Algérie dans ses
difficultés. L’année 1993 a marqué un tournant décisif dans la vie politico-
économique algérienne. Après la reconduction du HCE pour une année par le
HCS, les Généraux au pouvoir vont utiliser toutes les ruses possibles pour
convaincre les Occidentaux du bien-fondé de l’arrêt du processus électoral,
afin de protéger le peuple algérien, et même l’Occident, de l’orgue intégriste.
Le général Nezzar avait bien compris, avec un peu de retard, il est vrai, par
rapport au général Belkheir, qu’il fallait rester dans l’ombre, et surtout choisir
un poulain contrôlable afin de le remplacer. Le 13 février 1993, le général
Guenaizia, ami d’enfance et d’école de Nezzar, est remplacé à l’état-major
par le général Mohamed Lamari, lequel est affecté, quant à lui, à l’ambassade
d’Algérie en Suisse afin de contrôler de près les fortunes accumulées. Mais
cette retraite dorée était surtout le moyen de libérer le chemin devant Lamari.
Guenaizia avait montré une certaine réticence lors de la destitution de Chadli
Bendjeddid. Nezzar a joué la carte de la sécurité, surtout avec la nomination
de Zeroual.
Un pseudo-attentat à la voiture piégée a été commis contre le général
Nezzar sans le blesser. Cinq mois après, il a nommé Liamine Zeroual à sa
place malgré le conflit qui les avait opposés en 1988, mais il a imposé, bien
entendu, ses propres conseillers au nouveau ministre de la Défense. Quelques
jours auparavant, le 5 juillet 1993, le poulain de Larbi Belkheir, Smaïn
Lamari, a accédé au grade de général. Une fois l’équilibre des deux hommes
forts du pouvoir assuré, il a fallu trouver une personnalité civile dotée de
cynisme et d’opportunisme, qui servirait de vitrine en assumant la
responsabilité politique et économique du pays. Le choix a été simple : il
s’est porté sur Reda Malek, surtout parce que quelques jours auparavant, au
cours d’une visite en France effectuée du 16 au 18 juin 1993, il avait reçu
l’aval des bailleurs de fonds étrangers. Le 21 août 1993, il a été nommé
Premier ministre, en remplacement de Belaïd Abdeslam qui n’avait pas
convaincu le Club de Paris lors de sa visite dans la capitale française du 18 au
20 février 1993. Le jour de la nomination de Reda Malek au poste de Premier
ministre, l’ancien patron de la Sécurité Militaire, Kasdi Merbah, a été
assassiné à Bordj-El-Bahri, en compagnie de son frère, de son fils et de sa
garde prétorienne. L’attentat a été revendiqué par le GIA, et condamné par
toute la classe politique, y compris par les différentes tendances du FIS. La
veille de sa mort, Kasdi Merbah était en voyage en Suisse, et avait réussi à
trouver un accord avec les dirigeants islamistes en exil pour entamer un
dialogue. D’après le Maghreb Confidentiel du 16 juin 1994, Kasdi Merbah
négociait avec les islamistes pour Zeroual. Il faisait partie du clan anti-
Nezzar, fidèle à l’héritage de Boumediene. Mais les « escadrons de la mort »
l’ont voulu autrement, car Kasdi Merbah ne représentait pas seulement un
danger pour leur projet politique et économique, mais aussi simplement pour
leur devenir. Une des causes de la mort de Mohamed Boudiaf n’était-elle pas
son rapprochement avec lui ? L’homme le plus vigilant d’Algérie ne pouvait
que se faire abattre par des professionnels connaissant parfaitement ses
instincts et ses manies. Avant sa mort, à un journaliste qui lui demandait son
appréciation sur la démocratie, il avait répondu : « Cessons l’improvisation,
nous avons fait des prévisions comme pour la démission de Chadli, et elles se
sont avérées fondées. Nous avons également dit au défunt Mohamed Boudiaf
qu’en raison de certaines de ses positions relatives notamment au dialogue, il
pouvait y avoir des problèmes avant la fin du semestre. On ne s’attendait pas
à ce que cela se termine par un assassinat. Le pays traverse une crise grave, et
à notre avis, il n’y a pas un groupe de personnes capables de la résoudre seul.
Il faut être conduit par l’intérêt national en ayant pour objectif de bâtir une
démocratie sur des bases saines. Pour cela, il faut organiser un dialogue, et
décider tous ensemble d’un programme politique concernant la reprise du
processus démocratique, les élections présidentielles, le rôle des partis, leur
accès aux médias, et vérifier que les partis s’engagent à respecter un certain
nombre de principes comme nous l’avons fait au sein du groupe des sept. »
Ajoutons à cela la longue liste des assassinats politiques qui commençaient
à prendre de l’ampleur : ceux de Sanhadji, Liabes, Flici, Djaout, Boucebci,
Boukhobza…
Le 26 novembre 1993, Bouslimani, le dauphin de Nahnah, a été kidnappé
par une organisation mystérieuse dénommée Organisation de la Jeunesse
Algérienne Libre (OJAL) et le GIA (selon le témoignage d’Abdelkader
Tigha, l’OJAL est une pseudo-organisation créée par la DRS en
novembre 1993 pour frapper l’imaginaire des civils). Deux mois après, on l’a
découvert assassiné près de Birtouta. Le 10 décembre 1993, le général Touati
a approché six membres fondateurs du FIS afin de participer à un éventuel
dialogue. En effet, les décideurs ont proposé de dialoguer, sachant qu’au sein
du FIS la partie radicale contrôlée par les services de sécurité placerait la
barre très haut, ce qui fournirait un alibi au pouvoir pour rompre le dialogue
par la suite, et passer du rôle de tortionnaire à celui de victime. Parmi les
premières exigences du FIS pour un retour à la vie normale, il faut noter
celles de Rabah Kebir : la libération des détenus politiques, l’abrogation des
lois et règlements adoptés après l’arrêt du processus électoral, le choix d’un
pays neutre pour l’instauration d’un dialogue, la création d’une commission
d’enquête… Le pouvoir a refusé catégoriquement et a fait une fois de plus
intervenir son meilleur atout au sein du FIS, Hachemi Sahnouni, pour
alimenter la surenchère : il a déclaré qu’une nouvelle transition ne ferait
qu’aggraver la crise. Le pouvoir, adepte de la manipulation, des faux
dialogues et des manœuvres de diversion, a tenté de convaincre les autres
partis de participer à une conférence nationale dont la seule finalité était
d’apporter une caution au candidat choisi par les militaires pour diriger l’État.
Mais le premier choisi, Abdelaziz Bouteflika, s’est désisté, car il considérait
qu’il n’avait pas toutes les garanties nécessaires pour accomplir sa mission. Il
acceptera finalement d’être désigné président de la République quelques
années plus tard. Les Généraux ont été contraints d’utiliser un autre joker : le
général à la retraite Liamine Zeroual. Après les manifestations de soutien
habituelles pour un pays totalitaire, organisées par les services de sécurité, le
HCS a approuvé ce choix. Zeroual, sans avertir personne, a pris l’initiative de
nouer des contacts avec les dirigeants du FIS emprisonnés, rendant les
militaires furieux.
Devant la peur que le poulain choisi par Nezzar et consorts ne prenne des
ailes, et ne se retourne contre ses mentors, galvanisé par sa double fonction
de chef de l’État et de ministre de la Défense, les hauts galonnés de l’armée
se sont réunis les 17, 18 et 19 mars dans le secret total. Ils ont décidé
d’attribuer une délégation de signatures au général major Mohamed Lamari,
chef d’état-major de l’armée. Reda Malek a été démis de ses fonctions et
remplacé le 13 avril 1994 par Mokdad Sifi. Avant son départ, les décideurs
lui ont fait endosser les accords conclus avec le FMI : ainsi, il a signé la
dévaluation du dinar de 40 % ayant pour conséquence une importante
augmentation des prix des produits de première nécessité. Le 24 mai 1994,
les dispositions de l’autonomie des entreprises interdisant l’introduction des
capitaux privés nationaux ou étrangers ont été abolies.
Au cours de ce mois de mai 1994, un très grand remaniement a lieu dans
les hautes sphères de l’armée. D’après Intelligence online (26 juillet 1994),
deux groupes de généraux se sont affrontés : d’un côté, le clan de Zeroual, et
de l’autre celui de Nezzar.
Salah Gaïd a remplacé Rahim Khalifa au CFT (Corps des Forces
Terrestres), Mohamed Benslimane a remplacé Mokhtar Boutamine à la tête
des forces aériennes, alors que Gheziel, Ghodbane et Achour ont été
maintenus à la tête de leur corps. Quant aux régions militaires, elles ont
toutes subi des changements, dont le plus important était l’affectation du
patron de la DCSA à la tête de la 4e région. Deux ans plus tard, il trouvera la
mort sur une route droite et déserte, suite à un accident de voiture selon la
version du général Nezzar, alors que le MAOL (Mouvement Algérien des
Officiers Libres) a accusé les « escadrons de la mort » de Smaïn Lamari de
l’avoir exécuté par une charge explosive mise sous sa voiture. Suite à cette
affaire, Zeroual a nommé une commission d’enquête, dont les résultats ne
seront connus de personne. Toujours d’après le MAOL, le différend entre
Smaïn Lamari et Saïdi Fodhil remontait à l’affaire dite JOBE qui avait failli
provoquer un incident diplomatique entre l’Algérie et la Suisse : Smaïn
Lamari, par l’intermédiaire du chef du Bureau des Services de Sécurité (BSS)
de Genève, avait recruté à son propre compte un agent des services suisses en
charge de la surveillance des islamistes algériens, sans l’aval de Saïdi Fodhil
dont il dépendait organiquement. En ce qui concerne ce dernier, la presse a
rapporté en juin 1995 qu’il était nommé à la tête de la gendarmerie nationale,
à la place du général Gheziel, mais il n’a jamais rejoint ce poste. Rappelons
que Gheziel faisait partie des quatre généraux qui sont entrés de force dans le
bureau de Chadli afin de le destituer.
Le 18 juin, maître Fathallah, président de la Ligue des Droits de l’Homme
affiliée au pouvoir, a été assassiné. Après sa mort, les langues allaient se
délier. Cet assassinat serait lié à l’affaire Boudiaf : Fathallah était un des
membres de la commission d’enquête. Il avait émis des réticences à
l’apposition de sa signature sur le rapport final, geste que les décideurs ne
pouvaient laisser passer pour ne pas créer de précédent, et surtout pour faire
taire une personne qui en avait appris beaucoup sur cette affaire. Le 15 juillet,
le GIA a revendiqué l’enlèvement de deux ambassadeurs arabes, ceux du
Yémen et du sultanat d’Oman. Après une vague de protestations,
l’indignement international et la condamnation totale de cet acte, ils seront
relâchés.
Le 27 août, l’Algérie a fermé ses frontières avec le Maroc suite à
l’imposition par les autorités marocaines aux ressortissants algériens d’un
visa d’entrée. Quelques jours plus tard et suite à cette affaire, le Maroc a
accusé l’État algérien d’être à l’origine des attentats de Marrakech et de Fès.
Le 25 septembre, un jour avant la mort de Cherif Gousmi, l’émir du GIA, le
chanteur kabyle Lounès Matoub est enlevé par un groupe armé. Il sera
relâché sain et sauf le 10 octobre, suite à la mobilisation sans précédent de
toute la Kabylie.
Le 31 octobre 1994, Mohamed Lamari est élevé au grade de général de
corps d’armée. Après la réunion organisée, Liamine Zeroual a compris qu’il
ne pouvait être un président légitime sans être élu. Face au manque de
confiance de la part de ses propres amis, il a joué la carte des anciens patrons
des services. Il a fait appel à l’ancien ministre de la Défense, le général
Betchine, devenu son conseiller. Aidé par ce dinosaure du sérail, Liamine
Zeroual a annoncé, le 31 octobre 1994, l’organisation d’une élection
présidentielle qui lui apporterait la légitimité lui faisant défaut. Il sera élu
président de la République une année plus tard. Mais face à la pression
exercée sur lui par les décideurs militaires, il reculera pourtant sur le dossier
du FIS. Il laissera le soin aux services de sécurité d’actionner leur meilleur
atout parmi les groupes armés, afin de décrédibiliser l’insurrection islamiste
auprès d’une population meurtrie par cette guerre.
Djamel Zitouni a été choisi parmi de nombreux autres éléments pour
succéder à Cherif Gousmi, abattu en septembre 1994 près de Saoula alors
qu’il portait sur lui une lettre d’Ali Benhadj l’exhortant à continuer le djihad.
L’avènement de Djamel Zitouni comme émir national du GIA, en
octobre 1994, reste controversé. Selon certaines sources, il aurait été à
l’origine de l’assassinat de Cherif Gousmi, vendu aux forces de sécurité alors
qu’il devait rencontrer un homme dit « Napoli », responsable du groupe
centre. Sous Djamel Zitouni, le GIA a excellé dans la barbarie, mais a surtout
fait le travail espéré par une frange de généraux, et a exaucé l’un des vœux de
Reda Malek, qui déclarait quelque temps auparavant « que la peur [devait]
changer de camp ». Il exécutera toute la classe dirigeante du FIS en
clandestinité, et fera subir un châtiment impitoyable à toutes les populations
ayant soutenu le FIS, en massacrant et déracinant des villages entiers. Selon
certains analystes, Djamel Zitouni serait un agent de la DRS et, selon
d’autres, comme Abdelkader Tigha par exemple, « Djamel Zitouni aurait été
utilisé indirectement, via l’émir Merdj Abdelkrim, ex-imam bénévole de la
ville de Boufarik (Blida), recruté par la DRS à Blida ».
Il faut aussi impliquer la communauté internationale et surtout la France
dans cette logique de guerre contre l’orgue islamiste en exportant cette terreur
sur le sol étranger. Le détournement de l’Airbus d’Air France à l’aéroport
d’Alger le 24 décembre 1994, les attentats de Paris de l’été 1995 et le
massacre des moines de Tibhirine en 1996 apporteront ce soutien tant espéré
par les Généraux d’Alger, celui qui leur permettra de sauver leur butin de
guerre : le pétrole.
Le 1er novembre, jour de la fête de l’Indépendance, un attentat des plus
lâches et ignobles a été commis par le nouvel émir du GIA contre de jeunes
scouts au cimetière de la ville de Mostaganem, où ils étaient venus se
recueillir. Il a ému tout le peuple algérien.
Après l’accord sur le rééchelonnement de la dette signé avec le Club de
Paris le 1er juin, un autre accord a été conclu avec les États-Unis le
15 décembre. Mais ces accords étaient subordonnés à l’application de la
thérapie de choc dictée par le FMI suite à la situation de faillite financière de
l’Algérie. Le fonds monétaire a imposé l’arrêt des subventions aux
entreprises publiques, la fermeture des entreprises non viables avec pour
corollaire le licenciement massif de quatre cent mille ouvriers, et la
dévaluation du dinar. Au même moment, les Généraux se sont reconvertis
dans les affaires grâce à une partie des crédits accordés par le FMI suite à
l’accord sur le rééchelonnement. Cela permettait aussi de recycler l’argent
sale de la corruption et des commissions sur les marchés dans des sociétés
« import-import », dans l’immobilier, dans des sociétés d’assurance et dans
les banques. En cette fin d’année 1994, une étude effectuée par des experts
d’une banque privée suisse montrait que les avoirs des Algériens à l’étranger
avaient atteint trente-quatre milliards de dollars dont dix-sept milliards en
France.
D’où provenait cet argent et à qui appartenait-il ? C’est en répondant à ces
questions que l’on pourra peut-être comprendre cette deuxième guerre
imposée au peuple algérien, peuple livré à la misère et dont la moitié vit au-
dessous du seuil de pauvreté avec moins d’un dollar par jour, alors que les
quelques privilégiés appartenant à la caste au pouvoir exposent leurs liasses
de billets dans les plus grandes places européennes.

Le détournement de l’Airbus d’Air France

Le 24 décembre 1994, un Airbus de la compagnie française Air France a


été pris d’assaut par un commando de quatre personnes appartenant au GIA, à
l’aéroport d’Alger, malgré les mesures draconiennes prises depuis l’attentat
d’août 1992. Trois otages ont été exécutés au cours de ce détournement : un
policier algérien, un diplomate vietnamien et un cuisinier français travaillant
à l’ambassade de France à Alger. Deux jours plus tard, le Groupe
d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (GIGN) a donné l’assaut à
l’avion détourné sur l’aéroport de Marignane de Marseille. Les quatre
terroristes ont été tués et tous les passagers libérés, évitant ainsi un crash sur
la ville de Paris.
À ma sortie de la prison militaire Blida en novembre 1995, le nom d’un
policier appartenant à la brigade antiterroriste de Bab Ezzouar a été cité
devant moi à plusieurs reprises dans le quartier où j’habitais, témoignant de
l’acharnement de la horde terroriste sur des personnes irréprochables du
corps de police. Toufik a trouvé la mort seulement quelques jours après
l’affaire du détournement de l’Airbus, dans une embuscade à Bab Ezzouar,
non loin du commissariat, où deux voitures de police chargées de la lutte
contre le terrorisme ont été détruites par des feux terroristes. Sur les huit
occupants, un seul a échappé à la mort miraculeusement.
Toufik était issu d’une famille modeste habitant le quartier des Eucalyptus.
Il avait choisi d’intégrer la police, alors que son frère avait pris les armes
contre le pouvoir et rejoint les maquis islamistes. Toufik et ses collègues ont
été les premiers à arriver à l’aéroport d’Alger, le jour du détournement de
l’avion. Ce sont eux qui ont établi le périmètre de sécurité : l’aéroport
d’Alger est situé à Dar El Baïda, ancienne Maison Blanche, dépendant de la
sous-préfecture de Bab Ezzouar. Et Toufik faisait partie de la Brigade Mobile
de la Police Judiciaire (BMPJ) de cette sous-préfecture. La première enquête
préliminaire a été réalisée par cette BMPJ. Ces policiers ont relevé qu’aucune
personne – civil, policier ou élément d’un autre corps de sécurité, quel que
soit son grade – ne pouvait arriver au tarmac, ni à pied, ni en bus, ni même en
voiture de police, sans une autorisation octroyée par l’officier chargé de la
sécurité dont le code et le mot de passe ne pouvaient être connus que le jour
de fonction par lui et le personnel mis sous son autorité.
Les cartes de police et les laissez-passer des preneurs d’otages n’étaient
pas falsifiés. Les policiers ont été écartés du périmètre de sécurité pour ne
laisser place qu’aux éléments de la DRS, provoquant leur colère. Les
quelques journalistes qui ont pu accéder à ce dossier ont révélé certaines
anomalies qui poussent à la suspicion : la défection à la dernière minute du
véritable instigateur de l’affaire, Yahia Rihane dit « Kronfel », originaire de
Birkhadem (le même quartier que celui de l’émir Zitouni abattu en
mars 1997) ; les confidences faites à Catherine Beugnet, la femme du
cuisinier, par une tierce personne travaillant à Air France afin que son mari ne
prenne pas cet avion : « Il faut qu’il parte demain absolument, si nécessaire je
le ferai asseoir dans le cockpit. »
Dans son témoignage, Samraoui, l’ex-numéro deux du contre-espionnage
algérien à cette époque, cite la mort, le 24 décembre, d’un commissaire
d’aéroport qui avait déconseillé à plusieurs passagers de prendre le vol, ainsi
que la rumeur circulant dans les milieux islamistes selon laquelle l’avion
devait transporter une délégation militaire étrangère, la non-instruction de
l’affaire et son jugement, ainsi que la survenue de ce détournement juste
après la première réunion de l’opposition politique à Rome ayant débouché
ultérieurement sur le fameux contrat de Rome.

