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Christophe DEJOURS

Mars 2017

QUAND LE TRAVAIL PERD LA TÊTE

1 – Introduction

Traditionnellement le thème de la santé au travail désignait la santé du


corps. Depuis le XVIIIème siècle déjà un important corpus de connaissances
avait été rassemblé par la toxicologie industrielle. La prévention des
pathologies du corps relève d’abord du droit et de lois de protection du corps
contre les accidents du travail (Loi de 1898) et les maladies professionnelles (Loi
de 1919), puis de la médecine du travail à partir de 1946, des CHS à partir de
1947, et de l’ergonomie à partir des années 1960.

La question de la santé mentale au travail a émergé entre les deux guerres,


mais la recherche s’est vraiment développée après la seconde guerre mondiale.
Et l’on sait que depuis la fin du XXème siècle les pathologies mentales au travail
n’ont cessé de s’accroître tant en France que dans le monde entier, avec
toutefois des débats nettement plus importants sur ce thème en France et au
Japon que dans les autres pays. La dégradation des rapports entre l’être humain
et le travail se poursuit inlassablement jusqu’à engendrer l’apparition de
tentatives de suicide et de suicides sur les lieux mêmes du travail.

Comment est-il possible que le travail ait un tel impact sur la santé
mentale ? Ce sera dans la première partie ce que j’essayerai d’aborder. Dans un
deuxième temps je préciserai ce que les recherches en clinique du travail
identifient, parmi les transformations du travail, comme causes principales de
l’accroissement des pathologies mentales du travail. Dans un troisième temps je
parlerai des voies que l’on peut tracer pour mettre un terme à cette évolution

Conférence au Colloque Santé/Travail – MGEN – 16 mars 2017 1


désastreuse, et des obstacles auxquels se heurte l’action en faveur de la
recomposition du rapport entre travail et santé mentale.

2 – L’impact du travail sur la santé mentale

On sait que ces atteintes à la santé du corps sont principalement (mais pas
exclusivement) en rapport avec les conditions de travail : conditions physiques
du travail (bruit, température, radiations ionisantes, ….), conditions chimiques
du travail (vapeurs, poussières, solvants, insecticides,…) et les conditions
biologiques du travail (virus de l’hépatite et du sida, parasites, bactéries,
champignons,…). Le modèle d’analyse est celui d’un rapport entre le travail
considéré comme un environnement extérieur à l’individu et à l’organisme
anatomo-physiologique.

En matière de santé mentale il en va tout autrement. Mais les conceptions


dominantes depuis des décennies, en particulier celles qui en appellent à la
conception du stress, pensent encore les atteintes à la santé mentale comme des
conséquences du travail conçu comme un environnement : les contraintes
exercées sur le salarié s’abattraient de l’extérieur sur son cerveau et sur son
fonctionnement cognitif, c’est-à-dire sur sa capacité de penser, qui en sortiraient
meurtries.

C’est une erreur, mais elle reste très largement dominante, surtout dans
les pays qui restent fidèles à la pensée anglo-saxonne. La clinique du travail
française, en particulier la psychodynamique et la psychopathologie du travail
soutiennent un tout autre modèle explicatif.

Depuis les années 1980 on a établi que si la santé de corps dépend des
conditions du travail, donc de l’environnement, la santé mentale quant à elle,
est principalement en rapport avec l’organisation du travail, ce qui est tout
autre chose. Je n’ai pas le temps de définir ce qu’on entend par organisation du
travail, je ne retiendrai qu’un seul de ces éléments : l’organisation c’est un

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ensemble de prescriptions sur la division et la répartition des tâches entre les
salariés (ce qu’on désigne sous le nom de « division technique du travail »)
d’une part, sur la surveillance, le contrôle, la hiérarchie, le commandement, la
direction, le système de sanctions (ce qu’on désigne sous le nom de « division
humaine ou sociale du travail »). L’organisation du travail peut aller loin dans
le détail, et prescrire non seulement l’objectif à atteindre, - la tâche -, mais le
chemin pour atteindre cet objectif – le mode opératoire prescrit.

