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« 1000 VILLAGES SOCIALISTES » EN ALGÉRIE

Analyse d’une opération d’aménagement rural

Georges Lepoul

La Documentation française | « Maghreb - Machrek »

1977/3 N° 77 | pages 40 à 48
ISSN 1241-5294
DOI 10.3917/machr1.077.0040
Article disponible en ligne à l'adresse :
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40 ETUDES

" 1000 VILLAGE~ SOCIALISTES " EN ALGÉRIE


ANALYSE D'UNE OPERATION D'AMENAGEMENT RURAL

Dans un pays en voie de développement comme l'Algé- lages ». à savoir essentiellement la circulaire 15 230 de
rie , la situation générale du monde rural est l'un des indi- juillet 1972 et la circulaire 1 670 de juillet 1973.
cateurs les plus sûrs de la nature des carences à moyen
et long termes et des possibilités d'un effort économique
et socia l portant sur l'ensemble de la société. En effet,
selon l'analyse des conditions objectives de ce développe-
ment qu'ont faite les responsables politiques « si la ville,
avec ses techniques, ses institutions, ses hommes, ses
LE PREAMBULE DE LA CIRCULAIRE 15 230
apports indispensables; ne va pas vers les masses rurales,
c'est la misère paysanne, l'exode paysan qui viendraient Dès le premier paragraphe du préambule, le principe
à elle, pour l'assiéger de leurs débris anachroniques et
est posé : « S'inscrivant dans la stratégie globale de la
de leurs valeurs déracinées » (1). C'est là l'une des idées
réforme agraire , l a politique d'habitat rural vise à lier le
essen tielles qu i, avec celle d'une plus grandes produc-
développement de ce secteur au x actions de restructura -
t ivité de l'espace rural, a permis de lancer la Révolution
tion et de modernisation du système de production agri -
agraire en 1971 (2). La transformation radicale des cond i-
cole ». Autrement dit, à système de production nouveau.
t ions sociales d'une part, et des techniques de produc-
conditions de reproduction de la force de travail égale-
tion de l'autre, sont les deux objectifs primordiaux que
ment nouvelles .
se sont fi xés les responsables de la planification .

C'est dans le cadre de cette politique que l'opération Cette politique de l'habitat rural. toutefois, ne se conçoit
« 1 000 villages social istes » a été lancée. L'orig inalité pas comme une pure conséquence - une action corol -
du projet tient, d'une part à son lien étroit avec le pro- laire - des actions au niveau des structures agraires.
cessus de la Révolution agraire, et d'autre part, au nou- mais incorpore une certa ine dimension motrice : « Les
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veau type de rapports sociaux que cette politique d'habi- actions d'aménagement et de mise en valeur engagées
tat rural vise à favoriser . Il ne s'agit pas en effet de dans ce cadre seront appuyées d'actions de développe-
placer des bâtiments dans l'espace rural , mais de consti- ment de l'habitat qui auront pour objectif l'insertion des
tuer de nouveaux ensembles sociau x intéressant tous les populations rurales dans le nouveau système productif . »
rurau x : les attributaires de la Révolution agraire, les
La visée politique générale définie, le préambule fixe ,
petits paysans et les travailleurs du secteur socialiste.
dans un second paragraphe, le principe général d'action
Cette conception algérienne du remodelage de l'espace qui en découle : « Cette intégration conduit à l'établisse-
rural est originale dans la mesure où elle intègre toutes ment de liens directs entre les formes d'habitat et les
les variables à une opération généralement concue et acfivités productrices dans le cadre d'un nouveau type
réalisée de manière ponctuelle dans les autres pays. d'organisation de la vie sociale tel que l'engendrera la
L'entreprise n'en est que plus difficile, car les critères réforme agraire. »
de création et d'implantation sont. du moins dans les
La pol it ique d'habitat a donc pour but de cristalliser
tex tes, beaucoup plus stricts . Cette expérience ne peut
au plan de la vie sociale ce qui est constitué au niveau
se juger sérieusement qu'en procédant à une analyse à
de la vie économique : elle exercera ainsi une action en
trois niveaux : celui du p'rojet. de sa réalisation et des
retour sur la vie économique elle-même. C'est ce qui
résultats concrets dans l'espace.
ressort du début du troisième paragraphe : « Dès lors , le
rôle moteur de l'habitat rural. élément constituant la
réforme agraire, complète l'action de transformation des
structures agraires et conditionne le succès des opéra-
tions de développement agricole engagées . » La suite de
ce paragraphe précise : « Ainsi, la double finalité recher-
La conception générale chée réside dans la transformation des conditions de vie
des populations rurales et dans l'application d'une poli -
du projet tique rationnelle d'aménagement du territoire. »

En effet, en termes plus concrets, il s'agit de satisfaire


des besoins sociaux tels qu'ils ont été déterminés par
Pour comprendre et analyser le projet de création des la réforme agraire envisagée, entre autres, comme une
t 000 Villages socialistes, il est indispensable en tout opération suscitant la meilleure mobilisation possible de
premier lieu de procéder à une lecture approfondie des toutes les ressources humaines et économiques propres
textes officiels fondamentaux concernant l'opération « Vil- à chaque région : cette satisfaction des besoins sociau x
1 000 VILLAGES SOCIALISTES EN _ ALGERIE
41

débouche effectivement sur un aménagement rationnel du LES ETAPES DE LA DECISION


territoire.
DANS LA PROGRAMMATION DES VILLAGES
L'idée en est développée dans les quatrième ~t cin-
quième paragraphes : cc En effet, le but de l'aménagement
du territoire ainsi conçu, permet de déterminer, dans un Il est prévu une décentralisation relative dans la pro-
ordre prioritaire, les zones où sont réunies les activités grammation de l'opération, que les textes confient expli-
qui influent sur les besoins en habitat et types d'habita- citement, d'une part aux wilayate, et d'autre part aux
tions . » populations concernées. D'après les dispositions géné-
rales est mise sous l'autorité du wali l'exécution de deux
Les sixième et septième paragraphes définissent alors phases :
la forme particulière d'habitat la plus propre à satisfaire
aux objectifs que l'on assigne ; c'est la forme groupée : - une phase technique, avec institution au niveau de la
wilaya d'un « comité technique permanent », groupant
« devant accompagner l'action en profondeur ( ... ) autour
des représentants des différents services publics (Tutelle
de la mise en valeur et de l'exploitation de la terre ».
des collectivités, Infrastructure et Equipement, Agriculture
Dans un huitième et dernier paragraphe, le préambule et Réforme agraire).
conclut : « Dans cette optique, le village cesse d'être un - une phase politique au cours de laquelle cc dans
simple groupement d'habitations pour devenir un élément chaque zone choisie, et en liaison avec les assemblées
et une résultante d'un processus de transformation por- populaires communales élargies, les populations concer-
tant à _la fois sur les structures de la production et sur nées seront appelées à donner leur avis sur les hypo-
les structures de la vie sociale. » thèses de localisation des villages et les types de loge-
ment » (3).

