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« LOST IN SATISFACTION »

Pertes et profits

Radu Turcanu

Érès | « Figures de la psychanalyse »

2010/2 n° 20 | pages 93 à 106


ISSN 1623-3883
ISBN 9782749213187
DOI 10.3917/fp.020.0093
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« Lost in Satisfaction »
pertes et profits
• Radu Turcanu•

I
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Comment la question de la satisfaction est-elle liée à celle de « la formation »
des analystes ? Chez Freud, l’une des manières de concevoir ce lien passe par son
invention de la pulsion, de ses destins et de ses satisfactions ; alors que chez Lacan,
cette liaison est désignée, entre autres, par la déclinaison de la satisfaction en satis-
faction du symptôme, satisfaction autre (de la parole), et satisfaction de la fin
d’analyse. C’est pourquoi, il me semble qu’en abordant la problématique de la
« formation » de l’analyste dans son lien à la satisfaction, il est important de suivre
la « dérive », via le transfert, de la satisfaction d’entrée en analyse vers cette « satis-
faction de la fin », assez énigmatique ; vers le moment précis où l’analysant est
censé mettre un terme – dire « assez » – à ses amours avec la vérité et à la course
au sens, lorsque l’Autre se révèle non seulement en tant qu’incomplet (barré par le
signifiant), mais aussi en tant qu’inconsistant (troué par l’objet a).

Par ailleurs, il est nécessaire d’introduire dans ce débat le « réel » lacanien,


concept véhiculé davantage, bien que tout aussi énigmatique que cette satisfac-
tion de la fin, réel qui est en jeu dans une analyse ainsi que dans ses suites et
ayant, lui aussi, comme la satisfaction, plusieurs facettes. Il s’agit donc de saisir
comment la satisfaction symptomatique d’entrée en analyse, celle que Freud
appelle substitutive, est consubstantielle d’un réel, trou dans le symbolique,
impossible à dire autrement qu’à travers le symptôme. En passant par une « autre
satisfaction » dont parle Lacan dans Encore, et qui est celle de la parole, cette
satisfaction symptomatique se remanie durant la cure et se transmet, épurée, à
cette nouvelle satisfaction qui est précisément celle de la fin. À cette satisfaction
de la fin, correspond un réel qui sera à la fois celui de l’impossible à dire et, en
plus, celui du hors sens, le réel d’un dire pur que chacun s’invente lors du proces-
sus de transmission qui est au cœur de la cure analytique. Autrement dit, il est
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question, lors de cette transmission, d’une transformation, non seulement d’une


satisfaction du début en une satisfaction de la fin, mais aussi d’une transforma-
tion d’un réel de l’impossible en un réel du hors sens ; et ceci via la satisfaction
de la parole et à travers le réel du vivant.

Dans ce contexte, il faudrait peut-être évoquer ici non pas tant la « forma-
tion » de l’analyste, mais plutôt sa « production ». Car, de formation, il n’y en a
que celle de l’inconscient, précise Lacan, tout comme, dans la même veine, il
explique aux étudiants en 1968 que le sens réel de toute révolution possible est
donné par la révolution des astres, qui reviennent toujours à la même place. La
dimension de « production », plutôt que de formation, dans le processus analy-
tique est en effet prégnante, si l’on tient compte du fait que ce processus abou-
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tit à la création d’une nouvelle satisfaction, qui peut rendre compte du réel en
question qui affecte l’analysant à la fin de l’analyse. Cette dimension de
« production » implique cependant un repérage, de la part de l’analysant et de
quelques autres, de la transmission d’une satisfaction et d’un réel (d’un affect,
côté sujet, et d’une jouissance, côté objet). Et, last but not least, elle permet une
pratique d’analyste.

Il est important de souligner cet aspect de la « formation » analytique, cette


pratique d’analyste où le repérage d’une transformation transmissible de la satis-
faction et du rapport à un réel se fait, du coup, sur un autre sujet, l’analysant.
Souligner ici une dissymétrie de position devient radical, car c’est seulement
l’analyste qui se fait le support de la transmission et qui porte ainsi le transfert,
à la fois dans le sens de son maintien et de sa réduction. La seule analyse, même
finie, ou mise à l’épreuve du dispositif de la passe, ne « produit » pas nécessaire-
ment l’analyste.

