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Journal International de Victimologie

JIDV

Les cahiers du JIDV, Tome IX*

Les enfants dans les violences


conjugales
*recueil thématique numérique d’articles parus dans le Journal International de Victimologie

53 pages

Sous la direction de
Christophe Herbert,
Directeur de publication, Journal International de Victimologie

Copyright Le Journal International de Victimologie (JIDV) - jidv.com


Les cahiers du JIDV, 2016

Journal International de Victimologie / e-Psy.education


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Montréal (Québec) Canada H2J 1Y7
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Journal International de Victimologie
JIDV
Les enfants dans les violences conjugales
Les Cahiers du JIDV Tome IX* :
(53 pages)

*recueil thématique numérique d’articles parus dans le Journal International de Victimologie


Les cahiers du JIDV, 2016

1/ ‘Ma mère était à lui, comme une possession un peu’: Le point de vue d’enfants
et d’adolescents vivant dans un contexte de violence familiale
Lapierre, S. [Royaume-Uni]
Université de Warwick

2/ Concomitance de la violence conjugale et des mauvais traitements envers les


enfants : comprendre le phénomène à partir du point de vue des acteurs sociaux
concernés
Lavergne, C., Lessard, G., & Chamberland, A. [Québec, Canada]
Université de Montréal

3/ Exposition des enfants à la violence conjugale en pédopsychiatrie de liaison


Voindrot, F., Meaux, C., Berthelot, M., & Moser, J. [France]
CMP de Thonon les Bains, Equipe de Pédopsychiatrie de Liaison., Centre hospitalier G Pianta

4/ De l’enfant témoin à l’enfant exposé : Neurones miroirs et élaboration de la


pratique : L’enfant exposé aux violences conjugales
Voindrot, F., Meaux, C., Berthelot, M., & Moser, J. [France]
CMP de Thonon les Bains, Equipe de Pédopsychiatrie de Liaison., Centre hospitalier G
Pianta

5/ Intervention dans les situations de concomitance de violence conjugale et de


maltraitance envers les enfants : points de vue des intervenants de la protection
de la jeunesse
Lavergne, C., Turcotte, D., Damant, D. [Québec, Canada]
Université de Montréal, Université Laval

6/ L'exposition à la violence conjugale psychologique et verbale et son effet sur le


comportement des adolescents
Bourrassa, C. [Québec, Canada]
Université de Moncton

7/Adolescents victimes vicariants en famille


Gaillard, B. [France]
Université de Rennes 2
Journal International De Victimologie
International Journal Of Victimology
Tome 5, numéro 1 (Octobre 2006)

"Ma mère était à lui, comme une possession un


peu" : Le point de vue d'enfants et d'adolescents
vivant dans un contexte de violence familiale
L. LAPIERRE, S. [ROYAUME-UNI]

Auteur
Doctorant en travail social,
Centre for the study of safety and well-being,
School of health and Social Studies, University of Warwick

Résumé
Cet article présente les résultats d’une étude exploratoire portant sur le point de vue d’enfants et
d’adolescents vivant dans un contexte de violence familiale et examine les liens entre la violence
conjugale et la violence à l’endroit des enfants. La première partie de l’article porte sur les aspects
méthodologiques de la recherche et présente pourquoi il est important d’explorer le point de vue des
enfants et des adolescents sur la violence familiale, la stratégie de recherche adoptée et les défis
soulevés lors de la collecte des données. La deuxième partie de l’article présente les résultats de
l’étude et, parmi les thèmes émergeants, figurent la violence familiale, la séparation et la violence
post-séparation, la relation mère-enfant et la relation père-enfant. Les résultats de cette étude
confirment qu’il est possible et souhaitable de tenir compte du point de vue d’enfants et d’adolescents
vivant dans un contexte de violence familiale puisque le point de vue des jeunes permet de
développer une perspective nouvelle et complémentaire. À la lumière des résultats obtenus, il est
possible d’identifier différentes implications pour la recherche et pou l’intervention auprès des enfants
et des adolescents vivant dans un contexte de violence familiale.
Mots-clés
Violence conjugale, violence familiale, mauvais traitements, enfants, adolescents

Introduction ou en union libre ont été l’objet de violence de


la part de leur conjoint au cours des cinq
Au cours des deux dernières années couvertes par l’étude (les femmes
décennies, la communauté scientifique a étant victimes de violence plus sévère que les
démontré un intérêt grandissant pour la hommes) et que 37 % de ces victimes
situation des enfants et des adolescents déclarent que leurs enfants ont vu ou entendu
exposés à la violence conjugale (Jaffe, Wolfe au moins un incident de violence conjugale
& Wilson, 1990 ; Mullender & Morley, 1994 ; (Statistique Canada, 2000). Des études
Holden, Geffner & Jouriles, 1998 ; Graham- démontrent également qu’il y a des
Bermann & Edleson, 2001). Au Canada, les conséquences pour les enfants et pour les
résultats d’une étude populationnelle adolescents exposés à la violence conjugale,
démontrent que 7 % des personnes mariées même si plusieurs d’entre eux font preuve de

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LAPIERRE, S.

résilience (Hughes, Graham-Bermann & exemple, à partir d’une recension de 24


Gruter, 2001). Dans une imposante recension recherches, Appel et Holden (1998) identifient
des écrits, Lessard et Paradis (2003) des taux de concomitance qui varient selon la
suggèrent que ces jeunes sont à risque de nature de l’échantillon ; les taux identifiés sont
présenter des problèmes de santé physique et de 26 à 50 % chez les enfants en contact avec
mentale (incluant un syndrome de stress post- les services de protection de l’enfance et de 4
traumatique), des problèmes de à 100 % chez les femmes victimes de
comportements et de fonctionnement social, violence. Des études suggèrent également
des problèmes cognitifs et académiques, ainsi qu’il existe un lien entre l’intensité de la
que des problèmes à plus long terme. violence conjugale et l’intensité de la violence
à l’endroit des enfants et que la concomitance
Cet intérêt de la communauté de ces deux problèmes est associée à des
scientifique pour la situation des enfants et des symptômes plus sévères chez les enfants et
adolescents exposés à la violence conjugale les adolescents (O’Keefe, 1995 ; Bourassa,
s’est aussi traduit par le développement 2002). Néanmoins, les études sur le point de
d’études sur le point de vue d’enfants et vue d’enfants et d’adolescents mettent
d’adolescents vivant dans un tel contexte l’emphase sur la violence conjugale et portent
familial (Abrahams, 1994 ; Boutin, 1996 ; une attention limitée aux liens entre la violence
Bourassa & Turcotte, 1998 ; McGee, 2000 ; conjugale et la violence à l’endroit des enfants.
Mullender et al., 2002). De façon générale, les
résultats de ces études suggèrent que : L’objectif de cet article est de
présenter les résultats d’une étude exploratoire
• les jeunes sont conscients de la portant spécifiquement sur le point de vue
présence de violence au sein de leur d’enfants et d’adolescents sur la concomitance
famille et sont exposés à diverses de la violence conjugale et des mauvais
formes de violence ; traitements (Lapierre, 2003) . L’article est
• le père ou le conjoint de la mère est divisé en deux parties ; la première partie porte
généralement l’auteur de violence ; sur les aspects méthodologiques de la
• la violence à des conséquences sur recherche et la deuxième partie présente les
leur vie, ainsi que sur les relations résultats de l’étude.
qu’ils entretiennent avec leur mère et
avec leur père ;
• les jeunes développent différentes La recherche
explications pour tenter de
comprendre ce qui se passe dans leur Explorer le point de vue d’enfants et
famille ; d’adolescents sur la violence familiale.
• les jeunes adoptent différentes
Tel que mentionné en introduction, les
stratégies pour faire face à la violence.
enfants et les adolescents qui vivent dans un
Ces études remettent donc en contexte de violence familiale ne sont pas
question la vision populaire des enfants et des nécessairement des victimes « cachées » et
adolescents exposés à la violence conjugale « silencieuses » (Abrahams, 1994 ; Holden,
comme étant des victimes « cachées » et 1998) et des études ont démontré qu’il est
« silencieuses » (Abrahams, 1994 ; Holden, possible et souhaitable d’explorer le point de
1998) et démontrent que, dans la mesure où vue de ces jeunes (Mullender, 2006). Dans ce
les chercheurs tiennent compte de la nature contexte, le terme « point de vue » est utilisé
difficile du sujet et de l’âge des participants, il dans le sens de « donner une voix » aux
est possible – et même souhaitable – jeunes qui prennent part dans ces études
d’explorer le point de vue des jeunes sur ce (Lloyd-Smith & Tarr, 2000).
sujet (Mullender, 2006).
Mais pourquoi est-il souhaitable que la
Plusieurs jeunes interrogés dans le communauté scientifique porte une plus
cadre de ces études mentionnent qu’ils ont grande attention au point de vue des enfants et
aussi été victimes de violence directe de la des adolescents qui vivent dans un contexte
part de leur père ou du conjoint de leur mère de violence familiale ? Au cours des dernières
(Abraham, 1994 ; Boutin, 1996 ; Bourassa & années, un nombre considérable d’ouvrages
Turcotte ; McGee, 2000 ; Mullender & al., se sont concentrés sur la recherche avec les
2002), ce qui est cohérent avec le résultats enfants et les adolescents et ont avancé
d’études récentes sur la concomitance de la différentes raisons pour lesquelles il est
violence conjugale et de la violence à l’endroit important d’explorer le point de vue des jeunes
des enfants (Appel & Holden, 1998 ; Edleson, sur les différents aspects de leur vie (Lewis &
1999 ; Cox, Kotch & Everson, 2003). Par Lindsay, 2000 ; Fraser et al., 2004 ; Greene &

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"MA MERE ETAIT A LUI, COMME UNE POSSESSION UN PEU"

Hogan, 2004). D’abord, ces auteurs capables de s’exprimer en français ou en


soutiennent que, tout comme les adultes, les anglais. Le consentement du jeune et d’un
enfants et les adolescents ont le droit de parent était requis. Nous avons recruté les
s’exprimer et d’être écoutés (Thoma, 2001 ; participants par l’entremise d’intervenants et
Kirby, 2002). La reconnaissance de ce droit d’intervenantes de maisons d’hébergement
s’accompagne d’une nécessité de considérer pour femmes victimes de violence, de centre
les jeunes comme étant des acteurs sociaux – locaux de services communautaires et de
non seulement des « adultes en devenir » centres jeunesse dans trois régions du Québec
(Kirby, 2002) – et comme ayant des et, au total, dix jeunes ont participé à l’étude –
compétences et du pouvoir. D’ailleurs, James cinq filles et cinq garçons âgés entre huit et 17
et ses collègues (James, Jenks & Prout, 1998) ans.
soutiennent qu’il est nécessaire de percevoir
les jeunes à la fois comme étant influencés par Les données ont été recueillies lors
l’environnement à l’intérieur duquel ils vivent et d’entrevues individuelles semi structurées
comme étant en mesure d’influencer leur d’une durée approximative d’une heure. Nous
environnement. avons rencontré les participants dans un
endroit où ils se sentaient confortables et en
De plus, donner aux enfants et aux sécurité et nous leur avons donné la possibilité
adolescents l’opportunité de s’exprimer sur des d’être interviewés par un chercheur de sexe
aspects difficiles de leur vie permet d’accroître féminin ou de sexe masculin. Au début des
leur sentiment de compétence et de contrôle rencontres, nous avons discuté avec les
sur leur vie (Thomas, 2001) – un principe qui participants à propos des objectifs de l’étude et
est largement reconnu dans l’intervention nous les avons informés que le contenu des
auprès des jeunes et des familles (Bannister, entrevues était confidentiel, qu’ils n’étaient pas
2001). Cela apparaît particulièrement obligés de répondre à toutes les questions et
important dans la mesure où les enfants et les qu’ils pouvaient mettre fin à l’entrevue à tout
adolescents vivant dans un contexte de moment.
violence familiale ont généralement peu
d’opportunités pour parler ouvertement de Le protocole d’entrevue utilisé s’inspire
cette situation dans un contexte où ils se de celui développé par Malo, Moreau et Paré
sentent en confiance et où ils ne se sentent (1995) et utilise la technique de l’incident
pas jugés. critique, dont le principal avantage est le fait
qu’elle repose sur des faits concrets et réels
Finalement, Thomas (2001) soutient (Ouellet & Mayer, 2000). Lorsque cela était
que tenir compte du point de vue des enfants jugé nécessaire, des vignettes étaient utilisées
et des adolescents permet de prendre des pour aider les participants à s’exprimer
décisions plus éclairées et de meilleure qualité. (Gervais & Gauthier, 1986). Nous invitions
Dans le domaine de la violence, Mullender et donc les participants à raconter un incident de
ses collègues (Mullender et al., 2002) affirment violence conjugale et un incident de mauvais
qu’il est dangereux de présumer que, en tant traitements survenus à l’intérieur des cinq
qu’adultes, nous connaissons les besoins des dernières années – ils pouvaient choisir des
enfants et des adolescents et de développer situations qui avaient été marquantes ou des
des interventions ou des politiques qui ne situations qui étaient représentatives de la
tiennent pas compte du point de vue de ces dynamique de violence présente au sein leur
derniers. famille. Au cours des entrevues, nous invitions
les participants à aborder les thèmes suivants :
La stratégie de recherche. les manifestations de la violence ;le contexte
En dépit de toutes les raisons qui dans lequel la violence survient ;le rôle des
justifient l’importance d’explorer le point de vue personnes présentes ;les émotions, les
des enfants et des adolescents sur la violence cognitions et les comportements suscités ;leur
familiale, le recrutement de participants s’est explication de la situation ;les attributions ;la
avéré être une tâche complexe et le projet dynamique de violence présente dans la
s’est déroulé sur une période de 21 mois (de famille ;les liens entre la violence conjugale et
septembre 2001 à juin 2003). Nos critères de les mauvais traitements ;et les aspects positifs
sélections étaient les suivants : les jeunes dans la relation conjugale et dans la relation
devaient être âgés entre sept et 18 ans, avoir parent-enfant. Les entrevues ont été
été exposés à au moins un épisode de enregistrées sur des cassettes audio et, suite à
violence conjugale et avoir été victimes d’au la transcription, les données ont été l’objet
moins une forme de mauvais traitements d’une analyse de contenu (L’Écuyer, 1990).
(violence ou négligence) à l’intérieur des cinq Les étapes suivantes ont été réalisées : la
années précédant la recherche et être préparation du matériel, la pré-analyse, le

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LAPIERRE, S.

codage du matériel, l’analyse et l’interprétation souligne qu’il est souvent difficile de savoir si
des résultats (Mayer & Deslauriers, 2000). Les les jeunes parlent de conflits ou de violence
analyses ont été conduites à partir d’une grille conjugale. Dans notre étude, cela se traduit
mixte avec des catégories correspondant aux par une importante utilisation par les
thèmes abordés dans le protocole d’entrevue participants du terme « chicane » :
et ont été effectuées à l’aide du logiciel
Microsoft Word 2002 pour Windows. « Peut-être qu’ils [mes parents] se sont pas
Les défis soulevés lors de la collecte des chicanés aussi, peut-être que mon père y’a
données pogné les nerfs. »

Lors des entrevues, les participants Cette difficulté à établir une


affirment régulièrement ne plus se souvenir de compréhension commune aux participants et
ce qui s’est produit, ne pas savoir ce qui s’est aux interviewers/chercheurs est
produit ou ne pas savoir pourquoi cela s’est particulièrement apparente lorsqu’il est
produit. Ces types de réponses peuvent être question de négligence – un problème plus
expliqués notamment par la complexité du difficile à définir, plus variable et plus subjectif
problème de la violence familiale, par l’âge et que la violence. Pour cette raison, la section
le niveau de développement de certains suivante met l’emphase sur la violence et sur
participants et par le temps écoulé entre le les liens entre la violence conjugale et la
moment où les incidents de violence se sont violence à l’endroit des enfants et des
produits et la conduite des entrevues. adolescents.
Néanmoins, les écrits sur la situation des
enfants et des adolescents qui vivent dans un
contexte de violence familiale suggèrent que Résultats et discussion
ces jeunes sont généralement tenus au secret La violence familiale.
et qu’ils se retrouvent souvent au cœur d’un
important conflit de loyauté (Peled, 1997 ; Même si les participants rapportent de
Lessard & Paradis, 2003). Tel que démontré multiples situations de violence familiale et que
dans les deux extraits suivants, ces deux la majorité d’entre eux ont été à la fois exposés
éléments ont aussi des implications sur la à la violence conjugale et victimes de mauvais
propension des participants à parler des traitements, ils ne sont pas toujours en mesure
incidents de violence qui se sont produits au d’établir des liens entre les différentes formes
sein de leur famille et sur la façon dont ils en de violence présentes au sein de leur famille,
parlent : tel que démontré dans l’extrait suivant :
« Ha non ! Merde ! J’aurais pas dû le dire. « Non, j’en vois pas… Ben c’était pas la même
Parce que mon père veut pas que je l’dise… affaire qu’il [mon père] faisait aux deux…
Mon père il veut pas que je l’dise parce que c’était pas comme à ma mère ou à sa blonde
c’est entre lui et moi pis mon frère pis ma c’qui m’faisait. T’sé moi il l’a fait moins là…
mère. C’est plus par papa que ça commence, T’sé comme moins fort qu’aux autres. »
mais je suis pas sûre. Je trouve mais je suis
Néanmoins, l’analyse des données
pas sûre là. Peut-être que c’est par maman.
révèle l’existence de liens entre la violence
Mais moi je trouve que c’est plus par papa. »
conjugale et la violence à l’endroit des enfants
Il est donc essentiel que les et des adolescents. Qu’il soit question de
participants se sentent en sécurité et en violence conjugale ou de violence à leur
confiance et qu’ils comprennent bien le endroit, les participants rapportent
principe de confidentialité. De plus, il est principalement des situations de violence
important d’être attentif à ce genre de physique et psychologique :
remarque et d’en tenir compte lors des
« Il [mon père] a donné une claque à ma
entrevues afin d’éviter d’exacerber le conflit de
mère… sur la joue.
loyauté dans lequel ces jeunes se retrouvent.
Papa y’a lancé… c’est là en ce moment qu’il a
De plus, il est souvent difficile de lancé le couteau… Moi j’suis là, le couteau
s’assurer que nous partageons avec les y’es là… il a lancé le couteau sur moi. »
participants une compréhension commune du
Seulement une participante rapporte une
sujet de discussion, tout en évitant d’imposer
situation de violence sexuelle :
notre propre définition de la situation. Par
exemple, Kelly (1994) soutient qu’il est « Il [mon père] voulait que je reste à la maison,
nécessaire de développer des études qui assis sur le divan… mais lui il était toujours
explorent le point de vue d’enfants et dans sa chambre en train de baiser avec [nom
d’adolescents sur la violence conjugale, mais

