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EM GABON-UNIVERSITÉ
Institut d’études juridiques et de sciences politiques

Année universitaire : 2023-2024

Cours de droit constitutionnel 2 : Les régimes politiques

Élaboré par le Professeur Télesphore ONDO, ce cours est dispensé par :


Téphy-Lewis EDZODZOMO NOUMOU, Docteur en droit public
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INTRODUCTION :

« Là où il y a entité étatique, ancienne ou moderne, il y a régime politique ». Toute organisation politique


repose en effet sur un régime politique qui lui est propre.

La notion de régime politique n’est pas aisée à définir.

Selon Maurice Duverger, « au sens large, on appelle régime politique la forme que prend dans un groupe
social donné la distinction des gouvernants et des gouvernés ». Dans le même sens, le régime politique
désigne l’organisation des pouvoirs et leur exercice au sein d’une entité politique donnée. Ce terme
renvoie donc à la forme institutionnelle du pouvoir mais aussi à la pratique découlant de cette forme
institutionnelle. Il dépasse l'étude constitutionnelle (qui analyse les structures formelles d'un État) mais
n’est pas non plus à confondre avec l'étude des systèmes politiques (qui est le mode d'organisation d'un
État).

L'exercice du pouvoir est très important, car tout en ayant la même forme institutionnelle, des régimes
politiques peuvent se distinguer en fonction de la pratique de l'exercice du pouvoir. Selon Maurice
Duverger : « À la base de tout régime politique se trouve le phénomène essentiel de l'autorité, du pouvoir,
de la distinction entre gouvernants et gouvernés ».

« Tout régime politique peut être défini comme l'ensemble des réponses apportées à quatre ordres
principaux de problèmes » :

Autorité des gouvernants et droits et devoirs des citoyens : Quels sont les fondements du pouvoir
politique qui définissent les valeurs fondamentales du régime ?

Choix des gouvernants et des représentants des citoyens : Comment sont désignées les personnes qui
reçoivent la charge et le pouvoir de gouverner une collectivité publique ?

Structures des gouvernants : Celles-ci sont rarement uniques ou monolithiques. Qui sont-elles, quelles
sont leurs formes d'organisation et quels rapports les réunissent les unes aux autres ?

Évaluation, Contrôle et Limitation des gouvernants : Comment s'articulent les droits et devoirs des
gouvernants avec ceux des citoyens ? Comment se garantissent-ils réciproquement ? Comment réguler
et éventuellement forcer au respect des attributions, responsabilités et zones de liberté respectives ?

Ces définitions ne permettent pas de distinguer clairement régime politique et système politique, ce
dernier englobant non seulement l’organisation constitutionnelle des gouvernants mais aussi d’autres
acteurs et d’autres processus tels que le régime des partis, les libertés publiques, les médias et les
mécanismes de socialisation politique des citoyens. C’est pourquoi, il convient de définir le régime
politique comme « l’ensemble des éléments d’ordre idéologique, institutionnel et sociologique qui
concourent à former le gouvernement d’un pays donné pendant une période déterminée ». Depuis
Aristote, le souci de procéder à la classification des régimes politiques a toujours mobilisé la doctrine.
Sans revenir aux taxinomies classiques entre royauté et tyrannie, aristocratie et oligarchie (Aristote),
gouvernement monarchique, républicain ou despotique (Montesquieu), en prenant le raccourci, on peut
simplement indiquer que la doctrine moderne distingue les régimes démocratiques et pluralistes des
régimes autoritaires et totalitaires.

Pour éviter des confusions, il convient de définir soigneusement ces différents régimes politiques. La
royauté désigne « l’ensemble des caractères, institutions et prérogatives propres à un régime dont le chef
est le roi ». La royauté se distingue de la monarchie qui est le gouvernement d’un seul. De plus, elle peut
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s’accommoder à divers types de régimes politiques : elle peut être démocratique, absolue, voire
populaire, même si traditionnellement, elle a un caractère absolu et sacré. Elle se distingue également
de la tyrannie qui, à l’époque moderne, se caractérise par la concentration, la personnification, l’abus du
pouvoir et le règne de la terreur.

L’aristocratie désigne un régime politique dirigée par une élite, c’est-à-dire un petit nombre de dirigeants
choisis selon un critère héréditaire ou pour leurs vertus personnelles. Elle se distingue alors de la
monarchie et de la démocratie. Elle était considérée par Platon et Aristote comme un « bon »
gouvernement qui se distingue également de l’oligarchie.

L’oligarchie est un « régime politique dans lequel le gouvernement est exercé par un petit nombre de
personnes, et ceci, quelle que soit la raison de leur puissance (origine familiale, richesse, violence) ».
Contrairement à l’aristocratie, le terme a une connotation fortement négative. Toutefois, elle peut
évoluer non seulement vers la démocratie, par l’ouverture aux catégories sociales plus modestes, mais
aussi vers la tyrannie.

La monarchie est « le régime dans lequel la souveraineté est rapportée à une personne : c’est le
gouvernement de tous par un » (Monarchie absolue). Généralement, le pouvoir ou couronne se transmet
par héritage au sein d’une même famille (monarchie héréditaire) ou exceptionnellement par élection ou
sélection en l’absence de descendant. La monarchie peut revêtir plusieurs formes : elle peut être limitée
(monarchie constitutionnelle), parlementaire (monarchie parlementaire dans lequel l’exécutif est scindé
en deux : le pouvoir du monarque et le pouvoir gouvernemental ; ceci aboutit au parlementarisme
dualiste) et républicain (monarchie républicaine : régime présidentialiste de la 5e République française).
Les travaux d'Hannah Arendt, Carl Joachim Friedrich et Raymond Aron définissent les caractéristiques
du régime totalitaire :

-existence d'une idéologie infaillible et totalisante ;

-vie politique, sociale et économique régentée au niveau privé et public ;

-existence d'un parti unique (parti-État) qui a le monopole des moyens internes de communication de
masse ;

-une répression violente de l'opposition via une police secrète, le but étant d'incarner la terreur.

Les régimes fascistes, nazis et soviétique peuvent être considérés comme des exemples de régimes
politiques totalitaires, même si Arendt considère l'Italie fasciste de Mussolini comme un « totalitarisme
non abouti ».

Le régime autoritaire est défini comme un régime à pluralisme limité, non responsable à l’égard du
peuple, souvent sans idéologie directrice élaborée, ni volonté de mobilisation intensive ou extensive,
sauf à des fins de développement, par exemple. Ce type de régime peut soit supprimer les élections, soit
tolérer un pluralisme de façade en maintenant un système d’élection truquées ou en n’autorisant la
compétition qu’entre des partis tolérés par le pouvoir et sous son contrôle. Généralement, les médias y
sont muselés ou mis au pas, les droits de l’homme ne sont que très peu respectés, la répression des
opposants et des membres de la société civile est monnaie courante, la corruption et les pratiques
clientélistes et néo-patrimoniales sont la règle. Lorsque ces différents éléments se transforment en travail
d’imprégnation idéologique de la population, on aboutit au régime totalitaire.

Ces régimes ont fait la pluie et le beau temps en Afrique sous le parti unique et continuent de résister
dans de nombreux pays, malgré le vent persistant de la démocratie et de l’Etat de droit.
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Les régimes autoritaires présentent plusieurs caractéristiques qui les distinguent des démocraties
libérales :

-absence d'élection réelle (c'est une façade démocratique) ;

-refus de l'alternance au pouvoir ;

-absence de pluralisme politique réel ;

-limitation des libertés fondamentales et publiques ;

-non-respect de l'État de droit.

Le régime démocratique est un régime politique dans lequel le peuple dispose de la souveraineté. C’est,
selon la formule d’Abraham Lincoln, « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». A
l’heure de la mondialisation, il reste qu’une définition plus exigeante s’avère aujourd’hui nécessaire
pour qualifier les régimes dits démocratiques. Ceux-ci impliquent trois conditions essentielles relatives
au fonctionnement du régime politique : d’abord, la participation du peuple à l’exercice et au contrôle
du pouvoir, selon des procédures délibératives ; ensuite, le pluralisme politique qui implique le
multipartisme et l’existence d’organisations de la société civile et des médias libres et indépendants ;
enfin, l’alternance au pouvoir. A ces conditions s’ajoutent trois exigences fondamentales, à savoir la
séparation des pouvoirs, l’Etat de droit et la protection des droits fondamentaux des citoyens. Il s'agit
d'un idéal-type qui trouvent aujourd’hui des limites avec l’émergence de démocraties illibérales,
notamment en Pologne, Hongrie, Autriche, etc.

A première vue, l’expression a un petit air de paradoxe, voire d’oxymore, tant la démocratie a toujours,
en Occident, rimé avec le libéralisme constitutionnel. « Ce terme renvoie à la tradition, profondément
enracinée dans l’histoire occidentale, qui cherche à protéger l’individu de la contrainte, quelle qu’en soit
la source : l’Etat, l’Eglise ou la société, analyse, en 1997, l’essayiste américain Fareed Zakaria dans la
revue Foreign Affairs. Il est libéral parce qu’il se nourrit du courant philosophique, né avec les Grecs,
qui met l’accent sur la liberté individuelle. Il est constitutionnel parce qu’il repose sur la tradition,
inaugurée par les Romains, de l’Etat de droit. ». Toutefois, au fond, ces régimes hybrides remettent en
cause l’Etat de droit et vident dangereusement les principes fondateurs de la démocratie de leur contenu.
Pour Zakaria, « les démocraties libérales occidentales pourraient s’avérer ne pas être le terminus de
l’itinéraire démocratique, mais seulement une sortie parmi plusieurs autres possibles ». Mieux, il ajoute
que « parmi les pays qui se trouvent à mi-chemin entre la dictature avérée et la démocratie consolidée,
50 % font mieux en matière de libertés politiques qu’en matière de libertés civiles. Autrement dit, la
moitié des pays en voie de démocratisation dans le monde sont aujourd’hui des démocraties illibérales
», c’est-à-dire des régimes plus ou moins autoritaires, des « autocraties libérales » ou des régimes semi-
démocratiques qui garantissent de nombreuses libertés civiles.

En 2019, le magazine britannique The Economist a procédé à un classement des régimes politiques
africains de la manière suivante : 15 régimes démocratiques (entre autres : Sénégal, Mali, Burkina Faso,
Bénin, Afrique du Sud, Namibie, etc.) ; 17 régimes semi-démocratiques ou démocratiques fragiles
(Maroc, Algérie, Tunisie, RDC, Centrafrique, Madagascar, etc.) ; 7 régimes purement autoritaires
(Gabon, Congo, Cameroun, Tchad, Zimbabwe, Soudan, Erythrée) et 2 régimes anarchiques, sans Etat
(Lybie et Somalie).

Globalement, la distinction entre régimes démocratiques et régimes autoritaires repose sur le principe
de séparation des pouvoirs. En effet, on peut classer les différents types de régimes démocratiques selon
qu’ils privilégient la collaboration des différents pouvoirs (régime d’assemblée, régime parlementaire)
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ou leur stricte séparation (régime présidentiel). Certains régimes présentent par ailleurs un caractère
mixte, à la fois parlementaire et présidentiel.

Montesquieu a montré que pour qu'un régime soit démocratique, « il faut que par la disposition des
choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Il doit donc exister une séparation entre les différents pouvoirs :
le pouvoir législatif (qui élabore les normes juridiques), le pouvoir exécutif (qui met en œuvre les lois
par des textes d'application) et le pouvoir judiciaire (qui fait appliquer les normes juridiques). La
séparation des pouvoirs est donc une condition de la démocratie. Mais la séparation des pouvoirs, peut
être souple et ce sera le régime parlementaire ou rigide et ce sera le régime présidentiel. L’application
de ces régimes en Afrique a été manifestement tronquée donnant naissance à un régime hybride,
présidentialiste qui est une déformation du régime présidentiel avec des emprunts du régime
parlementaire.

Ce sont ces différents régimes qui feront l’objet de ce cours.

TITRE I : LES REGIMES POLITIQUES OCCIDENTAUX

CHAPITRE 1 : LE REGIME PARLEMENTAIRE

Le régime parlementaire ou parlementarisme est souvent défini, de façon institutionnelle, comme le


gouvernement parlementaire ou gouvernement de cabinet. Selon Adhémar Esmein, « le gouvernement
parlementaire n’est pas autre chose que la responsabilité ministérielle poussée à ses dernières limites ».
Dans le même sens, René Capitant indique que « le régime parlementaire est (…) le gouvernement d’un
cabinet responsable devant l’Assemblée ». Le régime parlementaire est donc considéré comme un
régime de séparation souple ou de collaboration des pouvoirs. Il implique un principe de responsabilité
politique du gouvernement devant l’Assemblée et, en contrepartie, un droit de veto, la dissolution,
accordé au chef de l’Exécutif.

On distingue généralement trois types ou formes de parlementarisme. Le parlementarisme orléaniste


dans lequel le Chef de l’Etat, (monarque ou Président de la République) dispose de prérogatives
considérables lui permettant d’intervenir efficacement dans la vie politique. Parmi celles-ci, on peut citer
le pouvoir de révocation des ministres et le droit de dissolution. Dans le second type, le Chef de l’Etat,
bien qu’il garde ce titre, n’est plus le chef de l’exécutif, ou le centre d’impulsion politique. Il est une
simple magistrature morale ou d’influence. C’est le parlementarisme tel qu’il est né en Angleterre à
l’époque de la reine Victoria et en France depuis la crise de 1877. Enfin, dans le troisième type, le Chef
de l’Etat n’existe plus, le Parlement et le gouvernement de cabinet responsable sont les seuls organes en
équilibre : c’est le cas notamment du parlementarisme prussien tel qu’il a été organisé dans divers pays
européens par les Constitutions d’après première guerre. Dans tous les cas, le Chef de l’Etat, lorsqu’il
existe, est, selon un dogme de l’orthodoxie parlementaire, toujours politiquement irresponsable devant
l’Assemblée. « Le parlementarisme (étant) sans racine dans le tiers monde », ce sont donc les deux
premiers types de parlementarisme qui ont été exportés ou importés dans les pays d’Afrique noire
francophone dans le cadre du « transfert des technologies institutionnelles », notamment dans sa version
française de la IVe et Ve Républiques. La « transaction » export-import s’est opérée sous la colonisation,
au début des indépendances en 1960 et depuis la restauration de la démocratie pluraliste en 1990.

Un régime parlementaire est un régime politique fondé sur une séparation souple des pouvoirs. C’est
encore un régime de collaboration équilibrée des pouvoirs, où le Gouvernement et le Parlement ont des
domaines d’action communs (exemple : initiative des lois) et des moyens d’action réciproques, le
Parlement pouvant mettre en jeu la responsabilité politique du Gouvernement (le Chef de l’Etat étant
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lui-même irresponsable) et le Gouvernement prononcer la dissolution du Parlement. Ces pouvoirs de


renversement réciproques incitent les deux pouvoirs à collaborer.

Section 1 : L’origine du régime parlementaire

La Grande-Bretagne a été l’initiatrice de cette forme de régime au milieu du XVIIIe siècle. Le régime
parlementaire a mis plusieurs décennies pour s’implanter en Grande-Bretagne. Le régime parlementaire
s'est formé en Grande-Bretagne du XIIIe au XVIIIe s. L'origine du régime parlementaire peut aussi être
recherchée en Suède.

§ 1- Naissance et évolution du régime parlementaire en Grande-Bretagne

Le système parlementaire s'est progressivement établi en Grande-Bretagne, et ce de manière définitive


: ce modèle est vite devenu une référence, un modèle du régime parlementaire. Ce processus ne doit rien
aux théories politiques, bien que Montesquieu ait élaboré sa théorie de la séparation des pouvoirs par
l'observation du système britannique, tel qu'il l'avait vu fonctionner au XVIIIe siècle, mais de façon
erronée, puisqu'il accordait encore de l'importance à la signature du roi, qui était déjà devenue une
formalité. La naissance du régime parlementaire en Grande-Bretagne est la résultante de plusieurs
évènements :

A- Le partage de l'exercice du pouvoir législatif en Grande-Bretagne

On peut faire remonter l'origine du système parlementaire britannique à 1215. En 1215, le roi
d'Angleterre Jean sans Terre est totalement démuni politiquement. Excommunié, il doit supplier d'être
pardonné par le pape. Il perd la bataille de Bouvines et risque une invasion française. Il n'a pas d'autre
choix, s'il veut lever des fonds, que de les demander aux barons du royaume. Ceux-ci exigeront de
pouvoir consentir (ou non) à contribuer à ces dépenses. Ce droit de regard est l'ancêtre, certes très
primitif mais réel, du consentement démocratique à la dépense publique et donc à l'impôt. Pour mettre
noir sur blanc ces conditions, le roi acceptera de concéder aux Barons la fameuse "Grande Charte"
(Magna Carta) qui reconnaît les privilèges de l'Église et des villes, et donnera au Grand Conseil le
pouvoir de consentir à la Grande Charte établissait, le 15 juin 1215, un conseil de 25 barons qui
pouvaient à tout moment se réunir et annuler la volonté du roi, au besoin par la force en saisissant ses
châteaux et ses biens. De plus, le roi devait prêter au conseil un serment de loyauté. De nouvelles
promulgations eurent lieu : le 12 novembre 1216 et en 1217, en 1225 et enfin le 12 octobre 1297. Sur la
Magna Carta, Jean Sans Terre s'engage à garantir les libertés, l'impôt, mais plus important encore, le
droit de pétition. Cette grande charte est aussi une ébauche de constitution garantissant certains droits,
tel que le droit de ne pas être arrêté ou condamné arbitrairement. En 1332, on décide de faire siéger les
chevaliers et les bourgeois dans une deuxième chambre, la Chambre des communes. Il y a donc
désormais deux chambres, celles de la noblesse (Chambre des Lords), et celle des communes. Le droit
de pétition établit, en somme, un moyen de faire pression sur le roi, acceptant de lui donner les budgets
qu'il demande en échange de son approbation aux pétitions présentées par les chambres. C'est l'ancêtre
du pouvoir législatif. Néanmoins le roi reste titulaire du droit de prendre des ordonnances, de ne pas
exécuter la loi ou de la suspendre. Plus problématique, lorsqu'il n'a pas besoin d'argent, on n'a plus de
moyen de pression. Ainsi Charles Ier régnera onze ans sans convoquer son parlement. Lorsque cela
arrivera enfin, le parlement demandera qu'il soit mis fin au pouvoir du roi de convoquer et de dissoudre
le parlement. En effet, en ce temps-là, le parlement est une sorte d'assemblée générale, il n'est pas
permanent.

Après l'intermède de la dictature de Cromwell (1650-1658) puis la restauration (1680) et la "Glorieuse


Révolution" (1688), est rédigée en 1689 la "Déclaration des droits", qui entérine les acquis de la
"République" de Cromwell et de la révolution. Cette déclaration des droits contient les principes
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essentiels de la démocratie moderne : la loi est au-dessus du roi ; le roi doit être soumis à la loi. Elle ne
peut donc être suspendue, ni abolie sans le consentement du Parlement (Article 4). Le Parlement est
souverain en matière de levée d'argent, de levée d'entretien des armées et ses membres jouissent d'une
totale liberté d'expression (article 8). Il doit être fréquemment réuni (article 13). À partir de cette époque,
le processus sera inéluctable. Dès 1707, les lois votées par le Parlement seront encore soumises à la
signature du roi mais, dans les faits, celle-ci est quasi automatique.

B- La naissance de la fonction de Premier ministre et du Cabinet et l’effacement du roi (fin de la


responsabilité du cabinet devant le chef de l’Etat)

Le roi s'entoure de conseillers. Cette équipe est l'ancêtre du gouvernement moderne. À l'origine, il les
embauche et les révoque à sa guise.

Ils sont responsables pénalement devant le Parlement. Pénalement, mais non politiquement, nuance
importante. En effet, lorsqu'un ministre commet une infraction, il est destitué par une procédure pénale
appelée impeachment, diligentée par le Parlement. Mais il ne s'agit que d'une mesure pénale : le ministre
doit démissionner parce qu'il a commis une infraction.

Vint alors l'évolution décisive due à l'avènement de la dynastie des Hanovre. Ces rois d'origine
allemande, tout bonnement, ne parlaient pas l'anglais. Le roi prit donc l'habitude de se reposer sur son
premier ministre, afin d'assurer l'influence des Hanovre à travers lui. Robert Walpole (1676 - 1745) sera
ainsi le "premier" premier ministre d'Angleterre (même si le mot n'est pas encore utilisé, on parle de
Premier Lord du trésor, Chancelier de l'échiquier et chef de l'Eglise et des villes, à se soumettre à la 7
décision du Commun Conseil pour établir un impôt et aussi à ne plus arrêter les hommes libres de façon
arbitraire.

Le dixième premier ministre, Lord North (1732 – 1792), sera chargé de la difficile gestion de la guerre
d'indépendance américaine. La défaite de Yorktown le mettra en difficulté. On menacera le
gouvernement d'engager l'impeachment contre lui par un vote au parlement. Pour éviter les poursuites
pénales, North démissionnera avec son gouvernement (1782). Il sera le premier à le faire. Le premier
ministre est "démissionné" par le Parlement, sans que le Roi n'intervienne réellement. C'est l'invention
capitale de la motion de censure, l'un des piliers de la démocratie moderne. En effet, à partir de ce
moment, l'aspect pénal sera peu à peu oublié au profit de la défiance (ou confiance) politique. On entre
désormais dans le véritable système parlementaire.

À partir de la réforme du suffrage en 1832, puis en 1867, qui redessina la carte électorale, le Roi perdit
une grande partie de son influence sur les deux Chambres. De ce fait, après avoir confié l’exercice du
pouvoir exécutif au Cabinet, il perdit aussi, au cours du XIX ème s. l’usage de son pouvoir législatif,
notamment du droit de veto. Les Chambres avaient en effet désormais, en tout cas pour la Chambre des
Communes, la légitimité d’une élection par les citoyens, et l’immixtion du Roi dans le pouvoir législatif
était considérée comme une tentative d’absolutisme. [...].

Petit à petit, le gouvernement, certes nommé par le roi, ne l'est que parce qu'il a la confiance du
Parlement. Il est donc responsable devant lui et en est l'émanation. Le roi cesse d'exister politiquement
: il nomme le chef du parti dominant, car il est évidemment exclu qu'il fasse autrement. Il peut le faire
en théorie, mais ne le fait évidemment pas, de crainte de déclencher une crise politique inextricable.
C'est ce que l'on appelle le système parlementaire moniste (le Premier ministre est seulement
responsable devant le Parlement) et non plus dualiste (le Roi a encore un pouvoir et peut révoquer son
ministre, qui est responsable devant lui et le Parlement).

C- Aujourd’hui un régime parlementaire majoritaire avec un risque de présidentialisation


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Le risque de présidentialisation de pouvoir est compensé par l’émergence d'un nouveau contre-pouvoir
juridictionnel, la Cour suprême. Contre-pouvoir :

1) le Parlement, par son pouvoir de contrôle de l’administration plus que par le pouvoir législatif ;

2) transformation de la Chambre des Lords en une Cour suprême (réforme constitutionnelle de 2005);
intégration de la Convention européenne des droits de l’homme au droit britannique, permettant un
contrôle de conventionalité des lois (Human Rights Act 1993); voire même statut nouveau donné aux
lois constitutionnelles (arrêt Thoburn v Sunderland City Council de la Haute Cour de Justice – les Law
Lords – en 2002).

§ 2- La formation du régime parlementaire en Suède

L’origine du régime parlementaire peut aussi être recherchée en Suède. En 1718, alors que le souverain
était élu par les États, la prétendante au trône a été contrainte à renoncer à plusieurs de ses pouvoirs. En
1720, son successeur n'a été couronné qu'après avoir accepté la constitution, premier texte
constitutionnel moderne. Il marque le début de L'Ère de la Liberté, qui perdurera jusqu'en 1772. La
constitution établissait la soumission du Roi à ses prérogatives et à la volonté du Parlement, devant
lequel les membres du gouvernement (appelés sénateurs) étaient responsables, et devant lui seul. La
constitution contraignait par ailleurs le Roi à respecter le choix de la majorité parlementaire en ce qui
concernait la nomination et la révocation des sénateurs, et à partir de 1738 le Parlement exerce même
directement ce pouvoir. Les Assemblées d'États siégeaient à intervalles réguliers, conformément à un
véritable règlement. Le système politique était marqué par un bipartisme opposant « parti des bonnets »
et « parti des chapeaux », avec une alternance régulière de l'un ou de l'autre au gouvernement. La figure
du Premier ministre se dessina petit à petit au travers de la fonction de Président de la chancellerie, et
les pouvoirs du monarque furent progressivement réduits au même niveau que ceux du monarque 8
britannique à l'heure actuelle. Ce régime particulièrement moderne et novateur fut aboli en 1772 par un
coup d'État orchestré par le nouveau roi, dans le cadre de la Révolution de Suède, marquant un retour à
la monarchie absolue.

Section 2 : Les caractéristiques du régime parlementaire

Le régime parlementaire se caractérise essentiellement par une séparation organique assouplie ainsi
qu’une une séparation fonctionnelle assouplie.

§ 1- Une séparation organique assouplie

Des organes distincts existent bien, mais ils sont dépendants les uns des autres, de manière équilibrée :
chacun dispose à l’égard de l’autre d’une arme qui peut être fatale politiquement parlant.

A-Les moyens d’action du pouvoir législatif sur l’exécutif

Le Gouvernement est souvent « investi » par le Parlement sinon élu par lui. Mais surtout, le Parlement
peut « renverser » le Gouvernement en raison du principe de la responsabilité politique des ministres.
La responsabilité politique du Gouvernement devant le Parlement signifie l’obligation pour le
Gouvernement de jouir de la confiance du Parlement qui, en la lui refusant, le contraint à démissionner.
Celle-ci peut être mise en œuvre dans le cadre de deux procédures : la motion de censure2 où le
Parlement prend l’initiative, la question de confiance où le Gouvernement prend l’initiative3. La motion
de censure est une procédure par laquelle une assemblée parlementaire met en jeu la responsabilité
politique du Gouvernement par un blâme motivé à l’adresse de ce dernier. La question de confiance est
une procédure par laquelle le Gouvernement engage lui-même sa responsabilité devant le Parlement, en
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lui demandant d’approuver l’ensemble ou un point déterminé de sa politique, faute de quoi il


démissionnera.

B- Les moyens d’action du pouvoir exécutif sur le législatif

Les membres de la majorité parlementaire, et plus particulièrement l’opposition, vont déposer une
motion de censure contre le Gouvernement en place ;

Le Gouvernement teste sa popularité face à la majorité parlementaire afin de vérifier si cette dernière
maintient toujours sa confiance en celui-ci. C’est un moyen de pression qu’exerce le Gouvernement sur
la majorité parlementaire ;

Il dispose du droit de dissolution qui lui permet de contrer le pouvoir de renverser le Gouvernement,
c'est la première fonction de la dissolution : la fonction d’équilibre des pouvoirs. Mais elle permet aussi
de donner la parole au peuple puisqu’une dissolution débouche nécessairement sur de nouvelles
élections : c'est la fonction de résolution des conflits.

La dissolution est l’acte par lequel le Chef de l’Etat ou le Gouvernement met fin par anticipation au
mandat de l’ensemble des membres d’une assemblée parlementaire. La dissolution peut être prononcée
en vue de :

- faire arbitrer par le peuple un conflit entre Parlement et Gouvernement ;

- soumettre au peuple une question importante (équivalent du référendum dans un pays qui ignore cette
institution ; exemple : Grande-Bretagne) ;

- permettre au Gouvernement de choisir le moment favorable pour consulter les électeurs ;

- éviter les périodes de transition politique, où les députés, voyant venir la fin de la législature, sont
préoccupés par leur réélection et enclins à la démagogie.

C- Une séparation fonctionnelle assouplie

Les deux fonctions, législative et exécutive, sont bien confiées à deux organes distincts à titre principal,
mais chacun des organes peut intervenir, à titre secondaire dans l’exercice de la fonction de l’autre
organe.

• L’immixtion des organes exécutifs dans l’exercice de la fonction législative se traduit par l’initiative
des lois qui est reconnue à l’exécutif et au Parlement

• L’immixtion des organes législatifs dans l’exercice de la fonction exécutive se traduit par l’autorisation
de ratifier les traités qui appartient au pouvoir législatif.

Ces immixtions étant réciproques, la séparation des pouvoirs est ainsi rétablie, mais de manière souple.
Les auteurs classiques parlent de collaboration des pouvoirs puisque l’exécutif et le législatif participent
à l’exercice des différentes fonctions de manière équilibrée.

Section 3- Les formes de régime parlementaire

Deux grands types de régime parlementaire ont vu le jour successivement : le régime parlementaire
dualiste et le régime parlementaire moniste.

§ 1- Le régime parlementaire dualiste


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C’est une variété de régime parlementaire caractérisé par le rôle actif joué par le Chef de l’Etat et la
double responsabilité du Gouvernement, à la fois devant le Chef de l’Etat et devant le Parlement. C’est
une transition historique entre la Monarchie limitée et le régime parlementaire moniste.

On peut dire qu’il s’agit d’un régime parlementaire dans lequel le chef de l’Etat joue un rôle politique
important. Le chef de l'Etat, s'il est élu au suffrage universel, joue un rôle politique important. Exemples
: France, Russie.

Cette forme du régime parlementaire se traduit par la double responsabilité : le Gouvernement est non
seulement responsable politiquement devant le Parlement, mais aussi devant la chef de l’Etat. Le
Gouvernement se trouve donc en situation de double dépendance et de double responsabilité. Il se traduit
aussi par la « dissolution royale » puisque le droit de dissolution appartient au chef de l’Etat de manière
discrétionnaire.

C'est sous la forme dualiste que le régime parlementaire apparaîtra en Angleterre au XVIIIe siècle. Il
survivra jusqu’à l’avènement de la reine Victoria. Cette formule a correspondu en Grande-Bretagne au
stade de la monarchie limitée (le roi détenait le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, mais il ne pouvait
lever d’impôts sans le consentement du Parlement).

En France, le régime parlementaire apparaîtra sous la Restauration et la Monarchie de Juillet. C'est


pendant cette dernière période, sous le règne de Louis-Philippe Ier d’Orléans que le dualisme
s’instaurera vraiment, ce qui explique qu’en France, on parle d’« orléanisme ».

Dans les deux cas, le régime parlementaire dualiste se met en place à un moment où les forces politiques
fondées sur deux légitimités différentes s’équilibrent. D’un côté le Roi et sa légitimité théocratique,
d’autre part, le Parlement et sa légitimité démocratique.

La Constitution de 1958 met en place un système qui est proche du parlementarisme dualiste, notamment
avant 1962 et l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel. Le Président dispose en
effet du droit de dissolution. Dans les faits il a renvoyé les Gouvernements qui ne lui convenaient plus.

§ 2- Le régime parlementaire moniste

Le régime parlementaire moniste est celui dans lequel l'exécutif n'a qu'une tête effective, le
gouvernement, et dans lequel n'existe qu'un seul pôle de pouvoir : la majorité parlementaire, dont le
gouvernement n'est qu'une émanation. C'est le régime britannique actuel, bien établi depuis le XIXe s.
où la Couronne a perdu tout pouvoir. Le ministère est responsable devant le Parlement, dont la
composante essentielle est la Chambre des communes. Le pouvoir est donc concentré au profit du parti
qui y est majoritaire et qui fournit l'état-major du gouvernement.

C’est celui dans lequel le Gouvernement n’est plus responsable que devant le seul Parlement par suite
de l’effacement du Chef de l’Etat. Exemples : Angleterre, Japon, Inde, Canada... Il s’agit d’un régime
parlementaire dans lequel le chef de l’Etat s’efface. Mais, il évoluera dans deux directions opposées.

A- Le régime parlementaire à la française ou « parlementarisme absolu »

C’est en France, sous les IIIe et IVe Républiques qu’il se développera.

1/- Ses caractéristiques : l’instabilité ministérielle

La disparition de facto du droit de dissolution prive l’exécutif de son arme de dissuasion à l’égard du
Parlement. Le régime est déséquilibré puisque les députés peuvent renverser le Gouvernement sans
crainte d’être renvoyés devant leurs électeurs. Cette situation est renforcée par le multipartisme
indiscipliné qui sévit et par l’idéologie de la souveraineté parlementaire.
11

2/- Son dépassement : la rationalisation ou le régime parlementaire rationalisé

Cette expression est née à la suite de l’élaboration de certaines Constitutions en Europe centrale durant
l’entre-deux-guerres. Ces Constitutions prévoyaient de manière très précise les règles de
fonctionnement du régime parlementaire afin d’éviter les renversements intempestifs de Gouvernement.
Le Doyen Boris Mirkine-Guetzévitch a pu dire que la rationalisation « consiste à enfermer dans le
réseau du droit écrit l’ensemble de la vie politique ». Cette technique sera souvent utilisée avec plus ou
moins de succès.

B- Le régime parlementaire à l’anglaise ou gouvernement de Cabinet

La stabilité ministérielle y est si forte que le plus souvent on peut parler de Gouvernement de législature.
Le Gouvernement disposant ainsi de la durée peut mettre en œuvre sa politique, il devient alors
prépondérant. Le bipartisme rigide que connaît la Grande Bretagne explique en grande partie cette
situation. En effet, il conduit à l’existence d’une majorité cohérente, stable et solide ainsi qu’à la quasi-
élection du Premier ministre au suffrage universel. Cela entraîne quelques conséquences paradoxales.
On constate en effet la quasi-disparition de la responsabilité politique du Gouvernement ainsi que la
transformation du rôle de la dissolution qui devient un moyen de choisir le meilleur moment pour
organiser les élections législatives.

§ 3- Les variations

Le régime parlementaire peut connaître dans ses mécanismes des modalités diverses, ainsi que des
déviations. La responsabilité gouvernementale peut être mise en cause par la seule chambre basse
(Grande-Bretagne, France des IVe et Ve Républiques) ou par les deux chambres (France de la IIIe
République, Italie), et elle peut faire l'objet d'une organisation très rigoureuse. Le droit de dissolution
peut être discrétionnaire ou conditionné, appartenir soit au chef de l'État, soit au chef de gouvernement,
ou encore aux deux conjointement, et enfin s'exercer à l'encontre de l'une ou des deux chambres.

En outre, en l'absence de majorité parlementaire cohérente et en cas de non-exercice du droit de


dissolution, le régime parlementaire peut se transformer en quasi-régime d'assemblée (IVe République).
Inversement, la présence d'une majorité solide conduit à un renforcement de l'exécutif – que l'on soit
en régime moniste (Grande-Bretagne) ou en régime dualiste –, qui peut alors se rapprocher du régime
présidentiel (Ve République).

Section 3- Les systèmes parlementaires, les imperfections et les caractères démocratiques du


régime parlementaire

§ 1- Les systèmes parlementaires

A- Le monocamérisme

Le monocamérisme est un système parlementaire à une seule Chambre. Il fut longtemps considéré
comme la marque d'un régime authentiquement républicain, bien qu'il y ait aussi plusieurs pays
monarchiques comme la Nouvelle-Zélande, le Danemark et la Suède, qui ont aboli la chambre haute de
11 leur parlement pour créer une législature monocamérale. Cette unique chambre, élue au suffrage
universel direct dans les régimes démocratiques (des régimes autoritaires, comme la Chine, se sont
également dotés d’un système monocaméral), est généralement au centre du fonctionnement
constitutionnel d’un régime parlementaire. Des pays caractéristiques du recours à ce système, comme
la Suède, le Danemark et le Portugal, sont des États unitaires ayant opté pour une faible décentralisation.
12

B- Le bicamérisme

Le bicamérisme est, lui au contraire, un système d'organisation politique qui divise le Parlement en
deux chambres distinctes : une chambre haute et une chambre basse. Ce système a pour objectif de
modérer l'action de la chambre basse, élue au suffrage direct donc représentant directement le peuple,
en soumettant toutes ses décisions à l'examen de la chambre haute. Généralement élue au suffrage
indirect, elle a tendance, comme en France ou au Royaume-Uni, à avoir une composition politique
nettement plus stable et conservatrice.

Les États ayant opté pour le bicamérisme l’ont généralement fait en fonction des caractéristiques de
l’organisation de leur territoire. Ainsi l’Espagne et l’Italie disposent-t-elles d’une chambre haute
destinée à représenter au niveau national les intérêts de leurs puissantes régions, tandis que la France
dispose d'un Sénat dont les membres sont élus par des représentants de ses nombreuses collectivités
territoriales. Dans le cas d’États fédéraux, le bicamérisme revêt un caractère essentiel : en Allemagne,
le Bundesrat est composé de représentants des différents gouvernements locaux des länder (de 3 à 6
représentants en fonction du poids démographique du land), tandis que les sujets fédéraux de la
Fédération de Russie sont représentés au Conseil de la Fédération, à raison de deux conseillers par sujet.
Des exceptions existent cependant : ainsi l’Ukraine, État fortement décentralisé qui fonctionne, en
principe, comme une confédération d’États distincts, a-t-elle opté pour un système monocaméral.