L’abord de cette question de la satisfaction peut contribuer ainsi au débat sur


la formation analytique, surtout lorsqu’il déplace l’accent du côté « formateur »
(bien rendu en anglais par le mot « training », qui veut dire « entraînement »),
vers le côté « producteur ». La production de l’analyste, ni simple formation, ni
reproduction, est plutôt (re)production, dans le sens de répétition, dont le tran-
chant vertigineux est celui de la création d’une nouvelle satisfaction et d’un réel
inouï à partir d’une satisfaction et d’un réel d’entrée dans la cure analytique.
C’est à partir de ce tranchant de la répétition que la pratique analytique devient
aussi une expérience de transmission (du désir d’analyste par exemple, dira à une
époque Lacan), où l’on peut isoler, en fin d’analyse, à la fois le côté support et
supporter de la dérive de la satisfaction symptomatique et du réel impossible à
« LOST IN SATISFACTION » – PERTES ET PROFITS 95

dire (« déviation du transfert », précise Lacan 1). Au-delà du malentendu langa-


gier et de la vérité mensongère, mais aussi en deçà de toute mystagogie du réel
et de la satisfaction, cette transmission est censée marquer le passage de l’analy-
sant à une sorte de lalangue analytique ; encore faut-il qu’il s’en empare de
manière à en faire un discours pour que la production de l’analyste s’y confirme.

D’ailleurs, c’est un analysant qui me fournit récemment une définition appro-


priée de ce que la transmission en psychanalyse véhicule, à la fois comme répéti-
tion vide d’une satisfaction insatisfaisante et comme répétition qui aboutit à la
création d’une satisfaction nouvelle, satisfaction de parole, d’un côté, et satisfac-
tion de la fin du sens du symptôme, de l’autre côté. Ainsi, cet analysant se plaint
de son père, et du fait que ce dernier ne lui aurait rien « transmis » de ce qu’un
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père, selon lui, devrait transmettre à son fils. Il considère donc qu’il n’a rien reçu de
son père et semble récuser toute notion de passation, de dette venant du père.

Comment donc transmettre la dette impossible à dire – voilà la formule qui


condense ce dont il est question dans cette (re)production de satisfaction qui
opère dans la cure et qui se situe au-delà non seulement du bien et du mal, mais
aussi du bien et du beau (comme le montre Lacan dans son Séminaire sur
L’éthique de la psychanalyse). Cette (re)production de satisfaction n’est pas une
répétition vide – suivant le principe homéostatique, et nirvanique, du plaisir –,
elle est répétition créative du nouveau quant au symptôme, un nouveau contin-
gent au sens. Assigné d’abord à un entre-deux (satisfactions, morts), le sujet, par
son désir que déniche et met aux commandes la psychanalyse, trouve ainsi sa
petite marge de manœuvre, sa manière propre de s’en dépêtrer. Sa manière, en
fin de compte, de traiter, selon ce désir, l’énigmatique question de la mort en
tant que pulsion.

II

Je reviens maintenant à la formule du titre, dont la première partie, « lost in


satisfaction », reprend et condense une formulation qu’un autre analysant a utili-
sée lors de son premier entretien préliminaire. Cet homme était inquiet quant à
son devenir à la fois d’artiste et de père, ne sachant pas comment, dans son exis-
tence, répartir les gains et les dommages : côté travail, véritable « workaddict »
ou accro du travail ; côté famille, marié et père d’une fille en bas âge.

1. J. Lacan, Le Séminaire, Livre VIII, Le transfert (1960-1961), Paris, Le Seuil, 2001, p. 373.
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La seconde moitié du titre, « pertes et profits », est censée indiquer une autre
manière de référer la satisfaction, terme toujours obscur selon Lacan, à la ques-
tion de la transmission en psychanalyse, et donc à la formation des analystes. Si,
dans la transmission, il s’agit, comme semble le suggérer mon premier analysant,
de faire passer à un autre ce qui se révèle comme perdu (lost) d’emblée chez tout
parlêtre, et qu’en plus il arrive que c’est de cette perte que se nourrit le désir, il
reste encore à vérifier comment le sujet se dépatouille avec la perte, comment il
fait pour en profiter et s’en satisfaire. Car, ce qui est perdu d’emblée se retrouve
précisément du côté de la satisfaction dont se supporte le sujet, à laquelle il est
fixé, et qui est la certitude du fantasme. Et c’est en se dégageant de cette satis-
faction, qui garde les traces de la satisfaction perdue, que le sujet creuse l’étroit
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passage par où il arrive non pas à advenir en guise de réponse au manque à être
qui le lançait dans sa quête de vérité, mais à faire advenir un savoir sur le trou
dans le symbolique révélé au départ, en tant qu’impossible à dire ; à faire adve-
nir donc comme bouchon un dire hors sens, un inconscient réel sans sujet, celui
de lalangue analytique qui borde, (re)produit l’inconscient structuré comme un
langage.

Lorsqu’on traite de la satisfaction, il est nécessaire, me semble-t-il, de convo-


quer trois repères lacaniens. Il s’agit d’abord de « l’usage de la fonction de la
pulsion 2 » ; en lien avec la pulsion, Lacan évoque également la répétition comme
structure fondamentale « de l’assiette subjective 3 » ; enfin, il fait référence à
l’acte, auquel « la répétition, comme articulation signifiante est interne 4 », tout
en incluant son après-coup et l’effet sujet sous-jacent.

