Vous êtes sur la page 1sur 11

LES PARLEMENTS ET LE POUVOIR ROYAL AU TEMPS DE LA CONSTRUCTION DE L’ÉTAT MONARCHIQUE

EN FRANCE (DE LA FIN DE LA GUERRE DE CENT ANS À LA MORT DE LOUIS XIV)

DOCUMENT 1 : LES DÉBUTS DU PARLEMENT DE DIJON DÉCRITS EN 1649 PAR L’IMPRIMEUR


PIERRE PALLIOT (PARIS 1608-DIJON 1698), GÉNÉALOGISTE ET HÉRALDISTE DES FAMILLES
DE BOURGOGNE
[…]
DOCUMENT 2 : UNE PROTESTATION DU PARLEMENT DE PARIS CONTRE LE TRAITÉ DE MADRID
(ÉD. PAR ISAMBERT, RECUEIL GÉNÉRAL DES ANCIENNES LOIS FRANÇAISES, 1828, T. XII (1514-
1547), P. 340)
DOCUMENT 3 : LE PARLEMENT AU COURS DES LUTTES CIVILES DE LA SECONDE MOITIÉ DU
XVIE SIÈCLE – LA MISE À MORT DU PRÉSIDENT BARNABÉ BRISSON (1531-1591)
(L’estampe d’origine : On lit, en haut à gauche : « Duc de Mayenne » ; plus bas « la garnison espagnole »/ « la
garnison française ». Les vers allemands peuvent se traduire en gros ainsi : « Monsieur Brisson, un président/ À
Paris, du Parlement/ avec trois autres conseillers liés/ Se seraient volontiers libérés/ De la guerre. Pensant/ Quitter
la ville, mais la garde veillant/ de la garnison espagnole, violemment/ L’emprisonnèrent rapidement/Le pendirent
dans la rue honteusement. / Le duc de Mayenne, en hâte, sur un malentendu/ En silence, souffrit seulement qu’on
le tue/ donnant cause au mécontentement. Année 1591, décembre 91. »)
DOCUMENT 4 : LE PARLEMENT APRÈS LA LIGUE. Discours tenu par Henri IV à une
délégation du Parlement pour le contraindre à enregistrer l’édit de Nantes (7 janvier
1599). Source : Pierre de L’Estoile, Mémoires-journaux [cité par Roland Mousnier,
L’assassinat d’Henri IV, 14 mai 1610, Paris, Gallimard, 1964, p. 334-336]. Texte modernisé.

« Vous me voyez dans mon cabinet, où je viens vous parler non pas en habit royal, comme
mes prédécesseurs, ni avec l’épée et la cape, ni comme un prince qui vient parler aux
ambassadeurs étrangers, mais vêtu comme un père de famille, en pourpoint pour parler
franchement à ses enfants.
Ce que j’ai à vous dire est que je vous prie de vérifier l’édit que j’ai accordé aux
protestants. Ce que j’ai fait est pour le bien de la paix. Je l’ai faite au-dehors, je la veux au-
dedans. Vous devez m’obéir, ne serait-ce que du fait de ma qualité et de l’obligation
(d’obéir) qu’ont tous mes sujets, particulièrement vous tous, les membres de mon
Parlement. J’ai remis les uns en leurs maisons, desquelles ils avaient été bannis, et les autres
en la foi qu’ils n’avaient plus. Si l’obéissance était due à mes prédécesseurs, il m’est dû
autant et même plus de dévotion, d’autant que j’ai rétabli l’État, Dieu ayant choisi de me
donner le royaume qui est le mien par héritage et par acquisition. Les gens de mon
Parlement n’auraient pas leur siège sans moi… Je sais bien qu’on a intrigué au Parlement ;
que l’on a suscité des prédicateurs séditieux ; mais je prendrai les mesures qui s’imposent
contre ces gens-là et ne m’en remettrai pas à vous. C’est le chemin qu’on prit (les
prédications séditieuses) pour faire des barricades et en venir par étapes à l’assassinat du
feu roi. Je me prémunirai bien de tout cela : je couperai la racine toutes les factions […].
N’alléguez pas la religion catholique. Je l’aime plus que vous. Je suis plus catholique
que vous : je suis fils aîné de l’Église… Ceux qui ne voudraient pas que mon édit passe
veulent la guerre. Je la déclarerai aux protestants, mais je ne la ferai pas : vous irez la faire,
vous, avec vos robes ; et vous ressemblerez à la procession des capucins qui portaient le
mousquet sur leurs habits. Il fera beau vous y voir ! Si vous ne voulez pas laisser passer
l’édit, vous me ferez aller au Parlement. Vous serez ingrats en m’imposant cet embarras.
J’appellerai à témoin ceux de mon Conseil qui ont trouvé l’édit bon et nécessaire pour l’état
de mes affaires : M. le connétable, M. le chancelier, M. de Bellièvre, Sancy et Sillery1. Je l’ai
fait selon avis de ceux-ci et des ducs et pairs. Il n’y a pas un seul d’entre eux qui s’oserait
dire protecteur de la religion catholique, ni qui oserait nier m’avoir donné cet avis. Je suis le
seul conservateur de la religion : je m’emploierai à dissiper les bruits qu’on fait semer. On
s’est plaint, à Paris, que je voulais recruter des Suisses et réunir des troupes. Si je le faisais,
il faudrait le juger favorablement : ce serait à bonne fin, de la même manière que toutes mes
actions passées, comme en témoigne ce que j’ai fait pour la reconquête d’Amiens (en 1597),
pour laquelle j’ai employé l’argent des édits que vous n’auriez passé si je n’étais pas allé au
Parlement. La nécessité m’a fait faire cet édit (l’édit de Nantes) ; la même nécessité m’a fait

