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L’État royal et la noblesse

Doc 1 : Proclamation de Jean, duc de Bourbonnais, contre le roi, 13 mars 1465 dans
Lettres, mémoires et instructions et autres documents relatifs à la Guerre du Bien public en
l’année  1465, rassemblés par J. QUICHERAT et publiés par CHAMPOLLION-
FIGEAC dans la Coll. des Doc. inédits, t. II, 1843, p. 196-197

Très chers et bons amis, pour ce que par cy-devant et depuis le commancement du règne de
mossenhor le roy quy à présent est, les faiz de ce royaulme ont esté conduiz et gouvernez plus
à volonté que rayson, et toutes exacions, oppressions, tortz, griefz et autres mals infinis ont
esté faiz et donnez, et encores ce font et donnent chacun jour, tant ès esglises, nobles, que à
povre et menu pouble en plusieurs et mainctz manières, comme chacun le peut savoir et
connoistre ; pour lesquelles causes et austres, les senhors du sanc de France, c’est assavoir
mossenhor de Berri, ensenble le roy de Cecille1, noz frères de Cheraloys2, de Calabre3, noz
cousins le duc de Bretaigne4, de Nimors5, le conte d’Armaignac6, de Saint-Paul7 et de
Dunoys8, le senhor de Lebret9, et noz avec eulx et plusiors autres grans barons et senhors du
royaulme, consultans es choses dessudittes, se estoyent plus longuement tollérées, plusiors
grans mals, demaigz et inconvenians irréparables pourrient advenir audit royalme et la chose
publique d’icelly, si provision ne y estoit mise et donnée per quelque bon moyen raysonable :
si se sont unis et alliez en une mesme voulunté et une bonne entière et vraye amour et
entencion estant entre eulx pour mectre et donner ordre provesion, police et administracion de
justice en cedit royaulme comme ilz sont tenuz et serementez de le faire, et oster et abatre
toutes imposicions, exactions indeues, pilleries, mangeries et autre violantes subjections qui
ont tenu en cedit royaume. Per quoy totz iceulx seigneurs vous font asavoir per nos les
susdites confidéracions et alliances, esquelles ils comprennent toz noz bien-veullans et
adherans, aindans et confortans, affin que en soyez advertiz et que nous soyés aydant et
favorisans et confortant de vrays pays et de tout votre pouvoir, à soustenir, garder et deffendre
les faiz dudit royalme, qui commançant à decliner et deschoir a toutelle perdecion, eu manière
que le pouble puisse estre relevé et solatgé des oppressions, mangeries et choses dessudites ;
et en ce faisant tous lesdiz senhors et nos per une mesme union, vous soustendrons, gardarons,
deffendrons et secorrons envers et contre touz, et comme noz propre personne. (…)
Signé Jehan10. Mercier. A mossenhor Guillem Durant, cononge et sacrestre de Saint-Nasari de
Bezes11.

Doc 2 : Règlement général de 1578, Paris, Archives nationales, KK 544 fol. 10r°-54r

