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L'HÔTELLERIE DE LUXE : ENJEUX ET MUTATIONS

François Delahaye, Didier Lucas et Alexandre Schoepfer

Editions Choiseul | « Géoéconomie »

2013/1 n° 64 | pages 171 à 184


ISSN 1620-9869
ISBN 9782362590498
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2013-1-page-171.htm
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L’hôtellerie de luxe :
enjeux et mutations
François Delahaye

Entretien réalisé par Didier Lucas et Alexandre Schoepfer*



F rançois Delahaye mène depuis plus de vingt ans un parcours
remarqué dans l’hôtellerie de luxe, qui l’a conduit en décembre
1999 au poste de Directeur général de l’Hôtel Plaza Athénée à Paris.
Il devient par la suite également directeur des opérations de la
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Dorchester Collection qui possède neuf hôtels de luxe dans le monde,
dont le Plaza Athénée. Une expérience riche et une fonction de
premier plan qui en fait aujourd’hui l’un des acteurs incontournables 171
pour discuter et analyser les enjeux et les perspectives du marché de
l’hôtellerie de luxe en France et dans le monde.

Géoéconomie : Directeur général de l’hôtel Plaza Athénée depuis


plus de dix ans, vous avez fortement contribué au développement
de ce palace parisien et à sa nouvelle renommée internationale.
Quels ont été les outils de cette réussite et quels sont aujourd’hui
le positionnement, les enjeux et les perspectives pour le Plaza
Athénée ?

François Delahaye : Le Plaza Athénée réalise aujourd’hui un


chiffre d’affaires de 80 millions d’euros. Ce qui en soit n’ est pas très
élevé lorsque l’ on compare ce chiffre à la notoriété de la marque
par exemple. Pour se faire, nous employons près de 600 personnes
toute l’année, et avons développé de nombreuses offres et services

* Respectivement rédacteur en chef et responsable éditorial de la revue Géoéconomie

| François DELAHAYE |
particuliers tels qu’un restaurant 3 étoiles dirigé par Alain Ducasse,
un chef pâtissier de renom en la personne de Christophe Michalak,
nous avons fait construire une patinoire pour l’hiver, etc.
Lorsque je suis arrivé à la tête de l’hôtel à la fin des années 1990, ce
dernier n’était pas propriétaire de ses murs, n’ était classé qu’au sixième
rang des palaces français, son image vieillissait avec ses murs, son
dynamisme ralentissait… En plus de 10 ans, nous sommes parvenus
à devenir numéro deux du marché. Nous sommes également devenus
propriétaires de nos murs tout en nous agrandissant afin de pouvoir
augmenter la taille de certaines de nos suites et donc la qualité de nos
offres.
Malgré ces bonnes réussites, je me dois de rester continuellement
prudent et ambitieux. Prudent car la concurrence évolue
constamment, que ce soit sur le marché des palaces avec l’ ouverture
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récente et à venir de nouveaux noms de l’hôtellerie de luxe à Paris,
ce qui va renforcer et durcir la concurrence ; mais également avec
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l’arrivée d’une nouvelle clientèle issue de nouveaux horizons qu’il
s’agira d’attirer et de fidéliser. Ambitieux car je vise la première place
et encore plus de reconnaissance de la part de nos clients. Il faudra
donc encore investir dans la rénovation de l’hôtel et de ses suites,
mais également dans le renouvellement des offres et services proposés
afin de se distinguer de nos concurrents et ainsi permettre l’arrivée
de nouveaux clients. Cela passera, par exemple, par la mise en place
d’arguments nouveaux et originaux tels qu’une cave fabuleuse de
40 000 bouteilles que l’on proposera de visiter à certains de nos clients
(comme les Chinois par exemple), de leur faire visiter nos cuisines,
ou de leur mettre à disposition un bateau pour pouvoir se promener
sur la Seine. C’est là-dessus que nous devons avancer et toujours
progresser car c’est par l’addition de services originaux, de petits plus,
que nous pourrons continuer à nous maintenir au premier rang.

Géoéconomie : En tant qu’observateur et acteur avisé du monde


du luxe, et de l’hôtellerie de luxe en particulier, pouvez-vous nous
décrire et analyser l’évolution économique de ce marché depuis ces

| |
dernières années en France, en Europe et dans le monde ? Quels
en sont ses principaux enjeux et ses perspectives ?

