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Pierre Conesa

Haoues Seniguer,
Sofia Farhat, Régis Soubrouillard

Le Lobby saoudien
en France
Comment vendre
un pays invendable
Ce livre est dédié à Loujain al-Hathloul, « dangereuse terroriste »
saoudienne condamnée le 1er décembre 2014 pour avoir osé conduire
une voiture avant que ce ne soit autorisé, avoir tenté de présenter sa
candidature aux élections municipales et enfin, en 2016, avoir demandé
au roi Salman la fin de la tutelle masculine.
Elle a été condamnée à cinq ans et huit mois de prison en
décembre 2020 par une cour religieuse spéciale « antiterroriste » pour
« intelligence avec des parties étrangères » et pour « diverses activités
prohibées par la loi antiterroriste ».
Aucun des chefs d’État occidentaux qui ont participé au G20 virtuel
organisé par l’Arabie saoudite en novembre 2020 n’a évoqué son cas.
Elle vient d’être libérée après près de mille jours en prison… pour
avoir conduit seule, c’est-à-dire rien. Aucune charge n’est retenue contre
elle.
Cette histoire rappelle l’anecdote sur la justice soviétique contre les
opposants : « Rien, c’est cinq ans. »
En Arabie, rien c’est deux ans et demi. C’est un réel progrès.
En revanche, Al-Qahtani, conseiller de Mohammed ben Salman,
tueur en chef du commando qui a assassiné Jamal Khashoggi, vient
d’être amnistié.
Avertissement

Le lobby saoudien n’est pas un lobby comme les autres. Son but n’est
pas de faire adopter un texte de loi ou d’influencer l’opinion publique.
C’est une action d’influence qui veut rester discrète bien qu’agissant
dans des domaines de plus en plus variés, sans organisation visiblement
identifiable. C’est un système composite dont le but premier a longtemps
été qu’on ne parle pas de l’Arabie saoudite. C’est une action de soft
power au sens où Joseph Nye, le créateur du concept, l’a défini : « What
is soft power ? It is the ability to get what you want through attraction
rather than coercion or payments. » (Le soft power est la capacité à
obtenir ce que vous voulez par la séduction plutôt que par la coercition
ou l’argent.) Nye insiste ainsi sur le fait que ni la force ni l’argent ne
suffisent. On verra toutefois que, la séduction n’étant pas la
caractéristique du modèle saoudien, l’argent joue beaucoup dans notre
cas. Le Qatar, comme tout nouveau riche, a également inondé d’argent
des partenaires français, avec un certain succès, il faut le reconnaître.
Mais les enquêtes de Chesnot et Malbrunot notamment, qui ont tracé ces
financements, ont tétanisé le petit émirat. On ne s’étonnera pas de voir
que de fervents défenseurs du Qatar sont désormais passés dans le bateau
saoudien. Mais le navire prend l’eau en ce moment.
Pour redorer un blason terni depuis les attentats du 11-Septembre –
qui comptaient quinze Saoudiens sur l’équipe des dix-neuf terroristes à
la manœuvre –, l’Arabie a eu l’intelligence de comprendre qu’il était
plus aisé d’acheter certains médias arabophones, ou de faire appel à de
multiples sociétés de relations publiques (RP), plutôt que de convaincre
les médias des pays démocratiques. Au contraire d’un lobby affiché et
organisé, on a aujourd’hui affaire à une arborescence contractuelle,
destinée d’abord à ce qu’on n’identifie pas directement le commanditaire
premier du lobbying, ce qui explique le caractère brouillon de certaines
initiatives. Depuis l’arrivée au pouvoir de Mohammed ben Salman
(MBS) en juin 2017, les domaines d’intervention sont plus nombreux :
culture, sport, mesurettes sociales, influenceurs sur Internet, sondages
auprès des faiseurs d’opinion…
La France n’est qu’un pays de second rang, le lobby saoudien y est
moins riche et diversifié qu’aux États-Unis par exemple. Si l’action
d’influence ne marche pas, la menace reste toujours possible et efficace,
ce qui explique le mutisme officiel et l’absence de débat public sur ce
pays dans l’Hexagone.
Cette étude a été commencée avant l’« équarrissage » de Jamal
Khashoggi (octobre 2018), et s’est poursuivie après. Par charité
chrétienne, nous ne dresserons pas la liste des personnes sollicitées qui
ont refusé de répondre ou ont soudainement coupé leur téléphone. Elles
ne souhaitent pas rappeler des collaborations ou des financements de
Riyad qui, dans le contexte de l’affaire Khashoggi, pourraient être
instrumentalisés, même si des rapports antérieurs avec Riyad n’avaient
rien de scandaleux. Le Washington Post, dans ses articles des 15 et
21 octobre 2019, s’est heurté au même problème téléphonique. Le
silence médiatique qui était retombé sur cette affaire semblait marquer la
seconde mort du journaliste. Mais la récente décision de Joe Biden de
publier le rapport de la CIA désignant nommément MBS montre que
l’affaire n’est pas terminée : « Khashoggi pas mort ! »
INTRODUCTION

Après la tournée médiatiquement triomphale en avril 2018 du prince


héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salman (MBS) aux États-
Unis, en Grande-Bretagne et en France, l’assassinat du journaliste Jamal
Khashoggi a provoqué un séisme médiatique, révélant soudainement le
véritable visage du pouvoir wahhabite auquel on accordait un satisfecit
poli quand le jeune prince héritier cédait aux femmes le droit de conduire
ou celui d’assister aux matchs de foot. Très rapidement sont apparus ou
réapparus dans la presse les horreurs de la condamnation en 2012 de Raif
Badawi (mille coups de fouet et dix ans de prison pour avoir demandé la
liberté de conscience), les horreurs de la guerre au Yémen depuis 2015,
ou la décapitation accompagnée de crucifixion en janvier 2016 du neveu
de l’ayatollah Nimr al-Nimr, l’arrestation de Saad Hariri, pourtant
Premier ministre d’un pays souverain en 2017, le blocus du Qatar
(juin 2017), l’arrestation des dix militantes féministes, la détention sans
procès depuis deux ans et demi de Loujain al-Hathloul, trente et un ans,
féministe qui avait osé conduire avant l’autorisation officielle, et enfin la
politique d’enlèvements d’opposants vivant à l’étranger. Malgré un
dossier aussi lourd, le pays jouit d’une complicité internationale tacite :
corruption, incompétence, lâcheté ? Pourquoi, et surtout comment ? Le
champ des explications possibles est large. La capacité médiatique,
politique et diplomatique de l’Arabie, au-delà de sa puissance financière,
est significative. Ce pays, qui cumule tous les titres en matière de
violations des droits humains, est à la tête du « groupe consultatif » de
l’ONU chargé de sélectionner les rapporteurs sur les violences faites aux
femmes. Cette élection s’est faite avec le soutien de quatre pays
membres de l’UE (dont la Belgique, mais sans la France).
Le concept de lobby international est pris ici au sens de groupe
d’entités diverses agissant ensemble de façon plus ou moins coordonnée
pour empêcher une action diplomatique, législative ou politique, ou si
possible valoriser l’image d’un pays. Ce lobby a obtenu son premier
succès aux États-Unis après les attentats du 11-Septembre. Malgré la
présence de quinze Saoudiens parmi les dix-neuf terroristes, George
W. Bush avait choisi de ne pas placer l’Arabie saoudite sur l’« axe du
mal », aux côtés de l’Irak, de l’Iran et de la Corée du Nord. Mais c’est à
la lumière de son plus récent succès – l’affaire Khashoggi – qu’il
convient de disséquer les rouages du lobby saoudien : comment
fonctionne-t-il aujourd’hui ? Pourquoi une telle efficacité ? Qui l’anime
et le soutient ? Qui s’est soudainement tu ?
Nous nous sommes appuyés sur les nombreux travaux de Chesnot et
Malbrunot, qui ont parfaitement analysé le lobby qatarien en France, et
sur l’enquête de Michel Taube, La Face cachée des Émirats arabes unis.
La comparaison avec l’Arabie saoudite est d’autant plus riche (sans jeu
de mots) que Doha s’est comporté en « nouveau riche », distribuant sans
compter et sans précaution, alors que Riyad a eu l’intelligence de
comprendre qu’il valait mieux déléguer, d’où l’extraordinaire complexité
du réseau de consultance de l’Arabie, qui rend parfois impossible de
remonter au commanditaire.
Dans un article de Libération du 4 avril 2019 sur « La recherche dans
le piège de l’expertise » 1, l’auteur, Ali Bensaâd, parle de « Françarabie »
en référence à la « Françafrique », comme l’auteur britannique David
Wearing a parlé d’« AngloArabia » dans son livre 2. Faut-il aller jusque-
là ?
1
La communication avant le 11 septembre
2001

L’Arabie saoudite rivalise avec la Corée du Nord en matière


d’autoritarisme et de répression. Atteintes aux droits de l’homme,
absence totale de droits pour les femmes, usage de la torture et autres
traitements dégradants (mutilations, crucifixions…), intolérance
religieuse absolue, interventions militaires extérieures (Bahreïn, Yémen),
absence de liberté de conscience, de la presse et d’opinion, etc. La liste
est longue de tout ce qui semble constituer une mission impossible pour
n’importe quelle agence de communication. D’autant qu’il faut ajouter
une spécificité : la peine de mort pour blasphème et l’athéisme assimilé à
du terrorisme.
Le défi est d’autant plus grand que le pays ne dispose d’aucun
intellectuel à présenter sur les plateaux télé dans les démocraties ; à leur
place on trouve des télécoranistes, lecteurs et interprètes obtus du Coran,
par ailleurs très en vue sur Internet. D’autre part, le royaume ne peut
compter sur une importante diaspora et sur des organisations sociales
structurées, à la différence de certains pays du Maghreb. Enfin, Riyad a
trop d’ennemis désignés : l’Iran, le Qatar, les Houthis au Yémen, Daech,
les princes « félons », les mécréants, les Frères musulmans après 2013,
etc. Ce qui rend la communication internationale difficile et confuse.
Longtemps le régime s’est recroquevillé dans sa superbe
indifférence, jusqu’à ce que les événements intérieurs et extérieurs ne
l’obligent à vendre une image différente. La solution a donc consisté à
contracter avec tous les plus grands cabinets de lobbying et les sociétés
internationales de relations publiques, afin d’agir au plus haut niveau,
l’opinion publique n’ayant aucune importance aux yeux de Riyad. Selon
James Woolsey, ancien directeur de la CIA, cette politique d’influence et
de rayonnement religieux aurait mobilisé plus de 85 milliards de dollars
entre 1975 et 2005 au niveau mondial et viserait une hégémonie
spirituelle et politique sur la pratique musulmane. Le seul budget annuel
total de la communication serait de un à deux milliards de dollars, si on
ne compte que les contrats passés avec les consultants étrangers
identifiés.

Une image médiatique bien ancrée : un régime


rétrograde, mais en perpétuel changement

L’Arabie saoudite a longtemps préféré le silence ou la seule


communication vers les populations arabes par sa mainmise sur les
médias. Avant l’évolution observée dans les années 1990-2000 et qui
s’est accélérée depuis l’arrivée de MBS, l’objectif était simple.
Traditionnellement, le royaume saoudien ne souhaitait pas que l’on parle
de lui, sinon de temps à autre pour en dire du bien. Pendant de
nombreuses années, l’objectif du régime a été de diffuser l’image d’un
pays traditionaliste vivant heureux dans son conservatisme religieux. En
réalité, les médias occidentaux ne savaient pas quoi écrire et se
contentaient, à chaque changement de tête couronnée, de qualifier le
nouveau souverain « d’homme du changement », comme le démontre
Abdullah al-Arian dans son article « Seventy Years of the New York
Times Describing Saudi Royals as Reformers » 3.
Le fondateur du royaume, Abdelaziz al-Saoud, roi de 1926 à 1953,
eut vingt-huit épouses, qui lui donnèrent cinquante-trois fils et trente-six
filles ; il divorça douze fois, de façon à toujours n’en avoir que quatre en
même temps, comme le prophète. Les rois qui lui succédèrent depuis
étaient ses fils selon le processus adelphique (le premier fils de la
première femme, puis le premier fils de la deuxième femme, et ainsi de
suite). L’actuel souverain Salman a accédé au trône à l’âge de quatre-
vingts ans. Cela explique pourquoi l’arrivée du petit-fils trentenaire
MBS, après des décennies de gérontocratie, a été un choc médiatique.
Jusqu’alors les réformes annoncées étaient immédiatement
médiatisées comme des mesures quasi révolutionnaires, reprises sans
distance par les médias internationaux. C’est ce qui s’est produit en 2011
quand a été donnée aux femmes l’autorisation de se présenter aux
élections municipales, ou encore en janvier 2013, quand un décret a
annoncé que trente postes leur seraient réservés au Parlement – assises
séparément –, même si, dans les faits, ce n’est qu’en décembre 2015 que
quatorze femmes ont été élues. La même année Israa al-Ghomgham,
Saoudienne militante des droits humains, membre de la minorité chiite,
qui avait pris part à des manifestations pacifiques en 2011, a été
emprisonnée et est passée à deux doigts de la peine de mort, qui menace
toujours son mari et trois autres personnes, Ahmed al-Matrood, Ali
Ouwaisher et Khalid al-Ghanim. Le sixième coaccusé, Mujtaba al-
Muzain, risque vingt ans de prison. Une quatrième audience prévue le
13 janvier 2019 a été reportée sans indication d’une nouvelle date…
Pendant longtemps, et faute d’informations réelles, des documentaires
sur le pays sont allés chercher des sujets exotiques comme le rappeur
saoudien et la femme chef d’entreprise. En d’autres termes, l’image s’est
longtemps limitée à ce qu’il était autorisé de montrer. Et si, de temps en
temps, des scandales ont éclaté, au moment de l’exécution de certaines
femmes ou de l’arrestation de militants des droits de l’homme, leur
dénonciation est restée sans effet (selon les entretiens des auteurs avec
les ONG). Ce mutisme est dû en partie au contrôle médiatique efficace
exercé par les autorités saoudiennes, mais aussi à l’absence de
mobilisation des principaux relais d’opinion occidentaux.
Années 1980-1990 : contrôler les médias arabes,
les journalistes et les voix dissidentes

Dans le monde arabe, le royaume saoudien a longtemps limité sa


stratégie de communication au contrôle des journaux arabophones, et à
tenter de faire taire les blogueurs et tous ceux qui, localement, élevaient
la voix en menaçant de ternir l’image du royaume.
Les premières cibles ont été les médias arabophones, dont la maîtrise
paraissait – et à raison – essentielle pour s’assurer une bonne image dans
la région. Les opérations de financement et d’achat de grands journaux
en arabe ont commencé dès la fin des années 1970 avec le rachat de
Asharq al-Awsat, publié à Londres et édité dans quatorze pays, qui passe
en 1978 sous le contrôle du Saudi Research and Marketing Group
(SRMG). En 1990, Al-Hayat, basé à Beyrouth, est acheté par le prince
saoudien Khaled ben Sultan. Le quasi-monopole est alors atteint. Seul le
quotidien arabophone Al-Quds al-Arabi, créé en 1989, édité à Londres et
dont les propriétaires étaient palestiniens, y a échappé un temps, mais il
serait passé depuis sous l’autorité du Qatar. Cependant, en dépit d’une
domination écrasante, la légitimité et l’efficacité de cet immense
dispositif médiatique n’ont jamais réussi à asseoir complètement la
légitimité du système, ni au regard de la liberté de la presse, ni en ce qui
concerne les « intérêts des Arabes et des musulmans » selon l’expression
consacrée dans la rhétorique saoudienne. Cette hégémonie aura toutefois
des effets sur le traitement de l’affaire Khashoggi dans les médias
arabophones, comme on le verra.
Deuxième cible : les journalistes. Les visas sont limités pour les
reporters étrangers et les lettres d’invitation indispensables… Et une fois
qu’ils sont sur place, leur travail peut être rendu complexe. Citons
l’exemple des correspondants étrangers interpellés alors qu’ils tentaient
de couvrir les manifestations dans la ville d’Hofouf, dans l’Est chiite du
pays en 2011, ou encore les trois journalistes d’une chaîne de télé en
ligne, Firas Baqna, Khalid al-Rasheed et Hussam al-Darwish, arrêtés en
octobre 2011 à la suite de leur apparition dans l’émission « Malub
Aleyna », qui traitait des conditions de vie des plus démunis dans la
capitale saoudienne. Reporters sans frontières estime que trente-deux
journalistes sont actuellement emprisonnés par le royaume. En
février 2018, le journaliste Saleh al-Shehi a été condamné à cinq ans de
prison pour « outrage à la cour royale », dont il avait dénoncé la
corruption et le népotisme. Deux éditorialistes, Essam al-Zamel
(économiste) et Abdullah al-Malki (universitaire), ont été jugés pour
avoir partagé des informations et leurs analyses parfois critiques de la
politique ou de l’économie saoudiennes 4. L’Arabie saoudite est, avec la
Chine et l’Égypte, l’un des trois pays qui comptent le plus grand nombre
de journalistes emprisonnés, et elle figure à la 172e place sur 180 au
classement mondial de la liberté de la presse. Depuis 2017, le nombre de
journalistes et de blogueurs derrière les barreaux a triplé. Le 2 mars
2021, RSF a déposé plainte en Allemagne contre MBS pour crime contre
l’humanité à propos de l’assassinat de leur confrère Jamal Khashoggi.
Troisième cible : les citoyens qui informent à leurs risques et périls.
C’était le cas lors des manifestations de la minorité chiite citées plus
haut, sur lesquelles les autorités saoudiennes ont tenté d’imposer un
véritable black-out médiatique, de nombreuses personnes ayant été tuées
par balle. Les blogueurs sont des cibles privilégiées : Mustafa al-
Mubarak et Hussein al-Hashim ont été arrêtés en avril 2011 alors qu’ils
essayaient de diffuser les revendications des manifestants, et leurs
ordinateurs confisqués. Ils ont été libérés peu après. En revanche,
l’écrivain Nazir al-Majid, qui avait publié un article intitulé « Je proteste,
donc je suis un être humain » sur le site d’information rasid.com, est
toujours emprisonné. C’est également le cas de Fadil al-Manasef et de
Hussein al-Youssef, ainsi que de l’écrivain et réformateur Sheikh
Mekhlef bin Dahham al-Shammari, arrêté en 2010, emprisonné en 2016
et accusé de terrorisme. En mai 2018, la blogueuse Eman al-Nafjan, qui
écrivait sur des sujets sensibles comme la politique ou les droits des
femmes en Arabie saoudite, a été arrêtée, accusée de traîtrise et de nuire
à la stabilité du royaume. Récompensée de nombreux prix
internationaux, elle a été libérée mais assignée à résidence. Elle est
toujours en attente de son procès. Le cas le plus emblématique est
certainement celui de Hamza Kashgari, ancien éditorialiste du quotidien
saoudien Al-Bilad, accusé d’avoir tenu des propos blasphématoires sur
Twitter. Immédiatement couvert de menaces de mort, malgré la
suppression de ses tweets et une lettre d’excuse, il tente de quitter le
pays, mais est arrêté en Malaisie et extradé le 9 février 2012. Hamza
Kashgari est libéré le 29 octobre 2013, après vingt mois de prison, sous
la pression internationale. Les exemples de ce genre ne manquent pas.

L’élimination des princes félons

Ce nom désigne les traîtres issus des familles de pouvoir, qui


connaissent bien le système et le dénoncent depuis l’étranger (comme
Khashoggi). Les faire taire étant délicat, la technique de choix consiste à
les corrompre ou tout bonnement à les enlever. Des exemples ont été
présentés par le documentaire de la BBC, Saudi Arabia’s Missing
Princes, de juin 2017 5, étonnant remake arabe de la série Les Tudors, et
on peut y apprendre que la politique d’enlèvement n’a pas débuté avec le
prince Salman mais bien avant, sous les règnes de Fahd (1982-2005) et
d’Abdallah (2005-2015). Toutes les victimes avaient en commun de
s’être exprimées en public contre le régime saoudien.
Khaled ben Farhan al-Saoud : remettant en question le système
imposé par sa famille depuis le début du XXe siècle, craignant pour sa
sécurité, il s’est réfugié en 2013 en Allemagne, où il a demandé l’asile
politique. « Nous étions quatre membres de la famille en Europe. Nous
avons critiqué la famille et le régime. Trois d’entre nous ont été
kidnappés », confie-t-il à la BBC.
Sultan ben Turki al-Saoud : petit-fils du fondateur du royaume.
Enlevé une première fois à Genève et placé en résidence surveillée, il est
relâché pour raisons de santé et part se faire soigner aux États-Unis.
Aussitôt, il porte plainte contre plusieurs responsables saoudiens. En
janvier 2016, il s’apprête à se rendre en Égypte à bord d’un appareil mis
à sa disposition par l’ambassade à Paris. Mais au lieu d’atterrir au Caire
l’avion se pose à Riyad. Les assistants du prince, européens et
américains, sont confinés pendant trois jours avant d’être autorisés à
quitter le pays. Il a depuis disparu.
Turki ben Bandar al-Saoud : ancien haut responsable des forces de
sécurité du pays. Une querelle d’héritage se termine mal pour lui et il est
emprisonné. À sa libération, il part s’installer à Paris. À partir de
juin 2012, il commence à poster sur YouTube des vidéos demandant des
réformes politiques en Arabie saoudite. Arrêté au Maroc alors qu’il
s’apprêtait à regagner Paris, il est extradé vers l’Arabie saoudite avec
l’accord d’un tribunal marocain.
Saoud ben Saif al-Nasr : prince de rang modeste parmi les quelque
dix mille princes saoudiens, play-boy, aimant casinos et hôtels de luxe. À
partir de 2012 il se met à tweeter contre la monarchie, et en 2015 il
soutient publiquement un appel à renverser le régime. Peu après, il
disparaît, attiré dans un piège des services saoudiens, qui, sous la
couverture d’une société italo-russe, lui auraient proposé une
commission pour pouvoir installer une succursale dans le royaume.
L’avion de la compagnie venu le chercher à Milan ne s’est pas posé à
Rome mais à Riyad, et l’homme a disparu.
Depuis son éviction de la succession le 21 juin 2017, le prince
Mohammed ben Nayef, ancien chef des forces de sécurité du royaume,
n’a plus reparu en public et serait en résidence surveillée. Il n’est que le
dernier en date et le plus en vue des princes disparus d’Arabie saoudite.
La mécanique de purge ne s’arrête pas là puisqu’un prince saoudien a
déclaré dans The Independent le 18 octobre 2018 que les autorités
avaient tenté de le faire venir au consulat du Caire quelques jours avant
la disparition de Jamal Khashoggi, « mais il avait l’impression que
quelque chose allait arriver ».
Comme l’explique Khaled ben Farhan al-Saoud dans le documentaire
de la BBC, « toutes les décisions concernant les membres de la famille
Al-Saoud sont prises au plus haut niveau, celui du roi. Dans un premier
temps, lorsque des signes de dissidence sont détectés, on empêche
l’intéressé de voyager, ses revenus sont réduits, et, dans les cas les plus
graves, il peut être placé en résidence surveillée, voire en prison ». À
l’origine de la dissidence, on trouve rarement un désaccord politique. Il
s’agit de façon plus prosaïque d’une réaction de dépit, à la suite d’une
frustration d’ordre financier, engendrant en représailles une prise de
position hostile. L’opacité et l’image très négative des princes saoudiens
expliquent sans doute l’absence d’intérêt médiatique pour des
enlèvements qui ressemblent à des guerres de mafias.

Omniprésence sur les réseaux sociaux

Seul espace de communication que le régime ne maîtrise pas encore,


les réseaux sociaux sont devenus, ces dernières années, l’une des
principales cibles du royaume. En effet s’y expriment les opinions de la
société civile en même temps que s’y coordonnent les actions
collectives. Ils constituent donc un danger. La crainte d’un Printemps
arabe dans le pays a fait prendre conscience au régime de la nécessité de
contrôler cet espace de liberté, d’autant que l’Arabie saoudite figure au
premier rang des pays du monde en nombre d’utilisateurs par habitant.
Ils échappent facilement à la surveillance en ayant recours à des
pseudonymes ou à des faux comptes. Des « gendarmes du royaume »,
ceux que le New York Times a appelés les « trolls saoudiens » dans un
article publié en octobre 2018 6, ont été déployés pour contrôler les
réseaux sociaux. Dirigés jusqu’en octobre 2018 par Saud al-Qahtani,
alors responsable des opérations médiatiques au sein de la cour royale,
ils ont pour mission de surveiller et orienter les discussions, notamment
sur Twitter. Al-Qahtani utilisait son compte propre de 1,35 million
d’abonnés pour regrouper les défenseurs du royaume en ligne. Il achetait
aussi les comptes des influenceurs les plus suivis sur les réseaux sociaux
pour maximiser leur influence sur l’opinion publique. Ceux-ci allaient
ensuite contacter les auteurs des critiques en les menaçant directement ou
alors en leur offrant 3 000 dollars environ par mois, afin qu’ils retirent
leurs publications. Selon l’article du New York Times, Jamal Khashoggi
aurait refusé une proposition directe. Ces activistes du régime tentent de
retrouver les adresses IP des opposants et de les traquer. Ainsi, en pleine
affaire Khashoggi, le 14 octobre 2018, des trolls, des robots et des
supporters saoudiens ont tweeté « #‫» ﻛﻠﻨﺎ_ﻗﮫ_ﻓﻲ_ﻣﺤﻤﺪ_ﺑﻦ_ﺳﻠﻤﺎن‬
(« #NousCroyonsTousEnMBS »), hashtag qui fut le premier dans le
monde pendant toute une journée : une bonne manière de reléguer
l’assassinat au second plan.
D’ailleurs, Twitter a répliqué à cette vaste opération de
communication saoudienne. À l’issue d’une enquête interne qui a été
rendue publique en décembre 2019 7, le réseau a repéré puis suspendu
plus de 88 000 comptes qui généraient ou amplifiaient la diffusion des
messages favorables aux autorités saoudiennes par l’utilisation abusive
de likes, de retweets et de réponses. En septembre, Twitter avait aussi
supprimé le compte de Saud al-Qahtani. Il s’agit de l’une des mesures de
répression les plus complètes prises par l’entreprise californienne contre
une opération d’information chapeautée par un État : « La majorité des
messages était en arabe et concernait des événements internationaux, y
compris la diffusion des discussions sur les sanctions en Iran et les
apparitions de responsables du gouvernement saoudien dans les médias
occidentaux. » Toujours selon Twitter, la plupart des comptes avaient été
créés, achetés et gérés par Smaat, société de marketing et de gestion des
médias sociaux basée en Arabie saoudite. Dotée d’outils automatisés,
elle assurait à ses clients que leurs idées transiteraient et s’amplifieraient
en ligne. Pour le réseau social, il ne fait aucun doute que ces comptes de
robots prosaoudiens ont tenté de façonner le récit de la mort du
journaliste.

Infiltrer la presse internationale


La politique saoudienne à l’égard des médias est planétaire (Canada,
Australie, Allemagne, etc.), comme le révèle l’exploitation de la base
WikiLeaks « Saudi Cables » (dépêches saoudiennes), qui contient, à ce
jour, plus de 122 619 documents diplomatiques du ministère des Affaires
étrangères saoudien. Son examen dévoile de nombreuses transactions
financières, directes ou indirectes, qui permettent à l’Arabie de contrôler
de très près son image, en surveillant et en achetant des allégeances, qu’il
s’agisse de médias, de journalistes, d’universitaires, de chercheurs…
partout dans le monde. Pour ce faire, deux techniques sont déployées,
correspondant à l’approche de la carotte et du bâton, désignées dans les
documents WikiLeaks par les termes de « neutralisation » et de
« confinement ». Le choix de l’approche dépend de l’ampleur de la
critique vis-à-vis du royaume et des supports. Les ambassades
saoudiennes sont chargées de surveiller les médias locaux et sont libres
de trouver les moyens nécessaires pour répondre au mieux aux critiques
tout en en référant au ministère. Face à la multiplication des scandales
saoudiens, les efforts ont été décuplés. Selon Reporters sans frontières,
les ambassades saoudiennes disposent d’une enveloppe pour rémunérer
entre 8 000 et 10 000 euros par mois des journalistes expérimentés, des
intellectuels ou des universitaires afin qu’ils produisent des articles
élogieux sur l’Arabie.
La « neutralisation » vise à empêcher que ne se publie quoi que ce
soit de négatif au sujet du royaume. Les journalistes et les médias
neutralisés ne sont pas censés le louer ou le défendre, mais seulement
s’abstenir de publier des informations qui ne lui seraient pas favorables.
C’est le mode d’action privilégié du royaume dans les médias régionaux.
Si la neutralisation se montre insuffisante, le pouvoir opte alors pour
l’approche « confinement ». Les journalistes et les organes de presse
soumis sont chargés de chanter les louanges de l’Arabie et de saturer le
champ médiatique, de façon à étouffer les informations négatives.
Certains câbles détaillent les chiffres et les méthodes de paiement :
parfois modestes, mais vitales recettes d’environ 2 000 dollars annuels
aux médias des pays en développement – somme dont l’Agence
guinéenne de presse dit avoir « un besoin urgent car elle résoudrait de
nombreux problèmes auxquels elle est confrontée ». C’est aussi le cas de
la chaîne de télévision libanaise MTV.
Les documents mettent en lumière les inquiétudes saoudiennes au
sujet des Printemps arabes. Les câbles notent qu’après la chute de
Moubarak la ligne des médias égyptiens était « menée par l’opinion
publique au lieu de diriger l’opinion publique ». Idem en Tunisie, lieu de
naissance du mouvement, où il a été décidé « d’apporter un soutien
financier aux institutions médiatiques influentes ».
Voici un extrait du site WikiLeaks/saudidatabase :

Échange entre le ministère des Affaires


étrangères saoudien et son ambassade au Caire

Le 24 novembre 2011, la chaîne égyptienne de télévision en langue arabe ONTV a


accueilli la personnalité de l’opposition saoudienne Saad al-Faqih, ce qui a incité le
ministère des Affaires étrangères à charger l’ambassade d’enquêter sur cette chaîne. Le
ministère a demandé à l’ambassade de déterminer comment « la coopter, sinon nous
devons considérer qu’elle s’oppose à la politique du royaume ». Selon le document, le
milliardaire Naguib Sawiris, propriétaire de la chaîne, n’avait pas souhaité se montrer
« opposé à la politique du royaume » et a réprimandé le directeur de la chaîne, lui
demandant de « ne plus jamais inviter Al-Faqih ».

Un autre document des « Saudi Cables » liste une série de subsides


destinés à deux douzaines de publications à Damas, Abou Dabi,
Beyrouth, Koweït, Amman et Nouakchott. Les montants vont de 500 à
9 750 dinars koweïtiens (33 000 dollars). Les accords se concluent
parfois par une souscription à des centaines, voire des milliers
d’abonnements, par la promesse d’aides financières régulières, ou par la
corruption des responsables des médias concernés.

Lettre du MAE saoudien concernant


la coopération avec des médias tunisiens
Son Excellence Monsieur le Président de la cour royale, paix, miséricorde et
bénédiction de Dieu.

o
Je me réfère au décret royal n 20587 du 6/4/1433/1 D, adressé à Son Altesse
Royale et au ministre des Affaires étrangères […]. Dans le but de trouver de nouvelles
possibilités de consultation pour servir les intérêts du royaume. […] Sur les moyens
d’améliorer les relations médiatiques entre le royaume et la Tunisie comme suit :
1. Hausser le soutien financier apporté à la presse influente en Tunisie en
coordination avec l’ambassade, cela après avoir coopéré et s’être mis d’accord avec
l’ambassade saoudienne sur la situation des médias. Nous participerons et appuierons
les nouveaux médias tunisiens qui s’engageront à entretenir des rapports privilégiés
avec le royaume.
2. Inviter des groupes d’écrivains et de journalistes tunisiens ayant une influence
majeure sur les médias tunisiens et arabophones ou encore internationaux à participer à
des conférences et des événements officiels du royaume.

Les techniques révélées par des télégrammes de WikiLeaks avec


l’exemple ci-dessous, concernant l’Allemagne, sont probablement
généralisables à d’autres démocraties :

Lettre du MAE saoudien au ministre


de l’Information pour le soutien financier
de certains journalistes allemands
et écrivains prosaoudiens

TRÈS CONFIDENTIEL
M. le Ministre de la Culture et de l’Information

Le plan médiatique proposé par l’ambassadeur à Berlin pour faire face à la


campagne de propagande malveillante israélienne :
Premièrement : attirer cinq journalistes qui ont de l’expérience et des
connaissances dans le travail des médias allemands et ayant une inclination positive
pour le royaume (par principe et non par intérêt) pour atteindre les objectifs suivants :
— Préparation et formulation de nouvelles positives relatives au royaume dans les
médias, afin qu’elles soient envoyées aux journaux allemands à Berlin et à Hambourg,
puis à Munich, etc. Ne pas publier d’articles du même journal ou du même journaliste
pour éviter les accusations de soutien par le royaume.
— Les nouvelles erronées qui sont écrites à propos du royaume seront supprimées.
[…]
— Un film de propagande présentant certaines des caractéristiques du royaume
sera produit pour être présenté lors de la prochaine Conférence sur l’environnement,
ainsi que lors de divers événements (Conférence sur l’agriculture, Foire du livre, etc.).
Deuxièmement : participation à la Semaine du tourisme, de la culture et des
médias, et mise en place de soirées avec un défilé saoudien et un dîner pour les invités.
Troisièmement : attirer des écrivains allemands qui sympathisent avec le royaume
pour préparer des récits ou une couverture littéraire sur le royaume à raison d’un livre
tous les six mois, ainsi que pour traduire des livres pour des écrivains saoudiens à
tendance littéraire européenne, notamment des jeunes et des médias dans le cadre de la
Semaine de la culture, Foire du livre, etc.
Coûts :
Les salaires des cinq journalistes ne sont pas inférieurs à 7 500 euros par mois.
Récompenses pour les journalistes européens de 300 euros par article.
Rémunération des employés des chaînes de télévision allemandes pour dénoncer,
radier ou couper des informations contre le royaume, 500 euros pour chaque actualité
radiée et 300 euros pour chaque actualité tronquée. 7 500 à 10 000 euros par mois
seront à verser aux plus méritants.

Saud al-Faisal, Ministre des Affaires étrangères

Les ONG et les universitaires :


quantité négligeable ?

Le travail des ONG se heurte à l’imperméabilité absolue de Riyad à


toute forme de protestation, mais aussi au mutisme des gouvernements
occidentaux. Les exécutions publiques collectives ou individuelles
saoudiennes sont rarement traitées par les ONG sur le même ton que des
horreurs équivalentes en Iran. Selon le site Death Penalty Worldwide, il y
a eu en Arabie saoudite 26 ou 27 exécutions en 2010 ; au moins 82 en
2011 ; 76 en 2012 ; 79 en 2013 ; 90 en 2014 ; 153 en 2015 ; 54 en 2016 ;
149 en 2017, 184 en 2019 8. Le 20 octobre 2020 HRW 9 avait révélé que
8 sujets, âgés de quatorze à quinze ans, allaient être condamnés à mort
pour avoir participé aux manifestations non violentes de la région Est. Le
plus jeune des mis en examen était âgé de neuf ans. En 2020, les chiffres
ne sont pas rendus publics et Riyad a décidé d’abolir la peine de mort
pour les mineurs. Faut-il y voir un changement significatif concernant
l’imperméabilité des autorités saoudiennes à l’action des ONG ou
simplement un effet indirect et temporaire du scandale Khashoggi ? Si,
en valeur absolue, la Chine reste en tête des exécutions capitales (84 %
du total en 2017), devant l’Iran et l’Arabie saoudite, l’ordre du trio
s’inverse si on le rapporte à la population du pays : Riyad trône alors
avec un ratio d’exécution douze fois supérieur à celui de Pékin. Trente-
sept personnes ont été exécutées au seul mois d’avril 2019, reconnues
coupables, lors de procès non publics, d’avoir « adopté la pensée
terroriste extrémiste » et d’avoir « formé des cellules terroristes ».
Le cas Loujain al-Hathloul est le sujet d’une pétition parue dans
Libération en mars 2019, adressée au comité Nobel, afin que cette
femme puisse être protégée par une reconnaissance universelle. Le
5 novembre 2020 le comité des Nations unies chargé des droits de la
femme a alerté sur la détérioration de l’état de santé de la militante
saoudienne et demandé sa libération.
Cependant l’ONG Reporters sans frontières France a été invitée 10 du
21 au 23 avril 2019 à rencontrer les ministres des Affaires étrangères,
des Médias, et de la Justice, le procureur général et le président de la
commission saoudienne des droits de l’homme, et à « découvrir » le
pays. L’ONG a jugé bon d’associer au voyage d’autres antennes
européennes. On n’est jamais assez prudent. Bien évidemment cela n’a
rien changé : l’organisation de défense des journalistes continue de
demander la libération de trente-cinq des siens. Aucune association
féministe n’a reçu la même invitation bien qu’elles aient observé un
silence prudent sur le cas de la militante saoudienne Loujain al-Hathloul.
Une explication est souvent avancée : les ONG sont largement
tributaires de leurs bailleurs de fonds, parmi lesquels des entreprises qui
peuvent avoir des activités dans le Golfe. Et une critique directe peut
mettre en danger les équipes présentes sur place. Les structures de MSF
ont été frappées à cinq reprises par les bombardements de la coalition
dirigée par Riyad depuis le début de la guerre au Yémen. Lors de ses
précédentes enquêtes sur ces incidents, la Joint Incidents Assessment
Team, organisme désigné par la coalition internationale pour enquêter
sur les bombardements au Yémen, a tenté de faire porter la responsabilité
à MSF, comme ce fut le cas lors du bombardement du centre de
traitement du choléra à Abs en juin 2018, ou de pointer des
dysfonctionnements techniques. Dans ses conclusions relatives au
bombardement du 10 janvier 2016 sur l’hôpital Shiara à Razeh, rendues
publiques le 23 octobre 2019, la JIAT reconnaît « un dysfonctionnement
du projectile ayant entraîné un écart par rapport à la cible » et
recommande « une assistance volontaire pour les pertes matérielles et
humaines ».
Des initiatives pour la libération de Raif Badawi existent en France,
mais leur impact est limité en comparaison avec le Canada, où a été
créée la Fondation Raif Badawi pour la liberté. La seule pétition en ligne
accessible lancée sur le site change.org a recueilli 103 510 signataires.
Les formes d’actions de protestation sont essentiellement des
rassemblements devant les ambassades : le 12 mai 2014, deux militantes
Femen se sont postées devant l’ambassade à Paris ; le 23 janvier 2015,
un rassemblement silencieux aux chandelles a été organisé par la LDH ;
le 2 octobre 2018, quelques dizaines de personnes sont allées rendre
hommage à Jamal Khashoggi… Ces mobilisations pacifiques sont rares
et ont un impact limité. Les organisations féministes ou défendant les
droits des femmes, telles que Osez le féminisme ou La Baffe, évoquent
le problème de la persécution des femmes saoudiennes sur leurs sites
mais, selon celles-ci, les sujets nationaux supplantent les questions
saoudiennes. Pour reprendre les dires de la responsable de la commission
des droits des femmes chez Amnesty : il est « entendu que nous ne
pouvons pas travailler sur toutes les violations des droits des femmes et
des filles dans tous les pays de la planète ».

Les think tanks à façon suscités par le lobby


ont peu de succès
Le risque de perdre tout accès au terrain incite le milieu académique
à la prudence. Cela explique qu’il subsiste quantité de points aveugles.
Peu ont étudié la diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite et son
soutien à la diffusion du salafisme (excepté Nabil Mouline, Mathieu
Guidère, Samir Amghar, ou Pierre Conesa dont les ouvrages sont cités
dans la bibliographie), et jamais n’ont été réalisés d’entretiens publics
avec le grand mufti. Seul Antoine Sfeir a produit une analyse du contenu
de l’enseignement dans les écoles, pour l’Europe 11.
Les différentes tentatives de créer un think tank relevant de
l’ambassade à Paris ont tourné court. Le Centre d’études euro-arabe, créé
en 1992, organise régulièrement des rencontres et des colloques
somptueux dans de grands hôtels parisiens. Il faut savoir y surveiller son
langage. Au Royal Monceau, le 10 mars 2015, lors d’une conférence sur
« Les formes diverses de la violence politique islamiste : défis et
réponses », contribution au colloque « Le terrorisme : menaces,
stratégies d’action et de prévention », un interlocuteur qui a souhaité
rester anonyme n’a pu parler du cas de l’Arabie saoudite : « On m’y a
coupé le caquet, officiellement pour cause de manque de temps, dès que
mon témoignage a évoqué l’Arabie saoudite… avant de glisser dans ma
poche quelques billets de cent euros tout neufs pour atténuer ma
frustration. J’y ai prélevé le prix de mes billets de train et remis le reste
sur la table. Je me suis aperçu ensuite que – malgré l’objet du colloque –
les autres intervenants se sont bien gardés d’évoquer même allusivement
le cas de l’Arabie. Et je n’ai plus jamais été invité par cette respectable
institution. »
On remarquera, dans le colloque organisé en 2018 à Paris, la forte
proportion d’invités du monde musulman et la faible présence d’experts
occidentaux.
Lundi 27 novembre 2017
Académie Diplomatique Internationale

15 h 00 Accueil et enregistrement
15 h 15 – 15 h 25 Introduction et commentaires de bienvenue
Jérôme Bonnafont, Directeur Afrique du Nord Moyen Orient Ministère
de l’Europe et des Affaires Étrangères
Dr Abdulaziz Sager Président Gulf Research Center

15 h 25 – 16 h 00 Première Session : État des lieux


Président de session :
Dr Abdulaziz Sager Président Gulf Research Center
Intervenants :
Amb. Mohammed Al-Jabir Ambassadeur du Royaume d’Arabie
Saoudite au Yémen
Dr Yahya Al-Shammeri, Porte-parole Centre d’Aide Humanitaire et de
Secours du Roi Salman Royaume d’Arabie Saoudite
Amb. Christian Testot Ambassadeur de France Au Yémen

16 h 00 – 16 h 35 Seconde session : Perspectives de sorties


Président de session :
Michel Duclos Président Académie Diplomatique Internationale
Intervenants :
Col. Turki Saleh Al-Malki, Porte-parole pour la Coalition Ministère de
défense Royaume d’Arabie Saoudite
Saeed M. Al-Qahtani Département du contre-terrorisme Ministère de
l’Intérieur Royaume d’Arabie Saoudite
Adrien Pinelli Sous-directeur Moyen Orient Ministère des Affaires
Étrangères France

16 h 35 – 16 h 45 Session de clôture
La technique de prédilection semble être aujourd’hui de multiplier les
événements dans des lieux prestigieux, organisés par des think tanks peu
connus ou parfois avec des officiels. Ces colloques sont très prisés et
deviennent de hauts lieux de la compétition avec le Qatar. Le 24 mars
2018, la sénatrice Nathalie Goulet organise le colloque 12 « Après la chute
de Daech en Irak, où en est la lutte antiterroriste ? ». Lors de la première
table ronde, qui s’intitule « Un point sur la situation en France et focus
sur la lutte contre le financement du terrorisme », la participation du
général Ahmed al-Assiri, mis en examen dans l’assassinat de Khashoggi,
et qui a défendu la position de la coalition internationale menée par son
pays au Yémen, ne passe pas inaperçue : « Il faut restaurer la sécurité
dans les régions contrôlées par le gouvernement légitime et encourager
les milices à s’asseoir à la table des négociations », a-t-il expliqué. Le
risque étant selon lui que le Yémen se dirige vers le modèle libyen, où
« il n’y a plus aucune institution nationale […]. Les Houthis se calquent
sur le Hezbollah, pour que le Yémen soit régi par une milice qui prête
allégeance à un État étranger ». M. Ahmed al-Assiri a assuré que son
pays travaillait avec la communauté internationale en faveur de la
stabilité dans le monde : « L’Arabie saoudite a versé 300 millions de
dollars aux États du G5 Sahel pour qu’ils luttent contre Boko Haram et
Daech, a-t-il rappelé. Nous travaillons avec tous les pays sauf l’Iran. »
Même si cette table ronde était consacrée aux perspectives du conflit au
Yémen, seuls des Saoudiens sont intervenus, excluant les acteurs
yéménites ou iraniens, mais avec la caution du ministère français. En fin
de session une petite place avait été laissée aux ONG une fois les débats
clos.

La rivalité avec le Qatar :


Al-Arabiya contre Al-Jazeera,
BeoutQ contre BeIn Sports
La communication du royaume a été secouée par la naissance de la
chaîne Al-Jazeera en 1996, puis par les événements du 11 septembre
2001 et enfin par les Printemps arabes de 2011, qui ont révélé la
puissance électorale des Frères musulmans, ennemis jurés du royaume
wahhabite. La sujétion des médias arabophones qui assuraient à l’Arabie
saoudite une image positive dans la région ne pouvait plus suffire.
Al-Jazeera, première chaîne d’information panarabe lancée par le
Qatar, a joui dès le début d’une liberté de ton exceptionnelle,
bouleversant l’espace médiatique régional et mettant fin au monopole
saoudien. En riposte, le royaume a lancé en 2003 sa propre chaîne
d’information, Al-Arabiya. Au moment des Printemps arabes, les deux
chaînes ont pris des partis opposés : Al-Jazeera en faveur des
manifestants, tandis que l’Arabie saoudite s’efforçait de les contrer 13.
Pour isoler un peu plus son petit voisin, le royaume wahhabite
envisagerait de creuser un canal qui ferait du Qatar une île, comme l’a
rappelé Saud al-Qahtani sur Twitter : « J’attends avec impatience des
détails sur la mise en œuvre du projet de l’île Salwa, un grand projet
historique qui changera la géographie de la région 14. » Un canal de
soixante kilomètres, profond de quinze à vingt mètres et large de deux
cent mètres, permettrait de faire passer d’importants bateaux de
marchandises et séparerait le Qatar du continent. Ce projet a été évoqué
en avril 2019 en Arabie saoudite et, selon les chiffres de l’époque, il
pourrait coûter 750 millions de dollars (645,6 millions d’euros) au
royaume.
Autre espace de rivalité : depuis 2017, une chaîne pirate saoudienne
BeoutQ (mettre le Qatar dehors) capte et diffuse les images
d’événements sportifs mondiaux acquis par la chaîne qatarienne BeIn
Sports. L’Arabie saoudite a longtemps nié toute implication, en dépit des
évidences : jusqu’en 2019, le signal a été diffusé par le satellite Arabsat,
propriété des Saoudiens. BeoutQ a été retirée du bouquet Arabsat, mais
la chaîne pirate reste accessible, notamment par Internet. Ce piratage
massif semble motivé par un lourd contentieux sur les droits de diffusion
entre les deux pays. En 2018, l’Autorité de la concurrence saoudienne
avait révoqué la licence de la chaîne de sport qatarienne sous prétexte
que BeIn Sports aurait « abusé de sa position dominante par le biais de
plusieurs pratiques monopolistiques ». En juillet 2020, l’Autorité a
déclaré qu’un tribunal administratif saoudien lui avait donné raison. BeIn
Sports a dénoncé un « simulacre de procédure judiciaire » alors que
l’Organisation mondiale du commerce avait donné raison à la chaîne en
juin dernier.
2
Le recours indispensable aux sociétés
de lobbying après le 11-Septembre

À la différence des Qatariens, qui ont fait le choix de conduire eux-


mêmes leurs opérations de lobbying, les Saoudiens ont préféré confier la
politique de communication aux cinq plus importantes sociétés de
conseil internationales : Interpublic, Omnicom, WPP (États-Unis),
Publicis et Havas (France). Le démarchage actif de ces agences de
communication a probablement joué un grand rôle dans la nouvelle
posture de l’Arabie saoudite.

