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in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 2 à 3
ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-2.htm
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Collection GRANDS AUTEURS
dirigée par Gérard CHARREAUX,
Patrick JOFFRE et Gérard KŒNIG

LES GRANDS AUTEURS


EN MANAGEMENT
3e édition
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Dirigé par
Sandra CHARREIRE PETIT et Isabelle HUAULT

136 boulevard du Maréchal Leclerc


14000 CAEN
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ISBN : 978-2-37687-044-9
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(Versions numériques)
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Tous droits réservés
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INTRODUCTION

Sandra Charreire Petit, Isabelle Huault


in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 4 à 10
ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-4.htm
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Sandra Charreire Petit et Isabelle Huault
Introduction
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Introduction 5

Cet ouvrage est l’expression d’une volonté : celle de présenter de grands


auteurs en management, d’illustrer le caractère foisonnant d’un champ et
ses nombreuses connexions disciplinaires. La grande diversité des auteurs
choisis, issus d’horizons différents, voire de perspectives divergentes
témoigne de la variété d’un domaine en phase de maturation. Bien qu’an-
crés dans des paradigmes et des courants conceptuels distincts, les apports
de ces chercheurs ont eu et ont encore une influence indéniable sur les
communautés académiques. Leurs contributions, régulièrement mobili-
sées dans les travaux en management, attestent ainsi de la richesse des
théories et des méthodes qu’elles suggèrent.
Cette troisième édition des Grands Auteurs en Management propose une
version actualisée des chapitres existants, eu égard aux évolutions perma-
nentes qui traversent le champ et enrichit l’ouvrage de deux nouveaux
chapitres, celui sur Robert Chia et celui sur Thomas Lawrence et Roy
Suddaby, qui viennent renforcer, chacun avec une tonalité particulière,
deux des parties de l’ouvrage.
Composée désormais de huit parties et de trente-sept chapitres, cette
troisième édition de l’ouvrage est le fruit d’un travail collectif de vingt-
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trois chercheurs qui ont collaboré à son écriture. Ce travail a été l’occasion
de nombreux échanges constructifs, permettant de faire une place aux
différentes conceptions de la recherche et de son rôle dans les univers aca-
démique et pratique. L’objectif n’est pas tant une présentation exhaustive
des œuvres traitées qu’une proposition de clé de lecture pour y entrer.
Chaque chapitre est ainsi une invitation à la relecture des travaux originels
et reflète, dans le traitement et les choix opérés, l’analyse et le point de vue
de chaque contributeur.
Pour exposer les apports majeurs des « Grands Auteurs » figurant dans
cet ouvrage, la démarche que nous retenons est thématique. Elle permet
en effet de mettre en relief les concepts et théories clés du management,
tout en situant les auteurs dans le vaste champ de l’analyse des organisa-
tions. Cet état des lieux de la pensée managériale s’articule ainsi autour de
huit thèmes fondamentaux.

Quand le management est à la recherche


de principes universels
Les travaux en management puisent souvent leur inspiration chez les
précurseurs. Ces derniers ont développé une vision positiviste, plutôt
scientifique du management, dans une perspective résolument fonction-
naliste. Les écrits de F. Taylor sensibilisent les entreprises sur le rôle et
l’importance de la démarche scientifique pour gérer une entreprise. Dans
6 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

le même esprit, H. Fayol montre que, pour être efficace, le management


d’une entreprise, organisée autour de fonctions circonscrites, doit obéir à
des principes précis. C. Barnard présente, quant à lui, une véritable théorie
scientifique de l’organisation, où sont détaillés méthodiquement le mode
de fonctionnement, la finalité des organisations formelles et les rôles des
dirigeants. Dans une optique également prescriptive, P. Drucker, praticien
du management avant toute chose, formalise son savoir empirique, afin de
le transmettre aux managers. Quant à M.P. Follett, elle invite à une philo-
sophie sociale du management, où la vision du leadership prônée s’éloigne
des principes de hiérarchie et de coercition, pour promouvoir une concep-
tion relationnelle fondée sur la coopération.
Mais une grande part de ces conceptions s’affranchit volontiers de
l’analyse du contexte environnemental ; or, celui-ci peut être appréhendé
comme un facteur de structuration des actions de l’organisation.

Quand l’environnement devient facteur


d’évolution
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L’adaptation des structures et des styles de management aux caractéris-
tiques spécifiques de l’environnement constitue le fil directeur des travaux
de J. Lawrence et J. Lorsch, principaux représentants de la théorie de la
contingence structurelle. Dans la même veine, H. Mintzberg souligne
qu’une structure efficace dépend de la cohérence entre les paramètres de
conception, les modalités de coordination et les facteurs de contingence.
Malgré des nuances, la perspective socio-technique de F. Emery et E. Trist
place aussi l’environnement au cœur des évolutions organisationnelles.
Composée d’un sous-système techno-économique et d’un sous-système
social, l’organisation est un système ouvert, en continuel échange avec
l’extérieur. Mais l’environnement n’est pas réductible à ses caractéristiques
technico concurrentielles.
Dans la perspective du contrôle externe défendue par J. Pfeffer et
G. Salancik, les organisations puisent des ressources dans leur environne-
ment social, créant ainsi une dépendance réciproque. Elles procèdent alors
par ajustement avec le milieu économique et politique dans lequel elles
sont insérées. Enfin, H. Aldrich s’attache à comprendre le changement de
l’organisation dans une optique écologique puis évolutionniste, voire
entrepreneuriale.
L’analyse des caractéristiques de l’environnement ne saurait cependant
dispenser d’un regard complémentaire sur les pressions institutionnelles
qui s’exercent sur les organisations.
Introduction 7

Quand les institutions façonnent


l’organisation
En examinant comment l’organisation devient une institution,
P. Selznick a posé certains des fondements de la théorie néo-institution-
nelle. Il propose une conception de l’organisation « comme ensemble de
structures sociales encastrées dans une matrice institutionnelle ». Sa vision
du leadership fait du dirigeant un agent d’institutionnalisation, soucieux
de la cohérence des décisions dans la durée. J. Meyer et B. Rowan
défendent l’idée que les structures formelles reflètent de façon spectacu-
laire les mythes de leurs environnements institutionnels. Les organisations
ayant ainsi intégré ces mythes rationnels sont plus légitimes, et ce faisant,
plus aptes à survivre dans leurs environnements respectifs. C’est ce qu’ex-
priment avec force P. DiMaggio et W. Powell, puisque selon eux, la struc-
turation des champs organisationnels est profondément modelée et
médiatisée par le contexte institutionnel dans ses dimensions normative,
coercitive et cognitive. Enfin, T. Lawrence et R. Suddaby permettent de
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saisir le rôle et les formes du travail institutionnel dans la relation organi-
sation – institution, remettant ainsi l’action humaine au cœur des phéno-
mènes institutionnels.
Une attention toute particulière portée aux rôles des actions et déci-
sions humaines a inspiré d’autres auteurs, intéressés par les questions
d’apprentissage et de processus décisionnels au sein des organisations.

Quand les théories de l’action sont des


leviers d’apprentissage et de décision
Le concept de rationalité limitée de H. Simon s’est diffusé dans l’en-
semble des travaux en management. Simon met en évidence les limites du
modèle de la rationalité omnisciente et enrichit significativement la com-
préhension des processus de décision. De façon encore plus radicale, la
décision rationnelle est un idéal qu’il peut même être dangereux de pour-
suivre. C’est précisément ce que N. Brunsson s’attache à souligner, notant
que le devenir des organisations ne dépend pas directement de ce qu’elles
pensent, mais de ce qu’elles font. En analysant les déterminants d’une
culture de l’innovation dans les organisations, A. Van de Ven de son côté
propose une vision intégrée de l’innovation, du changement et de l’ap-
prentissage. Ses études sur la manière dont les innovations émergent, se
développent et s’achèvent lui permettent de proposer une typologie des
8 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

théories du changement. La théorie de C. Argyris pose quant à elle la


question de l’apprentissage organisationnel comme levier de l’action effi-
cace en considérant les mécanismes cognitifs qui limitent les capacités de
développement et de changement. Dans une autre conception où l’action
est indissociable de la cognition, de l’apprentissage et de la décision,
R. Nelson et S. Winter mettent l’accent sur les routines génériques dont
le constant renouvellement et la sélection par l’environnement déter-
minent l’évolution de la firme. Enfin, la trajectoire mi-pratique, mi-aca-
démique de R. Chia lui permet de proposer une vision du monde et de
l’organisation comme flux, inspirée largement par une conception orien-
tale du management et préconisant par là même une nouvelle approche de
l’éducation au management.
La compréhension des processus d’apprentissage et de décision, voire
de l’ensemble du comportement organisationnel s’accompagne chez
d’autres auteurs, de la prise de conscience de la prégnance des phénomènes
de nature politique.
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Quand l’organisation est appréhendée
comme système d’influence
J. March élabore ainsi un modèle de comportement de l’entreprise,
partant du postulat selon lequel cette dernière peut être appréhendée
comme une véritable coalition politique, constituée d’acteurs aux intérêts
divergents. L’organisation n’est pas donnée, elle est le résultat de négocia-
tions entre des logiques locales susceptibles de produire une instabilité du
système. M. Crozier met bien en exergue cette interdépendance des
membres d’une firme mais aussi leur structuration par des effets de sys-
tème qui limitent finalement les possibilités de jeu des acteurs. La problé-
matique de la cohésion organisationnelle est reprise, sous un angle diffé-
rent, par W. Ouchi. Ce dernier s’intéresse aux modalités de contrôle, dont
le clan. Le clan devient, sous certaines conditions, une alternative aux
coordinations par le marché ou la bureaucratie et autorise une coopération
plus efficace. S’il est d’ailleurs un point de consensus entre W. Ouchi et
O. Williamson, celui-ci réside dans l’idée que le passage des transactions
par le marché engendre des coûts, issus des stratégies opportunistes des
co-contractants.
Véritable système socio-politique, comme en témoignent l’ensemble de
ces travaux l’organisation n’en est pas moins marquée par sa dimension
culturelle, facteur essentiel pour comprendre ou réussir le changement.
Introduction 9

Quand la dimension culturelle est


constitutive du changement organisationnel
Dans son approche historique des changements, A. Chandler illustre la
relation entre l’histoire structurelle des grandes entreprises américaines et
leur insertion dans des contextes industriels et culturels spécifiques. Cette
analyse culturelle est reprise par R. Pascale pour lequel l’apprentissage et la
transformation de l’organisation sont marqués par une culture singulière,
susceptible d’aider les acteurs à prendre des initiatives et à transformer des
échecs en succès. Les contributions de A. Pettigrew, dans une perspective
longitudinale des changements, insistent plus largement sur l’importance
des structures sociales. En particulier, il montre l’interaction continue
entre le contexte culturel, le processus et le contenu du changement. Selon
une conception beaucoup plus normative, E. Schein considère la culture
organisationnelle comme une dimension sur laquelle le manager doit agir.
Ainsi, l’exercice du leadership requière que la culture soit créée, réformée
voire détruite. R. Quinn rend compte de la complexité et des paradoxes
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dans le fonctionnement des organisations en pointant les exigences mul-
tiples et contradictoires auxquelles elles font face. Plus spécifiquement, il
analyse comment le manager entre dans un processus de changement
personnel, devenant ainsi un acteur-clé des évolutions organisationnelles.
En intégrant les notions de culture, de vision partagée, ou de politique
pour expliquer et conduire les changements, d’autres travaux invitent à
utiliser pleinement les apports de la psycho-sociologie ou de la psychana-
lyse.

