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L'APPORT D'HELENE DEUTSCH AUX QUESTIONS FONDAMENTALES SUR

L'ANALYSE DE CONTRÔLE (1927-1935)

Claus-Dieter Rath

Érès | « Figures de la psychanalyse »

2010/2 n° 20 | pages 123 à 138


ISSN 1623-3883
ISBN 9782749213187
DOI 10.3917/fp.020.0123
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L’apport d’Helene Deutsch
aux questions fondamentales
sur l’analyse de contrôle (1927-1935) 1
• Claus-Dieter Rath •
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Le texte « Analyse de contrôle » a été rédigé par Helene Deutsch en 1927 à la
demande de la Commission Internationale d’Enseignement de l’IPA. C’est un texte
programmatique. C’est pourquoi je rappellerai quelques éléments du contexte
historique.

Ce texte a été présenté par Deutsch en 1927, et une deuxième fois en 1935,
quelques mois avant son émigration aux États-Unis, cette fois-ci lu en l’absence
de l’auteur par Anna Freud.

C’est à ce texte, entre autres, que se réfère Balint dans sa remarque critique,
selon laquelle les questions de la formation psychanalytique ne sont guère discu-
tées dans la littérature psychanalytique, voire que des documents – à quelques
rares exceptions près (Eitingon, Kovács) – n’ont même pas été publiés. Sur ce
point, les psychanalystes ont fui les éclaircissements.

Il n’existait qu’une traduction anglaise, probablement établie après son


émigration à Boston, mais publiée seulement un an après son décès 2, et à partir
de laquelle la traduction française a été établie et publiée quatre ans plus tard 3,
ainsi qu’une nouvelle traduction parue en 2007 dans Les « comme si » et autres

1. Intervention aux journées d’Espace analytique sur la formation de l’analyste, Paris le


15 avril 2009. Extrait de mon article « Psychoanalysieren unter Kontrolle. Helene
Deutschs Beitrag zu den Fragen der Kontrollanalyse im Kontext der zeitgenössischen
Diskussion » dans Luzifer-Amor. Zeitschrift zur Geschichte der Psychoanalyse. 21. Jg.
Heft 42, Tübingen, 2008, p. 8-36.
2. Par Paul Roazen, en 1983, dans la Revue Contemporary Psychoanalysis.
3. H. Deutsch, «Analyse sous contrôle», Ornicar n° 42, 1987, p. 86-93.
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textes (1933-1970) 4. L’original allemand était cependant considéré comme


disparu.

Il y a quelques années, dans le cadre de mon séminaire sur les conceptions de


l’analyse de contrôle, séminaire de notre association berlinoise, la Freud-Lacan-
Gesellschaft, je me suis mis à la recherche de l’original. Entre autres, je me suis
adressé à Michael Schröter, qui faisait paraître la nouvelle édition non censurée
des lettres de Freud à Fliess, et, récemment, les correspondances Freud-Eitingon.
En 2008, lors d’une recherche dans les archives Eitingon à Jérusalem, Schröter est
tombé sur ce papier. Il ma proposé de l’éditer dans sa revue d’histoire de la
psychanalyse, Luzifer-Amor.

Pourtant, l’original de cet original nous reste toujours inconnu, puisque la


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trouvaille est le texte de 1935 – donc la deuxième version, qui contient sans
doute quelques ajouts (par exemple, concernant le contrôle en groupe). On peut
considérer comme une troisième version sa traduction anglaise, qui comporte des
petites modifications tenant compte de quelques expériences aux États-Unis.

De toute façon, cette trouvaille nous invite à une réflexion renouvelée sur le
contrôle dans plusieurs sens du mot et sur l’histoire de la transmission de la
psychanalyse.

Le titre de la traduction parue dans Ornicar nous confronte avec une question
centrale du débat : Analyse sous contrôle, tout comme le titre anglais, On Super-
vised Analysis, ce qui a justement été rectifié par l’éditeur Roazen en Control
Analysis, puisque le titre de l’original allemand est bien Kontrollanalyse, donc
« Analyse de contrôle ».

Que l’analyse de contrôle, comme élément de la formation, soit devenue un


thème important et visiblement délicat, tient à son institutionnalisation. La
formation a été structurée selon la triade de l’analyse didactique, de l’enseigne-
ment théorique et de la formation clinique, dont faisait partie l’analyse de
contrôle. Elle commence avec la Policlinique Psychanalytique de Berlin, où, à
partir de 1920, de nombreux citoyens ont été traités par des débutants.

En raison de la responsabilité envers les patients ainsi que dans le but de


former et de corriger les analystes débutants, une « analyse de contrôle » fut
introduite par le directeur Eitingon.

4. H. Deutsch, Les « comme si » et autres textes (1933-1970), Textes réunis et préfacés


par Françoise Hamon., Paris, Le Seuil, coll. « Champ Freudien », 2007.
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Depuis, elle est un élément principal de la formation de l’analyste, et il en


existe des conceptions divergentes, pas toujours très précises concernant la ques-
tion de savoir qui ou quoi contrôler, de quelle façon, et sur quoi l’analyste contrô-
leur devrait porter son attention.