Qorvis, société sans scrupules

Dans les jours qui ont suivi le 11-Septembre, Riyad a engagé la


société de relations publiques et de lobbying Qorvis et lui a versé
14,7 millions de dollars entre mars et septembre 2002. Qorvis s’est
engagée dans une campagne de relations publiques autour des attentats
du 11-Septembre, affirmant que la commission sénatoriale américaine
chargée de l’enquête n’avait trouvé aucune trace de l’implication du
gouvernement ou des hauts fonctionnaires saoudiens dans le financement
d’Al-Qaida. Le rapport du Congrès conclut pourtant que « l’Arabie
saoudite est un allié problématique dans la lutte contre l’extrémisme
islamique » et il a fallu que le président Bush vienne à la rescousse de
Riyad et classifie « secret-défense » vingt-huit pages du rapport mettant
en cause l’ambassade à Washington. « C’est un client fascinant et à une
époque fascinante », déclarait alors Michael Petruzzello 15, l’un des
fondateurs de Qorvis.
Un ex-cadre de Publicis – qui a racheté Qorvis en 2014 – nous a
décrit de façon implacable les motivations du géant français : « Qorvis
est une agence extrêmement sulfureuse qui a travaillé pour les pires pays
du monde. Ils font le sale boulot quand Publicis n’assume pas. C’est le
cas de l’Arabie saoudite […]. Le coaching-branding de l’Arabie saoudite
avait été initié depuis Washington par Qorvis, Publicis n’a pas racheté
cette agence pour ses missions sulfureuses, mais le mal rapporte
beaucoup. Quand Publicis rachète Qorvis, elle est déjà la principale
agence mondiale de l’Arabie saoudite. » En 2011, Qorvis faisait déjà du
lobbying pour le royaume dans les médias, sur les réseaux sociaux, mais
aussi auprès des élus américains pour faire passer le message de son
engagement dans le contre-terrorisme. La société travaille par ailleurs
pour de nombreux milieux industriels saoudiens (pétrole, raffinage,
commerce international, énergie, lobbying de coopération islamique).
Les opérations de Qorvis sont de toute nature et régulières, comme on le
lit dans le rapport annuel du ministère de la Justice américain (Foreign
Agents Registration Act), qui liste les actions de lobbying réalisées pour
les pays étrangers.
En 2017 Qorvis devient la structure de coordination des différents
partenaires de l’Arabie saoudite aux États-Unis. Les révélations récentes
(voir schéma qui suit) montrent que Targeted Victory – firme de
consultants spécialisée dans les domaines législatifs et juridiques fondée
par Zac Moffatt, stratège du Parti républicain pour la campagne de Mitt
Romney en 2012 – a aidé à gérer l’éphémère revue publicitaire Arabia
Now. Qorvis a également coordonné les versements d’honoraires à des
personnalités politiques de premier plan. Par exemple, Mark Kennedy,
ancien député républicain du Minnesota, favorable à la guerre en Irak, a
reçu 2 000 dollars pour une courte allocution. Qorvis a contracté avec de
petites firmes comme Toluna US pour la veille sur Internet, et avec
American Directions Research Group, créé par un collaborateur de Bill
Clinton, pour agir et corriger les tendances de l’opinion publique. Le
schéma ci-contre, paru dans la revue The Intercept 16, montre le rôle
d’interface joué par Qorvis entre les commanditaires saoudiens
(essentiellement l’ambassade à Washington et de faux-nez comme le
Fonds de soutien saoudien aux ONG américaines) et des intermédiaires
américains censés être indépendants.
Qorvis, par contrat signé en juillet 2018, gère plusieurs sites de
propagande dont le fonctionnement est anémique : yemenplan.org,
arabianow.org, sur YouTube Operation Human Globes of Yemen.
Selon The Denver Post, Qorvis reçoit des honoraires mensuels de
125 000 dollars (soit 1,5 million de dollars par an) pour lutter contre le
projet de loi Justice Against Sponsors of Terrorism Act (JASTA), qui
ouvrirait la possibilité d’actions collectives contre les pays aidant les
terroristes. Qorvis/MSL Group tente également de contrer les familles
des victimes du 11-Septembre qui poursuivent l’Arabie saoudite, par
exemple en envoyant d’anciens combattants de la guerre du Golfe (tous
frais payés) à Washington pour vanter les opérations humanitaires au
Yémen, dont les objectifs seraient « d’améliorer la situation humanitaire
yéménite », sans dire un mot du blocus ni des bombardements.
Technique classique pour créer une information concurrente. Qorvis gère
également le site de nouvelles et les canaux de médias sociaux d’Arabie
avec, sur YouTube, des clips de Trump louant les Saoudiens ou des
articles d’autocongratulation tel celui de l’ambassadrice saoudienne aux
États-Unis lors de sa visite au Texas : on la voit louer la société Saudi-
Lockheed Martin et en profiter pour dire que « les Houthis tirent des
roquettes sur des écoles dans le sud de la province saoudienne 17 ».
Quelques détails sur le lobby saoudien
à Washington
(« Washington Post : Saudi Gov Paid for Rooms at Trump Hotel », CNNPolitics,
14 novembre 2019)

En juin 2018, on a découvert que l’Arabie saoudite avait versé 270 000 $ pour
héberger des groupes de pression dans l’hôtel de luxe de Donald Trump, après sa
victoire à l’élection présidentielle, pour l’équivalent de 500 nuitées, selon les
organisateurs des voyages et des documents obtenus par le journal. Il s’agissait d’une
campagne avec des vétérans de l’armée américaine visant à faire obstacle à la loi
[JASTA] en discussion à Capitol Hill. Les enquêtes effectuées par The Post sur des
courriels, agendas et formulaires émanant des lobbyistes saoudiens, plus des entretiens
avec deux douzaines d’anciens combattants, ont permis de fournir beaucoup de détails
sur l’ampleur des voyages et les interactions des organisateurs avec les anciens
combattants. Certains logés à l’hôtel Trump ont déclaré qu’ils ne savaient rien du rôle
des Saoudiens dans ces voyages. Maintenant, ils se demandent s’ils ont été utilisés deux
fois : pas seulement pour transmettre le message saoudien au Congrès, mais aussi pour
faire faire des affaires à l’organisation Trump, a rapporté The Post. Un ancien
combattant a déclaré qu’il avait trouvé l’opération de lobbying « déconcertante ». Selon
lui, Qorvis/MSL Group a dépensé plus d’argent que n’importe quel autre groupe
d’anciens combattants avec lequel il a travaillé. Il y avait des chambres d’hôtel privées,
des bars ouverts, des dîners gratuits. Des chambres coûtant jusqu’à 768 $ la nuit ont été
réservées aux lobbyistes.

Les documents du Foreign Agents Registration Act révèlent quantité


de contacts entre Qorvis et des médias américains ainsi que des
représentants du gouvernement, pour planifier des réunions avec des
fonctionnaires saoudiens en 2016. La liste comprend les principaux
médias et les noms des sénateurs Dianne Feinstein, Mitch McConnell,
Paul Ryan et John McCain.
En février 2016, Qorvis a fait publier un article du ministre saoudien
des Affaires étrangères Adel bin Ahmed al-Jubeir dans Newsweek : « Les
Saoudiens luttent contre le terrorisme », et a produit un document de
271 pages intitulé « Arabie saoudite et contre-terrorisme », comportant
des graphiques et des citations détaillant les efforts déployés par le pays
en la matière.
Changer de pointure :
les cinq majors mondiales

En 2017, le marché estimé du conseil dans les monarchies du Golfe


aurait atteint 2,8 milliards de dollars. L’Arabie saoudite représenterait
près de la moitié de ce montant, selon le Global Research, qui donne le
montant croissant des budgets alloués par le royaume pour sa
communication américaine. Dès 2014 ce budget dépasse le milliard de
dollars.

La croissance exponentielle des honoraires de consultance aux États-Unis


La totalité des honoraires payés à des sociétés américaines de consultance pour la
transformation du pays a dépassé le miliard de dollars (en 2013) et atteignent 1,3 milliard de
dollars en 2016.

Source Global Research

Les revenus mondiaux des cinq plus grandes agences, toutes sous
contrat avec Riyad :
— WPP Group, 19,8 milliards de dollars (2018) ;
— Omnicom Group : 15,3 milliards de dollars (2018) ;
— Publicis Groupe, 8,9 milliards de dollars (2018) ;
— Interpublic Group, 9,7 milliards de dollars (2018) ;
— Havas Worldwide : 2,3 milliards d’euros (2019).
Les contrats avec les majors des relations publiques se sont
multipliés progressivement après le 11-Septembre : OMD (filiale
d’Omnicom) s’introduit en Arabie en 2003 ; WPP, agence cotée à
Londres, mais dont le siège se situe à Jersey, en 2006 ; Interpublic, l’une
des quatre plus grosses agences du monde, signe un contrat avec la
SABIC (Saudi Basic Industries Corporation) en 2012. Les Françaises
n’arrivent que plus tard : Publicis en 2016-2017 (mais le groupe a
racheté Qorvis en 2014) ; Havas en 2015. En concurrence frontale avec
les autres pétromonarchies de la région, l’Arabie saoudite a cherché à
rattraper son retard de visibilité par rapport à ses concurrents qatariens et
émiriens en saturant le marché : « C’est un grand classique. Vous donnez
un bout à l’un et un bout à l’autre. Cela peut être un raisonnement
politique, pour avoir le soutien des principales agences, pour priver le
Qatar de l’accès aux grosses agences de communication en France, pour
faire jouer la concurrence, etc. », nous confie un professionnel de la
communication qui a travaillé pour une agence au service de l’Arabie
saoudite. La loi américaine sur l’enregistrement des agents étrangers, le
Foreign Agents Registration Act, oblige les personnes agissant en qualité
de mandataires de mandants étrangers politiques ou quasi politiques à
divulguer périodiquement et publiquement leurs relations avec le
mandant étranger, activités, recettes et décaissements à l’appui de ces
activités.
La propagande saoudienne aux États-Unis repose sur un maquis de
contrats extrêmement complexe. En septembre 2017, des documents
publiés par le ministère de la Justice des États-Unis indiquent que
l’agence Edelman, ainsi que le groupe de pression Podesta Group ont été
embauchés pour défendre les intérêts saoudiens dans les médias et auprès
du gouvernement. Tony Podesta 18, fondateur du groupe qui porte son
nom, et dont le frère John fut le directeur de campagne de Hillary
Clinton lors de l’élection présidentielle de 2016, a signé un contrat
mensuel de 200 000 dollars avec le Saudi Research and Marketing
Group, directement lié à la cour royale saoudienne. Avant que le Podesta
Group ne cesse d’exister fin 2017, après avoir été impliqué dans
l’enquête du procureur spécial Robert Mueller, le contrat avait été
renouvelé pour 1,7 million de dollars le 1er janvier 2017.
Edelman, l’autre grand partenaire, est la plus grande agence de
relations publiques privée au monde. Capable d’aider ses clients à
obtenir une couverture médiatique favorable dans les principaux médias,
elle a pour cliente l’Arabie saoudite depuis décembre 2012, et travaille
notamment au sein de la représentation permanente du royaume aux
Nations unies.
Une liste non exhaustive des entreprises employées par l’Arabie
saoudite pour faire pression sur le gouvernement américain comprend :
— Akin Gump Strauss Hauer et Feld, LLP, 220 770 $ ;
— Boland & Madigan, Inc., 420 000 $ ;
— Burson-Marsteller, 3 619 286,85 $ ;
— Cambridge Associates, Ltd., 8 505 $ ;
— Cassidy & Associates, Inc., 720 000 $ ;
— DNX Partners, LLC, 225 000 $ ;
— Dutton & Dutton, PC, 3 694 350 $ ;
— FleishmanHillard, 6 400 000 $ ;
— Gallagher Group, LLC, 612 337,37 $ ;
— Iler Interests, LP, 388 231,14 $ ;
— Loeffler Tuggey Pauerstein Rosenthal, 10 500 000 $ ;
— Patton Boggs, LLP, 2 350 457,12 $ ;
— Loeffler, Jonas & Tuggey, LLP, 1 260 000 $ ;
— MPD Consultants, LLP, 1 447 267,13 $ ;
— Powell Tate, Inc. : 900 732,77 $.
Depuis 2015, l’Arabie saoudite aurait versé 18 millions de dollars à
145 lobbyistes enregistrés pour influencer le gouvernement des États-
Unis 19. Riyad a également effectué d’importants paiements au Middle
East Policy Council (anciennement American Arab Affairs Council),
organisme d’influence chargé d’apporter des « idées neuves » selon son
site à destination des parlementaires, dont un million de dollars en 2007.
Le régime a également contracté avec l’ancien sénateur Norm
Coleman ; H. P. Goldfield, lobbyiste du cabinet d’avocats Hogan Lovells
et vice-président du Albright Stonebridge Group de Madeleine Albright ;
DLA Piper, qui emploie une petite armée d’anciens responsables
gouvernementaux, notamment des parlementaires retraités comme Saxby
Chambliss et George Mitchell ; Pillsbury Winthrop Shaw Pittman, etc.
Récemment s’est ajoutée à cette liste BGR Government Affairs, une
société fondée par l’ancien président du Comité national républicain
Haley Barbour. Le contrat de 50 000 dollars par an prévoit d’aider au
rayonnement du Saudi Research and Marketing Group, centre des
affaires médiatiques de la cour royale saoudienne. Durant le « Davos du
désert », des responsables saoudiens à Washington ont aussi signé un
accord avec Booz Allen Hamilton afin de contribuer à la formation des
cybercombattants du royaume. Les autres sociétés seraient le Harbour
Group ; Burson-Marsteller ; King & Spalding ; Brownstein Hyatt Farber
Schreck, LLP ; FleishmanHillard, Inc. ; Hogan & Hartson ; Sonoran
Policy Group.
APCO Worldwide, firme de Washington, DC, a aussi été embauchée
par le ministère saoudien de la Culture et de l’Information en 2017, selon
le Bureau of Investigative Journalism, pour convaincre les journalistes
que le royaume était au milieu d’une grande opération anticorruption
(l’opération du Ritz-Carlton, débutée le 4 novembre 2017, lors de
laquelle environ deux cents princes et hommes d’affaires ont été retenus
de force pendant plusieurs semaines), et pour rédiger des fiches
d’information sur le Yémen avant que Trump ne se rende en Arabie
saoudite en mai 2017.
En septembre 2016, le Financial Times expliquait que le ministère de
l’Information du royaume cherchait à mettre en place des hubs en
Europe et en Asie pour promouvoir la politique de réforme et améliorer
la perception internationale. Les officiels saoudiens sont donc
régulièrement apparus dans des programmes d’information par câble à
Washington, DC, et dans des colloques organisés par des think tanks
pour expliquer que la campagne au Yémen servait les intérêts des États-
Unis. Interrogé par The Intercept sur le bombardement d’un mariage au
Yémen, le prince Sultan bin Khalid al-Faisal, ancien commandant des
forces spéciales de la Marine royale, a déclaré avec le plus grand
cynisme : « Ce qui me préoccupe, c’est l’authenticité du dossier. Nous
avons des bombes de précision très, très chères. Pensez-vous que nous
utiliserions des bombes de haute précision pour cibler les mariages ou
pour cibler les écoles ? » En février 2016, ce sont des consultants de
McKinsey et du Boston Consulting Group qui escortent cinq membres de
la cour royale saoudienne auprès de différents think tanks de la capitale
américaine alors que Riyad est empêtrée dans la guerre au Yémen et que
sa lutte contre le radicalisme se traduit par quarante-cinq décapitations
publiques, dont celle d’un imam chiite. Riyad finance également un
certain nombre de groupes de réflexion et d’universités et a apporté des
contributions à d’importantes organisations à but non lucratif
américaines, notamment la Fondation Clinton.
Mais tout n’est pas contrôlable : en avril 2016 est diffusé un
documentaire de la BBC, Saudi Arabia Uncovered (L’Arabie saoudite
dévoilée). Y figurent des enregistrements en caméra cachée de
décapitations publiques, de la police religieuse saoudienne battant des
femmes dans la rue, de destruction d’instruments de musique et
d’enfants apprenant dans les écoles saoudiennes à haïr les juifs, les
chrétiens et les musulmans chiites. Sa diffusion n’a pu être empêchée.

Quand le soft power échoue :


la menace et les sociétés privées de sécurité

Quand la communication ne suffit plus, le royaume n’hésite pas à


recourir à des méthodes plus directes, en faisant appel à des sociétés
privées de sécurité ou en ayant recours à la menace pure et simple contre
ses opposants.
Le New York Times du 20 octobre 2016 a ainsi accusé McKinsey
d’avoir contribué à l’incarcération d’opposants saoudiens actifs sur
Twitter. Selon un document interne confidentiel de neuf pages, de 2015,
des consultants étaient chargés d’identifier comment la société civile
percevait les mesures d’austérité annoncées par les autorités
saoudiennes. Le NYT, qui cite le document, mentionne trois comptes
Twitter identifiés comme les principaux relais de l’opposition :
— l’écrivain Khalid al-Alkami, arrêté peu après ;
— l’opposant saoudien domicilié au Canada Omar Abdulaziz. Après
l’établissement de ce document, deux de ses frères ont été arrêtés et le
compte anonyme a été fermé. En juin 2020, Omar Abdulaziz a été
prévenu par la police canadienne qu’il était une cible prioritaire des
autorités saoudiennes. Il a immédiatement filmé une vidéo sur son
compte Twitter à ce sujet, intitulée « Une tentative d’assassinat ou
d’enlèvement ? », visionnée plus de 160 000 fois ;
— un dernier compte anonyme.
McKinsey a fait savoir qu’il s’agissait d’un document à usage interne
et s’est dit « horrifié » de sa possible implication, même très indirecte,
dans l’arrestation d’opposants. Le cabinet a indiqué conduire une
enquête urgente en interne pour déterminer avec qui et comment le
document avait pu être partagé. Ses résultats n’ont pas été rendus
publics.
Selon le NYT, SCL Group, maison mère de Cambridge Analytica
dont l’éthique a été fortement mise à mal par son utilisation détournée de
données Facebook, aurait également un contrat de « veille sur les
tendances d’opinion hostiles » à la politique du prince 20. D’après le
quotidien, le contrat comportait une « étude détaillée » de la population,
avec une « cartographie » des citoyens du royaume, leurs avis sur la
famille royale et des « tests » sur des propositions de réformes
potentielles. Une gestionnaire du projet de Cambridge Analytica a écrit
sur son profil Facebook que le travail était « axé sur le développement de
l’initiative de réforme nationale pour diversifier l’économie du pays ».
L’intimidation a cours en ligne également. Al-Qahtani et son équipe,
pour contrer l’influence présumée des Qatariens sur les réseaux sociaux,
ont un temps animé un groupe sur WhatsApp, auquel participaient des
rédacteurs en chef et des journalistes en vogue. Quand Riyad a instauré
un boycott économique contre Doha en juin 2017, Al-Qahtani a appelé
sur Twitter les Saoudiens à donner les noms des personnes connues pour
leur soutien à Doha en utilisant le hashtag #TheBlackList (la liste noire).
Les représailles peuvent aussi s’exercer à l’encontre d’autres pays,
car dans la diplomatie saoudienne seules comptent les puissances
susceptibles de sauver le régime : les États-Unis d’abord, la Chine et la
Russie depuis peu. Lorsque le président américain Donald Trump déclare
devant ses supporters le 5 novembre 2018 : « Nous protégeons l’Arabie
saoudite. Vous diriez qu’ils sont riches… Et j’adore le roi, le roi Salman.
Mais je lui ai dit : Roi, nous vous protégeons, et vous ne seriez peut-être
pas là plus de deux semaines sans nous. Vous devez payer pour votre
armée », Riyad ne peut répliquer. Des puissances secondaires rétives
peuvent alors servir de victimes expiatoires pour envoyer des messages
aux partenaires qui se laisseraient aller aux reproches. Le Canada l’a
appris à ses dépens, après avoir critiqué l’arrestation de neuf militantes
pour les droits des femmes. En août 2018, l’Arabie saoudite annonce
vendre tous ses actifs canadiens « quel qu’en soit le coût », selon le
Financial Times, ce qui est suivi de l’expulsion de l’ambassadeur et du
transfert de dizaines de milliers d’étudiants et de patients saoudiens vers
d’autres pays. Les exportations de pétrole saoudien vers le Canada et le
contrat de fourniture de blindés canadiens, d’un montant de 15 milliards
de dollars canadiens, ne seront cependant pas affectés par la crise. Dans
ce cas, la solidarité occidentale n’a pas joué. Autre exemple récent : le
Maroc a été sanctionné pour avoir refusé l’embargo contre le Qatar.
Dernier exemple de pression en date : Netflix a choisi de retirer un
épisode de l’émission « Patriot Act with Hasan Minhaj », car le
commentateur y critiquait vivement le royaume et évoquait l’affaire
Khashoggi. La plate-forme américaine explique avoir répondu à « une
requête légale valide ».
C’est avec la Turquie, enfin, que les relations se sont le plus
nettement tendues, après l’affaire Khashoggi 21 : le royaume saoudien a
annoncé, en octobre 2020, un embargo officiel sur l’importation de
produits turcs, en cours depuis un an mais resté jusque-là officieux. En
juillet 2020 a eu lieu, à Istanbul, le procès par contumace des vingt
assassins présumés du journaliste saoudien. La justice turque a émis des
mandats d’arrêt visant tous les accusés, qui ne se trouvaient pas en
Turquie et sont passibles de la peine de mort. Parmi eux, l’ancien chef
adjoint des services de renseignement, le général Ahmed al-Assiri, et
l’ancien conseiller à la cour royale Saud al-Qahtani, tous deux très
proches du prince héritier MBS.
3
Mohammed ben Salman :
enfin le « vrai » changement

Le prince des temps modernes :


image et fondation culturelle

MBS, bel homme, jeune – trente-cinq ans en 2020 –, met en avant un


état d’esprit nouveau, rompant d’emblée avec l’image des gérontes
saoudiens conservateurs qui l’ont précédé. Le jeune prince vend du rêve.
L’évolution de la politique de communication a, en effet, commencé par
l’image modernisatrice du prince. Nombreux sont les observateurs
avertis et sérieux, comme Kamel Daoud, journaliste au Quotidien
d’Oran et chroniqueur au Point, réputé pour son franc-parler et la clarté
de ses analyses, ou encore le journaliste et commentateur américain du
New York Times Thomas Friedman, à y avoir cru. Et cela avait plutôt
bien débuté avant que les premiers scandales n’éclatent, tous plus
retentissants les uns que les autres : l’affaire du Ritz-Carlton,
l’enlèvement du Premier ministre libanais Saad Hariri, et enfin l’affaire
Khashoggi.
Avant la visite du prince aux États-Unis en avril 2018, une opération
de propagande massive fut organisée, avec la distribution gratuite de
200 000 copies d’un magazine de cent pages dans les aéroports et les
grandes surfaces américaines Walmart et Safeway and Kroger 22. Portraits
et interviews unanimement élogieux dans la presse anglo-saxonne, MBS
était partout. La chaîne américaine CBS est allée jusqu’à lui réserver la
populaire émission « 60 minutes », diffusée la veille de sa visite aux
États-Unis.
La photo du prince est familière dans les capitales arabes, où les
bannières et les panneaux d’affichage, de dimensions parfois colossales,
sont souvent dédiés au chef d’État. En Grande-Bretagne, la société
Monster Displays a déployé une foule de camionnettes portant des
images du prince lui-même et un hashtag Twitter en lettres dorées :
#WelcomeSaudiCrownPrince. Le hashtag a toutefois entraîné des
commentaires moins favorables que prévu : « Bienvenue, prince héritier
saoudien ! Profitez de l’hospitalité chaleureuse du peuple britannique,
qui s’exprime habituellement en invitant les autocrates meurtriers à aller
se faire f… 23 ! »
MBS s’est présenté lui-même comme le porte-parole des jeunes, des
femmes, des idées modernisatrices du royaume, mais aussi comme un
nouveau partenaire pour les puissances internationales, un allié plus
mesuré et avec qui on pourrait plus facilement faire affaire. Il a d’emblée
promis une nouvelle Arabie saoudite « modérée et ouverte », en rupture
avec l’ultraconservatisme religieux. « Soixante-dix pour cent de la
population saoudienne a moins de trente ans et, franchement, nous
n’allons pas passer trente ans de plus de notre vie à nous accommoder
d’idées extrémistes et nous allons les détruire maintenant et tout de
suite 24 », avait-il lancé sous les applaudissements des participants à un
forum de 2 500 décideurs du monde entier réunis à Riyad en
octobre 2017. Sur les droits des femmes, il déclarait : « La religion n’a
pas grand-chose à voir là-dedans. Le fait que les femmes conduisent un
véhicule est une question qui se rapporte à la communauté tout entière.
C’est elle qui doit décider si elle accepte cela ou non 25. »
Pour promouvoir son image, MBS a créé la Fondation Misk en 2011
alors qu’il était encore conseiller du gouverneur de Riyad, afin de
défendre sa vision propre et de donner une toute nouvelle image de
l’Arabie saoudite. C’est une véritable arme politique qui couvre trois
secteurs : l’éducation, la culture et les médias. De nombreux partenariats
locaux et internationaux ont été mis en place, avec l’Unesco, l’UNFP,
mais aussi Google (We Are All Online), MIT Media Lab, General
Electric… Conjointement ont été organisés des événements dans le
monde entier, les Misk Talks Worldwide, Vivatech, une foire
internationale de la technologie à Paris, Tweeps 2017, Misk Global
Forum, le Hackathon à Londres, etc. Mais la Fondation Misk est accusée
par l’ONG américaine Freedom Forward, au moment de l’invitation
d’une représentante saoudienne à l’Unesco dans le cadre du 11e Forum
des jeunes en novembre 2019, d’assurer la propagande du régime. La
fondation « est liée à l’affaire d’espionnage des comptes Twitter [des
opposants au régime saoudien] et certainement au meurtre du journaliste
Jamal Khashoggi. Ce n’est pas une fondation banale, les institutions
onusiennes ne devraient pas collaborer avec elle 26 », déclare le directeur
de l’ONG Sunjeev Bery, ancien spécialiste Moyen-Orient d’Amnesty
International.
Les Misk Talks Worldwide sont calqués sur le modèle des TED
Talks, organisés dès 1984 par la Sapling Foundation. Dans la version
Misk, des personnalités saoudiennes viennent présenter leur parcours, en
mettant l’accent sur les opportunités qui s’ouvrent à elles depuis l’arrivée
au pouvoir de MBS, le dirigeant qui veut promouvoir la « start-up
nation » et encourager les jeunes entrepreneurs. Pour l’heure, six Misk
Talks ont eu lieu, dont un en France, à l’occasion de la visite de MBS à
Paris, le 9 avril 2018. Deux traits saillants de ces manifestations : la
moyenne d’âge des intervenants oscille autour de trente ans et il y a
autant de femmes que d’hommes. On comprend que cette fondation soit
populaire auprès des jeunes Saoudiens, hommes et femmes confondus.

Des ambitions pharaoniques : Neom, Qiddiya

Vision 2030 est le nom du projet immobilier titanesque par lequel


MBS entend préparer l’après-pétrole en Arabie saoudite.
Forgé sur le mot grec neo (nouveau) et la première lettre du mot
arabe mostaqbal (futur), Neom, le nom de la ville, volet phare de
Vision 2030, se veut le symbole du rapprochement des civilisations
imaginé par le prince. D’après les deux mille trois cents pages de
documents confidentiels qu’a pu se procurer le Wall Street Journal 27, le
Boston Consulting Group et McKinsey auraient imaginé pour le prince
une ville géante, deux fois plus étendue que l’Île-de-France
(26 500 km²), concentré de technologies futuristes, avec taxis volants,
livraisons par drones, parcs éoliens, agriculture verticale, robots
omniprésents… Une œuvre de science-fiction estimée à près de
500 milliards de dollars d’ici à 2025. Le conseil d’administration prévoit
une mégapole « automatisée » où l’on pourra « tout voir, où un
ordinateur détectera les délits sans qu’ils aient à être signalés et où tous
les citoyens pourront être tracés ».
Toujours portées par la volonté de mettre les Saoudiens au travail en
diversifiant l’économie, les villes idylliques saoudiennes ont une histoire
jalonnée d’échecs ou d’abandons purs et simples. L’annonce de contrats
exorbitants affole régulièrement les médias sans être toujours suivie
d’effets.

L’étrange ressemblance entre les projets


de MBS et ceux de ses prédécesseurs

2
La King Abdullah Economic City (KAEC), 182 km , était une des six villes
nouvelles annoncées en 2006. Budget modeste de 7 milliards de dollars. Cinquante-cinq
millions de mètres carrés construits devaient apparaître en dix ans sur les bords de la
mer Rouge, entre Djedda et La Mecque. Gérée par la Sagia, la société nationale
d’investissement saoudien, la « Cité économique du roi Abdallah » devait être
entièrement offerte à l’investissement privé. Le projet était clairement destiné à
concurrencer sur la mer Rouge les émirats voisins. Les Saoudiens faisaient valoir
l’emplacement et la superficie, double de celle de l’État de Bahreïn. La publicité
montrait un port « pouvant accueillir les méga-navires de troisième génération » avec
terminal pour les pèlerins relié à La Mecque par chemin de fer, puis des cités-jardins,
avec soixante hôtels de luxe, un golf de dix-huit trous, une cité des sciences et de
l’éducation accueillant des professeurs et des étudiants du monde entier, des villas avec
ponton privé pour le yacht du propriétaire, une « cité financière » dotée de tours de cent
étages… « Un style de vie différent », disait un représentant de la Sagia. Mais
officiellement, la Cité du roi Abdallah suivrait le rigorisme saoudien, interdiction de
l’alcool et surveillance des célibataires compris. À ce jour le projet accumule les retards
28
(c’est un euphémisme !) .

La KEC, Knowledge Economic City, la « Cité du savoir » à Médine, annoncée en


2006, devait être terminée en avril 2019. En centre-ville. Le projet phare est un centre
commercial couvrant une superficie de 105 375 m² et une surface construite de
185 000 m², comprenant trois cents magasins, un parking de quatre mille lots et un
hypermarché.

La PABMEC, Prince Abdulaziz bin Mousaed Economic City, 720 km au nord de


Djedda, annoncée en 2006.

La JEC, Jizan Economic City, à Jizan, à 725 km au sud de Djedda, budget de


26,7 milliards de dollars.

L’université des sciences et technologies (King Abdullah University of Science and


Technology ou KAUST) est un établissement universitaire international de recherche
fondé en 2006 à la périphérie de Djedda. L’université inaugurée le 23 septembre 2009,
premier établissement public mixte du royaume, couvre 36 km² sur les bords de la mer
Rouge, mais ne compte aujourd’hui que 1 000 étudiants, dont 150 saoudiens.

Le King Abdullah Financial District est aujourd’hui un vaste building vide.

Qiddiya est le nom donné au projet d’un Disneyland saoudien, qui


devrait se déployer sur plus de 330 km² et ouvrir ses portes en 2022 29.
Les plans prévoient une cinquantaine d’hôtels, des résidences de luxe,
une dizaine de parcs sur la thématique du voyage ou du safari, des
installations de patinage, des pistes de ski, des terrains de golf et un
circuit de Formule 1. L’ancien cadre de Disney et de Florida East Coast
Industries, Michael Reininger, en a été nommé PDG. En concurrence
avec Las Vegas autant qu’avec Disneyland, Qiddiya souhaite devenir la
capitale du divertissement. Les experts américains ont chiffré le coût à
20 milliards de dollars par an. Au début du printemps 2018, « Ben
Salman s’en est allé trois semaines durant visiter les parcs de loisirs de
Floride et de Californie, il a multiplié les contrats avec tous les forains
des États-Unis. Un opérateur texan, le « Mozart de la profession », a
promis de transformer le royaume des ténèbres en Foire du Trône.
Aussitôt, des centaines d’architectes et de paysagistes ont été mobilisés
sur le projet de reconversion d’un bac à sable de la banlieue de
Riyad 30 ». Ainsi, tout en demeurant sur la terre du Prophète, les
Saoudiens auront l’illusion de séjourner à l’étranger. Le French Corner
sera une réplique des Champs-Élysées avec à chaque extrémité l’Arc de
triomphe et l’obélisque.
Autre projet : faire d’une cinquantaine d’îles de la mer Rouge des
stations balnéaires de luxe non soumises à la charia. Sur 200 km de côte,
le Red Sea Project serait une zone franche dédiée au tourisme de luxe, au
bien-être, à l’écologie et au patrimoine 31.
Pour financer ces projets au coût exorbitant, Riyad a souhaité mettre
en vente 5 % d’Aramco, la compagnie nationale saoudienne
d’hydrocarbures. Le fonds souverain d’Arabie saoudite, Public
Investment Fund, qui gère un flux de trésorerie d’un peu moins de
300 milliards de dollars, ambitionne 2 000 milliards de dollars d’actifs
d’ici à dix ans, suffisamment pour racheter les quatre plus grandes
sociétés au monde : Apple, Google, Microsoft et Berkshire Hathaway.
Devenant le plus gros fonds souverain au monde d’ici à 2030, il
détrônerait le fonds américain, dont les capitaux sont de 1 040 milliards
de dollars.
Mais des doutes s’expriment avec la chute des cours du pétrole et les
difficultés de la privatisation de 5 % d’Aramco, qui n’a pas rapporté plus
de 30 milliards de dollars. La chute brutale des revenus pétroliers,
l’autosuffisance américaine en hydrocarbures, la crise de la Covid-19 et
l’avenir incertain des énergies fossiles pourraient bien entraver les plans
ambitieux du prince héritier, car la diversification de l’économie qu’il
prône doit être largement financée par les revenus de l’énergie. Pour
l’heure les actions d’Aramco ont été placées d’autorité dans des grandes
familles saoudiennes. Nul ne sait si Riyad a encore les moyens de ses
ambitions, ni même si le pays, plombé par une administration
pléthorique et une justice gérée par les religieux, pourra relever le gant.
L’échec récent d’un important projet immobilier sur le front de mer de
Djedda 32, deuxième ville du pays, a refroidi des investisseurs déjà
inquiets après l’opération du Ritz-Carlton.

Une réforme « légitimiste » de l’islam wahhabite

En octobre 2017, à Riyad, Mohammed ben Salman a fait grand effet


en promettant une Arabie « modérée », en rupture avec l’image d’un
pays arabe aujourd’hui considéré comme l’exportateur du salafisme,
dont se sont réclamés nombre de djihadistes à travers le monde. Et à
l’automne 2017 il fait arrêter plusieurs prédicateurs et intellectuels, les
accusant de comploter avec les ennemis du royaume (Frères musulmans
et Qatar en particulier). La réforme de l’islam wahhabite telle que la
souhaite MBS consiste à éliminer les différentes tendances au profit de la
madkhalite, pratique légitimiste sunnite, selon le schéma en double page
suivante, dans lequel M. Guidère a indiqué en italiques les différentes
tendances progressivement mises au pas.
Selon un article du 29 mai 2019 du site Middle East Eye, les autorités
saoudiennes auraient annoncé leur intention d’exécuter le cheikh Salman
al-Awdah, supposé Frère musulman, coupable d’avoir soutenu
publiquement une vision contestatrice du régime. Il est, entre autres,
accusé d’avoir « incité l’opinion publique à s’opposer au dirigeant et
d’avoir manifesté publiquement sa réticence envers le boycott contre le
Qatar, d’avoir soutenu les révolutions du Printemps arabe, de militer
pour l’établissement d’un État des droits et des institutions en Arabie
saoudite, ainsi que de s’être prononcé en 2016 contre la criminalisation
pénale de l’homosexualité ». Trente-sept chefs d’accusation ont été
retenus contre le prédicateur âgé de soixante-deux ans, connu pour son
approche réformiste et suivi par quelques 14 millions de personnes sur
Twitter. Il a été arrêté en septembre 2017. Le procureur a requis la peine
de mort en septembre 2018. Pour François Zimeray, avocat et ancien
ambassadeur de France pour les droits de l’homme : « L’Arabie saoudite
est devenue le royaume infréquentable de la lâcheté, de l’arbitraire et du
sang, un pays où l’on assassine pour un tweet et où même des mineurs et
des femmes sont condamnés à mort. Il ne s’agit pas d’une exécution
mais bien d’un crime et les responsables et tous ceux qui auront prêté la
main à cette entreprise criminelle seront poursuivis sans relâche 33. »
Jusqu’à présent, la seule réforme significative a concerné l’abolition
de la peine de mort pour les mineurs (citée plus haut) et surtout la
diminution du pouvoir de la police religieuse, la Muttawa (membres du
comité pour la promotion de la vertu et la prévention du vice), qui n’est
plus autorisée à pourchasser ou à arrêter des suspects depuis avril 2016.
Les Muttaween doivent se contenter de signaler leurs observations aux
forces de sécurité. Néanmoins, des membres du comité ont fréquemment
été accusés d’abuser de leurs pouvoirs. Plusieurs d’entre eux ont été
interpellés pour avoir arrêté une jeune femme portant du vernis à ongle,
ou un Britannique qui attendait dans une file d’attente réservée aux
femmes (avec la sienne) à l’extérieur d’un centre commercial de la
capitale.
La politique de dialogue des religions s’est concrétisée par
l’inauguration en 2012 du King Abdullah International Center for
Intereligious and Intercultural Dialogue à Vienne, en collaboration avec
l’Autriche, l’Espagne, et le Saint-Siège comme observateur. Il reste
qu’en Arabie, à la différence de tous les autres États musulmans, aucun
autre culte que l’islam n’est toléré. L’apostasie et l’athéisme y sont
considérés comme du terrorisme et sont passibles de la peine de mort. Le
poète palestinien Ashraf Fayad, accusé de faire la promotion de
l’athéisme dans un de ses livres, a ainsi été condamné en 2014 à quatre
ans de prison et huit cents coups de fouet. Après avoir fait appel de cette
peine, il a été jugé à nouveau en novembre 2015 et condamné à mort,
avant que sa peine ne soit commuée en huit années de prison et huit cents
coups de fouet.
La lutte contre la corruption :
l’affaire du Ritz-Carlton

Le 4 novembre 2017, MBS lance une vaste opération anticorruption.


Près de deux cents personnalités princières et hommes d’affaires sont
assignés à résidence dans l’hôtel Ritz-Carlton de Riyad. La libération se
fait au compte-gouttes : le 29 novembre, le prince Metaab bin Abdullah
est relâché contre un milliard de dollars. Un mois plus tard, le prince
Mishaal ben Abdullah, ancien gouverneur de la province de La Mecque,
et le prince Faisal ben Abdullah, ex-dirigeant du Croissant-Rouge
saoudien, sont libérés à leur tour. Début janvier, le procureur général du
comité anticorruption dresse le bilan : sur 381 personnes visées au total,
56 demeurent incarcérées. Selon lui, cette procédure inédite aurait
rapporté 106 milliards de dollars. Selon le Times, dix-sept pensionnaires
du Ritz auraient été hospitalisés après des violences subies en détention.
Un général à la retraite, Ali al-Qahtani, serait mort sous la torture. Le
gouvernement dément. Les derniers prisonniers ont été libérés en
février 2018, et le prince évaluait à 35 milliards de dollars les sommes
supplémentaires qui pouvaient encore être récupérées 34. 40 % du total de
ces sommes se sont échangés sous la forme de liquidités et 60 % en
actifs, avoirs immobiliers, commerciaux, en titres ou actions. L’opération
du Ritz aurait aussi permis à MBS de mettre la main sur le journal Al-
Hayat, possession de Khaled ben Sultan, libéré seulement le 26 janvier 35.
Le prince Al-Walid ben Talal, un des derniers à quitter sa suite après
presque trois mois de détention, aurait été contraint de céder la propriété
du réseau MBC, selon le Financial Times.
Devant l’ampleur prise par l’affaire dans les médias internationaux,
MBS doit se justifier. Le 23 novembre 2017, lors d’une interview
accordée au journaliste Thomas Friedman du New York Times, il
déclare : « Les experts estiment qu’environ 10 % de nos dépenses
publiques sont siphonnées par la corruption chaque année… Une équipe
a travaillé pendant deux ans pour recueillir les informations les plus
précises, et ils en sont arrivés à environ 200 noms. » Un fonctionnaire
aurait même été accusé d’avoir détourné, à lui seul, 22 milliards d’euros.
MBS a affirmé que 95 % des détenus avaient accepté un accord quinze
jours après leur mise en détention. Parmi les 5 % restants, certains
devaient être blanchis et les autres, qui s’estimaient innocents, seraient
poursuivis en justice. Mais l’affaire du Ritz a instillé la méfiance chez les
proches du régime et, peu après, 62 passeports européens auraient été
achetés à Malte (650 000 euros pièce), quelques-uns au nom des familles
Al-Muhaidib et Al-Agil, deux des plus grosses fortunes de la planète.

La lutte contre le terrorisme et la radicalisation

Alors que quinze des dix-neuf terroristes du 11-Septembre étaient


saoudiens, et que les États-Unis doivent imposer à Riyad de fermer la
Fondation Al-Haramein soupçonnée de soutenir des groupes terroristes,
l’Arabie ne commence sa lutte contre le terrorisme que lorsqu’elle en est
victime, après 2003. Aujourd’hui, sous couvert de la lutte contre le
terrorisme, le régime peut, comme d’autres dictatures, procéder à une
répression généralisée donnant lieu à des exécutions publiques
collectives de « terroristes ». Les bourreaux saoudiens souffriraient-ils de
surmenage du fait de la fréquence des peines physiques dans le
royaume ? Les autorités de Riyad ont recruté, en juin 2017, huit
nouveaux exécuteurs.
Avec le financement, à hauteur d’un tiers, de la force antidjihadiste
G5 Sahel, pour 100 millions d’euros, le régime wahhabite, hier généreux
vecteur de la diffusion de l’islamisme sunnite radical, s’achète une
conduite.

La solution au problème palestinien ?

Les relations avec Israël sont de plus en plus ouvertement assumées.


En août 2020, deux États du Golfe ont normalisé leurs relations
diplomatiques avec l’État israélien : les Émirats arabes unis et le
Bahreïn. Et non seulement l’Arabie saoudite s’est abstenue de critiquer
ces accords, malgré les demandes palestiniennes, mais elle a aussi
accepté d’ouvrir son espace aérien aux vols israéliens en direction des
EAU. Selon les officiels américains, l’Arabie saoudite pourrait bientôt à
son tour normaliser les liens avec Israël. L’ex-chef du renseignement
saoudien, Turki al-Faisal, a révéléque les relations secrètes entre Israël et
un certain nombre d’États du Golfe remontent à vingt-cinq ans, époque
des accords d’Oslo 36 . Lors de l’offensive israélienne sur Gaza en 2014,
Al-Faisal, membre de la famille royale, a publiquement déclaré qu’il
était prêt à accueillir des Israéliens dans son foyer. Ce n’était pas la
première fois, il l’avait auparavant écrit dans un journal d’Hebron 37 : « Je
vous souhaite la bienvenue dans ma maison à Riyad. » En
novembre 2020, le chef du renseignement israélien Eli Cohen affirmait
que l’Arabie saoudite et le Qatar feraient partie des prochains pays à
normaliser leurs relations avec l’État hébreu, « dans le cadre d’un
rapprochement régional lancé par le président américain Donald
Trump ».

