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FAMILLES ET CHANGEMENT SOCIAL

Marta Domínguez-Folgueras, Laurent Lesnard

Presses Universitaires de France | « L'Année sociologique »

2018/2 Vol. 68 | pages 295 à 314


ISSN 0066-2399
ISBN 9782130801900
DOI 10.3917/anso.182.0295
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2018-2-page-295.htm
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ARTICLES THÉMATIQUES

Les nouvelles
configurations familiales

Études réunies
et présentées par
MARTA DOMÍNGUEZ-FOLGUERAS
ET LAURENT LESNARD
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Familles et changement F

social M

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Laurent Lesnard
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La famille est souvent citée comme l’une des institutions sociales
les plus importantes et fondatrices de la société  : elle remplit des
besoins matériels et affectifs essentiels et joue un rôle majeur pour
l’intégration des individus dans la société. Bien que les familles conti-
nuent à tenir ces rôles, elles ont subi, en tant qu’institution sociale,
des transformations importantes ces dernières années. Les indica-
teurs démographiques les plus souvent mobilisés pour décrire leur
comportement montrent bien que nous sommes dans une période
de fort changement : l’entrée dans la vie adulte est de plus en plus
tardive, le nombre de mariages par an est en chute, tandis que le
nombre de couples qui préfèrent une union sous le régime du Pacte
civil de solidarité (Pacs) augmente et que le mariage est désormais
possible pour les couples homosexuels. La diffusion de la cohabitation
et des familles recomposées, ainsi que la chute des taux de fécondité
dans plusieurs pays, montrent aussi que les familles contemporaines
sont en mutation et que, par conséquent, de nouvelles configu-
rations familiales émergent. Il est important de noter que ces trans-
formations démographiques ne se sont pas produites en même temps
ou au même degré dans tous les pays industrialisés.
Ces modifications dans la structure des familles sont imbriquées
dans des changements profonds des sociétés contemporaines, dont
l’un des plus importants est la participation croissante des femmes
au marché de travail, laquelle a altéré leur rôle dans la sphère privée
et rendu visible la nécessité de concilier le travail rémunéré et non
rémunéré – problème qui continue de se poser aux chercheurs
comme aux politiques publiques. La question de la conciliation,
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si elle n’est nullement nouvelle, est loin d’être résolue comme le


montrent les recherches comparatives sur les emplois du temps. Les
inégalités de genre persistent dans ce domaine, en dépit du fait que
les hommes ont augmenté leur participation aux tâches domes-
tiques et passent plus de temps avec leurs enfants qu’auparavant.
La réponse des politiques publiques aux enjeux de conciliation est
diverse et plusieurs ajustements sont possibles, en parallèle avec les
entreprises, dont l’intervention dans l’articulation entre vie privée et
travail devient cruciale. Les nouvelles modalités de travail et ce qui
a été appelé l’économie 24/7 – et les charges que cela impose aux
travailleurs et à leurs familles – font aussi partie des changements. Les
liens entre changement social et changement familial sont complexes
et entretiennent souvent des rapports dialectiques : l’intégration des
femmes au marché du travail rend plus compliquée l’articulation
entre famille et travail – tâche qui continue de leur incomber le plus
souvent alors qu’elle devrait également reposer sur les hommes –, ce
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qui peut à son tour influer sur la fécondité, mais la fécondité envisa-
gée façonne aussi en retour les décisions de formation ou d’emploi.
Dans cette introduction, nous présenterons d’abord un aperçu
des changements les plus importants qui font émerger ce que nous
appelons des nouvelles configurations familiales. Nous décrirons
ensuite les transformations sociales qui accompagnent ces nouvelles
configurations, surtout en ce qui concerne le travail rémunéré et les
politiques publiques. Dans une dernière partie, nous présenterons
les articles sélectionnés pour ce numéro thématique et leur perti-
nence pour comprendre le changement des familles dans les sociétés
contemporaines.