François Delahaye : Le monde de l’hôtellerie de luxe est un


marché en perpétuelle évolution qui nous incite à nous renouveler
constamment. Le contexte économique évolue, la concurrence
évolue également avec l’arrivée de nouveaux marchés, de nouveaux
acteurs du luxe, mais également pour ce qui nous concerne plus
directement de nouveaux concurrents en France et à Paris avec
l’ ouverture récente et à venir de nouveaux hôtels de luxe, tels que le
Shangri-La, le Mandarin oriental, etc. Là se situent les principaux
et nouveaux enjeux de ce marché et de sa compétition.
La clientèle évolue également depuis plusieurs années en
raison notamment d’une nouvelle géopolitique mondiale et
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de l’ émergence de nouveaux pôles de richesses. Jusqu’à encore
récemment, les Américains représentaient le plus grand marché
pour l’hôtellerie de luxe avec, en moyenne, 40 à 50 % de la clientèle 173 17
des grands hôtels de luxe parisiens. Aujourd’hui, ils ne représentent
plus que 20 % de cette clientèle. Ils ont été remplacé par la Russie
(9 %), le Brésil (16 % de la clientèle du Plaza Athénée), les États
du Golfe et du Moyen-Orient (15-18 %), ou encore la Chine et
l’Asie qui représentent actuellement la plus forte croissance dans
l’hôtellerie de luxe (+2 % cette année).
C’est d’ailleurs sur cette région et en direction des pays
émergents d’Asie que nous déployons le plus d’ effort pour attirer
et fidéliser la clientèle. Car la clientèle chinoise est une perspective
forte et intéressante pour nous et notamment, ce qui peut paraître
paradoxale, grâce à l’ouverture, récente, des hôtels de luxe que sont
le Shangri-La ou le Mandarin oriental à Paris.
Les Chinois n’ont pas encore pour habitude de venir séjourner
dans les hôtels de luxe. Certes les plus fortunés d’entre eux sont des
voyageurs réguliers de la capitale où ils ont l’habitude d’acquérir
de nombreux biens de consommation ostentatoires et symboles

| François DELAHAYE |
du luxe à la française. Ils viennent donc faire leur shopping avenue
Montaigne, acheter des montres et bijoux, robes, etc. Ils dépensent
énormément en biens mais logent dans des hôtels standards... Ils se
déplacent avec des compagnies aériennes chinoises, voyagent avec
un tour opérator chinois et, une fois sur place, restent en groupe pour
ne pas risquer les problèmes de langues, etc. Le tourisme de masse
est bien en place en Chine. Il ne reste plus qu’ à ce que ces derniers
soient attirés par les hôtels de luxe et les palaces. Le fait qu’ils aient
une vitrine de leur culture à Paris les rend tout d’abord fiers, curieux
de ce type de services, mais surtout plus enclins à venir loger dans
ce type d’endroits et à découvrir l’hôtellerie de luxe. Cela créé donc
une chambre d’ écho qui contribue à rapprocher cette clientèle de nos
standards de services.
Tout l’enjeu pour nous étant, dés lors, de trouver des arguments
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pour pouvoir les attirer chez nous. Nous mettons donc en place,
grâce à nos départements « communication » et « sales & marketing »
73 174 des stratégies pour leur faire découvrir les charmes de nos produits.
Nous nous déplaçons sur place pour leur présenter nos nouveautés,
pour les informer sur les services que nous mettons à leur disposition
et ainsi les inciter à venir nous découvrir. Nous nous devons
également d’entretenir de bonnes relations avec la presse locale, les
tours opérator ou encore avec nos clients fidèles. C’est à cette fin que
nous avons ouvert des bureaux à Tokyo, à Sao Paulo, Los Angeles,
New York, Londres, Moscou, et, très récemment, à Shanghai.
L’ autre opportunité se situe dans la possibilité de s’installer
physiquement sur place et d’y ouvrir des hôtels de même gamme !
C’est pour cela également que nous y voyageons régulièrement. En
Chine par exemple, le marché commence à être suffisamment mature
pour pouvoir s’y implanter car la demande y est forte et le pouvoir
politique et économique y est suffisamment stable. C’est pour cela
que nous y avons ouvert notre premier bureau fin 2012.
L’ évolution de la répartition des richesses dans le monde et la nouvelle
donne géopolitique n’ a donc que très peu impacté l’ économie de
l’hôtellerie de luxe puisqu’une nouvelle clientèle en a remplacé une autre.

| |
Géoéconomie : La crise n’a donc pas eu d’impact sur l’hôtellerie
du luxe ?

