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FRANÇAIS
Gérald Arboit
2016/3 n° 76 | pages 23 à 30
ISSN 0767-9513
ISBN 9782271093462
DOI 10.3917/herm.076.0023
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2016-3-page-23.htm
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De 1989 à 2016, le renseignement a connu une mutation depuis la deuxième moitié des années 1960, tant aux États-
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mondialisation économique instaura également une sécu- depuis que la Central Intelligence Agency (CIA) avait
rité inconnue jusque-là par les entreprises, et notamment qualifié le renseignement français de « service mineur,
celles liées à la sécurité nationale. sauf pour l’Afrique » (Marion, 1999) au milieu des années
Il incomba aux services de renseignement de tous les 1970. La France en prit cruellement conscience quand les
pays de s’adapter à cette nouvelle donne, même si pour les États-Unis décidèrent d’intervenir contre l’Irak, suite à
plus grands – aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en l’invasion du Koweït à l’été suivant. Les préconisations
France –, cette évolution avait été suivie. Les plus petits, de l’ancien directeur général de la Sécurité extérieure
comme au Luxembourg, durent adopter, parfois à la faveur (DGSE), le général d’armée aérienne François Mermet,
d’un changement de direction, des méthodes éprouvées « sur le renseignement militaire et ses perspectives
de traitement de l’information, comme l’adoption d’un d’évolution au cours de la prochaine décennie », prirent
cycle du renseignement. Les attentats de New York et soudain une tout autre dimension. Il fallait adapter le
Washington, survenus deux jours après l’assassinat du renseignement français aux nouvelles contingences de
leader afghan, le commandant Massoud, avec lequel les l’époque.
principaux services de renseignement occidentaux impli- Une réflexion existait déjà à la marge de ce qui n’était
qués dans le conflit qui avait fragilisé l’Union soviétique pas encore la « communauté du renseignement ». Depuis
avaient collaboré, marqua la fin de l’après-guerre froide. l’offensive terroriste de l’été 1986, le personnel politique,
Pour les services de renseignement, s’ouvrit une période de à l’instar du Premier ministre Jacques Chirac (1986‑1988),
troubles qui remit en question leur façon de travailler sous n’était pas satisfait de la production des services et réflé-
la pression des événements qui s’enchaînèrent à rythme chissait à une nouvelle organisation. Aux Finances, on
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jours avant celle du Commandement des opérations spé- de la communauté du renseignement. Le contexte de
ciales (COS)1. lutte contre-terroriste consécutive aux attentats améri-
Cette double constitution n’était ni du goût de la DGSE, cains du 11 septembre 2001 permit au ministre de l’Inté-
ni des états-majors des trois armées. Tous craignaient d’iné- rieur Nicolas Sarkozy (2002‑2004, puis 2005‑2007) de
vitables concurrences, sinon doublons, qui n’étaient pas sans fusionner le contre-espionnage, pris en charge par la DST,
rappeler celles existant périodiquement entre la DGSE et ses avec une partie des Renseignements généraux (RG). Il ne
« cousins » de la police, notamment dans les affaires afri- le concrétisa qu’à son accession à la magistrature suprême
caines et terroristes. Le renseignement extérieur craignait (2007‑2012). Au printemps 2008, la direction centrale du
aussi de se voir ôter sa spécificité initiale, l’action clandes- Renseignement intérieur (DCRI), rebaptisée en direc-
tine héritée de la Seconde Guerre mondiale. Cette crainte tion générale de la Sécurité intérieure (DGSI) six ans plus
ressurgit en 2013, au moment où le volume des armées devait tard3, acheva la modernisation des services français et
être revu à la baisse pour des questions budgétaires et où les permit d’établir une architecture communautaire sem-
opérations spéciales avaient le vent en poupe du fait du ter- blable aux communautés du renseignement américaine et
rorisme. L’avènement de la DRM amplifia les duplications et britannique.
les causes de chamailleries au sein de la communauté du ren-
seignement. Avec la direction de la Surveillance du territoire
(DST), il s’agissait du contre-espionnage essentiellement. La Présidence
de la Premier
DGSE voyait ses nouveaux « cousins » lui contester l’usage • Chef de l’état-major Secrétaire République ministre
particulier général
des moyens de renseignement électromagnétiques et d’ima- • Conseiller Coordinateur
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mars 2011. Les Affaires étrangères créèrent pour leur part, contre-espionnage, on en venait à favoriser la contre-ingé-
en mars 2009, la direction de la coopération de sécurité rence, concept plus large qui place la menace de déstabi-
et de défense (DCSD), regroupant coopérations militaires, lisation interne (par sabotage, subversion, terrorisme ou
de sécurité intérieure et de sécurité civile. L’Intérieur les activités criminelles) au premier rang des préoccupations.
imita, en septembre 2010, avec une direction de la coopé- Pourtant, le rapport de force dans le fusionnement des RG
ration internationale (DCI), regroupant les structures de et de la DST sembla privilégier la seconde au détriment des
la police et de la gendarmerie, suite au fusionnement des premiers, les méthodes du contre-espionnage s’imposant
deux corps. Cette architecture fut complétée, dès juin 2010, comme procédure d’emploi.