Sándor Radó, dans son rapport sur les activités de la première décennie de
l’Institut et de la Policlinique Berlinois, donne une description de la formation du
« cursus pratique » :
« Deux nécessités ont été avant tout décisives à propos de l’aménagement interne du
stage. Le directeur de la policlinique, qui est le premier responsable de l’Institution,
devait inévitablement avoir la possibilité de prendre connaissance du travail des débu-
tants et de les surveiller de façon efficace.
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Cette exigence d’organisation correspondait tout à fait aux intérêts didactiques des
stagiaires qui ne pouvaient pas se sentir à l’aise dans l’isolement, exigé par la technique,
de leur travail thérapeutique. Le candidat acquiert la connaissance pratique de la tech-
nique au cours de l’analyse didactique, puis doit l’appliquer dans une nouvelle situation
qui le fait passer du rôle passif de l’analysant au rôle actif de l’analyste. Ce changement
est relié à des difficultés sur lesquelles Eitingon s’est prononcé ailleurs en détail 5. Le
jeune analyste doit adapter la démarche dont il a fait l’expérience sur lui-même dans
l’analyse didactique aux conditions individuelles de ses cas ; il y dépend dans une large
mesure du conseil et de l’assistance d’un praticien expérimenté. Comme l’analyse n’ad-
met sous une forme directe aucune surveillance et aucune aide, on a usé d’un procédé
indirect qui satisfait les deux besoins en un seul. Les stagiaires doivent, à de courts inter-
valles, faire un rapport au directeur de la policlinique sur le déroulement de leurs trai-
tements et celui-ci les conseille alors à propos de toutes les questions qui s’y rapportent.
Ces discussions ont lieu généralement en l’absence du malade, mais, au besoin, des
synthèses sont organisées en y incluant le malade. Cette institution est solidement
passée dans l’usage sous la désignation d’“analyse de contrôle” et s’est révélée être la
meilleure forme réalisable de l’enseignement pratique. L’augmentation des stagiaires a
rendu vite nécessaire, pour soulager le directeur de l’Institut, de charger progressive-
ment plusieurs autres enseignants de la fonction d’analyste contrôleur.
À l’analyse de contrôle s’est ajouté, après quelques années, le “séminaire technique”,
en tant que deuxième institution régulière du cursus pratique 6. »

5. Dans la conférence sur des questions de l’enseignement lors du IXe Congrès


psychanalytique International. Voir le rapport dans Internat. Zeitschrift f Psa., t. XI,
1925, p. 515.
6. Sándor Radó, « Le cursus pratique », dans On forme des psychanalystes. Rapport
original sur les dix ans de l’Institut Psychanalytique de Berlin 1920-1930. Présentation
de Fanny Colonomos, Paris, Denoël, coll. « L’espace analytique », 1985. L’édition fran-
çaise ajoute le titre « On forme des psychanalystes », p. 82.
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Je laisse de côté ici le rapport de Max Eitingon à Bad Homburg en septembre


1925 (lequel fut, après la mort d’Abraham, fin 1925, Président de l’IPA pendant
environ 8 ans, jusqu’en 1934).

Je dirai seulement qu’il est tout à fait d’accord avec ce qui a été avancé de
façon critique en 1924 par Sándor Ferenczi et Otto Rank dans leur livre Perspec-
tives de la psychanalyse (sur l’interdépendance de la théorie et de la pratique 7).
Ils écrivent que, dans la Lehranalyse – la didactique –, il y a trop de Lehren – acti-
vité enseignante – et pas assez d’« Analyse ». Pour eux, l’analyse est surtout
quelque chose de vécu et ils soutiennent que de l’expérience propre de l’analyse
résulterait un « plus-de-savoir de l’analyste », qui le rendrait apte à se nouer au
matériel provenant du patient avec justesse. Mais, dans le discours d’Eitingon en
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1925, un accent sera modifié : ce « plus-de-savoir » semble se transformer en un
« en plus » par le biais d’un « travail sous instruction » (Arbeit unter Anleitung).
Ferenczi et Rank insistent sur un savoir sur soi de l’analyste, Eitingon, par contre,
sur un savoir-traiter, à acquérir sous une instruction pratique.

D’ailleurs, Eitingon soutient la position de Ferenczi et Rank malgré les hosti-


lités de Karl Abraham à l’égard de leurs élaborations récentes (voir les lettres
d’Abraham à Freud en février 1924).

On peut supposer que la réunion du didacticien et du contrôleur en une seule


personne – et les désaccords qui interfèrent – ne pouvait faire problème qu’à
partir du moment où la didactique, conçue dans un premier temps comme une
instruction en matière d’analyse peu engageante, s’était transformée en une
recherche obligatoire sur son propre inconscient.

La notion de « contrôle »

Un coup d’œil sur l’étymologie de contrôle peut apporter quelques éclaircis-


sements. Ce mot est composé de contre-rôle (lat. contra rotulum), ce qui signifie
un contre-registre, donc un deuxième registre pour vérifier les indications (ou
données) d’un registre original. Le rôle est ici un rouleau de parchemin. Un
exemple concret en est le ticket de caisse, le double d’un formulaire de virement
ou encore les deux parties d’un billet de cinéma, qui servent à documenter un
processus.

