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Agences régionales de santé : mission impossible

Frédéric Pierru
Dans Revue française d'administration publique 2020/2 (N° 174), pages 385 à 403
Éditions Institut national du service public
ISSN 0152-7401
DOI 10.3917/rfap.174.0089
© Institut national du service public | Téléchargé le 30/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 37.167.156.121)

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AGENCES RÉGIONALES DE SANTÉ :
MISSION IMPOSSIBLE

Frédéric PIERRU
Docteur en science politique, chargé de recherche au CNRS, université de Lille
(Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales – CeRapS)

Résumé
Créées en 2010, issues d’une fusion des services déconcentrés de l’État et des services régionaux
de l’assurance maladie, les agences régionales de santé (ARS) sont, depuis la crise dite des « gilets
jaunes » et, surtout, la pandémie de Covid-19, sur la sellette. À rebours des analyses de type
ingénierie administrative, cet article cherche à comprendre la fragilité de ces fausses agences en
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les ré-encastrant dans leur environnement économique, social et politique. Il souligne en particulier
que les ARS sont dans une position structurellement intenable entre l’État central, entré en mode
de consolidation budgétaire depuis 2010, et des acteurs « territoriaux » qu’elles ont pour charge
de tenir et de piloter à distance. De plus, déjà mal dotées en moyens humains et matériels, elles
ont subi le rabot budgétaire alors que leurs missions sont des plus larges. Cet article est donc la
chronique de l’échec programmé d’agences n’ayant pas les moyens de répondre aux attentes d’une
société sécularisée et politiquement désenchantée pour qui la protection de la vie est devenue une
sorte d’idéologie de remplacement.

Mots-clefs
Agences régionales de santé, politiques publiques de santé, État de consolidation budgétaire,
Raison humanitaire, Covid-19

Abstract
— Health regional agencies: impossible mission — Regional health agencies (ARS) were created
in 2010 from a merger of decentralized state services and regional sickness funds. Since the
so-called “yellow vests” crisis, and, above all, the Covid-19 pandemic, they have been on the hot
seat. Contrary to administrative engineering analysis, this paper seeks to understand the fragility
of this “fake” agencies by re-embedding them in their economic, social and political environments.
It emphasizes that the ARS are in a structurally untenable position between the central State,
which focuses on budgetary cuts since 2010, and the “territorial” actors that they are responsible
for maintaining and steering at a distance. ARS were poorly endowed in human and material
resources. They also suffered from budget cuts even though their missions were very broad. This
article is therefore the chronicle of the RSA inevitable failure, as they lack the means to meet the
expectations of a secularized and politically disenchanted society for which the protection of life
has become a sort of replacement ideology.

Keywords
Regional Health Agencies, Health policies, Consolidation State, Humanitarian Reason, Covid-19

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« Ce qui nous importe, c’est moins d’apporter une solution provisoire


que de montrer qu’un problème mérite d’être posé… » 1

Les agences régionales de santé (ARS) sont devenues, avec la pandémie de Covid-19,
le symbole de la gestion jugée erratique de la crise sanitaire. Néanmoins, elles étaient déjà
critiquées avant cette dernière. Alors qu’elles ont à peine dix ans, elles semblent ne pas
avoir répondu aux attentes qui avaient été placées en elles dans le cadre de la loi « Hôpital
patients santé et territoires » de 2009.
Il faut convenir que leur mise en place a été réalisée dans un contexte difficile : celui
de la « Grande Récession » qui a suivi le krach financier de 2008. Dès 2010, en effet, une
fois la parenthèse keynésienne refermée, l’heure était à l’affirmation de « l’État de conso-
lidation » budgétaire, soit un État qui donne la priorité à la préservation de la confiance
de ses créanciers plutôt qu’aux demandes de ses citoyens, donc au désendettement et à la
maîtrise des dépenses publiques, retraite et santé en tête (Streeck, 2014). Les processus de
fusions administratives, dont les ARS sont l’un des produits, ont d’abord eu pour objectif
de faire des économies en matière d’emplois. Pour prendre un autre exemple, plus récent
(2016), l’agence Santé Publique France, issue de la fusion de l’Institut national de veille
sanitaire (INVS), de l’Institut national de prévention et d’éducation en santé (INPES) et
du désormais très controversé Établissement de préparation et de réponse aux urgences
sanitaires (EPRUS), en charge notamment de la gestion des stocks dits stratégiques de
masques, a vu ses emplois fondre de 20 % en dix années (au regard des effectifs initiaux
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des entités fusionnées). Son préfigurateur et directeur jusque 2019, François Bourdillon,
déclarait ainsi, devant la commission d’enquête parlementaire mise en place après la
pandémie de Covid-19, que son agence n’avait pas les moyens de renouveler ce stock et
qu’il appartenait au politique de donner les moyens suffisants à la doctrine en la matière,
doctrine dont on apprenait par ailleurs qu’elle avait changé depuis la pandémie qui n’est
jamais venue, celle de H1N1 en 2009.
Toutefois, les conséquences socio-sanitaires de la Grande Récession ont été bien
plus amples que la seule réduction de la voilure de l’administration qui lui est dédiée,
historiquement mal dotée. Dans son dernier ouvrage, Emmanuel Todd, comme d’autres 2,
mais avec son style habituel si incisif, souligne combien la société française est désormais
sous haute tension (Todd 2020). Tous les indicateurs sont au rouge. Todd passe d’abord
en revue les indicateurs démographiques et éducatifs, considérant ces derniers comme
hautement prédictifs de l’évolution des sociétés, en l’occurrence du déclin de la société
française : l’on assiste ainsi, en France, à la chute de la fécondité des femmes, quel que
soit leur niveau de vie (lequel est passé de 2,03 en 2010 à 1,98 en 2018) ; à la hausse de la
mortalité infantile depuis 2011, particulièrement marquée dans les régions en difficulté du
nord et de l’est ; à la baisse de la mobilité géographique ; à la stagnation – voire un début
d’évolution à la baisse – et à la stratification éducatives. Le futur dystopique de la société
française serait, in fine, celui d’un État de plus en plus autonome et autoritaire, géré par une
élite qualifiée par lui de « stato-financière » surplombant un champ de ruines économiques

1. Georges Canguilhem, Essais sur quelques problèmes du normal et du pathologique, cité par (Macherey,
2009, p. 57).
2. Par exemple (Fourquet, 2019). Convergents sur certains points, et notamment sur l’analyse du mouve-
ment des « gilets jaunes », les constats de Todd et Fourquet divergent sur une question essentielle : là où Todd
voit surgir les luttes des classes sur fond d’homogénéisation anthropologique et religieuse du territoire, Fourquet
insiste, au contraire, sur les nouvelles divisions – « l’archipélisation » – de la société française.

