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conditionnel des pouvoirs publics et à une marchandisation du
secteur.
Du point de vue du statut juridique, les organisations qui mènent des activités
économiques sans se définir comme des entreprises commerciales et en
poursuivant des missions d’utilité publique sont très répandues en Allemagne
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(Birkhölzer, 2015). L’organisation représentant les coopératives recense ainsi
5 600 entités qui totalisent 20 millions de membres dont, par exemple, les
locataires de 2 000 coopératives d’habitation (Wohnungsbaugenossenschaften).
Elle accueille également quelques coopératives « alternatives » d’un genre
nouveau, telles 800 coopératives énergétiques. Mais si l’on retient le nombre
d’actifs et le pouvoir de ces organisations, alors ce sont 580 000 associations qui
forment le cœur de l’économie sociale et solidaire, dont 100 000 ont un caractère
entrepreneurial et 10 000 sont des sociétés d’utilité publique à responsabilité
limitée (gemeinnützige Gesellschaft mit beschränkter Haftung ou GmbH).
Ces dernières emploient 2,3 millions de personnes, dont 1,5 million pour le seul
champ de la santé et des affaires sociales (salariés assujettis à la sécurité sociale,
fréquemment employés à temps partiel). On parle en général à leur propos en
Allemagne de Wohlfahrtsverbände (associations de bienfaisance), qui forment
des réseaux d’institutions indépendantes opérant la plupart du temps à l’échelon
local. Beaucoup d’entre elles ont aujourd’hui adopté la forme juridique de société
d’utilité publique à responsabilité limitée et sont contrôlées par un conseil de
surveillance composé de bénévoles.
Les projets déclarés d’économie solidaire dans les débats français (par exemple
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les « régies des quartiers » ou « entreprises d’insertion ») ne se distinguent pas
non plus foncièrement de leurs homologues allemands. Dans les deux pays,
ces projets dépendent largement des politiques publiques. Plus généralement,
la masse de leurs actifs est employée par des structures qui effectuent, au titre
d’association gestionnaire, des prestations financées par l’État, par la « Sécu » ou
par des avantages fiscaux. Des projets récents, tels que des crèches autogérées,
s’insèrent également dans ce paysage. Leur organisation se distingue parfois
entre les deux pays : en matière d’aide à domicile aux personnes âgées, par
exemple, en Allemagne bénévoles et professionnels sont depuis longtemps
dissociés tandis que cette séparation fonctionnelle semble moins marquée en
France (Bode et Streicher, 2014).
Les débats récents évoquent de plus en plus souvent des projets relevant du
« social business ». Il s’agit d’entrepreneurs dont les idées et activités commerciales
visent à réaliser des profits qui sont réinvestis dans des missions d’utilité publique
(Schwarz, 2014). Leur approche s’apparente à celle des fondations et associations
caritatives des pays anglo-saxons ou des social enterprises qui y prennent une
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Les dynamiques institutionnelles récentes et leurs effets
Par le passé, l’économie sociale et solidaire allemande s’est développée
massivement grâce à un partenariat avec les pouvoirs publics, en tout cas pour
ce qui concerne le cœur du secteur, c’est-à-dire les organisations non lucratives
intervenant dans le médico-social ou le champ d’insertion professionnelle.
Elle devait sa capacité d’action à la fois à son indépendance opérationnelle et
à la prise en compte des intérêts de la société civile ou de groupes sociaux
particuliers, ce qui entraînait un certain pluralisme idéologique dans le secteur
en question. L’État faisait directement intervenir les organisations d’utilité
publique pour fournir des prestations que ne proposait pas le secteur marchand.
Les marges de manœuvre de ces organisations en ce qui concerne la réalisation
des programmes, l’élaboration conceptuelle ou la défense des intérêts (par
exemple, comme avocat des populations défavorisées) étaient réelles, mais aussi
contraintes à plusieurs égards. Les associations confessionnelles ont longtemps
été au cœur de cet arrangement qui a favorisé leurs particularismes traditionnels.
