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Discours du Président de

la Cour Constitutionnelle
à l’occasion de l’Audience
Solennelle et Publique
de la Rentrée Judiciaire
2023-2024
Dieudonné
KAMULETA BADIBANGA
Président
1

République Démocratique du Congo


C o u r c o n s t i t u t i o n n e l l e 16 octobre 2014

Le Président

DISCOURS DU PRESIDENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE A L’OCCASION


DE L’AUDIENCE SOLENNELLE ET PUBLIQUE
DE LA RENTREE JUDICIAIRE 2023-2024

Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, Magistrat suprême,

(Avec l’assurance de mes hommages les plus déférents) ;

Honorable Président de l’Assemblée nationale ;

Honorable Président du Sénat ;

Monsieur le Premier ministre, Chef du Gouvernement ;

Madame et Messieurs les membres du Bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature, honorés


collègues ;

Monsieur le Président du Conseil Economique et Social ;

Honorables Députés nationaux et Sénateurs ;

Madame et Messieurs les juges à la Cour constitutionnelle, chers collègues ;

Mesdames et Messieurs les membres du Gouvernement ;

Mesdames et Messieurs les Hauts Magistrats ;

Mesdames et Messieurs les Membres du Corps diplomatique et Représentants des Organisations


Internationales ;

Mesdames et Messieurs les Présidents des Institutions d’Appui à la Démocratie ;

Monsieur le Chef d’état-major général des Forces Armées de la République Démocratique du


Congo ;

Monsieur le Commissaire général de la Police Nationale Congolaise ;


2

Mesdames et Messieurs les Représentants des Confessions religieuses ;

Mesdames et Messieurs les Magistrats civils et militaires ;

Monsieur le Bâtonnier National ;

Monsieur le Président de l’Assemblée provinciale de Kinshasa

Monsieur le Gouverneur de la Ville de Kinshasa ;

Monsieur le Commissaire Provincial de la Police Nationale Congolaise, ville de Kinshasa ;

Monsieur le Bourgmestre de la Commune de LINGWALA ;

Mesdames et Messieurs les Avocats ;

Mesdames et Messieurs membres des cabinets des Juges à la Cour constitutionnelle ;

Mesdames et Messieurs les membres du personnel de l’ordre judiciaire ;

Mesdames et Messieurs, distingués invités, en vos titres et qualités respectifs ;

Il est de coutume qu’à la rentrée judiciaire de hautes juridictions, se tienne une audience
solennelle au cours de laquelle le Président de la juridiction prononce un discours développant un
thème lié aux activités de sa juridiction.

S’agissant de la Cour constitutionnelle, l’article 100 alinéa 2 de son Règlement intérieur prévoit
ce qui suit : « La rentrée solennelle de la Cour constitutionnelle a lieu le premier samedi de la
deuxième quinzaine du mois d’octobre de chaque année ». Nous conformant à cette disposition,
nous nous sommes donné rendez-vous en ce jour, pour honorer cette tradition séculière à l’aune
de l’année judiciaire 2023-2024.

Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat et Magistrat suprême, au nom


de mes collègues et au mien propre, je tiens à vous exprimer ma profonde gratitude, d’avoir, en
dépit de vos charges d’Etat, accepté de répondre à l’invitation de la Cour constitutionnelle.

En effet, votre présence, une fois de plus, à la rentrée judiciaire de notre institution, témoigne à
suffisance de l’importance que vous attachez à l’enracinement et à l’émergence de la justice
constitutionnelle dans notre pays. Pour rappel, il y a à peine quelque semaine, vous aviez honoré
3

notre institution lors de la cérémonie de la pose de la première pierre pour la construction d’un
deuxième bâtiment de notre siège.

Excellence Monsieur le Président de la République, avec mes hommages renouvelés ;

Mesdames et Messieurs, distingués invités, en vos titres et qualités respectifs ;

A l’occasion de l’audience solennelle et publique de ce jour, la plénière de la Cour


constitutionnelle a choisi le thème «LES INCIDENCES DES INNOVATIONS DE LA LOI
N°06/006 DU 09 MARS 2006 PORTANT ORGANISATION DES ELECTIONS
PRESIDENTIELLE, LEGISLATIVES, PROVINCIALES, URBAINES, MUNICIPALES ET
LOCALES TELLE QUE MODIFIEE A CE JOUR SUR L’ACTIVITE DU JUGE
CONSTITUTIONNEL CONGOLAIS EN TANT QUE JUGE ELECTORAL ». Ce choix est
validé par le souci de baliser le chemin au vu des échéances électorales de décembre 2023.

En effet, la Cour constitutionnelle vient d’examiner le contentieux des candidatures pour les
élections législatives et se prépare à aborder le contentieux des candidatures pour l’élection
présidentielle. Il s’agira ainsi de mettre en évidence les différentes innovations apportées par la
réforme électorale de 2022 et leurs incidences sur l’activité du juge électoral, particulièrement la
Cour constitutionnelle.

Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, (Avec les hommages les
plus déférents) ;

Mesdames et Messieurs, distingués invités, en vos titres et qualités respectifs ;

INTRODUCTION

Après avoir identifié la contestation de la légitimité des institutions et de leurs animateurs


comme cause fondamentale des crises politiques et sécuritaires qu’a connu la République
Démocratique du Congo depuis son indépendance le 30 juin 1960 jusqu’au début des années
2000, le constituant de 2006 s’est résolu de mettre en place un nouvel ordre politique, basé sur
l’instauration d’un Etat de droit démocratique qui repose sur les principes fondamentaux
permettant à la fois la source populaire des pouvoirs publics, l’organisation de ces pouvoirs et la
4

protection des droits et libertés1. De là, on peut parler de « la démocratie constitutionnelle »2


congolaise parce qu’elle tend à promouvoir le pluralisme politique, à légitimer le pouvoir établi
et à éviter qu’il ne soit tyrannique et despotique s’imposant par la force3.

L’élection est pour ce faire, la voie indiquée d’accession au pouvoir et par lequel « un corps
électoral confère un mandat à une ou plusieurs personnes qu’il choisit par son vote »4. En tant
que tel, il existe les mécanismes, les procédures et les formalités de son organisation aussi bien
dans la Constitution que dans les lois5.

Le résultat souhaité de confier le mandat à la personne choisie par le corps électoral ne peut être
atteint que si au nombre des principes sur lesquels est fondée la source du pouvoir de l’Etat
figure le contrôle juridictionnel de la sincérité du scrutin. A ce propos, la quasi-totalité des Etats
à travers le monde6 attribue à leurs juridictions la compétence de statuer sur le contentieux des
élections.

Le contentieux électoral, au sens large, porte sur les litiges qui naissent à l’occasion de l’élection.
Ces litiges peuvent apparaître tout au long du processus électoral, donnant matière à plusieurs
branches du contentieux suivant l’objet et la finalité des recours7.

En République Démocratique du Congo, l’article 5 de la Constitution au-delà de l’affirmation


que tout pouvoir émane du peuple, attribue à la loi la prérogative de fixer les conditions
d’organisation des élections et du référendum et l’article 161 alinéa 2 du même texte fait de la
Cour constitutionnelle, juge du contentieux des élections présidentielle et législatives ainsi que
du référendum dans le but de garantir la régularité et la sincérité de l’élection8.

1
Lire BIAYA T.K., « Quelle démocratie pour l’Afrique ? Réflexion sur ses possibilités et ses caractéristiques »,
Symposium de Dakar sur la démocratie en Afrique, 1998, p.4.
2
Expression employée par Dominique Rousseau pour établir le lien entre la démocratie et le constitutionnalisme.
Lire KOSSI SOMALI, Le parlement dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique, Essai d’analyse comparée à
partir des exemples du Bénin, du Burkina Faso et du Togo, thèse de doctorat à la Faculté des sciences juridiques,
politiques et sociales, Université de Lille 2 - droit et santé, 2008, p.17.
3
Idem.
4
LE DIVELLEC A. et DE VILLIERS M., Dictionnaire du droit constitutionnel, 13e éd, Sirey, Paris, 2022, p. 156.
5
BIAYA T.K, « Quelle démocratie pour l’Afrique ? Réflexion sur ses possibilités et ses caractéristiques », Op.cit.,
p. 4.
6
Lire LE DIVELLEC A. et DE VILLIERS M., Op.cit., p.156.
7
Organisation internationale de la francophonie, Vade-mecum du contentieux des élections en RDC, juin 2006, p.4.
8
Lire dans ce sens MAMADOU SENE, La juridictionnalisation des élections nationales en Afrique noire
francophone : les exemples du Benin, de la Côte d’ivoire et du Sénégal. Analyse politico-juridique, Thèse de
doctorat, Université de Toulouse, 2017.
5

En effet, sous l’empire de la Constitution du 18 février 2006, le législateur n’a pas arrêté de
modifier successivement la loi électorale, dans le but de parfaire le processus, ce qui n’est pas
sans incidence sur le travail du juge électoral, obligé à s’adapter à l’évolution intervenue laquelle
peut, dans certaines mesures, l’amener à faire évoluer sa jurisprudence.

La loi électorale a subi plusieurs modifications9 dont la dernière en date intervenue par la Loi n°
22/029 du 29 juin 2022, pour permettre une élection calme et apaisée en intégrant les différentes
critiques qui ont été formulées par les parties prenantes, après les échéances électorales de 2018.

Intéressée par cette dernière réforme, la présente allocution tente de répondre à la question de
savoir de quelle manière les innovations qu’elle apporte exercent une influence sur le travail de
la Cour constitutionnelle, siégeant comme juge électoral, afin de rendre compte de l’évolution du
droit électoral congolais.

Ainsi, selon que les contestations et leur règlement se situent en amont ou en aval du vote
proprement dit10, la jurisprudence de la Cour sera examinée en rapport avec chaque étape du
processus électoral. Il s’agira en premier lieu de brosser les différentes innovations apportées par
la réforme du 29 juin 2022 (I) ; viendra ensuite la question relative à leur incidence sur le
traitement du contentieux des candidatures (II), il sera aussi question d’aborder quelques traits
marquants de la jurisprudence de la Cour en dehors des innovations de la loi électorale(III).

I. LES INNOVATIONS DE LA LOI ELECTORALE SOUS L’EMPIRE DE LA


REFORME DU 29 JUIN 2022

La dernière modification de la Loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections
présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales est intervenue à travers
la Loi n° 22/029 du 29 juin 2022. Avant de procéder à la présentation et à l’analyse des
innovations introduites par cette dernière (B), il semble opportun de présenter préalablement le
cadre normatif des élections politiques en droit congolais (A).

9
Il s’agit des lois n° 11/003 du 25 juin 2011, n° 156/001 du 12 février 2015 et n° 17/013 du 24 décembre 2017.
10
TSHIMANGA MUKEBA., « Du contentieux électoral en RDC » Mercuriale prononcée lors de la rentrée
judiciaire du 02 octobre 2004, in Bulletin des arrêts de la CSJ, années 2000 à 2003, Kinshasa, édition du Service de
documentation et d’étude du ministère de la justice, p.363.
6

A. Cadre normatif
Comme précisé dès l’entame de notre propos, la Constitution du 18 février 2006 et la Loi
n°06/006 du 09 mars 2006 constituent le principal support normatif des élections en droit positif
congolais. Aux côtés de deux textes juridiques précités, il y a aussi la Loi organique n°13/012 du
28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission électorale nationale
indépendante telle que modifiée et complétée à ce jour, la Loi organique n° 16/027 du 15 octobre
2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre
administratif, la Loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et
fonctionnement de la Cour constitutionnelle, la loi sur la répartition des sièges par
circonscription électorale dont la dernière en date est celle du 15 juin 2023, ainsi que les
règlements et décisions d’application desdits textes11, précisément de la loi électorale12, qui en
assurent l’exécution.

En effet, ces textes constituent non seulement la source par excellence du droit électoral
congolais depuis 2006, mais aussi une étape décisive dans le processus conduisant à des
élections régulières, libres et transparentes. Ils encadrent l’opération électorale depuis la
constitution des listes électorales jusqu’au scrutin, en passant par l’enregistrement des
candidatures. Comme partout ailleurs, les conditions de la propagande et le déroulement de vote
y sont aussi décrits13.

Les textes précités sont communs à l’ensemble des élections en République Démocratique du
Congo. Cependant, les élections qui nous préoccupent sont celles dont le contentieux relève de la
compétence de la Cour constitutionnelle, à savoir les élections présidentielle et législatives
nationales.