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et industrielles balayé par le vent mauvais et dévastateur du libre-échange doctrinaire et du


fétichisme monétaire de l’Union européenne. Cette dégradation des indicateurs de santé
est aussi observable, par exemple, en Grande-Bretagne et les déterminants sociaux de la
santé y jouent un rôle bien plus important que le système de soins stricto sensu, comme le
montre le récent rapport Marmot (Wilson, 2020). Au point que le gouvernement Johnson
a mis en place, en 2020, une commission pour réfléchir à la lutte contre les inégalités dans
toutes leurs composantes.
En effet, les principes de l’égalité des vies et de l’égalité d’accès aux soins sont au
cœur du pacte républicain dans le cadre plus général de l’affirmation de la « raison huma-
nitaire » (Fassin, 2010, 2018). État de consolidation budgétaire (main droite de l’État) et
gouvernement humanitaire (sa main gauche) 3 constituent un attelage instable, pour ne
pas dire contradictoire. Dès lors, nous entendons montrer que les agences régionales de
santé (ARS), bras armés de l’État central, occupent une position intenable parce qu’elles
sont chargées de missions aussi étendues que contradictoires et… impossibles à réaliser,
surtout avec, comme on l’a dit, des moyens matériels et humains en baisse. Il ne s’agira pas
ici de retracer la genèse et de faire le bilan détaillé des ARS, dix ans après leur création :
nous avons publié ailleurs ce travail (Pierru, 2012 ; Pierru, Rolland, 2013, 2015, 2016),
lequel a été corroboré par des travaux parlementaires (Le Menn, Milon, 2014). Nous nous
contenterons d’en rappeler les principales conclusions.
Il s’agira plutôt de saisir la « misère de position » et la « misère de condition » (Bourdieu,
1993) des agents travaillant dans ces entités en les réencastrant dans leur environnement
social, économique, bureaucratique et politique. Quittant le terrain balisé de l’ingénierie
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et de la réflexion administratives – et ses questions du type : « qu’est-ce qui ne fonctionne
pas dans les ARS ? », « qu’est-ce qui pourrait être amélioré » ? –, nous nous emploierons à
montrer que les ARS, administrations récentes et mal dotées, subissant de surcroît le rabot
budgétaire, ne pouvaient qu’échouer dans la réalisation des nombreuses et larges missions
qui leur sont assignées. Non parce qu’elles auraient été mal conçues ou qu’elles seraient
trop empêtrées dans les routines bureaucratiques (ce qui est possible), mais d’abord parce
qu’elles occupent une position structurellement intenable entre un État central entré en
mode « consolidation » d’un côté et ce qu’il est convenu de désigner, de façon floue, les
« territoires » et leurs acteurs, élus locaux en tête, de l’autre. Elles ne peuvent dès lors que
jouer le rôle de boucs émissaires des échecs des politiques publiques de santé. Il n’est donc
pas étonnant, comme on le verra, que leur réforme, voire leur suppression, soit à l’agenda
politique depuis 2019, moins de dix années après leur création. La crise de Covid-19 aurait
pu être, pour elles, le coup de grâce tant elles ont été accusées de tous les maux dans la
gestion de la pandémie. Elles ont été in fine reconduites mais leur légitimité est, plus que
jamais, très fragile.
Cet article comportera trois temps. Le premier rappellera le contexte de la mise sur
pied des ARS et soulignera, en particulier, le caractère trompeur de la notion néomanagé-
riale d’« agences » en ce qui les concerne, car la réalité est plutôt celle d’administrations
(fort peu) déconcentrées de l’État. Le second temps insistera sur l’usage inflationniste des
notions de « territoire » et de « territorialisation » des politiques de santé qui contraste avec
l’échec patent des ARS à enrayer le creusement des inégalités sociales et géographiques
de santé et d’accès aux soins. Ce qui nous amènera au troisième temps : en nous adossant

3. La vie biologique, donc la souffrance physique, est un objet privilégié de ce type de gouvernement
dominé par les sentiments moraux, lesquels articulent raison et émotion. « Le vocabulaire de la souffrance, de la
compassion et de l’humanitaire fait ainsi partie, au niveau national comme international, de notre vie politique :
il sert à en décrire les enjeux et à en argumenter les choix. » (Fassin, 2010, p. 9).

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aux travaux récents de Barbara Stiegler (Stiegler, 2019), nous verrons s’affronter au cœur
de l’État deux conceptions du « bien gouverner » la santé. Si la vision centralisée, techno-
cratique et descendante l’a emporté, particulièrement lors de la pandémie de Covid-19,
celle-ci ne cesse de se heurter à la politisation de la vie par le bas (Buton, Pierru, 2012). En
effet, à la suite des réflexions de Didier Fassin, nous verrons que l’époque est dominée par
une « éthique de la vie » qui fait de cette dernière le bien suprême. La légitimité d’un État
de plus en plus contesté s’efforce de se refonder dans la capacité à garantir l’égalité des
vies. Cependant, contrairement à ce que suggère Didier Fassin, nous montrons que loin de
contribuer à la dépolitisation du corps social, cette morale humanitaire, sinon médicale – qui
prospère sur l’effacement des « grands récits » ou, pour parler comme Emmanuel Todd, sur
le récent vide religieux et idéologique – peut fournir un point d’appui pour repolitiser les
choix de l’État de consolidation, comme l’a montré la mobilisation des « gilets jaunes ». Il
en résulte que les ARS se retrouvent prises dans des stratégies d’« évitement des blâmes »
politiques dont elles font à coup sûr les frais 4.

DES « AGENCES » TRÈS WÉBÉRIENNES ET BRAS ARMÉS


DE L’ÉTAT SANITAIRE DE CONSOLIDATION

Fruit d’une réflexion administrative au long cours amorcée dès le début des années 1990,
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précédées par les agences régionales de l’hospitalisation (ARH), les agences régionales
de santé sont venues au monde administratif à la faveur de la révision générale des poli-
tiques publiques (RGPP) et, plus généralement, de la réorganisation de l’administration
territoriale de l’État (ReATE) (Revue française de science politique, 2016). Comme nous
l’avons montré ailleurs, si un consensus politique et technocratique s’est formé à compter
des années 2000 pour privilégier la fusion des multiples administrations et caisses en charge
de la santé au niveau régional, un combat feutré, mais vif, a opposé, en 2007, le ministère
de la santé, la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAMts) et la préfectorale. Pour
le corps préfectoral, il a été assez difficile d’admettre que l’administration sanitaire allait
passer sous la coupe d’entités autonomes et de directeurs généraux, nommés et révocables
en conseil des ministres. Toutefois, l’armistice a vite été signé. Le principal conflit, qui
n’est pas réductible à un conflit d’institutions, a opposé l’État et la CNAMts, acteurs histo-
riquement rivaux et dont les « cultures » se sont définies l’une contre l’autre. Du côté de la
CNAMts, on a assisté, à compter de la fin des années 1990, à un processus de centralisation,
de hiérarchisation et de managérialisation des caisses d’assurance maladie, longtemps
autonomes. À cet égard, la réforme de l’assurance maladie en 2004 a été décisive. S’y est
alors imposée, aux dépens des « partenaires sociaux », une culture très gestionnaire dans
laquelle l’échelon national pilote le réseau par des indicateurs de performance de nature
essentiellement financière. Priorité est alors donnée à la maîtrise des dépenses d’assurance
maladie. Du côté de l’administration centrale du ministère des affaires sociales et de la
santé, si le New Public Management s’est aussi acclimaté, particulièrement à la direction
de la sécurité sociale (DSS), très liée puis placée sous la tutelle de la direction du budget, la
direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) puis la direction géné-
rale de l’organisation des soins (DGOS) ont tenté de concilier – ou d’hybrider – l’héritage

