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Démocratie

Lorsqu’en 1789, la bourgeoisie commerçante réussit, avec l’aide du peuple, à forcer la


royauté à partager le pouvoir, elle mit en place un régime politique que l’on qualifie de «
gouvernement représentatif ». En effet le peuple élit des représentants qui parlent et
agissent en son nom. Par l’élection qui crée un certain type de représentation, le peuple
abandonne son pouvoir, au profit des représentants qui en disposent à leur guise, ce que
dénonçait déjà Jean-Jacques Rousseau dans son « contrat social ». La bourgeoisie manifesta
donc en instituant ce régime, une claire volonté de mettre le peuple à l’écart, récusant la
démocratie, que l’histoire de la cité antique d’Athènes pouvait inspirer.

Toutes les « démocraties » occidentales modernes sont globalement organisées sur ce


principe électif-représentatif, l’utilisation du suffrage universel ayant légèrement modifié le
modèle depuis son avènement. Ici se situe un point d’extrême importance : le principe
majeur et structurant c’est la représentation, et non le suffrage universel qui n’est qu'une
amélioration, hautement symbolique certes, mais tout à fait superficielle concernant le
fonctionnement du régime politique. Le suffrage universel, procédure démocratique
temporaire le temps du scrutin (le peuple entier vote, un jour donné, pour abandonner son
pouvoir), ne modifie en rien le lieu du pouvoir qui réside entre les mains des représentants.
Paradoxe étonnant que de constater qu’une procédure démocratique serve à établir un
régime politique non-démocratique.

Plus paradoxal encore est le fait que, dès le début du 19ème siècle, se produise une
substitution de sens entre « gouvernement représentatif » et « démocratie ». Le premier
pris le nom de la seconde sans en absorber les principes. Nous en sommes toujours là et
c’est pourquoi les guillemets s'imposent lorsqu'on parle des « démocraties » occidentales.
Mais cette usurpation de sens est lourde de conséquences, puisque le peuple à qui l’on
suggère d’exiger une démocratie comme réponse à ses maux, répond aisément que nous
vivons déjà sous ce type de régime politique, assimilant la démocratie à l’élection au suffrage
universel. Or l’élection, vue du côté candidats et non plus du côté électeurs, à pour vocation
de sélectionner les individus les plus considérables parmi un groupe restreint. C’est donc un
processus parfaitement aristocratique (l’aristocratie est le pouvoir ou le gouvernement des
plus considérables) qui bien sûr s’oppose absolument au démocratique (la démocratie est le
pouvoir ou gouvernement du peuple).

Ces représentants issus d’un groupe restreint, constitués de notables possédants et de


professionnels de la politique, donc d’une partie très réduite du peuple, détiennent le
pouvoir réel (le peuple détenant le pouvoir théorique, sa fameuse souveraineté) et
gouvernent en fonction des intérêts du groupe dont ils sont issus, intérêts rarement
convergents avec ceux du peuple.
Il n’y a pas de raison de laisser perdurer cette situation compte tenu de la gravité des
conséquences qu'elle engendre. La crise multi-dimensionnelle que nous vivons est le fruit de
décisions prises par ces élites à qui nous avons fait confiance pour nous servir et qui l'ont
brisée en ne le faisant pas, sachant en toute circonstance ce qui est bon pour nous. Le
peuple bien informé (protégé des manipulations) n’aurait probablement pas pris ces
décisions. Lui aussi, il ne sera jamais mieux servi que par lui-même.

Changer d’organisation politique, afin que le peuple gouverne, ainsi que le décrète le mot
démocratie, notre étendard occidental, c’est écrire un nouveau texte régissant le
fonctionnement de nouvelles institutions réellement démocratiques, c’est écrire une
nouvelle constitution.
Qui l’écrit ? Le peuple bien sûr, pour que le texte serve ses intérêts, non ceux d’élites
restreintes qui l’auraient rédigé.
Pour ce faire, il faut convoquer une grande assemblée, nommée assemblée constituante,
composée d’individus appelés constituants et dont la tâche est de rédiger ce texte. C’est ici
qu’intervient le tirage au sort des constituants parmi le peuple, (chaque tiré au sort ayant
bien sûr la possibilité de refuser cette mission publique) car c’est le seul moyen d’obtenir
une assemblée ayant une similitude avec le peuple, une assemblée montrant l’ensemble de
la diversité du peuple. Une constituante élue au contraire, composée de membres des castes
précitées (1), verrait à coup sûr ces derniers écrire un texte servant leurs intérêts, le premier
d’entre eux étant de perdurer, c'est-à-dire de maintenir par tous les moyens leurs privilèges
de pouvoir. Ils supprimeraient le régime présidentiel actuel, changeraient le numéro de
république, réécriraient le texte de fond en comble pour finalement refaire une organisation
globalement identique.