Il faut noter en premier lieu que. le texte même de la


circulaire ne permet pas de prévoir une large consulta-
LA CIRCULAIRE 1 670 DU 9 JUILLET 1973 tion des populations rurales. Il est en effet étonnant que
l'on procède à une phase cc technique » préalablement à
une phase cc politique ». On pourrait imaginer une consul-
Cet autre texte constitue une référence quant à la po- tation des populations concernées, au niveau communal,
sition générale du problème des Villages. Il s'est substi- dans le but de dégager les grandes options et procéder
tué à la circulaire 15 230 à la lumière des conclusions ensuite à la détermination des éléments techniques qui
d'un séminaire sur l'habitat rural et de l'expérience tirée les traduisent.
de la réalisation des quinze premiers villages. Il pré- En fait, il se produit une interversion dans l'appellation
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cise : « priorité à ceux qui ont un lien direct avec la ré - des phases. La phase dite cc technique » est une phase
forme agraire », mais « ce caractère principal ne signifie éminemment « politique ». En effet, la wilaya, par l'inter-
nullement qu-e le village de la réforme agraire soit exclusi- médiaire de son comité technique permanent, prend au
vement réservé aux seuls attributaires ». préalable et de manière unilatérale les options essen-
Quant à la forme physique globale du village, on note tielles : elle décide en particulier de la zone où sera im-
un certain changement d'orientation; la circulaire 15 230 planté le village, ce qui implique un choix a priori au
avait prévu une triple série hiérarchique de villages : la profit de telle fraction du monde rural plutôt que de telle
circulaire 1 670 prescrit plutôt un système d'habitat évo- autre. Ce n'est que lorsque les décisions de base sont
lutif, tel que, à partir d'un noyau de base donné, on puisse prises que l'on admet une certaine consultation au cours
développer le potentiel de logements et d'équipements au d'une seconde phase, dite cc politique », qui relève en fait
prorata de la demande . du domaine technique.

De plus, elle reprend certaines prescriptions formulées . D'autre part, en lisant de plus près les passages de la
dans le texte antérieur : « Il ne faut pas promouvoir des circulaire concernant la phase << politique », on peut
formes d'habitat qui, conçues en dehors des campagnes, noter que cette consultation est prévue « en liaison »
constitueraient une nouvelle forme de domination cultu- avec les assemblées populaires communales plutôt que
relle. Il ne s'agit pas d'urbaniser les campagnes. » « au sein de » ou « dans le cadre de ».

A cet égard, l'ensemble des informations recueillies sur


le terrain, même si elles restent disparates et ponctuelles,
confirme le rôle prééminent joué par l'Etat dans les déci-
sions menant à la programmation des villages (4). Pour
s'en convaincre, il suffit de comparer, à titre d'exemple,
une enquête de l'Association algérienne pour la recherche
La réalisation du projet démographique, économique et sociale (AARDES) (5) et
un document émanant du ministère des Travaux
publics (6).
C'est en confrontant prescriptions officielles et pra,
tiques réelles que nous allons essayer de décrire le jeu; L'enquête de I'AARDES est consacrée, pour partie, aux
des acteurs en présence, et le processus social qui en est souhaits des attributaires · de la première phase, quant à
la cause. Pour cela, nous aborderons successivement ,._ l'agencement et au contenu de la cellule individuelle des
programmation, la conception et le contrôle des projets.. futurs villages. Effectuée auprès des habitants du village
42 ETUDES