4. Cette contribution reprend quelques passages de notre article (Pierru, 2020).

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planificateur de la loi Boulin de 1970 avec les instruments du néo-management (contrats,


indicateurs de performance, etc.) 5.
Ayant la haute main sur les professionnels de santé de ville, la CNAMts a, de longue
date, pour projet de mettre la main sur l’hospitalisation publique et privée (ayant perdu cette
dernière) qui relève de la compétence de l’État, arguant de son efficacité gestionnaire supé-
rieure, là où ce dernier doit composer avec les groupes d’intérêt – fédérations hospitalières
en tête – et dont les corps seraient porteurs d’une culture encore trop « bureaucratique ».
Plus fondamentalement, deux conceptions de la « régulation » du « système de santé »
s’opposent à la faveur de la RGPP : l’une technique et centralisée, celle de la CNAMts,
l’autre politique et déconcentrée, celle de l’État 6. À l’heure de l’avènement des politiques
de consolidation, la première ne manque pas d’alliés, au Parlement, à Bercy et même au
cabinet du Premier ministre. L’objet de ces luttes institutionnelles est de taille : quelle doit
être la place, s’il doit en avoir une, des acteurs politiques dans le « pilotage » du système
de santé ? Finalement, la ministre Roselyne Bachelot emporte l’arbitrage grâce au soutien
amical du Premier ministre et du conseiller social de l’Élysée, Raymond Soubie, lequel
avait présidé à la commission ayant produit un rapport important, initiant l’idée des ARS
(Bras, Tabuteau, 2009). Mais il s’agit d’une victoire relative. En effet, s’il y a fusion des
entités régionales de l’État et de l’assurance maladie, le niveau national, quant à lui, n’est pas
fusionné : est inventé un dispositif ad hoc, le Conseil national de pilotage (CNP), regroupant
les quatorze donneurs d’ordre des nouvelles ARS et fonctionnant au consensus. Surtout,
la CNAMts conserve l’essentiel de ses compétences sur la médecine de ville tandis que
l’État partage les siennes avec les conseils départementaux en matière de médico-social.
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Dans les premières années des ARS, la CNAMts va faire de la résistance.
La nouvelle configuration qui émerge de cet armistice est très ambiguë. La principale
porte sur le statut d’agence des nouvelles ARS dont les missions sont vastes, allant de la
« gestion du risque » à la prévention en passant par l’hôpital et le médico-social. Certes,
elles ont la personnalité juridique et les pouvoirs publics vantent leur autonomie, notamment
pour élaborer et mettre en œuvre des projets régionaux de santé. Cependant, la réalité du
fonctionnement des ARS se rapproche de celle des administrations déconcentrées de l’État 7.
Pire, la déconcentration est très relative tant les instruments et les routines administratives
se combinent pour aboutir à une centralisation forte. Les ARS croulent sous les directives
du niveau national. Les principaux instruments de régulation et de financement sont définis
au niveau national : objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), tarifs de
la tarification à l’activité (T2A) 8, convention liant le DG de la CNAMts avec les syndicats
de professionnels libéraux, accréditation, etc. Les marges de manœuvre des ARS sont donc
des plus réduites : elles se doivent d’abord de mettre en œuvre les priorités nationales.
La gestion des personnels reste, elle aussi, centralisée au niveau national, tant en ce qui
concerne les agents de l’État que ceux de l’assurance maladie. La création, en 2012, d’un
Fonds régional d’intervention (FIR), censé donner des marges de manœuvre budgétaire
aux directions des ARS a été d’une portée limitée : 3 milliards 300 millions en 2017 pour

5. Outre Pierru, 2012, lire la contribution de Renaud Gay et le grand entretien avec Édouard Couty dans
le présent numéro.
6. Lire la contribution de Laurent Chambaud à ce numéro. Cf. aussi Lopez, 2013.
7. À cet égard, l’article de Pierre-Louis Bras était prémonitoire (Bras, 2009).
8. Lire la contribution de Brigitte Dormont à ce numéro.

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un objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) 9 total de 190,7 milliards


d’euros ; on appréciera le degré de « régionalisation » des politiques de santé.
En fait, la domination de la rationalité budgétaire, donc de la puissante coalition
politico-technocratique qui la porte, est antinomique d’une déconcentration véritable du
gouvernement sectoriel. S’il fallait une preuve supplémentaire de cette centralisation/natio-
nalisation du pilotage, il suffit de se pencher un instant sur le funeste destin des délégations
départementales (DD) (ex-DDASS 10). A prévalu un modèle dit « intégré » de délégations
départementales qui a l’avantage de recentraliser/mutualiser au niveau du siège régional
un maximum de fonctions, de placer les agents des délégations départementales sous
l’autorité hiérarchique des directions-métiers du siège, cantonnant le délégué territorial
à une fonction d’« ambassadeur » ou d’« animateur » territorial, métier flou et, disons-le,
particulièrement inconfortable, puisque placé sous l’enclume des interlocuteurs locaux des
ARS et le marteau des directions du siège régional. Les responsables des délégations dépar-
tementales doivent faire cette « animation territoriale » dans un cadre de gestion centralisée
des ressources au niveau du siège régional, un interventionnisme envahissant de la part
de ce dernier, peu de ressources financières pour intéresser et enrôler des acteurs locaux,
dès lors tentés d’aller frapper à la porte de guichets concurrents (services préfectoraux,
conseils départementaux, etc.), et, finalement, avec le sentiment partagé par les uns et par
les autres du déclassement de l’administration infrarégionale.
La centralisation est induite par le primat des considérations budgétaires : il faut non
seulement « tenir l’ONDAM », mais en plus, du point de vue des ARS, remplir des missions
élargies avec des moyens financiers et humains en baisse, alors que l’administration de la
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santé est déjà historiquement faible. Les ARS ont ainsi perdu 1 000 « équivalents temps
plein » (entre 2011 et 2017 et 258 nouvelles suppressions de postes ont été prévues en
2018, assorties d’une baisse de 5 % des frais de gestion…
L’État sanitaire de « consolidation » fonctionne à la centralisation ainsi que l’a fait
remarquer le politiste Renaud Epstein : l’utopie du gouvernement à distance, dépolitisé par
le recours aux contrats en cascade, aux indicateurs de performance ou à la distribution de
« labels », couplé à des moyens en baisse, entraîne le retrait de l’État des « territoires » (Epstein,
2005, 2015), notion pourtant devenue le totem des politiques de santé. Cette dynamique de
recentralisation « technique » est d’ailleurs observable dans de nombreux systèmes de santé.

LA RHÉTORIQUE POLITIQUE DU « TERRITOIRE »


CONTRE LES RÉALITÉS SOCIO-ÉCONOMIQUES DU « LOCAL »

Le géographe de la santé Emmanuel Vigneron a fait ironiquement remarquer que


l’usage du mot « territoire » est, depuis quelques années, inflationniste dans la rhétorique
politique (Vigneron, 2020). Ainsi, dans la loi du 21 juillet 2009 « portant réforme de
l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires » – même s’il vient en dernier
dans la liste –, le mot est employé 61 fois en 87 pages. Dans la loi du 26 janvier 2016

9. L’objectif national des dépenses d’assurance maladie est voté chaque automne dans le cadre du projet
de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Il est un objectif de dépenses en fonction d’une prévision
de recettes. En toute rigueur, il n’est pas un budget, par construction limitatif. Toutefois, depuis 2010, des méca-
nismes de régulation l’en ont rapproché (Pierru, 2011).
10. Direction départementale des affaires sanitaires et sociales.

