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BILINGUISME ET TERRITORIALITÉ : L'AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE

AU QUÉBEC ET AU CANADA

Linda Cardinal

C.N.R.S. Editions | « Hermès, La Revue »

2008/2 n° 51 | pages 135 à 140


© C.N.R.S. Editions | Téléchargé le 04/10/2020 sur www.cairn.info via Université du Québec à Montréal (IP: 132.208.246.237)

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ISSN 0767-9513
ISBN 9782271067067
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https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2008-2-page-135.htm
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Linda Cardinal
École d’études politiques, Université d’Ottawa

BILINGUISME ET TERRITORIALITÉ :
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L’AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE
AU QUÉBEC ET AU CANADA

Comment encourager le bilinguisme sans compro- des rapports de forces. Par ailleurs, en ne cessant de
mettre la diversité linguistique ? Quelles sont les poli- débattre des distinctions entre le bien et le juste en
tiques linguistiques les plus susceptibles de contribuer à matière d’aménagement linguistique au sein de la théorie
renverser ou à neutraliser les rapports de force défavo- politique, l’on a peut-être trop facilement oublié que les
rables aux langues nationales ou menacées par la mon- politiques linguistiques adoptées par les États répondent
dialisation linguistique en cours (autrement dit, mena- aussi à des enjeux concrets (Kymlicka et Patten, 2003).
cées par l’anglais) ? Les réponses à ces questions sont Le Canada et le Québec constituent de véritables
multiples, fragmentées en fonction des contextes invo- laboratoires permettant d’approfondir ces questions.
qués. Nombreux sont les acteurs politiques – municipa- Nous allons en discuter plus en détail dans ce texte, mais
lités, administrations régionales, gouvernements natio- au préalable il nous importe d’expliquer davantage les
naux, organisations non gouvernementales, organismes grandes lignes de notre approche.
internationaux… – qui souhaitent mettre en valeur les
avantages du bilinguisme et de l’apprentissage des
langues, et faire adopter des politiques favorables à la La mondialisation linguistique
pérennité des minorités linguistiques. Faut-il encore
reconnaître que l’aménagement linguistique n’est pas Le débat en cours sur le bilinguisme et l’avenir des
une simple technique servant à accommoder les langues langues nationales et minoritaires dans le contexte de
mais que des rivalités entre les groupes linguistiques au la mondialisation est venu rappeler l’importance du
sein des contextes dans lesquels ils évoluent influencent principe de territorialité (c’est-à-dire qu’une langue a
aussi la formulation des politiques à leur intention (De besoin d’un territoire pour s’épanouir) comme cadre
Swaam, 2001). Ainsi compris, le choix d’une politique pour la formulation d’une politique linguistique.
linguistique n’est pas neutre. Il renvoie à des débats et à Parmi les commentateurs les mieux connus de la