François Delahaye  : La crise n’ a pas trop impacté l’hôtellerie de


luxe. Les milliardaires sont toujours là et, même si ils ont été touchés
par la crise, ils restent très friands de ce monde de l’hôtellerie de luxe
parisienne, du moment qu’ils y retrouvent la qualité et le niveau de
services exigés.
Les grandes chaînes en revanche ont davantage été touchées par
la crise car elles étaient et sont fortement dépendantes de ce que
j’appelle le « corporate », c’est-à-dire du monde de l’entreprise - cadres
dirigeants, etc. - qui ne peut plus se permettre de prendre une nuit
en palace et de demander de se le faire rembourser par la suite. Cela
n’ existe plus. Donc les grandes chaînes qui vivaient à 80 % sur ce
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système ont, elles, davantage subies les effets de la crise.
Le grand luxe se porte donc bien, mais surtout dans les grandes
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villes comme Londres, Paris, Los Angeles, New York où les fortunés
continuent de voyager et de vivre. Alors que des villes comme Genève,
Milan, Berlin, ou encore Munich, qui sont plus des destinations
d’affaires que touristiques, ont souffert davantage des conséquences
de la crise comme je vous l’expliquais à l’instant.
Les villes « moyennes » comme Vienne, Prague, Madrid souf-
frent également en raison de l’explosion du nombre d’hôtels et d’une
concurrence qui a tiré les prix, et donc la qualité vers le bas. Sur ces
marchés, l’hôtellerie du luxe rencontre des difficultés.

Géoéconomie : Le groupe Dorchester possède 2 des 5 hôtels


de luxe parisiens à avoir reçu le label officiel de « Palace » en 2010
(Plaza Athénée et Meurice). Quel est et quel fut l’enjeu de ce statut de
Palace ? Qu’est-ce-que ce statut et cette reconnaissance représentent
pour le Plaza Athénée et le groupe Dorchester en termes d’image,
d’impact commercial et économique, mais également en termes de
pression et d’attentes de la part des clients et de la profession ?

| François DELAHAYE |
François Delahaye : En 2008, le gouvernement m’avait demandé
de participer à l’ élaboration des critères pour la nouvelle classification
des hôtels de 0 à 5 étoiles. À cette époque la France ne disposait pas
de nomenclature permettant l’ obtention et donc l’ existence d’hôtels 5
étoiles et se contentait des 4 étoiles luxe. Pour un pays qui se présente
et est connu comme l’un des principaux marchés de l’hôtellerie de
luxe, cela ne pouvait convenir et engendrait même des moqueries
de la part de nos confrères étrangers. Au-delà, cette absence de 5
étoiles en France représentait également un problème de cohérence
et d’uniformité sur des territoires pourtant souvent voisins puisque,
par exemple, l’Espagne présentait plus de deux cents 5 étoiles sur son
territoire à ce moment. Il en allait également d’une qualité de service
vis-à-vis des voyageurs et des clients qui, en raison d’une classification
différente d’un pays à l’autre, ne savaient pas comment s’orienter et
choisir sur le marché français
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Cela ne pouvait donc plus durer et nous en étions tous, les
75 176 acteurs de l’hôtellerie et du tourisme en France, conscients ! Nous
avons donc travaillé et réfléchi ensemble pour mettre en place des
critères de classement dans le consensus. Ce travail passionnant fut
assez fructueux dans un premier temps. Mais réguler et réfléchir sur
l’hôtellerie en France ne peut se faire sans la présence et l’intervention
du groupe Accor, un des leaders mondiaux de l’hôtellerie, qui est très
implanté et donc influent sur tous les territoires français. La force et
l’avantage de cette présence dans les territoires est d’ être en contact
régulier avec les députés et les élus locaux.
L’hôtellerie présente l’avantage d’ être un formidable atout pour les
régions, que ce soit en termes d’emploi (l’hôtellerie recrute partout
en France dans des emplois non délocalisables et destinés à tout
type et niveau de diplômes), de tourismes (les hôtels permettent
d’attirer les touristes et la manne financière qu’ils représentent),
d’image, de retombées financières, etc. Les élus locaux ont donc tout
intérêt à s’impliquer dans toutes évolutions globales sur le marché
de l’hôtellerie. Dans ce contexte, nous avons donc vu arriver de
nombreux députés qui voulaient influencer les débats pour obtenir