7. S. Ferenczi et O. Rank, Perspectives de la psychanalyse (Sur l’interdépendance de la


théorie et de la pratique), Paris, Bibliothèque scientifique, Payot, 1994.
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Ce qui importe, c’est donc moins de savoir au nom de quoi un procédé de


contrôle est appliqué, de façon sévère ou laxiste, légitime ou pas, ce qui compte,
c’est de savoir quel est l’objet de l’attention, c’est-à-dire qu’est-ce qu’on compare
avec quoi, qu’est ce qu’on contrôle en référence à quoi. À partir de cette constel-
lation des deux rôles, ou rouleaux, il s’agit de ce qui est censé être l’original ou
la pré-scription, et par rapport à laquelle un deuxième texte est à examiner. Et de
façon analogue : à partir de quels idéaux, normes ou règlements d’exécution un
acte est-il contrôlé ?

Les soi-disant Prussiens

Des critiques du modèle berlinois de la formation utilisent bien volontiers le


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stéréotype de la Prusse bureaucrate. C’est ainsi que Bernfeld remarque rétros-
pectivement en 1952 : « Les motifs irrationnels de la xénophobie et de la culpa-
bilité ont donné un trait mélancolique à notre formation. Ceci s’accorde avec
l’esprit prussien, auquel les fondateurs de l’institut berlinois étaient plus ou
moins attachés. »

Et Eitingon se défendait déjà en 1930 : « Le fait que nous faisions des


programmes, et, comme il a peut-être semblé à quelques-uns, que nous cher-
chions à régler, voire à réglementer beaucoup de choses à la prussienne, n’ôte
peut-être rien de sa spontanéité à notre œuvre, car nous avons d’abord agi et ce
n’est qu’après coup que nous avons établi les règles, en réfléchissant sur notre
manière de faire. »

En fait, il a été démontré qu’une tendance à la bureaucratisation et la hiérar-


chisation, qu’on associe normalement à Berlin, a été surtout virulente dans le
groupe viennois 8. Et Bernfeld lui-même réfute le cliché prussien en notant que
« faire des lois est un hobby des psychanalystes partout dans le monde ».

On peut se poser une question : si la fondation d’un institut à Budapest n’avait


pas échoué, le contrôle aurait-il été organisé de façon très différente de ce qui se
passait à Berlin au cours de sa première décennie d’existence ? Il faut tenir compte
du fait que la plupart des enseignants de Berlin n’étaient pas berlinois, ni même
allemands, sauf Karl Abraham, né à Brême, et Karen Horney, née à Hambourg, et
quelques autres (Böhm, Müller-Braunschweig), mais – pour en mentionner

8. M. Schröter, « Die “Eitingon-Kommission” (1927-1929) und ihr Entwurf einheitlicher


Ausbildungsrichtlinien für die IPV », Jb. Psychoanal., 4, 2002, p. 209-210.
128 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 20 •

quelques uns – plusieurs étaient viennois, comme Otto Fenichel, Wilhelm Reich,
Theodor Reik, Hanns Sachs, ou hongrois, comme Franz Alexander et Sándor Radò ;
Siegfried Bernfeld était né en Galicie, Ernst Simmel à Breslau (Pologne), et Max
Eitingon, le directeur, à Moguilev (ou Mahiliow) en Russie – pourtant parmi les
enseignants il n’y avait pas d’anglais, pas d’américain et même aucun français.

Et lorsque Lacan vint à Berlin en août 1936, à l’occasion des Olympiades – il


était âgé de 35 ans – la plupart des psychanalystes étaient déjà partis 9.

Le texte d’Helene Deutsch

Le rapport de Deutsch a pour caractéristique d’être :


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1. une étude commandée par la Commission Internationale d’Enseignement de
l’IPA (IUK), qui a été présentée en 1927 dans un petit cercle – c’est-à-dire non pas
devant tous les membres de l’IPA ;

2. une position viennoise, étroitement inspirée des coutumes berlinoises, mais


appuyé sur les propres expériences cliniques de son auteur et en partie tenue de
façon personnelle. Et ces positions et ces expériences contrastaient avec celles du
groupe de Budapest. J’y reviendrai.

L’arrière-plan historique

Helene Deutsch (1884–1982) faisait une analyse chez Freud en 1918-1919.


Déjà pendant cette période, elle pratiquait l’analyse avec des patients, comme
elle l’écrit :
« Il était évident que Freud avait une foi totale en mes capacités. Preuve en était le fait
qu’un membre de sa famille fut mon premier patient en analyse, et qu’il me confia le
cas difficile de Victor Tausk, malade très perturbé, ainsi que ceux d’autres patients parti-
culièrement intéressants 10. »

« À cette époque, alors que la formation analytique n’était pas encore organisée, les
analyses de contrôle commençaient tout juste à être obligatoires. J’étais moi-même
contrôlée par Freud. Ainsi, il était simultanément mon formateur et mon contrôleur.