Nouvelles configurations familiales :


les indicateurs démographiques

Les analyses démographiques nous offrent des informations


cruciales pour décrire le changement des familles en Europe dans
la période récente. L’entrée dans la vie adulte et la formation d’une
famille (abandon du domicile parental, formation du couple, arrivée
d’un premier enfant) se produisent de plus en plus tard dans la
biographie des individus. Ce retard dans ces importantes transitions
de vie s’accompagne d’un nombre plus important de personnes qui
ne suivent pas le parcours traditionnel de la formation d’une famille
(mariage puis enfants). Le nombre de couples qui cohabitent hors
mariage augmente, ainsi que le nombre de couples sans enfant. Les
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couples deviennent aussi plus instables, et le divorce et la séparation


donnent lieu à la formation de familles recomposées, elles aussi en
augmentation. L’ampleur de ces changements a conduit certains
démographes à évoquer une « deuxième transition démographique »
(van de Kaa, 1987). Dans cette première partie, nous décrivons
brièvement l’ampleur de ces phénomènes à l’appui de données
statistiques.

Formation du couple
En ce qui concerne la formation des couples, le mariage est en
chute depuis les années  1980 dans la plupart des pays européens.
En France, le nombre de mariages est en baisse, le taux de mariages
(nombre de mariages pour 1 000 habitants) était de 7,8 en 1970 et est
descendu de manière soutenue depuis pour arriver à 3,6 en 2016. Ce
taux est similaire à celui d’autres pays européens, notamment du sud
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de l’Europe, mais paraît plus bas qu’en Allemagne (4,2) ou que dans
les pays scandinaves, où il est proche de 5. La loi française dite du
« mariage pour tous » n’a pas eu d’influence significative sur le taux
de mariage en raison du faible nombre de mariages de couples de
même sexe (autour de 7 000 mariages par an en 2013, 2015 et 2016,
avec un pic à 10 340 en 2014). En revanche, le Pacs émerge comme
une alternative au mariage depuis sa création. La figure  1 met en
parallèle le nombre de mariages et de Pacs en France entre 1999 et
2015. Si nous additionnons le nombre de mariages et de Pacs, nous
nous apercevons que la cohabitation en couple n’est pas remise en
question en France, c’est la nature de l’union qui change, avec un
poids de plus en plus important du Pacs.
L’âge au premier mariage se modifie aussi  : si en 1970 l’âge
moyen au premier mariage était de 24,7 ans pour les hommes et de
22,6 pour les femmes, en 2013 (dernière date disponible à l’Insee),
le mariage se fait plus tardif dans tous les pays européens. En France,
en 2013, les hommes se marient pour la première fois à 32,3 ans et
les femmes à 30,5. Ce décalage de l’âge au premier mariage peut
s’expliquer en partie par des changements dans le parcours de vie
des individus (les études sont plus longues, l’entrée sur le marché
de travail est plus tardive), mais aussi par une évolution de la valeur
symbolique du mariage (Cherlin, 2004). Auparavant, le mariage
signalait la formation d’un foyer et l’entrée dans la vie adulte, consti-
tuant un rite de passage. Aujourd’hui, il aurait pour la plupart des
couples une valeur moins institutionnelle, plus symbolique et liée
à sa valeur de célébration et de fête : il serait devenu une occasion
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sociale de montrer aux proches la réussite du couple, ce qui implique


donc d’attendre pour pouvoir organiser un mariage à la hauteur des
attentes des individus qui l’organisent (Maillochon, 2016).

Figure 1. – Nombre de mariages et de Pacs en France, 1999-2017


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Source : Papon et Beaumel (2018).

Nous assistons à une formation de couple plus tardive et plus


individualisée, qui passe aussi par le fait que le mariage ou le Pacs ne
sont pas conçus comme une union pour la vie. Le nombre de di-
vorces a augmenté dans tous les pays qui ont autorisé son règlement
par consentement mutuel dans les années 1970 ou 1980 et, aujour-
d’hui, la France connait un taux de divorces (nombre de divorces
pour 1 000 mariages) très proche des autres pays européens (autour
de 2). Le nombre de remariages reste pourtant assez stable, autour de
40 remariages pour 100 personnes divorcées, avec des taux légère-
ment plus hauts pour les hommes que pour les femmes. L’instabilité
des Pacs et des couples qui cohabitent sans formaliser leur union est,
en revanche, beaucoup plus difficile à calculer, car nous ne disposons
pas de données officielles à ce sujet.