de Mouzaïa dans la Mitidja, elle montre. entre autres, que dans leurs réalisations une certaine idée sommaire de
57.1 % des attributaires souhaita ient disposer d'une la sociologie rurale . issue en grande partie· de leur propre
écurie ou d'une étable et 83,1 % d'un potag-er. Confor- pratique urbaine. trop éloignée du « terrain » ? En fait,
mément à ces aspirations. il a été étudié un projet de et sous couvert de respect de la sociologie rurale, les
village où les logements comportaient jardin potager et prescriptions émises pour la conception des villages visent
écurie-étable. Après examen du dossier. le ministère des surtout l'impact idéologique sur les masses (8). Plutôt
Travaux publics a publié un document où l'on relève en que de régionaliser les opérations d'habitat rural. il a été
particulier les recommandations suivantes : « Dans le jugé préférable d'en faire une opération nationale à fort
souci de garantir la réalisation de logements répondant contenu politique.
aux traditions. mœurs et aspirations des populations ru-
rales, l'unité d'habitation devra être conçue suivant les Cette volonté, toutefois. se trouve quelque peu battue
principes de composition et d'articulation des fonctions en brèche par la réalité concrète des moyens . Les cadres
ci-après : habitation à un niveau (rez-de-chaussée) sans nationaux n'étant pas en nombre suffisant. il a fallu faire
étable. ni jardin potager. » appel à tous les agents disponibles. Les wilayate ont très
vite étendu les possibilités · de participation et de concep-
Ces recommandations v1sent. comme nous le verrons tion aux agents non issus du secteur public. en fixant
plus loin, un objectif précis. Si J'on considère en effet que comme critère qu 'ils soient nationaux. Mais cela n'étant
Je « Village socialiste » doit être d'abord et avant tout pas encore suffisant. les prescriptions. quant à la natio-
Jlé à la production agricole des terres de la coopérative, nalité, sont actuellement largement débordées. En gros,
J'étable et Je potager peuvent représenter, au niveau fami- on peut dire que 60% des études sont supervisées par
liaL une immobilisation partielle de la force de travail les wilayate. Dans ce pourcentage, l'on compte 20% des
au détriment des terres collectives. études réalisées par des privés travaillant sous contrat
avec les wilayate et n'apparaissant pas officiellement en
Si J'on ne satisfait pas toujours les aspirations des
tant que tels. 30 % des études sont réalisées officiellement
masses rurales en ce qui concerne les activités écono-
par des bureaux privés nationaux ou étrangers. Les 10%
miques familiales . on tient compte en revanche de leurs
restant reviennent à des organismes publics, tels que :
souhaits inspirés par Je contexte sociologique. Ainsi Je
même document recommande que : « J'habitation s'orga - DNC-ANP, SNS , SONATRACH (9) qui se chargent d'opé-
nise autour de deux cours différentes, J'une de transi- rations ponctuelles et précises.
tion entre J'espace public et le logement, J'autre à usage Le désir d'imprimer un rythme rapide à l'opération était
domestique : prolongement de la cuisine et des activités
déjà perceptible dans la circulaire présidentielle du
ménagères (cour intime). et que le séjour soit directement
25 juillet 1972, qui précisait : « J'établissement d'une pre -
accessible. à partir de la cour de transition, afin de ne mière carte d'hypothèse d'implantation devra être fait ( .. .)
pas troubler l'intimité de la vie familiale. »
quelles que soient la consistance et la qualité des infor-
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La reproduction d'une partie de l'espace social rural mations disponibles. » Les délais pour l'établissement
traditionnel semble donc être considérée comme un élé- définitif de ces cartes d'hypothèses étaient fixés à mars
ment essentiel de la « bonne marche » des villages dans 1973.
le sens d'une meilleure productivité.
Cette contrainte dans le temps que l'Etat algérien s'est
imposée dès le début devait entraîner évidemment un
appel à tous les agents disponibles sur le territoire. quels
qu'ils soient. C'est l'objet d'une circulaire émise par les
Travaux publics en mai 1975 (10) . Dans ce document, il
L'ETABLISSEMENT DES PROJETS est rappelé que : « dans le cadre du deuxième Plan qua-
driennal, le gouvernement a prévu , au titre de la Révo-
lution agraire. la réalisation au minimum de 300 villages >>.
En ce qui concerne la conception des projets. on trouve et qu'il « a été provisoirement dérogé par la circulaire
essentiellement les prescriptions suivantes : « Les pro- no 259/CH3/75 aux disposition de la circulaire no 1 670/
grammes doivent être entrepris dans un contexte psycho- CH3/73 >>. de sorte qu'il est devenu possible « de recou-
social bien déterminé. Il est d'une impérieuse nécessité rir à des bureaux d'études pour ce qui est de la phase
de confier les études techniques à ceux qui vivent la d'étude, et à des entreprises publiques et privées pour
réalité algérienne. ceci afin d'éviter certaines erreurs ce qui est de la réalisation proprement dite >> . compte
d'ordre sociologique et d'offrir aux technic iens nationaux tenu de ce que 112 villages seulement ont fait à ce jour
des occasions supplémentaires d'exprimer et d'enrichir l'objet d'une inscription à la nomenclature d'investisse-
leur savoir-faire. La conception des projets sera J'œuvre ment, dont 43 inscrits en 1973 au titre du premier Plan
des directions de l'Infrastructure et de J'Equipement, des quadriennal.
wilayate. des bureaux d'études nationaux, des architectes
Le manque d'infrastructures ayant empêché J'Etat d'as-
nationaux. » (7)
sumer à lui seul la conception, il a été fixé aux agents
- Les responsables politiques et économiques de J'opé- nationaux privés et étrangers des condit ions « d'élabo-
ration tiennent donc à ce que la conception des Villages ration nationale >> des pro jets, soumises au contrô le des
agricoles socialistes soit faite par des agents nationaux administrat ions centrales du Plan et des Travaux publics.
et qu'elle ait un « réel cachet national ».
Mais. une fois encore, comme nous allons Je voir. il y
Mais, le processus de décision étant ce qu'il est, les a un écart entre la volonté de contrôle que l'Etat veut
agents nationaux citadins ne risquent-ils pas de traduire exercer et la pratique rée lle.
1 ôoà VILLAGES soèiALISTES EN AL~ ERIE
43

LE CONTROLE DES ETUDES pitufatif général établi pâr fe Pian ddrinaif (e§ chiffres sl:ii-
vants :
Toute édification de village est soumise à la constitu- Villages inscrits : 222
tion et à l'agrément, par les Travaux publics et le Plan, Villages achevés : 60
d'un dossier préalable comprenant : un rap_port socio- Villages inaugurés : 42 (•)
économique. un plan de situation et un dossier d'exécu- Ce qui, au total. représente 37 287 logements pro-
tion . grammés . .Ces chiffres, un an avant la fin du Il• Plan qua-
driennal. laissent espérer que l'objectif des 300 villages
Le rapport socio-économique (11) est un document sera dépassé, du moins pour les inscriptions. Si l'on
exhaustif sur la commune où doit s'implanter le village. 11 ne considère que les villages inscrits, ils représentent à
peut traiter aussi bien de la climatologie, que du nombre peu près le quart des 1 000 villages prévus. Ce total per-
d'hectares cultivés, en passant par les voies de commu- met de dire que l'état d'avancement du projet est satis-
nication et le nombre d'habitants . Ce document permet faisant au plan administratif (14). La progression des ins-
de s'informer. mais n'est pas opératoire. Il peut, tout au criptions de villages a été régu'lière : 43 villages inscrits
plus. permettre de corriger certaines erreurs des wilayate, en 1973, 52 en 1974, 64 en 1975, 63 en 1976.
mais n'apporte pas les éléments d'appréciation suffisants
pour juger d'une bonne ou mauvaise implantation. De Une fois inscrits. les villages sont mis en chantier au
plus. dans beaucoup de cas. les responsables locaux bout de 3 à 6 mois, et la réalisation demande 18 à 30
semblent ne le considérer _que comme une simple « for- mois , selon leur taille. Or, au 30 novembre 1976, 60 vil-
malité 1> (12). lages seulement sont terminés. alors que, si nous tenons
compte du délai de réalisation et de la date d'inscription,
En tout cas . cet élément du dossier est largement mini- tous les villages programmés en 1973 et 1974 devraient
misé au profit des deux autres éléments. eux beaucoup être terminés. soit 95 villages. La réalisation n'a donc pas
plus techniques : le plan de situation et le dossier suivi régulièrement les inscriptions. En nombre de loge-
d'exécution . Le ministère des Travaux publics, qui exerce ments, le secrétariat d'Etat au Plan indique 11 239 loge-
le contrôle technique , possède une infrastructure d'études ments terminés au 31 décembre 1975, pour 30 456 pro-
et de contrôle solide, et élabore des notes critiques rela- grammés, soit à peine le tiers. Fin 1976, en nombre de
tives à ces problèmes. alors que le ministère du Plan, villages, le rapport 60 sur 222 représente moins du tiers
concerné pour la partie socio-économique et l'opportunité des villages inscrits.
des implantations. ne possède pas une infrastructure Les raisons de ce décalage entre inscriptions et réali-
équivalente. sation définitive sont multiples. Il y a tout d'abord les
En résumé , nous retiendrons essentiellement que le problèmes liés à la circulation administrative du dossier,
une fois que celui-ci a été accepté au niveau central à
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contrôle de l'Etat sur l'ensemble des projets de création
de villages s'exerce. mais de manière non rigoureuse et Alger. Ensuite, tout repose sur le maître d'œuvre, sur sa
systématique , et sur une partie seulement des dossiers. compétence, son organisation et ses moyens. Si celui-ci
Autrement dit, la volonté réelle de contrôle de l'Etat se est l'armée ou une société nationale, on peut espérer que
heurte au manque de moyens d'une part, et à la faiblesse le délai sera respecté. Par contre. s'il s'agit d'une régie
de ses relais au niveau régional d'autre part (13). de wilaya, ce qui est le cas pour 60 % des villages, on
doit compter un retard qui varie beaucoup suivant les ré-
Voyons maintenant comment ceci se traduit dans les gions. Les wilayate nées du nouveau découpage admi-
résultats. nistratif de 1974 sont encore jeunes et leurs infrastruc-
tures de réalisation fragiles. Certaines wilayate plus an-
ciennes, comme Tizi-Ouzou ou Constantine sont. par
contre. bien équipées. Il y a enfin le problème des maté-
riaux de construction, qui sont rares parce qu'importés
ou produits en quantité insuffisante, et celui du personnel
Les résultats qualifié dans les techniques du bâtiment. Les facteurs de
ralentissement sont, comme nous le voyons, nombreux.