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de « modernisation de notre système de santé », il est utilisé 106 fois en 111 pages. Et la


dernière loi en date, la loi du 21 juillet 2009 « portant réforme de l’hôpital et relative aux
patients, à la santé et aux territoires », y fait référence 110 fois en 94 pages ! Il y a bien un
usage de plus en plus rituel dans la rhétorique politique, usage qui d’ailleurs s’accommode
d’un flou conceptuel : le terme n’est jamais défini. Rappelons que les ARS avaient pour
feuille de route de « contribuer à réduire les inégalités territoriales de santé », d’« amélio-
rer l’organisation des parcours de soins » et d’« assurer un meilleur accès aux soins » tout
en maîtrisant bien entendu les dépenses de santé. Cela étant, les trois premiers objectifs
devaient primer sur le dernier. Dans l’État de consolidation qui se met en place à compter
de 2010-2011, la hiérarchie des priorités s’est inversée.
Du reste, de quoi le « territoire » est-il le nom ? En effet, que la « territorialisation »
des politiques de santé soit devenue le mantra des réformateurs du « système de santé » a
de quoi étonner l’historien ou le sociologue de la santé. Car, depuis les années 1970, ce qui
inquiète, et parfois indigne, la nébuleuse réformatrice de la santé est que celle-ci serait un
coûteux chaos organisationnel travaillé par des forces professionnelles, sociales, politiques
qui ont une propriété commune : elles sont localistes et centrifuges. L’hôpital n’est-il pas
historiquement un établissement communal présidé par le maire et dont le développement
serait autocentré ? Un historien de l’hôpital n’a-t-il pas utilisé l’analogie du Far West pour
qualifier la période d’expansion du parc hospitalier de l’après-guerre (Maillard, 1993) ? La
médecine dite « libérale » à la française n’a-t-elle pas érigé le principe de la liberté d’instal-
lation comme l’un des piliers de la charte de la médecine libérale de 1927 ? Les communes
ne se sont-elles pas très inégalement saisies des prérogatives d’hygiène publique qui leur
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avaient été conférées par la loi de 1902, faisant de la santé publique une « utopie contra-
riée » (Murard, Zylberman, 1996) ? Les caisses primaires d’assurance maladie, organismes
de droit privé gérés par les partenaires sociaux, ne bénéficiaient-elles pas d’une forte auto-
nomie à l’égard des échelons supérieurs, tout comme les DDASS n’étaient point soumises
à la tutelle des DRASS 11 ? On multiplierait ainsi sans peine les exemples d’une édification
chaotique – empirique si l’on veut être moins sévère – de l’offre de soins française, en
tant que, justement, celle-ci était éminemment localiste. Et les mêmes de dénoncer avec
constance, à compter des années 1980, une « sous-administration » chronique de la santé
en France, laquelle serait responsable d’avoir laissé libre champ aux intérêts politiques,
professionnels, sociaux locaux (RFAP, 1987).
Fragmentation, morcellement, hétérogénéité, héritage « irrationnel » de l’Histoire,
cloisonnements, confusion des rôles et des compétences : autant d’obstacles à la rationali-
sation et à l’intégration – autre façon de dire la « mise en système » – du monde, considéré
comme anarchique, car trop local, de la santé.
De fait, c’est à compter de la fin des années 1970, dans les laboratoires de l’État, et
plus spécialement ceux du Commissariat général du Plan, que des hauts fonctionnaires
et des experts économistes vont élaborer de nouvelles catégories, de nouveaux raisonne-
ments, de nouveaux instruments pour dire et agir sur ce qui doit devenir, une fois qu’il sera
correctement « régulé » et organisé, un « système de santé » (Benamouzig, 2005 ; Pierru,
2007). Le mot « territoire » fait partie de ce nouveau lexique réformateur. L’un de ces sce-
narii tient particulièrement à cœur à la secrétaire générale du groupe de travail dédié à la
« régulation du système de santé » : celui de la décentralisation, mais il est refusé tant par
les hauts fonctionnaires de l’élite du Welfare (Genieys, Hassenteufel, 2001) que les élus
locaux qui préfèrent les facilités du jacobinisme apprivoisé (Grémion, 1976, 1980). Le

11. À cet égard, s’il y avait bien une administration en miettes, c’est bien celle du sanitaire et social
(Dupuy, Thoenig, 1985).

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schéma de la déconcentration sera privilégié, ce qui n’empêchera paradoxalement pas la


notion de « territoire » de prospérer dans les réformes ultérieures. Où l’on voit que c’est la
pensée de « système » des « esprits d’État » qui crée les « territoires » 12. Le « territoire » ce
n’est, en effet, pas le « local », c’est-à-dire un lieu doté d’une épaisseur sociale et historique,
caractérisé par un fonds anthropologique et religieux (ou, selon les endroits, anti-religieux)
(Le Bras, Todd, 2013), des équilibres politiques, bref un terroir. Il en est même l’antonyme,
car le « local » est alors identifié au désordre, sinon au chaos et à l’hétérogénéité, donc à
l’inflation des dépenses et aux inégalités. Le « territoire » est le résultat d’un investisse-
ment de forme dans les frontières duquel le « régulateur » se doterait des moyens humains,
matériels, experts, informationnels pour « réguler » et décloisonner l’offre de soins, sous
le regard vigilant des électeurs-contribuables.
Dix ans après la mise en place des ARS, et si l’on s’en tient à la feuille de route fixée
par la ministre de la santé d’alors, on ne peut que dresser un constat d’échec (Vigneron,
2020). Les inégalités sociales et géographiques devant la maladie et la mort, anciennes,
ne se sont pas résorbées. Pire, elles se sont creusées. Il existe toujours une France de la
surmortalité (selon un croissant qui se dessine depuis la Bretagne jusqu’à la Lorraine, très
marquée au nord des Hauts de France, avec un prolongement vers le Cantal en partant des
Ardennes), d’un côté, et, de l’autre, une France en bonne santé (allant de l’Île-de-France
et de la Basse-Normandie au Pays basque et se prolongeant vers le Sud méditerranéen et
la vallée du Rhône). Non seulement les inégalités géographiques de santé ont augmenté,
mais s’y sont ajoutées aussi des fragmentations plus locales selon le schéma général qui
oppose les centres (métropoles régionales) aux périphéries. Du point de vue de la hiérarchie
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sociale, il existe encore treize ans d’écart d’espérance de vie entre les plus aisés et les plus
modestes, le diplôme n’expliquant qu’une partie seulement de ces écarts (Insee Première,
2018). Les inégalités sociales de santé augmentent chez les femmes et semblent stables
chez les hommes. On assiste certes à une baisse différentielle de mortalité entre hommes
et femmes ; mais, globalement, les inégalités sociales de mortalité tendent à augmenter, les
groupes sociaux les moins favorisés profitant moins des gains d’espérance de vie que les
groupes les plus favorisés (Mackenbach et al., 2016, 2018). On peut toutefois faire crédit
aux gouvernements européens d’avoir évité la dynamique défavorable qu’ont connue les
États-Unis et neutralisé les conséquences de la « Grande Récession » ouverte en 2008 sur
l’état de santé (hors pays de l’Europe du Sud bien entendu, où la crise humanitaire a été le
résultat de politiques d’austérité drastiques (Basu, Stuckler, 2014)). Ce « gradient social
de santé » 13, élevé en France, n’est que pour une partie relativement modeste affecté par
l’accès aux soins (HCSP, 2009).
Les inégalités sociales et géographiques d’accès aux soins – là encore anciennes –,
auxquelles la population française est particulièrement sensible, ont tendance à se creuser.
Pour ne prendre que cet exemple, la fracture territoriale en matière de densité médicale
s’est aggravée et approfondie. Emmanuel Vigneron montre ainsi que sur 2 827 cantons,
91 étaient dépourvus de médecins en 2010, 148 le sont en 2017. Il poursuit : « seulement
306 cantons, soit 8 % seulement, ont vu leur densité médicale s’améliorer de 5 % et plus

12. Alain Faure et Emmanuel Négrier font d’ailleurs remarquer que la notion spécifiquement française de
« territoire » est mal balisée et ambiguë. Elle est en fait une invention de juristes qui, au moment de la Révolution
française, étaient « soucieux de sacraliser les rouages administratifs de l’État-nation en formation ». Cette notion
est passée, de façon non réflexive, dans les sciences sociales. Autrement dit, le « territoire » est une catégorie,
dès l’origine, issue des « esprits d’État » pour parler comme Pierre Bourdieu (Faure, Négrier, 2019). Pour sa
déclinaison en santé, lire Clavier, 2011.
13. Le gradient social de santé renvoie au fait, universel, que l’état de santé est fonction de la position
dans la hiérarchie sociale.