Les rapports entre les deux chambres divergent d’un pays à un autre : ainsi en France et en Allemagne,
la chambre basse l’emporte systématiquement en matière décisionnelle sur la chambre haute, tandis
qu’en Italie, les deux chambres ont des pouvoirs strictement équivalents. Chaque État a ainsi son propre
régime parlementaire, dont le fonctionnement dépend en partie de son organisation territoriale et des
choix de ses dirigeants en matière de représentation des citoyens. La question même des contre-pouvoirs
au Parlement lui-même se pose lorsqu’on est en présence d’un régime monocaméral ou bicaméral, et
après analyse des pouvoirs des deux chambres et des relations qu’elles entretiennent entre elles. Il n’y
a donc pas un modèle de régime parlementaire monocaméral, pas plus qu’il n’y en a un de régime
bicaméral.

§ 2- Les imperfections et les caractères démocratiques du régime parlementaire

L’une des imperfections notoires du régime parlementaire non rationalisé est le risque élevé d’instabilité
ministérielle, surtout lorsque le système de partis est multipartiste. L’autre imperfection est la
confiscation de la fonction législative par le Gouvernement au détriment du Parlement car lois sont
généralement l’initiative du premier. Dans un régime parlementaire à système bipartite, la probabilité
de renversement du Gouvernement par le Parlement est faible même en cas d’opposition entre la volonté
populaire et la politique gouvernementale ; car les parlementaires seront peu enclins à sanctionner un
gouvernement qui est issu de leur rang. La faible séparation des pouvoirs ouvre une porte vers l’atteinte
des libertés, car le rôle de contrepouvoir n’est plus pleinement joué.

En revanche, la tenue des élections législatives, le principe de responsabilité gouvernementale sont les
meilleurs acquis démocratiques du régime parlementaire. Par ailleurs, le régime parlementaire assure
la garantie de la légitimité du pouvoir politique car :

-l’autorité n’est pas médiatisée : elle est attribuée dans son entier, au moment des élections législatives
; toute l’autorité découle de ces élections

-la responsabilité est diffuse : tant que le parti du Gouvernement détient la majorité politique, il reste et
quand il ne l’a plus, il quitte le Gouvernement, il quitte le Parlement et il entre dans l’opposition ; c’est
ce qu’on appelle l’alternance et la cohabitation n’est pas compatible avec ce système.
13

CHAPITRE II : LE REGIME PRESIDENTIEL AMERICAIN

Section 1 : Le contexte historique du régime américain

§ 1 : L'histoire explique la nature du régime

En 1787, les constituants américains ont pris pour modèle la Monarchie limitée anglaise du début du
XVIIIe siècle (telle qu'elle a fonctionné exactement sous Guillaume d'Orange, puis la Reine Anne de
1689 à 1714). C'est alors un régime de balance des pouvoirs qui sera théorisé plus tard par Montesquieu.
Il est caractérisé par le fait :

- d'une part que le monarque gouverne encore

- d'autre part que le Parlement légifère sans pouvoir renverser les ministres du Monarque.

En conséquence, les Américains ont photographié une phase transitoire de l'évolution du régime anglais
qui à l'époque n'est pas encore parlementaire au sens moderne, c'est-à-dire qui ne connaît pas la
responsabilité politique.

Il est étonnant de constater que les constituants américains ne se sont pas aperçus ou n'ont pas tenu
compte du fait que dès 1782 les Anglais avaient inventé la motion de censure. Ils n'ont donc pas importé
cette institution ; s'ils l'avaient fait, ils auraient peut-être crée un régime parlementaire aux États-Unis.
Cela n'a pas été le cas. Ils n'ont imité qu'une forme archaïque de séparation des pouvoirs :

- collaboration minimale

- facultés d'empêcher.

Toutefois, la séparation mise en place contrairement à ce que prétendent encore certains auteurs n'est
pas une séparation absolue, rigide, etc. dans son principe qui serait assouplie en pratique. Selon la Cour
suprême, dans sa décision USA v. Nixon 24/7/74 : "En définissant la structure de notre Gouvernement
et en divisant le pouvoir souverain par une répartition entre trois branches égales, les fondateurs de la
Constitution ont cherché à définir un système d'ensemble, mais il n'était pas dans leur intention que les
pouvoirs séparés opèrent dans une indépendance absolue".

Le résultat, c'est le régime présidentiel américain, régime par nature instable, subissant des conflits,
blocages fréquents - donnant lieu notamment de différents scandales, du Watergates au MonicaGates -
car le Président ne peut dissoudre le Congrès tandis que les Congressmen ne peuvent révoquer les
Secrétaires d'État.

§ 2 : Les adaptations ou innovations américaines

Il faut noter que la transposition des institutions anglaises ne s'est pas faite sans adaptations pour tenir
compte d'un cadre nouveau : un cadre républicain, démocratique et fédéral. Quelles sont ces adaptations
?

- cadre républicain : rejet du principe monarchique du Roi héréditaire ; on lui substitue le principe
républicain du Président élu au niveau fédéral. Au niveau des Etats fédérés, l'article 4, section 4 prévoit
que "Les Etats-Unis garantiront à chaque Etat de cette Union une forme républicaine de gouvernement".
On instaure cependant un vice-président habilité à remplacer le président de la même façon que le prince
de Galles doit succéder au Monarque régnant. - cadre démocratique : le Peuple devient souverain alors
qu'en Angleterre la souveraineté est de droit divin. Pour autant, en tant que le peuple exerce lui-même
le pouvoir souverain, on essaye de limiter ses excès. Cela explique la méfiance des constituants mais
aussi des gouvernants américains vis-à-vis du suffrage universel pendant très longtemps. Par exemple :
14

-le Président américain n'est toujours pas aujourd'hui élu au suffrage universel direct. Il faudra attendre
1913 pour voir le Sénat élu au suffrage universel. Seule la Chambre des Représentants est élue au
suffrage universel dès 1787 ;

-le droit de vote lui-même sera limité jusqu'au XXe siècle en fonction de critères d'impôt, de propriété
et de résidence ; ce qui conduira indirectement à l'exclusion notamment des petits fermiers, des noirs,
des femmes...

-cadre fédéral : la Séparation des Pouvoirs est entendue au sens large. Elle est classiquement horizontale
répartissant les compétences entre trois "branches" comme en Angleterre : l'Ex, le Lég et le Jud. Mais
elle est aussi verticale délimitant trois niveaux de pouvoirs : l'État fédéral, les États fédérés et les
collectivités locales. Le fédéralisme peut être considéré aussi comme un moyen de diviser le pouvoir.
En fait, la séparation des pouvoirs est conçue avant tout comme une garantie de l'autonomie des Etats
fédérés, de la démocratie locale. Il s'agit beaucoup moins de garantir le Parlement des atteintes venant
de l'Exécutif. C'est là l'innovation la plus grande de la Constitution de 1787, " la plus grande découverte
politique des temps moderne " dira Tocqueville.

Pourquoi les États-Unis n'ont pas connu l'évolution vers le parlementarisme moderne ? Deux raisons au
moins l'expliquent :

- l'Exécutif n'étant pas royal mais républicain et élu, il n'y avait pas de raison pour que le Congrès
remette en cause son statut et ses compétences

- les constituants à cause de la forme de leur État (= fédérale) ont craint les conflits entre État fédéral et
États fédérés ; ils ont donc fait en sorte que la Constitution fédérale qui prévoit la répartition de leurs
compétences respectives soit rigide, protégée par une Cour Suprême qui se donnera bientôt la
compétence de contrôler la constitutionnalité des lois.

Du coup, la Constitution américaine a très peu évolué comme le régime qu'elle organisait. Elle a
maintenu tel quel le mode de séparation des pouvoirs (avec il est vrai le développement d'une
collaboration de fait entre les trois branches).

Section 2 : L’équilibre des pouvoirs

Pour Jefferson, « le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins ». Cette maxime peut
s’appliquer aussi bien au principe du fédéralisme qu’à la définition du régime présidentiel. La
Constitution a cherché, dans ce but, à construire un système d’équilibre dans lequel chacun des pouvoirs
peut paralyser l’autre, en multipliant la « faculté d’empêcher » théorisée par Montesquieu. Cette
séparation des pouvoirs ainsi conçue condamne les pouvoirs à « aller de concert », à négocier en
permanence.

§ 1 : Des pouvoirs séparés

Le fonctionnement du régime est fondé sur une règle de gouvernement très simple inspirée des idées de
Montesquieu sur la Balance des Pouvoirs ; c'est la règle des "Checks and Balances" (poids et contre
poids). Exécutif, Législatif mais aussi Judiciaire même s'ils sont assez isolés sur un plan fonctionnel
peuvent agir les uns les autres pour se contraindre et finalement mieux travailler ensemble : le conflit
est institutionnalisé mais il dégénère souvent en raison de l'absence de possibilités de révocation
réciproque de l'Exécutif et du Législatif.
15

A- Le pouvoir exécutif monocéphale

L'Exécutif aux États-Unis (comme dans tous les pays qui ont adopté un moment à un autre le régime
présidentiel : par exemple la France en 1791et en 1848) est monocéphale. L’article 2, section 1 de la
Constitution dispose que « le pouvoir exécutif sera dévolu à un Président des Etats-Unis d’Amérique ».
Le Président américain est donc à lui tout seul Chef de l'État et Chef de Gouvernement. Il n'existe pas
de Gouvernement américain proprement dit. Cela au sens où il n'existe pas à côté du Président un
organisme doté de la personnalité juridique, exerçant des compétences collectives. Le Président est
simplement entouré de collaborateurs qu'il nomme et révoque à volonté.

1/- désignation du Président

Le processus est d'une grande complexité teintée d'archaïsme. Les gouvernants doutant que la masse
des citoyens fut en mesure de faire "un choix intelligible", ont opté pour un système indirect à deux
étapes à la fois pour la désignation des candidats à l'élection et celle du président lui-même.

a)-Les primaires

Précédant l'élection, existe une pré-étape essentielle non prévue par les constituants. C'est la phase de
sélection du candidat par chaque grand parti (le parti démocrate symbolisé par l'âne, le parti républicain
par un éléphant).

1) Entre février et juin, les deux grands partis dans chaque État organisent des élections permettant à
leurs militants ou à leurs électeurs de désigner des délégués représentant un candidat.

Au début seule existait la formule du caucus, c'est-à-dire la désignation des délégués par des militants
ou l'appareil du Parti. La formule des primaires inaugurée pour la première fois en 1905 dans le
Wisconsin s'est progressivement développée au point de supplanter les caucus. Cette formule plus
démocratique permet aux électeurs de choisir eux-mêmes les délégués. De telle primaires ont eu lieu
lors des dernières élections dans 35 des 50 États américains et dans le district de Columbia où se trouve
Washington. Ces primaires ont été fermées dans 17 États : le vote est alors réservé aux électeurs ayant
déclaré leur affiliation au parti concerné lors de leur inscription sur les listes électorales. Pour les
primaires ouvertes organisées dans 19 États, aucune déclaration d'allégeance n'est exigée. En
conséquence, un électeur démocrate peut aussi participer à la désignation des délégués républicains et
inversement. Dans certains États comme le New Hampshire, les électeurs peuvent voter pour une
personnalité qui n'est pas candidate.

2) En été, ces délégués (4284 pour les démocrates, 2206 pour les Républicains) se réunissent en un
Congrès national appelé Convention afin de désigner le candidat officiel de leur Parti. Ces grands
happenings sont traditionnellement organisés en juillet pour le parti dans l'opposition, en août pour
celui du Président sortant.

Pour recevoir l'investiture de son parti, un candidat doit obtenir la majorité absolue des suffrages des
délégués. Les délégués sont tenus de respecter le mandat de leurs électeurs au premier tour seulement ;
ce qui autorise ensuite toutes les tractations. Une fois désigné, le candidat à la présidence choisit pour
former un ticket, un candidat à la vice-présidence susceptible de lui apporter les voix d'électeurs qui ne
lui étaient pas favorables au départ.

Nota : depuis quelques années se présentent aux élections des candidats dits indépendants qui
n'appartiennent pas aux deux grands partis. Ils n'ont donc pas été désignés selon la procédure habituelle
(cf. Ralph Nader aux dernières élections)
16

Nota 2 : le rôle des médias et notamment d'Internet dans le choix des candidats est devenu essentiel.
Certains candidats comme Howard Dean pour les élections 2004 ont émergé grâce à Internet. Cf. Petit
article sur le Journal du Net avec les sites des différents candidats.

b)- l'élection présidentielle

C'est une élection au SU indirect. On ne décompte pas les voix des électeurs au niveau national comme
cela se fait en France. On décompte les voix des grands électeurs qui ont été élus par chaque Etat,
fédéralisme oblige. Les deux étapes sont les suivantes :

-l'élection des grands électeurs

Cette élection a lieu en novembre au scrutin de liste majoritaire à un seul tour à la pluralité de voix dans
chaque Etat. Le nombre de grands électeurs par Etat est égal à celui des parlementaires (sénateurs +
représentants) élus dans chaque Etat. Les électeurs se prononcent pour la liste des grands électeurs se
réclamant du candidat présidentiel de leur choix. Mais par le jeu du scrutin majoritaire, si la liste d'un
candidat l'emporte, ne serait-ce que d'une dizaine de voix, celui-ci obtient tous les votes des grands
électeurs de cet État. Comme les candidats aux fonctions de grands électeurs se sont engagés à choisir
15 X ou Y, on sait normalement qui sera Président dès la fin de la 1è étape. Il suffit de compter le nombre
de Grands électeurs pour chaque candidat. Celui qui a la majorité absolue est le Président virtuel.

Nota : lors des dernières élections, le président virtuel n'a pu être déterminé au soir de la première étape
car les deux candidats ne pouvaient atteindre la majorité sans les voix litigieuses de la Floride.

-l'élection du président

En décembre, les grands électeurs élisent le Président et le vice-président qui doivent avoir la majorité
absolue (270) pour être élus. En cas d'absence de majorité, la Chambre des Représentants départage les
3 candidats arrivés en tête et le Sénat fait de même pour le vice-président. Tel fut le cas pour Thomas
Jefferson en 1800 et John Quincy Adams en 1824. Il faut noter qu'il n'y a pas de proportion rigoureuse
entre la population réelle des Etats-Unis et le nombre des grands électeurs. Cela a abouti deux fois à
l'élection d'un Président majoritaire chez les grands électeurs, minoritaire dans la population (Hayes en
1876, Harrison en 1888).

Nota : un Président n'est rééligible qu'une fois. Cet usage n'est devenu une règle constitutionnelle
qu'après l'adoption du 22ème amendement en 1951. Avant cela dans des conditions très spéciales, F.
Delano Roosevelt a été réélu 4 fois entre 1932 et 1945.

2/- Les compétences du Président

Le président américain est l'équivalent du monarque anglais de 1750 qui régnait et gouvernait. Ce qui
signifie qu'il détient à la fois les compétences d'un chef d'État (soit les compétences traditionnelles que
sont le droit de représenter les Etats-Unis à l'étranger, le droit de promulguer les lois, le droit de
message...), et celles d'un Premier ministre à l'ancienne (ayant la compétence globale d'exécution des
lois...).

Tout le pouvoir du Président est tiré juridiquement du fait qu'il a le quasi-monopole de la fonction
exécutive ; fonction entendue :

- au sens strict dans les circonstances normales. Le Président doit se contenter d'appliquer la loi (ou
statute) proposée et votée par le seul Congrès. S'il n'applique pas ou ne respecte pas la loi, il encourt le
risque de voir la chambre des Représentants mettre en jeu sa responsabilité pénale (cas de
l'impeachment). Il sera alors jugé par le Sénat. Par deux fois, dans la période récente, un président a
17

failli subir cette procédure : 1974 Nixon à l'occasion du Watergate et 1988 Reagan à l'occasion de
l'Irangate.

- au sens large dans les circonstances exceptionnelles. Le président peut alors user de :

- pouvoirs d'urgence (Emergency Powers) : le Président demande au Congrès de prendre les mesures
nécessaires pour faire face à une situation de crise ; mesures qui vont au-delà de la simple exécution
des lois. [Application importante de ces pouvoirs à partir de Roosevelt]

- pouvoirs délégués (Statutory Powers) : le Président demande au Congrès de légiférer à sa place. Le


Congrès s'il est d'accord et avec le contrôle de la Cour Suprême donnera une habilitation expresse au
Président.

Le fondement du pouvoir présidentiel (Executive power) fait que le Président est dans une situation
moins favorable que celle d'un Premier ministre dans un régime parlementaire moderne. Ce dernier est
à l'origine des lois (il a l'initiative des lois en droit et en fait), détient un pouvoir réglementaire autonome,
a une majorité parlementaire pour le soutenir ... Le président lui n'est pas source de droit (sauf à travers
ses proclamations et ses executive orders) et reste subordonné à un Congrès dont la majorité lui est
souvent hostile. Il ne dispose donc pas de l’initiative des lois.

Globalement, le Président des USA exerce en même temps les fonctions de Chef de l’Etat et chef du
gouvernement. A ce titre, non seulement il est à la tête des services administratifs, mais aussi, il nomme
ses collaborateurs directs, les secrétaires, qu’il peut révoquer ad nutum, et aux emplois fédéraux. Les
secrétaires n’appartiennent pas au Congrès. Il peut les désigner dans la société civile, dans l’industrie,
dans la haute fonction publique, etc. Au premier rang de ces secrétaires, se trouve le Secrétaire d’Etat
qui exerce en quelque sorte le rôle de ministre des Affaires étrangères.

En tant qu’autorité politique, le président peut prendre des décisions politiques dont la portée a été
précisée par le juge suprême dans l’arrêt Marbury v. Madison de 1804 : « Par la Constitution des États-
Unis, le Président est investi d'un certain nombre d'importants pouvoirs politiques qu'il doit exercer en
utilisant un pouvoir discrétionnaire personnel (in the exercise of which he is to use his own discretion)
dont il ne répond que devant son pays en qualité d'homme politique et devant sa conscience. Pour l'aider
dans l'accomplissement de ses fonctions, il est autorisé à nommer des agents qui agissent en son nom
et conformément à ses ordres.

Dans de telles hypothèses, leurs actes sont ses actes ; et quelle que soit l'opinion qu'on a sur la manière
dont l'Exécutif peut utiliser le pouvoir discrétionnaire qui est le sien, il demeure qu'il n'y a pas et qu'il
ne saurait y avoir de pouvoir pour le contrôler. Les sujets qu'ils traitent sont de nature politique. Ils
concernent la Nation, non les droits individuels, et, dès lors qu'ils sont confiés à l'exécutif, la décision
de l'exécutif est finale ».

Le Président, dans l'exercice de son pouvoir gouvernemental, bénéficie aussi de ce qu'on appelle le
"Privilège de l'Exécutif" qui a été précisé non par la Constitution mais par la Cour Suprême. Il a le droit
de ne pas révéler, dans l'intérêt général, le contenu de documents confidentiels se rapportant à des secrets
diplomatiques ou militaires (donc ayant trait à la sécurité nationale). Dans une décision Etats-Unis c.
Nixon de 1974, la Cour a rappelé que le Président n'avait pas un privilège "absolu". A l'opposé de ce
que prétendait Nixon, le Président ne peut faire échec au pouvoir des tribunaux notamment en
considérant comme confidentielles les conversations enregistrées dans son bureau ovale qui n'avaient
pas un caractère militaire ou diplomatique.

Le Président n’est pas responsable politiquement et il n’encourt qu’une responsabilité pénale par la
procédure d’impeachment pour « trahison, concussion ou autres crimes et délits » (article 2, section 4
18

C). Cette procédure est susceptible de s’appliquer aussi au vice-président, aux secrétaires et à tous les
fonctionnaires civils.

B- Le Parlement bicaméral

Le Pouvoir législatif est représenté (article 1er de la Constitution) par le Congrès qui est un Parlement
bicaméral composé d'une Chambre des Représentants (435 membres élus pour 2 ans) et du Sénat (une
centaine de membres élus pour 6 ans). Il a l'avantage de pouvoir maîtriser : le processus de création de
la loi et le processus de contrôle de l'exécutif Cela fait de lui juridiquement et politiquement l'organe le
plus fort du régime politique américain.

1/- le processus de création de la loi

Le Congrès peut en toute liberté proposer et voter la loi (sauf veto du Président). Il décide de la
procédure législative. Cette indépendance est liée à des facteurs :

a) juridiques

Le Congrès, particulièrement le Sénat dispose de nombreuses armes juridiques dont l'utilisation peut
lui conférer en pratique un véritable pouvoir d'obstruction dans les débats en commission ou en séance
plénière.

- l'arme des amendements : de nombreux amendements sans rapport avec le texte (les rider) peuvent
finir par orner des lois devenues des " Christmas trees ".

- le filibustering : un petit groupe de sénateurs causent à mort (talk to death) à la tribune pour bloquer
la procédure. Le Sénat peut cependant appliquer la règle 22 pour leur retirer la parole.

- le renvoi en commission (recommittal)

- la remise à plus tard de la décision (tabling)

- la suppression de la clause d'application (" be it enacted ") : la loi devient un souhait sans portée.

b) politiques

Cette indépendance est renforcée par des causes politiques ; les partis politiques étant indisciplinés, non
homogènes, ils n'obéissent pas à des consignes de vote. Aucune discipline majoritaire ne lie en
conséquence le Congrès. Les majorités ne sont jamais automatiques ; elles se font et se défont
ponctuellement selon les sujets. Cette absence de discipline de vote est un handicap pour le président
qui doit compter sur une majorité hypothétique pour faire adopter ses lois déposées par un congressman
17 ami. En période de cohabitation, cela peut être aussi un atout pour le Président, lui permettant de
débaucher les voix de parlementaires républicains modérés. L'essentiel des lois votées sous Clinton l'ont
été grâce à l'appui des républicains lorsque les défections démocrates étaient trop nombreuses. Avant
Clinton, MM. Reagan et Bush avaient courtisé avec succès les démocrates conservateurs du sud des
Etats-Unis.

2/le processus de contrôle de l'Exécutif

Il se déroule à l'occasion de l'exercice du pouvoir d'autorisation, de surveillance, de veto et


d'impeachment du Congrès.

a) pouvoir d'autorisation :
19

- nominations : le Sénat par exemple approuve à la majorité simple toutes les nominations importantes
aux fonctions publiques fédérales (et à la Cour Suprême).

- traités : il approuve à la majorité des 2/3 les traités normaux. Il peut aussi approuver certains traités en
forme simplifiée (les Executive Agreements) qui n'exigent pas de ratification. Il s'agit ici d'une pratique
qui a été admise par la Cour Suprême in USA v. Belmont, 1937.

Face au développement des traités en forme simplifiée, le Sénat a essayé de réagir en 1954 (amendement
Bricker émanant du Sénat : tout accord international devait être soumis à l'autorisation des deux
chambres aux fins de ratification. Échec faute de voix), 1972 (Case Zablocki Act oblige le président à
communiquer pour information au Congrès l'ensemble des executive agreements conclu), en 1979 (loi
du 8 juin : le Sénat décide que son approbation serait nécessaire pour autoriser à rompre tout accord de
défense mutuelle entre les Etats-Unis et un pays tiers).

- actes de guerre : le Congrès a tenté d'accroître son influence dans le domaine des affaires étrangères à
la suite de la Guerre du Vietnam : il a voté ainsi en 1973 une résolution sur les pouvoirs militaires du
Président. Cette résolution prévoit notamment à propos de l'envoi de troupes sur des théâtres
d'opérations extérieures :

- en l'absence de Déclaration de guerre, l'envoi de forces armées américaines doit faire l'objet d'une
justification écrite présidentielle envoyée au Speaker de la Chambre des Représentants et au Président
du Sénat.

- dans un délai de 60 jours après la transmission de ce rapport, l'utilisation des forces armées doit cesser
à moins que :

• le Congrès ait voté une déclaration de guerre ou ait autorisé l'intervention militaire ;

• il a accordé au Président un nouveau délai de 30 jours seulement ;

• le Congrès est dans l'impossibilité de se réunir en raison d'une attaque armée contre les États-Unis.

b) pouvoir de surveillance :

Principalement grâce à ses commissions permanentes qui siègent sans interruption, sont ouvertes au
public et peuvent se faire communiquer tout document (sauf Privilège de l'exécutif), le Congrès est en
mesure non seulement de surveiller mais aussi de paralyser le Président.

c) pouvoir de veto :

= le veto législatif : il consiste pour le Congrès à annuler des mesures présidentielles prises en vertu
d'une délégation législative. Par exemple, le Congrès s'autorise à pratiquer des coupes dans un budget
dont il avait confié au Président le pouvoir de l'élaborer.

Ce veto législatif a été interdit par l'arrêt Chadha du 23-6-1983 (puis le 7-7-1986). La Cour Suprême
annule une disposition de la loi Gramm-Rudman permettant à un contrôleur général nommé par le
président mais révocable par le Congrès de pratiquer des coupes automatiques pour réduire le déficit
budgétaire, comme contraires à la séparation des pouvoirs.

d) pouvoir d'impeachment

Cette procédure complexe, longue, presque archaïque permet au Congrès de destituer le Président (mais
aussi le vice-président et les fonctionnaires civils) non pas sur des motifs politiques mais pour des
raisons de violation grave ou abus du droit. On parle en conséquence de responsabilité pénale.
20

- Motifs de destitution : " trahison, concussion, crime contre la chose publique ou délit grave "

- Procédure : la Chambre des Représentants prend l'initiative. Il suffit que l'un de ses membres dépose
une proposition d'impeachment qui est transmise à la Commission des Affaires Judiciaires. Cette
commission vote une résolution indiquant s'il y a lieu d'engager une enquête d'impeachment et dans le
cas favorable commence des auditions. Elle se prononcera finalement sur une résolution
d'impeachment. Si cette commission émet un avis favorable, alors l'assemblée à la majorité simple vote
sur la mise en accusation et saisit le Sénat.

Le Sénat se transforme alors en Haute Cour de Justice. Elle se prononce sur le dossier qui lui a été
transmis, après avoir entendu l'accusation, la défense et les témoins. Si la condamnation est votée à la
majorité des 2/3, alors le président est démis de sa charge.

- Application : cette procédure tombée en désuétude est revenue à la mode après que le Président Nixon
ait démissionné en 1974, suite à l'adoption par la Commission des Affaires judiciaires d'une résolution
d'impeachment (Affaire du Watergate). En 1986, la procédure a été tout près d'être déclenchée contre le
président Reagan (Affaire de l'Irangate). Enfin depuis sous la présidence de Clinton, le Monicagatesa
permis d'enclencher la procédure qui n'est pas allée à son terme.

Tout le problème est de savoir ce qu'il faut entendre par délit " impeachable ".

C- Le pouvoir judiciaire indépendant

La Cour Suprême comme son nom l'indique se situe au sommet de la hiérarchie des tribunaux aux Etat-
Unis ; que ce soit les tribunaux de la fédération qui sont en 1e instance les cours de district ou en 2e
instance les cours d'appel ; que ce soit les tribunaux des États qui sont coiffés par les Cours Suprêmes
des États.

La Cour Suprême est aussi une Cour constitutionnelle. Certes tous les tribunaux ont pour mission de
contrôler la constitutionnalité des actes pris par les pouvoirs législatifs, exécutif, (locaux ou fédéraux).
Mais la Cour Suprême a le dernier mot en la matière : elle peut casser ou réformer les décisions des
tribunaux de la fédération que la Constitution qualifie dans l'art. 3 Section I de "cours inférieures". Elle
intervient en dernier ressort lorsque les tribunaux des États se sont prononcés sur un problème de
conformité à la Constitution fédérale.

1/- La composition

(La composition de la Cour est du ressort du Congrès. La première loi sur l'organisation judiciaire
(Judiciary Act of 1789) créa la Cour avec six juges. Ce nombre passa à sept en 1807, à neuf en 1837, à
dix en 1864. En 1866, pour empêcher le Président Jackson de faire une nomination à la Cour, le Congrès
décida qu'aucune vacance ne serait pourvue avant que le nombre des juges (associate justices) ne se soit
réduit de lui-même à six. Avant que les départs volontaires ou les décès en cours de mandat n'aient
permis la réalisation de ce programme, le Congrès vota en 1869 une loi qui fixait définitivement le
nombre des juges à neuf. Ce nombre n'a pas bougé depuis. En 1937, le Président Roosevelt proposa au
Congrès de voter une loi qui aurait autorisé la nomination d'un juge supplémentaire pour chaque juge
restant en fonction au-delà de 70 ans, avec une limite maximum de 15 juges sur le siège. L'intense
combat politique qui permit la défaite de cette proposition de fournée de juges ("court-packing" plan),
eut pour résultat paradoxal de sanctifier dans l'opinion publique le chiffre neuf et de donner un caractère
quasi sacré à l'institution d'une Cour composée de neuf juges.

Les neuf juges de la Cour suprême constitue un seul et même collège. Celui-ci se compose d'un
Président (Chief Justice) et de huit juges (Associate Justices). Par opposition à la tradition continentale
21

de l'anonymat de la fonction judiciaire, les juges de la Cour suprême sont connus du grand public. Les
19 arrêts (opinions) font apparaître la répartition des votes. Chaque juge a une individualité bien
identifiée et on sait à la lecture de la décision la position prise par chacun d'eux sur l'affaire. Cette règle
est toutefois écartée lorsque la décision de la Cour est rendue per curiam, c'est-à-dire lorsqu'aucun juge
n'est désigné pour rédiger l'arrêt de la Cour et que celui-ci est réputé avoir été écrit par la Cour tout
entière. Cette solution exceptionnelle se recommande lorsque la Cour n'entend pas que la position
individuelle de ses membres sur certains problèmes soient identifiée, sans qu'il soit possible de donner
un énoncé précis des questions sur lesquelles les juges peuvent souhaiter réserver pour l'avenir leur
liberté d'opiner. Par exemple, la décision de la Cour sur le financement des partis politiques (Buckley
v. Valeo, 1976) a été rendue per curiam et l'opinion de la Cour n'est pas signée.

En principe, le Président de la Cour est un simple primus inter pares. En pratique, la personnalité des
titulaires de la charge donne à la fonction, selon les cas, un relief tout particulier. Les grands présidents
laissent leurs noms attachés à la période correspondant à leur présidence. Le plus grand président de la
Cour reste John Marshall (1755-1835) qui présida la Cour de 1801 à 1835 et qui est passé à l'histoire
pour avoir été l'architecte judiciaire de l'unité nationale. Au XXe siècle, Earl Warren (1891-1974) qui
présida la Cour de 1953 à 1969, a été l'instigateur d'une jurisprudence dynamique (judicial activism)
qui a bouleversé non seulement les vieilles traditions des Etats du Sud, mais encore certains aspects de
la société américaine en général, particulièrement dans le domaine de la protection des droits et libertés.
La Cour ne se divise jamais en chambres pour l'examen des affaires. Les "chambres" de la Cour
(chambers) n'ont rien à voir avec des chambres au sens européen. Il s'agit des bureaux qui sont attribués
à chaque juge et qui doivent leur appellation de "chambres" à la période de formation initiale où les
juges devaient, faute de locaux suffisamment grands, tenir leurs bureaux à leur domicile. Aujourd'hui,
chaque juge dispose de bureaux d'au moins trois pièces (suites) et d'un personnel attaché à ses
"chambres", dont parmi eux plusieurs assistants judiciaires (law clerks). Ces jeunes juristes sont, pour
la plupart, les jeunes diplômés sortis dans les meilleurs rangs des plus célèbres facultés de droit des
Etats-Unis. Ce personnel est indispensable pour aider chaque juge à prendre connaissance de toutes les
affaires soumises à la Cour. En effet, les requêtes et les mémoires sont systématiquement communiqués
à tous les juges. Chaque juge a ainsi la possibilité d'examiner toutes les affaires qui sont soumises à la
Cour. Mais les décisions sont toujours rendues au nom de la Cour tout entière en tant que collège
unique.)

Le Congrès fixe par la loi le nombre des juges siégeant à la Cour suprême : sept à l'origine, neuf depuis
1869, dont un président. Le président est appelé en anglais Chief Justice (juge en chef), les autres
Associate Justice, ou simplement Justice. L'ordre protocolaire place le président en premier et les autres
juges suivent par ordre d'ancienneté à la Cour.

L'article III fixe leur mode de nomination et leurs privilèges, identiques à ceux des autres juges fédéraux
: ils sont nommés à vie par le président des États-Unis, avec le consentement du Sénat à la majorité
qualifiée des 3/5e (parfois l'approbation du Sénat peut être refusée, mais peu de candidats sont ainsi
rejetés). Toutefois, en avril 2017, Mitch McConnell, leader de la majorité républicaine au Sénat, fait
voter l'abolition de la majorité qualifiée pour les nominations de juges à la Cour suprême2. Cela permet
la confirmation du juge Neil Gorsuch le 7 avril 2017 par 54 voix contre 45, alors que les démocrates
souhaitaient faire échouer cette nomination. Ils occupent leur fonction aussi longtemps qu'ils le
souhaitent et leur traitement ne peut être diminué pendant ce temps. Ils peuvent seulement être destitués
après jugement par le Congrès selon la même procédure d'impeachment qui s'applique au Président des
États-Unis, ce qui n'est jamais arrivé à aucun juge de la Cour suprême.

L'impeachment a cependant été voté une fois par la Chambre des représentants, en 1804 à l'encontre du
juge Samuel Chase, qui est ensuite acquitté par le Sénat.
22

La Constitution n'impose aucune contrainte quant à qui peut être nommé. Il s'agit généralement de
juristes éminents. Souvent, ils ont plaidé comme avocat ou comme conseiller du gouvernement devant
la Cour suprême, parfois pour des affaires importantes. On peut citer Louis Brandeis qui a plaidé Muller
v. Oregon (en dépit de la liberté de contrat, les États peuvent réglementer les conditions de travail, tout
au moins celles des femmes), ou Thurgood Marshall qui a plaidé Brown v. Board of Education (fin de
20 la ségrégation raciale dans les écoles). Ils ont souvent occupé des fonctions importantes dans
l'appareil judiciaire, comme juges fédéraux dans des cours inférieures, à la Cour suprême de leur État
ou au département de la Justice. Ils ont généralement eu une activité politique militante, parfois
éminente. William Howard Taft, ancien président des États-Unis, est nommé président de la Cour
suprême en 1921 ; Earl Warren, ancien gouverneur de Californie, le devient en 1953. Charles Evans
Hughes, juge à la Cour suprême de 1910 à 1916, l'a alors quittée pour être candidat à la présidence des
États-Unis. Il y revient en 1930, comme président de la Cour. Seules quatre femmes ont été nommées
à la Cour suprême et trois y siègent actuellement : Sandra Day O'Connor de 1981 à 2006, Ruth Bader
Ginsburg en fonction depuis 1993, Sonia Sotomayor, en fonction depuis 2009 et Elena Kagan depuis
2010. Seuls deux juges Noirs ont été nommés : Thurgood Marshall, nommé en 1967 et Clarence Thomas
qui lui a succédé en 1991 et siège encore. Les juges prennent généralement leur retraite à un âge avancé,
si possible lorsqu’un président issu de leur parti occupe la Maison Blanche. Ils peuvent ensuite continuer
à officier dans les autres cours fédérales. Le très révéré juge Oliver Wendell Holmes Jr. n'a quitté la
Cour, en 1932, qu'à la demande de ses collègues et à l'âge de 90 ans, après y avoir passé 30 ans. Plus
récemment John Paul Stevens a quitté la Cour au même âge, après y avoir passé 35 ans.

Les juges peuvent être saisis individuellement en urgence, afin d'ordonner des mesures conservatoires.
À chaque juge est affecté un ou plusieurs des ressorts des cours d'appel fédérales, et c'est le juge
responsable de la cour d'appel d'où provient l'affaire qui est compétent. Il peut choisir de soumettre la
question à la Cour suprême au complet.