À cela, il faudrait ajouter la disjonction lacanienne entre la satisfaction et la


jouissance, à partir de la non-coïncidence entre le signifiant et son travail de
forgerie et d’échange, et la lettre comme usure (uxurious, en anglais) et comme
ravinement 5. « Une nouvelle traduction du S (A barré), dont nous avons déjà
donné divers équivalents, vient ici reprendre [à propos de la répétition et la satis-
faction] la disjonction entre le corps et la jouissance sous la forme d’une disjonc-

2. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse


(1964), Paris, Le Seuil, 1973, p. 151.
3. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XIV, La logique du fantasme, leçon du 22 février 1967
(non publié).
4. Ibid., leçon du 1er mars 1967.
5. J. Lacan, « Lituraterre », dans Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 18-19.
« LOST IN SATISFACTION » – PERTES ET PROFITS 97

tion temporelle entre satisfaction obtenue et répétition poursuivie » (comme


jouissance 6).

La jouissance est ainsi, entre autres, « non purement et simplement… la satis-


faction d’un besoin, mais… la satisfaction d’une pulsion 7 ».

La jouissance, côté objet, est donc consubstantielle d’une satisfaction liée à la


motérialité du signifiant, côté sujet. Encore faut-il démontrer que l’effet sujet
impliqué dans cette satisfaction a un poids, à côté de celui de l’objet. Il faudrait
donc peser cet effet, en précisant de quelle manière à la fois il n’est rien par
rapport à l’objet, car, en l’y extrayant, l’objet ne perd pas de son poids à lui, et il
pèse néanmoins sur l’objet une fois qu’on l’y a extrait. Car cette extraction consti-
tue une création non pas d’une relation d’objet, tellement critiquée par Lacan,
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mais plutôt d’un affect d’objet : d’un trait d’identification, mais aussi d’une trace
de satisfaction.

Cette pesée est convoquée par Lacan lorsqu’il note qu’en début d’analyse, il
est nécessaire de peser chez l’analysant une forme de satisfaction qui lui est
propre. Satisfaction substitutive qui marque en même temps la différence entre
besoin et pulsion : « Sublimez tout ce que vous voulez, il faut payer avec quelque
chose. Ce quelque chose s’appelle la jouissance. Cette opération mystique, je la
paie avec une livre de chair. Voilà l’objet, le bien, que l’on paie pour la satisfac-
tion du désir 8. » Autrement dit, dans ce qui se satisfait, du désir inconscient, il y
a quelque chose qui se perd, un objet nommé jouissance. C’est « ce qui est sacri-
fié de bien pour le désir 9 », lors d’une opération « religieuse » que le sujet
névrosé connaît bien, comme nous allons le constater dans notre exemple
clinique.

D’où l’urgence de la pesée de cette satisfaction insatisfaisante du début


d’analyse, lorsque le sujet se découvre non seulement en tant que perdu dans sa
satisfaction symptomatique, mais aussi en tant qu’ayant perdu, dans cette
manière de satisfaire à son désir inconscient, un objet qui sera par la suite la visée
de ses compulsions de répétition ainsi que de ses amours avec la vérité.

6. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XV, L’acte psychanalytique, leçon du 28 février 1968 (non
publié).
7. J. Lacan, Le Séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1986,
p. 247-248.
8. Ibid., p. 371.
9. Ibid.
98 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 20 •

C’est pourquoi il est nécessaire de peser au début la manière singulière selon


laquelle, à partir de son symptôme, de l’objet partenaire de sa plainte qui
masque l’objet perdu, le sujet se divise. D’où également l’urgence d’une « recti-
fication subjective » par rapport à cette plainte, inscrite dans le mythe personnel.

III

Rappelons en ce point le montage pulsionnel freudien, qui désigne à la fois


la répétition en acte et la dérive de l’impulsion initiale, qui façonne le fantasme.
Ce montage implique, en plus des quatre composantes (poussée, but, objet,
source) et des quatre destins (le renversement dans le contraire, le retournement
sur la personne propre, le refoulement, la sublimation), deux autres consé-
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quences importantes, l’une portant sur l’objet, l’autre sur le sujet.

Concernant l’objet, il faut préciser, suivant Freud, que le fait même de le rater
à chaque fois que le circuit de la pulsion se boucle, déplace l’accent sur le chan-
gement d’objet, plus important que l’objet lui-même, ainsi que sur le trou réel
qui en résulte et que rien ne peut boucher si ce n’est le symptôme et sa satisfac-
tion dite insu-portable – alors que l’on sait que rien n’est plus recherché par le
sujet que cette même satisfaction 10. Insatisfaction donc du côté de l’objet. Sauf
que, selon Lacan, il s’agit aussi dans cette insatisfaction d’une des facettes de la
jouissance 11.