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question, Philippe Van Parijs (2000) en fait un des entre langue et politique, qui est particulièrement utile
quatre principes à prendre en compte afin de sous- pour analyser les incidences de la mondialisation sur les
traire les langues nationales et minoritaires des pres- langues nationales et minoritaires. Dressant un bilan de
sions exercées par l’anglais sur celles-ci. Les trois ses travaux menés dans plusieurs pays, dont la Belgique,
autres principes visent essentiellement à préciser les le Canada, l’Espagne, la France, le Québec, la Suisse et
obligations des pays anglophones envers les milieux la Scandinavie, depuis plus de trente ans, il propose sept
non anglophones qui investissent dans l’enseignement lois ou « régularités ». Ce sont les lois de Babel, de
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de l’anglais, ainsi que les devoirs des personnes Pentecôte, de Rousseau, de l’amour qui tue, du marché,
hautement qualifiées qui s’installent à l’étranger. de Lyautey et de Michels (voir annexe). Puisant ses réfé-
Van Parijs estime que les migrants arrivant dans un rences dans la Bible, la science politique, la science des
pays étranger doivent s’intégrer à la langue nationale et organisations, la sociologie et la géographie, chacune de
que ces personnes pourront adopter une lingua franca ces lois renvoie à une tendance lourde qu’il faut prendre
autre que l’anglais si le principe de territorialité est en compte. Laponce met, notamment l’accent sur le rôle
appliqué de façon conséquente. Mais, si les personnes de l’environnement social, culturel, politique et écono-
hautement qualifiées privilégient les pays anglophones, mique, sur les rapports entre les groupes linguistiques et
il est convaincu que les États dont la langue principale sur les comportements de leurs locuteurs.
n’est pas l’anglais n’auront d’autres choix que de procé- Ainsi, il parle d’un effet Babel pour décrire la
der à un nivellement par le bas au plan économique (par mondialisation et sa tendance à l’élimination des
exemple, la réduction des impôts souvent exigée par les langues au profit de l’anglais, même s’il reconnaît qu’il
investisseurs) et d’assouplir les exigences de connais- n’est pas encore l’unique lingua franca du monde (voir
sance de la langue nationale au profit de l’anglais. Dans aussi De Swaam, 2007). À l’extérieur des pays anglo-
un tel contexte, le développement économique pourrait phones, il se crée des univers d’unilinguisme qu’il
même s’avérer incompatible avec certaines formes de importe de mieux comprendre – pensons aux sugges-
justice sociale car l’immigration exercerait une pression tions de Van Parijs – afin d’évaluer leur capacité de
trop forte sur l’État providence. La survie des langues rivaliser avec l’anglais.
nationales ou menacées serait-elle contraire à la justice Laponce invite à réfléchir au degré de coexistence
multiculturelle ? Sans pouvoir répondre de façon défi- ou de bilinguisme souhaitable dans une société donnée.
nitive à cette question, force est de constater que la for- À l’effet Babel, il oppose un effet Pentecôte qu’il associe
mulation des politiques linguistiques, à l’ère de la mon- à un bilinguisme de coopération ou de collaboration, en
dialisation, ne peut pas être détachée des débats plus opposition à un bilinguisme de compétition. Le bilin-
larges sur l’avenir des États nationaux, la justice distri- guisme de coopération est caractérisé par la spécia-
butive et la reconnaissance de la diversité. lisation des fonctions qu’il voit se développer dans
plusieurs domaines, dont celui de la publication scienti-
fique. Par contre, pour être efficace, ce type de bilin-
Bilinguisme et territorialité guisme doit être assorti d’une politique garantissant une
zone de confort ou des espaces d’unilinguisme destinés
Il revient à Jean Laponce (2007) d’avoir échafaudé à renforcer les langues minoritaires sur leurs territoires.
une des théories les plus complètes sur les rapports Encore faut-il que leurs locuteurs y transmettent aussi la