2/- Les compétences de la Cour

La Cour décide en première instance dans quelques rares cas : affaires impliquant un des États de
l'Union, un État ou un diplomate étranger. Pour toutes les autres affaires, elle n'a aucun pouvoir. Dans
tous les cas, ses jugements sont sans appel. Elle se cantonne généralement aux affaires les plus
importantes, et notamment, à décider si les lois des États-Unis ou celles des différents États, sont
conformes à la Constitution, dont elle est l'interprète ultime. En 1908, Charles Evans Hughes, à l'époque
gouverneur de l'État de New York, aurait dit, au cours d'un discours officiel devant la chambre de
commerce d'Elmira : « la Constitution est ce que la Cour suprême dit qu'elle est » (the Constitution is
what the Supreme Court says it is). En cela, c'est aussi elle qui définit finalement les droits
fondamentaux des citoyens, parfois de façon extensive, parfois de façon restrictive, et les protège
effectivement. Ce pouvoir de contrôle de constitutionnalité (judicial review), qui est l'essentiel de la
puissance de la Cour suprême, n'est pas explicite dans la Constitution, et la Cour se l'est effectivement
attribué en 1803 dans son arrêt Marbury v. Madison. Cette décision est souvent présentée comme une
usurpation ; le président de l'époque, Thomas Jefferson a dit que cette décision faisait de la Constitution
« un simple objet de cire dans les mains du pouvoir judiciaire ». Cependant, à la convention
constitutionnelle de Philadelphie, où la Constitution a été rédigée, certains délégués considéraient ce
pouvoir comme allant de soi. Il est aussi mentionné en 1789 par Alexander Hamilton dans le Fédéraliste,
texte faisant largement autorité comme interprétation de la Constitution. Qu'on le considère comme
initialement légitime ou usurpé, ce pouvoir, après deux cents ans d'exercice, n'est plus guère contesté
aujourd'hui dans son principe. L'usage particulier que la Cour peut en faire en diverses occasions l'est
en revanche beaucoup.
23

Le contrôle de constitutionnalité aux États-Unis est fait a posteriori, de façon concrète et diffuse. « A
posteriori » signifie qu'il a lieu après que la loi a été promulguée. Il est concret, c'est-à-dire que la
constitutionnalité d'une loi n'est examinée que dans le cadre d'une affaire particulière. Il est alors
possible que la loi soit jugée totalement ou partiellement inconstitutionnelle, pour des raisons de légalité
externe (elle a été adoptée par une autorité qui n'en avait pas le pouvoir, par exemple le Congrès
légiférant dans un domaine réservé aux États) ou interne (son contenu contrevient aux dispositions de
la Constitution, par exemple aux droits fondamentaux). La décision de la Cour s'applique aux parties à
l'affaire jugée (inter partes). Elle n'est pas censée abroger la loi. Cependant, elle constitue un précédent
que les autres tribunaux doivent appliquer (voir règle du précédent) ce qui la rend ipso facto
inapplicable. Enfin, le contrôle est diffus, ce qui signifie que tous les tribunaux, qu'ils soient fédéraux
ou d'État, et pas 21 seulement la Cour suprême, peuvent examiner la constitutionnalité d'une norme
juridique. Pour une loi fédérale, il est probable que le jeu des appels fasse que la Cour suprême soit
amenée à se prononcer, c'est moins souvent le cas pour des normes inférieures. Ce modèle de contrôle
de constitutionnalité est parfois appelé modèle américain, en opposition à un modèle qu'on dit européen
ou kelsenien du nom du juriste autrichien Hans Kelsen. Le modèle européen se caractérise avant tout
par un contrôle centralisé, c'est-à-dire relevant de la compétence d'une seule cour constitutionnelle et
non de tous les tribunaux. Dans la plupart des pays, le mode privilégié d'examen de constitutionnalité
est la question préjudicielle : le juge ordinaire peut saisir le juge constitutionnel s'il a un doute sur la
constitutionnalité d'une loi qu'il est amené à appliquer. Malgré son nom, le modèle n'est pas universel
en Europe, où plusieurs pays utilisent le système américain de contrôle diffus. Le modèle de contrôle
le plus opposé au modèle américain était probablement, avant l'intervention de la loi constitutionnelle
du 23 juillet 2008, instituant la question prioritaire de constitutionnalité, le système français, dans lequel
le Conseil constitutionnel exerçait un contrôle seulement a priori, abstrait et centralisé.

Toute la Constitution est obligatoire et s'impose notamment aux lois ordinaires fédérales ou simplement
étatiques. Cependant certaines dispositions de la Constitution sont plus souvent évoquées que d'autres.
Elles ont donné lieu en conséquence à un contentieux particulièrement abondant.

- la clause dite du "Due Process of Law" qui figure dans le 5e amendement pour ce qui concerne la
Fédération et dans le 14e amendement pour ce qui concerne les Etats. Elle a pour contenu : "Nul ne
peut être privé de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans une procédure régulière [juste]". Cela entraîne
une protection pour chaque citoyen ; protection qui a été étendue à tous les cas où une personne fait
l'objet d'une décision défavorable à ses intérêts (révocation d'un fonctionnaire, expulsion d'un étudiant).
Cette clause peut être invoquée contre toute loi mais aussi une décision administrative ou judiciaire.

- la clause d'égalité : "Aucun Etat ne peut refuser à quiconque relève de sa juridiction une égale
protection des lois". On la trouve dans le 14e amendement. Elle a été adoptée après la Guerre de
Sécession dans le but d'empêcher les Etats du Sud de rétablir l'esclavage par des moyens détournés. Elle
est utilisée aujourd'hui pour faire barrage à toute tentative de discrimination négative fondée sur des
motifs religieux, raciaux, politiques. - le principe du respect des droits individuels (1er et 14e
amendement).

Section 3 : Les moyens d’action réciproques entre les pouvoirs

Le régime présidentiel consacre l’autonomie de chacun des pouvoirs dans ses relations avec l’autre.
Toutefois, cette séparation des pouvoirs n’est pas absolue car des formes de collaboration politique entre
les pouvoirs existent. Chacun des pouvoirs a, en effet, la faculté d’empêcher l’autre, de le neutraliser,
sans que la dissolution ou le renversement du gouvernement puissent résoudre les conflits
politicoinstitutionnels. Dès lors, ils sont contraints « d’aller de concert ».
24

§ 1 : Les moyens d’action du Président sur le Congrès et vice versa

A- Les moyens d’action du Président sur le Congrès

Le Président ne dispose pas du pouvoir d’initiative des lois ; il peut émettre des suggestions et
communiquer par le message annuel sur l’état de l’Union prévu à l’article II, section 3. Toutefois, il
dispose d’un droit de veto sur les lois votées par le Congrès. En matière budgétaire, il peut également
mettre en œuvre l’impoundment.

1/-Le droit de veto

Il faut distinguer entre :

- le veto express : le Président dispose de 10 jours pour promulguer la loi (le bill) votée par le Congrès.
Selon la section VII de la Constitution, il peut :

• ne rien faire : au-delà de 10 jours, le bill aura force de loi comme s'il avait été revêtu des sa signature
;

• présenter ses objections et refuser de voter le bill : pour devenir une loi, le bill devra être revoté par
chacune des deux chambres du Congrès. Mais il faudra une majorité des 2/3 des membres pour chaque
chambre. On dira alors que le veto du président a été surmonté.

Dans un contexte de cohabitation, le recours répété à cette prérogative a souvent dégénéré en crise
ouverte entre Législatif et Exécutif. Le record historique est celui de Cleveland (1885-18889 et 1893-
1897) avec 684 vetos en 8 ans ; ce qui lui valut d’être surnommé « M. veto ». Il est suivi par Franklin
Delano Roosevelt qui usa de 635 vetos entre 1933 et 1945, soit en moyenne 53 vetos par an (36 par an
pour le républicain Gérald Ford et 31 pour le démocrate H. Truman). Cette stratégie de l'affrontement
n'est possible que lorsque le Président dispose du soutien actif de l'opinion publique : par exemple,
Ronald Reagan (78 vetos en 8 ans) qui sut susciter et exploiter un tel soutien. Mais le "Grand
communicateur" avait une côte de popularité que le Président Clinton n'a pas eu.

Il existe une forme moderne de veto :

- le veto de poche (pocket veto) : c'est un veto qui n'a pas été prévu explicitement par la Constitution.
Il intervient seulement en fin de session.

Lorsque le délai de 10 jours court en fin de session, le Président peut décider de ne rien faire. Le bill ne
deviendra pas une loi car le délai n'est pas achevé. Il faut alors que le Congrès revote le bill à une
prochaine session. En ne faisant rien, le Président a donc gardé son veto officiel "dans la poche". Mais
il a réussi à empêcher, freiner le Congrès qui a toujours du mal à trouver une majorité en son sein pour
voter une loi.

Les présidents américains ont usé de ce droit de veto de façon variable. Ainsi, Roosevelt a opposé 635
fois son veto dont 260 veto de poche et 9 d’entre eux seulement furent surmontés par le Congrès.

Le Congrès par une loi du 9 avril 1996 avait accordé un nouveau veto au président :

-le Line Item veto. Ce veto avait trois particularités :

• il devait intervenir après que le bill soit devenu une loi (c'est-à-dire après que le texte voté par les
deux chambres soit entré en vigueur) ;

• il était partiel : il ne pouvait concerner qu'une partie de la loi ; • il intervenait en matière financière
(trois types de dispositions : 1 any dollar amount of discretionary budget authority 2 any item of new
25

direct spending 3 any limited tax benefit) Le président Clinton a eu recours a ce veto pour la première
fois le 11 août 1997. Mais la Cour Suprême a jugé en 1998 qu'il était inconstitutionnel dans sa décision
W.J. ClINTON, PRESIDENT OF THE UNITED STATES, et al., APPELLANTS v. CITY OF NEW
YORK et al.

2/-L'impoundment (ou Impoundments Powers) revendiqué d'abord par Nixon

Le Président s'autorise à refuser de dépenser des fonds votés par le Congrès ; fonds servant à financer
tel ou tel projet voulu par les congressmen. Une loi de 1974 est venue organiser et limiter ce pouvoir
présidentiel dont la constitutionnalité est douteuse.

L’impoudment s’exerce dans des conditions assez strictes :

- si le Président veut simplement différer une dépense, les Chambres peuvent s'y opposer en votant une
résolution concordante ;

- si le Président veut supprimer une dépense, la proposition du Président ne prend effet que si dans les
45 jours le Congrès a voté une loi acceptant cette suppression ou la diminuant. Nota : la Cour Suprême
ne s'est pas prononcée explicitement sur la constitutionnalité de ce pouvoir. Seulement dans une
décision Train v. NY 420 US 35 à propos d'une loi, la Cour a estimé que le Congrès n'avait pu conférer
au Président un pouvoir discrétionnaire de rétention budgétaire.

B- Les moyens d'action du Congrès sur le Président :

N’ayant pas l’initiative des lois, le Président ne peut pas obliger le Congrès à voter une loi et le Congrès
a en quelque sorte un pouvoir législatif à l’envers. Le Congrès dispose de plusieurs moyens de pression
sur le Président :

1/-Les moyens budgétaires et de contrôle

La conception américaine de la séparation des pouvoirs détermine depuis les origines toute la procédure
budgétaire. Tous les pouvoirs budgétaires sont par principe entre les mains du législatif parce que c’est
dans le Congrès que la Constitution fédérale a placé la légitimité budgétaire. Sur le plan constitutionnel,
le centre de gravité du pouvoir budgétaire a toujours été le Congrès et si, sur le plan historique, les
apparences ont pu aller en sens contraire, la période de prépondérance présidentielle en matière
budgétaire qui a marqué le siècle dernier est aujourd’hui terminée. L’exécutif n’ayant pas en matière
budgétaire d’autres pouvoirs que ceux que le Congrès veut bien lui donner, le président exerce ses
pouvoirs budgétaires conformément aux instructions inscrites par le Congrès dans les diverses lois
organiques qui codifient la procédure budgétaire.

En votant le budget ou en refusant de le voter, le Congrès peut paralyser la politique du président,


comme lors de la guerre du Vietnam où le président a été contraint de négocier avec le Congrès pied-à-
pied. De même, en décembre 1995, le Président Clinton ayant opposé son veto à des propositions du
Congrès républicain, l’administration fédérale a été en cessation de paiement et a dû renvoyer des
fonctionnaires dans leurs foyers. Cet arrêt des activités gouvernementales s’appellent « shut down ».
Le même phénomène s’est produit sous le président Obama en octobre 2013, lors de sa réforme sur
l’assurancemaladie réfutée par le Congrès. Mais, c’est le président Trump qui a provoqué le plus long
« shut down » de l'histoire des USA en janvier 2019 à propos de la construction du mur entre le Mexique
et les USA qu’il voulait faire construire et auquel s’opposait la majorité de la Chambre des représentants.
Le conflit n’a pris fin qu’après d’âpres négociations avec les congressmen.

Par ailleurs, le Congrès dispose de procédures de contrôle sur l’administration, par des commissions
d’enquête très efficaces qui ont développé des prérogatives judiciaires et parajudiciaires.
26

2/-Le pouvoir d’autorisation, d’approbation et de sanction

Le Sénat possède un pouvoir d’approbation de certains actes du président et il doit autoriser la


ratification des traités à la majorité des deux tiers des membres présents (article 2, section 2) ainsi que
l’envoi des troupes américaines à l’étranger.

Ainsi, le Sénat refusa au président Wilson la ratification du Traité de Versailles en 1919. En octobre
1999, le Sénat a encore refusé d’autoriser la ratification du traité sur l’interdiction totale des essais
nucléaires.

Le Sénat doit approuver aussi la nomination des secrétaires, des ambassadeurs, des juges de la Cour
suprême, des fonctionnaires fédéraux. C’est ainsi qu’en 1993, le Sénat a refusé à Bill Clinton la
nomination de deux femmes comme Attorney général pour avoir, dans un passé récent, employé des
salariées de maison mexicaines non déclarées. Enfin, le Congrès peut mettre en cause la responsabilité
pénale du Président pour trahison, concussion ou autres crimes ou délits graves.

§ 2 : Les moyens d’action des autres pouvoirs sur la Cour Suprême et vice versa

A- Les moyens des autres pouvoirs sur la Cour

Le Président n'a là encore qu'un seul véritable moyen d'action ; c'est la nomination des juges. Le
président nomme effectivement les 9 juges de la Cour (dont le Chief Justice). Nomination qui doit être
24 entérinée par une majorité de Sénateurs. Le Président en nommant les juges dont la philosophie
politique présente des analogies avec la ligne gouvernementale peut espérer orienter la jurisprudence
de la Cour. Espérer seulement car une fois désignés, les juges sont indépendants (du fait qu'ils ont une
fonction à vie - life tenure - et une rémunération importante).

Nota : notons la différence entre la conception de la séparation des pouvoirs en France et les Etats-Unis
; aux Etats-Unis, le juge n'est pas indépendant car il est considéré comme un pouvoir politique comme
les autres qui peut entraver l'action du Gouvernement. Voilà pourquoi on peut agir sur lui.

B- Les moyens de la Cour suprême sur les autres pouvoirs

Le premier moyen est le contrôle des actes des autres pouvoirs. Il vise à faire respecter le droit. La Cour
suprême n'étant que juge de la légalité et non de l'opportunité, l'objet de son contrôle est limité. Sa seule
et unique fonction vis-à-vis du Président comme du Congrès, d'ailleurs est de faire respecter le droit,
autrement dit, comme elle l'a dit dans l'affaire Marbury, de faire en sorte que le pays reste un
gouvernement de lois et ne devienne pas un gouvernement d'hommes, bref, de faire respecter les lois.
Or, la première « loi » qui gouverne les États-Unis est celle de la souveraineté du peuple qui signifie
que le gouvernement des États-Unis, comme tout gouvernement républicain, est un gouvernement de
pouvoirs délégués et non de pouvoirs inhérents :

« Pour quiconque est familier avec notre système de gouvernement dans lequel tout le pouvoir est
délégué et limité par le droit, constitutionnel ou législatif, il n'y a pas d'affaire dans laquelle nous ne
devions regarder l'une ou l'autre [de ces sources], ou les deux. Nous n'avons aucun officier dans ce
gouvernement depuis le Président jusqu'au plus modeste agent qui ne tienne ses fonctions d'une loi qui
lui prescrit ses devoirs et lui assigne ses fonctions ».

De ce principe découlent deux conséquences. La première est que le Président n'exerce en aucune
manière la « Prérogative » du monarque britannique qui était le pouvoir inhérent par excellence et qui
lui permettait de faire face à l'urgence. Aux États-Unis, « l'urgence ne crée pas le pouvoir. Elle peut
seulement fournir l'occasion à un pouvoir existant de s'exercer ». La seconde est que tout acte du
Président doit pouvoir se rattacher à un texte.
27

Ces deux points sont indissociables. Le second, en particulier, fut mis en lumière par le juge Black dans
l'affaire de la saisie des aciéries (Steel Seizure Case) avec une clarté exemplaire à propos d'un décret de
réquisition pris par le Président pour faire obstacle à une grève qui allait paralyser tout le secteur de la
métallurgie en pleine guerre de Corée :

« S'il existe, le pouvoir du Président de prendre le décret doit résulter soit d'une loi du Congrès, soit de
la Constitution elle-même. Il n'y a aucune loi qui autorise expressément le Président à réquisitionner la
propriété privée comme il l'a fait ici. Pas plus qu'il n'existe de loi sur laquelle on aurait attiré notre
attention qui pourrait impliquer raisonnablement pareil pouvoir. [...] Pas davantage le décret de
réquisition peut-il être justifié par les nombreuses dispositions constitutionnelles qui attribuent le
pouvoir exécutif au Président. Dans le cadre de notre Constitution, le pouvoir du Président de veiller à
ce que les lois soient fidèlement exécutées réfute l'idée qu'il puisse être législateur. S'agissant de
l'élaboration de la loi, son rôle est limité par la Constitution à recommander les lois qu'il estime bonnes
et à opposer son veto à celles qu'il juge mauvaises ». Le juge assure ainsi le contrôle de constitutionnalité
des lois.

Par ailleurs, de façon globale, la Cour suprême exerce un contrôle de constitutionnalité des lois et des
actes présidentiels.

Enfin, dans le cadre de la procédure d’impeachment, le Sénat est exceptionnellement dirigé par le
président de la Cour suprême.
28

CHAPITRE III : LE REGIME DE LA 5EME REPUBLIQUE FRANCAISE

La Ve République échappe aux typologies classiques des régimes politiques. Conçue à l’origine comme
un régime parlementaire dans lequel les pouvoirs de l’exécutif sont renforcés, elle est devenue un
régime de type semi-présidentialiste depuis le référendum de 1962 qui a instauré l’élection du président
de la République au suffrage universel direct.

La Ve République apparaît comme un régime hybride présentant simultanément des caractéristiques


propres au régime présidentiel et au régime parlementaire. C’est cette originalité de la Constitution de
1958 qui explique l’effacement temporaire de la fonction présidentielle au profit du Premier ministre
dans les périodes dites de cohabitation.

Section 1 : Un régime parlementaire “rationalisé”

Les institutions présentaient, à l’origine, les caractéristiques d’un véritable régime parlementaire
conforme à la tradition républicaine française, sous réserve de certaines innovations tendant à
“rationaliser” le parlementarisme.

On appelle parlementarisme rationalisé l’ensemble des dispositions définies par la Constitution de 1958
ayant pour but d’encadrer les pouvoirs du Parlement afin d’accroître les capacités d’action du
gouvernement. Il s’agissait de rompre avec l’instabilité ministérielle du régime d’assemblée et de
préserver le gouvernement d’un accroissement des prérogatives du Parlement à son détriment. Pour ce
faire, la Constitution a strictement encadré les prérogatives de législation et de contrôle des deux
chambres composant le Parlement au profit du Gouvernement.

§ 1 : Un régime parlementaire initial

A- Les points de départ

La Constitution de 1958 répond d’abord aux exigences de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, qui
confiait au général de Gaulle, président du Conseil du dernier gouvernement de la IVe République, le
pouvoir de réviser la Constitution. Cette loi prévoyait le maintien d’un régime parlementaire, caractérisé
par la responsabilité du gouvernement devant le Parlement, qui pouvait le renverser. Le ministre de la
justice, Michel Debré, lors de la présentation du projet de Constitution devant le Conseil d’État le 27
août 1958, a insisté sur le respect de cette condition.

Il a, par ailleurs, clairement précisé les intentions des rédacteurs de la nouvelle Constitution, dont le but
était de rompre avec l’instabilité ministérielle caractéristique du régime d’assemblée, sans pour autant
instituer un régime présidentiel : « À la confusion des pouvoirs dans une seule assemblée, à la stricte
séparation des pouvoirs avec priorité au chef de l’État, il convient de préférer la collaboration des
pouvoirs : un chef de l’État et un Parlement séparés, encadrant un gouvernement issu du premier et
responsable devant le second, entre eux un partage des attributions donnant à chacun une semblable
importance dans la marche de l’État et assurant les moyens de résoudre les conflits qui sont, dans tout
système démocratique, la rançon de la liberté ».

B- Le régime mis en place

La nature véritable du régime défini par la Constitution de 1958 est bien un régime parlementaire. En
effet, l’article 50 pose clairement le principe de la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée
nationale. Il impose sa démission en cas d’adoption par celle-ci d’une motion de censure ou de vote
négatif sur son programme ou sur une déclaration de politique générale. De plus, le texte ne prévoit pas
de séparation stricte des pouvoirs : le gouvernement dispose de l’initiative législative ; l’Assemblée
nationale peut renverser le gouvernement ; le chef de l’État dispose du pouvoir de dissoudre cette
29

chambre. 26 La Constitution de 1958 ne met donc pas en place de régime présidentiel. Elle ne prévoyait
pas, à l’origine, l’élection du président de la République au suffrage universel direct, qui est la principale
caractéristique du régime présidentiel.

Elle entendait également rompre avec le régime d’assemblée. Il s’agissait d’éviter l’instabilité
ministérielle et de préserver le gouvernement d’un accroissement des prérogatives du Parlement à son
détriment. Pour ce faire, la Constitution a strictement encadré les prérogatives de législation et de
contrôle des deux chambres composant le Parlement au profit du gouvernement. Le domaine de la loi
est désormais limité aux seuls champs énumérés par la Constitution (art. 34). Le pouvoir réglementaire
détenu par le gouvernement s’en trouve ainsi étendu à toutes les autres matières. Il s’agit d’une évolution
très importante, car la loi pouvait jusque-là traiter de toutes les questions et s’imposait
systématiquement au pouvoir réglementaire.

De même, l’institution d’un contrôle de constitutionnalité des lois et des règlements des assemblées,
c’est-à-dire la vérification de leur conformité à la Constitution, constitue une remise en cause du
caractère incontestable de la loi. Cela garantit la pérennité de l’équilibre des pouvoirs mis en place par
le constituant en 1958, en permettant de sanctionner d’éventuelles velléités du Parlement de conforter
ses prérogatives au détriment de l’exécutif.

On peut citer aussi, comme outils permettant d’encadrer et de “rationaliser” l’action du Parlement, la
maîtrise à l’origine par le gouvernement de l’ordre du jour des deux chambres (depuis la réforme
constitutionnelle du 23 juillet 2008, le gouvernement n’en définit plus qu’une partie), la faculté pour ce
dernier dans certains cas de légiférer par ordonnances ou encore la suppression de l’interpellation, qui
avait provoqué de nombreuses crises ministérielles sous les Républiques précédentes. De même,
l’incompatibilité entre les fonctions ministérielles et le mandat parlementaire marque une séparation
stricte entre le personnel gouvernemental et les parlementaires. En effet, dans les régimes précédents,
les fonctions exécutives étaient systématiquement exercées par des parlementaires qui conservaient,
pendant leurs fonctions ministérielles, leur droit de vote dans leur chambre d’origine. Dans cette
perspective, la Constitution a aussi accru la légitimité du président de la République en modifiant le
régime de son élection par rapport aux deux Républiques précédentes. Le chef de l’État devait ainsi être
élu, non plus par les seuls parlementaires, mais par un collège électoral élargi aux représentants des
collectivités locales (départements et communes).

§ 2 : Un régime parlementaire occasionnel : les cohabitations

L’absence de coïncidence entre la durée du mandat présidentiel et celle de l’Assemblée nationale, avant
la révision constitutionnelle relative au quinquennat, est venue remettre en cause cet équilibre
institutionnel. La défaite de la majorité présidentielle aux élections législatives de 1986, 1993 et 1997
a ainsi eu pour conséquence le retour à un fonctionnement parlementaire du régime. En effet, si le
président de la République est désavoué aux élections législatives et ne démissionne pas, il ne peut
nommer un Premier ministre dépourvu de majorité parlementaire. Il doit donc nécessairement le
désigner au sein de cette dernière.

Le chef de l’État perd ainsi sa fonction de chef de l’exécutif, la légitimité issue de l’élection
présidentielle ayant été en quelque sorte effacée par celle provenant des élections législatives.

Dans ce cas de figure, le chef du gouvernement n’est donc plus responsable devant le président de la
République. Il ne peut gouverner qu’en s’appuyant sur l’Assemblée nationale, qui redevient ainsi la
seule et unique source de légitimité du gouvernement. Il est toutefois difficile pour l’Assemblée de
mettre en cause la responsabilité de l’équipe gouvernementale. En effet, le président de la République,
devenu le chef de l’opposition parlementaire, pourrait tirer parti des désaccords entre la majorité
30

parlementaire et le gouvernement et procéder à une dissolution et à de nouvelles élections législatives.


Le retour au fonctionnement parlementaire dans les périodes de cohabitation ne signifie donc pas que
le rôle des assemblées parlementaires soit plus important que dans les périodes de fonctionnement
normal du régime. La cohabitation renforce les contraintes issues du fait majoritaire.

Par ailleurs, le chef de l’État conserve en cas de cohabitation des prérogatives plus importantes que
celles qu’il détenait sous les Républiques précédentes. Il a ainsi un pouvoir de décision autonome dans
les affaires relevant du “domaine réservé”, c’est-à-dire en matière diplomatique et militaire. Il conserve
également la présidence du Conseil des ministres et le pouvoir de nomination des fonctionnaires civils
et militaires de l’État. L’usage a également reconnu au Président un droit de regard sur l’ordre du jour
des sessions extraordinaires des assemblées parlementaires.

C’est aussi l’usage qui lui a conféré le pouvoir de s’opposer à la promulgation des ordonnances, malgré
l’accord du Parlement (ex. : François Mitterrand lors de la première cohabitation entre 1986 et 1988).
Ces pouvoirs importants du chef de l’État dans les périodes de cohabitation n’ont aucun équivalent dans
le régime parlementaire : le rôle du chef de l’État y est en effet limité à l’authentification des actes du
chef du gouvernement, et les pouvoirs qu’il détient par la Constitution ont une portée plus symbolique
que réelle. Cette situation institutionnelle rappelle en tout état de cause la nature hybride de la Ve
République, qui n’est ni présidentielle ni parlementaire.

Section 2 : Le régime semi-présidentiel ou présidentialiste

§ 1 : L’inauguration de 1962

La modification du mode d’élection du président de la république devait profondément modifier cet


équilibre institutionnel en consacrant la prépondérance du chef de l’État au sein des institutions. La
légitimité renforcée du président de la République en fait ainsi la véritable clé de voûte du système
politique, alors que son droit de dissolution limite la possibilité pour l’Assemblée nationale de mettre
en cause la responsabilité du Gouvernement.

Il est en effet clair que la légitimité du chef de l’État est désormais supérieure à celle des députés,
puisque ceux-ci sont élus dans le cadre de circonscriptions limitées et qu’ils sont divisés en différents
groupes politiques. Le chef de l’État, quant à lui, est élu par l’ensemble des citoyens et représente ainsi
l’ensemble des Français, quelles que soient leurs tendances politiques.

L’équilibre des pouvoirs conçu par le constituant de 1958 connaît de profondes modifications,
consacrées par l’usage plus que par l’application littérale des textes constitutionnels.

Ainsi, le vote de confiance sur le programme de l’équipe gouvernementale par l’Assemblée nationale a
perdu son caractère systématique à compter de 1962. L’article 49 de la Constitution dispose sur ce point
que “le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l’Assemblée
nationale la responsabilité du gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration
de politique générale”. Cette disposition visait à réformer les mécanismes de l’investiture
gouvernementale, particulièrement contraignants sous la IVe République, puisqu’ils donnaient lieu à un
double vote. Le président du Conseil nommé par le président de la République devait solliciter une
première fois la confiance des parlementaires, puis se présenter à nouveau devant eux avec l’ensemble
de l’équipe ministérielle. L’investiture dépendait ainsi davantage de la composition politique du
gouvernement que de son programme d’action, ce qui devait contribuer au discrédit du régime.

La nouvelle procédure retenue par la Constitution de 1958 prévoyait deux mécanismes distincts. Une
fois le Premier ministre désigné et les autres membres du gouvernement nommés sur sa proposition par
le président de la République, la nouvelle équipe devait solliciter la confiance de l’Assemblée nationale
31

sur son programme. Le Premier ministre avait, par ailleurs, la possibilité de solliciter cette confiance
ultérieurement, en demandant un vote des députés sur une déclaration de politique générale. Le
renforcement de la légitimité du président de la République intervenu à compter de 1962 a modifié
l’interprétation de cet article de la Constitution. L’usage selon lequel le Premier ministre ne procède
que du seul président de la République s’est ainsi imposé, en dehors des périodes de cohabitation.
L’engagement de responsabilité du Gouvernement après sa désignation est devenu facultatif : certains
gouvernements sont ainsi entrés en fonction sans solliciter la confiance de l’Assemblée, d’autres ont
procédé à une déclaration de politique générale, sans qu’elle soit pour autant nécessairement suivie d’un
vote.

Cette lecture de la Constitution a également eu pour conséquence une rupture avec la tradition
républicaine, qui voulait que le chef du gouvernement soit toujours issu du Parlement. Le choix de
Georges Pompidou en 1962 devait ainsi marquer la prééminence du chef de l’État dans la désignation
de l’équipe gouvernementale. En nommant à cette fonction un de ses collaborateurs personnels qui
n’avait jamais exercé de mandat parlementaire, il signifiait à l’Assemblée nationale qu’elle n’avait plus
de rôle à jouer dans la désignation du ministère.

Parallèlement, le principe de la responsabilité du Premier ministre devant le président de la République


a été consacré, en marge du texte constitutionnel, par l’usage. Le chef de l’État a ainsi exigé à plusieurs
reprises la démission du gouvernement sans que l’Assemblée nationale n’ait pour autant adopté de
motion de censure.

Ce fut le cas pour la démission de Michel Debré en avril 1962, celle de Jacques Chaban Delmas en
juillet 1972, celle de Pierre Mauroy en juillet 1984, celle de Michel Rocard en mai 1991 et celle d’Édith
Cresson en avril 1992. Plus récemment, des équipes nommées juste après l’élection présidentielle et
remaniées au lendemain des élections législatives, ont entraîné la démission d’un Premier ministre
éphémère, mais chargé par la suite de former un nouveau gouvernement : il en est ainsi des
gouvernements Raffarin I en 2002 (41 jours), Fillon I en 2007 (42 jours) et Ayrault I en 2012 (36 jours).
Font figure d’exception à cet égard les démissions de Jacques Chirac, en 1976 (désaccord avec le
Président), et de Manuel Valls (dissensions dans la majorité, entraînant une démission puis la formation
d’une nouvelle équipe après à peine six mois en fonctions).

Cette responsabilité du gouvernement devant le chef de l’État constitue l’une des caractéristiques du
fonctionnement de la Ve République.

Dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964, le général de Gaulle devait ainsi préciser sa conception
des fonctions présidentielle et primo-ministérielle : “Il est normal chez nous que le président de la
République et le Premier ministre ne soient pas un seul et même homme. Certes, on ne saurait accepter
qu’une dyarchie existât au sommet. Mais, justement, il n’en est rien. […] Le Président est évidemment
seul à détenir et à déléguer l’autorité de l’État. Mais, précisément, la nature, l’étendue, la durée de sa
tâche impliquent qu’il ne soit pas absorbé, sans relâche et sans limite, par la conjoncture, politique,
parlementaire, économique et administrative. Au contraire, c’est là le lot, aussi complexe et méritoire
qu’essentiel, du Premier ministre français”.

Dans ce contexte, le caractère parlementaire du régime est devenu moins important. En effet, le
président de la République apparaît comme le véritable chef de l’exécutif mais n’est pas responsable
devant le Parlement. De même, si le gouvernement est en droit responsable devant l’Assemblée
nationale, il ne l’est en fait que devant le président de la République. La majorité parlementaire a
désormais pour vocation première le soutien de la politique présidentielle. L’élection législative est ainsi
32

devenue une élection confirmant le résultat de l’élection présidentielle et dont la principale fonction est
l’élection d’une majorité acquise au président lui donnant les moyens de gouverner.

La notion de majorité présidentielle s’est ainsi peu à peu imposée, alors qu’elle était inconcevable sous
la IIIe et la IVe République. Le chef de l’État n’interférait pas alors dans les relations entre le
gouvernement et la majorité parlementaire en dehors de la nomination du président du Conseil (le
Premier ministre d’alors).

§ 2 : La pratique ultérieure de la monarchie présidentielle

Depuis la naissance de la Ve République en 1958, le régime est immanquablement taxé, après chaque
élection présidentielle, d’imposer à la France une monarchie républicaine. Le terme est repris
régulièrement à partir de l’élection du général de Gaulle à la tête de l’Etat. Il correspond effectivement
à la réalité du pouvoir.

En France, depuis soixante-deux ans, le président de la République dispose de plus de prérogatives


institutionnelles qu’aucun de ses homologues à la tête d’une démocratie. Il les emploie plus ou moins
heureusement mais, de chef d’Etat en chef d’Etat, sa primauté se maintient. Ici, le pouvoir exécutif est
plus fort que le pouvoir législatif et le président de la République s’impose au Premier ministre. Il y a
bien un monarque républicain. Ce fut le cas évidemment avec le général de Gaulle qui avait taillé les
institutions à sa mesure et n’hésita d’ailleurs pas à les élargir lorsque cela l’arrangeait, s’arrogeant le
droit de mettre fin aux fonctions du Premier ministre ou de réviser la Constitution par la voie plus que
contestable de l’article 11 relatif au référendum. L’homme providentiel ne s’embarrassait pas d’argutie
juridique.

Après lui, on aurait pu imaginer que la situation allait se banaliser, et que le monarque républicain
disparaîtrait pour redevenir un chef de l’Etat partageant son pouvoir. Il n’en a rien été. Georges
Pompidou a concentré les décisions au palais de l’Elysée, notamment par la multiplication des Conseils
ministériels et le renvoi de Jacques Chaban-Delmas. Valéry Giscard d’Estaing a inventé un style et une
communication néomonarchiques.

Quant à François Mitterrand, le procureur le plus âpre de la monarchie républicaine (le Coup d’Etat
permanent), il s’est métamorphosé en président royal. Lorsque les élections législatives lui ont imposé
une cohabitation, il a, comme Jacques Chirac après lui, pris une éclatante revanche sur le Premier
ministre qui l’avait dessaisi d’une fraction de son pouvoir. Nicolas Sarkozy s’est installé en
hyperprésident. Lorsque François Hollande a voulu instaurer une présidence « normale », son initiative
lui est revenue violemment au visage comme un boomerang.

Quant à Emmanuel Macron, il a saisi sans hésiter la couronne et le sceptre du monarque républicain.
Tout juste sait-il, différence avec ses prédécesseurs, que désormais la coutume veut que le monarque
républicain soit symboliquement guillotiné par le suffrage universel à l’issue de son premier mandat.
Et si, justement, le nouvel équilibre institutionnel instaurait une monarchie républicaine quinquennale
? Bien plus : et si ce système politique inédit était finalement bien adapté à la France ?
33

TITRE 3 : LES REGIMES POLITIQUES AFRICAINS

Au seuil des Indépendances africaines, les régimes politiques occidentaux, passés pour modèles, ont
servi de « vitrines » au processus de fondation des ordres juridiques. Les élites étaient portées à opérer
un choix rationnel parmi les modèles classiques suffisamment élaborés que sont le régime parlementaire
et le régime présidentiel, ces fameuses « vaches sacrées », entre lesquels s’intercalent les régimes dits
mixtes dont le plus répandu est le régime semi-présidentiel incarné par la Vème République française
qui dégénère, en période de concordance de majorité, en régime présidentialiste. Globalement, cette
greffe, ce mimétisme, cet emprunt, cet import-export, des modèles occidentaux, dans un contexte socio-
politique, culturel, économique, etc., différent, a connu des fortunes diverses et n’a pas été couronné de
succès. En effet, le diagnostic de cette tropicalisation des régimes politiques occidentaux se caractérise
aujourd’hui par trois traits spécifiques que nous allons démontrer successivement :

-le succès mitigé du régime parlementaire (Chapitre 1) ;

-la greffe avortée du régime présidentiel (Chapitre 2) ;

-la permanence « naturelle » du régime présidentialiste (Chapitre 3).