Le contrat de Rome : refus d’une alternative consensuelle

L’Algérie s’est enfoncée dans la violence. L’interruption du processus


électoral de décembre 1991, l’arrestation des dirigeants et des cadres du FIS,
l’instauration de l’état d’urgence et la fermeture du champ politique, couplées
avec une situation économique désastreuse ont précipité l’Algérie dans
l’abîme. Pour sortir de la dualité violente qui opposait les groupes islamistes
armés et les forces de sécurité et pour rendre la parole au peuple, la classe
politique algérienne (presque dans son ensemble, en dehors de quelques
partis microscopiques) s’est réunie à Rome sous l’égide de San Egidio. Elle
ne pouvait se réunir à Alger, en face d’un pouvoir qui n’avait initié que de
faux dialogues servant de paravents à des décisions unilatérales et à la
politique du fait accompli. L’objectif était de trouver les moyens de mettre fin
à la violence en Algérie, qui avait déjà fait, selon certaines ONG, plus de
cinquante mille morts et des milliers de disparus. Ainsi une première réunion
a eu lieu le 21 novembre 1994, regroupant seize personnalités : des chefs de
partis politiques, des militants des droits de l’homme et des personnalités
religieuses. Étaient présents en particulier : Abdelhamid Mehri, secrétaire
général du FLN, Hocine Ait Ahmed, président du FFS, Ahmed Ben Bella,
président du MDA et ex-président de la République, Mahfoudh Nahnah,
président du Hamas, Abdellah Djaballah, président de Nahda, Ali Yahia
Abdenour, président de la Ligue de Défense des Droits de l’Homme, Louisa
Hanoune, porte-parole du Parti des Travailleurs, Noureddine Boukrouh,
président du Parti du Renouveau Algérien (par la suite, ministre dans le
gouvernement d’Ouyahia), Ahmed Benmohamed (JMC), et le FIS représenté
par Anouar Haddam.
Mahfoudh Nahnah et Noureddine Boukrouh se retireront de la seconde
réunion pour apporter quelques mois plus tard leur caution à l’élection de
Liamine Zeroual comme président de la République. Le 13 janvier 1995,
après plusieurs jours de négociations, les participants ont abouti à la rédaction
d’une plate-forme pour résoudre la crise algérienne soulignant l’urgence
d’une solution globale, politique et équitable. Celle-ci a insisté sur « le
respect des droits de l’homme, le rejet de toute forme de violence pour
accéder au pouvoir ou s’y maintenir, le respect de l’alternance politique à
travers le suffrage universel » ; elle a consacré le multipartisme, la séparation
des pouvoir législatif, judiciaire et exécutif, la liberté et le respect des
confessions ; elle a réaffirmé les éléments constitutifs de la personnalité
algérienne (islam, arabité, amazighité), le rejet de toute dictature quelle que
soit sa forme ; elle a garanti les libertés fondamentales, individuelles et
collectives, le respect de la « légitimité populaire », et elle a demandé aussi à
l’armée « la non-implication dans les affaires politiques et le retour à ses
attributions de sauvegarde de l’unité et de l’indivisibilité du territoire ». Ces
objectifs devaient être précédés de « mesures de détente avec un appel des
dirigeants du FIS à la cessation de la violence, et la libération des détenus
politiques, la fermeture des camps de concentration, la levée de l’état
d’urgence par les autorités militaires ». Mais le pouvoir a rejeté cette
alternative consensuelle de toute l’opposition qui proposait une solution
politique à la crise. Il a traité les participants d’agents à la solde des forces
étrangères, et a accusé la communauté de San Egidio d’ingérence dans les
affaires intérieures de l’Algérie.
La vraie nature du pouvoir a été divulguée : celle d’un pouvoir totalitaire
qui ne voulait nullement régler la crise de façon pacifique, accroché à ses
attributs, faisant fi de toutes les voies citoyennes, et obnubilé par l’idée d’être
contraint de donner le pouvoir de décision et de gérance aux citoyens
algériens non parrainés.

Le massacre de la prison de Serkadji

Le massacre de la prison de Serkadji est intervenu à un moment où le


peuple algérien était plongé dans la terreur, et il a provoqué la mort de
dizaines de milliers de citoyens. Pour comprendre les raisons de ce massacre,
il faut se remémorer la succession d’évasions spectaculaires réussies par les
islamistes largement infiltrés par la DRS au sein des prisons algériennes.
Certaines évasions ne peuvent être expliquées que par le fait qu’elles aient été
voulues, car la présence de terroristes extrêmement dangereux au sein de ces
établissements pénitenciers avait eu pour conséquence l’instauration de
mesures de sécurité draconiennes.
La première évasion à grande échelle a été celle de Tazoult, où mille deux
cents détenus, pour la majorité condamnés pour des actes terroristes, ont
réussi à prendre la fuite. Cette évasion qui touchait un symbole de haute
sécurité a provoqué la démission du préfet de Batna. La prison de Lambèse
est en effet considérée comme une forteresse où l’évasion est impossible. Elle
possède son propre système de sécurité appuyé par un programme d’urgence
qui prévoit une intervention dans un délai ne dépassant pas quinze minutes.
Cette évasion spectaculaire reste donc un mystère. Des questions restent sans
réponse aujourd’hui : comment une évasion d’une aussi grande ampleur a pu
échapper aux services de renseignements, alors qu’ils arrivaient à démanteler
les réseaux de soutien au terrorisme les plus minimes ? Pourquoi
l’intervention des forces de sécurité a-t-elle été retardée ? Pourquoi, quelques
jours auparavant, presque toutes les figures du terrorisme sanguinaire furent
transférées dans cette prison ? Pourquoi Madani Mezrag, au sein de l’Armée
Islamique du Salut, n’avait-il accepté parmi les fuyards que les hommes les
plus sûrs, et qui appartenaient déjà à son groupe ?
Certaines de ces questions trouvent leurs réponses dans l’avènement de
Djamel Zitouni à la tête du GIA et dans la dérive de ce groupe. Djamel
Zitouni n’avait-il pas adopté un certain nombre de ses membres comme
conseillers ? Il devait prendre la direction du GIA et avait besoin de soutiens
pour asseoir son autorité, et il n’y avait pas meilleur moyen de réaliser cette
infiltration au sein du GIA qu’en simulant une évasion. D’ailleurs, aucun
dirigeant du FIS ne se trouvait dans cette prison. La plupart d’entre eux
étaient soit à la prison de Berrouaghia, soit à Serkadji.
Le deuxième événement est le massacre de la prison de Berrouaghia,
perpétré à l’automne 1994, suite à une tentative d’évasion. Mustapha, un
homme du quartier qui avait purgé cinq ans dans cette prison pour
appartenance à un groupe terroriste, m’a expliqué à sa sortie que, quelques
jours avant cette journée fatidique, qui a coûté d’après lui la vie à plus de cent
prisonniers, la rumeur de l’évasion s’était tellement répandue dans la cour de
la prison, qu’il avait eu du mal à rejoindre l’infirmerie afin de se faire
soigner. Universitaire de formation, Mustapha doutait de la sincérité du
groupe qui était derrière cette évasion ; ses membres, arrivés seulement
quelques mois plus tôt à la prison, disaient avoir réussi à amadouer un
gardien en contact avec leurs frères de l’extérieur, et ces derniers devaient les
attendre à l’extérieur de la prison pour les aider à rejoindre les maquis
islamistes. Le jour dit, tous les prisonniers qui venaient de franchir la porte de
la prison ont été abattus par une brigade d’élite qui les attendait. Le reste des
prisonniers, qui n’ont pas été pris dans le guet-apens, ont été encerclés à
l’intérieur de l’établissement et abattus.
Mustapha m’a expliqué que le plus dur était de rester en vie après une telle
tragédie, avec le remords de n’avoir pas pu l’éviter. Lors de mon séjour entre
1999 et 2000 à la prison de Serkadji, des détenus de longues peines m’ont
décrit le scénario de la tragédie : des actes atroces commis à l’arme blanche
par un nombre réduit de mutins sur d’autres prisonniers et gardiens de
prison ; des exécutions sommaires ; des mutilations pratiquées par les
éléments des services spéciaux sur des prisonniers qui n’avaient absolument
rien à voir avec la mutinerie. Et les détenus ont été exécutés de deux
manières : les uns individuellement dans leurs cellules, les autres en groupe
dans la cour de promenade.
Mustapha m’a dit : « Tout s’est passé vite. Au moment des faits, le temps
n’avait plus aucune signification. Le nombre de jours que ça a duré, je ne
m’en souviens pas. Deux ou trois jours. » Il se souvient qu’un des gardiens
qui était à l’intérieur du premier bloc, connu sous le nom de Rtila
(« araignée »), a réussi de justesse à franchir la porte principale qui fait entrer
à l’intérieur des blocs, et a déclenché l’alarme. La prison de Serkadji est
divisée en deux blocs : l’ancienne prison turque, et la nouvelle prison
française. Les détenus islamistes occupent l’ancienne, et les détenus de droit
commun, la nouvelle.
La prison est constituée ainsi : l’entrée vers les blocs se fait du côté de
celui des détenus de droit commun. On trouve aussi dans cette partie la
bibliothèque, la cuisine, les douches, le salon de coiffure, la boulangerie, une
salle d’attente, l’infirmerie centrale et le bureau du surveillant-chef.
L’ancienne prison turque est séparée de la nouvelle par des portails aux trois
étages. Elle comporte l’infirmerie, les salles de haute sécurité où sont détenus
les condamnés à mort, et les cours de promenade. Derrière la porte centrale
qui donne accès aux blocs, se trouvent le greffe et la salle des avocats ainsi
que le parloir pour les visites. De l’autre côté de l’entrée centrale, vers les
blocs, se situent la direction et le dortoir des gardiens, et derrière les miradors
de la prison, la caserne du haut commandement de gendarmerie.
Au moment où le gardien a donné l’alarme, certains de ses collègues
avaient déjà été exécutés à l’arme blanche par la dizaine de mutins. Certains
d’entre eux avaient fait irruption dans les blocs des détenus de droit commun,
cherchant une solution, mais la prison était déjà encerclée. « Je n’ai vu qu’un
seul mutin avec une arme à feu (d’après les autorités, ils étaient quatre). Il
était posté au niveau du rond-point du second étage pour faire face au portail
d’entrée. Puis, ils se sont dirigés vers la salle des policiers détenus. Ils les ont
fait sortir un à un. Après avoir effectué le tri, ils les ont fait descendre dans la
cour des condamnés et les ont égorgés à tour de rôle. Puis tout a cessé d’un
coup, plus aucun va-et-vient, un silence de mort. Les forces spéciales sont
alors intervenues, les fameux “ninjas”, entrés par les fenêtres de la terrasse en
utilisant des gaz toxiques. Certains détenus se sont évanouis, asphyxiés. Ils
ont très vite occupé la partie de la prison réservée aux détenus de droit
commun, puis ont tiré de façon très nourrie, tout en sommant les détenus de
regagner leurs cellules. Les détenus couraient dans tous les sens et se
réfugiaient là où ils pouvaient. Certains détenus de droit commun ont été pris
au moment de l’assaut vers le bloc des détenus islamistes. Ils ont été
considérés comme mutins et exécutés. Le noyau dur s’est réfugié dans le
sous-sol du 21. Une grande déflagration a été entendue. La plupart des
condamnés islamistes ont été exécutés. Une partie des personnes non jugées a
été épargnée, tout comme quelques détenus qui avaient des gardiens à leur
solde (à Serkadji, un gardien touche entre mille et mille cinq cents dinars
pour la transmission d’une lettre, et une communication par portable coûte
dix mille dinars). D’autres ont été épargnés sur ordre. »
Après un moment d’absence, Mustapha m’a fixé et m’a dit : « Le plus dur,
c’était après, avec le régime imposé. Tout était interdit, même le parloir. » Il a
levé les yeux vers les murs des blocs qui faisaient face à la cour et a
continué : « Tu vois cette fumée noire sur les fenêtres ? Elle date des
événements. Même avec plusieurs couches de peinture depuis, elle ne veut
pas partir. » Puis, il s’est tu et s’est levé.
L’enquête policière a révélé les noms des instigateurs, dont le meneur des
mutins, un certain Belkacem, détenu islamiste condamné à mort, qui aurait
été approché par un gardien, pour organiser l’évasion. Ce gardien aurait eu
des membres de sa famille dans les groupes armés. Belkacem était un
nouveau transfuge. Son incarcération dans cette prison ne datait même pas
d’un an. Parmi leurs contacts à l’extérieur, il y avait un certain Omar
Abdelhafid, un adolescent du quartier de la cité douanière à El-Harrach, dans
la banlieue d’Alger. Tous ses voisins étaient étonnés de lire son nom sur la
liste citée par la presse, car au moment des faits, il avait déjà été arrêté (il fait
partie aujourd’hui des disparus de la dernière décennie).
Alors, la question est simple. Pourquoi ce laisser-faire, si laisser-faire il y a
eu ? Et pourquoi, quelques jours auparavant, certaines figures de l’islamisme
ont été transférées vers la prison de Serkadji ? Les affaires Serkadji et
Berrouaghia n’ont-elles pas marqué le début de l’élimination physique de
certaines figures du FIS, que Zitouni achèvera lui-même, six mois plus tard ?
Dans un pays de droit, quand un citoyen fait une erreur, c’est la justice qui
s’en charge et applique la loi. Mais que réserve le droit, quand c’est l’État qui
bafoue ses textes à l’intérieur du sanctuaire de la justice ?
L’histoire de ce jeune adolescent qu’on a voulu faire passer pour
l’instigateur de cette pseudo-évasion qui a entraîné la mort de plus de cent
détenus (d’après la version officielle), alors qu’il avait été arrêté quelques
jours plus tôt, devrait certainement être élucidée un jour.

