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SCIENCES PO LILLE

MASTER 1 PAIX, HUMANITAIRE, DÉVELOPPEMENT 

Peace, Security, and Multilateral Diplomacy

PORTRAIT DE FATOU BENSOUDA, ANCIEN PROCUREUR DE LA COUR


PÉNALE INTERNATIONALE (2012-2021)

Présenté par : Hannah Kimhi

                Année universitaire 2022-2023


Le récit singulier d’une femme hors normes

Fatou Bensouda a été procureur général de la Cour pénale internationale pendant neuf ans, de
2012 à 2021. Magistrate, avocate, femme africaine, elle est le symbole d’une féminité forte au
cœur d’une des institutions les plus importantes de ce monde. Elle nait en 1961 en Gambie
dans une famille qu’elle qualifie de « polygame » dans plusieurs entretiens et grandit aux
côtés de ses douze frères et sœurs et de ses parents. Poussée par ces derniers, Fatou Bensouda
fait des études pendant lesquelles elle développe un vif intérêt pour les questions d’ordre
social et politique. Animée par le droit des personnes, elle assiste à plusieurs audiences et se
sensibilise à la question des femmes battues pour lesquelles elle milite. Au terme de ses
études secondaires, elle devient greffière au Tribunal de Banjul. D’abord à l’Université d’Ife,
puis à la Nigérian Law School, Fatou Bensouda entreprend brillamment des études de droit au
Nigéria et sort finalement diplômée en 1987. Trois ans plus tard, elle poursuit son cursus et se
spécialise dans le droit maritime à l’International Maritime Law Institute, une agence des
Nations Unies. Elle devient la première femme africaine diplômée de droit maritime. Son
admission au barreau gambien marque l’ultime étape de son prestigieux parcours
universitaire. Elle est immédiatement recrutée en tant que conseillère auprès du gouvernement
gambien, et en 1994, elle devient procureur. Un coup d’État éclate en Gambie la même année,
et Fatou Bensouda est nommée solliciteur général et conseillère juridique auprès du nouveau
président Yahya Jammeh. Elle est finalement nommée ministre de la Justice avant d’être
démise de ses fonctions deux ans plus tard. Elle se tourne alors vers le secteur privé au détour
de quelques années puis est nommée conseillère juridique et substitut du procureur au
Tribunal international pour le Rwanda situé en Tanzanie. En 2004, elle rejoint la Cour pénale
internationale en tant qu’adjointe de Luis Moreno Ocampo, premier procureur général de la
Cour, jusqu’à sa propre nomination à ce poste en 2012. Elle occupa cette place jusqu’en 2021
où elle fut remplacée par Karim Khan. Fatou Bensouda travaille désormais sur d’autres
projets en lien avec le droit pénal international, et a notamment été mandatée pour présider
une commission d’enquête en Éthiopie par les Nations Unies.

Des contributions notables

Le droit pénal international a indéniablement été marqué par le mandat de Fatou Bensouda à
la Cour. Elle a notamment fait des crimes basés sur le genre et des crimes sexuels une priorité
durant son mandat, un sujet encore peu abordé par le droit international en dépit de son
ampleur. Ce combat fut un succès, bien que relatif, puisqu’une première condamnation
définitive pour crimes sexuels a été prononcée dans l’affaire Ntaganda en 2021, puis une
seconde dans l’affaire Ongwen. Fatou Bensouda a entre autres participé à la précision de la
qualification des crimes sexuels dans le droit pénal international et a alimenté la méthode
d’enquête s’y prêtant. Ces avancées restent à appréhender avec précaution étant donné les
échecs constatés dans d’autres affaires en matière de crimes sexuels, à l’image des affaires
Katanga et Ngudjolo. Outre son travail conséquent sur ces sujets, Fatou Bensouda a imposé,
tout au long de son mandat, la mise en œuvre de méthodes de travail et de communication
inédites qui ont montré leurs avantages. Elle a par exemple standardisé le travail d’enquête de
la Cour améliorant considérablement son efficacité. Le bureau du procureur a aussi fait le
choix d’instaurer une plus grande transparence dans ses communications, ce qui n’était pas le
parti-pris de Luis Moreno connu pour sa discrétion qu’il justifiait généralement par des motifs
sécuritaires. Toujours dans une idée d’évolution par rapport à son prédécesseur, Fatou
Bensouda a contribué à une plus large sensibilisation auprès des victimes, a ouvert le dialogue
avec ces dernières et tenté d’améliorer le partage d’informations sur les activités de ses
équipes.