CHAPITRE I : LE SUCCES MITIGE DU REGIME PARLEMENTAIRE

Le régime parlementaire est le régime le plus répandu dans le monde. En Afrique, il est expérimenté
d’abord sous la colonisation, dans le cadre des régimes parlementaires britanniques et français de la 4e
République. Ensuite, il est mis en œuvre au lendemain des indépendances, mais aussi dans les régimes
transitionnels des conférences nationales. Et enfin, il est consacré par certaines Constitutions pluralistes
des années 1990. Toutefois, globalement, si ce régime a connu, dans certains pays, un prestige certain
(Section 1), il fait l’objet d’une répudiation récurrente (Section 2)

SECTION I : LE PRESTIGE DU PARLEMENTARISME

Quelle que soit la période, l’instauration du parlementarisme semble obéir systématiquement à une
logique de modernisation politique et de développement démocratique. Ainsi, il apparaît à la fois
comme un cadre d’apprentissage politique et un procédé de décolonisation (§ 1) et comme une
technique de libéralisation politique (§ 2).

§ 1 : un cadre d’apprentissage politique et un procédé de décolonisation

Le régime parlementaire, tel qu’il s’est implanté en Afrique noire francophone au lendemain de la
seconde guerre mondiale, s’est présenté non seulement comme une école de formation politique pour
les « Africains » mais également, dans une logique d’affranchissement du joug colonial, comme un
procédé de décolonisation.

A- Un cadre d’apprentissage politique

La Conférence de Brazzaville de 1944 constitue, pour les colonies françaises d’Afrique noire, la
première étape de l’émancipation politique. Sur le plan juridique, celle-ci a été formalisée par la
Constitution du 28 octobre 1946 dite de la 4e République. L’article 48 de ce texte dispose que « les
territoires d’outre-mer élisent, dans des conditions fixées par les lois électorales, les députés à
l’Assemblée nationale ». Cette disposition constitutionnelle reconnaît donc la participation des «
Africains » au Parlement de l’Union et plus largement à la vie politique française. Une telle expérience
a été renouvelée sur le plan local avec la création par le législateur colonial des Assemblées
représentatives ou législatives.
34

1/-La participation des « Africains » aux institutions et à la vie politiques françaises

Selon les recommandations de la Conférence de Brazzaville, les colonisés devaient participer aux
délibérations du Palais de Bourbon. Le mode de représentation des colonies au sein de l’Assemblée
constituante chargée d’élaborer la Constitution de la IVe République a été fixé par l’ordonnance du 22
août 1945. Les Assemblées constituantes formées après la Libération de la France accueillent ainsi de
nombreux députés noirs parmi lesquels les sénégalais Lamine Gueye et Sedar Senghor. Ces
parlementaires ont pris une part active dans l’élaboration de la Constitution de 1946 en défendant
notamment la place de l’Afrique dans le cadre du nouveau régime parlementaire. Les retombées de cette
lutte sont considérables : la reconnaissance de la libre administration des pays d’outre-mer par le
Préambule de la Constitution et surtout l’attribution, par l’article 80 de cette Constitution, de la
citoyenneté française à tous les ressortissants de ces pays.

Le texte constitutionnel de 1946 renforce, en général, la participation des Africains dans les différentes
institutions parlementaires. A l’Assemblée nationale, ils sont une vingtaine contre une trentaine aussi
bien au Conseil de la République (Sénat) qu’à l’Assemblée de l’Union française.

Cette participation des Africains aux institutions parlementaires de la métropole n’a pas été fortuite.
Elle a permis aux élus africains de s’initier aux méandres de la modernité politique. Plus précisément,
le régime de la 4e République leur a offert un cadre d’apprentissage du fonctionnement de la démocratie
parlementaire aux côtés de leurs collègues de la métropole plus aguerris. Ils ont participé ainsi aux
activités et fonctions parlementaires : initiative et vote des lois, contrôle de l’action gouvernementale.
Ce dernier pouvoir a été particulièrement mis en œuvre puisque la durée moyenne des gouvernements
est de six mois sous la 4e République. Les députés africains ont également expérimenté un autre vestige
du parlementarisme : le droit de dissolution mis en œuvre par le pouvoir exécutif le 2 décembre 1955.

Le régime parlementaire de la IVe République a également permis aux Africains de participer à la vie
politique locale dans un cadre précis : les Assemblées représentatives (territoriales ou législatives).

2/-L’expérience des Assemblées représentatives

Conformément aux recommandations de la Conférence de Brazzaville, le constituant de 1946 (article


46) a doté chaque colonie d’une Assemblée représentative composée en partie d’Africains autochtones,
en partie d’Européens élus au suffrage restreint. Elle devient par la loi n°52-130 du 16 février 1952,
Assemblée territoriale. Mais, cette institution n’a que des attributions administratives. Plus
concrètement, elle n’a qu’une « compétence de discussion », ou une compétence consultative et le
pouvoir d’émettre des vœux. Toutefois, si l’on ne peut douter de cette compétence restrictive, il convient
de souligner avec Guy Rossatanga-Rignault qu’« avoir le droit de discuter et d’émettre des vœux sur la
gestion de ses propres affaires est loin d’être négligeable pour des gens qui n’avaient même pas ce droit
de discussion » . Elle permet donc aux Africains de participer à la décision politique au niveau local.
Cette participation a été renforcée par la loi-cadre dite Gaston Defferre du 23 juin 1956. Celle-ci a créé
de véritables Assemblées délibératives pluralistes, élues au suffrage universel, dotées de pouvoirs
considérables et des Conseils de gouvernement dans chaque territoire. Ce dispositif a conféré aux
colonies une véritable autonomie et y a introduit les techniques du parlementarisme parmi lesquelles la
responsabilité ministérielle. Si celle-ci n’est pas textuellement posée, elle est en fait sous-jacente dans
les dispositions légales puisque le gouvernement est soumis à « toutes questions » et aux « demandes
d’explication » de l’Assemblée et qu’il peut démissionner s’il estime ne plus avoir sa confiance.

Dans les territoires sous tutelle, les mécanismes parlementaires sont également consacrés par un
dispositif important. Il en est ainsi, au Togo, de la loi n°55-426 du 16 avril 1955 élargissant les
attributions de l’Assemblée territoriale et créant un Conseil de gouvernement. Plusieurs décrets portant
35

statut du Togo sont également pris et se suivent à un rythme annuel. Le premier est promulgué le 24
août 1956 (décret n°56-847) ; le second le 22 mars 1957, le troisième le 22 février 1958 (décret n°58-
187) et le dernier le 30 décembre 1958 (ordonnance n°58-1376). Au Cameroun, c’est le décret n°57-
501 du 16 avril 1957 qui confère à ce pays le statut de République autonome et consacre, en ses articles
20 et 29, la responsabilité politique du gouvernement mise en jeu par les mécanismes de la question de
confiance et de la motion de censure. Mais il n’organise pas la mise en œuvre de ces procédures. Ce 32
mécanisme parlementaire n’est pas resté théorique. Au Cameroun par exemple, trois motions de censure
ont été déposées sur le bureau de l’Assemblée territoriale contre le Premier ministre André-Marie
Mbida, notamment par les députés non-inscrits, le groupe de l’Action nationale. Adoptées par
l’Assemblée en février 1958, le gouvernement de M. Mbida a été mis en minorité et remplacé par celui
d’Ahmadou Ahidjo. De même au Tchad, le gouvernement d’Ahmed Koulamallah a été renversé le 26
mars 1959 par l’Assemblée territoriale. Il a été remplacé par François Tombalbaye au poste de Président
du gouvernement provisoire investi par 42 voix sur 52 votants.

L’instauration du régime parlementaire obéit également à une logique de décolonisation.

B- Le régime parlementaire : un procédé de décolonisation

Véritable école de formation politique pour les leaders africains, le parlementarisme est apparu aussi
comme une formule de décolonisation consacrée à la fois par le premier cycle constitutionnel amorcé à
la fin de la colonisation avec la mise en place des institutions parlementaires, mais également par les
premières Constitutions post-indépendance.

1/-La consécration des principes et techniques parlementaires par les premières Constitutions
africaines

Marqués par l’esprit et les techniques du parlementarisme, les premiers ingénieurs constitutionnels
africains, encouragés en cela par la puissance colonisatrice, ont calqué leurs institutions sur le modèle
parlementaire français.

Si la Constitution guinéenne du 10 novembre 1958 est la seule à s’être inspirée du texte français de
1946 en raison de la rupture des relations entre les deux pays en 1958, les Constitutions des Etats
membres de la Communauté ont subi, en revanche, l’influence de la Constitution du 4 octobre 1958. Il
s’agit notamment des Constitutions de la Fédération Mali-Sénégal-Soudan (17 janvier 1959) ; du
Sénégal (20 janvier 1959) ; du Mali (23 janvier 1959) ; du Dahomey (15 janvier 1959) ; de Haute-Volta
(28 février 1959) ; du Niger (12 mars 1959) ; de la République Centrafricaine (16 février 1959) ; du
Congo (20 janvier 1959) ; du Gabon (19 février 1959) ; du Tchad (31 mars 1959), etc.

Hormis la structure monocéphale de l’exécutif imposée par la Constitution mère, les textes
constitutionnels africains ont repris les principes du parlementarisme rationalisé institué en France : la
limitation du domaine de la loi ; extension du pouvoir réglementaire ; en cas de conflit d’interprétation,
la juridiction constitutionnelle (Comité juridique au Niger et en Côte d’Ivoire, tribunal d’Etat au
Dahomey ou Cour constitutionnelle au Tchad) est appelée à interpréter la Constitution. D’autres
dispositions ont été reprises notamment celles conférant au gouvernement, outre la possibilité des
délégations législatives, des prérogatives importantes dans le déroulement du processus législatif.
L’ensemble de ces dispositions visent naturellement le renforcement de la puissance de l’exécutif par
rapport au Parlement rompant ainsi l’équilibre propre au régime parlementaire classique.

Forgés dans le moule du gouvernement de cabinet, les premiers constituants « africains » ont également
institué l’une des pièces maîtresses du régime parlementaire : la responsabilité du gouvernement devant
36

l’Assemblée. Mais, dans un souci de stabilisation de l’exécutif, conformément à la lettre et à l’esprit de


la Constitution mère originelle, ils en ont rationalisé les procédures. Ainsi, les votes de la confiance et
la motion de censure ont été enfermés dans des conditions très strictes de délai et de majorité. Ces
mécanismes sont contrebalancés par l’attribution du droit de dissolution à l’exécutif dont la mise en
œuvre peut être parfois automatique.

Outre les « Constitutions filiales » du texte français, d’autres Lois fondamentales africaines sont allées
plus loin dans la voie de la rationalisation. C’est le cas des textes malien, tchadien et centrafricain qui
ont emprunté à la Constitution allemande de 1949 la procédure de la motion de censure constructive.
Le chef du gouvernement peut engager la responsabilité ministérielle sur une déclaration de politique
générale. De même, les députés peuvent déposer des motions de censure contre le gouvernement.

Toutefois, et c’est l’aspect original et constructif, « toute motion de censure doit énoncer les principes
d’un programme de gouvernement et indiquer le nom de la personnalité dont l’investiture est proposée
».

Une deuxième dérogation au modèle parlementaire français est le monocaméralisme. Le choix de ce


système monocaméral se justifie pour, d’une part, des raisons économiques. Une seconde Chambre s’est
avérée inutile pour des pays pauvres. D’autre part, la création d’une Chambre haute présente le risque
d’attiser les divisions ethniques, régionales, déjà existantes alors que la construction des nouveaux Etats
nécessite une convergence d’orientation entre les différentes institutions politiques. Ces deux raisons
ont justifié également le rejet du bicamérisme dans les premières Constitutions africaines
postindépendance qui confirment néanmoins le modèle parlementaire français.

2/-La confirmation des techniques parlementaires par les premières Constitutions post-coloniales

L’accession des pays africains à l’indépendance en 1960 n’a pas entraîné une rupture, sur le plan
institutionnel, avec le modèle de l’ancienne métropole. En effet, les premiers constituants africains post-
coloniaux ont été influencés par les processus de « path dependence », de « dépendance du sentier »
empruntés dès la colonisation. Ainsi en 1960 le système monocaméral et le monocéphalisme de
l’exécutif incarné par le Premier ministre sont maintenus dans la plupart des pays d’Afrique noire
francophone. Cependant, sur ce dernier point, d’autres pays (Gabon et Sénégal), conformément à la
théorie du parlementarisme classique, inaugurent le dualisme de l’exécutif avec un Président de la
République, Chef de l’Etat et un chef du gouvernement, Président du Conseil qui contresigne plusieurs
actes présidentiels. Le principe se généralise dès les premières années des indépendances, y compris
dans les ex-colonies belges qui ont « reçu », le 19 mai 1960, des mains du Roi Baudouin, une Loi
fondamentale qui est le décalque des institutions parlementaires du royaume.

Globalement, pendant cette période, les structures et techniques classiques du parlementarisme


bénéficient toujours d’un grand prestige auprès des élites politiques africaines largement encore
imprégnées de la tradition politique de l’ancienne puissance coloniale.

Si le Chef de l’Etat dispose, en général, de pouvoirs importants dont le pouvoir de dissolution et que le
Premier ministre dirige l’action gouvernementale, le Président de la République, sauf en Guinée,
conformément à la logique du parlementarisme français de 1958, est élu par un collège composé de
députés et d’élus locaux et le gouvernement est responsable devant l’Assemblée. La censure du cabinet
entraîne la démission obligatoire du gouvernement et l’arbitrage du Chef de l’Etat par voie de
remaniement ministériel ou la dissolution de l’Assemblée nationale.

D’autres techniques du parlementarisme rationalisé ont été maintenues parmi lesquelles la délimitation
du domaine de la loi et du règlement, la délégation législative au profit du gouvernement, etc. Jusqu’au
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lendemain des indépendances, le principe d’établissement du régime parlementaire en Afrique noire n’a
pas pu être contesté dès lors que les premiers constituants africains, formés à l’école de la tradition
juridico-politique française, n’en contestaient pas le principe. Aussi, malgré les variantes entre les
différentes Constitutions, toutes ont prévu les mécanismes parlementaires notamment la responsabilité
ministérielle et le droit de dissolution dans un cadre pluraliste. Mais l’histoire constitutionnelle et
politique africaine marquée par la dictature présidentielle a montré que le parlementarisme négro
africain est aussi une technique de libéralisation politique.

§ 2 : Une technique de libéralisation politique

La vie constitutionnelle et politique des Etats d’Afrique noire francophone a été marquée par le
despotisme des dirigeants civils et militaires. L’introduction du parlementarisme est apparue non
seulement comme une technique de démilitarisation et de déconcentration politique, mais encore
comme un procédé de disqualification du présidentialisme.

A- Une technique de démilitarisation et de déconcentration politique

La réintroduction des techniques parlementaires en Afrique noire francophone dans les années soixante-
dix obéit à une double logique de démilitarisation des régimes prétoriens et de déconcentration politique
de la présidence de la République.

1/-La démilitarisation

L’irruption des militaires dans la vie politique africaine a été le lot quasi annuel des Etats africains post-
coloniaux à tel point que, dans les années soixante-dix par exemple, la plupart des régimes en place sont
des régimes prétoriens. Ces derniers sont notamment caractérisés par un despotisme absolu, parfois sans
égal par rapport aux régimes civils. Pour tenter de sortir du militarisme, certains constituants africains
ont instauré le parlementarisme. Cette expérience de démilitarisation correspond à « une tentative de
partage du pouvoir entre les cadres de l’armée et les élus du peuple, une combinaison des légitimités
militaires et démocratiques ». C’est le cas du régime parlementaire instauré par la Constitution voltaïque
du 14 juin 1970. Celle-ci a mis fin au régime militaire qui a renversé le Président Yaméogo en 1966, en
rétablissant un parlementarisme libéral et multipartite mais rationalisé. Elle consacre dans son
préambule les principes et libertés dignes d’un Etat démocratique. D’autres dispositions prévoient des
mécanismes parlementaires : la responsabilité ministérielle qui s’inspire largement du dispositif français
initial de 1958 (article 49) : signature d’une motion de censure par le tiers des membres de l’Assemblée
; vote de la motion de censure à la majorité des trois tiers au scrutin public ; irrecevabilité avant le délai
d’une année de toute autre motion de censure signée des initiateurs de la majorité rejetée ; exigence de
la majorité absolue pour refuser la confiance au gouvernement ; délai de quarante-huit heures pour
procéder au vote sur la question de confiance , etc.

Un autre exemple de démilitarisation est donné par la Charte fondamentale du Tchad adoptée le 29 août
1978 dans une optique de réconciliation nationale. Cette Charte instaure une sorte de régime
parlementaire dualiste de fait avec un Chef de l’Etat, le général Malloum qui a renversé le régime
Tombalbaye en 1975, disposant de pouvoirs importants et un Premier ministre, Hissein Habré,
responsable des Forces Armées du Nord (FAN), qui dirige et conduit l’action du gouvernement (article
20) et contresigne plusieurs actes présidentiels (article 8). La conséquence logique de ce bicéphalisme
est la consécration de la responsabilité du gouvernement devant le Comité de défense et de sécurité qui
fait office de Parlement, sur une déclaration de politique générale ou sur l’adoption d’un texte (article
23). Mais la Charte ne prévoit pas la possibilité de dissolution du Comité de défense et de sécurité.
38

Ces régimes parlementaires sont généralement des régimes mixtes dans lesquels l’armée, tout en
acceptant la pondération de son pouvoir, joue le rôle de tuteur. Elle exerce de façon ouverte et décisive
la fonction de surveillance du jeu politique. Le parlementarisme est ainsi non seulement un mécanisme
de démilitarisation (partielle) mais également une technique de partage du pouvoir ou plus précisément
de déconcentration politique.

2/-La déconcentration politique

L’évolution constitutionnelle et politique des Etats africains a montré que le parlementarisme peut
également jouer le rôle de pondération du monocentrisme présidentiel. En effet, au lendemain des
indépendances, les Etats africains sont, pour la plupart, caractérisés par une confusion et une
personnalisation du pouvoir par le Chef de l’Etat renforcées par le système monolithique. Il est à la fois
Président de la République, chef du gouvernement, dirige plusieurs ministères, et président fondateur
du parti unique. Pour tenter de tempérer cette excessive concentration des pouvoirs, les constituants
africains ont utilisé la voie du parlementarisme dualiste avec la création du poste de Premier ministre.
Celui-ci seconde le Président de la République dans l’exercice du pouvoir exécutif. Si ce principe est
posé dès le départ au Sénégal en 1960, le dualisme se généralise dans les années soixante-dix : Sénégal
1970, Centrafrique et Guinée en 1972, Cameroun et Gabon en 1975.

Si la situation des Premiers ministres est loin d’être identique, en suivant la typologie établie par
Guillaume Pambou Tchivounda, il convient de noter qu’au départ, ce regain d’intérêt pour le régime 35
parlementaire dualiste a pour objectif l’efficacité administrative. Il s’agit plus précisément de
décongestionner la présidence de la République et non d’instaurer une véritable dyarchie de l’exécutif.
Le parlementarisme contribue ainsi à désengorger la présidence de la République mais aussi à préparer
la relève présidentielle (Cameroun). Au début des années quatre-vingt-dix, il est apparu aussi comme
une technique de disqualification du présidentialisme autoritaire.

B- Une technique de disqualification du gouvernement présidentialiste

Depuis le processus de démocratisation en Afrique noire francophone au début des années 90, le
parlementarisme dualiste est apparu comme une technique de disqualification ou de « la prophylaxie
des pathologies » du régime présidentialiste autoritaire. En effet, la réhabilitation des techniques
parlementaires, comme une condition fondamentale à l’établissement de la démocratie pluraliste, a été
l’un des thèmes majeurs des Conférences nationales et consacrées par les textes transitoires. Ces
techniques parlementaires ont été renforcées par les Constitutions pluralistes originelles et la pratique
parlementaire.

1/-La réhabilitation du parlementarisme par les Conférences nationales et les textes transitoires

Le vent de la démocratie qui a soufflé dans les pays de l’Est à la fin des années quatre-vingts a fini par
atteindre les Etats africains au début des années 90 balayant sur son passage les régimes présidentialistes
autoritaires. Le nouveau régime démocratique mis en place a revêtu, presque partout, les habits du
parlementarisme. Les principes et les procédures de ce régime ont été mis en valeur dans les débats et
actes des Conférences nationales et dans les textes transitoires.

Les Conférences nationales ont été organisées en Afrique noire au début des années quatre-vingt -dix à
un rythme accéléré : Bénin (février 1990) ; Gabon (mars-avril 1990) ; Congo (février-juin 1991) ; Niger
(juillet-novembre 1991) ; Mali (juillet-août 1991) ; Togo (juillet août 1991) ; Zaïre (décembre 1991-
décembre 1992) ; Tchad (janvier-avril 1993).

Ces différentes instances empruntent plusieurs mécanismes parlementaires. Au sein de la Conférence


nationale, l’Assemblée plénière (Togo) ou le Haut Conseil de la République (Bénin) ou encore le
39

Conseil supérieur de la République (Congo), institution prééminente voire souveraine, fait office de
Parlement puisqu’elle exerce la fonction législative, contrôle l’exécutif, étudie les amendements de
l’avant-projet de Constitution et l’approuve. Un membre de cet organe quasi suprême (Bénin) ou le
Président de la Conférence nationale (Togo) peut, en cas de vacance de pouvoir, assurer l’intérim du
Président de la République ou du Premier ministre (Bénin). Pour mieux exercer leurs fonctions en toute
indépendance, les participants à la Conférence nationale jouissent partout de l’immunité parlementaire.
En outre, comme dans un véritable parlementarisme absolu, les décisions de la conférence nationale
souveraine sont impératives et exécutoires erga omnes.

Qu’elles soient souveraines ou non, les Conférences nationales ont procédé non seulement à la
désacralisation du Chef de l’Etat mais encore à la transformation de l’institution présidentielle en une
simple magistrature d’influence. La conséquence logique de ces marques du parlementarisme classique
est la promotion du Premier ministre élu par la Conférence nationale ou imposé au Chef de l’Etat par
les conférenciers et doté de pouvoirs considérables. Ce poste a été confié à Nicéphore Soglo au Bénin,
Joseph Kokou Koffigoh au Togo, Fidèle Mongar au Tchad, André Milongo au Congo, Casimir Oyé Mba
au Gabon etc. En tant que chef du gouvernement et principal titulaire du pouvoir exécutif, le Premier
ministre a pour missions, entre autres, la réduction du train de vie de l’Etat, l’augmentation des recettes
budgétaires, la réforme de la fonction publique, la relance de l’activité économique, l’assainissement
des finances publiques, etc. La Conférence nationale pose ainsi les « fondements d’une sorte de
cohabitation à l’africaine au sein de l’exécutif ». Cette structure bicéphale de l’exécutif, trait essentiel
du parlementarisme dualiste, apparaît comme l’une des conditions sine qua non à l’instauration d’un
véritable régime démocratique en Afrique noire francophone.

Les différents textes transitoires (révisions des Constitutions en vigueur au Gabon en 1990, au
Cameroun en 1991 ou résolutions des Conférences nationales, Charte de transition au Tchad, etc.)
formalisent largement le rôle du Premier, consacrent la responsabilité gouvernementale devant 36
l’Assemblée nationale (Gabon, Cameroun) ou devant les instances législatives des Conférences
nationales.

Les institutions de la transition, en tant qu’un pont devant conduire au régime démocratique, sont, dans
l’ensemble, calquées sur le modèle du parlementarisme, tantôt moniste (Bénin, Togo), tantôt dualiste
(dans la plupart des cas).

Les institutions des Conférences nationales et de la transition ayant été largement inspirées par le
modèle parlementaire, les principes et mécanismes propres à ce mode d’organisation et de
fonctionnement des pouvoirs ont été naturellement renforcés par les textes constitutionnels définitifs et
par la pratique parlementaire.

2/-Le renforcement des techniques parlementaires par les Constitutions définitives et par la pratique
parlementaire

Les textes constitutionnels qui ont suivi l’organisation des Conférences nationales ou d’autres formes
d’ouverture politique ont tous procédé à la formalisation, du moins partielle dans certains pays, des
acquis de ces réunions en consacrant les mécanismes du régime parlementaire. C’est ainsi que, dans la
plupart des cas, le principe du bicéphalisme a été consacré et renforcé.

Si dans l’ensemble, le Président de la République demeure le Chef de l’Etat, bénéficie d’une primauté
sur les institutions constitutionnelles et dispose, à ce titre, de prérogatives importantes dont le droit de
dissolution de l’Assemblée nationale, il doit désormais partager le pouvoir exécutif avec un Premier
ministre chef du gouvernement. Les formules varient quant à l’action de ce dernier : « il fixe les grandes
orientations de la politique de l’Etat » (Burkina Faso, Centrafrique) ; « il définit la politique de la nation
40

» (Cameroun). Mais le texte camerounais est équilibré par l’article 11-1° : « le gouvernement est chargé
de la mise en œuvre de la politique de la nation telle que définie par le Président de la République ».

La Constitution gabonaise initiale de 1991, instaure, elle, « un régime parlementaire sans souveraineté
présidentielle ». C’est dans ce sens que son article 28 al. 1er dispose que « le gouvernement conduit la
politique de la nation, sous l’autorité du Président de la République et en concertation avec lui ».
D’autres textes constitutionnels plus favorables au gouvernement reprennent l’article 20 de la
Constitution française de 1958 : « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ».

Quant au texte tchadien de 1996, il confie au gouvernement l’exécution de « la politique de la nation


déterminée en Conseil des ministres » (article 93 al. 2).

Dans la plupart des Lois fondamentales, ce sont les techniques du parlementarisme orléaniste et
rationalisé qui sont consacrées dans les rapports institutionnels. Il convient de noter qu’au départ, si en
Europe occidentale, la rationalisation du Parlement est synonyme de limitation ou de faiblesse du
Parlement et de remise en cause de sa souveraineté, en Afrique noire et depuis le processus de
démocratisation, elle semble plutôt viser, du moins formellement et au départ, le renforcement et la
valorisation du Parlement en face d’un exécutif hégémonique. « Rationaliser le Parlement, écrit Félix
François Lissouck, signifie (…) le sortir de sa léthargie, de sa fonction de caisse enregistreuse pour le
renforcer et en faire une institution sinon forte pouvant exercer un contrepoids à la toute-puissance du
Président de la République, du moins qui corresponde à l’esprit d’un équilibre des pouvoirs » . Ainsi,
toutes les Constitutions reprennent le principe de la responsabilité gouvernementale à la fois devant le
Chef de l’Etat et devant l’Assemblée nationale. Cette dernière est largement formalisée dans un cadre
rationalisé. Elle est mise en œuvre selon deux procédures : la motion de censure et la question de
confiance.

S’agissant de la première, la majorité qualifiée varie en fonction des pays : un dixième des députés pour
le dépôt de la motion (Congo, Sénégal, Tchad) ; la majorité absolue au Gabon ; l’interdiction de déposer
une autre au cours de la même session.

La question de confiance est posée par le gouvernement lors de son investiture. Mais, il peut recourir
aussi à cette procédure en fonction des opportunités de sa stratégie : Burkina (article 116 al. 1er 37 et
4) ; Cameroun (article 34-2°) ; Congo (article 122 al. 1er) ; Gabon (article 63) ; Tchad (article 142 al.
1er) et Togo (article 97).

Par ailleurs, les textes constitutionnels ont procédé à la revalorisation du Parlement par l’instauration
du bicaméralisme. En général, mimétisme oblige, il s’agit d’un bicamérisme inégalitaire à la française.
Mais les justifications sont diverses par rapport aux fonctions des secondes Chambres : rôle consultatif
au Burkina Faso (article 80 de la Constitution) ; participation à l’exercice du pouvoir législatif au Niger
(articles 75-76 de la Constitution).

Dans l’ensemble, ce bicaméralisme semble obéir à une logique de perfectionnement du travail


parlementaire. Il vise plus précisément à améliorer la production législative et à assurer l’efficacité du
pouvoir de contrôle.

Le parlementarisme est également dynamisé par le phénomène actuel de la diplomatie parlementaire


qui constitue, dans une certaine mesure, une amputation de la politique extérieure, longtemps considérée
comme le domaine réservé du Chef de l’Etat. Cette « extraordinaire inventivité institutionnelle », selon
de mot de Jean-Louis Debré, participe de la logique d’émasculation du présidentialisme autoritaire.
Toutefois, ces périodes de « faste parlementarisme » ont toujours été réduites, transitoires et éphémères
en raison de la répudiation permanente du parlementarisme en Afrique.
41

SECTION II : LA REPUDIATION DU PARLEMENTARISME

Le parlementarisme, bonne technique de gouvernement transitoire, encouragé parfois par l’ancienne


puissance colonisatrice ou par la communauté internationale, n’a jamais pu constituer un régime
constant, stable en Afrique noire francophone. A chaque fois, il a été paralysé, déformé. Plusieurs
facteurs, regroupés en deux catégories, sont à l’origine de ce rejet : d’une part, les facteurs humains dus
à l’incompétence des leaders, à leurs rivalités et aux interventions des puissances extérieures ; et, d’autre
part, les facteurs politiques et socio-économiques, c’est-à-dire l’inadaptation des institutions importées
aux réalités africaines.

Si ces différents éléments participent de la logique de domestication du parlementarisme, ils ne semblent


pas englober le phénomène de l’antiparlementarisme dans les pays africains francophones. Deux
facteurs permettent de l’expliquer : la présidentialisation des systèmes politiques africains et l’irruption
des régimes d’exception.

§ 1 : La présidentialisation des systèmes politiques africains

Le parlementarisme demeure un régime éphémère en Afrique noire francophone. Dans de nombreux


pays, il s’est altéré à la suite de nouvelles Constitutions ou de révisions constitutionnelles lorsque les
leaders politiques africains ont voulu promouvoir des exécutifs efficaces ou plutôt des présidences
impériales, mieux adaptées aux objectifs de construction de l’unité nationale et de développement. Le
parlementarisme s’est effondré également, notamment depuis la restauration de la démocratie, par le
souci constant des dirigeants en place de préserver leur hégémonie ou de récupérer les prérogatives
perdues pendant les Conférences nationales.

La disqualification du régime parlementaire ou la promotion de la présidentialisation des systèmes


politiques s’est opérée en deux temps : la substitution des régimes présidentiels au régime parlementaire
et la consécration du régime présidentialiste partisan.

A- La substitution des régimes présidentiels au régime parlementaire

Les régimes parlementaires ou semi-parlementaires, définitifs ou transitoires africains se sont effondrés


sous l’effet de la (re) présidentialisation des systèmes politiques et notamment par la substitution du
régime présidentiel au parlementarisme. Cela peut être vérifié au lendemain des indépendances et
depuis le processus de démocratisation.

1/-Au lendemain des indépendances

En Afrique noire francophone, la Côte d’Ivoire et les pays de l’Entente (Dahomey, Haute-Volta et Niger)
sont considérés comme les pionniers en matière d’adoption des Constitutions d’inspiration nord-
américaine. La Constitution ivoirienne du 30 novembre 1960 est apparue comme le modèle standard
ou le prototype devant inspirer les Constitutions des autres Etats. L’ensemble des textes constitutionnels
abandonnent l’idée d’une responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale, principe
essentiel du parlementarisme, et consacrent, après la Guinée en 1958, l’élection du Président de la
République au suffrage universel doté de pouvoirs considérables. D’autres pays francophones se sont
engagés sur cette voie : c’est le cas des Constitutions centrafricaine (12 décembre 1960), gabonaise (21
février 1961), togolaise (9 avril 1961) et congolaise (2 mai 1961).

Parmi les pays africains francophones, seul le Sénégal demeure une République parlementaire
consacrée par la Constitution du 25 août 1960. Celle-ci institue un bicéphalisme de l’exécutif et
consacre la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée. Mais ce dualisme a abouti à une
véritable crise entre le Président Senghor et le Premier ministre Mamadou Dia portant un coup fatal au
42

régime parlementaire, lequel a été anéanti par la Constitution adoptée en 1963 d’inspiration nord-
américaine déformée.

Depuis le processus de démocratisation, les régimes présidentiels se sont également substitués aux
régimes parlementaires ou semi-parlementaires transitoires.

2/-Depuis le processus de démocratisation

La valorisation des techniques parlementaires lors des assises des Conférences nationales et pendant la
période de transition n’a été que de courte durée puisque les Constitutions définitives n’ont pas
systématiquement été favorables au régime parlementaire. C’est le cas notamment des Constitutions
béninoise du 11 décembre 1990, guinéenne du 23 décembre 1990 et congolaise du 20 janvier 2002.
Celles-ci instituent de véritables régimes présidentiels qui ont anéanti les mécanismes parlementaires
et plus précisément la responsabilité gouvernementale.

B- La neutralisation du régime parlementaire par le présidentialisme partisan

Le présidentialisme est souvent défini comme un régime favorisant l’hégémonie du Chef de l’Etat sur
toutes les institutions constitutionnelles et ici, sur les institutions parlementaires. Il consiste en une
combinaison de plusieurs facteurs de disqualification du parlementarisme. L’histoire constitutionnelle
et politique africaine présente deux types de présidentialisme : la synthèse des techniques du parti
unique et des techniques de suprématie présidentielle, c’est le présidentialisme monolithique, et la
combinaison des procédés de dénaturation du multipartisme et des mécanismes de prépondérance du
Chef de l’Etat, c’est le présidentialisme multipartisan. Dans un cas comme dans l’autre, les techniques
parlementaires, en l’occurrence la responsabilité gouvernementale devant l’Assemblée nationale sont
complètement neutralisées, verrouillées.

1/-Sous le monopartisme

Sous le parti unique, les textes constitutionnels ont eu pour effet le rejet des traditions parlementaires
héritées de la colonisation et ont instauré des régimes fondés sur l’unité, la concentration et la confusion
du pouvoir. On a abouti ainsi à l’identification du parti, de l’Etat et du Président de la République
puisque ce dernier est à la fois Chef de l’Etat, chef du gouvernement, président fondateur du parti unique
et père de la nation. L’adhésion officielle du Congo en 1969 et du Bénin en 1977 au marxisme
scientifique, la doctrine de l’authenticité au Zaïre, exportée ensuite au Togo et au Tchad dans les années
soixante-dix, ont fourni les justifications idéologiques de ces innovations constitutionnelles. Dans ces
différents cas, l’on a assisté à la constitutionnalisation d’un présidentialisme monolithique musclé
caractérisé par la sacralisation du pouvoir et de son titulaire et par la concentration excessive des
pouvoirs malgré quelques éléments de collégialité dans le cadre du parti unique. Dans ces conditions,
le Parlement ne peut apparaître que comme un organe administratif, ou « un grand conseil de
département sans prétentions oratoires, sans prétentions politiques, qui ne s’occupât pas le moins du
monde de faire 39 ou de défaire les ministres », et ce, d’autant plus qu’une partie de ses membres est
désignée par le Chef de l’Etat. C’est, en définitive, ce dernier qui exerce le pouvoir législatif notamment
par le biais des « ordonnances-lois » devenues le droit commun. On peut donc dire avec Maurice Kamto
que « le Parlement n’est pas une institution indispensable à l’accomplissement de l’œuvre législative »
et encore moins en matière de contrôle de l’action gouvernementale.

2/-Sous le multipartisme

Depuis 1990, les nouvelles Constitutions africaines prévoient des techniques parlementaires,
notamment le dualisme de l’exécutif, la responsabilité ministérielle, le rôle de l’opposition
parlementaire au sein de l’Assemblée. Toutefois, en pratique, ces mécanismes parlementaires sont
43

largement paralysés et noyautés. Par exemple, la création du poste de Premier ministre correspond en
réalité à un « mode de déconcentration du pouvoir dans lequel le Chef de l’Etat abandonne à celui qu’il
a placé à la tête du gouvernement les mesures de direction quotidienne de l’administration du pays et
éventuellement les décisions impopulaires ». En d’autres termes, le chef du gouvernement ne joue que
le rôle de « fusible » ou de « bouc émissaire » du Président de la République.

De plus, les cohabitations togolaise et nigérienne entre le Président de la République et le Premier


ministre ont montré la fragilité des principes du parlementarisme dualiste et l’instransposabilité
textuelle du modèle parlementaire français dans des régimes favorables à l’unification et à la
centralisation du pouvoir.

S’agissant de l’institution parlementaire formellement revalorisée par le néo-cconstitutionnalisme


africain, elle reste, dans l’ensemble, dans une position subalterne phagocytée par la persistance du
régime présidentialiste. L’irruption des régimes d’exception participe de la même logique.