Dans le but de prendre en compte les recommandations de différents acteurs afin de garantir des
élections libres, démocratiques, transparentes et sincères, le législateur modifie les règles du jeu,
en répondant aux différentes critiques portées contre la loi qui a précédé en vue d’améliorer le
cycle suivant.

11
Voir notamment le Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle du 10 août 2018, in JORDC numéro spécial
du 16 novembre 2018.
12
Décision n°036/CENI/2022 du 25 août 2022 portant mesures d’application de la loi électorale de 2006 telle que
modifiée et complétée en 2011, en 2015, en 2017 et en 2022.
13
Lire M. DE VILLIERS et Cie., Code électoral, LexisNexis, 2020, Paris, p.3.
7

A cet effet, après le cycle électoral de 2006, la loi électorale a subi une modification juste à
l’aube des élections de 2011, par la Loi n°11/003 du 25 juin 2011. Après les échéances de 2011,
elle a été modifiée en 2015 par la Loi n°15/001 du 12 février 2015, en perspectives des élections
qui devaient normalement être organisées en 2016. Le troisième cycle électoral de 2018 sera
précédé par la modification législative du 24 décembre 2017.

Cinq ans après la modification de 2017, la loi électorale a fait l’objet de la réforme qui nous
intéresse au seuil du quatrième cycle électoral.

Ainsi, chaque modification de la loi électorale vient avec son lot d’innovations qui demande au
juge électoral, en l’occurrence la Cour constitutionnelle, une adaptation, ce qui n’est pas sans
conséquence ou sans incidence sur son activité juridictionnelle, voire sur sa jurisprudence.

B. Innovations introduites par la loi n°22/029 du 29 juin 2022


Il nous parait utile de souligner que cette réforme législative a pour ambition de répondre
adéquatement aux problèmes pratiques constatés lors du cycle électoral précédent, en mettant
concrètement sur pied un système électoral crédible et mieux adapté.

A ce sujet, il ressort de l’exposé des motifs de la loi précitée les innovations ci-après :

Ø L’introduction du seuil de recevabilité des listes au prorata de 60 % de sièges en


compétition ;
Ø La prise en compte de la dimension genre dans la constitution des listes conformément à
l’article 14 de la Constitution ;
Ø La distinction des inéligibilités définitives pour condamnation par décision judiciaire
irrévocable pour crimes graves tels que ceux relevant du Statut de Rome instituant la
Cour pénale internationale de celles temporaires pour les autres infractions ;
Ø La définition d’un régime légal exhaustif pour le vote électronique et semi électronique ;
Ø L’obligation pour la Commission électorale nationale indépendante d’afficher les
résultats bureau par bureau de vote au niveau des centres de vote et des centres locaux de
compilation des résultats ;
Ø L’obligation pour la Commission électorale nationale indépendante de publier tous les
résultats bureau de vote par bureau de vote sur son site internet ;
8

Ø L’obligation pour la Commission électorale nationale indépendante de publier la


cartographie électorale trente jours avant le début de la campagne ;
Ø L’obligation pour la Commission électorale nationale indépendante d’assurer la
transmission des plis destinés aux cours et tribunaux ayant le traitement des contentieux ;
Ø L’obligation pour les cours et tribunaux de se servir des plis contenant des procès-
verbaux lors du traitement des contentieux ;
Ø La déchéance de plein droit de la qualité de l’élu même après l’expiration du délai de
contestation de candidature ;
Ø La définition du régime juridique de l’erreur matérielle contenue dans la décision du juge
électoral ;
Ø L’interdiction de cumuler l’exercice d’une fonction au sein de la Commission électorale
nationale indépendante avec l’exercice direct ou indirect d’une activité politique ;
Ø L’interdiction à toute autorité publique quelconque d’accéder aux bureaux des opérations
électorales et d’intimer l’ordre aux électeurs, témoins et observateurs.
De cette énumération, quoique non exhaustive, seules les innovations ayant une incidence directe
sur l’activité de la Cour constitutionnelle feront l’objet de notre propos, particulièrement celles
relatives au contentieux des candidatures.

II. INNOVATIONS LEGISLATIVES DANS LE CADRE DU CONTENTIEUX


DES CANDIDATURES

Pour ce qui concerne la phase du contentieux des candidatures, plusieurs innovations législatives
ont été apportées. Il s’agit notamment des cas des inéligibilités définitives et temporaires, de la
prise en compte de la dimension genre dans la constitution des listes électorales, conformément à
l’article 14 de la Constitution, du seuil de recevabilité des listes au prorata de 60% de sièges en
compétition et de l’interdiction de cumuler l’exercice de fonctions d’agent de la Commission
électorale nationale indépendante avec une activité politique.

Cela étant précisé, abordons à présent chaque innovation retenue dans ce cadre singulièrement.

1. Les cas des inéligibilités


La loi électorale prévoyait, avant la réforme intervenue récemment, précisément à son article 10,
des cas des inéligibilités. Cependant, à la lecture de la disposition légale précitée telle que
modifiée, il se distingue dorénavant des cas des inéligibilités définitives de celles appelées
9

temporaires. Cette innovation apporte une distinction inhérente à la jouissance des droits
politiques14 dans la perspective de la moralisation des enjeux électoraux. Elle vient donc
renforcer une dimension essentielle liée à la moralité des élections.15

A. Des inéligibilités définitives


L’article 10 in fine de la loi électorale telle que modifiée à ce jour dispose : « Sont inéligibles à
titre définitif, les personnes condamnées par décision judiciaire irrévocable pour crimes de
guerre, crime de génocide et crimes contre l’humanité ».
Au regard de cette disposition, certaines personnes ne pourraient désormais en aucun cas être
éligibles à une élection ni avoir accès aux fonctions publiques électives, à partir du moment
qu’elles ont été condamnées par une décision de justice devenue irrévocable pour l’un de trois
crimes, à savoir les crimes de guerre, les crimes de génocide et crimes contre l’humanité et dont
l’auteur est reconnu coupable et condamné16. L’inéligibilité dans ce contexte est d’origine
judiciaire17.

Appelée à appliquer cette disposition, dans la cause sous RCE 0252/DN initiée sur saisine du
Procureur général près la Cour constitutionnelle contre les candidatures heurtant la disposition
susvisée, par son arrêt rendu le 12 septembre 2023, la Cour a constaté l’inéligibilité à titre
définitif des candidats concernés et a ordonné à la CENI de les retirer respectivement des listes
du parti politique et du regroupement politique qui les avaient alignés. Ainsi, sur cet aspect, la
Cour a annulé la décision de la CENI qui avait déclaré recevables ces candidatures de nos
compatriotes qui avaient été condamnés par les juridictions internes et internationales pour
crimes contre l’humanité, crimes de guerre et enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et du fait
de les avoir fait participer activement à des hostilités.

14
J-M. DUVAL, « Droit électoral. La sanction des comportements irréguliers relevés au cours des opérations
électorales », Revue française de droit constitutionnel, vol. 48, no. 4, 2001, p. 825.
15
Voy. R. YENGA, Nationalité congolaise, bonne moralité et élections en République démocratique du Congo,
Editions universitaires européennes, 2018.
16
Il s’agit du jugement qui n’est pas susceptible d’être frappé par des voies de recours, soit que ces recours aient été
exercés, soit que les délais pour les exercer soient expirés. Lire S. GUINCHARD et T. DEBARD, Lexique des
termes juridiques 2022 -2023, Dalloz, Paris, 2022, p.618. Suivant l’article 91 de la Loi organique n°13/011_B du 11
Avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, la Cour
d’appel connaît en premier ressort les crimes de guerre, les crimes de génocide et crimes contre l’humanité.
17
J-L. ESAMBO KANGASHE, Le Droit électoral congolais, 2ème édition, Louvain-La-Neuve, Academia-
L’harmattan, 2020, p.72.
10

Il sied de noter que, bien que le Procureur général près la Cour constitutionnelle ne soit pas repris
parmi des requérants en contestation de la liste provisoire des candidats, c’est à bon droit que la
Cour a estimé que ce dernier pouvait intervenir en l’espèce dès lors que les dispositions légales
d’ordre public sont mises en péril18.

L’arrêt susvisé pourrait, en outre, soulever d’autres questions au vu de la modification de la loi


électorale du 29 juin 2022 qui est postérieure aux faits et à la décision de condamnation. Cette
situation appelle quelques éclaircissements.

En effet, le principe est que « l’inéligibilité est une sanction civile ou pénale : seule une loi entrée
en vigueur au moment des faits peut l’établir »19. Cet enseignement dérive de la jurisprudence du
juge constitutionnel français qui considère que les faits pour lesquels l’impétrant peut être
condamné doivent avoir été commis après l’entrée en vigueur de la loi20. En d’autres termes, la
loi nouvelle ne rétroagit pas.

Dans le cas qui nous concerne, il faut remarquer que la réforme du 29 juin 2022 telle que
disposée à l’article 10 in fine, n’est nouvelle qu’en apparence puisque depuis le 25 juin 2011, le
législateur avait disposé que les personnes condamnées par un jugement irrévocable pour crimes
de guerre, crimes de génocide et crimes contre l’humanité étaient inéligibles21. Bref, les
personnes condamnées pour cette catégorie d’infractions étaient inéligibles à titre définitif.

18
Il y a lieu de noter que les dispositions légales ou réglementaires d’ordre public constituent l’ensemble des règles
obligatoires qui touchent à l’organisation de la nation, à la sécurité, à la paix publique et aux droits et libertés
fondamentaux des citoyens dont le parquet est chargé d’assurer le respect en disposant d’un pouvoir d’initiative et
d’intervention. Il sied d’observer que les dispositions de la loi électorale sur l’inéligibilité définitive aux élections en
République Démocratique du Congo, de toute personne condamnée par décision judiciaire irrévocable pour crime de
guerre, crime de génocide et crime contre l'humanité, sont d’ordre public en ce qu’elles interdisent à la Commission
électorale nationale indépendante de retenir pareille candidature et permettent même que le candidat proclamé soit
déchu de plein droit de la qualité d'élu, même après l'expiration du délai de contestation des candidatures, s’il se
retrouve dans ce cas d'inéligibilité.
C’est ainsi que la Cour a admis que le Procureur général peut bien contester la candidature d’une personne
condamnée par décision judiciaire irrévocable afin de préserver la sécurité, la tranquillité et la paix publiques lors
des scrutins, même à l’absence de la contestation de ladite candidature par un candidat ou par un parti ou
regroupement politique, ayant présenté la candidature dans la circonscription électorale concernée.
19
Jean- Pierre CAMBY, Le conseil constitutionnel juge électoral, Dalloz, Paris, 2022, p. 72.
20
Lire dans ce sens Conseil constitutionnel français, Décision n° 2000-2581 AN du 30 mars 2000, in www.conseil-
constitutionnel.fr

21
Article 10 de la Loi n°11/003 du 25 juin 2011 modifiant la loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des
élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales.
11

B. Des inéligibilités temporaires

La loi électorale, prévoit d’autres cas d’inéligibilité qui ne sont pas définitives. Elles sont
temporaires et constituent un empêchement pour toute personne à se porter candidat à une
élection politique, et ce, pour plusieurs raisons.

Elles peuvent être consécutives à la fonction qu’exerce la personne concernée. Ainsi, dès lors
qu’elle n’assume plus les charges publiques qui l’empêchaient de se présenter au scrutin, elle
recouvre son droit de se faire élire. C’est le cas des membres de la Commission électorale
nationale indépendante et des mandataires actifs dans les établissement publics et sociétés du
portefeuille.

C’est dans ce sens que la CENI avait déclaré une candidature irrecevable au motif que le
candidat concerné était un agent de la CENI. Cependant, dans son arrêt sous RCE 022 du 26 août
2023, la Cour a précisé que « la disposition de l’article 10 point 9 de la loi électorale évoquée par
la CENI ne s’applique pas dans le cas d’espèce, d’autant plus que cette dernière est en défaut
d’apporter la preuve de l’acte d’engagement ou de la nomination de l’intéressé tel que prévu par
l’article 25 litera 10 de la Loi organique portant organisation et fonctionnement de la CENI ».
Dans l’entendement de cet arrêt, l’inéligibilité temporaire concernée par le cas d’espèce doit se
prouver par des actes.

D’autres cas d’inéligibilité temporaire peuvent résulter de la condamnation judiciaire irrévocable


du chef notamment des infractions de corruption, de détournement des deniers publics ainsi que
de banqueroute.