1
Il s’agit des membres éminents du gouvernement : Henri de Montmorency-Damville, connétable depuis 1593,
c’est-à-dire chef des armées en l’absence du roi ; Philippe Hurault, comte de Cheverny, chancelier de France, qui
mourut en juillet 1599 ; Pomponne de Bellièvre, surintendant des finances sous Henri III, membre du conseil
depuis 1595, puis chancelier à partir d’août 1599 ; Nicolas de Harlay, sieur de Sancy (1546-1629), chargé de
l’administration financière ; Nicolas Brulart de Sillery, secrétaire d’État sous Henri III, président à mortier du
Parlement de Paris, négociateur de la paix de Vervins (1598) et proche conseiller d’Henri IV, qui devint plus tard
chancelier.
faire autrefois le soldat. Des bruits ont couru, et n’en ai rien laisser paraître. Je suis roi
maintenant, et parle en roi, et veux être obéi ! […] »
DOCUMENT 5 : LE PARLEMENT DE PARIS ET LA FRONDE : L’ARRESTATION DU CONSEILLER
BROUSSEL ET LES DÉBUTS DE LA JOURNÉE DES BARRICADES D’APRÈS LES MÉMOIRES DU
CARDINAL DE RETZ (LIVRE II, ÉD. C.-B. PETITOT, 1825, P. 210 ET SQQ., 231 ET SQQ.)

« Le lendemain de la fête, c’est-à-dire le 26 août 1648, le Roi alla au Te Deum. L’on


