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Madani Safar-Zitoun
2001/1 N° 4 | pages 30 à 35
ISSN 1621-5338
ISBN 2742733574
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-pensee-de-midi-2001-1-page-30.htm
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Alger ou la recomposition
d’une métropole
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Madani Safar-Zitoun est socio- Dans un de ses ouvrages inspirés, Ravereau risquait la formule heureuse : “Et
logue urbain.
le site créa la ville” pour décrire et expliquer l’extraordinaire capacité de l’ur-
banisme vernaculaire algérois de s’intégrer et de se déployer sur le flanc raviné
et chahuté de la magnifique baie d’Alger. Il reprenait sous un registre plus
sobre les analyses extatiques de Le Corbusier qui, dans sa Ville radieuse de 1935,
montrait combien les terrasses de la Casbah regardaient toutes vers la mer, vers
un port nourricier qui apportait souvent le bien, el-Kheïr, mais parfois aussi les
mauvaises nouvelles de marins disparus et de galères perdues.
Il avait compris peut-être un peu mieux que d’autres combien Alger, dans ses
fondements les plus intimes, était un don de la Méditerranée. Pendant des siè-
cles en effet, elle tourna dédaigneusement le dos à un pays profond qu’elle pré-
tendait défendre, et ce n’est peut-être pas par hasard que sa prise par les
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Français s’opérât par le sud, sur ses arrière-gardes, elle qui était tout entière
tournée vers le nord, vers la mer.
Depuis lors, elle entretient une attitude dédaigneuse et ambiguë vis-à-vis d’une
façade maritime que les profonds processus d’intériorisation sociale,
enclenchés lors de l’indépendance, ont vigoureusement renforcée. Elle semble
traîner aussi depuis lors comme le regret d’une impossible réconciliation avec
elle-même, avec son cosmopolitisme, son passé de gloire et de domination et
l’image qu’il a laissée dans les mémoires.
A cet égard, ne faudrait-il pas placer la brièveté de l’intermède institutionnel du
gouvernorat d’Alger – initiateur d’un grand projet urbain porteur d’une énième
tentative de réarticulation de la ville à la mer – et l’arrêt des chantiers de réalisa-
tion du carrefour du Millénaire – avec sa large passerelle destinée à enjamber
l’avenue de l’ALN, véritable muraille liquide et vrombissante – comme procédant
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LES PARADOXES DE L’URBANISATION ALGÉROISE : UN ÉTALEMENT URBAIN A
CARACTÈRE INTROVERTI ET DÉFENSIF
L’analyste soucieux d’objectivité et de lucidité ne peut pas ne pas admettre que
la spécificité de la ville d’Alger ne provient ni de son gigantisme ni de son carac-
tère macrocéphale, par simple comparaison à ses voisines maghrébines : Tunis
et Casablanca. Sa population de huit cent mille habitants environ au jour de
l’indépendance est passée à près de deux millions aujourd’hui à l’intérieur des
limites du “Grand Alger” (ensemble des communes constitutives de l’ancienne
wilaya d’Alger avant le découpage de 1997). Ce qui n’est somme toute pas exces-
sif : en intégrant toutes les autres communes de la wilaya, son poids démo-
graphique par rapport à la population algérienne totale n’est que de 8,6 %, bien
moindre que celui de Casablanca (20 %) ou Tunis (30 %). Ses taux de crois-
sance urbaine (2,5 % entre 1987 et 1998) affichent également et par conséquent
une certaine modestie au regard de l’emballement constaté des années soixante-
dix jusqu’au milieu des années quatre-vingt. Ils dépassent actuellement à peine
le taux de croissance démographique (2,2 %), communes périphériques
incluses, malgré l’insécurité qui a contribué, à partir de 1995, à générer cer-
taines formes d’exode sécuritaire.
Dans la même foulée, l’examen des modes de concentration des activités et des
investissements économiques ne laisse deviner aucun processus d’hyper-
centralisation autre qu’administrative et aucun phénomène de métropolisation
excessive.