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"MA MERE ETAIT A LUI, COMME UNE POSSESSION UN PEU"

de la conjointe du père]. T’sé il voulait que je 1998 ; McGee, 2000 ; Mullender et al., 2002),
reste assis sur le divan à l’écouter. » mais est particulièrement intéressant compte
tenu que les participants dans notre étude ont
Ces résultats sont cohérents avec été recrutés dans différentes organisations,
ceux obtenus dans les études sur le point de non seulement dans les maisons
vue d’enfants et d’adolescents exposés à la d’hébergements pour femmes victimes de
violence conjugale, qui rapportent violence.
principalement des incidents de violence
physique et psychologique (Abrahams, 1994 ; Les résultats confirment également
Boutin, 1996 ; Bourassa & Turcotte, 1998 ; que la présence de violence conjugale place
McGee, 2000 ; Mullender et al., 2002). Même les enfants et les adolescents à risque d’être
si la violence sexuelle est reconnue comme victimes de violence « directe » (Bowker,
étant une importante manifestation de la Arbitell & McFerron, 1988 ; Kelly, 1994 ; Stark
violence familiale (Kelly, 1988 ; Hanmer, & Flitcraft, 2005), notamment parce qu’ils sont
1996), d’autres chercheurs ont soulevé la souvent présents dans la maison ou dans la
difficulté de recueillir des informations relatives pièce quand la violence conjugale se produit
à cette forme de violence, notamment parce ou parce qu’ils tentent d’intervenir dans une
qu’il s’agit d’un sujet plus tabou que la violence situation de violence conjugale pour faire
physique ou psychologique (Boutin, 1996 ; cesser la violence ou pour protéger leur mère :
McGee, 2000).
« Je m’en suis mêlé. On criait après papa pour
Les participants démontrent également qu’il arrête. Y’a jamais arrêté. J’ai presque
que la violence au sein de la famille est arrêté papa de donner des claques pis… il l’a
rarement le fait d’incidents isolés. Ils rapportent redonné à maman pis à moi. »
que la violence est plutôt un problème fréquent
et sévère : Finalement, les participants rapportent
des conséquences importantes à court, moyen
« Mon père il la frappait tellement souvent que et long terme pour les femmes et pour les
les voisins d’en haut pis les voisins d’à côté enfants et les adolescents vivant dans un
y’appelaient la police. La police était quasiment contexte de violence familiale. C’est
là à chaque semaine, pis elle venait pour généralement la combinaison des différentes
chercher mon père. » formes de violence et le climat général de
violence au sein de la famille qui engendre des
La violence dont il est question dans conséquences à moyen et à long terme :
les entrevues avec les participants est
largement une violence masculine, puisque « Depuis c’temps là j’suis jamais capable
c’est généralement le père ou le conjoint de la d’être tout seul en quelque part. »
mère qui adopte des comportements violents.
Pour certains participants, il semble clair que Un problème plus large….
cette violence s’inscrit dans un patron de Les résultats révèlent que cette
domination dans les relations hommes- violence masculine constitue un problème plus
femmes : large que ce qui se produit entre les
« Mon père il avait dit que y’était… que ma participants, leur mère et leur père. En effet,
mère était à lui, comme une possession un les participants rapportent que les hommes qui
peu là. » adoptent des comportements violents le font
généralement à l’endroit de plusieurs femmes
Les participants qui rapportent des et de plusieurs enfants et adolescents :
comportements violents de la part de leur mère
en parlent comme d’un incident mineur et « Mon père y’a fait ça avec pas mal toutes ces
isolé : blondes. Quand il pogne les nerfs, c’est
n’importe qui qui arrive sur son chemin, ben là
« Ma mère elle a pris les lunettes, elle était il part… Il part à crier dessus, chialer, ça
tellement en colère après mon père, elle a pris dépend. Ça dépend c’est qui surtout là. Le pire
ses lunettes, elle les a cassées en deux… ça c’est quand c’est mon grand frère. »
c’est fini comme ça. Ma mère elle m’a donné
une claque dans la face… une claque derrière Séparation et violence post-séparation.
la tête. » Lors de la tenue des entrevues, la
Ces résultats sont aussi cohérents majorité des participants ne vivent plus avec
avec les résultats obtenus dans les études sur l’homme qui a des comportements violents et,
le point de vue d’enfants et d’adolescents dans certains cas, cela a fait diminuer ou
exposés à la violence conjugale (Abrahams, cesser la violence. Néanmoins, les participants
1994 ; Boutin, 1996 ; Bourassa & Turcotte, identifient différentes raisons pour lesquelles

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LAPIERRE, S.

leur mère peut être demeurée avec un homme d’habitude… Elle avait trop de choses dans la
ayant des comportements violents : tête sûrement là. »
« Parce que ma mère t’sé elle l’aimait quand Ces résultats confirment les résultats
même mon père. d’autres études sur le point de vue d’enfants et
C’est parce que ils voulaient que j’aille une d’adolescents exposés à la violence conjugale
mère et un père. Ils voulaient rester ensemble (McGee, 2000 ; Mullender et al., 2002 ;
pour moi. Mullender, 2006). Selon Mullender et ses
Peut-être parce que ma mère elle avait peur collègues, cela n’est pas le fait du hasard,
de lui. » mais plutôt le résultat de stratégies adoptées
par les hommes violents dans le but de
De plus, les participants rapportent s’attaquer à un aspect important dans la vie
diverses stratégies adoptées par les femmes des femmes, des enfants et des adolescents
avant la séparation dans le but de modifier la (Mullender et al., 2002).
situation, de faire cesser la violence et
d’assurer leur protection ainsi que celle de Tel que démontré dans les extraits
leurs enfants : cités précédemment, les participants
rapportent que leur mère était parfois moins
« Elle [ma mère] persévérait. Elle essayait présente, moins disponible ou moins patiente
toujours de le modifier, pis le modifier, pis ça lors des situations de violence. Néanmoins,
marchait pas. » contrairement aux résultats obtenus dans
Cependant, les participants rapportent d’autres études (Bourassa & Turcotte, 1998 ;
de multiples incidents de violence qui se sont Mullender et al., 2002), ces extraits démontrent
produits suite à la séparation et identifient le également que les participants refusent de
harcèlement comme étant une importante blâmer leur mère. Pour les participants, leur
forme de violence post-séparation : mère demeure une importante (souvent la plus
importante) source de protection et de
« Il [mon père] venait… j’pense que ma mère support :
avait fait changé toutes les serrures parce qu’il
venait pis il cognait. Il cognait partout dans la « Ben, j’y ai dit [à ma mère] que ça me faisait
maison… dans les fenêtres pis dans la fenêtre mal, qu’il [mon père] m’avait lancé le vélo. J’ai
de ma chambre. appelé ma mère, pis là j’y ai dit qu’est-ce qui
Il [mon père] est venu chez nous… Il a pas le s’était passé... ça fait que j’me suis en allé
droit de venir… il était sur trois approbations chez elle. Pis là c’est là que j’ai dit ouin j’va
là. Pis là il est venu cogner chez nous, pis là réfléchir un peu, j’va peut-être passer une
ma mère a appelé la police tout de suite. » semaine chez toi. »

Ces résultats sont cohérents avec La relation père-enfant.


ceux obtenus dans d’autres études sur la Les relations que les participants
violence conjugale (Humphreys & Thiara, entretiennent avec leur père sont beaucoup
2003) et remettent en question la perception plus complexes que les relations qu’ils
populaire de la séparation comme étant une entretiennent avec leur mère. Les participants
solution simple et efficace pour faire cesser la identifient divers aspects positifs dans les
violence familiale et pour assurer la protection relations qu’ils entretiennent avec leur père,
des femmes et des enfants et des adolescents. généralement dans un passé plus ou moins
La relation mère-enfant. lointain. Lors de la tenue des entrevues,
plusieurs participants ont peu de contacts avec
Les participants rapportent des leur père et identifient cela comme un aspect
conséquences de la violence sur la relation difficile dans leur vie :
qu’ils entretiennent avec leur mère :
« Je le vois pas souvent [mon père]… Je l’ai vu
« Elle [ma mère] m’parlait pas… Elle parlait je pense 15 heures ce mois-ci… T’sé j’le
juste à papa… Parce que ben là t’sé ! Si elle voyais quasiment jamais… C’est plate. »
s’revire de bord là, papa va être… y va faire
mal à maman. De façon générale, les participants
Elle [ma mère] était moins patiente un peu, décrivent les relations qu’ils entretiennent avec
mais ça on l’comprenait là… Pis elle était plus leur père comme étant empreintes de tristesse
stressée, pis elle dormait moins la nuit. et de déception, ce qui est cohérent avec les
Mettons on y demandait quelque chose elle résultats obtenus dans des études sur le point
disait non… Ben t’sé un moment donné elle de vue d’enfants et d’adolescents exposés à la
s’fâchait. Elle s’fâchait plus vite que violence conjugale (Mullender et al., 2002). Tel
que démontré dans les extraits suivants, ils ne

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"MA MERE ETAIT A LUI, COMME UNE POSSESSION UN PEU"

perçoivent pas leur père comme étant une No longer can researchers assume that those
personne sur qui ils peuvent compter ou en qui social science methods that are used to study
ils peuvent avoir confiance : adults can be used in the same way with
children. Instead, researchers need to give
« Dans ma tête, j’penserais que papa avait some thought to ways in which innovatory
arrêté, mais il continue. C’est ça la vie ! Il [mon methods of social investigation can be
père] veut pas venir me voir. T’sé des fois developed and used with children so as to gain
y’appelle, mais t’sé des fois il dit qu’il va être là access to children’s perspectives of the world
vers j’sais pas 8h00… Il est jamais là ! » in which they live and work. (Burgess, 2000,
cité dans Kirby, 2002)
Des ouvrages récents soulignent
Les participants perçoivent cette l’importance d’explorer le point de vue des
situation comme étant une conséquence de la jeunes sur les différents aspects de leur vie
violence familiale et identifient leur père (Lewis & Lindsay, 2000 ; Fraser et al., 2004 ;
comme étant responsable pour cette situation : Greene & Hogan, 2004) et les chercheurs qui
« C’est sûr que c’est dur, mais… j’attends, je désirent explorer le point de vue d’enfants et
laisse faire parce que là j’peux rien faire, là il d’adolescents devraient s’inspirer de ces
[mon père] veut rien savoir. » nouveaux développements et faire preuve de
créativité. Est-ce que les jeunes devraient
Finalement, malgré la tristesse et la participer à l’élaboration des objectifs et des
déception, les participants sont en mesure de questions de recherche ? Est-il souhaitable
percevoir les aspects positifs de l’absence du d’impliquer les jeunes dans les différentes
père : étapes du processus de recherche ? Est-il
« Regarde… Quand il [mon père] est en possible d’impliquer les jeunes en tant que co-
prison, ben ça nous fait du bien parce que on chercheurs ? Comment est-il possible de tenir
entend pu crier… On entend pu des mots compte et de minimiser les rapports de pouvoir
méchants. » entre les chercheurs/adultes et
participants/jeunes ?
De plus, malgré les difficultés reliées
Conclusion au recrutement des participants, il est
nécessaire que les études dans le domaine
Les résultats présentés dans cet article
accordent une plus grande attention à la
proviennent d’une étude exploratoire que nous
diversité parmi les enfants et les adolescents,
avons menée auprès d’enfants et
incluant la langue, l’origine ethnique, la classe
d’adolescents sur la concomitance de la
sociale et les caractéristiques physiques et
violence conjugale et des mauvais traitements.
mentales. En effet, des études sur la situation
Bien que, dû à la taille et à la nature de
des enfants et des adolescents vivant dans un
l’échantillon, il serait inapproprié de généraliser
contexte de violence ont démontré que des
les résultats obtenus, il est possible d’identifier
jeunes de groupes différents peuvent avoir des
des implications pour la recherche et pour
expériences différentes de la violence (Imam,
l’intervention auprès d’enfants et d’adolescents
1994 ; Mullender et al., 2002).
vivant dans un contexte de violence familiale.
Finalement, les résultats confirment
D’abord, les résultats confirment qu’il
l’importance de tenir compte du point de vue
est possible et souhaitable d’explorer le point
des enfants et des adolescents dans
de vue des enfants et des adolescents vivant
l’intervention (Bannister, 2001) et dans la mise
dans un contexte de violence familiale,
sur pied et l’évaluation des programmes
puisque le point de vue de ces jeunes permet
d’intervention et de politiques publiques
de développer une perspective nouvelle et
(Hendessi, 1997 ; McGee, 2000). Le point de
complémentaire. Néanmoins, à la lumière des
vue des enfants et des adolescents
défis soulevés par ce projet, il semble
participants dans cette étude supportent l’idée
nécessaire de porter une plus grande attention
que, de façon générale, la meilleure façon
aux aspects méthodologiques et éthiques de la
d’assurer la protection et le bien-être des
recherche auprès des enfants et des
jeunes vivant dans un contexte de violence
adolescents si nous désirons vraiment
familiale est de travailler avec leur mère afin
développer une compréhension partagée des
d’assurer la sécurité et le bien-être de cette
problèmes et« donner une voix » aux
dernière et de faciliter la communication dans
participants (Lloyd-Smith & Tarr, 2000).
la relation mère-enfant (Kelly, 1994 ; Mullender
Tel que soulevé par Burgess : & Morley, 1994 ; Humphreys et al., 2006).

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2006; 5(1) : 41


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Journal International De Victimologie
International Journal Of Victimology
Tome 5, numéro 1 (Octobre 2006)

Concomitance de la violence conjugale et des


mauvais traitements envers les enfants :
comprendre le phénomène à partir du point de vue
des acteurs sociaux concernés
LAVERGNE, C.(1), LESSARD, G., CHAMBERLAND, A. [CANADA]

Auteur
(1) Ph.D., Institut de recherche pour le développement social des jeunes,
Professeur associée, Ecole de service social, Université de Montréal

Mots-clés
Violence conjugale ; enfants ; victime ; famille

La violence conjugale et les mauvais familles encore plus vulnérables en même


traitements envers les enfants se sont temps qu’elle vient complexifier la réponse aux
construits comme deux problèmes sociaux besoins de services (Hartley, 2002; Onyski,
distincts, qui ont évolué dans des univers 2003).
différents aux plans conceptuel, institutionnel
et légal. Toutefois, depuis les dernières Le défi de comprendre les liens
années, des recherches démontrent que ces complexes entre ces deux problématiques
deux problèmes se présentent de manière prend donc des proportions considérables,
concomitante dans de nombreuses familles d’autant plus qu’elles se situent au carrefour
(Appel & Holden, 1998; Edleson, 1999; de deux réseaux de connaissances qui se sont
Lavergne et al., 2001; McGuigan et al., 2000; construits à partir d’origines et de fondements
Rumm et al., 2000). De plus, la violence dans théoriques radicalement différents, parfois
ces familles est souvent plus sévère et peut même opposés (Beeman & Edleson, 2000). Il
prendre des formes diversifiées (négligence, s’avère donc nécessaire dans ce contexte de
violence verbale, psychologique, physique, développer une analyse de la violence
sexuelle, économique). La juxtaposition des familiale qui soit plus globale et davantage
problèmes entraîne aussi des conséquences intégrée si l’on veut parvenir à mieux
généralement plus lourdes sur le appréhender la complexité des dynamiques de
fonctionnement des jeunes victimes; on note, concomitance et améliorer notre façon de
en effet, que ces enfants manifestent plus de penser ce phénomène et d’y réagir.
problèmes internalisés et externalisés que les Ce numéro spécial proposé par le
enfants exposés uniquement (Bourassa, 2003; Journal et le Centre de recherche
O’Keefe, 1995; Shipman et al., 1999). La interdisciplinaire sur la violence familiale et la
présence d’autres problématiques comme la violence faite aux femmes (CRI-VIFF) se veut
toxicomanie, la pauvreté et les problèmes de un espace privilégié de réflexion visant à
santé mentale rend les membres de ces

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2006; 5(1) : 44


LA VIOLENCE CONJUGALE ET DES MAUVAIS TRAITEMENTS ENVERS LES ENFANTS

comprendre les réalités et les besoins des (services de première ligne) ont aussi été mis
différents membres de la famille aux prises à contribution. Par ailleurs, depuis l’émergence
avec cette concomitance, ainsi qu’à dégager de la Loi sur la protection de la jeunesse en
des enjeux soulevés au plan de l’intervention 1979, les services aux enfants victimes de
et de l’organisation des services offerts aux mauvais traitements relèvent de l’État.
familles confrontées à cette double L’intervention dans ce domaine se fait par les
problématique. Les articles de Simon Lapierre Centres jeunesse qui ont le mandat légal
et de Chantal Bourassa abordent le d’intervenir lorsqu’une situation compromet la
phénomène de la concomitance à partir du sécurité ou le développement des jeunes.
point de vue des enfants et des adolescents- Cette séparation des deux univers
es. Leur démarche permet de faire entendre la d’intervention nuit au développement d’une
voix des jeunes sur leur expérience de aide efficace auprès des familles qui vivent
victimisation, ce qui constitue en soi une rareté une concomitance de problèmes. Il existe
dans le domaine de la recherche en violence portant un consensus à l’effet que la
familiale. En effet, les chercheurs se limitent collaboration entre les différents organismes
trop souvent au point de vue des adultes pour concernés apparaît incontournable pour l’offre
appréhender les réalités vécues par les d’un soutien intégré et cohérent (Beeman &
enfants (Chamberland, 2003; Graham- Edleson, 2000 ; Findlater & Kelly, 1999 ;
Bermann, 2002). Pourtant, une étude de Fortin Hartley, 2002; Lessard, et al., 2006). Mais
(2004) démontre que le point de vue de comme le souligne Geneviève Lessard, cette
l’enfant exposé à la violence conjugale, plus collaboration peut s’avérer difficile en raison
particulièrement le fait qu’il se sente menacé, des chocs culturels entre des groupes
qu’il s’attribue le blâme ou qu’il se sente d’acteurs qui possèdent des représentations
coupable, prédit les symptômes de dépression diversifiées du problème et des solutions, et ce
et d’anxiété qu’il manifeste. C’est dans cette bien souvent à l'intérieur d'un même domaine
perspective que Bourassa fait appel aux d'intervention. Ainsi, en violence conjugale,
jeunes eux-mêmes pour documenter les effets des organismes viennent en aide aux conjoints
spécifiques et combinés de l’exposition à la violents alors que d'autres, comme les
violence conjugale et des mauvais traitements maisons d'hébergement, offrent des services
physiques et psychologiques directs sur le aux femmes violentées et à leurs enfants.
développement des troubles de comportement Dans un tel contexte organisationnel de
chez les garçons et les filles. L’étude de pratique, s'interroge Lessard, quelles sont les
Lapierre, de son côté, éclaire de manière divergences et les convergences dans les
intéressante comment l’expérience que font les représentations du problème et de ses
enfants et les adolescents de la violence et de solutions chez les différents groupes
la négligence affecte leurs représentations des d’intervenants? L’importance d’aborder
dynamiques conjugales et parentales simultanément la violence conjugale et la
violentes. Malgré les défis méthodologiques et maltraitance a particulièrement été soulevée
éthiques soulevés par la participation des dans le cas des intervenants en centre
enfants au processus de recherche, les jeunesse. Leur aide peut s’avérer déterminante
connaissances générées par ces deux études pour la sécurité et le bien-être des enfants et
permettent d’améliorer notre compréhension de leur mère. Dans le but de mieux
du phénomène et sont susceptibles d’avoir des comprendre comment les liens de
retombées importantes pour l’intervention et le concomitance sont abordés dans la pratique
développement de programmes et de en centre jeunesse, Chantal Lavergne analyse
politiques publiques dans le domaine de la le discours des intervenants-es de la protection
violence. de la jeunesse entourant le phénomène et
l’intervention auprès des familles. L’étude
Sur le plan des pratiques, la violence est permet également de documenter les défis que
encore abordée de manière morcelée et les la concomitance de ces problèmes soulève
ressources ont tendance à accorder la priorité pour l’aide aux familles en contexte d’autorité.
à l’une ou l’autre des deux problématiques L’article de Julia Krane et Linda Davies jette,
sans que les liens les unissant ne soient pris pour sa part, un regard éclairant sur
en considération ni même reconnus. Il faut dire l’intervention féministe en maison
qu’au Québec, les réponses sociales à ces d’hébergement et soulève un questionnement
deux formes de violence familiale ont connu fondamental pour l’aide aux femmes violentées
une évolution distincte; les services en et à leurs enfants : la pratique féministe en
violence conjugale se sont d’abord développés maison d’hébergement permet-elle de tenir
dans le réseau des organismes compte de la maternité des femmes
communautaires, puis dans les années 1980, hébergées? Poser la question c’est un peu y
les centres de santé et de services sociaux

