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Thierry Mandoul
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THierry MANDOUL 1
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Faut-il rappeler que l’adaptation au changement climatique est une des condi-
tions du destin de l’homme et un dessein de l’humanité ? Le climat, dans les
théories architecturales, est toujours évoqué comme une donnée essentielle de la
constitution de la première architecture 3. « L’architecture a dû naître simplement
de l’effort rudimentaire de l’humanité pour assurer sa protection contre les rigueurs
1. Thierry Mandoul est architecte, critique d’architecture et maître de conférences à l’École nationale supérieure
d’architecture de Paris-Malaquais.
2. Cet article reprend les grands traits de l’introduction de l’ouvrage dirigé par T. Mandoul, J. Fol, V. Lefebvre
et F. Hertweck, Climats, cycle de conférences à l’École nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais,
Gollion, Infolio, 2011. 526 p.
3. R. Joseph, La Maison d’Adam au paradis, Paris, Le Seuil, coll. « Espacements », 1976-(1972).
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Pour Cesariano, la cité protégée des vents est un désordre hétéroclite, un laby-
rinthe au pourtour duquel l’horizon est divisé par des points selon une géométrie
régulière d’où soufflent des vents en lignes droites. Mais si la ville idéale de la
Renaissance doit avant tout assurer une rationalisation de l’espace urbain en har-
monie avec une organisation sociale et politique, la question du climat demeure
essentielle dans la théorie architecturale. Alberti l’envisage à plusieurs reprises
dans son traité De Re Ædificatoria, en particulier dans le livre X 7. Il se focalise
7. L. B. Alberti, P. Caye, F. Choay, traducteurs et éditeurs scientifiques, L’art d’édifier, trad. de : De re aedifica-
toria, Paris, Le Seuil, 2004.
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sur les défauts climatiques d’une région susceptibles d’être corrigés par l’inter-
vention de l’homme. Irrigations, drainages, plantations, murs construits face à la
mer, cryptoportiques et voûtes peuvent, selon Alberti, répondre à des conditions
atmosphériques difficiles. Ils peuvent créer un environnement bienfaisant. Ainsi
l’homme moderne pourrait être un acteur de son climat par la transformation
de son environnement. En conclusion on peut soutenir que dans les traités de la
Renaissance et de la période classique, les considérations climatiques sont tou-
jours évoquées pour justifier un état présent de l’architecture dans son rapport à
la société mais aussi pour construire l’avenir.
tecturaux trouvent leur raison d’être dans des conditions climatiques. De fait, les
architectures régionales peuvent désormais être aussi reconnues comme résultant
de particularités climatiques locales. Notons enfin que pour certains historiens de
l’architecture à la fin du xixe siècle, la bonne relation d’une architecture au climat
est signe de sa « survie ». Ainsi l’architecture des palais du xve siècle de la Baltique
est-elle présentée par l’historien Auguste Choisy comme « l’architecture italienne
adaptée au climat du Nord 8 ». De telles positions démontrent l’influence des
théories évolutionnistes darwinienne et des lois de variation des espèces repo-
sant sur les capacités naturelles à s’adapter aux conditions climatiques différentes.
« C’est-à-dire à s’acclimater » pour reprendre un terme cher à Darwin.
des pluies fines. Dès 1830, la chaleur ponctuelle et rayonnante des calorifères se
combine avec la chaleur diffuse des tuyaux de chauffage par thermosiphon à l’ori-
gine de notre chauffage central, et les premiers thermostats sont utilisés.
Le botaniste John Claudius Loudon est un pionnier dans ce domaine et sur-
tout, il pense dès le début du xixe siècle la maison en termes de contrôle tech-
nologique du milieu, veillant à sa salubrité à partir du chauffage, de la lumière
naturelle ou artificielle et de la ventilation. Il procède à une généralisation des
principes des serres dans le domaine de l’habitation et conçoit ainsi une maison
qui fonctionne comme une machine distributrice d’énergies 9. Ces leçons d’« ar-
chitecture climatique » se sont en partie développées dans l’architecture coloniale
et tropicale à la fin du xixe siècle comme dans ce projet de Labussière.
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9. Sur Loudon voir les recherches de Ph. Gresset et l’article dans Climats, « Effets de serre : effets théoriques »,
op. cit., p. 317-353. Voir aussi J. Cl. Loudon, The Suburban Gardener and Villa Companion.
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Mais elles sont en grande partie oubliées par les architectes du xxe siècle des
pays tempérés. L’utilisation du verre est justifiée au début du xxe siècle par l’ar-
chitecture moderne au nom d’une théorie qui privilégie plus les matériaux, les
structures et la transparence. L’esthétique abstraite et minimaliste de cette archi-
tecture de verre se fait au détriment du contrôle technologique des milieux et des
ambiances. Le Mouvement moderne 10 asservi aux doctrines de l’avant-garde est
imperméable à une éthique écologique.