9. J’en parle dans mon texte « Les Olympiades 1936. Lacan, Berlin et la passion de
l’ignorance », dans Psychanalyse 3, Toulouse, érès, 2005, p. 111-123. Histoire qui a
affaire aussi avec la « cervelle fraîche » et la rencontre Kris-Lacan à Marienbad.
10. Helene Deutsch, Autobiographie (1973), Traduction française, Paris, Mercure de
France, coll. « 1001 Femmes », 1986, p. 168.
L’APPORT D’HELENE DEUTSCH AUX QUESTIONS FONDAMENTALES SUR L’ANALYSE 129

Évidemment, ce contrôle se passait de façon assez atypique : en général, nos discussions


commençaient par cette remarque modeste de Freud : “Vous en savez plus sur ce
patient que moi, car vous le voyez chaque jour ; je ne peux vous en dire grand-chose –
et puis, vous n’en avez pas besoin de toutes façons.” Cependant, quand je lui deman-
dais un conseil précis, il était toujours disposé à me le donner. Il continuait à s’intéres-
ser aux cas qu’il m’avait envoyés, et je lui demandais des consultations lorsque des
difficultés particulières surgissaient. Mais ces entretiens s’espacèrent progressivement.
Par la suite, mes conversations professionnelles avec Freud revêtirent un caractère
moins directement didactique. C’étaient de vraies discussions, en partie théoriques et
en partie cliniques 11. »

En 1923, elle passa environ un an à Berlin, où elle fit des expériences auprès
de l’Institut et entreprit une analyse avec Karl Abraham. En s’appuyant sur le
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modèle berlinois, elle proposa la fondation d’un Institut viennois, dont elle fut la
directrice jusqu’à son émigration à l’automne 1935.

Quelques éléments du texte de Deutsch de 1935

Deutsch indique qu’en 1927, dans le débat sur la formation, l’avis était que
« l’analyse de contrôle constitue la base sur laquelle repose l’essentiel de l’ensei-
gnement clinique en psychanalyse 12 ». Elle attribue deux tâches au contrôleur :

1. l’enseignement pratique des candidats « sous les instructions et la direction de


l’enseignant clinique » ;

2. qu’il informe l’institut sur l’aptitude (Eignung) du candidat. Cette apprécia-


tion, à laquelle elle dédie la première moitié du texte, constituerait aussi une
aide pour le didacticien, qui se trouve souvent dans un conflit entre sa tâche de
thérapeute et celle d’enseignant. L’objectivité de celui-ci fait facilement défaut,
dès que le candidat s’identifie à lui, alors que l’analyste contrôleur peut rester
dans « sa pure fonction d’enseignant 13 ».

D’où le fait qu’on s’accorde à Vienne pour penser que le contrôle ne devrait
pas être pris en charge par le propre analyste, contrairement à Budapest, où on
s’en tient – comme elle l’écrit – à « la préférence de Ferenczi pour le choix du
didacticien comme contrôleur – spécialement pour les premiers cas ».

11. Ibid., p. 167-168.


12. H. Deutsch, « Analyse de contrôle » (1935), dans Les « comme si » et autres textes
(1933-1970), op. cit., p. 81.
13. En allemand, « Lehrer » ; en anglais, « teacher » ; dans la traduction d’Ornicar,
« professeur ».
130 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 20 •

Intermezzo hongrois

Une des rares prises de position de Ferenczi concernant les questions de


formation est sa conférence prononcée à Madrid en 1928, très proche de l’exposé
d’Eitingon en 1925. Il utilise même la métaphore de l’apprenti.
« Comme vous le voyez, cette méthode de formation rappelle la formation profession-
nelle de l’artisan. L’apprenti doit d’abord s’approprier les tours de main du maître, subir
son influence éducative ; devenu compagnon, mais toujours surveillé et contrôlé, il doit
essayer de faire l’expérience du travail indépendant.

Dans la formation analytique, ce deuxième temps est représenté par l’analyse dite
“sous contrôle”. L’élève se voit confier quelques analyses ; il travaille seul, mais pério-
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diquement va rendre compte de son travail à son formateur, qui peut attirer son atten-
tion sur d’éventuelles erreurs techniques, le conseiller quant à la façon de mener la
cure. Le contrôle est poursuivi jusqu’au moment où l’élève est capable de travailler seul.
Pendant cette période de compagnonnage, il doit également acquérir un savoir théo-
rique, par la lecture des ouvrages où Freud et ses disciples ont consigné les résultats
déjà obtenus 14. »

La seule différence est qu’il parle de « son maître » ou « son enseignant » au


singulier là où les Berlinois et les Viennois parlent d’une dualité ou pluralité d’en-
seignants. Ceci traduit la conception hongroise, selon laquelle l’analyse de
contrôle a lieu auprès du didacticien et non pas auprès d’un deuxième ou troi-
sième enseignant.

Le seul exposé écrit qui nous soit parvenu de la conception de Budapest est le
texte de Vilma Kovács paru immédiatement après la mort de Ferenczi, en 1933 15.

14. S. Ferenczi, « Le processus de la formation psychanalytique », dans Psychanalyse IV,


Œuvres complètes, 1927-1933, Paris, Payot, 1982, p. 239-245.
15. V. Kovács, Analyse didactique, analyse sous contrôle.
– Version hongroise (1933) : « Kiképzö analizis es kontrollanalizis », dans Lélekelemzési
Tanulmànyok [Etudes psychanalytiques], Budapest, Somlo, p. 240-248.
– Version allemande (1935) : « Lehranalyse und Kontrollanalyse », dans Internat. Zschr.
Psychoanal., 21, p. 517-524.
– Version anglaise (1936) : « Training Analysis and Control Analysis », dans International
Journal of Psycho-Analysis n° 17, p. 346-354.
– Version française (1987/88) : « Analyse didactique, analyse sous contrôle » [au lieu de
« analyse de contrôle »], Ornicar ? Revue du Champ freudien, n° 42,1987-1988. Le texte
a été traduit à partir de la version anglaise, donc ni de l’original hongrois de 1933, ni
de la version allemande de 1935.
L’APPORT D’HELENE DEUTSCH AUX QUESTIONS FONDAMENTALES SUR L’ANALYSE 131

Vilma Kovács (1883-1940), analysante de Ferenczi, était membre de la Société


Hongroise depuis 1923, élue dans le Comité d’Enseignement en 1925, et elle diri-
gea le Séminaire technique de 1930 à 1939.