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agences régionales de santé : mission impossible 393

entre 2010 et 2017 ; 459, ou 12 %, l’ont vu demeurer assez semblable entre -5 % et +5 %


quelle que soit sa valeur initiale ; et 3 602, soit 80 % l’ont vu baisser, dont 1 108 (30 %) de
plus d’un tiers » (Vigneron, 2020, p. 396) 14. Une étude récente de la DREES confirme cette
dynamique de désertification médicale, malgré la multiplication des incitations financières
mise en scène par la rhétorique politique (Legendre, 2020), et dont l’inefficacité est pourtant
avérée par les chiffres précédemment cités.
Une fois encore, l’invocation désormais rituelle de la notion de « territoire » et du
principe de l’égalité en santé ne sert que de paravent rhétorique aux effets inégalitaires
de la dynamique de métropolisation : les médecins sont toujours plus concentrés, et, afin
de neutraliser la concurrence, ils se spécialisent de plus en plus ; la concurrence, à son
tour, a besoin d’économies d’échelle et d’agglomération… Au regard de ces déséquilibres
territoriaux accrus en matière de densité médicale, on peut comprendre que la « France
périphérique » soit si attachée à ses « hôpitaux et maternités de proximité », menacés par
la politique de restructuration. Il conviendrait d’ajouter à ce constat d’aggravation des
inégalités de santé et d’accès aux soins celui de l’inégalité devant la qualité des soins
(Cash, Kervasdoué, 2018)…
Si les ARS ont échoué à remplir la mission – ambitieuse – de réduction des inéga-
lités sociales et territoriales de santé d’accès aux soins, ont-elles contribué à l’atteinte de
l’objectif national de la maîtrise des dépenses publiques de santé ? Elles ont eu, en effet, à
gérer les conséquences au plan « territorial » d’un ONDAM de plus en plus tenu, au point
de devenir un quasi-budget fermé, et alors même que son taux d’évolution a été fixé à un
niveau historiquement bas depuis 2011.
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Graphique no 1. Niveaux et dépassements de l’ONDAM depuis 2004

Note de lecture : en abscisses figure le niveau de dépenses constaté en milliards d’euro et en ordonnées le taux
d’évolution associé ; la taille de la bulle représente l’ampleur du dépassement (en rouge) ou de la sous-exécution
(en vert). Ainsi, en 2016, les dépenses totales dans le champ de l’ONDAM (cf. graphique 1) ont atteint 185,1 Md€,
soit une évolution à périmètre constant de 1,8 %.

14. C’est nous qui soulignons.

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394 frédéric pierru

Cette contrainte budgétaire croissante a fini cependant par se payer de la fragilisation


croissante de la légitimité de ces nouvelles entités bureaucratiques. Les élus locaux avaient
eu une attitude ambivalente : ils s’étaient, dans un premier temps, satisfaits d’une reprise
en main par l’État sanitaire central en s’autorisant à négocier à la marge des aménagements
et des passe-droits selon le schéma du jacobinisme apprivoisé ; mais, dans le même temps,
ils voyaient le renforcement de l’administration déconcentrée d’un mauvais œil. Ils sont
désormais interpellés par leurs électeurs et font logiquement des ARS des boucs émissaires
bien commodes. Nous allons voir que les notions de « santé » et de « territoires » font l’objet
d’économies morales concurrentes entre Paris et les métropoles régionales d’une part, la
« France périphérique » des villes moyennes et des zones rurales d’autre part. En définitive,
l’État de consolidation, fortement contesté, tend à renouer, certainement à grands regrets,
avec les arrangements locaux décrits dans les années 1970 par les sociologues du Centre
de sociologie des organisations et que déplorait, en 1987, Jean de Kervasdoué dans cette
revue (Kervasdoué, 1987).

QUAND L’ÉTAT DE CONSOLIDATION BUTE


SUR LA « CITOYENNETÉ BIOLOGIQUE » 15

Le débat ne se résume pas seulement à des questions d’ingénierie administrative, visant


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à trouver un meilleur équilibre entre le centre politique et la périphérie (les « territoires »),
via des dispositifs ad hoc comme le (très modeste) fonds d’intervention régionale. Il
renvoie à la question cruciale de la place et du rôle du politique, donc de la démocratie et
de ses publics, dans les politiques publiques de santé. Comme le souligne Édouard Couty
dans ce numéro de la Revue, il n’existe que trois instruments de régulation en santé : la
planification, la tarification, la qualité. A priori, la planification est plus favorable à la
démocratisation des politiques de santé que les deux autres instruments qui peuvent être
monopolisés par les « experts » lato sensu (haute fonction publique, élite médicale, éco-
nomistes, statisticiens, etc.). Or un tel débat a été posé dès l’émergence de l’État social
moderne, au début du xxe siècle.
Barbara Stiegler a récemment clarifié les termes de ce débat en faisant l’archéologie
du Dewey-Lippman debate, sur fond d’échec de l’utopie libérale classique et d’émergence
des idées néo-libérales (Stiegler, 2019). La question de la vie biologique est au cœur de
cette controverse politico-philosophique contemporaine du néo-libéralisme naissant, ce
qui retient d’autant plus notre attention. Dewey et Lippman s’accordent pour dire que les
politiques de santé et d’éducation sont cruciales pour permettre à « l’espèce humaine » – les
deux intellectuels se revendiquent de l’héritage darwinien – de s’adapter à l’accélération
des flux de la « Grande Société » (l’ancêtre de la « globalisation »). Mais ils s’opposent sur
les modalités de ces politiques. Le grand philosophe pragmatiste Dewey, confiant dans la
nature humaine, défend une conception de l’action sociale (ou publique) dans laquelle des
publics feraient constamment des enquêtes ou des expérimentations démocratiques visant
à adapter – dans une interaction permanente, une dynamique itérative – les habitudes à un
environnement changeant. Il plaide alors pour une planification démocratique et décen-
tralisée (à rebours de celle du New Deal et, a fortiori, de celle de l’URSS) qui permette de