Ce qu’à établi l’ergonomie, c’est qu’aucun travailleur ne respecte les


prescriptions dans leur intégralité. S’ils étaient parfaitement obéissants, ils
feraient ce qu’on désigne sous le nom de zèle, et toute production deviendrait
alors impossible. Pour tenter d’atteindre les objectifs, il faut comme on dit à
l’armée, interpréter les ordres, en sorte de les adapter à la situation concrète et
surmonter les imprévus, au fur et à mesure de leur advenue. Ce qu’ils font donc
n’est pas le travail prescrit – « tâche » -, mais un ajustement de ce dernier qu’on
appelle travail effectif ou « activité ». Et le zèle c’est précisément ce que le
salarié ajoute ou retranche aux prescriptions, ou les remaniements qu’il leur fait
subir, pour bien faire, pour que ça marche.

Ce faisant le salarié n’agit pas en pur exécutant. Il mobilise des ressources


personnelles qui relèvent de son intelligence à lui, ce qui du point de vue
psychologique change tout.

L’énigme fondamentale du travail, c’est précisément cette intelligence. Je


n’ai bien entendu pas le temps d’en donner la description, mais elle est
actuellement bien connue par la psychodynamique du travail. Et cette
intelligence ne passe pas que par le cerveau, elle implique le corps tout entier.

Mais cette intelligence qui mobilise toutes les propriétés du corps exige en
fait que la personnalité tout entière soit habitée par le travail jusque dans ce
qu’elle a de plus intime. Les infirmières et plus généralement les soignants,
pensent à leurs malades bien au-delà du temps de travail. Ils y pensent
longtemps après avoir quitté l’hôpital, ils en font des insomnies, et même, ils en

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rêvent. Et c’est à ce prix, à cette condition qu’ils parviennent à développer des
habiletés de métier. Il en va exactement de même pour les magistrats qui se
préparent jusque dans la nuit à connaître les dossiers avant de se rendre à
l’audience. Et il en va de même pour les enseignants qui pensent à leur classe, à
leurs élèves, à leur établissement pour préparer les cours. Le temps de travail
on ne sait pas le mesurer. On sait où le travail commence, mais on ne sait pas où
il s’arrête.

La première conclusion inévitable de ces remarques, c’est que pour être


de qualité il est nécessaire que le travail prenne place à l’intérieur de l’individu,
qu’il s’installe en lui, qu’il soit intériorisé d’abord. Car c’est de ce travail
intérieur que viennent les idées originales pour combler cet écart entre la
prescription et la réalité ; c’est de cet inlassable travail intérieur que viennent les
savoir-faire, l’ingéniosité et l’accroissement des habiletés. Ce travail intérieur,
c’est ce qu’on appelle le « travail vivant », et c’est la raison pour laquelle, du
point de vue psychologique, le travail ne se situe pas à l’extérieur dans un
environnement, mais ne commence à être un travail qu’à partir du moment où
il s’installe à l’intérieur du psychisme, et devient une exigence de recherche, de
pensée, d’idées et de solutions inventées.

Seconde conclusion : l’intelligence au travail n’est pas avant le travail.


C’est l’évolution, l’endurance face aux difficultés du travail qui fait advenir une
intelligence qui n’était pas là avant le travail. Et lorsque ce cheminement est
possible, le travailleur se découvre après le travail plus intelligent qu’il ne l’était
avant le travail. On peut montrer ainsi que la personnalité – ou plus
rigoureusement la subjectivité – peut parfois sortir du travail grandie. C’est une
source inégalable de plaisir. Et c’est dans ce cas que le travail peut jouer en
faveur de l’accroissement de l’identité, et finalement comme médiateur dans la
construction et le renforcement de la santé mentale. En d’autres termes on est
alors dans la configuration où la santé mentale est gagnée par le travail, grâce
au travail. On peut aussi à cette occasion parler du travail comme un médiateur

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de l’accomplissement de soi, et de l’amour de soi qui est le fondement ultime de
la santé mentale.