Fécondité et filiation
Les changements dans la formation et la séparation des couples
s’accompagnent dans la plupart des pays européens d’une baisse
des taux de fécondité, plus ou moins prononcée selon les pays,
et très importante dans les pays du sud de l’Europe. La figure  2
montre les taux de fécondité dans plusieurs pays européens selon
les dernières données disponibles. À ce sujet, la France est une
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exception en Europe. Si le taux de fécondité diminue par rapport


aux années 1970, cette diminution y est moins marquée qu’ailleurs,
ce qui fait de la France l’un des pays les plus féconds en Europe
avec 1,88 enfant par femme selon les dernières données dispo-
nibles. L’exceptionnalité française et le taux de fécondité relati-
vement élevé sont souvent expliqués par les politiques familiales,
qui auraient affiché dès leur origine un objectif nataliste (Gauthier,
1996).
Comme pour la formation du couple, on observe aussi un
retard de l’entrée en parentalité. Les données sur l’âge moyen de
la première maternité des femmes montrent que la naissance du
premier enfant a été fortement décalée : en France, les femmes
avaient leur premier enfant en moyenne à l’âge de 24 ans en
1974 contre 28,5 ans en 2015. Ce décalage est notamment lié à
l’allongement des études et à cet égard, les femmes les plus diplô-
mées ont leur premier enfant quatre ans plus tard que les femmes
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moins diplômées. Ce report de la naissance du premier enfant
est généralisé en Europe, et les démographes l’attribuent à des
transformations sociales plus larges, qui retardent la réalisation des
projets d’enfant. Il y aurait en effet une nouvelle « norme paren-
tale » qui imposerait certains prérequis aux futurs parents : avoir
terminé leurs études, être en couple stable, avoir une sécurité
financière et un logement indépendant (Régnier-Loilier et Solaz,
2010).

Figure 2. – Taux de fécondité par pays, 1970 et 2015

Source : OCDE (2018).


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Grâce à la diffusion de la contraception, la fécondité est


aujourd’hui considérée dans les travaux sociologiques sur la
famille comme un choix, même s’il s’agit d’un choix sous
contraintes. Dans ce sens, il est important de noter que plusieurs
pays européens ont vu augmenter le nombre de femmes qui n’ont
pas d’enfant (autour de 20  % dans plusieurs pays). Toutefois, la
non-fécondité des femmes ne constitue pas une nouveauté, car
elle était tout aussi importante au début du xxe siècle, avant de
devenir très minoritaire plus tard (Sobotka, 2017). L’interprétation
de la non-fécondité a changé tout au long de l’histoire. Alors
qu’elle était considérée comme une conséquence de l’infertilité
des femmes en couple, elle est aujourd’hui interprétée comme
un choix, celui de ne pas avoir d’enfant (le terme anglais childfree
s’oppose à celui de childless qui indique, lui, le caractère involon-
taire et négatif). Charlotte Debest (2014) (qui a proposé le terme
« sans enfant volontaire » SEnVol pour décrire ces femmes) a
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montré que si ce choix de vie est possible aujourd’hui, la norme
de procréation reste encore très forte dans la société française et
ne pas désirer d’enfant est souvent considéré comme une forme
de déviance.
Si les couples hétérosexuels sans enfant constituaient une
exception aux normes de formation de la famille, élever des enfants
en couple non hétérosexuel a aussi longtemps été une configu-
ration familiale invisibilisée. Avec les mouvements pour l’égalité
des droits et les modifications du cadre légal, les familles homopa-
rentales sont devenues un objet du débat public et un objet de
recherches sociologiques. Les familles homoparentales redéfinissent
les liens de filiation et les normes de parentalité, très influencées par
l’absence d’un cadre légal, mais aussi par la stigmatisation sociale
(Hecquembourg et Farrell, 1999). Les analyses sur le rapport de ces
couples à la parentalité montrent l’importance du cadre de référence
hétéronormatif dans lequel ces familles évoluent au quotidien
(Descoutures, 2010).
Les changements évoqués – retard et baisse de la fécondité,
retard et diversification des unions, pluralisation des formes de
famille – sont imbriqués dans des changements sociaux plus larges
et interrogent en même temps plusieurs institutions sociales,
notamment les politiques familiales et la législation sur les diffé-
rents types de famille, l’articulation travail/famille et les inéga-
lités de genre. Ces nouvelles configurations familiales s’inscrivent
donc dans des configurations sociales qui sont, elles aussi, en
mouvement.
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Nouvelles configurations sociales