15. La notion de « citoyenneté biologique » est avancée par Fassin, 2018.

Revue française d’administration publique no 174, 2020, p. 385-404


agences régionales de santé : mission impossible 395

donner libre cours à la créativité des individus composant ces publics. Dans ces conditions
et dans cette conception ambitieuse de la démocratie, l’État et ses institutions (l’État étant
une organisation qui équipe les publics de représentants officiels) doivent être sans cesse
à repenser et à reconstruire, sous peine de devenir à leur tour des « stases » bloquant le
processus évolutif (Dewey, 2015, p. 108). Son rival, le publiciste Walter Lippman, tire
des conclusions opposées qui seront au fondement du mouvement néolibéral lancé par le
fameux colloque qui porte son nom (Denord, 2007 ; Audier, 2012). Pour lui, en effet, les
« publics » de Dewey sont des « fantômes » (Lippman, 2008) : il n’existerait que des masses
passives, composées d’individus atomisés et focalisés sur la poursuite de leurs intérêts
égoïstes (consommation, production, reproduction). Partant, il promeut une conception
déflationniste du politique et de la démocratie : la définition des politiques publiques
doit être le monopole des « experts » dont la finalité est de changer les stéréotypes et les
« stases » des simples citoyens, au moyen d’une pédagogie et de dispositifs incitatifs adaptés
(l’ancêtre des « nudges » si l’on veut 16).
L’État de consolidation budgétaire est incontestablement d’inspiration lippmanienne
par sa volonté de mettre à distance, voire de neutraliser, tout intérêt susceptible de contrarier
« l’ordre de la dette » (Lemoine, 2016) 17. On rejoint ici les analyses de Todd, fortement
inspirées par le Marx du 18 Brumaire de Napoléon Bonaparte : plus la « société civile » et
l’économie s’affaiblissent, plus l’État se renforce, mais dans un sens autoritaire. Toutefois,
État de consolidation budgétaire et néo-libéralisme s’opposent sur les objectifs : le premier
exige notamment des coupes dans les dépenses publiques de santé et d’éducation de façon
à conserver sa crédibilité vis-à-vis de ses créanciers étrangers, alors que le second exige
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au contraire des investissements dans l’éducation et la santé. De plus, du fait de l’emprise
de la « raison humanitaire » (Fassin, 2010), il lui est très difficile de réaliser des économies
budgétaires dans le système de santé. Il s’agit d’une source majeure d’incohérence de la
gouvernementalité contemporaine.
Plus précisément, la biopolitique disciplinaire lippmanienne, élaborées sur les hauteurs
de l’État, est plutôt une démopolitique, corrige Didier Fassin, en tant qu’elle prend pour
objet non les vies biographiques singulières vécues, mais des populations (Fassin, 2018).
La « santé » y est alors conçu comme un secteur d’action publique autonome, c’est-à-dire
« un découpage du réel à travers lequel va être identifié et “formaté” la substance des pro-
blèmes à traiter ou la nature des populations concernées », mais aussi « une structuration
verticale de rôles sociaux avec ses règles de fonctionnement, d’élaboration de normes et
de valeurs spécifiques, de sélection des élites et de délimitation des frontières » (Muller,
2019, p. 570). Le secteur est donc indissociablement cognitif, institutionnel et normatif.
Il est une construction politique, donc historique, même si son institutionnalisation en a
fait oublier la genèse étatique et l’arbitraire des limites. En l’espèce, la création des ARS
a autonomisé l’administration de la « santé » de celle du « social », catégorie fourre-tout
ristournée aux fort peu cohérentes directions régionales de la jeunesse, des sports et de la
cohésion sociale (DRJSCS), alors que les épidémiologistes ont montré que cette catégorie
de « social » recouvre nombre des déterminants sociaux de la santé qui expliquent, à hauteur
de 80 %, le gradient social de santé d’une population donnée… Au cours de notre enquête,

16. Cf. Bergeron et al., 2018.


17. Benjamin Lemoine reconstitue précisément comment ont été politiquement construits le financement
de la dette publique par le recours exclusif aux marchés financiers, donc leur discipline, et, partant, le problème
public de la dette. Il dénaturalise, comme le fait classiquement la socio-histoire, les catégories de l’action publique
(Payre, Pollet, 2013).

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396 frédéric pierru

nous avons rencontré de nombreux fonctionnaires qui déploraient que la création des ARS
ait rompu la synergie avec les autres pans des politiques sociales.
De surcroît, la pratique quotidienne du gouvernement à distance par des abstractions
chiffrées caractéristique du New Public Management – on pense ici, par exemple, à l’indi-
cateur des taux de marge brute des établissements de santé fort utilisé par les ARS – tend
à renforcer les effets de l’approfondissement de la division du travail bureaucratique quant
à l’amnésie de l’arbitraire, cognitif et institutionnel, de tout secteur d’action publique. De
même, il tend à faire perdre de vue, par celles et ceux qui élaborent les politiques publiques,
les conséquences de ces dernières sur la vie des gouvernés. Ce constat, critique, n’est pas
seulement celui des sciences sociales.
Il est aussi partagé par un inspecteur des finances, soit un membre éminent de cette élite
« stato-financière » pointée du doigt par Emmanuel Todd : « Il y a lieu enfin de constater,
et c’est un point crucial, que ces questions [les contacts entre services publics et usagers]
intéressent peu la haute fonction publique, à quelques exceptions près. La matière est
implicitement considérée comme pas “noble” et abandonnée trop souvent à la hiérarchie
intermédiaire. Il est beaucoup plus gratifiant et utile pour faire carrière d’élaborer un
projet de loi ou de participer à la définition d’une nouvelle politique. […] En outre, les
hauts fonctionnaires qui ne sont guère formés à ces questions ne sont qu’épisodiquement
confrontés “physiquement” aux situations qu’elles engendrent : combien d’entre eux ont
pris le temps d’examiner de près le fonctionnement de l’accueil dans une préfecture ou
dans une agence, ou même de vérifier l’accessibilité d’un site internet et la lisibilité des
documents adressés aux usagers ? Il y a là un exemple concret de fracture entre l’élite
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administrative et les citoyens de base » (Saint-Pulgent, 2019, p. 176).
Or, lorsqu’on passe des sommets de l’État aux vies biographiques vécues, le tracé
des frontières du « secteur de la santé » se brouillent. L’abstraction des frontières des
secteurs d’action publique et des statistiques épidémiologiques et démographiques, qui
considèrent principalement la vie biologique (espérance de vie, etc.), se confronte alors
à la vie biographique des individus. Partant, on change d’économie morale au sens où
celle-ci lie étroitement, dans un espace donné, valeurs, normes et affects, définissant des
seuils du faisable et du tolérable à propos de la vie et de la santé 18. L’échelon local est, en
effet, celui des politiques de la vie (Fassin, 2010). Les protestations et les indignations des
professionnels de la santé, des travailleurs sociaux, des élus locaux, des médecins inspec-
teurs de santé publique ou des inspecteurs des affaires sanitaires et sociales, lesquels tous
sont aux prises avec la vie, nue et sociale, biologique et biographique, traduisent que, pour
eux, la santé n’a pas le même sens que pour les élites politiques et technocratiques. De
nombreux entretiens menés dans les ARS ont souligné le dépit de professionnels de santé
publique confrontés à la perte de synergie avec les autres politiques publiques. En effet,
à leur niveau, la « santé » est inséparable du « social », du « culturel », de l’« éducatif », de
l’emploi, du logement, autant de dimensions qui s’intriquent dans des biographies indi-
viduelles et dont la quantité et la qualité de vie ne sont que les conséquences. Le sens du
signifiant « santé » varie donc selon l’espace politique et son économie morale spécifique.
Deux exemples très différents, mais que nous pensons hautement symptomatiques,
une polémique politico-littéraire et la crise des « gilets jaunes », illustreront ces tensions
entre économies morales dont la vie est l’enjeu.

18. Conduisant ce dernier à répondre par un tweet vengeur « Par économie morale, j’entends la production,
la circulation, l’appropriation et la contestation de valeurs autour d’un objet, d’un problème ou plus largement
d’un fait social – en l’occurrence la vie. » (Fassin, 2018).