Quand la psychologie investit le champ du


management
Depuis plusieurs décennies déjà, la psychologie sociale est entrée avec
force en management et les contributions de K. Lewin apparaissent fon-
damentales. Ses écrits sur la recherche-action fondent aujourd’hui encore
la légitimité de nombreuses démarches pour l’étude des objets sociaux.
Bien qu’il adopte une posture épistémologique différente, K. Weick inscrit
également son œuvre dans le champ de la psychologie sociale. Dans la
perspective interactionniste qu’il privilégie, la vie de l’organisation consiste
en un processus continu de communications interpersonnelles, d’interpré-
tation et d’élaboration du sens. Au-delà, les contributions d’E. Jaques ou
de M. Kets de Vries, illustrent les apports et les inspirations de la psycha-
10 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

nalyse pour le management. Avec sa méthode socio-analytique, Jaques


étudie le fonctionnement des groupes et les résistances au changement.
M. Kets de Vries, en s’appuyant également sur la psychanalyse, aborde les
problématiques organisationnelle et managériale de la décision, du com-
mandement et du leadership.
Si les connexions disciplinaires enrichissent un champ, elles autorisent
et favorisent sans doute aussi l’émergence de postures et d’acception plus
critiques.

Quand la perspective critique permet de


repenser l’organisation
Au début des années soixante, quelques auteurs avaient déjà remis en
cause l’impérialisme du paradigme positiviste et des visions fonctionna-
listes. C’est le cas d’A. Gouldner, sociologue de la bureaucratie, parti d’une
posture classique au début de sa carrière pour progresser vers une hétéro-
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doxie de plus en plus affirmée. Mais c’est avec l’émergence des Critical
Management Studies au début des années quatre-vingt que se développe
une conception résolument critique du management. M. Alvesson, ou
M. Calás et L. Smircich, demeurent des figures marquantes de ce courant.
Ils ébranlent le « managérialisme », mettent en cause les asymétries de
pouvoir pour dénoncer les phénomènes de domination, et s’engagent dans
une entreprise de dé-naturalisation des phénomènes managériaux contem-
porains. Dans une perspective plus post-moderne, le travail de R. Cooper
et G. Burrell, interroge le statut généralement accordé aux pensées, aux
discours et aux écrits, pour reconsidérer les manières les plus tradition-
nelles de voir le monde et d’appréhender la « réalité ». La critique portée
par l’ensemble de ces travaux, qui conduit à une plus grande réflexivité
quant aux effets des productions scientifiques, ouvre la voie à des concep-
tions profondément renouvelées de l’organisation et du management…
I. CHESTER I. BARNARD – L’ORGANISATION FORMELLE OU L’ART DE LA
COOPÉRATION

Michel Barabel
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 11 à 28
ISBN 9782376870432
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à la recherche de principes
Quand le management est

universels
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L’organisation formelle ou
l’art de la coopération
Chester I. Barnard

Michel Barabel
I
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Chester I. Barnard 13

Dirigeant d’entreprises durant la grande majorité de sa vie mais aussi


homme cultivé et humaniste, impliqué dans de nombreuses activités
sociales, Chester Barnard a un parcours professionnel et personnel (cf.
notice biographique) atypique pour un auteur en management. Ceci est
en partie dû aux deux objectifs que l’auteur a poursuivi durant toute sa
vie : « rendre service […] et observer la façon dont les gens travaillent
vraiment. C’est mon laboratoire » (Barnard, 1973).12

Notice biographique1
Barnard est issu d’une famille très modeste, au sein de laquelle la culture et la réflexion
tiennent une place importante. Après ses études au lycée du Mount Hermon School
dans le Massachusetts, il est admis en 1906 à Harvard où il suit des études de Langues
et d’Économie. Il est cependant contraint d’abandonner ses études pour des raisons
financières.
Grâce à son oncle qui travaille chez ATT (American Telephone and Telegraph
Company), il intègre cette entreprise en 1909 et y restera environ 40 ans jusqu’à l’âge
de la retraite.
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Sa carrière, commencée au département des statistiques comme simple observateur des
systèmes tarifaires téléphoniques étrangers et comme interprète anglais /français, alle-
mand et italien culmine en 1928 lorsqu’il devient le premier président à 41 ans de la
compagnie des téléphones du New Jersey. Il conservera ce poste jusqu’en 19482.
Parallèlement à ses emplois successifs chez ATT, Barnard a occupé de nombreuses
responsabilités dans le Service Public (Président de la USO-United Service Organization
durant la Seconde Guerre Mondiale, responsable du Conseil Général de l’Education,
PDG de la Fondation Nationale pour la Science, Assistant au Secrétaire du Trésor,
Consultant du représentant américain au Comité de l’Energie Atomique de l’ONU,
Représentant des États de New York, du New Jersey, de la Pennsylvanie et du Delaware
comme directeur à la Chambre de Commerce des États-Unis, etc.).
Barnard a aussi été un membre actif de nombreuses associations caritatives, un admin-
istrateur de nombreuses sociétés et un membre influent de l’Académie Américaine des
Arts et des Sciences.
Passionné de musique, il est aussi le fondateur de la société Jean-Sébastien Bach du
New Jersey.
Après son départ d’ATT, Barnard devient président de la fondation Rockefeller
jusqu’en 1952.
Il décède le 7 juin 1961 à l’âge de 74 ans.

1. Tous les éléments biographiques sont issus de l’ouvrage Conversations with Chester I Barnard qui est la
transcription d’un long entretien entre C.I. Barnard et W.B. Wolf (1973).
2. Selon Andrews (1968), suite à des conversations avec des dirigeants d’ATT, Barnard en tant qu’homme
apparaît plutôt comme réservé, digne et même terrifiant. Il n’a pas la réputation d’être un bon ou un
mauvais gestionnaire et aucun exemple ne permet de démontrer qu’il a été capable de rendre cette
organisation plus efficace ou plus efficiente.
14 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Dans le champ managérial, la contribution de Chester I. Barnard se


résume à la rédaction d’un ouvrage édité en 1938 The Functions of the
Executive (cf. Encadré 1) qui exerce depuis sa publication une influence
significative3.
Barnard y présente une « théorie scientifique de l’organisation »
(Williamson, 1990) très ambitieuse où il détaille méthodiquement le mode
de fonctionnement et la finalité des organisations formelles ainsi que les rôles
de ceux (les dirigeants) qui sont là pour les faire fonctionner.
L’influence de cet ouvrage sur le management est principalement due à
deux raisons :
1. Il contient certains des plus importants développements de la théo-
rie organisationnelle de ces cinquante dernières années (Levitt et
March, 1990). En particulier, Barnard définit un certain nombre de
concepts liés à l’organisation que l’on peut regrouper en deux
familles :
–– les concepts structurels (individu, système de coopération, orga-
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nisation formelle, organisation formelle complexe, organisation
informelle, efficience, efficacité) qui permettent de comprendre
l’anatomie des organisations ;
–– les concepts dynamiques (libre volonté, coopération, communi-
cation, autorité, processus décisionnel, équilibre dynamique,
leadership) qui permettent de comprendre la physiologie des
organisations.
2. Sur de nombreuses thématiques managériales, Barnard apparaît
comme un pionnier dont les travaux ont donné naissance à de mul-
tiples courants de recherche (École de relations humaines, Théorie de
la décision, Économie des coûts de transaction, etc.).

3. Depuis sa parution, The Functions of the Executive figure dans presque toutes les bibliographies de
Théorie des Organisations.
Chester I. Barnard 15

Encadré 1. Genèse de l’ouvrage The Functions of the Executive


La rédaction de The Functions of the Executive s’est produite un peu par hasard dans la
vie de Barnard. En effet, en 1937, il est sollicité par la fondation Lowell pour réaliser
6 ou 8 séminaires de lecture pour le Lowell Institute à Boston sur le thème qu’il sou-
haite. Il en profite pour mettre en ordre ses réflexions sur la direction des organisations.
Les séminaires se déroulent de novembre à décembre 1937. Ayant eu connaissance de
ces conférences, l’éditeur de la Harvard Business Press convainc Barnard de les trans-
former en livre. Ce dernier décide alors de rédiger un ouvrage issu de son expérience
de dirigeant. Cependant, fasciné par la Science, Barnard se refuse à livrer un recueil
d’anecdotes. Il souhaite présenter une théorie scientifique compréhensible sur un
thème qu’il juge, à l’époque, déserté par les auteurs et ce alors même que les individus
y consacrent une part non négligeable de leur temps et que la plupart de leurs actions,
discours, pensées ou sentiments y sont en grande partie connectés : les organisations
formelles.

L’objet de ce chapitre est de présenter les principales thèses développées


par l’auteur et de mesurer leur impact sur les générations suivantes de
chercheurs.
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1. DÉFINITION ET DIMENSIONS CONSTITUTIVES DE
L’ORGANISATION FORMELLE

1.1. L’organisation formelle : une forme de


coopération consciente et coordonnée…
Selon Barnard (1938), les organisations sont omniprésentes dans nos
sociétés modernes. La plus fréquemment rencontrée est l’organisation
formelle qui prend en charge l’individu dès sa naissance (institutions
médicales, famille) et l’accompagne au cours de sa vie (ville, associations,
entreprise, clubs, etc.). Barnard est le premier auteur à en donner une
définition précise : c’est un « système d’activités ou de forces consciencieu-
sement coordonnées d’au moins deux personnes, en vue d’atteindre une
ou plusieurs finalités ». L’organisation formelle est une forme de coopéra-
tion particulière où les membres ont conscience de la finalité recherchée
et dont l’ensemble des actions est coordonné (rôle du dirigeant). Elle
possède cinq caractéristiques principales :
1. C’est un système. Elle représente plus que la somme de ses parties.
2. Elle est dépersonnalisée. Même si ses membres représentent l’orga-
nisation (par exemple, les soldats symbolisent l’armée), ce sont les
actes des agents qui la caractérisent. Les individus sont assimilés à
16 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

leurs fonctions (capacité à faire quelque chose) et ne sont plus consi-


dérés comme des personnes.
3. Elle est, en général, composée de nombreuses organisations plus
petites (comprenant en général entre 5 et 20 membres4, seuil maxi-
mum pour une communication efficace). Barnard distingue notam-
ment, l’organisation supérieure (organisation formelle complexe)
des organisations subordonnées, auxquelles elle confère et garantit
certains droits et obligations qui ont pour effet de limiter leurs
objectifs, la façon dont elles opèrent et le nombre ou la nature des
personnes qui en sont membres. Les organisations subordonnées à
une organisation supérieure vont entrer en concurrence pour s’attri-
buer la contribution des individus et des ressources.
4. Elle est spécialisée. Barnard rejoint ici les analyses de Fayol (1916).
En particulier, Barnard distingue :
–– la spécialisation des objectifs et des ressources ;
–– la spécialisation géographique : le lieu où le travail est exécuté ;
–– la spécialisation temporelle. Chaque service a des horaires de
travail spécifiques ;
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–– la spécialisation associationnelle. Chaque travail nécessite l’inter-
vention d’un ensemble de travailleurs qui participent ensemble
aux différentes activités ;
–– et la spécialisation des procédés (méthodes ou processus par les-
quels le travail est réalisé).
L’objectif de la coopération porte sur ces cinq éléments. Chaque service
va recruter des individus qui acceptent les différentes spécialisations liées
aux missions recherchées.
5. Elle est composée d’organisations informelles.
Les organisations informelles se distinguent des organisations formelles
par le fait que leurs membres interagissent sans poursuivre une finalité
consciente précise. L’organisation informelle est indéfinie et peu struc-
turée.
Selon Barnard, l’organisation informelle précède nécessairement l’orga-
nisation formelle (contacts préliminaires). La société dans son ensemble
est d’ailleurs une organisation informelle. Ensuite, l’organisation infor-
melle ne peut persister ou se développer sans l’émergence d’une orga-
nisation formelle. Organisation formelle et informelle ne sont en fait
que des aspects interdépendants du même phénomène. L’une n’existe
pas sans l’autre. On ne peut donc pas comprendre une organisation
formelle sans comprendre ses éléments informels.
4. On pourra noter que lors de travaux empiriques récents, s’appuyant sur le big data, Google a fixé à 7
la taille idéale d’une équipe, ce que ne renierait pas Barnard !
Chester I. Barnard 17

L’organisation informelle a d’ailleurs des fonctions dans l’organisation


formelle. Elle facilite la communication. De plus, elle maintient la cohé-
sion de l’organisation formelle en régulant la volonté de servir et la stabi-
lité de l’autorité objective. Enfin, elle préserve la personnalité de l’individu
contre certains effets des organisations formelles qui tendent à la désinté-
grer.