Les conférences de citoyens (2) l’ont montré, les individus tirés au sort et bien informés
pendant le processus de rédaction d’un texte (ce qui nécessite la mise en place de
procédures et d’un contrôle très strict de leur bonne exécution, visant à les informer de
façon contradictoire), parviennent à des résultats de grande qualité. Leur tâche qui
s’apparente à celle d’un élu actuel, c'est-à-dire écouter les différentes informations qui lui
sont proposées sur un sujet particulier, d’en faire la synthèse en vue d’une décision d’action
ou de vote, ici d’une rédaction de texte, ne nécessite aucune compétence particulière à part
celle d’écouter et de réfléchir. Comme les élus, ils sont le plus souvent ignorants des choses
qui leurs sont exposées, mais ne le sont plus après l’exposé des spécialistes.
Laisser ce travail législatif (la rédaction d'une nouvelle constitution) à des élus serait leur
conférer des capacités particulières qu’ils n’ont pas et qui de plus ne sont pas requises, sans
parler du biais massif déjà discuté à propos des intérêts divergents. Le temps des
professionnels de la politique et de leur faux métier est révolu.

Notes

(1) Ce serait une assemblée similaire à notre assemblée nationale actuelle qui n’a rien à
voir avec la diversité du peuple français. Jugez vous-même ! Vous comprenez sans
doute pour quelle raison il n’y a aucune chance qu’une telle assemblée fasse quoi
que ce soit qui aille dans le sens des intérêts du plus grand nombre, sauf bien sûr
pour maintenir la paix sociale, ce qui n’est pas une façon décente de gouverner.

La démocratie moderne

C’est d’ailleurs à partir de cette période de la Renaissance que la démocratie devient


réellement un objet de débat politique, en particulier en Europe, avec le bouillonnement
intellectuel que l’on appelle aujourd’hui le « ‘Siècle des Lumières ». Les structures politiques
très concentrées comme la monarchie ont commencé à être remises en cause, et l’aspiration
à une souveraineté populaire s’est renforcée, notamment chez les intellectuels. C’est à partir
de cette période que l’on a commencé à théoriser une démocratie « moderne ». La
Révolution française se fonde d’ailleurs sur cette aspiration à une souveraineté du peuple, a
ainsi marqué un tournant dans l’histoire de la démocratie. Un tournant d’abord symbolique,
puisque l’on coupe la tête du Roi et qu’on remplace cette souveraineté divine par une
souveraineté « du peuple », mais aussi un tournant institutionnel, avec la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen en 1789, qui a établi les droits et les libertés individuels qui
servent de base aux régimes démocratiques.

Cette démocratie, qui s’est développée de manière plus ou moins progressive (notamment
avec les Révolutions française, américaines, et les différentes révolutions et réformes
anglaises) ne pouvait toutefois pas prendre les mêmes formes que la démocratie antique,
car elle ne concernait pas les mêmes échelles géographiques et sociales. La démocratie se
pense à l’époque à l’échelle de ce que l’on appelle l’État-nation, l’échelle de pays entiers,
avec leurs peuples. La démocratie moderne a donc pris une forme nouvelle, fondée sur le
développement de la représentation politique. Plutôt que de gouverner directement, les
citoyens élisent des représentants pour les gouverner et prendre des décisions en leur nom.
Cette forme de démocratie a permis d’étendre la participation politique à des groupes qui
en étaient auparavant exclus, mais elle a également créé de nouvelles inégalités, notamment
entre les élus et les électeurs. Elle a également posé la question de la légitimité
démocratique : qui peut être le représentant légitime du peuple ? Dans quelles conditions ?

Le développement de la démocratie moderne a connu une histoire mouvementée,


notamment en Europe : les démocraties émergentes alternant avec le retour de systèmes
monarchiques, voire d’Empires, et la période a été marquée par les guerres entre Etats, les
guerres civiles, les révolutions, etc. Mais progressivement, la démocratie s’est imposée dans
la plupart des pays européens, mais aussi aux Etats-Unis. Ces pays élargissent
progressivement le droit de votes, généralisent les élections, développent des systèmes
politiques et juridiques plus stables, respectant les principes démocratiques.
La démocratie contemporaine
Depuis la seconde moitié du XXe siècle, la démocratie s’est installée dans une bonne partie
de la planète. Avec la mondialisation, le modèle politique occidental s’exporte un peu
partout, et les mécanismes démocratiques se renforcent grâce aux luttes sociales et
politiques. Le suffrage s’élargit : en France, il est étendu aux femmes en 1944, puis devient
direct pour l’élection du Président en 1962 (première élection en 1965). Aujourd’hui, plus
d’une soixantaine de pays sont considérés comme des régimes démocratiques plus ou moins
fonctionnels dans le monde.

La démocratie contemporaine traverse également une phase de profonds questionnements,


parfois appelée « crise démocratique ». D’un côté, la représentation politique est
questionnée, sa légitimité remise en cause, et de plus en plus de citoyens, à travers les
mouvements sociaux et de nouvelles formes d’engagement politique, militent pour plus de
démocratie directe, ou participative. De l’autre, la défiance s’est installée chez beaucoup de
citoyens, et l’abstention a augmenté massivement. De nouveaux acteurs participent
désormais aux processus démocratiques : les associations, les groupes d’intérêts, les
syndicats, et les médias, par exemple.

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