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agences régionales de santé : mission impossible 397

En 2018, l’écrivain Édouard Louis fait paraître un court roman autobiographique,


intitulé, de façon polémique, Qui a tué mon père (Louis, 2018). Dans cet ouvrage, l’écri-
vain s’efforce de reconstituer l’engrenage des décisions et mécanismes politiques qui
ont conduit à la déchéance physique, sociale et morale de son père. Son propos, partant
de la biographie de son père, saisie par le prisme de la déchéance physique, monte en
généralité pour repolitiser des choix politiques dont les artisans ne verraient, selon lui,
jamais les conséquences sur les vies concrètes : « Si l’on considère la politique comme
le gouvernement de vivants par d’autres vivants, et l’existence des individus à l’intérieur
d’une communauté qu’ils n’ont pas choisie, alors, la politique, c’est la distinction entre
des populations à la vie soutenue, encouragée et protégée, et des populations exposées à
la mort, à la persécution, au meurtre » (Louis, 2018, p. 75). Cette affirmation est d’ailleurs
au cœur des réflexions de Didier Fassin sur la tension entre « l’éthique de la vie » qui
fait de cette dernière un bien suprême et la réalité contraire des « politiques de la vie »,
celles des vies inégales sur les plans quantitatif et qualitatif. Force est de constater que
l’écrivain a fait mouche en politisant la question sociale par le prisme de l’égalité des
vies puisque le haut fonctionnaire Martin Hirsch, inventeur du RSA, nommément mis en
cause par l’écrivain, a finalement décidé, après avoir hésité, de lui répondre par un roman
intitulé ironiquement Comment j’ai tué son père (Hirsch, 2019). Ce livre utilise un double
registre : technocratique, pour souligner les invraisemblances des affirmations de l’écri-
vain, et ironique, puisque Martin Hirsch endosse le rôle du tueur à gages stipendié par
Édouard Louis afin de tuer son père. Du reste, l’interpellation politique des décideurs ne
s’est pas arrêtée là puisque le cabinet de la Présidence de la République s’est réclamé du
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roman d’Édouard Louis pour justifier ses propres orientations 19. Il y aurait beaucoup plus
à dire sur cette polémique politico-littéraire, mais elle souligne combien la protection de
la vie, question devenue incontournable, est non seulement l’objet d’économies morales
concurrentes entre gouvernants et gouvernés. La vie est désormais le levier privilégié de
politisation de la souffrance et des inégalités sociales, Didier Fassin y voyant même une
dynamique de « sanitarisation du social » (Fassin, 1998) 20.
On peut en tirer une autre leçon : tout se passe donc comme si, en période de vide
intellectuel et religieux, l’interpellation du politique et de ses choix par l’éthique de la vie
ne pouvait rester lettre morte et appelait immédiatement une réponse, même symbolique
de la part des gouvernants, dans le cadre du tournant individuel de l’individualisme
contemporain (Ehrenberg, 2010 ; Dejours, 2000).
Venons-en au deuxième exemple. La « santé » et l’inégalité des vies étaient aussi au
cœur des revendications des « gilets jaunes ». Cette mobilisation inédite, qui a débouché
sur une crise sociale et politique majeure en décembre 2018, a d’ailleurs fait l’objet d’une

19. Ce qui a suscité la réaction d’Édouard Louis : « Mon livre s’insurge contre ce que vous êtes et ce
que vous faites. Abstenez-vous d’essayer de m’utiliser pour masquer la violence que vous incarnez et exercez.
J’écris pour vous faire honte. J’écris pour donner des armes à celles et ceux qui vous combattent ». Tweet en
date du 6 juin 2018.
20. Le cinéma dit « social » n’est pas en reste. L’issue dramatique du film En guerre (2018) du réalisateur
Stéphane Brizé, dans lequel le héros, syndicaliste en pointe de la lutte ouvrière, finit par s’immoler par le feu
devant le siège allemand du groupe ayant décidé, pour des raisons financières imposées par les actionnaires
américains, de la fermeture de son usine est une mise au travail cinématographique des affects dont les politiques
de la vie sont saturées. Voir aussi le film, Palme d’or à Cannes, du réalisateur britannique Ken Loach, I Daniel
Blake (2016), dont le héros, chômeur malmené par les absurdités bureaucratiques du Job Center, meurt d’une
crise cardiaque dans les toilettes peu avant une audition par les fonctionnaires chargés de décider s’il a droit à
la retraite anticipée ou non. D’une façon générale, il s’agit toujours de (re) politiser les politiques économiques
et sociales en en exhibant les conséquences délétères sur les corps et les vies, saisies dans leur dimension bio-
logique et biographique.

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analyse éclairante en termes d’économie morale par le politiste Samuel Hayat (Hayat, 2018).
Mais cette fois, le Gouvernement a adopté la stratégie de l’esquive. En effet, les thèmes
du « Grand Débat », visant à désamorcer cette crise sociale, étaient au nombre de trois : le
transport, le logement et la transition écologique. Or, une récente note du Conseil d’analyse
économique (CAE) remarque que « si les évolutions économiques jouent un rôle important,
c’est également le cas des pertes d’équipement, notamment de commerces alimentaires.
[…] La fermeture des équipements de santé, dont les maternités et les services d’urgence,
conduit à un résultat similaire ». Et les économistes de constater : « c’est la disparition
d’équipements de santé et de commerces de proximité qui apparaît comme la variable la
plus corrélée au mécontentement, même si ce type d’évènement est assez rare » (Algan et
al., 2020a, p. 8 ; Algan et al., 2020b, chapitre 7). À cet égard, les « déserts médicaux » et
les menaces planant sur les « hôpitaux de proximité » dans le cadre de la politique – non
évaluée – des groupements hospitaliers de territoire (GHT) sont les emblèmes privilégiés
d’une dynamique de métropolisation (Vermeuren, 2019a, 2019b) qui laisse sur le bas-côté
la « France périphérique ». Les travaux du géographe Geoffrey Pion confortent ces conclu-
sions : la carte de l’évolution du nombre de commerces et de services de proximité (dont
les médecins) met en évidence que la crise de la « France des tempêtes », pour reprendre
les termes de Todd, c’est-à-dire le Nord-Est et le bassin méditerranéen, est en train de se
propager à la « France abritée », celle de l’Ouest, épargnant bien entendu les métropoles.
C’est la raison pour laquelle le mouvement des « gilets jaunes » s’est réparti assez unifor-
mément sur le territoire (Todd, 2020).
Ces inégalités connaissent un fort écho dans la presse, car, comme l’a montré Dominique
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Marchetti, l’on a assisté à compter des années 1980 à la démédicalisation relative du journa-
lisme de santé au profit d’un journalisme d’expertise critique qui recode ces questions dans
les termes économiques, politiques voire moraux (avec la multiplication des « scandales »
et « affaires » sanitaires par exemple) (Marchetti, 2010). On ne compte plus, en effet, les
Unes de journaux et magazines qui font leurs unes avec des études montrant l’inégale
répartition territoriale des médecins, avec des mobilisations pour la défense de tel ou tel
hôpital de proximité, sans parler des fameux « palmarès des hôpitaux », etc.
Il y a plus : le recul de l’accès aux soins sert de levier à la dénonciation de politiques
fiscales jugées injustes. Le politiste Alexis Spire, contestant l’interprétation politico-média-
tique de « jacquerie fiscale » à propos des « gilets jaunes », constate que « c’est tout le rapport
à l’État et aux services publics qui est aujourd’hui grippé […] L’une des raisons est que
les contribuables du bas de l’échelle ne voient plus la contrepartie de ce qu’ils payent. Il
n’est pas surprenant que le mouvement ait pris dans les zones rurales ou les petites villes
moyennes : ce sont ces territoires qui ont pâti du recul et de la dégradation des services
publics depuis dix ans » (Spire, 2019, 2018).