Du côté du sujet, Freud montre que le résultat du circuit pulsionnel,


« acéphale » précise Lacan, et qui ne cesse pas de produire du trou, consiste dans
la création, à la fin, non pas comme but mais comme finalité, d’un nouveau sujet.
Il s’agit ici de la constitution d’une identité subjective à partir de ce qui creuse la
demande initiale, à savoir l’objet cause du désir.

Une non-coïncidence topique s’inscrit ainsi entre le résultat du circuit, qui


mène à une insatisfaction, en tant que jouissance, côté objet, et la production en
fin de course d’une satisfaction autre, permettant d’affecter un sujet à cette
place à partir de la compulsion de répétition et des deux étages de la demande,
comme le montre le graphe du désir. D’ailleurs, le mot allemand, Befriedigung,
mais surtout le latin satisfacere impliquent l’idée d’une libération, d’un « assez

10. S. Freud, « Pulsions et destin des pulsions », dans Œuvres complètes, vol. XIII, Paris,
PUF, 1988.

11. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XV, L’acte psychanalytique, leçon du 6 décembre 1967.
« LOST IN SATISFACTION » – PERTES ET PROFITS 99

fait » ou d’une forme de règlement de dette 12 ; d’un « juste ce qu’il faut », ou


plutôt d’un ce qu’il « faut juste pour que ça se passe entre l’homme et la
femme 13 ».

Toujours par rapport au montage freudien de la pulsion, Lacan ajoute que


« la recherche de l’objet est quelque chose qui n’est concevable qu’à introduire
la dimension de la sublimation 14 ». Nous retrouvons ainsi la sublimation, cet
autre concept qui me semble essentiel lorsque nous évoquons la satisfaction et
son rapport à la transmission dans la psychanalyse, concept souvent réduit,
suivant Freud, à une satisfaction de la pulsion sans refoulement, inhibée quant à
son but. Mais non quant à sa finalité, insiste Lacan, faisant ainsi un autre sort à
la sublimation, lorsqu’il la lie à la production de quelque chose de nouveau à la
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fin d’une analyse – et qui n’est pas nécessairement un analyste.

Voilà donc déplié le concept de satisfaction selon Lacan : pulsionnelle, autre


(de la parole), et de la fin d’analyse. Dans sa « Préface à l’édition anglaise du
Séminaire XI », en 1976, Lacan évoque la question de cette dernière satisfaction
à propos de ce qu’il appelle « la direction de la cure » analytique, avec ses
moments préliminaires, ses finalités et sa fin : « Pourquoi dès lors ne pas
soumettre cette profession [de l’analyste] à l’épreuve de cette vérité dont rêve la
fonction dite inconsciente, avec quoi elle tripote ? Le mirage de la vérité, dont
seul le mensonge est à attendre (c’est ce qu’on appelle résistance en termes polis)
n’a d’autre terme que la satisfaction qui marque la fin de l’analyse. Donner cette
satisfaction étant l’urgence à quoi préside l’analyse, interrogeons comment quel-
qu’un peut se vouer à satisfaire ces cas d’urgence… L’offre [analytique] est anté-
rieure à la requête d’une urgence qu’on n’est pas sûr de satisfaire, sauf à l’avoir
pesée 15. »

Retenons ici l’idée d’une satisfaction qui marque la fin d’une analyse, ainsi
que la question d’une pesée de la requête quant à une urgence qui n’est certai-
nement pas étrangère à ce dont le sujet se plaint au début : à savoir une forme
de satisfaction, par le symptôme, tellement insatisfaisante qu’il se sent poussé à

12. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XIV, La logique du fantasme, leçon du 22 février 1967
(non publié).
13. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XX, Encore (1972-1973), Paris, Le Seuil, 1975, p. 61.
14. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XIV, La logique du fantasme, leçon du 1er mars 1967.
15. J. Lacan, « Préface à l’édition anglaise du Séminaire Livre XI » (1976), dans Autres
écrits, op. cit., p. 572-73.
100 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 20 •

en parler à un analyste. Enfin, il semble évident que la fin et le début de l’ana-


lyse sont, quant à la satisfaction, dans un rapport à la fois nécessaire et incalcu-
lable, à la fois de répétition et de contingence.

Nous pouvons dégager plusieurs pistes à partir de ces formulations, et


d’abord le fait que la complaisance du sujet dans sa dépendance au symptôme
peut aboutir à un « assez fait », moment où le sujet se précipite dans un disposi-
tif de parole censé l’aider à s’en séparer. Ce qui est pesé ici n’est pas le résultat,
incalculable, de la promesse de séparation, mais la disposition du sujet à en payer
le prix.

