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Nicolas Lebourg
Chercheur
Université de Montpellier, CEPEL
nicolaslebourg@yahoo.fr
Dominique Sistach
Maître de conférences en droit public
Université de Perpignan Via Domitia
sistach@univ-perp.fr
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RÉSUMÉ/ABSTRACT
Le succès électoral de Louis Aliot aux municipales de 2020 à Perpignan fait figure d’excep-
tion en raison de la taille de la ville, de la personnalité du candidat élu et des singularités de Per-
pignan. Régulièrement classée comme l’une des villes les plus pauvres de France métropolitaine,
marquée par d’importantes tensions sociales et par une ethnicisation prononcée de la vie sociale
et politique, Perpignan est une ville singulière. Toutefois, loin de se réduire au succès du Ras-
semblement national (RN) dans une grande ville du Sud de la France, l’élection de Louis Aliot
résulte davantage d’une combinaison de facteurs ancrés dans la trajectoire économique et sociale
de la ville, dans ses particularités politiques et partisanes tout autant que dans l’enracinement
du parti frontiste, ou encore dans le délitement des systèmes clientélistes et politiques locaux.
Résultat de dynamiques locales, l’élection de Louis Aliot invite à nuancer les effets d’une quel-
conque stratégie nationale et questionne la place du RN et de ses alliés (R. Meynard à Béziers)
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MOTS-CLÉS/KEYWORDS
Perpignan, Rassemblement national, Louis Aliot, clientélisme, élections municipales
Perpignan, Rassemblement National, Louis Aliot, clientelism, municipal elections
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Pour le Rassemblement National (RN), les élections municipales de 2020
ont produit un résultat national somme toute mitigé si ce n’est décevant, le parti
frontiste réussissant à ne prendre que trois villes1. Parmi celles-ci, Perpignan fait
figure d’exception notable tant par sa taille (première ville de plus de 120 000
habitants à passer dans l’escarcelle du RN), par la personnalité du candidat élu
(Louis Aliot, ex-numéro 2 du parti) et en raison des singularités politiques, so-
ciales et identitaires de la ville. Disjointe d’une « vague populiste », l’élection de
Louis Aliot à Perpignan résulte davantage d’une combinaison de facteurs ancrés
dans la trajectoire économique et sociale de la ville, dans ses singularités politiques
et partisanes, tout autant que dans l’enracinement du parti frontiste, la stratégie
ancienne de notabilisation de Louis Aliot, le dépassement de la base électorale
lepéniste ou encore le délitement des systèmes clientélistes et politiques locaux.
Sur la base d’un marché politique local très spécifique (1), Louis Aliot a su non
pas représenter la « France périphérique » - celle plus ou moins réelle décrite au
travers des classes populaires exclues de la mondialisation et vivant dans les petites
villes et les territoires non métropolitains (Guilly, 2015) -, mais à agglomérer des
segments sociaux très divers (2), permettant ainsi à un parti périphérique aux
responsabilités locales de se saisir d’une préfecture.