Pour les deux premières, le législateur prévoit généralement comme peine supplémentaire aux
peines principales, l'interdiction pour cinq ans au moins et dix ans au plus, après l'exécution de la
peine, du droit de vote et du droit d'éligibilité 22.

C’est aussi les cas des personnes frappées d’incapacité mentale médicalement prouvée au cours
des cinq dernières années précédant les élections. Pour ces personnes, la décision judiciaire
établissant leur incapacité doit, s’il s’avère, sur base d’une expertise médicale, qu’elles sont

22
Articles 145 alinéa 2 et 149 bis du code pénal.
12

désormais lucides, être changée par une autre attestant leur nouvel état avant de jouir du droit à
l’éligibilité ; compétence qui revient au juge civil et non au juge électoral.

En somme, l’inéligibilité temporaire cesse lorsque sa cause n’existe plus. Ainsi, la personne
concernée a la possibilité de recouvrer son droit de vote et d’éligibilité.

Lors du traitement du contentieux des candidatures, le juge électoral vérifie les motifs justifiant
la recevabilité ou l’irrecevabilité de la candidature contestée.

Il y a lieu de relever que seul le candidat indépendant ou le parti ou regroupement politique ayant
présenté un candidat dans la circonscription électorale concernée peut contester une candidature
pour cause d’inéligibilité.

A ce propos, sous RCE 0242/DN du 31 août 2023, la Cour constitutionnelle a déclaré


irrecevable une requête sur pied de l’article 25 de la loi électorale, car le requérant n’avait pas
présenté des candidats aux élections législatives dans les circonscriptions électorales dont
référence dans sa requête23.

On peut légitimement se poser la question de savoir ce qu’il en serait lorsque la personne dont la
candidature est contestée devant le juge de l’élection se retrouve encore en pleine instance
judiciaire devant le juge pénal pour crimes de guerre ou crimes de génocide et contre l’humanité.
Le contentieux électoral étant par nature soumis au principe de célérité, il n’est donc pas
concevable que le juge électoral dépasse les délais légaux24pour statuer en contentieux des
candidatures au risque de perturber le calendrier électoral et de retarder l’installation des
nouveaux animateurs des institutions issus de l’élection.

Il est évident, dans pareil cas, que le juge pénal ne peut tenir le juge électoral en état. Ce dernier
devra simplement constater qu’un candidat, sur qui il ne pèse pas encore une décision judiciaire
irrévocable, bénéficie de la présomption d’innocence et valider sa candidature.

Toutefois, lorsque la personne mise en cause est postérieurement condamnée irrévocablement


pour les crimes précités, dans le cas où elle avait été élue, la loi laisse la possibilité de sa

23
C.C. RCE 0242/DN : Requête du regroupement politique « RDT ».
24
Article 40 de la Décision n°036/CENI/2022 du 25 août 2022 portant mesures d’application de la loi électorale de
2006 telle que modifiée et complétée en 2011, en 2015, en 2017 et en 2022.
13

déchéance de plein droit de sa qualité d'élu, même après l'expiration du délai de contestation de
candidature25.

2. La prise en compte de la dimension genre dans la constitution des listes


conformément à l’article 14 de la Constitution

L’une des autres innovations de cette nouvelle loi électorale concerne la mesure incitative prise
dans la (loi électorale) en vue de l’effectivité de l’article 14 de la Constitution qui institue la
parité au regard homme-femme dans la participation à la gestion des affaires publiques à travers
l’éligibilité des femmes.

Dans l’esprit de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, cette
innovation consacre une discrimination positive pour annihiler toute forme de discrimination à
l’égard de la femme26, dans le processus électoral.

Outre la Constitution, l’article 1er de la Loi n°15/013 du 1er août 2015 portant modalités
d’application des droits de la femme et de la parité, fait obligation aux pouvoirs publics de veiller
à l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard de la femme et d’assurer la protection
et la promotion de ses droits.
Dans ce cas, ils doivent prendre dans les domaines civil, politique, économique, social et
culturel, toutes les mesures appropriées pour assurer le total épanouissement et la pleine
participation de la femme au développement de la nation.

Le législateur a été amené à prendre les mesures appropriées pour assurer une pleine
participation de la femme au processus électoral. Avant la réforme de 2022, la loi électorale, en
son article 13 alinéa 2, prescrivait déjà que chaque liste de parti ou regroupement politique
devrait être établie en tenant compte de la représentation de la femme27 et de la personne vivant
avec handicap.

25
Articles 110 de la Constitution et 10 bis de la loi électorale.
26
F. GASPARD, « Égalité de droit, discrimination de fait : un combat qui ne s’arrête pas », Après-demain, vol. 3, no
3, 2007, p. 5. Voy. J. MOSSUZ-LAVAU, « La parité en politique, histoire et premier bilan », Travail, genre et
sociétés, vol. 7, no. 1, 2002, pp. 41-57.
27
Article 13 alinéa 2 de la loi électorale telle que modifiée et complétée avant la réforme de 2022.
14

L’objectif de l’article 14 de la Constitution n’ayant pas été atteint, l’actuelle réforme a modifié le
troisième alinéa de l’article 13 de la loi électorale dans le but d’encourager les partis et
regroupements politiques à aligner plus de femmes sur leurs listes et leur donner ainsi l’occasion
de pouvoir participer au développement de la Nation.

Concrètement, la nouvelle disposition exempte du paiement du cautionnement, la liste électorale


d’un parti ou regroupement politique qui alignerait au moins 50% de femmes dans une
circonscription électorale.

Face à cette exigence légale, que doit alors être la posture du juge électoral en cas de réclamation
ou de contestation d’une liste de candidature qui aligne au moins 50% des femmes dans une
circonscription ?

Comme il a été relevé plus haut, lorsqu’il y a contestation ou réclamation, le juge électoral
vérifie la régularité de la décision de la Commission électorale nationale indépendante au regard
des exigences légales de recevabilité d’une candidature. S’il constate que la liste présentée aligne
50% des femmes au minimum, il sera tenu de s’assurer que les frais de dépôt de candidatures
n’ont pas été exigés, au cas contraire, il se doit de corriger cette irrégularité en faisant prévaloir
l’autorité de la loi en validant ladite liste si toutes les conditions légales sont respectées et
ordonnera à la CENI de restituer les frais de cautionnement payés.

Mais il convient de signaler que le juge électoral ne peut, en aucun cas, exempter une liste des
frais du dépôt sous un quelconque motif et sans preuve dès lors que 50% de candidatures
féminines ne sont pas atteints. Ce seuil est le minimum légal, et donc d’interprétation stricte.
La question de l’interprétation stricte de la disposition s’est posée lors du contentieux des
candidatures devant la Cour où un regroupement politique avait contesté la décision de la CENI
portant publication des listes provisoires des candidatures.

En effet, sous RCE 0017 du 26 août 2023 le requérant reprochait à la CENI de n’avoir pas voulu
réceptionner 135 dossiers des candidatures reprenant 50% de femmes au motif qu’il n’avait pas
annexé au dossier des candidatures les preuves de paiement des frais y afférents.
Cependant, la Cour constitutionnelle a relevé que le requérant n’avait pas produit d’éléments
probants. Par cette réponse, la Cour a voulu rappeler qu’une telle procédure ne nécessite pas
15

seulement d’alléguer l’alignement de 50% de femmes, mais qu’il faudrait également prouver ses
allégations, car qui allègue un fait doit en apporter la preuve.

3. L’introduction du seuil de recevabilité des listes au prorata de 60% des sièges en


compétition

La réforme de 2022 a institué le seuil de recevabilité des listes.

A ce sujet, l’article 22 in fine de la loi électorale dispose : « Sont également irrecevables les
listes du parti ou du regroupement politique qui n’auront pas atteint 60% des sièges en
compétition. Cette disposition s’applique aux élections législatives, provinciales, municipales et
locales directes».

En effet, il convient de rappeler que, à ce jour, la loi électorale comporte désormais deux seuils :
Celui de représentativité, issu de la réforme de 2017, qui se situe en aval du scrutin et celui de
recevabilité introduit en 2022 qui se situe en amont.

Il importe de retenir que le seuil de recevabilité des listes de candidatures est un pourcentage fixé
par la loi que les partis et regroupements politiques doivent atteindre pour que leurs listes de
candidatures soient recevables28. Il s’applique aux élections des députés nationaux et provinciaux
ainsi que celles des conseillers municipaux, communaux, locaux ou de secteur ou chefferie,29
c’est-à-dire des élections relatives aux assemblées délibérantes dans lesquelles les sièges sont en
compétition.

Concernant l’élection des députés nationaux, rappelons que le nombre des sièges à l’Assemblée
nationale est de 50030. Les députés nationaux ont un mandat national car, conformément à
l’article 101 de la Constitution alinéa 4, ils représentent la Nation. Au regard du principe posé
par l’article 22 in fine de la loi électorale telle que modifiée et complétée à ce jour, pour que la
liste d’un parti ou regroupement politique soit déclarée recevable, ce dernier doit présenter un
minimum de 300 candidats.

28
Article 41 de la Décision n°036/CENI/2022 du 25 août 2022 portant mesures d’application de la loi électorale de
2006 telle que modifiée et complétée en 2011, en 2015, en 2017 et en 2022.
29
Voir à cet effet les articles 118, 144, 191 et 209 de la loi électorale du 24 décembre 2017.
30
Article 115, deuxième alinéa, de la loi électorale du 09 mars 2006.
16

En apparence, cette nouvelle matière peut soulever des questions liées notamment à la nature du
contentieux du seuil de recevabilité, à la qualité des personnes pouvant venir en réclamation ou
contestation de la décision d’irrecevabilité des listes pour non atteinte du seuil ou à l’étendue de
la saisine du juge électoral.

La question du seuil de recevabilité ne constitue pas un nouveau type de contentieux ou une


sous-catégorie du contentieux de candidature. Il n’est qu’une exigence supplémentaire à des
conditions déjà existantes pour qu’une liste des candidatures puisse être déclarée recevable par le
Bureau de réception et de traitement des candidatures.

Si le juge électoral reçoit une contestation d’une décision de la Commission électorale nationale
indépendante invalidant une liste des candidatures présentée par un parti ou regroupement
politique pour non atteinte du seuil de recevabilité, il appréciera, au regard des éléments et pièces
en présence, le fondement de la décision de la Commission électorale nationale indépendante.

Dans ce sens, la Cour a décidé sous RCE 0034/DN du 30 août 2023 que, dès lors que le
requérant a produit au dossier des récépissés de candidatures, des attestations de paiement du
cautionnement, des listes journalières (listes albums) et d’autres pièces pertinentes constituant
des preuves de dépôt de candidatures, mais aussi des lettres de dénonciation et des procès-
verbaux de constat du refus de la part des agents de certains BRTC de réceptionner les
candidatures, il y a lieu d’ordonner à la CENI de constater que le requérant a déposé des listes
de candidatures faisant un total, pour l’ensemble du territoire national, de 320 candidats,
atteignant, de ce fait, le seuil de recevabilité et de publier ces listes dans la liste définitive des
candidatures31.

Dans l’hypothèse où le juge constate que le seuil n’a pas été atteint, la liste des candidatures sera
invalidée. De même, lorsque, en invalidant certains candidats, une liste des candidatures qui
avaient atteint le seuil avant les invalidations se voit vidée de certains candidats ne permettant
plus d’atteindre le seuil, cette liste sera, par voie de conséquence, déclarée irrecevable.

31
C.C., RCE 0034/DN du 30 août 2023 : Requête du Regroupement politique Front Patriotique 2023 « FP 2023 ».
Cette même position est reprise dans l’arrêt sous RCE 0134/DN du 31 août 2023: Regroupement politique Action
des alliées Tous pour le Développement du Congo, « en sigle 2A/TDC » et l’arrêt sous RCE 0039/DN du 30 août
2023 : Requête du Regroupement politique Alliance des congolais pour la refondation de la nation, « ACRN ».
17

Dans la cause sous RCE 0210/DN du 31 août 2023, la Cour a relevé que, si le parti au profit
duquel le candidat avait déposé sa candidature, n’avait pas atteint le seuil exigé par l’article 22
alinéa 2 de la loi électorale, il n’y a pas lieu que la susdite candidature soit maintenue.32

Cependant, dans l’hypothèse où le parti ou le regroupement politique n’a pas atteint le seuil de
recevabilité du fait du refus de la CENI de réceptionner, sans motif valable, certaines de ses
listes, un tel préjudice mérite d’être réparé. C’est dans ce sens que, sous RCE 0136/DN du 31
août 2023, la Cour a ordonné à la CENI de recevoir les dossiers de candidatures d’un
regroupement politique dans des circonscriptions bien déterminées et de constater que ce
regroupement a atteint le seuil de recevabilité.