De plus, si le sujet se sent perdu dans cette satisfaction insatisfaisante, dans sa


jouissance symptomatique, ce n’est pas seulement du fait que la Chose, objet
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suprême de la perte, et donc de la quête, reste inatteignable, mais aussi parce
qu’il y a erreur dans les comptes quant à ce qui revient au sujet à partir de cette
perte ; quant à son profit donc. Là où il se croit gagnant, du côté de son « assiette
subjective » et de sa satisfaction substitutive qu’il obtient dans le symptôme, il
retrouve un manque, un moins. Et dans l’après-coup de son face à face avec l’ob-
jet, il y laisse quelques plumes, juste de quoi commencer à écrire plus tard, au
moment d’une demande d’analyse, le « assez fait ». C’est une fois que la dépen-
dance de cette satisfaction du symptôme se réduit, une fois qu’elle est en bonne
partie satis-faite, qu’elle cesse réellement de s’écrire, ouvrant ainsi la voie à la
satisfaction de la fin, à un « assez de sens » là où se logeait l’impossible à dire par
rapport au sens dont le corollaire était précisément la quête infinie de sens.

La satisfaction de la fin, le « assez de sens », pourrait en effet conclure le


« assez fait » du symptôme et de la satisfaction du début, constituant ainsi un
« s’en passer du sens » une fois qu’on s’en est servi. Le sujet satisfait finalement
au déchiffrage de son symptôme, à l’urgence de la question sur la vérité de son
être (sexué) et sur son identité. Il n’est plus seulement sujet du signifiant, de l’in-
conscient structuré comme un langage et comme discours de l’Autre, mais aussi
sujet de la jouissance, de l’inconscient réel, qui pourtant n’est pas un Autre de
l’Autre, mais un trou sur un trou, une (re)production du trou.

Il faudrait ajouter ici que le « assez » de la satisfaction de la fin porte aussi sur
la jouissance elle-même, non pas dans le sens où elle serait devenue une jouis-
sance satisfaisante, mais plutôt dans le sens où elle n’est plus « vécue » comme
obligatoire ou nécessaire, selon le registre phallique et surmoïque. Le sujet satis-
fait à cette nécessité, il peut donc faire place à la contingence de la rencontre
avec le phallus, mettre cette contingence même aux commandes, ce qui repré-
« LOST IN SATISFACTION » – PERTES ET PROFITS 101

sente une autre façon de dire que cette satisfaction de la fin, et d’après la fin, ne
peut être ni anticipée ni pesée. D’ailleurs, cela n’est pas contradictoire avec
« l’identification au symptôme », autre formule lacanienne de la fin d’analyse. Le
côté satisfaisant de l’identification à l’objet cause et à son savoir sans sujet se
noue ainsi à une jouissance qui, tout en s’exceptant de la nécessité, se plie à la
contingence.

IV

Lors du premier entretien préliminaire, cet homme se présente comme quel-


qu’un qui gagne bien sa vie avec son art, dont il est fier. Il voyage beaucoup et
se dit content de ce qu’il fait. Sauf que, partout où il va, il couche avec un nombre
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incalculable de femmes, ce que son épouse finit par ne plus supporter. Elle lui
demande de faire le nécessaire pour se débarrasser de cette mauvaise habitude,
sinon elle est prête à le quitter. Pendant qu’il raconte son histoire, sa femme est
dans la salle d’attente, et j’apprends qu’elle l’a accompagné chez tous les « psy »
qu’il a vus depuis plusieurs semaines.

Dans la manière dont il lie sa production artistique à un style de vie « d’ar-


tiste », où l’une ne va pas sans l’autre, l’acte sexuel passe dans le registre de l’ac-
ting out dès qu’il est évoqué. D’une voix tranquille, le patient conclut ainsi son
récit : « Voyez, c’est à n’y rien comprendre, je suppose que vous ne pouvez pas
faire mieux que les autres. » Je lui donne entièrement raison là-dessus.

« … le point où la satisfaction s’avère la plus déchirante pour le sujet, est celle


de l’acte sexuel, et c’est par rapport à cette satisfaction que toutes les autres sont
à mettre en dépendance au sein de la structure 16 ».

Dans tout acte, il y a, précise Lacan, un effet de Spaltung, mais aussi le déni
(Verleugnung) de cet effet de l’acte. L’acte « est l’instauration du sujet comme
tel, c’est-à-dire que d’un acte véritable le sujet surgit différemment en raison de
la coupure, sa structure est modifiée. Son corrélat de méconnaissance ou plus
exactement la limite imposée à sa reconnaissance dans le sujet […], c’est la
Verleugnung, à savoir que le sujet ne le reconnaît jamais dans sa véritable portée
inaugurale…17 ».

16. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XV, L’acte psychanalytique, leçon du 28 février 1968.
17. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XIV, La logique du fantasme, leçon du 22 février 1967.
102 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 20 •

Cette méconnaissance est double dans le cas de l’acting out, qui est un déni
« dénié » ; une dénégation. « Le passage à l’acte n’est donc, par rapport à la
répétition, qu’une sorte de Verleugnung avouée, et l’acting out une sorte de
Verleugnung déniée 18. » Nous pouvons considérer ainsi que l’acting out par
lequel débute une analyse est un indice par rapport à ce qui est pesé à ce
moment précis, à savoir la manière dont cet acting out et cette dénégation
peuvent être repris du côté de l’interprétation et de l’acte, analytiques cette
fois-ci.

C’est la pesée de cette translation initiale du déni vers la dénégation et du


passage à l’acte vers l’acting out qui décide de la suite, et même de la fin du
travail analytique. Et c’est à partir d’un « le compte n’y est pas » que se joue cette
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pesée initiale, dans le sens où l’analyste en position d’objet a n’est pas celui qu’on
attendait à la place de l’Autre 19 ; de la même manière, le sujet ne se retrouve
plus dans ses énoncés, d’où il ressort comme sujet de l’énonciation.

Mon patient a été adopté à la naissance et, au moment où il vient me voir, il


est en pleine recherche de sa mère biologique. Comme s’il s’agit de vérifier que
l’acte sexuel est sans reste, dans le sens où son produit, ici l’enfant qu’il fut, est
perdu sous la forme du petit a, et qu’en plus cet acte est dépourvu d’effet subjec-
tif, le patient multiplie ses relations sexuelles, répétitions des « scènes
œdipiennes 20 ».

Le premier déni de l’Autre maternel, déni de l’effet sujet de la production de


l’enfant comme a, est repris dans la façon dont cet homme envisage les relations
sexuelles, lorsque c’est lui qui endosse ce déni ; car, de son point de vue, ces rela-
tions sont sans conséquence, sans effet subjectif, sur lui ou sur les autres.
D’ailleurs, quand il devient pour la première fois père, très tôt à l’adolescence, il
est déjà confronté à ce cas de figure, lorsque l’enfant résultant d’une relation
sexuelle passagère avec une fille de son âge n’est jamais passé pour lui, en tant
que père, en place de sujet. Il lui a fallu plusieurs mois avant de me parler de cet
enfant qui vit loin de lui et avec lequel il n’arrive toujours pas à instaurer un lien
de parole satisfaisant.

La course qu’il met ainsi en place à travers les nombreuses rencontres


sexuelles est une course à la vérité, vérité sur l’acte sexuel lui-même que ces

18. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XV, L’acte psychanalytique, leçon du 28 février 1968.
19. J. Lacan, Le Séminaire, Livre VIII, Le transfert, op. cit., p. 389.
20. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XIV, La logique du fantasme, leçon du 22 février 1967.
« LOST IN SATISFACTION » – PERTES ET PROFITS 103

femmes, à commencer par sa mère, veulent lui cacher, explique-t-il. C’est pour
cela, d’ailleurs, qu’il ne leur fait pas confiance. Son but, c’est de maintenir le déni
par rapport à l’effet sujet qui accompagne la chute de l’objet lors de la course.
Plus cette course continue, plus il est conforté dans l’idée que l’effet sujet de
l’acte n’existe pas, ce qui l’aide à se maintenir sur la place de l’artiste.

Il lui est d’autant plus compliqué d’envisager les choses autrement à l’époque
où le produit de l’acte sexuel est sciemment contrôlé. Sauf que, alors que la jouis-
sance sexuelle est de nos jours donnée gagnante par avance, et où le sexuel est
conçu sans reste, donc sans effet sujet, les conséquences de l’acte sexuel sur les
sujets mêmes ne sont pas moins présentes, ne serait-ce que par la découverte
freudienne selon laquelle le sexuel est plutôt le lieu de l’insatisfaction 21. « À
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savoir que dans l’acte sexuel, on ne s’aperçoit pas de ce qui manque 22 », à cause
du déni de ses effets subjectifs. Ceci devrait nous aider à mieux saisir ce qui est
vraiment nouveau dans les constellations symptomatiques d’aujourd’hui.

Sur ce point, Lacan ajoute : « C’est toute la différence qu’il y a avec la subli-
mation. Non pas que dans la sublimation on le sache tout le temps, mais qu’on
l’obtient comme tel à la fin 23. » Le sujet « s’avance dans ce champ de l’acte
sexuel » alors qu’il « n’est pas autre chose qu’un produit, à ce moment-là. Il n’a
besoin ni d’être, ni de penser, ni d’avoir sa règle de calcul… Il entre dans ce champ
et il se croit être égal au rôle qu’il a à tenir. Ceci, qu’il soit de l’homme ou de la
femme. Dans les deux cas le manque phallique – qu’on appelle castration dans un
cas, ou Penisneid dans l’autre – est là ce qui symbolise le manque essentiel 24 ».

