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CONCLUSION

Christophe Dejours

Martin Média | « Travailler »


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2017/1 n° 37 | pages 219 à 226
ISSN 1620-5340
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Conclusion
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C
ertaines hypothèses formulées par la psychopathologie du tra-
vail ont été présentées aux participants du séminaire, hypo-
thèses qui ont, non sans mal, résisté aux critiques. En retour,
la psychopathologie du travail a largement profité de ces débats, tant
pour l’élaboration de sa méthodologie que pour la théorie. Grâce à
cette confrontation, la recherche en psychopathologie du travail pourra
s’engager dans des voies qui n’auraient pas été envisagées sans ce tra-
vail interdisciplinaire.
De leur côté, les participants d’autres disciplines ont trouvé,
dans ce débat dont la psychopathologie du travail était seulement le
prétexte, l’occasion de formuler des questions originales pouvant, à
terme, figurer jusque dans la définition des objets de recherche de
chacun. À vrai dire ces nouvelles questions ne sont pas empruntées
à la psychopathologie du travail. Elles sont inspirées essentiellement
par le thème central du séminaire, c’est-à-dire par la question du plai-
sir et de la souffrance dans le travail. La distinction est importante. Ce
qui a fait travailler les différentes disciplines ici, n’est pas le thème
de l’intériorité ni du sujet. Et encore moins probablement la théorie
psychanalytique de l’inconscient. Plaisir et souffrance mobilisent au
contraire directement les disciplines représentées dans le séminaire,
sur la dimension affective du travail, dont tous s’accordent à recon-
naître qu’elle ne concerne pas qu’une subjectivité singulière intéres-
sant surtout le psychopathologiste, mais qu’elle a des effets sur le
travail, sur les rapports sociaux et sur l’économique.

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Paradoxalement, on se rendra compte à la lecture de ces deux volumes
que plaisir et souffrance – qu’on s’accordera à envisager conjointement
aussi souvent que possible dans les problématiques et les – ont entre eux
des rapports qui n’ont pas été élucidés : y a-t-il des liens entre souffrance
et plaisir, indépendants des situations ? Y a-t-il des rapports d’exclusion,
d’engendrement, de recouvrement, de concurrence directe entre ces deux
termes ? Sauf au chapitre 5 du tome I et au chapitre 5 du tome II où la
question a été explicitement posée, les débats se sont déroulés sans qu’il
soit nécessaire d’éliminer le point d’interrogation !
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Il importe de souligner que la discussion n’a jamais été mobilisée
uniquement sur le thème souffrance / plaisir en tant que tel. Ce dont il a
toujours été question, c’était du plaisir dans le travail et de la souffrance
dans le travail. C’est donc bien entre ces trois termes que s’est joué le
débat, et c’est sans doute la raison pour laquelle les rapports internes du
plaisir et de la souffrance ont pu rester dans l’ombre, avec peu d’élucida-
tion.
Au-delà de la méthode de travail adoptée par le séminaire, et de la
formulation de son thème, on peut d’emblée annoncer une conclusion.
Conclusion est sans doute un terme trop fort, mais il vise à signaler qu’il
s’agit ici (et c’est probablement le seul cas) non pas d’une question mais
d’une réponse. Le travail humain semble être un opérateur essentiel, tant
de la construction sociale que de la construction psychique. Le travail
apparaît de plus en plus (dans notre société) comme un médiateur irrem-
plaçable de l’articulation entre ordre individuel et ordre collectif.

Le collectif et l’individuel
Dans toutes les disciplines concernées par le travail, jusques et y
compris la psychopathologie du travail et l’ergonomie, la dimension du
collectif s’est avérée essentielle. Les débats qui ont mis la notion de col-
lectif sur le tapis conduisent à un premier accord : pour aucune disci-
pline le collectif ne peut être considéré comme une « entité naturelle ».
Davantage : ni comme une « entité », ni comme « naturelle ». Ce point
de vue conduit à s’intéresser non pas tant à la définition du collectif qu’à
la caractérisation de ses modalités de construction. Le collectif n’est
plus considéré comme le résultat logique, voire le reflet ou la consé-
quence immédiate, des contraintes objectives (qu’elles soient d’ordre
économique ou technique). On ne reconnaît aucune naturalité au collec-
tif qui doit, pour exister, se construire et se stabiliser, se défendre et se
reconstruire. Les processus en cause dans cette construction sont, quant