Fatou Bensouda et le défi du multilatéralisme en matière de justice internationale

À Sciences Po Paris, lors d’une leçon inaugurale sur le multilatéralisme, Fatou Bensouda a
confié que : « le multilatéralisme et les règles de droit international sont de plus en plus
menacés ». Fervente défenseuse de la coopération internationale, elle a tout au long de son
mandat tenté de faire fonctionner ce travail collectif tout en assurant l’indépendance
judiciaire, mais s’est aussi confrontée à la complexe réalité du multilatéralisme. La figure du
procureur de la Cour pénale internationale est à la fois forte et fragile. Forte, car cette
institution est l’unique cour pénale internationale permanente et est donc le seul outil
disponible en matière criminelle à l’échelle internationale. Mais également parce que
symboliquement, elle a le pouvoir d’éveiller les consciences, d’alerter et de juger. La Cour
puise aussi sa force dans le pouvoir que lui confère le Conseil de sécurité des Nations Unies
étant donné qu’il peut lui donner compétence, même lorsqu’un État n’a pas ratifié le Traité de
Rome, si celui-ci a commis de graves violations du droit international. Ce fut par exemple le
cas par la résolution 1593 (2005) du 31 mars 2005 concernant le cas du Darfour (Soudan).
Fatou Bensouda a en effet sollicité et alerté les Nations Unies sur ce sujet sans relâche afin
d’obtenir le droit de mener son instruction. Le procureur est la figure la plus importante de
l’institution et en fait par conséquent un acteur clé du multilatéralisme en matière judiciaire.
Mais les obstacles sont aussi nombreux et le procureur est faible face aux grandes puissances,
y compris celles dont ne dépend pas la Cour. Il parait complexe de faire fonctionner une
justice universelle dans un monde si inégal et avec une Cour reconnue que partiellement. Le
fait que tous les États n’aient pas ratifié le Traité de Rome entraine de facto une injustice. Il
est à noter que des grandes puissances comme les États-Unis, la Chine et Israël n’ont pas
signé ce dernier et que toutes font l’objet de polémiques en termes de respect des droits de
l’Homme. Fatou Bensouda a fait son possible pour contourner cette difficulté, notamment en
s’attaquant au cas des territoires Palestiniens occupés et aux États-Unis pour leurs actions en
Afghanistan puisqu’il suffit qu’un État ayant subi une agression reconnaisse la compétence de
la Cour pour que celle-ci puisse ouvrir une enquête. Des instructions ont été menées à
l’initiative de Mme Bensouda, et ce malgré une forte offensive de la part des deux pays.
Persuadée d’une possible justice universelle, Fatou Bensouda s’est ainsi toujours battue pour
la mettre en route, et si cet objectif n’aboutit pas, c’est parce qu’’il repose essentiellement sur
la volonté des États.

Une figure autant admirée que controversée

Si Fatou Bensouda suscite l’admiration pour son parcours et son courage face aux plus
puissants de ce monde, elle est aussi un personnage controversé. Il lui est notamment reproché
son travail auprès de l’ancien président Jammeh, aujourd’hui accusé d’avoir été à la tête de
l’une des dictatures les plus violentes du monde. La magistrate nie fermement toute forme
d’implication. Mais au-delà de l’aspect polémique de sa carrière, son mandat interroge plus
largement sur le rôle du procureur et sur son efficacité. Son mandat comptabilise vingt
examens préliminaires annoncés publiquement et seulement huit enquêtes ouvertes. La lenteur
de la procédure et le nombre extrêmement restreint d’affaires par rapport à une réalité bien
plus alarmante ont déclenché une controverse autour de la magistrate. Reste à savoir si cette
lourdeur judiciaire est un problème structurel ou si Fatou Bensouda a en partie échoué dans sa
mission. Il en demeure tout de même une femme forte, qui a agi de façon active dans
l’instauration d’une justice internationale et d’un multilatéralisme plus fort. Il reste à espérer
que son successeur saura tirer les leçons du mandat de son mandat et parviendra à asseoir
l’autorité de la Cour auprès d’un plus large nombre de pays. Aujourd’hui, la Cour pénale
internationale est encore trop peu efficace et sa justice à deux vitesses interroge quant à sa
capacité à subsister.

Hannah Kimhi
BIBLIOGRAPHIE

Cruvellier, T. (2021, 4 novembre). Fatou Bensouda : « Je ne savais pas ce qui se passait sous Jammeh
» . Justiceinfo.net. https://www.justiceinfo.net/fr/83997-fatou-bensouda-je-ne-savais-pas-ce-qui-se-
passait-sous-jammeh.html

L’équipe éditoriale de Sciences Po. (2020, 18 septembre). “Aucun de nous n’est en sécurité, si nous
ne le sommes pas tous”. Sciences Po. https://www.sciencespo.fr/fr/actualites/aucun-de-nous-n-est-en-
securite-si-nous-ne-le-sommes-pas-tous

Le monde à juger. (2013, 5 juillet). Le Monde. https://www.lemonde.fr/societe/article/2013/07/05/le-


monde-a-juger_3441726_3224.html

Maupas, S. (2018, 22 août). La CPI : ses dossiers, son pouvoir, ses limites. Enquête sur la Cour pénale
internationale. Rfi. https://webdoc.rfi.fr/cpi-cour-penale-internationale-gbagbo-bechir-bemba/

Morel, E. (2021). COUR PÉNALE INTERNATIONALE. Quel est l’héritage de la Procureure


Bensouda ? Dans Fidh. https://www.fidh.org/IMG/pdf/rapport_fidh_cpi_-
_he_ritage_procureure_bensouda_de_c_2021_ok_au_211209.pdf

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