Nous essaierons. dans cette dernière partie, de tracer Les résultats par secteurs géographiques montrent un
le bilan d'ensemble, tant quantitatif que qualitatif, de la relatif souci d'équilibre. On observe que la moyenne des
première tranche du projet. L'interaction entre villages, villages inscrits par wilaya, selon le nouveau découpage,
attributaires et monde rural est essentielle à observer. Elle oscille entre 5 et 10 : chaque région administrative a ses
permet de donner sa dimension exacte à l'opération « Vil- « villages ». avec une concentration certaine dans le
lages ». et de mesurer plus justement la distance entre Nord ; ils sont encore peu nombreux dans la steppe, la
le discours idéologique sur les ·villages et ce qu'ils sont troisième phase de la réforme agraire y étant en cours.
et représentent en réalité. Pour certaines wilayate (Skikda, Medea, Mascara, Djelfa,
Laghouat. M'Sila, Tebessa, Guelma, Bechar). on n'en est
qu'au stade de l'inscription . Dans d'autres (Alger, Blida, .
Bou ira, Bejaia, Jijel, Setif, Annaba, Biskra, Ouargla) - un
BILAN QUANTITATIF ET QUALITATIF petit nombre de logements est terminé, un grand nombre
programmé, mais aucun en construction. les chantiers

L'objectif de réalisation prévu au titre de la révolution


(•) N.D.L.R. - Au 31 mars 1977 les chiffres sont : villages
agraire dans le cadre du 11 e Plan quadriennal était de inscrits 271, réalisés 61, habités 52 (" Révolulion africaine "• n• 700,
300 villages au minimum. Au 30 novembre 1976, le réca- 20-26 juillet 1977J.
44 ETUDES

les plus nombreux se trouvent dans les wilayate de Oran, On voit que la moitié de la population rurale est mal
Saïda , Sidi-bei-Abbès , Tiaret, Constantine . Ces situations ou très mal logée, donc qu'elle est « potent ~ellement >> en
sont révélat ri ces de l'impulsion rapide imposéè par l'Etat, demande de logements. A partir de ces données, on peut
malgré le manque de moyens de réalisation sur le terrain . prévoir un impact positif de l'opération « Villages » au-
Sur le plan technique, les villages se présentent comme près des masses rurales .
un habitat rural moderne de bonne qualité. Les prescrip- Nous savons en effet que « les besoins ne sont pré-
tions sont strictes. Chaque logement doit en principe com- sents dans la conscience collective qu'en référence aux
porter un revêtement de béton au sol, des sanitaires avec moyens proposés par la société pour les satisfaire, que
eau courante, une cheminée, l'électricité et le gaz quand la marchand ise peut créer le besoin >> (18) . Donc, l'intro-
cela est possible. Les matériaux traditionnels et locaux, duction d'un « habitat moderne >> en milieu rural compor-
conse illés au départ, sont peu util isés. Le coût de chaque ta nt des éléments ine xistants jusqu'alors devrait entraî-
logement s'en ressent : prévu à 20 000 DA par un ité en ner un processus dynamique de changement social vers
1973, il est à l'heure actuelle de 50 000 DA. Il était en la « modernité_>> . Ceci implique que construire des loge-
effet difficile de ne pas dépasser le budget initialement ments ruraux n'est pas une opération simple, se propo-
envisagé, d'autant plus que dans le même temps on sant « de couvrir un besoin univoque >> , mais organiser
observait une forte hausse des matériaux de construc- un ensemble qui a « pour fin d'assurer la vie d'un groupe
tion. On peut regretter le manque d'originalité des plans- social >> (18) .
masse, qui présentent trop souvent un habitat groupé où
les cellules s'alignent en blocs séparés par de larges Il faut préciser enfin qu'une fois le processus entamé,
al iées, les équ ipements collectifs étant implantés au il est impossible de revenir en arrière, et que l'action en -
centre du village (15) . Celui-ci est, en effet composé de gagée doit devenir massive et toucher l'ensemble de la
logements (de 100 à 300 suivant le cas), d'équipements soci été rurale du pays. Il s'agit en fait d'introduire de
collectifs (école, mosquée, hamman, salle polyvalente) et nouvelles structures sociales dans un corps traditionne l
d'équipements productifs pour la coopérative. Les vill ages qu 'il convient d'analyser dans sa complexité, pour mieux
sont différenciés en primaire, secondaire et tertiaire, selon saisir de quelle manière cette partie de la formatio n
leur type et leur importance; le « tertiaire » correspon- sociale algérienne projette au sol ses rapports familiau x
dant le plus souvent à un greffage sur un noyau d'habitat et sociaux . Si ce travail préalable n'est pas réalisé, l'in-
existant. le primaire étant construit « ex nihilo ». Il va troduct ion d'un habitat trop différent risque d'être perçue
de soi que l'importance de chaque opération (entre 700 comme une agress ion et , à ce titre, rejetée, quels que
et 2 000 personnes) nécessiterait une étude complète, soient les besoins potentiels. Ce phénomène s'est produit
aussi bien technique pour l'agencement interne, que de dans qu elques villag es, où l'on a pu voir des attributaires
l'environnement dans lequel s'insère ce nouvel habitat. refuser terres et logements , et quitter le nouvel espace
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Quoi qu'il en soit, nous pouvons dire que l'opération , qu'on leur offrait. Des espaces de transition sont peut-
malgré les obstacles et certaines erreurs (16). est bien être nécessaires pour éviter un conflit trop profond entre
avancée et réalise effectivement son objectif essentiel tradition et modernité.
d'injection de logements et d'équipements en milieu rura l.
Quoi qu'il en soit, il faut noter en général un fort indice
de sati sfaction chez les attributaires dans la mesure où
les villages représentent une amél ioration considérable
des conditions de vi e grâce au nouveau logement et à un
VILLAGES ET ATTRIBUTAIRES accès immédiat aux services scola ires, sanitaires, admi-
nistratifs et religieu x. L'enquête AARDES souligne la très
Une enquête de I'AARDES portant sur tous les villages forte dispersion spatiale qui existe en milieu rural et l'on
habités. est en cours, mais les résultats seront longs à peut facilement imaginer le changement profond qu'impli-
paraître. quent les avantages d'un habitat groupé , même si, comme
nou s l'avon s vu , toutes les aspirations des masses rurales
Un premier travail réalisé par ce même organisme (17) ne sont pa s satisfaites .
donne sous formé de tableaux, des indications très
complètes sur l'ensemble des logements existants. Nous Notons encore que le logement individuel tel qu'il est
en avons extrait dans le tableau ci-dessous les éléments prévu actuellement n'est pas fait pour « la grande
les plus significatifs : famille , traditionnelle (50 à 70 personnes) . Ce qui veut
dire que chaque attributaire, avec ses descendants et
ETAT DES LOGEMENTS RURAU X CONSTRUITS ascendants. va individualiser ses revenus au niveau de
(quelques éléments) sa famille (7 à 10 personnes) . Ainsi, la fonction écono -
Matériaux des murs .. Intégré en dur En non dur
mique des « grandes familles >> qui combinait les res-
53,5 °/o 46,5 °/o sources complémentaires de tous ordres disparaît. Il est
Toit ·· ······ ···· ·· ···· Elaboré Non élaboré dès lors important de prévoir une structure d'accueil pour
industriellement indu striellement les autres membres de la grande famille non attributaires.
52,8 °/o 47,2 °/o
soit dans le cadre du village , soit ailleurs, sous peine
Alimentat ion en eau . Eau courante San s eau courante
(privée ou 33 ,7 °/o d'accélérer l'exode rural.
collective) Approvi sionn ement
42,5 'lo naturel
22,2 °/o Il reste enfin à donner quelques éléments sur le statut
Ec lai rage .. .. ..... ... El ectrique Non électrique du village en tant que collectivité locale, et sur celui
7 '1o 93 'lo des attributaires dans ce village. Il n'existe à l'heure
D'après les tableaux de I'AARDES. actuelle qu'un avant-projet de statuts des villages socia -
1 000 VILLAGES SOCIALISTES EN ALGERIE 45