§ 2 : L’irruption des régimes d’exception

Les régimes d’exception ne doivent pas être entendus ici au sens de régimes dérogatoires au droit
commun comme les régimes de police ou l’usage de l’équivalent français de l’article 16 de la
Constitution de 1958. On entend par régimes d’exception, ceux qui remettent en cause l’ordre juridique
et politique existant en instituant un régime de fait, ou qui suspendent, sans bouleverser le dispositif
constitutionnel existant, certaines dispositions de la Loi fondamentale, notamment celles relatives aux
techniques du parlementarisme.

Les premiers correspondent aux régimes militaires et les seconds aux régimes transitoires inédits et
temporaires. Mais, dans un cas comme dans l’autre, les mécanismes parlementaires sont soit
complètement anéantis, soit leur mise en œuvre est suspendue.

A- Les régimes militaires

Depuis les indépendances, les Etats africains francophones ont été le théâtre de nombreux coups d’Etat
militaires. Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ces putschs : les facteurs institutionnels, c’est-à-
dire la prise du pouvoir par l’armée pour son propre compte ; et les facteurs socio-politiques ou la
détérioration du système socio-politique. Toutefois, quelles que soient les justifications données aux
coups d’Etat, ceux-ci constituent une entorse à l’établissement et au développement du parlementarisme
en Afrique. Ces régimes militaires ont émergé sous le parti unique et n’ont pas totalement disparu avec
le processus de démocratisation.

1/-Les régimes militaires sous le monopartisme

Sous le parti unique, l’activisme prétorien a été très important. Inaugurés en 1963 au Togo, les coups
d’Etat se sont généralisés en Afrique noire francophone et sont devenus le mode de dévolution du
pouvoir par excellence.

Les régimes instaurés par les militaires présentent les mêmes traits : le rejet systématique du
parlementarisme notamment la suspension de l’Assemblée nationale. Ce principe a été appliqué dans
40 plusieurs pays. Au Niger par exemple, le Parlement a disparu du paysage institutionnel du 15 avril
1974, date du coup d’Etat, à la fin des années quatre-vingts. En République centrafricaine, l’Assemblée
nationale a été dissoute en 1966. Le changement de forme du gouvernement et la proclamation de
l’Empire dans les années soixante-dix n’ont apporté aucun changement au pouvoir législatif puisque le
droit parlementaire centrafricain est resté inexistant.
44

En Haute-Volta, la Constitution de 1960 a été suspendue et l’Assemblée nationale dissoute par le régime
militaire du général Lamizana le 8 février 1974. La Constitution tchadienne de 1962 et le Parlement ont
connu le même sort avec le renversement et l’assassinat du Président Tombalbaye en avril 1975 par le
général Malloum. Ainsi, le Tchad est resté sans Loi fondamentale et sans véritable Assemblée de 1975
à 1989. De même, le Togo, après le coup d’Etat perpétré par le lieutenant-colonel Eyadéma en 1967 et
la dissolution de l’institution parlementaire, a été régi par des ordonnances jusqu’en 1980.

Au Congo, l’assassinat du Président N’Gouabi en mars 1977 et la mise en place des nouvelles
institutions par l’acte fondamental du 5 avril 1977 ont conduit à la disparition pure et simple de
l’Assemblée nationale et des mécanismes parlementaires. Le remplacement du général Joachim
Yhomby-Opango par le colonel Denis Sassou Nguesso le 8 février 1979 n’a nullement pallié l’absence
flagrante des représentants du peuple congolais.

Les régimes militaires établis à la suite des coups d’Etat perpétrés depuis 1990 se caractérisent
également par l’antiparlementarisme.

2/-Les régimes militaires depuis le processus de démocratisation

Le parlementarisme négro africain a subi également de nombreuses tribulations de la part des régimes
militaires depuis la restauration de la démocratisation.

Au Tchad, la Constitution adoptée le 10 décembre 1989, après quinze ans de régime prétorien,
prévoyant un Parlement, une certaine concurrence aux élections législatives, a été suspendue et
l’Assemblée nationale dissoute par le putschiste Idriss Déby, le 3 décembre 1990. La Charte nationale
du Tchad instituée le 28 février 1991 à la suite du renversement du Président Habré n’a pas prévu un
Parlement.

Au Mali, la Constitution du 2 juin 1974 a été suspendue et le Parlement dissout à la suite du coup d’Etat
perpétré par le lieutenant-colonel Amadou Toumané Touré déposant le régime Moussa Traoré en mars
1991.

L’expérience a été renouvelée au Niger le 27 janvier 1996 à la suite du putsch d’Ibrahim Baré
Maïnassara contre le Président Ousmane favorisé par la cohabitation chaotique avec son Premier
ministre, Cissé Amadou. Le nouveau Président a suspendu la Loi fondamentale et le Parlement par une
proclamation n°4 du 29 janvier 1996. En mai 1996, le Président Baré Maïnassara a fait adopter, par la
voie du référendum, une nouvelle Constitution instaurant un régime présidentiel fort avant d’être
renversé à son tour par le général Daoudou Malam Wanké qui n’a pas dérogé aux premières décisions
habituelles des militaires : suspension du texte constitutionnel et dissolution des Assemblées
parlementaires.

Au Congo, la déposition du Président Lissouba en 1997 par le général Sassou Nguesso a entraîné la
disparition du régime semi-parlementaire instauré en 1992. Le même scénario s’est produit au
Centrafrique en août 2003 avec le renversement du régime Patassé au pouvoir depuis 1993 par le général
Bozizé et en 2013 par la déposition de ce dernier par Michel Djotodia à la tête de la coalition SELEKA.

Dans l’ensemble, les régimes prétoriens sont largement hostiles au parlementarisme. C’est aussi le cas,
mutatis mutandis, des régimes transitoires.

B- Les régimes transitoires

Il s’agit de régimes mis en place, pendant une période généralement courte, à la suite de situations de «
conjonctures critiques », ou plus concrètement après une élection violemment contestée du Président
de la République ou encore à la suite de l’éclatement d’une rébellion à l’intérieur du pays. La différence
45

avec les régimes militaires est fondamentale. Il ne s’agit pas, en principe, de régimes purement
autoritaires, mais de régimes imposés par les contingences politiques internes ou par la communauté
internationale dans une optique de réconciliation nationale. Contrairement au militarisme, ces régimes
ne suspendent que certaines dispositions constitutionnelles notamment celles relatives aux techniques
fondamentales du parlementarisme ou encore violent les principes démocratiques inhérents aux régimes
parlementaires. Plusieurs exemples permettent d’illustrer ces deux aspects.

Au lendemain de l’élection présidentielle pluraliste du 5 décembre 1993 remportée par le Chef de l’Etat
dans des conditions douteuses et contestée violemment par l’opposition, les acteurs politiques gabonais
se sont retrouvés à Paris pour tenter de trouver des solutions pacifiques à cette crise politique sans
précédent. Cette rencontre s’est soldée par la conclusion de ce que l’on a appelé les Accords de Paris,
signés en septembre 1994.

La mise en œuvre de ces Accords au Gabon a nécessité la révision de la Constitution du 26 mars 1991.
Celle-ci a été adoptée par référendum le 23 juillet 1995 et le texte révisé a été promulgué par la loi
n°1/95 du 29 septembre 1995.

Parmi les dispositions essentielles de ces Accords figurent celles relatives à la formation d’un
gouvernement d’union nationale dit gouvernement de la démocratie, devant intégrer les membres des
partis d’opposition. La durée de ce gouvernement, composé de 26 membres et constitué en octobre
1994, est fixée à 18 mois. Il est dirigé par Paulin Obame Nguéma.

La particularité de ce régime transitoire inédit est qu’il semble promouvoir le parlementarisme dualiste
en conférant au Premier ministre et au gouvernement des missions importantes et spécifiques : la
promotion et le renforcement de l’Etat de droit, la réforme de l’Etat, etc., le Chef de l’Etat étant relégué
à des fonctions presque honorifiques ou purement symboliques.

Le nouveau Premier ministre, une fois installé dans ses fonctions, ne déroge pas au principe
constitutionnel parlementaire de déclaration de politique générale inscrit à l’article 28a de la
Constitution de 1991. Cette politique déclarée est approuvée par les députés par 99 votes sur un total
de 118.

Toutefois, ce régime, a priori semi-parlementaire, n’en constitue pas moins une sérieuse entorse au
parlementarisme. En effet, selon les dispositions des Accords de Paris, le gouvernement pour la
démocratie, pendant la période de 18 mois qui sépare la signature des Accords du renouvellement de
l’Assemblée dont le mandat a été par ailleurs prorogé de six mois, ne peut être ni renversé ni démis,
après le vote de confiance par l’Assemblée nationale. De plus, la structure de ce gouvernement est
intangible et l’Assemblée nationale ne peut être dissoute.

Ces différentes interdictions constituent des infractions au parlementarisme. En d’autres termes,


l’irrévocabilité du gouvernement et l’indissolubilité de l’Assemblée nationale portent un coup fatal aux
principes fondamentaux de la démocratie parlementaire. L’irresponsabilité ministérielle de droit
dépouille ainsi le Parlement de tout contrôle sur l’action de l’exécutif. Certains mécanismes
parlementaires, et non les moindres, contenus dans la Constitution originelle de 1991, sont ainsi
suspendus par la volonté des acteurs politiques. Cette suspension témoigne non seulement de la
malléabilité et de l’instrumentalisation politique du texte constitutionnel par les acteurs politiques mais
aussi du sentiment antiparlementaire qui anime les dirigeants gabonais. C’est, sans doute, l’un des traits
communs avec les régimes transitoires congolais et ivoirien respectivement instaurés par la Constitution
de la transition du 4 avril 2003 issue de l’accord politique adopté à Sun City en Afrique du Sud le 1er
avril 2003 et des accords de Marcoussis de 2003 et des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.
46

En RDC, l’article 112 de cette Constitution prévoit plusieurs mécanismes de contrôle du Parlement sur
l’action gouvernementale, notamment les questions parlementaires, l’interpellation, les auditions en
commission et la création des commissions d’enquête. Toutefois, l’article 95 précise que l’Assemblée
nationale ne peut renverser le Gouvernement ni par le rejet d’une question de confiance, ni par
l’adoption d’une motion de censure. Par cette disposition, cette Constitution transitoire marque ainsi
son rejet pour les piliers du régime parlementaire.

En Côte d’Ivoire, le texte de Marcoussis a introduit une dose de parlementarisme puisqu’il a renforcé
considérablement les prérogatives du Premier ministre tout en consacrant l’effacement du Président de
la République et son maintien au pouvoir jusqu’en octobre 2005, date de l’élection présidentielle.

Comme au Gabon, le gouvernement ivoirien de réconciliation nationale ne peut être renversé pendant
la période de transition et l’Assemblée nationale être dissoute. Ces interdictions, par ailleurs 42
contradictoires puisque la Constitution ivoirienne de 2000 ne prévoit ni la responsabilité ministérielle
devant l’Assemblée nationale ni le droit de dissolution, participent de la logique de rejet du
parlementarisme.

Les principes de disqualification du régime parlementaire contenus dans l’accord de Marcoussis ont été
confirmés par la résolution 1633 du 21 octobre 2005 du Conseil de sécurité de l’ONU prise sur le
fondement du chapitre VII de la Charte.

Comme les autres textes transitoires, la Charte Constitutionnelle de Transition du 18 juillet 2013 en Ré
publique centrafricaine renferme des dispositions qui sont réfractaires au régime parlementaire. Ainsi,
si elle institue le contreseing en son article 30 al.2, elle prévoit néanmoins deux limitations importantes
des pouvoirs du CNT : l’impossibilité pour le CNT d’utiliser la motion de censure ou le vote de
confiance contre le gouvernement et le recours au vote bloqué pour l’adoption de quelques textes de
lois spécifiques. C’est dans ce sens que l’article 74 de ce texte dispose que : « toute question de
confiance, toute motion de défiance ou de censure est irrecevable pendant la durée de la transition ». La
Charte met ainsi entre parenthèse les vestiges du parlementarisme.

De même, la Charte de la Transition au Burkina Faso adoptée le 13 novembre 2014 est moins explicite
dans ses prescriptions En effet, elle consacre le principe de continuité et la stabilité des institutions de
la transition jusqu’à son terme : « Les institutions de la période de la transition fonctionnent jusqu’à
l’installation effective des nouvelles institutions » (article 21). En filigrane, il s’agit de l’impossibilité
de révocation du gouvernement par le bais des mécanismes de responsabilité politique inhérents au
régime parlementaire.
47

CHAPITRE II : LA GREFFE AVORTEE DU REGIME PRESIDENTIEL

L’importation du régime présidentiel en Afrique noire francophone a coïncidé avec la conception de


personnalisation du pouvoir. C’est sans doute pourquoi les tentatives de consécration de ce régime
(Section 1) ont été infructueuses mettant ainsi en exergue la difficile acclimatation du régime
présidentiel (Section 2).

SECTION I : LES TENTATIVES DE CONSECRATION DU REGIME PRESIDENTIEL

Les constituants africains ont tenté, sans succès, sous le parti unique (§ 1) et depuis le processus de
démocratisation (§ 2) d’expérimenter le régime présidentiel.

§ 1 : Sous le parti unique

En Afrique noire francophone, la Côte d’Ivoire et les pays de l’Entente (Dahomey, Haute-Volta et Niger)
sont considérés comme les pionniers en matière d’adoption des Constitutions d’inspiration nord-
américaine. La Constitution ivoirienne du 30 novembre 1960 est apparue comme le modèle standard
ou le prototype devant inspirer les Constitutions des autres Etats. L’ensemble des textes constitutionnels
abandonnent l’idée d’une responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale, principe
essentiel du parlementarisme, et consacrent, après la Guinée en 1958, l’élection du Président de la
République au suffrage universel doté de pouvoirs considérables. D’autres pays francophones se sont
engagés sur cette voie : c’est le cas des Constitutions centrafricaine (12 décembre 1960), gabonaise (21
février 1961), togolaise (9 avril 1961) et congolaise (2 mai 1961).

Parmi les pays africains francophones, seul le Sénégal demeure une République parlementaire
consacrée par la Constitution du 25 août 1960. Celle-ci institue un bicéphalisme de l’exécutif et
consacre la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée. Mais ce dualisme a abouti à une
véritable crise entre le Président Senghor et le Premier ministre Mamadou Dia portant un coup fatal au
régime parlementaire, lequel a été anéanti par la Constitution adoptée en 1963 d’inspiration nord-
américaine.

Généralement, l’inspiration du modèle présidentiel américain n’aboutit pas à une transposition


textuelle. Les altérations et déformations sont nombreuses dans les différentes Constitutions. Le
principe de la séparation des pouvoirs inhérent au régime présidentiel est abandonné puisque le Chef
de l’Etat dispose généralement du droit de dissolution de l’Assemblée nationale. Les techniques de
rationalisation de la Ve République ont été également introduites dans ces Constitutions pour assurer
une prépondérance exceptionnelle au Chef de l’Etat. C’est le cas notamment de la délimitation du
domaine de la loi ; des procédures de délégation législative ; des limitations des pouvoirs budgétaires
du Parlement ; de la participation directe du Président de la République dans l’élaboration des lois, etc.
qui conduisent à un très grand déséquilibre. Ces Constitutions cumulent ainsi les techniques du
parlementarisme classique (droit de dissolution) et les privilèges qui garantissent au Chef de l’Etat une
omnipotence sans précédent. Et l’on aboutit, à terme, à une véritable personnalisation et concentration
du pouvoir par le Président de la République anéantissant complètement le Parlement transformé en
une relique institutionnelle.

Depuis le processus de démocratisation, les régimes présidentiels se sont également substitués aux
régimes parlementaires ou semi-parlementaires transitoires.

§ 2 : Depuis le processus de démocratisation

La valorisation des techniques parlementaires lors des assises des Conférences nationales et pendant la
période de transition n’a été que de courte durée puisque les Constitutions définitives n’ont pas
48

systématiquement été favorables au régime parlementaire. C’est le cas notamment des Constitutions
béninoise du 11 décembre 1990 et guinéenne du 23 décembre 1990. Celles-ci instituent de véritables
régimes présidentiels. L’exécutif est monocéphale puisque le Chef de l’Etat est le titulaire unique du
pouvoir exécutif. Le gouvernement n’est responsable que devant le Chef de l’Etat qui peut révoquer ses
membres ad nutum. Mais, une différence fondamentale doit pourtant être établie entre les deux régimes.

En Guinée, le constituant de 1990 reconnaît au Président de la République le droit de dissoudre


l’Assemblée nationale en cas de désaccord entre les deux institutions sur des questions fondamentales
(article 76) alors que l’Assemblée ne dispose pas de moyens de contraintes sur le gouvernement. Cette
disposition constitutionnelle porte ainsi atteinte aux principes de séparation et d’équilibre entre les
pouvoirs inhérents au régime présidentiel. En revanche, ceux-ci semblent être garantis par le régime
présidentiel béninois qui « s’abreuve à la conception occidentale d’un pouvoir d’Etat équilibré par des
contre-pouvoirs ». Ainsi, le constituant béninois accorde au Président de la République la plénitude du
pouvoir exécutif. Le Chef de l’Etat dispose également de l’initiative des lois concurremment avec les
membres de l’Assemblée nationale. D’autres pouvoirs lui sont reconnus dans le domaine législatif : il
peut demander une nouvelle délibération à l’Assemblée nationale (article 57 al. 4) ; il peut prendre
l’initiative du référendum sur toute question relative à la promotion et au renforcement des droits de
l’homme, à l’intégration sous-régionale ou régionale et à l’organisation des pouvoirs publics (article
58).

Mais ces pouvoirs présidentiels sont contrebalancés par le droit d’interpellation du Président de la
République ou de tout membre du gouvernement conféré à l’Assemblée (article 71). De plus, le
constituant béninois institue une responsabilité originale du Président de la République engagée en cas
de haute trahison, d’outrage à l’Assemblée ou d’atteinte à l’honneur et à la probité (article 73). L’article
76 précise qu’« il y a outrage à l’Assemblée lorsque, sur des questions posées par l’Assemblée sur
l’activité gouvernementale, le Président de la République ne fournit aucune réponse dans un délai de
trente jours ».

Ces dispositions constitutionnelles garantissent un certain équilibre entre les pouvoirs dans le cadre du
régime présidentiel. Celui-ci peut également se substituer au régime semi-parlementaire comme au
Congo.

La Loi fondamentale congolaise du 15 mars 1992 a établi un semi-parlementarisme caractérisé par la


constitution d’un noyau dur, le Président de la République, Chef de l’Etat, élu au suffrage universel
direct, disposant de pouvoirs considérables dont le pouvoir de dissolution et un Premier ministre, chef
du gouvernement, doté d’attributions importantes et le gouvernement qu’il dirige est responsable à la
fois devant le Président et devant l’Assemblée. Cette dernière responsabilité devant l’Assemblée est
mise en œuvre par la procédure de la motion de censure. Le Parlement a été aussi restauré par le
constituant de 1992. Ses pouvoirs législatif, budgétaire et de contrôle ont été renforcés et réactivés dans
un cadre pluraliste. Cependant, ces mécanismes parlementaires ont été balayés par un coup d’Etat
militaire en 1997 perpétré par le général Sassou Nguesso. La Constitution adoptée par la junte militaire
44 par référendum le 20 janvier 2002 n’a pas repris les principes parlementaires consacrés par le texte
de 1992. Elle apparaît d’ailleurs comme la copie conforme de l’acte fondamental du 24 octobre 1997
adopté par l’armée. Cette Constitution institue un régime présidentiel fort rejetant ainsi la plupart des
techniques parlementaires. Le Président de la République est le centre unique d’impulsion politique. Il
est à la fois Chef de l’Etat et chef du gouvernement et à ce titre, il dispose de la plénitude du pouvoir
exécutif. Les ministres qu’il nomme ne sont responsables que devant lui. Dans ces conditions, le
contreseing ministériel prévu à l’article 82 n’apparaît que comme une simple formalité accomplie par
les ministres pour le compte du Chef de l’Etat. Il n’engage nullement les ministres. En d’autres termes,
le gouvernement ne peut être renversé par l’Assemblée et, en contrepartie, le Président ne dispose pas
49

du pouvoir de dissolution de l’Assemblée (article 114). Mais l’importance des pouvoirs accordés au
Président de la République, c’est-à-dire le droit d’ordonnances (article 132), le recours au référendum
(article 86), les déclarations de la guerre (article 130), de l’état d’urgence et de l’état de siège, etc., qui
peuvent être exercés avec consultation ou autorisation de l’Assemblée selon des modalités différentes,
ne peut garantir l’équilibre des pouvoirs dans un régime, en réalité, de personnalisation et de
concentration des pouvoirs. Il s’agit là de l’une des caractéristiques du présidentialisme partisan qui est
aussi l’un des facteurs de neutralisation du parlementarisme.

SECTION II : LA DIFFICILE ACCLIMATATION DU REGIME PRESIDENTIEL

Le régime présidentiel semble ne pas avoir droit de cité en Afrique. Deux facteurs permettent de
l’expliquer : d’une part, l’impossible adaptation du régime présidentiel en Afrique (§ 1) et, d’autre part,
le glissement inévitable du régime présidentiel au présidentialisme (§ 2).

§ 1 : L’impossible adaptation du régime présidentiel en Afrique

Dans l’Afrique pré-indépendante comme post-indépendante, le discours sur le régime politique à même
de conduire le développement économique tout en épousant le contexte socioculturel des peuples,
n’aura cessé de préoccuper les élites. Les modèles d’inspiration n’étaient pas en manque. Le régime
présidentiel fut, dans un contexte de l’impératif d’un pouvoir fort porteur de la mission de
développement, une attraction naturelle. La popularité et le prestige du modèle américain semblaient
(et semblent encore) emporter l’adhésion des dirigeants africains, à côté du régime parlementaire
britannique et le régime mixte issu de la Cinquième République française. Gérard CONAC relève (et
c’est peu connu) qu’« En Afrique, au Liberia, une Constitution copiée en 1848 sur celle des États-Unis
a pu rester en vigueur jusqu’en 1978. » . Pour sa part, Théodore HOLO estimait en 1987 que « l’article
II, section I de la Constitution de 1787 exerce une irrésistible attraction des élites dirigeantes d’Afrique.
Ne prévoit-il pas que le Pouvoir Exécutif sera confié à un Président des États-Unis ». Cette fascination
des peuples africains était déductible d’une conception encline à reconnaître l’incarnation symbolique
du pouvoir par un seul individu. Malgré tout, la reproduction du modèle en question ailleurs que sur le
sol américain s’est avérée hypothétique.

Le régime présidentiel américain était difficilement transposable dans les États africains, ce pour une
raison simple : la complexité inhérente au schéma institutionnel issu de la répartition du pouvoir dans
la Constitution américaine du 17 septembre 1787. En effet, le mode de désignation du Président, le
système bicaméral et l’implication déterminante du pouvoir judiciaire dans la stabilisation des relations
entre le pouvoir central et les États fédérés, sont autant de spécificités à la transplantation délicate dans
la sphère africaine. Pour s’en tenir juste au « Pouvoir judiciaire », il faut relever que l’un des mérites
des Pères Fondateurs de la Constitution américaine de 1787 a été d’avoir très tôt réservé une place
centrale à la Cour Suprême (et par extension à tout le système judiciaire), pour intervenir dans le jeu
politique, y compris dans la production des lois. Cette ingénieuse précaution s’éloigne de la tendance
affichée par les régimes politiques africains nouvellement indépendants, de ne se focaliser que sur le
partage des pouvoirs entre seulement l’Exécutif et le Législatif, neutralisant ainsi le pouvoir judiciaire.
Ce recentrage de l’attention autour des organes politiques, absout la véritable mission du Judiciaire, qui
progressivement, était réduit à un organe secondaire au regard du degré de rapports de force qui
déterminent la nature du régime politique.

La mise à l’écart de la « variante judiciaire », en dépit du discours politique officiel, était fatalement
annonciatrice d’une difficile implantation du modèle américain dans le contexte africain. La greffe ou
l’inspiration était partie pour s’avérer sélective et laisser de côté un pilier aussi important que la Justice.
Cette défaillance « congénitale » des transplants institutionnels africains n’était point sans incidence,
50

car pendant longtemps, l’argument de l’impunité a souvent été opposé aux dirigeants africains,
dépositaires de droit ou de fait de pouvoirs exorbitants. L’exigence de reddition des comptes,
consécutive à toute gestion publique, était d’application exceptionnelle, voire nulle, parce que le juge
s’en trouvait « désarmé », s’il n’était pas tout simplement frileux à l’idée de « fouiller » la gestion du
responsable sortant. Ce n’est qu’à la faveur de l’ouverture démocratique des années 1990, occasionnant
parfois des réformes constitutionnelles en profondeur que le juge, pour certains systèmes juridiques, a
su réellement recouvrer la place qui lui revient. Actuellement, c’est au prix d’importants «
aménagements » que certains États africains, notamment le Bénin, la Guinée, le Congo, ont cherché à
mettre en place un régime présidentiel. A y regarder de près, en dehors du cas béninois, le constat est
sans équivoque : les dynamiques d’appropriation du système présidentiel américain se sont avérées
insatisfaisantes. La tentative de « greffe » du régime présidentiel a débouché sur des ajustements si
profonds qu’ils ont quelque peu dénaturé le modèle d’origine, validant ainsi l’idée de son « échec »
dans le contexte africain. A défaut de reproduire le modèle de référence (Constitution de 1787), les
constituants africains se sont proposés de l’« acclimater » ou de le « tropicaliser ». Cette démarche
présentait quelque avantage car même si la réplique du modèle n’était pas entière, elle gagnerait le
mérite de récupérer les fondamentaux du régime de référence. A l’épreuve de la pratique cependant,
cette « tropicalisation » a semblé transcender les frontières « matérielles » traditionnellement reconnues
au Président américain, pour déboucher sur une formule hypertrophiée bien connue sous le concept de
« présidentialisme ».

§ 2 : Le glissement inévitable du régime présidentiel au présidentialisme

Louis DUBOUIS avait très tôt perçu ce phénomène en ce que : « Le régime présidentiel africain
dégénère en présidentialisme : tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains du chef de l’Exécutif,
le Président ; les libertés apparaissent sérieusement menacées… En Afrique d’expression française, la
dictature est une dictature constitutionnelle ». Sans promptement conclure à une dégénérescence
systématique de tout régime présidentiel vers le présidentialisme, l’absence de contre-pouvoirs solides
(à l’image du juge ou du Parlement) ouvrait fatalement sur une hypertrophie des prérogatives
présidentielles. Cette hypertrophie, cette déformation du régime présidentiel, peut être due à
l’instauration d’un parti unique ou au règne d’un parti dominant faisant du Chef de l’Etat, le chef du
parti unique ou de la majorité régnante. Elle peut être consécutive à l’extension des attributions
présidentielles par la Constitution : octroi du droit de présenter les projets de loi au Parlement ; octroi
du droit de faire attribuer des crédits additionnels ; octroi de recourir aux ordonnances et à la législation
déléguée ; droit de dissoudre l’Assemblée nationale, de proroger ou d’abréger son mandat ; réélection
indéfinie assurant à l’exécutif une sorte de permanence et continuité utile. La déformation peut
également provenir de l’incorporation constitutionnelle des techniques de rationalisation du
parlementarisme : définition d’un domaine de la loi ; codification de la procédure parlementaire ;
limitation de la durée des sessions parlementaires, etc.
51

CHAPITRE III : LA PERMANENCE « NATURELLE » DU REGIME PRESIDENTIALISTE

Notion éminemment politique, le concept présidentialisme n’est nullement défini juridiquement.


Pendant longtemps, il a reçu un sens essentiellement péjoratif comme d’ailleurs le terme «
parlementarisme ». Ainsi, traditionnellement, le présidentialisme a qualifié, depuis la fin du XIXe
siècle, les régimes latino-américains, caractérisés par une transposition factice du modèle présidentiel
des Etats-Unis. Autrement dit, le présidentialisme latino-américain est considéré comme une
déformation du régime présidentiel américain. C’est dans ce sens que Benoît Jeanneau définit le
présidentialisme comme « les régimes qui se sont inspirés du système des Etats-Unis et qui n’ont pas
respecté ce qui en fait le mérite essentiel, le partage équilibré des pouvoirs et ont laissé le Chef de l’Etat
accaparer toute l’influence politique. Cette contrefaçon (…) du régime présidentiel, conclut l’auteur,
s’est répandu d’abord en Amérique et plus récemment en Afrique ».

En définitive, le présidentialisme apparaît comme « la quintessence d’une culture de l’exécutif tout


entier rassemblé autour du Président » tout en étouffant toutes les autres institutions constitutionnelles.

Le présidentialisme consiste donc dans la déformation du régime présidentiel et dans l’emprunt de


certains mécanismes du régime parlementaire au profit de l’hégémonie sans partage du Chef de l’Etat,
chef de l’exécutif. Contrairement aux autres régimes politiques dont l’expérimentation n’a été que de
courte durée et de façon transitoire, le régime présidentialiste apparaît comme un régime permanent et
naturel en Afrique noire francophone. Il convient donc d’examiner les facteurs de cette permanente
(Section 1), avant de préciser les caractères et les modalités de ce régime (Section 2).

SECTION I : LES FACTEURS DE LA PERMANENCE DU PRESIDENTIALISME

Trois facteurs permettent d’expliquer la permanence du présidentialisme en Afrique : les facteurs


culturels, d’une part (§ 1), et les facteurs politiques, d’autre part (§ 2).

§ 1 : Les facteurs culturels

Dans les Etats africains, le choc brutal de la colonisation et de la modernité n’a pas pu détruire
totalement les traditions et coutumes ancestrales, ni même anéantir les solidarités traditionnelles qui
continuent d’influencer largement le comportement des populations. Cette permanence du passé pré-
colonial constitue le principal facteur explicatif de la vie politique des Etats africains post-coloniaux
dans une logique de production idéologique de l’institution présidentielle. Dans cette optique, il est clair
que le leader politique africain n’est en fait, en raison de la persistance d’une « mentalité magico-
religieuse », aux yeux de ses partisans, que le chef traditionnel sacré, mais dans le cadre du parti unique
ou dominant et de l’Etat. C’est le nerf idéologique de la sacralité du chef lié au processus de
concentration de personnalisation du pouvoir. Toutefois, il faut préciser qu’il ne s’agit nullement du
même sacré. Le sacré traditionnel a pour objet la légitimation du pouvoir et sa pondération. Loin d’être
une résurgence de ce modèle traditionnel, l’idéologie de la sacralisation du pouvoir dans les Etats
africains exprime plutôt la défiance du pouvoir présidentiel à l’égard des mécanismes du
constitutionnalisme démocratique. Plus précisément, elle se caractérise par un refus du contrôle réel du
pouvoir. Elle a donc pour objet la propulsion de l’institution présidentielle et de son titulaire dans le
sacré. Elle vise le renforcement de la primauté présidentielle mais aussi l’irresponsabilité du Chef de
l’Etat. Etant donc propulsé dans le divin, le Chef d’Etat africain revêt les habits d’un idéal référentiel,
le dirigeant traditionnel et devient ainsi un chef traditionnel moderne et comme tel, il détient certains
attributs mystiques qui font de lui un être médiumnique.
52

A- Le Chef d’Etat africain : un chef traditionnel moderne

Il a été dit que « la présidence de la République est en Afrique noire une véritable chefferie d’Etat ». Il
semble donc que le Chef d’Etat africain puise ses « racines », sa force dans les chefferies traditionnelles
pour mieux justifier son irresponsabilité. Ce recours idéologique aux dieux ou à Dieu est permanent
dans les Etats africains. Il est même consacré par la Constitution et constitue le fondement du
renforcement de sa légitimité traditionnelle.

Les Etats africains reconnaissent généralement le fait religieux comme l’une des marques spécifiques
de leurs sociétés, et l’assument dans leurs institutions. Ils reconnaissent constitutionnellement
l’existence de Dieu.

Du point de vue pratique, cette reconnaissance d’un Dieu unique n’est pas justifiée. En effet, les
dirigeants africains pratiquent un véritable syncrétisme religieux pour mieux renforcer symboliquement
leur légitimité traditionnelle ou plutôt divine.

L’appel à Dieu est un principe intangible dans les Etats africains. Il a d’abord été consacré dans les
premières Constitutions. Ainsi, le préambule de la Constitution gabonaise du 21 février 1961 dispose
que « le peuple gabonais, conscient de sa responsabilité devant Dieu (…) ».

Par ailleurs, dans certains Etats qui proclament le principe de laïcité de l’Etat, les formules de prestation
de serment des Chefs d’Etat avant leur entrée en fonction se réfèrent à Dieu. Au Togo par exemple, le
Chef de l’Etat, sous l’empire de la Constitution du 5 mai 1963 (article 24), prête le serment suivant : «
Je jure solennellement devant Dieu et devant le peuple togolais… ». Au Cameroun, le serment du Chef
de l’Etat, sous le parti unique de fait, se termine par ces mots « Que Dieu me vienne en aide ». Le
recours à Dieu n’a pas disparu dans les nouvelles Constitutions. Au Togo, il est consacré dès l’adoption
de la Constitution le 14 octobre 1992 dans les dispositions relatives au serment du Chef de l’Etat. Le
Président togolais, selon l’article 64 de cette Constitution, prononce le serment suivant avant son entrée
en fonction : « Devant Dieu (…) Nous (…) élu Président de la République (…) ». De même, le Président
centrafricain, selon les dispositions de l’article 25 de la Constitution, prête serment en jurant « (…)
devant Dieu ».

En revanche, au Gabon, le constituant originaire de 1991, voulant faire table rase du passé, n’a pas
consacré ce recours à Dieu. Désormais, le peuple gabonais n’est responsable que devant l’Histoire, et
donc devant une divinité laïque. Réagissant contre ces dispositions du préambule de la Constitution, le
père Paul Mba Abessole, à l’époque leader de l’opposition gabonaise, a naturellement condamné cet «
oubli de Dieu » tout en estimant qu’il ne voyait pas comment il pourrait un jour gouverner avec « des
gens qui ne croient pas en Dieu ». Finalement, sous la pression des religieux gabonais, le constituant
dérivé est revenu sur cette disposition le 11 octobre 2000. Comme sous l’empire de la Constitution de
1961, le peuple gabonais est à nouveau « conscient de sa responsabilité devant Dieu… ». Dans les pays
africains, l’idéologie du sacré est permanente en tant que, selon une conception largement admise, elle
permet aux dirigeants de renforcer leur légitimité traditionnelle.

Les méthodes d’auto-légitimation traditionnelle des Chefs d’Etats africains sont nombreuses. En effet,
on a assisté, notamment sous le parti unique, à des développements spécifiques qui rendent compte des
situations différentes : « Car il n’y a rien de commun, en termes de sollicitation légitimante vers le sacré
traditionnel, entre ce qui fut l’empire de Centrafrique et son « empereur » Bokassa, ou le cas du général
Mobutu Sesse Seko au Zaïre, le président ghanéen Nkrumah, l’actuel président togolais Eyadéma. Le
contenu du traditionnel sacré ou valeurs ancestrales, varie autant que la personnalité des chefs d’Etat »,
observe non sans raison Florence Galetti. Malgré ce caractère hétéroclite du recours idéologique au
53

sacré, une classification peut pourtant être établie même si l’on peut remarquer une interférence entre
les différentes classifications.

En effet, si tous les Chefs d’Etat se réfèrent à la notion traditionnelle et sacrée de « père » même si
parfois la terminologie diffère, celle-ci apparaît aussi en filigrane, dans la méthode « mobutuiste », puis
« éyadémaiste » et « tombalbayiste » du recours au sacré à travers la doctrine de l’authenticité. Il s’agit,
d’après Luc Sindjoun, de « la pénétration de la prééminence du Chef de l’Etat dans l’ordre politique dit
traditionnel à des fins de capitalisation hégémonique, d’allégeance des sociétés locales » et donc de
légitimation de son pouvoir. La constance de cette conception patriarcale du Chef de l’Etat, si elle
renforce manifestement son pouvoir, participe aussi de l’institutionnalisation de son irresponsabilité.
Car, l’autorité du père ne peut être remise en cause ; « on ne nie pas son père, on le vénère jusqu’à sa
mort ». Et l’on attend de lui qu’il « guide », qu’il « enseigne », qu’il « protège ». Autrement dit, « celui
qui conseille, celui qui protège, celui qui menace, celui qui se fâche, celui qui renie et donc qui
sanctionne, c’est bien le père, et jamais le fils, sauf à être irrévérencieux. Mais alors, il doit s’attendre à
une colère paternelle des plus terribles ». En un mot, le Président de la République ne « saurait pâtir
vergogne ».