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2006; 5(1) : 45


LAVERGNE, C. ET AL

répondre. Aussi, les auteures recommandent- Findlater, J.E. & S. Kelly. 1999. Reframing
elles de repenser la pratique féministe en child safety in Michigan: Building
maison d’hébergement afin qu’elle réponde collaboration among domestic
davantage aux besoins des femmes victimes violence, family preservation, and child
dans leur rôle de mère. Il s’avère essentiel de protection services. Child
relever ce défi pour « arriver à comprendre les Maltreatment, 4, 167-174.
mères et leurs considérations à l’égard de
leurs enfants ». Fortin, A. (2004). Le point de vue de l'enfant
sur la violence à laquelle il est exposé.
Les articles de ce numéro montrent donc Rapport final. Montréal, QC:
que les liens entre la violence conjugale et les Département de Psychologie et CRI-
mauvais traitements sont bien plus que VIFF. Recherche subventionnée par le
théoriques; en effet ces problématiques sont FQRSC.
souvent intimement enchevêtrées dans
l'histoire des familles maltraitantes. Ils Graham-Bermann, P. (2002). The relationship
permettent aussi de constater l'importance et between domestic violence and child
la pertinence d'analyser les expériences de abuse. In J.B. Myers, L. Berliner, J.
violence au sein de la sphère domestique de Briere, C.T. Hendrix, C. Jenny & T.A.
manière plus globale ainsi que d'intégrer le Reid (Eds.), The APSAC Handbook on
point de vue des différents acteurs tant child maltreatment, second edition.
familiaux que sociaux pour la construction Thousand Oaks, Sage Publications.
d'une représentation plus complexe et mieux McGuigan, W.M., Vuchinich, S. & Pratt, C.C.
nuancée du problème. En somme, les (2000). Domestic violence, parents'
différents auteurs-es qui ont participé à ce view of their infant, and risk for child
numéro spécial sur la concomitance nous abuse. Journal of Family Psychology,
convient donc à réfléchir autrement ces deux 14(4), 613-624.
formes de violence et à mettre nos efforts en
commun pour développer des pratiques Hartley, C.C. (2002). Severe violence and child
novatrices pour contrer les effets néfastes de maltreatment: considering child
cette violence et en freiner la reproduction physical abuse, neglect and failure to
d'une génération à l'autre. protect. Children and Youth Services
Review, 26, 373-392
Lavergne, C., Chamberland, C., Laporte, L.,
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Journal of Family Psychology, 12(4), familles signalées aux services de
578-599. protection de l’enfance au Québec.
Dans le cadre du 69e Congrès de
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LA VIOLENCE CONJUGALE ET DES MAUVAIS TRAITEMENTS ENVERS LES ENFANTS

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Journal International De Victimologie
International Journal Of Victimology
Tome 5, numéro 3 (Juillet 2007)

Exposition des enfants à la violence conjugale en


pédopsychiatrie de liaison
VOINDROT, F.(1) ; MEAUX, C. (2) ; BERTHELOT, M. (1) ; MOSER, J. (3) [FRANCE]

Auteurs
(1)
Infirmièr(e) de secteur psychiatrique
(2)
Psychologue clinicienne
(3)
Pédopsychiatre Praticien hospitalier CMP de Thonon les Bains, Equipe de Pédopsychiatrie de
Liaison., Centre hospitalier G Pianta BP 526, 3 av de la Dame Thonon les Bains 74200 France

Mots-clés

Pédopsychiatrie; violence conjugale; enfants exposés; agressivité; troubles des conduites;


encoprésie; anxiété; suicide; geste para suicidaire

Introduction violence conjugale dans les familles des


enfants qui nous étaient adressées. Dans
L’exposition à violence conjugale et certaines situations, la violence conjugale
ses conséquences sur la santé psychologique accompagnait d’autres maltraitances, dans
des enfants sont souvent négligées. De d’autres cas elle apparaissait au décours d’un
nombreux articles, textes, groupes et thérapies suivi.
sont consacrés aux auteurs et aux victimes de
violence conjugale. Les travaux sur les La sensibilisation progressive de notre
conséquences pour les enfants de cette équipe de pédopsychiatrie de liaison à cette
exposition ne présentent pas la même densité problématique nous a amenés à tenter
et il en va de même pour les thérapies . Les « d’objectiver » cette impression clinique. Nous
services de pédopsychiatrie n’échappent pas à avons donc mis un place un recueil de
cette logique, et en cela ne se différencient pas données systématiques pour chaque enfant
des autres spécialités médicales. Ainsi plus de reçu entre le 1er janvier 2006 et le 30 avril
25% à 35% des consultations des femmes 2006.
dans les services d’urgences seraient
motivées par de la violence conjugale alors Les enfants nous sont adressés
que les urgentistes n’en repèrent que 2% à principalement par le service de pédiatrie, les
3%, et 60% des médecins généralistes urgences, la réanimation, et des autres
affirment ne jamais avoir rencontré cette services de l’hôpital, (chirurgie, cardiologie et
problématique dans leur clientèle féminine. pneumologie). Les intervenants extérieurs
(ASE, établissements scolaires médecins
Du hasard et de la nécessité généralistes et pédopsychiatres) représentent
l’autre voie d’accès à notre unité. Les enfants
Lors de notre première année que nous prenons en charge sont donc des
d’exercice nous avons remarqué une enfants dont les troubles psychologiques sont
prévalence importante de maltraitance et de

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2007; 5(3) : 153


VOINDROT, F.

repérés par des professionnels du secteur trouve de l’anxiété dans 14% des situations
sanitaire, social et éducatif du Chablais. suite à une exposition à des violences
conjugales, alors que pour les filles qui n’ont
Sur cette période nous avons reçu 91 pas subi cette exposition, le taux de personnes
enfants, trois cas ne sont pas documentés anxieuses est de 5%. Selon une enquête,
(N=88). Il n’y a pas de différence significative après exposition à des scènes de violence
dans la répartition selon le sexe conjugale un taux élevé d’anxiété est retrouvé
(Filles/Garçons (Nf=45 et Ng=43)). Seule la durant deux ans chez les garçons et pendant
violence physique a été retenue comme quatre ans chez les filles . Tant chez les
critère, la violence psychologique étant bien garçons que chez les filles, il y a une forte
plus difficile à objectiver, à définir de façon association entre exposition à la violence
consensuelle . Pour d’autres raisons nous conjugale et les comportements agressifs :
n’avons retenu ni la violence sexuelle, ni la chez 43 % des garçons et chez 27% des filles.
violence économique. Nous avons constaté Avec les enfants non exposés l’agressivité
que 40,9% (Ne=36) des enfants reçus par manifeste est de 25% chez les garçons et de
cette équipe de première ligne ont été exposés 17% chez les filles. L’agressivité comme
à de la violence conjugale (agression physique l’anxiété ont des répercussions à court, moyen
entre les parents). Ce chiffre qui peut paraître et long terme non négligeables. Pour
élevé s’explique par le fait que nous n’avons l’agressivité, les processus d’identification à
pas retenue l’exposition durant les douze l’agresseur ne peuvent être écartés ; ainsi, les
derniers mois, comme dans de nombreuses enfants exposés à la violence conjugale
études sur la violence envers les femmes, auraient plus tendance à avoir recours à la
mais depuis la naissance de l’enfant. violence et à approuver le recours à la violence
pour régler les conflits . De la même façon,
Des études canadiennes donnent un plusieurs études ont montré que les hommes
taux de 11% à 23% d’exposition à la violence exposés à la violence conjugale dans leur
conjugale dans la population générale, de 17% enfance ont une probabilité plus importante de
pour les enfants de 6ans à 11ans et de un recourir à la violence dans les relations avec
enfant sur douze soit 8% entre 4 et 7 ans leur partenaire .
(Toutes formes de violences confondues). Des
travaux menés à Los Angeles indique que 57% Des symptômes généraux et des signes
des garçons et 56% des filles parmi les 935 spécifiques
adolescents interrogés ont été exposé à de la
violence conjugale au cours de leur Les symptômes qui ont motivé la
existence (toutes formes de violences consultation auprès de l’équipe de
confondues). pédopsychiatrie de liaison sont : l’agressivité,
l’anxiété, les troubles de conduites avec
D’autres travaux montrent que les opposition, l’encoprésie, des troubles de
enfants exposés à la violence domestique et l’attentions avec hyperactivité, des troubles
conjugale souffrent dans 63% des cas d’un anxieux majeurs, phobie scolaire etc…. Chez
problème de santé et la fréquence des troubles les adolescents, il faut ajouter aux symptômes
mentaux est de 21% contre 4% dans la précédemment énumérés, des troubles des
population générale du Québec. 16% de ces conduites alimentaires, les tentatives de
enfants présentent des troubles suicides et diverses intoxications (coma
psychologiques sévères alors que l’enquête éthylique…) ou mises en danger ainsi que les
Santé Québec trouve moins de 2% d’enfants gestes para suicidaires (scarifications).
souffrant de tels troubles dans la population Seulement pour 4 enfants sur les 36 exposés,
générale. La proportion d’accidents de tous la violence conjugale motivait la consultation.
types chez ces enfants est deux fois plus
importante que dans l’enquête Santé Québec . Les états de stress post
Ces quelques chiffres montrent l’ampleur du traumatique peuvent aussi découler de
phénomène et si l’esprit était à la collection, l’exposition à la violence conjugale bien que
d’autres statistiques tout aussi éloquentes ces derniers ne soient ni en lien avec le sexe
pourraient être données. de l’enfant ni avec l’intensité ou la distance de
l’événement . D’autres études soulignent le
La spécificité de cette exposition et de lien entre la gravité, la fréquence, la duré de
ces conséquences pour les troubles anxieux l’exposition à la violence conjugale et l’intensité
semble bien établie : 12% des garçons des symptômes présentés par ces enfants .
exposés présentent des troubles anxieux alors
que pour la population de garçons non Olga est une adolescente, originaire
exposés elle est de 6% . Chez les filles, on d’Afrique admise durant la nuit. Les urgentistes

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2007; 5(3) :154


EXPOSITION DES ENFANTS A LA VIOLENCE CONJUGALE EN PEDOPSYCHIATRIE DE LIAISON

évoquent des hallucinations visuelles (voit du de guerre intergalactique et présentait un


sang sur les murs) une grande agitation et des déficit de l’attention avec hyperactivité et
gestes agressifs. Elle a reçu un traitement d’importantes difficultés scolaires. L’encoprésie
neuroleptique injectable qui a nécessité comme régression au regard du
l’intervention de 5 personnes pour son développement psycho sexuel, a pour
administration. Le lendemain matin pendant conséquence une désintrication pulsionnelle
notre rencontre elle présente et décrit plusieurs (amour haine) qui fait le lit de la violence dans
symptômes traduisant une hyperactivité cette perspective théorique .
neurovégétative, une hyper vigilance avec une
réaction de sursaut exagérée, des difficultés Le test projectif « de patte noire »
d'endormissement, des réveils nocturnes, de montre un recours important à l’agir et à
l’irritabilité et des difficultés de concentration. l’agressivité. Aux planches « auge et baiser »,
Elle montre une détresse cliniquement la tendresse est très peu évoquée. La
significative. Elle évoque des idées suicidaires représentation est investie par l’agressivité,
assez fréquentes. Elle dit ne pas avoir tenté de Les parents se déchirent, se battent. L’enfant,
passer à l’acte et il n’y a pas scénario pour dans une position testimoniale évoque parfois
mettre en acte un geste suicidaire. crûment la violence de ses parents.

En Afrique à 6 ans ½, Olga a été Les planches « batailles et départ »


témoin du meurtre de sa mère par son père à font ressortir des éléments importants
coups de machette (confirmé par son oncle). d’agressivité en lien avec les sentiments de
Elle revit l’événement traumatique de son culpabilité, l’enfant se sent responsable de la
enfance: peur intense, détresse, sentiment violence de ses parents, il est donc puni pour
d’horreur au travers des flashbacks. Ce qui cela et se retrouve abandonné, seul sur cette
semble avoir déclenché cet épisode dissociatif grande route. Etc… Les conséquences d’une
est la dispute violente d’un couple d’amis. telle culpabilité sur l’estime de soi et en terme
de narcissisme semblent expliquer l’intensité
Olga sera orientée vers un C.M.P. afin du tableau clinique rencontré chez certains .
qu’elle puisse bénéficier d’un suivi
psychologique pour ses troubles récurrents. Avec la carte magique (la fée) l’enfant
efface le passé, la violence et ses
Treize des enfants (14,77%) ayant conséquences ainsi que la séparation du
effectué une tentative de suicide avaient été couple parental.
exposés à de la violence conjugale. Ils
représentent 39,39% du total des enfants pris Une enfant adressée pour des
en charge suite à un acte suicidaire par notre hallucinations auditives nous permettra de
unité (Nts= 33 soit 37%). suivre le cours de sa pensée : Elle a entendu
et vu sa mère se faire battre, et elle est
Nous retrouvons une autre devenue hyper vigilante à tout signal sonore
caractéristique assez spécifique chez ces surtout le soir quand elle ne trouve pas le
enfants qui est d’avoir été témoins de tentative sommeil. Il faut savoir qu’elle est allée
de suicide, ou d’un suicide. Le cas le plus chercher les voisins pour séparer ses parents,
extrême suivit dans notre consultation étant pour sauver sa mère et éviter que son père ne
celui d’une enfant qui n’a pu interrompre l’acte commette un homicide. Alors, quand sa mère
suicidaire de son père. Dix ans après elle reçoit son nouveau compagnon, elle redouble
répondait à plusieurs critères du PTSD et elle d’attention et entend des cris dont elle ne
était hantée par une culpabilité intense qui ne comprend pas le sens : Elle entend son père
lui laissait guère de répit. battre sa mère, pseudo hallucination auditive,
elle ne sait pas que les cris peuvent évoquer
Entre trois et huit ans, tous les enfants autre chose que la douleur. Mais cette
(Nenc=8) que nous avons reçus pour « anecdote» nous en dit long sur les limites et
encoprésie avaient été exposés à de la la séparation entre les générations, ainsi que
violence conjugale. Ils étaient devenus sur l’inversion des rôles ; parentification
indisciplinés et agressifs à l’école et à la « L’enfant se sentant investi de la sécurité de
maison. Dans le cas le plus grave l’enfant ne sa mère ».
vivait plus que dans un monde imaginaire fait

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2007; 5(3) : 155


VOINDROT, F.