Cela signifie-t-il que le spectacle affligeant des vergers de Birkhadem rongés
par le béton, des collines du Sahel, de Shaoula à Draria, complètement recou-
vertes de constructions et de carcasses inachevées, dressant leurs poteaux vers
le ciel, des chaussées défoncées et croulant sous les ordures, ne serait qu’un
phénomène ordinaire, au pire, un fantasme d’écologiste ou une vision défor-
1. Quelques chiffres : entre 1987
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“butin de guerre” colonial occupé lors de l’indépendance, vingt années plus tôt.
La boucle était apparemment bouclée : le processus de reconquête de la ville et
de patrimonialisation, enclenché en 1962, se résolvait progressivement durant
la “décennie noire” par la privatisation systématique du portefeuille foncier
périphérique. Durant toute cette phase, l’Etat, en tant que puissance publique
censée réguler l’urbanisation périphérique au regard de sa cohérence générale,
aura brillé par son absence. Bien plus, l’implication directe de ses représentants
au niveau local dans la distribution clientéliste du foncier avait révélé des con-
nivences et des collusions d’intérêt étranges. Tout s’était passé comme si l’on
était en présence du dernier acte d’un drame, qui se serait joué en trois temps,
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communautaire, dans le sens rural du terme, ou de regroupement autour des
ressources qu’apporte la parenté, et dont l’idéologie, le vocabulaire et les effets,
en termes de phénomènes d’allégeance, se retrouvent dans les réseaux d’appar-
tenance à base régionaliste qui se sont constitués dans la ville.
A cet égard, il apparaît de manière très nette que les modalités de constitution
de la société algéroise à l’indépendance ainsi que les modalités de renforcement
des systèmes de distribution ou d’accès aux biens spatiaux en dehors des lois du
marché – à l’intérieur de réseaux clientélistes, à soubassement catégoriel ou
tout simplement à base lignagère – ont renforcé les formes de renfermement
dans les logiques de groupes et dans l’espace. La morphologie même des
anciens et des nouveaux quartiers de lotissements algérois, leur contenu social,
la forme même des logements se ressentent de cette tendance de la ville d’Alger
à ne sourire, à n’offrir ses terrains, ses logements et ses avantages divers qu’aux
individus “enchâssés” dans des groupes d’appartenance forte.
C’est en quelque sorte une ville en fragments plus ou moins grands, plus ou
moins homogènes qui s’offre à l’analyste. Fragments de farqas, de çofs et de vil-
lages qui se sont reconstitués au détour d’un ravinement, dans les zones d’arrière-
cour bidonvilisées depuis les années trente, fragments de lignages reconstitués
lors de l’épisode de substitution résidentielle de l’indépendance et dans les
quartiers “spontanés” illicites de la périphérie algéroise de l’Est, fragments de
corps professionnels dans les grands ensembles érigés dans les années soixante-
dix, etc.
C’est aussi une ville verticalisée dans le sens anthropologique du terme, dans la
mesure où ce sont généralement des réseaux d’appartenance verticale qui ont
contribué à l’accès aux mêmes portions de foncier. C’est enfin une ville verti-
calisée dans le sens architectural du terme, dans la mesure où le modèle le plus
répandu des nouvelles résidences algéroises, qui se construisent à la périphérie,
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autour d’un voisinage “déjà là” s’articulant sur l’appartenance au même groupe ?
Il semble bien qu’on en soit encore à ce stade primaire de l’agglomération et de l’a-
grégation communautaire.
La pratique systématique de la fermeture des loggias et autres balcons, d’aveugle-
ment des façades pour soustraire les intérieurs aux regards d’autrui, le fantasme
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du barreaudage et de l’enfermement des Algérois à l’intérieur de hauts murs
dans les villas de la périphérie ne traduiraient pas seulement, dans ces condi-
tions, un réflexe sécuritaire, mais le syndrome d’une urbanisation algéroise
trop rapide et par trop introvertie.
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