D’un point de vu formel, il y a deux différences entre ces positions :


1. concernant le début du contrôle avant la fin de l’analyse personnelle ;
2. concernant le ou les premiers cas de contrôle avec le didacticien.

Dans la deuxième partie de son texte 16, Kovács s’intéresse à des problèmes
particuliers, qui seraient résolus en différents lieux de façon différente, dont le
plus important serait l’analyse de contrôle.

« Si nous voulons bien nous contenter de ce type superficiel d’analyse sous


contrôle, nous pouvons parfaitement admettre qu’elle soit conduite par plusieurs
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analystes didacticiens, ce qui permettait au candidat d’apprendre différentes
méthodes 17. » Mais elle ne se contente pas de cette procédure, telle qu’elle avait
été proposée par Eitingon en 1925. « Étant donné qu’il peut apparaitre alors que
le candidat a déjà commencé à traiter des patients, que le temps n’est pas encore
venu pour terminer son analyse, il serait plus juste, à mon avis, que l’analyse sous
contrôle soit conduite tout le temps par l’analyste didacticien du candidat 18. »

Kovács soulève un point de vue nouveau et spécifique qui est sans doute
influencé par Ferenczi : le désir de guérir quelqu’un. Ainsi, elle introduit ce
critère : on peut confier les premiers patients au candidat dès qu’il est arrivé dans
son analyse au point où son désir de guérir (qn.) « ne signifie plus identification
à l’analyste didacticien 19 ». Pourtant, l’expression « vouloir guérir » (Heilenwol-
len) a été traduite par « son désir d’être normal », suivant la traduction anglaise
de l’International Journal « his desire to be normal 20 ».

On peut lire sa proposition dans le sens qu’un « vouloir guérir » authentique


et non pas seulement acquis par imitation doit être constitué, qui va de pair avec
la reconnaissance de « la nature première de sa personnalité », de « sa véritable
personnalité 21 ». Ce « vouloir guérir » n’est ici pas la même chose qu’un furor
sanandi.

16. V. Kovacs, « Analyse didactique, analyse sous contrôle », op. cit. à partir de la
page 98.
17. Ibid., p. 99.
18. Ibid., p. 99.
19. Ibid., p. 99. En allemand : « daß das Heilenwollen nicht mehr die Identifizierung mit
dem Lehranalytiker bedeutet ».
20. V. Kovacs, « Training analysis and control analysis », op. cit., p. 346-354.
21. V. Kovacs, « Analyse didactique, analyse sous contrôle », op. cit., p. 99.
132 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 20 •

Être averti du fait « que son inconscient réagit infailliblement de telle ou telle
façon […], lui permet de surveiller ses sentiments et, donc, de maintenir une atti-
tude invariablement objective ».

Mais ce contrôle – et surtout cette « reconnaissance des affects dans le contre-


transfert » qui sont les facteurs les plus éminents du travail analytique 22 – « peut
être maintenu avec succès, à condition que le candidat soit analysé tandis qu’il
travaille à ses analyses sous contrôle 23 ».

De là, on peut inférer que ce n’est pas la réunion en une seule personne de
l’analyste didacticien et de l’analyste contrôleur qui forme le noyau du conflit
entre deux lignes, mais la question de savoir combien comporte d’analyse une
analyse de contrôle, ou dans quelle mesure elle est supposée être une analyse.
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Le raisonnement de Vilma Kovács n’est pas explicitement pris en considéra-
tion par Deutsch en 1935. Nous ne savons pas jusqu’à aujourd’hui si, et dans
quelle mesure, l’une des auteurs avait connaissance du travail de l’autre. C’est
très probable, mais il faut tenir compte du fait que l’original hongrois de Kovács
est paru en 1933 et sa version allemande seulement en 1935 ; rappelons que le
premier exposé de Deutsch est daté de 1927. De toute façon, aucune des deux
femmes ne mentionne le nom de l’autre, ne serait-ce qu’une fois.

Malgré certaines différences on peut constater que le point commun le plus


important des deux textes concerne le détachement ou l’émancipation de
« l’identification avec le didacticien » : pour Kovács, il se fait au cours d’une
analyse qui va très loin, alors que pour Deutsch l’évitement d’une collaboration
trop durable est le moyen éprouvé.

Helene Deutsch soutient que le candidat pourra choisir librement son ou ses
contrôleur(s) – mais seulement dans le cercle « des personnes désignées pour
cette fonction par l’Institut ».

