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UNE BRÈVE HISTOIRE CONTEMPORAINE DU RENSEIGNEMENT

FRANÇAIS

Gérald Arboit

CNRS Éditions | « Hermès, La Revue »

2016/3 n° 76 | pages 23 à 30
ISSN 0767-9513
ISBN 9782271093462
DOI 10.3917/herm.076.0023
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2016-3-page-23.htm
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Gérald Arboit
Raphaël Ramos
François-Bernard Huyghe
Michel Rocard
Antoine Mégie et Ariane Jossin
Franck Bulinge
Camille Alloing
Gael Cérez
Christian Harbulot
Nicolas Moinet
Jean-Luc Angibault
Sébastien Schehr
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I. Le renseignement,
entre crises et mutations

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Gérald Arboit
Centre français de recherche sur le renseignement
(CF2R)
CNRS-UMR S-Irice 8138

Une brève histoire contemporaine


du renseignement français

De 1989 à 2016, le renseignement a connu une mutation depuis la deuxième moitié des années 1960, tant aux États-
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dans sa médiatisation. Comme toute autre administration, le Unis qu’en Europe – mais comment – par quel événement –
monde de l’ombre s’est mué en acteur de la communication. il le ferait. Dans le second cas, elle résida davantage dans
Cette évolution, dont les étapes diffèrent d’un pays à l’autre, des dysfonctionnements de l’organisation bureaucratique
était induite par la fin de la guerre froide. Elle découlait de la gouvernementale – cloisonnement entre les services, rela-
nécessité de trouver une nouvelle légitimité à une profession tions difficiles entre eux, lenteur de la décision. Ces deux
reléguée par la littérature populaire, le cinéma et la propa- surprises annoncèrent aussi le changement de la nature de
gande au rang d’espion ou de guignol de foire. Elle reposait la menace principale. De bilatérale, autour de deux camps
sur la nécessité pour les services, notamment extérieurs, organisés, l’organisation du monde devenait profondé-
de renouveler leurs personnels après le départ en retraite ment multilatérale. Avec elle, le danger n’était plus le risque
d’une importante classe d’âge entrée dans la carrière avec d’holocauste nucléaire, mais la prolifération d’armes de
la guerre froide. Elle trouvait une opportunité dans les nou- destruction massive (armes non conventionnelles de type
velles formes de communication induites par l’avènement de nucléaire, radiologique, bactériologique, chimique) induite
nouvelles technologies de l’information (Arboit, 2009). par l’implosion de l’Union soviétique et le développement
Surtout, deux « surprises stratégiques » – c’est-à-dire des conflits périphériques. Par ailleurs, tenus sous-jacents
deux événements qui prirent en défaut aussi bien les ser- jusque-là par l’affrontement entre les deux blocs, d’autres
vices de renseignement que les politiques – se sont pro- dangers apparaissaient, depuis les trafics en tout genre (dro-
duites, à savoir la chute du mur de Berlin et les attentats gues, armes, êtres humains, animaux, etc.) jusqu’aux retours
du 11 septembre 2001. Dans le premier cas, la surprise ne des djihadistes d’Afghanistan et de Bosnie dans leurs pays
fut pas que l’empire soviétique s’écroulât – le fait était établi d’origine, en passant par les blanchiments d’argent. La