listes (19). Cet avant-projet précise que le village socia- population de la steppe (troisième phase). il ne semble
liste constitue une collectivité publique à caractère terri- pas que l'opération de distribution puisse toucher plus
torial. Il est reconnu comme une entité socio-économique, de 1 500 000 personnes ;
dont le noyau est constitué par les bénéficiaires de la • le secteur coopératif constitué connaît de très gros
révolution agraire. C'est à ce titre que la personnalité problèmes : il est très généralement déficitaire et, en
morale lui est reconnue et qu'il est appelé à se doter tout état de cause, n'exerce pas sur le reste du monde
d'organes chargés de gérer les affaires locales. Le statut rural, en particulier sur la petite paysannerie, un effet
définitif du village par rapport à l'organisation commu- pédagogique sensible ;
nale n'est pas encore arrêté. mais, logiquement. le village • les textes de la réforme agraire ont prévu, pour
socialiste devrait être reconnu en tant que collectivité restructurer cette petite paysannerie, des formules de
infra-communale de base. Ceci est déjà dans les faits coopération très diverses mais. présentement, l'adhésion
dans les zones à population éparse, où le village implanté à ces structures reste très limitée, et l'action énergique,
fait office de chef-lieu de commune. En ce qui concerne tant sur le plan politique qu'économique, qui pourrait
le patrimoine, l'avant-projet précise que la propriété du la susciter. ne se manifeste pas et ne semble pas devoir
village s'étend à l'ensemble des installations et équipe- se manifester : l'Union nationale des paysans algériens
ment collectifs créés . Un point important n'est pas en- (UNPA) ne s'intéresse qu'aux attributaires et les actions
core réglé, c'est celui du statut juridique des logements de mise en valeur concernent uniquement quelques zones
individuels. Pour le moment, la propriété personnelle du privilégiées par leurs potentialités hydrauliques ou pédo-
logement est soumise à deux conditions : l'attributaire logiques.
sera reconnu propriétaire . au terme d'une période pro-
batoire· de cinq ans, et ce droit sera annulé en cas de En d'autres termes. l'opération a d'emblée un caractère
départ du bénéficiaire. Rien n'est pourtant fixé et il limitatif et sélectif, dont nous allons essayer de voir
semble que plusieurs propositions soient en discussion. maintenant la traduction concrète.
La population, actuellement directement bénéficiaire de
l'opération, est celle de la quarantaine de villages qui
sont pour l'instant habités (20). La mesure des effectifs
VILLAGES ET MONDE RURAL concernés peut se faire directement, en additionnant le
nombre de logements ou les effectifs approximatifs. Nous
préférerons néanmoins faire un calcul indirect. en utili-
Après avoir vu quels étaient les résultats de l'opération sant des rapports arithmétiques simples, permettant
« villages » en elle-même. nous nous efforcerons de les l'extrapolation.
exprimer relativement à l'ensemble social dans lequel
ils prennent place ; il s'agit maintenant de qualifier Le nombre moyen de logements par village est de 200 ;
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l'opération par son impact actuel et prévisible dans le d'autre part. selon une donnée statistiquement vérifiée
monde rural pris dans son ensemble. en Algérie, le nombre moyen de personnes par logement
est de 7, ce qui porte la population moyenne d'un
Nous jugerons de cet impact en termes de rapport .village à 200 x 7 = 1 400 habitants ; arrondissons à
quantitatif entre population bénéficiaire et ensemble du 1 500. La population bénéficiant d'ores et déjà et direc-
monde rural et ce. à deux niveaux distincts : impact tement de l'opération est donc de : 1 500 X 40 =
direct (concernant la population directement bénéficiaire 60 000 habitants.
en tant qu'attributaire des logements) et impact indirect
(sur la population n'ayant pas de logement dans le Pour l'évolution de la population rurale (21). nous nous
village, mais résidant à proximité) . baserons sur les prévisions du Rapport général du Il• Plan
quadriennal ; selon ce rapport, la population rurale en
Pour ce qui est de l'impact direct, il est utile de rap- 1977 s'évalue à 9 800 000 habitants ; on peut juger que
peler d'abord les conceptions mêmes de l'opération. l'impact quantitatif actuel au niveau du monde rural est
Nous avons pu noter en effet que la construction de assez négligeable : même pas 1 % (0,6 % exactement) ;
villages était conçue comme « appui à des opérations par là, on peut mesurer la considérable amplification qui
de mise en valeur » et ·« en liaison avec des opérations est faite de ces résultats par la presse locale, et les
de restructuration et de modernisation du système de discours officiels. Dans cette presse et ces discours, Il
production agricole ». La transposition négative de la n'est pas émis de mesure de l'impact de l'opération des
formule est la suivante : s'il n'y a pas restructuration 1 000 Villages ; précisément, on évite d'en parler. On
et modernisation, la construction d'un village n'a pas occulte la donnée de telle sorte que la publication quo-
lieu d'être ... tidienne d'articles sur la transformation des conditions
de vie « des masses rurales » donne fallacieusement
La réalisation de l'opération . est donc soumise à une l'impression d'un caractère massif des résultats de l'opé-
condition structurelle qui fait que son extension est ration.
appelée à n'avoir que celle qu'aura la restructuration et
la modernisation du système de production agricole Il était prévu qu'à la fln du second Plan quadriennal
algérien. A ce niveau. et sans prophétiser, il semble il serait réalisé au moins 300 villages. Il Y a peu de
difficile que l'on puisse assister dans un avenir prévisible chance qu'à la fin de 1977 ceux-ci soient tous construits
à une restructuration intégrale du monde rural : et habités. Mais à supposer que tel soit le cas, la popu-
• il n'y a plus de terres à distribuer; compte tenu lation directement touchée serait de 1 500 X 300 =
des résultats relativement limités de la seconde phase 450 0000 personnes, et la proportion, relativement au
par rapport à la première et des faibles densités de monde rural. passerait à 5 %.
46 ETUDES