| |
des hôtels 5 étoiles sur leur territoire. Il ne faut pas oublier que nous
sommes alors en pleine reprise en main des dépenses de l’État par
le nouveau gouvernement, que de nombreuses décisions avaient été
prise par Paris qui n’avaient pas été accepté par certains élus (retraits
des bases militaires, redécoupages électorales, etc.). Ces derniers
disposaient donc d’arguments supplémentaires pour faire céder
le gouvernement dans leur sens. À savoir qu’en compensation des
décisions qui leur avaient été défavorables, ils souhaitaient que soit
permis sur leur territoire la présence d’hôtel 5 étoiles.
Les élus et le groupe Accor ont donc unis leur force pour faire en
sorte qu’une nouvelle nomenclature soit adoptée dans ce sens, et ce
au grand bénéfice d’Accor qui était dès lors le seul à pouvoir ainsi
se voir attribuer les 5 étoiles requises par les députés alors que les
critères établis par toute la profession ne permettaient pas à des Sofitel
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d’avoir ces 5 étoiles. Au final, la concertation qui avait abouti à un vrai
consensus a été remise à plat par ce jeu politico-économique.
177 17
Le lobbying d’Accor a donc porté ses fruits et les Sofitel se sont
vus attribuer 5 étoiles, les Mercure 4 étoiles, etc. De plus, il fallait
que la France s’aligne sur la concurrence des pays étrangers, qui pour
certains possédaient déjà plusieurs dizaines d’hôtels 5 étoiles, ce que
seul Accor pouvait se permettre grâce à ses chaines d’hôtels ! Bien
évidemment, cela ne pouvait convenir aux acteurs de l’hôtellerie de
luxe qui voyaient leurs hôtels au même statut que les Sofitels.
Il nous fallait donc trouver une nouvelle solution pour nous
distinguer des 5 étoiles. Le seul moyen était de reprendre un terme qui
était déjà fortement usité en France et dans le monde de l’hôtellerie,
le « Palace » ! Les politiques me l’ ont accordé et nous avons donc
établis des critères pour le statut de Palace en France. Néanmoins cela
n’empêchera pas les députés de faire du lobbying pour que d’autres
hôtels prestigieux intègrent le statut de Palace pour ainsi relancer le
prestige et le tourisme dans sa circonscription grâce à ce statut.
Au-delà, il y a tout un enjeu économique et commercial autour
de ce statut car, comme je le disais précédemment, le statut de palace

| François DELAHAYE |
ne peut pas toujours correspondre à un besoin puisque beaucoup de
ces hôtels de luxe marchent grâce à une clientèle « corporate » qui ne
pourrait plus venir chez eux s’ils étaient classifiés comme « Palace ».
Donc tous n’ont pas voulu intégrer cette catégorie.
De plus, ils ne pouvaient pas assumer ce statut qui leur imposait
un certain nombre de services et donc de salariés, alors que la plupart
de ces grands hôtels de luxe ne vivent que sur une partie de la saison.
C’est le cas par exemple des villes comme Biarritz, La Baule, Megève,
Deauville, dont les grands hôtels de luxe présentent les qualités et le
style d’un Palace mais qui ne peuvent ou ne préfèrent pas investir sur
l’année pour correspondre à ces critères qui sont assez contraignants
d’un point de vue économique. Alors que les hôtels parisiens qui ont
de la clientèle toute l’année peuvent davantage se permettre ce type
d’investissement et de services. Les barrières à l’entrée sont assez
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contraignantes ! Elles l’ étaient également pour les 5 étoiles mais le
lobbying d’Accor a réussi à les faire sauter !
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Géoéconomie : Nombreux sont aujourd’hui les hôtels et groupes
hôteliers de luxe, comme Dorchester (propriété du Brunei Investment
Agency), détenus par des propriétaires issus des pays du Golfe ou
de pays émergents (Asie, Russie…). Que faut-il voir et comprendre
derrière cette stratégie ? Quelle est l’influence de ces fonds sur la
stratégie des hôtels et groupes hôteliers ? Cela constitue-t-il une
force ou une faiblesse pour vous, notamment dans le cadre de vos
relations politiques et institutionnelles avec vos parties prenantes
qui pourraient voir d’un mauvais œil la présence de puissances
étrangères ?