Scènes d’horreur d’Alger à Paris

Le 30 janvier 1995, un attentat à la voiture piégée a été commis contre le


commissariat central d’Alger, faisant une quarantaine de morts et une
centaine de blessés. Les personnes tuées étaient en majorité de simples
citoyens présents sur le boulevard Amirouche, très animé. Djamel Zitouni, le
nouvel émir du GIA, venait de signer le début d’un combat criminel
téléguidé.
Le 11 juillet 1995, le terrorisme a traversé la Méditerranée pour frapper
l’Hexagone. Sahraoui Abdelbaki, membre fondateur du FIS, et qui avait
prononcé le prêche proclamant la naissance de ce parti, a été exécuté
froidement par un tueur à l’intérieur de la salle de prière de la mosquée
Myrha dans le 18e arrondissement à Paris, juste après la prière d’el asr. Un
jeune, qui était à l’intérieur de la mosquée au moment des faits, a aussi trouvé
la mort pour avoir tenté d’attraper le tueur. Ainsi, une fois la prière terminée,
l’imam a été approché par une personne qui voulait discuter en tête à tête
avec lui. Au moment où la mosquée s’est vidée, l’assassin a sorti son arme et
a tiré. L’imam s’est écroulé. Nordine, un jeune de la Fraternité Algérienne en
France (FAF) se trouvait encore dans la mosquée ; voyant la scène, il a
attrapé l’assassin et l’a plaqué au sol. Malheureusement aucun des fidèles
encore présents devant la porte de la mosquée ne lui a apporté son aide. Le
deuxième tueur qui faisait le guet devant la porte lui a tiré dans le dos. Les
deux tueurs, rejoints par un troisième complice à l’extérieur, ont remonté la
rue Myrha à pas précipités, mais sans inquiétude, alors que l’un d’eux était
couvert de sang. Au bout de la rue Laghouat, ils ont braqué une femme et lui
ont pris sa voiture pour l’abandonner un peu plus loin au niveau de la rue du
Nord. Ils ont pris une autre voiture qu’ils ont osé garer au pied de l’immeuble
où ils avaient élu domicile. Ce premier attentat perpétré par le GIA sur une
des personnes les plus surveillées sur le sol français était-il lié au fait que
l’imam avait pris connaissance d’un probable attentat qui se préparait à
Paris ? S’apprêtait-il à dénoncer les criminels au moment opportun ?
Le 25 juillet 1995, l’explosion d’une bonbonne de gaz dans une rame de
RER à la station Saint-Michel, à Paris, a fait huit morts et quatre-vingt-trois
blessés. Cet acte terroriste sera suivi par cinq autres et par deux autres
tentatives qui échoueront de justesse : le 17 août, l’explosion d’une bonbonne
de gaz dans le 8e arrondissement de Paris, faisant dix-sept blessés ; le
26 août, la tentative d’attentat sur la voie de TGV Lyon-Paris ; le
3 septembre, l’explosion d’une bombe boulevard Richard-Lenoir, faisant
quatre blessés ; le 4 septembre, l’explosion d’une voiture devant une école
juive, faisant quatorze blessés ; le 6 octobre, l’explosion d’une bombe à la
station de métro Maison-Blanche, à Paris, faisant treize blessés ; le
17 octobre, l’explosion d’une bombe dans une rame du RER C, faisant vingt-
neuf blessés. La vague d’attentats terroristes ayant visé la France a causé la
mort de huit personnes et a fait cent quatre-vingt-dix-huit blessés. Le
29 septembre 1995, Khaled Kelkal a été abattu par les forces de sécurité
françaises, emportant avec lui une partie des secrets de ces attentats. Quant à
son émir Ali Touchent dit « Tarek », il a réussi à passer à travers les mailles
du filet. Sa mort a été annoncée par un communiqué des services de sécurité
algériens, en mai 1997. Mais qui pourrait vérifier la véracité de cette
annonce ? L’homme, envoyé par l’émir du GIA version DRS serait un agent
double travaillant aussi pour la Direction de la Sûreté du Territoire (DST),
d’après le témoignage de son frère. Repéré en Belgique et en France, entre
1993 et 1995, Ali Touchent a échappé au moins à trois rafles de police. Il
avait apparemment le flair d’un James Bond, mais il n’a pas pour autant
sauvé ses proches et ses complices. Et pourtant, l’homme qui a toujours
préféré voyager par container entre le port d’Alger et le port de Marseille ne
se cachait absolument pas en Algérie. Il habitait même un luxueux
appartement dans une cité gouvernementale du côté de Châteauneuf (proche
de la fameuse caserne dont le parc regorgerait de corps de disparus selon la
rumeur algéroise). Pour un émir recherché, il vivait tranquillement jusqu’au
fameux procès du GIA, en novembre 1997, où il a été impliqué de manière
directe. Plusieurs accusés l’ont désigné comme un élément des services de
sécurité algériens qui avaient infiltré le GIA : « Pour moi, Tarek est un mec
de la Sécurité Militaire algérienne qui se servait de nous », comme l’explique
un témoin.
Quelques mois plus tard, en février 1998, les autorités algériennes
annonçaient sa mort, qui remontait à presque dix mois. Pourquoi ? Est-ce
parce que l’Algérie des Généraux ne pouvait plus couvrir une personne
sans importance, à partir du moment où elle avait rempli son rôle ?
Alors que tous les hommes suspectés des attentats cités plus haut étaient
censés être arrêtés, un autre attentat est venu contredire cette thèse. Le
3 décembre 1996, une bombe, imputée au GIA, a explosé à la station RER
Port-Royal à Paris, faisant quatre morts et cent soixante-dix blessés. Le
12 décembre 1996, le journal Le Monde a révélé que dans une note adressée à
l’Élysée et à Matignon quatorze jours avant l’attentat, le service d’espionnage
français estimait probable la reprise d’opérations terroristes islamistes. Dans
toutes ces questions, je crois que l’intérêt de la justice doit primer sur l’intérêt
du négoce. Ali Touchent, Tarek ou le fantôme qui voyage dans les containers
entre Alger et Marseille, restent le même criminel, mais ce n’est qu’une
goutte dans un océan de sang. En octobre 2002, Boualem Ben Saïd, « le
cerveau des attentats de Paris » d’après la presse, a été condamné à la
réclusion criminelle à perpétuité seulement pour trois attentats, dont celui de
Saint-Michel pour complicité. Qui alors est derrière les autres ? D’après le
Maghreb Confidentiel du 18 avril 1996, une rencontre entre les services
français et des généraux algériens a eu lieu au mois de février à Nice. Du côté
français, il y avait le général Rondot, Jean-Charles Marchiani ; et du côté
algérien, le général Touati et le général Nezzar. Cette rencontre entrait dans
un cadre régulier entre les services, d’après la même source.

L’élection de Zeroual en novembre 1995

Pour légitimer l’élection de Zeroual, les services de sécurité, par GIA


interposé, ont accentué la violence contre les citoyens, décuplé la peur par un
système de propagande utilisant des journaux inféodés, des médias lourds.
Après l’avènement de Liamine Zeroual à la tête de l’État, et de Mohamed
Lamari comme chef de corps d’armée, l’Algérie est entrée dans une nouvelle
stratégie de guerre : il fallait coûte que coûte protéger l’Algérie utile de tout
conflit armé.
Ainsi, en avril 1995, un arrêté du ministre de l’Intérieur prenant effet le
er
1 mai annonçait la création de zones d’exclusion dans le Sud. L’accès
devenait strictement réglementé et limité au personnel des compagnies
pétrolières travaillant sur les lieux. La sécurité des sites était assurée par des
unités militaires supérieurement équipées. Les sociétés étrangères avaient
leur propre stratégie sécuritaire pour le recrutement de leurs agents.
Il fallait aussi faire éclater la rébellion islamiste en alimentant la division
idéologique, et exacerber les tensions entre les différents émirs pour le
contrôle des maquis, un travail dont se chargeront les agents infiltrés. Ainsi
lors de la réunion du 13 mai 1994, on a assisté à un regroupement des
différentes sensibilités de l’islamisme armé algérien sous la tutelle du GIA.
Les islamistes proches de la ligne doctrinaire de Nahda ont, quant à eux,
refusé de se joindre à cette coalition et créé l’Armée Islamique du Salut en
juillet 1994. Mais cette union n’a pas duré. Une guerre sans merci a éclaté
quelques semaines plus tard entre les différentes factions pour le contrôle des
maquis. Cette guerre, limitée au début à un conflit entre l’AIS et le GIA, s’est
étendue au fil des mois pour toucher d’autres groupes armés, dont le MEI qui
s’est retiré de la coalition du GIA en août 1994. Cette lutte fratricide a abouti
à l’anéantissement par Djamel Zitouni, chef du GIA, des cadres du FIS qui
avaient choisi la voie des armes. Plus de cent quarante cadres du FIS seront
exécutés entre juillet 1995 et février 1996, entraînant l’éclatement du GIA et
d’une dizaine de groupes armés.
Les militaires utiliseront aussi les grands moyens pour venir à bout des
groupes islamistes qui échappaient à leur contrôle. Une opération de grande
envergure a été réalisée entre le 19 et le 22 mars 1995 à Aïn Defla, dans
l’Ouest algérien, lors de laquelle le GIA a perdu plus de trois cents
combattants, dont de célèbres émirs. Parallèlement, la presse a été mise sous
pression pour qu’elle se positionne clairement et définitivement dans ce
conflit en faveur des militaires. Les récalcitrants ont été écartés. Au cours de
cette année-là, la presse a perdu de nombreux titres prestigieux, par décision
de justice ou par faillite économique, après la disparition de la manne
publicitaire sous le contrôle de l’État. Le nombre d’assassinats de journalistes
s’est accentué, certains étaient signés par les groupes islamistes armés,
d’autres ne sont toujours pas élucidés. Étaient-ils le fait de groupes islamistes
manipulés par les services ou par ceux-là directement ? En maniant la haine,
la presse s’est trouvée constituer, malgré elle, le premier bouclier contre un
ennemi invisible dont elle ne connaissait que le nom : GIA.
Par ailleurs, il fallait agir vite en répondant aux injonctions du FMI pour
redorer une image ternie. Les plus fragiles en subiront les conséquences.
Mais les décideurs, fidèles à leur tradition tout en abreuvant le peuple
algérien de promesses, profiteront de cette manne pour s’armer, acheter leurs
soutiens, payer les miliciens, et recycler leur progéniture dans le commerce
lucratif de l’import-import. Tous les drames du peuple algérien ont été
exploités à bon escient : ainsi, l’affaire « Air Algérie », avec la suspension de
la ligne Alger-Paris, a permis aux charognards du système de monopoliser le
transport des voyageurs à partir de Lyon ou de Charleroi vers Paris, et ils ont
tout mis en œuvre afin que cette ligne ne soit plus desservie.
Les élections présidentielles ont été organisées le 16 novembre 1995. Le
GIA a menacé de représailles les citoyens qui iraient voter, tandis que les
miliciens armés par le pouvoir les menaçaient dans le cas contraire. Ces
élections, sous la protection des baïonnettes, étaient truquées, comme toutes
les autres, bien entendu. Liamine Zeroual a été élu président de la République
avec 61,34 % des suffrages exprimés, devançant largement les faire-valoir
Mahfoudh Nahnah (25,39 %), Saïd Saadi (9,29 %) et Noureddine Boukrouh
(3,98 %). Le 30 décembre 1995, Ahmed Ouyahia, chef de cabinet de Zeroual,
a été nommé chef du gouvernement pour appliquer le programme d’austérité
imposé par le FMI. Des centaines de milliers de travailleurs se sont retrouvés
au chômage, des dizaines d’usines ont été fermées. Le pouvoir d’achat
s’est écroulé, les prix ont flambé : fini le temps des élections et des
promesses.

Les disparus

Combien sont les disparus ? C’est la question à laquelle le pouvoir ne veut


pas donner de réponse. Le chiffre des personnes disparues lors de la dernière
décennie oscille entre dix mille et vingt mille selon les estimations de
différentes ONG et des défenseurs des droits de l’homme. La majeure partie
est le fait des services de sécurité. D’autres personnes ont été enlevées par les
groupes islamistes armés pour soutenir le régime en place. Les premiers cas
de disparition – des militants islamistes – ont été enregistrés juste après le
putsch de janvier 1992. Cette pratique prendra de l’ampleur pour atteindre
des pics effroyables entre 1995 et 1996, où des milliers de cas de disparus
seront signalés. Au début du conflit armé, les dirigeants d’Alger avaient
essayé de nier l’existence de telles pratiques, ou de les minimiser en évoquant
des « cas isolés » ou en prétextant qu’il s’agissait de militants islamistes qui
avaient rejoint les groupes armés ou avaient été enlevés par ces derniers.
La plupart des personnes disparues ont été enlevées par les forces de
sécurité en pleine nuit. Toutefois des cas de disparition ont été signalés suite
à des arrestations effectuées pendant la journée, soit sur les lieux de travail,
soit près des centres universitaires, ou parfois en pleine rue. La tranche d’âge
la plus touchée est celle des vingt-trente ans, mais des enlèvements
d’adolescents et de vieillards ont été signalés. Selon l’association Algéria-
Watch, l’âge des personnes enlevées va de 14 à 79 ans. Le niveau intellectuel
de ces personnes est acceptable, loin des théories véhiculées par la presse
proche du pouvoir ou par certains de ses porte-voix, les faisant passer pour
des pouilleux, des gueux, des ignares : ainsi, on trouve des cadres, des
médecins, des universitaires, des journalistes, des chefs d’entreprise, des
commerçants, des étudiants…
Les services de sécurité utilisaient souvent des voitures banalisées, de
fausses cartes de police, de fausses plaques d’immatriculation, et les
kidnappeurs étaient souvent déguisés et maquillés, portant de fausses
moustaches, de fausses barbes. Ils arrivaient en enfonçant les portes, armes
au poing, jamais identifiables. Selon le droit algérien, un suspect peut rester
en garde à vue quarante-huit heures, délai au bout duquel il doit être présenté
par l’officier de police judiciaire au Procureur de la République. Ce délai peut
atteindre douze jours dans le cas de crimes qualifiés d’actes terroristes ou
subversifs, sans la possibilité de voir un avocat, ce qui est contraire au droit
international. Théoriquement, ce dernier permet à un détenu de bénéficier
d’une visite médicale ou de communiquer avec sa famille. Mais la réalité est
tout autre : les détenus suspectés d’appartenir à un groupe islamiste armé ou à
l’un de ses réseaux de soutien, suspectés d’être membres de la famille d’un
terroriste, ou d’être des militants actifs, étaient arrêtés, détenus dans des
endroits souvent secrets, torturés, et une fois l’information recherchée
obtenue, exécutés et enterrés dans des fosses communes. La durée de la
détention pouvait varier de quelques jours à plusieurs années. Les familles,
souvent démunies devant de telles situations, ne recevaient aucune
information de la part des tortionnaires, elles étaient confrontées à un mur de
silence, sinon menacées. Parfois, elles parvenaient à localiser les leurs, au
début, lorsque ceux-ci avaient été emmenés dans les locaux de leurs
tortionnaires, avant d’être torturés et de disparaître. L’information parvenait
souvent de personnes arrêtées pour divers délits, puis relâchées.
Les Généraux d’Alger, qui ont fait la sourde oreille pendant des années,
ont fini par reconnaître l’évidence devant l’ampleur du phénomène, les
témoignages multiples de parents des victimes, de transfuges de l’armée, des
différentes associations nationales et internationales. Cependant, si le nombre
de disparitions a fortement diminué les trois dernières années, celles-ci
persistent. Dans son édition du 8 janvier 2003, le journal Le Monde a révélé
qu’un certain Kamel Boudahri, arrêté le 13 novembre 2002 à Mostaganem
par les services de sécurité, était porté disparu. Le droit n’est toujours pas
respecté : les personnes suspectes arrêtées par les services de sécurité ne
bénéficient d’aucun droit tant que les services de la DRS n’ont pas décidé de
les remettre à la justice. Les personnes disparues restent introuvables. Selon
Tigha Abdelkader, il n’y a pas de disparus parce que tous ont été exécutés par
la DRS et enterrés dans des fosses communes. Il estime le nombre des
exécutions, au seul CTRI (Centre Territorial de Recherche et d’Investigation)
de Blida à 4 000 entre 1993 et 1997, et il existe six CTRI en Algérie. Dès
1998, des fosses communes sont découvertes dans les régions déchirées par
la violence en particulier (Larbaa dans la Mitidja, Relizane dans l’Ouest…).
Une partie de la presse dite privée, proche du pouvoir, déclare, grâce aux
sources DRS autorisées, que ces cadavres sont ceux de victimes enlevées par
les groupes islamistes armés. Mais aucune étude sérieuse ne sera faite pour
identifier les corps. Souvent entassés dans des puits en état de décomposition
avancée, ils sont récupérés de façon artisanale par les éléments de la
Protection Civile. Aucune technique appropriée n’a été utilisée. Le pouvoir
n’a fait appel ni aux anthropologues légistes, ni aux techniques d’extraction
d’ADN, faute de volonté et de moyens.
Les familles de disparus en quête de vérité, seules dans un premier temps,
sont devenues solidaires et organisées au sein d’associations, soutenues par
des organisations nationales et internationales défendant les droits de
l’homme et des personnalités politiques de l’opposition. Des manifestations
ont été organisées régulièrement à Alger et dans d’autres villes de province,
demandant, sans succès, justice et vérité. Certains parents ont été menacés,
d’autres arrêtés, ou battus par les services de sécurité. Leurs doléances restent
vaines ; elles ne peuvent rien contre la puissance des Généraux, la raison
d’État et les équilibres au sommet du pouvoir. Fidèles à leurs traditions, les
Généraux au pouvoir tentent d’éviter de rendre des comptes sur leurs
pratiques et trouvent un moyen pour classer le dossier. Le dédommagement
des familles de disparus est un des moyens que la junte compte utiliser pour
acheter le silence de ceux qui risquent un jour de les envoyer à La Haye. Les
familles, quant à elles, ne demandent qu’une chose, connaître la vérité pour
pouvoir faire le deuil : « Ce qui est angoissant, c’est que nous ne savons pas
s’il est mort ou vivant. » Ou encore : « Qu’ils me disent où est enterré mon
fils, ainsi je pourrai aller pleurer sur sa tombe. »
Après avoir installé en septembre 2003 un comité pour régler
définitivement la question des disparus, Bouteflika a proposé par le biais de
la Charte de la réconciliation nationale en septembre 2005 une indemnisation
ainsi qu’une déclaration de décès pour tous les cas de disparus. Certaines
familles ont déjà refusé.