L’ordre que le roy veult estre tenu pour sa chambre, antichambre et salle que pour ses heures.
Sadicte Majesté aussy ordonne que les matinées, jusques à ce qu’elle fasse dire qu’elle soit
éveillée et qu’elle face appeller, nul n’entrera en son cabinet que les vallets de chambre et le
1
René d’Anjou, roi de Sicile, comte d’Anjou et de Provence, oncle maternel du roi Louis XI.
2
Charles de Bourgogne, beau-frère de Jean de Bourbon.
3
Jean d’Anjou, fils de René, duc de Calabre et de Lorraine.
4
François II, duc de Bretagne.
5
Jacques d’Armagnac, comte de la Marche, duc de Nemours, seigneur de Fezensac, cousin germain du comte
d’Armagnac.
6
Jean V, comte d’Armagnac.
7
Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol, depuis connétable de France.
8
Jean, batard d’Orléans, comte de Dunois et de Longueville.
9
Charles d’Albret, vicomte de Tartas.
10
Jean de Bourbon, surnommé le Bon, duc de Bourbonnais et d’Auvergne, beau-frère de Louis XI.
11
Béziers
valet de garde- robbe qui aura les clefs des coffres, estant en quartier avec le barbier et
fontaines.
En la chambre du roy alors n’entreront que les princes, officiers de la couronne, le grand
maistre de l’artillerye, ceulx de ses affaires, et ceulx de son conseil, un secrétaire d’Estat et un
barbier, Beaulieu et Octave, excepté le maistre de camp du régiment de ses gardes, son
premier escuyer, et le cappitaine de sa porte.
Un huissier de chambre, au mesme temps, se tiendra hors la porte de ladicte chambre, sans
qu’il y entre s’il n’est appellé. Le roy faisant advertir qu’il est esveillé, entreront en son
cabinet ceulx de ses affaires seulement.
Et à la mesme heure, entrera en la chambre un valet de chambre qui prendra sur le buffet le
vase pour aller quérir de l’eau au gobelet, qui sera accompagné par deux archers de la garde
pour le conduire et reconduire jusques à la porte de l’antichambre. Et le valet de chambre
apportera le vase jusques au buffet, et après sortira de la chambre et ne se mettra à la garde
dudict buffect jusques à ce que les habillemens entrent pour le garder le reste du jour.
En mesme temps, l’un des gentilhommes de la chambre qui sera en quartier d’aller quérir le
vin du roy au gobelet, lequel viendra portant la coupe du roy en sa main, suivi des officiers de
Sa Maiesté et marcheront devant luy deux officiers de la garde. Ledict gentilhomme de la
chambre entrera dedans la chambre de Sa Majesté, avec les officiers, pour luy mesme
présenter le vin à Sadicte Maiesté en son cabinet, quand elle le demandera. Puis après que Sa
Maiesté aura beu, il sortira dudict cabinet et rentrera en la chambre et lesdicts officiers au
gobelet.
Nul de quelque qualité qu’il soit, s’il n’est des affaires, n’entrera audict cabinet où sera
Sadicte Maiesté, quand elle demandera son vin, sinon les quatre secrétaires d’Estat, si Sadicte
Maiesté ne le commande particulièrement.
Cependant en l’antichambre, entreront les autres sieurs gentilhommes de la chambre qui
seront en l’antichambre. Seront advertis par l’huissier de la chambre d’entrer en la chambre de
Sa Maiesté, lorsque l’on demandera la cape et l’espée, si le roy ne veult s’habiller en
particulier. Après lesquelz pourront entrer en icelle les maistres d’hostelz, escuyer d’escurie et
gentilhommes servans estans en quartier, comme aussy les lieutenants et enseignes des cent
gentilhommes de la maison et des gardes qui sont en quartier.
L’un des vallets de chambre qui sont en quartier sera commis et député par sepmaine à garder
la porte de l’antichambre, afin qu’il n’y entre d’autres que ceux de la qualité dessus dicte. A
ceste fin, celuy qui aura ladicte charge se tiendra ordinairement à la porte de ladicte
antichambre, du costé devers la salle.
Tous les vallets de chambre se tiendront à ladite antichambre ou garde-robbe, pour si l’on a
affaire d’eulx les y trouver. Comme aussy feront les huissiers de la chambre qui entreront en
la chambre après que lesdicts gentilhommes de la chambre y seront entréz, pour empescher
que nuls autres s’ingèrent d’y entrer, s’ils ne sont cappitaines de gendarmes et de qualité
susdicte.