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à eux, caractérisés d­ ifféremment par chaque discipline. Selon les cas, on


insistera sur – ou l’on privilégiera – dans le processus de construction
du collectif, ce qui ressortit aux apprentissages collectifs, aux pratiques
collectives, aux interactions, aux règles d’usage, aux principes d’équité,
ou aux procédures défensives. Mais, dans tous les cas, on s’efforcera de
montrer dans quelle pratique s’avère le collectif, et dans quelle situation
il se concrétise.
Si le collectif n’est plus considéré comme relevant d’une naturalité,
on mettra aussi en doute qu’il soit une entité dont il faudrait présupposer
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la permanence. Le collectif se caractériserait plutôt par son instabilité et
sa précarité. Et c’est pourquoi on s’intéresse d’abord aux moyens mis en
œuvre par les agents pour lui donner valeur fonctionnelle et efficacité au
regard des rapports sociaux de travail. À l’inverse, chaque fois que l’on
sera dans l’impossibilité de fournir les arguments de son existence fonc-
tionnelle, on parlera plus volontiers de groupe, de groupement (voire de
collectivité).
Si le collectif pose des problèmes de définition et de caractérisation,
il en est de même pour l’individu. L’individu est une notion ambiguë. Il se
pourrait bien que l’individu doive d’abord son existence à une reconnais-
sance par le collectif. Cette position du séminaire est donc opposée au point
de vue qui traverse la psychosociologie, selon lequel, au contraire, le col-
lectif résulterait plus ou moins naturellement d’un rassemblement d’indi-
vidus. Aussi opposera-t-on non plus l’individu au collectif, mais cette fois
l’individu au sujet. Le sujet se définit, quant à lui, à partir de son histoire
singulière depuis sa naissance. Prendre en considération l’histoire pas-
sée de chaque sujet pose un problème épineux dans les sciences sociales.
Si certains des chercheurs participant au séminaire choisissent de ne pas
s’aventurer très loin dans cette direction, compte tenu de l’état d’avan-
cement de la psychopathologie du travail et des disciplines connexes, en
revanche tous s’accordent pour admettre qu’il y a lieu de prendre cette
question en considération.
La particularité des débats du séminaire est de mettre en avant le
travail comme occasion spécifique et privilégiée pour étudier les rapports
du sujet au collectif. S’il y a du sujet dans les « rapports sociaux », il serait
avant tout saisissable par ses effectuations concrètes dans les « rapports
sociaux de travail ».
Ce point de vue se traduit du côté des sciences sociales par l’attention
accordée à la dimension psychopathologique, à la souffrance et au plaisir
engagés dans le travail.

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Du côté de la psychopathologie, ce point de vue se traduit essentiel-
lement par des considérations sur le processus de sublimation, qui sera
envisagé comme un processus non purement psychique, mais socialement
situé, tant vis-à-vis des rapports de production que vis-à-vis des rapports
sociaux de sexe. Et l’on développera dans cette direction la notion de réso-
nance symbolique pour rendre compte du mode d’articulation spécifique
entre histoire singulière et rapports sociaux de travail.

La chair des travailleurs


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Si chacun s’engage de façon différente dans la question du sujet,
le thème de la souffrance et du plaisir intéresse de façon consensuelle
les participants au séminaire. Non pas qu’il y ait accord sur la défini-
tion ou sur le contenu même de ces notions, mais plutôt parce que tous
admettent que souffrance et plaisir ne sont pas que des abstractions. Ils
désignent la dimension affective du travail d’une part, mais surtout ses
effets concrets sur la réalité et sur les rapports sociaux de travail. Ils
indiquent que le travailleur ne peut pas légitimement être réduit à une
définition économique du type force de travail. Les rapports sociaux de
travail sont mus par des agents qui les éprouvent. Si l’on distingue en
la matière, et la souffrance, et le plaisir, c’est aussi parce qu’il y a une
simplification critiquable à ne considérer que la souffrance des ouvriers
par exemple ou que le plaisir des cadres. Dans l’un et l’autre cas, il y a
à rechercher ce qui produit du plaisir et ce qui cause de la souffrance.
Même si plaisir et souffrance ont intrinsèquement partie liée, on aura
intérêt à examiner, dans un premier temps, les logiques qui se déploient
à partir de la souffrance, séparément de celles qui s’organisent à partir
du plaisir, jusque dans leurs effets sur les rapports sociaux de travail
eux-mêmes et sur la productivité.
À l’autre pôle, on s’intéressera spécifiquement aux conséquences
singulières et subjectives de la souffrance et du plaisir au travail. Car, en
définitive, ce sont bien des hommes et des femmes, en chair et en os, qui
ont à souffrir (au sens de supporter) et à éprouver les rapports sociaux
de travail. Si l’on envisage des interventions pratiques dans le champ du
travail, c’est bien en fin de compte pour que cela profite à ces hommes
et à ces femmes. Souffrance et plaisir n’ont pas que des conséquences
concrètes en aval, sur les rapports sociaux de travail et sur la productivité.
Ils ont aussi des effets concrets en amont, sur la santé de ces hommes et de
ces femmes. Même si les liens entre souffrance / plaisir et santé sont avant
tout l’affaire des psychopathologistes, cet objet de recherche i­ntéresse