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nettement plus FN que la moyenne nationale, mais ses candidats locaux implan-
tés y bénéficient d’une réelle plus-value. Le premier article de la presse nationale
envisageant que la municipalité puisse basculer entre les mains du FN remonte à
19932. Cet ancrage local s’est encore amélioré une fois que Louis Aliot en a pris le
leadership (2008). Cet enracinement a été l’objet d’un profond déni de l’essentiel
des têtes de liste des formations concurrentes en 2020, s’obstinant à considérer le
candidat comme un parachuté et le vote FN tel un vote de protestation. Les pro-
tagonistes ont récusé l’analyse au long terme pour se persuader que le scrutin serait
une redite de celui de 2014, où le désistement de la gauche avait permis au maire
sortant Jean-Marc Pujol (Les Républicains, LR) de vaincre avec 55,11% des suf-
frages. Le contexte de 2020 est, en effet, en partie similaire à celui de 2014 : le duel
en présence, la candidature contestée du maire sortant LR, une fragmentation
des listes à droite comme à gauche, la dénonciation du clientélisme municipal, le
constat du déclin économique et social de la ville et des sondages plaçant le RN en
tête du scrutin du premier tour. Toutefois, les ressorts de l’élection de Louis Aliot
tiennent aussi à une stratégie électorale payante et à une géographie électorale en
partie renouvelée. Si le candidat RN a fait campagne d’un train de sénateur, l’élec-
tion s’est aussi tenue dans un contexte d’érosion régulière depuis 2014 de l’élec-
torat de Jean-Marc Pujol et de perte constante d’assise sociale. En fait, les ressorts
de l’élection d’Aliot en 2020 sont d’abord à chercher dans la conjonction de trois
facteurs : une stratégie électorale payante de notabilisation d’un candidat « sans
étiquette », investissant autant le centre droit que la droite de l’ordre ; l’indifféren-
ciation du paysage politique local miné par un mercato politique permanent ; le
poids du clientélisme. La comparaison avec les élections précédentes (municipales,
présidentielle et législatives) confirme non seulement l’hypothèse du dépassement
de la base lepéniste significative d’une fusion des droites mais interroge aussi une
réalité électorale et politique longtemps construite sur des bases ethno-centrées.
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Aliot Pujol
53,09% 46,9%
Taux de participation
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Contrairement à ce qui a pu être affirmé parfois, l’abstention exceptionnelle
provoquée par la pandémie de Covid-19 lors du premier tour ne peut être tenue
pour responsable d’une surreprésentation du vote Aliot :
Figure 2 : Résultats croisés de la participation et des votes
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Les affiches de campagne (sans l’étiquette RN) présentent un candidat détendu
posant sans cravate devant le Castillet, emblème de la ville. Les entretiens avec la
presse vont jusqu’à mettre discrètement en scène sa séparation d’avec Marine Le
Pen (son ex-compagne) et la présentation d’une nouvelle compagne, artiste locale.
Cette image de notable est renforcée par l’usage de thématiques du centre-droit :
développement économique par le soutien aux énergies entrepreneuriales, attrac-
tivité de la ville, endettement municipal sans oublier les questions de la sécurité et
la dénonciation du clientélisme local. Finalement, cette campagne correspond à
la sociologie des segments sociaux trop faiblement mobilisés lors du vote de 2014
(Fourquet et alii, 2014). Deux secteurs minoritaires ont joué un rôle essentiel : les
classes aisées blanches et les classes populaires issues de l’immigration.
Figure 3. Scores de Louis Aliot aux élections municipales de 2014 et nombre
d'adhérents du FN dans des bureaux de vote classés par le prix du foncier
relevé sur les sites internet de transaction immobilière
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En 2014, les classes moyennes déclassées fournissent le gros des militants qui
ont bien un effet de normalisation de la présence du parti, dont le score s’avère
corrélé à leur taux de présence par bureau de vote (figure 3). Mais dans la caté-
gorie la plus aisée les choses divergent : si le bureau 52 ne compte aucun mili-
tant, « l’aliotisme » y a bien une solide base, quoiqu’avec une moindre marge de
progression que dans la classe moyenne. Le coût personnel d’un investissement
pour le FN était encore trop élevé pour les membres de la bourgeoisie, qui néan-
moins pouvaient exprimer leur accord dans le secret des urnes. En 2020, la liste
et la campagne libérale-conservatrice de fusion des droites de Louis Aliot ont joué
chez les CSP+ le rôle détenu par les militants dans les milieux moins fortunés.