François Delahaye : Il est vrai que les pays du Golfe sont de plus
en plus présents dans le monde de l’hôtellerie du luxe, que ce soit en
tant que clients ou en tant que propriétaires, comme par exemple le
Georges V qui est devenu la propriété du Prince Al Walid d’Arabie
saoudite ou encore les hôtels de la Dorchester Collection qui
appartiennent au Brunei Investment Agency. C’est un phénomène

| |
assez récent qui s’ explique notamment par le fait que ces derniers
disposent d’une puissance financière importante. Elle leur permet
d’investir dans ce type de biens en France et dans le monde entier
et ainsi de diversifier leurs investissements dans une optique de
préparation de l’après-pétrole ; mais aussi, et surtout, pour le prestige
que cela leur confère de posséder quelques uns des plus grands
symboles du luxe et du raffinement dans le monde.
Au-delà de ces raisons qui leur sont propres et qui ne sont
certainement pas exhaustives il faut également se rendre compte qu’ils
sont parmi les seuls à pouvoir réellement contribuer au développement
et à l’entretien de ce standing de luxe auquel nous prétendons. Car
il faut bien se rendre compte de tout ce que représente, en termes
d’investissements, le fait de posséder ce genre d’hôtel. La rentabilité à
court terme y est très faible et tout le monde ne peut pas se permettre
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aujourd’hui ce type de risque.
Prenez par exemple le B.I.A (Brunei Invsetment Agency). La
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compagnie est propriétaire de la Dorchester depuis 1996 et du
Plaza Athénée depuis 2001. Depuis plus de 10 ans, ces derniers ont
investi une somme colossale pour le Plaza Athénée. Nous avons pu
grâce à cela devenir propriétaire de nos murs, racheter trois autres
immeubles attenants en vue d’agrandir la surface de l’hôtel, et ainsi
permettre au Plaza Athénée de maintenir son standing et même
de l’améliorer, etc. Tous ces investissements n’ ont aujourd’hui rien
rapporté au propriétaire ! Certes l’investissement reste rentable en
l’état et encore plus à moyen et long terme, mais rare sont ceux qui
peuvent se permettre une telle patience avec de tels investissements.
Je pense donc que cela est une chance pour nous, l’hôtellerie de luxe,
et donc indirectement pour le secteur touristique d’une manière
générale. En investissant et en permettant ainsi de maintenir la qualité
de nos services, ces grands investisseurs contribuent directement
à notre développement et donc à notre position de leader dans le
monde tout en permettant la création d’ emplois non délocalisables et
la préservation de notre patrimoine. Il faut justement que nos parties
prenantes prennent conscience de cela et ne soit pas si craintives à

| François DELAHAYE |
l’ égard de cet état de fait. Tout le monde en profite et je ne pense pas
qu’il faille absolument chercher une source d’inquiétude, en tout cas
pour l’instant.

Géoéconomie : La France est actuellement, et depuis déjà


plusieurs années, le leader mondial du tourisme en termes de
fréquentation avec quelques 80 millions de visiteurs étrangers par
an. Néanmoins, cette place semble de plus en menacée par des pays
comme les États-Unis ou encore des marchés émergents. En tant
qu’acteur de ce secteur d’activité qu’est ce que cela vous inspire ?
Pensez-vous que la France soit en mesure de garder cette place ?