La culture : Al-Ula, une cité mythique comme


vitrine touristique

Pour s’ouvrir au tourisme, l’Arabie saoudite mise sur le patrimoine et


la culture, et notamment sur un important site de nécropoles
préislamiques mises au jour dans le nord-ouest du pays, Al-Ula, souvent
comparé au site de Pétra, en Jordanie. Le gouvernement saoudien
souhaite y attirer deux millions de visiteurs annuels d’ici dix ans.
Aujourd’hui, Al-Ula est encore une oasis désertique, mais le royaume
prévoit d’y bâtir hôtels (l’architecte Jean Nouvel en construira un à
l’intérieur même de la montagne), musées, piscines, etc.
Afin d’assurer la promotion du lieu, le royaume multiplie d’ores et
déjà les initiatives. L’accueil du Paris-Dakar en 2020, dont la quatrième
étape a traversé le site, en a été un élément. Mais c’est à l’Institut du
monde arabe, à Paris, que s’est tenue la plus grande opération de
communication. Fin 2019 a été inaugurée l’exposition Al-Ula, merveille
d’Arabie, financée intégralement par le royaume : « La subvention du
ministère des Affaires étrangères nous permet de payer le
fonctionnement du bâtiment, mais pour les expositions nous avons
besoin de mécènes », se justifiait Jack Lang, qui préside l’IMA et vante
autant qu’il peut les initiatives d’ouverture du régime. C’est que l’Arabie
saoudite est directement impliquée dans la direction de l’Institut : le
directeur, Mojeb al-Zahrani, est un professeur d’université saoudien.
Faut-il voir dans cette nomination la contrepartie du financement de la
rénovation du bâtiment de Jean Nouvel ? Un don de 5 millions d’euros
avait été fait en 2017 par le royaume, comme en témoigne une plaque
apposée sur le bâtiment.
Sous des dehors séduisants, l’exposition a pourtant suscité un début
de polémique. Sur la carte du Moyen-Orient affichée à l’entrée de
l’IMA, Israël avait été gommé au profit des seuls Territoires palestiniens.
Un manque relevé par Le Figaro, qui précise alors que, si le royaume
entretient bien quelques relations avec Israël, il ne reconnaît pas le pays.
Pour le porte-parole de l’Institut : « La carte est celle du monde arabe :
comme d’autres cartes présentes à l’IMA, elle fait figurer les frontières
de tous les États, mais uniquement le nom de ceux qui sont membres de
la Ligue arabe. » L’IMA reconnaîtra finalement une « erreur
d’appréciation » et choisira d’inscrire l’ensemble des noms de pays, dès
le premier jour de l’exposition. Preuve que promouvoir l’ouverture de
l’Arabie saoudite n’est pas chose aisée. Quelques mois plus tôt, Frank
Riester, alors ministre de la Culture – présent le soir de l’inauguration
aux côtés de son homologue saoudien –, s’était rendu à Al-Ula pour la
présentation du projet d’hôtel de Jean Nouvel. Il avait ainsi été le
premier officiel français à se rendre en Arabie saoudite après le meurtre
de Jamal Khashoggi…
Il faut dire que la France est directement impliquée dans le projet Al-
Ula. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, les deux pays se
sont lancés dans un véritable partenariat culturel, dont les enjeux
économiques sont immenses. Le développement d’Al-Ula doit durer
jusqu’en 2035 pour un coût dont les estimations varient de 25 à
50 milliards de dollars. « C’est la politique classique de l’Arabie
saoudite : jouer sur les contrats pour obtenir les soutiens politiques, avec
les armes comme avec la culture », explique le chercheur Stéphane
Lacroix 38. En mars 2018, la France a créé une Agence française pour le
développement d’Al-Ula, dirigée par Gérard Mestrallet, ancien président
du conseil d’administration d’Engie, qui est alors le deuxième
investisseur français dans le royaume derrière Total. Les relations presse
de cette agence ont été confiées à DGM, l’agence dirigée par Michel
Calzaroni, qui a assuré la communication de nombreux dirigeants
d’entreprise français et personnalités politiques. Le conseil
d’administration est composé de dirigeants et représentants de l’État
français (ministère des Affaires étrangères, Trésor, Bercy), mais son
financement est assuré à 100 % par l’Arabie saoudite via la commission
royale d’Al-Ula. Dans son rapport d’activité 2019-2020, l’Agence
française pour le développement d’Al-Ula détaille 51 projets en cours
dans les secteurs du tourisme, de la culture, du développement et de la
sécurité. Plusieurs noms de la culture française ont déjà accepté d’aller se
montrer sur place : l’acteur Vincent Cassel, le violoniste Renaud
Capuçon ou le DJ David Guetta ont été invités à l’occasion du Festival
d’hiver de Tantora, à Al-Ula.
Les photos du site ont, elles, été confiées à Yann Arthus-Bertrand,
qui avait déjà fait profiter le rival qatarien de ses talents en 2015 afin
d’obtenir l’organisation de la Coupe du monde de football qui supposait
la construction d’infrastructures inexistantes à l’époque. À l’époque, un
rapport de l’Assemblée nationale relevait pourtant : « Le climat local
extrêmement défavorable contraindra à climatiser les infrastructures
sportives. La facture énergétique de l’événement promet d’atteindre des
montants considérables, bien que les finances qatariennes permettent
d’investir en masse dans des sources renouvelables. Dans ce contexte, le
soutien publiquement apporté par Yann Arthus-Bertrand à la candidature
du Qatar étonne 39. » Le contrat passé avec une autre monarchie
pétrolière au bilan humain aussi lourd étonne tout autant…

Les femmes, les jeunes :


loisirs, concerts, sports

Au-delà du site d’Al-Ula, MBS cherche également à promouvoir


toutes sortes d’activités de divertissement : concerts, spectacles, cinéma,
etc. En mai 2016 a été créée la General Entertainment Authority
(Autorité générale pour le divertissement), organe gouvernemental dirigé
par Ahmed al-Khateeb, président de la commission saoudienne du
tourisme et du patrimoine national. La GEA a prévu, pour les dix
prochaines années, une enveloppe budgétaire conséquente de
64 milliards de dollars grâce à des financements publics, mais aussi
privés 40.
Pour faire du bruit, rien de tel qu’un peu de musique. Plusieurs stars
internationales, dont Mariah Carey, Enrique Iglesias, Sean Paul, le DJ
français David Guetta ou le groupe The Black Eyed Peas, ont pu se
produire dans le royaume. Des festivals de musique sont désormais
organisés par les autorités. Le 19 décembre 2019, le festival de musique
électronique MDL Beast Fest, à Banban, près de Riyad, a rassemblé plus
de 130 000 personnes pendant trois jours. Le Jeddah World Fest, en
juillet 2018, avait déjà été un succès. Seule la rappeuse américaine Nicki
Minaj a eu le cran de refuser de s’y rendre en soutien à la lutte pour les
droits des femmes dans le monde, à la liberté d’expression et à la
communauté LGBT… En décembre 2017, l’Autorité a organisé un
festival de comédie à Riyad, le premier de la sorte dans le royaume, au
cours duquel plusieurs candidats ont participé à une compétition de
stand-up. Mais ce n’est pas tout : après trente-cinq ans d’interdiction,
l’Arabie saoudite a autorisé de nouveau les cinémas, annonçant
l’ouverture de 300 multiplexes avec plus de 2 000 écrans de projection
d’ici 2030, selon le ministère. Le prince et ministre de la Culture
saoudien Badr bin Farhan al-Saud a aussi annoncé la création d’un
festival annuel à Djedda : le Festival international du film de la mer
Rouge, dont la première édition devait se tenir en novembre 2020.
En matière sportive, Riyad n’hésite pas à s’inspirer de l’ennemi
qatarien pour tenter d’attirer sur son territoire certaines des plus
prestigieuses compétitions sportives internationales. « Notre pays est
passionné par le sport et notre objectif stratégique est de nourrir cet
appétit à mesure que nous progressons vers la réalisation de notre Vision
2030, dont le sport est un des piliers », commentait le prince Abdulaziz
bin Turki al-Faisal, président de l’Autorité générale des sports, lors de la
signature d’un accord avec Amaury Sport Organisation pour l’accueil du
Paris-Dakar en janvier 2020 et pour les cinq années suivantes. Le
parcours du Dakar a été dévoilé à l’Institut du monde arabe au moment
de l’exposition Al-Ula et, selon Le Parisien, le royaume aurait mis sur la
table 15 millions d’euros annuels quand les pays d’Amérique du Sud, qui
accueillaient jusqu’alors la course, mettaient moins de 5 millions de
dollars… L’annonce a été très mal accueillie par les associations de
défense des droits de l’homme. Certaines ont demandé à France
Télévisions de « dénoncer un partenariat contraire aux principes et aux
valeurs de sa charte des antennes. L’argent public ne saurait contribuer à
une nouvelle opération de séduction d’un État saoudien suspecté de
crimes de guerre au Yémen et menant une répression implacable contre
les défenseurs et militantes des libertés ». C’est que l’opération relève du
pur sport washing selon Jean-Baptiste Guégan, enseignant en
géopolitique du sport, qui estime que l’accueil du Dakar a surtout pour
finalité de nettoyer l’image du royaume après l’affaire Khashoggi 41.
Antoine Madelin, directeur du plaidoyer à la Fédération internationale
pour les droits humains (FIDH), conteste l’opération de « propagande
des autorités saoudiennes pour construire une image, avec ces
événements sportifs, d’un pays moderne qui accueille des grandes
manifestations, et ainsi cacher l’image désastreuse d’une dictature
responsable des violations [des droits humains] les plus graves ». Mais
face aux enjeux financiers d’une course automobile telle que le Paris-
Dakar, ces plaintes sont-elles audibles ?
Le royaume ne semble pas près de limiter ses aspirations en matière
d’événements sportifs. L’attribution de la Coupe du monde de football
2022 au Qatar n’a fait qu’aiguiser ses appétits : « Nos ambitions sont très
hautes […]. On adorerait accueillir la Coupe du monde de football », a
déclaré le prince Abdulaziz bin Turki al-Faisal, manifestement très
envieux. « L’Arabie saoudite continue de prioriser le sport dans sa
politique de visibilité internationale. Alors qu’on aurait pu penser que les
Saoudiens achetaient les derniers droits restants comme pour la
Supercoupe d’Italie, on s’aperçoit aujourd’hui que la politique sportive
est plus structurée qu’il n’y paraît », explique Jean-Baptiste Guégan. En
2018, le journal britannique The Guardian enquêtait justement sur le
sport washing agressif du royaume : « L’intérêt stratégique de l’Arabie
saoudite pour les événements sportifs et de divertissement remonte à
novembre 2016, lorsque le prince héritier Mohammed ben Salman a
ordonné à la General Sports Authority du royaume – l’organisme
gouvernemental responsable du développement des sports – de créer un
fonds de développement dans le pays. » L’organe gouvernemental s’est
acquis les services d’une société internationale de conseil, le Churchill
Ripley Group, chargée des opérations de lobbying du royaume dans le
domaine sportif. Selon le Guardian, les services, sans contrat formel,
sont facturés 22 000 dollars par mois 42.
Encore à ses balbutiements, le royaume est un touche-à-tout : basket,
foot, rallye, surf, e-sport, boxe, hockey, etc. Pour attirer les sportifs, il
aligne les dollars : 120 millions de dollars sur trois ans pour accueillir la
Supercoupe d’Espagne, selon le quotidien espagnol As ; 100 millions de
dollars pour le Clash des dunes, un championnat du monde de boxe des
poids lourds, disputé en décembre 2019 dans un stade éphémère à
Diraya 43. Depuis 2017, les rencontres culturelles et sportives se
multiplient, avec l’organisation d’une compétition de Monster Jam (où
des voitures à roues gigantesques exécutent des acrobaties
spectaculaires), d’une Foire internationale du livre à Riyad ; deux
festivals Comic-Con… La pétromonarchie va même jusqu’à célébrer la
voiture électrique ! En décembre 2018, la saison de courses de voitures
électriques – Formule E – a commencé dans les faubourgs de Riyad, au
terme d’un contrat de dix ans, signé avec le ministère des Sports et la
Fédération saoudienne du sport automobile, grande première au Moyen-
Orient. Le royaume espérait en passant faire la démonstration qu’il avait
désormais les capacités d’accueillir un prestigieux grand prix de Formule
1. Mission accomplie : fin 2020, le ministre des Sports saoudien
annonçait l’organisation en 2021 d’un grand prix de Formule 1.
L’épreuve se déroulera en nocturne dans les rues de la ville côtière de
Djedda. Le ministère a profité de cette annonce pour diffuser sur Twitter
un clip récapitulant toutes les premières grandes compétitions sportives
organisées par le royaume depuis 2018. En ouverture, un large sourire de
MBS.
Le royaume aurait aussi des vues sur le football à l’étranger. Des
rumeurs circulent régulièrement en Angleterre sur l’intérêt de
Mohammed ben Salman pour le club de Manchester United, propriété
des milliardaires américains Avram et Joel Glazer. Le journal The Sun
faisait état en février 2019 d’une offre de reprise de près de cinq
milliards de dollars. Une « information complètement fausse », selon le
ministre de l’Information Turki al-Shabanah. En 2020, les espoirs
saoudiens se sont portés sur un autre club britannique : Newscastle.
Selon les informations du Telegraph, le fonds souverain saoudien Public
Investment Fund a offert 340 millions de livres (382 millions d’euros) à
Mike Ashley, le propriétaire de Newcastle, pour racheter 80 % des parts
du club. Le Telegraph précise que ce fonds est directement lié au prince
héritier d’Arabie saoudite. Le fonds a néanmoins annoncé en août 2020
qu’il refusait de se soumettre à l’arbitrage indépendant décrété par les
autorités de la Premier League sur ce dossier, si celle-ci suivait les
critiques émises par les associations défendant les droits humains,
alimentées notamment par la veuve de Jamal Khashoggi 44. Si Riyad n’a
pas encore renoncé à ses ambitions de rachat de clubs prestigieux, le
royaume a beaucoup de mal à s’adapter aux conditions imposées par les
instances sportives européennes.
En France, le fonds public d’investissement saoudien s’est intéressé à
l’acquisition de l’Olympique de Marseille en 2020, et a procédé à une
estimation de la valeur du club. Le royaume ne serait pas hostile à la
mise en scène d’une rivalité sportive avec le PSG, adversaire historique,
détenu par le Qatar.
Car le royaume doit tenir compte du positionnement des États
concurrents. Aux Émirats arabes unis, on multiplie les partenariats
prestigieux pour s’assurer un rayonnement culturel de portée
internationale : le Louvre Abou Dabi ; un musée d’art moderne ; une cité
des arts ; un musée maritime ; un campus de la New York University, etc.
En 2013, Dubaï a remporté l’organisation de l’Exposition universelle,
qui se tiendra entre 2021 et 2022. Les Émirats misent également sur
l’organisation d’un grand prix de Formule 1 (à Abou Dabi), et
l’acquisition en 2008 du club anglais de Manchester City par Mansour
bin Zayed al-Nahyan, frère de l’émir d’Abou Dabi. Le véritable rival, le
Qatar, a choisi le sport comme vitrine privilégiée : outre le football
(PSG, Coupe du monde 2022), il a déjà accueilli les championnats du
monde de handball en 2015, de cyclisme en 2016, d’athlétisme en 2019
et accueillera ceux de natation en 2023. L’Arabie saoudite se positionne
sur un modèle hybride.
« Libérer les femmes saoudiennes » est un des slogans les plus
volontiers brandis par le prince héritier saoudien, et une cause qui lui
fournit l’occasion de se démarquer des souverains précédents, tout en se
rapprochant des États occidentaux.
En dépit de la résistance des conservateurs, MBS a ainsi accordé aux
femmes en janvier 2018 le droit d’assister à des matchs de football et
celui de créer une entreprise sans le consentement de leur tuteur
masculin, avant de les autoriser à conduire, en juin 2018. En
février 2019, il a nommé une femme, la princesse Reema bint Bandar,
ambassadrice aux États-Unis. En août 2019, le royaume a annoncé que
les Saoudiennes seraient désormais autorisées à voyager sans l’accord
d’un « gardien » masculin et qu’elles pourraient aussi déclarer
officiellement une naissance, un mariage ou un divorce, ainsi qu’être
titulaires de l’autorité parentale sur leurs enfants mineurs, des
prérogatives jusqu’ici réservées aux hommes. Et même faire du sport !
Pour la première fois, le 31 octobre 2019, le pays a accueilli un match de
catch féminin entre la Canadienne Natalie Katherine Neidhart et
l’Américaine Lacey Evans. Le catch est très populaire dans le Golfe,
notamment en Arabie saoudite, où les stars de la discipline ont de
nombreux fans. En 2018, la fédération nord-américaine de catch, la
World Wrestling Entertainment, a d’ailleurs signé avec le royaume un
partenariat de dix ans, prévoyant la tenue d’événements chaque année
dans le pays 45. En novembre 2020 s’est déroulée à King Abdullah
Economic City la première manche du Ladies European Tour, un tournoi
de golf féminin : un événement historique pour l’image du royaume 46.
La réalité est moins reluisante et la répression tombe dès que les
demandes anticipent les réformes du régime. La presse internationale,
qui avait largement salué l’autorisation de conduire, a été plus discrète
sur le sort des militantes féministes arrêtées peu après. Pour avoir
demandé la fin du tutorat, neuf femmes, parmi lesquelles Aïcha al-
Menae et Hassa al-Sheykh, figures historiques de la lutte pour les droits
des femmes, et Eman al-Nafjan, fondatrice du blog féministe Saudi
Woman 47, ont été arrêtées et emprisonnées dans un lieu tenu secret,
tandis que la presse locale les qualifiait de « traîtresses ». Tout aussi
silencieuse a été l’affaire Absher, du nom de l’application informatique
gratuite lancée par le gouvernement saoudien en 2015 et qui donne aux
hommes la possibilité de localiser et d’arrêter leurs épouses essayant de
partir sans autorisation. Seul le magazine britannique Insider a révélé ce
scandale. Apple a ensuite supprimé cette application, mais Google de son
côté a refusé, affirmant qu’elle n’enfreignait aucun accord juridique.
Comment s’émerveiller que le droit de conduire ait été accordé aux
femmes, quand celles-ci peuvent encore se voir condamnées à six mois
de prison et deux cents coups de fouet après avoir été violées par sept
hommes et avoir commis le crime de le raconter ?
Les faits montrent que plus une ONG dispose de moyens financiers
et d’un auditoire important (c’est le cas, par exemple, d’Amnesty
International ou de Human Rights Watch), plus la mobilisation relative à
la libération des femmes saoudiennes est significative. Inversement, les
ONG à petit budget n’évoquent la persécution des femmes saoudiennes
qu’après celles liées à la PMA ou au harcèlement sexuel sur leur propre
territoire. Des choix de priorités sont inévitables, surtout si les moyens
humains et financiers sont limités. On comprend dès lors le mécanisme
qui conduit au moindre retentissement international de ces scandales.
D’autant qu’ils se heurtent également à des obstacles de nature
médiatique : l’exécution d’une femme en Arabie saoudite choque
aujourd’hui moins que celle d’une femme aux États-Unis 48. Même si
différentes ONG mènent une lutte acharnée, un sentiment de
découragement pèse devant l’imperméabilité absolue du régime saoudien
face à toute campagne internationale.
L’ensemble des nouveaux droits accordés aux femmes fait ressortir
tout le paradoxe de la politique du prince héritier. Tout en acceptant de
mettre en place de telles réformes, le prince fait enfermer les militantes.
Un paradoxe qui atteint son paroxysme lorsqu’en octobre 2020 se tient, à
Riyad, le sommet Women20. Selon le communiqué du W20, « les
femmes font des pas décisifs vers leur autonomisation et leur inclusion
socio-économique ». Des propos qui n’ont pas échappé à la sœur de
l’activiste Loujain al-Hathloul, emprisonnée depuis mai 2018, qui a
immédiatement accusé le régime saoudien de tenter d’occulter ainsi son
bilan lamentable en matière de droit des femmes 49.

Loujain al-Hathloul est une jeune femme qui a grandi avec sa famille en France, à
Paris et à Toulon. De ces années passées, elle a conservé de mauvaises pensées de
liberté, d’égalité, de fraternité, de justice… En 2014, de retour en Arabie saoudite, elle
ose prendre le volant, ce qui lui vaut 73 jours de cellule. C’est quelques années plus
tard seulement que le roi accorde aux femmes l’autorisation de conduire, cela pour bien
montrer que le bon vouloir royal n’a pas été influencé par les militantes féministes.
Alors Loujain al-Hathloul s’expatrie, s’installe aux Émirats arabes unis et s’inscrit à la
Sorbonne d’Abou Dabi, où elle se croit à l’abri. Mais le 15 mai 2018, elle est
interpellée et conduite manu militari à un jet privé, qui décolle vers l’Arabie. Son
procès, au côté de neuf autres militantes, a lieu en mars 2019. En août 2019, le pouvoir
saoudien lui propose d’être libérée à condition qu’elle tourne une vidéo dans laquelle
elle nierait avoir été torturée et violée durant sa détention. Selon ses proches, elle y
avait subi des séances d’électrocution ainsi que des violences sexuelles. Loujain al-
Hathloul refuse et reste en prison. Le 10 décembre 2020 elle devait de nouveau
50
comparaître, cette fois pour affaires terroristes . Elle a entamé une grève de la faim.
Sous la pression internationale consécutive à l’affaire Khashoggi, le régime s’est décidé
à la juger devant une cour spéciale « antiterroriste » après deux ans et demi de
préventive dans une prison de haute sécurité et six mois de grève de la faim.
Condamnée à cinq ans et huit mois de prison, elle eut droit à une suspension de peine,
fut libérée en mars 2021, mais toujours avec interdiction de quitter le territoire.
Le silence des ulémas

Selon Nabil Mouline, spécialiste de l’Arabie saoudite et du


wahhabisme : « L’establishment religieux adopte le principe de morale
de responsabilité qui pousse à opter pour la soumission et l’obéissance
au pouvoir et non à l’affrontement avec lui. Les ulémas wahhabites
51
soutiennent ainsi la partie la plus forte . » Il estime que les changements
entrepris par le prince héritier ne menacent aucunement leurs privilèges,
ni leur autorité. Les religieux étaient prêts à ces changements depuis
plusieurs années déjà, notamment concernant le droit des femmes à
conduire. « Dans ce cas, ils acceptent des concessions superficielles, à
condition qu’ils gardent la main sur ce qu’ils considèrent comme
essentiel. Les ulémas ont montré, à travers le temps, leur capacité à
accepter le changement pour préserver leurs intérêts. On se rappelle la
forte résistance des religieux contre l’éducation des filles dans les années
1950-1960. Quand le roi a voulu passer en force, les ulémas ont vite
changé de position. Évidemment, en contrepartie, ils ont reçu d’autres
avantages », rappelle M. Mouline, qui note la similitude avec la situation
actuelle : « Depuis 2013, le budget de l’institution religieuse ne cesse
d’augmenter. » Et malgré certains religieux conservateurs, MBS reste
« pour l’instant largement soutenu par une grande partie des ulémas, et
notamment par le comité des grands ulémas […]. Les attaques contre les
religieux ont visé en grande partie des personnes proches des Frères
musulmans, ce qui réjouit en quelque sorte l’establishment religieux ».
D’ailleurs, le dernier discours du prince héritier, qui appelait au retour à
un islam modéré, ne visait pas l’establishment wahhabite, mais le
mouvement proche des Frères musulmans, accusé de radicalisme et de
terrorisme. Certains observateurs estiment que MBS souhaiterait réduire
la légitimation religieuse du pouvoir politique des Saoud en faveur d’une
solidarité plus séculière, affirmation nuancée par M. Mouline, selon qui,
« depuis le début du XXe siècle, la légitimité des Saoud ne reposait pas
sur le seul pilier religieux. Ils ont dès le début privilégié d’autres leviers
comme le nationalisme et le “développementisme”. Ainsi, rien ne laisse
penser pour l’instant à une rupture du partenariat historique entre
l’establishment wahhabite et le pouvoir des Saoud ».
La crispation des plus conservateurs prend différentes formes, allant
de la simple déclaration à des attitudes plus violentes. Le religieux Omar
al-Muqbil a ainsi été arrêté pour avoir critiqué l’organisme chargé du
plan de promotion du divertissement, affirmant que les concerts étaient
en train « d’effacer l’identité originale de la société saoudienne ». Si la
jeunesse adhère à cette politique de divertissements, il n’en reste pas
moins que certaines réactions contraires émergent en son sein même.
Cela a été le cas, par exemple, lors de l’annonce de l’ouverture du
Jeddah Season, par l’ouverture de la première boîte de nuit « halal », sur
le front de mer 52 : un club mixte, sans contraintes vestimentaires pour les
femmes, et sans alcool. Le projet a engendré des réactions mitigées sur
les réseaux sociaux et, sous le hashtag #Jeddah_Disco, certains l’ont
accusé de violer l’identité et les traditions islamiques. Une image
montrant une femme voilée de la tête aux pieds, agrippée à une barre de
pole dance, a fait le tour d’Internet et le club n’a finalement pas ouvert 53.
Dans un autre épisode, cette fois tragique, trois membres d’une troupe de
théâtre espagnole ont été poignardés sur scène le 11 novembre 2019,
pendant un spectacle musical à Riyad 54, première attaque du genre
depuis la mise en place du plan de promotion du divertissement.
L’agresseur, qualifié de « Yéménite sans papiers », a été promptement
condamné à mort et exécuté. Quel meilleur moyen de ne pas savoir qui
l’a formé et incité au passage à l’acte ?
En novembre 2020, le royaume saoudien a annoncé le bannissement
de certains prénoms 55 jugés comme allant à l’encontre de la charia. Des
prénoms comme Malak (ange) ou Abdul Rasul (esclave du Prophète)
ainsi que des prénoms composés comme Mohammed Saleh ou
Mohammed Mustafa ne sont plus autorisés. Si l’Agence de presse
saoudienne n’a pas fourni d’explications détaillées sur cette décision,
l’hypothèse de l’intervention de la classe ultraconservatrice du royaume
n’est pas exclue. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’Arabie
saoudite bannit des prénoms « non conformes » : en 2014, 51 prénoms
contrevenant à la tradition religieuse, comme Linda ou Benjamin,
avaient été interdits.
En fin de compte, l’Arabie saoudite « cherche à mettre en avant des
symboles réels de sa transformation, d’une volonté d’ouverture, même si
on peut être sceptique. C’est un pays qui a plus bougé dans les quatre
dernières années que dans les quarante années précédentes », nous assure
un spécialiste de la communication (qui veut rester anonyme). Une
transformation qui semble être le résultat d’un double mouvement :
d’abord l’approche volontariste de démarchage des sociétés
internationales de relations publiques et aussi la prise de conscience par
certains membres de la famille régnante de la nécessité d’un
changement. L’évolution à laquelle on semble assister peut aussi être
interprétée comme une stratégie destinée à détourner l’attention
internationale de l’opération militaire au Yémen, déclenchée en 2015 par
MBS lui-même, alors tout nouveau ministre de la Défense.

Le changement de méthodes :
les influenceurs, l’humanitaire (même au Yémen)

Les influenceurs au service du royaume

Deux ans après l’assassinat de Khashoggi, l’Arabie saoudite peine


toujours à rétablir l’image qu’avait commencé à lui donner MBS aux
yeux du monde. Après avoir embauché des sentinelles sur les réseaux
sociaux, elle a opté pour une stratégie complémentaire : payer des
influenceurs, en particulier sur Instagram, réseau social fréquenté par
plus de un milliard d’utilisateurs 56. L’Arabie saoudite repère les
personnalités Instagram les plus occidentalisées et les plus populaires, et
leur propose de visiter le royaume pour en faire la publicité. Ahmed al-
Khateeb, président de la commission saoudienne du tourisme et du
patrimoine national, explique : « Je suis certain qu’ils auront un
jugement bien meilleur. Comme ils viendront et expérimenteront la vie
ici, en Arabie, je leur promets qu’ils repartiront avec de très beaux
souvenirs ! » L’office du tourisme du royaume, via le programme
Gateway KSA, a ainsi offert des voyages supervisés et tous frais payés à
des blogueurs en vue et ceux-ci ne se sont pas fait prier pour publier
aussitôt des photos de Riyad et des sites les plus photogéniques, louant la
beauté du pays et exprimant leur gratitude pour leurs hôtes. Beaucoup de
messages comprenaient le hashtag #Ad (publicité) et mentionnaient le
compte @visitsaudi. L’influenceuse Lana Rose, célèbre youtubeuse
connue pour son maquillage, son style de vie, sa musique et ses vidéos
de supercars, qui compte plus de 1,4 million d’abonnés sur YouTube et
1,3 million d’abonnés sur Instagram, a déclaré qu’en visitant l’Arabie
saoudite elle avait eu l’impression que l’Aladdin de Disney prenait vie 57.
Mais tous les abonnés ne sont pas dupes de ces enthousiasmes
rémunérés : « Oui, c’est cela. Oublions tout simplement la discrimination
à l’égard des femmes, la violation de certains droits humains basiques et
la corruption. Tant que l’Arabie saoudite dispose de certains beaux
paysages et de belles attractions touristiques, cela n’a pas vraiment
d’importance, n’est-ce-pas ? » a réagi l’un d’entre eux sur le compte de
@Lyss, suivi par 18,8 millions de personnes. Nous conseillons au lecteur
de consulter le site d’Aggie Lal, influenceuse américaine, charmée de sa
visite dans le royaume.

Le Yémen : de l’humanitaire sur une guerre inhumaine

Longtemps, les conflits au Yémen ont été des guerres sans images.
Déjà, en 2009, des combats meurtriers opposaient les milices houthistes
aux troupes du président Saleh, soutenu alors par l’Arabie saoudite. À
l’époque, les autorités interdisaient aux médias étrangers d’accéder à la
zone des combats. L’envoyé spécial du journal Asharq al-Awsat, pourtant
proche de l’Arabie saoudite, a consacré un long article à cette « guerre
sans images qui n’en finit pas 58 ». En 2015, l’Arabie saoudite, après
avoir mobilisé 150 000 hommes, déployé plus de cent avions de chasse
et rallié à sa cause plus de dix pays arabes, a complètement revu sa
stratégie de communication en s’inspirant du modèle de la première
guerre du Golfe menée par les Américains contre Saddam Hussein. Le
général Schwarzkopf avait mené l’opération Tempête du désert (Desert
Storm) comme une guerre télégénique caractérisée par la diffusion des
vidéos de bombardement des cibles irakiennes. Les « frappes
chirurgicales », ces tirs nocturnes de missiles illuminant le ciel de
Bagdad, avaient marqué les esprits. Les conférences de presse
quotidiennes de l’état-major américain avaient inauguré ce type de
spectacle d’un genre nouveau : la guerre en direct. Dès lors, presque
chaque jour à 19 heures, Riyad organise une conférence de presse menée
par le général Assiri. Chargé de l’opération Tempête décisive (Decisive
Storm), cet ancien élève de Saint-Cyr, qui parle l’arabe, l’anglais et le
français, est chargé d’informer l’opinion sur la progression des troupes
saoudiennes : « Tous les soirs, il rend compte des interventions militaires
effectuées dans la journée au Yémen. Il n’hésite d’ailleurs pas à illustrer
ses propos en projetant des vidéos de sites bombardés ou des échanges
de communication radio. Les journalistes assistent ainsi à de
l’information-divertissement. Du jamais-vu en Arabie saoudite, où
l’information est plutôt contrôlée et disséquée 59 », écrit alors la
correspondante de RFI à Riyad. Il répond aux questions avec la même
virtuosité que ses modèles américains (Colin Powell, Norman
Schwarzkopf, etc.). Le compte Twitter de l’Agence de presse officielle
du royaume pratique presque le live-tweet avec des photos des réunions
de l’état-major du royaume, des clichés précis des résultats des
bombardements, des troupes engagées sur le conflit et des installations
militaires. Outre le général Assiri, MBS lui-même est un acteur clé du
conflit, souvent à la manœuvre, au chevet des soldats dans les hôpitaux,
passant ses troupes en revue, mais également présent sur les réseaux
sociaux.
En même temps que cette mise en scène de la guerre gérée avec les
conseils des sociétés de communication, la coalition saoudienne lance
une vaste opération humanitaire dans les zones qu’elle contrôle pour
venir en aide aux populations du Yémen. Une enquête de l’agence
américaine d’information Irin, spécialisée dans l’information
humanitaire, a mis en lumière le rôle des agences de relations publiques
américaines et britanniques pour pousser ce plan d’aide et révélé que la
dépêche reçue par les journalistes annonçant le plan Yemen
Comprehensive Humanitarian Operations (YCHO), accompagnée d’une
invitation à visiter le Yémen, provenait de Paperfield Global Counsel,
agence de conseil britannique… Ces agences inondent les rédactions de
communiqués de presse comportant cartes et infographies sur les
bienfaits de l’opération humanitaire 60. Aux États-Unis, c’est toujours
Qorvis/MSL Group qui est chargée de vendre les opérations
humanitaires au Yémen, suivant un contrat de six millions de dollars,
signé en 2017. « Ce sont les mêmes “méthodes de barbarie” que celles
employées par les Britanniques pendant la guerre des Boers […]. Mais
une telle stratégie sera certainement difficile à “vendre” de nos jours.
Certes, les Saoudiens semblent le penser, ce qui explique sans doute
pourquoi ils ont fait appel à une pléthore d’agences de relations
publiques pour les y aider », écrit le chercheur Dan Glazebrook en
mars 2018 sur le site Middle East Eye 61. L’Arabie parvient même à
associer l’ONU à sa prétendue mission humanitaire. L’Agence de presse
saoudienne a officialisé en juin 2020 que le sommet de l’ONU consacré
à la levée de fonds pour le Yémen serait co-organisé par le royaume
saoudien. Sur fond de guerre, de famine et d’épidémie de Covid-19,
l’objectif était de lever 2,4 milliards de dollars, et probablement
d’afficher les contributions saoudiennes 62. Covid oblige, la session 2020
a été virtuelle, mais a levé 1,35 milliard de dollars des quatorze pays
donateurs.

Un nouvel objectif pour MBS :


protéger MBS de lui-même
Le roi est nu : que faire des embarrassants conseillers du prince après
l’affaire Khashoggi ? Deux responsables saoudiens ont déclaré au Wall
Street Journal que cinq personnes étaient passibles de la peine de mort :
Ahmed al-Assiri ; Maher Mutreb, un ancien membre de la garde royale
saoudienne ; Salah al-Tubaigy ; Moustafa Madani ; et Thaar Ghaleb al-
Harbi.
D’autres hommes semblent mieux protégés, comme Al-Qahtani,
connu pour ses messages menaçants aux dissidents et à ses rivaux.
Conseiller en relations publiques du dauphin, il est l’exécuteur des
basses œuvres de Mohammed ben Salman. « Qahtani est derrière
l’arrestation des défenseurs des droits humains et de toutes les personnes
qui manifestent un peu de liberté d’esprit 63. » Il a dirigé le Groupe de
recherche et de marketing saoudien avant d’être nommé conseiller
médias du prince. Un poste clé où il contrôlait notamment les relations
publiques du gouvernement. Il est connu pour avoir animé la propagande
en ligne contre les adversaires du royaume. Dans un article paru dans le
Washington Post au début de 2016, Jamal Khashoggi affirmait qu’Al-
Qahtani disposait d’une « liste noire » 64 des journalistes critiques du
royaume. Dans une interview posthume publiée par le magazine
Newsweek, Khashoggi qualifiait Al-Qahtani et Turki al-Sheikh de
« voyous. Les gens les craignent. Vous les défiez, vous risquez de finir
en prison, et c’est ce qui s’est passé ». En 2019, Al-Qahtani écrivait sur
Twitter : « Je ne fais rien de mon propre chef, sans des ordres. Je suis
l’employé et l’exécuteur de mon roi et de mon prince héritier. » Il fait
partie des hommes immédiatement démis de leurs fonctions par MBS
après l’affaire Khashoggi. Mais depuis il semble être revenu en grâce.
Turki al-Sheikh, le comparse, ancien ministre des Sports, est devenu
président de l’Autorité du Divertissement. Il pilotait un projet d’entrée
dans le foot français en rachetant le club d’Amiens.
Turki al-Dakhil, le patron de la chaîne panarabe Al-Arabiya, ancien
journaliste, gère aussi un groupe WhatsApp où se côtoient des centaines
de professionnels des médias, à qui il n’hésite pas à dicter le juste point
de vue sur l’actualité. Pendant l’été, il avait lancé une campagne de
délation sur Internet contre toute personne suspecte de sympathie pour le
Qatar.
Al-Assiri, le général francophone, serait lui-même le chef du
commando qui a enlevé et assassiné Khashoggi. Âgé d’une cinquantaine
d’années, le général était un conseiller de haut rang proche de la cour
royale. Avant d’être promu chef adjoint du renseignement général
en 2017, il était le porte-parole de la coalition militaire intervenant au
Yémen depuis 2015. L’homme a également acquis à l’étranger la
réputation de harceler les journalistes dont les articles critiquaient les
exactions saoudiennes au Yémen. Au printemps 2017, cible d’un jet
d’œuf lors d’une conférence à Londres, il avait eu droit à des excuses
officielles pour cette « agression ». Avant qu’il ne soit limogé, le New
York Times avait annoncé que Riyad lui attribuerait vraisemblablement la
responsabilité de la disparition de Khashoggi pour tenter de dédouaner
MBS. Assiri devait faire partie des cinq futurs condamnés à mort. Il a
même été jugé, avant d’être acquitté pour absence de preuves, lors d’un
procès qualifié de « parodie » et d’« antithèse de la justice » 65 par Agnès
Callamard, rapporteure spéciale de l’ONU et auteure d’un rapport sur
l’affaire Khashoggi.

Quand MBS dérape et hacke le téléphone de Jeff


Bezos

En mai 2018, le téléphone du patron d’Amazon a été l’objet d’un


piratage. Une vidéo vérolée envoyée via WhatsApp aurait infecté son
appareil et permis d’en aspirer les informations. Le message provenait
d’un numéro utilisé par MBS, proche alors de Jeff Bezos. Dans un
rapport, la société de conseil FTI Consulting, à laquelle a été confié le
portable de Bezos pour identifier les commanditaires, écrit que
« l’analyse du smartphone, combinée aux investigations, interviews et
autres informations provenant d’experts, conduit FTI à penser que le
téléphone de Jeff Bezos a été compromis, possiblement grâce à des outils
fournis par Saud al-Qahtani (proche de Mohammed ben Salman) 66 ».
Deux rapporteurs spéciaux des Nations unies, dont la Française Agnès
Callamard, détaillent les preuves qui lient MBS au piratage de Bezos, qui
en plus d’être l’homme le plus riche du monde, est également
propriétaire du Washington Post, employant alors Jamal Khashoggi. Ils
écrivent : « M. Bezos a été soumis à une surveillance intrusive via le
piratage de son portable à la suite d’actions attribuables au compte
WhatsApp utilisé par le prince héritier Mohammed ben Salman. » Le
régime saoudien est fortement soupçonné d’avoir ciblé Bezos et le
Washington Post en vue de discréditer ceux qui dénoncent le régime.
Gavin de Becker, chargé par le patron d’Amazon d’enquêter sur ce
piratage, a directement lié cette attaque à la couverture qu’a faite le Post
du meurtre de son journaliste saoudien : « Il est clair que MBS tient le
Washington Post pour un ennemi majeur », assurait-il. Des responsables
saoudiens proches du prince héritier ont déclaré qu’ils étaient au courant
des plans de piratage de Jeff Bezos, selon le Wall Street Journal. Le
piratage se serait produit après des échanges de messages amicaux entre
Jeff Bezos et MBS sur WhatsApp, le 1er mai 2018, des semaines après
leur rencontre lors d’un dîner à Los Angeles. Le conseiller principal de
MBS, Saud al-Qahtani, a été également impliqué dans ce piratage, qui
s’est inscrit dans une campagne d’intimidation plus large contre
Khashoggi 67. L’équipe de Jeff Bezos a commencé à enquêter sur des
activités suspectes sur son smartphone en janvier 2019 après la
publication par le National Enquirer (un tabloïd américain) d’un article
sur une liaison extraconjugale du PDG d’Amazon. Le ministre saoudien
des Affaires étrangères, Faisal ben Farhan, a répondu à ces allégations
dans une vidéo postée sur Twitter, qualifiant « d’absolument stupide »
l’idée que le prince héritier ait piraté le téléphone. Il a également critiqué
le rapport de l’ONU, affirmant qu’il était fondé sur des analyses ne
contenant « aucune preuve solide ». Des révélations plus récentes
permettent pourtant d’attester la véracité de ces affirmations 68. En effet,
l’activiste saoudien exilé au Canada, et proche de Khashoggi, Omar
Abdulaziz, a affirmé avoir lui-même été la cible d’un logiciel qui a réussi
à pirater l’ensemble de ses données personnelles et de ses
communications. Selon The Citizen Lab, institut de recherche de
l’université de Toronto, la source de ce piratage était bien saoudienne et
avait également été utilisée pour infiltrer les appareils d’autres activistes
saoudiens établis à l’étranger, mais aussi de commentateurs, comme le
correspondant du New York Times Ben Hubbard. Cette technique de
surveillance intrusive a ouvert un boulevard de surveillance et de
répressions au royaume saoudien.
Les modalités des attaques contre le créateur d’Amazon ne sont pas
aujourd’hui entièrement connues. La société israélienne NSO Group a
développé le logiciel Pegasus, permettant de prendre le contrôle presque
total d’un téléphone et d’avoir accès à toutes ses données. Ce logiciel –
d’une valeur de 55 millions de dollars – aurait été utilisé par l’Arabie
saoudite pour collecter des informations sur Jamal Khashoggi. Un article
du quotidien israélien Haaretz 69 a révélé que le logiciel avait été vendu
quelques mois avant que le pouvoir saoudien n’entame une purge de ses
opposants, démonstration que, dans les modes de répression des
contestataires du régime, l’Arabie saoudite s’est nettement modernisée.
4
En France les lobbys n’existent
pas, mais…

« Confronté à une avalanche de critiques sur son bilan en matière de


droits de l’homme, son intervention militaire au Yémen – la frappe du
15 mars 2019 a tué de nombreux civils – ou encore son rôle supposé
dans l’essor du djihadisme, le royaume a décidé de réagir », affirme le
journal Le Monde le 25 mars 2016, constatant que Riyad a d’abord fait
appel à deux agences : Edile Consulting et Image 7. Cette dernière,
agence d’Anne Méaux, a organisé pour des équipes de télévision une
visite de « Tonnerre du Nord », un exercice militaire conjoint et géant, en
février 2016, en Arabie saoudite, avec la participation de vingt pays
membres de l’Alliance militaire islamique. « Les Saoudiens nous ont
demandé de faire une opération pour montrer la guerre qu’ils livrent aux
terroristes », explique Anne Méaux au magazine Challenges. « Ils
veulent que leur pays soit mieux compris et disent que nos pays ont des
cultures différentes et qu’il faut respecter cela. » Mais cet exercice s’est
déroulé bien loin du théâtre yéménite, toujours interdit aux journalistes.
À cette époque, l’agence avait également pour tâche de gérer l’image du
vice-prince héritier. « Le rôle de l’agence consistait à lever les obstacles
bureaucratiques qui encombrent souvent le travail des reporters en
Arabie et à leur faciliter l’accès aux hauts dirigeants comme Mohammed
ben Salman. Quasiment inconnu à son arrivée au pouvoir début 2015, ce
jeune trentenaire s’impose rapidement comme l’homme le plus puissant,
car le plus médiatique du royaume », écrit Le Monde.

Les cibles : décideurs politiques, hommes d’affaires


et élites de la communauté musulmane

La technique de la lettre d’intention suffit pour les hommes


politiques

« Lorsque je reçois un ministre français et que je prononce le mot magique Miksa


[nom d’un colossal projet de protection des frontières saoudiennes], je vois ses yeux
briller et je peux tout lui faire gober », avait dit le prince Nayef. Le contrat estimé à sept
milliards de dollars a été signé en 2009 après seize ans de négociations et l’appui
constant et efficace de Charles Pasqua, ancien ministre de l’Intérieur, et de son
homologue saoudien, le prince Nayef ben Abdelaziz al-Saoud.

La stratégie de l’effet d’annonce et de la lettre d’intention est


commune à tous les relevés de conclusions de visites officielles en
Arabie saoudite : exemple, le partenariat stratégique annoncé lors de la
visite officielle de François Hollande, le 29 décembre 2013 à Riyad, sur
les investissements saoudiens en France, pour faire pendant au projet
identique annoncé par Sarkozy avec le Qatar, couvrait le ferroviaire, les
crédits à l’exportation et les nouvelles technologies. Si le montant des
investissements saoudiens en France est resté maigre, 829 millions
d’euros fin 2016, soit environ 3 % de ce que le royaume a investi à
l’étranger, il faut compter avec les investissements immobiliers, dont le
montant est estimé à plusieurs centaines de millions d’euros. En
revanche, la France est le troisième investisseur en Arabie avec 80
sociétés, quatre milliards d’euros d’exportations (armement compris,
dans ce secteur l’Arabie est l’un des meilleurs clients de la France en
moyenne lissée sur les trente dernières années) entre septembre 2017 et
août 2018 (1 % des exportations), et des prévisions d’investissements de
12 milliards de dollars.
En janvier 2015, Manuel Valls, Premier ministre français, accusait
« le salafisme » dans l’attaque contre Charlie Hebdo. Quelques mois
plus tard, il annonçait pourtant 10 milliards de dollars de projets de
contrats lors de sa visite à Riyad : une dizaine d’A380 d’Airbus, 30
patrouilleurs du chantier naval normand CMN, des satellites
d’observation, des systèmes de gestion des eaux de Veolia, et même la
création d’un fonds saoudien de deux milliards d’euros pour financer les
PME et ETI françaises. Finalement, le contrat pour les A380 a été
annulé, le contrat Veolia n’a jamais été finalisé, et l’accord sur
l’ouverture d’une usine de plasma avec le Laboratoire français du
fractionnement et des biotechnologies, enterré. Le contrat pour les
patrouilleurs CMN a lui bien été signé, mais n’est entré en vigueur qu’en
janvier 2018. En 2016, 700 millions d’euros de contrats militaires
auraient été signés, faisant de l’Arabie le 22e partenaire commercial de
l’Hexagone seulement. L’année suivante, neuf milliards d’euros de biens
ont été échangés entre les deux pays, selon les chiffres de Bercy, loin
derrière d’autres pays européens comme l’Allemagne (155 milliards
d’euros), l’Italie (77 milliards) ou encore l’Espagne (70 milliards).
Il en va de même pour Trump qui, après avoir accusé à raison,
pendant sa campagne en 2016, l’Arabie saoudite de financer la
Fondation Clinton, a cessé ses critiques quand il a fait son premier
voyage officiel à Riyad. Il a préféré vanter à la télévision des projets de
contrats pour un montent de 380 milliards de dollars, dont 110 signés
lors de son passage. En pleine affaire Khashoggi, Trump rectifie et
annonce une somme de 450 milliards, dont 110 milliards en armement
(les mêmes), de quoi garantir la survie d’un million d’emplois aux États-
Unis. Ce faisant, il s’attribue 223 milliards déjà approuvés sous Obama,
agrégeant des offres anciennes et des effets macro-économiques non
avérés.
Tout homme politique occidental de retour de Riyad brandira
fièrement sa lettre d’intention à en-tête du royaume. Sera-t-elle suivie
d’effet ? C’est une tout autre histoire.

Pour les hommes d’affaires : les projets pharaoniques

Le « Davos du désert » organisé par Richard Attias est une sorte de


gigantesque happening d’hommes d’affaires qui lorgnent toujours sur le
mirage saoudien. Même en cette année de Covid, plus de
70 conférenciers internationaux ont confirmé leur participation au forum
à Riyad du 28 au 29 octobre, et plus de 1 200 délégués internationaux s’y
sont inscrits. En revanche, lorsque les contrats se concrétisent, ils sont
rarement annulés, Khashoggi ou pas. Aucun pays sauf l’Allemagne n’a
suspendu ses contrats avec l’Arabie après l’affaire Khashoggi, pas même
le Canada, en dépit de la rupture des relations diplomatiques. La
suspension des contrats par l’Allemagne a néanmoins eu des
conséquences. Le groupe Airbus a invoqué des « ajustements » à hauteur
de 368 millions d’euros au total, dont « un impact négatif de
190 millions d’euros induit par la suspension prolongée des licences
d’exportation de matériels de défense à l’Arabie saoudite par le
gouvernement allemand ». Airbus envisageait un moment des poursuites
contre Berlin avec l’objectif de continuer la vente de son matériel
militaire et a résolu les problèmes par des tours de passe-passe rapportés
par la presse 70.

Neutraliser les responsables de l’islam français

L’expansion impressionnante de l’influence saoudienne, grâce à la


construction de grandes mosquées, à la distribution gratuite de millions
de livres ou de brochures wahhabites et à la formation d’imams à
l’université islamique de Médine, s’appuie essentiellement sur des
intermédiaires et peu sur une présence physique sur le terrain. Au-delà
du développement d’un réseau d’influence international au travers de la
Ligue islamique mondiale (LIM), l’Arabie a réussi à se constituer une
véritable stratégie d’influence dans deux directions.