En outre, en 2014, ce sont les électeurs liés aux mondes arabo-musulmans, par-
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ticulièrement ceux du Nord de la ville, qui avaient sauvé le maire sortant (figure
4). Résultat, pour la campagne 2020, les équipes de Jean-Marc Pujol ont tout
fait pour mobiliser les quartiers Nord, tandis que Louis Aliot a tout fait pour ne
pas leur faire peur, évitant soigneusement les thèmes identitaristes. Il a pu ainsi
mobiliser les quartiers blancs aisés et démobiliser l’opposition de l’électorat lié aux
mondes arabo-musulmans.
Figure 4 : Les élections de 2014 selon le pourcentage de prénoms arabo-musul-
mans dans la liste électorale des bureaux de vote
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celle de Marine Le Pen adressant une vidéo aux électeurs de Jean-Luc Mélenchon
dans l’entre-deux-tours pour rallier les exclus de la globalisation. Au plan symbo-
lique, « l’Avenir en grand » permet de se différencier de l’impression de routine
dégagée par l’équipe sortante (dont l’affiche du second tour offre pour promesse
et horizon la construction d’un parking de mille places). Deuxièmement, l’argu-
mentaire électoral de Louis Aliot repose largement sur la dénonciation du clien-
télisme local (de gauche comme de droite) qualifié de « système de connivence ».
Ce « rejet des clans » répond à une aspiration d’une partie de l’électorat et reprend
la rhétorique frontiste de la collusion droite/gauche. Mezza voce, le clientélisme
ethnicisé est ainsi présenté comme la cause de la faiblesse économique locale et de
l’insécurité. Troisièmement, la question sécuritaire est un des points saillants du
programme. Louis Aliot n’a de cesse de dénoncer, au rythme de l’actualité locale,
les règlements de comptes entre dealers dans les cités d’habitat social, d’évoquer la
sécurisation des abords des écoles gangrénés par les trafiquants, et d’affirmer qu’il
faut renforcer et réorganiser la police municipale. Certes, ce thème a toujours été
au centre des campagnes municipales FN : en 1989, le parti affirmait déjà qu’en
un an il ferait de Perpignan « la ville la plus sûre de France », promesse rabattue
à « six mois » en 1995. Mais en 2020, c’est un tract de quinze mesures pratiques
qui est édité, décrivant pour la première fois une méthode précise et un horizon
raisonnable. Elle peut s’appuyer sur une plus grande demande sociale qui avait
déjà pu bénéficier à la liste Aliot en 2014. Les données statistiques sur les actes
délictueux et criminels peuvent permettre de cerner une partie de la demande
locale en matière sécuritaire. Si on les observe depuis 2012 comparativement avec
celles de Béziers, on obtient le tableau suivant5 :
Tableau 2. indicateurs des crimes et délits à Perpignan et Béziers de 2012 à 2019
Vols Homicides Coups Vols
Total des faits Viols
sans violence dont tentatives et blessures violents
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5. Nous avons formé nos indicateurs en regroupant pour Perpignan les chiffres du commissariat cen-
tral, de l’antenne de la Police judiciaire, et de la Police de l’air et des frontières, pour estimer qu’ils
constituaient ensemble un indicateur de la délinquance et de la criminalité dans la ville, pour Béziers
en prenant les données du commissariat. Nous avons ensuite rassemblé plusieurs items de la nomen-
clature en 107 éléments pour définir les catégories. « Vols sans violence » « Homicides dont tenta-
tives » correspond aux codes de l’index n°1 à 5 ; « coups et blessures » aux 6 et 7 ; « vols violents » aux
15 à 26 ; « vols sans violence » aux 31 à 43 ; « viols » aux 46 et 47. https://www.data.gouv.fr/fr/data-
sets/crimes-et-delits-enregistres-par-les-services-de-gendarmerie-et-de-police-depuis-2012/
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En 2014, la liste Aliot avait probablement déjà bénéficié de la forte progression