Les massacres de civils

Entre 1996 et 1998, en plus des bombes qui explosaient à chaque coin de
rue, les massacres de populations civiles sans défense et l’atrocité des crimes
commis ont provoqué le courroux des ONG et soulevé l’effroi à travers le
monde entier. Les lieux visés étaient d’anciens fiefs du FIS des années 1989-
1992, situés pour la plupart dans la Mitidja. Les massacres de Bentalha, Raïs,
Beni Messous, Sidi Hamed et Relizane, qui ont fait plus d’un millier de
victimes, ont été les plus terribles. Ils ont été perpétrés le plus souvent à
l’arme blanche, et très rarement aveuglément, comme veulent nous le faire
croire les décideurs d’Alger : l’analyse de ces massacres nous permet de
déclarer qu’il y a eu une sélection des cibles et des victimes (les terroristes
pouvaient avoir à la main une liste de familles à exécuter) et que les
événements suivaient une voie rationnelle.
Revenons sur quatre des massacres, relatés par divers témoins.
À Raïs, tout d’abord. C’est une bourgade de trois mille habitants située à
quarante kilomètres au sud-est d’Alger, constituée d’habitations construites
autour d’un domaine agricole, sécurisée par un poste de gendarmerie qui se
trouve à l’entrée du village. Durant la nuit du 28 au 29 août 1996 à 22 heures,
cent à deux cents terroristes ont pénétré dans le village. Après plus de quatre
heures de carnage, ces derniers n’ont laissé derrière eux qu’horreur : le bilan
était de plus de deux cent cinquante morts. Le lendemain de la tragédie, les
survivants n’ont pas compris pourquoi aucune aide ne leur était parvenue,
pourquoi les gendarmes et les gardes communaux qui étaient à une centaine
de mètres des lieux n’étaient pas intervenus pour les protéger de cette horde,
ni pourquoi, eux, n’avaient pas subi de représailles. Comment expliquer ce
laisser-faire dans une région hautement sécurisée et aux moyens militaires
très sophistiqués ?
De même, à Bentalha, un massacre a eu lieu peu après celui de Raïs. C’est
un lotissement situé à la sortie est de Baraki, dans la banlieue est d’Alger.
Cette zone, comme celle de Raïs, est l’une des plus militarisées de la région.
À cette époque, on trouvait au moins six barrages de police, de gendarmerie
et de l’armée entre Baraki et El-Harrach, côté sud. Côté nord, à quelques
centaines de mètres, il y avait une caserne militaire, en plus de celles se
trouvant dans un rayon de cinquante kilomètres, et en plus de l’aéroport
militaire de Boufarik. De surcroît, le contexte, avec le massacre de Raïs
quelques jours avant, supposait un renforcement des mesures de sécurité. Le
22 septembre 1996, vers 23 heures, un groupe de terroristes composé de cent
à deux cents hommes a fait irruption dans ce lotissement. Même procédé,
même carnage. Quatre heures après, ils ont laissé derrière eux quatre cent
cinquante morts. Le lendemain de ce massacre, la stupéfaction pouvait se lire
sur tous les visages des Algériens, qui, une fois encore, ne comprenaient pas
comment un si grand nombre de citoyens pouvaient être égorgés dans la
banlieue de la capitale, sans le secours des forces de sécurité. Suite à ce
massacre, des voix se sont élevées de tous les coins de la planète pour
réclamer une enquête. Mais Liamine Zeroual était conscient de sa fragilité
face à une situation qui lui était imposée par ses derniers choix stratégiques ;
il a préféré reculer sur certaines de ses positions à cause de son implication
directe dans le conflit en tant que ministre de la Défense. Au lieu de laisser
éclater toute la vérité sur une guerre nauséabonde, et malgré la pression de
l’opinion internationale qui ne comprenait pas la passivité des forces de
sécurité face à des citoyens en danger de mort, Zeroual a préféré invoquer la
non-ingérence dans les affaires internes du pays, fuyant ainsi les
responsabilités morales d’un président élu. Il subira les conséquences de sa
naïveté qui l’a poussé à croire en des personnes qui n’oublient jamais, et dont
la rancœur les pousse à s’adjoindre, s’il le faut, jusqu’aux services d’un
homme comme Zitouni.
Un an après, à Relizane, le 31 décembre 1997, en plein mois de Ramadan,
et juste après la rupture du jeûne, cinq hameaux ont été attaqués au même
moment par des groupes terroristes. Cinq cent vingt-neuf personnes ont été
victimes de cette attaque : 117 morts à Had Chekala, 176 morts à Cherarba,
73 morts à El Abadil, 50 morts à Bentaleb, 113 morts à Oued Sahanne.
L’armée n’est intervenue que quarante-huit heures après pour porter secours
aux rescapés. Quelques jours plus tôt, les forces combinées de l’armée
avaient mené un vaste ratissage à Relizane, plus exactement à Ramka. Cette
région était considérée par les troupes de l’AIS comme acquise et servait de
base d’approvisionnement aux éléments de l’émir Benaïcha.
Enfin, peu après, la foudre est tombée sur Sidi Hamed. C’est un village
situé sur la route nationale 29, entre Meftah et Larbaa, ancien fief de l’AIS
servant de base de retrait et d’approvisionnement à ses troupes cantonnées là,
et remplacées par une unité militaire le 6 octobre 1997 dans le cadre de la
trêve qui a mené ensuite aux accords de la « concorde civile ». Le 11 janvier
1998, après la rupture du jeûne, vers 20 heures, un groupe armé composé
d’une centaine de terroristes a pénétré dans le village, et massacré plus de
cent quarante personnes, par le feu. L’unité militaire, stationnée à l’entrée du
village qu’elle était censée protéger, a observé le massacre et n’est pas
intervenue. Le lendemain, le même mot revenait aux lèvres de tous les
villageois : « punition ».
Tous ces massacres, ces attentats à la voiture piégée, ainsi que l’assassinat
des moines de Tibhirine, et la plupart des autres événements qui ont marqué
durant ces années la société algérienne s’expliqueront certainement, en partie
du moins, par les trois années de gérance d’un général président qui a voulu
s’émanciper de ses mentors.

Les trois ans de présidence de Zeroual

Nul ne pensait qu’en septembre 1998 Liamine Zeroual annoncerait sa


démission et l’organisation d’élections présidentielles anticipées. Pour
comprendre les raisons qui l’ont poussé vers la sortie, ainsi que tous les
événements qui ont secoué le pays durant son passage à El-Mouradia, il faut
revenir sur l’itinéraire suivi, au cours de ce bref mandat, par ce général à la
retraite, et sur certaines décisions qu’il avait prises dans le domaine politique,
économique et structurel de l’armée.
Sur le plan politique, Zeroual a consacré la plupart de son temps, entre
1993 et 1995, à se forger une personnalité d’homme de dialogue. Cette
stratégie s’est conclue par son élection à la présidence de la République. Une
fois à El-Mouradia, il a essayé de se débarrasser de certaines contraintes liées
à la prééminence de l’armée, en se dotant d’une nouvelle Constitution, et en
procédant au renouvellement du Parlement. Pour cela, il a choisi
Benhamouda, le patron de la centrale syndicale UGTA, pour lancer une
nouvelle formation politique, dont la base constituante était issue de miliciens
armés par le pouvoir. Parallèlement, il a chargé Ahmed Ouyahia de
promouvoir son image de marque de démocrate en organisant une pseudo-
conférence d’entente nationale les 14 et 15 septembre 1996, boycottée par la
plupart des partis d’opposition. Le 14 octobre suivant, le pouvoir a annoncé
l’organisation d’un référendum de révision de la Constitution. Le
28 novembre, la nouvelle Constitution a été adoptée à 85,81 % des voix.
Des partis se sont élevés contre cette mascarade électorale, que le FFS a
qualifiée de dictature constitutionnelle. En janvier 1997, le pouvoir a encore
fixé de nouvelles échéances électorales, dont les élections législatives,
le 5 juin.
Le Conseil National de Transition (CNT) a adopté la nouvelle loi sur les
partis politiques, et en février celle qui instaurait la proportionnelle. Mais le
29 janvier, à quelques jours de l’annonce officielle de la création du
Rassemblement National Démocratique (RND), l’homme qui devait être à la
tête du parti du président a trouvé la mort dans un attentat terroriste dans la
cour de la centrale syndicale située en plein centre d’Alger, place du 1er-Mai.
Ses derniers mots, adressés à son ami présent sur les lieux, ont été : « Mon
frère Kamel, ils nous ont trahis. » De qui s’agissait-il ?
L’assassin présumé que les autorités ont montré à la télévision n’accédera
jamais à la barre d’un tribunal pour s’exprimer. Il a été exécuté dans les
locaux des forces de sécurité. Benhamouda savait trop de choses en tant que
civil pour rester en vie, et dérangeait sûrement certains calculs des politiciens.
Il a été abattu pour avoir osé jouer dans la cour des militaires sans en faire
partie.
Ahmed Ouyahia, ancien chef de cabinet et Premier ministre, a été désigné
à la place de Benhamouda à la tête du RND. Trois mois après sa création, ce
parti aura un grand succès aux élections législatives, où il obtiendra la
majorité absolue, grâce à une fraude à grande échelle. Certains partis ont
exigé une commission d’enquête, mais le rapport ne sera jamais publié.
Sur le plan économique, Liamine Zeroual a chargé Ahmed Ouyahia
d’appliquer à la lettre les accords conclus avec le FMI. Ce dernier a mené une
politique d’abandon du secteur public entraînant le licenciement de centaines
de milliers de personnes. Certains secteurs connaîtront une libéralisation
totale, comme celui du transport, où la corruption fera loi dans la distribution
des meilleures lignes, avec parfois mainmise d’un prête-nom de l’un des
décideurs. Même les groupes armés se sont mêlés au festin : ils ont
sélectionné les bénéficiaires de certaines lignes lucratives et se sont fait
rétribuer pour les droits de passage. Les autres ont vu leurs bus brûlés. Le
même procédé caractérise d’autres secteurs, comme celui du commerce
extérieur, où les chefs de guerre feront main basse sur les importations de
produits pharmaceutiques, de café, de sucre.
Le 25 décembre 1995, l’Algérie a signé un de ses plus grands contrats de
recherche et d’exploitation de pétrole et de gaz avec la société BP, d’un
montant de trois milliards et demi de dollars. Puis d’autres contrats avec des
firmes étrangères ont suivi : avec Total, le 24 janvier 1996, pour un montant
de neuf cents millions de dollars ; avec ARCO, le 15 février 1996, d’une
valeur d’un milliard et demi de dollars ; avec AGIP, avec la société
canadienne Snc-Lavalin, avec Andarko… Au total, vingt-quatre accords de
recherche ont été signés, et sept ont abouti à des découvertes. Le
1er novembre 1996, le gazoduc Maghreb-Europe a été inauguré
officiellement. Personne n’ignore comment une société étrangère arrive à
acquérir un investissement dans un pays du tiers-monde, surtout s’il est sous
la coupe d’une junte militaire dans le domaine des hydrocarbures. L’affaire
ELF, en France, en est le reflet.
Sur le plan militaire, Zeroual a tenté d’apporter des changements dès le
lendemain de sa désignation comme chef d’État en 1994, mais il a
rapidement été confronté à l’opposition des décideurs. Ainsi, une réunion de
ces haut galonnés en mars 1994 a limité les attributions de Liamine Zeroual
et attribué une délégation de signature à Mohamed Lamari. Quelques jours
plus tard, en vieux routier connaissant les rouages de l’armée, Zeroual a
nommé comme conseiller personnel l’ancien patron de la Sécurité Militaire,
le général Mohamed Betchine. Ce dernier a essayé de déblayer le terrain pour
son ami Zeroual. Il est l’artisan de la réussite de l’organisation des élections
présidentielles qui ont offert une légitimité à Liamine Zeroual. Une fois élu, il
n’a pas tardé à se réapproprier les prérogatives que la Constitution lui
attribuait. C’est ainsi qu’en avril 1996, en tant que chef suprême des armées,
Liamine Zeroual a envoyé à la retraite une centaine d’officiers, dont sept
généraux (notamment Khaled Nezzar, Larbi Belkheir et Hocine Benmaalem).
Le 5 juin 1996, Zeroual a relancé une offensive contre l’entourage de
Nezzar. Sept officiers supérieurs très proches de lui ont été mis à la retraite :
le général Mohamed Ghoneim, secrétaire général au ministère de la Défense ;
le général Abbas Ghozeil, commandant de la gendarmerie et l’un des quatre
généraux ayant obligé Chadli à signer sa démission dans son bureau (il
résistera une deuxième fois à la désignation d’une autre personne à sa place,
mais finira par céder en 1997 et sera remplacé par Derradji) ; le général
Tetaouani, directeur des services extérieurs au ministère de la Défense ; les
généraux Taghrirt et Djouadi, inspecteurs généraux au ministère de la
Défense ; les généraux Touati et Derradji, anciens conseillers de Khaled
Nezzar en personne. Les répliques à ces secousses telluriques n’ont pas tardé.
Le peuple algérien sera la victime de cette guerre au sommet. Les
années 1996, 1997 et 1998 ont été des années d’enfer pour le peuple algérien.
Liamine Zeroual a été poussé à la démission ; son conseiller, le général
Betchine, architecte de sa stratégie, a été réduit en miettes par une partie de la
presse privée aux mains des services de sécurité : sa vie privée a été dévoilée,
et c’était une première en Algérie. Il a démissionné de son poste de conseiller
à la présidence. D’après le Maghreb Confidentiel du 30 novembre 1995, il
postulait à un poste de ministre de la Défense.

L’assassinat du chanteur Lounès Matoub

L’affaire Lounès Matoub, à elle seule, montre que les véritables détenteurs
du pouvoir en Algérie ne reculent devant rien. Cet assassinat est survenu au
moment où la guerre des clans entre généraux battait son plein. Cet énième
assassinat politique entre dans une stratégie de guerre où la déstabilisation
des concurrents est un jeu que nos dirigeants maîtrisent à la perfection. Ainsi
s’explique la tentation de toujours de faire éclater une région épargnée par les
massacres à grande échelle et la moins touchée par les dix dernières années
de guerre.
En imputant ce crime abject à Hassan Hattab, chef du Groupe Salafiste
pour la Prédication et le Combat (GSPC), un groupe dissident du GIA, les
responsables de ce crime lançaient un avertissement aux autres clans et se
disculpaient. Quant à Lounès Matoub, l’histoire retiendra qu’en 1988 le
GSPC n’existait pas, et qu’il n’a eu la vie sauve que par miracle, car les
gendarmes choisis pour l’assassiner ont fait leur travail : non seulement ils
l’ont criblé de balles, mais ils ont cru qu’ils l’avaient tué. Cela n’était qu’un
rappel pour ceux qui doutaient encore des assassins.
Malgré ce précédent, après l’interruption du processus électoral, l’homme
a choisi un camp qu’il croyait être le sien. En octobre 1994, en pleine grève
des écoles (à ce moment, Zitouni était le chef du GIA), Lounès Matoub a été
kidnappé. Mais grâce à la mobilisation de la population locale, il a été libéré
après quelques jours de détention dans le maquis avec un message aux
Kabyles. Le témoignage de la sœur du chanteur nous donne un aperçu de ce
qu’attendaient de lui les terroristes qui l’ont kidnappé en 1994 : « Cette nuit-
là, à plusieurs reprises, il m’avait répété qu’on se trompait sur eux, qu’ils
n’en voulaient pas aux Kabyles mais au pouvoir, qu’ils étaient pour
Tamazight. J’étais inquiète. On nous avait changé Lounès. Il
était méconnaissable. »
En juin 1998, juste après l’annonce de sa mort, des manifestations
spontanées ont éclaté dans les rues et villages kabyles, où des milliers de
jeunes sont sortis crier leur colère, accusant le pouvoir d’être derrière cet
assassinat, et scandant : « Pouvoir assassin. » Cette maturité politique
affichée par toute la jeunesse démontre une fois de plus que la rue kabyle
n’est pas dupe, malgré son opposition farouche au projet de société islamiste.
Elle sait qui tue dans cette Algérie, malgré les tentatives de diversion du
pouvoir et de ses relais locaux. Alors, attribuer la mort de Lounès Matoub,
exécuté par des professionnels, à de simples terroristes islamistes, c’est non
seulement avoir réussi à le tuer mais aussi avoir souillé sa tombe.

De la trêve à la « concorde civile »

Le 25 février 1995, Liamine Zeroual a promulgué l’ordonnance 95-12


portant des mesures de clémence en faveur des maquisards islamistes, plus
connue sous le nom de « loi de la rahma ». Cette loi a été créée dans un
contexte un peu obscur. La présidence avait pris ses distances avec le FIS,
suite à la lettre trouvée sur Cherif Gousmi, émir du GIA abattu par les forces
de sécurité, que lui avait adressée Ali Benhadj, numéro deux du FIS, et qui
l’exhortait à continuer le djihad. Par ailleurs, dans les maquis, la création de
l’AIS avait fait éclater l’unanimité autour du GIA, entraînant la guerre des
émirs, à partir de l’été 1994. Malgré cette rivalité, l’idée du repentir dans les
groupes armés était inconcevable au départ. Les maquisards islamistes, sûrs
de leur juste cause, ne pouvaient se résoudre à une telle démarche. Ainsi, la
majorité des personnes qui avaient activé ce processus de désengagement
étaient des éléments des services de sécurité infiltrés dans les groupes armés,
de basse échelle. Mais en organisant l’exécution des responsables du FIS à
partir de l’été 1995, Djamel Zitouni a provoqué un traumatisme dans les
rangs des islamistes, et une hémorragie au sein du GIA. Cette hémorragie
était telle que même les créateurs de ce « zombie » n’en revenaient pas. Des
irréductibles se rendaient aux services de sécurité avec armes et bagages,
tandis que d’autres créaient leur propre groupe. Cela a entraîné une
généralisation de la guerre entre les différentes factions dans les maquis.
C’est dans ce contexte que le général Smaïn Lamari a pris contact avec les
éléments de l’AIS par l’intermédiaire de l’IEFE (Instance Exécutive du Front
islamique à l’Étranger), ce qui aboutira par la suite aux pourparlers directs
avec Madani Mezrag dans les maquis de Jijel. La négociation et l’élaboration
du cadre juridique de la trêve se sont déroulées dans une capitale européenne.
Un accord de principe a été conclu le 23 septembre 1997. L’AIS a ordonné
un arrêt des combats pour le 1er octobre suivant. Abdelaziz Bouteflika,
successeur de Liamine Zeroual, fournira le cadre légal à cette action.
Ainsi, le 20 juillet 1999, la loi dite de la « concorde civile » a été
promulguée. Elle prévoyait dans ses articles une exonération des peines pour
les membres des groupes armés qui déposeront les armes et se rendront aux
autorités, à condition qu’ils n’aient pas commis de crimes de sang et de viols.
Mais même ces derniers ne seront pas poursuivis. Cette procédure devait
prendre fin le 13 janvier 2000.
Abdelaziz Bouteflika a appelé le peuple algérien aux urnes pour qu’il
donne son avis par voie référendaire. Le 16 septembre 1999, il a obtenu un
plébiscite avec 99 % de voix s’exprimant en faveur de la « concorde civile ».
À l’occasion du 1er novembre, la plupart des détenus islamistes, sauf un
nombre réduit d’entre eux déjà condamnés, ont été relâchés. Le comble de
cette histoire est que deux personnes poursuivies pour le même délit avaient
des traitements différents. L’un, arrêté en 1992, devait encore purger une
peine de prison parce qu’il avait été condamné, alors que l’autre, à qui les
mêmes délits étaient reprochés, rentrait chez lui sans être poursuivi. Devant
l’imbroglio juridique suscité par une telle mesure, la présidence a rendu
public, le mardi 11 janvier, un communiqué parlant d’une grâce amnistiante
en faveur des éléments de l’AIS. Mais en réalité, ce sont tous ceux qui ont
décidé de déposer les armes qui bénéficient de cette mesure, sauf les
prisonniers non liés organiquement à cette structure.