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langue à leurs enfants, l’utilisent au quotidien et se choix. Par contraste, en 1974, le Québec adopte la loi 22
mobilisent afin d’en faire une langue publique. qui fait du français la langue officielle sur son territoire.
Pour sa part, la loi de Rousseau sert à témoigner du Elle impose l’usage du français dans l’affichage public,
rôle de l’éducation dans le maintien et la transmission de oblige les entreprises à appliquer des programmes de
la culture tout comme la « loi de l’amour qui tue » vise à francisation, exige que les enfants issus de l’immigration
évaluer les effets de l’exogamie sur la transmission ou fréquentent l’école française et accorde la priorité au
l’élimination des langues. À ce chapitre, force est de texte français des lois. En 1977, le gouvernement adopte
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reconnaître que moins les locuteurs utiliseront leur langue la loi 101 (Charte de la langue française) et élargit encore
à l’extérieur du foyer, moins ils seront performants sur le plus la portée des mesures déjà adoptées par le passé.
marché des langues. La loi du marché est brutale envers Ainsi, l’État québécois privilégie une politique basée sur
les langues minoritaires. Confrontés au fait que les anglo- le principe de territorialité afin de renforcer la langue
phones font très peu les frais du bilinguisme, les minori- française sur son territoire (Cardinal, 2006).
taires ont intérêt à apprendre plusieurs lingua franca afin Certes le fédéralisme canadien peut accommoder
de chercher à se rendre indispensables sur les plaques plusieurs régimes linguistiques. Toutefois, les appro-
tournantes des réseaux de communication. ches privilégiées dans le domaine de l’aménagement
Finalement, les lois de Lyautey et de Michels témoi- linguistique au Canada et au Québec renvoient à des
gnent de l’influence de l’État et des politiques linguis- débats sur l’avenir du français et à des rivalités entre les
tiques sur l’avenir des langues. Un État qui se fera le peuples fondateurs qui débouchent sur des mesures
champion des langues contribuera davantage à leur révélatrices de l’état du rapport de forces entre eux.
espérance de vie que celui qui prônera le libre marché Ainsi, l’État fédéral s’inspire d’un projet d’État-nation
linguistique. Laponce considère que seules les langues bilingue afin de contrer la territorialisation du français
qui feront l’objet d’une intervention soutenue de la part au Québec et de l’anglais dans le reste du Canada, mais
de l’État pourront survivre à la mondialisation linguis- également car la majorité anglo-canadienne ne veut pas
tique. Celle-ci devra notamment être guidée par le d’un pays biculturel. Celle-ci exige aussi une protection
principe de territorialité. accrue de la minorité anglophone du Québec, notam-
ment parce qu’elle se méfie de l’approche territoriale
de l’État québécois. Or, ce dernier se représente
comme le seul État francophone en Amérique du
Les enjeux de l’aménagement Nord, et nombreux sont ceux qui réclament la pleine
linguistique au Canada et au Québec reconnaissance de cette responsabilité de la part de
l’État fédéral.
Comment le Canada et le Québec se démarquent- Jusqu’à présent les deux approches ont coexisté,
ils dans le débat sur la mondialisation linguistique ? certes en tension l’une avec l’autre, mais elles ont
Quelle place accordent-ils au principe de territorialité ? constitué le meilleur compromis possible entre les fran-
En 1969, le Canada adopte une politique linguis- cophones et les anglophones. L’adoption de la loi 101 a
tique fondée sur le principe de personnalité. Celle-ci contribué à limiter les effets de la loi sur les langues offi-
reconnaît aux Canadiens le droit individuel à des servi- cielles au Québec étant donné qu’elle y fait la promotion
ces gouvernementaux dans la langue officielle de leur de l’anglais. Par ailleurs, la loi canadienne a aussi permis

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d’embaucher plus de francophones au sein de la l’anglais au Canada, notamment sur la capacité du