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mondialisation économique instaura également une sécu- depuis que la Central Intelligence Agency (CIA) avait
rité inconnue jusque-là par les entreprises, et notamment qualifié le renseignement français de « service mineur,
celles liées à la sécurité nationale. sauf pour l’Afrique » (Marion, 1999) au milieu des années
Il incomba aux services de renseignement de tous les 1970. La France en prit cruellement conscience quand les
pays de s’adapter à cette nouvelle donne, même si pour les États-Unis décidèrent d’intervenir contre l’Irak, suite à
plus grands – aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en l’invasion du Koweït à l’été suivant. Les préconisations
France –, cette évolution avait été suivie. Les plus petits, de l’ancien directeur général de la Sécurité extérieure
comme au Luxembourg, durent adopter, parfois à la faveur (DGSE), le général d’armée aérienne François Mermet,
d’un changement de direction, des méthodes éprouvées « sur le renseignement militaire et ses perspectives
de traitement de l’information, comme l’adoption d’un d’évolution au cours de la prochaine décennie », prirent
cycle du renseignement. Les attentats de New York et soudain une tout autre dimension. Il fallait adapter le
Washington, survenus deux jours après l’assassinat du renseignement français aux nouvelles contingences de
leader afghan, le commandant Massoud, avec lequel les l’époque.
principaux services de renseignement occidentaux impli- Une réflexion existait déjà à la marge de ce qui n’était
qués dans le conflit qui avait fragilisé l’Union soviétique pas encore la « communauté du renseignement ». Depuis
avaient collaboré, marqua la fin de l’après-guerre froide. l’offensive terroriste de l’été 1986, le personnel politique,
Pour les services de renseignement, s’ouvrit une période de à l’instar du Premier ministre Jacques Chirac (1986‑1988),
troubles qui remit en question leur façon de travailler sous n’était pas satisfait de la production des services et réflé-
la pression des événements qui s’enchaînèrent à rythme chissait à une nouvelle organisation. Aux Finances, on
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nouveau. Pour les décideurs qui les employaient, la tenta- proposait de « créer une direction du Renseignement au
tion fut lourde de profiter des mutations internes (chan- niveau national, indépendante de la direction nationale
gement générationnel) et externes (conflits à programmer des Enquêtes douanières [DNED], les deux directions
du fait du terrorisme) pour imposer une concurrence étant regroupées sous une même autorité » ; la direction
aux services en leur opposant des moyens d’obtention de nationale du Renseignement et des enquêtes douanières
l’information plus politique. L’afflux de renseignements (DNRED) avait été créée au printemps 1988 (Hoguet, 2004).
en provenance des États-Unis avant 2003 mit au jour une À la même époque, des réflexions identiques animaient
entreprise de politisation inédite depuis vingt ans. Seule l’état-major des armées (EMA). Une véritable alternative
l’autonomie française, suite à la mise à niveau des années porta autour d’une remise à plat des pratiques et des ins-
1991‑1992, permit d’échapper à la propagande anti-ira- titutions, pour former un système réellement autonome,
kienne de Washington (Arboit, 2014). et de la construction au sein de la DGSE d’une branche
« renseignement militaire », en absorbant l’appareil exis-
tant au sein d’une communauté unique de renseignement
extérieur. D’un point de vue technique, l’EMA penchait
Adapter le renseignement français pour la première solution, tandis que la DGSE préférait la
à un fonctionnement communautaire seconde. C’était sans compter avec le lobby militaire et ses
entrées dans le monde politique ! Au printemps 1992, la
Quand le mur de Berlin s’ouvrit soudainement, direction du Renseignement militaire (DRM) était créée.
le 9 novembre 1989, les choses n’avaient guère changé Cette création intervenait, et ce n’était pas un hasard, huit