La Cour a motivé sa décision comme suit : « Le fait pour le requérant d’avoir satisfait aux
exigences légales et règlementaires pour les circonscriptions électorales où il a présenté des
candidatures et qu’il est prouvé à suffisance de droit que, dans certaines circonscriptions
électorales, le dépôt n’a pas été admis du fait de la mauvaise foi ou de la négligence de certains
agents de la CENI, il n’y a aucune raison que le requérant soit préjudicié et qu’il convient de
réparer ce dommage ».

En somme, l’introduction de seuil de recevabilité participe à la rationalisation du processus


électoral en cours et au renforcement de l’efficacité de la gestion dudit processus.

4. L’interdiction de cumuler l’exercice des fonctions d’un agent de la Commission


électorale nationale indépendante avec une activité politique.

L’article 79 bis de la loi électorale dispose que « l’exercice d’une fonction au sein de la
Commission électorale nationale indépendante, au niveau national, provincial et local est
incompatible avec l’exercice direct ou indirect d’une activité politique ».

En effet, la locution latine « aliquis non debet esse judex in propria causa, quia non potest esse
judex et pars » qui veut dire « personne ne doit être juge de sa propre cause, parce qu’on ne
peut être juge et partie », traduit clairement la volonté du législateur d’éviter que les agents de la
Commission électorale nationale indépendante, chargés d’assurer le déroulement harmonieux des

32
C.C., RCE 0210/DN : Requête de Monsieur OKUNDJI NJOVU Emery.
18

élections, se retrouvent eux aussi en compétition électorale et deviennent ainsi juge et partie, ce
qui serait de nature à mettre en danger l’indépendance et l’impartialité de la centrale électorale
en créant un conflit d’intérêt.

Pour rappel, une incompatibilité à la différence de l’inéligibilité n’empêche pas l’élection de


celui qui possède la fonction incompatible, mais elle vise à préserver l’indépendance tant de l’élu
que du fonctionnaire33 pour préserver les organes de gestion du processus électoral des
conséquences pouvant résulter de tout conflit d’intérêt. Il était donc opportun d’interdire à tout
agent de la Commission électorale nationale indépendante l’exercice d’une quelconque activité
politique.

En cas de contestation de la décision du rejet de la candidature par la Commission électorale


nationale indépendante, le juge électoral doit vérifier si cette preuve de la mise en disponibilité a
été versée dans le dossier du candidat. A défaut, il maintiendrait la décision d’irrecevabilité de la
candidature.

Que serait alors le sort de la liste électorale du regroupement ou parti politique ayant présenté un
candidat se trouvant dans un cas de cumul ? Nous estimons qu’il ne concernera que celui qui a
commis la faute qui demeure individuelle, s’il est attesté que le regroupement politique n’était
pas au courant de cette situation, en harmonie avec la jurisprudence de la Cour qui estime qu’il
n’est pas équitable que le parti ou le regroupement politique soit sanctionné pour un manquement
du candidat qui ne lui est pas imputable, le concerné devant seul subir la sanction34.

III. ANALYSE DE L’EVOLUTION DE LA JURISPRUDENCE EN DEHORS DE


LA REFORME DE LA LOI ELECTORALE

Au-delà de l’analyse des innovations introduites par la loi électorale, il s’avère d’une grande
utilité, par cette occasion solennelle, de revenir sur trois questions majeures sur lesquelles la
Cour a eu à déterminer sans atermoiements sa position.
33
L. TOUVET & Yves-Marie DOUBLET, Droit des élections, 2ème édition, Paris, Economica, 2014, p.123.
34
Voir à ces propos les arrêts C.C., RCE 0172/DN : Requête du regroupement politique Actions Audibles pour la
Bonne Gouvernance « AABG » ; RCE 0143/DN : Requête du Regroupement politique Forces Politiques alliées à
l’UDPS « FPAU/Tshisekedi » ; RCE 0194/DN : Requête du Regroupement politique Action des Alliés pour l’Essor
du Congo « AAec » ; RCE 0078/DN : Requête du parti politique Leadership et Gouvernance pour le
Développement, « LGD » ; RCE 0142/DN : Requête du Regroupement politique Forces Politique Alliées à l’UDPS/
TSHISEKEDI, « FPAU/TSHISEKEDI » ; RCE 0125/DN : Requête du Regroupement politique Dynamique
Progressiste Révolutionnaire, « DYPRO » ; RCE 0127/DN : Requête du Regroupement politique Dynamique
Progressiste Révolutionnaire, « DYPRO ».
19

A. Application par le juge électoral de l’article 21 point 3 de la loi électorale

Le premier point de l’évolution de la jurisprudence porte sur l’application de l’article 21 point 3


de la loi électorale qui dispose, en substance, qu’une candidature est irrecevable lorsque le
candidat s’est présenté en même temps dans plusieurs circonscriptions électorales pour le même
scrutin.

En effet, en application de cette disposition, la CENI a eu à invalider des candidatures aux motifs
que les candidats invalidés apparaissaient sur une autre liste. Mais lorsque ces candidats viennent
en contestation de la décision de la CENI les invalidant, la Cour n’a pas manqué à plusieurs
occasions de vérifier si toutes les conditions étaient réunies pour pouvoir invalider la candidature
d’un citoyen et, par ricochet, la mise en suspension de son droit fondamental d’être élu pour
l’échéance concernée.

C’est le cas notamment35 de l’arrêt RCE 0139/DN du 30 août 2023.

Vérifiant les pièces, la Cour constitutionnelle constata que le requérant ne savait pas qu’un autre
regroupement politique l’avait aligné ailleurs comme suppléant et cela sans son accord. Devant
pareille situation, la Cour estime que, pour candidater même comme suppléant, cela exige
l’intervention et l’engagement personnel du concerné. Ainsi, le fait pour un autre regroupement
politique que le sien de l’aligner dans ce sens est un acte de fraude, qui ne pourrait être imputé ni
au candidat qui est titulaire ni au regroupement politique qui a présenté la candidature, leur
bonne foi devant être protégée.

Dans un autre dossier, le RCE 0141/DN du 31 août 2023, la Cour a été saisie par une requête en
validation d’une candidature sur la liste d’un regroupement politique.

Dans les faits, son regroupement soutient le caractère arbitraire et non fondé de la décision de la
CENI invalidant le précité aux motifs que sa candidature était irrégulière alors que, au regard des
pièces du dossier, le candidat invalidé, non seulement détenait le récépissé lui remis par la CENI,
mais n’avait pas été alerté par cette dernière pour venir corriger cette irrégularité évoquée par
elle tel que le prévoit la loi électorale. C’est ainsi qu’elle avait saisi la Cour constitutionnelle
pour contester la décision l’invalidant.

35
A insérer dans ce lot également les arrêts RCE 0139/DN du 30 août 2023 et RCE 0141/DN du 31 août 2023.
20

Vérifiant les pièces même celles produites par la CENI, la Cour constata qu’il n’y en avait
aucune dans le dossier attestant que le candidat invalidé était invité pour régulariser son dossier.
Ce faisant, la Cour estima que les droits de la défense énoncés à l’article 61 point 5 de la
Constitution supposent qu’aucune sanction ne peut être portée contre une personne sans qu’il ne
lui soit accordé la possibilité de rencontrer les griefs portés à sa charge susceptibles d’entrainer
une condamnation contre lui, et ce, devant toute juridiction et à l’occasion de toute procédure,
notamment celle relative au droit électoral, suivant l’esprit et la lettre de l’alinéa deuxième de
l’article 21.

Il s’ensuit que la Cour constitutionnelle considère le respect des droits de la défense comme une
nécessité indérogeable dès lors qu’une personne est susceptible d’être sanctionnée dans une
quelconque procédure tant administrative que judiciaire. C’est pourquoi la Cour a, dans cette
affaire, ordonné à la CENI de déclarer recevable la candidature concernée.

B. Le point de départ de la saisine du juge électoral en ce qui concerne le délai de


traitement des dossiers.

La deuxième question majeure concerne le point de départ de la saisine de la Cour


constitutionnelle contenue à l’article 27 point 2 de la loi électorale qui dispose, en substance, que
les juridictions chargées de connaître du contentieux concernant une déclaration ou une liste de
candidatures disposent de dix jours ouvrables pour rendre leurs décisions à compter de la date de
leur saisine.

De cette disposition, contrairement aux diverses interprétations que des particuliers peuvent
émettre, la Cour a considéré que le point de départ du délai de sa saisine courait à partir de
l’audience, dès l’instant où elle-même se déclare saisie.

Cette interprétation de la Cour en tant que juge électoral est de nature à préserver les intérêts des
particuliers qui la saisissent dans le cadre des recours en contentieux des résultats. Elle s’inscrit
ainsi dans une large perspective protectrice des droits fondamentaux d’être élu car elle permet
aux concernés, de conserver leurs droits aussi longtemps que l’audience n’est pas encore fixée.
C’est l’effet utile de cette approche de la Cour.

La loi électorale autorise les juridictions compétentes en matière de contentieux de résultat de


rectifier les erreurs matérielles de leurs décisions. Elle précise que l’erreur matérielle n’a aucune
21

incidence sur le dispositif, sauf en cas d’inexactitude avérée des chiffres mentionnés dans les
décisions attaquées ou vices de transcription36.

Cette position légale est une réponse aux difficultés que cette Cour a connues lors des
contentieux électoraux qui ont résulté des élections du 30 décembre 2018, période durant
laquelle la Cour constitutionnelle a reçu un afflux des recours en rectification d’erreur matérielle.

Rappelons ici que l’erreur matérielle est « une inexactitude qui se glisse dans l’exécution d’une
opération, dans la rédaction d’un acte ou dans le contenu de celui-ci et, qui naturellement
appelle une correction. Cette maladresse peut résulter d’une fausseté dans le calcul ou la
transcription d’un montant ou une confusion dans l’enregistrement du nom ou d’un de ses
éléments. Il s’agit donc d’une inadvertance générale qui ne conduit pas nécessairement à la
nouvelle contestation, mais dont le juge apprécie souverainement, à partir des données plutôt
évidentes qui lui permettent, le cas échéant de la redresser37 ».

C’est dans ce sens que, dans l’arrêt de la Cour sous RCE 0258/DN du 25 septembre 2023, il a été
décidé : « Ne doivent pas être considérées comme réparables par voie de rectification d’erreur
matérielle notamment les erreurs d’ordre intellectuel, les appréciations inexactes d’un fait,
d’une responsabilité, d’une preuve ou de tout autre élément de la cause, les erreurs d’ordre
juridique (...) »

La réforme apporte deux principes majeurs sur le régime juridique d’erreur matérielle à savoir :

• L’erreur matérielle n’a aucune incidence sur le dispositif ;

• L’erreur matérielle peut avoir une incidence sur le dispositif en cas d’inexactitude avérée
des chiffres mentionnés dans la décision attaquée ou de vices de transcription.

Cela étant, le juge électoral devra considérer que le recours en rectification d’erreur matérielle a
nettement des effets d’une voie de recours à part entière dès l’instant où le dispositif peut être
revu.

36
Article 74 quinquies de la loi électorale.
37
Jean-Louis ESAMBO KANGASHE, Droit électoral congolais, op.cit., p.188.
22

CONCLUSION

Je vous ai annoncé de parler des incidences de la réforme du 29 juin 2022 sur le travail de la
Cour constitutionnelle comme juge électorale. Il n’a échappé à personne que, de leur grand
nombre, seules quelques-unes ont prouvé leur incidence notamment la distinction entre les
inéligibilités temporaires et définitives, l’institution du seuil de recevabilité des listes, la prise en
compte de la dimension genre qui ont été illustrées par de nombreux exemples à travers le
contentieux des candidatures.

Cependant, fidèle à la mission générale du pouvoir judiciaire de garantir des libertés


individuelles et des droits fondamentaux des citoyens exprimée à l’article 150 de la Constitution,
la Cour a interprété la loi dans le sens de leur promotion et protection notamment en sanctionnant
les candidatures doubles ou inéligibles par l’éviction des seuls coupables en offrant aux partis ou
regroupements politiques les ayant présentés de les remplacer utilement estimant qu’ils
n’auraient pas pu se rendre compte de leur fraude ou de leur délinquance. Mais elle n’a pas
manqué non plus de sanctionner les partis ou regroupement politiques qui ont aligné des
personnes sans leur consentement.

