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MASTER

JURISTE D’AFFAIRES
2019 – 2020
MODULE : Droit du Commerce
International

Travail de recherche sous le thème :

L’affaire BHOPAL

Un travail rendu pour le compte de :

Pr JEBBOUR MOHAMED

Faculteé des sciences juridiques, eé conomiques et sociales Souissi


Universiteé Mohamed V - Rabat

Reé aliseé par :

HAMDOUCHE ELMOSTAFA
L’affaire BHOPAL Droit du commerce international

Si l’affaire Tchernobyl était l’une des grandes catastrophes nucléaires de l’histoire,


l’affaire BHOPAL est l’une des catastrophes industrielles qui ont suscité un grand
débat juridique et social le dernier siècle. En effet, dans la ville indienne BHOPAL,
s’est installé aux années 80 une entreprise américaine qui fabrique les pesticides.
L’entreprise en question, est exploitée par une société indienne appelée « Union
Carbide india limited ». Cette société, est une filiale qui appartient à la multinationale
américaine « Union Carbide corporation ».

Dans la nuit du 2 Décembre 1984, une fuite de fumée s’est déclenchée, dont l’air l’as
dirigé vers la ville Bhopal, en entraînant des milliers de morts et des blessés. Le bilan
fut catastrophique : Cet accident industriel tua officiellement 3 828 personnes, ce bilan
ayant été revu en 1989 à 3 598 morts, puis à 7 575 en 1995. Il fit en fait entre 20 000 et
25 000 morts selon les associations de victimes.1

Quelques jours plus tard, une dizaines d’avocats américains ont intenté des actions en
justice contre la grande entreprise américaine « Union Carbide Corporation », dont
l’ensemble était réunie et porté devant le tribunal fédéral de première instance de New
Yourk, sous la direction du juge J.F KENNAN.2

En vertu du droit indien, l’Etat indien a représenté les victimes de Bhopal, en


poursuivant le procès devant le tribunal américain. Ce choix s’est expliqué par le
soucis de bénéficier de la législation américaine, qui accorde des grands avantages aux
victimes d’accidents, grâce à certains éléments significatifs : l’existence d’un jury, le
montent moyen des dommages intérêts…

1
Dominique Lapierre et Javier Moro, Il était minuit cinq à Bhopal, Robert Laffont, 2001 (ISBN 2-221-
09131-0) (notice BnF no FRBNF37222086)
2
Cette possibilité de rassembler plusieurs actions devant une seule juridiction est permise par le droit
américain

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De l’autre côté, le défendeur, en l’occurrence la multinationale américaine, a soulevé


une exception de compétence, en demandant le transfert de l’affaire devant le tribunal
indien selon le principe doctrinal « Forum non conveniens »3.

D’où la problématique suivant :

Comment déterminer la juridiction compétence pour se prononcer à propos de la


responsabilité de la multinational américaine ?

En principe, c’est le lieu où s’est produite l’accident, qui est le plus convenable pour
porter l’affaire. Car c’est dans ce dernier où se trouvent les témoins, les documents et
les preuves permettant d’orienter les juges dans leur mission. 4 Toutefois, le demandeur
peut bénéficier du droit de porter son affaire devant une juridiction étrangère, mais à
condition de convaincre cette dernière que « l’autre juridiction est insuffisante au point
de n’apporter aucune solution au litige ».5

Selon l'Etat indien, les tribunaux indiens n'ont pas la capacité de rendre justice à leurs
citoyens. En ce qui concerne le droit, l'Inde reste un pays sous-développé, toujours
sous le joug du colonialisme anglo-saxon, allègue l'Etat demandeur. De nombreux
détails sont précisés pour persuader le juge américain de l'insuffisance du système
juridique indien :

- Le système judiciaire y est encombré de lenteurs ;

- Il n'existe pas, dans ce système, la possibilité d'un procès représentatif ;

- Il lui manque également la capacité pour les accidents provoqués par une
technologie compliquée ;