Figure 1 : Dessin de la dame de Fay

Tant les éléments recueillis au dessin rencontrée chez un certain nombre d’hommes
de la dame de Fay , (ces enfants entre huit et auteurs de violence conjugale. Il n’est bien sûr
douze ans ne dessinent que rarement un pas question ici de dénier la part de
parapluie), que ceux de leurs jeux ou de leurs responsabilité de celui qui donne les coups
discours, incitent à penser que ces enfants se mais de rendre compte, de ne pas passer sous
sentent pas ou mal protégés par leurs parents. silence la part de transmission
Bien au contraire c’est l’enfant qui se doit de intergénérationnelle, tant dans la modalité de
protéger les parents : la victime de la violence type identification à l’agresseur que comme
qu’elle subit, l’auteur de la violence qu’il modèles relationnels appris pendant
impose. Les plus grands parfois font « le coup l’enfance . Dans d’autres situations, il semble
de poing » avec leur père. Il n’est pas rare de que les enfants soient devenus les
voir ces enfants développer des habilités dans destinataires d’une violence précédemment
le désamorçage de la colère de l’agresseur et adressée à la mère.
des conflits naissant entre leurs parents quitte
à se mettre parfois en danger. Cependant Lors des consultations nous percevons
cette façon de faire face, cette stratégie de un lien important entre conflit de loyauté, la
coping ne semble pas réduire les troubles culpabilité de l’enfant, l’exposition à la violence
présentés par les enfants. Certaines études conjugale, l’ambivalence des sentiments et les
montrent un taux supérieur des troubles internalisés (dépression, anxiété,
troubles dépressifs chez les enfants qui faible estime de soi) où externalisés (trouble
interviennent par rapport à ceux qui de conduites, agressivité, violence, fugues,
n’interviennent pas. Ce type de situation pose conduites suicidaires, gestes para suicidaires,
le problème de la parentification des enfants usage de toxiques) présentés par ces enfants.
qui sont témoins-victimes de telles scènes et Ces enfants pensent trahir la victime quand ils
qui peuvent aussi en devenir un des acteurs. éprouvent ou expriment des sentiments positifs
Cette situation n’est que la première étape des pour l’agresseur. Ils ne peuvent pas plus
figures d’oxymore qui se rencontre dans la évoquer leurs besoins de relation avec
violence conjugale ; témoin/ victime – l’agresseur que composer avec les éprouvés
victime/acteur – acteur/auteur ; trajectoire de terreur ressentis durant l’exposition à des

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2007; 5(3) :156


EXPOSITION DES ENFANTS A LA VIOLENCE CONJUGALE EN PEDOPSYCHIATRIE DE LIAISON

scènes de violences conjugales . Mais bien au La sécurité des enfants reste l’un des
delà d’un conflit de loyauté, c’est une éléments déterminants des interventions en
réactualisation de la problématique oedipienne pédopsychiatrie. Susciter un dévoilement dont
dans la façon dont le sujet, dans une position les conséquences immédiates pourraient être
active ou passive réorganise cette dimension délétères pose question. Il faut être prêt à
fantasmatique. Le télescopage du fantasme et assumer toutes les implications qui en
de la réalité devenant des plus anxiogène découlent et avoir les moyens de mettre en
quand par exemple madame pour se protéger, œuvre les mesures nécessaires. Connaître et
se réfugie dans la chambre de l’enfant. C’est tenir compte de la pratique des autorités tant
alors un tableau de peurs et de terreurs policières que juridiques en la matière est
infantiles qui occupent le devant de la scène. primordiale dans ce choix. Les intervenants
peuvent s’adosser et se référer à la loi si elle
Le dévoilement est réellement appliquée. Dans tout autre cas
de figure, la prudence et l’évaluation
L’exposition à la violence conjugale est pluridisciplinaire doivent rester la règle et la
rarement rapportée spontanément. Cependant sécurité de la mère une préoccupation
des questions simples permettent de faire le primordiale.
point à ce sujet. Quand un climat de confiance
s’est installé, les adolescents indiquent parfois, Références
sans avoir été questionnés sur ce sujet, les
évènements violents qui ont eu lieu dans le Lors de recherches documentaires l’essentiel
couple parental. Pour les enfants plus jeunes, des ressources trouvées sur ce sujet sont
il faut interroger le parent qui accompagne nord américaines.
l’enfant : presque toujours la mère. Une seule
fois, un couple nous a informés spontanément Anzieu, D. & Chabert C. (2003). Les méthodes
d’une situation de violence conjugale projectives. Paris: P.U.F.
ancienne. La présence de l’enfant n’est pas Balier, C. (2003). Psychanalyse des
souhaitable lors de ce recueil d’informations comportements violents. Paris: Presse
surtout en cas d’exposition récente. Universitaires de France.
Berger, M. (2005). Les enfants qu’on sacrifie
Demander comment se résolvent les au nom de la protection de l’enfance.
tensions, les conflits, comment se déroulent Paris: Dunod.
les querelles dans le couple permet le Fortin, A. (2005). Le point de vue de l’enfant
dévoilement de cette problématique bien plus sur la violence conjugale. In collection
facilement que les questions directes. Puis l’on étude et analyse (N° 32, ISBN 2-
peut resserrer le focus, y a-t-il des cris, cela 921768-53-4, p. 22). Montreal : Centre
va-t-il jusqu’aux insultes, vous sentez vous de recherche interdisciplinaire sur la
dénigré, parfois avez-vous eu peur, vous violence familiale et la violence faite
sentez vous menacé, avez-vous été bousculé, aux femmes.
avez-vous reçu une claque. L’intervenant, par
Fortin, A., Trabelsi, M., & Dupuis, F.
des questions trop intrusives risque de
(2002). Les enfants témoins de
reproduire à son insu la violence, l’emprise et
violence conjugale :analyse des
les relations asymétriques de pouvoir qu’il
facteurs de protection. Montréal, QC :
tente de mettre en lumière. Il faut respecter le
Centre de liaison sur l’intervention et la
processus d’empowerment des femmes
prévention sociale (CLIPP).
victimes et respecter le rythme de chacune .
Ne pas respecter le tempo des mères amène à Hirigoyen, M.F. (2005). Femmes sous emprise.
des ruptures dont nous avons fait l’expérience. Paris: Oh! Édition.
Il est important de comprendre que le Kilpatrick, K.L. & Williams, L.M. (1998).
processus de dévoilement participe à la mise Potential Mediators of Post-Traumatic
en lumière du déni de la victime, et du pacte Stress Disorder in Child Witnesses to
dénégatif qui maintient le système familial Domestic Violence. Child Abuse and
(secret autour de la violence), là où la Neglect, 22(4), 319-330.
dynamique de la cohésion prime et se paye du Kuenzli-Monard, F. (2001). Déconstruction des
prix de la cohérence du système qui fait fi de la idées reçues Thérapie familiale.
souffrance des victimes et des enfants en Médecine et hygiène, 22(4), 400, 401,
particulier. 402, 403, 405.
Lessard, G. & Paradis, F. (2003). La
Conclusion problématique des enfants exposés à
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de la santé publique du Québec.
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JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2007; 5(3) :158


DE L’ENFANT TEMOIN A L’ENFANT EXPOSE

Journal International De Victimologie


International Journal Of Victimology
Tome(10,(numéro(1((JIDV(28(–(Juin(2012)!

De l’enfant témoin à l’enfant exposé


Neurones miroirs et élaboration de la pratique :
L’enfant exposé aux violences conjugales

VOINDROT, F.1, MEAUX, C.2, BERTHELOT, M.1, MOSER, J.3 [France]

Auteur
1 2 3
Infirmier(e) de secteur psychiatrique - Psychologue clinicienne - Pédopsychiatre praticien
hospitalier
CMP de Thonon les Bains. Centre hospitalier
G Pianta BP 526 3 av de la Dame Thonon les Bains 74200 France

Résumé
Les neurosciences apportent des connaissances qui permettent une meilleure compréhension des
phénomènes en jeu chez l’enfant témoin de violence conjugale. La découverte, déjà ancienne, des
neurones miroirs montrent en quoi le terme enfant exposé aux violences conjugale est des plus
approprié pour qualifier ce type de situation. De plus, ces observations faites par l’équipe de
neurobiologiste de l’université de Parme alimentent et restent congruentes avec les observations et la
clinique développée par notre équipe de pédopsychiatrie sur ce sujet.
Mots clés
pédopsychiatrie, violence conjugale, exposés à la violence conjugale, neurone miroir.

« Les querelles des parents entre parents, les traces de coups en moins. Ce
eux,……. entraînent comme suite à de terme exposé évoque bien l’effet de cette
lourdes prédispositions à des troubles du situation sur les enfants et ce mécanisme a
développement sexuel ou à des névroses été retenu par les cliniciens pour la
chez leurs enfants » qualifier ; ces enfants sont des victimes.
(Sigmund Freud, 1905.) Daniel Stern (2006) lors d’une conférence
tenue sur cette question à Genève disait :
La littérature dans le domaine des « L’enfant est bien plus que témoin, il le
enfants qui assistent aux violences du sent, il l’éprouve, cela s’imprime dans son
couple parental a depuis un certain temps système nerveux » en se référant aux
abandonné le terme « d’enfant témoin de travaux de l’équipe de neurobiologiste de
violence conjugale » pour celui : « d’enfant Parme Gallese, Rizzolatti et collaborateurs.
exposé à la violence conjugale ». M Berger La découverte de neurones miroirs
(2007) qui s’intéresse à cette question, de l’aire prémotrice ventrale F5 chez le
pense que ces enfants présentent les mêmes singe macaque par Rizzolatti (1996) et
problèmes que les enfants battus par leurs Gallese (1996) a permis d’émettre

JOURNAL(INTERNATIONAL(DE(VICTIMOLOGIE(!2012;!10(1)!:! 65
VOINDROT, F. ET AL.

l’hypothèse qualifiant ce système de F Ferrari et ces collaborateurs ont


collecteur partagé d’intersubjectivité. Ces montré qu’une partie des neurones moteurs
recherches indiquent comment les mêmes de l’aire F5 déchargeaient quand le singe
structures neurales concernées par le effectuait ou observait une action de la
traitement et le contrôle de l’action bouche Ferrari (2003).
s’activent lors de l’observation de ces Mais certains de ces neurones
mêmes actions chez l’autre. Certaines miroirs ne sont pas engagés dans l’activité
données expérimentales ont montré que les d’ingestion, de mastication où de succion,
aires neuronales qui contribuent au ressenti mais seulement lors la réalisation ou de
émotionnel s’activent aussi quand les l’observation d’actions de communication
mêmes sensations, émotions sont perçues de la bouche participant à des mimiques
chez d’autres. Ces auteurs parlent de faciales. La spécificité de ces neurones
mécanismes qui permettent de s’identifier à miroirs est qu’ils ne répondent qu’à une
l’autre (Gallese 2003(2)). Ce membre du stimulation visuelle de type « action
département des neurosciences de communicative » (Ferrari 2003), à une
l’université de Parme considère que ces action intransitive.
mécanismes, qui contribuent à ressentir ce Buccino et al (2004) ont montré
que l’autre éprouve, sont le support que chez l’homme certaines zones
neurobiologique des phénomènes tels que corticales motrices s’activent quand
l’empathie (V Gallese 1998). D Stern en l’observateur voit la vidéo d’un orateur
tant que spécialiste du bébé émet silencieux (aire de Broca). Mais seul le
l’hypothèse qu’à travers de tels mécanismes cortex visuel décharge si la vidéo montre un
pour l’enfant qui est témoin de violence chien en train de japper.
conjugale, c’est la sensation actuelle et
principalement inconsciente d’avoir agi Corps, actions, émotions et intentions.
comme l’autre (D Stern 2006). À partir de Adolphs et Al (2000, 2002, 2003)
cette hypothèse, explorons ce que nous ont constaté que l’intégrité du système
indiquent les travaux de neurobiologie. sensori-moteur est déterminante dans la
reconnaissance des émotions. Wicker et al
Les neurones miroirs (2003) lors d’une étude par IRMf mettent
Un système de neurones miroirs en évidence que l’émotion (dégoût) en
est décrit chez l’homme, il est composé par première personne et en troisième personne
le sillon temporal supérieur, le lobule activent les mêmes structures cérébrales
pariétal supérieur et de l’aire de Broca (Insula antérieur G). Des résultats
(Rizzolatti 2006). identiques ont été produits pour la douleur
vécue et la vue de la douleur ressentie par
Actions transitives et intransitives. un être aimé de l’observateur
Les divers travaux menés par (Rizzolatti.G.2006) chez qui les mêmes
l’équipe de Parme sur les neurones miroirs structures corticales et limbiques s’activent.
ont montré que ces neurones répondent aux Carr et al (2003) constatent un lien étroit
actions transitives (Gallese et al. (1996).; entre simulation et perception des
Rizzolatti et al (1996).; Gallese et al (2000, expressions faciales. (Imitation et
2001, 2003(2)). Ces neurones déchargent perception) qui activent les mêmes
aussi quand la fin de la séquence de l’action structures cérébrales (cortex prémoteur
est cachée (Umiltà 2001). Une classe ventral, insula et amygdale). Pour Gallese
particulière de neurones ‘neurones audio- (2004) le système sensori-moteur est
visuo-moteurs’ répondent à un signal impliqué dans ce que le sujet ressent lors
sonore et déclenchent le codage de la d’une émotion donnée par la simulation des
représentation de l’action par les neurones marqueurs somatique liés à cette émotion.
miroirs de l’aire F5 Kohler (2002). Pour ce chercheur l’émotion de l’autre est

JOURNAL(INTERNATIONAL(DE(VICTIMOLOGIE(!2012;!10(1)!:!! 66
DE L’ENFANT TEMOIN A L’ENFANT EXPOSE

comprise au moyen de la simulation De la théorie à la pratique


produisant un état somatique partagé qui
permet une compréhension directe entre Des coups par procuration.
deux sujets ; Goldman et Sripada (2004) Alors que se passe-t-il quand
parlent de « résonance directe » entre l’enfant voit de la violence entre ses
sujets. parents.
Enfin l’étude Keyser et Al (2004) a mis en Pour D Stern de façon automatique
évidence que le fait d’être touché active le inconsciente, le système des neurones
même réseau neuronal que le fait de voir un miroirs décharge quand l’enfant observe
autre être touché. l’action de ses parents. Il participe par cette
Dans certains cas selon Rizzolatti simulation corticale à l’action qu’il voit, ou
(2006) hypothèse de la participation des qu’il entend. Ce lien empathique à son père
neurones miroirs à la compréhension de par ces mécanismes de simulation
l’intention de l’autre serait confirmée par automatique lui permettent d’éprouver, de
des travaux utilisant l’IRMf. Ainsi il a été ressentir, l’action, l’émotion, l’intention de
montré chez des singes dressés à faire une l’auteur. À quelle personne se conjugue
action telle que saisir un fruit pour le alors l’émotion, l’action, le ressenti chez
manger ou pour le placer dans un récipient l’enfant ?
que certains groupes de neurones miroirs, Il sent quand le coup va partir puis,
chez l’observateur, ne s’activent que si ses neurones miroirs par leurs décharges
l’acte de saisie est suivi d’un acte de simulent l’action du bras qui porte le coup,
placement de l’objet alors qu’un autre une action transitive en direction « d’un
groupe de neurones ne répondait que si objet » sa mère parfaitement reproduite
l’action était suivie d’un acte de dans son cortex prémoteur, comme quand il
consommation. Cette spécificité fait lui-même ce geste : Qui a porté le
permettrait à l’observateur non seulement coup ? L’enfant voit les expressions du
de reconnaître l’action, mais le prochain visage de son père, la haine, la rage, la
acte moteur de l’action à venir et par ce colère, codées par le rictus de la bouche qui
biais de comprendre l’intention de l’observé induit leurs simulations comme actions
en action. De plus selon V Gallese (2006) communicatives dans son propre système
de nombreux travaux expérimentaux sensorimoteur.
étayent l’hypothèse d’une capacité à L’instant suivant et de façon
prévoir, à anticiper l’action et son résultat. presque simultanée, ce mécanisme lui
Pour V Gallese (2006) ce permet de ressentir la peur, l’angoisse, le
mécanisme de simulation est un mécanisme dépit de sa mère, exprimés par l’action
fonctionnel central automatique, motrice des muscles du visage qui code
inconscient et préréflexif. Cette aptitude l’émotion, en résonance directe avec les
fonctionnelle n’engage en rien les processus émotions qu’elle éprouve. Il en va de
cognitifs volontaires. Ce mécanisme qui même pour son système moteur pour le
joue un rôle important dans notre mouvement qu’elle esquisse quand le coup
représentation du monde permet la frappe cette victime. Qui a reçu ce coup ?
représentation du résultat d’une action, Si être touché et le fait de voir un autre être
d’une sensation ou d’une émotion. Il touché active le même réseau de neurones.
autorise l’attribution de ce résultat à un Qui a eu peur et a tenté l’esquive ? Qui a
autre sujet en tant que mue par une éprouvé la douleur si la douleur vécue et la
sensation, une émotion, un désir ou motivé vue de la douleur ressentie par un être aimé
par un but. de l’observateur activent par résonnance les
mêmes structures cérébrales.
Pour les plus jeunes c’est sans
doute de l’ordre de l’indifférenciation dans

JOURNAL(INTERNATIONAL(DE(VICTIMOLOGIE(!2012;!10(1)!:! 67
VOINDROT, F. ET AL.

un espace psychique et corporel partagé à ce qui vient d’être blessé. Il est en phase
jusqu’au stade du miroir que ce déroule (Gallese V.2007) avec les émotions et les
cette scène de violence conjugale. Il sentiments qui vont autoriser son père à
s’identifie alternativement à l’auteur et à la user de violence. À chaque nouvelle
victime au rythme de ce combat entre ses intervention vocale ou motrice les neurones
figures d’attachement. Les émotions sont miroirs sont activés et mettent virtuellement
alors comprises par l’enfant au moyen de la l’enfant dans la position de l’un où de
simulation produisant un état somatique l’autre de ses parents. Dans la position
partagé entre lui et les protagonistes de ce d’anticiper l’intention de celui qui va faire
combat, l’auteur et la victime. Pour le coup de poing. Il est en contact avec les
l’enfant peut s’installer une certaine intentions qui motivent l’auteur et la
confusion entre ce qu’il vit en première victime. Quand la violence se répète, il
personne ou en troisième personne entre ce anticipe la scène de violence et peut
qui se passe pour son père, ce qui se passe produire des comportements pour y mettre
pour sa mère et ce qui se passe pour lui. Il fin avant que toute violence physique
a peur pour lui en voyant cette violence et a advienne :
peur comme sa mère en ce qu’il est Pierre est orienté vers notre unité
impliqué dans cette scène de violence par pour des violences répétitives contre des
ses neurones miroirs. objets à son domicile, vitres, bibliothèque,
Lors de cette scène de violence, table basse, objets décoratifs et divers
l’enfant partage avec ses parents bibelots ont été victimes de ses colères.
cospécifiquement une multiplicité d’états Après quelque temps de prise en charge il
(Stern 2006). Il éprouve de façon devient évidement que ce jeune adolescent
inconsciente et automatique par ce même a trouvé là une arme imparable pour
système les sentiments de toute puissance désamorcer les scènes de violence entre ses
de son père et le plaisir que l’emprise sur parents, bien avant que le premier coup ne
l’autre et sa domination fait ressentir. Il va soit porté.
sentir chez lui une expérience virtuelle Un an plus tôt, Pierre a vu sa mère
inconsciente d’avoir fait les mêmes gestes, être évacuée sur une civière du SAMU suite
d’avoir eu les mêmes sentiments et les aux violences exercées par son père à
mêmes intentions (D Stern 2006). l’encontre de celle-ci.
L’expérience de l’enfant, dans de telles Mais quand Pierre brise des
circonstances, est centrée sur l’autre, sur objets, sa réaction à cette situation n’a rien
son père et sa mère, par la nature même du de totalement volontaire ni de totalement
SNM qui le met virtuellement dans la conscient. Il comprend implicitement
position de l’autre. l’intention belliqueuse de ses parents et y
réagit en usant de violences contre les
De la pratique. objets.
C’est dès le début de la scène Il s’agit en dernière analyse d’un
avant que la violence advienne que l’enfant comportement d’évitement appartenant à
comprend aussi en appui sur cette base un symptôme de stress post-traumatique qui
neurale les intentions de son père et de sa lui permet de mettre fin à un vécu de
mère. Il sait en quelque sorte qu’elle est terreur naissant. Ce comportement
l’émotion qui chez son père induit la participe également, par effet de bord, à
réponse violente et là, il apprend comment l’absence de violence physique entre ses
faire face à ce type de situation parents, ce qui empêche ces derniers de
émotionnelle. Il comprend l’escalade entre comprendre le comportement de leur fils
son père et sa mère en termes émotionnels : comme un processus dysfonctionnel de
quand la domination de l’autre par la régulation de leur relation conjugale.
violence devient la seule façon de faire face