Si ces quelques innovations de moindre importance ont permis un si bon progrès, il y a des
raisons d’espérer que les innovations de plus grande importance notamment les obligations faites
à la CENI de publier les résultats bureau par bureau, d’assurer la transmission des plis vers les
juridictions compétentes et celle faite à ces dernières de se servir des plis contenant des procès-
verbaux lors du traitement du contentieux et de se prononcer dans le délai sous peine des
sanctions nous rapprocheront encore davantage de l’idéal légitime d’éviter les crises politiques
récurrentes dont l’une des causes fondamentales est, aux yeux du législateur, la contestation de
la légitimité des institutions et de leurs animateurs. Que vienne ce jour !

Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, Magistrat suprême


(Avec l’assurance de mes hommages les plus déférents) ;

Mesdames et Messieurs, distingués invités, en vos titres et qualités respectifs ;

Après cette présentation des innovations issues de la réforme électorale de 2022, je tiens à
préciser que, durant le traitement du contentieux de candidature, la Cour constitutionnelle a
23

abattu un travail exceptionnel dans le traitement des dossiers et a rendu ses arrêts dans le délai lui
imposé par la loi électorale.

Je m’en vais vous donner les indications chiffrées des décisions rendues par la Cour en matière
de contestation des candidatures cette année 2023 :

Sur les 250 dossiers enrôlés au greffe électoral, 154 requêtes ont été déclarées fondées, 30 ont été
déclarées non fondées, d’un autre côté, 66 ont été déclarées irrecevables.

Il sied de relever aussi que, suite à ces arrêts, certains requérants sont revenus devant la Cour en
procédure de rectification d’erreurs matérielles. Au nombre total de 13 requêtes enrôlées, toutes
ont été déclarées irrecevables.

Que vive la République Démocratique du Congo !

Que vive le Pouvoir judiciaire !

Que vive la Cour constitutionnelle !

Je déclare ouverte l’année judiciaire de la Cour Constitutionnelle pour l’exercice 2023-2024.

Je vous remercie.

Fait à Kinshasa, le 21 octobre 2023.

Dieudonné KAMULETA BADIBANGA


Président de la Cour constitutionnelle et
Président du Conseil Supérieur
de la Magistrature
Mercuriale du
Procureur Général pres la
Cour Constitutionnelle
Rentrée Judiciaire
2023-2024

Jean Paul
MUKOLO NKOKESHA
Procureur Général
MERCURIALE DU PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR
CONSTITUTIONNELLE

RENTREE JUDICIAIRE 2023-2024

Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat et


Magistrat Suprême avec l’expression de mes hommages les plus déférents,
Je salue votre auguste présence qui est la marque de l’attention
particulière que vous avez toujours accordée à la justice en général et à notre
institution en particulier.

C’est pourquoi, au nom des magistrats de mon office, du personnel


judiciaire et administratif et au mien propre, je vous prie d’accepter nos
remerciements les plus sincères et de croire en l’expression de notre profonde
gratitude ;

- Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat et


Magistrat Suprême « Avec l’expression de mes hommages les plus
déférents » ;
- Honorable Président de l’Assemblée nationale ;
- Honorable Président du Sénat ;
- Excellence Monsieur le Premier Ministre et Chef du Gouvernement ;
- Monsieur le Président de la Cour Constitutionnelle et Président du
Conseil Supérieur de la Magistrature et Honoré collègue;
- Madame et Messieurs les membres du Bureau du Conseil Supérieur de
la Magistrature et Honorés Collègues ;
- Honorables Députés ;
- Honorables Sénateurs ;
- Mesdames et Messieurs les membres du Gouvernement ;
- Madame et Messieurs les membres de la Cour Constitutionnelle ;
- Mesdames et Messieurs les Hauts Magistrats ;
- Excellences mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et Chefs des
missions diplomatiques ainsi que les représentants des organismes
internationaux ;
- Monsieur le Président du Conseil Economique et Social ;
- Monsieur le Président de la Commission Electorale Nationale
Indépendante ;
- Monsieur le Président du Conseil National de Suivi de l’Accord et du
processus électoral ;
2

- Madame la Présidente de la Commission Nationale des Droits de


l’Homme.
- Monsieur le Premier Président de la Cour de Comptes ;
- Monsieur le Procureur Général près la Cour de Comptes ;
- Mesdames et Messieurs les Magistrats ;
- Monsieur le Chef d’Etat-major général des Forces Armées de la
République Démocratique du Congo ;
- Monsieur le Commissaire Général de la Police Nationale Congolaise ;
- Monsieur le Bâtonnier National ;
- Monsieur le Président de l’Assemblée Provinciale de la Ville Province de
Kinshasa ;
- Monsieur le Gouverneur de la Ville Province de Kinshasa ;
- Mesdames et Messieurs les Officiers Généraux des Forces Armées de la
République Démocratique du Congo et de la police Nationale
Congolaise ;
- Monsieur le Bourgmestre de la Commune de Lingwala ;
- Distingués invités, en vos titres et qualités respectifs ;
- Mesdames et Messieurs.

Conformément à l’article 100 de son règlement intérieur, la Cour


Constitutionnelle tient une audience solennelle à l’occasion de sa rentrée
judiciaire ; le Procureur Général près cette Cour y prononce une mercuriale.
Notre mercuriale de cette troisième édition de la rentrée judiciaire de la Cour
Constitutionnelle a pour thème :

« LES CAUSES D’IRRECEVABILITE DANS LE CONTENTIEUX


ELECTORAL »

INTRODUCTION

L’élection est considérée comme le mode universel d’exercice du


pouvoir politique et comme l’instrument qui fonde et légitime le pouvoir
politique. Elle permet la participation des citoyens à la gestion des affaires de
leur société par le biais des représentants qu’ils choisissent librement au cours
d’un vote organisé de manière compétitive.

Elle constitue en outre le procédé par excellence de légitimation du


pouvoir. Elle fournit aux gouvernants un titre pour agir et commander, assure
leur autorité en même temps qu’elle justifie l’obéissance, car il n’y a en
démocratie, d’autorité que celle issue de l’élection. Elle assure l’alternance
3

voulue pacifique et aussi civilisée au pouvoir de l’Etat comme ce fut le cas lors
du scrutin de 2018 en République Démocratique du Congo.

Elle doit dès lors être entourée des garanties particulières qui
justifient l’existence d’un contentieux électoral qui aménage un cadre
procédural permettant légalement aux citoyens de faire entendre leur voix à
chaque étape du processus électoral afin de dénoncer les éventuelles fraudes,
les déviances et autres irrégularités observées.

Tel est le rôle primordial de la procédure contentieuse en matière


électorale qui renvoie au droit électoral processuel entendu comme l’ensemble
des règles qui organisent les formalités que le requérant doit accomplir pour
réclamer devant l’organe juridictionnel compétent un droit ou contester les
irrégularités qu’il a pu constater dans l’organisation et le déroulement des
opérations préélectorales et postélectorales.

La mise en œuvre de ces règles par le juge électoral suscite les


débats, controverses et déclarations en tous sens au point que certains
acteurs politiques et ceux de la société civile ne manquent pas de crier à
l’instrumentalisation de la justice par le pouvoir politique tant la plupart des
requêtes connaissent les décisions d’irrecevabilité validant ainsi les décisions
de la CENI même si les opérations électorales sont entachées d’irrégularités.

Ces acteurs peuvent-ils être suivis dans leur conclusion ou s’agit-il de


la mauvaise mise en œuvre par eux des règles qui fixent les conditions de
recevabilité des requêtes en matière de contentieux électoraux ?

La réponse à ce questionnement fonde l’intérêt de mon propos qui a


pour souci de dire aujourd’hui un mot sur les causes d’irrecevabilité des
requêtes en matière électorale non pas pour alimenter ce débat mais pour
éclairer l’opinion congolaise sur l’exacte portée des formalités procédurales
telles qu’elles ressortent des dispositions légales et telles qu’elles apparaissent
dans la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle ; ceci pour lever bien des
équivoques.

Dans le cadre de cette étude, je me focaliserai sur les élections


présidentielle et législatives nationales, matière qui relève de la compétence
de notre Cour Constitutionnelle.

Mon propos sera développé en deux chapitres.


4

Dans le premier consacré aux juridictions compétentes en matière


électorale, je m’efforcerai de préciser quelques notions relatives à la matière,
tout en jetant un regard rapide sur les juridictions compétentes.
Le second chapitre abordera les causes d’irrecevabilité des requêtes dans le
contentieux de candidatures et de résultats suivi de l’analyse de quelques
voies de recours.

Suivra enfin une conclusion.

CAPITRE I : LES JURIDICTIONS COMPETENTES EN MATIERE


ELECTORALE

Section 1ère : Notions

Parler des causes d’irrecevabilité ou mieux de la procédure


contentieuse dans le sens que nous lui avons donnée, nous permet
d’appréhender les aspects procéduraux qui plombent le contentieux électoral
et découragent les justiciables dans leur quête de justice électorale lorsqu’ils
ne savent pas franchir l’étape de la recevabilité, préalable indispensable pour
l’examen au fond des litiges liés à la jouissance de leurs droits civils et
politiques.

Il importe à cet égard d’apporter avant toute chose une clarification


des termes essentiels du sujet, notamment la « recevabilité », la
« procédure », le « contentieux » et l’adjectif électoral qui dérive de l’élection.

§1. La recevabilité

Une doctrine abondante définit la recevabilité par les conditions


requises pour l’ouverture de l’action dont l’intérêt légitime, direct, personnel et
juridiquement protégé, la qualité et la capacité à agir en justice.

A contrario, la recevabilité trouve son sens à travers la notion


d’irrecevabilité1.

Celle-ci est définie comme une fin de non-recevoir c'est-à-dire tout


moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans
examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut
d’intérêt, la prescription ou la chose jugée.

1
M.ABDEL-KALEK Omar, la notion d’irrecevabilité en droit judiciaire privé, Thèse, Paris 1965, P.7
5

Ces deux définitions nous conduisent à avancer que la recevabilité


est l’aptitude que revêt une demande du fait de sa nature à satisfaire à toutes
les conditions de l’action en lui évitant toute fin de non-recevoir.

Et dans le cadre de notre étude, ces conditions sont posées par les
articles 27, 27 bis, 73, 74 et 74 ter de la loi n°06/006 du 09 mars 2006,
portant organisation des élections Présidentielle, Législatives, Provinciales,
Urbaines, Municipales et Locales telle que modifiée et complétée jusqu’à ce
jour successivement par la loi n°11/003 du 25 juin 2011, la loi n°15/001 du 12
février 2015, la loi n°17/013 du 24 décembre 2017 et la loi n°18/006 du 29
juin 2022.

§2. La procédure contentieuse

La notion de procédure est considérée comme un processus, une


méthode, une formalité ou un procédé qu’il faut accomplir ou respecter afin
d’effectuer une tâche déterminée ou conduire une expérience.

En droit, cette notion évoque d’emblée le procès, elle fait référence


au droit judiciaire, procédural ou processuel.

Le vocabulaire juridique la définit au sens large comme la branche


du droit dont l’objet est de fixer les règles d’organisation et de compétence
des tribunaux, d’instruction des procès et d’exécution des décisions de justice
et au sens étroit, comme l’ensemble des formalités qui doivent être suivies
pour parvenir à une solution juridictionnelle de nature civile, pénale ou
administrative selon le cas2.

Elle est entendue dans le cadre de notre propos comme l’ensemble


des formalités que le requérant doit accomplir pour saisir valablement les
organes compétents et aboutir au prononcé d’une décision de justice. Cette
définition qui prend en considération la détermination de l’organe compétent,
le respect des délais de saisine et celle de la qualité et de l’intérêt des
requérants exclura la définition qui concerne la forme suivant laquelle les
procès sont conduits, instruits et jugés.

L’adjectif contentieux attaché à la notion de procédure découle du


terme contentieux qui est assimilé à un litige, à un sujet de querelle, un sujet
à débat ou à procès.

2
6

En matière électorale, le contentieux se rapporte au domaine de


l’élection. Election qui s’est imposée comme mode de passation pacifique des
pouvoirs ou d’alternance politique apaisée.