Dans ce cas, donc, le travail peut générer le meilleur. Mais pour que ce
chemin du plaisir au travail soit possible, il faut des conditions précises. Et c’est
là que le bât blesse. Car dans de nombreuses situations de travail aujourd’hui,
l’organisation du travail ne formule pas que des prescriptions. Elle impose aussi
des contraintes de discipline, de contrôle, de commandement, et de domination
qui entravent l’exercice et le développement de l’intelligence au travail. Le
résultat est alors désastreux : l’expérience du travail génère de la déception, de
l’amertume, de la colère, du ressentiment, de la haine, et au-delà, de
l’impuissance, de la résignation, de l’effondrement, du mépris de soi, de la
dépression. Et au-delà encore, se profile le spectre des « décompensations » : les
maladies mentales proprement dites :

- les pathologies post-traumatiques en rapport avec les violences dont les


salariés sont victimes dans l’exercice même de leur travail en
provenance des « clients » ;

- les pathologies de harcèlement au travail, provenant cette fois, non des


clients, mais de l’intérieur de l’entreprise ;

- les tentatives de suicide et les suicides.

A côté des maladies mentales que je viens d’évoquer il faut faire une place
à un certain nombre de maladies du corps dont toutefois la genèse passe par
des troubles infligés au fonctionnement psychique – ce sont les pathologies de
surcharge :

- Les TMS

- Le burn-out

- Le karôshi

- Les addictions par dopage

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dont la croissance en nombre est incompréhensible si l’on ne tient pas compte
du chainon intermédiaire crucial d’une atteinte au fonctionnement psychique.

Il n’y a donc jamais de neutralité du travail vis-à-vis de la santé mentale. Il


peut générer le meilleur, mais il peut aussi générer le pire.

3 -Pourquoi la santé mentale se dégrade-t-elle ?

Si la pathologie mentale au travail s’aggrave, c’est, comme je l’ai indiqué


précédemment, parce que quelque chose a changé dans l’organisation du
travail. Les chercheurs et les cliniciens ont mis des années à identifier ce qui
dans ces transformations de l’organisation du travail a de tels effets sur la santé
mentale.

Jusqu’aux années 1990 l’organisation du travail était la chasse gardée des


ingénieurs : ingénieurs en organisation, ingénieur des méthodes, ingénieurs de
conception, ingénieurs de production, etc… Mais dans les années 1990 ils ont
perdu le pouvoir dont ils ont été chassés par les gestionnaires qui aujourd’hui
exercent de facto le pouvoir dans les entreprises. C’est ce qu’on appelle le
« tournant gestionnaire ». Et ces gestionnaires ont introduit de nouveaux outils
qui se sont révélés nocifs pour la santé mentale.

Quatre nouveaux outils sont principalement en cause :

a) L’évaluation individuelle des performances

b) La qualité totale et les critères de certification (normes Iso, …)

c) La flexibilisation (travail intérimaire, CDD, travail à temps partiel en


vacations imposées, statut de petit entrepreneur, travail au noir, et
travail clandestin, sous-traitance, etc…)

d) La normalisation ou standardisation des tâches

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Chacune de ces quatre nouvelles dispositions a des incidences spécifiques sur la
santé mentale. Je ne peux malheureusement les expliciter dans le cadre de cet
exposé. Par delà leurs effets spécifiques, ces quatre nouvelles dispositions
gestionnaires ont un effet convergent sur :

- La dégradation de la qualité du travail au profit de la quantité, du


nombre ;

- Mais dans de très nombreux métiers, sinon dans tous, la pression exercée
par le nombre, et surtout la standardisation des modes
opératoires :

 entravent l’exercice de l’intelligence au travail dont il a été


question précédemment

 et surtout obligent à trahir les règles de métier et l’éthique


spécifique attachée à l’exercice de chaque métier, ce qu’on
désigne sous le nom d’éthos professionnel. Lorsqu’il s’agit du
soin par exemple l’éthos professionnel rejoint la déontologie. Et
nombre de soignants, sous la pression du nombre, sont
conduits à commettre des maltraitances contre les malades
pour satisfaire aux exigences quantitatives en termes de
réduction de la durée de séjour, nombre d’actes, tarification à
l’activité etc… Ce faisant non seulement ils commettent des
infractions à la déontologie, mais à la fin ils trahissent leurs
valeurs, et bientôt, ils font l’expérience de la trahison de soi.
S’ouvre ici un champ nouveau, celui de la « souffrance
éthique », qui surgit lorsqu’un salarié consent à apporter son
concours à des actes qu’il réprouve moralement. Cette
souffrance éthique semble bien être la cause principale de la
souffrance des soignants et elle est en cause dans de nombreux
suicides au travail, en particulier, lorsque la trahison de soi se
mute en haine de soi.