fonction publique fédérale. Québec à intégrer les immigrants. Comme l’ont révélé
Aujourd’hui, le rapport de force entre les deux les médias canadiens à l’été 2007, on demande de plus
groupes fondateurs du Canada semble toutefois carac- en plus aux immigrés travaillant au Québec de parler
térisé par un nouveau déséquilibre déterminé, en partie, l’anglais dans une société où le principe de territorialité
par le phénomène de la mondialisation. L’anglicisation devrait garantir le respect du français comme langue de
constante des espaces publiques canadien et québécois, travail.
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les besoins grandissants du pays en main-d’œuvre, Si l’on ne cesse de constater l’intérêt des franco-
l’immigration croissante de personnes qui n’ont pas le phones pour la langue anglaise, les données du dernier
français comme langue maternelle, le développement recensement canadien qui ont été dévoilées à l’automne
d’une économie du savoir et de l’innovation, principale- 2007 indiquaient toutefois que le pourcentage de fran-
ment en anglais, constituent autant de facteurs qui en cophones de langue maternelle vivant au Québec venait
témoignent. Déjà que la faiblesse de plus en plus pro- de passer sous le seuil de 80 %, face à l’augmentation
noncée du français à l’extérieur du Québec est une des allophones (personnes qui n’ont ni le français ni
source de préoccupation, la pression qu’exerce doréna- l’anglais comme langue maternelle). Or, même si elles
vant la mondialisation sur les régimes linguistiques peuvent utiliser le français dans l’espace public, ces
canadien et québécois oblige à constater que les législa- personnes sont considérées comme des Québécois
tions existantes ne contribuent peut-être plus suffisam- bilingues ou multilingues bien davantage que comme
ment à l’équilibre des langues fondatrices du pays. des francophones, notamment parce que la majorité
Aussi, l’on ressent le besoin de réexaminer les modèles d’entre elles n’a toujours pas adopté le français à la mai-
guidant l’aménagement des langues française et anglaise son ou comme langue d’usage. L’angoisse linguistique
au Canada et au Québec, et d’entreprendre une des Québécois est vite revenue à la surface et plusieurs
réflexion plus large sur leur coexistence avec les autres réclament dorénavant de nouvelles mesures de franci-
langues parlées par la population. sation des immigrants, notamment à Montréal, et un
Si Van Parijs considère que la justice sociale et la renforcement du principe de territorialité.
migration sont difficilement compatibles, la compré- Par ailleurs, dans un article du quotidien Le Devoir,
hension des rapports entre les deux au Canada est tout le chroniqueur Michel David, affirmait que le gouverne-
à fait différente (Banting, Courchesne et Seidle, 2008). ment du Québec n’impose aucune obligation linguis-
D’une part, le pays s’est construit grâce à l’apport tique aux investisseurs étrangers, en majorité de Chine
d’immigrants ayant contribué au développement de et du Moyen-Orient (David, 2008). Il indiquait égale-
l’État providence ; d’autre part, l’État providence au ment que depuis trente ans l’État québécois, quel que
Canada a été mis en place grâce à la rivalité entre les soit le parti politique au pouvoir, refuse, pour des rai-
francophones et les anglophones, notamment entre le sons économiques, d’imposer la francisation des entre-
Québec et le reste du Canada. En outre, les politiques prises de 50 employés ou moins. Ces pratiques s’ajou-
sociales du gouvernement québécois ont souvent incité tent dès lors aux tensions déjà existantes entre le projet
le gouvernement fédéral à niveler par le haut (Béland et canadien de bilinguisme et l’approche territoriale du
Lecours, 2007). L’approche de Van Parijs peut cepen- Québec, et contribuent à la dévalorisation du français
dant nous aider à préciser les effets de la pression de au titre de langue internationale.

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Conclusion celle de Lyautey (puissance) pourrait permettre de for-


muler de nouvelles politiques linguistiques canadienne
Le débat sur la mondialisation linguistique invite à et québécoise garantissant une pérennisation du fran-
une nouvelle économie politique des langues que les çais au Canada. Ainsi, pour que le français demeure atti-
cas du Canada et du Québec permettent d’illustrer de rant au Québec, il devra pouvoir évoluer, rester vivant
façon éloquente. Ces dernières années, la politique et surtout demeurer profitable à l’usager comme langue
québécoise, en raison de son utilisation du principe de de pouvoir. Plus le français sera privilégié par les États
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territorialité, a fait les frais de la critique à l’intérieur canadien et québécois et les entreprises, plus il gagnera
d’un rapport de force pas toujours favorable au en importance.
Québec. Les commentateurs libéraux ont maladroite- Plus le gouvernement qui la promeut sera puissant,
ment associé le principe territorial à une forme de plus la langue sera puissante. C’est ainsi que les langues
contrainte sur les droits individuels. Or, au préalable, forment une hiérarchie. Les plus fortes contrôlent les
rien ne permet de conclure qu’une utilisation intelli- instruments d’influence – école, marché – et ont ten-
gente du principe territorial soit contraire au respect dance à évincer les langues minoritaires. Une langue
des droits individuels. Les analyses de Van Parijs et de minoritaire, pour se protéger, se doit d’être politique et
Laponce servent notamment à rappeler l’importance de posséder les institutions essentielles à sa protection :
de l’environnement ou du contexte dans le domaine de l’école, le pouvoir économique, le pouvoir politique…
la formulation des politiques linguistiques. Leur insis- Dans ces conditions, force est aussi de constater que
tance sur le principe de territorialité permet aussi de l’avenir du français en Amérique du Nord se joue au
réaffirmer que le choix d’une langue n’est pas, de façon Québec, car il est le seul État francophone sur le conti-
paradoxale, que question de choix. Au contraire, pour nent. Il est probable que sa survie dépendra soit de la
les minoritaires, celle-ci fait aussi partie de la construc- création d’un État souverain francophone, soit d’une
tion du soi. Elle renvoie à du débat, à du pouvoir et à redéfinition du fédéralisme canadien qui ferait une plus
du collectif. large place au principe territorial.
Le Canada et le Québec ont, depuis les années Finalement, un changement de modèle au Canada
1960, conçu la coexistence du français et de l’anglais sur devrait servir à reconnaître davantage la nécessaire ter-
la base de principes en tension, mais en mesure de ritorialisation du français afin de garantir sa pérennité.
coexister tant et aussi longtemps que le principe de ter- Une bonne politique linguistique devrait tenir compte
ritorialité pouvait agir de contrepoids à l’approche per- de ce phénomène incontournable et toujours viser le
sonnaliste. La mondialisation linguistique, les données plus possible à renforcer la concentration des langues
récentes sur la situation du français au Canada et au sur leurs propres territoires. Le français étant plus faible
Québec ont fait réapparaître des angoisses qui sug- que l’anglais, le gouvernement canadien ne devrait pas
gèrent le besoin de revoir les rapports entre bilinguisme hésiter à instituer des zones non contestées d’utilisation
et territorialité au pays. Une combinaison de la loi de du français. Pour sa part, le Québec ne doit pas hésiter
Babel (unilinguisme compris comme territorialisation) à poursuivre dans cette même voie et promouvoir
avec celle de Pentecôte (bilinguisme de collaboration) et davantage le français dans tous les secteurs.