Doc 3 : Marc-Antoine Millotet, Mémoire des choses qui se sont passées en Bourgogne
depuis 1650 jusqu’en 1668, Dijon, Rabutot, 1866, p. 4-6.
Je pourois commencer à vous dire l’estât auquel se trouvoit la Province pendant le siège de
Paris, où les esprits des plus honnestes gens se trouvoient partagés ; les uns approuvant le
procédé de la Cour, et les autres celuy du Parlement de Paris, qui sembloit n'avoir eu pour
objet que la recherche des partisans, odieux au dernier point dans la Province pour les maux
qu'ils avoient causés, et par l'apréhension de plus grands s'ils se trouvoient authorisés.
M. le Prince estoit adverty de toutes ces divisions ; et comme vraisemblablement il estoit mal
content de la Cour, soit que l'on n'eust pas reconnu assés amplement ses services, soit que l'on
luy eust refusé ce qu'il désiroit, tant pour luy que pour ses amis, il retourna en Bourgogne
avec le dessein de s'acquérir les affections d'un chacun. Il luy estoit assés facile, parce que
personne n'estoit entré en charge, soit au Parlement, ou autres jurisdictions, que par sa
médiation ou celle de Monsieur son père. Personne n'avoit esté pourveu de bénéfice que par
leurs nominations. Tous les emplois de la noblesse n'estoient que dans leurs régimens, et tous
les officiers des villes, soient maires, eschevins, capitaines , lieutenans et enseignes ,
n'estoient entrés dans ces honneurs populaires que par son moyen ; bref, Messieurs les Princes
père et fils avoient gouverné la Bourgogne avec toute authorité l'espace de plus de vingt ans :
il adjouta à tout ce que dessus des bienfaits nouveaux ; il obtint pour le peuple la remise du
redoublement du Taillon, et pour le Parlement celle des deux escus par minot, qui estoit le
prix du marchand, qui se payoit auparavant. Il y adjouta des lettres de noblesse pour les
conseillers et leur postérité, sans qu'il fust nécessaire d'avoir père et ayeul qui eussent
demeurés du moins chacun vingt ans en charge, ou qui y fussent décédés. (…) A l'instant que
MM. les Princes furent arrestés, l'on fit partir de sa maison un courier, qui aporta des lettres à
Bussière, l'un des commandans au Chasteau, parce que feu M. le Prince avoit divisé ce
gouvernement, et l’avoit fait semestre entre luy et Comeau, deux de ses gentilshommes, dont
le dernier se trouva en charge depuis sept ou huit jours, qui fut un bonheur pour la ville et
pour le reste de la province. (…) De Bussière et Comeau, qui estoient advertis de la résolution
prise à Paris de porter la guerre partout pour répéter M. le Prince, eurent ordre de munir le
Chasteau, pour tenir en bride la ville ; ils y jettèrent sur le champ quelques vignerons,
attendans des soldats (car pour lors il n'y en avoit que sept ou huit); avec leurs domestiques ils
dégarnirent de canons les tours qui ont la vue sur la campagne et les firent passer sur celles
qui commandent la ville. Et comme ils manquoient de toutes choses, ils mirent ordre aux
provisions.

Doc 4 : « Déclaration qui ordonne la recherche des usurpateurs des titres de noblesse »,
Recueil général des anciennes lois françaises, de l’an 420 jusqu’à la révolution de 1789,
par Isambert, Decrusy, Taillandier, tome XX, juin 1687-1 er septembre 1715, Paris,
Belin-Le Prieur, 1830, p. 274