François Delahaye : La France dispose de formidables atouts


qui font d’elle la première destination touristique au monde – 1ère en
termes de fréquentation et 3ème en chiffre d’affaires loin derrière les
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États-Unis et l’Espagne. Cette position est aujourd’hui jalousée par de
79 180 nombreux pays dont les États-Unis. Le président Obama a clairement
exprimé, lors d’un discours prononcé à Orlando en janvier 2012, son
désir et son ambition de venir supplanter la France dans ce domaine.
Il ambitionne pour se faire de faciliter notamment l’ obtention de
visas pour les étrangers afin de soutenir les créations d’emplois dans
ce secteur. Face à cette « menace », force est de constater qu’en l’ état,
la France ne fait rien pour renforcer sa position. Le tourisme est une
activité et une filière qui n‘a pas la place et la reconnaissance qu’elle
mérite. Elle n’ est pas suffisamment structurée et soutenue par nos
dirigeants.
La classe politique délaisse le tourisme en France et cela s’ explique,
d’après moi, pour l’avoir constaté à de nombreuses reprises, et auprès
de tous les gouvernements depuis une trentaine d’années, par un
profond dédain et dégout de nos dirigeants politiques pour ce secteur
d’activité, ses acteurs, et même simplement pour le mot « touriste », qui
ne représentent pour eux que peu d’intérêt comparé à d’autres filières,
telles que le nucléaire, l’aéronautique, l’agriculture… Nous avons en
France un ministère du Tourisme et une direction du tourisme, au

| |
travers d’« Atout France », qui sont sous alimentés. Les ministres du
Tourisme en France se trouvent au bas de l’échelle gouvernementale
et ne sont vraiment pas incités à œuvrer pour le renforcement de
cette filière. Ce manque de reconnaissance de la filière touristique se
ressent également au niveau de l’enseignement et de la formation qui
sont aujourd’hui essentiellement des voies de garage empruntées par
ceux qui n’ ont pu réussir dans d’autres filières.
Les Français eux-mêmes ne contribuent pas au renforcement de la
filière puisque nous sommes régulièrement enclins à nous plaindre et
critiquer leur présence et ne prêtons que peu d’attention et d’assistance
aux touristes présents chez nous.
Et bien évidemment les acteurs de la filière ne sont pas exempts
de tout reproche non plus. Des douaniers à l’aéroport, aux taxis,
en passant par les garçons de café qui ne parlent que rarement une
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langue étrangère, rien n’ est fait pour renforcer cette position. Les
acteurs du tourisme en France sont essentiellement attirés par l’appât
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du gain et non par la qualité de service. C’ est un problème culturel
assez profond même s’il faut reconnaître que les choses évoluent dans
le bon sens.
Nous avons un souci avec le statut du tourisme qui est un secteur
d’activité qui contribue fortement à notre économie ainsi qu’ à notre
renommée, à notre image à l’international. Il ne faut pas oublier
également que le tourisme est un secteur qui n’est pas délocalisable,
que cela représente donc, en termes d’emplois directs et indirects, un
formidable vivier et une aubaine pour notre économie. Compte tenu
de cela, et du contexte actuel où la priorité est donnée à l’ emploi, je
trouve encore plus incroyable que cette filière ne soit pas reconnue à
sa juste valeur. C’ est étrange et forcément dommageable pour l’avenir
de ce secteur et de notre position de leader mondial.
L’arrogance française sur ce secteur d’activité qui conduit à un
discours de type : « nous avons un si beau pays que de toute façon
les touristes viendront toujours », ne peut plus durer. La concurrence
mondiale a changé. De nombreux pays, notamment émergents, ont

| François DELAHAYE |
ouvert et développé leur économie grâce aux tourismes et à une vraie
culture et stratégie sur cette filière. Ils démontrent par la même que
nous ne méritons peut-être pas pour encore longtemps notre statut
de leader mondial.

Géoéconomie : Qu’est ce que vous suggérez pour inverser cette


tendance ?

François Delahaye  : Ce qui est certain, c’ est que nous ne pouvons


plus nous contenter de compter sur notre patrimoine qui, il est vrai,
est exceptionnel, pour maintenir notre rang. La concurrence s’est
accrue. Nous ne pouvons plus nous permettre de rester inactif tant les
enjeux sont importants. J’ai sollicité à plusieurs reprises, et quelques
soient leurs bords politiques, nos dirigeants (président, ministre)
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pour qu’une consultation soit organisée avec les acteurs de la filière,
qu’un « livre blanc » soit rédigé pour relancer la concertation et la
81 182 réflexion sur les enjeux et perspectives de la filière. Je n’ai jamais été
écouté !
Je pense que le fait d’ être la meilleure, ou du moins la première
destination touristique au monde, mérite que la profession soit
coordonnée par de vrais professionnels et non par des politiques qui
ne portent que peu d’intérêt à la profession. Il y a des choses à faire,
des projets à porter, des images et des symboles à promouvoir auprès
des pays étrangers et, notamment, ceux dont la population voyage
beaucoup.
Il faut investir et mettre en place des outils et des moyens pour
promouvoir la France dans le monde comme le font, par exemple,
des pays comme l’Espagne, la Grèce, ou encore plus la Turquie. Ces
derniers dépensent énormément dans le monde et cherchent de plus
en plus à organiser des salons, des séminaires internationaux pour
promouvoir leur pays et inciter le plus grand nombre à venir découvrir
leur richesse. Pourquoi ne faisons-nous pas la même chose ?
La formation doit également être améliorée pour que tous les