JOURNAL(INTERNATIONAL(DE(VICTIMOLOGIE(!2012;!10(1)!:!! 68
DE L’ENFANT TEMOIN A L’ENFANT EXPOSE

Dans notre pratique, cet éclairage simple témoignage, mais quelque chose que
apporté par la neurobiologie nous a permis l’on vit, que l’on intègre dans son
de mieux comprendre les diverses faces que développement Il y a une intériorisation des
ces enfants présentent dans leurs relations. patterns d’action, des sentiments et des
Ils ont parfois des traits marqués de toute affects du fait qu’ils deviennent une partie
puissance, mais il ne s’agit que rarement non verbale du système nerveux» (D. Stern,
d’un enfant tout puissant. Ils peuvent ainsi 2006).
apparaître comme des auteurs de violence,
mais à un autre moment ils peuvent en être Références.
les victimes sans ressource. Enfin, ils Adolphs (2000).
peuvent, soit être indifférents aux R., Damasio, H., Tranel, D., Cooper, G.,
maltraitances, soit en être le justicier and Damasio, A.R. (2000) A role for
impulsif. Dans certains types de situation, somatosensory cortices in the visual
l’enfant ne semble avoir que peu de liberté recognition of emotion as revealed by
(M. Berger, 2007(1)) par rapport à ces three-dimensional lesion mapping. J.
figures qui s’imposent à lui. La réponse de Neurosci, 20, 2683-2690.
l’enfant dans de telles circonstances ne Adolphs R. (2002).
semble pas conditionnée par l’évènement Neural systems for recognizing emotion;
présent, mais par des scènes du passé Curr Opin Neurobiol.,12 (2): 169-
implicitement mémorisées lors de ces 177.
situations de stress. Adolphs R. (2003).
Julien 13 ans, exposé à des Cognitive neuroscience of human social
violences conjugales extrêmes dès le début behaviour. Nat Rev Neurosci,
de sa vie et jusqu’à l’âge de huit ans est 4(3):165-178.
adressé à notre consultation suite aux Berger M. (2007(1))
importantes violences produites à Conférence Vires : Exposition de l’enfant à
l’encontre de camarades de classe. Il la violence conjugale ; Genève 2007.
s’amende rapidement de ses comportements Berger M (2007(2))
violents à l’école. Quelque temps plus tard, Bonneville. E., André.P., Rigaud.C.
sa thérapeute apercevant des bleus sur ses « L’enfant très violent, devenir et
poignets lui demande comment il s’est fait prise en charge » .Neuropsychiatrie
cela. Julien lui explique que depuis de l’enfance et de l’adolescence, 55,
plusieurs semaines il est frappé à l’école et 353-361.
il est menacé de mort. D’auteur de violence Buccino G. (2001).
il en est devenu une victime passive qui ne G., Binkofski, F., Fink, G.R., Fadiga, L.,
sollicite d’aide ni de ses parents ni des Fogassi, L., Gallese, V., Seitz, R.J.,
intervenants scolaires ou de sa thérapeute. Zilles, K., Rizzolatti, G., & Freund,
H.-J. (2001). Action observation
Conclusion. activates premotor and parietal areas
Pour M. Berger (2007(2)), le jeune in a somatotopic manner: an fMRI
enfant exposé aux violences conjugales study. European Journal of
incorporerait l’image de l’agresseur par un Neuroscience, 13, 400-404.
processus au-delà de l’identification Buccino (2004).
introjective, M Berger parle d’un G., Lui, F., Canessa, N., Patteri, I.,
mécanisme « introjection incorporative Lagravinese, G., Benuzzi, F., Porro,
pathologique ». Ce processus introjectif va C.A., and Rizzolatti, G. (2004)
produire des reviviscences perceptives qui Neural circuits involved in the
induiront des comportements violents. recognition of actions performed by
Partager la situation d’être témoin d’une nonconspecifics: An fMRI study. J
violence dans la famille n’est donc pas un Cogn. Neurosci. 16: 114-126

JOURNAL(INTERNATIONAL(DE(VICTIMOLOGIE(!2012;!10(1)!:! 69
VOINDROT, F. ET AL.

Ferrari G. (2003). Gallese (2007).


Gallese V., Rizzolatti G., and Fogassi L. la mise en phase intentionnelle. Le
(2003) Mirror neurons responding to système miroir et son rôle dans les
the observation of ingestive and relations interpersonnelles ; European
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psychiatriques N°46.

JOURNAL(INTERNATIONAL(DE(VICTIMOLOGIE(!2012;!10(1)!:!! 70
Journal International De Victimologie
International Journal Of Victimology
Tome 5, numéro 1 (Octobre 2006)

Intervention dans les situations de concomitance de


violence conjugale et de maltraitance envers les
enfants : points de vue des intervenants de la
protection de la jeunesse
LAVERGNE, C. (1), TURCOTTE, D. (2), DAMANT, D. (3) [CANADA]

Auteur(s)
(1) Ph.D., Institut de recherche pour le développement social des jeunes.
Professeur associée, Ecole de service social, Université de Montréal
(2) Professeur, Ecole de service social, Université Laval
(3) Ecole de service social, Université Laval

Résumé
Plusieurs études montrent que les mauvais traitements envers les enfants et la violence conjugale
coexistent fréquemment au sein des familles. Pourtant, ces deux problématiques continuent d’être
abordée dans des contextes organisationnels et institutionnels différents. Parmi tous les acteurs
susceptibles d’être interpellés par la concomitance de ces problématiques, les services de protection de
l’enfance constituent un acteur de première importance. De fait, les intervenants œuvrant en protection de
la jeunesse sont susceptibles d’être appelés à intervenir auprès des enfants maltraités qui vivent en
contexte de violence conjugale et leur intervention peut s’avérer déterminante pour le bien-être et la
sécurité des enfants et des mères. Cet article présente les résultats d’une étude qualitative auprès
d’intervenants et intervenantes de la protection de la jeunesse sur la manière dont ils abordent les liens de
concomitance dans leur évaluation et leurs stratégies d’intervention. Il ressort de l’étude que la
reconnaissance du fait que les mauvais traitements envers les enfants et la violence conjugale sont
souvent enchevêtrés dans les situations familiales des enfants signalés aux services de protection est
présente dans le discours des intervenants sur leurs pratiques d’intervention. L’étude permet de montrer
que la prise en compte de ces liens soulève toutefois des défis importants pour l’aide aux familles en
contexte de protection. Ceux-ci portent sur l’établissement d'un lien de confiance lorsque l'aide n'est pas
sollicitée, la conciliation entre les droits des enfants et les intérêts des mères victimes, la
responsabilisation et l’implication des pères/conjoints ainsi que la réponse aux besoins des différents
membres de la famille dans un contexte où les contraintes organisationnelles sont importantes. Les
résultats militent en faveur d’un soutien aux intervenants mieux adapté à la problématique de la
concomitance et d’une plus grande concertation avec les organismes spécialisés en violence conjugale.
Mots-clés
Violence conjugale, mauvais traitements envers les enfants, intervention en contexte de protection.

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2006; 5(1) : 48


Journal International De Victimologie
International Journal Of Victimology
Octobre 2006, Tome 5, No. 1

L'exposition à la violence conjugale psychologique et


verbale et son effet sur le comportement des
adolescents
BOURRASSA, C. [CANADA]

Auteur
Université de Moncton

Résumé
Le but de la présente étude était de déterminer si l’exposition à la violence conjugale
psychologique et verbale continue de prédire les troubles de comportement chez les adolescents
lorsque l’effet de la violence parentale ainsi que l’effet de la violence conjugale physique sont
contrôlés. Les résultats ont révélé que, pour les garçons, la violence parentale est un prédicteur
plus important des troubles de comportement que l’exposition à la violence conjugale, qu’elle soit
physique ou psychologique. Pour les filles, la violence parentale et l’exposition à la violence
conjugale psychologique sont des variables importantes pour prédire les troubles de
comportement. Par ailleurs, chez l’ensemble des adolescents, l’exposition à la violence conjugale
physique n’était pas un prédicteur significatif des troubles de comportement lorsque l’effet de la
violence parentale et l’effet de la violence conjugale psychologique étaient contrôlés.
Mots-clés
Adolescents; comportement; effet de l’exposition à la violence conjugale psychologique

Bien qu’une littérature scientifique constitution de l’échantillon (par


de plus en plus volumineuse traite des exemple, échantillon clinique sans
conséquences dévastatrices de groupe de comparaison), à la source
l’exposition à la violence conjugale, d’information (par exemple, tendance à
nos connaissances sur le sujet obtenir l’information de la mère
demeurent limitées (Edleson, 1999; seulement), au groupe d’âge considéré
Fantuzzo & Lindquist, 1989; Fantuzzo (par exemple, les adolescents sont
& Mohr, 1999; Margolin & Gordis, rarement considérés), et aux types de
2000; Onyskiw, 2003; Wolak & violences considérées (par exemple,
Finkelhor, 1998; Wolfe, Crooks, ne pas considérer la violence parentale
McIntyre-Smith & Jaffe, 2003). Les vécue par les enfants ou seulement
recherches présentent généralement étudier les conséquences de
plusieurs problèmes méthodologiques l’exposition à la violence
dont les principaux ont trait à la psychologique) (Bourassa, sous

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2006; 5(1) : 1


L'EXPOSITION A LA VIOLENCE CONJUGALE PSYCHOLOGIQUE ET VERBALE ET SON EFFET SUR LE
COMPORTEMENT DES ADOLESCENTS

presse; Onyskiw, 2003; Wolfe et al., (1996) ont élaboré deux hypothèses.
2003). La première avance que, dans un
climat familial marqué par la violence
La plupart des études se sont
conjugale physique, l’enfant peut se
attardées à la violence physique de
désensibiliser aux autres formes de
telle sorte que l’on en connaît peu sur
violence. Ainsi, l’exposition à la
les effets de l’exposition à la violence
violence physique va produire des
conjugale psychologique et verbale sur
effets plus dévastateurs que les formes
le comportement des enfants et surtout
moins intenses de violence (par
des adolescents (Onyskiw, 2003).
exemple, violence verbale et
Quelques recherches effectuées
psychologique). Une hypothèse
auprès des enfants ont exploré les
opposée est que l’exposition à la
effets différenciés de l’exposition à la
violence physique provoque une
violence conjugale selon les formes de
hypervigilance chez les enfants de telle
violences auxquelles les enfants sont
sorte qu’ils deviennent sensibles aux
exposés. Jouriles, Norwood,
diverses manifestations de conflits
McDonald, Vicent et Mahoney (1996)
entre les parents. Ils sont ainsi affectés
ont trouvé que, après avoir contrôlé
négativement par toutes les formes de
pour la fréquence de la violence
violence.
physique, l’âge, le genre et l’ethnie, la
violence verbale et psychologique En plus de la fréquence et
prédisait de façon significative les l’intensité de la violence conjugale, la
troubles de comportement chez les présence de la violence parentale doit
enfants. Par contre, la violence aussi être considérée puisqu’elle se
conjugale physique ne constituait pas produit souvent dans les familles aux
un prédicteur significatif des troubles prises avec la violence conjugale.
de comportement lorsque l’effet de la Appel et Holden (1998) ont recensé 20
violence psychologique et verbale et études menées auprès de populations
l’effet des autres variables étaient cliniques (surtout de femmes
contrôlés. De même, dans la violentées) et ils ont trouvé que le taux
recherche de Fantuzzo, DePaola, de concomitance médian se situe à 40
Lambert, Martion, Anderson et Sutton p. 100 Edleson (1999) a examiné 25
(1991), la violence psychologique et recherches sur le sujet et il a observé
verbale demeurait un prédicteur un taux de concomitance variant de
significatif des troubles de 30p. 100 à 60 p. 100. Des recherches
comportement chez les enfants indiquent que le fait d’être à la fois
lorsque l’effet de la violence conjugale exposé à la violence conjugale tout en
physique était contrôlé. étant victime de violence parentale
compromet plus sévèrement le
Selon la théorie de
développement psychosocial de
l’apprentissage social, l’exposition à
l’enfant et de l’adolescent que le fait
des modèles parentaux violents
d’être uniquement exposé (Carlson,
contribue à la présence de problèmes
1991; Fortin, Cyr & Lachance, 2000;
de comportement chez les enfants, ce
Hughes, 1988; Hughes, Parkinson &
sont la fréquence et l’intensité de la
Vargo, 1989; O’Keefe, 1996; Margolin,
violence qui contribuent davantage aux
Gordis, Medina & Oliver, 2003).
troubles de comportement chez les
enfants (Bandura, 1973; Cummings & Le but du présent article est de
Davies, 1994; Grych & Fincham, présenter les résultats d’une recherche
1990). En s’inspirant de la théorie de portant sur les conséquences de
l’apprentissage social, Jouriles et al. l’exposition à la violence conjugale

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2006; 5(1) : 2


BOURASSA, C.

psychologique et verbale sur le Ainsi, une recherche permettant de


comportement des adolescents . Plus mieux connaître les effets spécifiques
spécifiquement, l’étude cherche à de l’exposition à la violence
savoir si l’exposition à la violence psychologique et verbale peut
conjugale psychologique et verbale contribuer à de meilleures prises de
continue à produire des effets négatifs décisions lorsqu’il est question du bien-
sur le comportement des adolescents être des enfants et des jeunes
lorsque l’effet de la violence conjugale (Jouriles et al., 1996).
physique ainsi que l’effet de la violence
parentale sont contrôlées. À notre
connaissance, aucune recherche Méthodologie
similaire effectuée auprès des
Puisque la méthodologie de cette
adolescents n’a contrôlé pour l’effet de
recherche a été décrite dans un autre
la violence parentale en plus de l’effet
article (Bourassa, sous presse), nous
de la violence conjugale physique afin
reprenons ici que quelques éléments
de vérifier l’effet unique de la violence
essentiels afin de mieux situer le
psychologique sur le comportement.
lecteur. Nous présentons tout d’abord
Par exemple, les deux études
l’échantillon de recherche pour ensuite
similaires à la nôtre (Fantuzzo et al.,
définir les concepts et les instruments
1991; Jouriles et al., 1996) ont été
de mesure utilisés pour mesurer ces
menées sur des enfants tirés d’une
concepts.
population clinique et la violence
parentale n’avait pas été considérée.
Enfin, notre recherche contribue à
Échantillon
l’avancement des connaissances car
contrairement aux autres recherches L’échantillon était composé de
qui ont surtout utilisé la mère comme 490 adolescents âgés de 16 à 18 ans
source d’information, les adolescents (moyenne d’âge : 16,7 ans) qui ont été
eux-mêmes sont questionnés sur la recrutés à partir d’une population de
violence qu’ils vivent et leurs troubles jeunes fréquentant une école
de comportement. secondaire au Nouveau-Brunswick
(Canada).
Cette recherche peut avoir des
retombées pour la pratique en
permettant une meilleure
Concept de « troubles de
compréhension des effets de
comportement »
l’exposition à la violence conjugale
psychologique et verbale sur les Selon la théorie du stress et du
enfants et les adolescents. Les coping, la personne et son
violences dont les conséquences sont environnement entretiennent une
plus perceptibles à l’œil vont souvent relation dynamique. Ces interactions
attirer davantage l’attention que celles personne–environnement se
plus cachées qui engendre des transposent dans des processus de
conséquences moins visibles (par coping multidimensionnels et ces
exemple, violence verbale et processus se développent en modèles
psychologique). Pourtant, les victimes de comportement stables. Après un
de violence conjugale rapportent certain temps, ces modèles se
souvent que la violence psychologique transforment en comportement adapté
et verbale produit des effets plus ou en comportement inadapté
dévastateurs et profonds que la (Cummings, 1998; Lazarus & Folkman,
violence physique (Onyskiw, 2003). 1984).

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2006; 5(1) : 3


L'EXPOSITION A LA VIOLENCE CONJUGALE PSYCHOLOGIQUE ET VERBALE ET SON EFFET SUR LE
COMPORTEMENT DES ADOLESCENTS

Un comportement inadapté fait cet article, il sera question des troubles


référence à la présence de troubles de intériorisés et des troubles extériorisés.
comportement, c’est-à-dire des
troubles intériorisés et des troubles
extériorisés. Ces derniers concepts Le concept de « exposition à la
possèdent différentes terminologies violence conjugale »
dans la littérature (Achenbach, 1991) :
Tel que mentionné
comportement surcontrôlé («
précédemment, la présente recherche
overcontrol ») versus comportement
questionne les adolescents sur les
sous-contrôlé (« undercontrol »);
actes de violence psychologique et
problèmes de personnalité versus
verbale et de violence physique qu’ils
problèmes de conduite; inhibition
ont vus ou entendus entre leurs
versus agression (Achenbach, 1991).
parents. Le CTS2-CA permet
Pour la présente étude, les concepts
d’évaluer la perception de l’adolescent
de troubles intériorisés et de troubles
concernant les conflits parentaux qu’il
extériorisés sont utilisés car ils
a vus ou entendus et il comporte deux
semblent être les plus favorisés dans
échelles (Straus, 2000). L’échelle de
la littérature portant sur les
violence psychologique et verbale
adolescents (Leadbeater, Kupeminc,
évalue la présence des
Hertzok & Blatt, 1999; St-Jacques,
comportements suivants : insulter ou
McKinnon & Potvin, 1999). Les
sacrer, traiter de gros ou de laid,
troubles extériorisés regroupent les
détruire quelque chose qui appartenait
problèmes suivants : hyperactivité,
au partenaire, hurler ou crier, sortir de
troubles d’attention, impulsivité, abus
la pièce bruyamment, accuser d’être
de substance, comportement
nul comme amant, faire quelque chose
antisocial, délinquance, fugues (et
pour contrarier, et menacer de frapper
sans-abris), école buissonnière (et
ou de lancer un objet (Straus, 2000).
décrochage) et comportements
Ainsi, dans notre recherche,
sexuels inappropriés. Pour ce qui est
l’expression « exposition à la violence
des troubles intériorisés, ils englobent
conjugale verbale et psychologique »
le retrait social, la dépression,
se définit comme étant le fait de voir ou
l’anxiété, le suicide et les tentatives de
d’entendre de tels comportements.
suicide, les troubles alimentaires et les
L’échelle de violence physique évalue
plaintes somatiques.
la présence des actes suivants : lancer
Le Rapport personnel des jeunes un objet, tordre le bras, pousser ou
(Achenbach, 1991) évalue la présence bousculer, donner un coup de poing ou
des troubles de comportement à l’aide frapper avec un objet, menacer avec
de deux échelles : l’échelle des un couteau ou une arme, tenter
troubles intériorisés et l’échelle des d’étrangler, projeter brutalement contre
troubles extériorisés. L’échelle des le mur, battre, agripper brusquement,
troubles intériorisés englobe les sous- gifler, brûler ou ébouillanter, et donner
échelles suivantes : retrait social, un coup de pied. L’expression
plaintes somatiques et « exposition à la violence physique »
anxiété/dépression. Quant à l’échelle utilisée dans cet article fait référence
des troubles extériorisés, elle cherche au fait d’entendre ou de voir les
à évaluer la présence d’un comportements de violence
comportement délinquant et agressif. susmentionnés. Ainsi, dans le cadre de
Ainsi, lorsque nous ferons référence la présente étude, nous nous attardons
aux troubles de comportement dans seulement aux actes de violence qui
sont entendus ou vus par les