• La diffusion de la version wahhabo-salafiste de l’islam

Cela se fait en grande partie par les traductions du Coran labellisées


par les autorités religieuses saoudiennes, diffusées gratuitement dans les
mosquées françaises, et présentées comme les seules acceptables. En
août 2016, le grand mufti d’Arabie, Abdel Aziz ben Abdullah al-Cheikh,
a appelé le ministère des Affaires islamiques de l’Orientation à retirer
tous les corans distribués dans les mosquées du pays pour les remplacer
par l’édition du roi Fahd. Au cours d’une émission intitulée « Fatwas en
direct », le mufti, répondant à une question sur l’existence de nombreux
exemplaires de cette version dans les mosquées, a prétendu que « les
autres corans contenaient de graves erreurs et des erreurs simples, alors
que le Coran du roi Fahd est exempt d’erreurs et nous dispense des
autres éditions du Coran 71 ».

• Les publications gratuites du wahhabisme dans


les mosquées françaises

L’autre moyen d’action est la diffusion gratuite de livres religieux


wahhabites en français, accessibles dans toutes les mosquées de France.
L’Arabie saoudite a activement contribué, dès les années 1950, à
promouvoir et à subventionner une littérature religieuse via
d’innombrables traductions publiées par des maisons d’édition du
royaume. La diffusion ou la prédication religieuse très conservatrice ont
été, au moins au départ, pensées et planifiées pour faire obstacle aux
idées socialisantes, sécularisantes ou modernisatrices arabes, avant que
des personnes privées évoluant dans le pays contribuent ensuite
largement à l’édition et à la propagande religieuse en dehors des
frontières. Le champ éditorial saoudien en matière religieuse s’est
particulièrement étoffé : il a su tisser sur le long terme une toile
suffisamment vaste et solide pour un lectorat multilingue. Plusieurs
maisons d’édition saoudiennes en langue française, Daroussalam et les
éditions Al-Hadîth, ont pénétré le champ islamique français. Quelques
ouvrages, généralement mis en valeur par les néosalafistes, valent
analyse.

Le Livre du tawhid de Muhammad ibn Abd al-Wahab est un classique de la


littérature du néosalafisme. Dans la préface de l’ouvrage, l’un des deux traducteurs
affirme que « la religion musulmane accueille chaque jour des milliers de gens
échappant à l’ignorance et se délivrant des chaînes du polythéisme et de mécréance,
cherchant refuge dans les bras tendres de l’islam ». Le traducteur explique clairement
pourquoi sa traduction française s’impose : « Leur adresser des savants en théologie
chargés de leur enseigner les instructions fondamentales et indispensables de l’islam ;
cette religion qui accueille n’importe quelle race et n’importe quelle couleur. […] Nous
essayons alors ardemment de traduire les œuvres les plus fondamentales et les plus
indispensables à être sues par tout musulman. » Le chapitre 48 de l’opuscule porte sur
le fait de « prendre en plaisanterie un sujet ayant trait à Allah, au Coran et au
Messager », qui procède de l’apostasie. Le chapitre 63, « À propos du pacte d’Allah et
de Son Prophète », valorise par émulation les expéditions du « Messager d’Allah » qui
auraient été conduites sous la bannière de l’islam, citant un hadîth sur le djihad :
« Faites la conquête au nom d’Allah et pour la cause d’Allah. Combattez ceux qui ne
croient pas en Allah. Combattez mais ne pillez pas pour votre propre compte, ne
trahissez pas, ne mutilez pas les morts et ne tuez pas d’enfants […]. » Ces textes d’Ibn
Abd al-Wahhab, décontextualisés par les traducteurs, accréditent l’idée que le
musulman observant, attaché à la lettre sunnite authentique, devrait nourrir en lui le
désir secret ou public de s’engager pour l’expansion de l’islam et la conversion des
masses non musulmanes, y compris au moyen des armes.
D’autres auteurs beaucoup plus contemporains fournissent le credo de l’aspirant
néowahhabite. C’est le cas du livre intitulé Le Dogme du monothéisme du cheikh
saoudien Salih al-Fawzan, consacré à la manière de vouer un culte exclusif à Dieu.
Dans la préface, les éditeurs expliquent en quoi doit consister la croyance correcte dans
des termes sans ambiguïté quant à l’ambition totalisante de l’islam : « Certains de ces
mouvements par exemple se sont investis dans l’action politique dans le but de voir la
loi divine [Al-Sharî’a] mise en application, ce qui est noble et important mais qui ne
constitue pas ce qu’il y a de plus noble ni de plus important. Comment donc exiger
l’application de la loi d’Allah quant au voleur et au fornicateur avant d’exiger que celle-
ci soit appliquée au polythéiste ! Comment réclamer le (r)établissement des droits
politiques, civils […] du code familial et autres à la lumière de la loi d’Allah en
négligeant le droit absolu à être adoré Seul et sans associé et en fermant les yeux sur les
idolâtres, adorateurs de tombeaux et autres profanateurs ? Le crime de ces derniers est-
il moins grave que celui des fornicateurs, voleurs et autres ? » Les traducteurs insistent
sur le préalable prosélyte, avant de parvenir à la création d’un État islamique digne de
ce nom. « Qui plus est, il ne faut point perdre de vue que l’instauration de l’État
islamique et la mise en pratique de la loi divine, tout comme l’observance des
obligations et le fait d’éviter les péchés, font tous partie des droits à l’Unicité et lui sont
subordonnés. » Dès les premières lignes de l’introduction, le cheikh saoudien écrit
« que nous vivons une époque où les tendances égarées se sont multipliées telles que :
l’athéisme, le soufisme, le monachisme, la vénération des tombeaux et les innovations
qui contredisent l’enseignement prophétique. Elles constituent toutes des tendances
dangereuses aussi longtemps que le musulman ne sera pas armé de la croyance correcte
basée sur le Coran, la Sunna et la voie des prédécesseurs de notre communauté. Sans
quoi, le musulman sera emporté par ces tendances qui mènent à l’égarement ». Ailleurs,
Al-Fawzan annonce que « l’appartenance aux doctrines athées telles que le
communisme, la laïcité, le capitalisme et autres doctrines prônant la mécréance est un
renoncement à l’islam. Si l’adepte de l’une de ces doctrines revendique en même temps
l’islam, ceci est considéré comme de l’hypocrisie », citant un passage coranique traduit
comme suit : « Quand ils rencontrent ceux qui ont cru, ils disent : “Nous croyons”, mais
quand ils se trouvent seuls avec leurs diables, ils disent : “Nous sommes avec vous, en
effet, nous ne faisons que nous moquer d’eux (Coran II, 14) […]. Ceux-ci sont les
hypocrites trompeurs, tous caractérisés par une double face : l’une lorsqu’ils
rencontrent les croyants et l’autre lorsqu’ils retournent chez leurs frères parmi les
athées. Ils ont également deux langues, l’une dont les musulmans acceptent l’apparence
et l’autre qui exprime leur secret caché. » Ce genre de littérature confessionnelle
n’encourage pas les musulmans à accepter la laïcité et l’idée même de pluripartisme.
En août 2019, Apprendre le tawhid aux enfants a été interdit de vente aux mineurs.
72
Cet ouvrage présentant « un danger » pour eux , d’après le ministère de l’Intérieur.
Une autre publication, La Dépravation morale. Les causes, les manifestations et les
solutions islamiques. Suivi d’un bref aperçu du concept de la jeunesse en Islam, du
cheikh Boureïma Abdou Daouda, diplômé de l’université islamique de Médine,
président du Bureau des traductions islamiques au Niger, prétend aussi fournir des voies
pour extraire les musulmans de « la dépravation morale », en exposant ses « causes,
manifestations et les solutions islamiques ». L’auteur écrit : « Parmi les causes, on peut
citer : 1/ Le manque d’éducation religieuse 2/ La mauvaise conception de la religion
islamique 3/ L’imitation aveugle des autres cultures importées 4/ La lecture de certains
ouvrages nuisibles : romans policiers, romans-photos, feuilletons… 5/ La fuite des
responsables devant leurs responsabilités 6/ La facilité de l’accès aux moyens de
dépravation : musique, cinéma, alcool… 7/ La mauvaise compagnie. Et parmi les
manifestations de cette dépravation, on peut souligner : 1/ L’abandon de la religion,
source des vertus morales 2/ La débauche 3/ La prostitution 4/ L’alcoolisme 5/ La
délinquance juvénile 6/ La drogue 7/ La criminalité 8/ Le mensonge 9/ Le non-respect
des parents 10/ Les maladies mentales 11/ Autres turpitudes et abominations telles que :
l’homosexualité, l’inceste, le viol, le vol des enfants… »
73
On peut citer, reproduite sur un site , une fatwa d’un cheikh saoudien
contemporain, cheikh Ali ben Abdelaziz Moussa, invité à répondre à la question
suivante : « Nous sommes des musulmans de France qui souhaitons connaître le
jugement concernant les parents qui emmènent leurs enfants dans les écoles des
mécréants sachant que ce sont des écoles laïques, athées. » La réponse du théologien
saoudien est sans ambiguïté : « Tout d’abord il n’est pas permis à l’individu de jeter la
prunelle de ses yeux, son enfant, dans les bras des mécréants pour qu’ils lui apprennent
la mécréance. Il n’est permis en aucun cas à l’individu de pousser son enfant à
apprendre chez les mécréants, mais il doit plutôt lui apprendre la science du livre et la
sounnah […]. »
D’autres questionnements, sur le même site, confirment la recherche d’un retrait
des musulmans des sociétés où l’islam est minoritaire, en exacerbant a contrario un
imaginaire communautaire fait de distance à l’égard des non musulmans. Sur la laïcité,
un cheikh d’origine éthiopienne, installé en Arabie et diplômé de l’université de Riyad,
s’exprime en ces termes : « La laïcité est une mécréance évidente […]. La laïcité a deux
visages : la démocratie est le visage politique pour la laïcité, comprenez-le bien ! Le
socialisme est le visage économique pour la laïcité. Elle est la mère de l’impureté ; la
74
laïcité est la mère des impuretés ! Elle est une mécréance !»

À côté ou en plus de la LIM, l’Arabie peut également compter sur les


chaînes satellitaires, en particulier la chaîne Iqraa, lancée en français
en 2012, fondée en 1998 par un certain cheikh Salah Kamil, milliardaire
saoudien pieux. Son lancement a été salué par l’organisation frériste
basée en Normandie, Havre de Savoir, entre autres. Les discours
religieux diffusés sont généralement très conservateurs au plan des
mœurs, de la famille, etc. Une partie non négligeable de ceux qui y
présentent des émissions en langue française offrent un profil nettement
plus Frère musulman que salafiste. Si tous ceux qui agissent, travaillent
ou évoluent dans certains circuits tracés patiemment par le royaume
saoudien ne se montrent pas forcément de zélés défenseurs de la
politique saoudienne ou de ses orientations religieuses internes, la
stratégie des Saoud s’est cependant incontestablement montrée efficace
dans la capacité à dissuader et à désactiver toute critique publique forte à
l’égard du pays et de son régime.

La lutte contre l’Iran


À Washington, avec l’aide de l’administration Trump et du lobby
israélien, Riyad est devenu le rempart contre l’Iran des mollahs. Le
soutien aux Moudjahidin-e Khalq aux États-Unis et en France est le
moyen discret de coaguler les oppositions contre Téhéran. Mais c’est en
France et à Bruxelles que cette politique est particulièrement
intéressante.
Le groupe Moudjahidin-e Khalq (Organisation des moudjahidines du
peuple iranien, OMPI) a combattu Téhéran aux côtés de Saddam et
commis des attentats en Iran même. Il n’a aucune représentativité dans le
pays, mais est employé comme atout en cas de négociations avec le
régime des mollahs. Actif à Paris et à Bruxelles, il a longtemps bénéficié
du soutien de Saddam Hussein, avant de recevoir celui de Riyad. Chaque
année, l’OMPI organise un grand rassemblement à Villepinte (budget
supérieur à 100 000 euros) avec la participation de personnalités
politiques et universitaires françaises ou étrangères. Au-delà des coûts
fixes (location et aménagement du lieu), et de la venue de Maryam
Radjavi (arrivée entourée de motards), l’invitation des personnalités
étrangères constitue un must coûteux : en 2011, Rudolph Giuliani, ancien
maire de New York (100 000 dollars), Patrick Kennedy, ancien membre
du Congrès (tarif inconnu), l’ex-Premier ministre irlandais John Bruton
et le général Wesley Clark (45 000 dollars). Ces frais ont probablement
fait monter les budgets. En publicité, une demi-page du Figaro annonçait
la tenue de ce meeting. Mais l’exercice est de plus en plus difficile,
comme le démontrent plusieurs reportages, dont l’un de 2008 de
France 24 75 interviewant des étudiants polonais et filmant des mamas
africaines venues du 93, invitées pour faire masse. Le 6 juillet 2016, lors
du grand rassemblement annuel de membres de l’OMPI à Villepinte,
c’est Turki al-Faisal al-Saoud, l’ancien chef de l’agence de
renseignement saoudienne, qui est là en invité de prestige. Il révèle à
cette occasion que Massoud Radjavi, le leader historique des
Moudjahidin, est mort depuis plusieurs années. Une information cachée
à ses disciples par sa veuve Maryam Radjavi, qui a pris sa suite.
Exemple de tarif proposé par l’OMPI (2011)
pour le symposium de Villepinte :
30 000 dollars net pour quatre heures de
présence

______ Agreed,

To: Greater Talent Network Inc. 437 Fifth Avenue, New York NY 10016
Today’s date: September 12, 2011
Attention: Jennifer Peykar

On behalf of Iranian-American Community of Northern California, I, Ahmad


Moeinimanesh am authorized to present a firm and binding offer for Mr. Louis Freeh to
speak to the event described below.
Event/Performance date: September 17, 2011 Time: 10:00 am-2:00 pm
Location of program/venue East Room The Mayflower Renaissance Hotel, 1127
Connecticut Avenue NW, Washington, DC
Honorarium $30,000.00 plus first class expenses (airfare, hotel, ground transportation)
as applicable for one person(s).___
Signature Phone: 510-375-8000
Communicationpany/Organization: I.A.C.Nor Cal Fax: 510-439-2821
Title: Executive Director Emergency/Cell: 510-375-8000
Date: 7/1/2011 Email: ahmad@iacnorcal.communication
Company Website: www.iacnorcal.communication

ADDITIONAL INFORMATION REQUIRED


Hotel accommodations: ___
Closest major airport to event: National Airport___
Distance to event: 15 mins
Brief Description of organization (paragraph if possible): ___
Description of event (i.e. sales conference, annual convention, fundraiser):
Averting A Humanitarian Crisis At Camp Ashraf: U.N., U.S. Obligations
Suggested topic: ___
Please provide a proposed, on-site timeline for the speaker:
Timetable: 10:00 am Arrival
11:00 am-1:00 pm Panel discussion
1:00 pm-2:00 pm Luncheon/Reception
Previous speakers at prior year’s event(s):
Gen. James Jones, Gen. Hugh Shelton, Gen. Wesley Clark, Gen. James Conway, Gen.
Peter Pace,
Gov. Ed Rendell, Gov. Howard Dean, Gov. Bill Richardson, Secretary Tom Ridge,
Attorney General Michael Mukasey, Andrew Card, Director Louis Freeh, CIA directors
James Woolsey and Porter Goss,
Amb. PJ Crowley, Amb. Dell Dailey, Amb. Michael Sheehan, Amb. Paula Dobriansky,
Amb. Nancy Soderberg, Amb. John Bolton, Senators Evan Bayh and Bill Bradley,
Chairman Lee Hamilton, among others.
Estimated # of attendees: 150-200
Will tickets be sold: NO (yes or no) (if applicable, ticket cost: $__
Capacity: ______ )
Once completed, please fax to 646-810-5793 or email a fully executed copy to your
GTN representative

Les Moudjahidines du peuple ont un savoir-faire en matière de


communication que leur envient les Saoudiens. En voici quelques
exemples :
— une façade politique : le Conseil national de la résistance
iranienne (CNRI), qui ne représente que lui-même ;
— une multiplicité de sites Internet, administrés depuis le siège
principal de l’OMPI à Auvers-sur-Oise, en France. Ils reprennent et
diffusent tous les mêmes informations sur l’Iran, donnant ainsi le
sentiment d’informations recoupées et avérées. C’est une technique
classique de saturation des informations sur Internet. Le référencement
qui permet à un site d’apparaître en premier sur des moteurs de recherche
comme Google est onéreux.
Nombre d’autres sites qui ne sont pas explicitement reliés au CNRI
sont gérés par la même organisation. Ils se spécialisent dans la
dénonciation anonyme (liste non exhaustive) :
— www.iranfocus.com ;
— www.iran-resist.org ;
— www.iranterror.com ;
— www.iranmanif.org.
Autour du CNRI gravitent nombre d’associations :
— www.comiteafi.net (comité d’amitié franco-iranienne) ;
— www.iranmanif.org ;
— www.chiite.fr ;
— www.csdhi.org (comité de soutien des droits de l’homme en Iran).
On peut y ajouter les deux principaux sites américains :
— www.iran-e-azad.org ;
— www.iran.mojahedin.org.
Et des sites d’échange comme :
— www.hambastegimeli.com.
L’OMPI excelle dans le lobbying auprès du monde politique en
créant des associations ciblant les différentes institutions. Par exemple,
au Parlement européen, l’Association des amis d’un Iran libre, créée
en 2004 avec l’appui de plusieurs juristes de renom, ou l’European
Commitee for De-listing PMOI, militant pour que l’OMPI soit retirée de
la liste européenne des groupes terroristes. L’argent est probablement
saoudien.

De gros partenaires contractuels et des petits

La stratégie de communication du royaume, surchargée de multiples


contrats, est d’une efficacité discutable, voire difficilement lisible. Mais
toutes les agences qui assurent la communication du royaume se régalent
quand les responsables saoudiens font étape en France. Comme le notait
Christine Ockrent, elle-même membre du conseil d’administration
d’Havas, dans son livre consacré à MBS 76 : « Début avril 2018, dernière
étape de la tournée princière en Occident : Paris, avant Madrid. Réduit à
deux jours et demi, le séjour parisien a été préparé par plusieurs agences
de communication au risque jusqu’à la dernière minute d’une certaine
confusion. Anne Méaux, la patronne d’Image 7 qui bénéficie d’un
contrat annuel avec le royaume, Havas mais aussi Richard Attias ont
organisé des rencontres entre membres de la délégation et interlocuteurs
du monde des affaires et des médias. Malgré les efforts des principales
chaînes de télévision, le prince héritier n’accordera aucun entretien. »
Une stratégie qui diffère de celle mise en œuvre aux États-Unis où MBS
avait profité de l’émission de CBS « 60 minutes ».
Publicis, l’agence du royaume

L’agence Publicis gère depuis plusieurs années la communication de


l’ambassade du royaume saoudien en France. Un contrat de relations
presse d’un montant de 800 000 euros en 2016 et 2017 a été dévoilé par
le magazine Challenges pour l’organisation de rencontres dans des
palaces parisiens entre des journalistes et le ministre des Affaires
étrangères d’alors, Adel al-Jubeir, ou le porte-parole de la coalition au
Yémen, Ahmed al-Assiri. Une demi-douzaine de consultants de Publicis
travaillent alors à plein temps pour le royaume. L’agence évoque assez
peu le détail de ses missions : nous avons contacté Clément Leonarduzzi,
ex-patron de Publicis Consultants – aujourd’hui chargé de la
communication d’Emmanuel Macron à l’Élysée –, qui, après avoir
accepté de répondre à nos questions, a préféré les transférer à la direction
de Publicis. Malgré plusieurs relances de notre part et les promesses de
la direction de la communication de Publicis, nous n’avons jamais été
recontactés. En 2016, L’Obs avait réussi à obtenir des réponses de
Roman Abreu, alors directeur des affaires publiques chez Publicis, et qui
a quitté la société depuis. Il était l’interlocuteur privilégié de
l’ambassadeur saoudien en France depuis 2016, Khalid al-Ankary.
« Mon rôle est de gérer les relations presse de l’Arabie saoudite en
France, d’assurer sa communication sur les réseaux sociaux et de mettre
en contact ses représentants avec diverses personnalités publiques,
détaillait-il. L’idée est de montrer que nous sommes dans une relation de
transparence avec ce pays, que ce n’est pas non plus la Syrie. » Si la
comparaison avec la Syrie est effectivement déplacée, sa seule mention
donne une idée de l’ampleur de la tâche. « Dur labeur » dont témoigne
un ancien de Publicis, qui a directement travaillé pour Riyad : « C’est
très compliqué d’assurer la communication d’un pays comme l’Arabie
saoudite. C’est un travail en continu. On fait un point par semaine à
l’ambassade sur les dossiers de la semaine, les dossiers de presse à
rendre, l’organisation de rendez-vous dans Paris, dans les milieux
politiques notamment. Ce n’est pas vraiment du lobbying, car il n’y a pas
strictement de lois à faire passer qui concernent l’Arabie saoudite. Mais
il faut sensibiliser à certains sujets et trouver des relais d’influence. »
Compte tenu de sa dimension internationale, le travail de Publicis ne
se limite pas à la France. En 2014, l’agence, présidée par Maurice Lévy,
a racheté le cabinet américain Qorvis, qui est alors devenu une entité
rattachée au MSL Group, l’une des plus grosses agences de relations
publiques dans le monde, également détenue par Publicis. À partir de là,
Qorvis va permettre de détourner l’attention portée sur Publicis en ce qui
concerne les services rendus aux Saoudiens. La société, qui a fêté son
vingtième anniversaire en 2020, entretient des relations avec le royaume
depuis les attentats. L’agence touchera près de 15 millions de dollars
entre mars et septembre 2002 pour assurer des prestations de relations
publiques alors que siège à Washington la commission du 11-Septembre.
En 2004, Qorvis est la première agence au monde à créer un service
chargé de commercialiser des solutions de « diplomatie publique » aux
États étrangers. Dirigé par Matt Lauer, jusque-là responsable de la
diplomatie publique au Département d’État américain, le service est
baptisé Qorvis Geopolitical Solutions. L’agence travaillera pour l’Arabie
saoudite, le Yémen, la Chine, etc. Manifestement, le cabinet effectue des
missions spéciales particulièrement intensives lorsque le royaume dérive.
Pour réparer son image après l’assassinat de Jamal Khashoggi, Qorvis a
reçu 18,8 millions de dollars de la part du gouvernement saoudien entre
octobre 2018 et juillet 2019. Au printemps 2019, Qorvis a signé trois
contrats supplémentaires avec le royaume. En mars 2020, le cabinet a
encore signé un nouveau contrat d’une valeur de 690 000 dollars pour
une durée de un an, dans le but de servir la commission des droits de
l’homme du royaume saoudien. Une tâche qui s’annonce ardue… Le
document remis au ministère de la Justice américain 77 précise que le
contrat comprend des « activités de nature politique (media training,
service éditorial, stratégie de communication) ». Il est paraphé par
Awwad Alawwad, chef de la commission des droits de l’homme en
Arabie saoudite, ex-ambassadeur en Allemagne, et par le patron de
Qorvis, Michael Petruzzello.
Sur son site, Qorvis présente tous ses clients et propose un exposé
très particulier de la situation politique du régime saoudien et de ses
ambitions en matière de communication : « L’Arabie saoudite a joué un
rôle clé pendant des décennies en aidant les États-Unis à combattre le
terrorisme et en ancrant la stabilité au Moyen-Orient. Mais ses
contributions sont souvent mal comprises par les Américains, les médias
et l’élite politique, et faussement décrites par les critiques et les
gouvernements rivaux qui veulent déstabiliser les relations saoudo-
américaines ou renverser le leadership américain dans la région. En
conséquence, l’Arabie saoudite doit tendre la main de manière créative et
multiforme aux Américains de tous bords pour montrer les valeurs du
partenariat entre les deux pays et leurs deux peuples. C’est là que Qorvis
fournit une assistance essentielle. » Sans entrer dans les détails, Qorvis
expose ensuite des généralités sur les solutions qu’elle propose pour
améliorer la communication du royaume : « Qorvis assiste l’ambassade
en amplifiant les politiques de l’Arabie saoudite sur un éventail de
questions, de la lutte contre le terrorisme et la sécurité régionale à la
transformation du royaume en une économie plus diversifiée. Depuis
2001, Qorvis a mis en œuvre une campagne multiforme visant à
impliquer les principales parties prenantes et à mettre l’accent sur
l’Arabie saoudite en tant qu’allié stratégique clé au Moyen-Orient, en
tirant parti des relations avec les médias, de la publicité, des relations
gouvernementales, des médias sociaux et numériques et de l’action de la
base pour informer efficacement le royaume. Qorvis mène des activités
de sensibilisation pour fournir aux médias des informations factuelles et
un accès aux responsables saoudiens. Nous travaillons également pour
doter les principaux législateurs et influenceurs des politiques publiques
des informations dont ils ont besoin sur l’Arabie saoudite et la région sur
une variété de sujets, notamment la lutte contre le terrorisme, la sécurité
régionale, l’économie et la société. Les tactiques dépendent toujours de
la transmission du message selon lequel la relation durable saoudo-
américaine est primordiale pour la sécurité nationale et économique des
États-Unis au Moyen-Orient et au-delà. »
Le choix du rachat de Qorvis par Publicis n’est pas uniquement
motivé par sa proximité avec le régime saoudien (Qorvis est également
réputée pour offrir ses services à plusieurs régimes douteux), mais le
rachat d’agences étrangères permet aux grandes agences un
éparpillement utile pour ne pas effectuer directement les sales besognes.
« En fonction de l’honorabilité des missions, vous pouvez faire appel à
une agence ou une autre, c’est ce qui est pratique pour un pays dont la
moralité n’est pas exemplaire. MSL Bruxelles, c’est Publicis, mais tout
le jeu des grands réseaux de communication type Publicis c’est de
compliquer la vie des journalistes. Donc à Bruxelles, le lobbying
saoudien est fait par MSL, mais c’est Publicis », assure un connaisseur
du milieu (entretien avec les auteurs). En 2019, l’ONG Corporate Europe
Observatory a mis en lumière le rôle central du MSL Group dans
l’offensive de charme de l’Arabie saoudite à Bruxelles 78 : gestion de son
site web et de ses réseaux sociaux, organisation de rencontres avec des
parlementaires européens et autres décideurs bruxellois, production
d’éléments de langage décrivant l’Arabie saoudite comme un rempart
contre le terrorisme et sa guerre au Yémen comme une opération
humanitaire, ou encore placement dans les médias d’articles dépeignant
le régime sous un jour favorable. Selon l’ONG, MSL Bruxelles a « aidé
à encadrer le récit des relations publiques » et « fait du lobbying sur
certains des problèmes clés auxquels le royaume est confronté,
notamment : défendre le royaume des accusations de lien avec
l’exportation du terrorisme, en plaçant des articles de presse sur le sujet à
la suite des attentats terroristes de Bruxelles ; dévier la condamnation
internationale sur la conduite de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite
dans la guerre au Yémen en mettant l’accent sur l’aide humanitaire de
l’Arabie saoudite ; promouvoir la popularité du prince héritier
Mohammed ben Salman et le présenter comme un réformateur ;
présenter l’Arabie saoudite comme un allié clé de l’Occident et un
partenaire sérieux et de confiance pour l’Union européenne, y compris
en matière de politique commerciale et étrangère ; […] obtenir le soutien
de l’Union européenne contre une loi américaine, JASTA, qui permet
aux familles des victimes du 11-Septembre de poursuivre l’Arabie
saoudite ».

La philosophe et les millions

Philosophe et femme d’affaires : difficile pour Élisabeth Badinter de rester


cohérente et de concilier ses divers engagements. En témoigne cette contradiction de
taille entre son appel au boycott des marques surfant sur « la mode islamique » en
France et la mission attribuée à Publicis, dont elle est la principale actionnaire,
d’assurer la communication de l’Arabie saoudite. En 2009, lors d’une mission
d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national,
Élisabeth Badinter tranchait : « À supposer que j’aille en Arabie saoudite, je serais
obligée de mettre un voile. C’est pourquoi je n’irai jamais. » La même année, la
philosophe critiquait ouvertement le wahhabisme, dans une « Lettre ouverte à celles qui
portent volontairement la burqa ». Élisabeth Badinter a présidé le conseil de
surveillance de Publicis en tant qu’héritière du fondateur depuis 2017. Elle en est
encore aujourd’hui la vice-présidente. Interrogée par le magazine Marie Claire sur le
sujet, elle détourne l’attention vers Qorvis : « Publicis ne gère pas la communication de
l’Arabie saoudite, mais une société américaine que le groupe a acquise a pour objet de
faciliter les relations entre les businessmans saoudiens et les entreprises américaines. »
Interrogé par L’Obs sur le sujet, Roman Abreu, alors responsable de Publicis
Consultants, n’a pas souhaité faire de commentaire, précisant alors simplement que
Mme Badinter « n’a pas de rôle exécutif au sein de Publicis et ne regarde pas dans le
détail ce que fait telle ou telle agence […]. Élisabeth Badinter est surtout une
intellectuelle aux engagements bien connus », concluait alors le communicant.

Toute cette activité d’influence s’exerce dans une grande opacité


puisque le lobbyiste du régime n’a pas mentionné le royaume saoudien
parmi ses clients dans le registre de transparence de l’Union européenne.
En revanche la société Qorvis y figure. « MSL Bruxelles avait, depuis
2015, un contrat avec l’Arabie saoudite, mais faisait tout pour le garder
secret », écrit De Morgen 79. Depuis ces révélations, MSL n’a
officiellement plus de bureaux à Bruxelles. En octobre 2019, le nouveau
PDG de Publicis, Arthur Sadoun, a même décidé de supprimer la
marque : « Tous les bureaux de MSL dans le monde relèveront
désormais de la nouvelle structure nationale de Publicis Group », écrit-il
dans une note interne. Une façon comme une autre de tenter de gommer
les agences à la réputation sulfureuse.

Avec un contrat de 280 000 dollars par mois, Qorvis est de loin
l’agence la mieux rémunérée à Washington et celle qui a effectué le plus
d’opérations selon l’étude sur les lobbys saoudiens aux États-Unis « The
Saudi Lobby in 2018 » du Center for International Policy 80. Entamées
immédiatement après les attentats du 11-Septembre, les relations
publiques deviendront prioritaires pour la société après l’attaque
saoudienne au Yémen. En 2017, les opérations de lobbying se
multiplient à tel point qu’il devient difficile d’en dresser une liste
complète. Le lobbying effectué par MSL Group aux États-Unis sera
facturé plus de six millions de dollars pour six mois. Contrairement au
contrat bruxellois de MSL, qui semble avoir cessé sous ce nom, ce
contrat est toujours en cours. Alors même que d’autres firmes de
lobbying de Washington ont suspendu voire rompu leurs liens avec
l’Arabie saoudite au moment de l’affaire Khashoggi, Qorvis/MSL
couvre toujours les médias, l’envoi de mails coordonnés avec l’équipe
saoudienne de lobbyistes contractuels, dont H.P. Goldfield, lobbyiste
auprès du cabinet d’avocats Hogan Lovells et vice-président du groupe
Albright Stonebridge.
En Grande-Bretagne, MSL/Publicis Group possède des marques
comme l’agence Saatchi & Saatchi, qui a envoyé aux médias un article
dans lequel Adel bin Ahmed al-Jubeir, le ministre des Affaires étrangères
du royaume récemment remercié par MBS, tentait de justifier l’exécution
collective de 47 personnes. Il reprenait l’argumentaire développé dans
Newsweek un mois après les exécutions : cela faisait partie de la lutte
contre le terrorisme en Arabie saoudite. Le royaume a « arrêté des
extrémistes à l’intérieur de ses frontières, les a jugés devant des
tribunaux spécialisés et a imposé les peines finales aux condamnés ».
L’article est intitulé « Les Saoudiens combattent le terrorisme, ne croyez
pas autre chose ».
Havas : réforme et progrès

En août 2018, Stéphane Fouks, le vice-président d’Havas, avait


expliqué les motivations de l’agence dans son activité de conseil aux
régimes tels que celui de l’Arabie saoudite 81 : « On assume de faire la
communication des États. Notre vocation est d’aider les réformateurs.
On n’épouse pas la cause de nos clients, on les aide à aller dans le bon
sens. Mais comme les avocats, il nous arrive de défendre des coupables.
Les communicants doivent savoir résister à cette bien-pensance qui nous
entoure », argue-t-il. L’affaire Khashoggi éclatera trois mois plus tard.
Mais Havas a pleinement tiré profit de l’avènement de MBS.
L’agence disposerait d’un budget conséquent pour promouvoir le
programme d’investissements Vision 2030 et la communication autour
du site d’Al-Ula. Comme le rapportait La Lettre A, elle a organisé une
fastueuse soirée de gala parisien au musée des Arts décoratifs,
entièrement privatisé, en avril 2018, lors de la visite de Mohammed ben
Salman en France. À l’initiative du président de la commission royale
d’Al-Ula, Badr bin Farhan al-Saud, un proche de MBS, alors à la tête du
Saudi Research and Marketing Group, la soirée prévoyait plusieurs
concerts et performances artistiques. Havas justifie la nouvelle image
qu’entend imposer le royaume : « Pour la première fois en France, il a
été question d’autre chose que de ventes d’armes lors d’une visite d’un
dirigeant saoudien. C’était cela l’objectif d’autant que, en réalité, les
ventes d’armes ne représentent pas grand-chose. Ce sont des reliquats de
contrats, mais cela a permis de lancer le projet Al-Ula, sorte de Pétra à la
saoudienne. » L’agence a également organisé l’exposition Al-Ula à
l’Institut du monde arabe en présence de Jack Lang, des ministres de la
Culture français et saoudien et de plus de 500 invités. Ce travail ne
nécessite pourtant pas un investissement quotidien pour l’agence : « Il y
a des équipes qui travaillent ponctuellement quand le prince vient en
France, quand il y a des événements particuliers à organiser, mais ce
n’est pas un boulot à plein temps. C’est du travail régulier, mais pas
comme pour un client classique », explique un cadre. En interne,
personne ne cache que l’affaire Khashoggi n’a pas facilité la gestion de
l’image réformatrice du royaume : « Évidemment que ça complique les
choses ! On est restés dans l’idée que même dans les situations
imparfaites notre rôle est d’accompagner ceux qui faisaient bouger les
lignes plutôt que d’être dans la dénonciation. Notre vocation c’est
d’accompagner la transformation du pays. Évidemment, il y a des débats
sur cette transformation. Si cela s’était passé en Iran, on soutiendrait les
réformateurs dans leur communication. » Parfois l’accompagnement des
« réformateurs » peut prendre un tour plus subtil, comme l’a fait
remarquer la lettre spécialisée sur le renseignement Intelligence Online
lors de la sortie de la biographie de MBS écrite par la journaliste
Christine Ockrent, qui siège au conseil d’administration d’Havas.

Image 7 : de la fondation Misk au ministère des Affaires


étrangères saoudien ;
Steele and Holt, le recyclage des communicants

L’agence d’Anne Méaux, Image 7, est considérée comme l’une des


plus influentes du secteur, en vertu d’une transversalité qui lui permet
d’englober les milieux aussi bien industriels que politiques. Outre la
communication du ministère de la Défense alors dirigé par MBS au
moment de l’opération Tempête décisive, Image 7 a effectué des
missions pour Misk, fondation à but non lucratif pour la jeunesse
saoudienne. « On a fléché un certain nombre d’actions autour de la
jeunesse : champ académique, cartographie des écoles en France qui
pourraient accueillir les jeunes générations saoudiennes sur ce qui les
intéresse. Par exemple dans le tourisme, on leur avait présenté l’institut
Paul Bocuse. Les diplômés cherchaient des stages dans des grandes
entreprises françaises. On avait travaillé là-dessus. On leur avait
également conseillé de venir à Vivatech parce que les Saoudiens ont
envie de pénétrer l’écosystème de la tech française », confie un
responsable d’Image 7. D’après nos informations, l’agence assurerait
également ponctuellement la communication du ministère des Affaires
étrangères saoudien, dirigé aujourd’hui par le prince Faisal ben Farhan,
ancien conseiller de MBS, dont l’une des missions serait de restaurer
l’image du royaume à l’étranger. Par ailleurs, Image 7 dépasse parfois le
simple rôle d’agence de conseil en communication. Quand les grosses
agences cloisonnent leurs clients, Anne Méaux aime au contraire jouer
les intermédiaires entre eux – dont font partie notamment l’homme
d’affaires Iskandar Safa et le groupe hôtelier Accor, tous deux implantés
en Arabie saoudite. Enfin, la Fondation Misk Talk France 82 créée par
MBS soutient le Women’s Forum de Deauville.
Créée en 2013 par Sylvain Fort, l’agence Steele & Holt représente,
en France, le ministère des Médias et de la Communication de l’Arabie
saoudite. Le rôle de l’agence est notamment de permettre à des
journalistes français de se rendre en Arabie saoudite pour la couverture
d’événements culturels. Sylvain Fort, via une filiale de la Caisse des
dépôts qu’il a pour cliente, négocie la création d’un fonds
d’investissement commun avec le prince saoudien Al-Walid. Devenu
plus tard la plume d’Emmanuel Macron, il est présenté comme l’un des
importants go-betweens entre les deux pays. Plus récemment, la
conseillère en communication de Jean Castex, Mayada Boulos, exerçait
des fonctions identiques chez Havas.

Richard Attias, le pape de l’événementiel saoudien

Artisan du succès du Forum de Davos, le club de rencontre des élites


mondiales, Richard Attias est devenu avec le temps le véritable pape de
l’événementiel en Arabie saoudite. L’ancien responsable de Publicis
Events a littéralement transposé le concept du Forum de Davos pour
créer un forum du désert, le Future Investment Initiative, en Arabie
saoudite. Son agence Richard Attias & Associates 83, créée en 2008 et
qu’il codirige avec Cécilia Attias (ex-Sarkozy), a considérablement
renforcé ses activités depuis que Mohammed ben Salman est devenu le
prince héritier. En 2019, Richard Attias & Associates réalisait les deux
tiers de ses affaires au Moyen-Orient. Selon Challenges, l’agence a reçu
un chèque supérieur à 30 millions d’euros pour l’organisation de
l’édition 2017 du « Davos du désert », portant le chiffre d’affaires total à
50 millions d’euros. Fin 2019, une agence de presse saoudienne
spécialisée dans l’actualité économique révélait qu’un fonds souverain
saoudien, Sanabil Investments, allait entrer à hauteur de 49 % au capital
de la société Attias. Sanabil est détenu entièrement par le fonds public
d’investissement du gouvernement d’Arabie saoudite, dirigé par Yasir al-
Rumayyan, bras financier de MBS. Une prise de participation qui fait
presque de l’agence de Richard Attias l’agence officielle du royaume. En
août 2020, l’intéressé confirmait l’information dans une longue interview
donnée à Arab News, site d’information saoudien. Il présente la prise de
participation de la filiale du Public Investment Fund comme une
opportunité « de construire ensemble un champion, non seulement dans
le royaume et dans la région, mais une entreprise qui pourrait devenir un
champion mondial dans le domaine de la stratégie, de la communication
et de l’événementiel. C’est ainsi que les choses sont nées. […] Je ne suis
pas en Arabie saoudite par hasard… Le royaume d’Arabie saoudite a
choisi notre entreprise il y a près de vingt ans, alors que j’étais fondateur
et PDG de Publicis Events Worldwide. C’était la première fois que la
Sagia (l’Autorité générale des investissements saoudiens) envisageait
d’organiser et d’accueillir une conférence commerciale internationale, le
Global Competitiveness Forum (GCF), que j’ai lancé il y a des années à
Riyad ». En Arabie saoudite, l’agence Attias, qui dispose d’une vingtaine
d’employés sur place, est dirigée par Rakan Tarabzoni, jusqu’alors
responsable de la communication du Public Investment Fund. L’agence
est impliquée dans l’organisation de la plupart des événements
d’envergure internationale qui se déroulent dans le royaume. Covid
oblige, le Future Investment Initiative (le « Davos du désert ») – qui
devait se tenir en octobre 2020 – a été repoussé au début de l’année
2021. Richard Attias a été nommé directement PDG de cet événement
par un décret royal au cours de l’année 2020. C’est lors de l’un de ces
forums que MBS s’était livré à des blagues douteuses sur le kidnapping
du Premier ministre libanais Saad Hariri, retenu contre son gré quelques
mois plus tôt. À cette occasion, Saad Hariri avait nié les allégations selon
lesquelles il aurait été retenu de force. L’ancien Premier ministre libanais
ajoutait avec le sourire que sa présence à Riyad ne susciterait pas de
nouvelles « rumeurs d’enlèvement » 84.
Organisé avec la fondation Misk, le Davos du désert cherche chaque
année à attirer des « pointures » politiques et économiques du monde
entier pour des débats « passionnants » sur l’avenir du « Global
Business ». Si la première édition en 2017 avait annoncé pléthore
d’invités prestigieux, parmi lesquels l’ancien Premier ministre anglais
Tony Blair, la patronne du FMI Christine Lagarde, les PDG de certaines
des plus grandes entreprises américaines et l’ex-président français
Nicolas Sarkozy, la seconde édition, à l’automne 2018, largement ternie
par l’affaire Khashoggi, a failli tourner au fiasco. Le secrétaire d’État
américain au Trésor, le patron de la Banque mondiale, les PDG de Ford,
Uber ou J.P. Morgan, et nombre d’autres invités ont préféré se faire
porter pâle. Côté français, outre Bruno Le Maire, ministre de
l’Économie, Jean-Bernard Lévy (EDF), Patrice Caine (Thales), Jean
Lemierre (BNP Paribas) et Frédéric Oudéa (Société générale) se sont
également désistés. Mais en 2019 l’affaire Khashoggi était presque déjà
oubliée. Les élites mondiales étaient présentes à la troisième édition du
« Davos du désert » : Thierry d’Argent (Société générale), Sébastien
Bazin (Accor), Jacques Attali (Positive Planet), Patrice Caine (Thales),
Alain Papiasse (BNP), Chris Dercon (Grand Palais), Julien Pouget
(Total), Bruno Bensasson (EDF), Eduardo D. Puerta (Airbus), et
François Fillon, qui représente le fonds Tikehau Capital, pour lequel il
travaille depuis son retrait de la vie politique.
Un simple détour par le site de la société de Richard Attias permet de
se rendre compte que l’Arabie saoudite est devenue terre d’accueil des
salons et forums internationaux de tous genres : Riyadh Global Digital
Health Summit, Global AI Summit, Global Cybersecurity Forum, Misk
Global Forum, Future Investment Initiative, Fashion Futures, etc. La
société a également été très impliquée dans l’organisation du G20
accueilli par Riyad en novembre 2020. Mais Covid aidant, le succès
médiatique de ce G20 virtuel a été virtuel, donc un peu décevant pour la
politique de communication du royaume.

