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« Vous me voyez dans mon cabinet, où je viens vous parler non pas en habit royal, comme
mes prédécesseurs, ni avec l’épée et la cape, ni comme un prince qui vient parler aux
ambassadeurs étrangers, mais vêtu comme un père de famille, en pourpoint pour parler
franchement à ses enfants.
Ce que j’ai à vous dire est que je vous prie de vérifier l’édit que j’ai accordé aux
protestants. Ce que j’ai fait est pour le bien de la paix. Je l’ai faite au-dehors, je la veux au-
dedans. Vous devez m’obéir, ne serait-ce que du fait de ma qualité et de l’obligation
(d’obéir) qu’ont tous mes sujets, particulièrement vous tous, les membres de mon
Parlement. J’ai remis les uns en leurs maisons, desquelles ils avaient été bannis, et les autres
en la foi qu’ils n’avaient plus. Si l’obéissance était due à mes prédécesseurs, il m’est dû
autant et même plus de dévotion, d’autant que j’ai rétabli l’État, Dieu ayant choisi de me
donner le royaume qui est le mien par héritage et par acquisition. Les gens de mon
Parlement n’auraient pas leur siège sans moi… Je sais bien qu’on a intrigué au Parlement ;
que l’on a suscité des prédicateurs séditieux ; mais je prendrai les mesures qui s’imposent
contre ces gens-là et ne m’en remettrai pas à vous. C’est le chemin qu’on prit (les
prédications séditieuses) pour faire des barricades et en venir par étapes à l’assassinat du
feu roi. Je me prémunirai bien de tout cela : je couperai la racine toutes les factions […].
N’alléguez pas la religion catholique. Je l’aime plus que vous. Je suis plus catholique
que vous : je suis fils aîné de l’Église… Ceux qui ne voudraient pas que mon édit passe
veulent la guerre. Je la déclarerai aux protestants, mais je ne la ferai pas : vous irez la faire,
vous, avec vos robes ; et vous ressemblerez à la procession des capucins qui portaient le
mousquet sur leurs habits. Il fera beau vous y voir ! Si vous ne voulez pas laisser passer
l’édit, vous me ferez aller au Parlement. Vous serez ingrats en m’imposant cet embarras.
J’appellerai à témoin ceux de mon Conseil qui ont trouvé l’édit bon et nécessaire pour l’état
de mes affaires : M. le connétable, M. le chancelier, M. de Bellièvre, Sancy et Sillery1. Je l’ai
fait selon avis de ceux-ci et des ducs et pairs. Il n’y a pas un seul d’entre eux qui s’oserait
dire protecteur de la religion catholique, ni qui oserait nier m’avoir donné cet avis. Je suis le
seul conservateur de la religion : je m’emploierai à dissiper les bruits qu’on fait semer. On
s’est plaint, à Paris, que je voulais recruter des Suisses et réunir des troupes. Si je le faisais,
il faudrait le juger favorablement : ce serait à bonne fin, de la même manière que toutes mes
actions passées, comme en témoigne ce que j’ai fait pour la reconquête d’Amiens (en 1597),
pour laquelle j’ai employé l’argent des édits que vous n’auriez passé si je n’étais pas allé au
Parlement. La nécessité m’a fait faire cet édit (l’édit de Nantes) ; la même nécessité m’a fait
1
Il s’agit des membres éminents du gouvernement : Henri de Montmorency-Damville, connétable depuis 1593,
c’est-à-dire chef des armées en l’absence du roi ; Philippe Hurault, comte de Cheverny, chancelier de France, qui
mourut en juillet 1599 ; Pomponne de Bellièvre, surintendant des finances sous Henri III, membre du conseil
depuis 1595, puis chancelier à partir d’août 1599 ; Nicolas de Harlay, sieur de Sancy (1546-1629), chargé de
l’administration financière ; Nicolas Brulart de Sillery, secrétaire d’État sous Henri III, président à mortier du
Parlement de Paris, négociateur de la paix de Vervins (1598) et proche conseiller d’Henri IV, qui devint plus tard
chancelier.
faire autrefois le soldat. Des bruits ont couru, et n’en ai rien laisser paraître. Je suis roi
maintenant, et parle en roi, et veux être obéi ! […] »
DOCUMENT 5 : LE PARLEMENT DE PARIS ET LA FRONDE : L’ARRESTATION DU CONSEILLER
BROUSSEL ET LES DÉBUTS DE LA JOURNÉE DES BARRICADES D’APRÈS LES MÉMOIRES DU
CARDINAL DE RETZ (LIVRE II, ÉD. C.-B. PETITOT, 1825, P. 210 ET SQQ., 231 ET SQQ.)
[…] Ce mouvement fut comme un incendie subit et violent qui se prit du Pont-Neuf à
toute la ville. Tout le monde sans exception prit les armes. L’on voyoit les enfans de cinq et six
ans le poignard à la main ; on voyoit les mères qui les leur apportoient elles-mêmes. Il y eut
dans Paris plus de deux cents barricades en moins de deux heures, bordées de drapeaux, et de
toutes les armes que la ligue avoit laissées entières. Comme je fus obligé de sortir un moment
pour apaiser un tumulte qui étoit arrivé, par le malentendu de deux officiers du quartier, dans
la rue Neuve Notre-Dame, je vis entre autres une lance traînée plutôt que portée par un petit
garçon de huit ans, qui étoit assurément de l’ancienne guerre des Anglais. Mais j’y vis encore
quelque chose de plus curieux : M. de Brissac me fit remarquer un hausse-col sur lequel la
figure du jacobin qui tua Henri III étoit gravée ; il étoit de vermeil doré, avec cette inscription :
Saint Jacques-Clément. Je fis une réprimande à l’officier qui le portoit, et je fis rompre le
haussecol publiquement à coups de marteau sur l’enclume d’un maréchal. Tout le monde cria :
vive le Roi ! mais l’écho répondoit : point de Mazarin !
[…] Le parlement s’étant assemblé ce jour-là de très-bon matin, et devant même que
l’on eût pris les armes, apprit les mouvemens par les cris d’une multitude immense, qui hurloit
dans la salle du Palais Broussel ! Broussel ! et il donna arrêt par lequel il fut ordonné qu’on iroit
en corps et en habit au Palais-Royal redemander les prisonniers ; qu’il seroit décrété contre
Comminges, lieutenant des gardes de la Reine ; qu’il seroit défendu à tous gens de guerre, sur
peine de la vie, de prendre des commissions pareilles ; et qu’il seroit informé contre ceux qui
avoient donné le conseil, comme contre des perturbateurs du repos public. »