borda, selon la coutume, depuis le Palais-Royal jusqu’à Notre-Dame, toutes les rues de soldats
du régiment des Gardes. Aussitôt que le Roi fut revenu au Palais-Royal, l’on forma de tous ces
soldats trois bataillons, qui demeurèrent sur le Pont-Neuf et à la place Dauphine. Comminges,
lieutenant des gardes de la Reine, enleva dans un carrosse fermé le bonhomme Broussel,
conseiller de la grand’chambre, et le mena à Saint-Germain. Blancménil, président aux
enquêtes, fut pris en même temps aussi chez lui, et conduit au bois de Vincennes. Vous vous
étonnerez du choix de ce dernier ; et si vous aviez connu le bonhomme Broussel, vous ne seriez
pas moins surprise du sien. Je vous expliquerai ce détail en temps et lieu ; mais je ne puis vous
exprimer la consternation qui parut dans Paris le premier quart d’heure de l’enlèvement de
Broussel, et le mouvement qui s’y fit dès le second. La tristesse ou plutôt l’abattement saisit
jusqu’aux enfans : l’on se regardoit, et l’on ne se disoit rien. On éclata tout d’un coup, on
s’émut, on courut, on cria, et l’on ferma les boutiques. J’en fus averti et quoique je ne fusse pas
insensible à la manière dont j’avois été joué la veille au Palais-Royal, où l’on m’avoit même
prié de faire savoir, à ceux qui étoient de mes amis dans le parlement, que la bataille de Lens
n’y avoit causé que des sentimens de modération et de douceur ; quoique, dis-je, je fusse très-
piqué, je ne laissai pas de prendre le parti, sans balancer, d’aller trouver la Reine, et de
m’attacher à mon devoir préférablement à toutes choses. Je le dis en ces propres termes à
Chapelain, à Gomberville, et à Plot, chanoine de Notre-Dame et présentement chartreux, qui
avoient dîné chez moi. Je sortis en rochet et en camail ; et je ne fus pas arrivé au Marché-Neuf,
que je fus accablé d’une foule de peuple qui hurloit plutôt qu’il ne crioit. Je m’en démêlai en
leur disant que la Reine leur feroit justice. Je trouvai sur le Pont-Neuf le maréchal de La
Meilleraye à la tête des gardes, qui, bien qu’il n’eût encore en tête que quelques enfans qui
disoient des injures et qui jetoient des pierres aux soldats, ne laissoit pas d’être fort embarrassé,
parce qu’il voyoit que les nuages commençoient à se grossir de tous côtés. Il fut très-aise de me
voir : il m’exhorta de dire à la Reine la vérité ; il s’offrit d’en venir lui-même rendre
témoignage. J’en fus très-aise à mon tour ; et nous allâmes ensemble au Palais-Royal, suivis
d’un nombre infini de peuple qui crioit Broussel ! Broussel ! Nous trouvâmes la Reine dans le
grand cabinet, accompagnée de Monsieur, du cardinal Mazarin, de M. de Longueville, du
maréchal de Villeroy, de l’abbé de La Rivière, de Bautru, de Guitaut, capitaine des gardes, et
de Nogent. Elle ne me reçut ni bien ni mal. Elle étoit trop fière et trop aigrie pour avoir de la
honte de ce qu’elle m’avoit dit la veille, et le cardinal n’étoit pas assez honnête homme pour en
avoir. Il me parut toutefois un peu embarrassé ; et il me fit une espèce de galimatias, par lequel,
sans me l’oser toutefois dire, il eût été bien aise que j’eusse conçu qu’il y avoit eu des raisons
toutes nouvelles qui avoient obligé la Reine à se porter à la résolution que l’on avoit prise. Je
feignis de prendre pour bon tout ce qu’il lui plut de me dire ; et je lui répondis simplement que
j’étois venu là pour me rendre à mon devoir, pour recevoir les commandemens de la Reine, et
pour contribuer de tout ce qui seroit en mon pouvoir au repos et à la tranquillité. La Reine me
fit un petit signe de la tête, comme pour me remercier ; mais je sus depuis qu’elle avoit
remarqué, et remarqué en mal, cette dernière parole, qui étoit pourtant fort innocente, et même
fort dans l’ordre d’un coadjuteur de Paris. Mais il est vrai de dire qu’auprès des princes il est
aussi dangereux et presque aussi criminel de pouvoir le bien que de vouloir le mal. Le maréchal
de La Meilleraye, qui vit que La Rivière, Bautru et Nogent traitoient l’émotion de bagatelle, et
qu’ils la tournoient même en ridicule, s’emporta beaucoup. Il parla avec force ; il s’en rapporta
à mon témoignage. Je le rendis avec liberté, et je confirmai ce qu’il avoit dit et prédit du
mouvement. Le cardinal sourit malignement, et la Reine se mit en colère, proférant de son ton
de fausset aigre et élevé ces propres mots : « Il y a de la révolte à imaginer que l’on puisse se
révolter. Voilà les contes ridicules de ceux qui la veulent : l’autorité du Roi y donnera bon
ordre. »

[…] Ce mouvement fut comme un incendie subit et violent qui se prit du Pont-Neuf à
toute la ville. Tout le monde sans exception prit les armes. L’on voyoit les enfans de cinq et six
ans le poignard à la main ; on voyoit les mères qui les leur apportoient elles-mêmes. Il y eut
dans Paris plus de deux cents barricades en moins de deux heures, bordées de drapeaux, et de
toutes les armes que la ligue avoit laissées entières. Comme je fus obligé de sortir un moment
pour apaiser un tumulte qui étoit arrivé, par le malentendu de deux officiers du quartier, dans
la rue Neuve Notre-Dame, je vis entre autres une lance traînée plutôt que portée par un petit
garçon de huit ans, qui étoit assurément de l’ancienne guerre des Anglais. Mais j’y vis encore
quelque chose de plus curieux : M. de Brissac me fit remarquer un hausse-col sur lequel la
figure du jacobin qui tua Henri III étoit gravée ; il étoit de vermeil doré, avec cette inscription :
Saint Jacques-Clément. Je fis une réprimande à l’officier qui le portoit, et je fis rompre le
haussecol publiquement à coups de marteau sur l’enclume d’un maréchal. Tout le monde cria :
vive le Roi ! mais l’écho répondoit : point de Mazarin !

[…] Le parlement s’étant assemblé ce jour-là de très-bon matin, et devant même que
l’on eût pris les armes, apprit les mouvemens par les cris d’une multitude immense, qui hurloit
dans la salle du Palais Broussel ! Broussel ! et il donna arrêt par lequel il fut ordonné qu’on iroit
en corps et en habit au Palais-Royal redemander les prisonniers ; qu’il seroit décrété contre
Comminges, lieutenant des gardes de la Reine ; qu’il seroit défendu à tous gens de guerre, sur
peine de la vie, de prendre des commissions pareilles ; et qu’il seroit informé contre ceux qui
avoient donné le conseil, comme contre des perturbateurs du repos public. »

Vous aimerez peut-être aussi