1.2. … entre des individus limités qui


s’engagent librement afin de s’adapter à leur
environnement
Si les individus s’engagent dans des organisations, c’est parce qu’ils
possèdent de nombreuses limites qui concernent leur pouvoir mécanique
(par exemple pousser ou tirer), leurs mécanismes d’adaptation, leur
capacité sensorielle, leur capacité perceptive, leur mémoire, leur imagination
et enfin, leur capacité à choisir. La coopération (« ensemble d›actions fina-
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lisées réalisées conjointement par deux ou plusieurs personnes mobilisant
des facteurs biologiques, physiques et sociaux » Barnard (1938 : 17))
devient pour eux le meilleur moyen de les dépasser et de s’adapter à leur
environnement.
L’une des principales contributions de Barnard (1938) est de préciser
les raisons qui poussent un individu à coopérer à une organisation donnée
plutôt qu’à une autre. Il utilise pour cela le concept de libre volonté5 : bien
que limités et totalement dépendants, les individus sont libres de choisir
les organisations auxquelles ils souhaitent participer. Ils sont maîtres de
leur décision et vont sélectionner celles qui leur conviennent le mieux à
partir de trois critères :
• le sentiment que la finalité de l’organisation peut être atteinte ;
• le sentiment que la participation à l’organisation est la meilleure
option possible. Un individu analyse son degré de satisfaction
actuelle et potentielle espéré dans l’organisation et le compare avec
ce qu’il attend des autres opportunités qui s’offrent à lui. Les diffé-
rentes organisations sont donc engagées dans une lutte concurren-
tielle intense pour attirer et conserver les individus ;
• le sentiment que la coopération est rentable. L’être humain est
égoïste et individualiste. Il ne collabore pas gratuitement. Il va cal-
culer les avantages et les inconvénients liés à la coopération en esti-
5. Barnard se place volontairement dans un contexte démocratique. De manière générale, il considère
que les coopérations contraintes ne peuvent qu’échouer sur le long terme dans la mesure où, à un
moment ou un autre, la volonté des individus pourra s’exercer.
18 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

mant la différence entre les incitations données par l’organisation et


le poids de la sollicitation (charge demandée). Il ne s’engagera qui si
le rapport entre les deux est rentable pour lui.
Le choix que réalise l’individu n’est pas définitif. À tout moment, il
peut remettre en question sa participation à l’organisation6. Il ne cesse
d’évaluer la pertinence de sa coopération au regard de deux critères :
• son efficacité : la coopération est efficace si elle permet d’atteindre
le but recherché (accomplissement de la finalité organisationnelle) ;
• son efficience : la coopération est efficiente si elle satisfait les moti-
vations individuelles des acteurs qui coopèrent (logique person-
nelle), autrement dit, si elle parvient à générer une valeur supérieure
à la somme des valeurs créées séparément par les différents membres
s’ils agissaient individuellement. Une coopération est efficiente si
elle entraîne plus d’effets positifs que négatifs pour l’individu même
si elle n’a pas atteint, l’objectif initialement prévu.

1.3. … dont la survie est conditionnée au


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respect de trois conditions
Barnard (1938) constate que les coopérations finalisées réussies font
figure d’exceptions. La plupart des organisations échouent ou meurent
prématurément. Les raisons sont multiples. Il peut s’agir d’erreurs com-
mises notamment par les dirigeants (mauvaise coordination, absence de
leadership, mauvaise structure, etc.), de comportements opportunistes des
individus (manque de loyauté, faible attachement à la finalité, manque de
la solidarité, égoïsme, comportements dysfonctionnels, etc.) ou encore de
la difficulté de l’organisation à s’adapter à un environnement en perpé-
tuelle mutation.
Ainsi, si elle veut survivre, une organisation doit respecter trois condi-
tions7 :

6. La participation d’un individu n’est jamais constante. Elle a nécessairement un caractère intermittent
et fluctuant. Dans une coopération, il y a nécessairement substitution de personnes.
7. Selon Barnard, la capacité de communication, le fait d’avoir une finalité commune et la volonté per-
sonnelle fondent la coopération dans l’organisation. La capacité à communiquer représente la contrainte
structurelle de toute coopération alors que la finalité commune et la volonté de participer forment plutôt
les ressorts de la motivation à coopérer.
Chester I. Barnard 19

• Une capacité à communiquer. Une organisation doit être capable


d’établir une communication entre ses différentes parties. Elle doit
notamment communiquer à ses membres sa finalité et les y faire
adhérer.
• Une volonté de coopérer et de servir de la part d’un nombre suf-
fisant de membres. Bien que l’individu ait un besoin essentiel de
s’associer (« la volonté de l’homme d’endurer des routines onéreuses
et des tâches dangereuses qu’il pourrait éviter est expliquée par la
nécessité de l’action à tout prix afin de maintenir le sens de l’inté-
gration sociale » (Barnard, 1938)), les membres susceptibles d’adhé-
rer à une organisation donnée sont très restreints du fait de la com-
pétition que se livrent les organisations. En deçà d’un certain
nombre de participants, l’organisation ne peut survivre. Une orga-
nisation dépend donc de sa capacité à capter puis à sécuriser la
contribution de ses membres au niveau qui est nécessaire à l’atteinte
de ses objectifs.
• La volonté d’accomplir une finalité commune. Une finalité
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n’incite à la coopération que dans la mesure où elle est perçue sans
profonde divergence par les membres de l’organisation. Selon
Barnard, l’une des fonctions essentielles des dirigeants est donc de
faire croire (éduquer, inculquer) à une finalité commune partagée
par les membres de l’organisation. En particulier, l’accomplissement
de la finalité de l’organisation doit devenir une source de satisfaction
personnelle pour l’individu et une de ses motivations pour coopérer.

2. LA DYNAMIQUE DE L’ORGANISATION FORMELLE


Pour remplir les trois conditions nécessaires à sa survie, une organisa-
tion s’appuie à la fois sur son système d’incitation et de persuasion et sur
son équipe de direction. Barnard accorde une place très importante à ces
deux thèmes dans ses travaux.

2.1. Le système d’incitation et de persuasion :


inviter et persuader les individus à participer à
l’organisation
La contribution d’un individu à une organisation dépend des incita-
tions (rétributions) qui lui sont faites. La tâche principale de beaucoup
d’organisations consiste à définir la bonne politique d’incitations et
20 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

notamment de trouver le bon équilibre entre différents types d’incitations.


Barnard distingue :
• les incitations individuelles (primes matérielles (argent, avantages en
nature), opportunités personnelles (Opportunité de se distinguer,
d’obtenir du prestige et du pouvoir personnel), conditions phy-
siques agréables, primes symboliques (capacités des organisations à
satisfaire les idéaux personnels et notamment les besoins d’accom-
plissement et d’altruisme et le sens de l’égalité) ;
• et les incitations générales (ne peuvent être spécifiquement offertes :
attractivité relationnelle (compatibilité sociale), conformité aux
méthodes de travail et aux attitudes habituelles, opportunité pour
une participation élargie (sentiment de coopérer à une cause juste,
utile ; appartenance à un grand groupe), condition de communion
(solidarité, intégration sociale, sécurité sociale, instinct grégaire).
Ces différentes incitations se répartissent entre celles de nature objec-
tive (argent, conditions matérielles, nombre d’heures de travail) et celles
de nature subjective (primes symboliques permettant de changer l’état
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d’esprit d’une personne). Contrairement à Taylor (1911), Barnard (1938 :
144) juge que l’importance des primes monétaires et matérielles a été exa-
gérée. En réalité, le pouvoir des incitations financières, est limité dès lors
que les besoins physiologiques de l’individu sont satisfaits8. Ainsi, les orga-
nisations les plus efficaces et les plus puissantes sont construites sur des
incitations où la part des primes matérielles est faible.
Cependant, dans la majorité des cas, une organisation n’est pas capable
d’offrir toutes les incitations qui poussent les individus à coopérer. Elle
doit aussi utiliser des méthodes de persuasion pour convaincre suffisam-
ment d’individus que les incitations qu’elle offre sont intéressantes.
L’organisation peut s’appuyer sur des méthodes coercitives (utilisation
de la force, système de sanctions, exclusion des indésirables, etc.) et des
méthodes communicationnelles (propagande, éducation, discours pour
convaincre les individus qu’il y va de leur intérêt de fournir leur force et
de se conformer aux demandes des organisations).
L’autorité joue alors un rôle particulier. La définition qu’en donne
Barnard est l’une de ses contributions majeures : « l’autorité a le caractère
d’une communication en vertu de laquelle un participant accepte un type
de contribution définie par l’organisation9 » (Barnard, 1938). Cette défi-
8. Barnard apparaît donc comme le précurseur des travaux menés par Maslow (1943) et McGregor
(1974).
9. Le caractère de l’autorité dans les communications organisationnelles tient dans le consentement
potentiel de ceux à qui elles sont envoyées. Ainsi, elles sont seulement adressées aux membres de
l’organisation. Elles n’ont aucun sens pour les personnes étrangères au système coopératif.
Chester I. Barnard 21

nition suggère que l’autorité réside, non pas dans une position ou un sta-
tut, mais dans une relation entre un supérieur et un subordonné et que
l’autorité dépend de la personne qui la reçoit et non de la personne qui
l’exerce. C’est l’acceptation et non l’ordre donné qui caractérise l’autorité.
En effet, un individu a souvent le choix d’obéir ou de désobéir à un ordre.
Barnard constate d’ailleurs que la désobéissance à l’autorité est fréquente
dans toutes les organisations, même les plus coercitives à partir du moment
où les individus perçoivent les ordres comme étant contraires à leurs inté-
rêts.
En effet, un individu acceptera une communication autoritaire seule-
ment si quatre conditions sont conjointement réunies :
1. Il peut comprendre et comprend effectivement la communication.
2. Au moment de prendre sa décision, il croit que cela n’est pas incom-
patible avec la finalité de l’organisation (absence de conflits d’ordre
et de conflits d’autorité).
3. Au moment de prendre sa décision, il croit que l’ordre est compa-
tible avec son intérêt personnel général.
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4. Il est capable mentalement et physiquement d’accomplir ce qui lui
est demandé.
Si le dirigeant donne un ordre contraire à l’une de ces quatre condi-
tions, il détruira son autorité car le subordonné refusera de l’exécuter. De
plus, Barnard constate que chaque individu a une zone d’indifférence au
sein de laquelle les ordres sont acceptés et exécutés sans interrogation sur
leur autorité. Une bonne connaissance de cette zone évite au dirigeant de
commettre des impairs.
En résumé, chaque organisation doit trouver la combinaison politique
d’incitation – politique de persuasion la plus efficace pour une période
donnée et l’adapter en permanence en fonction de l’évolution des motiva-
tions humaines et des conditions externes.
Cela entraîne, selon Barnard, deux conséquences majeures sur les orga-
nisations :
• La volonté de croître. Les organisations ont des politiques de crois-
sance car elles leur donnent l’opportunité d’assurer tous les types
d’incitations et d’offrir l’ensemble des primes possibles. Cependant,
cette recherche de croissance a aussi des désavantages et peut notam-
ment être la cause de problèmes (inefficacité, inefficience) qui dés-
tructurent l’entreprise.
• Le caractère hautement sélectif de la politique de recrutement d’une
organisation.
22 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Les politiques d’incitations et de persuasion sont coûteuses pour l’orga-


nisation, et peuvent menacer sa survie10. Il lui est donc impossible de
satisfaire pleinement tous les contributeurs. La distribution des incitations
doit être proportionnelle à la valeur et à l’efficacité du contributeur. Plus
la position est importante pour l’organisation, plus elle sera associée à des
incitations matérielles et immatérielles (honneur, privilège) importantes.
Une organisation se doit de mieux récompenser ceux qui apportent le plus
de valeur.