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jours avant celle du Commandement des opérations spé- de la communauté du renseignement. Le contexte de
ciales (COS)1. lutte contre-terroriste consécutive aux attentats améri-
Cette double constitution n’était ni du goût de la DGSE, cains du 11 septembre 2001 permit au ministre de l’Inté-
ni des états-majors des trois armées. Tous craignaient d’iné- rieur Nicolas Sarkozy (2002‑2004, puis 2005‑2007) de
vitables concurrences, sinon doublons, qui n’étaient pas sans fusionner le contre-espionnage, pris en charge par la DST,
rappeler celles existant périodiquement entre la DGSE et ses avec une partie des Renseignements généraux (RG). Il ne
« cousins » de la police, notamment dans les affaires afri- le concrétisa qu’à son accession à la magistrature suprême
caines et terroristes. Le renseignement extérieur craignait (2007‑2012). Au printemps 2008, la direction centrale du
aussi de se voir ôter sa spécificité initiale, l’action clandes- Renseignement intérieur (DCRI), rebaptisée en direc-
tine héritée de la Seconde Guerre mondiale. Cette crainte tion générale de la Sécurité intérieure (DGSI) six ans plus
ressurgit en 2013, au moment où le volume des armées devait tard3, acheva la modernisation des services français et
être revu à la baisse pour des questions budgétaires et où les permit d’établir une architecture communautaire sem-
opérations spéciales avaient le vent en poupe du fait du ter- blable aux communautés du renseignement américaine et
rorisme. L’avènement de la DRM amplifia les duplications et britannique.
les causes de chamailleries au sein de la communauté du ren-
seignement. Avec la direction de la Surveillance du territoire
(DST), il s’agissait du contre-espionnage essentiellement. La Présidence
de la Premier
DGSE voyait ses nouveaux « cousins » lui contester l’usage • Chef de l’état-major Secrétaire République ministre
particulier général
des moyens de renseignement électromagnétiques et d’ima- • Conseiller Coordinateur
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diplomatique
gerie spatiale. Un moment, elle laissa croire à la création • Conseiller intérieur
national du
renseignement
d’un nouveau service, indépendant des deux autres, comme
Secrétariat
l’avait été le Groupement interministériel de contrôle en Ministères
de l’Economie,
Conseil
général de la
Traitement du national du
1960. Finalement, en novembre 1994, une charte, dite de renseignement des Finances renseignement
défense et de la
sécurité nationales
et action contre les et du Budget
non-agression, permit une coopération des deux services, circuits financiers
sans vraiment atténuer les rapports de force entre eux2. clandestins (Tracfin)
Ministère Ministère
Ministère
Face à ces tensions latentes et à l’élargissement du Direction nationale du de la Défense des Affaires
étrangères
de l’Intérieur
renseignement et des
périmètre de renseignement français, les décideurs poli- enquêtes douanières
tiques songèrent à organiser un fonctionnement plus Direction du Direction du Direction générale Direction centrale
renseignement renseignement et de la de la sécurité du renseignement
communautaire. Les services étaient aussi demandeurs militaire (1992) sécurité de la Défense extérieure intérieur
d’une meilleure coordination. Le Premier ministre Michel
Rocard (1988‑1990) accéléra le tournant de l’informa-
tisation, balbutiante depuis le début des années 1980, et Cette mutualisation du renseignement agrégea les
des technologies de la communication, encore neuves. compétences de plusieurs ministères. L’Économie et les
Sous cet effet, changea également l’environnement infor- Finances en apportèrent trois : l’animation de l’intelli-
mationnel des services, confrontés à une augmentation gence économique nationale, pour laquelle ils se dotèrent
exponentielle des sources ouvertes. Dans le même temps, d’un coordonnateur ministériel (CMIE) au juin 2007 ;
le développement de l’intelligence économique et de la la DNRED, promue service à compétence nationale en
sécurité des entreprises contribua à élargir les frontières octobre 20074 ; Tracfin, qui se rapprocha de la DCRI en