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aussi les autres disciplines. En effet, la psychopathologie du travail pro-


pose un certain nombre d’hypothèses sur la place du travail comme opé-
rateur de la santé elle-même. Si le travail peut occasionner des accidents,
des maladies et de la souffrance, il peut aussi donner du plaisir et confé-
rer dans certaines situations un moyen de conquérir, de conserver ou de
recouvrer la santé. De sorte qu’on admettra généralement que les rapports
sociaux de travail ayant partie liée avec la santé, les sciences sociales ont
à se préoccuper à leur tour non seulement du travail comme source de
maladies, mais à dégager les conditions, relativement au collectif en par-
ticulier, qui peuvent faire du travail un instrument de la santé singulière.
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Le dire
Si, dans le séminaire, on considère que le travail n’est pas qu’un rap-
port marchand, qu’il n’est pas non plus qu’un rapport social, mais qu’il est
aussi un rapport charnel, affectif et vécu, on admettra aussi que l’homme
ou la femme travaillant ne sont pas qu’êtres sensibles et vivants. Ils sont
aussi des êtres parlants. Chaque discipline procède de près ou de loin à
une analyse sur le matériel langagier. À ce niveau apparaissent des diffi-
cultés redoutables, car ce matériel n’est pas traité de la même façon par
les uns et par les autres. Pour le psychopathologiste, c’est avant tout la
parole (et l’effacement de la parole) qui est privilégiée (par opposition au
langage). Pour le sociologue de l’interaction, c’est la dimension pragma-
tique du langage qui prime.
Mais, d’une façon ou d’une autre, que ce soit en situation ou en
différé, voire à travers des transcriptions où s’intercalent déjà des tiers
(comme des procès verbaux), chaque discipline puise à la parole des
agents. Qu’il s’agisse de l’ergonome, du psychopathologiste, du socio-
logue ou de l’historien, chacun, en outre, est sensible à la dimension prag-
matique du dire.
Lorsque le sociolinguistique problématise spécifiquement ce
« matériel » commun, et qu’il le constitue comme un objet théorique
et non seulement comme donnée empirique utilisée par les autres dis-
ciplines, lorsqu’il fait apparaître les pratiques langagières elles-mêmes
comme pratiques sociales de transformation du réel, il indique qu’elles
sont agissantes et participent à la construction même du social. Mais, en
même temps, il souligne qu’elles sont contraintes par des règles internes
au système linguistique, mais aussi par des règles externes comme celles
qui apparaissent dans la construction sociale du sens.

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Il en résulte pour les autres disciplines une interrogation plus exi-
geante sur la façon dont elles utilisent le langage : il apparaît qu’elles
sont parfois désinvoltes et surtout qu’elles n’exploitent pas toujours
assez les ressources théoriques des différents courants linguistiques et
des courants sociolinguistiques. Il y a, à ce niveau, une série de ques-
tions qui ne semble pouvoir être abordée que par le truchement d’en-
quêtes mieux situées théoriquement qui restent à faire dans la plupart
des disciplines concernées.
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L’organisation du travail
S’appuyant au départ sur des travaux de psychopathologie du tra-
vail de la fin des années 1970, la discussion portait sur une conception
où l’organisation du travail fonctionnait comme extériorité et comme
contrainte (technique et économique) sur l’action des individus et des
collectifs. Par la suite, on a été amené à diverses remises en cause :
l’organisation du travail peut être « négociée », puisqu’elle anticipe les
réactions des travailleurs. Tout au moins, elle présuppose une compré-
hension et une prise en compte comme contrainte, ce qui oblige à penser
la « contrainte » ou la domination autrement que comme pure extério-
rité, pure détermination objective, pure violence objective : elle ne fonc-
tionne qu’après être entrée en composition avec le monde symbolique
de ­l’intercompréhension.