Cependant, une autre relation au climat s’élabore au fur et à mesure que
les villes du xixe siècle se développent et que leurs conditions d’hygiène se dé-
gradent. Ainsi dans les années 1830 en Floride, on assiste à la première tentative
de construction d’un climatiseur pour assurer le refroidissement des chambres
d’hôpital. Et c’est l’ingénieur Carrier qui invente en 1902, le premier dispositif
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10. Courant architectural majeur créé au début du xxe siècle qui fit de la rationalité, du fonctionnalisme, du pro-
grès technique et de l’architecture comme fait social lié au projet de modernisation de la société, son crédo.
L’esthétique affichée fut celle de la simplicité et de l’abstraction. Parmi les figures majeures de ce courant, on
compte Le Corbusier, Ludwig Mies van der Rohe, Walter Gropius.
11. Sur ces questions, voir entre autres Sze Tsung Leong, « Air Conditioning », dans Harvard Guide of Shopping,
Taschen, 2001, p. 93-127.
12. A. Rey, La Science des plans de ville, Paris, Meynial, 1921.
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Mais s’il est un homme qui par ses recherches incarne l’intérêt porté par les ingé-
nieurs et architectes du xxe siècle aux questions climatiques et environnementales, il
s’agit bien de l’ingénieur Richard Buckminster Fuller 15. Dès les années 1920-1930,
ces recherches font part d’un intérêt pour les questions climatiques. Il en est ainsi de
sa maison Dymaxion de 1927, matérialisation de la vraie machine à habiter, conçue
pour un mode de vie futuriste, pour la vie « éternellement » nouvelle du « citoyen
du monde ».
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15. Sur Fuller voir le catalogue de K. M. Hays, D. Miller (dir. scien.), Antoine Picon, E. Smith, Buckminster Fuller :
starting with the universe, New York, Whitney Museum of American Art with Yale University Press, 2008.
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16. Sur ce sujet lire D. Rouillard, Superarchitecture : le futur de l’architecture 1950-1970, Paris, éd. de la Villette, 2004.
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ne sont déjà plus des utopies, des projets de réalisation effective étant à l’étude.
Quant à la climatisation de l’espace, Yves Klein prend pour exemple un gigan-
tesque incendie d’un puits de pétrole au Sahara, qui aurait généré des pluies.
Cette climatisation de l’espace à la surface de la terre serait riche de conséquences
pour l’humanité. Le plasticien prévoit l’avènement d’une société nouvelle, avec
de profondes métamorphoses dans sa condition comme la disparition de l’inti-
mité personnelle et familiale 17. Qui contrôlera le climat demain ? Pourrons-nous
contrôler le climat où l’on vit ? Telle était la question dans les années 1950-1960,
elle est aujourd’hui plus que d’actualité.
23. V
oir l’ouvrage de Caroline Maniaque Benton, French Encounters With the American Counterculture 1960-
1980, Burlington, Ashgate, 2011.
24. W
. Van Rossem, « Climax Solar-Water Heater », Whole Earth Catalog, Stewart Brand (dir.), 1977.
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revendiquée par Rem Koolhaas lorsque OMA / AMO est amenée à réfléchir sur
les nouvelles énergies propres en mer du Nord ou lorsque AMO travaille pour le
WWF sur un rapport mondial de l’énergie 27. L’objectif du rapport est d’inciter
les gouvernements et les entreprises à comprendre les défis associés à la disparition
des énergies fossiles d’ici 2050. Il s’agit d’établir un réseau d’énergie sur les terri-
toires européens. Le projet mis en scène par un clip vidéo repose sur un système
de réciprocité alimenté et renforcé entre politiques et industriels, et par des prises
de positions locales, le soutien et la participation populaire.
La mondialisation, qui accélère la circulation aussi bien des hommes que des
matériaux de construction, s’opposera-t-elle toujours à un usage plus local des
matériaux qui diminue pourtant considérablement l’énergie grise des construc-
tions mondiales, nécessaire à la réduction indispensable des émissions CO2 ?
L’usage de matériaux légers et recyclables va-t-il s’imposer au monde de l’archi-
tecture tel que l’envisage Sobek – les émissions annuelles de CO2 dues à la pro-
duction du ciment en un an sont plus importantes que celles générées par le trafic
aérien mondial ? Réduire et stocker le CO2 de l’atmosphère devient un des argu-
ments les plus importants pour justifier l’utilisation du bois dans la construction.
Comme le démontre l’architecte autrichien Hermann Kaufmann, le bois est un
matériau porteur d’espoir s’il est disponible dans la région où l’on construit 34.
Parce qu’il est produit par l’énergie solaire, parce qu’il s’élimine bien, parce qu’il
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