Le pluralisme démocratique n’a pas eu pour effet l’évacuation du fait religieux dans les Etats africains.
Au contraire, la consécration de la concurrence électorale a entraîné une accentuation de la «
fétichisation » de la scène politique africaine. En effet, depuis le processus de démocratisation, on a
assisté à un accroissement du recours idéologique aux pratiques occultes par les gouvernants. Pour
rester au pouvoir ou pour remporter une élection, les dirigeants africains se livrent à une véritable course
à la 48 magie, à la sorcellerie et à toute forme de fétichisme, en un mot aux meurtres rituels électoraux.
La démocratie électorale est ainsi remplacée par « la démocratie des ténèbres » dans laquelle les
marabouts, les charlatans et les sorciers jouent un rôle capital pour renforcer la légitimité mystique des
gouvernants qui leur permet de rester indéfiniment au pouvoir et donc de remporter les différentes
élections. Dès lors, la victoire électorale apparaît comme la matérialisation de la victoire mystique. La
légitimité démocratique est tributaire de la légitimité traditionnelle. C’est Dieu ou les puissances
invisibles qui, semble-t-il, choisissent les gouvernants parfois même contre leur volonté. L’ancien Chef
d’Etat togolais, Eyadéma, a affirmé quelques années avant son décès que : « j’avais tout prévu dans ma
vie sauf le fauteuil présidentiel. C’est le destin qui m’a forcé la main. J’ai d’abord tout fait pour fuir ce
destin. Mais je n’y suis pas parvenu. Je l’ai finalement accepté parce que je n’avais pas le choix ».

Dans les Etats africains, le choix du dirigeant semble ainsi relever du divin et le peuple ne vient que
confirmer ce qui a été décidé par les puissances spirituelles. De même, il semble impossible de diriger
et de rester au pouvoir sans l’appui de Dieu ou des puissances mystiques si l’on en croit l’ancien
Président togolais Eyadéma : « Vous ne pouvez rien faire d’important sans la bénédiction de Dieu (…)
J’ai dit à Dieu que si ce que je fais à la tête de ce pays ne convient pas, barre-moi la route et installes-y
un autre : si je m’en sors, laisses-moi continuer ».

B- Le Chef de l’Etat : un être médiumnique

Il est notoire que, dans les Etats africains, les forces invisibles jouent un rôle déterminant pour accéder
au pouvoir et s’y maintenir. Mais, si tous ne peuvent prétendre avoir une même « puissance surnaturelle
», il est indéniable que les dirigeants africains, comme d’ailleurs les populations, ont un penchant
naturel, secret ou officiel, à s’entourer de féticheurs et de marabouts, à consulter les devins avant de
prendre une décision importante ou à s’entourer d’un mythe d’invulnérabilité qui tend à les créditer
d’une puissance magique. Le Chef de l’Etat apparaît, dès lors, comme un homme d’une autre nature,
un être mis à part, qui participe du sacré comme le chef traditionnel, et qui, à ce titre, détient les insignes
54

et symboles du pouvoir et dispose des puissances magiques énormes qui le rendent invulnérable et le
mettent à l’abri de toute remise en cause.

Dans les chefferies et royaumes traditionnels, le chef ou le roi a toujours à sa disposition les insignes
du pouvoir. Il s’agit en général du trône, du couvre-chef (bonnet), du collier, du chasse-mouches, du
bracelet, du sceptre, un tambour sacré, la corbeille des ancêtres, d’une clochette, etc. Ces insignes
chosifient le pouvoir et magnifient à la fois son évidence et celui qui en est le dépositaire. Ils sont donc
la manifestation extérieure de la puissance du chef. Ces objets ont été récupérés par les dirigeants
africains.

Les symboles ont une signification importante. En effet, les hommes sont mus par des symboles. Les
mêmes symboles produisent, avec des variantes, les mêmes conduites. Entre les mains du pouvoir, le
symbole est un instrument redoutable. Il reçoit de ce pouvoir, de l’usage que le pouvoir fait de lui, un
sens supplémentaire. Il n’est donc pas surprenant qu’il soit utilisé par la plupart des Chefs d’Etat
africains notamment ceux issus « d’un authentique mouvement de libération et incarnant les
revendications d’indépendance, de liberté, de progrès, de bien être les plus exigeants, ou qu’il soit utilisé
par un despote aligné sur la stratégie du capital financier multinational et soucieux d’affermir sa
domination ».

Dans leurs tournées provinciales, les Chefs d’Etat africains se voient souvent attribuer ces symboles du
pouvoir du chef traditionnel. Ainsi par exemple, on a pu voir le Président Eyadéma, en visite au pays
Bassar pour assister à la fête traditionnelle de « Dipontre », le dieu de la région, ou au pays Tyokossi
où il est même monté dans une guérite chamarrée transportée à dos d’hommes.

De tous ces symboles du pouvoir, le Président togolais n’a gardé que le bâton de commandement parce
que, certainement, moins encombrant que les autres. Le Général a remplacé cette canne ordinaire par
un bâton très ouvragé. Parfois, dans leurs tournées régionales, certains dirigeants sont revêtus de
manteaux de peaux de bêtes comme de vrais chefs traditionnels. D’autres comme l’empereur premier
Jean Bedel Bokassa ont procédé à une manipulation grotesque des symboles traditionnels (sceptre, épée,
49 trône) et/ou européens (couronne, Aigle dans le soleil, manteau en pourpre et or) d’exercice du
pouvoir. Ces éléments obéissent à la logique de séduction des populations largement imprégnées de la
mentalité magico-traditionnelle.

Ces objets ne sont pas de simples gadgets. Ils ont une valeur fortement symbolique pour les Africains.
Chez les Ewé du Togo par exemple, il est inconcevable d’imaginer un chef coutumier sans bâton
(Atikplo), lequel plus que le trône, symbolise son autorité dans ses relations avec ses sujets.
L’importance de ce bâton est capitale car « tout sujet peut refuser la convocation royale si elle lui est
assignée sans le bâton de commandement ». De même chez les Fang du Gabon, du Cameroun ou de la
Guinée Equatoriale, on reconnaît le chef par le chasse-mouches qui est le symbole de son autorité. En
récupérant ces objets, les dirigeants africains jouent sur le psychisme des populations largement
imprégnées des pratiques et symboles traditionnels du pouvoir. Ces derniers sont donc la démonstration
extérieure d’une puissance mystique du Président de la République. Ils visent à renforcer le sentiment
que le Chef de l’Etat est invulnérable et que nul ne peut l’atteindre car il est mystiquement « blindé »
et donc intouchable. Et l’on n’hésite pas, la mentalité magico-religieuse des populations aidant, à
reconnaître que les Chefs d’Etat africains disposent de pouvoirs occultes.

Le recours aux forces surnaturelles par les dirigeants, soit pour accéder au pouvoir, soit pour le
conserver et consolider leur règne est une pratique constante dans les Etats africains. On peut, en effet,
multiplier des exemples de Chefs d’Etat, ministres et hommes politiques qui entretiennent des
marabouts et des féticheurs qui leur confectionnent des talismans, des gris-gris pour ne pas perdre leur
55

pouvoir. Ces pratiques fétichistes, de sorcellerie ou de « magie noire », les pactes de sang pour conquérir
le pouvoir ou pour s’y maintenir, et même au niveau de la haute administration pour se faire nommer à
telle direction et y demeurer quand bien même on n’a pas la compétence requise, sont fréquentes et
largement connues des populations. Ce recours au sacré donne aux dirigeants africains, semble-t-il, une
puissance occulte incontestable. On sait par exemple que le Chef d’Etat gabonais, Léon Mba, a disposé
d’une puissance mystique, « puissance sans laquelle il n’aurait pu assumer les fonctions de président de
la République ».

Ces puissances occultes dont disposent les dirigeants africains leur permettent naturellement de
préserver leur pouvoir contre les forces du mal. Cette idéologie « résulte largement d’une conception
de l’antique perception du détenteur du pouvoir considéré volontiers comme manipulateur des forces
surnaturelles, faiseur de pluie, doté de pouvoirs d’ubiquité, d’invulnérabilité et d’invincibilité ». Il s’agit
donc d’une conception traditionnelle du chef. En effet, nous l’avons vu, le chef sacralisé dispose de
pouvoirs magiques énormes. Il est un thaumaturge. Le pouvoir, comme le souligne Jean Frazer, est donc
d’essence magique, en ce sens que c’est le dompteur des forces surnaturelles qui est, à l’origine,
considéré comme le chef du groupe. Ces considérations ne vont pas échapper à la perspicacité des
dirigeants africains dont certains, aux yeux des populations, sont considérés comme de véritables
magiciens.

Au Togo, par exemple, le terme « Atsé » désigne simultanément le pouvoir de commander et le pouvoir
magique et selon une opinion répandue, le général Eyadéma disposait de dons surnaturels. Ainsi par
exemple, lors de son accident de Sarakawa , le miraculé, le Chef de l’Etat est sorti indemne, ce qui a
renforcé, chez les populations, cette idée que le général Eyadéma n’est pas de la même nature que le
commun des mortels et donc qu’il est un être extraordinaire, un homme-dieu. Et le Chef de l’Etat
togolais ne pouvait que profiter de cette crédulité des populations pour se faire passer pour une créature
invulnérable et invincible.

En République centrafricaine, l’empereur Bokassa est considéré, pendant son règne, comme
l’incarnation d’une puissance divine ancestrale. A ce titre, il n’a de compte à rendre à personne, même
pas à la Nation « qui n’a de matérialité qu’à travers lui et lui est consubstantielle ».

Sous le parti unique, d’autres Chefs d’Etat africains ont vaqué aux mêmes occupations surnaturelles
pour se rendre intouchables et invincibles parce qu’en Afrique, et selon la conviction populaire, le
pouvoir s’acquiert, s’affermit, se renforce et se perd d’abord mystiquement avant de l’être
matériellement ou physiquement. D’où cet acharnement des dirigeants à rechercher les devins et les
fétiches les plus puissants pour briser toute résistance et neutraliser tout ennemi. Ce qui revient aussi à
dire que tout affaiblissement de la puissance mystique du Chef de l’Etat entraîne un affaiblissement
mystique de son pouvoir et peut même aboutir physiquement à une destitution ou une chute réelle de
son régime. Autrement dit, la révocation ou la chute d’un régime en Afrique est d’abord et avant tout
spirituelle. En effet, comme le souligne Maurice Glélé, « il n’est pas jusqu’aux complots et aux coups
d’Etat qui ne soient préparés avec le concours des forces occultes ; souvent on fait dépendre leur succès
davantage des dieux et puissances surnaturelles que de l’intelligence et de l’action des hommes ; et
quand bien même on aurait pris toutes les précautions humaines, il faudrait toujours s’assurer la
bienveillance des dieux afin qu’un génie malicieux ne vint s’interposer et déjouer les calculs ».

Cette conception du pouvoir par le Chef d’Etat africain n’a pas disparu avec le multipartisme car, dans
les Etats considérés, tout fait politique est toujours considéré comme un fait religieux avant tout. Ainsi,
par exemple au Gabon, le déboulonnement de la statue du Président Bongo à Libreville en 1991 a été
considéré par l’opposition de l’époque et notamment le Rassemblement national des Bûcherons (RNB)
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comme la manifestation de la défaite mystique d’Omar Bongo devant le père Mba Abessole. C’est, en
quelque sorte, « la première étape de la perte de pouvoir politique par le Président gabonais ».

Le Président Biya est par exemple considéré comme un pratiquant zélé des traditions et cultes animistes
comme en témoignent ses séjours prolongés dans son village natal à M’vomeka. Quant à l’ancien Chef
d’Etat togolais Eyadéma, il pratiquait le vodou dans son village natal Pya. Le Président Déby semble
aussi être un fervent pratiquant des cultes traditionnels.

Dans l’ensemble, pour être mystiquement omnipotents, les dirigeants africains pratiquent un
syncrétisme religieux. C’est ainsi qu’en dehors des cultes traditionnels, les Chefs d’Etat africains
s’initient dans les sciences occultes notamment dans les loges occidentales comme la Franc-
maçonnerie. En effet, s’il y a « une religion » qui est pratiquée par de nombreux Chefs d’Etat africains,
c’est bien la Franc-maçonnerie, une véritable « sorcellerie blanche ». On sait par exemple que le premier
Chef d’Etat gabonais Léon Mba était maçon. De même les Présidents Paul Biya, Omar Bongo et Idriss
Déby sont des franc-maçons. Le Président gabonais occupe une position particulière dans ces loges. En
effet, il oscille entre le Grand Orient (Go) qui se définit officiellement comme une société de pensée et
la Grande Loge Nationale de France (GLNF) qui, elle, se considère comme une société spirituelle. Par
ailleurs, il a lui-même créé la Grande Loge Equatoriale (GRE). M. Omar Bongo, par ailleurs grand
Khalife du Gabon, était le Gand Maître d’honneur de toutes les loges gabonaises. Les « frères » Sassou
et Lissouba ne sont pas en reste.

La Franc-maçonnerie est notamment très connue pour son infiltration des milieux politiques et des
affaires en France comme en Afrique et joue un rôle capital dans les relations franco-africaines. On
retrouve une secte semblable, la Rose-Croix, plus active au Cameroun, où le Président Biya en est aussi
un membre éminent. Il est aussi membre de la Kabbaye juive.

Le Chef d’Etat togolais Eyadéma était membre de l’Ordre souverain du temple initiatique (OSTI) et du
Cercle international de Recherches culturelles et scientifiques (CIRCES).

Si officiellement ces loges ne sont que de simples obédiences philosophiques et n’ont rien de «
diabolique », dans les Etats africains, leur simple évocation provoque la terreur chez les populations en
raison notamment des pratiques diaboliques avérées ou non des membres de ces sectes. Selon une
opinion répandue, en effet, ces loges sont en réalité des « hauts lieux »de la sorcellerie et de la magie
où se rencontrent les hommes politiques de tout niveau et de tout bord (majorité et opposition). Elles
leur permettent, par des sacrifices de tout genre, d’accroître leur puissance occulte et de se rendre ainsi
sacrés, invulnérables, indomptables. En d’autres termes, ces sectes donnent aux dirigeants africains des
atouts surnaturels pour se maintenir au pouvoir.

Ces différents recours à un sacré dénaturé, qui ne relèvent pas du droit, acquièrent une importance
majeure dans l’analyse dynamique des sociétés africaines que seule une approche sociopolitique peut
appréhender. Ils participent néanmoins de la volonté de pérennisation du pouvoir présidentiel et donc
d’invulnérabilité et d’irresponsabilité des dirigeants africains.

§ 2 : Les facteurs politiques : le système des partis

Le système des partis a joué et joue encore un rôle important dans la position hégémonique du Chef de
l’Etat et constitue à cet effet l’un des fondements de l’irresponsabilité présidentielle.

En effet, quel que soit le système, de parti unique ou de multipartisme, mis en place dans les Etats
africains, celui-ci a toujours été détourné de son objectif principal, au profit du Chef de l’Etat et a
toujours contribué à la fois au renforcement de son pouvoir et de son irresponsabilité. C’est ainsi que le
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monopartisme mis en place dans les années soixante a été largement instrumentalisé par le Chef de
l’Etat et que, depuis 1990, ce dernier a réussi à verrouiller le multipartisme.

A- L’instrumentalisation du parti unique

La création des partis uniques en Afrique n’est pas directement liée à l’indépendance des Etats, pour la
plupart en 1960. Elle est plutôt le fruit d’une évolution politique marquée par divers événements dont
le souvenir des multiples crises du système parlementaire sous la IVe République française, ont conduit
rapidement à la réduction du nombre de partis. Ainsi, du multipartisme intégral, on est passé à un
bipartisme éphémère, puis au parti unifié. C’est cette dernière institution qui a servi de relais pour
l’installation du parti unique.

Dans les Etats africains considérés, l’instauration du parti unique est de fait ou de droit. Le parti unique
est d’abord de fait avant d’être institutionnalisé. Il en est ainsi du Gabon de 1964, après le coup d’Etat
manqué, à 1968, c’est-à-dire à la création du Parti Démocratique Gabonais (PDG) , du Tchad de 1962 ,
année de l’interdiction des autres partis , au 27 août 1973 date de la création du Mouvement National
pour la Révolution Culturelle et Sociale (MNRCS) puis de 1984 avec la création de l’Union nationale
pour l’indépendance et la révolution (UNIR) à 1990 , du Togo de 1961 à 1980, du Congo de 1961 à
1969 et de la RCA qui a connu un parti unique (MESAN) de fait dès 1958 avant sa constitutionnalisation
en 1962 .

Au Togo, le PUT n’a fonctionné que pendant quelques années et a été dissout comme toutes les
institutions étatiques par le régime militaire d’Eyadéma. Celui-ci, en effet, par un décret n°67-111 du
13 mai 1967 a supprimé tous les partis politiques et créé en novembre 1969 le Rassemblement du Peuple
Togolais (RPT). Ce parti a été constitutionnalisé en 1980.

Plusieurs raisons justifient le parti unique. En effet, il est considéré, à l’origine, comme un moyen
d’intégration nationale et donc de construction de l’unité nationale. A ce titre, « le parti apparaît comme
un creuset où viennent se fondre toutes les forces vives de la nation ». Ce moyen permet donc de diriger
et de « gommer » les considérations ethniques, claniques, tribales ou régionales au profit d’une
conscience nationale.

Par ailleurs, le parti apparaît comme un instrument du développement économique. Ainsi, il doit jouer
un rôle capital dans la mobilisation des masses, l’entretien de l’enthousiasme collectif et canaliser
l’ensemble des forces vives du pays au service du développement économique. Pour y parvenir, il doit
contribuer, sans faille, au soutien du pouvoir en place qui détermine la politique économique.

Ce système a, bien entendu, présenté dès le départ des avantages en ce sens qu’il a permis d’éviter, dans
une large mesure, et surtout dans la première décennie des indépendances et dans les premières années
qui ont suivi la création des partis uniques, l’explosion des tendances centrifuges et sécessionnistes et
contribué à un certain « décollage » économique. Mais très vite, on a constaté ses conséquences
désastreuses.

En effet, au lieu de concilier les populations et de construire l’unité nationale, le parti unique les a plutôt
divisées et a même attisé les antagonismes régionaux ou tribaux qui persistent ainsi jusqu’à ce jour. Par
ailleurs, il n’a nullement entraîné un développement économique ni une répartition égalitaire des
richesses du pays. Au contraire, on a assisté à une « clientélisation » de la vie politique africaine et à un
pillage systématique des Etats africains par un petit groupe, les gouvernants et les notables du parti
laissant les populations croupir dans la misère la plus totale. Il a enfin permis au Chef d’Etat africain de
diriger son pays d’une main de fer, en opprimant les populations et en réduisant au maximum leurs
libertés. Nous pouvons donc parler d’instrumentalisation du parti unique. En effet, son véritable rôle
58

est 52 non seulement d’assurer la glorification du Chef de l’Etat par sa célébration et surtout sa
divinisation, mais aussi la croissance et la personnalisation du pouvoir par le Chef de l’Etat, chef du
parti unique, réduisant ainsi au néant les autres institutions tout en excluant le peuple dans l’exercice
du pouvoir. Ainsi, « la gouvernementalité de parti », selon le mot de Michel Foucault, a plutôt contribué
au renforcement du pouvoir présidentiel et participe de la « prophylaxie politique ». Le parti unique
apparaît donc comme un moyen de monopolisation du marché politique par le Chef de l’Etat, un
instrument de la présidentialisation du jeu politique et de fortification de son pouvoir mais aussi un
mécanisme de neutralisation, de domestication et de répression de toute forme de contestation du
pouvoir. De ce fait, il constitue l’un des fondements clés de l’irresponsabilité présidentielle. Sa
disparition dès le début des années 90 n’a pas remis en cause le statut royal du Président de la
République car le Chef d’Etat africain demeure irresponsable. Cette persistance de l’irresponsabilité
présidentielle est due au fait que le multipartisme n’a pas conduit au résultat escompté à savoir la
démocratie et partant la mise en œuvre de la responsabilité du Chef de l’Etat. Il est largement verrouillé
par le Président de la République.

B- Le verrouillage du multipartisme

Le multipartisme, nous l’avons vu, a existé en Afrique noire francophone à la fin de la colonisation et
au début des indépendances en 1960. Mais, ayant été assimilé au tribalisme et étant considéré comme
« un élément de désordre et de stagnation sinon de recul », il a été largement combattu et supprimé au
profit du parti unique présenté comme un instrument de réalisation de l’unité nationale, de
développement économique et de modernisation politique et conforme au prétendu unanimisme
traditionnel.

A la faveur de la transition démocratique, l’Afrique redécouvre le multipartisme au début des années


90. Ainsi, on a assisté à la création tout azimut des partis et formations politiques qui se sont ajoutés à
l’ancien parti unique et aux autres partis clandestins. Ainsi au Gabon, on dénombre une quarantaine de
partis politiques légalisés et à peu près le même nombre de partis en attente d’une reconnaissance
officielle par les autorités du pays. Au Cameroun, de 1991 à 1993, seuls 74 partis politiques font partie
du paysage partisan. Et l’on dénombre aujourd’hui environ une centaine de partis politiques contre une
quarantaine pour le Tchad et la RCA et une trentaine pour le Togo. L’exception reste cependant le Congo
avec environ 200 partis mais plusieurs d’entre eux n’existent que légalement.

La généralisation du pluralisme partisan que l’on constate depuis 1990, acquise le plus souvent lors des
Conférences nationales, a été, il faut le dire, en grande partie imposée de l’extérieur du pouvoir c’est-
à-dire à la fois par la rue et par l’environnement international.

Le pluralisme partisan n’est pas à confondre avec la démocratie mais il devrait déboucher sur une
véritable démocratie libérale, c’est-à-dire non seulement le système permettant à tous les courants
d’opinions de s’exprimer et de s’organiser librement mais aussi et surtout celui qui donne au peuple ou
à ses représentants, « le pouvoir, continuellement efficace, de déposer les Rois et les Spécialistes à la
minute, s’ils ne conduisent pas les affaires selon l’intérêt du plus grand nombre ». En effet, la démocratie
suppose la pluralité des opinions politiques, religieuses, etc., et vise une contestation permanente de ces
différentes opinions et un refus de la pensée unique. Ainsi, le pluralisme partisan, en faisant accroître la
liberté, les opinions divergentes, devrait permettre un contrôle quotidien du pouvoir et donc une mise
en œuvre constante de la responsabilité présidentielle car « tout ce qui augmente la liberté augmente la
responsabilité » (Victor Hugo). Ce qui veut dire qu’avec la restauration du multipartisme dans les Etats
africains en 1990, le pouvoir présidentiel devrait normalement être mieux contrôlé. Or on constate que
tel n’est pas le cas. En effet, malgré le pluralisme partisan, il semble que les dirigeants africains
continuent d’exercer librement leur pouvoir sans véritable contrôle et dans l’arbitraire, sans avoir à
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craindre une éventuelle déchéance. D’où aussi leur pérennisation au sommet de l’Etat. En réalité, le
multipartisme en Afrique est largement verrouillé par le Chef de l’Etat qui l’a accepté et parfois octroyé.
C’est lui qui donne le rythme d’évolution. Dans ces conditions, il apparaît normal que le système
multipartite soit construit de manière à ne pas menacer le Président de la République. Et par conséquent,
la logique du pluralisme partisan voulant qu’un parti dominant ou majoritaire et ses alliés exercent le
53 pouvoir et que l’opposition en contrôle l’exercice, ne joue nullement, en raison de l’affaiblissement
croissant de l’opposition.

Les nouvelles Constitutions africaines établissent le principe du pluralisme partisan et reconnaissent


donc l’existence de l’opposition politique. Mais cette reconnaissance constitutionnelle de l’opposition
ne signifie pas que celle-ci exerce librement son pouvoir de contrôle. En effet, on constate que, partout,
la culture autoritaire du parti unique n’a pas disparu du côté du pouvoir en place car ce dernier « a
toujours eu une volonté manifeste d’affaiblir l’opposition ». Autrement dit, si le marché politique
africain est formellement ouvert, concurrentiel, en pratique, il est monopolisé, fermé. En effet, le
pouvoir en place accepte formellement des concurrents sur le marché politique mais il n’est pas question
pour lui de permettre que ces aspirants jouent un rôle qui puisse le disqualifier totalement sur la scène
politique. C’est ainsi qu’il va utiliser les techniques qui, loin de « cajoler » l’opposition, visent plutôt
son élimination politique ou physique. Deux techniques qui datent du parti unique sont régulièrement
utilisées : la corruption et la manipulation des opposants et leur répression.

La corruption a toujours été une arme efficace dans les mains des dirigeants africains. En effet, pour «
faire taire » un opposant qui fait trop de « bruit », selon une pratique courante, il suffit de lui donner le
« tob yiossi politique », c’est-à-dire de lui remettre une mallette remplie de billets de francs CFA. Il
semble même que pour se faire repérer d’« en haut », il faut faire du bruit « en bas ». Ainsi nombreux
sont les « opposants » qui, pour obtenir une faveur du Chef de l’Etat, ont commencé par le critiquer
vigoureusement et à contester ouvertement sa politique. Des exemples sont légion dans tous les pays
africains où les « opposants » se sont défoulés, par des propos durs, sur les pratiques autoritaires et
clientélistes du Chef de l’Etat, pour se faire remarquer. Ce qui donne lieu au « vagabondage politique
».

La corruption des opposants est généralisée dans les Etats africains et elle est renforcée par la
multiplication des élections. En effet, la plupart des partis d’opposition sont financés par des fonds
publics. Ces fonds, bien que prélevés sur les impôts des contribuables, en raison de la nature néo-
patrimoniale de l’Etat africain, sont considérés comme des fonds présidentiels. Qui plus est, le Chef de
l’Etat lui-même fait comprendre aux leaders politiques que ces fonds lui appartiennent. Par ailleurs, ce
« pactole » officiel étant souvent insuffisant, les leaders de l’opposition sont parfois obligés d’aller de
nuit, quémander les ressources financières au Chef de l’Etat ou faire simplement acte d’allégeance. Ce
qui permet au Chef de l’Etat de distribuer librement et sans contrôle, l’argent de l’Etat. Ainsi, « au
Gabon et au Cameroun, le gouvernement (en réalité le Président) a financé des partis politiques afin
d’accélérer la tendance à la scissiparité et affaibli les velléités de former des coalitions anti-
gouvernementales ». Mieux, lors des différentes élections législatives et surtout présidentielles, les
Chefs d’Etat africains semblent avoir tacitement encouragé ou même sponsorisé de petits partis ou
candidats indépendants afin de diviser l’opposition et de diminuer ainsi le nombre de ses suffrages.

Pendant les élections, les partis politiques d’opposition préfèrent évoluer seuls pour bénéficier du franc
électoral mais aussi et surtout pour faire des affaires. En effet, les élections deviennent de plus en plus
un véritable « business » entre les partis d’opposition et le parti au pouvoir. Avoir son propre parti
devient ainsi un moyen supplémentaire d’accéder aux ressources de l’Etat. Les partis d’opposition n’ont
aucun intérêt à fusionner l’un avec l’autre, puisque cette opération réduirait forcément les occasions de
60

faire du « business » avec le parti présidentiel. Et les dirigeants africains l’ont bien compris et n’hésitent
pas à encourager cette fragmentation des partis, le plus souvent à base ethno-régionale.

Cette manipulation de l’opposition existe partout. Ainsi, le Président de la République par exemple fera
des propositions au n°2 du parti de l’opposition pour mieux le neutraliser. Au Gabon, c’est une technique
courante utilisée par le Président Bongo. Ainsi, l’Union du Peuple Gabonais (UPG) a-t-elle été déchirée
entre le chef de ce parti et son vice-président ; ce dernier étant à la solde du Chef de l’Etat. De même,
l’ancien premier parti de l’opposition, le RNB avait été divisé en deux tendances : le RNB/RPG du père
Mba Abessole et le RNB/Démocrate du Professeur Kombila. Ces deux tendances subsistent encore
aujourd’hui même si le schéma s’est inversé, c’est-à-dire le père Mba Abessole s’est rallié au PDG au
pouvoir alors que M. Kombila s’est replié dans l’opposition non radicale.

Une autre technique pour affaiblir l’opposition est son absorption dans un gouvernement d’union
nationale. Il s’agit à la fois d’une technique de corruption et d’un mécanisme de manipulation.
L’opposant est corrompu et manipulé par le Chef de l’Etat et en fin de compte, il finit, sans faire
disparaître son parti, par soutenir inconditionnellement l’action du Chef de l’Etat. Il s’agit d’une
conception qui est liée à l’Etat africain caractérisé par une crise permanente entre les forces politiques
antagonistes. Les conflits politiques qui aboutissent souvent à des conflits armés étant le lot commun et
quotidien des Etats africains, en dehors de quelques exceptions, la seule solution d’apaisement ou de
prévention des conflits est l’intégration de l’opposition au gouvernement. Cette pratique d’intégration
politique, bien que source de stabilité, vise le partage, inégal, du « gâteau » entre le parti présidentiel et
l’opposition. Mais en réalité, il s’agit d’une arme politique efficace pour éliminer l’opposition car
comment critiquer un gouvernement auquel on participe ? Cette tactique est donc un véritable « tais-toi
» politique qui ferme la bouche aux opposants. En termes populaires, on dira : « tais-toi et mange ».

Au Gabon, depuis 1990, tous les gouvernements de la République sont des gouvernements d’union
nationale. Ainsi, les opposants Oyono Aba’a du MORENA originel, Maganga Moussavou du PSD, Max
Remondo du PGP, et aujourd’hui les leaders de l’ancien principal parti d’opposition (RNB-RPG) ont
été ou sont associés au pouvoir en place. Cette intégration de l’opposition, si elle peut être interprétée
comme une certaine cohabitation ou un certain partage du pouvoir contribue plutôt à la corruption de
l’opposition et a pour objectif que « tout le monde trempe les pieds dans l’eau » afin qu’il n’y ait, en
définitive, ni coupable ni innocent. Mais lorsque ces techniques pacifiques de domestication de
l’opposition s’avèrent d’une efficacité limitée, le Chef de l’Etat emploie la répression.

Les Chefs d’Etat africains ne se limitent pas à corrompre et à manipuler les opposants. Ils peuvent aussi
réprimer, comme sous le parti unique, tout débordement de leur part y compris les médias proches de
l’opposition notamment en renforçant la législation relative à la protection du Chef de l’Etat.

Dans l’ensemble, ces méthodes d’affaiblissement de l’opposition contribuent à la mise en place de ce


qu’on appelle au Cameroun la « démocratie apaisée » et au Gabon la « démocratie conviviale » où l’on
ne songe plus à contester ou à chercher à remettre en cause le pouvoir mais plutôt où tout le monde doit
participer à la « bouffe nationale » sans se soucier de la misère du peuple.

Ces pratiques montrent bien que l’opposition elle-même participe au jeu du pouvoir et précipite ainsi
son propre suicide politique. Le plus souvent, l’unité de l’opposition n’est que de façade car chaque
parti préfère participer individuellement aux compétitions élections, ce qui lui permet de bénéficier du
franc électoral. Et la plupart des partis d’opposition n’ayant ni projet national véritable, ni ambition de
prendre le pouvoir, ne représentent en fait qu’une ethnie, une région. Leur objectif est de faire des
affaires avec le pouvoir en place pour implanter les cadres de l’ethnie ou de la région dans le système.
En effet, en Afrique noire, les partis n’ont pas pour objet d’agréger les intérêts. Ils remplissent plutôt
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une fonction de représentation ethno-régionale dans un contexte politique clientéliste marqué par un
Chef d’Etat aux pouvoirs considérables. Maurice Kamto n’a pas tort d’écrire qu’« en Afrique, faire de
l’opposition aujourd’hui, c’est choisir une modalité rapide d’accéder au partage. Le détour par
l’opposition permet ainsi à nombre de petits politiciens ambitieux mais sans envergure d’occuper ou de
caresser l’espoir de recevoir en récompense d’un ralliement tapageur au parti gouvernant une position
qu’il n’aurait jamais obtenue en y militant directement ».

SECTION II : LES CARACTERISTIQUES ET LES MODALITES DU PRESIDENTIALISME

§ 1 : Les caractéristiques du présidentialisme

Le présidentialisme négro africain renferme trois caractères fondamentaux : la suprématie exclusive ;


la suprématie relationnelle et l’irresponsabilité du Chef de l’Etat.

A.- L’hégémonie du Président de la République : la suprématie exclusive

L’analyse des Constitutions africaines qui s’inspirent largement de la loi fondamentale française de
1958 montre que le Président de la République occupe une place prééminente dans les systèmes
politiques. En effet, il est, comme en France, « la clé de voûte » des institutions politiques, le centre 55
d’impulsion politique, voire le lieu du pouvoir. C’est le principe de solitude du pouvoir présidentiel.
Cette approche juridique, qui « détache » le Chef de l’Etat des autres institutions, le met à part, pour
bien préciser qu’il est le siège même du pouvoir, ne peut être politiquement satisfaisante. En effet, pour
mieux appréhender la position du Chef de l’Etat, il faut procéder, en outre, à une analyse socio-politique
qui prend en compte les réalités politiques. Cette approche veut que l’on compare le Président de la
République à un grand architecte qui est au centre de tout. C’est lui qui bâtit la nation, dirige l’Etat et
le personnalise à l’extérieur comme à l’intérieur. Dans une large mesure, il se confond avec le système
politique lui-même, le modèle et le contrôle. C’est lui qui guide, enseigne et protège. Cette conception
du Président de la République correspond au « portrait du Chef d’Etat » établi sous le monopartisme.
Qu’en est-il aujourd’hui ?

S’il faut reconnaître que le processus de démocratisation a entraîné une sorte de « déstabilisation
sociopolitique du président de la République », c’est-à-dire en affectant dans une certaine mesure « la
répartition des forces fondatrices de la prééminence de l’institution présidentielle notamment en mettant
fin à la loi du monopole et en ouvrant la voie à sa démystification », il n’a pas détruit les fondements
mêmes de la puissance présidentielle. Depuis lors, on assiste même à la (re) consolidation de
l’institution présidentielle. En d’autres termes, le Chef de l’Etat garde un pouvoir prééminent, voire
quasi-exclusif. Il existe donc chez les constituants africains une sorte de consensus présidentiel. Ce qui
veut dire que l’institution présidentielle demeure centrale et convoitée dans les Etats africains parce
qu’elle est au cœur des systèmes politiques. A ce titre, le Chef d’Etat africain jouit d’une légitimité plus
forte que les députés et occupe une place prépondérante dans le fonctionnement de l’Etat. Cette onction
populaire et ce rôle décisif du Président de la République justifient l’importance de ses pouvoirs.

1/- La légitimité populaire et le rôle du Chef de l’Etat

Dire que le Chef de l’Etat bénéficie d’une légitimité exceptionnelle signifie qu’il est élu au suffrage
universel direct. L’élection populaire du Président de la République est généralisée aujourd’hui dans les
Etats africains. Le principe a été institué au début des années soixante. En effet, les constituants
africains, emboîtant même le pas au constituant français et s’inspirant, dans une certaine mesure, du
modèle américain de désignation du Chef de l’Etat, ont opté pour l’élection populaire du Président de
la République qui constituait l’un des principes du présidentialisme. Ce procédé s’est par la suite
généralisé dans les années soixante dans les Etats africains francophones. Il a été consacré par presque
62

toutes les Constitutions : article 7 de la Constitution gabonaise du 21 février 1961, article 1 de


l’ordonnance n°15/INT du 20 mai 1969 portant modification de la Constitution tchadienne de 1962,
article 7 de la Constitution camerounaise de 1972 et par la loi centrafricaine du 8 juillet 1961.

Dans l’ensemble, sous le monopartisme, l’élection présidentielle n’est pas concurrentielle puisque seul
le candidat du parti unique de droit ou de fait est autorisé à se présenter sa candidature. Ce principe de
la candidature unique a été remis en cause avec le processus de démocratisation. Désormais, l’élection
présidentielle est concurrentielle et, en principe, libre et honnête. Elle est consacrée par les Constitutions
africaines.

La désignation populaire du Chef de l’Etat est une des marques du présidentialisme. En effet, en lui-
même, ce mode de désignation confère au Président de la République un ascendant important sur les
parlementaires. Il fait du Chef de l’Etat le seul élu de la nation tout entière alors que chaque
parlementaire, chaque député notamment, représente une fraction, une portion seulement de la
souveraineté nationale. Le Président à lui seul symbolise la nation, il est, pour reprendre la célèbre
formule de Barnave « un représentant chargé de vouloir pour la Nation ». Les députés, en revanche, ne
représentent celle-ci que lorsqu’ils sont collectivement réunis comme constituant l’Assemblée
nationale. C’est l’idée qu’exprime Napoléon 1er en s’adressant au corps législatif en 1814 en ces termes
: « D’ailleurs qui êtes-vous députés (…) pour parler ainsi ? Le peuple ne vous connaît pas. Il ne connaît
que moi (…) ».