L’assassinat d’Abdelkader Hachani

Abdelkader Hachani était le dernier homme politique du FIS en liberté en


Algérie. En l’assassinant, le courant éradicateur a voulu faire échouer
l’engagement de Bouteflika, soutenu par quelques généraux dont Atailia, à
aboutir à un accord politique avec les islamistes du FIS. Pour les partisans de
la guerre sans merci contre le courant islamiste, cette politique était une façon
de légitimer de nouveau le FIS.
Abdelkader Hachani ne se reconnaissait pas dans l’accord signé par
l’armée avec l’AIS et militait ardemment pour un règlement politique du
conflit : « La résolution du phénomène de la violence restera cependant
tributaire d’une ouverture politique réelle qui viendrait ponctuer un traitement
juste et équitable des différents dépassements qui ont eu lieu de part et
d’autre. » Abdelkader Hachani, l’homme le plus surveillé d’Algérie, est
tombé sous les balles assassines du GIA, le 22 novembre 1999, alors qu’il se
trouvait à l’intérieur d’un cabinet dentaire à Alger. L’assassinat a été attribué
à un certain Boulemia, mais au cours de mon séjour à la prison de Serkadji
entre 1999 et 2000, le vieillard natif de la Casbah et ses deux enfants arrêtés
pour complicité dans ce crime politique criaient à qui voulait les entendre
qu’ils étaient innocents. Les trois membres de cette famille, ainsi que
l’assassin présumé, ont subi à l’intérieur de la prison le principe d’« el
djezr », selon lequel nul prisonnier ne peut leur adresser la parole. Hachani
était très estimé par tous les anciens détenus. Selon des informations dignes
de foi, un ancien émir repenti serait à l’origine de sa mort. Ce dernier jouit
aujourd’hui d’un bel et grand appartement à Bab-El-Oued et d’une
autorisation de port d’arme. Cet assassinat a suscité la colère du milieu
islamiste, qui a poussé Abassi Madani à envoyer une lettre à Benhadjer, émir
de Médéa, l’invitant à ne pas baisser les bras, et lui demandant de convaincre
les autres émirs de prendre acte de cet assassinat.
Le prolongement de la guerre, que les éradicateurs croyaient enfin tenir, a
donné, à la surprise générale, quelques jours avant l’expiration du délai pour
le dépôt des armes, un cadre juridico-politique aux accords conclus avec
l’AIS à travers l’annonce du décret de la grâce amnistiante par Bouteflika,
après que ce dernier a menacé certains cercles de se retirer. Cependant ce
décret n’empêchera pas le FIS de se diviser en deux clans, les partisans et les
adversaires de cet accord.
Quant à Abdelkader Hachani, chef de file de l’aile algérianiste du FIS, et
qui avait conduit celui-ci à la victoire lors des législatives de décembre 1992,
il a payé de sa vie son attachement à un règlement politique du conflit :
« Personnellement, je ne crois pas à l’absolution par l’amnistie et il serait très
utile de méditer l’expérience de l’Afrique du Sud dans ce domaine. » Cette
vision était partagée par certains officiers supérieurs de l’armée algérienne
considérés par la presse dite privée comme proches des réconciliateurs. Parmi
ceux-là, il faut citer le général Rachid Benyelles, qui, dans une interview à un
quotidien algérien, déclarait : « Cette crise ne peut trouver son aboutissement
qu’à travers une solution politique passant nécessairement par le dialogue et
la concertation de ceux qui représentent réellement les courants politiques qui
traversent la société. » Mais un tel choix menaçait directement les véritables
détenteurs du pouvoir en Algérie qui ne croyaient en aucun courant politique,
mais dans le pouvoir de l’argent.

Bouteflika ou l’éternel recommencement

Abdelaziz Bouteflika a été coopté président de la République en avril 1999


avec le soutien des Généraux au pouvoir. Jeune ministre de la Jeunesse et des
Sports dans le gouvernement de Ben Bella, puis ministre inamovible des
Affaires étrangères sous Boumediene, Bouteflika a été remercié en 1979 par
Chadli Bendjeddid. Après une traversée du désert de vingt ans, au cours de
laquelle il a été consultant dans les pays du Golfe, il a été approché par le
général Larbi Belkheir pour se porter candidat à l’élection présidentielle. Ce
dernier a obtenu l’adhésion des autres hauts galonnés, dont le général à la
retraite Khaled Nezzar qui l’avait traité précédemment de « canasson sur le
retour », et qui dira plus tard que « c’est Larbi qui a induit l’institution
militaire en erreur ». Le reste n’était qu’une formalité : l’administration est
mise à sa disposition, les médias lourds font son éloge, les comités de soutien
fleurissent à chaque coin de rue, et il obtient l’appui des grandes puissances
occidentales. Il a gagné au terme d’une élection où les six autres candidats se
sont retirés de la course pour dénoncer la fraude qui se préparait. L’illusion
qu’il a suscitée au début de son mandat ne concernait que ceux qui ne
connaissaient pas la réalité du régime algérien. Pour asseoir son autorité, il
s’est entouré de son frère et de fidèles. Un de ses plus forts soutiens était
Noureddine Zerhouni, le ministre de l’Intérieur, ancien patron des services
secrets, présent pour déminer le terrain. Il pouvait compter aussi sur l’appui
du général Larbi Belkheir, servant de tampon entre l’institution militaire et
lui. Chakib Khelil, ministre de l’Énergie, ami du vice-président des États-
Unis, était également un autre membre influent du clan présidentiel.
Au cours de son mandat, il a essayé, à travers le référendum sur la
« concorde civile », de se doter d’une légitimité qu’il n’a pas eue par les
urnes. Il a donné un cadre juridique aux accords conclus par l’armée avec
l’AIS, mais sans faire cesser la violence, car d’autres groupes comme le GIA
ou le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) n’ont pas
déposé les armes. Les fameuses limites posées par les militaires devaient être
absolument respectées : la politique sécuritaire, la gestion du dossier FIS et
celui du Sahara Occidental relevaient du domaine militaire.
Abdelaziz Bouteflika s’est vite retrouvé prisonnier de ses soutiens, et sa
marge de manœuvre s’est trouvée restreinte. La fameuse concorde nationale
qui devait poser les jalons d’une solution politique avec le mouvement
islamiste restera lettre morte, et il sera accusé par les islamistes du FIS de ne
pas tenir ses engagements. Il criera, quant à lui, à qui voudra l’entendre qu’il
n’est pas président à moitié, mais cette affirmation ne changera pas la réalité.
Il essaiera de s’émanciper en cherchant des soutiens à l’étranger (en France et
aux États-Unis), mais cela se traduira par un blocage institutionnel et une
gouvernance à vide. Après une lune de miel de quelques mois au cours de
laquelle il sillonne le monde pour vendre l’image d’une Algérie nouvelle, et
pour lever l’isolement diplomatique pesant sur elle depuis une décennie, il est
rattrapé par la dure réalité. Les élections législatives et communales
organisées sous son premier mandat, au lieu de servir de transition pour
l’établissement d’une véritable démocratie, ont permis au contraire de
reconduire l’ancien sérail politique. Ces élections ont été remportées par
l’ancien parti unique FLN grâce au concours de l’administration, au vote des
corps constitués et à la fraude. Elles ont représenté une véritable régression,
et ont ramené l’Algérie à la situation d’avant octobre 1988 : le Parlement
algérien sert toujours de chambre d’enregistrement ; sur le plan économique,
les réformes restent bloquées, les privatisations d’entreprises publiques non
rentables n’attirent pas grand monde. Les investisseurs étrangers sont
réticents à cause des innombrables difficultés rencontrées (transfert des plus-
values, problèmes fonciers, insécurité, corruption à tous les échelons des
sphères dirigeantes, bureaucratie…). Quant au privé, il reste à l’état
embryonnaire. Rares sont les opérateurs qui s’aventurent dans
l’investissement productif. Les fortunes constituées à l’ombre du parti unique
et sous le parapluie de l’armée sont le plus souvent transférées à l’étranger de
façon illégale. Les autres préfèrent l’importation de produits finis, aidés par
les turpitudes de l’administration. L’absence de secteurs financiers et
bancaires libres, modernes et transparents est également un obstacle pour la
libéralisation de l’économie. La croissance constatée ces dernières années
reste dépendante de la rente pétrolière et de l’agriculture, mais elle est très
aléatoire dans la mesure où ni les prix du pétrole ni la pluviométrie ne sont
décidés par Alger.
Alors que les caisses de l’État sont pleines, le peuple algérien s’enfonce
dans la misère. L’absence de politique sociale, le chômage, le déplacement
des populations provoqué par la seconde guerre d’Algérie, les catastrophes
naturelles, et les inégalités dans la redistribution des richesses, sont à
l’origine de l’augmentation du taux d’analphabétisme, avec un net recul de la
scolarité féminine, surtout dans le milieu rural, comme à l’origine de la
dégradation de la couverture médicale. Ainsi les quelques acquis des
années 1970 (école et médecine gratuites) n’ont pas résisté aux vicissitudes
du temps. La dégradation des conditions de vie (promiscuité et absence
d’hygiène) ainsi que le recul des campagnes de vaccination favorisent la
résurgence de maladies disparues comme la peste, le développement de
maladies hydriques et d’épidémies diverses (typhoïde, diphtérie,
conjonctivites virales…).
En dehors de la persistance de la violence terroriste, le premier mandat de
Bouteflika a été marqué par la réduction des libertés acquises au prix fort en
octobre 1988, par la quasi-disparition de toute opposition politique avec
interdiction des manifestations politiques, par l’atteinte à la liberté de la
presse avec une presse publique aux ordres et vecteur de la propagande
officielle, par la multiplication des affaires à scandales et surtout par
l’absence de projet politique clair.
Toutes ces frustrations sont à l’origine de la succession de mouvements de
révolte à travers l’ensemble du territoire national. Plusieurs wilayas, au cours
du premier mandat, ont été touchées par la révolte citoyenne, où des
Algériens ont osé défier encore une fois les balles assassines des décideurs,
pour clamer haut et fort leur dégoût face au mépris affiché envers eux, et pour
s’opposer à l’instauration d’un nouveau système d’indigénat dans l’Algérie
indépendante.

La révolte kabyle
La Kabylie à l’histoire millénaire a toujours été une région revendicatrice
mais pacifique. La notion de tolérance n’est pas un vain mot et la
participation citoyenne est ancestrale. À l’aube de la révolution algérienne,
elle est le bastion d’où partira la voix de l’indépendance. Elle a engendré des
figures emblématiques qui ont marqué de leur sceau l’histoire de l’Algérie.
Après l’indépendance, elle deviendra une sorte de porte-parole de tous les
Algériens, exprimant leurs positions, à commencer par le refus de
l’hégémonie du parti unique. Au fil des années, elle est devenue un lieu de
combat pour la démocratie. Elle a le privilège d’être la seule à s’être élevée
contre Boumediene sous le regard passif d’une opinion internationale qui
était figée dans la vision Est-Ouest. L’année 1980 a marqué à jamais cette
région : répression féroce pratiquée à son encontre par l’État algérien,
désinformation et propagande qui l’ont présentée comme une région
scissionniste et traîtresse. Après avoir fait son deuil et laissé cicatriser ses
plaies, elle a décidé de commémorer chaque année cet événement, appelé par
les fils du Djurdjura le « printemps berbère ». Ce symbole interpelle tous les
Kabyles et revendique la reconnaissance de leur identité et d’une partie
de l’histoire de l’Algérie. Hélas, tout ce qui est légitime est susceptible de
manipulation et engendre la convoitise et l’opportunisme.
Le 18 avril 2001, à l’avant-veille de la célébration du « printemps
berbère », comme à l’accoutumée depuis une vingtaine d’années, c’est le
drame. Dans le cadre d’une arrestation banale suite à une simple
confrontation entre les jeunes et les forces de l’ordre, Massinissa Guermah,
un jeune lycéen, a été conduit au poste de gendarmerie de Beni Douala.
Après avoir subi l’humiliation, ce dernier a reçu une rafale de Kalachnikov de
la part d’un gendarme. L’assassinat de cet innocent a mis le feu aux poudres,
et toute la Kabylie a été ébranlée par un mouvement insurrectionnel
rarissime. Les jeunes se sont organisés et ont lancé un mouvement citoyen
qui les conduira à élaborer une plate-forme revendicatrice connue sous le
nom de « plate-forme d’El-Kseur ». Ces revendications ont vite été
dénoncées par le pouvoir, qui a crié à la manipulation et mis en vigueur sa
fameuse formule de « la main de l’étranger ». Le jeune lycéen tué a été traité,
par le ministre de l’Intérieur lui-même, de « voyou ». Une campagne de
répression s’est abattue sur toute la Kabylie, où le nombre de morts ne cessait
de croître au fil des jours. Malgré cela, le 16 juin 2001, plus d’un million de
Kabyles ont manifesté dans les rues d’Alger sous les cris de « Pouvoir
assassin », demandant la satisfaction de leurs revendications. Le pouvoir a
fait la sourde oreille, avant de jouer comme à l’accoutumée sur la division des
rangs. Mais le mouvement citoyen appuyé par les deux grands partis de la
région n’a pas faibli et a fait subir à l’État un échec sans précédent lors des
législatives du 30 mai 2002.
Le mouvement pacifique a été mis à mal devant la machine infernale du
pouvoir autoritaire. Faute de stratégie et surtout étant devenu une carte entre
les mains de certains manipulateurs qui essayaient de reprendre leur souffle
grâce au sang des Kabyles pour assouvir les désirs politiques de leurs
seigneurs, le mouvement s’est retrouvé dans l’impasse. L’absence
d’ouverture vers les autres parties de la société civile, comme les associations
féminines et les syndicats, ne l’aidera pas à s’étendre vers les autres régions
du pays. La notion d’horizontalité et l’absence d’organisation dans des
formes modernes ont autorisé la naissance de leaders autoproclamés ou
nommés par des officines parallèles (les fameux délégués Taïwan) dont
certains seront manipulés. L’absence de hiérarchisation des priorités et la
rigidité structurale feront le reste. Le mouvement finira par connaître un recul
dans la mobilisation d’une population lassée par la dégradation de la situation
économique et par le manque de perspectives. Les leaders seront arrêtés et
traduits en justice, puis libérés par le nouveau Premier ministre Ahmed
Ouyahia à quelques mois des élections présidentielles avec une nouvelle offre
de dialogue.
Depuis le début de l’insurrection, la Kabylie a enterré plus d’une centaine
de ses enfants sans pour autant qu’une commission d’enquête digne de ce
nom n’établisse réellement les responsabilités. La commission Issad s’est
arrêtée à l’entrée du manoir. L’assassin du jeune Massinissa a été condamné
par un tribunal militaire à une peine habituellement réservée à un vol à
l’étalage. Mais la Kabylie restera toujours une poudrière, tant que le mépris,
l’impunité des corps de sécurité, les passe-droits, la corruption, le chômage,
et surtout l’absence de liberté et de démocratie persisteront.