2.2. Les rôles des dirigeants11


Le leader est le personnage central d’une organisation. Les différents
points évoqués jusqu’à présent (limite des êtres humains, incertitudes
pesant sur les résultats de la coopération, difficultés à avoir une compré-
hension commune de la finalité de la coopération, fragilité des systèmes
de communication essentiels à l’organisation, nécessité du consentement
individuel pour établir une autorité, complexité et instabilité des motiva-
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tions des individus, rôle joué par la persuasion) le rendent indispensable.
Barnard identifie trois principaux rôles12 du dirigeant.
• Le dirigeant doit tout d’abord fournir un système de communica-
tion organisationnelle et s’assurer de son maintien. Il va en par-
ticulier définir les positions organisationnelles (élaboration de la
structure de l’organisation) et gérer le personnel (sélectionner les
membres de l’organisation en fonction de leurs qualifications, pilo-
ter les politiques d’incitations, de persuasion et gérer la communi-
cation autoritaire objective (promotion, contrôle, rétrogradation,
sanction, renvoi) afin de rendre ces qualifications efficaces et au
service de l’organisation).
• Le dirigeant doit aussi mettre à la disposition de l’organisation
des ressources essentielles (affermir le système des contributions
individuelles). Ce rôle s’articule autour de deux missions. Il doit
amener un nombre suffisant de personnes à s’engager dans une rela-
tion coopérative avec l’organisation en les attirant dans un espace où
elles pourront être recrutées (communication, propagande), puis en
10. Une organisation doit d’ailleurs en permanence, selon Barnard, calculer le solde net des résultats et
des dépenses résultant de sa politique d’incitation et de persuasion pour s’assurer qu’il est supérieur à 0
(atteinte de l’équilibre financier).
11. Barnard (1938) fait une distinction des rôles joués selon le niveau hiérarchique du dirigeant. Les
PDG et les membres de l’équipe de direction ont des rôles que l’on peut qualifier d’informels où ils
disposent d’une certaine autonomie pour réaliser leur objectif alors que les cadres moyens ont leur travail
dominé par des rôles formels non négociables associés à leur poste.
12. Par opposition à Fayol (1916), ces rôles apparaissent comme informels et plus généraux.
Chester I. Barnard 23

les convainquant de rester. Il doit ensuite amener les personnes


ayant accepté la collaboration à fournir en quantité et en qualité un
certain nombre d’efforts en adéquation avec les objectifs de l’orga-
nisation.
• Enfin le dirigeant doit définir la finalité et les objectifs de l’organi-
sation et la faire partager à tous. En réalité, aucun dirigeant ne peut
accomplir seul ce rôle. Il s’agit d’une fonction partagée. Chaque
niveau hiérarchique va décliner la finalité en objectifs locaux. Seule
la définition la plus générale et sa transmission dépend du dirigeant.
Barnard insiste sur la nécessité pour le dirigeant d’insuffler « la foi » à
ses équipes (foi en la probabilité de réussite, foi en la satisfaction ultime
des motivations personnelles, foi en l’intégrité de l’autorité objective et foi
en la supériorité de la finalité commune comme but personnel de ceux qui
la partagent). Ainsi, il ne peut y avoir de coopérations durables sans la
création d’une croyance13, d’une vision commune susceptibles de catalyser
le système d’efforts humains engagés dans l’organisation. Pour y parvenir,
le dirigeant doit mettre en place des standards de moralité de la main-
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d’œuvre et instaurer des mécanismes permettant d’inculquer des attitudes
fondamentales de loyauté envers l’organisation, le système coopératif et le
système d’autorité objective.
De fait, la partie la plus difficile dans la gestion d’un système coopéra-
tif réside dans la nécessité d’à la fois endoctriner les personnes des niveaux
inférieurs, pour qu’elles soient capables de prendre les ultimes décisions
détaillées (bas de la pyramide) en cohérence avec la finalité générale et
pour les plus hauts niveaux de l’organisation de comprendre constamment
les conditions concrètes et les décisions ultimes des derniers contributeurs
alors qu’ils en sont généralement éloignés.
Pour remplir ces trois rôles, le dirigeant s’appuie sur les organisations
informelles qui lui communiquent des faits intangibles, des opinions, des
suggestions et des suspicions qui ne peuvent pas passer par les canaux
formels sans entraîner des décisions formelles. Elles vont lui permettre de
minimiser les influences indésirables et de promouvoir les influences dési-
rables en accord avec la structure des responsabilités formelles.
Pour Barnard, les rôles des dirigeants sont extrêmement complexes et
difficiles. Ils ne peuvent être remplis que par des individus qui possèdent
en plus de compétences spécialisées élevées (qui sont généralement déve-
loppées par la formation et la pratique) des compétences personnelles
exceptionnelles et très rares (caractéristiques innées développées à travers
13. Barnard s’oppose ici à la conception Weberienne de l’organisation qui prône les mérites de la bureau-
cratie au détriment d’une autorité de type charismatique perçue comme plus aléatoire et plus subjective.
24 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

l’expérience générale : la vigilance, la bonne compréhension, la flexibilité,


la faculté d’ajustement, le courage, etc.).
Seul un individu hors du commun « le leader » (Barnard, 1938) est
capable d’insuffler une vision commune aux membres de l’organisation
car il dispose d’une supériorité individuelle dans sa détermination, son
endurance, son courage et surtout sa moralité. Le leader dispose aussi
d’une force morale supérieure. Il possède une capacité générale de se
conduire en conformité avec ses sentiments et ses croyances stables quelles
que soient les conditions environnementales (signaux négatifs). Il est
notamment capable de résister aux désirs et impulsions fortement
contraires à ses codes moraux privés.
De fait, selon Barnard, la fonction de dirigeant implique une moralité
complexe (capacité à savoir gérer une multitude de codes organisationnels
et personnels qui entrent en conflit) et un grand sens des responsabilités
(capacité à rejeter des conduites négatives).
De même, le leader doit avoir une importante force de conviction. Sans
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celle-ci, toute organisation meurt car c’est l’indispensable élément qui
permet de créer ce désir d’adhésion, dont aucune incitation ne peut être
un substitut, de la part de ceux dont les efforts volontaires contribuent à
constituer l’organisation.
Enfin, le dirigeant doit avoir une capacité décisionnelle. Barnard
constate que la majorité des individus évitent de prendre des décisions au-
delà d’un certain niveau, en particulier, parce qu’ils ont peur d’être criti-
qués et ne souhaitent pas en assumer les conséquences. Un dirigeant, du
fait de ses compétences (compréhension de la situation, capacité d’analyse,
capacité à savoir que quelque chose doit être entrepris) se doit de prendre
des décisions de sa propre initiative en supportant le risque qui y est asso-
cié.
En résumé, le facteur stratégique le plus général de la coopération
humaine est la capacité managériale (capacité des leaders à attacher la
volonté des hommes à accomplir des missions bien au-delà de leurs fina-
lités immédiates et de leur durée). Sans celle-ci, la coopération ne peut être
efficace et l’organisation ne pourra survivre.
Chester I. Barnard 25

3. POSITIONNEMENT, INFLUENCE ET ANALYSE


CRITIQUE DE L’ŒUVRE DE BARNARD

3.1. Une contribution majeure du management


ayant eu des influences multiples …
The Functions of the Executive est un ouvrage de référence qui marque
la grande transition entre l’école classique et les écoles plus récentes. La
théorie de l’organisation développée par Barnard est, en effet, l’une des
premières alternatives aux auteurs classiques (Weber, 1922 ; Taylor, 1911 ;
Fayol, 1916). Sans remettre en cause totalement leurs contributions (cer-
tains concepts sont conservés comme celui de la « spécialisation », de « la
ligne d’autorité », « du supérieur unique » ou de « l’autorité bureaucratique
ou charismatique »), Barnard s’oppose à la vision trop mécaniste de la
Théorie des Organisations donnée par ces auteurs. En particulier, l’homme
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vu comme une « machine » (Morgan, 1998) et les principes d’administra-
tion avancés par Fayol (1916) sont contestés14.
En présentant l’individu comme étant libre dans ses choix et à la
recherche de la coopération la plus satisfaisante possible (analyse du rap-
port entre sa contribution et sa rétribution basée avant tout sur des rétri-
butions symboliques15), Barnard a ouvert de nouvelles perspectives aux
chercheurs du champ managérial. De fait, les théories développées par
Barnard ont influencé de nombreux courants de recherche et sont tou-
jours aujourd’hui d’actualité.
En premier lieu, Barnard est présenté comme le précurseur de l’école
décisionnelle. « Je pense que de nombreux auteurs ont eu la révélation de
l’importance du processus de prise de décision dans mon ouvrage.
Personne à l’époque ne parlait de prise de décision. Ni les psychologues,
ni les sociologues, ni les chercheurs en gestion » (Barnard, 1961). Par
exemple, Barnard est le premier à percevoir que les systèmes organisation-
nels (en définissant une finalité, en développant des objectifs globaux et
en faisant circuler l’information en direction des décideurs spécialisés)
peuvent compenser les limites cognitives des individus. Herbert Simon
s’inscrit d’ailleurs dans sa filiation. « Je me sens redevable d’une dette spé-

14. La participation de Barnard à des nombreuses associations caritatives et gouvernementales a certaine-


ment influencé sa vision de l’individu et de ses motivations.
15. Barnard est très proche des travaux de l’école des relations humaines. Il semblerait qu’il ait eu accès
aux travaux et données de l’expérience de Hawthorne du fait d’un contact régulier avec Elton Mayo et
les chercheurs de la Harvard Business School.
26 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

ciale envers lui (…) pour son ouvrage qui a eu une influence majeure sur
mes réflexions sur l’organisation », Herbert Simon (1957).
De manière plus générale, W.R. Scott (1990) considère que Barnard a
donné aux théoriciens de « l’école rationnelle » (en particulier Simon et
Williamson) la meilleure définition de ce qu’est une organisation (un type
de coopération entre les hommes qui est conscient, délibéré et finalisé) et
a introduit des concepts comme « la relation d’autorité » et « la zone
d’acceptabilité » qui vont être repris par ces auteurs. Ainsi, avant Barnard
« il manquait une reconnaissance de l’organisation formelle comme une
caractéristique importante de la vie sociale » Williamson (1990). Selon cet
auteur, Barnard a introduit un nouveau paradigme au sens de Kuhn.
En second lieu et de façon assez remarquable, Barnard a aussi inspiré
de nombreux courants plus qualitatifs qui se sont intéressés, en particulier,
aux concepts « d’organisations informelles », de « leadership » et de
« culture ». En effet, la seconde moitié de The Functions of the Executive
insiste sur l’importance de créer une vision partagée et sur la nécessité de
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générer des objectifs communs et de stimuler l’implication. Barnard
reconnaît que des valeurs et des objectifs partagés, internalisés par les par-
ticipants peuvent constituer un système de contrôle beaucoup plus puis-
sant qu’un système bâti exclusivement sur des récompenses matérielles ou
sur la force. (Scott, 1990). De fait, des auteurs tels que Selznick (1957),
Wilson (1973), Peters et Waterman (1982), Ouchi (1980) ou Deal et
Kennedy (1985) ont reconnu dans leurs ouvrages la dette qu’ils doivent à
Chester Barnard.
Selznick (1957), par exemple, s’est inspiré des traitements faits par
Barnard de « l’organisation informelle », du « leadership », de la « forma-
tion d’une finalité » et de « l’ordre moral ». Plus généralement, Barnard
(1928) est perçu comme l’un des pionniers de « l’école des relations
humaines » avec Elton Mayo et on peut clairement identifier sa paternité
dans des travaux traitant de la « théorie des besoins et des motivations »
comme ceux de Maslow (1945) et de McGregor (1971).
Enfin, la partie de son ouvrage sur les incitations et les contributions
dans les contrats de travail fait clairement de Barnard un précurseur de la
théorie de l’agence (Levitt et March, 1990). Son thème récurrent est le
besoin de trouver une série de primes telles que les acteurs dans leur propre
intérêt agissent coopérativement dans le sens de l’intérêt de l’organisation.
De plus, Barnard a aussi anticipé l’intérêt récent, parmi les théoriciens
économistes de la théorie des jeux, sur les notions de confiance et de
croyance comme éléments importants d’un système structuré de primes.
Chester I. Barnard 27