Nous pouvons dire que le mode de désignation du Chef d’Etat africain assure pleinement sa
prépondérance. Il le place nettement au-dessus du Parlement. Ce qui entraîne naturellement un
déséquilibre entre les pouvoirs. A cet effet, on peut donner raison à Raymond Barillon lorsqu’il écrit
que l’élection populaire du Chef de l’Etat est « source d’une primauté de plus en plus exorbitante et
d’un déséquilibre des pouvoirs de plus en plus préoccupant ». Mieux, pour Pierre Avril, « la
conséquence (de l’élection présidentielle) est que le Président est seul. Il ne concentre pas seulement
entre ses mains le pouvoir de l’État (…), il est seul aussi, et peut-être surtout, face aux citoyens dont il
est l’interlocuteur unique. Aucune autre parole n’a désormais d’autorité politique que la sienne, car les
autres ne peuvent que la paraphraser ou la contester sans véritable portée institutionnelle ». Ce qui ouvre
la voie à l’autoritarisme, à la personnalisation du pouvoir et à la domestication des institutions
représentatives. A cet égard, et comme l’affirme péremptoirement Thierry Michalon, « de par ses
origines, l’élection du Chef de l’Etat au suffrage universel direct confère au Président de la République
une posture quasi monarchique (…). Elle encourage l’opinion dans sa propension naturelle à s’en
remettre à un Prince plutôt qu’à accorder sa confiance à des institutions (…). Elle confie, lorsque
majorité parlementaire et majorité présidentielle coïncident, la réalité du pouvoir à un homme
irresponsable devant la représentation nationale. Elle entraîne une personnalisation de ce pouvoir,
faisant ainsi de l’ombre aux mécanismes représentatifs et sapant toujours plus leur nécessaire légitimité
». Ainsi, l’élection du Président de la République au suffrage universel direct fait le lit de l’autoritarisme
et de la prédation des fonds publics par le clan et les clients du vainqueur, tout en dressant un persistant
obstacle à la formation d’une légitimité des institutions parlementaires.

Si donc l’élection populaire renforce le pouvoir présidentiel, elle constitue aussi un obstacle à la
légitimité du Parlement et partant à son autorité. En effet, l’objectif d’une élection au suffrage universel
est d’abord le renforcement de la légitimité de l’élu et bien entendu de son autorité. Par son élection
populaire, le Chef de l’Etat jouit d’une légitimité fortement démocratique car il tire son pouvoir
directement du peuple qui l’a élu. Il accède ainsi au rang de délégué par excellence de la souveraineté
nationale et de représentant suprême de la Nation. A ce titre, et selon l’interprétation présidentialiste du
suffrage populaire, il n’a pas de comptes à rendre au Parlement. L’irresponsabilité présidentielle devient
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ainsi la conséquence de son élection populaire. Cette irresponsabilité présidentielle est encore renforcée
par le rôle assigné au Chef de l’Etat dans les systèmes politiques africains.

Le rôle du Chef d’Etat africain a toujours été strictement défini par les différentes Constitutions
africaines. Par mimétisme, elles reprennent, in extenso, l’article 5 de la Constitution française de 1958
qui dispose que « le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son
arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, ainsi que la continuité de l’Etat. Il est garant
de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, et du respect des traités ».

Juridiquement, et en synthétisant, le Chef d’Etat africain, comme le Président de la République en


France, joue un triple rôle de gardien de la Constitution, d’arbitre et de garant des grands intérêts
nationaux.

Le Président est avant tout gardien de la Constitution. Ce qui signifie que non seulement il doit défendre
et protéger la Constitution mais aussi il doit la respecter comme tout citoyen. En effet, étant le premier
serviteur de l’Etat, le Chef de l’Etat est incontestablement le premier défenseur de la Constitution.

N’étant pas un juge des violations de la Constitution, il ne peut jouer ce rôle qu’en utilisant d’abord ce
que Michel Debré a appelé dans son discours au Conseil d’Etat, le « pouvoir de solliciter ». Ainsi il peut
saisir le juge constitutionnel, hier la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême, aujourd’hui la Cour
constitutionnelle au Gabon et au Togo ou le Conseil constitutionnel au Cameroun et au Tchad, de ce
qu’il estime constituer une violation de la Loi fondamentale. C’est la Constitution elle-même qui
confère au Chef de l’Etat ce pouvoir, et celui-ci apparaît comme le corollaire nécessaire de cette mission
de surveillance, de respect, de défense et de protection de la Constitution qui lui incombe.

Le Chef de l’Etat est aussi un arbitre. Dans le régime parlementaire classique, cette notion, ici au sens
sportif, renvoie à la neutralité, voire à la passivité du Chef de l’Etat qui justifie aussi son irresponsabilité
politique. Cette conception de l’arbitrage ne peut s’appliquer au Chef d’Etat africain. En effet, la nature
présidentialiste des régimes politiques africains veut que le Chef de l’Etat soit au centre de tout. Son
irresponsabilité n’est pas une « irresponsabilité de faiblesse » mais une « irresponsabilité de puissance
». Ainsi donc, le Chef d’Etat africain ne peut se borner à faire respecter la règle du jeu politique, il fixe
lui-même les grandes orientations de la politique nationale et tranche en dernier ressort les affaires
importantes. Autrement dit, c’est en tant qu’arbitre actif que le Président de la République, en Afrique
comme en France en période de non cohabitation, assure le fonctionnement régulier des pouvoirs
publics ainsi que la continuité de l’Etat. Ce qui lui permet d’assurer la bonne marche de l’Etat.

Par ailleurs, le Président de la République est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du


territoire et du respect des accords internationaux. La Constitution veut que le Président de la
République soit le garant de la souveraineté extérieure de l’Etat. Ce qui veut dire qu’il doit veiller à
l’indépendance du pays c’est-à-dire à la souveraineté nationale du pays, à l’intégrité territoriale.
L’indépendance et l’intégrité territoriale sont des notions qui laissent au Président, sous le contrôle de
l’opinion publique, une assez grande marge d’appréciation pour déterminer dans le concret, les
exigences qu’elles impliquent. Ce sont des formules qui peuvent être interprétées de manière plus ou
moins contraignante.

Le Chef de l’Etat doit aussi veiller au respect des traités. Cette formule correspond, pour simplifier, à
deux missions essentielles : celle de faire respecter par toutes les institutions étatiques les engagements
qu’elles ont pris vis-à-vis des Etats étrangers mais aussi celle de faire appliquer les engagements pris à
leur égard par les Etats étrangers.
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Enfin, le Président de la République assure l’unité nationale, ou plutôt, selon une formule consacrée,
est l’incarnation de la nation. Il s’agit d’un rôle très important. Il appartient en effet au Président de
construire la nation. Ceci doit se faire notamment par l’exaltation de l’unité au travers d’une culture
nationale requise, par le refus de tout facteur de division, par la minimisation du tribalisme et des
antagonismes religieux, par l’action militante du parti unique ou dominant et des organes d’information.

Ainsi, le Chef d’Etat africain est l’incarnation de la Nation, il est même la Nation en puissance et s’il
l’est c’est parce qu’il est investi d’une mission transcendante non par la force légale ou humaine mais
par la force divine. Cette référence au sacré est permanente dans les discours politiques notamment au
lendemain des violations des droits de l’homme. Ce rôle du Chef de l’Etat sous le parti unique n’a pas
changé avec le processus de démocratisation qui a débuté en 1990. En effet, loin de réduire
complètement le rôle du Président de la République, la restauration de la démocratisation l’a plutôt
renforcé. En effet, malgré le contexte général de crise de l’Etat et de sa légitimité, on a assisté
paradoxalement à la consécration de la primauté de l’institution présidentielle. Ce qui montre bien la
complexité du jeu politique en Afrique noire. En effet, malgré les clivages politiques, les différents
acteurs politiques s’accordent sur la prééminence de l’institution présidentielle car « aucun n’a intérêt
à diminuer une position à laquelle il espère un jour accéder, à paralyser une machine dont il pense user
à son tour ». Ainsi, au début des années 90 caractérisées par la contestation généralisée des Chefs d’Etat
africains, le rôle du Président de la République apparaît comme bénéficiant de la reconnaissance des
principaux acteurs politiques. En réalité, leur démarche s’inscrit dans le cadre d’un jeu à motifs ou à
intérêts mixtes. Il s’agit donc d’« un mélange de reconnaissance et de conflit : reconnaissance de la
supériorité de l’institution présidentielle ; conflit avec la personne qui incarne l’institution (…)».

Ce consensus sur le rôle présidentiel s’est traduit de diverses manières. C’est au Chef de l’Etat qu’a été
adressée, partout en Afrique noire, la revendication de la Conférence nationale dont la tenue est
subordonnée à son accord. Au Cameroun, les menaces d’organiser ladite rencontre sans son accord sont
restées sans lendemain. Au Gabon, au Togo et au Tchad, l’organisation de la Conférence nationale a été
initiée par le Président de la République. Globalement, l’institution présidentielle est considérée comme
une institution irremplaçable aux pouvoirs constitutionnels et pratique considérables.

2/- L’hypertrophie du pouvoir présidentiel

La suprématie du Chef d’Etat africain repose sur la Constitution. En effet, ce sont les dispositions
constitutionnelles qui attribuent au Chef de l’Etat des pouvoirs très importants le mettant ainsi très
largement au-dessus des autres institutions constitutionnelles. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Louis
Dubois en ces termes : « En Afrique d’expression française, la dictature présidentielle trouve son
fondement dans les dispositions constitutionnelles ». L’examen des différentes Constitutions africaines
montre, en effet, que le Président de la République est le détenteur quasi exclusif du pouvoir exécutif,
et du Pouvoir tout court.

Au Gabon, bien que la Constitution transitoire du 29 mai 1990 et celle du 26 mars 1991 actuellement
en vigueur aient tempéré formellement la position prééminente du Président de la République, dans la
réalité, les mêmes dispositions constitutionnelles contribuent à faire du Chef de l’Etat un chef unique.
On peut donc donner raison à Pierre-François Gonidec lorsqu’il affirme que « la démocratie n’a pas
changé les pouvoirs du Président gabonais (…). Les pouvoirs du Président n’ont guère été entamés et
sa position s’est même renforcée à la suite des élections remportées (…) ».

Au Togo, la suprématie quasi absolue du Chef de l’Etat a été établie par les Constitutions du 9 mai 1961,
du 5 mai 1963 et surtout du 13 janvier 1980.
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Le retour du multipartisme au Togo à la faveur du « vent de la démocratie » a théoriquement infléchi


ce despotisme constitutionnel du Président de la République.

D’abord, dans l’ordre des institutions constitutionnelles, le Président de la République se retrouve au


second rang au Titre IV, sous-titre 1er, après le Parlement au titre III. Cette prévalence du Parlement sur
le Chef de l’Etat dans le domaine du « protocole constitutionnel » peut être expliquée aisément. En
effet, voulant marquer une rupture totale avec l’autoritarisme présidentiel du régime ancien, le
constituant togolais de 1992 a cherché à établir un équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif.
Mieux, il a opté pour un exécutif formellement dualiste en créant le poste de Premier ministre, chef du
gouvernement, à côté du Président de la République. Comme le Mali, le Togo, non sans difficultés, s’est
ainsi engagé dans cette voie en adoptant un régime constitutionnel qui canalise la fonction présidentielle
dans un cadre constitutionnel largement inspiré du parlementarisme rationalisé de la Ve République
française. Ainsi, aux pouvoirs constitutionnels du Chef de l’Etat, correspondent les prérogatives
importantes du Premier ministre et du gouvernement. Toutefois, cette dyarchie constitutionnelle sera
trahie par la pratique. En effet, nous le verrons, bénéficiant d’une légitimité démocratique et d’une
majorité parlementaire, le Président de la République demeure l’institution suprême et donc le principal
bénéficiaire des pouvoirs reconnus à l’exécutif dans un régime en réalité présidentialiste. Ainsi, la
dyarchisation de l’exécutif n’empêche pas le fait que le Chef de l’Etat est bel et bien le véritable chef
du gouvernement.

Cette trajectoire politique et constitutionnelle du Togo semble similaire avec celle du Tchad, même si
ce dernier pays présente ses spécificités.

En effet, les différentes Constitutions tchadiennes du, du 28 novembre 1960, 16 avril 1962 et du 10
décembre 1989 assurent la suprématie présidentielle. Celle-ci a été renforcée par la Charte nationale de
1991 qui est en réalité que la copie conforme de la Charte fondamentale de 1978 et de l’Acte
fondamental de 1982. La Constitution du 14 avril 1996 actuellement en vigueur n’a fait que consacrer
le consensus militaro-politique de l’hégémonie du Chef de l’Etat. Ainsi, il dispose des mêmes pouvoirs
que ses prédécesseurs civil et militaire : il est à la fois le Chef de l’Etat et le Chef de l’exécutif. Il dirige
le conseil des ministres et à ce titre, il détermine la politique de la nation. Au Cameroun, le renforcement
des pouvoirs du Chef de l’Etat est allé grandissant et a atteint sa plénitude avec la Constitution du 2 juin
1972 dans sa version initiale.

Au Congo, si la Constitution de 1992 a renforcé les rôles du Premier ministre et du Parlement, elle a
néanmoins réaffirmé la prééminence du Chef de l’Etat dans l’exercice du pouvoir. Celle-ci a été
renforcée par l’Acte fondamental du 24 octobre 1997 institué par le général Sassou Nguesso et
confirmée par la Constitution du 20 janvier 2002. La RCA a suivi la même trajectoire avec la
Constitution de 1994, l’Acte constitutionnel n°2 respectivement du 15 mars 2003 et la Constitution du
27 décembre 2004.

Depuis les années 90, malgré la fluidité du rôle présidentiel dans la conjoncture critique de transition
démocratique, le Président demeure une « institution de pouvoir », c’est-à-dire qu’il joue un rôle «
reconnu comme faisant obligation » , un rôle légitime bénéficiant d’un « accord minimal des élites »
concernées et enfin un rôle « défini par une déclinaison des caractéristiques » en phase avec les
croyances sociales. Autrement dit, le Président de la République demeure le détenteur quasi exclusif du
pouvoir.

Dans l’ensemble, si le Chef de l’Etat exerce un pouvoir despotique du fait du contexte juridico-politique
de l’ancien régime, ses prérogatives ont été quelque peu assouplies par les nouvelles Constitutions
pluralistes. Ainsi, le Président n’est plus théoriquement le détenteur exclusif ou suprême du pouvoir
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exécutif et le chef du gouvernement. Ces formules ont purement et simplement disparu dans les
nouveaux ordonnancements juridiques, à l’exception des Actes constitutionnels ou fondamentaux des
régimes militaires congolais et centrafricains de 1997 et 2003. Toutefois, au Gabon, le Président de la
République reste le « détenteur suprême du pouvoir exécutif qu’il partage avec le Premier ministre » et
mieux encore, la Constitution congolaise de 2002, véritable photocopie de l’Acte fondamental de 1997,
qui instaure un faux régime présidentiel s’est mise au diapason avec la réalité politique puisqu’elle
supprime le poste de Premier ministre et dispose clairement, en son article 56 al. 2 que « le Président
de la République est le chef de l’exécutif. Il est le chef du gouvernement. Il détermine et conduit la
politique de la Nation ». Hormis ce cas spécifique du Congo, les autres pouvoirs sont quasi identiques
même si parfois les formulations changent. Ainsi, le Président de la République est le Chef de l’Etat, il
détermine la politique de la nation en concertation ou non avec le gouvernement. Il est le chef suprême
des armées et il exerce le pouvoir de nomination et le pouvoir réglementaire. Le Président de la
République convoque, préside le conseil des ministres et en arrête l’ordre du jour. Il dirige la politique
étrangère, accrédite les ambassadeurs à l’étranger comme les ambassadeurs des puissances étrangères
accrédités auprès de lui. Il négocie et ratifie les traités. Il nomme le Premier ministre, et la plupart des
autres ministres sinon tous. Il peut dissoudre l’Assemblée nationale, recourir au référendum, saisir le
juge constitutionnel en vue d’un contrôle de constitutionnalité et faire grâce.

Enfin, lorsque les institutions sont menacées, il peut recourir à l’équivalent de l’article 16 en France de
la Constitution française de 1958, c’est-à-dire aux pouvoirs exceptionnels pour la sauvegarde de l’Etat
et des institutions.

Il s’agit là des pouvoirs classiques reconnus à tous les Chefs d’Etat et prévus dans toutes les
Constitutions africaines des indépendances à nos jours.

Mais la puissance présidentielle ne se limite pas aux règles fixées par la Constitution. Elle est amplifiée
par la pratique. A ce niveau, l’ampleur du pouvoir est à la mesure de la personne qui l’exerce. C’est ce
que de Gaulle a appelé son « équation personnelle ». Les pouvoirs présidentiels ne se limitent pas à la
Constitution. Ils sont amplifiés par la pratique politique et constitutionnelle. Guy Carcassonne observe
à ce propos qu’« en droit, la Constitution confie au Chef de l’Etat des attributions conséquentes. Mais
c’est la pratique qui, sans vraiment trahir la Constitution, mais plutôt en la conduisant à ses
aboutissements, en a fait un monarque républicain ». La même idée est exprimée par Alain Duhamel en
ces termes : « Les pouvoirs effectifs du Président dépassent de beaucoup ses prérogatives
constitutionnelles. L’hégémonie présidentielle a fléchi à sa guise la Loi fondamentale ». Dès lors, on
peut dire que in abstrato, le Président de la République n’est qu’un pouvoir constitué dont les
prérogatives se limitent au texte constitutionnel. Mais in concreto, il n’est pas limité par la Constitution.
Mieux, « il ne situe pas dans le cadre de la Constitution qui l’a créé et le lie comme personne juridique
abstraite. Il peut à cet effet s’en évader non pour le transgresser mais pour le recréer librement par le
biais de la pratique ».

Dans les Etats africains, la pratique politique joue un rôle capital dans l’exercice du pouvoir car le Chef
de l’Etat n’agit pas toujours dans le cadre restreint fixé par la Constitution. En effet, si les dirigeants
africains n’exercent que leurs compétences constitutionnelles, on assisterait très vite, partout, à
l’établissement de gouvernements modérés. Mais, parce qu’ils interprètent très largement la
Constitution, ils finissent par la substituer par des « pratiques politiciennes » qui se situent à la limite
du droit. Il n’est pas besoin de dire que ces pratiques sont souvent dénoncées par l’opposition et la
société civile. Mais, l’impact de cette dénonciation reste largement faible et ne produit pratiquement
aucun effet. Toutefois, nonobstant ces critiques, le Chef d’Etat africain ne peut s’empêcher d’exercer
son pouvoir au-delà de la Constitution. Ainsi, comme l’écrit Olivier Beaud, « le Président ne doit plus
être envisagé comme agissant dans la Constitution lorsqu’il l’applique ou en dehors lorsqu’il la viole »
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. Seul compte donc ici le Président de la République tel qu’il apparaît dans la réalité politico-
constitutionnelle. Ceci importe si la Constitution le soumet à la volonté de la Nation ou du peuple
souverain, ses prérogatives telles qu’elles se déduisent de la pratique constitutionnelle font de lui le
véritable pouvoir constituant. On aboutit ainsi à la négation de l’idée constitutionnelle car un des
pouvoirs constitués tend à concentrer tous les pouvoirs sans la responsabilité qui devrait accompagner.
C’est ce que Carl Schmitt appelle la « théorie de la dictature souveraine ».

Cette considération de l’hégémonie pratique du Chef de l’Etat revêt une importance capitale. En effet,
le Chef d’Etat africain, parce qu’il est le souverain, incarne la Nation et se confond avec l’Etat, ne paraît
pas disposer d’un pouvoir purement constitutionnel. En réalité, le pouvoir présidentiel semble aller plus
loin car il dispose à la fois de la compétence et du pouvoir originaires.

En outre, si l’on admet que la politique étrangère est un moyen d’expression externe de la souveraineté
étatique, le Chef d’Etat africain s’identifie bien à l’Etat dans la mesure où il assume, en pratique, seul,
la conduite de cette politique. Cette situation est permanente dans les Etats africains. En effet, la
prééminence de la présidence de la République dans la conception et la prise de décision en matière de
politique étrangère et mieux la personnalisation de la politique étrangère par les dirigeants africains sont
des données constantes des systèmes politiques africains.

Ainsi, la compétence originaire du Chef de l’Etat apparaît comme le prolongement du pouvoir originaire
qu’il détient au titre de son identification à la Nation. A la souveraineté internationale, répond donc la
prépondérance interne où l’autorité du Chef de l’Etat est difficilement limitée. Par ailleurs, le Chef de
l’Etat apparaît comme le titulaire principal du pouvoir constituant entendu au sens formel, c’est-à-dire
comme le pouvoir qui détient compétence pour faire, modifier et abroger les règles constitutionnelles.
On peut le vérifier sous le monopartisme comme depuis le processus de démocratisation des années 90.

En effet, il n’y a aucun doute que sous l’ancien régime, le Président de la République, parce qu’il est le
Chef de l’Etat, président du parti exerce un pouvoir suprême à tous les niveaux de l’Etat et son
hégémonie détruit l’autonomie de toutes les autres institutions constitutionnelles notamment le
Parlement. C’est lui, et lui seul qui a le monopole exclusif du pouvoir constituant. En effet, « par
l’asservissement du Législatif à l’Exécutif, et plus exactement, par la concentration de tous les pouvoirs
entre les mains de celui-ci, par la sacralisation qui lui donne une dimension transcendante par rapport
au Droit, le Chef de l’Etat détient un pouvoir originaire absolu ; c’est, du reste, le propre du pouvoir
personnel ou individualisé ». En d’autres termes, c’est parce qu’il est le Chef de l’Etat, « il porte en lui
la plénitude du pouvoir en ce sens qu’il est à la fois le titulaire et l’agent d’exercice : son autorité est
non fonctionnelle ; il est son propre principe de légitimité ; aucune règle ne peut limiter l’existence du
pouvoir puisque par postulat, l’individu considéré est, à titre originaire, le titulaire juridique, et que
chacune de ses volitions est aussi la source d’un impératif juridique valable ». De même, il est souverain
de choisir, à sa convenance, le moment opportun où il se décide de doter l’Etat d’une Constitution, de
la même manière, il peut décider de la suspendre, ou de l’abroger, de la remplacer ou de la modifier par
une autre qui lui donne plus de satisfaction. Cette situation a été quelque peu tempérée par le processus
de démocratisation mais dans l’ensemble, elle reste limitée.

En effet, depuis le rétablissement de la démocratie en 1990, le pouvoir constituant originaire a été exercé
par les délégués lors des Conférences nationales, notamment là où elles ont été créées à tel point que
l’on a pu parler de « création révolutionnaire des Constitutions » dans les Etats africains. Mais, ce
pouvoir a été très vite réapproprié par les Chefs d’Etat africains dans une stratégie de restauration du
monopole présidentiel. On peut citer les cas gabonais, togolais et tchadiens où les Chefs d’Etat ont non
seulement établi les nouvelles Constitutions sans toujours respecter les recommandations des
Conférences nationales mais aussi ils les ont taillées à leur image. Dans d’autres Etats où cette
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Conférence nationale n’a pas été organisée comme au Cameroun, le Président de la République est resté
maître du pouvoir constituant. Mais, dans un cas comme dans l’autre, le pouvoir constituant, notamment
dérivé, s’il est reconnu aussi au Parlement, est généralement exercé par le Chef de l’Etat qui en détient
ainsi le monopole ; l’initiative parlementaire de la procédure de révision constitutionnelle ne peut
aboutir que si elle est souhaitée et voulue par le Président de la République. Ce qui a pour objet de
renforcer la position prééminente du Chef de l’Etat.

Ainsi, par sa légitimité populaire et par son rôle capital dans le système politique, l’institution
présidentielle demeure centrale et convoitée. Cette position hégémonique conduit naturellement à la «
maximalisation et à l’autonomisation des prérogatives du Président c’est-à-dire à la concentration de la
quasi-totalité des pouvoirs entre les mains du Chef de l’Etat par la personnalisation du pouvoir et de ses
instruments d’action ». Or, nous le savons, « la personnalisation du pouvoir entrave l’autonomisation
et l’émancipation des institutions de contrepoids et d’équilibration de l’exécutif », c’est-à-dire le
Parlement et l’appareil judiciaire. Ainsi, l’hégémonie présidentielle n’épargne aucune institution. Ce
qui veut dire que la puissance présidentielle est globalisante, omniprésente.

B. L’omniprésence du Chef de l’Etat : la suprématie relationnelle

Le Chef d’Etat africain est le gouvernant par excellence en tant qu’incarnation de la Nation. A ce titre,
il a les yeux partout et agit partout. La Constitution et la pratique politique lui permettent de jouer
pleinement ce rôle. Mais, le Président de la République n’est nullement la seule institution
constitutionnelle. Il existe, en effet, d’autres institutions politiques et juridictionnelles au sein de l’Etat.
Mais dans leur rapport avec le Chef de l’Etat, elles sont dans une position subalterne. Dans sa conférence
de presse du 31 janvier 1964, le général de Gaulle a parfaitement exprimé cette idée : « (…) l’autorité
de l’Etat est confiée tout entière au Président par le peuple qui l’a élu. (…). Il n’en existe aucune autre,
ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par lui ».

La Constitution et la pratique politique assurent l’hégémonie présidentielle sur les autres institutions et
plus précisément sur les organes d’exécution et sur les institutions de contrepoids.

1/- Sur les organes exécutifs

L’analyse des Constitutions des Etats considérés nous permet de distinguer deux d’institutions
d’exécution qui sont sous la prédominance présidentielle : le vice-Président et le gouvernement.

L’institution du vice-Président n’est pas nouvelle dans les Etats africains. En effet, elle est apparue
d’abord dans la Constitution du Cameroun fédéral du 1er octobre 1961 (article 9) et au Gabon dans la
Constitution du 21 février 1961 après la révision du 17 février 1967 (article 6). Le premier alinéa de cet
article dispose que « le Président de la République est assisté d’un vice-Président de la République qui
le remplace en cas d’empêchement temporaire ou définitif et jouit alors des prérogatives, rangs et
pouvoirs du Chef de l’Etat ». Le second alinéa précise que « le vice-Président de la République, peut,
en outre, exercer par délégation du Président certaines des attributions du Chef de l’Etat ». De plus, le
vice-Président gabonais dispose d’une légitimité populaire forte car, il est élu sur le même « ticket »
que le Chef de l’Etat au suffrage universel direct. Il doit, avec le Président de la République, prêter
serment ensemble et dispose d’un portefeuille ministériel.

Nous avons vu qu’il s’agit seulement d’une stratégie d’alternance néo-patrimoniale du pouvoir de Léon
Mba et non une volonté politique de faire du vice-Président une institution autonome à côté du Chef de
l’Etat.

Le vice-Président a disparu du paysage constitutionnel et politique gabonais avec la révision


constitutionnelle du 15 avril 1975 qui institue à nouveau le poste de Premier ministre. Toujours sous le
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monopartisme, la Constitution togolaise du 5 mai 1963 dite Constitution de la IIe République prévoit
aussi un exécutif bicéphale : le Président et le vice-Président, élus, comme au Gabon, dans les mêmes
conditions. Le vice-Président togolais dispose des mêmes prérogatives que le vice-Président gabonais :
il remplace le Président en cas de vacance, bénéficie des attributions et délégations de pouvoirs du Chef
de l’Etat et dispose d’un poste ministériel. Créé dans un contexte de déconcentration et non d’alternance
néo-patrimoniale, si le vice-Président togolais vient à s’émanciper par la rigueur de la discipline et du
respect de la Constitution, il 62 peut provoquer un conflit au sommet de l’Etat. C’est ce qui est arrivé
plus tard et a servi de prétexte pour un nouveau coup d’Etat militaire le 13 janvier 1967. Cette situation
montre clairement qu’une cohabitation au sein de l’exécutif est quasiment impossible car comme le dit
un proverbe africain : « Il ne peut y avoir deux caïmans mâles dans le même marigot ». Le vice-Président
a disparu au Togo sous le règne des militaires tout comme les autres institutions précédentes. Mais, à la
différence de ces dernières qui sont réapparues avec le retour au constitutionnalisme en 1980, le vice-
Président ne fait désormais partie que de l’histoire ancienne du Togo.

Au Congo, la Constitution du 2 mars 1961 institue également un vice-Président de la République qui


assiste le Chef de l’Etat (article 9) mais il n’est pas élu sur le même « ticket » que lui comme aux Etats-
Unis. Cette institution n’a pas d’attributions précises et ne change donc rien à au caractère moniste de
l’exécutif. Après les événements de 1963, le vice-Président a disparu de l’horizon institutionnel
congolais pour réapparaître avec la Constitution du 30 décembre 1969. Globalement, il ressemble au
vice-Président de 1961, sans toutefois être appelé, en cas de vacance la magistrature suprême, à succéder
au Président de la République. Il disparaît définitivement en 1979.

Ainsi sous le monopartisme, le vice-Président, hormis le cas gabonais en 1967, n’est qu’un décor
institutionnel. En effet, il est choisi discrétionnairement par le Président de la République et révocable
par lui ad nutum. Il n’est en fait qu’un ministre de rang supérieur, appelé à suppléer provisoirement le
Chef de l’Etat et à l’épauler par délégation. Mieux, il est un assistant du Président et il n’est pas
nécessairement le second personnage de l’Etat. Il apparaît tout au plus comme le successeur possible
ou souhaité du Président, sous réserve de l’humeur et de la confiance du Chef de l’Etat. Collaborateur
privilégié, il ne peut, sans risque grave, s’ériger en concurrent. Le Président a la vie et la mort de
l’institution du vice-Président et de la personne titulaire de ce poste dans ses mains. C’est pour cette
raison que depuis la fin des années 70 jusqu’au début des années 90, le vice-Président ne fait plus partie
du paysage institutionnel des Etats considérés.

Mais l’institution réapparaît avec les nouvelles Constitutions des années 90 et plus précisément au
Gabon. En effet, après vingt ans d’éclipse, le poste de vice-Président a été institué à nouveau dans ce
pays par le constituant dérivé le 22 avril 1997. Le vice-Président de la République est nommé par le
Chef de l’Etat et n’a pas d’attributions précises. L’article 14 dispose que « le vice-Président de la
République supplée le Président de la République dans les fonctions que celui-ci lui délègue ». Le
vicePrésident est donc ici dans une situation moins confortable que sous l’empire de la Constitution
gabonaise de 1961 ou de la Constitution togolaise de 1963. Les fonctions qu’il exerce sont des tâches
administratives du Président. Les délégations ne sont pas permanentes. Elles font l’objet d’actes
spéciaux du Président de la République. Le vice-Président exerce donc des tâches du domaine
présidentiel. Mais puisqu’il dépend entièrement du Chef de l’Etat, son rôle ne peut qu’être effacé. On
peut alors affirmer avec Theodore Roosevelt, à l’époque Président des Etats-Unis, que la fonction de
vice-Président « est un marche-pied pour l’oubli » ou avec C. Dawes qui a souligné que « le métier de
vice-Président est le plus facile du monde et consiste à s’asseoir pour écouter parler les sénateurs et à
s’informer, dans les journaux du matin, de la santé du Président ». La large dépendance du vice-
Président au Chef de l’Etat rend cette fonction insignifiante et sans intérêt et fait de lui, pour employer
la terminologie de Benjamin Franklin, « his superflow excellency ».
70

Notons que cette faiblesse des prérogatives du vice-Président gabonais n’est pas spécifique du
présidentialisme comme le témoignent les exemples américains et sud-africains. Même si pour ces deux
cas, le vice-Président de Nelson Mandela, Thabo Mbéki est devenu Président de la République sud-
africaine et le vice-Président de Renald Reagan, George Bush, Président des Etats-Unis, le vice-
Président n’est pas toujours le dauphin du Chef de l’Etat. Le plus souvent, il est un simple assistant
parmi tant d’autres. C’est le cas au Gabon où ce poste semble avoir été créé par le Président Bongo non
seulement dans une logique de « géopolitique », c’est-à-dire de distribution géographique et ethnique
des prébendes, des postes et des honneurs, mais aussi dans une logique de neutralisation du Premier
ministre dont les pouvoirs ont été formellement renforcés par la Constitution de 1991. Dans un cas
comme dans l’autre, l’objectif est le renforcement de la légitimité et du pouvoir présidentiels.

L’hégémonie du Chef de l’Etat porte aussi atteinte à l’autonomie du gouvernement.

Comme pour le vice-Président, le gouvernement ne semble pas pratiquement constituer une institution
autonome. Le Premier ministre, bien que ces pouvoirs aient été théoriquement renforcés par le nouvel
ordonnancement juridique, apparaît, en pratique, comme un simple collaborateur du Président. Il ne
dispose pratiquement d’aucun pouvoir propre.

Le Premier ministre est la première institution de l’exécutif connue sous la colonisation et au lendemain
des indépendances dans les Etats africains. Le Gabon, le Cameroun, le Congo, la RCA, le Tchad et le
Togo ont tous été dirigés par des Premiers ministres vers la fin de la colonisation et au début des
indépendances. En effet, les premières Constitutions africaines de 1959 et de 1960 qui s’inspirent
largement de la Constitution française originelle de 1958, ont institué le Premier ministre comme chef
de l’exécutif et chef du gouvernement. Par la suite il a été soit maintenu dans les autres Constitutions
soit carrément aboli.

Au Gabon, le Premier ministre a disparu dans la Constitution du 21 février 1961 et n’est réapparu
qu’avec la révision constitutionnelle du 15 avril 1975, mais sans pouvoirs. Il n’est redevenu, comme en
1959 et en 1960, chef du gouvernement qu’après les révisions constitutionnelles du 26 avril 1979 et
surtout du 22 août 1981. C’est cette option que maintient la Constitution de 1991 actuellement en
vigueur (article 32 al.1).

Il n’est pas besoin de souligner que, sous le régime du parti unique, quand il existe, le Premier ministre
n’a que très peu de pouvoirs. Le plus souvent, il n’est pas chef du gouvernement. S’il peut contresigner
certains actes du Chef de l’Etat et recevoir une délégation des pouvoirs présidentiels, il est sous la
dépendance totale du Président de la République. Il est nommé et révoqué discrétionnairement par le
Chef de l’Etat.

Notons que certains régimes se conforment en droit avec la logique présidentialiste qui veut que dans
l’Etat il n’y ait qu’un seul Chef. Ainsi, le régime militaire de Gnassingbé Eyadéma, malgré le retour au
constitutionnalisme en 1980, n’a pas trouvé la nécessité d’instituer un Premier ministre de 1967 à 1990.
De même, la Constitution initiale camerounaise de 1972 ne prévoit pas le poste de Premier ministre et
même sa constitutionnalisation en 1975 dans un souci de déconcentration du pouvoir et, dès la révision
constitutionnelle de 1979, dans une perspective de succession néo-patrimoniale du pouvoir, n’a été que
de courte durée. En effet, l’institution « premier ministérielle » a été supprimée en 1984 dans ce pays.
Il s’agit pour le nouveau Président Paul Biya, de mieux exercer son pouvoir sans aucun partage. Le
Premier ministre ne réapparaît au Cameroun qu’avec le retour au multipartisme en 1991.

Il convient de souligner que, paradoxalement, le régime militaire tchadien établi en 1975, dans un
contexte de réconciliation nationale, a institué le poste de Premier ministre dans la Charte fondamentale
de 1978. Ses pouvoirs sont classiques et assez importants : la proposition de la composition des
71

membres du gouvernement, la conception et la conduite de l’action gouvernementale, l’exécution des


textes législatifs et réglementaires, la direction des réunions interministérielles, etc . Mais cette Charte,
du fait de la guerre civile de 1982 a été abrogée et remplacée par l’Acte fondamental de la République
de 1982 qui n’a pas trouvé la nécessité d’instituer le poste de Premier ministre. Celui-ci n’est réapparu
dans le paysage institutionnel tchadien qu’avec la Constitution de 1989. Ce poste est maintenu dans la
Charte nationale de 1991 et est prévu dans l’actuelle Constitution de 1996. Dans l’ensemble, sous le
monopartisme, le Premier ministre est une institution soumise au bon vouloir du Chef de l’Etat et ne
joue que le rôle « d’un chef de chœur amateur ». En effet, le Chef de l’Etat, détenteur suprême du
pouvoir exécutif, est le seul à déterminer la politique de la nation. Il est le chef de l’administration et le
principal titulaire du pouvoir réglementaire dont on sait qu’il constitue un véritable droit commun. Le
Premier apparaît ainsi comme un simple décor institutionnel et le dualisme de l’exécutif un dualisme
de façade.