Les réseaux saoudiens en France

Si la stratégie d’influence de l’Arabie saoudite en France n’a pas


l’envergure de celle du Qatar, le royaume peut malgré tout compter sur
ses soutiens quand il s’agit de promouvoir les réformes en cours. Le
président Sarkozy, qui, lors de son quinquennat, a tissé des liens étroits
avec l’émir du Qatar, est devenu un défenseur de MBS depuis sa retraite.
En 2017, il participait au Future Investment Initiative et avait alors été
reçu par MBS. Nicolas Sarkozy est membre du conseil d’administration
du groupe Accor, dirigé par Sébastien Bazin, le premier opérateur
hôtelier du royaume. Dans un entretien donné au Point en
novembre 2018, après le meurtre de Jamal Khashoggi, l’ancien président
français s’était limité à dire : « Ce n’est pas le MBS que je connais. »
Lors de sa participation au « Davos du désert », il avait fait l’éloge de
son hôte : « C’est un moment historique […]. La population
[saoudienne] est jeune et le prince est jeune […]. Le roi et le prince
héritier œuvrent à des changements économiques et sociaux en même
temps. »
L’assassinat du journaliste saoudo-américain a fait apparaître des
fissures dans ce concert de courtisans. Le groupe interparlementaire
d’amitié France-Pays du Golfe du Sénat a été obligé de faire connaître
son mécontentement en publiant un communiqué appelant à « une
enquête crédible pour identifier les responsables » du meurtre. Présidente
du groupe d’amitié, la sénatrice Nathalie Goulet assumait, elle, son
soutien au régime saoudien. En 2016, elle avait organisé un colloque sur
« les nouveaux visages de l’Arabie saoudite » en présence de
l’ambassadeur et de défenseurs convaincus du régime, véritable
opération séduction. Diplomates, politiques, économistes, militaires, les
dignitaires n’ont pas lésiné pour vanter les mérites d’un pays « en
mutation », comme l’a souligné l’ambassadeur en France, Khalid al-
Ankary : « L’Arabie saoudite véhicule beaucoup d’idées reçues, il nous
revient de les combattre. » Dans des interviews qui ont suivi ses visites
en Arabie 85, la sénatrice vante également l’efficacité des programmes de
déradicalisation locaux, oubliant qu’il est plus facile de transformer un
salafiste en wahhabite qu’en démocrate.
Des parlementaires français sont régulièrement invités par le
royaume, parfois avec la plus grande discrétion : la direction des
relations internationales du Sénat avait tenu secret le voyage au Yémen
de 2018 destiné à visiter les opérations humanitaires saoudiennes. C’est
sur Facebook que le sénateur Hervé Maurey donne des détails sur la
visite : « Durant vingt-quatre heures, mes collègues et moi sommes allés
au Yémen avec l’ambassadeur de France, actuellement réfugié à Riyad…
Aucune délégation de parlementaires ne s’était jamais rendue dans ce
pays depuis qu’il est en guerre. Le Yémen connaît l’un des plus grands
drames humanitaires actuels. Nous avons pu visiter un hôpital qui
accueille des blessés amputés par des mines antipersonnel, des camps de
réfugiés, mais aussi rencontrer des enfants enrôlés dans les milices
houthies, les autorités locales et militaires. Quelques heures riches
d’émotions et d’enseignements sous haute protection. » Le député
LREM Fabien Gouttefarde sera un peu plus mesuré : « Si nous sommes
conscients que ce que nous avons vu n’est qu’un reflet partiel de la
réalité et du conflit yéménite, je ressors convaincu de l’impérieuse
nécessité du libre accès à l’aide humanitaire internationale partout sur le
territoire, de la nécessité de faire respecter les règles du droit
international humanitaire, notamment dans la manière dont les
belligérants font la guerre. » Il se montrera encore plus sceptique
quelques mois plus tard quand il se rendra compte que les zones
sanctuarisées ont finalement subi des attaques : « Ils nous ont montré sur
un écran des zones qui sont, soi-disant, sauvegardées et sanctuarisées,
comme les hôpitaux et les écoles, raconte le député. Le problème, c’est
que tout ça, quelques mois après, a été contredit par des frappes sur des
bus scolaires notamment 86. »
Parmi les parlementaires européens, on retrouve des personnalités
connues comme Michèle Alliot-Marie et Rachida Dati (ni l’une ni l’autre
n’ont répondu à nos questions). Toutes deux membres du groupe
parlementaire dédié aux relations avec la péninsule Arabique, elles se
sont opposées à toutes les résolutions du Parlement européen visant à
faire cesser les ventes d’armes au royaume. L’ancienne ministre de la
Défense y préside la délégation pour les relations avec la péninsule
Arabique. En 2014, Alliot-Marie a déposé un amendement au « Rapport
de 2014 sur la situation des droits de l’homme » proposant de retirer
l’Arabie saoudite de la liste des pays où était constatée « une
augmentation marquée des exécutions ». En 2018, elle a également voté
contre une résolution qui condamnait la situation des femmes en Arabie
saoudite et l’arrestation de plusieurs militantes et militants féministes.
Elle considérait alors comme « déséquilibrées » les résolutions prises à
l’égard de l’Arabie saoudite et de l’Iran, également concerné par cette
résolution. Un avis partagé par Rachida Dati, qui votera également
contre. Pourtant, quelques années auparavant, celle-ci s’était montrée
très sévère avec le régime saoudien, estimant que l’Europe n’était pas
assez ferme, qualifiant de « barbarie » la condamnation du jeune chiite
Ali al-Nimr. Elle changera de ton après avoir été invitée à Riyad par les
autorités saoudiennes pour discuter de son travail parlementaire sur le
terrorisme et la prévention de la radicalisation. Selon son responsable des
relations presse : « Les autorités saoudiennes ont réaffirmé leur plein
engagement dans la lutte contre le terrorisme en criminalisant ceux qui
fournissent des armes de destruction massive, le soutien financier à des
organisations terroristes, et en mettant en place des centres de conseil, de
prise en charge et de suivi de la déradicalisation. Toutes ces initiatives
confirment le rôle stratégique joué par ce pays. »
Le PDG du magazine Valeurs actuelles, Iskandar Safa, a pu profiter
lui aussi des opportunités saoudiennes. Propriétaire depuis 1992 du
chantier naval CMN, il a reçu le chef d’état-major de la marine
saoudienne à Cherbourg en juillet 2019 pour célébrer la livraison au
royaume de deux HSI 32, des intercepteurs de trente-deux mètres, pour
un total de 600 millions d’euros. La députée de la circonscription, Sonia
Krimi, ne figurait pas sur la liste des invités. « C’est soit un oubli, soit
une punition », dit-elle alors. L’élue est pourtant vice-présidente du
groupe d’amitié France-Arabie saoudite à l’Assemblée nationale et
membre de la commission de la défense de l’Assemblée parlementaire de
l’Otan. Mais ses dénonciations du conflit au Yémen lui ont valu d’être
écartée de la cérémonie. Iskandar Safa, dont les conseils en
communication sont assurés par le cabinet Image 7, est connu en Arabie
saoudite, où il a dirigé un chantier d’aérodrome militaire dans les
années 1980 avant de travailler pour le prince saoudien Metaab bin
Abdullah bin Abdulaziz al-Saoud, chargé du redressement de la chaîne
hôtelière Novapark. Mais ses réseaux saoudiens semblent faire partie des
victimes de la purge orchestrée par MBS lors de sa prise de pouvoir.
Si Riyad a longtemps été indifférent à son image publique, le pouvoir
a clairement décidé de sonder les élites internationales pour en savoir
plus sur ce qu’elles pensent de son évolution politique. Après avoir testé
les parlementaires et journalistes français, comme l’avait révélé Le
Monde du 8 juin 2019, l’Arabie tente d’évaluer son image dans les
milieux universitaires. Plusieurs spécialistes du monde arabe ont ainsi été
interrogés par Ronin International, selon La Lettre A de décembre 2019.
Ce cabinet d’études basé à Londres avait déjà été mobilisé par Riyad sur
la précédente enquête. Les propositions d’entretien téléphonique d’une
trentaine de minutes sont présentées comme des questionnaires sur « la
façon dont l’islam en Arabie saoudite » serait perçu. Si l’on en croit le
guide d’entretien, les clients cherchent avant tout à « déterminer quelle
position ces élites adopteraient par rapport à un islam modéré, examiner
ce qu’elles entendent elles-mêmes par cette notion et enfin savoir si elles
soutiendraient un projet en faveur de ce courant de pensée au sein du
royaume d’Arabie saoudite ». Les universitaires questionnés par
téléphone sont invités à se prononcer sur l’évolution du pays ces trois
dernières années, depuis l’arrivée au pouvoir de MBS. Ils sont également
priés d’évaluer l’image de Riyad en Europe, de livrer leur perception de
l’islam pratiqué dans le royaume et de mesurer l’influence des
mouvements extrémistes. On leur laisse envisager l’hypothèse de jouer
les conseillers du prince en livrant leurs préconisations pour un islam
modéré. Des panels sont effectués sur LinkedIn pour repérer les
influenceurs à interroger. Les universitaires qui acceptent de répondre
aux questions peuvent recevoir un chèque-cadeau de 90 euros et sont
assurés de la garantie du respect de la confidentialité de l’étude. D’après
nos informations, la conception de cette étude a été confiée à Victory
Research, un important institut sud-africain spécialisé dans les études
d’opinion internationales. Des enquêtes similaires seraient menées dans
d’autres pays européens. Le cabinet aurait lui-même été mandaté par
Pure Consulting, une société de conseil saoudienne cofondée par Khalid
Shakhshir et Hesham Rowaihy, qui compte de nombreux ministères du
régime parmi ses clients. Le commanditaire final de l’étude est
l’organisme chargé de mettre en œuvre le programme Vision 2030 porté
par Mohammed ben Salman.
Le royaume recrute également dans les milieux d’influence parisiens.
En 2019, c’est Jacques Attali qui fait le déplacement pour le « Davos du
désert ». Il ferait partie des quelques personnalités que le prince héritier
d’Arabie saoudite consulterait ponctuellement « en matière de
géopolitique, d’économie et de relations internationales », comme l’a
précisé à Challenges une source anonyme (Jacques Attali n’a pas
répondu à nos questions). Il intervient régulièrement lors de forums
thématiques organisés par la fondation Misk.
Le livre de Christine Ockrent Le Prince mystère de l’Arabie saoudite.
Mohammed ben Salman, les mirages d’un pouvoir absolu sort quelques
jours à peine après l’assassinat de Jamal Khashoggi, avec une préface
rapidement mise à jour. Intelligence Online note que le livre ne « devrait
pas déplaire à Havas », également propriété du groupe Vivendi. Livre
bien écrit qui se lit aisément, mais n’apporte strictement aucun éclairage
nouveau.
Dans son livre Ces Français au service de l’étranger, Clément Fayol
écrit : « L’universitaire Gilles Kepel, qui jouit d’une aura importante
dans le monde arabe pour sa supposée proximité avec Emmanuel
Macron, fait partie de ceux qui ont rencontré le prince héritier en tête à
tête lors de sa visite d’État de 2018 87. » Sans donner plus de détails, il
évoque également une rencontre entre le philosophe Bernard-Henri Lévy
et l’ex-ministre des Affaires étrangères saoudien Adel al-Jubeir au début
de l’année 2020.
La médaille revient à un célèbre publiciste français qui révèle le
« plan secret turc » dans l’affaire Khashoggi : Alexandre Adler,
bénéficiaire d’un contrat depuis mai 2018, n’hésite pas à prendre sa
plume dans FigaroVox le 26 novembre 2018 :

Questions sur l’affaire Khashoggi

« La légitime émotion suscitée par le meurtre de l’opposant saoudien n’interdit pas


d’envisager toutes les hypothèses explicatives.
“Audiatur et altera pars”, il faut toujours entendre la partie adverse. Tel n’est pas le
cas dans le très spectaculaire assassinat de Khashoggi qui a déclenché une crise de
dimension quasi mondiale autour de l’Arabie saoudite et à présent de la personnalité du
chef de son exécutif, le prince héritier Mohammed Ben Salman […]. Il s’agit là d’une
question très sérieuse, car tout observateur non bourré de préjugés peut juger du
caractère sombre et complexe de l’affaire. Et tout d’abord le problème du “testis
nullus”, du témoignage nécessairement annulé par son caractère unique : on nous l’a
répété à l’envi, toutes les révélations bien exactes sur le meurtre commis contre
Khashoggi dans l’enceinte du consulat général d’Arabie saoudite à Istanbul ne
proviennent que d’une seule source, les services secrets turcs […]. Pour le dire comme
nos confrères américains qui aiment cette expression : “If you believe Erdogan, you can
believe everything.” Pourtant, il semble que, dans ce cas d’exception, la confiance la
plus totale soit accordée à Erdogan. Certes, la véracité des témoignages immédiats des
services turcs, et de leur impressionnant déploiement d’une machinerie sophistiquée au-
dehors et à l’intérieur du consulat saoudien, ne fait aucun doute. Pour le reste, le prince
héritier MBS et son très fidèle collaborateur, le ministre des Affaires étrangères Joubeir,
ont choisi de ne pas tergiverser, de reconnaître la responsabilité de l’État saoudien dans
le meurtre et de présenter des excuses publiques à l’un des frères de la victime. Reste à
déterminer si le prince héritier, que l’on présente volontiers sans preuves comme
l’instigateur de ce meurtre, est non seulement impulsif comme l’écrit souvent la presse,
mais aussi complètement idiot et adepte de l’improvisation […]. Nous avons même
l’impression que les véritables auteurs de ce meurtre ont compulsé toute la tradition des
faux assassinats dans le monde musulman pour tomber sur le précédent de 1966, [de] la
malheureuse affaire Ben Barka […]. Tout le reste, bien entendu, demeure purement
conjectural, ce qui ne devrait pas empêcher de se poser quelques questions. Les allées et
venues de Khashoggi à Istanbul étaient connues en Arabie saoudite et de beaucoup de
gens qui […] avaient toutes les raisons d’exercer une vengeance exemplaire contre
MBS. On ne songe pas ici aux dirigeants du Qatar qui commençaient à négocier
sérieusement une trêve salutaire avec le royaume saoudien. Par contre, il ne fait aucun
doute que les mesures progressistes organisées par le tandem MBS-Joubeir impactaient
directement la nébuleuse des opposants à la véritable perestroïka saoudienne. Ce sont
eux qui se réjouissent […] des malheurs du prince héritier et souhaitent imposer un
coup d’arrêt à ses réformes. Un dernier mot […]. Il n’est pas nécessaire de supposer
que les Turcs aient su davantage les raisons qui ont motivé leur vigilance surmultipliée
des trois jours précédents […]. Il est au moins légitime d’explorer plus avant la réalité
de ce montage. C’est ce que n’ont pas fait les ennemis déclarés de la politique de MBS
parmi lesquels il faut compter Donald Trump et son affidé Pompeo qui ont multiplié les
mises en cause arbitraires alors même que le président américain ne cessait d’exhorter
auparavant Riyad à se réconcilier le plus vite possible avec le Qatar. Le Qatar et la
Confrérie des Frères musulmans, qui s’en est émancipée en s’installant en majesté en
Turquie chez Erdogan, avec son leader historique le milliardaire égyptien Khairat
Shater, n’ont-ils pas intérêt plus encore que tous les autres à effacer les insuccès qu’ils
ont enregistrés ces dernières semaines ? Ceux-ci sont tous imputables à la politique,
prudente celle-là, du prince héritier MBS et de son Premier ministre Joubeir [sic], qui
vient de mener la commission d’enquête qui conclut la première partie de cet
extraordinaire feuilleton. Oui, bien sûr, souhaitons instamment que le débat devienne
enfin contradictoire.

Le 15 novembre 2018, l’Arabie saoudite avait officiellement reconnu


l’assassinat dans le consulat saoudien d’Istanbul, le 17 novembre la CIA
désignait nommément MBS, ce qui n’avait visiblement pas convaincu
notre bonimenteur. Mais Alexandre Adler en savait plus… comme
d’habitude ! Le rapport de la CIA accusant MBS vient d’être publié, et
on attend la réaction du journaliste parisien.

Livres pédagogiques contre livres critiques

Sihem Souid publie L’Arabie saoudite, ce pays méconnu en


avril 2016 88. L’agence Edile Consulting, qu’elle a fondée, a pour client
l’Arabie saoudite (en plus du Qatar) et doit faire le lien entre
l’ambassadeur saoudien, les patrons de presse français et les journalistes
chargés du Proche-Orient. Une fonction qu’elle n’assurera pas très
longtemps : « J’ai fait connaissance avec eux lors de la fête nationale.
J’ai écrit un mini-livre, qui est équilibré, ce n’est pas de la propagande
saoudienne. J’ai arrêté au bout de trois-quatre mois. Quand on travaille
pour les Saoudiens, il faut être aux ordres. C’était 5 000 euros par mois.
Ce n’est rien pour eux, Publicis ou Havas c’est plusieurs millions
d’euros », affirme-t-elle. L’ouvrage parle de « victoire de l’Arabie
saoudite à la commission des droits de l’homme à l’ONU », alors que le
Parlement européen venait juste d’ajouter le pays à la liste noire des
États finançant le terrorisme.
Parmi les autres livres à visée éducative, on citera celui de Fatiha
Dazi-Héni, L’Arabie saoudite en 100 questions 89, un livre d’instruction
civique. Les questions 101, 102 et 103 sur une éventuelle opposition
saoudienne à l’étranger, sur les enlèvements à l’étranger, la disparition de
supposés traîtres, ou sur les conseillers proches de MBS qui ont mené
l’opération Khashoggi n’ont malheureusement pas été traitées.
Ou celui de François-Aïssa Touazi, Le ciel est leur limite, publié
en 2014 aux Éditions du moment.

Synopsis du livre de Touazi

Les pays du Golfe sont l’objet de tous les fantasmes et de toutes les convoitises.
Ces dernières années, leur formidable montée en puissance a placé au centre de la carte
du monde cette région en plein essor. Les leaders économiques de la péninsule
Arabique s’imposent partout, en Europe et en Asie, en Amérique du Nord comme en
Afrique, et dans de nombreux domaines : de la finance au sport, en passant par
l’industrie, l’immobilier, les transports, les nouvelles technologies, les médias… Leurs
fonds souverains, dotés d’une capacité financière sans pareille, se sont hissés au rang
d’acteurs majeurs du capitalisme mondial. Aujourd’hui cette région est non seulement
pleinement entrée dans l’histoire, mais elle compte bien l’écrire à son tour. Ce miracle,
elle le doit à ses dirigeants d’entreprise, aux ambitions et aux moyens considérables, à
ses puissantes familles, à la tête de conglomérats tentaculaires, et à ses nouvelles
générations, formées dans les meilleures universités du monde. Ils incarnent le Golfe
émergent. Dans cette partie du globe marquée par un environnement géopolitique
instable et confrontée à de nombreux défis, un mouvement mûrement réfléchi de
diversification économique, amorcé dans les années 1980, s’accélère dans l’optique de
réussir l’après-pétrole et faire de la région un des moteurs de l’économie mondiale. Qui
sont ces hommes, et ces femmes aussi, qui, de Riyad à Doha, de Dubaï à Djedda, en
passant par Abou Dabi et Koweït City, dessinent l’avenir de leur région, parmi les plus
bouillonnantes et influentes ? C’est à la découverte de ces dirigeants, de leur pouvoir et
de leurs stratégies, que ce livre vous invite.

Ces publications visent à contrer des livres de témoignages vécus qui


se multiplient :
— Jean Bressot, Arabie séoudite, la dictature protégée, Albin
Michel, 1995, écrit sous le pseudonyme Jean-Michel Foulquier, livre en
forme de règlement de compte après le fiasco du voyage de Balladur en
janvier 1994 et son limogeage ;
— Pascal Ménoret, L’Énigme saoudienne, La Découverte, 2003 ;
— Lucie Werther, Journal d’une Française en Arabie saoudite, Plon,
2005 ;
— Rajaa Alsanea, Les Filles de Riyad, Pocket, 2012. Publié au Liban
en 2005, le livre a d’abord circulé sous le manteau en Arabie saoudite.
Pour la première fois, une romancière aborde le sujet tabou des relations
des filles avec leur fiancé, leur mari, la façon dont elles peuvent vivre
leur(s) amour(s) sans transgresser la loi ;
— Raif Badawi, 1 000 coups de fouet parce que j’ai osé parler
librement, Éditions Kero, 2015 ;
— Hamadi Redissi, Le Pacte de Nadjd. Ou comment l’islam sectaire
est devenu l’islam, Seuil, 2007 ;
— Jacques-Jocelyn Paul, Arabie saoudite. L’incontournable,
Riveneuve, 2016 (le plus documenté) ;
— Pierre Conesa, Dr Saoud et Mr. Djihad. La diplomatie religieuse
de l’Arabie saoudite, Robert Laffont, 2016 (préface d’Hubert Védrine) ;
— Ensaf Haidar, Mon combat pour sauver Raïf Badawi, Éditions de
l’Archipel, 2016 ;
— Clarence Rodriguez, Arabie saoudite 3.0. Paroles de la jeunesse
saoudienne, Éditions Érick Bonnier, 2017.
Mail reçu par la maison Robert Laffont pour
acheter les droits en arabe du livre Dr Saoud et
Mr. Djihad

De : Eman Salem [mailto : Eman.Salem@algasim.com]


Envoyé : lundi 26 septembre 2016 11:58
À : Edzard.Benita ; Temmam.Judith
Objet : Rights - Arabic edition of “Dr Saoud et Mr. Djihad”

Dear sir/madam,
We are glad to inform you that we, at The Arabian Establishment For Thought and
Innovation, would like to request your consent for granting us the rights of the Arabic
edition of your published book, see details below:
Title: Dr Saoud et Mr. Djihad.

We mainly aim in this project at acquainting Arab readers to this important work. Our
print run gives you an idea of the limited distribution; it is almost confined to
intellectuals and highly educated, the intended print run is 2 000 copies for each title,
unless you wish otherwise.
You are kindly requested to furnish us with your terms, so that we can establish a
fruitful relationship to our mutual benefit. We are looking forward to hearing from you.
Regards,

Eman Salem, Secretary

AlGasim Zamakhchary Law Firm & temporary working for The Arabian Establishment
For Thought and Innovation
Eman.salem@algasim.communication : www.algasim.com

Comme il était impossible de trouver quoi que ce soit sur ce


miraculeux éditeur qui souhaitait acheter le livre et qui aurait pu en
limiter le tirage à 2 000 exemplaires sur l’ensemble du monde arabe,
l’offre a été déclinée. Le livre a depuis été publié aux États-Unis et au
Liban.

L’influence sur l’islam de France


Les grands médias et les politiques s’intéressent aux influences
étrangères après des événements particulièrement tragiques : Mohamed
Merah en mars 2012, Charlie Hebdo en janvier 2015 ou les attentats de
Paris en novembre de la même année. Une analyse resserrée ou plus
circonstanciée d’une possible influence étrangère, à partir des rapports
entretenus avec l’Arabie saoudite, prend son sens.
Dès l’arrivée et la sédentarisation des primo-migrants musulmans en
France après les indépendances, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et la
Turquie furent les principaux acteurs de politiques visant à contrôler les
activités de leurs ressortissants et à s’assurer de leur loyalisme. L’Arabie
saoudite, sans diaspora établie, a cependant toujours bénéficié d’un
capital symbolique, rente de situation dont elle profitera encore sans
doute longtemps. Le royaume des Saoud fait figure de pays musulman
par excellence, en raison de la présence sur son sol des deux lieux les
plus saints de l’islam, La Mecque et Médine, essentiels dans l’imaginaire
musulman. Ce crédit symbolique, en dehors de la manne financière du
pétrole, est extrêmement précieux. C’est pourquoi, même si l’Arabie
apparaît moins centrale que d’autres pays dans l’islam de France, elle
n’en reste pas moins omniprésente, à travers la gestion du pèlerinage à
La Mecque. Cela permet ainsi de mieux lire les résultats de « la mission
d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’islam en
France et de ses lieux de culte 90 », menée par le Sénat en 2016. Si les
communautés musulmanes françaises et/ou de France bénéficient surtout
de l’apport de pays d’origine, et nettement moins de celui des pays du
Golfe, Qatar et Arabie saoudite en particulier, cela ne veut pas dire que
les marges de manœuvre du régime saoudien soient nulles. Les
rapporteurs de la mission sénatoriale donnent le chiffre de 3,8 millions
d’euros depuis 2011 en provenance d’Arabie, loin derrière le Maroc
(6 millions), mais devant l’Algérie (2 millions), qui totalisent à eux seuls
et pour le seul exercice 2016 huit millions d’euros. Par contre, c’est
l’Arabie qui enverra un émissaire en Europe, un certain Saïd Ramadan
(1926-1995), père de Tariq, une des principales figures tutélaires des
Frères musulmans en Europe, soutenu et financé par le royaume
saoudien, construire le Centre islamique de Genève, élément clé dans la
création de la Ligue islamique mondiale.
À l’échelle mondiale, l’Arabie saoudite aurait mobilisé entre 1975
et 2005 plus de 85 milliards de dollars pour étendre son influence
internationale et son rayonnement religieux. Cette politique s’appuie
essentiellement sur des intermédiaires et peu sur une présence physique
sur le terrain. La diplomatie religieuse de l’Arabie a pour vocation
exclusive de diffuser la version wahhabo-salafiste de l’islam tout en
préservant l’image de la dynastie. Les traductions du Coran labellisées,
seules acceptables par les autorités religieuses saoudiennes et diffusées
gratuitement, passent pour parfaitement recevables aux yeux des
musulmans pratiquants, qui rarement s’interrogent sur leur teneur.
Sanctifier le pays des lieux saints de l’islam, et faire que toute critique
contre le régime soit qualifiée de critique contre l’islam, voire
« d’islamophobie », est l’argument récurrent, comme on le verra lors de
l’affaire Khashoggi.
L’islam français est un marché fortement concurrentiel, traversé à la
fois par des forces centrifuges et centripètes, ponctué de conflits. Depuis
qu’il a éclos au début des années 1980, il a vu agir une multiplicité
d’intérêts, d’individus, d’organisations et d’États tiers, en compétition
pour l’expression de la parole légitime de la religion, et de tentatives de
délégitimation des adversaires. Un rapide état des lieux le confirme.
Jocelyne Césari a présenté au début des années 2000 un tableau 91 des
principaux courants et associations de l’islam français : la Fédération
nationale des musulmans de France (FNMF) fondée en 1985 ; la
Mosquée de Paris (GMP) inaugurée en 1926 ; la mosquée Ad-Da’wa,
dirigée par le recteur Larbi Kechat, fondée en 1969 ; la Fédération
française des associations islamiques d’Afrique, des Comores et des
Antilles (FFAIACA) ; le Comité musulman des Turcs français (CMTF),
etc. Aujourd’hui, en résumé, on compte les principales fédérations
musulmanes suivantes : Comité de coordination des musulmans turcs de
France (CCMTF) ; Confédération islamique Millî Görüs (CIMG
France) ; FFAIACA ; Fédération invitation et mission pour la foi et la
pratique ; Fédération nationale de la Grande Mosquée de Paris
(FNGMP) ; FNMF ; Musulmans de France ; Rassemblement des
musulmans de France (RMF) ; Union des mosquées de France (UMF) ;
Mosquée de Saint-Denis de La Réunion (AISD). Jocelyne Césari analyse
également les principaux courants : le Tabligh, piétiste et prosélyte,
fondé en 1927 en Inde, et le salafisme, qui s’est fortement développé à
partir de 1995 grâce au concours de deux acteurs principaux, le cheikh
Abdelhadi à Nanterre et le cheikh Abdelkader à La Duchère, quartier
populaire de la banlieue lyonnaise. À cette époque, et encore très
largement aujourd’hui, les référents religieux et théologiques sont
saoudiens : l’ancien mufti d’Arabie saoudite, Abdel Aziz ibn Baz (1910-
1999) et Naçr al-Dîn al-Albâni (1914-1999), Syrien d’origine albanaise
qui enseigna à l’université islamique de Médine dans les années 1960. Le
champ islamique français actuel est dominé par le frérisme et le
salafisme, deux doctrines ou idéologies religieuses qui considèrent la
religion comme prescriptrice de solutions morales et politiques à
l’individu et à la société, quelle qu’en soit la nature. L’islam serait plus
qu’une affaire de conscience individuelle et qu’une affaire privée, et
plutôt une mobilisation de tous les instants pour faire vivre et diffuser
sans répit la parole de Dieu, généralement de manière pacifique, mais
résolument prosélyte.
Au Conseil français du culte musulman, créé en 2003-2004 avec le
concours actif de plusieurs personnalités politiques de tous bords,
s’ajoute la Fondation des œuvres de l’islam de France, devenue en
2015/2016 la Fondation de l’islam de France, créée par François
Hollande et dirigée d’abord par Jean-Pierre Chevènement (2016-2018),
puis par Ghaleb Bencheikh à partir de 2018. La croyance déclarée ou
tacite des cercles dirigeants français voudrait que le terrorisme soit
forcément lié d’une part à l’absence d’une autorité religieuse centrale,
régulatrice des pratiques, et d’autre part au financement étranger.
L’émergence des deuxième et troisième générations de musulmans
sur la scène publique française, sur fond d’inflation des chaînes
satellitaires confessionnelles et d’Internet à la fin des années 1990, a
accru cette fragmentation. Dans les années 1970 et jusqu’à la fin des
années 1980, le champ islamique français clairsemé est progressivement
marqué par une empreinte frériste, néofrériste ou, a minima,
conservatrice. Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans
égyptiens, ses sympathisants et continuateurs conçoivent l’islam de
manière communautaire, ce qui colle parfaitement avec les objectifs de
la Ligue islamique mondiale : l’islam comme message global doit
encadrer la vie privée et la vie publique du musulman où qu’il soit ;
influer, autant que possible, sur l’État et les politiques publiques en
agissant par une organisation communautaire stricte, en élaborant des
groupes de pression et en s’appuyant sur la citoyenneté des musulmans
établis. Plutôt que de s’opposer de front aux législations séculières, il
convient, selon elle, de valoriser la citoyenneté afin d’en inverser la
tendance dans un sens plus favorable à la présence musulmane.
L’Arabie saoudite cherche aussi à développer une stratégie
d’influence prudente. Ibn Saoud avait bénéficié d’un heureux concours
de circonstances, au lendemain de l’abolition du califat par Mustafa
Kemal Atatürk en 1924. Dès la création du royaume en 1932 et avant
même l’essor des idées nationalistes panarabes deux décennies plus tard,
l’objectif du nouveau royaume fut d’unifier les musulmans du monde
autour des symboles de l’islam du territoire saoudien, suscitant du même
coup leur ralliement à la cause des Al-Saoud. La diplomatie saoudienne a
su parfaitement étendre son influence bien au-delà de ses frontières ou de
la région : « En supprimant le califat le 1er mars 1924 et en invitant les
pays musulmans à s’ériger en “gouvernements souverains et
indépendants”, Mustapha Kemal ébranla gravement la charpente unitaire
de “la Maison d’Allah”… Chaque région se dota d’une capitale, d’un
régime et d’une diplomatie. L’étendard vert fut ramené au bénéfice
d’emblèmes nationaux et ne subsista qu’en Arabie saoudite 92. »
Entre 1956 et 1970, l’émir Fayçal al-Saoud, ministre des Affaires
étrangères puis roi (1964-1975), a utilisé ces symboles pour discréditer le
panarabisme au nom d’une représentation universaliste de l’islam et de la
oumma. Il a encouragé la promotion du panislamisme, par la création de
nombreux organes religieux à rayonnement international : la Ligue
islamique mondiale en 1962 et l’Organisation de la coopération
islamique en 1969, qui ont leurs sièges à La Mecque et à Riyad. L’Arabie
peut déléguer ses activités de financement ou de soutien à ces interfaces.
L’ambition est mondiale et a vocation à dépasser toute forme de
particularisme arabocentré, ethnique ou culturel. Il faut ajouter à cela des
organisations satellites, telle la World Assembly of Muslim Youth
(Assemblée mondiale de la jeunesse musulmane), créée à Djedda
en 1972 et soupçonnée, comme d’autres ONG saoudiennes, de favoriser
le transit de fonds destinés à la lutte armée ou au terrorisme sous couvert
d’aide humanitaire. Sa littérature prosélyte comprend des documents
incitant au djihad armé.
L’ambassadeur Khalid bin Mohammed al-Ankary, à Paris depuis
2016, a ainsi indiqué que l’État saoudien, depuis 2011, avait participé au
financement de huit mosquées françaises : les aides variant entre
200 000 et 900 000 euros par projet. Mais si l’État saoudien est lui-même
indéniablement intégriste, tout financement saoudien ne va pas
obligatoirement aux lieux de culte musulmans salafistes. Chaque acte
charitable ou de bienfaisance à destination des musulmans de France ne
comporte pas une volonté consciente d’influencer les bénéficiaires et de
prêter allégeance au wahhabisme.

Liste des mosquées situées en France dont


l’Arabie saoudite a partiellement financé la
construction

— Grande Mosquée de Strasbourg, 910 676 euros (2011) ;


— Grande Mosquée de Saint-Denis, 800 000 euros (2012) ;
— Grande Mosquée de Givors, 291 600 euros (2012) ;
— mosquée Al-Hidayah d’Asnières, 201 612 euros (2012) ;
— mosquée Othmane ibn Affane de Mantes-la-Jolie (2014) ;
— Grande Mosquée de Cergy (2014) ;
— mosquée Okba Ibnou Nafaa de Nanterre (2014) ;
— mosquée de Nice, achat d’un terrain par le ministère des Affaires religieuses
(Al-Cheikh) ;
— mosquée Iqraa de Cannes dont l’imam, Cheikh Said Abou Abderrahman, est
diplômé en France ;
— Grande Mosquée de Lyon.

L’influence, qui peut prendre des formes variées, n’est pas toujours
proportionnelle aux sommes versées. L’Arabie saoudite porte
indubitablement une responsabilité dans la promotion et la diffusion de
conceptions ultrarigoristes de l’islam, y compris en France depuis les
années 1950-1960. La stratégie d’influence consiste par exemple à
fournir de nombreuses bourses d’études vers les universités islamiques à
La Mecque (université Al-Mukarrama), à Médine (université Al-
Munawwara) ou à Riyad (université Ibn Saoud), afin de concurrencer
directement les grandes universités historiques comme celle d’Al-Azhar
en Égypte, de la Zaytouna en Tunisie ou d’Al-Quaraouiyine au Maroc. Il
y aurait environ 120 Français à Médine (nombre inconnu pour ce qui
concerne Riyad). Les autorités saoudiennes ont toujours refusé d’en
donner la liste dans les différents cycles.
Un institut de recherche britannique indépendant, la Henry Jackson
Society, a publié le 5 juillet 2018 un rapport désignant l’Arabie saoudite
comme la principale source de financement de l’islam extrémiste au
Royaume-Uni. Il n’existe aucun travail comparable sur les financements
saoudiens en France. La base de données Saudidatabase de WikiLeaks
fournit un matériau important qui n’a pas encore été exploité par les
chercheurs sur ce sujet 93.

La Ligue islamique mondiale :


entre religion, politique et idéologie prosaoudienne

La puissance financière de l’Arabie saoudite a permis à la Ligue


islamique mondiale (LIM) de devenir un acteur majeur dans la mise en
place des infrastructures cultuelles musulmanes en Europe et dans la
construction de mosquées en France, en Espagne, en Italie, aux Pays-
Bas, en Belgique, au Royaume-Uni, etc. Il ne s’agissait pas tant
d’infléchir l’islam de France dans un sens wahhabite que de constituer
des réseaux d’allégeance et de clientèle. L’Arabie saoudite continue, par
ailleurs, à financer des actions sociales et caritatives, sans qu’il soit
possible de mesurer précisément les flux financiers engagés (témoignage
de B. Godard, ancien responsable du Bureau central des cultes au
ministère de l’Intérieur). D’entretiens menés avec plusieurs représentants
et personnalités du culte musulman français, il ressort que l’Arabie
saoudite en tant qu’État privilégie le dialogue, l’échange et la proximité
avec des officiels français, musulmans ou non, sans s’ingérer dans les
contenus d’ordre dogmatique, ce que l’on pourrait qualifier d’islam de
notables. En revanche, la Ligue islamique mondiale est nettement plus
regardante sur les projets pour lesquels elle peut être sollicitée et qu’elle
peut, de cette façon, soutenir en lien indirect avec l’Arabie. Cette
organisation mondiale, capable de prendre langue avec toutes les
composantes du tissu associatif, veille néanmoins à financer des
musulmans qui manifestent un attachement ostentatoire aux dogmes.
Aussi bien sa constitution que sa composition interne et un certain
nombre de ses objectifs trahissent une manifeste domination saoudienne.
Selon Samir Amghar, il s’agit « d’une structure infra-étatique
saoudienne », qui « est bien l’instrument de diffusion de l’islam saoudien
en Europe […]. Les responsables politiques du royaume cherchent avant
tout, via l’organisation, à mettre en place des relais de leurs intérêts
politiques et stratégiques […], l’exportation du salafisme en tant que tel
n’est pas une priorité 94 ». La LIM permet ainsi à l’Arabie saoudite, à
l’aide d’un réseau extrêmement dense dans plus de 120 pays, d’élargir la
base d’influence politique du royaume, beaucoup moins restreinte que le
salafisme piétiste si valorisé à l’intérieur des frontières. De nombreuses
personnalités de la Ligue, saoudiennes en particulier, gravitent autour des
cercles fréristes, tels que les Musulmans de France (ex-Union des
organisations islamiques de France), à l’image d’Abdallah Basfar,
secrétaire de l’Organisation internationale islamique pour la
mémorisation du Saint Coran. Avant les attentats de Mohamed Merah en
mars 2012, ce récitateur du Coran était régulièrement invité par l’UOIF
au congrès annuel du Bourget. Mais le dignitaire religieux, sans doute
rétif aux projets de réforme de MBS, a été arrêté avec d’autres en
août 2020.
En langue arabe, les objectifs de la LIM sont beaucoup plus
ambitieux et offensifs. L’accent est mis sur les nécessités d’un activisme
particulier dans les pays où l’islam est minoritaire, tout en insistant sur le
devoir de légalisme ; l’ambition dépasse de loin la sphère religieuse.
L’Arabie est historiquement travaillée par des orientations wahhabites ou
néowahhabites, et des organisations internationales telles que la Ligue
islamique mondiale lui permettent, en dépit des tensions qui peuvent
exister entre le royaume et les Frères musulmans, de maintenir toujours
une porte ouverte au dialogue. Jusqu’à une période récente, la Ligue
s’assurait de relations au minimum cordiales avec les organisations et
acteurs de l’islam politique sunnite. C’est l’un des leviers politiques
importants aux mains du régime saoudien, capable d’entretenir ainsi une
large clientèle, malgré les brouilles au niveau international, en particulier
avec le Qatar, mécène des formations de l’islam politique sunnite,
notamment depuis les Printemps arabes de 2011, ou de personnalités de
l’islamisme accueillies sur son territoire dès les années 1960.

La politique et la diplomatie ont leurs raisons que


la raison religieuse peut ignorer

Le cas de la Grande Mosquée de Lyon (GML), au travers de sa principale figure,


Kamel Kabtane, illustre à la fois la simplicité et la complexité des rapports entre le
royaume saoudien et l’islam de France. Le soutien financier de l’État d’Arabie saoudite
n’entraîne pas forcément l’adoption de l’islam saoudien. Entre 1980, avec la création de
l’Association culturelle lyonnaise islamo-française (ACLIF) de Kamel Kabtane (chargé
de mission au Grand Lyon à l’époque), « porteuse du projet de la grande mosquée et
d’un centre culturel », et 1994, date de « l’inauguration officielle par Charles Pasqua,
ministre des Cultes, en présence de Michel Noir, maire de Lyon, de l’ambassadeur
d’Arabie saoudite et des autorités civiles et religieuses de la ville », tout n’a pas été
simple. Quatre facteurs ont permis la mise en œuvre du projet. D’une part, la nécessité
pressante, à la fois du côté musulman et du côté des politiques, d’accepter
officiellement l’inscription du fait musulman dans une grande agglomération française.
D’autre part, le profil des requérants, car les membres de l’ACLIF ont fait le choix de la
France : Badreddine Lahneche, président de l’association, professeur de biophysique à
la faculté de médecine de Lyon-Nord, chef du service central de médecine nucléaire du
centre Léon-Bérard, etc. ; le capitaine Rabah Kheliff (1933-2003), officier français à
l’époque coloniale en Algérie, ancien combattant en Indochine, représentant des harkis
en France ; ou bien encore le colonel Hocine Chabaga, alors trésorier de l’ACLIF et
adjoint au maire de Villeurbanne. Troisièmement, le soutien actif des maires successifs
élus, Francisque Collomb, de 1976 à 1989, puis Michel Noir, de 1989 à 1995. Enfin,
quatrièmement, le concours financier extrêmement important de l’Arabie, puisque le
royaume a contribué à hauteur de 90 % de la somme totale de la construction de la
GML. Il convient de noter, suivant les précisions et précautions de Kamel Kabtane, que
ces fonds procédaient des deniers personnels du souverain et non des caisses de l’État.
Il est évidemment difficile d’en être complètement sûr, étant donné la nature
patrimoniale du régime de Riyad.
Le récit du recteur Kabtane à propos de la genèse de la GML est intéressant :
l’Arabie en tant qu’État – bien que fonctionnant en lien avec la Ligue islamique
mondiale – aurait débloqué des fonds grâce au concours d’au moins trois personnalités,
musulmanes et non musulmanes : le roi Fahd, l’ambassadeur d’Arabie en France et le
député-maire d’alors, Michel Noir. L’option saoudienne n’aurait pas été première au
départ. Une fois actée l’idée de chercher un terrain pour y ériger une mosquée, les
responsables prirent contact avec différents acteurs et organisations, la Ligue arabe, des
représentants de la chambre de commerce franco-arabe, différents ambassadeurs, etc.
C’est à la fin des années 1970 et au début des années 1980 que l’ambassade d’Arabie
saoudite en France aurait manifesté une disposition favorable. Avant de pouvoir
effectivement encaisser le chèque promis, l’équipe de l’ACLIF dut lever des doutes
entretenus au sujet de son supposé déficit d’islamité, exprimé par des membres de la
LIM, laquelle veille toujours à s’assurer du conservatisme moral indépendamment de
toute filiation idéologique : l’essentiel est de démontrer de bonnes dispositions à
encourager des musulmans à la pratique religieuse inscrite dans l’une des quatre
obédiences canoniques du sunnisme. Lors d’une réunion qui eut lieu dans un centre
culturel de Villeurbanne en 1984-1985 entre des membres de la Ligue islamique
mondiale et M. Kabtane et ses amis, les premiers demandèrent aux seconds d’assurer
un découplage entre les activités cultuelles futures de la GML, qui seraient confiées à
des personnes cooptées par la LIM (on y trouvait les noms de deux célèbres convertis à
l’islam, Maurice Gloton, érudit lyonnais, et Abdallah Penot, tous deux traducteurs du
Coran), et les activités culturelles confiées à l’ACLIF. Ainsi, l’engagement de l’Arabie
et de la LIM dépendait visiblement étroitement du profil religieux des futurs animateurs
de la mosquée. Si l’on peut remarquer que le souverain saoudien, de manière tout à fait
exceptionnelle, peut s’engager personnellement pour des œuvres de l’islam, il persiste
toute une série d’intermédiaires à même d’empêcher ou, au contraire, de concrétiser la
promesse d’engagement. Dans le cas de la GML, sans l’intervention et l’investissement
de personnes tierces, dont des élus français qui jouissaient de la confiance des
Saoudiens, il eût été difficile de débloquer les fonds. Une fois l’édifice construit, Kamel
Kabtane s’est d’abord tourné vers les représentations du Maghreb. Seule l’Algérie
aurait répondu positivement, et le premier imam fut algérien, Abdelhamid Chiran, qui
aurait déçu en raison de ses liens avec Alger, qui voulait « mettre la main sur la GML »,
selon le recteur lyonnais. Même si les services religieux du royaume des Saoud ont
manifesté au recteur de la GML leur disposition à envoyer par la voie légale un imam
saoudien, ils n’auraient jamais été insistants. Kamel Kabtane reconnaît que sa mosquée,
en 1996 et 1997, a accueilli un célèbre récitateur du Coran venu de La Mecque, le
cheikh Al-Sudais, sans que cela entraîne une recrudescence ou un déploiement
particulier de discours salafistes. La GML, fréquentée par des néosalafistes, n’a jamais
été prise en main par eux malgré quelques brèves et infructueuses tentatives. Des
salafistes d’origine saoudienne ont effectivement bien essayé de faire des prêches ou de
s’adresser aux fidèles musulmans au cours des années 2000, mais le recteur les aurait
signalés aux autorités de l’ambassade à Paris afin que cela ne se reproduise pas. Kamel
Kabtane l’a, à plusieurs reprises, affirmé : « L’Arabie saoudite a financé la mosquée,
mais je n’ai jamais vu un imam salafiste ou wahhabite prêcher ici. » L’imam actuel,
recruté en 2002, est d’origine tunisienne, de rite malékite.
L’Institut français de civilisation musulmane (IFCM) attenant à la GML, inauguré
en septembre 2019, a été financé à l’aide de deniers publics, mais aussi par l’Algérie et
l’Arabie via la Ligue islamique mondiale (LIM). Le financement saoudien est, selon
des informations publiques, de l’ordre de 1,5 million d’euros sur un total de 11 millions,
mais le lieu doit être ouvert aux musulmans comme aux non musulmans, avec le souci
de se décentrer par rapport aux simples préoccupations cultuelles ou rituelles des
fidèles, pour s’ouvrir davantage aux sciences humaines et sociales, à la culture arabe au
sens large, et stimuler ainsi l’esprit critique pour tout ce qui touche au fait islamique.
Cette démarche se veut l’antithèse de toute vision néosalafiste ou même frériste qui
valoriserait une approche militante de l’islam, plus politique.