Au-delà de son apport théorique, on reste marqué par la résonnance de


ses propos à l’ère de la transformation numérique : la nécessité de répondre
à la quête de sens des collaborateurs ; les talents ne s’attirent pas tout seul ;
la culture tribale est une alternative très efficace aux structures hiérar-
chiques classiques ; l’enjeu-clé d’une organisation est la coopération, un
manager ne s’impose pas par son statut mais par sa compétence…

3.2. … présentant certaines limites


Les critiques formulées à l’encontre de Barnard sont peu nombreuses.
Elles sont de deux types.
Les premières portent sur des questions de forme. En particulier, The
Function of the Executive est critiquée pour la difficulté de son style (Wolf,
1973) perçu comme laborieux (Ito, 1998), sa présentation abstraite (son
ouvrage ne comporte pas d’exemples pratiques) et son approche trop géné-
rale qui ne permet pas de comprendre comment fonctionne une organisa-
tion et ce que fait un dirigeant quotidiennement16 (Mintzberg, 1973).
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Les secondes ont trait à la vision donnée par Barnard de l’organisation
impliquant notamment nécessairement un objectif partagé. Cette vision
sous-tend un rationalisme soumettant la culture, les influences du leader et
la dimension informelle de l’organisation à des objectifs supérieurs. Cette
vision a été depuis critiquée (Weick, 1980).
En conclusion, malgré ces quelques limites, Barnard au regard de ses
contributions et de l’influence qu’il a eue sur la recherche en management
est sans conteste l’un des pionniers de cette discipline.

Travaux cités de l’auteur


Barnard, C.I. (1938), The Functions of the Executive, Cambridge, Harvard
University Press.
Barnard, C.I. (1939), Dilemmas of Leadership in the Democratic Process, Princeton
University.
Barnard, C.I. (1940), « Comments on the Job of the Executive », Harvard
Business Review , spring 1940, p. 295-308.
Barnard, C.I.(1948), Organization and Management, Cambridge, Harvard
University Press.
16. Barnard reconnaît lui-même que sa doctrine est difficile, laborieuse, abstraite et complexe.
Cependant, il trouve son style approprié à une discussion scientifique (Barnard, 1940). De même, il
justifie sa volonté de ne pas illustrer sa théorie à cause de l’extrême difficulté à isoler un fait d’une série
d’évènements dans une organisation (Barnard, 1961 : 44). Enfin, selon lui, un ouvrage destiné à la lec-
ture ne nécessite pas une série d’exemples. C’est la qualité de la construction théorique et l’articulation
des idées qui doivent être privilégiées.
28 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Autres références bibliographiques


Andrews, K.R. (1968), « Introduction to the 30th Anniversary Edition », in
C. Barnard, The Functions of the Executive, Cambridge, Harvard University
Press.
Lewitt B. et J.G. March (1990), « Chester I. Barnard and the Intelligence of
learning », in O.E. Williamson, Organization theory : From Chester Barnard to
the present and beyong, New York, Oxford University Press
Scott, W.R. (1990), « Symbols and organizations : from Barnard to the
Institutionalists », in O.E. Williamson, Organization theory : From Chester
Barnard to the present and beyong, New York, Oxford University Press.
Williamson, O.E. (1990), Organization theory : From Chester Barnard to the pre-
sent and beyong, New York, Oxford University Press.
Wolf, W.B. (1973), Conversations with Chester I Barnard, Cornell University, ILR
Press.
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II. PETER FERDINAND DRUCKER – UNE ANALYSE « HISTORICO-
DÉDUCTIVE » DU MANAGEMENT

David Autissier
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 29 à 40
ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-29.htm
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Peter Ferdinand Drucker

« historico-déductive »
du management
Une analyse

David Autissier
II
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30 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Peter Ferdinand Drucker, l’un des pères du management est mort le


11 novembre 2005 à l’âge de 95 ans. Observateur pensant de l’entreprise,
il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages qui ont façonné la gestion
d’entreprises en tant que domaine d’étude. Né à Vienne en 1909, il étudie
le droit et obtient un doctorat en droit international à l’Université de
Francfort à l’issue duquel il entame une carrière de journaliste. L’avènement
du régime nazi en 1933 y met fin précocement mais, de cette première
expérience professionnelle, Peter Drucker héritera un certain talent d’écri-
ture. Économiste à la London Banking House à Londres de 1933 à 1936,
il rejoint les États-Unis en 1937, où il devient consultant pour de grandes
compagnies américaines, telles que General Motors ou Sears. Pendant plus
de trente ans, il exercera simultanément son activité de conseil et ses fonc-
tions de professeur à la New York University’s Graduate Business School
puis à la Claremont Graduate University (Californie).
Drucker est un des auteurs qui bénéficie d’une forte notoriété due
probablement au fait qu’il a écrit de nombreux ouvrages dont certains ont
été traduits dans plusieurs langues. Bien qu’ayant commencé à publier à
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partir des années quarante, sa production s’est accélérée dans les années
quatre-vingt. Le thème commun à tous ses travaux est celui de l’adapta-
tion des entreprises à l’environnement, du point de vue tant de l’organisa-
tion que des modes de management. Dans l’ensemble de ses publications,
Drucker traite du management en faisant systématiquement référence à
des éléments économiques et sociologiques dépassant le cadre d’une entre-
prise.
Drucker n’est pas à proprement parler un théoricien de l’organisation,
plutôt un penseur de l’activité productive. Ses travaux ne cherchent pas à
confirmer ou infirmer des hypothèses mais constatent des réalités socio-
économiques et leurs impacts sur le fonctionnement des entreprises. Selon
nous, il ne faut pas chercher à le rattacher à une école théorique mais le
lire comme un praticien qui a formalisé un savoir empirique avec l’objec-
tif de le communiquer aux managers. Pour apporter des éléments de
réponse à cette problématique, il s’est inspiré de ses expériences et a trans-
formé ces dernières en analyses et conseils. Ses apports sont essentielle-
ment des formes de théorisation contextualisées, c’est-à-dire des résultats
descriptifs exploitables de manière contextuelle pour comprendre l’action
managériale.
Pour présenter l’œuvre de Drucker, nous développerons successivement
trois points qui reprennent la méthodologie narrative de l’auteur dans ses
différentes publications. Nous préciserons l’importance du client et de
l’environnement dans une première partie, en soulignant le caractère
structurant de la société de l’information sur l’organisation des entreprises.
Peter Ferdinand Drucker 31

En appréhendant l’environnement comme une variable de changement,


nous développerons ce que Drucker intitule « l’obligation de changer »
dans la partie suivante et l’activité managériale qui en découle dans une
troisième partie.

1. L’IMPORTANCE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CLIENT


Dans l’ensemble de ses communications, Drucker adopte toujours une
démonstration qui fait intervenir le manager, l’organisation et l’environ-
nement. Il ne travaille pas sur une unité d’analyse proprement dite mais
cherche à expliquer en quoi des macro-phénomènes affectent le fonction-
nement des entreprises et l’activité managériale des acteurs.
Drucker définit l’entreprise comme un élément constituant de la
société contemporaine. Celle-ci n’est pas vue comme un simple appareil
de production mais comme une fonction sociale en relation avec l’envi-
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ronnement. L’entreprise est au cœur de la société contemporaine et son
efficacité dépend de la capacité de ses dirigeants à l’organiser en tenant
compte de l’environnement et de son évolution. D’un point de vue théo-
rique, Drucker est proche de la théorie de la contingence (Woodward,
1965 ; Lawrence et Lorsch, 1973). Pour Drucker, les éléments environne-
mentaux qui contraignent (ou qui orientent) l’entreprise sont le client et
les technologies. Il pourrait être rapproché, sur ce point et sur sa manière
de communiquer, à Porter (1985). Les deux auteurs sont très complémen-
taires. Drucker justifie la démarche client par des analyses environnemen-
tales et Porter l’instrumentalise avec le concept de chaîne de valeur.
Comme beaucoup d’auteurs occidentaux, il va trouver, dans la réussite
économique nippone, une alternative au one best way américain. Son
ouvrage de 1997, De l’Asie et du monde en général, traite de l’impact du
développement asiatique tant sur les méthodes de management que sur la
création d’un nouvel espace commercial. En citant le Japon en exemple,
Drucker déclare que le but d’une entreprise n’est pas de créer du profit
mais une clientèle. Une entreprise doit, si elle veut durer, s’inscrire dans le
long terme alors que le profit l’oblige à gérer à très court terme. Il analyse
la réussite de l’économie japonaise (notamment dans l’automobile)
comme étant le résultat de la mise en place de la culture client dans les
entreprises. Pour lui, le management de la qualité n’est qu’une opération-
nalisation technique de cette culture. Si la clientèle est là, le profit sera au
rendez-vous. Le profit n’est pas une finalité mais une forme de contrôle
par feedback.
32 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Cette hypothèse l’amène à privilégier les fonctions marketing et de


recherche et développement. Le marketing n’a pas pour objectif de vendre
mais de définir le produit qui réponde au mieux aux attentes des clients.
Si le produit correspond aux attentes du client, il se vendra tout seul. Pour
cela, l’entreprise doit être ouverte sur son environnement et se doter des
moyens nécessaires pour capter les évolutions des besoins. Ce travail de
compréhension de l’environnement doit se faire par des fonctions spécia-
lisées mais également par tous les membres de l’entreprise. « Ouvrez vos
entreprises ! » clame Drucker (2001), incitant les dirigeants à faire en sorte
que tous les employés soient des capteurs de l’environnement. Nous
sommes là très proche des thèses sur la veille concurrentielle et la gestion
de la connaissance (knowledge management). Dans son ouvrage, Post-
Capitalist Society (Drucker, 1993), il a mentionné que l’une des plus
importantes évolutions de l’économie dans cette fin de siècle résidait dans
le fait de considérer la connaissance comme une ressource à gérer. Il
oppose cette situation à celles des époques antérieures où les ressources
rares ont été successivement la terre, la main-d’œuvre, le capital industriel
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et le capital financier.
La gestion de la connaissance est d’autant plus importante que de nom-
breux acteurs qui participent à la production ne transforment plus des
matières mais des informations représentant des états de la matière en
cours de transformation ou bien des informations formalisant des presta-
tions de services. La mutation que Drucker (1995b) note comme un élé-
ment structurant pour l’entreprise est celle de la société de l’information.
Une fois terminée la phase de reconstruction qui a suivi la deuxième
guerre mondiale (dans les années soixante), les surcapacités de la produc-
tion par rapport à la demande des pays développés et l’évolution des
besoins des consommateurs ont entraîné le début d’une période d’intense
concurrence entre les entreprises. La baisse continue des coûts de transport
des marchandises a entraîné une délocalisation de la production par rap-
port à leurs lieux de consommation. En relation avec ce phénomène est
apparu un besoin croisant d’acheminement et de traitement de l’informa-
tion accru par le développement de l’informatique et des télécommunica-
tions dans les années soixante-dix. C’est cette part prépondérante de l’in-
formation par rapport à la transformation de matière qui permet de dire
que nous passons de la société industrielle à la société de l’information.
Pour préciser cet état de fait, Drucker (1988) a développé le concept
d’organisation fondée sur l’information (Information Based Organising)
qui a les caractéristiques suivantes : travail en équipe, multidisciplinairité,
réduction des échelons hiérarchiques, collaboration entre spécialistes et
généralistes, l’information est un bien qui se transforme en connaissance
Peter Ferdinand Drucker 33

et la performance de l’organisation se mesure dans sa capacité à produire


de la connaissance.
Selon Drucker (1995a), les acteurs sont, paradoxalement, dans une
situation où ils ont de plus en plus d’informations avec la difficulté de
donner du sens à celles-ci. Il distingue quatre types d’informations indis-
pensables au manager pour conduire une organisation :
• les informations de bases : ratios, cash flow, stocks, endettement ;
• les informations sur la productivité : comparaison avec d’autres
acteurs (benchmarking) ;
• les informations sur les compétences : compétences des acteurs et
savoir-faire ;
• les informations sur l’affectation des ressources : contrôle de gestion
et pilotage.
La finalité d’une entreprise ne réside non pas tant dans sa production
que dans la satisfaction du client. On retrouve là les conceptions du mar-
keting stratégique qui développent les notions de Domaine d’action stra-
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tégique (DAS) dans une logique « marché/client » (Levitt, 1980). Cette
finalité oblige les entreprises à bâtir une connaissance de leur environne-
ment et de leur savoir-faire dans un contexte de changement. Le manage-
ment se trouve alors confronté à l’obligation d’organiser et de faire évoluer
les entreprises.