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2006; 5(1) : 4


BOURASSA, C.

adolescents. Ceci s’explique conjugale, 101 jeunes (20,6%) ont été


principalement par le fait qu’aucun à la fois exposés à la violence
instrument de mesure standardisé et psychologique et verbale et à la
validé n’existe à ce moment pour violence physique et 152 (31 %) ont
recueillir l’ensemble des expériences été uniquement exposés à la violence
vécues par les enfants et adolescents psychologique et verbale. De plus, 32
exposés à la violence conjugale. En jeunes (6,5 %) ont été victimes de
fait, construire un tel instrument serait violence parentale mais n’ont pas été
très problématique en raison des exposés à la violence conjugale (18
vastes expériences vécues par ces filles et 14 garçons), 131 (26,7%) ont
enfants et ces adolescents (Émond, été exposés à la violence conjugale
2000). mais n’ont pas été victimes de violence
parentale (79 filles et 52 garçons) et
Pour ce qui est de la violence
122 (24,9 %) ont été à la fois exposés
parentale, nous évaluons seulement la
à la violence conjugale et victimes de
violence parentale physique. Le
violence parentale (74 filles et 48
CTSPC-CA évalue la perception du
garçons).
jeune concernant la violence qu'il a
subie de la part de ses parents. Bien Une vérification des corrélations
que cet instrument comporte deux de Pearsons a été effectuée pour
échelles, à savoir la violence physique l’ensemble des variables de l’étude et
et la violence psychologique, nous ce, séparément pour les filles et les
utilisons seulement l'échelle de la garçons (voir tableaux 1 et 2). Les
violence physique. Cette échelle résultats indiquent des corrélations
considère les actes suivants : secouer significatives entre toutes les variables,
ou brasser, frapper sur les fesses avec à l’exception de la corrélation entre
un objet, donner un coup de poing ou l’exposition à la violence
un coup de pied, taper sur les fesses à psychologique et verbale et les
mains nues, saisir par le cou et serrer troubles intériorisés chez les garçons.
la gorge, donner une raclée, brûler ou
Afin de déterminer si l’exposition
ébouillanter intentionnellement, frapper
à la violence psychologique et verbale
ailleurs que sur les fesses avec un
continue à prédire les troubles de
objet, donner une tape sur la main, le
comportement chez les adolescents
bras ou la jambe, pincer, lancer ou
lorsque l’effet de la violence parentale
jeter par terre, donner une claque au
ainsi que l’effet de la violence
visage, sur la tête ou sur les oreilles, et
conjugale physique sont contrôlés, des
menacer avec un couteau ou un fusil.
régressions hiérarchiques ont été
Ainsi, pour cette recherche, la violence
effectuées séparément pour le groupe
parentale se définit comme le fait de
des filles et le groupe des garçons. Les
subir de tels actes de violence.
variables ont été entrées dans
l’équation selon l’ordre suivant : les
variables de contrôle (âge, nombre
Résultats
d’enfants dans la famille et type de
Les résultats ont révélé que 253 famille), la violence parentale, la
jeunes (51,6 % de l’échantillon) ont été violence conjugale physique et la
exposés au moins une fois à la violence conjugale psychologique et
violence psychologique et verbale ou verbale. Les résultats de ces
physique entre leurs parents au cours régressions sont présentés aux
des cinq dernières années. Parmi les tableaux 3 à 6. Il faut noter que ces
adolescents exposés à la violence tableaux présentent les variables

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2006; 5(1) : 5


L'EXPOSITION A LA VIOLENCE CONJUGALE PSYCHOLOGIQUE ET VERBALE ET SON EFFET SUR LE
COMPORTEMENT DES ADOLESCENTS

ajoutées à chaque étape et, lorsque chez les garçons, la violence parentale
les autres variables entrées de façon est un prédicteur des troubles
concomitante se révèlent significatives, intériorisés et extériorisés. Elle
elles sont également illustrées. Les continue d’être un prédicteur significatif
variables de contrôle, entrées à la lorsque les autres variables entrent
première étape de l’équation, ne sont dans l’équation, sauf lorsqu’elle est
pas représentées puisqu’elles ne entrée de façon concomitante à la
prédisaient pas les troubles de violence psychologique pour prédire
comportement de façon significative. les troubles intériorisés. Tout comme
chez les garçons, l’exposition à la
Une première régression multiple
violence physique n’est pas un
hiérarchique a été effectuée pour le
prédicteur significatif des troubles de
groupe des garçons avec les
comportement lorsque les variables de
comportements intériorisés comme
contrôle et la violence parentale sont
variable critère et les autres variables
considérées. Par ailleurs, chez les
comme prédicteurs. Les résultats de
filles, l’exposition à la violence
cette régression sont illustrés au
psychologique continue d’être un
tableau 3. On constate que seulement
prédicteur significatif des troubles de
la violence parentale s’est révélée
comportement intériorisés et
significative pour prédire la présence
extériorisés lorsque l’ensemble des
des troubles intériorisés chez les
autres prédicteurs est entré.
garçons. En effet, lorsque les variables
de contrôle et la violence parentale
sont entrées dans l’équation,
l’exposition à la violence Discussion
psychologique et l’exposition à la Les résultats de cette recherche
violence physique ne prédisent pas de ont démontré que la violence parentale
façon significative les troubles de est un prédicteur important des
comportement intériorisés. troubles de comportement extériorisés
Une deuxième régression et intériorisés chez les filles et les
multiple, toujours pour le groupe des garçons. En fait, chez les garçons,
garçons, mais cette fois avec les seulement la violence parentale s’est
troubles extériorisés comme variable révélée significative pour prédire les
critère, indique des résultats similaires troubles intériorisés et extériorisés. De
(voir tableau 4). On constate que la plus, la violence parentale est
violence parentale prédit la présence demeurée une variable considérable
des troubles extériorisés et elle de prédiction des troubles extériorisés
continue d’être un prédicteur important lorsque les variables liées à
lorsqu’elle est entrée de façon l’exposition à violence conjugale ont
concomitante aux autres variables de été ajoutées à l’équation. Pour les
l’étude. Par contre, l’exposition à la filles, la violence parentale est
violence conjugale, qu’elle soit également demeurée un prédicteur
physique ou psychologique, n’a pas important, sauf lorsque la violence
d’effet significatif sur la présence des parentale est entrée de façon
troubles extériorisés une fois que la concomitante avec à l’exposition à la
violence parentale et les variables de violence psychologique et verbale pour
contrôle sont entrées dans l’équation. prédire les troubles intériorisés. Ce
résultat indique que la violence
Les mêmes équations ont été parentale est un facteur important pour
effectuées pour le groupe des filles prédire les troubles de comportement,
(voir tableaux 5 et 6). Ainsi, comme surtout extériorisés. Ceci rejoint les

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2006; 5(1) : 6


BOURASSA, C.

résultats des autres recherches qui observant et en imitant les


indiquent que la violence parentale comportements des personnes de leur
constitue un facteur de risque du entourage, surtout ceux des membres
développement de troubles de de leur famille (Anderson & Cramer-
comportement au cours de l’enfance et Benjamin, 1999; Cummings, 1987).
de l’adolescence (Malinosky-Rummel Des études indiquent que les enfants
& Hansen, 1993; Manion & Wilson, vont avoir recours aux modèles de
1995; Miller & Perrin, 1999). comportement appris au cours de
l’enfance lorsqu’ils font face à de
Des études effectuées auprès
nouvelles circonstances et situations
des enfants ont révélé que la
(Patterson, Dishion & Bank, 1984). De
fréquence de la violence conjugale
plus, les enfants sont plus susceptibles
physique continue à exercer des effets
d’imiter le comportement du parent du
négatifs même lorsque l’effet de la
même sexe (Bandura, 1969; Margolin
violence parentale est contrôlé
& Patterson, 1975). Ainsi, dans un
(O’Keefe, 1994). La divergence entre
contexte de violence conjugale, les
ces derniers résultats et ceux de notre
enfants vont apprendre à adopter un
étude peut s’expliquer par le fait que
comportement agressif et destructeur.
notre étude avait été effectuée auprès
Par ailleurs, notre étude indique que
d’adolescents tirés de la population
chez les garçons et les filles, c’est
générale. Il se peut que ces derniers,
plutôt le fait d’être directement l’objet
en raison de leur plus grande
de violence qui provoque des troubles
préoccupation face au groupe de pairs,
extériorisés. Pour les filles, l’exposition
soient moins présents que les enfants
à la violence psychologique et verbale
à la maison lorsque la violence éclate
est également importante pour prédire
(Cauce, Mason, Gonales, Hiraga & Liu,
ces troubles.
1994). Cette plus forte exposition à la
violence chez les enfants peut produire La recherche a également permis
des effets plus néfastes sur leur de mettre en lumière les effets
comportement que les adolescents. spécifiques de l’exposition à la
Également, les recherches effectuées violence psychologique et verbale sur
auprès des enfants ont eu lieu dans les troubles de comportement. Pour les
des maisons d’hébergement ou des garçons, cette violence ne produit plus
centres de thérapie familiale. On peut d’effet significatif sur le comportement
supposer que, en raison de cette lorsque l’effet de la violence parentale
utilisation d’une ressource externe, la ainsi que l’effet de l’exposition à la
violence était devenue plus intense. violence physique sont contrôlés. À
Ainsi, les enfants de ces études ont pu l’inverse, chez les filles, l’exposition à
être exposés à de la violence plus la violence psychologique et verbale
sévère et plus fréquente. Enfin, il se continue à exercer un impact
peut également que, dans un contexte significatif sur la présence des troubles
de violence conjugale, la violence de comportement. Ce résultat obtenu
physique envers les adolescents soit auprès des filles correspond aux
plus sévère et fréquente que celle résultats de d’autres études (Fantuzzo
envers les enfants, créant ainsi plus et al., 1991; Jouriles et al., 1996). On
d’effet sur le comportement que peut y voir l’importance de ne pas
l’exposition à la violence. seulement s’attarder à la présence de
la violence physique lors de
Selon les théories du modelage
l’évaluation des troubles de
social, les enfants apprennent des
comportement et de la prise de
modèles de comportement en
décision touchant le bien-être des

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2006; 5(1) : 7


L'EXPOSITION A LA VIOLENCE CONJUGALE PSYCHOLOGIQUE ET VERBALE ET SON EFFET SUR LE
COMPORTEMENT DES ADOLESCENTS

enfants, surtout des adolescentes. point d’éclater (Bourassa & Turcotte,


L’exposition à la violence conjugale 1998) et, par conséquent, elles
psychologique et verbale est seraient plus susceptibles d’en subir
également un élément important à les conséquences.
considérer.
Également, selon les jeunes de
Un milieu familial marqué de notre étude, la violence conjugale
violence psychologique et verbale crée physique se produisait toujours en
un climat malsain, instable et présence de violence conjugale
inquiétant. Les enfants sont anxieux et psychologique et verbale, mais cette
tendus car ils ont peur que la violence dernière forme de violence avait
physique éclate. Ils deviennent ainsi souvent lieu sans les autres formes de
hypervigilants et sensibles à toutes violence. Ainsi, puisque la violence
formes de conflits conjugaux. Cette psychologique et verbale était plus
peur peut provoquer des fréquente, ceci peut expliquer son effet
comportements liés à des symptômes plus marqué sur le comportement des
de traumatismes, à savoir des troubles filles.
intériorisés (anxiété, retrait social) et
Cette étude, bien qu’elle
des troubles extériorisés (agression et
contribue à l’avancement des
délinquance) (Anderson et Cramer-
connaissances, comporte certaines
Benjamin, 1999; Graham-Bermann &
limites : les adolescents de moins de
Levendosky, 1998; Osofsky, 2003).
18 ans n’ont pas été considérés; seul
Notre étude indique qu’à le point de vue des adolescents a été
l’adolescence, les filles sont plus recueilli; le statut socio-économique
sensibles à l’exposition à la violence des jeunes n’a pas été considéré; et le
psychologique et verbale que les contexte de la violence n’a pas été
garçons. Ce résultat peut s’expliquer étudié.
par le fait que dans un contexte de
Par ailleurs, certaines pistes de
violence conjugale, les garçons sont
recherche peuvent permettre de
plus souvent victimes de violence plus
continuer à faire avancer les
sévère aux mains des deux parents
connaissances. Des recherches
(Jouriles & LeCompte, 1991; Jouriles &
qualitatives permettraient de mieux
Norwood, 1995; O’Leary, 1984; Ross,
comprendre le contexte dans lequel se
1996; Straus, Gelles & Steinmetz,
produisent la violence et les
1980). Ainsi, les effets produits par
conséquences qui y sont associées.
cette violence dont ils sont l’objet direct
Aussi, afin d’avoir un portrait plus
seraient plus dévastateurs que la
complet des expériences des enfants
violence qui implique des acteurs
et des jeunes exposés à la violence
extérieurs. Une autre explication
conjugale, les études devraient aussi
possible est que notre recherche a
considérer l’ensemble des formes de
démontré que les filles sont plus
violence (par exemple, violence
souvent exposées à la violence
sexuelle, violence économique,
conjugale que les garçons. Cette plus
violence psychologique, violence
forte exposition peut produire des
verbale, et violence physique). Enfin,
effets plus marqués sur le
les études devraient inclure plus d’une
comportement. En fait, des recherches
source d’information afin d’obtenir le
indiquent que dans un contexte de
point de vue de chaque acteur
violence conjugale, les filles se sentent
impliqué dans le contexte de la
plus responsables d’apaiser les
violence.
tensions lorsque la violence est sur le

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2006; 5(1) : 8


BOURASSA, C.

Tableau 1

Corrélations entre la violence parentale, la violence conjugale physique, la violence


conjugale psychologique et les troubles de comportement chez le groupe des
garçons (n=22/)

Variables 1 2 3 4 5
1. Violence parentale ___ ,82* ,47* ,12* ,41*
2. Violence conjugale physique ___ ,62* ,16* ,31*
3. Violence conjugale ,12 ,40*
psychologique ___
4. Troubles de comportements ,49*
intériorisés
5. Troubles de comportements ___
extériorisés
* p < ,01

Tableau 2

Corrélations entre la violence parentale, la violence conjugale physique, la violence


conjugale psychologique et les troubles de comportement chez le groupe des filles
(n=269)

Variables 1 2 3 4 5
1. Violence parentale ___ ,57* ,53* ,31* ,50*
2. Violence conjugale physique ___ ,57* ,29* ,37*
3. Violence conjugale ,45* ,48*
psychologique ___
4. Troubles de comportements ,64*
intériorisés
5. Troubles de comportements ___
extériorisés
* p < ,01

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2006; 5(1) : 9


L'EXPOSITION A LA VIOLENCE CONJUGALE PSYCHOLOGIQUE ET VERBALE ET SON EFFET SUR LE
COMPORTEMENT DES ADOLESCENTS

Tableau 3

Régression multiple hiérarchique pour les variables qui prédisent les troubles de
comportement intériorisés chez les garçons

Variable B SE B b T R2 ∆R2 ∆F df
Étape 2 ,057 ,020 ,188 2,812* ,065 ,034 7,908* 1,
Violence 216
parentale
Étape 3 ,022 ,043 ,060 ,513 ,066 ,001 ,263 1,
Violence 215
conjugale
physique
Étape 4 ,008 ,016 ,045 ,528 ,067 ,001 ,279 1,
Violence 214
conjugale
psychologique
* p < ,01

Tableau 4

Régression multiple hiérarchique pour les variables qui prédisent les troubles de
comportement extériorisés chez les garçons

Variable B SE B b T R2 ∆R2 ∆F df
Étape 2 ,112 ,017 ,412 6,582* ,179 ,165 43,326* 1,
Victime directe 216
Étape 3 ,128 ,030 ,471 4,319* ,180 ,002 ,434 1,
Victime directe ,024 ,036 ,072 ,659 215
Violence conjugale
physique
Étape 4 ,139 ,028 ,509 4,897* ,262 ,081 23,550* 1,
Victime directe ,008 ,016 ,045 ,528 214
Violence conjugale
psychologique
* p < ,01

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2006; 5(1) : 10


BOURASSA, C.

Tableau 5

Régression multiple hiérarchique pour les variables qui prédisent les troubles de
comportement intériorisés chez les filles

Variable B SE B b T R2 ∆R2 ∆F df
Étape 2Victime ,079 ,015 ,305 5,184* ,100 ,092 26,876* 1,
directe 264
Étape 3Victime ,056 ,018 ,217 3,066* ,116 ,017 4,989 1,
directeViolence ,022 ,043 ,060 ,513 263
conjugale
physique
Étape 4Violence ,085 ,015 ,399 5,700* ,214 ,097 32,493* 1,
conjugale 262
psychologique
* p < ,01

Tableau 6

Régression multiple hiérarchique pour les variables qui prédisent les troubles de
comportement extériorisés chez les filles

Variable B SE B b T R2 ∆R2 ∆F df
Étape 2 ,095 ,010 ,490 9,139* ,252 ,237 83,527* 1,
Victime directe 264
Étape 3 ,082 ,012 ,423 6,553* ,262 ,010 3,449 1,
Victime directe ,031 ,017 ,120 1,857 263
Violence
conjugale
physique
Étape 4 ,063 ,013 ,324 4,948* ,319 ,057 21,913* 1,
Victime directe ,048 ,010 ,305 4,681* 262
Violence
conjugale
psychologique
* p < ,01

Les concepts « exposition à la violence psychologique et verbale », « exposition à la


violence physique » et « violence parentale » sont définis dans la partie traitant de la
méthodologie.

JOURNAL INTERNATIONAL DE VICTIMOLOGIE 2006; 5(1) : 11


L'EXPOSITION A LA VIOLENCE CONJUGALE PSYCHOLOGIQUE ET VERBALE ET SON EFFET SUR LE
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GAILLARD, B.

Journal International De Victimologie


International Journal Of Victimology
JIDV%24,%Tome%8,%numéro%3%(2011)

Adolescents victimes vicariants en famille

GAILLARD, B. [FRANCE]

Auteur

Enseignant-chercheur en psychocriminologie, ancien directeur Master 2 Victimologie et


Criminologie, docteur en psychologie psychopathologie, Université Rennes 2.