Pendant les trente dernières années, plusieurs institutions sociales


des pays industrialisés ont subi des transformations majeures. En parti-
culier, la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur et
l’entrée massive des femmes sur le marché de travail ont influencé la
formation des familles, car elles en modifient directement les tempo-
ralités et les normes. Le rôle des politiques est aussi capital pour
comprendre l’émergence de nouvelles configurations avec, d’une part,
l’ouverture du cadre légal des familles (la légalisation sur l’interruption
volontaire de grossesse, le divorce par consentement mutuel, le Pacs et
le mariage pour tous), et d’autre part le développement de nouvelles
politiques d’articulation entre famille et travail. Dans cette partie, nous
allons explorer les rapports complexes entre ces changements institu-
tionnels et les nouvelles configurations familiales.
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Éducation et marché du travail

Depuis les années  1960, la démocratisation de l’accès à


l’enseignement supérieur a allongé la durée des études et reporté
progressivement l’entrée sur le marché du travail. L’investissement
de l’éducation par les femmes est un fait majeur de la période, et
aujourd’hui dans la plupart des pays européens, les jeunes femmes
sont plus nombreuses à obtenir des diplômes universitaires que
leurs homologues masculins. Plusieurs recherches ont souligné
que l’allongement de la durée des études est un facteur essentiel,
avec l’évolution des normes sociales, pour expliquer le report de
l’entrée dans la vie de couple et de la naissance du premier enfant.
Les études supérieures sont souvent considérées comme une activité
à temps plein, avec des horaires souvent incompatibles avec un
emploi à temps plein ou d’autres activités chronophages, comme
la parentalité. Par ailleurs, les institutions d’enseignement supérieur
ne sont souvent pas adaptées aux besoins spécifiques des étudiants-
parents et ne sont pas en mesure de modifier les règles existantes. En
outre, la norme parentale dominante est que la naissance du premier
enfant est l’aboutissement d’un parcours de vie plus général : études
terminées, relation de couple et emploi stables, logement indépen-
dant et suffisamment grand ainsi qu’un sentiment général de sécurité
(Régnier-Loilier et Solaz, 2010). Cette norme désignerait les condi-
tions perçues comme nécessaires pour avoir un enfant : avec l’accès
plus facile à la contraception, les couples seraient donc plus libres
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que jamais de choisir d’avoir, ou pas, des enfants, mais il s’agirait


d’une liberté contrainte par cette norme exigeante.
Si avoir fini les études fait partie de la norme procréative, avoir
un emploi stable et une certaine sécurité (y compris financière) en
est également un des éléments clés. Les décisions de former une
famille sont donc dans la plupart des cas liées à la situation par rapport
au marché du travail. Toutefois, le versant emploi de cette norme
est genré puisque, pour les femmes, l’arrivée d’un enfant n’est pas
toujours nécessairement liée à la participation au marché du travail.
Ainsi, les taux de fécondité sont plus élevés parmi les femmes qui
n’ont pas d’emploi rémunéré (Insee). Le rapport entre emploi et
fécondité est donc différent pour les hommes et les femmes.
De manière générale, le rapport entre travail rémunéré et famille
s’avère très différent selon le genre (Laufer, 2014). De nombreuses
publications ont montré que les femmes ont une situation moins
avantageuse que les hommes sur le marché du travail : les femmes
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gagnent moins et sont sous-représentées aux postes de responsabilité
dans tous les pays de l’Organisation de coopération et de dévelop-
pement économique (OCDE, 2017). Les inégalités semblent se
creuser pour les mères, ce qui est décrit dans la littérature acadé-
mique comme la motherhood penalty (pénalité de maternité) alors
que pour les hommes, la paternité est souvent associée à un avance-
ment dans la carrière, à un fatherhood bonus (prime de paternité). La
paternité renforcerait donc souvent le rôle de l’homme en tant que
principal soutien économique de la famille et faciliterait un surinves-
tissement de la sphère du travail rémunéré. Ces inégalités sont dues
à des processus complexes à l’intérieur des entreprises (Guillaume et
Pochic, 2007), ainsi qu’à des phénomènes d’autosélection chez les
femmes – qui chercheraient des emplois permettant une meilleure
articulation avec la vie familiale (par exemple des emplois à temps
partiel) – mais aussi à la discrimination (Budig et England, 2001).
La participation plus ou moins forte au marché du travail est
indissociable de la position dans la sphère familiale, comme le
montre l’abondante littérature sur la division du travail au sein des
familles (pour une revue de la littérature, voir Lachance-Grzela et
Bouchard, 2010). La généralisation des enquêtes sur les emplois
du temps a permis aux chercheurs d’obtenir des informations plus
claires et précises sur l’engagement dans plusieurs activités, dont la
vie domestique et les soins aux enfants. Les résultats de ces analyses
montrent de façon incontestable que l’investissement des hommes
et des femmes reste très inégal. La figure  3 illustre l’évolution du
temps dédié aux tâches ménagères les plus chronophages (cuisine et
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ménage) dans plusieurs pays pendant les cinquante dernières années.