des coups et blessures ainsi que des vols violents. Depuis, la baisse du total des
faits est certes nettement plus prononcée à Perpignan qu’à Béziers, mais la hausse
des atteintes aux personnes est patente, et a pu constituer un moteur essentiel du
vote de 2020 (tandis que le volontarisme sécuritaire de Robert Ménard à Béziers
n’oblitère pas que c’est dans le domaine des vols que se concentre l’essentiel de
la progression de l’ordre public). Dans les quartiers populaires de Perpignan, la
demande sécuritaire et le profil bas sur les questions identitaires ont pu conjoin-
tement nourrir la dynamique électorale. En janvier 2020, un sondage6 montrait
que la « sécurité des biens et des personnes » était un déterminant du vote pour
48% des habitants sondés, avec un summum atteint dans le secteur de la cité des
Oiseaux (61%), connaissant d’importants problèmes de sécurité en milieu pauvre
(dans le quartier prioritaire de la ville qui la contient, la médiane du revenu dis-
ponible par unité de consommation est de 13 595 euros en 2018 selon l’INSEE),
et, effectivement, le bureau de vote a donné 61,65% de ses suffrages à Louis Aliot
au second tour. Durant la campagne, le candidat divers-droite Olivier Amiel
comme la candidate écologiste Agnès Langevine nous confiaient que la sécurité
était le sujet omniprésent. Il était spontanément évoqué par les Perpignanais lors
des tournées de terrain, y compris dans les quartiers cosmopolites, et également
lorsque la tournée avait un thème tout autre.
L’élection de Louis Aliot doit ensuite beaucoup à la dévitalisation du front répu-
blicain au second tour. L’opposition au RN est morcelée et travaillée par d’inces-
santes et anciennes querelles souvent interpersonnelles à la base de ce qui apparaît
aux yeux de l’électorat comme une indifférenciation du paysage politique perpi-
gnanais. Depuis longtemps, le clivage gauche/droite a cédé la place à une sorte
de mercato politique permanent, les individus changeant d'étiquette au gré des
circonstances, dans un marché électoral marqué par une anomie idéologique. Paul
Alduy (maire de 1959 à 1993) est le premier à ouvrir la voie : exclu de la SFIO en
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certains de ses adjoints débouchant sur des départs (Romain Grau) et des retraits
de mandat (Olivier Amiel et Isabelle De Noëll-Marchesan) qui ont donné lieu à
la constitution de deux listes en rivalité frontale avec celle du maire fractionnant
l’électorat de droite et du centre, déjà occupé par la liste rivale de Clotilde Rippoul
(ex-Modem, ex-catalaniste). En somme, l’offre unifiée du centre et la droite menée
par Jean-Paul Alduy de 1995 à 2009 s’est retrouvée fragmentée en cinq listes en
2020, dont trois étaient menées par d’anciens membres de l’UMP. À ce titre, la
liste « Pour Perpignan »7 est symptomatique d’une coalition agrégeant des colistiers
d’origine politique diverses dont certains en rupture avec le maire sortant, d’autres
transfuges du PS (dont l’époux de la présidente PS du conseil départemental), une
ex-socialiste et ex-Debout La France et un élu catalaniste. Après le premier tour,
Romain Grau appelle à faire barrage au RN, mais des membres de sa liste sou-
tiennent Louis Aliot, au motif qu’une perpétuation du « pujolisme » achèverait éco-
nomiquement la ville. La normalisation de l’ancien parti frontiste réside aussi dans
cette acceptation et dans cette volonté de « dégagisme » du dernier représentant de
l’alduyisme (Jean-Marc Pujol étant conseiller municipal depuis 1989).
À gauche, le paysage politique pâtit encore des résultats des municipales de
2014 et du faible score du candidat PS au premier tour (11%). La gauche arrive af-
faiblie et en ordre dispersé avec trois listes, elles aussi marquées par les tensions. Ces
dernières opposent la liste « Enfin l’écologie » (EELV et PS) à la liste « L’alternative !