CONCLUSION : LES ARS À L’ÉPREUVE DE LA CRISE DU COVID-19

Dans ce contexte social, économique et politique très tendu, que peuvent faire les ARS ?
Mettre en œuvre une politique nationale de réduction des inégalités sociales et territoriales
de santé et d’accès aux soins n’est pas la priorité de l’État de consolidation budgétaire. Pour
atteindre cet objectif de santé publique, très valorisé dans la rhétorique politique, elles ne
disposent que de peu de leviers. La médecine de ville continue sa dérégulation – déséquilibres
territoriaux de densité médicale, banalisation des dépassements d’honoraires – avec le jeu

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politique complexe des relations entre la Caisse nationale d’assurance maladie, l’État et les
syndicats de médecins libéraux. Les effets pervers de ce « gaspillage négocié » conduisent
au report de la demande de soins de la France des « gilets jaunes » sur l’hôpital public
que Bercy met, au même moment, au régime sec. Comme souvent en santé, le discours
politique invoque des dynamiques inverses à celles observables 21 : le virage ambulatoire
est un virage hospitalier (Bras, 2016) 22. La crise se propage donc aux services d’urgence
puis à l’ensemble de l’hôpital public. Le médico-social reste confronté à la pénurie dont
s’accusent mutuellement l’État et les collectivités territoriales. La psychiatrie publique
s’enfonce dans la crise et nombre de malades se retrouvent… dans les services d’urgence
quand ils décompensent (Fauquette, Pierru, 2020). Quant à la prévention, entendue au
sens de l’action sur les déterminants sociaux de la santé, les ARS n’ont quasiment aucun
moyen d’action, au-delà de la proclamation d’objectifs aussi généreux que nombreux et
le saupoudrage de moyens financiers… des plus limités.
Prises dans des contradictions intenables – territorialiser des politiques de santé dont
les orientations et instruments sont définis nationalement, résorber les inégalités d’accès
aux soins sans en avoir les compétences, les leviers, les moyens financiers et humains
(lesquels sont en réduction), réduire le « gradient social de santé » sans pouvoir agir sur ses
déterminants sociaux, contrer les conséquences néfastes de la polarisation territoriale selon
le schéma centre-périphérie, etc. –, les agences régionales de santé étaient condamnées à
l’échec et, partant, à être les victimes des stratégies d’évitement des blâmes politiques (blame
avoidance). Les politistes, à la suite de Kent Weaver (Weaver, 1986), désignent par ce terme
les tactiques employées par les gouvernants pour gérer les risques de sanction d’électeurs,
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lesquels présentent selon la psychologie sociale un « penchant négatif » (negativity bias),
c’est-à-dire qu’ils sont plus enclins à rejeter les pertes subies à court terme qu’à recon-
naître les gains potentiels à moyen terme. Parmi les huit stratégies identifiées par Weaver,
au moins trois sont ici très utiles : limiter l’apparition de certaines questions à l’agenda
politique (on a vu que le « Grand Débat » n’avait pas retenu les services de santé comme
thématique, alors qu’il s’agit d’une préoccupation majeure de la population et des « gilets
jaunes »), l’invocation du passif des gouvernements antérieurs, mais aussi le report de la
responsabilité (blame shifting) sur des entités censément indépendantes pouvant servir de
boucs émissaires. C’est ici que la qualification abusive d’agence s’avère particulièrement
utile. Les ARS sont désormais prises à partie par les élus locaux protestant contre les
déserts médicaux et la fermeture des maternités de proximité, sujets très sensibles pour
leurs concitoyens et électeurs. Comme nous l’a confié un haut cadre d’une ARS, « on est
une agence quand ça arrange le ministère ».
Dénoncées comme « déconnectées du terrain » – mais c’est pour cela qu’elles ont été
conçues : autonomiser l’État central des jeux politiques locaux et mettre fin au jacobinisme
apprivoisé –, certaines décisions de directeur général d’ARS finissent par être désavouées
par… la Présidence de la République elle-même 23, se faisant pour l’occasion le porte-
parole du mécontentement des élus locaux dont elle cherche à regagner la confiance après
la crise des « gilets jaunes ». Des députés ont récemment déposé un amendement visant

21. Voir la contribution de Jean de Kervasdoué à ce numéro.


22. Pierre-Louis Bras, « Un virage ambulatoire incantatoire », Les Tribunes de la santé, no 50, 2016, p. 67-91.
23. « Jean-François Dardenne, après un échange avec le Président, a lui-même raconté la scène : « Lors
de ce débat, quand j’ai évoqué la fermeture de la maternité de Creil, j’ai été étonné, le Président m’a répondu du
tac au tac, expliquant qu’effectivement l’agence régionale de santé était parfois trop éloignée des préoccupations
des habitants et qu’il demandait au préfet de l’Oise de bien vouloir reprendre le dossier, réunir les parties, afin
de trouver une solution consensuelle. » (Favereau, 2019).

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leur suppression. Des réflexions administratives ont été engagées pour les réformer alors
qu’elles ont seulement dix ans d’existence et qu’elles ont dû gérer entre-temps les consé-
quences de la réforme des « grandes régions » (Favereau, 2019). De nombreux membres de
la préfectorale, qui n’avaient pas bien vécu d’être dépossédés des compétences en matière
sanitaire, rêvent de prendre leur revanche.
La crise du Covid-19 a aiguisé les appétits de la préfectorale, qui s’appuie sur les nom-
breuses et intenses récriminations des élus locaux à l’encontre de la gestion de la pandémie.
Les déclarations fracassantes de l’ancien conseiller de Marisol Touraine et directeur général
de l’ARS du Grand Est, soit le principal foyer épidémique français – déclarant, avec force
communication, son projet de fermetures de lits au CHRU de Nancy dans le temps même
où les hôpitaux de la région étaient saturés –, n’ont guère contribué à apaiser les relations
entre les ARS et les élus locaux. Son limogeage immédiat a montré que l’exécutif était
désormais porté à faire de celles-ci des fusibles.
Au Sénat, dans la perspective de l’adoption du projet de loi « décentralisation, dif-
férenciation et déconcentration » (3D), certains élus en appellent à la « décentralisation
du système de santé », rouvrant ainsi le débat que l’on croyait clos dans les années 1980.
D’autres plaident pour davantage de déconcentration au niveau du département, option qui
a les faveurs du pouvoir actuel. À la suite du « Ségur de la santé » et du discours de politique
générale du nouveau Premier ministre, M. Jean Castex, souhaitant renouer le lien entre
l’État central et les « territoires », il a été annoncé par le ministre de la santé que l’échelon
départemental des ARS serait renforcé. Les « excès de la loi HPST » devraient ainsi être
selon le ministre « corrigés » : « un maire doit se sentir chez lui quand il franchit les portes
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d’une ARS », a-t-il déclaré le 21 juillet 2020. Les ARS ont donc été reconduites, même si
la fronde des élus locaux a conduit le Gouvernement à rompre avec la philosophie de 2009
et à renouer avec l’État territorial traditionnel. Sorti par la porte, le politique est rentré par
la fenêtre, pour se faire à nouveau ouvrir la porte. Ou, pour le dire plus scientifiquement,
la « régulation croisée » caractéristique du schéma préfectoral a regagné, à la faveur de la
crise du Covid-19, le terrain perdu en 2009.
Pour autant le problème reste entier : même bien dotées, pourvues de véritables
marges de manœuvre, notamment budgétaires, pour mener des politiques véritablement
« territoriales », les ARS resteraient quand même sous tension tant l’accomplissement de
leurs ambitieuses missions est structurellement impossible ; impossibilité à la mesure de
ce que la vie et la « santé » représentent dans une société française de plus en plus clivée
socialement et territorialement. Il y a fort à parier que les ARS seront tôt ou tard à nouveau
sur la sellette.

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