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Ceux qui ne tombent pas malades de la ruine du sens du travail et de la
souffrance éthique y parviennent au prix de la construction de stratégies de
défense contre la souffrance, qui à leur tour aggravent la maltraitance. Non
seulement contre les malades, mais contre les étudiants en santé. Et il est utile à
ce propos de prendre connaissance du livre de Valérie Auslender1 « Omerta à
l’hôpital » (Editions Michalon) qui vient de paraître et dresse un tableau
accablant du sort fait aux étudiants infirmiers, aides soignants, sages-femmes,
externes et internes en médecine.

Ces nouvelles méthodes d’organisation du travail sont introduites avec


une brutalité indescriptible, non seulement dans les hôpitaux, mais dans
l’éducation nationale, dans les centres de recherche (comme le CNRS), dans la
magistrature, à la Poste après France-telecom-orange, c’est-à-dire dans toute la
fonction publique. Le bras armé de cette nouvelle organisation du travail porte
le nom de New Public Management (NPM) et est imposé par l’entremise de
consultants spécialisés dûment formés dans des écoles où on leur enseigne en
particulier Machiavel et la manière de l’appliquer dans le secteur public
d’aujourd’hui2. Les dégâts humains sont considérables, mais cette pénétration
du NPM à un rythme extrêmement soutenu est l’objectif des politiques
publiques partagé par les gouvernements aussi bien de droite que de gauche,
de ces gouvernements qui font voter des lois sur la prévention des RPS de la
main gauche, et démolissent systématiquement la santé mentale au travail de la
main droite.

1Auslender, V (2017) : « Omerta à l’hôpital – Le livre noir des maltraitance faites


aux étudiants en santé », Editions Michalon, 320 pages.
2Belorgey, N. (2010) : « L’hôpital sous pression », Edition La Découverte, 336
pages.
Belorgey N : “Machiavel aujourd’hui: des consultants au travail dans le secteur public”;
https://nrt.revues.org/1604

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4 – Souffrir au travail n’est pas une fatalité

Pour les chercheurs et les cliniciens, il n’y a donc plus aucun mystère dans
la dégradation ininterrompue depuis plus de 25 ans de la santé mentale au
travail. La brutalité du processus est telle, non seulement en France mais dans le
monde entier, qu’on en vient à croire que cette évolution est incoercible,
irrémédiable, que c’est une fatalité.

Mais là encore il s’agit d’une erreur. En effet nombre de cadres supérieurs


et de dirigeants d’entreprise sont aujourd’hui assaillis par le doute sur la
rationalité de ces orientations gestionnaires qui forment ce qu’après le juriste
Alain Supiot3, professeur au Collège de France, on désigne sous le nom de
« gouvernance par le nombre ». Ces dirigeants qui doutent sont généralement à
la tête de PME. Ce ne sont jamais des dirigeants de CAC 40. Certains ont pris le
risque de rompre avec les méthodes gestionnaires et il a été possible, depuis
une dizaine d’années, de procéder à des expérimentations qui démontrent
qu’on peut organiser le travail autrement et rétablir des rapports de qualité
entre les salariés et l’organisation du travail, avec des améliorations
spectaculaires en matière de santé mentale4.

Le principe de cette transformation repose sur la connaissance de


dimensions du travail dont je n’ai pas parlé jusqu’à présent. A savoir que le
travail n’est pas seulement un rapport individuel avec la tâche à accomplir. Sa
qualité et sa productivité ne dépendent pas que de la liberté de l’intelligence au
singulier dont j’ai parlé précédemment à propos du « travail vivant ». Elles
dépendent aussi de l’intelligence au pluriel, c’est-à-dire de la formation de
collectifs ou d’équipes de travail qui conjuguent les trouvailles des intelligences
individuelles pour forger ce qu’on désigne sous le nom de coopération.