Perpignan écologique et solidaire » (La France insoumise, le Parti communiste
français, Génération·s, le Nouveau Parti Anticapitaliste, la gauche républicaine in-
dépendantiste catalane) qui se partagent le même créneau du développement social
et environnemental. La campagne est ainsi l’occasion d’une guerre des tranchées
entre ces deux listes. « L’alternative ! » attaque régulièrement Agnès Langevine (tête
de liste d’« Enfin l’écologie ») sur le bilan social et environnemental de la région
Occitanie dont elle est vice-présidente. Quant aux tensions internes à ces deux
listes, elles sont légion entre, d’une part, le PS et EELV pour l’une, et le PCF et
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ternative ! ». La décision d’Agnès Langevine de retirer sa liste est vivement débattue
par la base des gauches, rêvant qu’une triangulaire puisse leur offrir la victoire.
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Tableau 3. Les minimas sociaux (2017)
Pyrénées
(en %) Occitanie Perpignan
Orientales
Population couverte par le RSA socle non majoré 6,80 9,94 18,70
(1) Personnes vivant dans un foyer allocataire des Caf ou MSA, dont le revenu est inférieur au
seuil de bas revenus à 60% (1 052 euros par mois et par unité de consommation).
(2) Le taux de dépendance représente la part des prestations Caf ou MSA dans le revenu.
Par ailleurs, une des questions politiques centrales tient au rejet des pauvres par
une partie dominante de l’électorat. Perpignan n’est pas seulement une ville avec
des taux élevés de pauvreté (32 %), elle cumule les records en la matière. Comme
le souligne le tableau 3, 43,6 % de la population est à bas revenus, soit le double de
la moyenne régionale (22 %). Le taux de foyers bénéficiant des minimas sociaux
(18,7 %) est trois fois plus élevé que la moyenne régionale (6,8 %). On pourrait
multiplier les données de ce type ; toutes révèlent l’hyper-pauvreté de la ville : chô-
mage (en 2020 : 12,7 % pour la ville, 25,5 % pour l’hyper centre), foyers couverts
par la CMU (23,05 %), foyers monoparentaux (28,2 % en 2017), etc. Les quartiers
populaires dégradés du centre-ville et les cités d’habitat social cumulent des records
(jusqu’à plus de 95 % de chômeurs à la Cité Nouveau Logis Les Pins, zone d’habi-
tation gitane constituant le bureau de vote 605), la ville concentre d’ailleurs 67 %
des logements sociaux du département. Perpignan est fragilisée au point de voir des
pans entiers de ses activités laissés à l’économie souterraine : démultiplication des
épiceries vendant pour l’essentiel du tabac de contrebande ; trafic de stupéfiants, etc.
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rentant à une « côte d’azur du pauvre ». Le flux accentue le dualisme inégalitaire
de la cité, une nette partie des actifs arrivants relevant des classes aisées : le Mas
Llaro, bureau de vote des grandes villas sécurisées sur la route de la mer, comporte
ainsi plus de 60 % d’électeurs nés à l’extérieur du département. Nonobstant, dans
le débat public, la critique des pauvres s’est focalisée sur le thème de l’entretien élec-
toraliste de clientèles maghrébines et gitanes - selon un schéma que l’on retrouve
également à Marseille (Crépon et Lebourg, 2015). La dynamique Aliot s’est nourrie
du rejet d’un paysage politique local vu par beaucoup de Perpignanais comme la
lutte permanente entre deux systèmes clientélistes (celui de la gauche départemen-
tale et celui de la droite municipale). Vision en partie fausse, puisque l’effondrement
des systèmes clientélistes s’est fait au tournant des années 2000 (Giband, 2006),
mais la volonté affichée d’une partie de l’électorat de balayer ce tropisme perdure.