À plusieurs reprises, elle signale des « tendances » et désirs préférentiels


(Wunschtendenzen) des candidats. Lui déplaît la « tendance à choisir plusieurs
contrôleurs, peut-être pour réexaminer chaque cas avec un analyste diffé-
rent 24 », puisque cela provient d’une recherche du candidat d’une technique
d’un seul analyste, « qui lui plaira le plus ». Certains contrôleurs allaient au-

22. L’édition française parle de « formation » au lieu du « travail ».


23. V. Kovacs, « Analyse didactique, analyse sous contrôle », op. cit., p.101.
24. H. Deutsch, Les « comme si » et autres textes (1933-1970), op. cit., p. 84.
L’APPORT D’HELENE DEUTSCH AUX QUESTIONS FONDAMENTALES SUR L’ANALYSE 133

devant de cette tendance ; ils estimaient devoir offrir à l’apprenti quelque chose,
« que nous ne possédons pas dans la technique analytique et probablement ne
pouvons jamais posséder : une sorte d’exhaustivité qui pourrait s’apprendre au
moyen d’exercices approfondis et réguliers 25 » (ceci pourrait viser Wilhelm Reich
avec lequel Deutsch travaillait dans l’institut viennois).

« Il est du devoir de l’Institut d’éliminer cette méthode de travail narcis-


sique 26 » et de veiller à ce que l’élève puisse développer sa note personnelle dans
le cadre de la technique indiquée par Freud.

Comme par rapport au didacticien, Deutsch tient face au contrôleur à une


« émancipation 27 » ; raison pour laquelle les contrôles ne devraient pas durer
trop longtemps.
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Chez un jeune analyste en contrôle, il y aurait deux difficultés principales :
qu’il répète simplement avec ses patients ce qu’il a vécu passivement auprès de
son propre analyste, et qu’il transforme un sujet qui souffre en un « agglomérat
de complexes, phases d’organisation de la libido, de fixations, de symboles 28 »,
conception qui correspond à celle prônée par Eitingon en 1925. Pour faire face à
ces difficultés, selon Deutsch, il fallait que le contrôleur ne se limite pas à donner
des conseils, mais « il lui faut réellement participer à l’analyse du patient invi-
sible 29 ». Pour sa part, elle trouve important d’avoir vu ou parlé au patient au
moins une fois. Ceci se réfère évidemment aux conditions d’une policlinique.

Helene Deutsch aborde aussi les techniques concrètes de l’analyse de


contrôle. « Certains collègues demandent au candidat de noter les séances chro-
nologiquement », mais cela ne procurait aucune image claire du patient et de la
situation analytique [Elle a dû rencontrer cette méthode à l’institut berlinois en
1923-1924 ; voir le rapport de Eitingon]. Elle favorise en revanche les « remarques
fortuites » des patients ; « et noter le matériel perturbe considérablement l’atti-
tude intuitive du jeune analyste ». Elle veut saisir ce qui se communique à l’élève
« en dehors de l’élaboration consciente 30 » de l’inconscient du patient. Ceci se
passerait plus facilement quand on le laisse reproduire « le matériel par les voies
de l’association libre ».

25. Ibid., p. 84.


26. Ibid., p. 84.
27. Ibid., p. 83.
28. Ibid., p. 86.
29. Ibid., p. 86.
30. Ibid., p. 87.
134 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 20 •

L’image d’un « œil contrôleur de l’enseignant » est l’une des multiples méta-
phores optiques du texte de Deutsch. Deux exemples : un problème spécifique de
l’analyse de contrôle consiste pour elle dans le fait que ce qui est reproduit par
le candidat est vu par un intermédiaire, « à travers un milieu qui devrait être
transparent mais qui est souvent chargé d’un sédiment trouble qu’il faut enlever
pour voir le patient 31 ». La couche gênante serait un dernier dépôt analytique
des complexes chez le candidat ; « le démasquer et l’éliminer à chaque fois ne
présente pas de grandes difficultés. Il y a cependant des candidats en contrôle
chez lesquels ce dernier sédiment post-analytique est si épais que, tôt ou tard, le
travail parait impossible. Dans ces cas, il est toujours nécessaire de renvoyer le
candidat à sa propre analyse [c’est-à-dire chez le didacticien ; CDR], ou bien de
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remettre en cause son aptitude pour ce métier ».

Selon une autre image visuelle il s’agit « de voir réellement dans l’inconscient
du patient, par-dessus l’épaule du jeune analyste 32 ». L’inconscient est ici
quelque chose qu’on peut connaître, seulement si le regard ou les lunettes sont
assez forts et si les résistances du patient sont assez éliminées.

Remarque : Deux décennies plus tard Jacques Lacan parlera du contrôle


comme un dispositif où le contrôlé « joue le rôle de filtre, voire de réfracteur du
discours » de l’analysant en question 33. Le fait que celui-ci rendrait ainsi au
contrôleur « une stéréographie dégageant déjà les trois ou quatre registres où il
peut lire la partition constituée par ce discours », rendrait superflue la nécessité
d’un contact avec la réalité du patient.

En tant que contrôleur, elle ordonne le matériel afin de reconquérir un tout


(Ganzheit). Mais elle se contraint à garder une réserve et à ne pas prendre une
position de maîtrise. Elle souhaite une attitude simplement temporisatrice et
attentive du contrôleur, qui ne devrait donc intervenir dans les erreurs de ce
dernier que s’il estime qu’il y a un réel danger de nuire au patient. Ceci signifie
aussi de laisser de côté « les prévisions thérapeutiques, les critères pronostiques,
etc., que le candidat réclame de son formateur 34 ».