Avec le processus de démocratisation, le rôle et les pouvoirs du Premier ministre ont été formellement
réhabilités. En effet, issus des Conférences nationales, les Premiers ministres disposent d’une grande
légitimité et jouissent même, aux yeux des populations, d’un prestige supérieur à celui des dirigeants
en place. Il en est ainsi des Premiers ministres gabonais, Casimir Oye Mba, togolais, Joseph Kokou
Koffigoh, congolais, André Milongo et tchadien Fidèle Moungar. Les différentes Constitutions adoptées
ou révisées dans les années quatre-vingt-dix ont tenté de renforcer les pouvoirs du Premier ministre. De
façon générale, le Premier ministre dispose, presque partout, des mêmes pouvoirs. Il est le chef du
gouvernement et dirige l’action de celui-ci. Il est chargé de l’exécution des lois, détient le pouvoir
réglementaire, nomme aux emplois civils et militaires et contresigne certains actes présidentiels. Ainsi,
on a donc assisté dès 1990 à une sorte de revitalisation du Premier ministre africain et donc à la mise
en place d’une structure dualiste ou bicéphale de l’exécutif. Mais, ce formalisme n’a pas pu résister à
la tendance centralisatrice des pouvoirs par les Chefs d’Etat africains. En effet, au fil des années, le
Chef de l’Etat s’est réapproprié ses pouvoirs traditionnels soit par la force, soit par le biais de la révision
constitutionnelle. Au Togo, le Président Eyadéma, a réussi à neutraliser le Premier issu de la Conférence
nationale comme celui issu de l’opposition parlementaire majoritaire aux élections législatives de 1994.
Ces deux périodes de la transition démocratique au Togo ont montré la mise en scène d’une véritable
lutte permanente pour la conquête de la totalité du pouvoir au sein de l’exécutif. Fidèle à sa méthode
brutale et grâce à la force de l’institution dont il est l’incarnation, l’ancien Président togolais a pu
récupérer l’essentiel de ses pouvoirs perdus et constitutionnaliser sa suprématie.

Les Constitutions qui renforcent formellement les pouvoirs du Premier ministre ont aussi pourvu à leur
amoindrissement par un accroissement réel des prérogatives présidentielles et la pratique est venue
laminer encore un peu plus les pouvoirs du Premier ministre. Autrement dit, la persistance du régime
présidentialiste en Afrique noire accompagnée d’une concordance entre majorité présidentielle et
majorité parlementaire entraînent la domestication du Premier ministre. Ses pouvoirs restent donc très
limités et il est aujourd’hui erroné de parler d’une dyarchie de l’exécutif dans les Etats africains. En
réalité, le Chef de l’Etat demeure le seul maître à bord dans l’Etat. Il nomme et révoque le Premier
ministre ad nutum. Le chef du gouvernement n’a aucune autonomie par rapport au Chef de l’Etat. Son
pouvoir de contreseing n’est qu’un pouvoir de façade car c’est le Chef de l’Etat qui a le pouvoir
d’authentification des actes.

Dans l’ensemble, le gouvernement est doublement affaibli :

D’abord l’hypertrophie de la fonction présidentielle. En effet, c’est bien le Président de la République


qui, en droit ou en fait, détermine la politique de la nation parfois, en concertation avec le gouvernement.
Mais on sait que le gouvernement ne peut, en aucun cas, s’opposer aux orientations du Chef de l’Etat
notamment en conseil des ministres. Ainsi, le Premier ministre, chef du gouvernement reste cantonné
72

dans un rôle de docile exécutant. Il ne peut, du moins pour le moment, entrer en concurrence avec le
Président de la République sans risque de révocation. Le Premier ministre sait d’ailleurs qu’il ne lui est
pas avantageux d’entrer en rébellion avec le Chef de l’Etat car, élu du peuple tout entier, il lui revient
légitimement le pouvoir de diriger le pays en fonction de ses propres desiderata.

Ensuite l’atrophie de la fonction gouvernementale. En effet, le gouvernement se contente d’appliquer


la politique souhaitée et définie par le Chef de l’Etat. Le gouvernement ne constitue dès lors qu’une
simple « courroie de transmission » entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire
mécanique, dévouée et inféodée. Afin d’éviter toute opposition et toute concurrence gênante entre le
Premier ministre et le Président de la République, ce dernier, choisit le plus souvent un proche, un «
camarade » docile au poste de Premier ministre afin de mieux le contrôler.

Il n’y a donc pas de doute que le Chef d’Etat africain prime à la fois sur le Premier ministre et sur le
gouvernement. C’est à ce propos que le Premier ministre Jacques Chirac a déclaré en 1974 que : « C’est
le Chef de l’Etat qui est directement responsable de l’orientation générale de la politique, c’est lui qui
doit donner les directives servant à l’action quotidienne du gouvernement. Cela implique qu’il ne peut
y avoir de discussion sur les orientations qu’il nous donne. Donc que le Premier ministre, par définition,
doit adhérer aux actions du Président de la République ».

En un mot, le Premier ministre, dans les Etats africains, demeure, en réalité, sans pouvoir autonome lui
permettant de prendre des initiatives et donc de gouverner. Il est un simple « procédé du Président »,
l’instrument, l’outil d’une domination présidentielle sans partage. C’est bien ce que traduit cette boutade
merveilleuse de l’ancien Premier ministre gabonais Léon Mébiame (1975-1990), au cours d’une
émission télévisée en 1990 : « Je n’ai jamais gouverné ». Et cette situation est telle qu’aujourd’hui «
aucun Premier ministre, depuis le retour au multipartisme, ne s’est jamais prévalu d’un bilan 65
honorable, car la fonction semble se réduire à un jeu de séduction exécuté dans la cour du satrape. A
l’origine de cette dérive, un seul coupable : l’hyperprésidentialisme ».

Si le présidentialisme est réfractaire à toute idée de dyarchie réelle au sommet de l’Etat et est donc
synonyme de refus du pouvoir partagé, il est aussi refus du pouvoir contrôlé. Autrement dit, le régime
présidentialiste assure aussi la prééminence présidentielle sur les contrepoids constitutionnels.

2/- Sur les contrepoids constitutionnels

Traditionnellement, le Parlement et les juridictions sont considérés, notamment dans les démocraties
occidentales, comme des institutions faisant contrepoids au pouvoir présidentiel. Mais, dans les Etats
africains, notamment sous le parti unique, ces contre-pouvoirs n’ont jamais joué pleinement leur rôle.
En effet, le régime présidentialiste instauré dans ces Etats a eu pour effet « d’affaiblir, voire d’annihiler
les contrepoids au pouvoir » que sont notamment le Législatif et le Judiciaire. Cette annihilation des
contrepoids a été formellement remise en cause avec les nouvelles Constitutions pluralistes des années
90. Toutefois, en pratique, la domination présidentielle sur le Parlement et l’appareil judiciaire est
toujours réelle.

Sous le monopartisme, le Parlement n’a pas, dans l’ordre constitutionnel, la même importance dans les
régimes parlementaires à propos desquels on avait pu écrire que « (…) l’œuvre constitutionnelle et
législative, c’est l’Assemblée. Qui ignore l’Assemblée nationale ne peut comprendre la Constitution
qu’elle a élaborée ». Contrairement à cette position prééminente du Parlement, dans les régimes
présidentialistes monolithiques africains, le Parlement se trouve dans une position subalterne. Il n’est
nullement le lieu des débats politiques et constitutionnels. Son rôle n’est pas de pondérer le pouvoir
présidentiel, encore moins de le remettre en cause, mais « (…) d’aider le gouvernement à faire des lois
73

équitables ». Le Parlement monocolore, dont une partie des députés est choisie par le Chef de l’Etat,
n’a donc qu’un rôle de figuration ; c’est un « élément du décor et du décorum ».

Avec le processus de démocratisation, on a assisté à une sorte d’émancipation formelle du Parlement


par le renforcement de ses pouvoirs, par la création d’une chambre haute, le Sénat et par la restauration
de sa composition pluraliste. Mais, en réalité, la persistance du régime présidentialiste n’a pas permis
un véritable « décollage politique et institutionnel » de l’institution parlementaire. En effet, malgré la
composition pluraliste des Parlements africains et leur caractère bicaméral, la plupart des institutions
parlementaires africaines demeurent dans une position subalterne. Cela peut être vérifié politiquement
comme juridiquement.

Sur le plan politique, l’ancien parti unique constitue dans les différents Etats, la première force politique
au Parlement écrasant ainsi les partis de l’opposition. En effet, du fait que le Chef de l’Etat demeure le
Président fondateur du parti, du fait de ses ressources humaines et financières et des méthodes de
corruption qu’il emploie, le parti présidentiel est au centre de la vie politique sous l’impulsion de son
fondateur. Celui-ci demeure d’ailleurs, en fait, le Chef de la majorité parlementaire comme il est le Chef
de la majorité présidentielle. Ce qui fait que les députés sont encore largement dévoués à leur Chef.
Aujourd’hui encore, nombreux sont les parlementaires qui doivent leur élection du Président de la
République. Dans les pays considérés, pour se faire élire ou même pour être investi au sein du parti, il
apparaît nécessaire de disposer d’appui présidentiel.

Le Parlement est également limité juridiquement. En effet, les Constitutions africaines ne diffèrent
pratiquement en rien sur les pouvoirs du Parlement. Elles contribuent toutes à la rationalisation du
parlementarisme laquelle se traduit par l’affaiblissement du législatif par rapport à l’exécutif. Les causes
classiques de cette faiblesse sont contenues dans les Constitutions des Etats faisant l’objet de notre étude
qui s’inspirent largement de la Constitution française de 1958. Ces causes concernent la limitation du
domaine législatif, l’extension de la fonction exécutive et l’exercice, par l’exécutif, de prérogatives dans
la procédure législative.

Le premier point est une donnée constitutionnelle essentielle. Le domaine législatif est strictement
circonscrit, comme en France avec l’article 34 de la Constitution de 1958, aux matières énumérées par
les articles 47, 84, 125, 61, 111 et 26 respectivement des Constitutions gabonaise de 1991, togolaise de
1992, tchadienne de 1996, centrafricaine de 2004, congolaise de 2002 et 66 camerounaise de 1972
(révision de 1996). Au regard de ces articles, on peut distinguer deux types de matières : les matières
dont la loi fixe les règles, par exemple l’exercice des droits fondamentaux et devoirs des citoyens,
l’organisation de l’état civil, l’organisation administrative et financière, l’assiette, le taux et les
modalités de recouvrement des impositions de toute nature…et les matières dont la loi détermine les
principes fondamentaux : l’enseignement, la santé, la sécurité sociale…

Pour ce qui concerne le domaine d’intervention de l’exécutif, nous pouvons dire qu’il est vaste et même
susceptible d’extension. Il porte d’abord sur le pouvoir réglementaire autonome qui concerne toutes les
matières qui ne sont pas réservées à la loi. Il est extensible car l’exécutif peut, sur habilitation du
législateur, prendre par ordonnances, des mesures dans les matières relevant normalement de la loi.

Ainsi, selon une pratique constante depuis 1960, le Chef de l’Etat ou son gouvernement légifère par
ordonnance pendant l’intercession parlementaire. On sait que ce pouvoir réglementaire autonome du
Président est d’une importance capitale dans les Etats africains en raison de la prééminence du Chef de
l’Etat sur le Parlement et ce pouvoir continue d’ailleurs d’occuper une place prépondérante aujourd’hui
dans l’ordonnancement juridique africain. En outre, comme en France, en période de crise ou
74

exceptionnelle, le Chef d’Etat africain peut exercer une dictature provisoire. Les mesures prises peuvent
porter sur le domaine réglementaire comme sur le domaine législatif.

Par ailleurs, le Président de la République a aussi des prérogatives dans la procédure législative. Mises
en œuvre soit par le Président soit par le gouvernement, ces prérogatives sont variées et placent
l’exécutif et notamment le Chef de l’Etat dans une position prépondérante par rapport au Parlement. Ce
sont : l’ouverture et la clôture de la session parlementaire par décret présidentiel. Il s’agit ici de la
session extraordinaire ; l’ordre du jour du Parlement comporte en priorité l’examen des projets de lois
et propositions de lois acceptées par le gouvernement ; l’accès des membres du gouvernement au
Parlement. Ils peuvent être entendus à leur demande ou à celles des instances parlementaires ; l’exécutif
et notamment le gouvernement partage l’initiative des lois ; l’urgence du vote d’une loi peut être
demandée, soit par le gouvernement, soit par le Parlement à la majorité absolue ; l’irrecevabilité
opposée par le Premier ministre à un texte ou un amendement qui n’est pas du domaine de la loi ou
dépasse les limites de l’habilitation législative accordée au gouvernement. En cas de désaccord, le juge
constitutionnel sera saisi pour réguler le conflit ; le recours au référendum ; la dissolution de
l’Assemblée nationale.

Ces différents éléments concourent à la domestication du Parlement.

Certes, les parlementaires jouissent des immunités consacrées par la tradition parlementaire, mais « une
telle protection indispensable pour un exercice serein de l’activité parlementaire perd son sens pour des
parlementaires qui semblent ne devoir être des parlementaires que de nom ». Par ailleurs, ces immunités
peuvent être violées par le Chef de l’Etat et son gouvernement quand bon leur semble. Ainsi, par
exemple, le député togolais Yawovi Agboyibo a-t-il été mis en prison, pour des raisons politiques, en
2000 au mépris du droit parlementaire et de la Constitution. De même au Gabon, dans sa lettre de
démission du 30 mars 2016, l’ancien Président de l’Assemblée nationale, Guy Nzouba Ndama, fait état
des violations graves des immunités parlementaires par l’exécutif.

Jouissant donc de prérogatives soigneusement limitées et au reste entamées par l’exécutif, le Parlement
ne joue, en définitive, qu’un rôle mineur dans les Etats africains. Tout au plus, les parlementaires
participent à l’activité législative, mais leur production normative reste largement faible. Sans doute, ils
savent que même s’ils le font, le dernier mot revient au Chef de l’Etat qui donne force juridique à la loi
par son pouvoir de promulgation. Ils sont subordonnés au pouvoir exécutif et ne peuvent donc exercer
aucun contrôle politique efficace. En effet, « les parlementaires sont réduits à la docilité, à la passivité
et ne disposent plus que du choix entre la servitude volontaire et la frustrante impuissance». La situation
des Parlements s’est même aggravée avec la création d’une juridiction constitutionnelle spécialisée, la
Cour constitutionnelle ou le Conseil constitutionnel, juridiction en principe autonome, dont l’une des
missions essentielles inavouées consiste à surveiller et à contrôler le Parlement et non à faire
véritablement contrepoids au pouvoir présidentiel. Ce qui revient à dire que l’appareil judiciaire, dans
les Etats africains, reste aussi sous la domination du Chef de l’Etat.

Le processus de démocratisation a eu pour objet la réhabilitation formelle de l’appareil judiciaire. En


effet, dans la plupart des Etats africains, on a assisté à l’éclatement partiel ou total de la Cour suprême
et à la naissance de juridictions, plus ou moins, autonomes. Toutefois, la persistance du régime
présidentialiste n’a pas permis et permet pas toujours a l’appareil judiciaire de fonctionner de façon
autonome et d’être efficace. En d’autres termes, la persistance de la puissance présidentielle entame
pleinement l’appareil judiciaire. Ce dernier ne constitue nullement un pouvoir autonome. L’abandon du
terme « pouvoir judiciaire » au profit du mot « autorité judiciaire » dans la plupart des Constitutions
africaines à l’exception de celles du Gabon et du Togo est déjà significatif en lui-même. Sans doute, ces
Constitutions ont voulu mieux se conformer à la réalité politique.
75

Les difficultés du juge africain avec le pouvoir exécutif ont été soulignées très tôt, dès 1960, par
François Luchaire. La justice, dans les Etats africains, dispose d’un statut pratiquement minoré et est
donc structurellement soumise au pouvoir politique. Leurs rapports sont, en général, des rapports de
subordination. Selon une pratique constante, cette dépendance de l’appareil judiciaire est
constitutionnalisée. En effet, l’indépendance de la justice est constitutionnellement garantie par le
Président de la République. Ce dernier est toujours le Président du Conseil supérieur de la Magistrature
et à ce titre, il continue de nommer les magistrats, d’assurer leur avancement et leur discipline. Ce qui
montre que le Président dispose encore d’une mainmise importante sur l’appareil judiciaire qui demeure
ainsi, dans une grande mesure, dépendant du Chef de l’Etat. Et l’image des juridictions s’est même
dégradée aux yeux des populations du fait de sa partialité et surtout du fait de ce qu’il convient d’appeler
la gangrène de la magistrature, c’est-à-dire la corruption généralisée des juges. Mais depuis l’éclatement
de l’appareil judiciaire en plusieurs Cours, la seule juridiction qui semble se démarquer de cette
catégorie, c’est la juridiction constitutionnelle spécialisée. Ce tribunal est considéré par nombre
d’analystes et même par les populations, comme une juridiction modèle. En effet, par son contrôle sur
la constitutionnalité des lois, la Cour constitutionnelle ou le Conseil constitutionnel a, à plusieurs
reprises, joué et joue encore un rôle prépondérant dans la protection et la garantie des droits
fondamentaux des citoyens. Elle a, par exemple, pu annuler, à maintes reprises, au Gabon et au
Cameroun, les élections législatives entachées d’irrégularités même lorsque ce sont des ministres qui
sont en compétition. La Cour constitutionnelle apparaît donc comme un gardien de la démocratie. Mais,
nous verrons que l’institution n’échappe pas à la critique.

Concrètement, s’agissant du juge de droit public ou juge de l’Etat et notamment du juge administratif
et constitutionnel, il faut reconnaître que leur tâche n’est nullement aisée. En effet, compte tenu de la
pesanteur de l’héritage de subordination, le juge semble encore éviter de remettre en cause directement
ou indirectement celui qui personnifie l’Etat et s’identifie à lui, c’est-à-dire le Président de la
République. Le juge constitutionnel ou administratif, nous le verrons, confronté à des affaires ayant une
incidence politique préfère soit refuser de se prononcer en invoquant des arguments de procédure, soit
recourir à des principes d’interprétation qui ne portent pas atteinte à la suprématie présidentielle, soit
enfin il invoque, par mimétisme, et pour se déclarer incompétent, la fameuse théorie des actes de
gouvernement ou de l’acte politique. On comprend pourquoi, par exemple, le contentieux administratif
est si rare, rétrécis et si pauvre.

C- L’irresponsabilité présidentielle

L’irresponsabilité du Chef de l’Etat est double : politique et pénale.

1/- L’irresponsabilité politique devant le Parlement

Le principe de l’irresponsabilité politique du Chef de l’Etat veut que celui-ci n’ait pas de comptes à
rendre au Parlement. Autrement dit, il signifie l’irrévocabilité, c’est-à-dire qu’aucune procédure
constitutionnelle n’existe pour sanctionner les décisions politiques du Chef de l’Etat au sein des
Assemblées parlementaires, et qu’en particulier, rien ne peut l’obliger à démissionner. L’irresponsabilité
politique découle de la tradition parlementaire que consacre l’adage « the King can 68 do no wrong »
(le Roi ne peut mal faire) et le principe constitutionnel de 1791 selon lequel « la personne du roi est
inviolable et sacrée ».

L’irresponsabilité politique du Chef d’Etat parlementaire obéit donc à une logique politique. Elle repose
sur l’idée que le Chef de l’Etat ne gouverne pas et que l’irresponsabilité est la contrepartie de son
impuissance. En effet, les pouvoirs du Chef de l’Etat se trouvent cantonnés au stade des virtualités : ce
sont des pouvoirs apparents qui ne revêtent qu’un caractère purement nominal et qui, de ce fait, ne
76

peuvent fonder sa responsabilité politique devant le Parlement. En d’autres termes, « les régimes
parlementaires ont mis à mort politiquement leur Roi, pour mieux le couvrir d’honneurs et de pouvoirs
formels ». D’où la généralisation du contreseing ministériel qui transfère la réalité du pouvoir et la
contrepartie correspondante, c’est-à-dire la responsabilité politique, sur les ministres contresignataires.
Toutefois, dans le régime présidentialiste, ce mécanisme du régime parlementaire est complètement
limité d’une part, par la dénaturation et la limitation du contreseing ministériel et, d’autre part, par
l’attribution au Chef de l’Etat de pouvoirs propres dispensés du contreseing ministériel. Dans la logique
démocratique qui veut que le pouvoir soit proportionnel à la responsabilité, ces deux mécanismes
devraient, en principe, aboutir à une responsabilité politique du Chef de l’Etat devant le Parlement. En
réalité, c’est le contraire qui s’est produit. Le Chef de l’Etat demeure politiquement intouchable. Son
irresponsabilité politique est largement étendue.

Dans le système parlementaire, l’irresponsabilité politique traditionnelle du Chef de l’Etat est


compensée par la responsabilité politique du gouvernement, véritable titulaire du pouvoir. Cette logique
parlementaire est domestiquée dans les systèmes constitutionnels gabonais. En effet, si celui-ci consacre
la responsabilité politique du gouvernement comme contrepartie formelle à l’irresponsabilité
présidentielle, ce principe est pratiquement phagocyté. Le gouvernement conduit une politique
déterminée par le Chef de l’Etat. Ce dernier bénéficiant de l’immunité devant le Parlement, fait
naturellement échoir ce privilège à ses ministres.

Le Président de la République semble bénéficier, en dehors de son irresponsabilité traditionnelle, d’une


immunité politique devant le Parlement pour ses pouvoirs propres mais aussi pour son action
gouvernementale.

Le Chef de l’Etat dispose de pouvoirs propres qu’il peut exercer librement, c’est-à-dire sans contreseing
ministériel. Pour Bernard Branchet, « l’absence de contreseing résulte de l’impérieuse nécessité
d’attribuer de réels pouvoirs au Chef de l’Etat, en tant que partie intégrante de sa fonction, sans pour
autant que l’attribution de tels pouvoirs remette en cause son irresponsabilité devant le Parlement ».
L’auteur ajoute que l’irresponsabilité présidentielle est « fondamentalement liée à la nature de la
fonction pour laquelle de tels pouvoirs sont conférés ». Cette conception doit pourtant être nuancée. En
effet, selon la logique démocratique, le pouvoir requiert la responsabilité comme la responsabilité
appelle le pouvoir. La reconnaissance des pouvoirs propres au Chef de l’Etat devrait en principe
impliquer la consécration de la responsabilité présidentielle devant le Parlement. C’est dans ce sens que
Stéphane Rials affirme que la notion de pouvoir propre « subvertit (…) la logique parlementaire
classique et remet en cause la possibilité juridique et pratique d’une irresponsabilité du Chef de l’Etat
(…) » devant le Parlement. Dans le présidentialisme gabonais, parce que l’irresponsabilité du Chef de
l’Etat se fonde sur sa puissance, c’est le contraire qui s’est produit. En effet, les pouvoirs propres du
Chef de l’Etat, dispensés du contreseing ministériel, ne sont nullement contrôlés par le Parlement. Ils
renforcent l’irresponsabilité présidentielle. Les pouvoirs propres du Chef de l’Etat sont nombreux et
énumérés par la Constitution. On distingue la nomination des certaines hautes personnalités de l’Etat
(notamment le premier ministre et trois membres de la Cour constitutionnelle dont le président), les
droits de message et de grâce, l’appel à un arbitre (le référendum), la dissolution de l’Assemblée
nationale et les pouvoirs de crise du Président.

La Constitution indique que la politique de la nation est définie par le gouvernement en concertation
avec le Président. En réalité, la position hégémonique de ce dernier lui confère le droit de gouverner.
Par conséquent, c’est à lui que revient le pouvoir de déterminer la politique économique, sociale,
culturelle, étrangère etc., de la nation. Il le fait avec l’aide du gouvernement. Mais ce dernier n’intervient
que pour appliquer la politique conçue par le Chef de l’Etat et sous le contrôle de ce dernier. Le Président
de la République apparaît ainsi comme le véritable chef du gouvernement. Dans la logique
77

démocratique qui veut que le pouvoir appelle la responsabilité et vice versa, cet accroissement de la
puissance présidentielle ou plutôt cette omniprésence du Chef de l’Etat devrait, en principe, entraîner
sa responsabilité politique. Mais il n’en est rien. Le Chef de l’Etat, véritable titulaire du pouvoir
gouvernemental, est politiquement irresponsable devant le Parlement. Cette irresponsabilité
gouvernementale du Président est renforcée par son élection au suffrage populaire. Elu de la nation tout
entière, le Président-gouvernant n’a pas de comptes à rendre à un Parlement dévoué presque totalement
à sa cause et dont les campagnes d’une bonne partie des membres ont été financées par lui. Cette
situation montre clairement qu’en régime présidentialiste, le dualisme exécutif constitutionnel est
pratiquement un dualisme de façade. Le Président apparaît comme le seul concepteur de la politique de
la nation, voire le seul gouvernant, qui n’a pas de comptes à rendre.

En somme, le Chef de l’Etat bénéficie qu’une irresponsabilité étendue, à la fois pour ses pouvoirs
propres mais aussi pour son action gouvernementale. Cette irresponsabilité extensive inhérente au
régime présidentialiste dénature largement les mécanismes du régime parlementaire et ce, d’autant plus
qu’elle semble engloutir la responsabilité politique du gouvernement. Celui-ci se trouve donc, du fait
de l’irresponsabilité présidentielle, irresponsable devant le Parlement.

2/- L’irresponsabilité pénale

Le Chef de l’Etat au Gabon est pénalement irresponsable. Cette irresponsabilité est prévue par la
Constitution de 1991. Mais cette dernière en fixe aussi les limites. En effet, elle pose le principe de la
responsabilité pénale du Chef de l’Etat. L’article 78 dispose qu’« elle (la Haute Cour de justice) juge le
Président de la République en cas de violation du serment ou de haute trahison ». Mais en pratique,
cette responsabilité pénale est complètement illusoire pour deux raisons. D’une part, ni la Constitution
ni la loi organique n°49/2010 ne définit clairement la haute trahison. Cette absence de définition claire
et précise de la haute trahison contribue au verrouillage de la mise en œuvre de la responsabilité pénale
du Chef de l’Etat.

Par ailleurs, la violation du serment est une infraction simulacre qui n’est nullement sanctionnée ainsi
que le prouve l’absence de pratique.

D’autre part, et c’est la deuxième cause, le fait majoritaire empêche la mise en œuvre de la responsabilité
pénale du Chef de l’Etat. En effet, le Chef de l’Etat ne peut être mis en accusation devant la Haute Cour
de justice qu’à la majorité des deux tiers des membres du Parlement. Or, depuis 1990, le PDG, parti du
Chef de l’Etat, dispose d’une majorité absolue, écrasante au Parlement. Dès lors, il est impensable que
le Chef de l’Etat soit mis en cause par les parlementaires inféodés de son parti.

Ainsi, en droit comme en fait, la mise en jeu de la responsabilité pénale du Chef de l’Etat est
complètement platonique. Cette irresponsabilité présidentielle a été renforcée par la révision
constitutionnelle du 11 octobre 2000. En effet, elle a établi une véritable immunité pénale quasi absolue
et perpétuelle du Chef de l’Etat. L’article 78 al. 7 de la Constitution dispose que « le Président de la
République qui a cessé d’exercer ses fonctions ne peut être mis en cause, poursuivi, recherché, arrêté,
détenu ou jugé pour les faits définis par la loi organique prévue à l’article 81 de la Constitution ». Ainsi,
irresponsable en droit et en fait dans l’exercice de ses fonctions, le Chef d’Etat gabonais l’est aussi après
la cessation de ses fonctions. Cette irresponsabilité du Président avait été justifiée par les membres du
PDG au pouvoir. Selon Georges Rawiri, alors premier président du Sénat, « l’immunité accordée aux
anciens Chefs d’Etat gabonais est conforme au principe constitutionnel ». En revanche, les opposants
de l’époque avaient qualifié cette immunité d’anti-démocratique. Selon le Professeur Pierre-André
Kombila, président du RNB/Démocrates, « parler d’Etat de droit tout en décrétant l’immunité totale
d’un citoyen, fut-il Président de la République, relève de l’inconséquence la plus préjudiciable au
78

développement de la démocratie ». Quant à Pierre Mamboudou, président de l’UPG, la modification de


l’article 78 de la Constitution de 1991 qui garantit l’immunité pénale du Chef de l’Etat après l’expiration
de son mandat est « immorale car quelqu’un qui n’a rien à se reprocher n’a pas à se prémunir de quoi
que ce soit (…). Les anciens Présidents doivent bénéficier d’un statut spécifique. Mais, en ce qui 70
concerne le Gabon, l’alternance ne doit pas être assujettie à l’impunité de celui qui a posé des actes s’ils
sont jugés répréhensibles ».

Cette immunité pénale du Chef de l’Etat consacrée par la révision constitutionnelle de 2000 trouve en
réalité son fondement politique dans les négociations entre la majorité présidentielle et l’opposition qui
ont abouti aux Accords de Paris le 7 octobre 1994. En effet, l’élection présidentielle du 5 décembre
1993 remportée par le candidat sortant Omar Bongo, à la suite de ce l’on a appelé « un coup d’Etat
électoral », a entraîné une vague d’explosion de violence sans précédent endeuillant de nombreuses
familles. Pour mettre fin à ce chaos politico-social, renforcé par la dévaluation du FCFA en janvier
1994, la classe politique gabonaise s’est retrouvée à Paris pour la « paix des braves », selon la formule
Pierre-Louis Agondjo Okawe, un des leaders de l’opposition de l’époque. Ces négociations politiques
ont abouti aux accords dits de Paris dont les dispositions ont prévu entre autres, la restauration de l’Etat
de droit et le renforcement de l’autorité de l’Etat. Mais en marge de ces dispositions générales, ces
accords ont aussi prévu une prorogation de six mois du mandat des députés et bien entendu de leurs
émoluments, la constitution d’un gouvernement pour la démocratie qui ne peut être ni renversé ni démis
après le vote de confiance par l’Assemblée nationale. Ces dispositions ont été mises en œuvre par la
révision constitutionnelle du 29 septembre 1995.

Quant au Chef de l’Etat, principal bénéficiaire des accords de Paris, il convient de souligner d’abord
avec Tim Auracher qu’il « n’a accepté les négociations à Paris que sous condition que son mandat
présidentiel soit reconnu par le HCR ». Mieux, non seulement il jouit d’une immunité de fonction, mais
encore, du fait de ces accords, il ne peut être poursuivi avant une durée égale à celle de deux mandats
présidentiels (dix ans) après la cessation de ses fonctions. Autrement dit, l’ancien Chef d’Etat gabonais
devait jouir de dix ans d’immunité absolue. Cette règle n’a pas été écrite dans la Constitution avec la
révision constitutionnelle de 1995, ni même dans celle de 1997. Ce n’est qu’en octobre 2000 qu’elle a
été constitutionnalisée et contrairement à l’esprit des accords de Paris, cette règle n’est plus limitée dans
le temps, elle devient donc absolue et perpétuelle. Par ailleurs, en l’absence de dispositions
constitutionnelles et législatives précises, en dehors des crimes de violation du serment et de haute
trahison qui sont eux-mêmes causes d’irresponsabilité, la nature des crimes ou délits éventuellement
imputables au Chef de l’Etat est inconnue. Cette situation met en lumière la volonté du constituant
gabonais de ranger une fois pour toute dans le coffre-fort de la République toute idée de mise en cause
du Chef de l’Etat.

§ 2 : Les modalités du présidentialisme

L’histoire politique africaine regorge plusieurs types de régimes présidentialistes africains que l’on peut
classer en trois catégories : les présidentialismes partisans (A) et les présidentialismes autoritaires ou
semi autoritaires (B).

A- Les présidentialismes partisans

Ces présidentialismes reposent sur le système des partis, selon qu’il est monopartisan ou multipartisan.

1/-Le présidentialisme monopartisan

Si quelques années après les indépendances, la volonté des dirigeants des nouveaux Etats africains
d’unification du pouvoir a conduit à la suppression du multipartisme et donc à la naissance du
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monopartisme de fait, celui-ci n’a été constitutionnalisé que vers la fin des années 60 et généralement
dans les années 70.

Le présidentialisme monopartisan ou encore présidentialisme fort et autoritaire a été institutionnalisé


par les Constitutions congolaise (30 décembre 1969), zaïroise (1974), gabonaise (révision
constitutionnelle du 25 avril 1975), togolaise (13 janvier 1980), etc. Ces textes constitutionnels ont eu
71 pour effet le rejet des traditions parlementaires héritées de la colonisation et ont instauré des régimes
fondés sur l’unité, la concentration et la confusion du pouvoir. On a abouti ainsi à l’identification du
parti, de l’Etat et du Président de la République puisque ce dernier est à la fois Chef de l’Etat, chef du
gouvernement, président fondateur du parti unique et père de la nation. L’adhésion officielle du Congo
en 1969 et du Bénin en 1977 au marxisme scientifique, la doctrine de l’authenticité au Zaïre, exportée
ensuite au Togo et au Tchad dans les années soixante-dix, ont fourni les justifications idéologiques de
ces innovations constitutionnelles. Dans ces différents cas, l’on a assisté à la constitutionnalisation d’un
présidentialisme monolithique musclé caractérisé par la sacralisation du pouvoir et de son titulaire et
par la concentration excessive des pouvoirs malgré quelques éléments de collégialité dans le cadre du
parti unique.

2/-Le présidentialisme multipartisan ou le néo-présidentialisme

Le néo-présidentialisme ou présidentialisme démocratique ou semi-démocratique, selon les cas, se


caractérise par une triple combinaison du multipartisme, des techniques parlementaires rationalisées et
des mécanismes du régime présidentiel.

En effet, le néo-présidentialisme implique un pluralisme politique et associatif qui témoigne de la


dynamique du nouveau système démocratique. Toutefois, dans de nombreux pays, il est simplement
verrouillé, neutralisé et écrasé par l’ancien parti unique, généralement toujours au pouvoir ou par le
nouveau parti dominant.

De plus, le néo-présidentialisme est renforcé par les techniques de rationalisation du parlement qui ont
pour noms, entre autres, la délimitation du domaine de la loi, la demande par l’exécutif d’une nouvelle
délibération de la loi votée, de l’extension de la fonction exécutive, de l’exercice, par l’exécutif, de
prérogatives dans la procédure législative, de la consécration de l’incompatibilité entre la fonction
gouvernementale et le mandat parlementaire. Ainsi, en reprenant, parfois textuellement, les procédures
les plus élaborées du parlementarisme rationalisé, on ne facilite pas l’affirmation de l’institution
parlementaire par rapport à un Chef de l’Etat traditionnellement enclin à exercer un pouvoir sans réel
partage.

Les ingénieurs constitutionnels africains des années quatre-vingt-dix ont également procédé à la
rationalisation des procédures de contrôle parlementaire et plus précisément de la responsabilité
politique du gouvernement.

La réglementation stricte de cette modalité conduit à une véritable impasse, et plus précisément à une
irresponsabilité politique du gouvernement juridiquement organisée.

Enfin, le présidentialisme multipartisan a emprunté du système américain l’élection présidentielle, la


création d’un vice-Président (Gabon) et d’un Sénat. Toutefois, ces institutions jouent difficilement le
même rôle en Afrique dès lors qu’elles se caractérisent par des coups d’Etat électoraux, la neutralisation,
la fragilité et l’inutilité.

B- Les présidentialismes autoritaires et semi autoritaires

Il s’agit des formes dérivées des deux premières formes.


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Généralement, le présidentialisme autoritaire correspond au présidentialisme monolithique. Le système


de parti unique entraînant automatiquement la mise entre parenthèse des libertés politiques et
individuelles et la répression brutale et systématique. Cependant, plusieurs Etats dits officiellement
démocratiques peuvent également entrés dans cette catégorie. Dans ce cas, le multipartisme n’est que
de façade, les élections sont toujours truquées, les libertés fondamentales sont constamment violées,
l’impunité et la corruption sont la règle et la répression policière et judiciaire se fait en violation des
exigences du procès équitable.

En revanche, dans le présidentialisme semi autoritaire ou parfois semi-démocratique, les mêmes


violations sont constatées, mais les dirigeants essayent de laisser une place minimale à l’opposition, au
dialogue social et politique et à une fragile autonomisation des institutions.

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