Ce sentiment de dégagisme est lié à deux dates : les émeutes de 2005 (qui ont vu en
mai 2005 s’affronter violemment populations gitane et maghrébine dans le centre-
ville) et 2008 (l’épisode de la fraude à la chaussette ; Maury, 2008). Or ces deux
évènements (marquant pour la société locale) constituent un impensé politique local
dont la portée n’a jamais fait l’objet à droite comme à gauche d’une analyse politique
rigoureuse. Ainsi, l’offre Aliot a répondu à une triple attente électorale : le rejet d’un
système clientéliste à bout de course, les attentes sécuritaires d’une ville où la petite
délinquance progresse, et une demande d’horizon social et économique (rejet de
l’assistanat, déclin du centre-ville, attractivité économique). Elle a ainsi pu réussir là
où échoue traditionnellement le RN : faire coïncider une idéologie interclassiste avec
une sociologie électorale du même type.
Si le constat d’un vote Aliot fédérant un électorat allant des populations gitanes
aux populations bourgeoises valait déjà pour les municipales de 2014 (Giband,
Lefebvre, 2016), l’analyse des résultats du second tour de 2020 par bureaux de vote
confirme ce constat et permet d’avancer d’autres éléments d’explication. Lorsque
l’on classe les bureaux de vote qui ont accordé plus de 50% de leur suffrage à Louis
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passé son concurrent que dans un seul bureau sur toute la ville), et aux élections
européennes, avait opté pour la liste Renaissance de LREM, on a clairement ici
une droite bourgeoise, hostile à une société multi-ethnique absente de ce bureau
mais qu’elle perçoit dans l’agglomération, et qui récuse Marine Le Pen au nom
d’une compétence mesurée entre autres par sa compatibilité avec l’euro-libéra-
lisme. C’est cette bourgeoisie hostile au FN pour des motifs économiques et non
pour des mobiles égalitaires que le positionnement de fusion des droites est par-
venu à intégrer à l’assiette du vote Aliot.
Tableau 4. Le vote au second tour par types de quartier
Nombre de Nombre de
Moyenne Moyenne
bureaux de bureaux de
vote où Aliot du vote Aliot vote où Pujol du vote Pujol
est majoritaire (en %) est majoritaire (en %)
Quartiers en périphérie d’habitat social 10 57,34 12 58,1
Total 54 22
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et résidentiel. L’arrivée de populations modestes, souvent issues de l’immigration
maghrébine et des démolitions des cités d’habitat social du Vernet, donne lieu à un
discours sur le décrochage de ce quartier, ancien pivot de l’électorat de droite. La
dégradation d’une partie du quartier, le remplacement des copropriétaires âgés par
des locataires modestes issus des logements sociaux des quartiers nord, et une insé-
curité en hausse participent d’un net repli sur le vote Aliot déjà à l’œuvre en 2014.
Figure 5 : Le vote Aliot au second tour (2020)
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européens et laissée à l’abandon »9. Le thème participe aussi de l’engagement de
la bourgeoisie de l’Est, nécessitant un candidat paraissant apte à déployer un élan
capable de défendre leurs intérêts, notamment fiscaux et résidentiels. Autour de
ces périphéries pavillonnaires aux profils divers, se construit un bloc électoral qui
prend valeur de fusion des droites. En retour, l’épuisement du système clientéliste
des quartiers populaires centraux (Saint Jacques pour le vote gitan) et du Sud de
la ville (Moulin à vent pour le vote pied-noir) qui ont longtemps joué en faveur
des équipes sortantes de la droite municipale, empêche la sur-mobilisation de ces
quartiers d’opérer en faveur de Jean-Marc Pujol.
