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DU « REPRÉSENTATIF » ET DU « PARTICIPATIF »,
LA DÉMOCRATIE EN QUESTIONS
Najib BA MOHAMMED
Professeur à la Faculté de droit – Fès, ancien membre de la Commission
consultative de la révision de la constitution (CCRC)
Introduction
La constitution de 2011 appartient à la nouvelle tendance, tant elle introduit des concepts
ignorés par les textes classiques en l’occurrence, la démocratie participative et la bonne
gouvernance qu’elle inscrit à son ordre du jour juridique.
« Du représentatif et du participatif » la démocratie en questions, n’est pas un plaidoyer
ou un réquisitoire pour ou contre l’une ou l’autre expression de la démocratie dont ce n’est
point ici ou là, le procès. Tout au plus il s’agit d’un questionnement conceptuel en vue de
saisir la légitimité scientifique et politique des concepts en question, même si l’exercice
s’avère rude et la démarche incertaine.
Je me réjouis de cette opportunité offerte par les organisateurs de ce colloque, que je salue
et remercie amicalement et accepte l’aventure de m’inscrire dans l’analyse politologique de
la démocratie néo-libérale.
La démocratie s’est historiquement affirmée en tant qu’ordre politique, dans le cadre
étatique et sous « forme » représentative. Or, il semblerait que ces trois structures fondatrices
sont en souffrance dans le néo-libéralisme ambiant et sa tendance à dissoudre la démocratie
dans l’Etat de droit, sinon dans l’Etat des droits de l’Homme et du citoyen (1). Une
profonde mutation s’est opérée impliquant un nouveau « rééquilibrage » entre le politique
et le juridique, l’étatique et le mondial voire le local ou le régional et, finalement entre la
démocratie indirecte des élites et celle plus directe des masses ou des citoyens.
C’est autour de cette mutation-rééquilibrage que se joue le destin de la « démocratie
recyclée » que l’on qualifie aussi de post-démocratie.
L’observation des vieilles démocraties libérales et pluralistes occidentales favorise
le constat de la crise qui affecte le régime représentatif que les pères fondateurs ont
(1) Cf. Slobodan Milacic, la Démocratie représentative devant un défi historique. Bruylant 2006 (rapport introductif),
p. 3-37.
10 Najib Ba Mohammed
(2) Cf. Paul Thibaud, « Les démocraties sont mortelles », le Monde du 4 mars 2004.
(3) Cf. Dominique Rousseau, « Les démocraties continuent », le Monde du 21 mars 2004.
(4) Cf. François Robbc, la Démocratie participative, 2005.
(8) Cf. Remy Lefebre, Non-dits et points aveugles de la démocratie participative, CERAPS, Lille II. 2005.
(9) Pierre Sadran, « Délibération citoyenne et gouvernement représentatif », in la Démocratie représentative devant un
défi historique, op. cit., p. 263.
participation des citoyens est infiniement variable, passant par toutes les nuances qui vont
de la simple concertation à la co-décision. Aussi, le caractère hétéroclite du participatif
(acteur, espace et dispositif) empêche d’y voir un modèle ayant une quelconque cohérence.
Toutefois, les vertus démocratiques de la participation citoyenne la prédisposent à la
concurrence avec la démocratie représentative.
(10) Laurence Morel, « La démocratie directe, problèmes et nouvelles formes, vers une démocratie directe partisane »,
Revue française de science politique n° 4-5 août-octobre 2000, p. 765.
(11) Slobodan Milacic, op. cit., p. 11 et 12.
et même dans le référendum, la gamme de choix offerte aux citoyens est somme toute
assez restreinte, voter pour le « oui » ou pour le « non », préférer un candidat ou un autre, en
désespoir de cause s’abstenir. Le bulletin de vote, mode d’expression démocratique limité,
n’est jamais en mesure de traduire toute la complexité de l’opinion d’un citoyen conditionné
par les discours partisans et les faiseurs d’opinion. Dans ce contexte, l’utilisation du
suffrage universel rend aléatoire le résultat de l’élection et met les institutions à la merci de
démagogues ou des caprices de l’opinion. Supplée ainsi, une démocratie plus mature car le
citoyen peut s’exprimer de manière quasi continue, une opinion susceptible d’évolution et de
multiples nuances insaisissables de la démocratie classique qui souffrirait certainement du
caractère instantané du vote et de la clarification dont il fait l’objet sur une échelle partisane
prédéfinie et limitée. Orientées vers la recherche d’un vaste consensus social, les nouvelles
méthodes démocratiques devraient permettre, dans l’idéal, la prise en compte équilibrée
et continué des souhaits du plus grand nombre, ce qui représenterait un saut qualitatif non
négligeable dans le développement des sociétés politiques modernes. Aussi, la démocratie
participative est perçue comme le remède miracle qui sortira les vieilles démocraties
occidentales de l’apathie dans laquelle elles semblent être tombées. Les nouvelles techniques
de participation citoyenne formeraient la base d’un nouveau pacte entre les gouvernants
et les gouvernés et réduiraient – à défaut de faire disparaître – le fossé qui les sépare.
C’est ainsi principalement, dit-on que pourra être mis fin aux dérapages voire perversions
de la démocratie « surreprésentative », souvent décriée : « la démocratie sans le peuple »
(M. Duverger) « La démocratie des partis » (De Gaulle). Il fallait, donc, déjà, rendre au peuple
souverain le pouvoir « confisqué » par les élites, élues qui ont plus, au moins « trahi » (12). A
travers toute une critique néo-libérale le discours change, à « la participation démocratique »
d’hier est préférée « la démocratie participative » d’aujourd’hui. D’une façon générale, le
prestige de l’idée « participative » ou « participationniste » finit par saper les fondements
légitimants de la démocratie représentative, sans, pour autant, lui apporter une nouvelle et
efficace logistique de soutien.
(12) Pour reprendre l’expression typique de Julien Benda, « La trahison des clercs » cité par S. Milacic, op. cit., p. 30.
(13) Yadh Ben Achour, le Régime représentatif modèle constitutionnel indépassable, op. cit., p. 283 et suivant.