Le principal objet que nous avons toujours eu de soulager nos sujets contribuables aux tailles
et d’empecher qu’ils ne soient chargés par les usurpateurs du titre de noblesse qui font valoir
leurs terres par leurs mains et qui se font exempter des impositions et charges des paroisses,
nous a excité, à l’exemple des rois nos prédecesseurs, à faire exécuter nos déclarations et
réglements des 15 mars 1655, pour notre province de Normandie, 30 décembre 1656 pour les
ressorts de toutes les cours des aides, 8 février 1661 pour le ressort de la cour des aides de
Paris, 22 mars 1666 pour toute l’étendue de notre royaume et 20 janvier 1668 pour la province
de Bretagne, afin de faire une recherche exacte de tous les faux nobles, pour les imposer aux
tailles et autres charges des paroisses de leurs demeure et pour leur faire payer, à cause de
leurs usurpations, les amendes et restitutions portées par les courumes, ordonnances et
reglements, et particulièrement les ordonnances d’Orléans et de Blois, et les édits des années
1600, 1634 et 1643. Nous aurions meme, pour rendre l’ancienne novlesse plus
recommandable et empecher qu’a l’avenir il ne se fit semblables usurpations, ordonné par
arrêts de notre conseil des 15 mars 1669 et 2 juin 1670, qu’il serait dressé des listes et
catalogues de tous les véritables gentilshommes, pour etre déposés en notre bibliothèque
royale, et des états contenant les noms, surnoms, et demeures des partculiers condamnés
comme usurpateurs, pour etre envoyés aux commissaires départis dans les provinces et
généralités, afin de les imposer et taxer d’office. Mais ayant revoqué la commission établie
pour la recherche des usurpateurs du titre de noblesse et fait défense par arrêt de notre conseil
du 6 janvier 1674 aux proposé pour ladite recherche, de s’immiscer au recouvrement de ce qui
était du du reste des condamnations et amendes jugées contre les usurpateurs ; nous aurions
reconnu, que non seulement ceux qui avaient été condamnés ont continué leurs usurpations,
mais encore que ce qui donne lieu d’usurper le titre de noblesse est la liberté que prennent les
habitants des villes franches de se qualifier nobles hommes, écuyers, messires et chevaliers, et
se retirant ensuite dans les paroisses de la campagne, ils continuent leurs usurpations, faisant
valoir leurs biens avec exemption de tailles et autres impositions, dont nos autres sujets
taillables demeurent surchargés et comme les pressants besoins d’une guerre suscitée par nos
ennemis, nous auraient porté d’anoblir par notre édit du mois de mars dernier, cinq cents
personnes qui se trouveraient le mieux mériter, nous avons cru que nos sujets taillables en
seraient d’autant moins surchargés qu’il peut etre retranché un bien plus grand nombre
d’usurpateurs de noblesse, si nous en faisons faire une nouvelle recherche, sans que les
véritables gentilshommes, qui ont représenté leurs titres et qui ont été confimés dans leurs
noblesse puissent être inquiétés, ni qu’il en coute aucuns frais ni droits à tous ceux qui, ne les
ayant point représentés, les représenteraient, ne voulant pas meme que ceux qui sont officiers
dans nos armées de terre et de mer soient inquiétés ni obligés de représenter leurs titres,
quoiqu’ils ne les eussent représentés lors de la dernière recherche.