Ce conglomérat a pu constituer une majorité malgré l’abstention due à la pandé-
mie de covid-19. On peut même suggérer que la liste de Louis Aliot a souffert d’une
abstention différenciée à son égard. En effet, l’électorat perpignanais se compose
pour moitié de personnes nées dans le département, pour l’autre d’électeurs nés
ailleurs. Or, leurs votes sont foncièrement divergents. À l’élection présidentielle de
2017, les bureaux de vote comptant plus de 60 % de « natifs » ont voté à 30 % pour
Marine Le Pen, et presque autant pour Jean-Luc Mélenchon, contre 11 % pour
François Fillon. À rebours, les bureaux à plus de 60 % composés d’électeurs « al-
lochtones », tel que le Mass Llaro, ont voté à 23 % pour François Fillon, devançant
Marine Le Pen. Aux européennes, cet électorat filloniste des quartiers bourgeois
a soutenu LREM, amenant à un profond dualisme : les bureaux à plus de 60 %
d’électeurs « autochtones » votant à 37,3 % RN et 12,3 % LREM, tandis que ceux
à plus de 60 % « allochtones » votaient à 26,9 % RN et 24,3 % LREM (Fourquet
et alii, 2020). Or si on classe les résultats des municipales selon le taux d’allochtones
dans les bureaux de vote de nombreuses leçons apparaissent (figures 6 et 7).
Figure 6 : Participation et vote Aliot au premier tour selon le taux d'allochtones
dans les bureaux de votes
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Figure 7. Participation et vote Aliot selon le taux d'allochtones dans les bureaux
de vote
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celles du Champ de Mars (69,72%), les copropriétés dégradées de Baléares-Rois
de Majorque (65%) mais aussi dans des quartiers péricentraux qui ont bénéficié
des effets de la politique de renouvellement urbain (le quartier de la place de
Belgique par exemple avec 52% alors qu’y vivent plusieurs membres de la liste
Aliot et d’autres encartés). En définitive, ce sont les quartiers de la géographie
prioritaire de la politique de la ville qui ont le plus bénéficié des investissements
des PNRU successifs – ceux-ci marquant la réalité de l’action politique dans le
cadre quotidien.
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En l’état, la coalition réalisée semble s’orienter vers un retour en modestie d’une
agglomération sans grand projet structurant, et à une gestion commune des affaires
courantes. Louis Aliot peut peser, dossier après dossier, puisqu’il dispose de 31
représentants communautaires sur les 88 conseillers. Au sein du conseil, plusieurs
élus de droite nous ont dit lors d’entretiens trouver dans leur adversaire politique
« un homme normal, avec qui il est facile de travailler », comme un écho de Jean-
Paul Alduy décrivant l’opposant au conseil municipal qu’il avait eu face à lui en
2008 : « quand Aliot prend la parole en conseil municipal, il est lisse. Il n'intervient
que sur des sujets où il peut marquer sa différence de manière très positive. Il n'est
pas dans une stratégie d'affrontement » (Lebourg et Beauregard, 2012).
Cet épisode a été suivi par l’embauche comme directeur de cabinet de Sté-
phane Babey, jusque-là membre de celui de la présidente PS du département, mais
antérieurement collaborateur de Jean-Paul Alduy. La dynamique Aliot cherche
donc à encore déstabiliser le biotope politique départemental, non sans piocher
des appuis dans l’alduysme tant décrié. Cette ouverture permet au nouveau maire
de balayer l’ensemble du spectre politique : dans les premières mesures prises par
la municipalité se trouve l’établissement d’un « permis de louer » (loi Alur), me-
sure qui, lors du scrutin, n’avait été défendue que par la liste de la gauche radicale.
La question sécuritaire est particulièrement investie : dès les premières semaines
de son mandat, deux postes de police ont été ouverts, deux brigades de nuit ont
été créées, 27 nouveaux agents ont été embauchés en 2021 et deux nouveaux
postes doivent être établis11.
Le fait que le département et la région soient tenus actuellement par la gauche
est une opportunité pour le maire de Perpignan d’approfondir sa fusion des
droites – malgré une vraie difficulté pratique sur l’essentiel des projets structu-
rants tels que la ligne LGV attendue depuis des décennies. Dans la perspective
des départementales, l’ancien président du tribunal de commerce de Perpignan,
numéro trois de la liste LREM qui avait choisi de soutenir Louis Aliot pour le se-
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