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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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BÉLAND, D., LECOURS, A., « Federalism, nationalism, and social (dir.), Politiques et usages de la langue en Europe, Paris, Éd. de la
policy decentralisation in Canada and Belgium », in LOUGHLIN, J., Maison des sciences de l’homme, 2007, p. 81-100.
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Presses de l’Université Laval et Peter Lang, 2006, p. 93-118.
VAN PARIJS, P., « The ground floor of the world: on the socio-
DAVID, M., « Le prix à payer », Le Devoir.com, édition du samedi 26 economic consequences of linguistic globalization », Revue interna-
et du dimanche 27 janvier 2008. Voir le site <www.ledevoir.ca>. tionale de science politique, vol. 21, no 2, 2000, p. 217-233.

ANNEXE

Les sept lois de Laponce


Loi de Babel. Cette première loi est la plus importante des lois régissant les rapports entre les langues. Remontant à la
Bible, elle associe l’unilinguisme à une norme. L’effet Babel à l’ère de la mondialisation signifie que les langues en contact
se dévorent les unes les autres. Elle correspond à un bilinguisme de compétition.
Loi de Pentecôte. Cette deuxième loi, également d’origine biblique, symbolise la possibilité d’un bilinguisme de coopé-
ration. Au lieu de s’entre-tuer, les langues s’aménagent à la fois des espaces d’unilinguisme et de plurilinguisme.
Loi de Rousseau. Cette loi, du nom du philosophe, insiste sur le rôle de l’éducation dans le maintien et la transmission
d’une langue.
Loi de l’amour qui tue. Également appelée la « loi Laponce », elle met en valeur les rapports entre les langues au sein de
la famille.
Loi du marché. Cette loi porte sur l’environnement économique dans lequel les langues en contact évoluent. Elle sert à
mesurer les avantages et les désavantages de l’apprentissage d’une langue seconde par rapport à la langue maternelle.
Laquelle permettra aux locuteurs d’une langue d’accéder à un meilleur emploi ?
Loi de Lyautey. Du nom du maréchal Lyautey, cette loi met l’accent sur le pouvoir ou l’autorité publique d’une langue.
Selon le maréchal, une langue est un dialecte avec une armée et une marine.
Loi de Michels. Cette loi sert à préciser la régularité des rapports hiérarchiques entre les langues et, notamment à
approfondir la question de l’asymétrie du bilinguisme.

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