3
Joseph L. Sax « L'affaire Bhopal devant les tribunaux américains. Forum non conveniens », p.414
4
Joseph L. Sax « L'affaire Bhopal devant les tribunaux américains. Forum non conveniens », p.414
5
Même là où il y a une autre juridiction suffisante, le tribunal du choix du demandeur est autorisé à retenir la
cause dans certaines circonstances. Selon la Cour suprême des Etats-Unis, cela dépend des questions
suivantes : Où se trouvent les preuves ? Quelle est la disponibilité des témoins ? Quelle est la difficulté de
l'exécution d'un jugement d'un tribunal rendu à l'étranger ? Quels sont les frais d'un procédé mené loin du
lieu de l'accident ? « Piper Aircraft v. Reynolds », 454 U.S. 235, 102 S.Ct. 252, 70 L.Ed.2d 419 (1981) ; « Gulf Oil
Corp. v. Gilbert », 330 U.S. 501, 67 S.Ct. 839, 91 L.Ed., 1055 (1947). En droit anglais, il s'agit de la décision
dénommée « Mac Shannon v. Rockware Glass Ltd. », 1 978, A.C. 795.

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- Le droit indien ne connaît pas le procédé de l'interrogatoire essentiel à la


gestion d'un procès extrêmement compliqué comme l'affaire Bhopal ;

- Les avocats indiens manquent d'expérience en matière de litige face à un


procédé industriel très compliqué comme celui mis en œuvre à Bhopal par
Union Carbide.

Par ailleurs, l’Etat indien (demandeur) a soulevé le problème de la responsabilité d'une


entreprise multinationale exportatrice de technologie dangereuse. En estimant, que les
victimes Bhopalienes doivent être indemnisées au même titre que les victimes
américaines. Cependant, cette demande a été rejeté par le juge américain qui a
considéré que « chaque pays a le droit et la responsabilité de peser lui-même ses
risques et ses possibilités. Ici, le gouvernement indien a décidé de subir les risques (et
de bénéficier de l'activité économique) de l'usine Union Carbide à Bhopal. Il
n'appartient pas aux Etats-Unis d'interdire à un autre pays le droit de peser lui-même
les avantages et les inconvénients d'une situation. Cela est semblable au cas
d'exportation d'un produit dangereux, un pesticide par exemple, où il n'est pas du rôle
des pays industrialisés d'en interdire la vente aux sociétés encore en voie de
développement.

De plus, à Bhopal, il n'était pas question de tromperie de la part de Union Carbide.


L'administration indienne s'est beaucoup occupée de cette entreprise. Elle a réclamé
la compétence pour approuver toute importation d'outillage à l'usine. Elle a exigé la
préparation des comptes rendus de construction et d'organisation de l'usine. Elle a
mis en œuvre un régime de réglementation de l'environnement. Selon le juge Keenan,
il y avait, à l'époque, un intérêt immense de la part de l'administration indienne en ce
qui concerne la création, l'opération, la permission, la réglementation, et l'inspection
de l'usine. Malgré l'importance du rôle d'Union Carbide... ou de son contrôle sur sa
filiale indienne, l'entreprise était, à cette époque, soumise à la réglementation de
l'administration indienne à tous les niveaux d'autorité. »6

6
Joseph L. Sax « L'affaire Bhopal devant les tribunaux américains. Forum non conveniens », p.416

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Par ces motifs, le tribunal a prononcé les conclusions suivantes :

- Le système de droit indien a compétence pour faire face à l'affaire Bhopal ;

- Bhopal est un endroit convenable au procès du point de vue administratif parce


que presque tous les témoins et témoignages y sont réunis ;

- C'est à l'Inde qu'appartient la responsabilité première de déterminer les droits


des victimes d'un désastre industriel qui s'y est produit ;

- Il incombe à l'Inde de développer un système de droit qui convient au niveau de


technologie dont elle a permis l'entrée ;

- Le défendeur américain est obligé de permettre au demandeur de pouvoir


poursuivre d'une manière efficace ses droits devant les tribunaux indiens. Donc,
le défendeur doit renoncer à ses objections à rencontre de la compétence des
tribunaux, ne pas invoquer la prescription, subir le système du « discovery »
américain, se soumettre à tout jugement indien à venir.