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mars 2011. Les Affaires étrangères créèrent pour leur part, contre-espionnage, on en venait à favoriser la contre-ingé-
en mars 2009, la direction de la coopération de sécurité rence, concept plus large qui place la menace de déstabi-
et de défense (DCSD), regroupant coopérations militaires, lisation interne (par sabotage, subversion, terrorisme ou
de sécurité intérieure et de sécurité civile. L’Intérieur les activités criminelles) au premier rang des préoccupations.
imita, en septembre 2010, avec une direction de la coopé- Pourtant, le rapport de force dans le fusionnement des RG
ration internationale (DCI), regroupant les structures de et de la DST sembla privilégier la seconde au détriment des
la police et de la gendarmerie, suite au fusionnement des premiers, les méthodes du contre-espionnage s’imposant
deux corps. Cette architecture fut complétée, dès juin 2010, comme procédure d’emploi.
par un décret relatif à la protection du secret de la défense
nationale, actualisant le précédent de juillet 2001. Un mois
plus tard, le Premier ministre se dota d’un service à com- Une incommunication aux lourdes conséquences
pétence nationale dénommé Académie du renseignement,
chargé de « la formation du personnel des services de ren- Cette marginalisation du renseignement intérieur
seignement placés sous l’autorité des ministres chargés de apparut cruellement à travers l’observation de la part non
la sécurité intérieure, de la défense, de l’économie et du intégrée des RG, la sous-direction de l’information générale
budget, au renforcement des liens au sein de la commu- (SDIG). Elle ne disposa jamais de doctrine d’emploi, sem-
nauté française du renseignement ainsi qu’à la diffusion blant travailler par défaut comme le révélèrent les attentats
de la culture du renseignement5 ». du printemps 2012 à Toulouse et Montauban. Elle se char-
geait de ce que la DCRI ne faisait pas, le renseignement dit
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« en milieu ouvert » : mouvements sociaux, ordre public,
religion (hors radicaux), violences urbaines et bandes…
Adapter le renseignement français Toutefois, en matière d’islamisme radical, la SDIG était
aux menaces des temps nouveaux chargée de surveiller les mosquées, mais dès qu’un indi-
vidu était soupçonné d’activisme, la DCRI héritait du dos-
Au-delà d’un simple effet de politisation du ren- sier. La même chose se constatait dans le domaine de la
seignement, la réforme touchant le renseignement inté- subversion violente. En outre, la SDIG devait se plier à la
rieur marquait plutôt une prise en compte de la notion fusion opérée au sein du ministère de l’Intérieur et accepter
de sécurité intérieure au niveau politique. Le ministre de que certains de ses services zonaux les plus ruraux puissent
la Défense, Jean-Yves Le Drian, responsable politique de être dirigés par le commandant de groupement de gendar-
la DGSE, adopta, le 12 décembre 2012, un nouvel arrêté merie. Un casus belli pour beaucoup de policiers, qui consi-
portant organisation du service, listant les quatre services dèrent que le renseignement est une prérogative policière et
composant la direction du renseignement, donnant un qui craignent de se faire manger par les gendarmes ! Plus
aperçu du « futur en gestation » : contre-prolifération, sérieusement, la différence d’habilitation entre la SDIG et
contre-terrorisme, sécurité économique, renseignement la DCRI – cette dernière étant la seule des deux à pouvoir
géopolitique et de contre-espionnage6. Depuis 2012, la connaître des dossiers secret-défense – empêchait les deux
France avait renoué avec le terrorisme, après une paren- services de réellement communiquer entre eux.
thèse de seize ans. Mais il s’agissait aussi de tourner défi- La résurgence terroriste de 2012 mit en évidence
nitivement la page de la guerre froide. D’une priorité au ce manque de coordination. Le ministre de l’Intérieur,

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Une brève histoire contemporaine du renseignement français

Manuel Valls, pensa un moment le corriger en démante- renseignement, compétente uniquement pour la capitale
lant la DCRI et en revenant à la situation ante-2008. Il y et la proche banlieue. L’attaque du 13 novembre 2015 en
renonça mi-novembre 2012, comme le président Sarkozy fut la cruelle conséquence, la responsabilité politique étant
avait renoncé, quatre ans auparavant, à placer la DGSE néanmoins atténuée par la différence de niveau des colla-
sous la responsabilité des Affaires étrangères, à l’image borations avec les services européens. Europol avait bien
du MI-6 britannique. En 2008, le pouvoir avait eu peur intégré dans ses priorités le terrorisme islamique depuis
de relancer une stérile guerre administrative entre mili- 1999, mais se préoccupait encore plus de drogue, d’im-
taires et diplomates ; en 2012, le renforcement des liens migration illégale et de vols de voitures. En Belgique, la
entre la direction générale de la police nationale (DGPN) Sûreté de l’État était plus préoccupée par le contre-espion-
et la DCRI permit de résoudre la crise. Un « groupe de nage à Bruxelles, où siègent la Commission européenne et
liaison » fut détaché à la SDIG, et des équipes de la DCRI, ses organes, ainsi que l’Otan, que par ce qui se passait à
soit une quarantaine de policiers, auprès de chaque service Verviers ou à Molenbeek-Saint-Jean. S’ajoutait aussi la dif-
zonal. Le 9 mai 2014, neuf jours après la transformation de ficile coopération avec les 19 bourgmestres de Bruxelles et
la DCRI en DGSI, la SDIG devint le Service central du ren- les 6 zones de police. Malgré une opération conjointe avec
seignement territorial (SCRT)7. Il était chargé des « ren- la police française en décembre 2008 contre les djihadistes,
seignements [qui] concernent tous les domaines de la vie il fallut attendre le 15 janvier 2015 et l’opération contre la
institutionnelle, économique et sociale susceptibles d’en- cellule de Verviers pour que la Sûreté prît conscience de
traîner des mouvements revendicatifs ou protestataires », son manque de linguiste arabe.
mais sa collaboration avec la DGSI resta problématique,
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malgré l’octroi de quelques habilitations secret-défense,
comme le révéla l’attaque contre Charlie Hebdo le 7 jan- L’illusion du tout-technologique
vier 2015.
Cet attentat déclencha une conséquence inattendue de La contrainte budgétaire achevait partout de désor-
cette libération du renseignement intérieur de la tutelle de ganiser les appareils de renseignement intérieur. Dans un
la DGPN, pour la rattacher directement au ministre de l’In- climat global en Europe de révision générale des politiques
térieur. Conscient des ratés de l’antiterrorisme, et non du publiques et de coupes budgétaires, et sous prétexte d’in-
renseignement, son titulaire, Bernard Cazeneuve, décida formatisation des services de renseignement et de sécurité,
de gérer au plus près la chasse aux terroristes. L’ordre établi il fut décidé des réductions drastiques de personnels. Les
depuis 1984 s’en trouva bousculé. L’Unité de coordination postes d’ingénierie étant épargnés, ceux sur le terrain sont
de la lutte antiterroriste (Uclat), installée depuis la création les premiers touchés. Partout, sans prendre conscience
de la DCRI dans les mêmes locaux qu’elle, fut totalement que se rééditait l’illusion américaine pré-11 septembre
marginalisée. Le 30 juin 2015, le décideur lui substitua un du tout-technologique, la douce musique du renseigne-
état-major de prévention du terrorisme, directement au ment d’origine électromagnétique se répandit dans les
niveau de son cabinet. Intervenaient des cadres de la DGSI, différents services. Côté sécurité, cela signifia la dispari-
du SCRT, de la Sécurité publique, de la police judiciaire, tion des unités de police de proximité, qui fournissaient
de la gendarmerie… mais pas de l’Uclat. De même, pas pourtant un renseignement d’alerte. Côté renseignement,
plus qu’en 2008, il ne fut pas mis fin à l’incongruité d’une les missions d’infiltration s’en trouvèrent limitées par la
duplication à la Préfecture de Police des structures de hiérarchie.