Résumé

L’adolescent victime est d’abord une construction socio-criminologique qui nécessite de


reprendre des interrogations éthiques et méthodologiques. L’adolescent, avec sa difficulté à dire
la violence et la dangerosité des situations vécues, se développe dans une position de
vulnérabilité. Sans subir directement des violences physiques, sexuelles ou verbales,
l’adolescent peut être victime d’une maltraitance indirecte des parents. L’article s’attache à
l’analyse des situations dans lesquelles l’adolescent est témoin des violences entre ses parents.
Trois figures prototypiques sont repérées : l’autre-obstacle, l’autre-complice, l’autre-rival.

Mots clés

Victime, vulnérabilité, témoin, maltraitance, violence conjugale, traumatisme

Abstract

The teenager victim is a construction socio-criminological needs to take ethical and


methodological questions. The teenager, with his struggle to say the violence and danger of life
situations, develops in a vulnerable position. Without suffering himself to physical, sexual or
verbal, the adolescent may be a victim of abuse indirectly. The article focuses on the analysis of
situations in which the youth is witnessing violence between their parents. Three prototypical
figures are identified: one-obstacle, the other an accomplice, the other-rival.

Key words

Victims, vulnerability, witness, abuse, domestic violence, trauma

1- Questions éthiques et méthodologiques normes. Au-delà de l’émergence de


sentiments, d’émotions envahissantes et
La désignation d’un adolescent d’expression d’un vécu éventuellement
comme victime situe d’emblée le qualifié d’insoutenable, le désigner comme
questionnement dans un rapport victime introduit la dimension d’un
criminologique, c'est-à-dire d’un rapport de décalage aux standards sociaux, à

170
ADOLESCENTS VICTIMES VICARIANTS EN FAMILLE

l’acceptable moralement. L’adolescent identitaire et existentielle sont


victime provoque alors d’un mécanisme inévitablement faits de reniements, de
projectif qui fait souffrir l’adulte et le déceptions, de plaisirs. Deux risques
professionnel à la hauteur de leur praxéologiques peuvent apparaître: le
souffrance hypostasiée devenue premier est celui de réduire le jeune à l'en-
insupportable du jeune. Le scandale fant en lui attribuant par exemple la
provoqué devient indissociable des position de victime objet de toutes les
valeurs fixées communément comme attentions et de toutes les excuses, le
socle de cohésion de la société. second étant de réduire le jeune à la
Afin d’éviter le risque d’une réification de discipline d’un dispositif, c'est-à-dire en ne
l’objet désigné, il y a lieu d’accepter de considérant plus que ses droits et ses
prendre en compte les dynamiques obligations au détriment de sa subjectivité.
complexes à l’œuvre chez l’adolescent Face à ses deux écueils, l’adulte oscille
victime pris comme cas singulier d’une entre ces deux positions de réassurance
position de victime mais aussi d’un et de protection envers lui. Traiter de
processus de victimisation qui s’instruit l’adolescent victime, c’est aussi mettre en
dans un double rapport : celui articulé à perspective un rapport singulier victime-
des espaces externes au sujet et celui auteur dans lequel l’autre, l’auteur n’a pas
d’un vécu interne qui ne peut se focaliser le même statut que lui. La difficulté
que sur une souffrance. Cette question de majeure de la victime consiste à se poser
victime est souvent conçue comme la question du maintien ou non des figures
consubstantielle des effets traumatiques de l'altérité, et des conditions de ce
spécifiques et durables. C’est ainsi que maintien. L’adolescent peut-il prendre
Becker & Leurquin (2010) soulignent que distance de la situation familiale estimée
la majorité des victimes de maltraitances dangereuse? De cette dangerosité et de
intrafamiliales connaissent une cette rencontre avec la violence, il s’agit
cicatrisation imparfaite. Compte tenu de la d’examiner comment elle peut se dire et
diversité des situations et des enjeux comment la victime peut la dire. Mais est-
psychiques, la phronèsis, la sagesse ce possible pour l’adolescent ? Roman
pratique est de mise dans les évaluations (2010) évoque l’incapacité du sujet à
à mettre en place au risque de l’ubris toute s’inscrire dans une subjectivation de l’agir
puissante et moraliste d’interventions transgressif et violent. Au fond, on pourrait
préventives ou de traitement de ces considérer que cette incapacité placerait le
victimes en famille. En effet, le sujet témoin/victime de la violence dans un
adolescent victime ne peut être réduit à risque de désubjectivation, risque qui se
cette formulation. Il est aussi sujet trouverait circonscrit par la projection
psychique désirant, acteur dans son d’une dangerosité attachée à l’auteur
espace de vie, acteur de son parcours de (Roman, 2010). Une spécificité de
vie. Pour ce qui nous concerne, c’est l’adolescent victime en famille est qu’il
d’abord une question de l’adolescent dans subi généralement la situation violente au
sa complexité, ses hésitations, ses doutes, quotidien sans pouvoir s’en extraire.
ses troubles, ses problèmes L’adolescent met alors en œuvre des
psychologiques spécifiques que sont la mouvements de projection et/ou
séparation fortement induite, la frustration d’identification projective qui se déploient
réitérée, l’évaluation omniprésente, entre auteur et victime. Chacun d’eux est
l’insistance du respect des normes, vécu par l’autre comme dangereux : la
l’acceptation de l’aide contrainte. Ses victime considérant la violence dont
aléas psychiques d’une élaboration témoigne l’acte, l’auteur considérant le

Journal%International%De%Victimologie%!2011;!8(3)!!! 171
GAILLARD, B.

risque que lui fait encourir la parole dimension désirante. L’adolescent, avec
dénonciatrice de la victime (Roman, ses capacités nouvelles, convoite bien
2010). L’intérêt méthodologique d’analyser légitimement un être supérieur, autonome.
ce rapport auteur-victime consiste dans Il envie l'autre-satisfait-avec-son-objet,
les données apportées par une semblant ne plus avoir de rien d'autre. Il
focalisation du regard clinique sur les veut s'approprier cet être, mais il faut bien
auteurs et leur jouissance à être avouer que cela est difficile pour certains,
agresseur. Il est aussi d’éviter d’être et surtout ceux qui sont confrontés aux
fasciné par la position de victime. La violences des adultes, aux violences de
question de la victime peut alors être leurs parents. C'est sous la forme de
traitée selon diverses approches : celle de l'autre, du parent tout-puissant jouissant
la nature des actes permettant une de l'objet de ses désirs que la satisfaction
typologie éventuelle mais avec le risque lui est donnée en spectacle permanent.
d’associer la singularité d’un type d’actes L’adolescent apprend que ce n’est pas
avec la spécificité des processus l’objet lui-même qui attise son désir mais
psychologiques; celle criminologique d’un le fait que cet objet est désiré par d’autres.
classement juridique des actes ; celle L’objet de désir crée un contexte
portant sur les auteurs et de leur profil ; nécessairement conflictuel dans lequel il
celle portant sur la spécificité des faut se battre contre les autres pour se
situations ; celle portant sur les processus l’approprier.
dynamiques construisant une position
victimaire. L’expression maltraitance, surtout
utilisée en clinique d’enfants, correspond à
une figure de vulnérabilité exemplaire de
2- Les maltraitances à adolescents l’évocation d’adolescents victimes en
famille. Cependant la diversité de cette
La vulnérabilité sociale, familiale et figure rend compte de la complexité des
psychique est souvent associée au profil positions de victimes en famille, à savoir
des victimes. Cette vulnérabilité ne peut d’un polymorphisme des objets d’attaque
se penser sans celle de risque, de fragilité, du sujet adolescent et du lien d’altérité.
de culpabilité, d’écho chez le sujet, de Deux problèmes y sont associés: celui du
dangerosité dans un parcours singulier. La risque de réitération du lien maltraitant
vulnérabilité est tension psychologique compte tenu de la vulnérabilité de
d’une probabilité à être atteint d’un l’adolescent, et celui du traumatisme en
dommage, d’une blessure. Elle s’articule contre-dépendance d’une dangerosité de
avec la dangerosité comme tension dans l’autre de la relation familiale. Les effets
une capacité à passer à l’acte dangereux, désorganisateurs des maltraitances sont
à l’acte violent. La tension opérée par la bien repérés. Ackermann (1998) montre
vulnérabilité porte en elle-même le risque dans une étude sur des mineurs ayant
d’une dangerosité. Cette vulnérabilité subi une agression physique en famille
psychologique est inscrite intrinsèquement que la prévalence du PTSD est de 26% ;
dans le destin du petit d’homme saisi par celle-ci passe à 55 % si une agression
le désir mimétique (Girard, 1961), désir sexuelle y est associée. La relation
d’être tout simplement, prenant l’adulte maltraitante est un mode d’emprise exercé
comme support identificatoire, comme par la personne à l’égard de ses objets, de
support modèle. Ceci parce qu’il le voit ses imaginaires et de ses partenaires. Elle
désirer et obtenir ; l’adulte lui paraît à la porte aussi sur son corps. La possession
fois satisfait, libre, réussissant dans sa du corps de l’autre, transformant l’autre en

172
ADOLESCENTS VICTIMES VICARIANTS EN FAMILLE

un bien de consommation, participe à la rapports d’exclusion, de rejet, de


destruction de l’altérité, de cette confusion dénigrement, de justice, de soutien. Il a un
entre moi-autre fondé sur un rapport lien avec les productions symptomatiques,
imaginaire. La relation maltraitante envers des manifestations comportementales et
l’adolescent est à mettre en lien avec sa éventuellement délinquantielles de
demande inépuisable d'objets de désir ; «il l’adolescent. Bantman (2009) insiste sur le
en veut toujours plus», disent les parents. rôle que peut jouer la famille dans les
Ainsi, la relation maltraitante s’alimente situations de violence à l’adolescence.
des frustrations et sentiments d’injustice Pour cet auteur, les problèmes
ressentis par les adolescents. Elle psychopathologiques de l’adolescent sont
s’alimente notamment du sentiment que intriqués au dysfonctionnement familial.
l’objet d’attention de l’adulte est d’abord Dans une étude clinique (Gaillard, 2008)
l’autre conjoint. Les savoirs sur les que nous avons réalisée auprès de jeunes
maltraitances permettent d’envisager deux placés en établissements pour cause de
figures prototypiques. La première figure délinquance, et d’autres jeunes placés
représente l’appauvrissement incessant pour carences familiales, nous avons pu
de l’environnement Par exemple, dans la cerner les scènes et les événements
dynamique de conflits parentaux, les deux particulièrement douloureux dans leur
parents retrouvent une certaine paix en parcours de vie familiale. Le rapport à
sanctionnant l’adolescent pour des motifs l’ambiance familiale et la tonalité des
futiles, en le privant de sorties, de relations parentales sont pointées. Pour
relations, d’activités. La seconde figure 57% des adolescents de Foyers éducatifs
prototypique représente la destruction de et 50% des adolescents auteurs
l’être de l’autre. C’est une attaque, une d'agression sexuelle, ils rapportent
négation de l’existence de l’autre, l’importance de la violence entre les
l’absence de reconnaissance de la part de parents. Les adolescents délinquants
l’autre. Le maltraitant, après la violence élaborent un jeu d’alliance avec l’un des
d’un conflit conjugal, s’en prend à membres du couple parental afin d’exercer
l’adolescent pour le dévaloriser, le une position de toute puissance dans la
désigner comme déchet ou une béance. famille. 67% des adolescents de Centres
C’est aussi celui dont on est indifférent, Educatifs Renforcés pour délinquants
pour qui le regard qui se détourne par n’ont pas connu un couple parental stable.
mépris. La maltraitance est action directe Sur l’humiliation parentale, les adolescents
ou indirecte envers la victime. placés pour carence éducative en Foyers
L’adolescent victime vicariant est celui qui éducatifs estiment, pour 41%, avoir été
assiste ou exposé à des scènes violentes souvent ou parfois humiliés au cours de
sans qu’il y soit impliqué directement à leur enfance par l’un de leur parent. Ils en
l’origine. gardent plus un mauvais souvenir pour
36%. Le sentiment d’avoir été humilié
pendant son enfance par au moins l’un de
3- Adolescents victimes vicariantes des ses parents donne un tableau particulier
violences familiales, face aux désordres de l’adolescent dans ses modes de
de leur contexte constructions relationnelles en famille et à
l’école. Ce vécu d’humiliation est
Le fonctionnement familial par lui- significativement plus élevé chez les filles
même contribue aux éventuels que chez les garçons. L’adolescent
dérèglements de développement humilié en famille a tendance plus
psychique du jeune très sensible aux s’ennuyer à l’école. Si l’humiliation

Journal%International%De%Victimologie%!2011;!8(3)!!! 173
GAILLARD, B.

ressentie est plutôt dirigée envers le père • Parent brisé avec des parents
ou le concubin homme, l’adolescent incompétents, immatures,
humilié entretient des relations plus fortes incohérents, instables.
avec sa mère. Il accepte moins la critique,
dit avoir ressenti du mépris, a plus le D’autres études, s’appuyant
sentiment d’un vécu dépassé. Le rapport à notamment sur la théorie systémique
l’humiliation des parents oppose les deux (Elkaïm M., 1995), ont révélé des types
groupes d’adolescents de Foyers différents selon la gestion des canaux de
éducatifs et ceux de Centres Educatifs communication, avec l’importance des
Renforcés. Pour les premiers, nous frontières entre les espaces de vie.
retrouvons proches les caractéristiques
comme l’absence de ressenti de mépris
avant et dans le centre, un très fort ennui 4- Adolescents victimes d’être témoins
à l’école, de mauvais souvenir des
parents, des hospitalisations, un suivi Les recherches réalisées auprès des
psychologique et social, l’absence enfants exposés à la violence conjugale
d’impression d’être dépassé, et n’a pas fait révèlent les effets négatifs de cette
de racket. Les adolescents de Centres violence mais montrent également que
Educatifs Renforcés se disent sensibles tous les enfants ne sont pas affectés de la
au mépris qu’ils ont eu l’impression de même manière ni avec la même intensité.
recevoir avant le centre, sensible à la Les analyses sont souvent confrontées à
séparation, ont un bon souvenir des des enfants issus de familles aux prises
parents et des hospitalisations. Mettant en avec des problèmes multiples (présence
difficulté l’assise narcissique secondaire de mauvais traitements dont l’enfant est
fragilisée, l’adolescent est amené à directement la cible, toxicomanie des
répondre comme alternative au choix par parents, pauvreté des familles, etc.)
étayage, selon la logique : aimer ce que rendant difficile la distinction entre la
l’on est soi-même aujourd’hui ou aimer ce contribution de l’exposition à la violence
qu’il a été dans une idéalisation forcée, conjugale de celle d’autres variables
avec le risque de l’impossible à penser la potentiellement influentes.
figure de ce qu’il voudrait être lui-même et
de ses idoles. Plusieurs types de La notion d’exposition à la violence
systèmes familiaux ont été repérés dans la conjugale recouvre plusieurs réalités. Si
littérature en lien avec les violences à l’enfant peut être témoin oculaire d’une
enfants et adolescents. Gagné (2000) en a violence physique exercée envers l’un des
repéré quatre favorables à la violence parents, souvent sa mère, il peut aussi
psychologique. Il s’agit du : entendre des paroles ou des gestes
• Vilain petit canard avec violents, destructeurs. Autre situation, il
l’adolescent victime bouc peut devoir vivre dans une situation post-
émissaire ; violente avec les conséquences de la
• Roi et son royaume avec une violence sans qu’il ait vu ni entendu la
figure paternelle dominatrice, scène de violence, par exemple lorsqu’il
intolérable et intimidante ; constate que sa mère est blessée, qu’elle
• De la Mère supérieure, figure pleure, qu’elle lui raconte ce qui est arrivé
maternelle rigide, autoritaire, et dit vouloir quitter la maison, ou encore
abusive ; par une visite des policiers (Bourassa &
Turcotte, 1998; Jaffe et al., 1990; Maillé,
1996; McGee, 1997; Wolfe, 1999). Selon

174
ADOLESCENTS VICTIMES VICARIANTS EN FAMILLE

le caractère plus ou moins public dans le Décentralisée), ces jeunes témoins sont
voisinage, le jeune doit gérer les des enfants et adolescents en risque car
informations, les questions des autres ils connaissent des conditions d’existence
jeunes, les rumeurs. risquant de compromettre leur santé, leur
moralité, leur sécurité, leur éducation, ou
Confronté aux difficultés de la relation leur entretien, sans pour autant être
du couple parental ou de la relation maltraité. Parmi les 23 000 enfants en
familiale, le sujet enfant ou adolescent danger selon le rapport sur les
aménage un rapport activité-passivité signalements en 2003, ces actes de
dans lequel il se montre plus ou moins violence se déroulent devant les enfants et
acteur. Dans ce rapport passif/actif, la adolescents dans près de 70 % des cas.
proximité de l’autre ou son rapprochement Assister à des scènes de violences en
prend sens d’une fusion intruse ou famille produit des manifestations
protectrice. Etre proche du sujet engendre symptomatiques. Selon Becker (2008), les
alors la peur de celui-ci d’être l’objet d’une enfants et adolescents connaissent, tout
intrusion de la part de l’autre, avec la comme l’adulte, la dépression
crainte de l’attaque de l’autre. réactionnelle face à des contextes de
Contradictoirement à cette angoisse violence conjugale et le mineur d’âge
d’intrusion et d’envahissement de l’autre, confronté aux violences conjugales
une angoisse d’abandon peut émerger. privilégie l’expression de son malaise dans
Ainsi, toute autonomie ou tentative la motricité, sa manière d’être quand il ne
d’autonomie de l’autre est perçue comme s’autorise pas à s’exprimer par le langage
abandon ou rejet, amenant le sujet à oral. Le contexte de violence entre parents
tenter de s’approprier l’autre par emprise coexiste souvent avec une situation de
perverse ou obsessionnelle ou par maltraitance à enfant. Chénard (1996)
contrainte violente. Ce mouvement montre que 70% des enfants vivant dans
psychique apparaît manifestement dans un contexte de violence conjugale était
les problématiques adolescentes. L’acte maltraités : 50% sont victimes de violence
violent en famille est une figure verbale ou psychologique ; un quart battu ;
symptomatique d’une subjectivation du 1/20 étant agressé sexuellement. Des
rapport conflictuel distance-proximité à études montrent que la violence conjugale
propos duquel le sujet ne peut aménager a un impact négatif sur le développement
une position sécurisante pour lui-même. des enfants. Les problèmes affectifs et
Les enfants témoins d'actes de violence comportementaux sont 10 à 17 fois plus
en famille, bien qu'ils n'en fassent toujours fréquents chez les enfants issus d'un foyer
l'objet, n'en sont pas moins des victimes, violent. (Jaffe, Wolfe, Wilson, 1990). Les
d’où la notion d’enfants exposés à la enfants exposés à la violence envers les
violence conjugale ou familiale. En femmes, manifestent souvent des
France, Jaspard et Brown (2004) ont symptômes de stress post-traumatique :
évoqué l’impuissance dans laquelle ils peur, anxiété, irritabilité, difficulté à se
assistent aux exactions parentales, et le concentrer, souvenirs importuns des actes
risque d’instrumentalisation par les de violences, explosions de colère et
parents notamment plus fortement lors de hyperactivité (Lehmann, 1997; Graham-
séparations où les enfants deviennent Berman, 1998). Le jeune confronté à la
« des pions dans une relation où l’on veut violence de ses parents a des difficultés
assurer son pouvoir sur l’autre » (Brown & dans le lien d’attachement et dans son
Jaspard, 2004). Selon l’ODAS développement psycho-affectif. Le rapport
(Observatoire National de l’Action Sociale Henrion (2001) décrit les nombreux