Les sciences du travail


Eu égard à la position carrefour du travail entre sciences humaines
(et médecine) d’une part, sciences de l’ingénieur et sciences sociales
d’autre part, on comprendra pourquoi on est tenté de considérer le travail
comme un véritable opérateur de la recherche scientifique sur l’homme
et la société ; jusques et y compris dans des disciplines comme l’ethno-
logie et l’anthropologie, où assurément on sous-estime actuellement son
importance théorique et pratique dans l’organisation des champs discipli-
naires. Car, si le travail est un carrefour, il fonctionne dans les deux sens :
il accueille des convergences, mais il autorise aussi un redéploiement en
direction des autres disciplines.
Plus que d’une anthropologie du travail d’ailleurs, on souhaiterait
un nouvel essor des « sciences du travail » qui pourraient contribuer de
façon significative à faire progresser la description et la connaissance des
­sociétés.

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Un paysage intellectuel de questionnement


Pour l’heure, l’interdisciplinarité a seulement mis en avant l’inté-
rêt heuristique du travail dans de nombreuses disciplines où, par ailleurs,
les chercheurs qui le prennent pour objet se trouvent souvent trop dis-
persés dans des courants opérant à l’intérieur de chacune des disciplines.
Les participants du séminaire interdisciplinaire ont trouvé, quant à
eux, un terrain d’expérience commun qui les distingue des courants qui
ont tendance à considérer surtout la société sous l’éclairage économique,
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le travail sous l’éclairage technologique et l’homme sous l’éclairage bio-
chimique.
Le caractère déstabilisateur et transversal du thème plaisir et souf-
france n’a pu produire ses effets qu’en rencontrant un certain nombre
d’orientations communes aux membres du séminaire. Le lecteur a pu
se rendre compte qu’il ne s’agissait pas de communauté théorique ni de
communauté épistémologique. Il s’agissait de conceptions ouvertes de la
recherche et de la théorie, que l’on peut résumer comme la conjonction
de deux exigences heuristiques :
– pas d’interprétations totalisantes, lourdes et exclusives ;
– maintien de toutes les exigences propres à chacune des disci-
plines : l’interdisciplinarité s’est pratiquée par cumul de ressources et
d’exigences de chaque discipline, et non par des affaiblissements, des
conciliations ou des pseudosynthèses, face aux approches antagoniques.
Il en est résulté un nouveau paysage intellectuel de questionnement :
les confrontations ont permis de dégager de nouveaux angles d’attaque,
de nouvelles connexions de questions. Mais les explorations ne se sont
pas effectuées au même degré : le paysage comporte des reliefs :
– l’articulation de l’individuel et du collectif ;
– des modes de fonctionnement du plaisir et de la souffrance dans
le travail ;
– des possibilités nouvelles d’enquête, reliant des modalités d’inter-
vention scientifique, à des hypothèses sur la construction des collectifs.
Mais, il comporte aussi des ombres, c’est-à-dire des questions
urgentes scientifiquement, sur lesquelles ont été mises en évidence des
insuffisances intellectuelles, sans trouver toutefois des angles d’attaque
convaincants :

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– la parole dans l’entreprise : il existe un contexte de ressources
théoriques très riche, en linguistique et sociolinguistique, mais émiettées
et peu compatibles entre elles jusqu’à maintenant ;
– l’articulation entre l’économique et les constructions de collectifs
de travail, avec, en connexité, une remise en cause de la notion d’organi-
sation du travail.
Si ce paysage est à certains égards nouveau, c’est aussi et peut-être
surtout parce qu’il intéresse simultanément des chercheurs venus de disci-
plines très contrastées, qui, faute d’avoir pu jusque-là cerner un tel paysage,
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ne parvenaient que bien rarement à mettre leurs réflexions en commun.
Christophe Dejours

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