A la fin du troisième Plan quadriennal. on peut ad- des ouvriers de l'industrie. En troisième lieu , on peut
mettre, compte tenu de l'accélération prévisible de l'opé- noter aussi que l'appellation des villages a subi des modi-
ration, que les 1 000 Villages globalement pr-ogrammés fications en accord avec ce qui vient d'êtra dit : initia-
seront réalisés et habités ou en voie de l'être. La popu- lement. il s'agissait de Villages agricoles de la révolution
lation touchée vers 1981 serait de l'ordre de 1 500 x 1 000 agraire (VARA). puis il s'est agi de Villages agricoles
= 1 500 000 personnes. Toujours selon les prévisions du socialistes (VAS) ; enfin, la référence à l'agriculture s'est
Rapport général du Il' Plan quadriennal, la population trouvée plus ou moins éclipsée, et. actuellement, on ne
rurale, à la date citée, s'élèvera à 10 400 000 habitants. parle plus que de Villages socialistes (VS) .
La proportion de population bénéficiant directement de
l'opération Villages sera donc (à l'époque) de 14,4 % , Cette évolution vers un assouplissement de la sélec -
soit environ 15 % . On voit ainsi que, même en projec- tivité initiale traduit-elle une mutation de la conception
tion, on n'est pas fondé à attribuer un caractère massif des villages du point de vue de leur destination sociale?
à l'opération . Peut-être, mais nous ne le pensons pas . Le fait peut
s'interpréter essentiellement comme le résultat d'une
contradiction entre le projet dans sa conception initiale
Qu'en est-il par rapport aux besoins en logements
et les conditions concrètes offertes par l'espace rural
les plus pressants dans le monde rural ? Les besoins
auquel il s'applique. En effet, sauf en un certain nombre
seront plus précisément évalués par le recensement en
d'endroits , où a pu se faire une distribution massive de
cours. Néanmoins, les résultats de l'enquête de I'AARDES
terres permettant la constitution de gros îlots coopératifs,
au niveau des conditions de logement des attributaires
de . la première phase· sont suffisamment évocateurs à les terres de la révolution agraire sont assez disper-
sées (24). et il est difficile de « faire le plein » d'un
cet égard : au moins la moitié de la population rurale
connaît des conditions de logement médiocres ou très village avec des coopérateurs , à moins de les éloigner
considérablement de leur lieu de travail et ce, d'autant
médiocres (cf. tableau p. 44) . Exprimés, non plus rela-
tivement à la population rurale prise dans son ensemble, que ce secteur coopératif mène très généralement à
une exploitation de type extensif (1 coopérateur pour
mais relativement à la fraction très mal logée de cette
population , les résultats anticipés pour 1981 ne se chif- 10 ou 15 ha) . Ceci étant, on peut songer à "remplir»
frent qu 'à 30 %. Un tel résultat n'est pas négligeable , un village avec des ouvriers du secteur autogéré , mais
mais peut être jugé insuffisant dans la mesure où , sur si ce secteur réalise une mobilisation d'espace plus
3 ruraux mal logés, un seul est susceptible de voir continue, les densités d'occupation correspondantes sont
ses conditions de logement effectivement s'améliorer au faibles (25). l'exploitation étant très fortement mécanisée ,
terme de l'opération. et donc très extensive (1 ouvrier pour 10 ha en moyenne) .