La LIM n’hésite pas, au plus fort de la contestation suscitée par


l’assassinat de Jamal Khashoggi, à se tenir ferme aux côtés de Riyad.
Sans citer à aucun moment le nom du défunt, ni exprimer la moindre
compassion pour la famille, le conseil supérieur a préféré rejeter en bloc
les accusations à l’endroit de Riyad, au « nom des peuples islamiques »
manifestant « une solidarité totale avec l’Arabie, avec son régime et son
peuple », contre « les tentatives désespérées qui visent l’Arabie saoudite,
de la part des traîtres », soulignant même que « la stabilité du royaume et
sa sécurité sont, aux yeux du monde islamique, une ligne rouge. […]
L’Arabie saoudite est enracinée dans l’existence des musulmans 95 ». Les
attaques contre le régime constitueraient ainsi « une provocation aux
sentiments de centaines de millions de musulmans ». Cette manière de
solidariser l’ensemble des musulmans du monde, ceux de France
compris, autour du régime se transforme en appel à le défendre : ni le
CFCM, ni Musulmans de France, ni aucune autre grande fédération
musulmane française n’ont fait entendre de voix dissonante par rapport à
la LIM. Lorsqu’une crise touche l’Arabie, le réflexe immédiat est de dé-
saoudiser pour en faire l’affaire des musulmans en général. Lors de la
guerre froide avec le Qatar, le ministre saoudien de l’Éducation de
l’époque, Ahmed bin Mohammed al-Issa, a ordonné le 11 juin 2017 le
retrait des livres du prédicateur Yûsuf al-Qaradâwî, Frère musulman et
mufti du Qatar, « de la sphère éducative saoudienne 96 » : l’effet a été
immédiat. Ses ouvrages ont été interdits dans tout le pays. Quand ce
théologien, dont l’autorité morale irradie jusqu’au milieu sunnite
européen, a également été placé sur la liste des personnalités et
organisations soutenant le terrorisme par l’Arabie saoudite. La Ligue
islamique mondiale lui a immédiatement emboîté le pas en décidant,
sans en aviser ni consulter les représentants musulmans de France et
d’ailleurs, de l’exclure de l’Académie internationale du Fiqh islamique,
spécialisée dans la jurisprudence. À notre connaissance, l’organisation
Musulmans de France n’a protesté ni contre l’attitude de l’Arabie ni
contre la décision de la LIM d’exclure un savant qu’elle a pourtant invité
plusieurs fois au salon annuel du Bourget depuis trente-six ans.
Après la série d’attentats en France en 2015, la LIM a multiplié les
déclarations d’ouverture à la modernité et à la laïcité. Son secrétaire
général, Mohammed al-Issa, lors d’un passage fin 2017, a exhorté les
minorités musulmanes à respecter « le régime laïque » là où il s’exprime,
ajoutant également qu’elles devaient « s’adapter à la culture, à la
législation », reprenant d’ailleurs la rhétorique de la droite, voire de
l’extrême droite française, en apostrophant de la sorte les musulmans de
France : « Si vous n’êtes pas d’accord avec la loi et l’application de la
loi, vous pouvez quitter ce pays et décider de vous installer ailleurs […].
Si vous êtes en tant que minorité dans un pays, quel qu’il soit, il faut
veiller à ce que vous soyez une richesse pour ce pays, et certainement
pas un poids. […] Les règles religieuses doivent être déterminées en
fonction du lieu, de l’époque et des circonstances. » Il a également
souligné que « le CFCM doit continuer à travailler pour se faire
connaître et respecter ». Il a même nié l’existence du wahhabisme :
« Pour nous, il n’y a pas de wahhabisme. Il y a l’islam, point », et rejeté
« une forme d’ultrarigorisme », « l’extrémisme idéologique », « les
Frères musulmans », « le terrorisme » et « le salafisme djihadiste 97 ».
C’est, objectivement, une première de la part d’un représentant saoudien
de ce rang.
Peut-être faut-il lire l’activisme officiel prodémocratie et prolaïcité
du royaume saoudien et de la Ligue islamique mondiale en contexte
européen comme l’expression d’une opposition politique et diplomatique
au président turc, Recep Tayyip Erdogan. Une opposition qui s’est
manifestée à l’occasion de la republication des caricatures par Charlie
Hebdo en septembre 2020 et au moment de la décapitation de Samuel
Paty, le 16 octobre 2020. Selon un communiqué du ministère saoudien
des Affaires étrangères, du 27 octobre 2020 : « La liberté d’expression et
la culture devraient être les phares du respect, de la tolérance et de la
paix, rejetant les pratiques et les actes qui engendrent de la haine, de la
violence et de l’extrémisme et sont contraires à la coexistence 98. »

La boucle est bouclée :


défendre l’État saoudien, c’est défendre l’islam

Des indices de la fidélisation vis-à-vis de la monarchie apparaissent


dans le soutien et la défense systématiques du pays. L’Arabie doit être
soutenue parce qu’elle abrite les lieux saints de l’islam, que le Prophète
et ses compagnons sont issus de la péninsule et que le royaume compte
sur son sol certains des plus grands théologiens musulmans passés et
présents. Le 2 novembre 2018, juste après l’assassinat du journaliste
Jamal Khashoggi, un site français publie une rubrique : « Le royaume
d’Arabie saoudite », avec de multiples entrées, expliquant que
« L’Arabie saoudite, terre du tawhid, [est] une épine dans la gorge des
gens de l’hypocrisie et de la discorde », et que « défendre l’Arabie
saoudite est un devoir religieux […]. Un sentiment naturel que ressent
tout musulman, sauf celui qui a dans le cœur de l’animosité contre la
sunna. Sa stabilité est donc une revendication religieuse, et l’ébranlement
de sa sécurité est une revendication occidentale, majoussi (zoroastrienne)
et sioniste 99 ». S’en prendre à l’Arabie, c’est donc collaborer avec les
ennemis perses et juifs. Un texte plus ancien du 26 juin 2015 évoque
« l’État saoudien béni 100 » et débute par le rappel de la noble et juste
croyance religieuse qu’incarneraient « les rois saoudiens ». Il est rappelé
que l’Arabie est une terre sainte, que la famille Saoud dirige cet État
« béni », « État du monothéisme islamique où la pure législation
islamique est appliquée, où la promotion du bien et l’interdiction du
blâmable sont établies ».
Un autre site néosalafiste francophone, www.salafidunord.com, prend
aussi la défense de l’Arabie saoudite dans de très nombreuses tribunes 101,
vantant les atouts religieux du pays et dénonçant, par un argumentaire
religieux, la moindre critique, fût-elle politique. Le 12 mars 2017 est
publiée une liste intitulée « Les cinq ennemis de l’Arabie saoudite et du
tawhid 102 » : « 1/ Les mécréants qui détestent l’islam et son peuple ;
2/ Les rafidah (chiites) qui détestent les compagnons ; 3/ Les soufis qui
détestent le tawhid ; 4/ Les hizbis qui haïssent l’unification (sur la
vérité) ; 5/ Les khawarijs (renégats, rebelles) qui détestent l’écoute et
l’obéissance (aux autorités). » Le 15 décembre 2017, alors même que
l’Arabie bombarde le Yémen depuis mars 2015, le site publie un texte
élogieux consacré « aux aides humanitaires de l’Arabie saoudite »,
chiffres à l’appui : « Le royaume d’Arabie saoudite se distingue comme
le plus grand donateur au monde en tendant sa main de noblesse et de
sincérité aux personnes en besoin d’aide humanitaire, pour le bien de
l’humanité, au profit des musulmans et non pour des intérêts
politiques. » L’État saoudien aiderait financièrement, à hauteur de
50 millions de dollars, « les déplacés yéménites […] pour leur assurer un
endroit sûr », sans que le texte évoque la responsabilité militaire
saoudienne dans la catastrophe humanitaire au Yémen.
D’autres sites francophones assurent la promotion des déclarations
des élites du royaume. Un exemple : une phrase éloquente d’un célèbre
prêcheur saoudien, Muhammad ibn Ibrahîm al-Hamad, de l’université
religieuse saoudienne d’Al-Qassim, extraite d’un ouvrage introduit par
une préface du grand mufti Abdel Aziz ibn Baz, publié par les éditions
francophones bruxelloises Al-Hadîth 103 : « Aussi, les musulmans n’ont
pris du retard, lors de leurs dernières époques, que pour une raison
essentielle, à savoir leur ignorance et leur déviation sur le chapitre du
dogme, en général, et sur celui du destin en particulier […]. La
communauté islamique se réveillera peut-être, pour prendre la direction
et le commandement de l’humanité et occuper la place qui lui revient, en
retournant à son dogme clair et pur qui constitue la source de sa gloire et
l’origine de sa puissance. » Sur un site prosaoudien, sur « le Coran et la
Sunna », on reproche aux critiques d’Ibn Abd al-Wahhab de ne pas avoir
vraiment compris le sens de son message ; le « wahhabisme » serait un
mot forgé de toutes pièces pour en déformer la pensée, de sorte que
celui-ci, in fine, n’existerait pas… Dans la même veine, le prince Turki
al-Faisal al-Saoud, ancien chef des renseignements, dans un entretien à
France 24 le 27 janvier 2016, déclare que « le wahhabisme n’existe que
dans la tête des commentateurs et des journalistes généralement
occidentaux 104 ».
L’Arabie, en tant qu’État, cherche à être irréprochable du point de
vue diplomatique et politique avec son allié français en s’assurant de la
crédibilité des acteurs musulmans français qui sollicitent son appui, et
plus encore dans des phases critiques où elle a pu être jugée comme
responsable du terrorisme. C’est cet équilibre qui semble être à la base
de sa diplomatie politico-religieuse. À la suite des événements du
11 septembre 2001, puis des attentats de janvier et novembre 2015 en
France, la monarchie saoudienne s’est voulue nettement « plus
regardante 105 », d’après un article du journaliste Aziz Zemouri pour Le
Point. Il rapporte les témoignages d’un membre de l’ambassade à Paris
et d’un acteur associatif musulman, lequel revient sur les exigences
doctrinales minimales et la prudence de plus en plus grande du royaume
dans le financement des lieux de culte français : « Aujourd’hui, il faut
suivre un long processus de sélection pour être aidé par le royaume.
L’islam pratiqué par les Algériens ou par les Marocains nous convient
parfaitement […]. Pour être financé, il ne faut être ni chiite ni soufi.
Avec la tazkiya [recommandation] de la LIM et un imam formé à
Médine, on peut espérer recevoir 30 à 40 % du montant total. »
Deux approches s’affrontent sur la nature du salafisme : pour les uns
il est directement lié à l’institution religieuse officielle d’Arabie saoudite
et se superpose au wahhabisme ; pour d’autres il désigne une
méthodologie réformatrice qui détiendrait des vertus libératrices,
susceptibles de renouer avec l’âge d’or de l’islam. Toutefois des groupes
salafistes français n’expriment pas forcément d’allégeance politique au
royaume saoudien. Il y a donc une contradiction évidente, les
déclarations publiques de l’Arabie et de la LIM disent vouloir éviter de
transplanter l’islam wahhabite, tout en promouvant le recrutement de
l’université islamique de Médine. Dans des sites dédiés, en langue
française 106, il est précisé par exemple les conditions et le type de
documents administratifs exigés pour le recrutement, avec notamment la
demande d’un extrait de casier judiciaire. Des observateurs soulignent
« qu’en France ce fut grâce à la prédication des premières promotions de
diplômés français, partis en Arabie saoudite se former en sciences
religieuses, que le salafisme saoudien a pris pied. Notons que si l’Arabie
saoudite dispose de trois universités islamiques, seule celle de Médine
forme des ressortissants étrangers, parmi lesquels de nombreux
Occidentaux attirés par la qualité, la réputation de l’enseignement
saoudien et des bourses allouées 107 ». À la faculté de Médine, aucune
surprise : seules sont étudiées les œuvres de théologiens particulièrement
littéralistes, tels que le cheikh Mohammed ibn al-Othaymin, membre du
haut comité des savants d’Arabie saoudite. Est-ce que l’enseignement a
substantiellement changé au sein de cette faculté depuis les déclarations
modernisantes du prince Ben Salman ?
Les acteurs que nous avons interrogés se gardent bien de toute
critique radicale du royaume saoudien et tendent plutôt à souligner ses
bonnes dispositions à l’égard de l’islam de France. Certains d’entre eux,
en particulier Ghaleb Bencheikh, Kamel Kabtane ou Abdallah Zekri,
expriment des points de vue critiques sur les effets pervers du
néosalafisme. Le premier souligne que l’ambassade organise des
réceptions, lors de la fête nationale par exemple, au cours desquelles elle
a reçu des représentants du culte musulman, toutes tendances
confondues ; la LIM, en lien avec le royaume, cherche également à
soigner son image, par des événements culturels de grande envergure
avec la Fondation de l’islam de France, etc. Si Ghaleb Bencheikh dit ne
« pas être naïf » quant à la stratégie saoudienne, il ne critique pas ses
ambivalences dans le conflit syrien amorcé en 2011 ou bien au Yémen.
Cela est sans aucun doute moins lié à une quelconque complaisance de
sa part à l’égard du radicalisme qu’à une volonté politique et
diplomatique de ne pas froisser un partenaire de dialogue.
« On observe des changements sociologiques importants : il y a plus
de jeunes et de Français parmi les pèlerins. Depuis environ cinq ans, le
nombre de Français a dépassé celui d’étrangers dans le contingent
partant de France, qui comptait 17 000 personnes l’an passé 108 »,
analysent Leila Seurat et Jihan Safar, auteures du rapport : « Hajj : étude
du marché français et enquête de satisfaction des pèlerins », réalisé en
2017 pour le Bureau des cultes. Ahmet Ogras, président du CFCM à
l’époque de l’entretien (2019), et également propriétaire d’une agence de
voyages du pèlerinage à La Mecque, est nettement plus évasif sur le cas
saoudien, refusant ouvertement de se prononcer, même à titre privé, sur
le caractère positif ou négatif de l’apport de l’Arabie. Il évoque tout de
même la gestion catastrophique de la crise Khashoggi par le royaume et
le caractère « inhumain » de l’exécution du journaliste. Il attendrait aussi
de l’Arabie un rôle plus « centralisateur », plus fédérateur des familles de
l’islam. Il demande donc un meilleur apport qualitatif : « Le rôle de
l’Arabie saoudite est d’être centralisatrice, d’accepter la diversité,
d’apaiser, de ne promouvoir ni islam “light” ni islam wahhabite. Nos
amis saoudiens ne doivent pas diffuser un extrême d’un bord ou d’un
autre ; ils doivent rassembler 109. » Aucune critique n’affleure en termes
religieux ou politiques. L’organisation Musulmans de France, pourtant si
prompte à dénoncer Bachar al-Assad depuis 2011, ou Abdel Fattah al-
Sissi lorsqu’il frappe les Frères musulmans depuis 2013, est muette sur la
situation yéménite. À notre connaissance, le site des Musulmans de
France (ex-UOIF) n’a consacré qu’un seul article au Yémen (le 20 mars
2015), lorsque des attentats ont visé deux mosquées dans le pays :
« L’UOIF condamne avec la plus grande fermeté les attentats de ce jour,
revendiqués par les terroristes de Daech, au sein de deux mosquées
yéménites […]. Ces victimes sont des civils, des fidèles venus en paix
pour prier. Une fois encore, ces terroristes de Daech agissent sans aucune
morale puisqu’ils tuent des gens venus célébrer l’office et n’hésitent pas
à mettre à feu et à sang des lieux de culte qui devraient être protégés 110. »
Sur l’Égypte, après les condamnations à mort à l’encontre des Frères
musulmans, le communiqué daté du 24 mars 2014 en appelle aux
grandes démocraties (et pas à l’Arabie) : « Un tribunal égyptien a
condamné à mort ce lundi en première instance 529 partisans du
président égyptien Mohamed Morsi. Choquée par cette décision
judiciaire qui attaque de nouveau la liberté d’expression et de conscience
en Égypte, l’Union des organisations islamiques de France ne peut que
condamner celle-ci résolument […]. L’UOIF appelle la communauté
internationale à sanctionner fermement le gouvernement égyptien actuel,
illégitime, qui se permet de bafouer, en toute impunité, les droits de ses
citoyens […]. Il est temps que la communauté internationale s’élève
fermement et protège la vie de ceux qui se battent pour la
démocratie 111. »
De rares voix, émanant du tissu associatif musulman, se font
entendre, parmi lesquelles celle de Nabil Ennasri, formé à Sciences Po
Aix et à l’Institut européen des sciences humaines de Château-Chinon,
institut privé spécialisé dans l’enseignement de la théologie musulmane,
dirigé et animé principalement par des Frères et néo-Frères musulmans.
Dans une tribune publiée par Le Monde le 16 juin 2017, il critique
l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sur leur attitude hostile vis-à-
vis de Doha et des Frères. Mais il ne se risque pas à appeler au boycott
du pèlerinage. À titre individuel, un ancien diplomate marocain, Ahmed
Abdouni, poste le 5 avril 2019 une tribune sur le site Saphirnews :
« Pèlerins musulmans, contribuez à faire cesser le massacre au
Yémen 112 ! » Le diplomate à la retraite appelle à un sursaut d’humanité
de la part de ceux qui envisagent de faire leur pèlerinage. Partant du
constat objectif « des ressources financières importantes au profit de
l’État saoudien qui administre les lieux saints », au vu du « flux incessant
et intarissable de musulmans qui pieusement aspirent de s’acquitter de
leur devoir envers Dieu », l’auteur interpelle « les pèlerins réels et
potentiels » : « Savent-ils que ce qu’ils dépensent pour accomplir leur
rite alimente la machine de guerre qui broie des vies innocentes au
Yémen ? Bien mieux, sont-ils conscients du poids politique et financier
que leur acte représente dans la balance entre la paix et la guerre dans le
Yémen ? […] Il est temps que toutes les forces vives et humanistes de
l’islam se donnent la peine par tout moyen que leur offrent la modernité
et aussi la tradition de réveiller cette conscience qu’une orthodoxie
dominante a fait entrer dans un coma profond. Il est temps que les
musulmans candidats au pèlerinage [cessent d’alimenter] cette machine
de guerre qui fauche, quotidiennement et indistinctement, les musulmans
yéménites. »
Ahmet Ogras comme Abdallah Zekri 113 (président de l’Observatoire
de l’islamophobie au CFCM), totalement muets sur les crises du monde
arabe, affirment qu’ils n’ont pas, en tant que Conseil français du culte
musulman (CFCM), de relations avec la LIM, sauf à certaines occasions
officielles comme le ramadan. Abdallah Zekri assure que l’Arabie est
attentive à la situation de l’islam de France, sensible aux effets de
« l’islamophobie », mais « ne met pas la main à la poche » pour financer,
en tant qu’éventuel mécène, une quelconque campagne anti-
islamophobie. Il récuse tout lien avec la LIM, qui manifesterait selon lui
un tropisme néo-Frère musulman qu’il ne partage pas à titre personnel.
L’État saoudien veille surtout à la bonne marche de ses relations
publiques avec les notables musulmans du CFCM. Il n’en demeure pas
moins que le néosalafisme bel et bien sponsorisé par la maison mère
saoudienne s’est imposé comme légitime dans l’espace musulman
français, mais sans pour autant acquérir l’hégémonie qui lui est
quelquefois prêtée dans les débats en France.
Le rapport « La fabrique de l’islamisme », de Hakim el-Karoui 114, va
plus loin et parle de la « wahhabisation de l’islam de France ». L’auteur
pointe l’influence prépondérante de télécoranistes saoudiens dans la
propagation d’un message musulman rigoriste, à travers cinq des
personnalités wahhabites cumulant des millions d’abonnés sur les
réseaux sociaux. Certains ont plus d’abonnés que le dalaï-lama et le pape
et à peine moins que Donald Trump. Ces ambassadeurs officieux de
l’islamisme sont Mohamed al-Arifi, Ayid al-Qarni, Ahmad al-Shugairi,
Salman al-Ouda et Michari Rachid al-Afasi, respectivement les 7e, 8e,
10e, 15e et 16e comptes relevant du monde des idées sur les réseaux
sociaux. Mohamed al-Arifi a 21,4 millions d’abonnés sur Twitter (et
25 millions sur Facebook), des chiffres qui font de sa page le premier
compte saoudien, le premier compte religieux du monde et le 86e
mondial, tous utilisateurs confondus. Ce théologien, né en 1970, est un
docteur de la loi coranique, enseignant à l’université du roi Saoud de
Riyad. Entre autres choses, il justifie le droit pour les maris de battre
leurs femmes. Ayid al-Qarni (19 millions d’abonnés Twitter environ), né
en 1959, est quant à lui un théologien relativement modéré au vu du
contexte saoudien. Il milite en effet pour des réformes dans le royaume
et est favorable au fait que les femmes puissent travailler et conduire. En
délicatesse avec le pouvoir, il a été emprisonné et interdit de prêcher
pendant dix ans. Salman al-Ouda (14,2 millions d’abonnés) a lui aussi
été mis en prison en Arabie saoudite pour avoir réclamé des réformes.
Réputé proche des Frères musulmans, il anime le site Islamtoday.
Ahmad al-Shugairi (18 millions d’abonnés) n’a pas ces problèmes et a
profité d’une longue et conséquente exposition médiatique en Arabie
saoudite. Enfin, Michari Rachid al-Afasi, Koweïtien âgé de quarante-
deux ans, ferme ce palmarès avec environ 14 millions d’ouailles sur le
réseau social.
Mais tous ces contenus, dits en langue arabe et parfois ardus, ont
besoin de relais pour être entendus. La communication islamiste est donc
fondée sur une répartition des tâches. Ainsi, les propos de ces docteurs
de la loi sont repris par une myriade de comptes créés par d’anciens
étudiants de l’université de Médine (dont des Français), des prédicateurs
salafistes, des traducteurs et des sites islamistes. Ces comptes agrègent
de 5 000 à 15 000 personnes. Des comptes francophones, dont l’audience
varie de 15 000 à 100 000 internautes, jouent leur rôle dans ces partages.
On peut dire que la majorité des acteurs musulmans français restent
autonomes même s’ils peuvent entretenir des relations avec des
ambassades étrangères. L’Arabie interfère, mais moins que ne le font les
consulats algérien et marocain. Elle veut à tout prix contrôler son image
de marque en France, en évitant autant que possible de financer ou
d’entretenir des organisations musulmanes qui ne seraient pas
respectueuses de la légalité. L’appui financier du royaume dans la
construction de mosquées est savamment dosé, particulièrement
important dans le cas des mosquées d’Évry-Courcouronnes et de Lyon,
qui, par leur taille et leur ampleur, contribuent à la visibilité du mécénat
saoudien. Cela ne se traduit pas nécessairement par la promotion
publique d’un islam wahhabite. Il reste certain que le royaume des Saoud
porte une responsabilité dans la diffusion et l’exportation du salafisme en
Europe. Il faut voir l’Arabie saoudite comme un acteur qui veille à
entretenir une image religieuse positive auprès des responsables du culte
musulman et neutre à l’égard des partenaires politiques français, en
prenant des distances avec les discours par trop rigoristes ou ouvertement
salafistes. La Ligue islamique mondiale, depuis 2015, tente de démontrer
qu’elle est un partenaire crédible dans la lutte contre le terrorisme et la
promotion d’un islam médian. S’afficher aux côtés de représentants de
l’islam de France, c’est valoriser l’image de Riyad en tant
qu’interlocuteur des autorités politiques françaises. Cette stratégie de
l’image a donc un objectif double : rassurer l’État français et clientéliser
une partie de l’establishment musulman français.
L’Arabie, pour financer une mosquée en France, s’assurerait de
l’accord de l’État français, via les ministères des Affaires étrangères et
de l’Intérieur, prudence intimement liée à la période de terrorisme que
traverse l’Hexagone. Elle n’aurait aucune confiance dans les salafistes
français, ingérables et dangereux. L’État saoudien veille surtout à la
bonne marche de ses relations publiques avec les notables musulmans du
CFCM. Il n’en demeure pas moins que l’Arabie saoudite, en tant qu’État
structurellement wahhabite, a contribué, au long cours, à légitimer un
islam très conservateur, par le truchement de la Ligue islamique
mondiale. La contradiction structurelle de la diplomatie religieuse
saoudienne consiste à rassurer les Occidentaux sur la dynastie, tout en
laissant sa hiérarchie religieuse diffuser un discours salafiste d’une
grande intolérance. Faut-il comme Gilles Kepel penser que « le discours
salafiste a acquis une forme d’hégémonie sur l’islam de France 115 » ? Le
salafisme, encore bel et bien sponsorisé par la maison mère saoudienne,
s’est-il imposé comme légitime dans l’espace musulman français ? Le
Qatar est accusé d’être le promoteur véritable de la division, de la guerre
et du conflit partout dans le monde. Le secrétaire général de la LIM Al-
Issa multiplie les initiatives pour montrer que l’islam, celui que lui et son
organisation souhaitent promouvoir, est une religion d’ouverture et
d’amitié entre les peuples. Une position difficile à tenir.
Ainsi, la LIM a noué une relation avec la Fondation de l’islam de
France (FIF) et son président actuel, Ghaleb Bencheikh, ce qui était tout
sauf évident, au départ : « Le souvenir que j’ai de la LIM, c’est au
travers de mon propre père [Abbas Bencheikh, 1912-1989], alors recteur
de la Grande Mosquée de Paris [1982-1989], qui l’avait combattue ! […]
Mon papa n’était pas d’accord avec la doctrine générale de l’Arabie
saoudite […]. Il estimait que cela n’allait pas dans le bon sens pour les
pays musulmans et ailleurs. Le secrétaire général de la LIM lui aurait
dit : “Votre prétention est d’être tuteur de l’islam de France.” “Mais
vous, lui aurait répondu mon père, votre tutorat c’est le monde entier !”
J’ai ainsi gardé en mon esprit que la LIM était une organisation peu
fréquentable 116 ! » Les choses auraient cependant évolué car la LIM et
son secrétaire auraient montré un autre visage, de nouvelles dispositions
vis-à-vis de l’islam et des musulmans, en 2016, à l’occasion d’un dîner
offert dans une grande salle au George V, en la présence « d’un ponte des
Affaires étrangères », du Bureau central des cultes, de quelques évêques,
de rabbins, etc. La prise de parole du secrétaire général de la LIM a
positivement surpris Ghaleb Bencheikh, insistant publiquement sur
l’ouverture au dialogue, la dénonciation de l’extrémisme et du fanatisme.
Le président de la Fondation de l’islam de France sera plus convaincu
encore après un voyage officiel en avril 2019 à Riyad, au sein d’une
délégation comprenant le diplomate Jean-David Levitte, Philippe
Douste-Blazy, Pierre Lellouche, le sénateur Jean-Marie Bockel, le vice-
président du MEDEF, le diplomate Louis Blin, et des universitaires. Au
retour, Ghaleb Bencheikh a invité le secrétaire général de la LIM à venir
dire en France ce qu’il avait évoqué en Arabie, devant des représentants
officiels français : à savoir la promotion de l’égalité entre hommes et
femmes, la dénonciation de la politisation de l’islam et de l’extrémisme
religieux. C’est cette rencontre entre les deux hommes qui a préfiguré la
Conférence internationale pour la paix et la solidarité, organisée le
17 septembre 2019, avec la FIF, au palais Brongniart (location financée
par la LIM). La manifestation s’est déroulée en la présence de
représentants du christianisme, du judaïsme, d’une femme imam, Kahina
Bahloul, de la chanteuse Françoise Atlan et d’universitaires. Il a même
été question, au moins en privé, de l’écrivain et blogueur saoudien Raif
Badawi, Mohammed al-Issa ayant été poussé par G. Bencheikh à
introduire une demande auprès du prince Ben Salman afin d’obtenir sa
libération. Pour le président de la FIF, avoir amené la LIM à dénoncer
publiquement la violence au nom de l’islam et à encourager l’égalité
stricte entre les hommes et les femmes, à promouvoir le dialogue
interreligieux, et même avoir fait accepter l’idée de se rendre à
Auschwitz en vue d’honorer la mémoire des juifs exterminés par le
régime nazi, aurait fait gagner « vingt à trente ans de lutte contre le
salafisme et le wahhabisme ». Le secrétaire général de la LIM avait déjà
officiellement condamné l’Holocauste, le 26 janvier 2018 117. Il est vrai
que les déclarations récentes d’Al-Issa tranchent nettement avec le
conservatisme de ses prédécesseurs. Dans un entretien accordé au journal
La Croix, le jeudi 26 septembre 2019, il a renouvelé publiquement des
engagements forts : « Un musulman qui ne respecte pas les lois de la
république ne pratique pas l’islam authentique. » Il affirme être porteur
d’une « nouvelle vision », dont il serait « le principal artisan », renvoyant
à la Charte de La Mecque signée en mai 2019 sous l’égide de la LIM
avec le concours de « 1 200 savants de tous les pays », soulignant que
« l’essence des religions est le bien de l’humanité, non la guerre et la
confrontation », que « le fanatisme et l’extrémisme sont issus d’une
interprétation fallacieuse des textes […], qu’ils ne sont pas propres à
l’islam ». Toutefois, il y a quelques limites et des contradictions à la
bonne volonté affichée. Par exemple, dans le même entretien, il évoque
les efforts de la LIM en faveur de « l’intégration sociale des minorités
musulmanes dans les pays où elles vivent », tout en fustigeant ceux qui
« tentent [même] d’arriver au pouvoir », c’est-à-dire les Frères
musulmans, qui « symbolisent le mieux l’islam politique », alors que ces
derniers disent à peu près la même chose. Il est, de ce point de vue, sur la
ligne du régime saoudien de criminalisation et de mise à l’index du
courant frériste. Sur les libertés religieuses en Arabie saoudite,
notamment des catholiques, Al-Issa est beaucoup moins ouvert. S’il n’a
aucun mal à défendre le droit légitime des minorités musulmanes dans
les sociétés européennes, il est moins enthousiaste à l’idée de la
réciprocité : « Quel que soit le pays où vous entrez, vous devez vous
soumettre à la loi et à la Constitution de ce pays. Si chacun pratique sa
religion, cela peut entraîner une animosité, une remise en cause des us et
coutumes du pays entraînant des troubles. La sagesse recommande de
l’éviter. La solution est que chacun pratique sa religion de façon non pas
secrète mais pas aux yeux de tous […]. Les minorités sont respectées
dans chaque pays musulman », contre-vérité évidente dans le cas de
l’Arabie. Sur le cas de Raif Badawi, Al-Issa est évasif : « Ce type
d’événement ne se passe pas uniquement en Arabie saoudite et il
convient de ne pas le regarder sous un angle unique, sans avoir
l’ensemble des tenants et aboutissants. Seules les autorités d’un pays
disposent de tous les éléments. Quant à moi, j’étais ministre de la Justice
de l’Arabie saoudite à cette époque, c’est exact, mais cette affaire ne
relevait pas de mon autorité. J’étais responsable des lois et du
fonctionnement des tribunaux, mais je n’étais pas procureur général ni
juge. En tant que citoyen saoudien, je fais confiance aux autorités
compétentes et respecte les jugements prononcés. » Enfin, à notre
connaissance, il n’évoque jamais la responsabilité historique du royaume
saoudien dans la promotion mondialisée du wahhabisme. On retrouve
également certaines ambiguïtés dans la Charte de la Mecque, où il est
stipulé qu’il faut aller vers « l’autonomisation de la femme », mais
« conformément au cadre qui préserve les limites d’Allah ».
En dépit de tous les efforts de l’Arabie et de ses instruments de soft
power pour transformer son image à l’étranger, le soutien durant de très
longues années aux idéologies radicales frériste puis salafiste a produit
un effet d’inertie. Il est difficile de corriger efficacement les effets que
produit une pensée religieuse wahhabite éditée, longtemps diffusée et
même abondamment traduite, sur les questions de la liberté de
conscience, du rôle de la femme, du respect des mécréants, d’appel à la
paix et de la dénonciation des massacres entre musulmans.

La Haute Autorité pour la transparence


de la vie publique a-t-elle pour mission de contrôler
les lobbys ?

Créée par la loi relative à la transparence de la vie publique du


11 octobre 2013, en remplacement de la commission pour la
transparence financière de la vie politique, la HATVP est censée
enregistrer les groupements d’intérêts agissant sur les parlementaires
français. Rien, pourtant, sur le lobby saoudien, qui, semble-t-il, ne fait
pas partie des « groupements d’intérêts ». La comparaison avec
Bruxelles est étonnante.
Au Parlement européen, le registre des représentants d’intérêts a été
élaboré par un accord entre les trois institutions : la Commission, le
Parlement européen et le Conseil des ministres en 2011. En 2014, il a été
modifié, amélioré et rendu plus précis, puisqu’on a établi des catégories
de lobbyistes – consultants en lobbying, lobbyistes des entreprises,
lobbyistes de fédérations, lobbyistes de régions, think tanks, etc.,
identifiés par des fiches détaillées : qui est l’entreprise, qui est le
représentant de l’entreprise à Bruxelles, qui en est le responsable, quelles
sont ses coordonnées, quelle somme est utilisée par les représentants et
pour quoi faire, qui est le client, quels sont les sujets qui les intéressent et
sur lesquels ils déclarent vouloir être en contact avec la Commission ou
les parlementaires. Le code de conduite doit être signé par tous. Depuis
2014, en cas d’infraction, la société n’a plus accès au Parlement
européen et perd son badge d’accès ainsi que la veille automatique
envoyée par mail, qui identifie tous les débats pouvant l’intéresser. Or,
cette veille est précieuse, pour pouvoir porter ses arguments, s’inscrire
dans le processus officiel de consultation, engager le dialogue et prendre
des contacts. En cas de deuxième alerte, la personne est rayée du registre
et ne peut plus exercer son métier. Déclarée persona non grata au sein du
Parlement européen et de la Commission européenne, elle peut l’être
aussi par les autres lobbyistes. Rien de tel n’existe à la HATVP.
CONCLUSION

Un pays protégé

L’Arabie saoudite est un pays protégé en France, plus encore qu’aux


États-Unis.

La diplomatie veille

La ligne diplomatique du gouvernement français est celle des trois


singes : « ne pas voir, ne pas entendre, ne pas parler ». Par exemple, les
critiques françaises à l’encontre du gouvernement bahreïnien pour ses
atteintes aux droits de l’homme lors de la condamnation du militant
Nabeel Rajab en juin 2018 ne mentionnent pas l’occupation militaire
saoudienne depuis mars 2011, qui vise à protéger la monarchie sunnite
contre une révolution démocratique (chiite).
Le ministère des Affaires étrangères est-il une victime consentante de
la raison d’État ? Le 29 août 2018, cent vingt-sept organisations de
défense des droits humains demandent la libération immédiate du
militant Nabeel Rajab. Le 15 janvier 2018, les hautes autorités judiciaires
avaient confirmé sa condamnation à deux ans de prison pour « diffusion
de fausses informations et rumeurs sur la situation interne du royaume,
portant atteinte au prestige et au statut de l’État », en référence à des
entretiens télévisés donnés en 2015 et 2016. Le 5 juin 2018, la cour
d’appel de Manama a ajouté cinq ans de prison pour « diffusion de
fausses rumeurs en temps de guerre » et « offense à un pays étranger »,
en l’occurrence l’Arabie saoudite. Le communiqué qui a suivi la visite
du roi du Bahreïn à Paris les 29 et 30 avril 2019 est un sommet de langue
de bois 118 : « La visite du Roi a été un temps fort et attendu de notre
relation bilatérale et a été marquée par un programme dense et des
entretiens substantiels. Elle a permis d’évoquer les questions régionales
et les enjeux bilatéraux. La question des droits de l’homme a été évoquée
pendant les échanges. Le Président de la République a notamment relevé
la récente décision du Roi de rétablir 551 Bahreïniens dans leur
nationalité et l’a encouragé à poursuivre dans cette voie. » Un langage
diplomatique entendu après la visite de n’importe quel dictateur.
On peut aussi s’étonner de la virulence de la note écrite par Louis
Blin, ancien consul de France à Djedda siégeant comme envoyé spécial
officiel à l’Organisation de la coopération islamique, à propos du livre
Dr Saoud et Mr. Djihad 119 et reproduite en annexe. Depuis l’affaire
Khashoggi, Louis Blin ne s’est plus exprimé sur le sujet.
Il faut rappeler le livre Arabie séoudite, la dictature protégée, signé
Jean-Pierre Foulquier (pseudonyme de Jean Bressot, ambassadeur à
Riyad de 1991 à 1994, sanctionné injustement après l’échec de la visite
de Balladur à Riyad). Le livre avait fait scandale par la vérité de son
propos et l’ambassadeur avait été mis sur une voie de garage.
En septembre 2018, seize ONG ont envoyé au président Macron une
lettre à propos des bombardements au Yémen : « Face à l’extrême
gravité de la crise, nous regrettons que le Yémen n’ait fait l’objet que
d’une brève mention dans votre discours du 27 août devant les
ambassadrices et ambassadeurs, alors même que le ministre de l’Europe
et des Affaires étrangères n’en a pas dit un mot. Nous notons avec intérêt
votre annonce d’initiatives concrètes “dans les prochaines
semaines” 120. » Le président a répondu que « l’affaire Khashoggi n’avait
rien à voir avec la guerre au Yémen ».
Un client protégé contre la justice

On ne peut traiter du sujet sans rappeler des épisodes passés dans


lesquels les Saoudiens eux-mêmes ont été piégés dans des affaires de
rétrocommissions françaises. Le contrat des frégates saoudiennes avait
donné lieu à des retours de commission, par le biais d’anciens membres
des Phalanges libanaises, vers le staff de campagne de Balladur. Chirac
élu, les Saoudiens, ayant découvert leur instrumentalisation dans des
querelles franco-françaises, ont fait savoir leur profond mécontentement.
Est-ce la raison pour laquelle les commissions versées sur les frégates
saoudiennes n’ont jamais donné lieu à une procédure pour corruption à la
différence des contrats de sous-marins pakistanais, signés par le même
gouvernement français à la même période ? Le 3 mars 2021, la
condamnation de François Léotard, alors ministre de la Défense, vient
clôre cette affaire sans qu’il ait été dit quoi que ce soit des rétro-
commissions saoudiennes.
Une plainte a été déposée le 9 avril 2018 par une association
yéménite de défense des droits de l’homme, Legal Center for Rights and
Development, auprès du pôle des crimes contre l’humanité, délits et
crimes de guerre du tribunal de grande instance de Paris, par le
représentant légal de cette association, Mohamed Husein Taha, et ses
avocats parisiens 121, Joseph Breham et Hakim Chergui. Les avocats
estiment que plusieurs attaques ordonnées par MBS au Yémen violent le
droit international, comme la destruction d’un entrepôt de fournitures
humanitaires appartenant à Oxfam le 18 avril 2015 ; les frappes
aériennes contre un mariage ayant entraîné la mort de 131 civils le
28 septembre 2015 ; le raid, un mois plus tard, sur un hôpital de
Médecins sans frontières, dont les coordonnées GPS avaient été
transmises à la coalition ; le bombardement d’une salle communautaire
de Sanaa, le 8 octobre 2016, ayant tué plusieurs dizaines de personnes,
etc. Déclarée recevable par le doyen des juges d’instruction, Renaud Van
Ruymbeke, qui devait désigner un juge instructeur, elle semble en être
restée là depuis.
L’heure des questions

Le lobbying saoudien est impressionnant par sa diversité et sa


constante évolution. Les autorités du royaume, secouées par l’apparition
de la chaîne qatarienne Al-Jazeera, les attentats du 11-Septembre, les
révolutions arabes et les accusations récurrentes de financement du
salafisme djihadiste, se sont rendu compte qu’elles devaient s’adresser à
des sociétés spécialisées dans le lobbying international et que le simple
contrôle de la presse arabophone ne suffisait plus. Riyad a constitué avec
le temps un dispositif mondial d’une incroyable richesse, et la
multiplicité des contrats lui permet d’étouffer les critiques avec une
certaine efficacité. Ce dispositif couvre l’essentiel des pays occidentaux,
où les objectifs de Riyad sont limités à obtenir le silence des dirigeants
politiques, des hommes d’affaires et des grands responsables de l’islam.
L’opinion publique, elle, lui est parfaitement indifférente.
La communication internationale a été réorganisée par Mohammed
ben Salman, qui a pris le contrôle des groupes de médias, du système de
direction publique, et concentré autour de lui le pilotage. Mais ce
fonctionnement s’est retourné contre lui avec l’affaire Khashoggi, et
l’impréparation de certaines actions internationales laisse penser que le
prince héritier décide seul pour laisser ensuite les sociétés de relations
publiques gérer la communication et rattraper ce qui peut l’être.
Les contrats passés avec les Big Five (les américaines Interpublic,
Omnicom, WPP et les françaises Publicis et Havas) assurent à Riyad une
couverture mondiale. Mais chacun de ces grands opérateurs, soucieux
des risques, sous-traite auprès d’entreprises moyennes, de filiales
diverses, de façon à masquer autant que faire se peut un commanditaire à
la réputation exécrable.
La France n’est qu’un des multiples partenaires de second rang dans
la politique mondiale de lobbying de Riyad. Les élites politiques et
économiques ont toujours observé un silence gêné, et il en va de même
pour les autorités musulmanes, officielles ou pas. La diplomatie de Riyad
en France, comme dans les autres grandes démocraties, s’échine à faire
accepter la distinction entre le régime, qui se présente comme partenaire
respectable dans la lutte contre le terrorisme, et la responsabilité des
élites religieuses de ce même régime dans la diffusion du salafisme
djihadiste. La puissance économique de l’Arabie explique sans aucun
doute les contorsions des autorités françaises pour distinguer la
disparition des princes contestataires ou l’effroyable équarrissage d’un
opposant et les horreurs de la guerre saoudienne au Yémen. En ce sens,
la position de Paris ne diffère pas de celles de Londres ou de
Washington. Mais le rôle joué par Publicis Groupe, actif aux États-Unis
(Qorvis), à Bruxelles (Qorvis/MSL), en Grande-Bretagne (Saatchi
& Saatchi) et évidemment en France, constitue une originalité dont il
faut tenir compte. Enfin, les ONG françaises, même si elles maintiennent
la pression, semblent découragées par l’imperméabilité absolue de Riyad
à toute campagne humanitaire et préfèrent parfois affecter leurs moyens
limités à des causes plus proches.
L’affaire Khashoggi a démontré à la fois l’habileté du président
Erdogan et l’affolement du régime saoudien, soucieux de protéger MBS.
Mais après le séisme politico-médiatique des jours qui ont suivi le
meurtre, l’affaire avait été reléguée au rang de question secondaire par
Donald Trump. Sur le plan de la communication, les attaques du 11-
Septembre avaient été un incroyable succès du lobbying saoudien, qui
avait réussi à détourner les sanctions contre l’Iran, l’Irak et la Corée du
Nord. Cette fois la situation paraît impossible à rattraper et la décision du
président Biden de divulguer le rapport de la CIA ouvre un nouveau
chapitre. Mais les sociétés employées ont démontré leur fiabilité : aucune
critique des autorités politiques, aucune sanction internationale, sauf de
la part de l’Allemagne, bouderie temporaire de grandes entreprises au
« Davos du désert » en 2018, mutisme des autorités musulmanes,
craignant toujours qu’une critique contre le pays des lieux saints
n’apparaisse comme une attaque contre l’islam, et, aussi et surtout, une
seule et unique défection parmi les sociétés de relations publiques sous
contrat avec Riyad. La Ligue islamique mondiale s’active partout dans le
monde, et notamment en France, pour changer positivement l’image de
l’Arabie, par l’annonce d’une réforme substantielle des modes de
transmission de l’islam. Nous verrons, en pratique, sur quoi ces annonces
déboucheront. Mais le Dr Frankenstein a beaucoup de mal à reprendre le
contrôle du monstre.
Les actions de lobbying dans les pays occidentaux se sont multipliées
depuis l’assassinat : invitations de journalistes critiques sur le plan
Vision 2030, d’organisations de défense des droits humains, organisation
de colloques universitaires et enfin lobbying auprès de nombreux
parlementaires, certains allant jusqu’à accepter de jouer un rôle de
propagandistes actifs.
Aujourd’hui l’Arabie saoudite doit quand même se battre sur
plusieurs fronts. Aux États-Unis d’abord : en décembre 2016, le Congrès
a voté une loi – Justice Against Sponsors of Terrorism Act, qu’un veto
présidentiel n’a pu bloquer – permettant à toute victime américaine de
poursuivre un État étranger soupçonné de complicité en matière de
terrorisme. Les différentes manœuvres de lobbying n’ont pu qu’en
retarder l’adoption sans réussir à en contrarier l’application. Cette loi est
devenue une obsession dans la politique de lobbying de Riyad, tant aux
États-Unis qu’en Europe. Le 10 octobre 2018, un groupe bipartite de
vingt-deux sénateurs a invoqué une disposition de la loi sur la
responsabilité en matière de droits humains dans le monde, exigeant que
le président Donald Trump identifie les personnes responsables dans le
meurtre de Khashoggi et indique s’il avait l’intention de leur imposer des
sanctions en vertu de la loi Magnitski (adoptée à l’origine pour
sanctionner les Russes impliqués dans la mort de l’avocat Sergeï
Magnitski). Le Président a quitté la Maison Blanche sans répondre. En
juillet 2020, vingt ressortissants saoudiens soupçonnés d’avoir participé
au meurtre de Jamal Khashoggi figurent sur la liste dévoilée par le
ministère britannique des Affaires étrangères en vue de sanctions pour
atteintes aux droits de l’homme. Elles sont passibles d’un gel de leurs
avoirs et d’une interdiction de visa dans le cadre des sanctions inspirées
par la loi Magnitski, adoptée par le Congrès américain en 2012. Biden
vient d’appliquer les mêmes sanctions à soixante-seize proches de MBS.
Le 16 novembre 2018, le Washington Post annonce que, d’après la
CIA, Mohammed ben Salman a personnellement ordonné l’assassinat du
journaliste à Istanbul, renseignement de « haute fiabilité ». Le
13 décembre 2018, le Sénat approuve à l’unanimité une résolution tenant
le prince héritier pour responsable du meurtre. Le 7 février 2019, un
comité d’ONG a demandé la communication publique des pièces du
dossier Khashoggi. En réaction, MBS a plus que jamais cherché à
maîtriser la communication, surtout dans le monde anglo-saxon, et a
multiplié les accords : alliance avec le groupe Vice News, Amazon
Machine Images, Bloomberg, MBC, Arab News et Al-Arabiya. Trump a
défendu Riyad jusqu’au bout et s’est vanté d’avoir « sauvé la peau » du
prince héritier selon des extraits des entretiens accordés par le président
des États-Unis à Bob Woodward pour son livre Rage (septembre 2020) :
« J’ai réussi à faire en sorte que le Congrès le laisse tranquille. J’ai réussi
à les stopper. »
Même le Center for Strategic and International Studies, influent think
tank américain, semble trembler et le 12 décembre 2018, dans un rapport
intitulé « After the Killing of Jamal Khashoggi, Muhammad bin Salman
and the Future of Saudi-U.S. Relations » 122, il conclut que les États-Unis
doivent se garder d’insister sur un changement de personnel dirigeant qui
conduirait à une crise interne. Selon le CSIS, l’administration américaine
devrait encourager le prince héritier à changer de comportement ou
laisser au vieux roi Salman le temps d’identifier un autre interlocuteur
capable de s’engager auprès des États-Unis sur des questions de politique
étrangère dans un avenir proche.
Joe Biden semble avoir entendu ce conseil puisque MBS n’est pas
visé par les sanctions. Le dialogue est dorénavant mené en direct avec le
vieux roi et non plus avec le prince héritier.

La fiancée de Jamal Khashoggi poursuit en justice


les dirigeants saoudiens aux États-Unis
Au deuxième anniversaire de l’assassinat de Khashoggi, sa fiancée
Hatice Cengiz et Democracy for the Arab World Now (Dawn), l’ONG
fondée par Jamal Khashoggi avec des expatriés saoudiens aux États-
Unis, ont lancé un appel au gouvernement américain, lui demandant de
publier toutes les informations connues à propos du meurtre. Hatice
Cengiz a démarré en octobre 2020 des poursuites judiciaires contre le
prince héritier saoudien et vingt-huit personnalités saoudiennes, les
accusant d’être directement responsables de la mort de son mari. La
plainte a été déposée en vertu de la loi de 1991 sur la protection des
victimes de torture, qui a déjà été utilisée pour poursuivre d’autres
dirigeants étrangers. Pour Hatice Cengiz, le procès vise à punir les
responsables, et cela est d’autant plus essentiel que l’Arabie saoudite n’a
pas pris les mesures nécessaires pour le faire. En effet, en
septembre 2020, un tribunal saoudien a annulé, dans un verdict final, les
cinq peines capitales prononcées pour le meurtre du journaliste,
condamnant les huit accusés à des peines allant de sept à vingt ans de
prison, selon le New York Times 123.
Devant l’ONU aussi des enquêtes se poursuivent. Un groupe d’ONG
de défense des droits de l’homme et des médias a demandé à la Turquie
de faire pression de toute urgence sur le secrétaire général de l’ONU,
António Guterres, pour ouvrir une enquête. Plus de cent écrivains
renommés ont cosigné une lettre appelant à une enquête indépendante de
l’ONU sur l’assassinat 124. Finalement celle-ci, menée par
Mme Callamard, a livré des conclusions définitives et sans ambiguïté en
juin 2019. L’auteure du rapport est évidemment déçue de l’absence de
réaction internationale, mais elle continue. Voici ce qu’elle répondait à
une sollicitation de notre part.

Mail reçu le 13 janvier 2020

Cher Pierre,
En quelques mots, selon moi, l’impact le plus significatif de mon rapport et plus
généralement du travail d’enquête fourni par les médias depuis le meurtre de M.
Khashoggi :

1. Le meurtre demeure sur l’agenda international.


2. Il y a impunité jusqu’à présent, mais le meurtre a quand même un coût – un coût
politique, un coût lié à la réputation, un coût économique – pendant les premiers
mois, au moins.
3. Coût politique aux États-Unis – ce n’est que grâce au soutien de Trump que
l’Arabie saoudite et MBS ont échappé jusqu’à présent aux sanctions du Congrès et
du Sénat américains.
4. À chaque tournant, à chaque initiative saoudienne, il est rappelé le meurtre de
Jamal Khashoggi et l’impunité de fait des dirigeants/commanditaires – il n’y a
jusqu’à présent ni oubli ni silence.
5. Critiques vives après la parodie de justice, même du Département d’État américain.
6. Il me semble que l’on peut aussi établir un lien entre mon enquête et la campagne
des médias d’un côté, et la chute des meurtres de journalistes en 2019 – personne
n’arrive à l’expliquer autrement.
7. Plus grande reconnaissance du phénomène de la surveillance et de ses implications.
8. On attend le rapport du directeur US des renseignements sur les responsabilités de
MBS (résolution du Congrès + Sénat).

Je continue de travailler sur des aspects divers du meurtre et j’espère rendre publiques
certaines informations dans les semaines à venir. Il y a des procès en cours liés à la
surveillance des dissidents saoudiens – elle-même directement liée à Jamal Khashoggi ;
et d’autres poursuites en justice sont en discussion.