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acteurs de la profession soient davantage impliqués et conscients
de ces enjeux. Lorsque l’ on entend le discours de Barack Obama, et
que l’ on voit ce qui est fait dans les autres pays, notamment dans
les pays émergents qui ont pour la plupart axés leur stratégie de
développement économique sur le tourisme, il apparaît nécessaire
d’agir. Nous devons, de toute urgence, instaurer une coordination,
un leadership de la profession en France, et mettre fin à ce dédain
politique et global qui se manifeste par une absence complète
de considération, de réflexion stratégique et prospective sur la
profession.

Géoéconomie : La profession vous suit-t-elle dans cette réflexion


et ce constat assez alarmistes ?

François Delahaye : Non. Il est vrai qu’il n’ existe pas de vraie


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stratégie de lobbying de la part des acteurs de la profession. Les
différents acteurs agissent pour l’instant chacun de leur côté en 183 18
fonction de leur propres préoccupations. Il n’ existe pas encore de
réflexion et d’actions communes dans ce sens.
Je suis un des rares à essayer de faire bouger les choses pour
que tout le monde, mais essentiellement la classe politique, prenne
conscience de ces enjeux. Car tant que vous n’ aurez pas de volonté
politique, et surtout celle de notre président, rien ne bougera dans ce
sens. En l’ état, je crains que les choses n’avancent pas tout de suite !
De par mon activité et mon statut, il n’ est d’ailleurs pas pertinent
d’apparaître en première ligne dans ce combat car le luxe n’a pas
bonne presse en France. Un gouvernement, socialiste de surcroît,
ne prendra jamais le risque d’écouter et de prendre en compte les
doléances d’une personne de ma profession, même si ce que je dis
concerne toute la filière et non pas seulement le tourisme de luxe.
Les enjeux sont pourtant importants car il en va non seulement
de notre statut de leader mondial du tourisme, mais également de
la santé économique du pays avec notamment tous les emplois non
délocalisables que la filière touristique génère. Il en va également de

| François DELAHAYE |
la qualité de l’image que nous renvoyons de la France dans le monde
car il ne faut pas oublier que nous sommes les acteurs d’un élément
incontournable du soft power français.
Nous avons la chance d’avoir un pays géographiquement
parfaitement placé ; nous y avons un climat et des températures
tempérés, nous avons un littoral préservé et parmi les plus grands et
beaux d’Europe, des chaînes de montagnes, un patrimoine historique,
culinaire et culturel extraordinaire… c’ est une chance incroyable ! Le
monde entier nous envie tout cela ! Nous devons penser à l’avenir,
aux générations futures, et cela implique donc qu’il faut faire bouger
les choses maintenant avant que nous ne perdions notre place de
numéro un. Car la France mérite que nous gardions notre première
place et donc que nous nous battions pour cela !

Géoéconomie : Êtes-vous confiant pour l’avenir ?


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83 184 François Delahaye : Bien sur. La France est un pays politiquement
stable, qui a une bonne image et bénéficie d’une richesse culturelle et
historique incroyable. Paris est une ville très bien entretenue et très
vivante… Je suis donc très confiant sur l’avenir du tourisme en France,
et ce malgré le fait que, comme je le disais, nous devons nous remuer
pour ne pas perdre notre place de numéro un mondial. Par ailleurs,
le parc hôtelier de luxe sur Paris est très bien entretenu. La plupart
des Palaces ont été, sont encore ou vont êtres rénovés, beaucoup
d’investissement sont réalisés depuis des années pour maintenir le
standing de ces marques…

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