31. Ibid., p. 86-87.


32. Ibid., p. 88.
33. J. Lacan « Fonction et champ de la parole et du langage », dans Écrits, Paris, Le Seuil,
1966, p. 253.
34. H. Deutsch, « Analyse de contrôle », op. cit., p. 88.
L’APPORT D’HELENE DEUTSCH AUX QUESTIONS FONDAMENTALES SUR L’ANALYSE 135

Leur lieu serait plutôt les séminaires. Elle est rigoureusement contre un ensei-
gnement théorique dans le cadre du contrôle, puisque la « théorie grise » « fait
obstacle à l’observation des faits psychiques 35 ».

Dans la partie finale, Deutsch mentionne les séminaires de contrôle (« Analy-


senkontrolle in Gruppen ») introduits à Vienne selon sa recommandation et qui
auraient fait leurs preuves. Il faut noter que, dans le contexte du groupe, elle ne
parle plus d’analyse de contrôle, mais de contrôle d’analyse. Ces groupes peuvent
être considérés comme un précurseur de l’intercontrôle, mais en présence d’un
plus-un.

Ici, aussi, Deutsch exige au nom d’un maximum d’observation directe « l’éli-
mination de tout problème théorique et de tout débat théorique ».
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Pourquoi Helene Deutsch s’intéresse-t-elle à l’analyse de contrôle et aux ques-
tions de formation ?

Helene Deutsch a considéré son texte de 1927/1935 comme sa contribution la


plus précieuse pour l’institut de formation de Vienne. Quel sera son motif pour
assurer la formation analytique ? On peut se demander s’il y a un lien avec le
raccourcissement frappant de son analyse chez Freud (« Vous n’avez plus besoin ;
vous n’êtes pas névrosée 36 »), qui s’était annoncé dès le premier entretien avec
lui, et avec son sentiment d’être refusée qui mena, comme elle l’écrit, à la
première dépression de sa vie. Et quelle a pu être la part de la « nomination » par
Freud qui lui disait : « Dès lors, vous serez mon assistante » ? Elle le commente
dans son autobiographie : « Ainsi, ce furent à la fois mon lien affectif avec Freud
et ma prise de conscience objective du besoin d’une méthode organisée de
formation analytique qui me poussèrent plus tard à être très active dans le
domaine de l’organisation 37. »

Le témoignage de Richard Sterba qui a eu Helene Deutsch en tant qu’analyste


contrôleur laisse supposer qu’elle a pratiqué un style similaire : elle lui aurait
communiqué après dix séances : « Je crois que vous avez eu assez de contrôle. Si
vous ne l’avez pas appris jusqu’ici vous ne l’apprendrez jamais 38. »

35. Ibid., p. 89.


36. H. Deutsch, Autobiographie, op. cit., p. 166.
37. Ibid., p. 167.
38. R. Sterba, Erinnerungen eines Wiener Psychoanalytikers, [Réminiscences d’un
psychanalyste viennois], (1982), Frankfurt a. M., Fischer, 1985, p. 43.
136 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 20 •

Illustrations cliniques

Si Deutsch mentionne plusieurs fois le danger d’une intellectualisation, ce


n’est pas là l’expression d’une peur répandue parmi les analystes face aux pres-
tations intellectuelles d’une personne, mais une mise en garde contre un simple
classement dans des catégories (ce qui au fond ne requiert pas de grandes capa-
cités intellectuelles 39).

Elle lance un autre défi dans son exposé « À propos de certaines formes de
résistance » lors du congrès de Marienbad en 1936 (pour lequel elle était rentrée
de Boston) : beaucoup de personnes atteintes d’une légère paranoïa avaient l’in-
tention de travailler comme psychanalystes, en raison de leur intérêt pour la vie
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psychique. Elles se distinguaient par un « don prononcé pour la “perception
interne” » et elles donnaient l’impression d’une aptitude particulière pour la
profession de l’analyste. Mais, « Dans la première phase de l’analyse, ce type de
patient fournit un travail excellent. Il voit et comprend des choses qui sont d’ha-
bitude inconscientes et il anticipe toutes les interventions possibles de l’analyste.
Cette activité crispée sur la vie intérieure […] se révèle peu à peu une auto-obser-
vation renforcée dont le but est de se défendre contre des dangers intérieurs –
comme quand on écoute avec angoisse dans le noir et qu’on perçoit les bruits
plus nettement 40. »

Puisque Deutsch ne plaide pas pour l’exclusion de telles personnes, et vu


qu’elle ne s’attend pas à un changement radical dans l’analyse didactique, on
peut en déduire que pour elle cette tendance qui fait obstacle au travail peut et
doit être un élément important de l’analyse de contrôle.

On a l’impression que Deutsch, bien qu’elle tienne pour nécessaire d’avoir vu


le patient dont il est question en analyse de contrôle, s’intéresse principalement
aux découvertes de l’analyste en contrôle, alors que pour beaucoup de ses
collègues, comme par exemple Edward Bibring, ce qui importe davantage est la
façon dont le candidat perçoit et juge un cas, et que cela corresponde au plus
près à l’avis de son analyste contrôleur expérimenté.