Les données montrent une évolution qui est constatée aussi pour
d’autres tâches  : bien que les écarts entre hommes et femmes se
soient réduits, cela s’explique bien plus par la diminution du temps
que les femmes consacrent à ces activités que par une plus grande
participation des hommes laquelle, bien que réelle, reste d’ampleur
bien plus limitée. La tendance est différente en ce qui concerne les
activités parentales  : hommes et femmes ont augmenté le temps
dédié à ces activités pendant les 25 dernières années. Nous sommes
donc face à une nouvelle expérience de la parentalité, car les parents
sont de plus en plus souvent des couples bi-actifs mais qui passent
malgré tout plus de temps avec leurs enfants.

Figure 3. – Temps dédié (en minutes) aux tâches ménagères (cuisine et


ménage) par les hommes et les femmes, par pays et par année
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Source : d’après Altintas et Sullivan (2016).

Par ailleurs, les conditions de travail ont elles-mêmes considé-


rablement évolué en raison notamment de l’avènement progressif
d’une société dite  24/7, c’est-à-dire qui fonctionne 24  h/24 et 7
jours sur 7 (Presser, 2003). En effet, la tertiarisation toujours plus
forte des pays économiquement avancés s’explique en grande partie
par le développement du commerce et des services aux particuliers.
Le développement de ces secteurs a fortement contribué à l’inser-
tion, de plus en plus permanente – c’est-à-dire sans interruption à la
naissance des enfants ou avec une interruption de plus en plus brève
au fil des générations (Maruani, 2000) – des femmes sur le marché
du travail. En retour, cette participation croissante des femmes au
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marché du travail a accentué les besoins en services, notamment ceux


qui sont accessibles à des horaires de plus en plus aux marges de la
journée de travail standard. En effet, un des corollaires de la massifi-
cation de l’accès au marché du travail des femmes est la réduction
drastique de leur capacité à jouer le rôle de « réservoir de temps » dispo-
nible pour le reste de la famille (Méda, 2001). Ainsi, la généralisation
des couples bi-actifs est indissociable de l’augmentation des horaires de
travail atypiques, c’est-à-dire aux marges de ce qui peut être considéré
comme une journée de travail standard (le fameux 9-to-5 anglo-saxon
qui décrit une prise de poste à 9 h et une fin de journée à 17 h).
Mais cette croissance des horaires et jours de travail atypiques
va cependant au-delà de ces changements sociaux majeurs. Elle
s’explique aussi par un mouvement de dérégulation du marché du
travail qui offre toujours plus de flexibilité à l’employeur au détri-
ment des salariés (Boulin et Lesnard, 2017) : incitations fiscales aux
contrats à temps partiel, annualisation du temps de travail, dérégu-
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lation des horaires d’ouverture des commerces en soirée, mais
aussi le dimanche, etc. Ces dérégulations vont largement au-delà
de la demande sociale en matière d’accessibilité des commerces
et services et participent à la croissance des bad jobs (Kalleberg,
2011), c’est-à-dire des emplois précaires, peu qualifiés, à temps
partiels, mal payés, aux horaires et jours de travail atypiques, etc.
Pire, cet accroissement des inégalités temporelles individuelles se
trouve renforcé par l’homogamie des couples1  : il se traduit par
l’apparition de journées de travail très désynchronisées qui « désarti-
culent les familles », et ce, d’autant plus qu’elles sont socialement
défavorisées (Lesnard, 2008 ; 2009). Une désynchronisation qui
sape le lien familial au quotidien et qui accroît l’instabilité conju-
gale (Presser, 2003 ; Täht et Mills, 2015).