Journal%International%De%Victimologie%!2011;!8(3)!!! 175
GAILLARD, B.

impacts des violences conjugales sur la situations de conflits, de prise de pouvoir,


santé des enfants. Ils peuvent souffrir de de leadership, de séduction, de place se
lésions traumatiques, de troubles rejoue aussi au sein du groupe de pairs.
psychologiques, de troubles du L’adolescent victime d’être témoin a une
comportement et de la conduite avec sensibilité accrue à la violence, à l’injustice
éventuellement désintérêt et et au traitement institutionnel des
désinvestissement scolaire, agressivité et phénomènes violents.
violence, fugues et délinquance, conduites
addictives et toxicomanies, idées Nos travaux antérieurs auprès
suicidaires et tentatives de suicide, d’adolescents fugueurs (Gaillard, 2009) -la
suicide, de troubles psychosomatiques. fugue étant un moyen de fuir une situation
Certains mettent en place des conduites à de victime- ont permis de comprendre le
risque après avoir été témoin, ou victime fonctionnement dynamique des
d’épisodes de violence. Tous les jeunes élaborations victimaires. Leur
ne sont pas affectés de la même manière fonctionnement psychique diversifié du
par la violence à laquelle ils-elles sont fugueur s’organise autour des
exposés-es (Wolfe et al., 2003) mais déséquilibres dans deux axes psychiques
nombreux manifestent des problèmes de de différenciation liés aux questions
santé physique et mentale, des problèmes problématique de l’adolescent, à savoir
sur le plan du fonctionnement social et des l’appropriation de l’objet de désir et
problèmes d’ordre cognitif ou académique l’antériorité de la présence de l’autre:
(Fortin, Lachance, 2000; Lessard & • Un axe tensionnel à propos du
Paradis,2003). Cette violence conjugale sentiment d’être accepté ou rejeté
perturbe les liens fantasmatiques des figures d’étayage avec ses
d’alliance et de filiation, les repères mécanismes compensatoires avec
symboliques de l’humain et pervertit les deux pôles : la recherche de
processus de transmission. La l’autre-modèle, impossible en
structuration identitaire est mise en position de victime ; celui de l’autre
difficulté, l’adolescent s’interrogeant sur comme rival privant le sujet de sa
les liens entre l’amour, les relations entre figure d’étayage originelle ;
conjoints et lui-même, produit de cette • Un axe tensionnel à propos des
union parentale. exigences de présence des deux
Dans notre clinique de ces enfants figures parentales, de la cohérence
victimes d’être témoins, nous observons de ces exigences, axe avec deux
une hyper vigilance à la violence des pôles : un pôle d’excès de
pairs. Ces jeunes se soucient beaucoup présence enfermant le jeune dans
des tensions et conflits entre adolescents. un vécu de violence, dans une
Ils ont une forte tendance à annuler ces position de subir en permanence,
conflictualisations ou à les fuir, voire à position de souffrance : c’est la
militer pour la non-violence. Une figure de l’autre-obstacle ; un pôle
adolescente exprime cet engagement : « de fragilité des autres conduisant
j’ai déjà vu des garçons qui se battaient au le jeune à agir compulsivement
collège. Ce sont des espèces de rites, de pour attirer l’attention de l’autre de
mode. Je ne trouve pas ça humain, c’est la relation : c’est la recherche
sauvage. Y’a pas de raisons à la constante du complice.
violence ». Si l’adolescence est difficile
dans les questions qu’elle a à traiter, la Notre clinique d’adolescents victimes
séparation et la différenciation, les en famille nous permet de confronter les

176
ADOLESCENTS VICTIMES VICARIANTS EN FAMILLE

trois positions conflictuelles dans méprisée. Elle exprime sa frustration de


lesquelles les adolescents tentent de ne pas être totalement actrice ou
survivre : celle de l’autre-obstacle, celle de décideuse de sa vie. Présentant un Moi
l’autre-complice, celle de l’autre-rival. Le tout puissant et un narcissisme très
cas suivant saisi au moment de la développé, elle ne peut supporter une
judiciarisation de la séparation du couple position vécue comme inférieure. Avant la
parental illustre la pertinence clinique de séparation, la mère ne cesse d’imaginer
cette modélisation, moment de des stratégies de reprise de contrôle de la
manifestation plus aigüe de situation conjugale en tentant d’impliquer
l’opérationnalisation des mécanismes comme témoins ses enfants. La mère
psychiques défensifs. exprime régulièrement, devant les enfants,
des soupçons de relations extra-
conjugales de son mari. Evoquant un de
5- Cas d’une famille avec mère alcoolique sentiment de pitié envers lui, elle
reconstruit une position maternelle dans
Cette famille est composée de trois laquelle elle tente d’apparaître comme une
enfants, un garçon Thomas âgé de 18 personne ressource compensant les
ans, Marie une fille de seize ans, Sophie défaillances invoquées du père. Son
une fille de neuf ans et deux parents alcoolisation se met en scène comme
ingénieurs de haut niveau, très reconnus mécanisme compensatoire à une
dans leur milieu professionnel. La position pathologie narcissique, un sentiment de
de victime vicariante des enfants s’est faillibilité d’une toute puissance en échec,
révélée à l’occasion de la séparation des une dépression narcissique. Elle cherche
parents intervenue dans un contexte perpétuellement une survalorisation, une
extrêmement tendu et violent. La mère a sur-reconnaissance publique, et ne tolère
traversé une période dépressive avec des pas la frustration. Elle a longtemps été
épisodes répétés de consommation dans le déni total de sa maladie
excessive d'alcool dont les enfants ont été alcoolique. Son emprise obsessionnelle la
directement témoins. Actuellement, les conduit à vouloir contrôler en permanence
enfants résident chez leur père. Les les relations, quitte à faire pression sur les
éléments cliniques ci-après sont issus des autres avec des éléments paranoïaques.
expertises psychologiques liés à la Elle se saisit d’éléments factuels d’une vie
séparation parentale. du père investi dans son travail pour
De son enfance, la mère relate ses focaliser, de façon monomaniaque, des
parents alcooliques, une famille interprétations réitérées accusatrices du
recomposée et le suicide de son père. Elle père.
parle de ses difficultés à son adolescence
à présenter une identité féminine Après des études brillantes, le père
masculinisée. Elle se qualifie comme exerce un métier qui le passionne et dans
plutôt garçon, aimant le combat physique, lequel il cherche constamment à se
le sport de combat, aimant poser des défis développer. Il reconnaît ses exigences
de prestance face à la force masculine. professionnelles très obsessionnelles, et
Elle affirme les effets négatifs de son mari refuse de se laisser aller à la rêverie. Ses
notamment sur le déroulement de sa exigences ont parfois pu le mettre en
carrière professionnelle. Elle se pose difficultés relationnelles avec ses
comme victime d’une dépendance à son collègues de travail. Il a longtemps nié la
mari, de ne pas pouvoir influer ou résister maladie alcoolique de sa femme, essayant
à ses décisions, avec le sentiment d’être de la cacher et de se la cacher. Son fort

Journal%International%De%Victimologie%!2011;!8(3)!!! 177
GAILLARD, B.

investissement dans le travail correspond fondamentale de sa première figure


à une stratégie de défense face au d’identification, sa mère. Face à la
sentiment de ne plus pouvoir contrôler défaillance lourde de cette figure associée
l’évolution de son couple. La séparation au sentiment d’être rejetée, exclue, elle ne
parentale lui a permis de réinvestir ses cesse de chercher une surface fiable
enfants et la vie familiale qui était devenue potentiellement protectrice et
violente et dépourvue de sens. S’il se reconstructrice. Sa position de victime
montre exigeant envers ses enfants, il sait s’est élaborée autour des effets de l’autre
aussi maintenant leur témoigner de rivale dans les relations familiales.
l’affection. Sophie, nostalgique d’un fort attachement
affectif à sa mère qui la comblait
Marie est très touchée à l'évocation régulièrement de cadeaux, se souvient
des graves difficultés rencontrées par sa des scènes de violence parentale,
mère. Elle relate des épisodes formant violence physique et verbale. Elle sait que
traumatismes. Le thème majeur de ces sa mère est addicte d’alcool et de
épisodes porte sur des accidents de cigarettes. Sophie est très sensible aux
voiture associés à un état très alcoolisé de expressions de souffrance de sa mère, et
la mère. Elle s'y est sentie en danger. Elle s’y projette, envahie par les sentiments et
revit régulièrement ces scènes. Elle ne vécus de sa mère. Elle culpabilise de ne
peut désormais faire confiance à sa mère. pas l’avoir accompagnée dans les aléas
Le mal-être de Marie est manifeste. Se de sa vie, de ses prises en charge
déclarant timide, ayant besoin d’alcoolique. Elle attribue les difficultés de
constamment de réassurance, elle se relation de sa mère à la crise
montre sensible aux changements que ce d’adolescence chez son frère et sa sœur.
soit de lieux de vie, de scolarisation, de L’amélioration de l’ambiance après la
rythme de vie ou de réseau relationnel. séparation parentale serait due à la
Tout changement potentiel provoque une moindre perturbation de la fratrie. Sophie
émergence d’angoisse mal contrôlée. Elle investit positivement son père qu’elle
accepte, voire sollicite, la rigueur et les décrit comme gentil, non sévère, non
exigences proposées par son père. La violent, agréable, s’occupant bien d’elle et
rigueur paternelle la rassure et la conduit à de la fratrie. Son activité onirique est
être très proche de lui, ce qui l’amène à remplie de scènes de violences
estimer la figure paternelle comme parentales. Très portée par les discours
rassurante, protectrice, sûre, permettant tenus par chacun des membres de la
d’ouvrir des perspectives. Si elle pratique famille, placée dans un dilemme affectif
une activité dans le même club que son difficile, elle ne peut se résoudre à faire le
père, elle l’investit maintenant pour elle- choix entre ses deux parents. Se réfugiant
même. Marquée une vie familiale centrée dans une certaine solitude, ayant peur de
autour d’une mère ivre tous les jours, elle trahir l’un ou l’autre, elle sollicite
s’est sentie démunie, impuissante. Ayant fantasmatiquement une protection pour ne
souffert de carence affective de la part de perdre ni ses deux parents, ni sa fratrie.
sa mère qu’elle rejette maintenant, elle Son investissement dans la fratrie lui
cherche à se soulager d’une ambiance permet de ne pas être totalement saisie
familiale provoquant un sentiment de dans les jeux d’alliance-contre alliance, ni
jalousie. Marie estime sa mère comme dans un envahissement des émotions
néfaste, non fiable, menteuse, falsifiant les maternelles. Sa position victimaire, liée à
réalités. Sa position victimaire est son jeune âge et à sa vulnérabilité, se
constituée de cette déception traduit par une recherche compulsive de

178
ADOLESCENTS VICTIMES VICARIANTS EN FAMILLE

l’attention de tout autre dans la famille. ses deux parents. A d’autres moments, il a
Elle recherche la complicité de l’autre, entendu sa mère frapper son père dans le
surtout de sa mère et une relation lit. Pendant cinq ans, Thomas s’est montré
privilégiée avec chacun. L’annulation très complice de sa mère ; il lui a caché de
fantasmatiquement des conflits est un nombreuses bouteilles d’apéritif qu’elle
mécanisme défensif majeur. consommait quotidiennement pour que
son père ne les trouve pas. Il exprime sa
Le garçon Thomas exprime un honte de cette relation complice, honte
sentiment de trahison et de perte de coupable de bénéficier et jouir des
confiance envers sa mère. Il a vécu le confidences de sa mère sur sa vie
conflit parental à une place qui n'est pas sexuelle. Il a découvert ce qu’il nomme le
celle d'un enfant, ayant dû recevoir les « désert de la vie affective et sexuelle » de
confidences de sa mère. Sa souffrance est sa mère. Contradictoirement, elle était
importante: il évoque de nombreux aussi humiliante au quotidien envers son
souvenirs pénibles avec sa mère. fils: quand il arrivait à Thomas d’être en
Thomas décrit une mère mythomane et pleurs devant son père, sa mère en riait. Il
alcoolique qui exerçait une très forte raconte plusieurs moments d’humiliation
pression sur lui, une mère dévalorisant en devant ses propres amis, ou en public.
permanence le père. Il parle d’une mère A l’époque de ses 16 ans, Thomas a eu
qui ne cesse de créer des histoires qu’elle aussi des tendances suicidaires en les
voulait ensuite faire partager aux enfants. justifiant par le contexte affectif et
Il a découvert les mensonges de sa mère relationnel. Il s’enfermait longuement dans
et ses idées délirantes. Elle se construit de sa chambre. Il n’avait pas de relations
beaux ancêtres avec des amoureuses, pas de bons résultats
morts magnifiées; un de ses ancêtres scolaires, pas d’amis. Il était terrorisé à
serait mort avec les honneurs militaires. chaque fois qu’il lui fallait se déplacer dans
Sa mère lui a parlé de sa naissance ; la voiture de sa mère compte tenu de ses
quand Thomas est né, elle aurait vu alcoolisations et de la dangerosité de sa
apparaître son propre père lui dire « tu conduite. Il a fugué une fois chez un ami,
n’as plus besoin de moi maintenant car tu fugue préparée depuis longtemps, et est
as un fils ». Pour lui, elle s’est enfermée revenu de lui-même chez ses parents.
dans un délire ésotérique. Thomas Pour lui, ce moment de fugue a été un
souligne le chantage au suicide, les moment de liberté totale, sans
scènes de scarifications de sa mère, ses culpabilisation. Il s’inquiète pour lui-même
comportements paroxystiques avec jeux sur ses capacités d’auto-contrôle ; il craint
de couteaux. Il dit avoir souffert d’une trop sa propre violence tous les jours. Il souffre
forte pression psychologique. Pendant la de rester seul, de ne pas avoir de relations
période de sa préparation au bac, elle a amoureuses, d’être seul à côté des autres
fait ses d’oncles, de tantes, de son jeunes qui tous sont en couple.
ancienne nourrice amies lui téléphoner
pour parler des difficultés de leurs Thomas a maintenant conscience
relations familiales. Thomas se plaint d’avoir été l’objet d’une emprise
d’une absence d’espace de sérénité, de destructrice de sa mère. Il doit assumer
calme. Une scène lui revient régulièrement ses désillusions d’une impossible mère
à la conscience, celle d’une bagarre entre idéale. L’envahissement par le discours de
ses deux parents, sa mère frappant très la mère, ses confidences sur sa vie
fort son père, ce dernier au sol, en sang, sexuelle et sentimentale, et le
criant. Thomas se serait interposé entre comportement alcoolique de sa mère, le

Journal%International%De%Victimologie%!2011;!8(3)!!! 179
GAILLARD, B.

contraignait à se protéger psychiquement (sexual, physical, and both). Child


en niant, refoulant et cachant une Abuse Negligence, 22, 759–74.
situation, et se protéger physiquement en
Bantman, P. (2009). Approche familiale de
se réfugiant dans sa chambre. De plus, il a
la violence à l’adolescence.
dû supporter une ambiance familiale peu Enfances &
encline aux échanges, supporter des Psy, (4) 45, 71-81.
moments de violence paroxystique entre
les deux parents. Ce vécu familial l’a De Becker, E. (2008). L’impact des
conduit à douter fortement de lui-même, à violences conjugales sur les
fragilité sa construction narcissique le mineurs d’âge. Neuropsychiatrie de
l’enfance et de l’adolescence, 56
mettant en difficulté relationnelle avec les
(1), 21–26.
filles. La séparation parentale apparaît
comme libératrice. Son impasse victimaire De Becker, E & Leurquin, F. (2010).
est soutenue par des alternances L’impact des maltraitances
d’hésitation entre deux positions, celle du physiques infantiles. Annales.
complice et celle de l’autre obstacle. Dans Medico-psychologiques, (168) 10,
celle du complice, souffrant d’une situation 746-751.
dégradante pour sa mère, il cache et
Elkaïm M . (1998).Panorama des
falsifie des éléments de réalité. La victime thérapies familiales, Paris: Seuil.
dépense beaucoup d’énergie psychique à Gagné, M.-H. (2000). Envisager,
reconstruire en permanence une autre définir et comprendre la violence
réalité plus conforme aux normes. Dans psychologique faite aux enfants en
l’autre position, face au déséquilibre de la milieu familial (Thèse de doctorat,
Université du Québec à Montréal,
présence et des exigences des deux
Montréal, Canada).
parents, la mère est devenue obstacle au
développement social et affectif de Gaillard, B. (2008). Clinique des
l’adolescent tenaillé par le pubertaire. adolescents difficiles et institutions
L’adolescent victime se fait envahir par le éducatives : Exemple en Centres
désir de l’autre, ici la mère, qui lui donne le Educatifs Renforcés, In R.
sentiment de subir en permanence. La Casanova, & A. Vulbeau (2008),
Adolescences, entre défiance et
victime cherche à se libérer de ce joug et
confiance. Nancy : Presses
utilise différents moyens : dépression, Universitaires Nancy.
tentative de suicide, consommation de
drogues, fugue, prise de distance Gaillard, B. (2009). Adolescents qui
relationnelle, isolement. dérangent, Paris : L’Harmattan.
Chacun des trois enfants de cette situation Jaspard, M. &, Brown, E., (2004).
familiale présente ainsi les trois figures de La place de l’enfant dans les
conflits et les violences
l’autre-obstacle, l’autre-complice et l’autre-
conjugales. Enfance, (78) 1, 5-19.
rival, en tant que figures dynamiques
d’une position victimaire. Roman, P. (2010). Une approche
psychanalytique de la notion de
dangerosité. violence et
Références subjectivation : le risque de la
rencontre. L’évolution
psychiatrique. 75 (1), 139–151.
Ackermann, P.T. et al. (1998). Prevalence
of post traumatic stress disorder
and other psychiatric diagnoses in
three groups of abused children

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