La guerre au sommet – Acte I

Quelques mois avant les élections présidentielles, une guerre féroce a


opposé le président et son clan à ses anciens parrains. Bouteflika, candidat du
« consensus » selon certains, « candidat le moins mauvais » selon d’autres
(comme le général major Lamari, ancien chef d’état-major), ne faisait plus
l’unanimité au sein des hautes sphères du pouvoir. Comme nous l’avons vu
précédemment, dès son élection, Bouteflika a essayé de s’émanciper de ses
parrains, les hauts galonnés de l’armée, mais dans un pays où le pouvoir civil
n’est qu’une vitrine, ce n’est pas une mince affaire, surtout lorsque les
élections qui vous portent au sommet sont entachées de faux jusqu’à la
caricature. Bouteflika, élevé à la culture du parti unique, à la mystification du
« guide » dans le sillage du colonel Boumediene, est en décalage avec la
réalité d’aujourd’hui. Les quatre années de son premier mandat en
témoignent. Elles sont matérialisées par un recul des libertés fondamentales,
individuelles et collectives, par la paupérisation de la société et les
atermoiements politiques. Ainsi les réformes de l’enseignement, de la justice
et de la fonction publique sont restées au milieu du gué.
Mais la fronde anti-Bouteflika – et voilà bien le problème – n’était pas
menée par une opposition démocratique structurée s’appuyant sur une société
civile dynamique et véhiculant des messages d’égalité, de liberté et de
tolérance. Elle était menée par des anciens apparatchiks du parti unique,
aiguillonnés en sous-main par des fossoyeurs adeptes de la terre brûlée. Ce
qui était suggéré, proposé, demandé, puis imposé au peuple algérien n’était
pas le choix entre Bouteflika et une opposition authentiquement
démocratique, mais entre Bouteflika et Ali Benflis, son ancien Premier
ministre. En effet, Benflis représente le type même de l’apparatchik de
service. C’est un vieux militant du FLN, avocat de formation ; en connivence
de longue date avec Bouteflika, il aurait même soutenu quelques années
auparavant la réintégration de ce dernier au sein du comité central du FLN
dont il avait été exclu sous Chadli Bendjeddid avant d’être poursuivi par la
Cour des Comptes de l’État. Ali Benflis était son directeur de campagne lors
des élections de 1999, puis son chef de cabinet et enfin son chef de
gouvernement. En janvier 2003, il a été reçu à Paris en possible successeur de
Bouteflika. Le 19 mars 2003, Benflis a été reconduit à la tête du FLN pour
une durée de cinq ans avec d’importantes prérogatives. Le 5 mai 2003, il a
été limogé non pas pour divergences de vue sur la conduite politique, mais
parce que lui-même avait voulu s’émanciper de son mentor.
Une tragi-comédie est offerte quotidiennement au peuple algérien, où les
courtisans d’hier sont devenus les pires opposants d’aujourd’hui. Une lutte
cynique pour le pouvoir, caractérisée par la calomnie, le mensonge, les
insultes, les coups tordus, les agressions verbales et physiques, a opposé deux
personnes qui partagent les mêmes valeurs. Benflis était soutenu dans sa
démarche par la majeure partie des instances dirigeantes du FLN de 2003.
L’autre partie avait déjà senti le vent tourner et avait rejoint le camp des
redresseurs, avec à leur tête Belkhadem, ministre des Affaires étrangères au
moment des élections, nommé récemment chef du gouvernement. Cette lutte
de clans sur fond de régionalisme et de tribalisme a fait les choux gras de la
presse algérienne. Une partie de la presse dite privée, hostile à Bouteflika
pour ses positions soi-disant conciliatrices envers les islamistes du FIS, a pris
fait et cause pour son ancien Premier ministre.
Mais il ne faut pas être dupe, la presse publique et les médias audiovisuels
algériens ne sont pas libres. Ils sont contrôlés par des groupes d’intérêt privés
dont le premier souci n’est pas le salut de l’Algérie, et sont infiltrés par des
éléments des services secrets. C’est une presse partisane qui répercute des
messages distillés ailleurs. Malheureusement, l’ébauche de presse privée,
libre, née à la suite des événements tragiques d’octobre 1998, s’est diluée
dans le torrent de violence et de sang qui s’est abattu sur l’Algérie lors de la
« décennie rouge ». La guerre qui a opposé Bouteflika et Benflis était une
guerre entre un homme et son miroir, entre deux prédicateurs d’un même
système. L’implication de Khaled Nezzar dans cette campagne par la
publication du pamphlet « Bouteflika, l’homme et son bilan » est la meilleure
preuve de l’hypocrisie de nos dirigeants. Dans ce pamphlet, il reproche à
Bouteflika tous les maux de la terre : il le rend responsable d’un regain de
violence (alors que les statistiques des services de sécurité contredisent cette
affirmation) ainsi que de l’affaire de Khalifa et du gouffre de cent milliards
de dinars laissé derrière lui. Il explique que Bouteflika ne pouvait qu’être au
courant puisque son frère Abdelghani faisait partie de l’équipe dirigeante. La
réalité est que Khalifa, fils d’un ancien du MALG, a soudoyé de nombreuses
personnes dans les hautes sphères du pouvoir, dans les médias, et dans les
milieux artistique et sportif. L’ascension vertigineuse de cet unicellulaire est
antérieure à l’arrivée de Bouteflika. C’est une création du système pour le
système. Sa chute dans un pays qui se respecte aurait dû emporter dans son
sillage des dizaines de hauts responsables coupables d’avoir permis cela par
lâcheté, par avidité. Mais ce n’est pas ainsi en Algérie ! Bouteflika est aussi
accusé de corruption. Il lui est aussi reproché d’avoir acquis un ranch à
Dubai, et à son frère Saïd d’avoir acheté un appartement luxueux à Paris.
Face à des accusations très graves portées par un des généraux décideurs à
l’encontre du président, un juge devrait se saisir du dossier, comme dans
n’importe quel pays du monde où les gouverneurs sont élus d’une manière
démocratique. Mais la quête de vérité en Algérie reste du domaine de l’irréel.
Cela n’aurait de sens que dans une Algérie démocratique, avec un Parlement
représentatif et une justice indépendante. Et pour cela, il faudrait aussi
réactualiser toutes les commissions d’enquête enterrées sous l’autel de la
raison d’État par les pouvoirs successifs, à l’arrivée de Bouteflika : celles
concernant les événements d’octobre 1988, l’assassinat de Boudiaf, les
disparus, les massacres collectifs, la révolte citoyenne en Kabylie, le coup
d’État de 1992…
En réalité, Nezzar ne défend pas la République. Le coup d’État de 1992
n’était pas un sauvetage de la République mais la pérennisation d’un système.
La victime n’était pas l’islamisme politique mais le peuple algérien. Les
islamistes dissidents du FIS étaient au gouvernement de Ghozali, alors que
Nezzar était ministre de la Défense. Ils l’étaient sous Zeroual (Hamas,
Nahda) et le sont toujours sous Bouteflika. Ce dernier est imprévisible et cela
fait peur à Nezzar et à ceux qu’il représente : peur d’être lâchés et surtout
peur de revivre la même expérience qu’en avril 2001 et de ne pas pouvoir fuir
par un avion affrété par le pouvoir ; peur de devoir rendre des comptes sur le
traumatisme subi par le peuple algérien ; peur des ONG et du Tribunal Pénal
International (TPI).

La guerre des clans – Acte II

En 2004, Bouteflika a été réélu dès le premier tour avec 83,49 % des
suffrages exprimés, d’après les chiffres officiels. La réaction de ses
adversaires ne s’est pas fait attendre : ils ont parlé de manipulation. Ouyahia,
un Premier ministre déjà accusé sous l’ère de Zeroual d’être un spécialiste du
bourrage des urnes, est le premier à être montré du doigt. En 1997, quelques
mois après sa création, le RND avait remporté les élections contre toute
attente. Ouyahia est aujourd’hui le secrétaire général de ce parti. Toute la
classe politique à l’époque était unanime pour dénoncer la plus grande
manipulation électorale de l’Algérie indépendante. En mai 2006, Ouyahia est
évincé de son poste de Premier ministre. Il est remplacé par Belkhadem,
secrétaire général du FLN. Le FLN a exercé tout son poids en tant que parti
majoritaire à l’Assemblée auprès de Bouteflika, afin qu’il effectue ce
changement. Rappelons que Bouteflika est le président d’honneur du Front de
libération. Le FLN reproche, entre autres, à Ouyahia le risque de
manipulation des élections de 2007 au profit du RND. Pour certains
observateurs, l’éviction d’Ouyahia n’est qu’une suite logique dans le
processus engagé par Bouteflika pour s’émanciper de la muette. Ouyahia est
considéré comme un commis d’État très proche du patron des services de
sécurité, le général major Toufik. Ils font partie du clan très restreint des
Kabyles d’Alger.
Le RND affiche son hostilité à la révision de la Constitution, car si elle a
lieu, elle permettra peut-être à Bouteflika de postuler pour un mandat à vie.
Le FLN propose, entre autres, dans cette révision de Constitution, une
suppression de la limitation du nombre de mandats présidentiels et un modèle
présidentiel total où le Premier ministre reçoit ses pouvoirs exclusivement du
président. Ainsi l’Assemblée n’aura plus le droit de censure, et l’on assistera
au retour à la situation d’avant octobre 1988. Pour le FLN, la révision
constitutionnelle mettrait fin au pouvoir de l’ombre. Et l’opposition
d’Ouyahia s’explique par la déclaration du général major Lamari, le
14 janvier 2004, lors d’une rencontre informelle avec les journalistes : il avait
déclaré ce jour-là que toute personne investie de prérogatives de président de
la République comptant toucher à l’ordre républicain, remettre en cause le
pluralisme politique, tenter un réaménagement constitutionnel sur mesure, ou
mépriser la société et le peuple, trouverait l’armée devant elle.
Vu l’hostilité affichée par Lamari envers Bouteflika, celui-ci a décidé, par
décret présidentiel, de le faire remplacer à la tête de l’état-major par le
général Gaïd Salah, chef des forces terrestres. Pour les uns, Lamari est
démissionnaire à cause de la mollesse de ses autres collègues devant
Bouteflika, et, pour d’autres, il a été écarté par ce dernier, il a payé son
arrogance d’avant les élections. Une petite revanche pour celui à qui, en
1979, la route d’El-Mouradia a été barrée par ceux qui ont finalement fait
appel à lui en 1999. La plupart des spécialistes de la question algérienne ont
qualifié la nomination de Gaïd Salah de solution provisoire. Bouteflika sait
qu’une telle nomination va accélérer les revendications internes des jeunes
officiers partisans de la professionnalisation de la grande muette : elle
mettrait en exercice des officiers qui ont envie de s’émanciper de la tutelle
des deux clans qui s’entredéchirent depuis 1962. On pourrait voir dans ce
mouvement la naissance d’un troisième clan, qui risquerait de provoquer un
déséquilibre interne dans l’armée algérienne et surtout la remise en question
de la légitimité des anciens. Plusieurs nominations de nouveaux éléments ont
eu lieu en 2005 : Malek Nessib a été nommé commandant des forces navales,
Malti Abdelghani nouveau patron de l’Académie militaire de Cherchel (qui
forme tous les futurs officiers), Laychi Ghrid commandant de la garde
républicaine, et Ali Benali commandant de la 5e région militaire.
Pour asseoir son pouvoir et son indépendance vis-à-vis du cabinet noir,
Bouteflika s’est offert un chèque en blanc en faisant adopter son projet de
réconciliation nationale au suffrage universel. Celui-ci a été adopté à 97 %, le
29 septembre 2005. En fin calculateur, Bouteflika a négocié son contenu avec
les militaires, avec entre autres l’immunité des responsables de la tragédie
algérienne, l’interdiction de ceux qui oseront remettre en cause la version
officielle de la tragédie, et surtout le fait que soient des laissés-pour-compte
les milliers de déportés des camps de concentration, ainsi que les centaines de
milliers de personnes déférées devant les tribunaux pour terrorisme : celles
qui ont subi les pires cauchemars dans les geôles des services de sécurité et
qui ont été innocentées par la justice algérienne pour manque de charges.
La théorie d’un accord entre El-Mouradia et Tagarrins ne peut qu’être
renforcée : en témoignent les démarches entamées pour le remboursement
anticipé de la dette extérieure auprès des Clubs de Paris et de Londres (que
certains économistes considèrent comme une démarche populiste, alors que
d’autres la considèrent comme une bonne chose à partir du moment où, en
Algérie, il n’y a plus de développement à long terme), ainsi que la
reconversion qui a été acceptée par les Russes pour changer la dette militaire
en contrat d’achat de matériel pour le renouvellement de l’arsenal militaire
algérien.
Bouteflika semble réunir toutes les conditions pour exercer un autre
mandat, sauf imprévu quelconque, se rapportant par exemple à son état de
santé. En décembre 2005, il a laissé perplexes plus d’un spécialiste en
médecine. Entre le communiqué officiel de la présidence et l’avis des
spécialistes sur son état de santé, les rumeurs les plus folles ont tenu tout le
peuple en haleine durant plus d’un mois. Cela explique peut-être cette légère
passivité des militaires à son encontre. La disparition de Bouteflika risquerait
de faire resurgir certains vieux démons. D’après le Maghreb Confidentiel du
20 avril 2005, la DRS travaille sur une possible succession de Bouteflika.
Parmi les postulants éventuels de l’aile politique de l’armée, figure Ouyahia.
Rappelons que seul le général major Toufik a réussi à rendre visite à
Bouteflika lors de son hospitalisation à Paris. La délégation de pouvoirs sur
l’administration et sur tous les corps armés, faite par décret au général major
Guenaizia, ministre délégué auprès du ministre de la Défense en juin 2005,
n’est pas un simple hasard dû à l’ordre du jour du président. Cela donne une
idée de toute l’agitation qui secoue les hommes politiques algériens. Même
les Américains sont de la partie. Pas moins de trois très hauts responsables
ont visité l’Algérie en quelques mois, dont Rumsfeld en février 2006 et très
récemment la conseillère personnelle à la sécurité du président Bush.
L’Algérie est devenue un partenaire privilégié des États-Unis. Depuis la
révision de leur position vis-à-vis des Généraux en 1996, les Américains se
sont emparés de la quasi-totalité du sous-sol du désert algérien (pour se
déplacer dans certains endroits, dans le sud de leur propre pays, les Algériens
doivent se munir d’un laissez-passer). Cette coopération s’est accentuée
depuis 2001, même dans le domaine de la sécurité. Lors de sa visite en
Algérie, le chef du FBI s’est félicité du niveau de la coopération des
Algériens dans la lutte antiterroriste. Ce n’est pas étonnant si, aujourd’hui,
l’Algérie est citée parmi les pays qui ont fait transiter les fameux vols de la
CIA par leur territoire. Pour les Américains, l’instabilité d’un très bon
partenaire en hydrocarbures et en sécurité risque de lui faire réviser ses
stratégies. Et l’arrivée d’une aile islamo-conservatrice au pouvoir risquerait
de lui poser des problèmes. Le déplacement des hauts responsables
américains voudrait dire que les États-Unis se sont mis sérieusement de la
partie.
CONCLUSION
En m’attelant à relater cette période de notre histoire, j’ai essayé avec
modestie de faire resurgir une partie du « non-dit », nécessaire dans la
compréhension des faits et surtout indispensable pour saisir le sens de la suite
des événements.
Si pour les premiers chapitres de ce livre, la plupart des faits étaient connus
depuis bien longtemps, les rapporter présentait un intérêt multiple : témoigner
pour la mémoire de toutes ces personnes sacrifiées sur l’autel de la lutte pour
le pouvoir, établir une appréciation pédagogique de la nature réelle de ce
pouvoir et des mécanismes autour desquels il s’articule, suivre de manière
linéaire cette méthode de gouvernance et les répercussions néfastes ayant
abouti à cette tragédie.
Car en tant que jeune issu de cette génération de l’indépendance, j’ai jugé
essentiel de comprendre comment une révolution aussi prestigieuse que la
nôtre a pu engendrer, quelques décennies plus tard, des monstres qui ont fait
payer à notre peuple un tribut en vies humaines digne d’une guerre coloniale.
Ce traumatisme causé au peuple algérien nécessite une psychothérapie qui
ne peut se faire qu’en revisitant l’histoire. La réalité d’aujourd’hui est dans
les détails de la mort d’Abane Ramdane et de tous les événements qui se sont
succédé depuis l’indépendance, depuis le coup d’État fait au GPRA jusqu’au
retour du « moins mauvais des candidats ». C’est dans tous ces événements
qui défilent à travers le temps et dans l’invraisemblable toile de sang qui les
tapisse que l’on peut trouver l’explication de la tragédie de cette dernière
décennie.
Même si certains répliquent comme à l’accoutumée par la calomnie ou la
diffamation en utilisant leurs meilleurs valets pour dénoncer la mauvaise foi
manifestée dans l’interprétation des événements, la réalité est là. L’Algérie
est un pays riche et vierge gouverné par des despotes qui l’ont mené à la
ruine. Le dernier tremblement de terre ayant touché Boumerdés et Alger nous
renseigne sur l’ampleur de la déliquescence de l’État, la bureaucratie et
l’ineptie des services administratifs, sur la corruption qui a fini par toucher
des pans entiers de la société, sur les passe-droits dans l’octroi des marchés,
sur la perte de repères et la course effrénée vers l’argent, qui, s’ils
persistaient, viendraient à bout du courage et de la solidarité de nos
concitoyens. Mais le ver est dans le fruit et ce régime en est le symbole.
Comment peut-on expliquer, un jour, aux générations futures cette partie
de l’histoire ? Pour la mort de trois mille personnes, les États-Unis ont exigé
des nations du monde entier qu’elles prennent leurs responsabilités devant le
phénomène du terrorisme. Alors, que devrait exiger le peuple algérien face à
l’assassinat de deux cent mille citoyens, la disparition de dix mille autres et
l’exil de cinq cent mille de ses meilleurs fils, sans oublier les victimes
d’octobre 1988, du printemps noir, des événements de 1980, de la répression
des années 1970, et les milliers de morts suite au conflit ayant opposé l’armée
des frontières aux maquisards de l’Armée de Libération Nationale ?
Que devrait exiger cet Algérien qui dans sa vie de tous les jours ne sait où
se mettre, et peut dans le meilleur des cas s’exiler pour connaître la
clandestinité, soumis à l’humiliation quotidienne de toutes les polices du
monde, alors que nos décideurs se comportent en vedettes dans les capitales
occidentales, et que leur progéniture fréquente les meilleures écoles du
monde, par la grâce du pétrole, richesse de tout le peuple algérien ? Le salut
de l’Algérie n’est pas dans ses gouverneurs. Il est dans la réconciliation des
Algériens entre eux et dans l’utilisation de toutes les voies pour mettre un
terme au terrorisme. Il ne peut exister de seuil de tolérance permettant un
certain équilibre, équilibre néfaste, volontairement entretenu, destructeur, car
n’avançant pas. Il est dans l’instauration d’une véritable démocratie, avec,
pour cela, un Parlement représentatif, librement élu et qui élabore une
Constitution adaptée au nouveau millénaire. Et dans ce sens, le champ
politique doit être libéré des entraves qui pèsent sur lui, à commencer par la
levée de l’état d’urgence et la liberté de manifester. Il faut une justice
indépendante qui ne soit pas soumise aux désirs du chef, il faut que la
présomption d’innocence soit respectée, que les droits des prévenus soient
respectés, que la détention provisoire soit limitée, que les prisons ne soient
plus bondées, que les syndicats de magistrats ne soient pas manipulés.
L’Algérie mérite pour le sacrifice de ses enfants une presse libre, non
inféodée, non manipulée par les services secrets, plurielle, et dynamique. Les
médias lourds (télévision et radio) doivent être libérés et ouverts à l’initiative
privée. La seule chose qui soit exigée d’eux est le respect d’un code de
déontologie sous une autorité régulatrice indépendante, pour qu’il ne tombe
pas entre les griffes de fossoyeurs et pyromanes de toutes sortes. Les libertés
fondamentales, individuelles et collectives doivent être respectées, et la
torture abolie. L’armée doit se désengager de la politique et assumer ses
missions constitutionnelles. La pluralité de l’Algérie doit être affirmée, et sa
triple identité (islamité, berbérité et arabité) respectée. Le tamazight doit être
officialisé et les moyens nécessaires déployés. Les droits des femmes doivent
être respectés. Il faut exiger une réforme de l’enseignement adaptée à la
réalité d’aujourd’hui : un enseignement libéré des contraintes idéologiques,
axé sur les sciences et les technologies, ouvert sur le monde, vecteur de
tolérance. Il ne faut pas dilapider nos acquis, à commencer par la langue
française. L’Algérie doit être soignée de son mal le plus profond, la
corruption, en restaurant les valeurs perdues sur l’autel des différents
pouvoirs. Pour exiger des divers services, censés lutter contre ce fléau, qu’ils
soient incorruptibles, des moyens humains doivent leur être octroyés et les
salaires valorisés. Les coupables doivent être sévèrement châtiés. De grâce
surtout, pas de retour à l’hégémonie d’avant octobre 1988, et laissez le peuple
vivre en paix. Sachez que l’histoire, quant à elle, est déjà écrite malgré vous,
votre argent et vos valets.
ANNEXES
CHRONOLOGIE