par un décret relatif à la protection du secret de la défense
nationale, actualisant le précédent de juillet 2001. Un mois
plus tard, le Premier ministre se dota d’un service à com- Une incommunication aux lourdes conséquences
pétence nationale dénommé Académie du renseignement,
chargé de « la formation du personnel des services de ren- Cette marginalisation du renseignement intérieur
seignement placés sous l’autorité des ministres chargés de apparut cruellement à travers l’observation de la part non
la sécurité intérieure, de la défense, de l’économie et du intégrée des RG, la sous-direction de l’information générale
budget, au renforcement des liens au sein de la commu- (SDIG). Elle ne disposa jamais de doctrine d’emploi, sem-
nauté française du renseignement ainsi qu’à la diffusion blant travailler par défaut comme le révélèrent les attentats
de la culture du renseignement5 ». du printemps 2012 à Toulouse et Montauban. Elle se char-
geait de ce que la DCRI ne faisait pas, le renseignement dit
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Manuel Valls, pensa un moment le corriger en démante- renseignement, compétente uniquement pour la capitale
lant la DCRI et en revenant à la situation ante-2008. Il y et la proche banlieue. L’attaque du 13 novembre 2015 en
renonça mi-novembre 2012, comme le président Sarkozy fut la cruelle conséquence, la responsabilité politique étant
avait renoncé, quatre ans auparavant, à placer la DGSE néanmoins atténuée par la différence de niveau des colla-
sous la responsabilité des Affaires étrangères, à l’image borations avec les services européens. Europol avait bien
du MI-6 britannique. En 2008, le pouvoir avait eu peur intégré dans ses priorités le terrorisme islamique depuis
de relancer une stérile guerre administrative entre mili- 1999, mais se préoccupait encore plus de drogue, d’im-
taires et diplomates ; en 2012, le renforcement des liens migration illégale et de vols de voitures. En Belgique, la
entre la direction générale de la police nationale (DGPN) Sûreté de l’État était plus préoccupée par le contre-espion-
et la DCRI permit de résoudre la crise. Un « groupe de nage à Bruxelles, où siègent la Commission européenne et
liaison » fut détaché à la SDIG, et des équipes de la DCRI, ses organes, ainsi que l’Otan, que par ce qui se passait à
soit une quarantaine de policiers, auprès de chaque service Verviers ou à Molenbeek-Saint-Jean. S’ajoutait aussi la dif-
zonal. Le 9 mai 2014, neuf jours après la transformation de ficile coopération avec les 19 bourgmestres de Bruxelles et
la DCRI en DGSI, la SDIG devint le Service central du ren- les 6 zones de police. Malgré une opération conjointe avec
seignement territorial (SCRT)7. Il était chargé des « ren- la police française en décembre 2008 contre les djihadistes,
seignements [qui] concernent tous les domaines de la vie il fallut attendre le 15 janvier 2015 et l’opération contre la
institutionnelle, économique et sociale susceptibles d’en- cellule de Verviers pour que la Sûreté prît conscience de
traîner des mouvements revendicatifs ou protestataires », son manque de linguiste arabe.
mais sa collaboration avec la DGSI resta problématique,
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La nouvelle panacée était l’interception et la collecte plus rudimentaires. Les failles de surveillance induites
des données par des moyens capteurs. Elle impacta lour- par ces réductions de personnels actifs sont nombreuses.
dement les capacités d’analyse des services. Outre des Les djihadistes savent aussi bien se jouer de l’absence de
problèmes d’analyse dus à des personnels insuffisants, croisement des fichiers et de leur remplissage aléatoire
elle créa l’illusion des décideurs, qui ont tendance à mul- par des services de police surchargés que des possibilités
tiplier les écoutes, comme dans les séries télévisées. La de la zone Schengen. À cela s’ajoutent des interdictions
médiatisation de ces moyens amène aussi les cibles à s’en politiques, comme cette interdiction faite aux services
prémunir, délaissant leurs téléphones portables au profit français par le gouvernement Valls de discuter avec leurs
de solutions plus cryptées ou plus indétectables, même les homologues syriens !
NOTES
1. Journal officiel, 17 juin et 9 juillet 1992, décret du 16 juin et 4. Journal officiel, 10 mai et 21 novembre 2007, circulaire du
arrêté du 24 juin 1992. 21 mars et arrêté du 29 octobre 2007.
2. Le Monde, 27 novembre 1994. 5. Journal officiel, 23 juin et 16 juillet 2010, décrets des 21 juin et
3. Journal officiel, 28 juin 2008 et 2 mai 2014, décrets des 27 juin 13 juillet 2010.
2008 et 30 avril 2014. 6. Journal officiel, 11 janvier 2013.
7. Journal officiel, 10 mai 2014, décret du 9 mai 2014.
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Arboit, G., « La médiatisation du renseignement et ses dérives Hoguet, J.-H., Au service de l’État à travers la Douane, 1954‑1996,
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médias et démocratie, Paris, Ellipses, 2009, p. 19‑43.
Marion, P., Mémoires de l’ombre. Un homme dans les secrets de
Arboit, G., Des services secrets pour la France. Du Dépôt de la l’État, Paris, Flammarion, 1999.
Guerre à la DGSE (1856‑2013), Paris, CNRS éditions, 2014.