Finalement, il apparaît que l'occupation de l'espace


Conscients de la lacune , des responsables on·t pu faire ne peut être réservée au x seuls destinataires du projet
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remarquer que « 1 000 Villages » ce n'était qu'un slogan et que les conditions d'accès doivent être élargies ,
et que, s'il le fallait, on en ferait 2 000 ou 3 000 ... On notamment au profit des petits paysans, qui « rentabili-
peut faire remarquer, en retour : qu'une telle perspective sent » le projet. Il n'est pas exclu, toutefois, que cer-
de « grossissement » du programme par rapport à ce taines données de composition de la population des vil-
qu' il était initialement comporte deux implications fon- lages ne résultent de l'intervention de responsables lo-
damentales : cau x , comme par exemple l'utilisation d'un village, proche
- dans sa conception actuelle, un village coûte cher : d'une agglomération, comme substitut de logement ur-
3 000 villages, cela supposerait que l'on accepte de grever bain . Au total. la sélectivité prévisible s'accomplit effec-
lourdement le budget public pour l'équipement rural pen- tivement, elle subit simplement une pondération néces-
dant encore au moins trois Plans quadriennaux (c'est-à- saire sous l'effet d'une contradiction et réserve faite des
dire jusqu'à environ 1990) ; anomalies s'opérant au plan social.
- il n'est à ce niveau rien d'impossible, mais cela L'impact direct de l'opération « Villages >> sur le monde
impliquerait que l'on accorde à la frange de la popu - rural s'exprime donc essentiellement par ces deux termes
lation rurale, restant présentement « traditionnelle », indissolublement liés de limitativité et de sélectivité. L'lm-
une attention que, jusque-là, on ne semble guère lui pression qui prévaut est qu'au travers de cette opération,
témoigner. on cherche essentiellement à pourvoir le secteur agri-
cole « socialiste >>, grossi d'une petite « frange >> privée,
Pour ce qui est de la traduction concrète de la sélec· d'une infrastructure complète de reproduction de la force
tivité de l'opération , les données d'ensemble manquent de travail, en négligeant les besoins (26) de près des
(22). Néanmoins, on peut juger par divers indices que trois quarts de la population rurale correspondant au
cette sélectivité n'est pas très stricte. Citons d'abord la secteur agricole traditionnel.
circulaire 1670 (23) qui, prenant acte de la sélectivité
excessive appliquée au niveau des 15 premiers villages,
élargit le champ des possibilités d'accès, en stipulant
que si les attributaires de terres doivent avoir une prio-
rité, les ouvriers des domaines autogérés, les petits
L'IMPACT INDIRECT
fellahs, peuvent aussi prétendre au logement dans un
village. Par ailleurs, si l'on se fonde sur les données L'opération « Villages >>, toutefois, n'est pas destinée
éparses fournies par la presse, ainsi que sur des données à avoir seulement un impact sur la population appelée
d'observatron directe, il est patent que résident dans les à y résider, mais également à influer sur les familles
villages, non seulement des coopérateurs, mais aussi vivant dans leur proximité. On a conçu, en effet, pour
1"000 VILLAGES SOCIALISTES EN ALGERIE
47

les villages, la notion de « pôles ruraux » devant exercer se traduira surtout par un appui technique à la produc-
par rapport au monde rural environnant au moins trois tion agricole et la mise en place éventuelle d'infrastruc-
grandes séries de fonctions : tures dans ce domaine. Sans doute, aura-t-il au:;si une
- une attraction résidentielle : des petits paysans sont certaine influence du point de vue résidentiel et procure-
susceptibles de venir s'installer au village, et y construire ra-t-il des services aux zones environnantes, mais ce
leur maison, ce qui aura pour effet la restructuration sont principalement les personnes liées aux zones de
géographique de la population ; forte productivité qui seront concernées. On retrouve là,
dans ce cas concret, le caractère limitatif et sélectif de
- une attraction de services : les populations envi-
l'opération que les statistiques globales avaient déjà mis
ronnantes bénéficiant d'un centre de services plus proche en évidence :
verront leurs conditions de vie s'améliorer, auront à leur
disposition des services qu'elles utiliseront plus intensi- - les implantations se font en correspondance avec
vement ou commenceront à le faire, réalisant ainsi l'in- les zones de forte productivité dont elles améliorent
tégration au << monde moderne » ; considérablement les conditions de production et les
conditions de reproduction de la force de travail ;
- une attraction économique : des ruraux trouvant un - mais ces zones étant éloignées des zones d'agri-
établissement bien équipé, plutôt que de migrer vers les culture traditionnelle qui ont les plus grands besoins en
centres urbains, chercheront à vivre dans le nouveau logements et en équipements sociaux, elles n'ont pas
village, où l'on aura prévu des activités artisanales ou d'effet très sensible sur ces dernières. Il semble donc
de petite industrie . Ainsi sera également réalisé l'effet que dans ces circonstances il soit vain d'attendre une
de frein à l'exode rural. sinon son blocage. influence indirecte appréciable des nouveaux villages.
Dans une certaine mesure , l'appréciation de cet impact
indirect éclaire les perspectives de l'industrialisation
rurale en Algérie. A ce niveau, on peut dire ceci : l'in-
dustrialisation rurale est sans doute souhaitable et pos-
***
sible (27) cependant, elle reste faiblement développée et
Au niveau de la conception le projet « 1 000 Villages »,
rien ne permet de prévoir, même à moyen terme, qu'elle
lié « aux actions de modernisation et de restructuration »,
intéressera les nouveaux villages en tant que source
présente très légitimement. eu égard aux nécessités d'ac-
significative d'emplois. En conséquence, on peut très
croissement de la production agricole en Algérie, une
fortement douter que ces nouveaux villages aient le rôle
dimension appréciable. On y note, de fortes préoccupa-
prévu de frein à l'exode rural avant longtemps.
tions de type social : améliorations des conditions de
vie des populations rurales, processus démocratique de
Mais cette appréciation de l'impact indirect renvoie
réalisation par association de ces populations aux déci-
au problème de l'insertion de l'opération dans l'espace
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sions d'organisation collective de la vie sociale. Par de
rural. Prenons, à titre d'exemple, le village d'Ain Djebs,
telles préoccupations - en principe, nullement incom-
implanté dans la daïra de Beni-Saf, wilaya de Tlemcen.
patibles avec les perspectives productives - Je projet
A la lecture du précieux recueil d'informations que consti-
revêt un caractère original et digne de susciter l'atten-
tuent les dossiers cartographiques du secrétariat d'Etat
tion.
au Plan, on peut faire les constatations suivantes :
- Le nouveau village a été localisé à proximité des Cependant. l'examen que nous avons pu en faire à
terres sur la productivité desquelles on mise, au profit différents niveaux montre assez clairement que les moti-
surtout de l'agriculture du secteur autogéré, plutôt que vations sociales réelles sont en retrait de ce qui semblait
des zones de coopératives de la première phase de la être suggéré et qu'elles en sont même parfois absentes :
révolution agraire où pourtant les besoins en logements - la participation des masses rurales aux décisions
et en équipements sociaux (le critère retenu étant la peut être qualifiée de formelle, et on évince les instances
présence d'au moins une salle de soins) se font le plus (assemblées populaires communales) qui pourraient les
sentir. Ces dernières zones sont dans l'ensemble éloi- représenter ;
gnées de plus de 5 km . du nouveau centre qui n'est donc
- le projet se concrétise par la construction de bâti-
pas en mesure d'exercer sur elles une forte attraction ments appréciables tant en qualité qu'en quantité, mais
ni du point de vue résidentiel. ni de celui des services. évidemment en relative contradiction avec les conceptions
- On peut également déterminer des raisons secon- de ses destinataires, puisque réalisés en dehors d'eux ;
daires au choix de l'implantation, ce sont en général - les destinataires concernés ne constituent. même
l'existence d'une infrastructure : ici, le nouveau village èn projection, qu'une très faible partie du monde rural
se situe à un carrefour routier secondaire où se trouvait et la frange la plus apte à la production.
une petite agglomération (de . 500 à 600 habitants en
1966) ; et sur le passage d'une ligne électrique à moyenne Risquerons-nous une conclusion ? Le projet « 1 000
tension . Cette dernière notation permet de souligner qu'on Villages de la Révolution agraire », conçu (et financé)
a fait ainsi, dans une certaine mesure, le choix de la par l'Etat, est ;aussi plus ou moins strictement réalisé
facilité : les coûts en voirie et réseaux divers sont ré- par lui. N'est-il pas la traduction même, au niveau de·
duits. En revanche, la nouvelle implantation n'amènera l'habitat rural, d'un type de développement à base tech-
pas une extension du réseau d'infrastructures. nocratique, lié à une stratégie industrialiste, même s'il
cherche à s'occulter dans un discours socialisant?
Au terme de l'examen de la situation de ce nouveau
village, nous pouvons remarquer que son impact indirect Georges LEPOUL
48 ETUDES

