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JURIDIQUE
Jonas Knetsch
2014/1 | pages 32 à 43
ISSN 0035-2985
DOI 10.3917/rfas.141.0032
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2014-1-page-32.htm
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Jonas Knetsch*
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Expliquer le rôle de la solidarité nationale dans le domaine politique se heurte
d’emblée à la complexité sémantique de sa première composante, l’expression
de « solidarité ». L’ambiguïté de cette notion tient essentiellement à la pluralité
d’acceptions qui résulte des différents emplois qui en ont été faits au fil des siècles
(Bigot, 2002). Initialement, la notion de solidarité est utilisée exclusivement dans
un sens juridique. Le droit romain connaissait, en effet, l’existence d’obligations
« corréales » qui pesaient sur une pluralité de débiteurs et dont la principale fonc-
tion était de fournir une garantie au co-contractant. Au Moyen Âge et sous l’ancien
droit, ce terme a laissé place aux expressions d’« obligations in solidum » ou de
1. Alinéa 12 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La Nation proclame la solidarité et l’égalité
de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales. » Ce préambule, auquel renvoie
l’actuelle Constitution de 1958, fait partie intégrante des normes à valeur constitutionnelle, dénommées « bloc
de constitutionnalité ».
2. Article 1200 du Code civil : « Il y a solidarité de la part des débiteurs, lorsqu’ils sont obligés à une même
chose, de manière que chacun puisse être contraint pour la totalité, et que le paiement fait par un seul libère
les autres envers le créancier. »
3. Rappelons que Léon Bourgeois, après avoir commencé sa carrière comme haut fonctionnaire dans le corps
préfectoral, occupa plusieurs portefeuilles ministériels avant d’être nommé en 1919 président de la Société des
Nations, ce qui lui valut le prix Nobel de la paix en 1920.
C’est dans un contexte marqué par un sentiment national accru et par des mou-
vements nationalistes aux aspirations politiques diverses que va émerger, dans les
dernières années du xixe siècle, la notion de « solidarité nationale ». À cette époque,
le sentiment national commence à se confondre avec l’idée de la République dont
on affirme aujourd’hui qu’elle a été, à l’origine, destinée à effacer le traumatisme
causé par la défaite de 1870. Les rivalités entre la France et l’Allemagne qui
suivent cette guerre et en particulier l’annexion de l’Alsace-Lorraine font naître,
des deux côtés du Rhin, des mouvements nationalistes fondés sur la priorité don-
née à la nation d’appartenance incarnée dans une structure étatique forte.
Aussi n’est-ce qu’une question de temps avant que la notion de solidarité
« nationale » fasse son apparition dans les travaux parlementaires à l’appui d’ini-
tiatives législatives. C’est en 1894 qu’un député relève, pour la première fois, dans
le rapport sur un projet de loi destiné à apporter un secours aux victimes des
cyclones et inondations qui avaient touché le Nord de la France, que certains par-
lementaires ont évoqué la solidarité nationale pour réclamer une aide aux victimes
(Boucher, 1894). Quelques années plus tard, le gouvernement français s’appro-
prie cette référence (Clemenceau et Caillaux, 1907) pour justifier l’adoption de
lois de secours à la suite des catastrophes de Bourbon-Lancy et de Mamers en
1904 4, des fourneaux en Savoie en 1907 5 ainsi que des inondations de janvier et
février 1910 6. Néanmoins, ces invocations ponctuelles de la solidarité nationale ne
permettent pas encore d’avoir une idée précise de son contenu juridique et d’en
apprécier la portée réelle, aucune réflexion n’ayant été entreprise à ce moment
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7. Art. 1er de la loi sur la réparation des dommages causés par les faits de la guerre : « La République proclame
l’égalité et la solidarité de tous les Français devant les charges de la guerre » (JO 18 avril 1919, p. 4050).
8. Conseil d’État, 10 décembre 1962, Société indochinoise de constructions électriques et mécaniques, Rec.
p. 676.
11. La décision la plus emblématique a été rendue le 13 juillet 2001 par la Cour de cassation, réunie en assem-
blée plénière, c’est-à-dire dans sa formation la plus solennelle. Selon cette décision, « l’enfant né handicapé peut
demander la réparation du préjudice résultant de son handicap si ce dernier est en relation de causalité directe
avec les fautes commises par le médecin dans l’exécution du contrat formé avec sa mère et qui ont empêché
celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse ».
12. Pour un exemple plus ancien, cf. article 1er de la loi du 26 décembre 1961 relative à l’accueil et à la réins-
tallation des Français d’outre-mer : « Les Français, ayant dû ou estimé devoir quitter, par suite d’événements
politiques, un territoire où ils étaient établis et qui était antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat
ou la tutelle de la France, pourront bénéficier du concours de l’État en vertu de la solidarité nationale. »
Conclusion
Bécane J.-C., Couderc M., Hérin J.-L. (2010), La loi, Paris, Dalloz, coll. « Méthodes du droit »,
2e éd., 270 p.
De Béchillon D. (1997), Qu’est-ce qu’une règle de Droit ?, Paris, Odile Jacob, 302 p.
Bigot J. (2002), « Essai de typologie de la solidarité », Revue générale de droit des assu-
rances, no 4, p. 802-807.
Blais M.-C. (2007), La solidarité. Histoire d’une idée, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque
des idées », 347 p.
Borgetto M. (1993), La notion de fraternité en droit public français, Paris, LGDJ, coll.
« Bibliothèque de droit public », 689 p.
Boucher H. (1894), « Rapport sur le projet de loi tendant à ouvrir un crédit extraordinaire
pour secours aux victimes des cyclones et inondations de la région du Nord et des divers
orages qui ont sévi en France, dans le courant de l’année 1894 (annexe no 963) », Documents
parlementaires de la Chambre des députés, p. 1580, 3e col.
Bourgeois L. (1896), Solidarité, Paris, Armand Colin, 1re éd., 157 p. (rééd. Latresne, Le Bord
de l’eau, 2008).
Bourgeois L. (1902), « L’idée de solidarité et ses conséquences sociales », in Bourgeois L.,
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