Politiques publiques
Les conditions dans lesquelles les familles évoluent sont encadrées
par des politiques publiques qui contribuent à définir les liens, les
droits, les obligations, les services à disposition des familles et, on vient
de le voir, indirectement leurs conditions de vie au quotidien. Les
dispositions légales servent aussi à dé-stigmatiser des comportements

1. Si la probabilité individuelle d’avoir des horaires standards est notée q et que cha-
que conjoint a la même probabilité individuelle d’horaires standards en raison de l’homo-
gamie, alors la probabilité d’avoir une journée de travail conjugale standard est de q2  :
ainsi, si la probabilité individuelle d’avoir des horaires standards pour un ouvrier est de 0,6
(chiffre observé en 1999, voir Lesnard, 2009, p. 166), celle d’avoir une journée standard au
niveau du couple n’est plus que de 0,34 (chiffre observé qui est très près de 0,62).
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comme la contraception ou le divorce ; elles donnent une légiti-


mité à des configurations familiales qui n’en avaient pas par le passé,
comme les couples cohabitants ou les familles homoparentales. Pour
ces configurations familiales, l’absence de cadre rendait difficile la
lisibilité des liens de famille qui semblaient pourtant évidents pour
d’autres familles. De nombreuses analyses ont montré la complexité
des liens entre parent biologique et non biologique, ou entre parent
qui transmet le nom et parent qui ne peut pas transmettre le nom,
par rapport à la famille élargie, mais aussi dans le rapport avec
d’autres institutions, comme l’école (Hequembourg et Farrell, 1999 ;
Sarcinelli, 20182). En ce sens, le cadre légal est souvent en décalage
par rapport aux évolutions de la société.
Les politiques familiales au sens plus large encadrent aussi la vie
des familles et prennent une importance capitale pour comprendre
la division du travail. D’un point de vue historique, les principes qui
guident les politiques familiales ainsi que les objectifs poursuivis et
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les solutions apportées divergent beaucoup selon les pays (Gauthier,
1996). Les politiques familiales mobilisent plusieurs instruments  :
transferts monétaires, prestations de services et congés (de mater-
nité, paternité ou parentaux). La critique féministe de la littérature
sur l’État-providence a montré que les différentes configurations
de politiques se développent sur un modèle sous-jacent de famille
typique, que les politiques contribuent à soutenir (Lewis, 1992).
Par exemple, dans les pays scandinaves, le modèle serait celui d’une
famille où les deux parents travaillent et s’occupent de la famille,
tandis que dans les pays du sud de l’Europe, le modèle sous-jacent
serait une famille de structure plus traditionnelle, avec un conjoint
actif sur le marché de travail et l’autre plus investi dans la sphère
familiale.
La question de l’évolution de ces politiques a été examinée dans
les recherches, notamment dans la perspective d’une possible conver-
gence des pays européens vers des modèles plus similaires (Gauthier,
2002 ; Ferragina, 20183). La convergence serait axée sur un investis-
sement plus fort en services d’accueil à la petite enfance, mais aussi
sur des congés distribués de manière plus égalitaire entre mères et
pères. En effet, en lien avec la division du travail domestique que
nous avons évoquée, les congés sont normalement plus généreux
en temps pour les mères, et quand il s’agit de congés parentaux,
ouverts aussi bien aux pères qu’aux mères, même si, dans la très