D’aucuns affirment que l’utilisation par les acteurs politiques et


l’adhésion de ceux-ci à l’idée même de ce mécanisme démontre leur maturité
ainsi que celle de la population à l’ancrage de la démocratie comme mode de
gestion des affaires publiques. Il permet le contrôle de la régularité de
l’élection par la garantie aux citoyens de l’exercice de leurs droits civiques et
politiques et révèle le degré de développement politique de la société3.

La classification tenant à l’objet du contentieux distingue le


contentieux de la loi électorale, le contentieux des listes électorales, le
contentieux de la candidature, le contentieux de la campagne électorale, le
contentieux des résultats et le contentieux électoral répressif.

Cette classification a, non seulement l’avantage de couvrir toutes les


formes de contestation qui peuvent être soulevées à l’occasion d’un processus
électoral, mais aussi, elle permet plus ou moins facilement de déterminer
l’instance compétente pour en connaître. Quoique tous ces types de
contentieux cités ci-haut participent à l’appréciation des élections libres et
démocratiques, nous ne nous pencherons que sur le contentieux de
candidature et celui des résultats dès lors que certains soit ne relèvent pas du
juge électoral soit n’ont pas encore été portés devant lui, si bien que leur
étude relèverait du droit prospectif ou du droit théorique qui s’écarte de notre
approche pratique et concrète.

Section 2 : les juridictions compétentes en matière des contentieux


électoraux

Contrairement à l’époque où les litiges électoraux relevaient des


assemblées politiques, il est un principe général que la plupart des Etats
placent le contentieux électoral sous le contrôle du juge.

Nous savons qu’il existe trois ordres juridictionnels distincts : l’ordre


judiciaire, l’ordre administratif et l’ordre constitutionnel. L’office de ces
juridictions en matière électorale s’analyse au demeurant comme un
supplément qui se greffe à leurs compétences traditionnelles. Deux critères
fondent le partage des domaines de compétence entre les juges en matière
électorale : la nature de l’élection et la nature de l’acte.

3
Meledge DJ.Fr, « le contentieux électoral en Afrique » in Pouvoir, n°129,2/2009, pp.139-155
7

En se fondant sur le critère de la nature de l’élection, le législateur


congolais a confié les contentieux des élections présidentielle et législatives
nationales au juge constitutionnel et les contentieux des élections provinciales,
urbaines, municipales et locales au juge administratif.

C’est ce que nous allons voir dans les paragraphes suivants pour
aider les requérants à éviter les erreurs de saisine.

§ 1. Le juge constitutionnel

Conformément aux articles 161 alinéa 2 de la Constitution, 81 de la


loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et
fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, 27 et 74 de la loi électorale, c’est
la Cour Constitutionnelle qui connaît du contentieux des élections
présidentielle et législatives nationales.
Il importe de souligner qu’il s’agit ici du contentieux des
candidatures et de celui des résultats ayant trait à ces élections.

Relevons que la Cour Constitutionnelle siégeant comme juge


électoral est incompétente pour examiner la requête en inconstitutionnalité de
la loi électorale.
En effet, siégeant en matière électorale, la Cour Constitutionnelle est
juge non pas de la conformité à la Constitution mais plutôt juge de la
régularité du processus électoral.

C’est dans ce sens que s’est prononcé la Cour Suprême de Justice


siégeant en matière de contentieux électoral par sa décision dans la cause
sous RCDC/ 007/KN du 13 avril 2006 opposant le sieur Bossassi E.B. à la
Commission Electorale Indépendante.

§ 2. Le juge administratif

Conformément aux articles 96 alinéa 3 et 104 alinéa 4 de la loi


organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et
fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif, 27 et 74 de la loi
électorale, la Cour Administrative connaît du contentieux des élections
provinciales tandis que le Tribunal Administratif connaît du contentieux des
élections urbaines, communales et locales.

Il importe de relever que sur pied des articles 74point 5 quinquies de


la loi électorale, 86 et 96 de la loi organique susvisée sur les juridictions de
l’ordre administratif, le Conseil d’Etat est compétent pour connaître en appel,
8

des arrêts rendus au premier degré par les Cours administratives d’Appel, en
matière de contentieux des résultats des élections provinciales.

CHAPITRE 2. LES CAUSES D’IRRECEVABILITE DES REQUETES

Comme nous l’avons relevé au chapitre premier, il s’agira ici


d’examiner les formalités que le requérant doit accomplir pour saisir
valablement les organes compétents.

En matière électorale, l’aboutissement de toute action en


contestation ou en restauration du droit reste largement tributaire de
l’observance stricte de la procédure.
L’analyse de la jurisprudence électorale, révèle qu’elle est marquée
par une forte prépondérance des cas d’irrecevabilité lesquelles sont justifiées
par plusieurs causes que nous nous proposons d’analyser dans ce chapitre.
Ces causes sont examinées selon qu’il s’agit du contentieux de candidature ou
du contentieux de résultat.

Section 1ère Les causes d’irrecevabilité dans le contentieux de


candidature

Il se dégage de la lecture des articles 25 alinéa2, 27 bis et 107 de


la loi électorale que la requête en contestation de la décision de la CENI
portant publication des listes provisoires des candidats doit répondre, sous
peine d’irrecevabilité aux conditions suivantes :

Ø Etre rédigée par un requérant ayant qualité ;


Ø Revêtir les formes prescrites et,
Ø Etre rédigée dans les délais fixés.

A. Du requérant ayant qualité :

Il doit s’agir du candidat dont l’éligibilité est contestée, du parti


politique ayant présenté un candidat ou une liste dans la circonscription
électorale et de tout candidat se présentant individuellement dans la
circonscription électorale ou son mandataire.

a. Du candidat dont l’éligibilité est contestée

S’agissant du candidat dont l’éligibilité est contestée, il doit fournir la


preuve qu’il est candidat en annexant à sa requête le récépissé lui remis par la
CENI lors du dépôt de sa candidature et la preuve du paiement de la caution
exigée.
9

Faute de ces documents, sa requête sera déclarée irrecevable pour


défaut de qualité.

C’est dans ce sens que la Cour Suprême de Justice siégeant en


matière de contentieux électoral et la Cour Constitutionnelle ont tranché dans
les causes ci-après :

1. RDCC 007/KN du 03/04/2006, Bossassi, B c/ Commission Electorale


Indépendante, B.A, N°spécial 2006-2007, pp. 36 à 37.
La requête de sieur Mambeta Pierre a été déclarée irrecevable faute de
prouver sa qualité de candidat en ne produisant pas le récépissé lui
remis lors du dépôt de sa candidature.
2. RDCC/PR/003 de septembre 2011, Affaire CERECO c/ CENI, B.A, CSJ,
Contentieux électoral 2011-2012, p.8
« Est irrecevable pour défaut de qualité, la requête tendant à voir sa
candidature être retenue par la CENI et introduite par le requérant qui
n’a pas justifié de sa qualité de candidat par la production d’un
récépissé constatant le dépôt de sa candidature » ;
3. RDCC/017/024 du 1er octobre 2011, Aff PPPC c/ CENI, B.A, n° spécial
2014, p 16.
« Est irrecevable, la requête en invalidation des candidatures, initiée par
un candidat se déclarant président du parti politique alors qu’il n’a versé
au dossier aucune preuve de versement du cautionnement ni celle du
récépissé de sa candidature ».
4. RDCC 023 du 1er octobre 2011, Aff AFDC c/ Commission Electorale
Nationale Indépendante, B.A n°spécial 2014, p.19.
« Est irrecevable, la requête d’un parti politique tendant au maintien de
ses candidats omis de la liste provisoire des candidats députés
nationaux lorsque la requérante n’a pas produit au dossier l’accusé de
réception de dépôt de candidatures ».
5. RCE 0102/DN du 26 août 2023, Aff. parti politique Action Congolaise par
la Tolérance et l’Egalité c/ Commission Electorale Nationale
Indépendante, inédit.
« Est irrecevable la requête d’un parti politique qui n’a pas présenté une
liste de candidature à la députation nationale ».

b. Du parti politique ou du regroupement politique

S’agissant du parti politique ou du regroupement politique ayant


présenté un candidat ou une liste dans la circonscription électorale, le
requérant doit apporter la preuve de sa qualité en produisant le statut original
10

du parti ou du regroupement politique et l’arrêté d’agrément de ce parti aux


fins de permettre à la juridiction saisie de vérifier si l’organe qui a agi est
habilité à agir valablement au nom du parti politique ou du regroupement
politique.

Faute de ces documents, la requête sera déclarée irrecevable.

La Cour Suprême de Justice siégeant en matière de contentieux


électoral a décidé dans ce sens dans les causes ci-après :

1. RCDC/DN 053 du 03/09/2011, parti politique Engagement pour la


Citoyenneté et le Développement, ECIDE en sigle c/ la Commission
Electorale Nationale Indépendante, B.A, CSJ, Contentieux Electoraux
2011-2012 p.5.
« Est irrecevable, le recours tendant à la publication des listes, pour
l’élection législative nationale introduit par un parti politique qui n’a pas
produit ses statuts pour permettre de vérifier la qualité de la personne
qui agit en justice en son nom ».
2. RCDC/DN 071 du 3 septembre 2011, Aff Fonus c/ Commission Electorale
Nationale Indépendante, B.A n° spécial 2014, p.6.
« Est irrecevable pour défaut de qualité, le recours en invalidation d’un
candidat introduit par le secrétaire général d’un parti politique qui n’a
pas produit ses statuts pour permettre de vérifier la qualité de la
personne qui agit en son nom ».
3. RCDC 058 du 1er octobre 2011, Aff parti politique Gardien de la nation
pendant l’oppression, GNPO c/ Commission Electorale Nationale
Indépendante, B.A n° spécial 2014.
« Est irrecevable, la requête en contestation de la liste d’un parti
politique introduite par son président national qui n’a pas versé au
dossier les statuts de son parti politique afin de prouver sa qualité d’agir
en son nom »
4. RCDC/DN/KN/054 du 27/02/2007 Aff. la coalition politique des
chrétiens, CPC c/ Commission Electorale Nationale Indépendante. Dans
cette cause la Cour avait décrété l’irrecevabilité de la requête pour
production en annexe de celle-ci d’une photocopie simple d’un
document non notarié et sans date, intitulé « acte constitutif de la
requérante ».

c. Du candidat indépendant

Concernant le candidat qui s’est présenté individuellement dans la


circonscription électorale, il devra également prouver non seulement sa qualité
11

en produisant les mêmes documents que le candidat dont l’éligibilité est


contesté mais aussi apporter la preuve que sa candidature a été déposée dans
la circonscription à propos de laquelle il forme sa requête en contestation ;
ceci pour éviter qu’un candidat conteste l’élection dans une autre
circonscription que celle dont il est en compétition.

Faute de satisfaire à ces exigences, sa requête sera déclarée


irrecevable pour défaut de qualité.

Dans ce sens le juge a pris les décisions suivantes :


1. RCDC 020/KN du 13 avril 2006, Aff EHETSHE M.R c/ Commission
Electorale Indépendante, B.A, n° 2006-2007, p.10.
« Est irrecevable pour défaut de qualité dans le chef du requérant qui
conteste le rejet de sa candidature, étant donné qu’il ne prouve ni avoir
fait acte de candidature ni avoir payé la caution légalement exigée »
2. RCDC 030/KN du 13/04/2006, Aff Bokwar Nye Mina Osman c/
Commission Electorale Indépendante, B.A n°spécial 2006-2007, p. 12.
« Est irrecevable, pour défaut de qualité dans le chef du requérant…sa
requête visant la décision ayant refusé d’enregistrer sa candidature car il
n’apporte pas la preuve attestant qu’il a déposé un dossier à la
Commission Electorale Indépendante »

d. De l’avocat ou du mandataire

Il va de soi que l’avocat ou le mandataire qui introduit la requête au


nom de l’une ou l’autre de ces catégories de requérants, doit en plus des
documents que nous avons énumérés plus haut, produire la procuration
spéciale en original lui remise par l’un ou l’autre requérant repris à l’article 25
alinéa 2 de la loi électorale sous peine d’irrecevabilité.