1er novembre 1954 : déclenchement de la révolution algérienne pour


l’indépendance.
27 décembre 1957 : Abane Ramdane est assassiné par les éléments du
MALG au Maroc.
3 juillet 1962 : les Algériens votent pour l’indépendance de l’Algérie, et le
GPRA s’installe à Alger.
5 juillet 1962 : l’Algérie accède à l’indépendance.
27 juillet 1962 : l’armée des frontières, menée par Boumediene, déclare la
guerre au GPRA. Des milliers de moudjahidins trouveront la mort au
cours de ces affrontements.
20 septembre 1962 : l’armée des frontières gagne la guerre et prend le
pouvoir.
15 septembre 1963 : Ben Bella devient le premier président de l’Algérie.
19 juin 1965 : coup d’État de Boumediene, qui devient président de la
République.
3 janvier 1967 : Khider Mohamed, un des personnages historiques de la
révolution, est assassiné par la SM à Madrid.
20 octobre 1970 : Krim Belkacem, le principal négociateur des accords
d’Évian, est assassiné par la SM en Allemagne.
21 février 1971 : nationalisation des hydrocarbures.
10 décembre 1976 : Boumediene est réélu président de la République.
27 décembre 1978 : Boumediene succombe à une longue maladie.
Février 1979 : Chadli Bendjeddid devient président de la République,
après avoir été choisi par les dignitaires militaires un mois plus tôt pour
succéder à Boumediene.
Avril 1980 : soulèvement de la Kabylie pour la reconnaissance de
l’identité amazigh, appelée par ses initiateurs le « printemps berbère ».
17 novembre 1982 : début de la première insurrection islamiste armée en
Algérie, appelée « affaire Bouyali » du nom de son initiateur.
23 avril 1985 : première révolte d’ordre social à Alger ; elle dure quatre
jours.
8 novembre 1986 : révolte citoyenne à l’Est de l’Algérie.
7 avril 1987 : assassinat d’Ali Mecili par la SM algérienne à Paris.
5 octobre 1988 : révolte populaire sur tout le territoire national qui sera
réprimée dans le sang par Nezzar et son armée. Bilan : plus de cinq cents
morts et des milliers de citoyens blessés et torturés. La plus jeune
victime était âgée de six ans.
23 février 1989 : adoption de la nouvelle Constitution.
10 mars 1989 : annonce de la création du Front Islamique du Salut.
Juillet 1989 : le général Nezzar est promu chef d’état-major à la place du
général Belhouchet.
Septembre 1989 : le général Zeroual quitte l’armée suite à un différend
avec le général Nezzar.
12 juin 1990 : le FIS rafle plus de huit cents communes avec plus de
quatre millions d’électeurs aux premières élections pluralistes en
Algérie.
25 juin 1990 : Nezzar est nommé ministre de la Défense.
Décembre 1990 : Nezzar élabore avec ses conseillers un plan politique
pour l’armée.
25 mai 1991 : début de la grève générale et illimitée du FIS.
Nuit du 2 au 3 juin 1991 : Mouloud Hamrouche est démis de ses
fonctions de chef du gouvernement, et les forces de l’ordre font usage
d’armes à feu contre les militants du FIS pour réinvestir les places
publiques occupées par ces derniers.
5 juin 1991 : Sid Ahmed Ghozali est nommé Premier ministre.
29 juin 1991 : Ali Benhadj, le numéro deux du FIS, est arrêté.
30 juin 1991 : Abassi Madani, président du FIS, est arrêté à son tour.
25 et 26 juillet 1991 : le FIS tient un congrès à Batna et désigne
Abdelkader Hachani président du bureau provisoire.
13 octobre 1991 : l’Assemblée adopte un nouveau découpage et une
nouvelle loi électorale.
29 novembre 1991 : le poste frontalier de Guemmar est attaqué par un
groupe armé. Nezzar accuse le FIS d’être derrière le coup.
26 décembre 1991 : le FIS remporte largement les élections législatives
avec 188 sièges au premier tour. Le général Larbi Belkheir, ministre de
l’Intérieur, et le chef du gouvernement, Sid Ahmed Ghozali, déclarent
que les élections n’ont pas été entachées d’irrégularités.
27 décembre 1991 : Nezzar constitue un cabinet noir ayant pour finalité
l’arrêt du processus électoral.
2 janvier 1992 : le FFS organise une marche à Alger avec pour slogan « ni
État policier, ni État intégriste » afin d’inciter les abstentionnistes à voter
au deuxième tour.
9 janvier 1992 : le processus du coup d’État est actionné par le général
Nezzar.
11 janvier 1992 : le président Chadli Bendjeddid est forcé à la démission.
14 janvier 1992 : création du Haut Comité d’État composé de cinq
membres : Ali Kafi, Khaled Nezzar, Ali Haroun, Tidjani Haddam et
Mohamed Boudiaf (désigné président).
16 janvier 1992 : Boudiaf rentre en Algérie. Le même jour, la première
réunion pour l’unification des groupes armés se tient sur les monts de
Zbarbar. Y participent Zebda, Sahnouni, Chebouti, Meliani et
Mekhloufi.
22 janvier 1992 : arrestation d’Abdelkader Hachani, le numéro 3 du FIS.
6 février 1992 : une attaque contre une patrouille de police à la Casbah
d’Alger fait six morts. Le fusil-mitrailleur utilisé par le groupe armé
appartient à la caserne de l’amirauté d’Alger.
9 février 1992 : l’état d’urgence est décrété.
13 février 1992 : annonce de la création de sept camps de déportation en
plein désert algérien (Reggane, Aïn Salah, Ouargla, Borj Omar Idriss,
Menea, Oued Namous, et Aïn M’Guel qui ne fermera ses portes qu’en
novembre 1995). Certains de ces camps étaient situés dans des zones où
l’armée française a effectué des essais nucléaires, chimiques et
bactériologiques (Reggane, Aïn M’Guel, Oued Namous).
2 mars 1992 : annonce de la découverte de nouveaux gisements de pétrole
dans le Sud algérien.
4 mars 1992 : dissolution du FIS.
30 mars 1992 : le général Mohamed Lamari est démis de ses fonctions et
mis à la retraite par Boudiaf. Le même jour, Nezzar le récupère et le
nomme conseiller auprès de lui.
Avril 1992 : congrès de tous les émirs des groupes armés à Zbarbar. Il
s’achève par la naissance du MIA. Abdelkader Chebouti est nommé
émir national.
22 avril 1992 : le CCN est créé par le pouvoir pour combler le vide
provoqué par l’absence d’un Parlement élu.
30 mai 1992 : l’Algérie lance une campagne de distribution de permis
d’exploitation dans le Sud.
29 juin 1992 : Boudiaf est assassiné à Annaba au cours d’une visite
officielle.
5 juillet 1992 : Mohamed Lamari, Djennouhat et quelques autres généraux
sont promus au grade de général major.
15 juillet 1992 : Abassi Madani et Ali Benhadj, dirigeants du FIS, sont
condamnés par le tribunal militaire de Blida à douze ans de prison
chacun.
19 juillet 1992 : Belaïd Abdeslam constitue son nouveau gouvernement.
26 août 1992 : attentat meurtrier à l’aéroport d’Alger.
26 septembre 1992 : le général major Mohamed Lamari est nommé à la
tête du CCCALAS.
30 septembre 1992 : promulgation de la loi dite antiterroriste.
30 novembre 1992 : instauration du couvre-feu dans le centre du pays.
30 décembre 1992 : le Français converti Roger Guyon est condamné à
mort par le tribunal d’Alger pour appartenance à un groupe terroriste.
5 janvier 1993 : Layada s’autoproclame commandant des groupes armés.
8 janvier 1993 : visite de Roland Dumas à Alger.
7 février 1993 : reconduction de l’état d’urgence.
13 février 1993 : visite du ministre français des Finances à Alger. La
France attribue cinq milliards de francs de crédits commerciaux à
l’Algérie (au cours de l’année 1993, la France fournira une aide de deux
milliards de dollars à l’Algérie). Dans la même journée, Mohamed
Lamari devient chef d’état-major de l’armée.
18 février 1993 : visite de Belaïd Abdeslam à Paris.
17 mai 1993 : annonce de sept condamnations à mort dans le procès de
l’attentat de l’aéroport d’Alger.
26 mai 1993 : attentat contre l’écrivain et intellectuel Tahar Djaout, qui
décédera le 2 juin. C’est le premier d’une longue série d’attentats
attribués aux islamistes.
10 juin 1993 : arrestation de Layada, l’émir du GIA au Maroc.
16 juin 1993 : visite de Reda Malek en France.
5 juillet 1993 : Smaïn Lamari accède au grade de général.
10 juillet 1993 : Zeroual remplace Nezzar à la tête du ministère de la
Défense.
22 août 1993 : assassinat de l’ancien patron de la SM, Kasdi Merbah,
après son retour d’un voyage à l’étranger où il a rencontré des dirigeants
du FIS en exil. Le même jour, Reda Malek est nommé chef du
gouvernement.
31 août 1993 : exécution des personnes condamnées à mort dans l’attentat
de l’aéroport d’Alger.
Septembre 1993 : naissance du GIA. Au cours du même mois est créée
une commission pour préparer la conférence nationale de réconciliation.
14 septembre 1993 : création de l’instance du FIS à l’étranger.
23 octobre 1993 : enlèvement de trois agents consulaires français.
9 novembre 1993 : début d’une campagne contre les milieux islamistes en
France. Une partie des militants seront extradés au Burkina Faso.
10 décembre 1993 : le général Touati approche six membres fondateurs
du FIS et leur propose de participer à un dialogue avec le pouvoir.
30 janvier 1994 : Zeroual est désigné chef d’État pour trois ans.
22 février 1994 : visite de Michel Camdessus, directeur général du FMI, à
Alger.
10 mars 1994 : évasion de plus de mille deux cents détenus de la prison de
Lambèse. La plupart d’entre eux étaient impliqués dans des actes
terroristes.
19 mars 1994 : après une réunion de trois jours des cadres de l’armée, une
délégation de signature est accordée au général Mohamed Lamari.
26 mars 1994 : le général Betchine, ancien patron de la SM pendant la
période Chadli Bendjeddid, est nommé par Zeroual comme conseiller à
la présidence.
13 avril 1994 : Mokdad Sifi est nommé chef du gouvernement à la place
de Reda Malek. Ce dernier signe avec le Club de Paris, avant son départ,
un accord sur le rééchelonnement de la dette extérieure algérienne qui
entraîne une dévaluation du dinar de 40 %.
Mai 1994 : grand remaniement dans l’armée, touchant presque tous les
chefs de région.
13 mai 1994 : unification des groupes islamistes armés sous la bannière du
GIA.
24 mai 1994 : abolition des dispositions sur l’autonomie des entreprises
interdisant l’introduction des capitaux nationaux privés.
Juin 1994 : création de la première milice armée par le pouvoir.
18 juin 1994 : assassinat de Fathallah, président de la Ligue des Droits de
l’Homme, affiliée au pouvoir.
29 juin 1994 : une bombe explose pendant une marche organisée par le
RCD ; Saïd Saadi, leader de ce parti, accuse la mafia politico-financière.
11 juillet 1994 : la France annonce qu’elle débloque six milliards de francs
de crédits au profit de l’Algérie.
14 juillet 1994 : création de l’AIS.
15 juillet 1994 : le GIA revendique l’enlèvement de deux ambassadeurs
arabes.
27 août 1994 : l’Algérie décide de fermer ses frontières avec le Maroc.
25 septembre 1994 : le chanteur Kabyle Lounès Matoub est enlevé par un
groupe armé. Il sera relâché quelques jours plus tard avec un message
adressé aux Kabyles.
26 septembre 1994 : Cherif Gousmi, l’émir du GIA, est abattu. Quelques
jours plus tard, Djamel Zitouni le remplace.
29 septembre 1994 : « Hasni », le chanteur populaire de Raï, est assassiné
à Oran.
31 octobre 1994 : le général major Mohamed Lamari accède au grade de
général de corps d’armée, et Zeroual annonce des élections
présidentielles avant la fin de l’année 1995.
1er novembre 1994 : une bombe explose au cimetière de Mostaganem à
l’occasion de la fête de l’Indépendance ; cinq jeunes scouts trouvent la
mort.
11 novembre 1994 : le premier reportage réalisé par un journaliste
occidental est diffusé par la BBC. Il révèle les tortures et les exécutions
sommaires commises par les forces de sécurité.
13 novembre 1994 : massacre à la prison de Berrouaghia faisant près de
cinquante morts parmi les détenus. Les cadavres sont jetés dans une
fosse commune aux alentours de la prison.
Décembre 1994 : des experts d’une banque Suisse évaluent les avoirs des
Algériens à l’étranger à plus de trente-cinq milliards de dollars, dont
dix-sept en France.
15 décembre 1994 : un autre accord de rééchelonnement est signé avec les
USA.
24 décembre 1994 : détournement d’un Airbus d’Air France à Alger par
un commando du GIA. Après avoir exécuté trois passagers à l’aéroport
d’Alger, le commando reçoit l’autorisation de décoller. À son escale à
l’aéroport de Marseille, le GIGN intervient, libère les passagers et tue
les quatre pirates de l’air.
13 janvier 1995 : signature de la plate-forme dite « contrat de Rome » par
plusieurs partis de l’opposition dont le FIS, et appelant à une solution
politique de la crise algérienne.
30 janvier 1995 : explosion d’une voiture piégée en plein centre d’Alger.
Bilan : plus de quarante morts et une centaine de blessés.
22 février 1995 : un massacre est commis par les forces spéciales de
l’armée à la fameuse prison de Serkadji à Alger ; on dénombre plus de
cent morts parmi les détenus.
25 février 1995 : promulgation de l’ordonnance 95-02 concernant la loi
dite de la « Rahma » (« miséricorde » en arabe).
Mars 1995 : l’Algérie rééchelonne sa dette avec l’Italie.
22 mars 1995 : fin d’un très grand ratissage à Aïn Defla qui se soldera par
l’élimination de plus de trois cent islamistes.
3 avril 1995 : arrêté annonçant la création de zones d’exclusion dans le
sud de l’Algérie et prenant effet le 1er mai.
3 juin 1995 : Boumaarafi, l’assassin présumé de Boudiaf, est condamné à
mort.
Juillet 1995 : début d’une campagne d’épuration des cadres du FIS
entamée par Djamel Zitouni, émir du GIA.
11 juillet 1995 : assassinat de l’imam Abdelbaki Sahraoui à Paris.
25 juillet 1995 : début d’une série d’attentats à Paris imputés à un
commando du GIA manipulé par la DRS.
20 août 1995 : Zeroual fixe les élections présidentielles au 16 novembre.
Novembre 1995 : annonce de l’exécution de deux dirigeants du FIS,
Redjam et Mohamed Saïd, qui avaient rallié le GIA de Zitouni.
16 novembre 1995 : Zeroual est élu président de la République.
25 décembre 1995 : un contrat d’une valeur de trois milliards et demi de
dollars est signé avec la compagnie pétrolière BP ; c’est le premier d’une
longue série de vingt-quatre contrats de recherche signés avec des
compagnies pétrolières étrangères, dont sept ont abouti à des
découvertes.
30 décembre 1995 : Ahmed Ouyahia remplace Mokdad Sifi au poste de
chef du gouvernement.
17 janvier 1996 : Abdelhamid Mehri est destitué de son poste de
secrétaire général du FLN.
18 février 1996 : levée du couvre-feu instauré dans la région Centre de
l’Algérie.
27 mars 1996 : enlèvement des sept moines trappistes de Tibhirine.
Avril 1996 : une centaine d’officiers, dont sept généraux, ont été mis à la
retraite par Zeroual. Parmi eux, figurent les généraux Nezzar et
Belkheir.
23 mai 1996 : annonce de l’exécution des moines trappistes.
4 juin 1996 : le général Saïdi Fodhil, chef de la 4e région militaire et
ancien patron de la DCSA, trouve la mort – selon la version de l’armée –
dans un accident de la route.
5 juin 1996 : sept généraux considérés comme très proches de Nezzar sont
mis à leur tour à la retraite. Parmi eux, figure le général Touati.
1er août 1996 : assassinat de l’évêque d’Oran suite à l’explosion d’une
bombe à l’intérieur de l’évêché.
14 octobre 1996 : Zeroual fixe la date du référendum sur la Constitution.
1er novembre 1996 : inauguration du gazoduc Maghreb-Europe.
28 novembre 1996 : adoption de la nouvelle Constitution.
3 décembre 1996 : l’attentat de la station de RER Port-Royal à Paris, qui a
fait quatre morts, est imputé au GIA.
23 décembre 1996 : suspension de deux titres de presse, La Nation et El
Houriya, connus pour leurs prises de position sur la crise algérienne.
Janvier 1997 : le pouvoir fixe de nouvelles échéances électorales au 5
juin.
4 janvier 1997 : le CNT adopte une loi légalisant la création des milices.
29 janvier 1997 : assassinat d’Abdelhak Benhamouda, patron de l’UGTA,
organisation syndicale, à quelques jours de l’annonce officielle de la
naissance du RND.
Février 1997 : création du RND.
5 juin 1997 : le RND fait main basse sur le Parlement avec cent cinquante-
cinq sièges lors des élections législatives. La plupart des partis politiques
crient au scandale pour fraude à grande échelle.
7 juillet 1997 : Abdelkader Hachani est libéré suite à sa condamnation le
jour même à une peine déjà purgée.
28 août 1997 : massacre de Raïs commis par des terroristes faisant plus de
deux cent cinquante morts.
5 septembre 1997 : massacre de Beni Messous. Plus de cent cinquante
morts.
23 septembre 1997 : massacre de Bentalha. Bilan : quatre cent cinquante
civils assassinés.
30 septembre 1997 : Marry Robinson déclare qu’elle est préoccupée par la
détérioration de la situation en Algérie.
1er octobre 1997 : entrée en vigueur de la trêve unilatérale annoncée par
l’Armée Islamique du Salut une semaine auparavant.
14 octobre 1997 : Amnesty International, la Ligue Internationale des
Droits de l’Homme, Human Rights Watch et Reporters Sans Frontières
demandent une commission d’enquête internationale sur les massacres
en Algérie.
23 octobre 1997 : le RND obtient 60 % des sièges lors des élections
locales, où la fraude fut généralisée.
31 décembre 1997 : cinq hameaux sont attaqués au même moment dans la
wilaya de Relizane par des terroristes ; cinq cent vingt-neuf citoyens
assassinés.
Janvier 1998 : le département américain se prononce pour une
commission d’enquête internationale.
11 janvier 1998 : massacre dans le village de Sidi Hamed ; plus de cent
cinquante morts, dont une centaine furent brûlés vifs par les terroristes.
19 janvier 1998 : visite d’une délégation de la Troïka européenne en
Algérie.
8 février 1998 : visite d’une délégation parlementaire européenne à Alger.
Juin 1998 : assassinat du chanteur kabyle Lounès Matoub.
22 juillet 1998 : visite d’un panel onusien à Alger.
20 août 1998 : dans un discours à la nation prononcé à l’occasion de la
journée du moudjahid, Zeroual évoque un malaise au sein des instances
de l’État.
11 septembre 1998 : Zeroual annonce l’organisation d’une élection
présidentielle anticipée.
Octobre 1998 : le général Betchine démissionne de son poste suite à une
campagne de presse l’impliquant dans plusieurs affaires.
19 décembre 1998 : Smaïl Hamdani est nommé chef du gouvernement à
la place d’Ahmed Ouyahia.
Janvier 1999 : certains décideurs s’opposent à la venue de Bouteflika. Le
pouvoir réel fait reculer la date des élections présidentielles au mois
d’avril.
14 avril 1999 : les six candidats en lice pour l’élection présidentielle face à
Bouteflika se retirent, dénonçant le parti pris des décideurs en faveur de
ce dernier et la préparation d’une fraude généralisée.
15 avril 1999 : Abdelaziz Bouteflika est élu président sans aucune
surprise. Des partis politiques laïcs tel le RCD, et islamistes tel le MSP,
lui apportent leur soutien.
20 juillet 1999 : la loi sur la concorde civile est promulguée.
16 septembre 1999 : lors du référendum populaire organisé par le pouvoir,
99 % des votants ont dit « oui » à la concorde civile.
1er novembre 1999 : la plupart des détenus islamistes condamnés à de
petites peines de prison sont relâchés.
22 novembre 1999 : Abdelkader Hachani, le numéro 3 du FIS, est
assassiné dans un cabinet dentaire en plein centre d’Alger.
11 janvier 2000 : la présidence rend public un communiqué parlant de
grâce amnistiante en faveur des éléments de l’AIS, et ce, deux jours
seulement avant l’expiration de l’ultimatum donné à ces derniers pour
déposer les armes.
29 mars 2000 : le pouvoir autorise quatre ONG à se rendre à Alger.
26 août 2000 : Benflis remplace Benbitour à la tête du gouvernement.
Septembre 2000 : le général Belkheir est nommé conseiller à la
présidence.
18 avril 2001 : le jeune lycéen Guermah Massinissa est assassiné dans les
locaux de la gendarmerie de Béni Douala ; cet acte sera le début d’une
révolte populaire en Kabylie.
25 avril 2001 : trois plaignants (Lyes Laribi, Boukezouha et Si Mozrag)
déposent une plainte pour torture contre le général Nezzar auprès du
parquet de Paris, profitant de sa présence sur le sol français. Le soir
même, il est exfiltré avec l’aide des autorités françaises dans un avion
spécial dépêché d’Alger.
Mai 2001 : les noms des plaignants sont cités par un quotidien algérien
attribuant l’information à une source judiciaire française.
16 juin 2001 : plus d’un million et demi de Kabyles manifestent à Alger.
Les manipulations des forces de sécurité font dégénérer cette marche
pacifique en un affrontement entre citoyens.
27 juillet 2001 : le chargé de la commission d’enquête, le professeur Issad
Mohamed, accuse dans un rapport préliminaire les forces de sécurité
d’avoir fait usage de leurs armes de guerre contre les manifestants.
10 novembre 2001 : inondation à Bab-El-Oued faisant plus de huit cents
victimes en quelques heures. Le pouvoir militaire est accusé d’avoir
bétonné les grandes canalisations d’évacuation d’eau situées entre
Bouzaréah et Qaa Essour lors de sa campagne antiterroriste.
Décembre 2001 : dans un rapport final, la commission d’enquête déplore
le fait de n’avoir pu continuer son travail, faute d’accès à l’information.
4 avril 2002 : le général Nezzar est entendu à sa demande par la Brigade
criminelle de Paris, suite à la plainte déposée contre lui en avril 2001.
22 avril 2002 : signature de l’accord d’association entre l’Union
Européenne et l’Algérie.
30 mai 2002 : les élections législatives sont remportées par le FLN avec un
taux d’abstention (54 %) jamais enregistré dans l’histoire de l’Algérie.
28 juin 2002 : de nouvelles plaintes furent de nouveau déposées contre le
général Nezzar, dont celle de Lyes Laribi, qui publie le même jour le
livre Dans les geôles de Nezzar chez Paris-Méditerranée.
1er juillet 2002 : début du procès pour diffamation entamé par le général
Nezzar contre le sous-lieutenant Souaïdia. Après cinq jours de débat, le
général sera débouté lors du rendu du jugement en septembre.
21 juillet 2002 : début d’une série de révoltes citoyennes dans l’Algérois
qui dénoncent la mauvaise gestion des mairies.
22 juillet 2002 : le général Nezzar s’attaque au président Bouteflika à
travers la presse.
Octobre 2002 : élections locales et départementales remportées par le
FLN.
5 octobre 2002 : début d’arrestation des délégués des archs (comités de
village) de Kabylie.
30 octobre 2002 : Boualem Bensaïd est condamné à la réclusion
criminelle à perpétuité pour trois attentats commis en 1995 à Paris.
13 novembre 2002 : l’étudiant B. Kamel est arrêté par des éléments des
forces de sécurité à Relizane. Depuis, il est porté disparu ; sa famille
parle d’une exécution extrajudiciaire.
17 janvier 2003 : Benflis est reçu à Paris en possible successeur.
19 mars 2003 : Benflis est reconduit à la tête du FLN pour une durée de
cinq ans avec d’importantes prérogatives.
5 mai 2003 : Benflis est limogé, Ouyahia le remplace à la tête du
gouvernement.
27 juin 2003 : le FLN annonce la candidature de Benflis.
16 octobre 2003 : Salah Eddine Sidhoum est acquitté par le tribunal
d’Alger.
8 décembre 2003 : décès de cheikh Sahnoun, le dernier sage des oulémas.
14 janvier 2004 : le général major Lamari invite les journalistes à une
réunion informelle ; le même jour, le directeur du journal Le Matin est
condamné à deux ans de prison.
16 mars 2004 : le numéro deux du GSPC, Abderazak El Para, est capturé
au Tchad ; en quelques jours, les Algériens découvrent en cet ancien
garde du corps de Nezzar un homme encombrant qu’aucun État ne veut
vivant.
8 avril 2004 : Bouteflika est réélu avec 83,49 % des voix.
Juillet 2004 : le général major Gaid Salah, commandant des forces
terrestres, remplace le général major Mohamed Lamari à la tête de l’état-
major.
Septembre 2004 : grand remaniement dans la hiérarchie militaire.
Mai 2005 : Ksentini déclare que 500 000 personnes ont été déférées
devant les tribunaux pour terrorisme.
Mai et juin 2005 : nouveau remaniement dans la hiérarchie militaire, et
Guenaizia obtient une délégation des pouvoirs sur l’administration et
tous les corps armés par décret présidentiel.
Juillet 2005 : Bouteflika recule sur la nomination de Bachir Tartag à la
tête de la DCE en remplacement de Smaïn Lamari.
29 septembre 2005 : la charte pour la réconciliation nationale est adoptée
à 97 %.
25 novembre 2005 : Bouteflika est hospitalisé au Val-de-Grâce pour un
ulcère hémorragique.
15 décembre 2005 : Bernard Debré, spécialiste en urologie, déclare que
Bouteflika souffrirait vraisemblablement d’un cancer à l’estomac.
31 décembre 2005 : Bouteflika regagne Alger.
Février 2006 : visite de Rumsfeld à Alger.
Mars 2006 : Poutine visite Alger et signe un accord où la Russie s’engage
à fournir sa meilleure technologie militaire à l’Algérie.
Avril 2006 : des rumeurs rapportent que la DRS prépare la succession de
Bouteflika.
5 mai 2006 : Ouyahia est démis de ses fonctions et remplacé par
Belkhadem à la tête du gouvernement.
Juin 2006 : le FLN propose au président un texte de révision de la
Constitution, texte très controversé qui crée une très forte polémique.
SIGLES
AIS : Armée Islamique du Salut
ALN : Armée de Libération Nationale
ANP : Armée Nationale Populaire
APN : Assemblée Populaire Nationale
BIRD : Banque Internationale pour la Recherche et le Développement
BMPJ : Brigade Mobile de la Police Judiciaire
BSS : Bureau des Services de Sécurité
CCCALAS : Centre de Conduite et de Coordination des Actions de Lutte
Anti-Subversive
CCE : Comité de Coordination et d’Exécution
CCN : Conseil Consultatif National
CEE : Comité des États Européens
CFT : Corps des Forces Terrestres
CIA : Central Intelligence Agency
CNRA : Conseil National de la Révolution Algérienne
CNSA : Comité National pour la Sauvegarde de l’Algérie
CNT : Conseil National de Transition
CTRI : Centre Territorial de Recherche et d’Investigation
DCE : Direction du Contre-Espionnage
DCSA : Direction de Contrôle de la Sécurité de l’Armée
DGPS : Délégation Générale de la Prévention et de la Sécurité
DRS : Direction du Renseignement et de la Surveillance
DST : Direction de la Sûreté du Territoire
FAF : Fraternité Algérienne en France
FBI : Federal Bureau of Investigation
FFS : Front des Forces Socialistes
FIS : Front Islamique du Salut
FLN : Front de Libération Nationale
FMI : Fonds Monétaire International
GIA : Groupe Islamique Armé
GIGN : Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale
GIS : Groupe d’Intervention Spéciale
GPRA : Gouvernement Provisoire de la République Algérienne
GSPC : Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat
HCE : Haut Comité d’État
HCS : Haut Conseil de Sécurité
KGB : Komitet Gossoudarstvennoï Bezopasnosti : Comité de sécurité de
l’État
MAJD : Mouvement Algérien de la Jeunesse Démocratique
MALG : Ministère de l’Armement et des Liaisons Générales
MAOL : Mouvement Algérien des Officiers Libres
MDA : Mouvement pour la Démocratie en Algérie
MDRA : Mouvement Démocratique Républicain Algérien
MEI : Mouvement de l’État Islamique
MIA : Mouvement Islamique Armé
MNR : Mouvement National du Renouveau
MSP : Mouvement de la Société pour la Paix
MTLD : Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques
OAS : Organisation Armée Secrète
OJAL : Organisation de la Jeunesse Algérienne Libre
ONG : Organisation Non Gouvernementale
ONU : Organisation des Nations Unies
PAGS : Parti d’Avant-Garde Socialiste
PPA : Parti du Peuple Algérien
PRA : Parti du Renouveau Algérien
PRS : Parti de la Révolution Socialiste
PT : Parti des Travailleurs
RCD : Rassemblement pour la Culture et la Démocratie
RND : Rassemblement National Démocratique
SM : Sécurité Militaire
TPI : Tribunal Pénal International
UDMA : Union Démocratique du Manifeste Algérien
UGTA : Union Générale des Travailleurs Algériens
UNEA : Union Nationale des Étudiants Algériens
TABLEAU DES NOMINATIONS DES GÉNÉRAUX
ALGÉRIENS DEPUIS 1964