2. Voir dans ce numéro, p. 367.


3. Voir dans ce numéro, p. 423.
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grande majorité des cas, c’est la mère qui prend le congé et qui
assume les possibles conséquences négatives pour sa carrière. Ce
constat vaut également pour les pays scandinaves, où des mesures
ont été mises en place pour augmenter la participation des pères à ce
type de congé avec un objectif à la fois de conciliation du travail et
de la vie familiale et d’égalité de genre (Duvander, 2014).
Il est important de noter que les objectifs des politiques ont
aussi évolué dans le temps. Après la Seconde Guerre mondiale, les
politiques familiales étaient souvent liées à des objectifs démogra-
phiques, notamment pour augmenter ou contrôler la fécondité.
Les difficultés de conciliation du travail et de la vie familiale, qui
ont à leur tout intégré le débat après la participation massive des
femmes au marché du travail, sont encore loin d’être résolues. Dans
la période la plus récente, plusieurs pays affichent l’importance
d’une nouvelle dimension des politiques : le bien-être (well-being)
ou la satisfaction des citoyens (Bok, 2010). L’idée de bien-être est
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très présente dans les débats concernant les enfants et les mesures à
développer pour les protéger, par exemple dans les cas de divorce,
mais l’intégration de cette dimension aux politiques publiques
suscite des questions méthodologiques importantes par rapport à
notre capacité à recueillir des données et à les mesurer (Dolan et
Metcalfe, 2012).
Parmi les nouvelles orientations des politiques familiales, la litté-
rature anglo-saxonne attache une attention particulière à la parentalité
et à la fonction des parents. Le marché du conseil aux parents
s’étend de plus en plus, en intégrant des dimensions normatives sur
l’importance d’être un « bon parent », jusqu’à devenir un objectif
des politiques publiques, avec comme principe de base le constat
que les actions des parents auraient des répercussions sur la société
tout entière. La parentalité deviendrait un problème public, et le
développement de mesures de soutien à la parentalité constitue
pour certains chercheurs un nouveau pilier de l’action de l’État, un
pilier qui interroge la séparation entre les sphères publique et privée
(Martin, 2014).

Contributions de ce numéro thématique

Les articles réunis dans ce numéro apportent des éclairages sur les
intersections entre famille, nouvelle économie, politiques publiques
et rapports de genre. Ils mobilisent une diversité de méthodes  :
données statistiques, entretiens, observations ethnographiques. Ils
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analysent également différents contextes nationaux (France, Italie,


Espagne, Québec), favorisant ainsi les comparaisons internationales.
L’article d’Anne Lambert se focalise sur les difficultés à articuler
travail et famille dans le cas particulièrement difficile de salariés de
l’industrie des transports, spécifiquement les hôtesses, stewards et
pilotes d’une grande compagnie aérienne française. En s’appuyant
sur les données administratives des ressources humaines de la compa-
gnie, ainsi que sur des entretiens biographiques des salariés, l’article
souligne l’importance de la spécificité du travail mobile sur la vie de
famille. L’articulation entre famille et mobilité s’avère genrée  : les
absences du domicile sont interprétées de manière différente pour
les hommes et les femmes. Les absences des hommes sont perçues
comme naturelles et même nécessaires au bon équilibre de la famille,
tandis que les absences des femmes sont négociées et suspendent, de
manière temporaire, les normes de genre.
L’articulation entre travail et famille est également l’objet de
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l’article de María José González, Irene Lapuerta, Teresa Martín-García
et Marta Seiz portant sur le cas de l’Espagne. La particularité de leur
analyse est de s’intéresser à la dimension subjective de la satisfaction des
parents en matière de conciliation de la vie professionnelle et familiale,
dans le cas des couples qui veulent avoir un partage égalitaire des
tâches parentales tout en gardant une activité professionnelle. L’analyse
s’appuie sur des entretiens qualitatifs avec 31 couples de jeunes parents
et prend en compte la satisfaction par rapport aux mesures de concilia-
tion envisagées avant la naissance d’un enfant, ainsi que les contraintes
matérielles et institutionnelles très particulières du cas espagnol. Les
résultats montrent que la cohérence des intentions exprimées et des
comportements effectifs après la naissance est cruciale pour que les
parents soient satisfaits de leur vie familiale.
Si les couples qui partagent de manière égalitaire les tâches
parentales sont une innovation dans le contexte du sud de l’Europe,
l’article d’Alice Sophie Sarcinelli analyse aussi une nouvelle confi-
guration familiale. La contribution porte sur les familles homopa-
rentales dans un autre pays (l’Italie) et examine, en mobilisant des
données ethnographiques, les effets du manque d’un cadre légal
pour la vie de famille. En absence d’un tel cadre, les parents doivent
tisser des liens qui ne sont pas biologiques et qui ne bénéficient
pas d’une reconnaissance légale. L’article illustre les stratégies des
parents, mais aussi des enfants, pour faire et défaire famille et filiation
dans le cadre légal spécifique des familles homoparentales en Italie,
et ouvre la réflexion sur la construction des notions de parentalité
dans ce contexte.
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La notion de parentalité fait ici encore l’objet d’une note critique,