Le Parlement européen se mobilise

L’Arabie, qui avait été désignée par la Commission européenne


comme un des pays finançant le terrorisme, a finalement obtenu la levée
de cette accusation. Par contre, de plus en plus de résolutions votées dans
ce cadre désignent nommément l’Arabie comme responsable de
multiples violations des droits de l’homme, de l’assassinat de Khashoggi,
de crimes de guerre au Yémen, de torture sur les femmes arrêtées. Des
parlementaires français résistent : Michèle Alliot-Marie et Rachida Dati,
toutes deux anciennes ministres, restent d’irréductibles prosaoudiennes.
La Turquie, rivale de l’Arabie pour prendre la tête des pays sunnites,
a demandé l’extradition de dix-huit Saoudiens arrêtés dans leur propre
pays, soupçonnés d’être impliqués dans le meurtre. Mais Riyad a
répondu qu’il n’était pas question d’extrader ses citoyens, affirmant que
les suspects seraient jugés dans leur pays. Le procureur général s’est
contenté de demander la peine de mort contre cinq membres du
commando.
La presse arabophone (tunisienne, irakienne et égyptienne), quant à
elle, semble avoir conservé une assez large capacité critique, avec
l’appui de l’opinion publique. Mais la dépendance politique et/ou
financière à l’égard de Riyad rend les autorités politiques locales
prudentes.
L’affaire Khashoggi est donc une bombe à fragmentation qui explose
différemment selon les espaces : la stratégie diplomatique turque a obligé
l’Arabie à reconnaître la responsabilité de ses équipes en promettant de
les punir. Le président Trump avait blanchi MBS et choisi de relancer la
tension avec Téhéran, en partie pour soulager Riyad. L’arrivée de Joe
Biden rouvre le dossier.
C’est en France que l’affaire a le plus de chances de s’éteindre. La
présence auprès du président de la République, comme du Premier
ministre, de certains acteurs des sociétés françaises qui ont soutenu le
lobby saoudien, laisse penser que Riyad peut ne pas s’inquiéter. La
société Publicis joue le rôle central dans le lobbying de l’Arabie saoudite
et n’a aucune intention de prendre quelque distance que ce soit à l’égard
de Riyad, quand bien même il s’agirait de prendre la défense des femmes
emprisonnées, thème si cher à Mme Badinter quand elles ne sont pas
saoudiennes.
Il reste cependant à se poser une ultime question : on ne peut nier que
MBS tente des réformes regardées comme impensables il y a encore
quelques années, mais dans le même temps il ne se prive pas de recourir
aux emprisonnements quand des voix issues de la société civile se font
entendre, lui demandant d’aller plus loin. Quelles sont les résistances
internes ? La hiérarchie religieuse, qui, ne l’oublions pas, tient tout le
système éducatif, judiciaire et culturel, peut-elle l’accepter ? Si oui,
jusqu’à quel point ? Les princes de la famille royale dépossédés de leur
argent et d’une partie de leur pouvoir vont-ils se saisir de la crise ouverte
par la publication du rapport de la CIA pour prendre leur revanche sur
MBS ? Toutes ces microfissures aboutiront-elles à une réforme ou à une
réaction contraire ? Masquer ces interrogations entre également dans la
mission des sociétés de relations publiques, qui ne quitteront le navire
que lorsqu’il sombrera.
ANNEXES
Annexe 1
L’onde de choc de l’affaire Khashoggi
aux États-Unis et en Grande-Bretagne

Aux États-Unis, les rats ne quittent pas le navire. Le Washington Post


a rapidement ordonné à un blogueur prosaoudien de cesser de publier.
Selon le journal Politico, le Post avait notifié à l’écrivain Carter Eskew
qu’il ne pouvait plus publier d’articles sur le site web tant que l’enquête
n’était pas terminée. Mais Eskew avait déclaré à Politico dans un
communiqué que son entreprise avait techniquement mis fin à ses
relations avec le gouvernement saoudien avant que le Post lui notifie
l’ultimatum, ajoutant qu’il n’avait personnellement jamais participé au
lobbying pour le pays. C’était le deuxième rédacteur d’opinion du
journal à recevoir un tel ultimatum en une semaine. Le Post a confirmé
que la même instruction avait été notifiée à Ed Rogers, lobbyiste de
longue date du Parti Républicain (GOP), parce qu’il refusait de dire s’il
mettrait fin à ses relations avec le gouvernement saoudien.
Apparaît au grand jour la multiplicité des liens tissés avec de grandes
sociétés de RP et même de grands médias anglo-saxons. Selon l’agence
Bloomberg, au moins dix-huit de ses lobbyistes maintiennent leur
relation avec Riyad. Six organisations seulement se sont distanciées
après le meurtre du chroniqueur. Le groupe Harbour a été le premier à le
faire. Dans les jours et les semaines qui ont suivi, Gladstone Place
Partners, Glover Park Group, BGR, Gibson, Dunn & Crutcher et, plus
récemment, Portland Communications ont pris leurs distances, mais
seule Portland a déclaré le 3 octobre qu’elle ne reprendrait pas son
contrat avec Alwaleed Philanthropies. Selon le Foreign Agents
Registration Act (FARA), qui oblige les lobbyistes à déclarer leurs
clients et leurs missions, Portland aurait dû, pour respecter la loi, se
présenter en tant qu’« agent étranger » puisque le secrétaire général
d’Alwalweed est la princesse Lamia bint Majed al-Saud et non un
officiel saoudien. L’agence MSL Group a déclaré à Bloomberg qu’elle
continuait de surveiller la situation : « Nous restons très préoccupés par
les circonstances concernant le royaume d’Arabie saoudite et Jamal
Khashoggi. C’est une situation assez grave et nous la suivons de près. »
D’autres sociétés ont cédé à la pression. Dans le cadre de son travail,
l’agence Omnicom avait reçu 132 000 dollars pour les activités de
communication vers les entreprises du 1er novembre 2017 au 30 avril
2018. Après avoir confirmé son maintien du contrat saoudien, la société
a finalement suspendu par précaution ses liens quelques jours après que
la sénatrice Elizabeth Warren a ouvert une enquête sur les rapports du
cabinet de lobbying K Street avec les Saoudiens, à la suite du meurtre.
Certains acteurs étrangers continuent à travailler pour les Saoudiens,
arguant souvent de missions spécifiques. Le groupe Brunswick
continuera à gérer les communications financières pour Aramco, ce qui
n’implique « aucun travail progouvernemental » selon son porte-parole.
Brownstein Hyatt Farber Schreck poursuit sa représentation du ministère
des Affaires étrangères. Un porte-parole du cabinet d’avocats Gowling
WLG a confirmé qu’il travaillait pour le ministère de l’Énergie, de
l’Industrie et des Ressources minérales : « Il s’agit exclusivement de
donner son avis sur un éventuel accord avec les États-Unis concernant
les utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire et les questions
juridiques concernant le développement d’un programme nucléaire
commercial en Arabie saoudite », selon son porte-parole. La date
d’expiration de ce contrat était fixée au 31 mai 2020.
SouthFive Strategies, sous-traitant pour la conférence de la Ligue
islamique mondiale à New York, qui s’est déroulée les 4 et 5 octobre
2018, s’est exprimé publiquement par la voix de son président, Jason
Epstein, par courrier électronique : « L’accord couvrait la période du
27 septembre au 26 octobre… Un renouvellement de l’accord n’a pas été
discuté… Si la Ligue cherchait une assistance supplémentaire dans la
promotion du dialogue interreligieux et interculturel, SouthFive serait
ravie de l’aider. » FleishmanHillard a commencé à travailler pour
l’université des sciences et de la technologie du roi Abdallah il y a plus
de dix ans, participant aux efforts de promotion mondiale avant même la
construction de l’école. La responsable du compte, Diala Demashkieh, a
déclaré qu’elle terminait un projet plus tôt cette année, et après avoir aidé
à coordonner le forum Innovation for Impact, tenu en mars au MIT. Un
porte-parole de FleishmanHillard a refusé de commenter la date à
laquelle la relation a officiellement pris fin ou si l’agence souhaite
continuer à travailler avec l’université et les Saoudiens. En 2017,
Edelman Holdings a aidé l’Autorité générale saoudienne des
investissements à « faire avancer diverses initiatives de développement
économique » et en a également géré le contenu éditorial, selon les
documents du FARA. Cela supposait qu’Edelman tente de faire passer
des reportages dans les médias nationaux pour « mettre en lumière les
réformes de la santé en Arabie saoudite, ainsi que pour publier un article
d’opinion dans le magazine Site Selection du ministre saoudien de la
Santé », indique le FARA. Un porte-parole d’Edelman a déclaré… que le
travail avait été « achevé en mai de la même année ». La Sagia (Société
d’aide à l’investissement saoudienne) a été soutenue jusqu’en
décembre 2017 au moyen de communications internes, la société
américaine refusant de dire si l’entreprise romprait complètement les
liens avec le royaume. « Nous évaluons chaque opportunité au cas par
cas et nous ne pouvons pas vraiment dire ce que nous ferions ou ne
ferions pas sur la base d’une question hypothétique », a déclaré son
porte-parole.
Avant sa fusion avec Burson-Marsteller, Cohn & Wolfe a commencé
à représenter le projet Neom en 2017 en tant que partenaire mondial,
tandis que les entités de la branche Y & R de WPP étaient chargées de la
stratégie de marque selon une source proche du dossier. La même année,
Politico affirmait que Burson-Marsteller avait promu la campagne de
l’Alliance militaire islamique au Yémen comme un effort de lutte contre
le terrorisme mené par l’Arabie saoudite. Ni BCW ni WPP n’ont
répondu aux demandes de commentaires sur cet article.
En outre, Politico désigne H+K Strategies et FleishmanHillard
comme traditionnels opérateurs de relations publiques pour l’Arabie
saoudite à Bruxelles. Mais Fleishman a déclaré qu’il n’y gérait aucun
travail pour le royaume. APCO a également ouvert un bureau en Arabie
saoudite en mai 2018. Le représentant de l’agence n’a pas répondu aux
demandes de commentaires.
Aux États-Unis, la logique saoudienne semble privilégier l’action sur
les milieux d’affaires : voir l’article « La redoutable influence de Riyad à
Washington… Pluie de pétrodollars sur les cercles de réflexion, les
experts et les médias » dans Le Monde diplomatique de juillet 2017.

L’onde de choc en Grande-Bretagne

Une enquête du Guardian a révélé que Londres était devenu une


plaque tournante des campagnes publiques internationales d’influence
pour améliorer l’image du royaume et de ses alliés régionaux. La
principale agence, Freud, grande société indépendante de relations
publiques en Grande-Bretagne, qui a beaucoup travaillé avec l’Arabie
saoudite pour le plan Vision 2030 en 2016, prend désormais ses distances
avec le royaume. Un porte-parole a déclaré qu’il ne travaillait plus pour
le gouvernement saoudien.
La décision de The Independent d’établir un partenariat avec un
éditeur saoudien étroitement lié au gouvernement saoudien suscite de
nouvelles inquiétudes 125. L’accord verrait The Independent céder sa
marque à cet éditeur proche du prince héritier Mohammed ben Salman.
Le SRMG, organe officiel, fournirait son propre personnel pour les sites
autonomes, qui figureront sous le bloc-titre The Independent, publiés en
arabe, turc, ourdou et persan. L’ensemble du personnel étant embauché
par l’éditeur saoudien, les journalistes approchés pour s’assurer que les
sites respectent les normes éthiques du journal ont exprimé leur
préoccupation face à une éventuelle ingérence éditoriale. « Quand j’ai
demandé si le rédacteur en chef consultant serait habilité à empêcher un
article qui ne respecterait pas les normes éditoriales de The Independent,
on m’a répondu qu’il n’était pas encore clair si le rédacteur en chef
consultant aurait ce pouvoir ou non. Il était clair que le contrôle éditorial
de The Independent serait nominal », déclare un journaliste. Christian
Broughton, le rédacteur en chef, aurait récemment rassuré le personnel
basé à Londres sur le fait que les nouveaux sites seront aussi
indépendants que leur nom l’indique, malgré leurs liens avec le
gouvernement saoudien. Le Guardian croit savoir que le SRMG a
demandé à une journaliste iranienne, Camelia Entekhabifard, de modifier
le site web en farsi, qui devrait être basé à New York. Elle travaille aussi
pour Iran International, chaîne de télévision basée à Londres, qui, selon
le Guardian, reçoit des fonds de la cour royale saoudienne.
Immédiatement après la disparition de Khashoggi, Mme Entekhabifard a
retweeté des messages faisant la promotion de la version saoudienne de
la disparition de Khashoggi sur les médias sociaux. En 2019, Evgeny
Lebedev, propriétaire russe de The Independent, a vendu 30 % de sa
participation à un homme d’affaires saoudien, Sultan Muhammad
Abuljadayel. Peu de temps après, deux administrateurs ont rejoint le
conseil d’administration du journal. L’un d’entre eux est D.-J. Collins, du
cabinet de relations publiques Milltown Partners, un ancien collaborateur
du New Labour qui siège au conseil d’administration de l’Institut Tony
Blair.
Un autre grand journal britannique, The Telegraph, a refusé de
commenter les rumeurs selon lesquelles un acheteur saoudien potentiel
aurait pris contact avec lui plus tôt cette année. Le porte-parole a affirmé
que le journal n’était pas à vendre et que toute question concernant une
approche devait être adressée « aux Saoudiens ». Les membres du
personnel du Evening Standard, qui appartient également à Lebedev, se
sont inquiétés des raisons pour lesquelles un journaliste spécialisé dans la
défense, Robert Fox, a publié un rapport spécial sur la guerre au Yémen,
paru en mai 2019. L’article ne mentionnait pas le fait que Fox était
accompagné de Lebedev dans sa tournée des forces yéménites soutenues
par les Saoudiens, le propriétaire du journal publiant sur Instagram ses
photos avec des soldats dans une camionnette. Bloomberg a également
cédé son nom au SRMG pour une nouvelle chaîne de télévision. Le
bureau londonien de l’éditeur en ligne Vice travaille actuellement sur une
série de films destinés à promouvoir l’Arabie saoudite en collaboration
avec le groupe d’édition saoudien SRMG. MBS a rencontré le vice-
fondateur Shane Smith lors de sa tournée aux États-Unis. Vice déclare
avoir conservé un contrôle éditorial total sur le matériel, mais que
l’accord était en cours de révision. Il existe donc un schéma nouveau
selon lequel SRMG signe un accord pour sécuriser les droits d’une
marque de média respectée, telle que Bloomberg ou The Independent,
mais la nouvelle publication est gérée par une équipe embauchée par les
Saoudiens. De tels arrangements sont préoccupants en particulier lors de
la publication ou de la diffusion dans des langues autres que l’arabe et
pour des publics autres que l’Arabie saoudite. Il y aurait certainement un
tollé si Bloomberg ou The Independent, par exemple, signaient un accord
sur les médias avec une chaîne russe. Le SRMG a également contribué
au financement du Tony Blair Institute for Global Change avec un don
d’environ 10 millions de dollars (7,6 millions de livres) en échange de
l’aide fournie par l’ancien Premier ministre au programme de
modernisation de l’Arabie saoudite. L’institut a refusé de commenter.
Parmi les autres entreprises, la société londonienne Consulum,
composée en grande partie d’anciens employés de Bell Pottinger, mise
en faillite en 2017 à la suite d’un scandale en Afrique du Sud, a pris la
suite et a participé à des programmes de communication du
gouvernement saoudien. Ryan Coetzee, ancien conseiller de Nick Clegg
(vice-Premier ministre de 2010 à 2015), stratège en chef de la campagne
restante du référendum sur l’UE, est au nombre des partenaires de la
société.
Milltown Partners, entreprise dirigée par l’ancien chef des
communications du prince Charles et ancien collaborateur du New
Labour, a déclaré ne pas avoir de « contrat en cours », mais n’infirme pas
avoir travaillé avec l’État saoudien sur des projets au cours des derniers
mois.
Kekst CNC, filiale de la société de relations publiques française
Publicis ayant des bureaux à Londres, a déclaré ne pas avoir travaillé
avec les Saoudiens « depuis le début de l’année 2019 ».
Mark Read, le PDG de WPP, est pris dans les suites du meurtre
saoudien alors qu’il est révélé que son entreprise est au centre de la
conférence controversée « Davos in the Desert » organisée par Richard
Attias and Associates, dont WPP détient 49 %.
Les efforts saoudiens se sont étendus à Westminster. Des dizaines de
députés des deux bords ont bénéficié de voyages gratuits en Arabie
saoudite d’une valeur supérieure à 200 000 livres au cours des trois
dernières années, avec un voyage toutes dépenses comprises coûtant plus
de 8 000 livres par tête. Les envois de dizaines de paniers garnis aux
ministres et députés amis semblent être une spécificité en Grande-
Bretagne. Le député conservateur Rehman Chishti a reçu 46 000 livres
pour fournir des conseils au Centre de recherche et d’études islamiques
King Faysal pendant une période de deux ans, jusqu’à sa démission de ce
poste en janvier 2019.
SRMG est donc un instrument essentiel du soft power saoudien au
Royaume-Uni. Lina Khatib, responsable du programme Moyen-Orient–
Afrique du Nord de Chatham House, pense que le royaume saoudien
s’est lancé dans une « vaste campagne de relations publiques centrée sur
le Royaume-Uni et les États-Unis » au cours des deux années qui ont
suivi l’arrivée de MBS. Le pays aurait choisi d’investir dans du contenu
en langue anglaise destiné à un public mondial. L’Arabie saoudite avait
même évoqué la création d’un groupe de réflexion prosaoudien à
Londres, après avoir établi une présence similaire aux États-Unis par le
biais d’organisations telles que Arabia Foundation. « Avec le Brexit qui
se profilait, l’Arabie voyait une opportunité d’accroître ses relations avec
le Royaume-Uni, qui commençait à chercher des alternatives au marché
unique européen », a déclaré Mme Khatib.

En Grande-Bretagne, le même mutisme prévaut

Comme le constate le directeur de The Observer, les méthodes et les


résultats du lobbying en France sont assez semblables à ceux qui
s’exercent en Grande-Bretagne : « Les relations de la Grande-Bretagne
avec l’Arabie saoudite constituent l’un des domaines de la politique
étrangère les plus sacrés et les plus protégés. On peut le questionner (et
c’est souvent le cas) mais, au premier signe d’un sérieux défi, les volets
se ferment. Il existe des éléments d’un “État profond” qui considèrent la
relation comme un intérêt national plutôt que comme un choix politique.
Les raisons habituelles invoquées sont économiques (en particulier la
vente d’armes) et, plus vague encore, la “sécurité”. Le gouvernement
craint de critiquer ouvertement le royaume, même si les journaux, les
ONG et certains députés le font souvent. Dans ce contexte, les Saoudiens
n’ont pas besoin de faire grand-chose pour protéger la relation. Dans
l’ensemble, les Britanniques s’en occupent. » Le lobbying saoudien
atteint ses objectifs assez facilement, employant des techniques
similaires à ce qui se fait ailleurs en Europe : parlementaires dévoués,
séminaires de complaisance, experts choyés, universitaires et milieux
académiques prudents, diplomates souples, voyages de groupes
parlementaires ressemblant parfois à des colonies de vacances, gestion
« nuancée du hajj », myopie sur l’influence du salafisme saoudien… Des
différences avec les techniques employées dans d’autres démocraties
apparaissent cependant en France en première approche : peu ou pas de
financement de chaires universitaires, experts académiques plus
« prudents » que leurs homologues anglo-saxons, personnalités
parisiennes disponibles et mobilisables… Nous n’avons pas trouvé de
preuves de financement direct dans les médias.
L’activité missionnaire saoudienne a eu une influence considérable
sur les musulmans en Grande-Bretagne en finançant des mosquées et en
diffusant des ouvrages religieux wahhabites. Deuxièmement, les jeux
politiques interarabes se déroulent souvent à Londres, ce qui génère
beaucoup d’activités de relations publiques. Le livre AngloArabia de
David Wearing, chercheur à la London University, décrit « une
combinaison unique de liens économiques et stratégiques », explore la
nature de ces liens et pourquoi ils sont si importants aujourd’hui. The
global oil, le marché mondial du pétrole, est certainement un facteur
central, bien que ce ne soit pas aussi structurant pour la diplomatie
britannique que par le passé. La Grande-Bretagne ne dépend pas
beaucoup du Golfe pour ses approvisionnements en pétrole, il y a donc
un faisceau d’acteurs et d’intérêts agissant ensemble. Le Golfe est un
marché en croissance rapide en partie à cause des ventes d’armes. Les
exportations, d’une valeur d’environ 14 milliards de livres, sont
équivalentes à celles de la Chine et de l’Inde combinées. La Grande-
Bretagne a également bénéficié d’une partie substantielle des
investissements saoudiens et des États du Golfe qui ont diversifié leurs
économies. Les États de la région ont également beaucoup investi dans
leurs infrastructures locales, ce qui crée de nouvelles opportunités pour
les entreprises britanniques. Lord Howell, ex-ministre des Affaires
étrangères, déclarait en 2012 : « Rien qu’en infrastructures, il est prévu
d’investir environ 2 000 milliards de dollars au cours de la prochaine
décennie. Ici, en Grande-Bretagne, nous nous efforçons d’être le
partenaire commercial de choix du Golfe. »
Annexe 2
L’Arabie saoudite dans la presse
arabophone

Un travail de recension de la couverture journalistique française


comparée à celle de la presse arabophone et anglo-saxonne sur quelques
affaires récentes semble prouver que la politique de communication
saoudienne est parvenue à faire intérioriser la censure chez ses
partenaires occidentaux plus que chez ses partenaires arabes. Au total, Le
Monde et ses suppléments ont publié plus de six cents articles, brèves et
dossiers mentionnant ce pays du Golfe, ces dix-huit derniers mois.
Depuis le lancement du plan Vision 2030 de Mohammed ben Salman,
c’est surtout la teneur des sujets dans la presse qui a changé. Certains ont
une tonalité désormais plus anecdotique : « La bataille du divertissement,
une audace », Le Monde (juin 2017) ; « Les Saoudiens défendent leur
action humanitaire », Le Journal du dimanche (avril 2017) ;
« Saoudiennes au volant, le roi s’offre une bonne conduite », Libération
(septembre 2017).

Comment les médias arabes ont-ils traité l’affaire


Khashoggi ?

Plus d’un an après l’affaire, en parlent-ils toujours ? Diagnostic


essentiel pour voir où en est l’Arabie saoudite dans la maîtrise de son
image auprès de l’opinion publique dans le monde arabe. Elle y joue sur
les deux tableaux : la pression politique d’une part, et le levier financier
sur les médias et les journalistes d’autre part. Rappelons aussi que, dans
la presse écrite arabophone, l’Arabie saoudite a toujours la main sur les
médias les plus importants : les journaux Asharq al-Awsat (panarabe),
Al-Hayat (Liban), Al-Watan, les télés et radios MBC, Al-Arabiya, Rotana
(la plus grande société de divertissement des médias arabes, ex-propriété
du prince Al-Walid ben Talal), etc., qui sont les principaux acteurs du
paysage médiatique du Moyen-Orient.
Pour analyser le traitement médiatique dans le monde arabe, notre
choix s’est porté sur trois pays : le Liban, la Tunisie et l’Irak, pour
couvrir le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, chaque région présentant
un contexte géopolitique différent. Le choix s’est fait en fonction du
classement mondial 2018 de l’indice de la liberté de la presse, publié par
Reporters sans frontières, qui a classé la Tunisie au 97e rang, suivie du
Liban au 100e. Ce sont les deux pays du monde arabe jouissant de la plus
grande liberté de la presse.
Une analyse globale du champ médiatique arabe montre que l’intérêt
s’est globalement estompé (comme d’ailleurs dans la presse occidentale),
à l’exception de la chaîne libanaise Al-Manar qui n’a cessé, quant à elle,
de publier des articles sur le sujet (en moyenne, depuis octobre 2018,
quatre à cinq articles par mois sur l’assassinat). Et cela va au-delà du
récit des circonstances ou du suivi de l’affaire, et concerne l’actualité
saoudienne dans son ensemble, en dénonçant, par exemple, la légitimité
de l’Arabie saoudite à endosser la présidence du G20 à compter du
1er décembre 2019 126. Mais l’Arabie saoudite reste toujours un État
difficilement critiquable dans le monde arabe par refus de porter atteinte
au pays des deux lieux saints. L’Arabie saoudite a de plus été servie par
l’actualité du monde arabe, qui a relégué l’affaire Khashoggi au énième
plan. La vague de révoltes qui secoue la région depuis quelques mois, de
l’Algérie à l’Irak en passant par le Liban depuis le 17 octobre 2019,
presque un an exactement après l’affaire Khashoggi, a focalisé le regard
des médias arabophones. Le royaume saoudien, pendant ce temps-là, a
joui aussi d’une actualité favorable en organisant un sommet médiatique
de grande envergure, le Forum des médias, le « Saudi Media Forum »,
un an après l’assassinat. Plus de mille journalistes venus des pays arabes
et de l’international 127 ont dû entendre Mohammed al-Harthi, le président
du forum, déclarer : « Nous croyons au rôle important que jouent les
médias aujourd’hui, ainsi qu’à la liberté et l’indépendance de la
presse 128 »…

Au Liban

Le Liban est un des terrains de la rivalité irano-saoudienne, les


médias sont de nature communautaire et, malgré une relative liberté de
ton, sont extrêmement politisés et polarisés. Les journaux, radios et
chaînes de télévision servent d’outils de communication aux partis
politiques ou hommes d’affaires, selon RSF. Depuis des années, certains
responsables politiques libanais réclament des aides financières à Riyad
en échange de leur loyauté. Ainsi, l’Arabie saoudite s’assure d’une
fidélité médiatique grâce à ses alliés au sein même du système politique
libanais, qui se caractérise par l’ancienneté et la pérennité des élites
politiques. Ces mêmes personnes gèrent les médias les plus influents,
sorte de délégation de la stratégie médiatique du royaume aux
responsables politiques libanais, qui doivent rendre compte de leurs
actions auprès de l’ambassade saoudienne. Les médias étudiés sont la
chaîne Future TV et son journal Al-Mustaqbal (« Futur »), appartenant à
la famille Hariri prosaoudienne ; la chaîne Al-Manar, et son journal Al-
Manar, chaîne du Hezbollah, pro-iranienne et proqatarienne ; le journal
Al-Nahar, premier journal libanais, considéré comme modéré, mais à
tendance prosaoudienne (Al-Walid ben Talal détient des parts
importantes).
L’affaire Khashoggi n’a pas suscité énormément d’indignation auprès
des médias les plus importants. Ainsi, Al-Nahar lui a réservé deux
articles : « Le journaliste saoudien Jamal Khashoggi : biographie d’un
auteur contestataire », « Jamal Khashoggi et la liberté de la presse »
(10 octobre 2018), mais aucune critique sur l’Arabie saoudite. Sur Future
TV, très peu de choses sur l’affaire en comparaison avec les autres
chaînes. On y explique qu’il appartient à l’Arabie saoudite de régler elle-
même cette affaire qui concerne un citoyen saoudien et que ce n’est pas
une raison pour attaquer le pays qui a tant apporté au Liban. Dans un
article du 27 octobre 2018 de L’Orient-Le Jour (un des seuls articles sur
l’affaire), on peut lire : « L’affaire Khashoggi a provoqué une hystérie
générale. Les vérités viendront avec le temps et l’Arabie saoudite
prendra elle-même les mesures nécessaires pour juger les personnes
impliquées. » Ou encore : « Certes, le crime est horrible, mais on n’a pas
le droit de l’utiliser pour attaquer l’Arabie saoudite, qui a tant contribué à
la stabilité du Moyen-Orient et sans qui nous serions tombés dans
l’orbite iranienne. » Le seul média qui n’a pas cessé de traiter l’affaire
est la chaîne chiite Al-Manar, qui y a consacré 32 articles et reportages et
a transmis un discours de Hassan Nasrallah, secrétaire général du
Hezbollah, du 19 octobre 2018, relatant l’affaire et visionné 171 643 fois
sur YouTube. C’est le média arabophone – à l’exception d’Al-Jazeera –
qui s’est le plus intéressé à l’assassinat.
Le sujet le plus traité par les médias libanais est évidemment
« l’arrestation » du Premier ministre Saad Hariri en novembre 2017, sans
surprise. Néanmoins, il est peu question « d’enlèvement », on parle de
« départ » en Arabie saoudite et « de retour » au Liban, et on souligne
que Saad Hariri y est parfaitement libre de ses actes. Sur Future TV :
« Al-Hariri : je suis libre en Arabie saoudite et je rentrerai au Liban d’ici
quelques jours », « L’Arabie saoudite n’entrave pas la formation du
gouvernement libanais ! », « L’Arabie saoudite tient à la stabilité du
Liban et ne se mêle pas de la constitution du gouvernement » tiennent à
rassurer les Libanais. La même chaîne souligne que « Hariri a déclaré
que l’Arabie saoudite occupe un rôle central dans la stabilisation de la
région et du soutien aux questions arabes » et que « les accusations
envers l’Arabie saoudite constituent un risque pour la stabilité de la
région » (27 nov. 2017). De nombreuses critiques ont cependant surgi sur
les réseaux sociaux, et notamment sur Twitter, où se sont généralisés les
hashtags #FreeSaadHariri et #Otage. Ces contestations ont ensuite été
reprises par la chaîne Al-Manar, qui a souligné l’ingérence saoudienne
dans les affaires libanaises (8 octobre 2018) : « Le Premier ministre en
charge de la formation du cabinet libanais, Saad Hariri, a été insulté en
Arabie saoudite, lorsqu’il y a été capturé en novembre 2017. »
La guerre au Yémen n’est pas un sujet couramment traité. Al-Manar
insiste sur la violence saoudienne et sur les massacres à ciel ouvert sans
aucune réaction internationale. Pour ce média, l’Arabie saoudite a mis en
place des techniques de manipulation pour détourner le regard. En
réponse, Future TV appuie sur le désastre iranien au Yémen (31 octobre
2018) : « Ce que les Iraniens ont commis au Yémen est une menace pour
la sécurité régionale » ou encore, en reprise des paroles d’Al-Jubeir,
« l’Iran est le plus grand État soutenant le terrorisme. »
Sur la question des droits de l’homme (et de la femme) en Arabie
saoudite, le premier média libanais, Al-Nahar, ne consacre aucun article
sur leur site Internet. L’attention n’est pas portée sur la persécution des
femmes saoudiennes, mais sur les droits qui leur ont été concédés, dont
la conduite, ou encore la nomination de la première femme ambassadrice
à Washington. Ces articles sont également sur Future TV. En revanche,
Al-Manar fait office de défenseur des droits des femmes saoudiennes et
tient un inventaire clair et fourni sur les détenues, révèle toutes les
injustices et la dureté des conditions de vie dans les prisons saoudiennes :
« Détenues dans les geôles saoudiennes : photos nues, attouchements
sexuels, menaces d’être tondues dans les toilettes… » (4 janvier 2019) ;
« Les autorités pénitentiaires saoudiennes exercent les pires moyens de
torture contre les militantes des droits des femmes détenues dans leurs
prisons, a révélé l’organisation Al-Qast pour les droits de l’homme » ;
« Une jeune Saoudienne arrêtée à Bangkok dit craindre pour sa vie si elle
est rapatriée » (6 janvier 2019) ; « Arabie saoudite : une application aide
les hommes à empêcher les femmes sous leur tutelle de fuir le pays » (5
février 2019).
Sur les arrestations en général : « De l’importance de faire respecter
les droits de l’homme et la liberté d’expression en Arabie saoudite :
inquiétude quant au sort de Raif Badawi » (Al-Manar, 25 avril 2018) ;
« Le meurtre d’un autre journaliste saoudien sous la torture : Turki ben
Abdul Aziz al-Jaser », (8 novembre 2018) ; « La répression reprend son
cours en Arabie : MBS arrête son propre frère Bandar ben Salman »
(17 janvier 2019) ; « MBS se débarrasse d’un autre prince » (son cousin
le prince Khaled al-Fayçal, 22 janvier 2019) ; « Début et fin d’une grève
de la faim de détenus d’opinion saoudiens… l’histoire de leur doyen »
(16 février 2019) ; « La répression se poursuit à Bahreïn : prison pour
des membres de la famille d’un opposant » (famille du dissident Sayed
Ahmed Alwadaei, responsable du Bahrain Institute for Rights and
Democracy, 25 février 2019).
Si les médias prosaoudiens au Liban cherchent à couvrir de façon
complaisante les crises saoudiennes et à mettre en avant la
transformation du royaume, ils ont néanmoins du mal à occulter toutes
les critiques qui émergent et qui sont favorisées par la popularité
montante de la chaîne Al-Manar, qui rompt la « fabrication positive » de
l’image saoudienne au Liban. Le champ médiatique libanais échappe
donc au contrôle strict de l’Arabie saoudite et les crises récentes ont
laissé une trace sur les lecteurs libanais.

Documents Saudileaks :
Lettre du ministre des Affaires étrangères
de l’Arabie saoudite demandant le retrait
d’articles de journaux libanais critiques envers
l’Arabie saoudite

‫ﺻﺎﺣﺐ اﻟﺴﻤﻮ اﻟﻤﻠﻜﻲ وزﯾﺮ اﻟﺪوﻟﺔ ﻋﻀﻮ ﻣﺠﻠﺲ اﻟﻮزراء‬


‫رﺋﯿﺲ دﯾﻮان رﺋﺎﺳﺔ ﻣﺠﻠﺲ اﻟﻮزراء‬
‫ ﻟﻤﻌﺎﻟﻲ وزﯾﺮ اﻟﺜﻘﺎﻓﺔ واﻹﻋﻼم‬/ ‫ﺻﻮرة‬

‫ ﺑﺸﺄن ﻣﻘﺎﺑﻠﺔ‬.‫ھـ اﻟﺘﻲ ﺗﺸﺮﻓﺖ ﺑﺮﻓﻌﮭﺎ ﻟﻠﻤﻘﺎم اﻟﻜﺮﯾﻢ‬25/2/1432 ‫وﺗﺎرﯾﺦ‬92/16/61393 ‫إﻟﺤﺎﻗﺎ ً ﻟﺒﺮﻗﯿﺘﻲ رﻗﻢ‬
‫ﺳﻔﯿﺮ اﻟﻤﻘﺎم اﻟﺴﺎﻣﻲ ﻓﻲ ﺑﯿﺮوت ﻟﻔﺨﺎﻣﺔ رﺋﯿﺲ اﻟﺠﻤﮭﻮرﯾﺔ اﻟﻠﺒﻨﺎﻧﯿﺔ ﻣﯿﺸﺎل ﺳﻠﯿﻤﺎن‬.
‫أﻓﺎدت ﺳﻔﺎرة اﻟﻤﻘﺎم اﻟﺴﺎﻣﻲ ﻓﻲ ﺑﯿﺮوت ﺑﺄن ﺳﻌﺎدة اﻟﺴﻔﯿﺮ ﺗﺴﻠﻢ ﻣﻦ دوﻟﺔ اﻟﺮﺋﯿﺲ ﺳﻌﺪ اﻟﺤﺮﯾﺮي ﺧﻼل اﻟﺰﯾﺎرة‬
‫اﻟﺘﻲ ﻗﺎم ﺑﮭﺎ ﻟﺪوﻟﺘﮫ ﻧﺴﺦ ﻣﻦ ﻣﻘﺎﻻت ﻟﻜﺘﺎب ﺳﻌﻮدﯾﯿﻦ وﻵﺧﺮﯾﻦ ﻧﺸﺮﺗﮭﺎ ﺑﻌﺾ اﻟﺼﺤﻒ اﻟﺴﻌﻮدﯾﺔ ﺗﻨﺎوﻟﺖ‬
‫ وﻗﺪ ﻋﺒﺮ ﻟﻠﺴﻔﯿﺮ ﻋﻦ إﺳﺘﯿﺎﺋﮫ ﺧﺎﺻﺔ‬، (‫ﺑﺼﻮرة ﺳﻠﺒﯿﺔ دوﻟﺘﮫ وﺗﯿﺎر اﻟﻤﺴﺘﻘﺒﻞ وﺿﺪ اﻟﻤﺤﻜﻤﺔ اﻟﺪوﻟﯿﺔ )ﻣﺮﻓﻘﺔ طﯿﮫ‬
‫( آذار اﻟﺘﻲ‬8) ‫وأﻧﮭﺎ ﻧﺸﺮت ﻓﻲ أوج اﻷزﻣﺔ اﻟﺤﺎﻟﯿﺔ إﺿﺎﻓﺔ اﻟﻰ ﻣﺎ ﯾﺘﻌﺮض ﻟﮫ ﻣﻦ ﺣﻤﻼت ﻓﻲ وﺳﺎﺋﻞ إﻋﻼم‬
‫ أﺷﺎرت اﻟﺴﻔﺎرة أﻧﮫ ﺑﺎﻟﻨﻈﺮ اﻟﻰ‬. ‫أﺑﺮزت ﺗﻠﻚ اﻟﻤﻘﺎﻻت ﺧﺎﺻﺔ ﺗﻠﻔﺰﯾﻮن اﻟﻤﻨﺎر وإذاﻋﺔ اﻟﻨﻮر اﻟﺘﺎﺑﻌﺔ ﻟﺤﺰب اﻟﻠﮫ‬
‫ﺑﻌﺾ ﺗﻠﻚ اﻟﻤﻘﺎﻻت ﻟﻜﺘﺎب ﺑﺎرزﯾﻦ ﻛﻌﺒﺪاﻟﺮﺣﻤﻦ اﻟﺮاﺷﺪ )ﺻﺤﯿﻔﺔ اﻟﺸﺮق اﻷوﺳﻂ( وداوود اﻟﺸﺮﯾﺎن )ﺻﺤﯿﻔﺔ‬
‫اﻟﺤﯿﺎة( ﻓﻘﺪ ﻓﺴﺮھﺎ اﻟﺒﻌﺾ ﻋﻠﻰ أﻧﮭﺎ ﺗﻌﺒﺮ ﻋﻦ وﺟﮭﺔ ﻧﻈﺮ ﻓﻲ اﻟﻤﻤﻠﻜﺔ ﺗﻨﺘﻘﺪ أداء ﺳﻌﺪ اﻟﺤﺮﯾﺮي وﺗﺪﻋﻮا إﻟﻰ‬
‫ وﻗﺪ ﻻﺣﻈﺖ ﺑﻌﺪ اﺳﺘﻘﺎﻟﺔ ﺣﻜﻮﻣﺔ اﻟﺮﺋﯿﺲ ﺳﻌﺪ اﻟﺤﺮﯾﺮي ﺻﺪور ﻣﻘﺎﻻت ﻛﺜﯿﺮة ﺗﻨﺘﻘﺪ ﺗﯿﺎر اﻟﻤﺴﺘﻘﺒﻞ‬، ‫اﻟﺘﺨﻠﻲ ﻋﻨﮫ‬
‫ وﺑﻨﺖ وﺳﺎﺋﻞ إﻋﻼم ﺣﺰب اﻟﻠﮫ وﺣﻠﻔﺎﺋﮫ ﻋﻠﻰ ﺗﻠﻚ‬،‫ وﺑﻌﻀﮭﺎ ﯾﻨﺘﻘﺪ اﻟﺘﺰام اﻟﻤﻤﻠﻜﺔ ﺑﻠﺒﻨﺎن‬، ‫واﻟﺮﺋﯿﺲ ﺳﻌﺪ اﻟﺤﺮﯾﺮي‬
،‫اﻟﻤﻘﺎﻻت اﺳﺘﻨﺘﺎﺟﺎت ﺑﺄن اﻟﻤﻤﻠﻜﺔ ﻟﻢ ﺗﻌﺪ ﺗﺮﻋﻰ اﻟﺮﺋﯿﺲ اﻟﺤﺮﯾﺮي وﺗﻮﺟﮭﺎﺗﮫ ﺣﻮل ﻣﻌﺎﻟﺠﺔ اﻷوﺿﺎع ﻓﻲ ﻟﺒﻨﺎن‬
‫ وھﺬا‬، ‫وأن ھﻨﺎك ﻓﺮﯾﻘﯿﻦ ﺳﻌﻮدﯾﯿﻦ أﺣﺪھﻤﺎ ﯾﺮﻏﺐ ﺑﺎﻟﺘﻌﺎون ﻣﻊ ﺳﻮرﯾﺎ واﻵﺧﺮ ﻣﺘﺄﺛﺮ ﺑﻮﺟﮭﺎت اﻟﻨﻈﺮ اﻷﻣﺮﯾﻜﯿﺔ‬
‫ ﻧﺘﺞ ﻋﻨﮫ ارﺗﺒﺎك داﺧﻞ اﻟﺼﻒ‬، ‫ھﻮ أﺣﺪ اﻷﺳﺒﺎب اﻟﺘﻲ أدت إﻟﻰ ﺗﺄﺧﺮ ظﮭﻮر ﻣﻮﻗﻒ ﺳﻌﻮدي واﺿﺢ ﻣﻤﺎ ﯾﺠﺮي‬
‫اﻟﺴﻨﻲ ﻧﺘﯿﺠﺔ ﻟﺘﻠﻚ اﻵراء واﻟﺘﻲ ﻗﺪ ﯾﻜﻮن ﻟﮭﺎ اﻧﻌﻜﺎﺳﺎت ﺳﻠﺒﯿﺔ ﻋﻠﻰ وﺣﺪة ﺻﻔﮫ وھﺬا ﺑﻄﺒﯿﻌﺔ اﻟﺤﺎل ﻣﺎ ﺗﺄﻣﻠﮫ ﻗﻮى‬
‫( آذار‬8).
‫ﺗﺮى اﻟﺴﻔﺎرة أﻧﮫ ﻗﺪ ﯾﻜﻮن ﻣﻦ اﻟﻤﻨﺎﺳﺐ وﻗﻒ ﻣﺜﻞ ھﺬه اﻟﻜﺘﺎﺑﺎت اﻟﺘﻲ ﻻﺗﺨﺪم اﻷھﺪاف اﻟﻤﻨﺸﻮدة ﻟﻠﻤﻤﻠﻜﺔ‬.
‫ ﻣﻊ أطﯿﺐ ﺗﺤﯿﺎﺗﻲ‬.‫آﻣﻞ اﻟﻌﺮض ﻋﻦ ذﻟﻚ ﻋﻠﻰ اﻟﻨﻈﺮ اﻟﻜﺮﯾﻢ ﻟﻠﺘﻔﻀﻞ ﺑﺎﻹطﻼع واﻟﺘﻮﺟﯿﮫ‬.،،،،
‫ﺳﻌﻮد اﻟﻔﯿﺼﻞ‬
‫وزﯾﺮ اﻟﺨﺎرﺟﯿﺔ‬
Traduction
Son Altesse royale le ministre d’État membre du Conseil des ministres
Président du Cabinet du Conseil des ministres
Le ministre de la Culture et de l’Information

o
Suite à ma lettre n 92/16/1393 du 25/2/1432, que j’ai eu l’honneur de présenter
aux honorables dignitaires de la réunion de l’ambassadeur du Haut-Commissaire à
Beyrouth avec le Président de la République libanaise, Michel Sleiman.
L’Ambassadeur de la Haute Cour de Beyrouth a indiqué, lors de sa visite au Liban,
que l’Ambassadeur saoudien avait reçu des copies des articles d’écrivains saoudiens
publiés par certains journaux qui traitaient négativement du Liban, du Mouvement du
Futur [parti des Hariri] et du Tribunal international. Depuis la publication de ces
articles, Al-Manar TV et la station de radio Al-Nour du Hezbollah les ont beaucoup
relayés [car cela va dans le sens de leurs intérêts de critiquer l’Arabie saoudite].
L’ambassade a souligné que par ces articles rédigés par d’éminents écrivains tels que
Abdul Rahman al-Rashed [Asharq al-Awsat] et Dawood al-Sharian [Al-Hayat], on
pourrait croire que le royaume saoudien critiquait Saad Hariri et cherchait à s’en
débarrasser. […] Les médias du Hezbollah et ses alliés ont fondé leurs conclusions sur
le fait que le Royaume ne parraine plus le Premier ministre Hariri. Concernant la
situation en Syrie, ces articles affirmaient qu’il existait deux positions saoudiennes,
l’une en faveur de la coopération avec le régime syrien et l’autre plutôt proche du point
de vue américain. Ces deux groupes expliqueraient le manque d’unité du pouvoir
saoudien et cela impliquerait une division de la classe sunnite. Or, ces accusations sont
dangereuses.
L’ambassade estime, par conséquent, qu’il pourrait être approprié de mettre un
terme à ces écrits qui ne servent pas les objectifs souhaités du Royaume […].
Cordialement.