3 Supiot, A. (2015) : « La gouvernance par le nombre », Editions Fayard, 512 pages.


4Dejours C (2016) : « Le choix. Souffrir au travail n’est pas une fatalité », Editions
Bayard

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En effet si chacun se met à être intelligent de son côté, sans tenir compte
de la façon dont procèdent les collègues, c’est alors comme dans un orchestre,
on aboutit à la cacophonie. La coopération ne tombe pas du ciel, elle se
construit grâce à la mobilisation d’une autre forme d’intelligence, qui est une
intelligence délibérative (phronèsis). C’est par la discussion collective sur les
différents modes opératoires possibles à l’intérieur d’une équipe, que l’on
parvient à des accords entre collègues sur les manières de faire. Et c’est sur la
base de ces accords issus de la délibération collective que peuvent se construire
des règles de travail. Chaque collectif construit ainsi ses propres règles. Une
équipe infirmière dans tel service, adopte des règles qui ne sont pas les mêmes
que dans le service d’à côté. Et c’est une très bonne chose. Dans deux collèges,
voire dans deux classes, on n’adopte pas les mêmes règles de travail, non
seulement parce que les élèves sont différentes, mais parce que les enseignants
ne sont pas les mêmes. Or on peut montrer que toute règle de travail élaborée
par délibération collective a toujours deux dimensions :

- une dimension relative à l’efficacité. Tous les travailleurs et toutes les


équipes souhaitent que leur travail soit efficace

- et une dimension éthique, qui vise à permettre que chacun puisse


apporter une contribution personnelle à l’œuvre commune. On
peut montrer que toute règle de travail est en même temps une
règle de vivre ensemble.

Lorsque la coopération existe, la solitude est conjurée, et l’on bénéficie de


l’entraide, de la prévenance, du savoir vivre et de la solidarité des autres.
L’élément décisif en matière de prévention des pathologies mentales au travail,
c’est la coopération. Ma santé mentale au travail, c’est facile à montrer, ne
dépend pas que de moi-même, de mes talents et de mes faiblesses personnelles,
elle dépend fondamentalement aussi, des autres, de la confiance, de la loyauté
et de la solidarité mises au service de l’œuvre commune.

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Dans ces entreprises qui ont pris le risque de s’écarter de la gouvernance
par le nombre, la prise en considération de la coopération fondée sur la
délibération collective, sa mise en avant comme objectif prioritaire de la
réorganisation, il devient souhaitable de transformer en profondeur les
méthodes de management ou de gouvernement de l’entreprise. Il s’agit alors
d’apprendre de nouveaux savoir faire qui permettent aux managers de
concentrer leurs efforts en vue d’aider, d’entretenir et de développer les formes
de la coopération au sein des équipes dont ils ont la responsabilité. Il s’agit ici
plus ou moins d’un nouveau métier qui repose sur l’effort du manager pour
connaître, pour comprendre le travail vivant des salariés qu’il dirige. C’est-à-
dire l’effort pour remettre au centre du management le travail vivant. Cette
méthode permet peu à peu non seulement de connaître la coopération mais, en
la connaissant mieux, de la protéger et de la développer, ce qui aboutit à
l’accroissement des compétences collectives de l’entreprise, laquelle a des effets
spectaculaires à la fois en accroissement de la productivité et sur l’amélioration
de la santé mentale au travail. Les expériences réalisées ces dernières années
montrent que c’est possible.

Pour conclure, je dirai que ces expériences restent ponctuelles et rares.


Elles ne pourront se développer que si elles sont soutenues par des politiques
publiques qui les feront connaître et aideront à les transmettre, non seulement
dans les entreprises, mais dans l’enseignement et la formation au sein des
écoles de cadres et autres grandes écoles. Mais pour parvenir à une telle
conjoncture favorable, il faudrait d’abord que tous ceux qui souhaitent
réenchanter le travail, s’emparent de ces connaissances et surtout soient
capables de hisser l’organisation du travail dans l’espace public de façon à la
faire reconnaître comme un problème politique à part entière, irréductible à
tout autre question politique, qui devrait figurer dans les priorités de tout
programme politique de gouvernement.

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