2. L’OBLIGATION DE CHANGER
Si l’on devait trouver un titre pour les œuvres complètes de Drucker,
l’on pourrait avancer celui-ci : Penser et organiser le changement des entre-
prises. Dans tous ses écrits, il définit le management comme l’action qui
pense le système entreprise en train de changer. Le management consiste
à identifier les variables environnementales du changement et à les intégrer
dans l’entreprise en transformant les pratiques managériales. Drucker sera
un des premiers à montrer les limites des principes tayloriens et à souligner
l’émergence de la société des services pour laquelle les organisations indus-
trielles ne sont pas toujours très efficaces et efficientes.
Drucker n’est pas un théoricien du changement. Les théories du chan-
gement social cherchent à décrire les propriétés des situations t et t+1 pour
ensuite essayer de dégager des lois de changement vérifiables dans d’autres
contextes que ceux qui ont servi à leur formalisation. Pour l’obtention
d’un tel résultat, les théories du changement social partent en général du
constat en t+1, reconstruisent le point t, et se livrent ensuite à des pro-
34 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

grammes d’hypothèses et de tests. Le changement n’est pas une situation


mais une dynamique entre deux situations qui ne peut être appréhendée
en tant que telle mais simplement reconstruite à partir de caractéristiques
« avant » et « après ». Ces différentes théories se matérialisent par des ten-
dances, des lois conditionnelles, des explications circonstancielles et des
liens de causalité. Pour illustrer des théories du changement, on peut citer
l’Organizational Development avec des auteurs tels que Bennis et al. (1985)
ou bien encore l’Organizational Learning avec les travaux d’Argyris (1995).
Le changement est au cœur des travaux de Drucker. Il utilise ce dernier
pour stigmatiser des évolutions mais également comme méthodologie.
Dans les travaux de recherche en théorie des organisations, la légitimité
scientifique se construit autour de la méthodologie et du positionnement
épistémologique. Drucker est un peu à part dans le sens où il se situe
comme un auteur que nous qualifierons de pragmatique. Il observe non
pas des situations de travail mais des évolutions dont les caractéristiques
affectent le fonctionnement des entreprises. Pour cela, il a très souvent
recours à une démonstration « historico-déductive » du type :
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• telle pratique de management a été mise en place pour telle raison ;
• il y a un changement de la raison ;
• donc les pratiques de management doivent évoluer.
L’encadré 1, extrait de l’un de ses articles (Drucker, 1999 : 59) justifie
les changements de techniques de gestion en faisant référence à des évolu-
tions environnementales.

Encadré 1. À la veille d’une troisième mutation


(Drucker, 1999 : 59)
« Depuis l’apparition de l’entreprise moderne, c’est-à-dire depuis la fin de la deuxième
Guerre civile aux États Unis et la fin de la guerre franco-prusienne en Europe, le con-
cept et la structure des organisations ont enregistré deux évolutions majeures. La
première se déroula de 1895 à 1905. Elle distingua direction et propriété et donna à la
première tous ses droits en tant que travail à part entière. (…) La seconde évolution eut
lieu vingt ans plus tard. Le développement de ce que nous considérons encore actuel-
lement comme l’entreprise moderne commença avec la restructuration que Pierre S.
Du Pont fit subir à son entreprise familiale au début des années vingt, et se poursuivit
quelques années plus tard avec la recomposition de General Motors. (…) C’était la
mise en orbite de l’organisation « commande et contrôle » d’aujourd’hui, caractérisée
par l’importance donnée à la décentralisation, aux services centraux, à la gestion des
ressources humaines, à l’ensemble de l’appareil planification-contrôle, ainsi que par la
distinction très nette entre élaboration des politiques et opérations. (…) Nous sommes
à la veille d’une troisième période de mutation : le passage de l’organisation « com-
mande et contrôle », structurée en divisions et en départements, à l’organisation fondée
sur l’information, celle du savoir et des experts.
Peter Ferdinand Drucker 35

Nous discernerons déjà, quoiqu’encore faiblement peut être, à quoi cette nouvelle
organisation ressemblera ; nous sommes capables d’identifier quelques-unes de ses
caractéristiques et conditions préalables essentielles ; nous pouvons mettre le doigt sur
certains problèmes fondamentaux de valeurs, de structure et de comportement. Mais
la tâche concrète de l’édification de l’organisation fondée sur l’information est encore
devant nous – c’est le défi qui attend les chefs d’entreprise du futur. »

Drucker utilise les changements socio-économiques de l’environne-


ment comme des éléments de justification à de nouvelles pratiques avec
des raisonnements du type : « ça ne marche plus car il y a eu une évolution
donc il faut faire autrement ». Il justifie cette obligation de changer par
l’incertitude politique, économique et social qui remet en cause les fonde-
ments de la planification et des modes de management que l’on pourrait
qualifier de tayloriens. En préconisant des stratégies de rupture et de chan-
gement, il remet en question les principes tayloriens suivants (Drucker,
1973).
Le passé explique le présent qui explique le futur. L’incertitude favorise
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l’émergence de nouvelles situations qui ne s’inscrivent pas dans les prévi-
sions à long terme et vis-à-vis desquelles il faut inventer de nouvelles
réponses.
L’information est parfaite. Dans un contexte de société de l’informa-
tion où les individus reçoivent plus d’informations qu’ils ne peuvent en
traiter, l’information n’a plus son rôle de donneur d’ordre mais devient un
élément de représentation par lequel les acteurs appréhendent le système
auquel ils participent. L’inflation informationnelle et la multiplication des
canaux de communication augmentent les sollicitations et diminuent la
visibilité quant à la valeur de l’information.
La performance productive s’identifie à la minimisation des coûts.
Dans un marché d’offre cela est vrai mais dans un marché de demande, ce
principe devient caduc. Les clients manifestent des choix de plus en plus
individuels et c’est le rapport « prix/satisfaction » qui est pris en compte
par le client plus que le critère prix.
Le coût global est celui du facteur de production dominant – la main-
d’œuvre. Peut-on déterminer le coût d’un produit en prenant simplement
les frais de main-d’œuvre qui lui sont imputables ? Non, car les entreprises
ont de plus en plus en plus de coûts fixes (investissements capitalistiques,
frais de recherche et développement, campagnes promotionnelles, etc.).
De plus l’utilisation de la sous-traitance ne permet pas de déterminer de
manière précise la part de main-d’œuvre dans un produit du fait du
36 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

manque d’informations sur la consommation des ressources qui s’est faite


dans les différentes structures de production.
Pour Drucker, l’instrument du changement est la planification straté-
gique. À l’encontre d’autres auteurs qui définissent le changement comme
le fait des acteurs de terrain (Pettigrew, 1986), Drucker insiste sur le rôle
des managers et leur fonction de prescripteurs. Ceux-ci définissent la pla-
nification stratégique qui doit commencer par remettre en cause ce qui se
fait et ce qui existe. La planification stratégique, pour être appliquée, doit
être portée, diffusée et opérationnalisée par la ligne managériale. Dans ses
travaux, Drucker (1954) parle moins de management stratégique et
davantage d’activité managériale. Il accorde une place importante à la
ligne managériale qui constitue selon lui le système nerveux de l’entre-
prise. Dans une optique contractuelle, Drucker (1966) a énormément
insisté sur la direction par objectifs comme mode de management.

3.
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L’ACTIVITÉ MANAGÉRIALE
Drucker (1973) considère le management comme une activité spéci-
fique. La fonction managériale doit rendre productif le travail humain et
faire en sorte que les ressources (personnelles ou collectives) consommées
créent de la valeur. La fonction managériale a principalement en charge
trois tâches majeures : la définition de la mission, la définition d’une struc-
ture et la définition des objectifs.
La définition de la mission de l’institution qui permettra de donner
à chaque acteur des objectifs clairs afin que les actions de ceux-ci s’ins-
crivent dans la réalisation d’un objet collectif. Drucker insiste sur le rôle de
visibilité du management qui doit décider d’une stratégie et la faire parta-
ger à tous les membres. N’oublions l’aphorisme de Sénèque selon lequel,
« il n’y a pas de bon vent pour qui ne sait où il veut aller ».
La définition d’une structure d’action : en relation avec les travaux de
Chandler (1989), Drucker pense que la structure, en tant qu’ensemble
d’activités, dépend de la stratégie et qu’elle n’évolue pas d’elle même. Par
conséquent, les changements de stratégie amènent la fonction managériale
à transformer la structure existante. En fonction des activités, des décisions
et des relations, Drucker définit cinq types de structures : fonctionnelle,
par équipe, décentralisée fédérative, décentralisée simulée et par système.
La structure fonctionnelle : l’activité est divisée en fonctions (produc-
tion, vente, distribution, logistique, etc.) qui ont des objectifs de produc-
tion sans tenir compte de ce qui est fait dans les autres parties de l’entre-
Peter Ferdinand Drucker 37

prise. Ce type de structure, à faible transversalité, est adapté pour les


entreprises industrielles peu complexes dans un environnement stable où il
n’est pas nécessaire d’opérer des changements rapides sur les produits et les
méthodes de production.
La structure par équipe : l’entreprise est divisée en pôle de compétences
et les acteurs sont mobilisés pour des projets sous la forme d’équipes ou de
groupes de travail. Drucker cite l’exemple des entreprises du bâtiment qui
fonctionnent en associant, le temps d’un chantier, des compétences diffé-
rentes. Ce type de structure est très souple et son activité est orientée sur la
réalisation d’un projet. Elle fait preuve d’adaptation et d’innovation mais
son coût peut être plus élevé et son instabilité ne permet pas toujours de
capitaliser les expériences. Adaptée pour des projets, cette structure ne
convient pas à la réalisation de tâches d’exécution répétées dans une
logique industrielle.
La structure décentralisée fédérative : l’entreprise est divisée en secteurs
(marché, produit, etc.) autonomes. Chaque secteur est une entreprise en
lui même avec ses propres fonctions de production, de distribution, logis-
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tique et de support. Cette forme de structure est adaptée aux grands
groupes et conglomérats qui disposent d’une taille suffisante pour opérer
cette dissociation. Les stratégies de recentrage sur le métier, les recherches
de synergies, les systèmes d’information centralisés sont autant d’éléments
qui montrent les limites de ces organisations décentralisées. Intéressantes
pour des positionnements « marché/produit », elles trouvent leurs limites
dans les fonctions support (Ressources Humaines, Comptabilité,
Informatique, etc.) qui peuvent être centralisées.
La structure décentralisée simulée : lorsqu’une entreprise ne dispose pas
de produits ou de marchés suffisamment distincts pour opérer une décen-
tralisation, elle peut rendre autonome certaines de ses fonctions en les
considérant comme des centres de profits (business units). Chaque fonction
(considérée comme une entreprise à part entière) se voit attribuer un
compte de résultat et un bilan qu’elle doit valider et justifier auprès de sa
direction générale. Lorsque la fonction autonomisée ne vend rien à des
clients externes, ses productions sont valorisées par des techniques de prix
de cession internes. Destiné à stimuler le management et éviter les excès de
centralisation, ce mode d’organisation est très difficile à mettre en place car
l’autonomie n’est que partielle. De nombreuses décisions et certains coûts
ne dépendent pas des unités décentralisées mais des directions générales.
La structure par système : c’est une extension de la structure par équipe
vue précédemment. Les équipes élaborées pour un projet sont pérennisées
dans des structures plus où moins permanentes. C’est un mode de mana-
38 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