Il en va de même pour une fédération d’associations de bienfaisance liée au
mouvement ouvrier, créée durant les années 1920. Or, d’autres milieux ont
eu progressivement accès à cet arrangement. Les foyers d’accueil de femmes
battues ou les services d’aide contre le sida dans les années 1970 et 1980 en sont
de bons exemples. Les initiatives d’économie solidaire formant l’épine dorsale
des politiques d’insertion grâce à leurs activités innovantes (par exemple dans le
secteur du recyclage) ont également été incluses dans cet arrangement, bien que
le soutien des pouvoirs publics fût dans ce cas moins prégnant.
l’aide en faveur de leurs publics cibles. Ainsi, leur action n’était pas uniquement
jugée à l’aune de leurs coûts ou, pour les programmes publics de soutien à
l’emploi, de sa productivité mesurable pour diverses catégories d’actifs. En outre,
des mécanismes de consultation politique se mettaient en place lorsque les fonds
prévus se révélaient insuffisants, afin de modifier les objectifs ou d’augmenter
l’apport de ressources, prélevées dans d’autres secteurs de la société (la plupart du
temps par le biais du système fiscal et redistributif).
Si, en France, les relations partenariales [entre
Comme dans d’autres pays, l’État et les organisations de l’ESS – NDLR] étaient
la tendance est (…) à la moins denses, l’arrangement ne se différenciait pas
marchandisation de fondamentalement de celui à l’œuvre en Allemagne
l’économie sociale (…). ou dans de nombreux autres pays européens, ainsi
qu’en attestent les attributions de la Fédération
des acteurs de la solidarité (Fnars)(2), des services
d’aide aux personnes âgées par le réseau ADMR(3) ou des organisations d’aide
aux handicapés (Bode, 2010).
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Ces deux dernières décennies, ce « modèle de partenariat » s’est toutefois
retrouvé sous pression dans les deux pays. Certaines évolutions réglementaires,
tout d’abord, ont réduit le degré d’autonomie de l’économie sociale et solidaire
(Bode, 2014). La cause en est un désengagement public multidimensionnel,
mené au nom du New Public Management (Nouvelle gestion publique) : les
subventions sont de moins en moins liées aux coûts effectifs des prestations
fournies ; les organismes de tutelle et les organisations de l’économie sociale
signent des conventions pour une durée déterminée, fondées sur des objectifs
détaillés et souvent chiffrés ; les concurrents issus du secteur marchand sont
admis et les missions sont parfois soumises à des appels d’offres. Comme dans
d’autres pays, la tendance est donc à la marchandisation de l’économie sociale
(voir Bode et Champetier 2012, sur l’aide aux personnes âgées).
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d’être social et solidaire le devient de moins en moins.
***
De ce point de vue, les discours français sur les potentiels de l’économie sociale
et solidaire ne semblent pas véritablement en adéquation avec les évolutions
au plan international. Une perspective plus réaliste s’impose. À certains égards,
la situation en Allemagne et en France se rapproche du modèle anglo-saxon.
Une bonne part des acteurs politiques et associatifs présument – à tort, après
tout – que les organisations d’utilité publique peuvent garantir elles-mêmes
leur viabilité économique, qu’elles peuvent fonctionner dans les conditions de
la libre concurrence comme n’importe quel acteur de marché, en tirant leurs
ressources des ventes mais aussi de la mobilisation du volontariat (bénévolat,
dons). De nombreuses organisations s’apparentent pourtant de plus en plus à des
entreprises commerciales (Maier et al., 2016) et sont donc moins sociales. Seule
une refondation du partenariat entre ces organisations et un État respectueux des
Notes
1 – Cette mesure de l’efficacité est menée par un recours systématisé à l’évaluation, notamment
d’impact. Pourtant, des influences externes sur la performance des structures, ainsi que les effets
immesurables de leurs activités, souvent échappent à ce type d’évaluation.
2 – Depuis 2016, l’acronyme Fnars désigne la Fédération des acteurs de la solidarité, anciennement
Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (NDLR).
3 – Anciennement « Aide à domicile en milieu rural », l’ADMR est un réseau associatif de services à
la personne qui intervient dans quatre domaines : autonomie (surtout des personnes âgées), services
de confort à domicile, famille et santé. Il est constitué de 2 900 associations locales autonomes
(NDLR).
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Bibliographie
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■■Bode I. et Streicher F., 2014, Régulations publiques territoriales et quasi-marché. L’or‑
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états. Rationalisations, épreuves et réactions de l’intervention sociale, Paris, L’Harmattan,
p. 119-140.
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mique. État des difficultés, Paris, Deloitte Conseil.