NOTES (13) Toutes les décisions financières sont prises à


l'échelon central à Alger.

(1) Mostefa LACHERAF : « De la révolution agraire à (14) Le projet a, en effet, bénéficié d'une priorité par
la révolution sociale », Alger, << EI-Djeich », août 1972. rapport aux autres opérations d'habitat rural.

(15) Des éléments de critique sont contenus dans un


(2) Voir dans l'étude précédente sur « la politique rapport fait par le Volontariat étudiant au cours de la
agricole algérienne » les différentes phases de la Révo- campagne de l'été 1975 portant sur les villages de la
lution agraire ; cf. aussi : Nourredine ABDI : « Réforme révolution agraire et publié par le ministère de l'Ensei-
agraire en Algérie » in « Maghreb-Machrek », no 69, juiL- gnement supérieur.
août-sept. 1975, p. 33-41.
(16) On trouve le cas de quelques villages que les
(3) Circulaire ministérielle 15 230 du 25 juillet 1972, attributaires ont quitté pour des raisons ou bien d'implan-
ministère de l'Agriculture et de la Réforme agraire, Com- tation (dans des zones marécageuses , couloir de vent...)
mission nationale de la Réforme agraire. ou alors de construction des logements, qui se détériorent
à la fin de la première année et sont mal finis .
(4) Les développements faits à ce titre reposent sur
une série d'entretiens que nous avons eus avec différents (17) Voir note 5.
responsables des Bureaux d'études chargés de projets
de villages. (18) Claudine CHAULET : « Famille et habitation ».
Centre national de recherche et d'études en sociologie
(5) « Etude socio-économique sur les attributaires de rurale (CNRESR). ministère de l'Agriculture et de la Ré-
la première phase de la Révolution agraire », chap. VIII : forme agraire (MARA). Communication faite au séminaire
Conditions souhaitées de logement, AARDES, juin 1975. sur l'Habitat rural.

(6) Note 3 592 CH3.74, du 18 décembre 1974, repro- (19) M. A. BENACHENOU : « Notes sur les aspects
duite dans « Quelques textes officiels concernant les juridiques de l'avant-projet de statut des villages socia-
Villages socialistes de la Révolution agraire ». Centre de listes "• présentées à la journée Villages du CREA-ONRS,
recherche en architecture et urbanisme, juillet 1975, 15 janvier 1976.
p. 39. (20) Selon C. CHAULET dans « Paysans et collectifs
(7) Note interministérielle 1 670 CH3/75 (Intérieur - Tra- de producteurs dans la réforme agraire algérienne »,
vaux publics - Secrétariat d'Etat au Plan) du 9 juillet 1973 Alger, Cahiers du CREA , no 1, sept. 1976, communication
« En communication aux walis » dans « Quelques textes faite au 4th World Congress of Sociology, Turin, août
officiels concernant les Villages socialistes ... », op. cit., 1976, il y aurait 34 villages de 100 à 150 maisons déjà
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p. 7. habités.

(8) Le village socialiste de la commune de Staoueli. aux (21) En Algérie, toute population .1e s'agglomérant pas
environs d'Alger, a fait l'objet d'une grosse « manchette » au-delà de 2 000 habitants.
dans le « Moudjahid » parce qu'il avait été fait par un (22) Ces données ne seront disponibles qu'au terme de
Bureau d'étude public algérien. la publication des résultats du deuxième recensement
(9) DNC-ANP : Direction nationale des Coopératives de et de l'enquête sur les Villages habités, que projette
l'Armée nationale populaire . I'AARDES.
SNS : Société nationale de sidérurgie. (23) Voir note 7.
SONATRACH : Société nationale pour la recherche, la
production, le transport. la transformation et la commer- (24) Réserve faite pour la steppe, où l'espace a été
cialisation des hydrocarbures. globalement nationalisé, et dont nous faisons un cas à
part.
(10) Note des Travaux publics 1 527 / CH3/75 du 29 mai
1975, relative au Il• Plan quadriennal et aux Villages (25) Dans une carte de répartition de la population, les
agricoles socialistes, en communication à MM. les Walis. zones d'agriculture autogérées se signalent par un affai-
blissement des densités .
(11) Cf. les canevas de travail pour l'étude socio-écono-
mique de l'environnement qui ont déterminé le choix de (26) Ou en laissant à d'autres opérations d'habitat rural
la localisation, Secrétariat d'Etat au Plan, août 1972. le soin de les satisfaire ; l'opération « Villages » n'est
qu'une partie du programme d'habitat rural (Il• Plan qua -
(12) Ce problème a été soulevé officiellement par l'As- driennal : 40 000 logements dans le cadre opération « Vil-
sociation des architectes algériens lors de la journée lages » et 60 000 dans le cadre d'autres opérations, no-
d'étude sur les Villages socialistes, organisée par le tamment autoconstruction).
Centre de recherches et d'études agronomiques (CREA).
sous couvert de l'Office national de la recherche ·scienti- (27) ROBINEAU, Alg~r. Cahiers du CREA, no 1, sept.
fique (ONRS), 15 janvier 1976. 1976.

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