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Gérald Arboit

La nouvelle panacée était l’interception et la collecte plus rudimentaires. Les failles de surveillance induites
des données par des moyens capteurs. Elle impacta lour- par ces réductions de personnels actifs sont nombreuses.
dement les capacités d’analyse des services. Outre des Les djihadistes savent aussi bien se jouer de l’absence de
problèmes d’analyse dus à des personnels insuffisants, croisement des fichiers et de leur remplissage aléatoire
elle créa l’illusion des décideurs, qui ont tendance à mul- par des services de police surchargés que des possibilités
tiplier les écoutes, comme dans les séries télévisées. La de la zone Schengen. À cela s’ajoutent des interdictions
médiatisation de ces moyens amène aussi les cibles à s’en politiques, comme cette interdiction faite aux services
prémunir, délaissant leurs téléphones portables au profit français par le gouvernement Valls de discuter avec leurs
de solutions plus cryptées ou plus indétectables, même les homologues syriens !

NOTES

1. Journal officiel, 17 juin et 9 juillet 1992, décret du 16 juin et 4. Journal officiel, 10 mai et 21 novembre 2007, circulaire du
arrêté du 24 juin 1992. 21 mars et arrêté du 29 octobre 2007.
2. Le Monde, 27 novembre 1994. 5. Journal officiel, 23 juin et 16 juillet 2010, décrets des 21 juin et
3. Journal officiel, 28 juin 2008 et 2 mai 2014, décrets des 27 juin 13 juillet 2010.
2008 et 30 avril 2014. 6. Journal officiel, 11 janvier 2013.
7. Journal officiel, 10 mai 2014, décret du 9 mai 2014.
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R ÉFÉR ENCES BIBLIOGR APHIQUES

Arboit, G., « La médiatisation du renseignement et ses dérives Hoguet, J.-H., Au service de l’État à travers la Douane, 1954‑1996,
depuis le 11 septembre 2001 », in Denécé, E. (dir.), Renseignement, Paris, L’Harmattan, 2004.
médias et démocratie, Paris, Ellipses, 2009, p. 19‑43.
Marion, P., Mémoires de l’ombre. Un homme dans les secrets de
Arboit, G., Des services secrets pour la France. Du Dépôt de la l’État, Paris, Flammarion, 1999.
Guerre à la DGSE (1856‑2013), Paris, CNRS éditions, 2014.

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