Au fond, si ses rencontres sexuelles avec les femmes peuvent êtres prises dans
le sens que ce patient souhaite leur donner, celle d’un symptôme, cela se
confirme seulement si l’on considère que c’est cet exercice répétitif qui lui permet
de rester dupe quant à son identité, d’homme, mais aussi d’artiste et de père.
Selon Lacan, « l’imagination d’une possible coïncidence et d’un possible rapport
à partir de l’acte sexuel, qu’elle soit d’avant ou d’après l’ère scientifique, est une
forgerie mâle, alors que l’apparence d’une création [dans le sens d’une sublima-
tion], c’est toujours par identification à la femme qu’elle se produit 25 ».

21. Ibid., leçon du 1er mars 1967.


22. Ibid., leçon du 8 mars 1967.
23. Ibid.
24. Ibid.
25. Ibid., leçon du 1er mars 1967.
104 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 20 •

Être artiste lui permet ainsi de rester dupe de sa division, et c’est au moment
où il se marie une deuxième fois et devient père d’une petite fille que cette divi-
sion lui éclate en pleine figure, alors qu’il continue de rencontrer des femmes.
« L’artiste » n’a pas ici la même fonction que pour Joyce, par exemple ; ce n’est
pas une suppléance à une « forclusion de fait », comme chez l’écrivain irlandais.
« L’artiste » est pour mon patient un nom de symptôme activé à chaque fois que
son identité de sujet divisé, son être même en tant que manque à être, est en jeu.
« L’artiste » représente un bouchon à la castration, bouchon qui saute au
moment où il rencontre cette femme qui le désigne en tant que père de leur
enfant. C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’il se sent de plus en plus coupable de
ses infidélités et décide qu’il est temps de les mettre à l’épreuve de la parole, de
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la satisfaction autre que celle symptomatique.

À la fin de cette première séance, je lui fais remarquer que ce ne sont pas les
conditions de production de son art qui sont pesées ici, comme il veut le laisser
entendre, car il pense en effet que sa manière de vivre correspond à celle de tout
artiste qui se respecte. Chez lui, la question est de savoir pourquoi il adhère à
cette idée, plutôt courante, pourquoi cela l’arrange et lui procure l’insatisfaction
dont il n’a pas encore eu assez. Car l’art et l’artiste, cela en fait deux. Même si
l’art est de qualité, comme il le dit, l’artiste, je complète, est « une catastrophe »,
mot que je reprends de son discours, où il est utilisé pour parler de toutes les
femmes que le patient a rencontrées. C’est à partir de cette interprétation inau-
gurale qu’il endosse une position subjective et répond à mon offre en faisant de
moi son « shrink ».

Quelques années après cette séance préliminaire, il m’apporte ce rêve : « Je


me trouve dans un endroit que je ne connais pas, dans un autre pays, peut-être
en Afrique du Nord. Je suis en train de faire un sacrifice. J’enfonce un couteau
long et fin dans la gorge d’un animal qui est mi-mouton, mi-chien. Je n’arrive pas
à le tuer, et l’animal réussit à s’échapper après que je l’aie déjà percé une fois à
la gorge. Il court autour de moi, et je vois que de sa plaie coule non pas du sang,
mais du miel. De plus, lorsque je le regarde de profil, je m’aperçois qu’il s’agit
d’une créature sans épaisseur, bidimensionnelle. »

Comme la licorne, cet animal à deux têtes, de chien et de brebis, n’existe pas,
et son aspect bidimensionnel, d’anamorphose, renvoie le patient dans un
premier temps à la fois à sa fille et à lui-même. C’est à nouveau comme si, chez
lui, être artiste visait le déni de l’effet sujet de l’acte, lorsque l’objet lui-même
chute, dans le sacrifice. Pourtant, cette fois-ci, il reste une trace de cet effet. Cette
« LOST IN SATISFACTION » – PERTES ET PROFITS 105

trace, c’est la forgerie de l’animal nouveau dans le rêve, où le miel-sang ruisselle,


ravinement littoral de l’acte sacrificiel. D’ailleurs, mon patient s’empare à travers
une dénégation de l’interprétation que constitue le rêve lui-même : « Je sacrifie
sur l’autel du travail… Paris is not heaven, Paris is hell. » Ce à quoi j’ajoute :
« Paris is Paradise » (cela renvoie au prénom de sa fille). « Nice pun » (« joli jeu de
mots »), commente-t-il.

Le rêve interprète donc dans le sens de ce qui a été nommé lors de la première
séance : il fait ressortir le côté incalculable et insaisissable, non programmable, de
l’acte, ici de l’acte sacrificiel. C’est d’ailleurs suite à ce rêve que sa fille est de plus
en plus présente dans son discours, et qu’il lui arrive de venir avec les questions
de sa femme concernant la sexualité infantile. Depuis peu, ils partent en vacances
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à trois.