39. Cf. H. Deutsch, « Okkulte Vorgänge in der Analyse » (1926), Imago, 12, p. 418-433.
40. H. Deutsch, « À propos de certaines formes de résistance », dans Les « comme si » et
autres textes (1933-1970), op. cit., p. 114.
L’APPORT D’HELENE DEUTSCH AUX QUESTIONS FONDAMENTALES SUR L’ANALYSE 137

L’analyse de contrôle au-delà de la formation

L’analyse de contrôle en tant que partie de la formation se distingue de l’ana-


lyse de contrôle en tant que formation constante de l’analyste. Ceci n’est pas un
perfectionnement mais un travail sur la fonction psychique de l’analyste. L’ana-
lyse de contrôle est alors une institution à laquelle un analyste peut avoir recours
pendant toute la durée de sa carrière.

Freud a mis à plusieurs reprises l’accent sur le fait que la perception de l’ana-
lyste devrait être en éveil, prête à tout accueillir (l’attention flottante), que ses
organes de perception ne devraient pas s’encroûter dans un savoir, ni se colorer
d’attentes déterminées, mais devraient toujours être ouverts à la surprise. Cela va
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à l’encontre du réflexe de protection que chacun de nous s’est créé et aménagé.

Comment cela se répercute-t-il sur la réceptivité ? L’analyste concerné ne


veut-il plus rien savoir, ne point trop savoir de l’inconscient ? Commence-t-il à
donner des interprétations sensées pour ce qui l’inquiète, pour isoler, pour
verrouiller au lieu de déverrouiller et inférer ?

Prenons en considération la comparaison que fait Freud (en 1937) entre l’ef-
fet de l’analyse sur l’analyste et celui des rayons Roentgen sur le médecin :
« Il semble ainsi que nombre d’analystes apprennent à utiliser des mécanismes de
défense qui leur permettent de détourner de leur propre personne des conséquences
et exigences de l’analyse, probablement en les dirigeant sur d’autres, si bien qu’ils
restent eux-mêmes comme ils sont, et peuvent se soustraire à l’influence critique et
correctrice de l’analyse. […] De temps à autre s’impose, à qui s’efforce de comprendre,
l’analogie déplaisante avec l’effet des rayons Roentgen, lorsqu’on les manie sans
précautions particulières. »

Freud en concluait :
« Chaque analyste devrait périodiquement, par exemple tous les cinq ans, se constituer
à nouveau objet de l’analyse, sans avoir honte de cette démarche. Cela signifierait donc
que l’analyse personnelle, elle aussi, et pas seulement l’analyse thérapeutique prati-
quée sur le malade, cesserait d’être une tâche ayant une fin pour devenir une tâche
sans fin 41. »

Ceci pourrait être la fonction d’une analyse de contrôle qui dépasse les buts
de la formation.

41. S. Freud, « Die endliche und die unendliche Analyse » (1937), GW 16, p 95-96.
138 • FIGURES DE LA PSYCHANALYSE 20 •

RÉSUMÉ
À partir de 1920, dans la Policlinique Psychanalytique de Berlin, de nombreux citoyens ont
été traités par des débutants. En raison de la responsabilité envers les patients ainsi que
dans le but de former et de corriger les analystes débutants, une « analyse de contrôle » fut
introduite par le directeur Eitingon. Depuis, elle est un élément principal de la formation
de l’analyste, et il en existe des conceptions divergentes, concernant la question de savoir
qui ou quoi contrôler, de quelle façon, et sur quoi l’analyste contrôleur devrait porter son
attention. Le texte examine l’exposé présenté par Helene Deutsch (Vienne) au Congrès
d’Innsbruck en 1927 et de nouveau au « Vierländertagung » en 1935 dans le contexte des
positions prononcées par Max Eitingon (Berlin) et Vilma Kovács (Budapest). Il discute la
relation entre analyse didactique et analyse de contrôle ainsi que la différence entre
« analyse de contrôle » et « contrôle d’analyse » ou « analyse sous contrôle ». L’analyse de
contrôle en tant que partie de la formation se distingue de l’analyse de contrôle en tant
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que formation constante de l’analyste.
MOTS-CLÉS
Max Eitingon, Sándor Ferenczi, Helene Deutsch, Vilma Kovács, Policlinique psychanalytique
de Berlin, formation de l’analyste, analyse didactique, analyse de contrôle, analyse sous
contrôle.
SUMMARY
From 1920 on, in the Berlin Psychoanalytic Polyclinic many persons received psychoanalytic
treatment by novices. Out of responsibility towards patients and in order to train and to
correct beginning analysts, the procedure of “control analysis” was introduced. It has
remained a central element of analytical training since, although there have been different
ideas, as to who was to exercise control and how and for which purpose it should be done.
This paper examines Helene Deutsch’s Viennese contribution, first presented at the 1927
Congress in Innsbruck and again at the first Four Countries Meeting in 1935, as compared
to the positions brought forward by Max Eitingon (Berlin) and Vilma Kovács (Budapest). It
highlights both the relation between training and control analysis and the difference
between “control analysis” and “control of analysis“. Control analysis as part of analytical
training is to be distinguished from control analysis as part of the analyst’s continuous
formation during his or her whole working life.
KEY-WORDS
Max Eitingon, Sándor Ferenczi, Helene Deutsch, Vilma Kovács, Berlin Psychoanalytic Poly-
clinic, psychoanalytic formation, psychoanalytical training, training analysis, control
analysis.

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