Doc 5 : La lettre d’anoblissement de Jean Bart

Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, Salut.
Comme il n’y a pas de moyen plus assuré pour entretenir l’émulation dans le cœur des
officiers qui sont employés à notre service, et pour les exciter à faire des actions éclatantes,
que de récompenser ceux qui se sont signalés dans les commandements que nous leur avons
confiés, et de les distinguer par des marques glorieuses qui puissent passer à leur postérité,
nous avons par ces considérations puissantes, accordé des lettres de noblesse à ceux de nos
officiers qui se sont rendu les plus recommandables ; mais de tous les officiers qui ont mérité
cet honneur, nous n’en trouvons pas qui se soit rendu plus digne que notre cher et bien aimé
Jean Bart, chevalier de notre ordre militaire de Saint-Louis, capitaine de marine, commandant
actuellement une escadre de nos vaisseaux de guerre, tant par l’ancienneté de ses service que
par la qualité de ses actions et de ses blessures puisque :
En 1675, ayant le commandement d’une galiote armée en course, et montée seulement de 2
pièces de canon et de 36 hommes d’équipages, il enleva à l’abordage dans le Texel une
frégate de 18 canons et de 65 hommes venant d’Espagne.
En 1676, ayant eu le commandement de la frégate la Royale, armée en course et montée de 10
pièces de canon, il prit une frégate hollandaise … de 12 canons … ensuite de quoi, étant
allé croiser contre la pêche desdits Hollandais, il en détruisit 670 après avoir battu 2 convoi,
dont il en enleva un monté de 18 pièces de canon….
En 1677, commandant la frégate la Palme montée de 18 canons, il enleva après 3 heures d’un
combat très opiniatre la frégate le Swanenbourg montée de 24 canons servant de convoi de
Hollande en Angleterre et prit 16 navires marchands, quoiqu’il eût plus de 100 hommes morts
ou blessés. …
Au mois de mars 1678, ayant le commandement de la frégate le Dauphin de 14 canons, ayant
fait rencontre d’un vaisseau de guerre hollandais… monté de 32 canons, … il combattit
avec tant de valeur qu’il le prit d’abordage et reçut plusieurs blessures en cette occasion. Il
prit pendant le reste de l’année 3 corsaires d’Ostende et …coula bas, fit échouer brûla,
rançonna et emmena au port de Dunkerque un grand nombre de navires ennemis dont les
registres de l’Amirauté de ladite ville sont chargés. …
En 1690, commandant le vaisseau l’Alcyon, de 36 canons, il détruisit la pêche et coula bas
plusieurs pêcheurs hollandais ; il prit en venant à Dunkerque, 2 vaisseaux qui portaient en
Angleterre 450 soldats danois ; ensuite de quoi, il fut à Brest et de là en Irlande… et ensuite
servant dans la Manche, il eut ordre, après la défaite de l’armée anglaise et hollandaise, d’aller
à l’Elbe chercher 2 navires que nous avions fait charger de cuivre, poudre, armes et autres
munitions de guerre et ayant eu avis… que les vaisseaux n’étaient pas prêts il alla croiser
pendant quinze jours. Il rançonna pour 43 000 écus de navires revenant de la pêche de la
baleine et ramena lesdites rançons à Dunkerque.
En 1692, ayant eu le commandement de 7 frégates et d’un brûlot, 32 vaisseaux de guerre
anglais et hollandais bloquèrent le port et la ville de Dunkerque, mais il trouva les moyens de
passer et le lendemain, il enleva 4 vaisseaux richement chargés qui allaient en Moscovie.
Ensuite, il alla brûler 86 bâtiments, tant navire qu’autres vaisseaux marchands ; et ayant fait
une descente vers Newcastle, il brûla environ 200 maisons et emmena à Dunkerque 500 000
écus de prises. …
En 1693, ayant eu le commandement du vaisseau le Glorieux de 62 canons par l’amiral
Tourville qui surprit la flotte de Smyrne s’étant trouvé séparé de ladite flotte et ayant
rencontré près de Faro 6 navire hollandais, un de 50, et les autres de 42, 36, 26 et 24 canons
tous richement chargés, il les fit échouer et brûler ensuite. … Enfin, étant parti le 28 juin de
la présente année avec … six vaisseaux de guerre pour aller chercher une flotte de blé à
Vlecker, cette flotte qui était partie dudit lieu au nombre de 100 et quelques voiles sous
l’escorte de 3 vaisseaux danois et suédois fut rencontrée entre le Texel et le Flix par le contre-
amiral de Frise, le sieur Hides, qui commandait une escadre de 8 vaisseaus de vaisseaux et
s’était déjà emparée de ladite flotte : mais le lendemain, le sieur Bart le rencontra… et
comme il s’agissait de faire une action aussi éclatante qu’utile pour le bien de notre service et
le soulagement de nos sujets, il prit la résolution de le combattre quoiqu’inférieur en nombre
et en artillerie et ayant abordé le contre-amiral, il l’enleva aussi bien que les autres … et il
conduisit à Dunkerque les vaisseaux chargés de blé….
Une action aussi distinguée, jointe à plusieurs autres qui l’ont signalé par tant de fameux
exploits nous convient à lui donner des marques de l’estime que nous faisons de sa personne
et de la satisfaction que nous avons de ses services en l’honorant du titre de noblesse afin
d’augmenter, s’il est possible, l’ardeur qu’il a de ses signaler et de donner en même temps de
l’émulation à nos autres officiers de marine et l’envie de l’imiter dans l’espérance de
s’acquérir et à leur famille un semblable honneur. …
A ces causes… annoblissons par ces présentes signées de notre main ledit sieur Jean Bart,
ensemble ses enfants, postérité et lignée…. Voulons … qu’ils soient dorénavant tenus
comptés et représentés pour nobles et gentilhommes… et qu’ils se puissent dire et qualifier
écuyers, et puissent parvenir à tous degrés de chevalerie, titre, qualités et autres dignités de
notre royaume ; acquérir, tenir et posséder tous fiefs, terres nobles et seigneuries… jouir de
tous les honneurs, prérogatives, privilèges, franchises, libertés, exemptions et immunités dont
jouissent les autres gentilshommes de notre royaume, comme s’ils étaient d’ancienne et noble
race, tant qu’ils vivront noblement et ne feront actes dérogeant. Permettant audit sieur Bart et
à sa postérité de porter les écussons et armoiries timbrées, … avec faculté de charger
l’écusson de ses armes d’une fleur de lys à fonds d’azur que nous lui avons concédé …par
ces présentes….
Donné à Versailles, au mois d’août, l’an de grâce 1694, et de notre règne le 52e.
Cité par Michel Vergé-Franceschi, Chronique maritime de la France d’ancien Régime, 1492-
1792, Paris, SEDES, 1998, p. 504-507.