Pour conclure, je dirais que ce « Lost in satisfaction » représente la formule de


ce qui est pesé en début d’analyse, de ce qui du symptôme passe à l’interprétation.
Mais aussi de ce qui restera du symptôme à la fin, avec en plus le déplacement de
ce reste du registre de la nécessité vers celui de la contingence, en tant que passage
du trou de l’impossible à dire au trou du hors sens. Au fil de la cure in progress
évoquée ici – et le rêve le démontre assez bien, en tant que nouveau passage par
la pesée de départ –, le sujet aperçoit un peu plus ce dont il est en train de se sépa-
rer à partir de cette perte initiale et de sa pesée. Cela ponctue, sans l’anticiper, le
fait que ce qu’il y a à gagner, du côté de la satisfaction, reste indécis, car hors de
tout savoir pouvant en dire l’objet. Mais ce reste, par rapport au symptôme, est
aussi un remainder / reminder censé délivrer au sujet une identité réelle, le délivrer
donc, dans le sens d’un « assez fait », de la question portant sur son identité ainsi
que de sa quête de sens et de vérité par rapport au symptôme.

Enfin, je précise que production et sublimation sont à mettre ici dans la série
(et le sérieux de) perte et profit du titre, et sont également référées à la question
de la satisfaction. Le profit sur la perte est ainsi un autre nom du trou sur le trou,
d’une visée dans l’analyse qui, dès le début, pèse la nécessaire satisfaction d’en-
trée, ainsi que, ce qui de cette satisfaction, en tant qu’objet perdu (lost), se fait
moteur du mythe individuel, de la fiction nécessaire que le sujet « construit »
dans la cure. Ce à quoi l’analyste répond par une Versagung (refus) dont la
traduction lacanienne est un « dire (que) non », dans lequel sont inscrits à la fois
« le défaut à la promesse 26 » d’une satisfaction quelconque de la fin, et la contin-

26. J. Lacan, Le Séminaire, Livre VIII, Le transfert, op. cit., p. 357.


106 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 20 •

gence de la trouvaille d’une telle satisfaction. Et ceci à partir de la création du


hors sens de la narration subjective, point ou articulation hors langage, mais non
pas hors lalangue, où la figure ou le trope, tragique, du destin qui a fait le
trauma subjectif et qui prend corps dans le symptôme 27, se satis-fait quant à son
sens et à ses dits et dédits, pour rester un pur dire.

RÉSUMÉ
La question de la transmission, centrale en psychanalyse, ainsi que celle de la formation
(production) de l’analyste sont abordées ici à partir de la satisfaction. Même s’il ne s’agit
pas d’un concept fondamental de la psychanalyse, la satisfaction est évoquée à des
moments cruciaux de la théorie freudienne et de l’enseignement de Lacan, à propos de la
pulsion, de la répétition, du symptôme, de l’identité du sujet, de la jouissance ou de la fin
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d’analyse. Elle marque à la fois un effet sujet, à travers la course à la vérité que celui-ci n’ar-
rête pas de relancer, et l’incidence sur le sujet d’un objet toujours en inadéquation par
rapport à la satisfaction recherchée. À travers cette incursion dans les méandres de la satis-
faction en psychanalyse, il est question du rapport entre ce qui satisfait en début d’analyse,
comme un « assez fait », et ce qui, d’une manière contingente plutôt que nécessaire, est
nouveau dans le registre de la satisfaction – un affect selon Lacan –, à la fin de l’analyse ;
autrement dit, ce qui de la répétition reste comme création de satisfaction à la fin.
MOTS-CLÉS
Satisfaction, pulsion, jouissance, formation analytique, identité, répétition, symptôme, fin
d’analyse, transmission.
SUMMARY
In dealing with satisfaction, we tackle two central issues in psychoanalysis: the problem of
transmission, and that of the training (production) of analysts. Even if it is not a funda-
mental concept of psychoanalysis, satisfaction is evoked at some crucial moments in both
Freudian theory and Lacanian teaching, with respect to the drive, repetition, symptom, the
subject’s identity, jouissance, as well as the end on analysis. The concept thus indicates an
effect as subject, following the race for truth that this subject starts over and over again,
as well as the impact on this subject of an object which is always inadequate as far as the
sought of satisfaction is concerned. By means of this incursion into the meanders of satis-
faction in psychoanalysis, what is hinted at is the relationship between what is satisfying at
the beginning of an analysis, in terms of “enough done”, and what is new at the end of
analysis, in a contingent rather than necessary way, in the domain of satisfaction – an affect
following Lacan; in other words, what, of repetition, remains as creation of a satisfaction
at the end.
KEY-WORDS
Satisfaction, drive, jouissance, analytical training, identity, repetition, symptom, end of
analysis, transmission.

27. Ibid., p. 379.

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