gement transversal ou chaque acteur est simultanément rattaché à une


structure (organisation fonctionnelle claire) et des projets (de manière
ponctuelle) ou des processus (de manière permanente). Ce type d’organi-
sation matricielle, assez complexe, permet de combiner la logique structu-
relle qui définit l’allocation de ressources et les modes hiérarchiques à celle
de production qui est orientée « client ». Nous sommes très proches du
concept d’adhocratie développé par Mintzberg (1981).
La définition des objectifs pour chaque partie de l’entreprise. Le
management doit non seulement penser mais opérationnaliser la finalité
collective de l’entreprise. Il doit donner à chaque acteur des objectifs, des
ressources et les règles de contrôle sous-jacentes. Les objectifs sont la décli-
naison opérationnelle de la mission de l’entreprise. Pour être acceptés et
mis en œuvre, les objectifs doivent :
• mesurer les ressources consommées et les résultats obtenus ;
• répartir sur les individus les actions d’une structure ;
• être traités dans une logique futur – réel – écart ;
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• orienter les ressources et les efforts sur les secteurs-clés de l’entre-
prise ;
• être opérationnels (une personne doit pouvoir faire le lien entre un
objectif et des actions opérationnelles) ;
• être motivants (il faut qu’ils soient acceptés par les acteurs sinon
ceux-ci peuvent les vérifier sans pour cela réaliser les finalités qui les
sous-tendent) ;
• mesurer les risques de non réalisation de certaines activités-clés.
Ces trois actions (définition de la mission, de la structure et des objec-
tifs) visent à organiser les responsabilités de chaque acteur dans l’entreprise.
La fonction managériale fait du salarié un partenaire sans toutefois nier les
rapports contractuels qui lient les deux parties. Pour cela, tout manager
devra veiller à réaliser les cinq tâches suivantes :
1. Fixer des objectifs ;
2. Analyser et organiser le travail en une structure ;
3. Motiver et communiquer ;
4. Mesurer par des règles ;
5. Former les acteurs.
Dans son rôle de « concepteur/motivateur », le manager doit com-
prendre que ses collaborateurs, dans le cadre de leur contrat de travail, sont
à la recherche d’éléments physiologiques, psychologiques, sociaux, finan-
ciers et de pouvoir. Et par conséquent il doit traiter simultanément ces cinq
dimensions dans les interactions quotidiennes de travail.
Peter Ferdinand Drucker 39

Conclusion : Drucker, un observateur


pensant de l’entreprise
Que devons-nous retenir de l’œuvre de Drucker ? Il figure parmi les
auteurs en gestion pour plusieurs raisons.
La première est son importante production (environ une quarantaine
d’ouvrages publiés internationalement en 60 ans de carrière) avec la
volonté de transmettre un savoir applicable aux professionnels. Dans
toutes ses communications, Drucker manifeste cette volonté de transfor-
mer une expérience en une connaissance accessible par les acteurs qui
vivent l’expérience. En tant que chercheurs en gestion, nous perdons par-
fois de vue que nos travaux doivent avoir des retombées opérationnelles et
que pour cela, ils doivent être compréhensibles pour les acteurs qui vivent
au quotidien les actes de gestion.
La deuxième raison est qu’il s’inscrit dans une lignée d’auteurs améri-
cains (Porter, Mintzberg, etc.) qui ont cherché à sortir des logiques du one
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best way et à faire du client l’élément central du management et de l’orga-
nisation de l’entreprise. Il fait partie des auteurs qui ont montré l’intérêt
managérial des approches sociales postulant que l’entreprise n’est pas un
ensemble de ressources à optimiser mais un groupe d’acteurs à motiver.
La troisième raison, en relation avec la précédente, est qu’il a pensé le
système entreprise comme une dynamique et non comme un ensemble
stable de ressources. D’un point de vue empirique et pragmatique, il envi-
sage le management comme l’action de mettre en mouvement (ou mettre
sous tension) une action collective où la ligne managériale a plus un rôle
d’accompagnement que de donneur d’ordre. Il remettra en cause (mais il
n’est pas le seul) les principes tayloriens et préconisera des méthodes inci-
tatives comme la direction par objectifs. Sans lui attribuer la paternité des
théories du changement organisationnel, il a su sensibiliser les managers
aux thèmes du changement et ouvert le chemin à une réflexion managé-
riale sur la dynamique collective.

Travaux cités de l’auteur


Drucker, P.F. (1954), The Practice of Management, Harper and Row, New York.
Drucker, P.F. (1966), The Effective Executive, Harper and Row, New York.
Drucker, P.F. (1973), Management : Task, Responsabilities, Practices, Heinemann.
Drucker, P.F. (1988), « The Coming of the New Organization », Harvard
Business Review, January-February, p. 54-53.
Drucker, P.F. (1993), Post-Capitalist Society, Harper et Collins, New York.
40 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Drucker, P.F. (1994), The Essential Drucker : In one Volume the best of sixty years
of Peter Drucker’s essential writing on management, Harper et Row Publishers,
New York.
Drucker, P.F. (1995a), « L’information dont un dirigeant a vraiment besoin »,
L’Expansion Management Review, n° 77, juin, p. 30-38.
Drucker, P.F. (1995b), Managing in a Time of Great Change, Truman Talley.
Drucker, P.F. (1999), « Le savoir, nouveau défi pour l’entreprise », L’Expansion
Management Review, n° 92, mars, p. 52-59.
Drucker, P.F., Nakauchi, I. (1997), De l’Asie et du monde en général, Maxima,
Paris.

Autres références bibliographiques


Argyris, C. (1995), Savoir pour agir, surmonter les obstacles à l’apprentissage organ-
isationnel, Inter Éditions, Paris.
Bennis, W.G., Benne, K.D., Chin, R. (1985), The Planning Of Change, Holt,
Rinehart, Waston, New York.
Chandler, A.D.Jr. (1989), Stratégie et structures de l’entreprise, Éditions
d’Organisation, Paris.
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Lawrence, P.R., Lorsch, J.W. (1973), Adapter les structures de l’entreprise.
Intégration ou différenciation, Ed d’Organisation, Paris.
Levitt, T. (1980), Marketing Success Through Differenciation of Anything,
Harvard Business Review, vol. 58, n° 1, p. 83-91.
Mintzerg, H. (1981), The Structuring of Organizations : a Synthesis of the Research,
Prentice Hall.
Pettigrew, A. (1986), « Some limits of executive power in creating strategic
change », in Srivasta S. et Associates (Eds.), Executive Power, Jossey Bass, San
Francisco.
Porter, M. (1985), L’avantage concurrentiel : comment devancer ses concurrents et
maintenir son avance, Inter Éditions, Paris.
Woodward, J. (1965), Industrial Organization : Theorie and Practice, Oxford
University Press, London.
III. HENRY FAYOL – LES PRINCIPES DE « SAINE » ADMINISTRATION DE
L’ENTREPRISE

Olivier Meier
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 41 à 54
ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-41.htm
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administration de l’entreprise
Les principes de « saine »
Henry Fayol

Olivier Meier
III
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42 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Notice biographique (1841-1925)


Ingénieur de l’École des Mines de Saint-Étienne, Henry Fayol est entré en 1860
comme ingénieur divisionnaire aux Houillères de Commentry puis en devient le direc-
teur, six ans plus tard. Il est par la suite nommé directeur général de la Compagnie
(1888). En 1918, il abandonne ses fonctions pour celui d’administrateur. En 1916, il
publie son ouvrage Administration industrielle et générale, où il met en place les con-
cepts de l’Organisation Administrative du Travail (OAT). Ce travail eut comme prin-
cipal apport de sensibiliser à ce que les ingénieurs n’aient pas uniquement des connais-
sances techniques, mais puissent également se doter d’aptitudes administratives ou
managériales.
En effet, H. Fayol s’est intéressé à l’organisation du travail, en mettant l’accent sur les
règles et principes de la direction des entreprises. Le grand mérite de H. Fayol est
d’avoir appliqué l’idée de rationalisation à l’entreprise dans son ensemble et proposé
une démarche rationnelle à l’œuvre également au niveau de la fonction administrative
des entreprises.
H. Fayol a élaboré ainsi la première théorie de l’organisation à usage des directions
d’entreprise. L’enseignement de H. Fayol et de ses disciples (en particulier L.F. Urwick)
s’est largement développé en France et à l’étranger dans les grandes entreprises pub-
liques et privées.
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1. LES GRANDES FONCTIONS DE L’ENTREPRISE
Dans son ouvrage paru en 19161 (chapitre I – Définition de l’adminis-
tration), H. Fayol répartit les opérations d’une entreprise en six catégories
représentant autant de fonctions qui vont au-delà de la simple description
d’une structure d’entreprise :
• la fonction technique (production, transformation, fabrication)
revient à préparer, exécuter et contrôler le travail ;
• la fonction commerciale (achat, vente, transactions) consiste à savoir
acheter et vendre. Elle suppose une bonne connaissance du marché
et une analyse de la force des principaux concurrents en présence ;
• la fonction de sécurité (protection des biens et des personnes, gestion
des risques) protège les biens et les personnes contre tous les obs-
tacles d’ordre social qui peuvent compromettre la bonne marche et
même la vie de l’entreprise : inondations, accidents du travail,
incendie, vol, grèves… La mise en avant de cette fonction à égalité
avec les autres fonctions (ou opérations) de l’entreprise résulte de
1. H. Fayol publie à l’âge de 75 ans son texte phare regroupant les principaux éléments de sa doctrine
qui s’appuie fortement sur son expérience professionnelle et les enseignements qu’il tire de la première
guerre mondiale en tant que source de réflexion.
Henry Fayol 43

l’expérience professionnelle d’Henri Fayol très soucieux du traite-


ment de ces questions ;
• la fonction financière (financement et gérance des capitaux) est char-
gée de se procurer des capitaux et de tirer le meilleur parti possible
des disponibilités ;
• la fonction comptable (inventaire, bilan, statistiques) est l’organe de
vision de l’entreprise et constitue un moyen important de prévision
et de contrôle. Elle peut revêtir différentes formes telles que la
comptabilité générale, la comptabilité industrielle, la comptabilité
de la main-d’œuvre, des matières premières et la comptabilité bud-
gétaire ;
• la fonction administrative (direction et gestion), enfin, est censée
prévoir, organiser, coordonner et contrôler. Elle permet à la direc-
tion et aux responsables de pouvoir gérer et faire fonctionner l’entre-
prise. Si l’administration n’est qu’une des six fonctions de l’entre-
prise, son rôle et sa contribution dans la bonne marche de l’entre-
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prise font d’elle une fonction essentielle pour diriger une société.
En effet, la fonction administrative telle que H. Fayol la conçoit s’ap-
plique à tous les niveaux hiérarchiques. Pour lui, la fonction administra-
tive n’est ni un privilège exclusif, ni une charge personnelle du chef ou des
dirigeants de l’entreprise. C’est une fonction qui se répartit, comme les
autres fonctions-clés de l’organisation entre le sommet hiérarchique et les
membres du corps social. H. Fayol en préconise donc sa diffusion à l’inté-
rieur des entreprises, le niveau hiérarchique d’un poste étant associé à la
part d’administration que l’on peut y trouver. Ainsi, plus la composante
administrative d’un poste est importante, plus le niveau hiérarchique de ce
poste sera élevé. Un directeur général, un cadre intermédiaire ou même un
contremaître sont de fait tous trois des managers qui, chacun à leur
niveau, réalisent des tâches d’administration plus ou moins sophistiquées
en fonction de la nature de leur responsabilité.
Il convient ici de ne pas confondre « l’administration » avec le « gou-
vernement » qui consiste à conduire l’entreprise vers son but en cherchant
le meilleur parti possible de toutes les ressources dont elle dispose. Le
gouvernement correspond à ce que l’on désigne généralement sous le
terme de direction générale. Il exerce par conséquent des tâches non délé-
gables qui restent du ressort exclusif du dirigeant, comme les décisions
d’orientation stratégique, le choix de la structure ou encore l’organisation
générale de l’entreprise.
44 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