Doc 6 : La faveur royale d’après Saint-Simon

Les fêtes fréquentes, les promenades particulières à Versailles, les voyages furent des moyens
que le roi saisit pour distinguer et pour mortifier en nommant les personnes qui à chaque fois
en devaient être, et pour tenir chacun assidu et attentif à lui plaire. Il sentait qu'il n'avait pas à
beaucoup près assez de grâces à répandre pour faire un effet continuel. Il en substitua donc
aux véritables d'idéales, par la jalousie, les petites préférences qui se trouvaient tous les jours,
et pour ainsi dire, à tous moments, par son art. Les espérances que ces petites préférences et
ces distinctions faisaient naître, et la considération qui s'en tirait, personne ne fut plus
ingénieux que lui à inventer sans cesse ces sortes de choses. Marly, dans la suite, lui fut en
cela d'un plus grand usage, et Trianon où tout le monde, à la vérité, pouvait lui aller faire sa
cour, mais où les dames avaient l'honneur de manger avec lui, et où à chaque repas elles
étaient choisies; le bougeoir qu'il faisait tenir tous les soirs à son coucher par un courtisan qu'il
voulait distinguer, et toujours entre les plus qualifiés de ceux qui s'y trouvaient, qu'il nommait
tout haut au sortir de sa prière. Les justaucorps à brevet fut une autre de ces inventions. Il était
bleu doublé de rouge avec les parements et la veste rouge, brodé d'un dessin magnifique or et
un peu d'argent, particulier à ces habits. Il n'y en avait qu'un nombre, dont le roi, sa famille, et
les princes du sang étaient; mais ceux-ci, comme le reste des courtisans, n'en avaient qu'à
mesure qu'il en vaquait. Les plus distingués de la cour par eux-mêmes ou par la faveur les
demandaient au roi, et c'était une grâce que d'en obtenir. Le secrétaire d'État ayant la maison
du roi en son département en expédiait un brevet, et nul d'eux n'était à portée d'en avoir. Ils
furent imaginés pour ceux, en très petit nombre, qui avaient la liberté de suivre le roi aux
promenades de Saint-Germain à Versailles sans être nommés, et depuis que cela cessa, ces
habits ont cessé aussi de donner aucun privilège, excepté celui d'être portés quoiqu'on fût en
deuil de cour ou de famille, pourvu que le deuil ne fût pas grand ou qu'il fût sur ses fins, et
dans les temps encore où il était défendu de porter de l'or et de l'argent. Je ne l'ai jamais vu
porter au roi, à Monseigneur ni à Monsieur, mais très souvent aux trois fils de Monseigneur et
à tous les autres princes; et jusqu'à la mort du roi, dès qu'il en vaquait un, c'était à qui l'aurait
entre les gens de la cour les plus considérables, et si un jeune seigneur l'obtenait c'était une
grande distinction. Les différentes adresses de cette nature qui se succédèrent les unes aux
autres, à mesure que le roi avança en âge, et que les fêtes changeaient ou diminuaient, et les
attentions qu'il marquait pour avoir toujours une cour nombreuse, on ne finirait point à les
expliquer.
Non seulement il était sensible à la présence continuelle de ce qu'il y avait de distingué, mais
il l'était aussi aux étages inférieurs. Il regardait à droite et à gauche à son lever, à son coucher,
à ses repas, en passant dans les appartements, dans ses jardins de Versailles, où seulement les
courtisans avaient la liberté de le suivre; il voyait et remarquait tout le monde, aucun ne lui
échappait, jusqu'à ceux qui n'espéraient pas même être vus. Il distinguait très bien en lui-
même les absences de ceux qui étaient toujours à la cour, celles des passagers qui y venaient
plus ou moins souvent; les causes générales ou particulières de ces absences, il les combinait,
et ne perdait pas la plus légère occasion d'agir à leur égard en conséquence. C'était un
démérite aux uns, et à tout ce qu'il y avait de distingué, de ne faire pas de la cour son séjour
ordinaire, aux autres d'y venir rarement, et une disgrâce sûre pour qui n'y venait jamais, ou
comme jamais. Quand il s'agissait de quelque chose pour eux: « Je ne le connais point, »
répondait-il fièrement. Sur ceux qui se présentaient rarement: « C'est un homme que je ne vois
jamais; » et ces arrêts-là étaient irrévocables. C'était un autre crime de n'aller point à
Fontainebleau, qu'il regardait comme Versailles, et pour certaines gens de ne demander pas
pour Marly, les uns toujours, les autres souvent, quoique sans dessein de les y mener, les uns
toujours ni les autres souvent; mais si on était sur le pied d'y aller toujours, il fallait une
excuse valable pour s'en dispenser, hommes et femmes de même. Surtout il ne pouvait
souffrir les gens qui se plaisaient à Paris. Il supportait assez aisément ceux qui aimaient leur
campagne, encore y fallait-il être mesuré ou avoir pris ses précautions avant d'y aller passer
un temps un peu long.
Saint-Simon, Mémoires, tome 12, chapitre XIX.

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