C’est dans ce sens que les décisions suivantes ont été rendues :

1. RCDC 014 du 1er octobre 2011, Aff Milolo D c/ Commission Electorale


Nationale Indépendante, BA n° spécial 2014, p. 12
« Est irrecevable la requête d’un candidat indépendant faisant état de
l’omission de son nom sur la liste provisoire des candidats retenus à la
députation nationale pour défaut de preuve de qualité de l’avocat qui a
comparu en son nom sans produire la procuration spéciale à lui établie
par ce dernier ».
2. RCDC 025/DN du 26 août 2023, Aff. regroupement politique alliance des
élites au service du peuple et alliés, AESP-A c/ Commission Electorale
Nationale Indépendante.
12

« Est irrecevable la requête faute pour les avocats d’avoir produits la


procuration spéciale leur donnant mandat d’agir pour le compte dudit
regroupement politique.. ».
3. RCE 0222/DN du 30 août 2023 Aff regroupement politique Alliance pour
la Réforme de la République ARR c/ Commission Electorale Nationale
Indépendante, inédit ;
« La procuration produite par les avocats n’ayant ni date ni indication de
l’objet…elle est rédigée en termes généraux équivaut à l’absence d’une
procuration spéciale. Dès lors la requête est irrecevable pour défaut de
qualité dans le chef de l’avocat ».
4. RCE 630/673/920/435/DN du 18/04/2012, Aff Union des forces du
changement, UFC en sigle, Alliance des démocrates humanitaires ADH
en sigle c/ Commission Electorale Nationale Indépendante.
« Ne peut prétendre agir au nom d’un parti politique, la personne
porteuse d’un mandat signé par l’organe statutairement
incompétent ».

B. Forme de la requête

L’article 27 bis de la loi électorale dispose que : « La requête en


contestation de la liste provisoire de candidature doit être datée et signée par
son ou ses auteurs ou, à défaut, par un mandataire. Elle mentionne :

Ø Les noms, prénoms, qualités, demeure ou siège de la partie


requérante ;
Ø L’objet de la demande ;
Ø L’inventaire des pièces formant le dossier.

Elle indique les griefs allégués et comporte les éléments de preuve


sur lesquels s’appuie la demande ».

Ainsi une requête qui manquerait l’une ou l’autre de ces mentions


comme par exemple le défaut d’adresse du requérant, le nom du ou des
candidats contestés, les moyens à l’appui de l’invalidation, l’objet de la
demande, les griefs allégués, se butera à la sanction de l’irrecevabilité.

La Cour Suprême de Justice siégeant en matière de contentieux


électoral et la Cour Constitutionnelle ont décidé dans ce sens dans les causes
ci-après :
13

1. RCE 0222/DN du 30 août 2023, Aff. Regroupement politique Alliance


pour la Réforme de la République c/ Commission Electorale Nationale
Indépendantes.
« La décision a décrété l’irrecevabilité de la requête car celle-ci ne
reprend ni les noms des candidats ni les circonscriptions où les
candidatures ont été déposées si bien que la Cour est dans
l’impossibilité de l’examiner. La requête est irrecevable ».
2. RCE 676/DN du 23 avril 2012 Aff le Parti du Peuple pour la
Reconstruction et la Démocratie, PPRD en sigle c/ Commission
Electorale Nationale Indépendante.
« Est irrecevable le recours en invalidation d’une candidature qui est
dépourvue d’objet et qui est obscur »

C. Du délai

Afin de répondre aux conditions de célérité qui entourent le


processus électoral, l’article 25 bis de la loi électorale a fixé pour le
contentieux de candidature aux élections législatives nationales un délai de 5
jours pour contester la décision de la publication de la liste provisoire des
candidats. Concernant l’élection présidentielle, l’article 107 de la loi électorale
fixe le délai de contestation à 48 heures. La saisine du juge est soumise au
respect scrupuleux de ce délai.

Les réclamations tendant à faire rectifier les erreurs survenues dans


la confection des listes de candidatures doivent être introduites dans le délai
prescrit si non elles sont irrecevables, au motif qu’elles sont prématurées.

De même lorsqu’elles sont introduites après le délai, elles sont aussi


irrecevables parce que tardives.

Le non-respect des délais prescrits a été sanctionné par le juge dans


les affaires suivantes :

1. RCDC 028/KN du 13 avril 2006, Aff Kapinga M. c/ Commission Electorale


Indépendante, B.A, n° spécial 2006-2007, p.14
« Est irrecevable pour cause de tardiveté, le recours introduit hors
délai ».
2. RCDC 038/KN du 13 avril 2006 Aff. Pasteur Salomon MP c/ Commission
Electorale Nationale Indépendante, B.A, n°spécial 2006-2007, p.16
« Est irrecevable pour cause de tardiveté le recours introduit au-delà du
délai légal de recours.
3. RCDC 041/KN du 14 avril 2006, même bulletin p.18
14

« Est irrecevable pour cause de tardiveté le recours introduit au-delà du


délai de recours ».
4. RCDC 030/KN du 13 avril 2006, Aff. Bokwana c/ Commission Electorale
Indépendante, B.A n° spécial 2006-2007, p.12.
« Est irrecevable la requête introduite plusieurs jours après la
publication des listes ».
5. RCDC 042/KN du 20 avril 2006, même bulletin p.20 Aff. Mwanga m. c/
Commission Electorale Indépendante.
« Est irrecevable pour cause de tardiveté, la requête déposée en dehors
du délai de 48 heures suivant la publication ou la notification de la
décision de la Commission Electorale Indépendante, telle que prévu à
l’article 107 de la loi électorale ».
A propos du délai, il sied de relever qu’il est aussi contraignant à
l’égard du juge électoral qui ne dispose que des dix jours ouvrables pour
rendre sa décision à compter de la date de sa saisine pour les contentieux des
listes de candidature.

Au-delà de ce délai, le recours est réputé fondé et la Commission


Electorale Nationale Indépendante publie la liste définitive.

C’est ce qui est survenu dans le dernier contentieux de candidature


en 2023 où les parties politiques ont introduit des recours contre les arrêts de
la Cour Constitutionnelle en rectification des erreurs matérielles.

Tous les arrêts rendus hors délai par cette Cour n’ont pas été pris en
compte par la Commission Electorale Nationale Indépendante.

SECTION 2 : LES CAUSES D’IRRECEVABILITE DES REQUETES EN


MATIERE DE CONTENTIEUX DES RESULTATS

Après la publication des résultats provisoires des élections par la


CENI, la partie qui se sent lésée, peut les contester, mais dans le respect des
conditions légales pour que sa requête soit déclarée recevable.

§1. FONDEMENT LEGAL

Il ressort des prescrits de l’article 73 de la loi électorale telle que


modifiée à ce jour : « peuvent contester les résultats provisoires de l’élection
présidentielle dans un délai de deux jours, pour les élections législatives,
provinciales, urbaines, communales et locales dans un délai de 8 jours après
l’annonce par la CENI :
15

- Le parti politique ou le regroupement politique ayant présenté un


candidat ou son mandataire ;
- Le candidat indépendant ou son mandataire ».

L’article 74 de la même loi dispose que la Cour Constitutionnelle est


la juridiction compétente pour connaître du contentieux des élections
présidentielle et législatives.

Il découle de ces dispositions que le candidat malheureux, le parti


politique ou le regroupement politique sont fondés de saisir le juge compétent
dans le délai imparti en contestation des résultats des élections publiés par la
CENI.
Les causes d’irrecevabilité des requêtes qu’on vient d’examiner dans
le contentieux des candidatures sont presque les mêmes que dans le
contentieux des résultats ; ils peuvent être regroupées en six points :

- Objet de la requête
- Défaut de qualité ;
- Non-respect de délai de recours ;
- Forme de la requête ;
- Non bis in idem ;
- Obscuri libelli.
§2. LES CAUSES D’IRRECEVABILITE

1. OBJET DE LA REQUETE

L’objet d’un procès se situe dans l’avantage qu’une partie attend


obtenir d’une action en justice dirigée contre une autre. Pour le déterminer, il
faut se référer au contrat judiciaire qui lie les parties et à leurs prétentions. La
Cour Suprême de Justice siégeant en matière de contentieux électoral a ainsi
jugé : « Est irrecevable, faute d’objet, la requête d’un parti politique
contestant les élections législatives lorsqu’elle tend à obtenir l’annulation des
élections d’une circonscription électorale où il n’y a pas eu, conformément à
l’article 71 al3 de la loi électorale, annonce des résultats provisoires » [RCE
771, CSJ, 21 avril 2012]

2. DEFAUT DE QUALITE

La qualité est définie comme titre légal conférant à un individu le


pouvoir de solliciter du juge l’examen de sa prétention. L’irrecevabilité d’une
requête pour défaut de qualité a été décrétée dans plusieurs cas :

1° Défaut de production de statut et de l’arrêté d’agrément


16

Sous RCE 767 en cause le Parti Républicain Chrétien « PARC »


contre la CENI, le requérant sollicitait l’annulation du scrutin législatif organisé
le 28 novembre 2011 dans la circonscription électorale de Gemena pour
diverses irrégularités occasionnées par le candidat KYENUNO présenté par le
parti politique KADESO. « La cour avait déclaré irrecevable le recours d’un
parti politique sollicitant l’annulation du scrutin législatif introduit par son
président national. Dès lors que ce dernier agissant pour le compte de son
parti politique n’a pas versé au dossier de la cause les éléments nécessaires
notamment ses statuts et l’arrêté d’agrément mettant ainsi la Cour dans
l’impossibilité de vérifier la qualité de l’organe statutaire habilité à la
représenter en justice conformément aux articles 73 de la loi électorale et 17
de la loi n°04/002 du 15 mars 2004 portant organisation et fonctionnement
des partis politiques ».

2° Absence d’une procuration spéciale

« Jugée irrecevable pour défaut de preuve de qualité dans le chef de son


représentant, la requête en contestation des résultats provisoires des élections
législatives signée au nom d’un parti politique par un Avocat porteur d’une
procuration spéciale à lui donnée par le Secrétaire général qui n’a pas
démontré qu’il a préalablement reçu mandat auprès du président national
habilité à cet effet conformément à l’article 46 des statuts [ RCE 570/737/DN
CSJ du 14/04/2012] »

3° Défaut de qualité dans le chef du candidat présenté sur la liste


d’un parti politique

Dans la cause sous RCE 897 opposant Monsieur KAVULA MUZAMA


Guy et MVULA Blaise contre la CENI. « Il a été jugé qu’est irrecevable pour
défaut de qualité de son signataire, la requête en contestation des résultats
des élections introduite par un candidat qui a agi à titre individuel en lieu et
place de son parti et ce en violation de l’article 73 al 2 de la loi électorale.
[CSJ. 16 avril 2012] »

3. NON BIS IN IDEM

Dans la cause sous RCE 1031/DN opposant Monsieur NKWAM


FORWEL contre la CENI.

« La Cour Suprême de Justice a déclaré : « Est irrecevable pour violation des


articles 168 al. 1 de la Constitution, 74 al. 1, in fine de la loi électorale et du
principe général du droit non bis in idem, la requête en contestation et
17

rectification des erreurs matérielles contenues dans un arrêt rendu sur appel
du demandeur, car les arrêts de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles
d’aucun recours et le réexamen de l’arrêt sollicité équivaut à demander deux
fois la même chose [CSJ 28 Septembre 2012] »

4. OBSCURI LIBELLI

Dans la cause sous RCE 892/DN opposant la Ligue des Démocrates


Congolais « LIDEC » contre la CENI, la Cour a déclaré irrecevable, la requête
d’un parti politique en contestation des résultats des élections lorsqu’elle ne
précise pas l’objet de la demande et se borne à rechercher l’annulation pure et
simple des élections législatives dans plusieurs circonscriptions électorales
pour les griefs non élucidés et qu’il y a obscurité dans son libellé. [CSJ 25 avril
2012]

SECTION 3 : VOIES DE RECOURS

Définition

Selon Serge BRAUDO, Conseiller honoraire à la Cour d’appel de


Versailles, on désigne par « voies de recours », l’ensemble des procédures
destinées à permettre un nouvel examen de la cause. Soit que la procédure ait
été irrégulièrement suivie, soit que le juge n’ait pas tenu compte d’un élément
de fait présenté par la partie, soit que le jugement n’ait pas été motivé ou ait
été insuffisamment motivé, soit qu’il contienne une erreur de droit.
Elles sont regroupées en deux catégories.

Classification

En droit judiciaire congolais, on distingue les voies de recours


ordinaires et les voies de recours extraordinaires. Loin d’épiloguer, sur cette
classification connue des praticiens et des apprenants en droit, j’évoquerai la
tierce opposition comme voie de recours extraordinaire dans le contentieux
des élections.

Mais avant d’aller plus loin, il sied de rappeler qu’au fil de cycles
électoraux en République Démocratique du Congo, la jurisprudence électorale
au sujet de la recevabilité de la tierce opposition a connu une évolution en
dents de scie.