élaborée par Claude Martin pour ce numéro thématique. Sa contri-
bution part des réflexions, entamées pendant les années 1990, sur les
changements familiaux et leurs déterminants qui ont fait émerger
des nouvelles notions (parentalité, parenting) s’imposant maintenant
dans les champs politiques, médiatiques et académiques. Les parents
et la parentalité deviennent dans plusieurs pays un objet et une cible
de l’action publique, et ce déplacement de la parentalité de la sphère
privée à la sphère publique suscite des interrogations quant à la spéci-
ficité et à l’orientation de ces politiques. Si la littérature sur la paren-
talité est très développée dans le monde académique anglo-saxon,
la note critique de Claude Martin nous permet de découvrir ces
problématiques et d’envisager des questions qui s’appliquent aussi
aux pays européens.
L’article d’Élisabeth Godbout, Marie-Christine Saint-Jacques et
Hans Ivers analyse un aspect différent de la parentalité : le démariage
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et la continuité de la parentalité après le divorce. L’article remet en
question l’idéal de la coparentalité égalitaire, qui supposerait le choix
de la garde partagée après la séparation des parents. Les résultats
d’une enquête représentative de la population québécoise montrent
que, même s’il y a une préférence pour la garde alternée, il y a en
réalité quatre profils d’opinion différenciés en fonction de l’âge et
du sexe des enfants. Ils illustrent aussi les logiques sous-jacentes aux
choix, dont la compétence des parents et le fait de permettre aux
deux parents de passer du temps avec les enfants.
L’importance du cadre légal est soulignée par plusieurs contri-
butions de ce numéro, ainsi que celle des politiques publiques en ce
qui concerne l’articulation du travail et de la famille. La contribution
d’Emanuele Ferragina analyse l’évolution des politiques familiales
du point de vue de l’économie politique et constate ce qui peut, à
première vue, apparaître comme un paradoxe : alors que de manière
générale l’État-providence régresse, les politiques familiales sont dans
le même temps en expansion et convergent pour soutenir les familles
bi-actives. L’auteur propose d’étudier ces mouvements contradic-
toires dans un cadre polanyien, qui permettrait d’interpréter ces
évolutions selon deux logiques complémentaires  : encourager les
femmes à participer au marché du travail, même si cette partici-
pation est précaire, et leur permettre d’avoir accès à une citoyenneté
plus large.
Chacun des articles rassemblés dans ce numéro éclaire certains
aspects des transformations de la famille contemporaine et des
nouveaux enjeux qui leur sont liés. S’il ne couvre pas exhaustivement
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ce sujet – on regrettera notamment que la question des couples non


cohabitants (les couples LAT : living apart together, voir Levin et Trost,
1999) ne fasse pas l’objet d’un article –, ce numéro illustre bien
les mots prononcés par Émile Durkheim à la Faculté des lettres de
Bordeaux en 1888 dans sa leçon inaugurale d’un cours de sciences
sociales consacré à la sociologie de la famille :
La famille d’aujourd’hui n’est ni plus ni moins parfaite que celle de jadis :
elle est autre, parce que les circonstances sont autres. Elle est plus complexe, parce
que les milieux où elle vit sont plus complexes. (Durkheim, 1975 [1888]).
Si la pensée d’Émile Durkheim n’est pas exempte de certains
préjugés de son époque, notamment sur la question du genre
(Pfefferkorn, 2010), force est de constater que, 130 ans plus tard,
cette formule résume parfaitement l’un des objets de la sociologie
de la famille : analyser l’évolution de la famille en la rapportant aux
autres changements sociaux.
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Marta Domínguez-Folgueras
Sciences Po
Observatoire sociologique du changement (OSC), CNRS
marta.dominguezfolgueras@sciencespo.fr

Laurent Lesnard
Sciences Po
Observatoire sociologique du changement (OSC), CNRS
laurent.lesnard@sciencespo.fr

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