La 7e région militaire (RM) a été incorporée en 1984 dans la 1re région ; le


dernier chef de région est Ali Bouhadja, alors que le premier était
Mohand Oulhadj.
1re RM : la première région militaire regroupe la capitale et le centre ; son
siège est Blida.
2e RM : la deuxième région militaire regroupe tout l’Ouest ; son siège est
Oran.
3e RM : la troisième région militaire regroupe tout le Sud-Ouest ; son siège
est Bechar.
4e RM : la quatrième région militaire regroupe tout le Sud-Est ; son siège
est Ouargla.
5e RM : la cinquième région militaire regroupe tout l’Est ; son siège est
Constantine.
6e RM : la sixième région militaire regroupe tout l’extrême Sud ; son siège
est Tamenrasset.

1re région militaire :


1964-1967 : Saïd Abid
1967-1979 : Belhouchet
1979-1988 : Atailia
1988-1994 : Djenouhat
1994-1997 : Saïd Bey
1997-2000 : Boughaba
2000-2004 : Fodhil Cherif
Depuis 2004 : Habib Chentouf
2e région militaire :
1964-1979 : Chadli Bendjeddid
1979-1984 : Kamel Abderahim
1984-1987 : Benmaalem
1987-1992 : Khelifa Rahim
1992-1994 : Gaid Salah
1994-1996 : Bekkouche
1996-1997 : Kamel Abderahmane
1997-1999 : Baaziz
1999-2004 : Kamel Abderahmane
Depuis 2004 : Saïd Bey

3e région militaire :
1964-1965 : Colonel Soufi
1965-1967 : Yahiaoui
1969-1975 : Zerguini
1975-1979 : Salim Saadi
1979-1982 : Nezzar
1982-1983 : Hachichi
1983-juin 1987 : Zeroual
Juin 1987-déc. 1987 : Betchine
Déc. 1987-1992 : Derradji
1992-1994 : Boughaba
1994-1997 : Benhadid
1997-2000 : Guedaidia
2000-2004 : Tafer
Depuis 2004 : Cheningniha
4e région militaire :
1964-1965 : Amar Mellah
1965-1967 : Abdelghani
1967-1969 : Zerguini
1969-1979 : Atailia
1979-1984 : Benmaalem
1984-1987 : Betchine
1987-1988 : Benmaalem
1988-1990 : Gheniem
1990-1992 : Djouadi
1992-1994 : Bekkouche
1994-1996 : Saïdi Fodhil
1996-1997 : Saheb Abdelmajid
1997-1999 : Kamel Abderahmane
1999-2005 : Saheb Abdelmajid
Depuis 2005 : Abderazak Cherif

5e région militaire :
1964-1967 : Belhouchet
1967-1974 : Abdelghani
1974-1982 : Hadjeress
1982-1984 : Nezzar
1984-1987 : Sadek Reffas
1987-1988 : Zeroual
1988-déc. 1990 : Lamari
1990-1992 : Boughaba
1992-1994 : Djouadi
1994-1997 : Boughaba
1997-2000 : Djemai
2000-2004 : Saïd Bey
2004-2005 : Kamel Abderahmane
Depuis 2005 : Benali

6e région militaire :
1982-1983 : Zeroual
1983-1987 : Abid
1987-1988 : Djenouhat
1988-1990 : Djouadi
1990-2000 : Kadri
2000-2005 : Benali
Depuis 2005 : Athmania

Chef d’état-major :
1964-1967 : Zbiri
1967-1978 : Boumedienne
1978-1984 : Chadli
1984-1986 : Beloucif
1986-1989 : Belhouchet
1989-1990 : Nezzar
1990-1993 : Guenaizia
1993-2004 : Lamari
Depuis 2004 : Gaid Salah

Commandement de la gendarmerie :
1964-1977 : Bencherif
1977-1983 : Cheloufi
1983-1988 : Hachichi
1988-1997 : Ghezeil
1997-fév. 2000 : Derradji
Depuis fév. 2000 : Boustila

Secrétaire général du ministère de la Défense nationale :


1964-1971 : Chabou
1971-1980 : Latreche
1980-1984 : Beloucif
1984-1986 : Benyelles
1986-1990 : Cheloufi
1990-sept. 2000 : Gheniem
Sept. 2000-2004 : Senhadji Ahmed (intérim)
Depuis 2004 : Senhadji Ahmed

Direction générale de la Sûreté nationale :


1964-1977 : Draia
1977-1987 : Khediri
1987-juill. 1990 : Bouzbid
Juill. 1990-juin 1991 : Lahreche
1991-nov. 1993 : Tolba
Mai 1994-1995 : Ouaddah
Depuis 1995 : Ali Tounsi

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