- Jurisprudence de 2006-2007

La tierce opposition a été admise au titre de voie de recours dans les


contentieux électoraux 2006-2007. C’est ainsi que :
18

1. Sous RCE/DN/KN/372 du 28 février 2007 dans l’affaire KIKAYA


BIN KARUBI C/ASSUMANI AMANI,

La Cour Suprême de Justice a jugé que la tierce opposition est


ouverte même en matière de contentieux électoral à la personne qui n’a été
partie au procès ni personnellement, ni par représentation et qu’elle n’est
prohibée que s’il y a véritablement représentation dans l’espèce envisagée.

- Qu’un membre d’un parti politique peut agir en tierce opposition


contre une décision résultant d’une instance dans laquelle son parti
était partie prenante dès lors que la décision attaquée au lieu de
s’arrêter à l’annulation de la liste du parti politique, l’a sanctionné
uniquement sans l’avoir invité personnellement à se défendre ;
Car dans ses conditions, il n’a pas été véritablement représenté à
l’instance sus rappelée ;
- Que le juge électoral est le juge de l’exactitude et de la sincérité du
résultat et non le juge de la légalité ;
Ainsi la tierce opposition est admissible dans le contentieux électoral
où la mission de garantir la régularité et la sincérité de l’élection est
confiée au juge pour permettre à la personne demeurée étrangère au
jugement préjudiciant à ses intérêts de statuer en ayant
connaissance de tous les éléments pertinents à lui soumis en vue
d’en apprécier la portée quant au résultat de l’élection4.

2. Sous RCE/DN/KN/360 du 23 février 2007, Affaire Pascal


KAMBA
MANDUNGU C/FORCES NOVATRICES POUR L’UNITE ET LA
SOLIDARITE

La Cour Suprême de Justice a jugé que n’est pas fondée, l’exception


tirée de l’admissibilité d’une tierce opposition pour violation de l’article 19
alinéas 3 de la Constitution selon lequel le droit d’exercer un recours contre un
jugement est garanti à tous et qu’il est exercé dans les conditions fixées par la
loi.

En l’espèce, bien que non prévue par la loi électorale, la tierce


opposition s’impose à titre exceptionnel dans le contentieux électoral où la
mission de garantir la régularité et la sincérité de l’élection est confiée au juge
pour lui permettre de statuer en faveur d’une personne étrangère au jugement
préjudiciant ses intérêts, en ayant connaissance de tous les éléments

4
NSUMBU KABU Odon, op.cit, pp 915-916
19

pertinents à lui soumis en vue d’en apprécier la portée quant au résultat de


l’élection.

- Position de la Cour Suprême de Justice depuis 2009

Le 02 février 2009, les magistrats de la Cour Suprême de Justice et


du Parquet Général de la République se sont réunis en assemblée plénière
mixte et ont conclu à la nécessité du revirement de la jurisprudence de la
Haute Cour relative à la tierce opposition en préconisant le retour à une
interprétation plus orthodoxe de la Loi n°06-006 du 09 mars 2006 portant
organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines,
municipales et locales, telle que modifiée par la loi n°11-003 du 25 juin 2011
après que les leçons de l’évaluation des contentieux électoraux consécutifs aux
élections présidentielle, législatives et provinciales de 2006 aient été tirées.
A ces fins, le Premier Président de la Cour Suprême de Justice a
interdit que soient reçus par le juge électoral des actions en tierce opposition
dirigées contre des arrêts ou jugements statuant sur des contestations
électorales parce que son article 74 ter alinéa 5 garantit le principe du
contradictoire en faisant obligation au greffier de notifier la requête en
contestation des résultats du scrutin au candidat dont l’élection est contestée,
au parti politique ou regroupement politique ayant présenté un candidat ainsi
qu’à la Commission Electorale Indépendante.

Il a par conséquent exhorté les juges à veiller scrupuleusement au


respect de la contradiction dans le procès électoral et à considérer l’appel
comme la seule voie de recours admise par la loi électorale, à l’exclusion de la
tierce opposition5.

De ce qui précède, de 2009 à ce jour, la défunte Cour Suprême de


Justice et la Cour Constitutionnelle siégeant en matière des contentieux
électoraux n’ont pas reçu des requêtes formées en tierce opposition contre les
arrêts par elles rendus en matière des contentieux électoraux de résultats.

Etant donné que la Cour Constitutionnelle est au service du


constitutionnalisme, ne peut-elle pas, pour assurer la protection des droits
fondamentaux garantis par la Constitution, recourir à sa fonction de régulation
afin de rendre possible la tierce opposition dans le contentieux des élections
présidentielle et législatives nationales ?

5
NSUMBU KABU Odon, Cour Suprême de Justice, héritage de demi-siècle de jurisprudence, p.915
20

En réponse à cette interrogation, nous examinerons la notion du


pouvoir régulateur de la Cour Constitutionnelle en droit constitutionnel
congolais et en droit comparé.

§1 : Le pouvoir régulateur en droit constitutionnel congolais

En droit constitutionnel congolais, seule la régulation de la vie


politique par le Chef de l’Etat est prévue par la Constitution. En effet, l’article
69 dispose : « Le Président de la République est le Chef de l’Etat. Il
représente la nation et il est le symbole de l’unité nationale. Il veille au respect
de la Constitution.

Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs


publics et des institutions ainsi que la continuité de l’Etat. Il est le garant de
l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté
nationale et du respect des traités et accords internationaux.
Le pouvoir régulateur de la Cour Constitutionnelle n’est pas prévu
expressément par la Constitution. Mais dans sa jurisprudence, la Cour
Constitutionnelle a usé de son pouvoir régulateur tiré de l’interprétation des
divers articles de la Constitution notamment :

- Aux articles 160 alinéa 1 et 162 alinéa 2, la Cour Constitutionnelle


contrôle la constitutionnalité des lois et des Règlements ;
- A l’article 161 alinéa 1, elle interprète la Constitution ;
- A l’article 161 alinéa 2, elle est juge du contentieux électoral ;
- A l’article 161 alinéa 3, elle règle les conflits de compétences et
d’attributions entre le Pouvoir exécutif et le Pouvoir législatif ainsi
qu’entre l’Etat et les provinces ;
- A l’article 164, elle est juge des infractions en matière pénale
commises par le Président de la République et le Premier Ministre ;
- A l’article 82 de la loi organique n°13/026 du 15 octobre 2013
portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle,
elle reçoit le serment du Président de la République ;
- A l’article 83 de la loi organique précitée, elle connaît de la
déclaration du patrimoine familial du Président de la République et
des membres du Gouvernement ;
- A l’article 84 de la même loi organique, elle déclare la vacance de la
présidence de la République et la prolongation du délai des élections.

§2 : Le pouvoir régulateur en droit constitutionnel africain comparé


21

En droit constitutionnel africain comparé, la régulation de la vie


politique du juge constitutionnel est reconnue expressément dans la
Constitution.
A titre exemplatif:

En République du Congo
- L’article 175 alinéa 3 de la Constitution de 2015 adoptée par voie
référendaire le 25 octobre 2015 dispose :
« La Cour Constitutionnelle est l’organe régulateur du
fonctionnement des institutions et des activités des pouvoirs
publics ».
En République de Guinée
- L’article 93 alinéas 4 de la Constitution du 7 mai 2010 dispose : « Elle
est l’organe régulateur du fonctionnement et des activités des
pouvoirs législatifs et exécutif et des autres organes de l’Etat ».

En République du Bénin
- L’article 114 de la loi n°90-32 du 11 décembre 1990 dispose :
La Cour Constitutionnelle est l’organe régulateur du fonctionnement
des institutions et de l’activité des pouvoirs publics ».
En République du Cameroun
- L’article 46 de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996, portant révision de
la Constitution du 02 juin 1972 telle que modifiée et complétée par la
loi n°2008/001 du 14 avril 2008 dispose : « Le Conseil constitutionnel
est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions ».
En République de Côte d’Ivoire
- L’article 126 de la loi n°2016-886 portant Constitution de la troisième
République du 8 novembre 2016 dispose : « Le Conseil
Constitutionnel est une juridiction Constitutionnelle.
Il est indépendant et impartial.

Le Conseil constitutionnel est l’organe régulateur du fonctionnement


des pouvoirs publics. Il est juge du contrôle de l’élection présidentielle et des
élections parlementaires ».

Eu égard à ce qui précède, autant en droit congolais, la Cour


Constitutionnelle sanctionne ceux des actes des pouvoirs exécutif et législatif
qui portent atteinte aux droits fondamentaux et par contrecoup à la
Constitution, autant elle peut exercer son pouvoir régulateur pour assurer leur
protection dans le contentieux des élections. En effet, l’article 168 alinéa 1 de
la Constitution dispose : « Les arrêts de la Cour Constitutionnelle ne sont
22

susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Ils sont


obligatoires et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités
administratives et juridictionnelles, civiles et militaires ainsi qu’aux
particuliers ».

L’article 74 de la Loi électorale n°22/029 du 29 juin 2022 modifiant


et complétant la loi n°06/006 du 9 mars 2006 précise quant à elle : « Les
arrêts de la Cour Constitutionnelle en matière électorale ne sont susceptibles
d’aucun recours ».
Cependant, l’article 61 point 5 de la même Constitution dispose :
« En aucun cas…, il ne peut être dérogé aux droits et principes fondamentaux
des droits de la défense et le droit de recours. La locution adverbiale « en
aucun cas » employée par le Constituant signifie « jamais, sans aucune
acceptabilité ou possibilité ».
Donc, même lorsque des circonstances graves menacent la nation,
qu’elles provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions
ou même en cas de déclaration de guerre, de proclamation d’état de siège ou
l’état d’urgence, il ne peut être dérogé aux droits de la défense et le droit de
recours6.

Mais depuis le revirement jurisprudentiel de 2011, la tierce


opposition n’est plus admise dans le contentieux des élections comme une
voie de recours.

Cette méconnaissance appelle la Cour Constitutionnelle en tant


qu’elle est un instrument unique de réalisation et de garantie de l’Etat de droit
prévu à l’article 1er de la Constitution de recourir à sa fonction singulière de
régulation dans l’architecture institutionnelle de l’Etat afin d’en assurer
l’effectivité.

Ainsi, il serait de bon droit de laisser au candidat, membre de parti


politique ou de regroupement politique la faculté de se pourvoir en tierce
opposition pour faire obstacle aux effets d’une décision judiciaire à laquelle il
n’a été partie à l’instance, ni personnellement, ni par représentation
préjudiciant ainsi à ses intérêts.

CONCLUSION

6
Polydore MUKUBI KABALIK, la Constitution de la RDC : annotée, commentée et expliquée, Editions ITONGOA,
p.100
23

Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat et


Magistrat Suprême, avec l’expression de mes hommages renouvelés ;

Honorables, Excellences, Mesdames et Messieurs, en vos titres et


qualités respectifs. Tout protocole observé.

Je ne peux clore mon propos de ce jour, sans rappeler qu’il a porté


sur les causes d’irrecevabilités des requêtes en matière de contentieux
électoral, spécialement ceux des candidatures et des résultats des élections
présidentielle et législatives nationales.

Dans le chapitre premier, j’ai esquissé la définition des notions


essentielles liées à notre sujet avant de déterminer les juridictions
compétentes en matière des contentieux électoraux.

Le second chapitre m’a permis d’examiner les causes d’irrecevabilité


des requêtes en matière de contentieux des candidature et en matière de
contentieux des résultats relativement aux élections présidentielle et
législatives nationales que j’ai appuyées de quelques cas de jurisprudence et
j’ai posé la problématique de la tierce opposition en matière électorale en
proposant que nonobstant l’état de la jurisprudence actuelle sur la question, la
Cour Constitutionnelle ferait œuvre utile en l’admettant exceptionnellement
lorsque les droits civils et politiques fondamentaux d’un tiers non appelé à une
cause sont violés.

La trame ou ligne générale de notre étude a été de souligner qu’en


matière électorale, l’aboutissement de toute action en contestation ou en
restauration du droit reste largement tributaire de l’observance stricte de la
procédure.

Pour le Président de la République, je requiers qu’il plaise à la Cour


Constitutionnelle de déclarer qu’elle reprend ses travaux.

Je vous remercie.

Fait à Kinshasa, le 21 octobre 2023

LE PROCUREUR GENERAL PRES


LA COUR CONSTITUTIONNELLE

MUKOLO NKOKESHA Jean-Paul


© 2024

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