Cette dernière condition a été imposé par le tribunal américain, pour éviter une
double contestation de la compétence par le défendeur devant le tribunal indien,
après transfert de l’affaire. En fin, selon le juge Keenan « L'Inde est une puissance
mondiale, en 1 986, et ses tribunaux ont la compétence de rendre la justice au
peuple indien... ».

En 1984, l'usine de Bhopal était l'une des installations de Union Carbide India Limited
(UCIL). Union Carbide Corporation (UCC) – une société basée aux États-Unis –
détenait 50,9 % des parts d'UCIL. UCC a toujours soutenu qu'UCIL était une entité
totalement autonome. Elle a aussi à maintes reprises affirmé devant les tribunaux que
son siège se situe aux États-Unis et nie avoir la moindre activité en Inde ou dans un
quelconque pays autre que les États-Unis. 7

7
https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/les-entreprises-les-autorites-et

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Après 25 longues années, le tribunal indien a prononcé son jugement dans l’affaire
pénale contre Union Carbide et sa filiale indienne, sur les charges de négligence et de
responsabilité. Il reconnaît certes coupables sept cadres d’Union Carbide India, mais
pour des infractions mineures de blessures involontaires – équivalant à un accident de
la route – et acquitte les principaux accusés de l’entreprise parente américaine.

Le jugement, universellement qualifié de parodie de justice, a pourtant été bien


accueilli par le Gouvernement des États-Unis qui considère que ce verdict met un
terme à toutes les plaintes déposées contre sa multinationale Union Carbide, une
victime « malchanceuse ». Selon, le Ministre de la Justice de l’Union « la Justice a été
enterrée dans l’affaire de Bhopal ».8

La Cour Suprême en inde, a tout d’abord commis une grave erreur en 1989 en fixant le
montant total des dommages, au civil et au pénal, à la somme de 470 millions de
dollars

Puis, en 1996, la Cour Suprême a décidé de ne pas retenir les charges pénales
correspondant à la section 304b (culpabilité d’homicide entraînant une punition
maximale de 10 ans d’emprisonnement) pour ne conserver que celles moins graves de
la section 304a, négligence ayant entraîné la mort, correspondant notamment aux
accidents de la circulation et limitant les dommages et intérêts ainsi que la durée
d’emprisonnement.

La Cour Suprême ne s’est pas prononcé à propos du site abandonné de l’usine, rempli
des déchets contaminants toxiques que l’entreprise a laissés derrière elle.

En 1994, Union Carbide a cédé les 50,9 % de parts qu'elle détenait auprès d'UCIL à
Mac Leod Russell (India) Limited, située à Calcutta, et UCIL a été renommée
EvereAdy Industries India Limited (Eveready Industries). Union Carbide a déclaré : «
Faisant suite à la vente de ses parts d'UCIL, Union Carbide n'a conservé aucun intérêt
– et n'a plus aucune responsabilité – dans le site de Bhopal, et Eveready Industries est

8
http://base.d-p-h.info/fr/fiches/dph/fiche-dph-8491.html

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demeuré le détenteur exclusif des terres louées au gouvernement de l'État du Madhya


Pradesh. »

En 1998, Eveready Industries a cédé le bail du site de l'usine de Bhopal au Madhya


Pradesh – manifestement à la demande du gouvernement de cet État.
En février 2001, UCC est devenue une filiale à part entière de The Dow Chemical
Company (Dow). Même si Union Carbide est toujours, juridiquement parlant, une
entité séparée, son identité en tant que société et toutes ses transactions sont totalement
intégrées dans celles de Dow.

Dow Chemicals a publiquement déclaré qu'aucune responsabilité ne peut lui être


imputée concernant la fuite et ses conséquences ou la contamination due à l'usine.

Toutefois, 30 ans après la catastrophe, le gouvernement indien n’a pas pu établir la


responsabilité d’Union Carbide India Ltd, de sa maison mère Union Carbide
Corporation qui a été repris par Dow Chemical. Aujourd’hui, au moment où le
gouvernement est confronté au coût de la dépollution des déchets toxiques abandonnés
sur place, il n’est toujours pas en mesure d’établir la responsabilité de l’entreprise
multinationale, qui refuse toujours de comparaître devant les tribunaux indiens et de se
prononcer à propos des accusations qui lui sont alléguées.

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