Saud al-Faisal
Ministre des Affaires étrangères

En Tunisie

La révolution de 2011 a entraîné une restructuration des médias


d’État et un fort développement de médias privés indépendants. L’Arabie
saoudite cherche résolument à se trouver des alliés au sein du champ
médiatique tunisien en pleine transition et parfois assez critique à son
égard (Anba’ Tounès, Zitouna TV, etc.). Un document des Saudileaks
(reproduit plus loin) montre comment le ministère des Affaires
étrangères saoudien a cherché à rassembler et rémunérer des journalistes
et écrivains pour promouvoir une image positive du royaume. En
juillet 2016, Rashad Younis, président de la télévision tunisienne
Wataniya, reçoit Essam Saleh al-Jatili, chargé d’affaires du royaume à
Tunis, afin de favoriser la coopération en fournissant le matériel
nécessaire à la télévision tunisienne pour numériser ses archives et
faciliter le travail des équipes de télévision tunisiennes dans leur
couverture d’événements majeurs, notamment religieux.
Il est d’autant plus intéressant d’analyser le traitement médiatique des
crises saoudiennes en Tunisie que le prince héritier saoudien a décidé de
visiter le pays dans le cadre de sa première tournée à l’étranger depuis le
scandale de l’affaire Khashoggi, très médiatisée. Il y a été reçu par des
manifestations populaires hostiles.
On trouve une certaine variété dans l’offre médiatique avec Wataniya
1, 2, chaînes nationales tunisiennes s’alignant sur les positions officielles
du régime et plutôt prosaoudiennes dans les faits ; Zitouna TV, chaîne
généraliste privée proche du parti Ennahda, lancée en 2012 et plus
favorable au Qatar après le début de la crise du Golfe de 2017 ; Anba’
Tounès, média se voulant jeune, indépendant et laïque (moyenne d’âge
des rédacteurs, vingt-cinq ans), mais critique envers Ennahda. Anba’
Tounès accorde de l’importance aux débats d’idées et à l’expression
citoyenne, à travers la publication de tribunes, d’opinions et de
commentaires, et ne penche ni pour l’Arabie saoudite ni pour le Qatar.
La rédaction dit avoir déjà fait l’objet d’intimidations et de diffamations
de la part des pouvoirs publics.
La crise avec le Qatar a eu un certain retentissement en Tunisie. On
retrouve la polarisation de la scène politique tunisienne entre les partis
Nidaa Tounès et Ennahda, lequel entretient des relations étroites avec le
Qatar. Ainsi, Zitouna TV, proche d’Ennahda, n’hésite pas à souligner
l’échec du blocus saoudien et la résilience de l’État qatarien. Les médias
nationaux comme Wataniya cherchent une position médiane dans le
conflit, mais on retrouve souvent des critiques qui touchent autant
l’Arabie saoudite que le Qatar dans une crise qualifiée d’hypocrite. En
témoignent les articles d’Anba’ Tounès : « Blague de l’année : rupture
entre l’Arabie saoudite et le Qatar » (7 juin 2017) ; « Rien ne va plus
entre le vieux lion [l’Arabie saoudite] et le jeune loup [le Qatar] » ;
« Crise du Qatar : l’Arabie saoudite, le Qatar et le terrorisme, hypocrisie
et double jeu partagés » (28 juin 2017).
La médiatisation de l’affaire Khashoggi est contrastée et révèle le
décalage existant entre la position officielle tunisienne (mise en avant par
les chaînes Wataniya) et celle de la société civile, dans la rue et les
réseaux sociaux, prônée par Anba’ Tounès. Sur Wataniya, peu de place a
été consacrée à ce sujet. Le 23 octobre 2018 l’article intitulé « Affaire
Khashoggi : la Tunisie condamne timidement le meurtre du journaliste »
cite les paroles du ministre des Affaires étrangères tunisien, selon qui
cette affaire ne doit pas constituer une occasion de déstabiliser le
royaume.
Pour Wataniya, comme pour la majorité des médias étatiques
arabophones, l’affaire du Ritz-Carlton a été saluée au nom d’une lutte
contre la corruption, mais de nombreuses critiques ont émergé du côté
des médias contestataires, selon lesquels tout cela n’était qu’une image
sans fond, qui n’amènerait aucun changement réel. Anba’ Tounès a
évoqué un « putsch déguisé en campagne anti-corruption » (7 novembre
2017).
La persécution des militants et des militantes pour les droits en
Arabie saoudite intéresse beaucoup Zitouna TV et Anba’ Tounès, comme
le montrent les titres et extraits suivants : « Une Tunisienne mise en
vente en Arabie saoudite ! » (1er février 2018) ; « Des ONG tunisiennes
solidaires avec les Saoudiens Badawi et Al-Sada » (3 août 2018). « Ces
rapports préoccupants ont été publiés à un moment où les médias faisant
allégeance aux autorités saoudiennes et des sociétés internationales de
marketing et de propagande prétendent, surtout depuis l’annonce en 2017
de la fin de l’interdiction faite aux femmes de conduire, que le prince
héritier Mohammed ben Salman est en train de mener “une réforme sans
précédent”. » « Il faut aussi noter que Loujain al-Hathloul, Eman al-
Nafjan, Aziza Youssef, Nouf Abdelaziz, Maya Zahrani, Mohammed al-
Bajadi et Khaled al-Omeir figurent parmi les activistes arrêtés en Arabie
saoudite. » Sur Zitouna TV : « Human Rights Watch met en garde contre
une répression coordonnée des dissidents en Arabie saoudite » ou encore
« Les autorités saoudiennes ont récemment arrêté au moins 20
militants » (15 septembre 2017).
Les nouveaux médias indépendants qui se sont développés en Tunisie
avec la révolution de 2011 sont plus difficiles à contrôler pour l’Arabie
saoudite. Sur Anba’ Tounès et Zitouna TV, les positions prises sur le
scandale Khashoggi ont plutôt reflété celles de la société civile, assez
critique à l’égard du royaume. Pour ne citer qu’un exemple, Anba’
Tounès a répertorié les hashtags et les slogans contre la visite du prince
héritier MBS en Tunisie en novembre 2018, soit un mois seulement
après le scandale Khashoggi : « Qu’il ne vienne pas chez nous », « Non à
la souillure de la terre révolutionnaire de Tunisie », « MBS criminel »,
« #LaAhlaWaLaSahlaBikaFiTounès » (« Tu n’es pas le bienvenu en
Tunisie ») et « La place de MBS est sur le banc des accusés ».
Pour Wataniya, le prince héritier saoudien conserve son image
positive et reste indispensable à la Tunisie malgré l’affaire. Dans une
émission transmise le 26 novembre 2018, le présentateur explique
pourquoi il ne faut surtout pas refuser la visite de MBS, l’Arabie
saoudite ayant beaucoup à offrir au pays sur le plan économique.
L’affaire Khashoggi n’est pas une raison pour rompre les relations
diplomatiques entre les États, celles-ci ayant leur propre logique. Enfin,
on affirme qu’il est déconseillé de froisser l’Arabie saoudite, qui
accueille chaque année des milliers de Tunisiens pour le hajj. Quelques
jours plus tard, la chaîne met en avant la décoration du prince héritier
saoudien des insignes de grand cordon de l’ordre de la République
tunisienne, titre honorifique qu’il a reçu durant sa visite.
Du côté du journal privé Anba’ Tounès, la critique contre la visite du
prince héritier Mohammed ben Salman est vive : « Le sulfureux prince
Mohammed ben Salman a droit aux honneurs en Tunisie » (28 nov.
2018). Il est rare de lire des articles arabophones contenant une critique
aussi explicite vis-à-vis du prince héritier : « MBS, chien de garde de
Trump dans le monde arabe » ou encore « MBS est imprévisible,
dangereux, brutal et belliqueux ». Le journal médiatise les
mécontentements de la société civile. « Recours en justice et
manifestation contre la visite de Ben Salman » (23 novembre 2018) :
« L’annonce de la visite de MBS en Tunisie a suscité des critiques de la
part de la société civile et notamment des défenseurs des droits de
l’homme et de la liberté de la presse, qui n’ont pas apprécié que la
Présidence de la République déroule le tapis rouge à un dirigeant
soupçonné d’implication dans le meurtre atroce du journaliste. »
La guerre au Yémen est quant à elle très peu médiatisée en Tunisie.
C’est surtout Zitouna TV qui lui réserve des articles en évoquant les
violences saoudiennes : « Yémen : neuf personnes, dont quatre enfants,
tuées lors d’un raid de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite »
(24 janvier 2018).
Peu après l’affaire Khashoggi et la visite controversée de MBS en
Tunisie, Wataniya met en avant l’aide financière accordée par le
royaume saoudien, versée en janvier, rappelée maintes fois lors de la
visite brève (fin novembre) et tout au long du mois de décembre. Le
journal y voit la stratégie saoudienne pour redorer l’image du royaume
au vu des crises médiatiques : « La Tunisie vit une crise économique et
le régime saoudien en profite sûrement pour obtenir le soutien des
dirigeants. »
Si l’Arabie saoudite s’est assurée du soutien des chaînes nationales
tunisiennes – qui sont également les plus vues – avec des contrats et des
rencontres entre journalistes tunisiens et saoudiens, comme en 2016, elle
fait cependant face à de nouveaux médias privés critiques. Ces chaînes et
journaux, soit indépendants (Anba’ Tounès), soit partisans (Zitouna TV),
gagnent en audience et contestent le monopole prosaoudien dans les
médias officiels tunisiens.

En Irak

Dans ce pays en crise, l’Arabie saoudite a réussi à contrôler l’espace


médiatique au point que presque rien n’a circulé sur l’affaire Khashoggi.
En effet, l’aide saoudienne à la reconstruction de l’Irak post-Daech a été
globalement bien reçue. Les articles qui font l’éloge du rapprochement
irako-saoudien ont saturé le champ médiatique en octobre 2018, le mois
de la disparition du journaliste. Dans Al-Iraqi News, on peut lire :
« L’année 2017 efface les différends entre l’Arabie saoudite et l’Irak »
(24 octobre 2018) ou encore « Les relations saoudo-irakiennes n’ont
jamais été aussi bonnes » (20 février 2019). Selon RSF, l’Irak se situe
parmi les pays arabes où la liberté de la presse est le plus en danger, à la
160e position en 2018…
Le rapprochement entre les deux pays a commencé après la
réouverture de l’ambassade saoudienne à Bagdad en 2015 et s’est
accéléré à partir de juin 2017, lorsque le Premier ministre irakien H.
Abadi a effectué sa première visite au royaume. L’Arabie saoudite et les
pays du Golfe sont des partenaires cruciaux pour la reconstruction de
l’Irak.
L’Arabie saoudite a manifesté son soutien à des hommes et des partis
politiques irakiens (H. Abadi, ex-Premier ministre ; coalition Sairoun de
Muqtada al-Sadr). Ce soutien consiste en un clientélisme direct et une
couverture médiatique favorable, sachant que la majorité des médias sont
contrôlés par les factions politiques, d’après les informations de
l’International Crisis Group.
Le journal Al-Zaman, quotidien le plus lu en Irak, aurait reçu
secrètement d’importantes aides financières saoudiennes, d’après arabic-
media.com et Al-Monitor. La chaîne TV arabophone Al-Sumaria,
modérée, ne prend pas ouvertement position pour l’Arabie saoudite ou le
Qatar et reste prudente dans les deux sens, enfin Shabakat Akhbar al-Iraq
(réseau de nouvelles Al-Iraq ou Al-Iraqi News), journal et télévision,
sont des médias privés se disant non partisans, parmi les plus actifs au
quotidien. La récurrence d’articles positifs sur l’Arabie saoudite laisse
soupçonner une aide saoudienne.
Les contrats annoncés par l’Arabie saoudite pour la reconstruction de
l’Irak séduisent les médias locaux : « Le roi Salman confirme le soutien
saoudien à la reconstruction de l’Irak » (18 janvier 2019, Al-Sumaria),
« L’Irak et l’Arabie saoudite s’accordent pour travailler ensemble »
(14 février 2019), ou « L’organisation saoudienne Saudi Organization
Arab Gulf Program for Development (AGFUND) donne 100 000 dollars
aux citoyens d’Al-Anbar », etc.
Riyad se montre très attentive à ce qui se dit dans les médias irakiens,
d’autant que le changement plutôt rapide du discours médiatique génère
parfois des crises entre les élites proches de l’Iran et celles qui sont
proches de l’Arabie saoudite. En septembre 2019, I. al-Jaafari, l’ex-
ministre irakien des Affaires étrangères, provoque une polémique en
Arabie par ses déclarations en faveur d’un rapprochement irano-irakien.
Aussitôt Riyad réagit en l’accusant d’être à la solde de l’Iran et en lui
enjoignant de reconsidérer ses dires si l’État irakien veut réellement
l’aide de l’Arabie saoudite dans la reconstruction.
Sur la crise du Qatar, l’Irak cherche à justifier sa neutralité et son rôle
de médiateur dans la crise. « Le ministre des Affaires étrangères irakien
et son homologue qatarien s’accordent pour améliorer les rapports entre
les deux États » (Al-Sumaria, 5 mars 2019). « Comment expliquer le
silence irakien vis-à-vis de la crise du Golfe ? L’absence d’une vision
politique claire et commune de l’Irak dans ses relations extérieures. Les
élites irakiennes sont loyales à tel ou tel État – soit le Qatar soit l’Arabie
saoudite. » (Al-Iraqi News, 7 juin 2017).
Sur la question des femmes ou des droits de l’homme, l’Arabie
saoudite progresserait. Dans l’ensemble des médias analysés, pas
d’accusations sur la répression des militants et militantes, en revanche
les avancées accomplies en matière des droits des femmes sont mises en
avant. Citons : « L’Arabie saoudite cherche à criminaliser le harcèlement
sexuel et autorise le permis de conduire pour les femmes » (Al-Zaman,
30 mai 2018), « Les autorités saoudiennes ont libéré la militante des
droits des femmes Aisha al-Mana » (24 mai 2018), « L’Arabie saoudite
libère deux militantes des droits des femmes » (14 février 2015),
« L’Arabie saoudite va ouvrir l’accès des stades sportifs aux femmes »
(Al-Sumaria, 30 oct. 2017). Selon les médias irakiens, c’est au prince
héritier saoudien que revient le mérite de toutes ces avancées, dans le
cadre de sa Vision 2030 et de la modernisation de la société saoudienne.
Annexe 3
Note de lecture du Centre d’analyse
de prévision et de stratégie du ministère
des Affaires étrangères

République Française
Ministère des Affaires étrangères et du Développement international
Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie
Rédacteur : Louis Blin
CAPS / 349 Paris, le 4 novembre 2016

NOTE DE LECTURE
A/s : L’antisaoudisme, paresseux prêt-à-penser. Note
de lecture du livre de Pierre Conesa, Dr Saoud
et Mr. Djihad. La diplomatie religieuse de l’Arabie
saoudite, Robert Laffont, 2016 (301 pages).
Basé sur le présupposé que c’est la radicalisation de l’islam qui mène
au terrorisme, ce livre fait de l’Arabie saoudite et de sa diplomatie […] le
deus ex machina d’une menace mondiale. Véritable pamphlet
antisaoudien, il ne contient aucune analyse du wahhabisme ou du
salafisme comme phénomène social, car il les essentialise comme
instruments au service d’une politique machiavélique. Constellé
d’erreurs et de contradictions, ce livre versant parfois dans
l’islamophobie prouve par l’absurde que la thèse du wahhabisme comme
explication du djihadisme ne résiste pas à l’analyse, puisqu’il passe en
revue tous les arguments sur lesquels elles sont fondées. […].

1. Un pamphlet antisaoudien
Ce livre est un procès à charge dont le verdict est donné dans le titre
– l’Arabie saoudite comme démon masqué – et le dessin de couverture –
Daech est son avatar. Le sous-titre précise l’identité de l’ennemi, sa
diplomatie religieuse. On s’attend donc à ce que l’auteur en précise les
contours. Il s’en garde bien, préférant user d’une fausse tautologie de
nature à tromper le lecteur non averti : l’Arabie a élaboré une diplomatie
religieuse « inscrite dans son ADN » (le prosélytisme wahhabite, p. 27
et 258), donc la diplomatie de l’Arabie ne saurait avoir d’autre ressort
que religieux […]. (Il qualifie le sujet)
1 d’un ennemi menaçant car mystérieux et fuyant (une « diplomatie
sans visage », p. 23). Le lecteur néophyte ressort de la lecture de
l’ouvrage avec la conviction que les ennemis « quasi planétaires »
(conclusion) cités tour à tour par l’auteur avancent masqués et
complotent contre l’Occident, surtout l’Europe qui doit se mobiliser pour
ne pas devenir un « sanctuaire pour les salafistes » (p. 201, 259)…
L’auteur dénigre autant l’Arabie saoudite que le wahhabisme, tout en les
essentialisant. Le salafisme ou le wahhabisme, interchangeables pour
l’auteur, ont notamment pour caractéristique « la haine de l’autre quel
qu’il soit » (p. 21). « Le système saoudien est héritier du système
communiste par son idéologie totalitaire inoxydable » (p. 22). C’est « le
régime le plus intolérant de la planète » (p. 23). Le wahhabisme est
« misanthrope, belliqueux » (p. 53) et « affectionne le djihad mondial »
(p. 68). Plutôt que d’avoir été aboli, l’esclavage serait « modernisé »
(p. 62) en Arabie. « Les citoyens saoudiens sont bafoués dans leurs droits
les plus élémentaires » (p. 63). « Abd al-Wahhab qualifiait déjà de djihad
les razzias des tribus » (p. 67), ce qui revient à faire des wahhabites des
voleurs de grand chemin. « Les oulémas wahhabites sont les plus
violents des salafistes quiétistes » (p. 69). « Le programme de
“déradicalisation des djihadistes” façon saoudienne consiste à
transformer un salafiste djihadiste en wahhabite haineux contre les
“autres” mais légitimiste » (p. 70). L’Arabie « sait accueillir les
dictateurs : Idi Amin Dada, dont le régime n’avait fait “que”
300 000 victimes (mais il s’est converti à l’islam) » (p. 77). « En 2002,
L. Murawiec décrit l’Arabie comme le mal absolu, [ce qui est] sa vraie
nature » (p. 126). Ce pays est « la machine à cash des terroristes »
(p. 134). Au Royaume-Uni, les écoles placées sous l’égide de
l’ambassade saoudienne « donnent des cours sur la façon de tuer les
apostats, les polythéistes et les homosexuels » (p. 208)… La
diabolisation de l’Arabie saoudite débouche sur une saoudophobie
raciste, puisque c’est, finalement, une question de gènes. Parti sur cette
base, il lui suffit de répertorier tous les épiphénomènes de radicalisme
islamique pour alimenter son réquisitoire.

2. Un fatras incohérent
[…] Le propos d’ensemble est un calque du simplisme russe en la
matière, l’islam radical (le djihadisme terroriste) est synonyme de
wahhabisme, donc le « salafo-wahhabisme » est de nature terroriste. Par
conséquent, la « diplomatie religieuse » saoudienne l’est aussi et comme
une diplomatie est par nature étatique, l’État saoudien est un terroriste de
l’ombre… Adepte de l’amalgame, Conesa prévient que « la conjonction
de la diplomatie religieuse et de la mutation des idéologies tiers-
mondistes a créé une bombe planétaire dont les sous-munitions peuvent
éclater n’importe où et n’importe quand » (p. 78).
Cette thèse se heurte à des contradictions et incohérences dont
l’auteur paraît dupe :
— Pourquoi un saoudo-wahhabisme si puissant éprouve-t-il le besoin
d’avancer masqué ? L’avalanche de données rassemblées par l’auteur sur
les méfaits du radicalisme islamique, qui, sur la base de ce qui précède,
deviennent autant d’éléments à charge dans son procès contre l’Arabie
saoudite, tendrait plutôt à prouver le contraire. La prétendue opacité de la
« diplomatie religieuse » saoudienne vise plutôt à mettre en relief la
perspicacité d’un auteur dévoué au salut des victimes potentielles du
« Dr Saoud » et s’apparente donc à un argument publicitaire auprès du
néophyte.
L’auteur concède que le wahhabisme est quiétiste à l’intérieur des
frontières de l’Arabie – ce qui mine sa thèse, selon laquelle il est
intrinsèquement violent – mais affirme qu’il exporte le terrorisme…
— Comment une Arabie « nain géopolitique » (p. 19, 35), habitée par
des « bédouins pour qui le temps s’est en quelque sorte arrêté avec le
Prophète » (p. 27), est-elle parvenue à bâtir un « système planétaire »
(p. 25) insidieux et dangereux (« le royaume le plus puissant et le plus
secret au monde », avertit la quatrième de couverture) ?
— Pourquoi s’acharner sur les salafistes saoudiens, alors que selon
les chiffres (non sourcés et farfelus) livrés par l’auteur en introduction,
ce sont l’Inde et le Bangladesh qui fournissent les plus forts contingents
de salafistes ?
— […] L’Arabie saoudite aurait refusé de signer les conventions
internationales sur les réfugiés pour pouvoir accueillir « exclusivement
des musulmans sunnites » (p. 72) : pourquoi a-t-elle alors fait venir des
millions de travailleurs immigrés chrétiens, au point que ceux-ci y
forment la seconde communauté chrétienne du monde arabe après
l’Égypte ?
— Si l’Arabie saoudite a donné la priorité à la lutte contre les chiites
(et non contre l’Iran donc, p. 108 et chapitre 4), pourquoi près de 10 %
de sa population est-elle composée de chiites ?
— Si la Ligue islamique mondiale est l’un des principaux bras de la
diplomatie religieuse saoudienne, pourquoi est-elle « proche des Frères
musulmans » (p. 116) ?
— […] En Asie centrale, note l’auteur, « le discours wahhabite s’est
construit en opposition à un islam traditionnel. Il a une forte capacité
mobilisatrice sur la jeunesse frappée par le recul économique et
préoccupée par des questions identitaires » (p. 189), si bien « qu’il est
difficile de déterminer la responsabilité directe de la diplomatie
saoudienne » (p. 199). L’auteur enchaîne pourtant avec l’assertion du
président tchétchène Kadyrov pour qui « les wahhabites sont non
seulement des ennemis de l’islam mais de toute l’humanité ».

3. Le véritable ennemi est l’islam


L’auteur ne se contente pas de hurler avec les loups contre l’Arabie.
Il récuse bien sûr l’islamophobie qui transparaît de son propos, de la
même manière que le racisme est rarement avoué, mais le diable sort
parfois de la boîte. L’ennemi est-il le salafisme ou l’islam ? […] On
passe de manière insidieuse de la saoudophobie à l’islamophobie…
L’islam étant la variable explicative des crises, les conflits dans le
monde musulman deviennent des guerres de religion : « L’Algérie a
connu une des pires guerres religieuses durant la décennie 1990 »
(p. 155), entre « l’islam traditionnel » et la « Salafiya djihadiste »
d’inspiration wahhabite… Les autres pays « en guerre religieuse
ouverte » sont « la Syrie, l’Irak, le Yémen, le Bahreïn, le Liban,
l’Afghanistan et le Pakistan » auxquels pourraient « s’ajouter les pays
d’Asie centrale ex-soviétique, zone en déshérence après l’effondrement
du communisme » (p. 222) ! En fait, c’est l’ensemble du monde arabo-
musulman qui « est entré dans une guerre de religion » dont nous devons
nous préserver (p. 257).
Outre la théorie du complot, l’auteur utilise un second thème
classique de l’extrême droite : se dresser contre l’alliance d’un ennemi
extérieur (le saoudo-wahhabo-salafisme remplaçant le communisme) et
d’un ennemi intérieur (les apprentis terroristes musulmans en France).
L’ennemi réel bien que non désigné est l’islam, soupçonné d’entraîner
vers la radicalisation violente, mais aussi toutes les religions, « pourries
par la radicalisation » (p. 19). Dans la lignée des autres polémistes
laïcistes pour qui le djihadisme représente une aubaine, Conesa rejoue ici
contre l’islam le drame éculé de l’anticléricalisme. Son pamphlet répond
alors à une valeur sûre du débat franco-français, nombrilisme qui
contribue à expliquer son succès chez ceux qui ne connaissent pas
l’Arabie saoudite.
Ce livre ne contient aucune analyse du wahhabisme ou du salafisme
comme phénomène social, car il les essentialise comme instruments au
service d’une politique machiavélique. La raison de cette démarche
biaisée est que l’auteur n’appréhende la religion que sous l’angle
politique, alors que le salafisme quiétiste en général et le wahhabisme en
particulier récusent tout engagement politique. L’admettre reviendrait à
vider de tout contenu la thèse du salafisme quiétiste vecteur du
djihadisme. Ce serait pourtant la seule façon de passer à l’étude de son
impact social, désastreux pour ses adeptes…
Ce livre a pour principal intérêt de prouver par l’absurde que les
thèses des pourfendeurs du saoudo-wahhabisme comme explication du
djihadisme ne résistent pas à l’analyse, puisqu’il passe en revue tous les
arguments sur lesquels elles sont fondées… Plus important, il illustre
sans s’en rendre compte le fait que derrière la détestation de l’Arabie
saoudite et du wahhabisme se cache celle de l’islam. Tel est pris qui
croyait prendre : qui donc est ici Dr Jekyll et Mr. Hyde ?

Critique de la note ci-dessus dans Le Canard enchaîné


du 6 janvier 2017 :
« Touche pas à l’Arabie saoudite » : Une récente note du Centre
d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère des Affaires
étrangères mériterait d’être ainsi titrée. Explication : le 4 novembre, ce
respectable service du Quai d’Orsay a publié une très longue critique du
livre de Pierre Conesa (Dr Saoud et Mr. Djihad, Robert Laffont), qui
pourrait remplir quatre ou cinq pages du Canard. L’auteur, Louis Blin, a
été consul général à Riyad, la capitale de l’Arabie saoudite, et il
s’évertue à dire le plus grand mal du livre de Conesa. Est-ce bien la
mission du Quai d’Orsay, de défendre ainsi l’Arabie, alliée et cliente de
la France, qu’un auteur associe, à juste raison, au djihadisme et au
salafisme ? Extraits de ce réquisitoire : « La diabolisation de l’Arabie
saoudite débouche sur une saoudophobie (sic) raciste », « L’auteur ne se
contente pas de hurler avec les loups contre l’Arabie », « Les thèses [de
l’auteur et] des pourfendeurs du saoudo-wahhabisme (re-sic), comme
explication du djihadisme, ne résistent pas à l’analyse », etc. Sous-
entendu : les journalistes qui, dans tous les quotidiens, dans tous les
hebdos et sur toutes les radios, ne cessent d’affirmer que ces braves
Saoudiens ont financé et armé les djihadistes sont d’une imbécilité
crasse. Voici quatre ans, le 24 janvier 2013, une réunion au Quai
d’Orsay, en présence de diplomates et de quelques chercheurs et
industriels, avait eu pour objectif de défendre le Qatar pour les mêmes
invraisemblables raisons. Sans aucun succès…
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

Sur le Qatar
Christian Chesnot et Georges Malbrunot : Qatar. Les secrets du coffre-
fort, Michel Lafon, 2013 ; Qatar Papers. Comment l’émirat finance
l’islam de France et d’Europe, Michel Lafon, 2019.
Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget, Le Vilain Petit Qatar. Cet ami
qui nous veut du mal, Fayard, 2013.

Sur les Émirats


Michel Taube, La Face cachée des Émirats arabes unis, Le Cherche
Midi, 2019.

Sur l’Arabie
Pierre Conesa : Dr Saoud et Mr. Djihad. La diplomatie religieuse de
l’Arabie saoudite, Robert Laffont, 2016.
David Wearing, AngloArabia : Why Gulf Wealth Matters to Britain,
Polity Press, 2018 (non traduit).
Nabil Mouline, Les Clercs de l’islam. Autorité religieuse et pouvoir
politique en Arabie saoudite (XVIIIe-XXIe siècle), PUF, 2011 ; Le Califat.
Histoire politique de l’islam, Flammarion, 2016.
Sabrina Mervin et Nabil Mouline, Islams politiques. Courants, doctrines
et idéologies, CNRS Éditions, 2017.

Aux États-Unis
“The Saudi Lobbying Machine Continues to Exert Influence on
Congress – and Trump”,
https ://www.internationalpolicy.org/post/saudi-arabia-and-the-united-
states.
The Washington Post https://www.washingtonpost.com/opinions/
2019/04/18/saudi-lobbying...
NOTES
1. Ali Bensaâd, « La recherche dans le piège de l’expertise », Libération, 4 avril 2019.
2. David Wearing, AngloArabia, Polity Press, 2018.
3. https://www.jadaliyya.com/Details/34727.
4. https://rsf.org/fr/actualites/rsf-lance-une-procedure-dalerte-sur-la-position-de-
larabie-saoudite-au-classement-mondial-de-la.
5. https://www.youtube.com/watch?v=GG0nlHnBUfw.
6. « Saudis’ Image Makers: A Troll Army and a Twitter Insider », The New York Times,
20 octobre 2018.
7. « Twitter Removes Network Linked to ‘State-Backed’ Saudi Disinformation
Operation », BBC, 20 décembre 2019.
8. Rory Sullivan, « Saudi Arabia Has Carried Out 800 Executions since 2015, Says
Rights Group », The Independent, 15 avril 2020. Consulté le 23 avril 2020.
9. https://www.hrw.org/news/2020/10/20/saudi-arabia-alleged-child-offenders-face-
death-sentences. Human Rights Watch. Consulté le 20 octobre 2020.
10. « Le voyage de Reporters sans frontières à Riyad pour demander la libération de
journalistes saoudiens », lemonde.fr, 10 juillet 2019.
11. La Démocratie en danger. L’enseignement islamiste saoudien, préface d’Antoine
Steir, Berg International, 2004.
12. https://fr.euronews.communication/2018/03/23/suivez-en-direct-le-colloque-sur-l-
anti-terrorisme-au-yemen-au-liban-et-en-syrie, colloque couvert en quasi direct.
13. http://www.geoculture.org/pages/moyen-orient/al-arabiya-versus-al-jazeera.html
Voir aussi le livre de Claire-Gabrielle Talon, Al Jazeera. Liberté d’expression et
pétromonarchie, PUF, 2011.
14. Iman Zayat, « Why the Salwa Canal Project Would Constitute a Severe Blow to
Qatar », thearabweekly.com, 24 juin 2018.
15. « Saudi Arabia, a “Fascinating Client” for Qorvis », The Washington Post, 21 mars
2002.
16. « Inside Saudi Arabia’s Campaign to Charm Washington », theintercept.com,
er
1 décembre 2015.
17. « Saudi Ambassador to US: Kingdom Wants Political Solution in Yemen », The
Muslim Times, 20 novembre 2020.
18. Saudi Arabia Hires Edelman & Podesta Group - PR News (everything-pr.com)
http://saudigazette.communication.sa/business/dla-piper-announces-partner-promotion-in-
ksa/.
19. Saudi Arabia Continues Hiring Spree of Lobbyists (theintercept.com).
20. https://www.nytimes.com/2018/05/31/business/cambridge-analytica-scl-group-
saudi-arabia.html et autres.
21. « Saudi Arabia Imposes Official Embargo on Turkish Imports », Foreign Brief,
3 octobre 2020.
22. « Trump’s Publisher Pal Puts Saudi Propaganda Magazine in U.S. Supermarkets »,
The Daily Beast, 26 mars 2018.
23. « Battle of the Billboards as Saudi Crown Prince Arrives in London », Al-Bab,
7 mars 2018.
24. « Le prince héritier promet une Arabie saoudite “modérée et tolérante” », L’Orient-
Le Jour, 24 octobre 2017.
25. « L’Arabie saoudite autorise les femmes à conduire », rfi.fr, 26 septembre 2017.
26. Carrie Nooten, « Émotion à l’Unesco après l’invitation à Paris d’une fondation
philanthropique saoudienne », Le Monde, 18 novembre 2019.
27. « A Prince’s $500 Billion Desert Dream: Flying Cars, Robot Dinosaurs and a Giant
Artificial Moon », The Wall Street Journal, 25 juillet 2019.
28. https://www.constructionweekonline.com/projects-and-tenders/268172-saudis-
kaec-inks-deal-on-financing-solutions-for-construction-projects. « Saudi Arabia’s Sleepy
City Offers Prince a Cautionary Tale », Financial Times, 27 mai 2018, et « Saudi Arabia’s
Sleepy City Offers Prince a Cautionary Tale », Financial Times, 27 mai 2018.
29. « En Arabie saoudite, visitez le futur “Las Vegas oriental” », Figaro immobilier,
16 août 2019.
30. « Macron, Ben Salman et le Magic Kingdom d’Arabie », Mediapart, 27 mai 2018.
31. Voir la vidéo : https://www.theredsea.sa/en#.
32. « Arabie saoudite : les projets fous du prince Salmane », Le Parisien, 12 novembre
2017.
33. http://www.academiedegeopolitiquedeparis.com/la-modernisation-sans-le-
changement/.
34. https://www.bloomberg.com/news/articles/2018-10-05/saudi-crown-prince-
discusses-trump-aramco-arrests-transcript.
35. https://www.ft.com/content/a50075d2-0069-11e8-9650-9c0ad2d7c5b5.
36. https://www.middleeastmonitor.com/20190211-ex-saudi-intelligence-chief-reveals-
secret-israel-saudi-relations/.
37. ibid.
38. « Al-Ula ou comment l’Arabie saoudite achète la culture française », Mediapart,
25 février 2020.
39. Rapport d’information par la commission du développement durable.
40. « L’Arabie saoudite mise sur le secteur du divertissement et du cinéma en
particulier », France 24, 21 avril 2018.
41. « Géopolitique : 10 points chauds du globe où se mêlent politique et sport », News
Tank Sport, novembre 2019.
42. https://www.theguardian.com/sport/2019/sep/02/sportswashing- saudi-arabia-
sports-mohammed-bin-salman.
43. « Joshua-Ruiz : un stade éphémère en Arabie saoudite pour le combat… et pour
impressionner le monde », RMC-BFMTV, décembre 2019.
44. « Exclusive: Newcastle United’s £340m Takeover by Saudi Arabia’s Sovereign
Wealth Fund Moves a Step Closer », The Telegraph, 29 mars 2020 ; « Le rachat de
Newcastle par un consortium saoudien n’aura bien pas lieu », L’Équipe, 15 août 2020.
45. « Saudi Arabia Signs 10-Year Contract with WWE », Al-Arabiya Sports, 1er mars
2018.
46. « Saudi Arabia Announces Double-Header of Landmark LET Events for
November », LET, 28 septembre 2020.
47. « Saudi Blogger Eman Al Nafjan Detained », Committee to Protect Journalists
(CPJ), 22 mai 2018.
48. « Une femme doit être exécutée aux États-Unis », Le Point, 29 janvier 2013 ;
« USA : une femme exécutée au Texas », Le Figaro, 27 juin 2013 ; « La 500e exécution du
Texas », Paris Match, 27 juin 2013 ; etc.
49. « G20 Women’s Group Focuses on Importance of Inclusion », Arab News,
21 octobre 2020 ; « Saudi Women’s Summit Accused of Whitewashing Record on Rights »,
The Guardian, 21 octobre 2020.
50. https://www.theguardian.com/world/2020/dec/10/saudi-arabia-begins-trial-of-
womens-rights-activist-loujain-al-hathloul.
51. https://www.lorientlejour.com/article/1084056/mbs-cherche-t-il-a-mater-
lestablishment-wahhabite-.html.
52. « Arabie saoudite : polémique autour de l’ouverture d’un night-club “halal” », TSA
Algérie, 16 juin 2019.
53. « En Arabie saoudite, la discothèque “halal” n’a jamais pu ouvrir ses portes », Le
Monde, 19 juin 2019.
54. Voir la vidéo de l’attaque : https://www.france24.com/fr/20191112-arabie-saoudite-
attaque-couteau-spectacle-musical-mbs.
55. « Saudi Bans Names Deemed ‘anti-Sharia’ », saudileaks.org, 6 novembre 2020.
56. « Influencers Face Criticism for Saudi Arabia Travel #Ads », The New York Times,
3 octobre 2019.
57. http://www.slate.fr/story/181473/arabie-saoudite-influenceurs-instagram-ameliorer-
image-progressiste-occulter-crimes.
58. « YÉMEN. Une guerre sans images qui n’en finit pas », courrierinternational.com,
7 octobre 2009.
59. Clarence Rodriguez, « L’Arabie saoudite peaufine sa communication sur les
frappes au Yémen », rfi.fr, 6 avril 2015.
60. « Yemen PR Wars », The New Humanitarian (ex-Irin), 6 février 2018,
https://www.thenewhumanitarian.org/investigations/2018/02/06/yemen-pr-wars-saudi-
arabia-employs-ukus-firms-push-multi-billion-dollar.
61. Dan Glazebrook, « Le plan d’aide humanitaire de l’Arabie saoudite au Yémen, une
manipulation », Middle East Eye, 5 mars 2018.
62. https://www.theguardian.com/world/2020/jun/02/saudi-arabia-to-co-host-un-
fundraising-summit-for-yemen.
63. Benjamin Barthe, « Affaire Khashoggi : autour de “MBS”, un trio de conseillers
sulfureux », Le Monde, 24 octobre 2018.
64. https://www.washingtonpost.com/blogs/post-partisan/wp/2018/ 10/19/saudi-
ministers-are-harassing-critics-on-twitter/.
65. https://www.bbc.com/news/world-middle-east-508906330.
66. https://www.theverge.com/2020/1/23/21078828/report-saudi-arabia-hack-jeff-
bezos-phone-fti-consulting.
67. https://www.insider.com/the-murder-of-jamal-khashoggi-2019-10.
68. « The Digital Transnational Repression Toolkit, and Its Silencing Effects »,
Freedom House, Special Report 2020.
69. « With Israel’s Encouragement, NSO Sold Spyware to UAE and Other Gulf
States », haaretz.com, 25 août 2020.
70. « Airbus retire les pièces allemandes de ses avions militaires, pour continuer
d’exporter en Arabie saoudite », capital.fr, 28 février 2019.
71. http://archive.almanar.com.lb/french/article.php?id=318976.
72. https://www.lepoint.fr/societe/un-livre-d-apprentissage-de-l-islam-wahhabite-
interdit-aux-enfants-23-08-2019-2331304_23.php.
73. http://www.3ilmchar3i.net/article-l-education-des-enfants-en-france-
123123016.html.
74. http://www.3ilmchar3i.net/article-dire-untel-est-laic-125125588.html.
75. https://www.france24.com/fr/20080628-grand-raout-moudjahidine-peuple-diran-
france-iran.
76. Christine Ockrent, Le Prince mystère de l’Arabie. Mohammed ben Salman, les
mirages d’un pouvoir absolu, Robert Laffont, 2018.
77. https://efile.fara.gov/ords/f?p=181:200:0::NO:RP,200:P200_REG_NUMBER:2244.
78. Promouvoir l’indéfendable régime saoudien à Bruxelles,
https://corporateeurope.org/en/power-lobbies/2019/01/promoting-indefensible-saudi-arabia-
brussels-lobby-shop.
79. « Brusselse firma lobbyt in het geheim voor Saudi-Arabië », De Morgen, 29 janvier
2019.
80. https://www.internationalpolicy.org/post/saudi-arabia-and-the-united-states.
81. « Stéphane Fouks, l’éditorialiste des entreprises », Stratégies, août 2018.
82. https://www.lemonde.fr/international/article/2018/04/11/le-show-de-la-modernite-
saoudienne-fait-etape-a-paris_5284149_3210.html.
83. https://www.nouvelobs.com/l-enquete-de-l-obs/20140522.OBS8204/bannis-sous-
sarkozy-la-revanche-de-cecilia-et-richard-attias.html.
84. En novembre 2017, Saad Hariri avait annoncé à la surprise générale sa démission
alors qu’il se trouvait à Riyad, avant de revenir sur sa décision. Plusieurs sources avaient
affirmé qu’il avait été forcé par MBS à démissionner, et qu’il avait été retenu contre son gré
en Arabie saoudite, voire agressé physiquement durant sa détention. C’est suite à un
déplacement d’Emmanuel Macron que Saad Hariri a été « libéré ». MBS cherchant malgré
tout à faire comprendre au président français qu’il ne s’agissait que d’une « affaire de
famille »…
85. https://www.youtube.com/watch?v=fy9VF1pxy1k.
86. « Arabie saoudite : une stratégie de communication offensive pour redorer l’image
du royaume », franceinfo, octobre 2019.
87. Clément Fayol, Ces Français au service de l’étranger, Plon, 2020.
88. Sihem Souid, L’Arabie saoudite, ce pays méconnu, L’Harmattan, 2016.
89. Fatiha Dazi-Héni, L’Arabie en 100 questions, Tallandier, 2017.
90. Mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’islam en
France et de ses lieux de culte (senat.fr).
91. Jocelyne Césari, « Principaux courants et associations de l’islam français »,
Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, no 33, janvier-juin
2002.
92. Soulié et Champenois, « La politique extérieure de l’Arabie saoudite », Politique
étrangère, 42-6, 1977, p. 602 et 603.
93. Voir Pierre Conesa : Dr Saoud et Mr. Djihad. La diplomatie religieuse de l’Arabie
saoudite, Robert Laffont, 2016.
94. Samir Amghar, « La Ligue islamique mondiale en Europe : un instrument de
défense des intérêts stratégiques saoudiens », Critique internationale, 2011/2 (no 51), p. 113-
127. DOI : 10.3917/crii.051.0113. URL : https://www.cairn.info/revue-critique-
internationale-2011-2-page-113.htm.
95. https://www.alarabiya.net/ar/saudi-today/2018/10/20/-‫اﻟﺴﻌﻮدﯾﺔ‬-‫اﻹﺳﻼﻣﻲ‬-‫اﻟﻌﺎﻟﻢ‬-‫راﺑﻄﺔ‬
‫اﻟﻤﺴﻠﻤﯿﻦ‬-‫وﺟﺪان‬-‫ﻓﻲ‬-‫راﺳﺨﺔ‬
96. https://www.saphirnews.com/Arabie-Saoudite-les-livres-de-Yusuf-Al-Qaradawi-
bannis_a24029.html.
97. https://www.europe1.fr/societe/a-paris-le-n1-de-la-ligue-islamique-mondiale-prone-
un-message-de-moderation-3502088.
98. https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentat/caricatures-la-france-critiquee-
dans-le-monde-musulman-defend-sa-souverainete-7030580.
99. http://www.3ilmchar3i.net/2015/08/defendre-saudia-est-une-obligation-
religieuse.html.
100. http://www.3ilmchar3i.net/2016/06/l-etat-saoudien-beni.html.
101. http://www.salafidunord.com/search/arabie%20saoudite/.
102. http://www.salafidunord.com/2017/03/les-5-ennemis-de-l-arabie-saoudite-et-du-
tawhid.html.
103. Muhammad ibn Ibrahîm al-Hamad, La Foi au décret divin & au destin, Éditions
Al-Hadîth, 2007.
104. http://www.arabie-saoudite.net/2017/03/20/video-le-wahhabisme-nexiste-pas-en-
arabie-saoudite/.
105. Aziz Zemouri, « Quand l’Arabie saoudite s’intéresse à nos mosquées », Le Point,
no 2263, 21 janvier 2016.
106. http://universitedemedine.com/index.php/presentation-de-ludm/comment-
postuler-a-ludm/.
107. Samir Amghar, « Le salafisme en France : acteurs, enjeux et discours », Sens-
Dessous, 2011/2 (no 9), p. 35-48. DOI : 10.3917/sdes.009.0035. URL :
https://www.cairn.info/revue-sens-dessous-2011-2-page-35.htm. Consulté le 13 mai 2019,
p. 39.
108. https://www.lepoint.fr/societe/a-la-mecque-beaucoup-de-jeunes-pelerins-francais-
01-09-2017-2153798_23.php.
109. Entretien téléphonique du 16 avril 2019.
110. Attentats meurtriers dans deux mosquées au Yémen - Musulmans De France.
111. Égypte : condamnations à mort de citoyens - Musulmans De France.
112. https://www.saphirnews.com/Pelerins-musulmans-contribuez-a-faire-cesser-le-
massacre-au-Yemen-_a26216.html.
113. Entretien téléphonique de l’auteur avec Abdallah Zekri, le 6 mars 2019.
114. https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/la-fabrique-de-
lislamisme-cp.pdf.
115. « Gilles Kepel : “Il faut contrer la salafisation des esprits” », entretien avec Jean-
Marie Guénois, Le Figaro, 21 mars 2016.
116. Entretien téléphonique avec Ghaleb Bencheikh, vendredi 6 décembre 2019.
117. https://www.alarabiya.net/ar/saudi-today/2018/01/26/-‫اﻟﮭﻮﻟﻮﻛﻮﺳﺖ‬-‫اﻹﺳﻼﻣﻲ‬-‫اﻟﻌﺎﻟﻢ‬-‫راﺑﻄﺔ‬
‫اﻟﺒﺸﺮﯾﺔ‬-‫ﺣﻖ‬-‫ﻓﻲ‬-‫ﻧﺎزﯾﺔ‬-‫ﺟﺮﯾﻤﺔ‬. Consulté le 18 décembre 2019. Ou La Ligue Islamique Mondiale
condamne toute négation de l’Holocaust : https://iqna.ir/fr/news/3465318/la-ligue-
islamique-mondiale-condamne-toute-n%C3%A9gation-de-l%E2%80%99holocauste)
118. « Bahreïn : confirmation en appel de la condamnation à perpétuité du chef de
l’opposition chiite », L’Express, 28 janvier 2019.
119. Pierre Conesa, op. cit.
120. https://www.carefrance.org/ressources/documents/3/645f4db-7516-
180905_Yemen-Lettre-ONG-au-.pdf.
121. https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/plainte-en-france-contre-l-heritier-
saoudien_1997976.html.
122. https://www.csis.org/analysis/after-killing-jamal-khashoggi-muhammad-bin-
salman-and-future-saudi-us-relations.
123. « Fiancée Sues Saudi Crown Prince over Khashoggi Killing », The New York
Times, 20 octobre 2020.
124. https://pen.org/press-release/writers-demand-un-investigate-jamal-khashoggi/.
125. « “The Independent Arabia” est-il vraiment indépendant ? », orientXXI, 4 juillet
2019.
126. « Khashoggi : il faudrait déplacer le G20 de Ryad, dit une experte de l’ONU »,
Al-Manar, 3 juillet 2019.
127. « Saudi Medias Summit Held a Year after Khashoggi Murder », Rappler,
2 décembre 2019.
128. « L’Arabie saoudite organise un forum des médias, un an après le meurtre de
Khashoggi », lefigaro.fr, 2 décembre 2019.
Couverture : © Olivier Marty

© Éditions Denoël, 2021


Comment un régime qui a fourni quinze des dix-neuf terroristes des
attentats du 11-Septembre, diffusé le salafisme sur la planète, qui viole
les droits de l’homme, sans parler du droit des femmes, use de la torture,
pratique une intolérance religieuse absolue (liste non exhaustive) peut-il
être tant ménagé par les critiques ? Le secret est dans l’immense système
de lobby international que le pays a organisé.

Longtemps le régime s’est recroquevillé dans sa superbe indifférence,


mais, ébranlé par les attentats du 11-Septembre, l’activisme qatari, la
guerre au Yémen ou l’assassinat de Kashoggi, Riyad a recruté les cinq
plus grandes sociétés internationales de relations publiques et de
multiples cabinets de lobbying, en particulier aux États-Unis mais aussi
en France.

Une investigation exceptionnelle sur les liens troubles


qu’entretiennent la France et l’Arabie saoudite depuis tant
d’années.

Agrégé d’histoire et ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense, Pierre Conesa est
essayiste et spécialiste du Moyen-Orient et de l’intelligence économique. Il est notamment
l’auteur de La Fabrique de l’ennemi (Laffont, 2011) et de Dr Saoud et Mr. Djihad (Laffont, 2016).
Sofia Farhat est chercheuse en relations internationales, Haoues Seniguer est spécialiste des
rapports entre islam et politique, et Régis Soubrouillard est journaliste.
DU MÊME AUTEUR
Dommages collatéraux, Paris, Flammarion, 2002.
Guide du paradis, La Tour-d’Aigues, L’Aube, coll. « Monde en cours »,
2004.
La Fabrication de l’ennemi ou Comment tuer avec sa conscience pour soi
(préf. Michel Wieviorka), Paris, Robert Laffont, coll. « Le Monde comme il
va », 2011.
Les Mécaniques du chaos. Bushisme, prolifération et terrorisme, La Tour-
d’Aigues, L’Aube, coll. « Monde en cours », 2007.
Zone de choc, La Tour-d’Aigues, L’Aube, coll. « Regards d’ici », 2011.
Surtout ne rien décider. Manuel de survie en milieu politique avec exercices
pratiques corrigés, Paris, Robert Laffont, 2014.
Guide du petit djihadiste à l’usage des adolescents, des parents, des
enseignants et des gouvernants, Paris, Fayard, 2016.
Dr Saoud et Mr Djihad. La diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite
(préf. Hubert Védrine), Paris, Robert Laffont, coll. « Le Monde comme il
va », 2016.
Hollywar. Hollywood, arme de propagande massive, Paris, Robert Laffont,
coll. « Le Monde comme il va », 2018.
Cette édition électronique du livre
Le Lobby saoudien en France de Pierre Conesa
a été réalisée le 9 avril 2021 par les Éditions Denoël.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN : 9782207160640 - Numéro d’édition : 367808)
Code Sodis : U32969 - ISBN : 9782207160657.
Numéro d’édition : 367809

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