2. LES PRINCIPES GÉNÉRAUX D’ADMINISTRATION,


FONDEMENTS DE LA FONCTION DE DIRECTION
Pour être efficace, le management d’une entreprise doit obéir à certains
principes, afin que le travail puisse se faire dans de bonnes conditions.
H. Fayol en énonce quatorze que l’on peut regrouper de la manière sui-
vante :
• la spécialisation des tâches : la spécialisation des tâches repose sur la
division du travail2. Elle donne la possibilité d’assigner à chaque
individu un rôle précis et d’agencer les relations professionnelles de
façon optimale. Elle a pour but d’arriver à produire plus et mieux
avec une fatigue moins importante. Selon H. Fayol, l’ouvrier qui fait
toujours la même pièce, le chef qui traite constamment les mêmes
affaires, acquièrent une habileté, une assurance et une précision qui
accroissent leur rendement. Par la spécialisation, les individus dis-
posent d’un cadre rassurant et prévisible qui permet de disposer
d’une plus grande aptitude dans son travail et d’obtenir des perfor-
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mances élevées. Si la division du travail a ses limites, l’expérience
associée à l’esprit de mesure doit apprendre à ne pas les franchir ;
• la coordination hiérarchique : la transmission des ordres doit a priori
suivre les échelons de la voie hiérarchique, à travers une supervision
directe de l’encadrement sur le personnel d’exécution (communica-
tion verticale). L’organisation hiérarchique s’appuie sur un système
de récompenses – sanctions qui favorise les liens de dépendance et
oblige l’individu à se mettre en conformité avec les usages et règles
établis par l’organisation. H. Fayol, préconise donc la méthode mili-
taire, même s’il peut également exister des systèmes de passerelle
entre chefs de même niveau hiérarchique, lorsque le succès de l’opé-
ration dépend d’une exécution rapide. En cas de conflit entre
employés, les perturbations doivent se régler par voie hiérarchique
normale. Lorsque le conflit implique le supérieur hiérarchique, il est
d’usage de recourir aux délégués du personnel. Ces différentes règles
permettent de respecter des conditions d’objectivité et de ne pas
transgresser le principe de hiérarchie. Elles visent à réduire les
risques de déviance et d’incohérence, en imposant aux employés un
système de contrôle permanent ;
• l’unicité de commandement et de direction : selon H. Fayol, les
hommes supportent difficilement la dualité de commandement,
bien qu’elle puisse parfois exister. Il est donc important d’éviter ce
type de situation, pour concentrer le pouvoir de décision et la légi-
2. L’argumentation peut être rapprochée de celle d’Adam Smith même si celui-ci n’est pas cité.
Henry Fayol 45

timité sur un seul individu. L’unicité de commandement est donc


un moyen efficace pour stabiliser une organisation et limiter les
risques d’incompréhension. Selon cette conception, chaque salarié
ne doit dépendre que d’un seul chef hiérarchique. Afin de rendre
cette tâche réalisable, le nombre de subordonnés est limité. Le mode
d’organisation proposé par H. Fayol présente comme avantage
d’allier la simplicité et la clarté dans la définition des responsabilités.
Pour H. Fayol, au-delà de l’unicité de commandement, il importe
d’avoir un seul programme pour un ensemble donné d’opérations,
organisé autour un même but avec des orientations précises. Les
individus ont en effet besoin d’un fil directeur pour agir efficace-
ment. L’unité de direction est un facteur essentiel pour canaliser les
efforts et rendre cohérentes les actions ;
• l’ordre et la discipline : Le management a un rôle essentiel dans le
maintien de l’ordre et de la discipline. H. Fayol insiste sur l’exemple
que doivent montrer ceux qui délivrent des ordres. Une direction
efficace doit en effet contribuer à une gestion rigoureuse et harmo-
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nieuse de l’activité, corriger les causes d’inefficacité, en garantissant
la stabilité de l’entreprise ;
• la substitution des intérêts particuliers à l’intérêt général : Le fonction-
nement de l’organisation demande l’effort de tous, qui passe par une
coopération entre les équipes de travail centrée sur la réalisation de
l’intérêt général ;
• la rémunération suffisante et équitable : chaque employé doit recevoir
en échange de son travail une rémunération suffisante et équitable.
Le niveau de la rémunération dépend des résultats de l’entreprise
(productivité et rentabilité), de l’habileté et de la qualification des
individus et des éléments conjoncturels. La rémunération du per-
sonnel doit contribuer à favoriser la fidélité des employés à l’entre-
prise ;
• l’initiative, stabilité interne et union du personnel : la stabilité du per-
sonnel permet d’envisager des liens permanents et étroits entre
l’homme et son entreprise qui, en résistant au temps, conduisent à
une plus grande fidélité envers l’entreprise. Elle renforce chez l’indi-
vidu l’idée que son futur est directement associé au destin de l’entre-
prise et que la rupture de ces liens peut entraîner pour lui la perte
de ses moyens de subsistance. La stabilité du personnel est une
condition essentielle au développement de l’entreprise, en assurant
à la direction un personnel fidèle et dévoué. Cette atmosphère pro-
pice à une plus grande efficacité est renforcée, lorsque l’initiative et
l’esprit de corps coexistent au sein de l’entreprise. Ces différentes
46 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

notions peuvent être ici rapprochées de la volonté de l’auteur d’ins-


taurer au sein de l’entreprise une culture managériale forte.
Les principes développés par H. Fayol répondent à trois objectifs : fixer
des critères, des contraintes et des règles saines de comportement qui
assurent une production efficace et une bonne administration des choses.
Ces principes inspireront d’autres auteurs, comme L. Gulick, L. Urwick,
M.P. Follett aux États-Unis et M. Weber en Allemagne qui contribueront
au développement de la théorie administrative, en proposant d’autres
principes, comme la standardisation des opérations, l’uniformité des pro-
cédures, l’unité de commandement, la limitation du champ de contrôle,
la centralisation de la prise de décision ou encore l’organisation par dépar-
tement.

Les points-clés
1. Développement de l’organisation fonctionnelle avec une structuration des activités
en différentes catégories
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2. Mode de fonctionnement fondé sur l’efficacité de la production et la coordination
3. Analyse approfondie de la fonction administrative et de ses rôles
4. Établissement de principes en matière de management (spécialisation, fidélisa-
tion…)
5. Spécifications des qualités d’un bon manager

3. LIMITE DE L’ANALYSE
La méthode de Fayol consiste à observer, recueillir et classer les faits
puis à les interpréter (à partir de son expérience personnelle) en vue de
tirer des règles utiles pour la pratique des affaires et en les instituant en lois
positives. L’auteur est ici partie prenante dans le fonctionnement de l’orga-
nisation étudiée et intervient à deux niveaux. Il fait soit état d’éléments
vécus par ses collaborateurs et propose des récits de critique de situations.
Il peut également participer directement à la transformation de la réalité
en relatant des actions menées (par lui) avec succès en tant que respon-
sable.
Cette position est critiquable à plus d’un titre. Dans les deux cas, le fait
(succès ou échec) donne lieu à une interprétation unique, attribuant au
fait une seule cause possible. Les faits étudiés sont interprétés par une seule
théorie laissée à la discrétion du responsable de l’organisation, sans qu’il y
Henry Fayol 47

ait véritablement d’argumentation pour expliquer les alternatives et préci-


ser le rôle d’autres facteurs explicatifs plausibles.
De plus, l’analyse fayolienne tend à séparer le monde en deux catégo-
ries :
1. D’un côté, le monde des erreurs rapportés par les employés de
l’entreprise qui demandent une explication des faits que seul le res-
ponsable de l’entreprise est capable de comprendre et d’interpréter.
Dans ce cas, il y a séparation entre la collecte des faits et leur inter-
prétation, laissant présager d’une possible répartition des rôles en
matière de recherche en gestion. Cette répartition n’est pas sans
risque. Elle rend dépendant le théoricien d’un ensemble de données
qui, sous l’initiative d’un collaborateur autonome, peut s’avérer in
fine incomplets voire parfois déjà soumis à interprétation.
2. D’autre part, le monde des responsables, dont les actions réussies
permettent d’éclairer les actions des dirigeants sur ce qui convient
de faire. Cette démarche est révélatrice de la difficulté du fayolisme
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à diffuser sa doctrine. Elle dépend essentiellement de la capacité
d’un acteur interne à l’organisation et responsable, de ressentir et
d’interpréter des faits, que sa formation, son expérience profession-
nelle et sa position dans l’entreprise rendent possibles. La doctrine
de H.Fayol s’adresse par conséquent à des responsables en place et
peut difficilement s’appliquer à des agents externes du changement,
à des cabinets en organisation, en raison de la difficulté à sortir du
contexte d’étude et d’une démarche qui ne peut venir que d’en haut
(et être initiée par le responsable lui-même).

3.1. Une approche normative de la gestion et de


l’administration d’une entreprise
Les principes énoncés par H. Fayol trouvent leur justification dans la
conviction que seule une organisation hiérarchique, permanente, uni-
forme et bien ordonnée, permet un temps de réaction et de fonctionne-
ment optimal. On peut d’ailleurs noter que ce type d’organisation a per-
mis dans l’ensemble de prendre des décisions plus rapidement que ne
l’avaient fait les organisations lâches et fragiles du début du XIXe siècle.
Grâce à une hiérarchie imposante, à la définition et la codification de
règles strictes, il fut ainsi possible d’activer la transmission des décisions et
de respecter une cadence de production plus rapide, conforme à une
industrialisation de masse fondée sur une standardisation des opérations
48 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

et des compétences (technologie lourde et stable, produits peu diversifiés,


clientèle indifférenciée et stable).
Cependant, il semble que ces principes soient en partie remis en cause
par l’importance et l’intensité des changements économiques, technolo-
giques et sociaux qui viennent profondément modifier la structure des
entreprises, leurs missions et la place des individus au sein de l’organisa-
tion. La rapidité des changements et leur ampleur imposent en effet des
systèmes d’organisation régis par d’autres règles, où la hiérarchie toute
puissante fait souvent place à un management par projet constitué
d’équipes d’intervention temporaires, spécialement créées pour résoudre
un problème spécifique à court terme. Une fois le problème réglé, le
groupe se dissout pour se recomposer ultérieurement avec généralement
d’autres membres, en fonction de la nature du problème traité. Les condi-
tions d’efficacité s’en trouvent par conséquent modifiées. Ainsi, les fac-
teurs relatifs à l’environnement du travail, comme les considérations
physiologiques (rémunération, relations sociales, climat…) ou sécuritaires
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(stabilité, ordre, justice) ne sont plus suffisants pour assurer un bon fonc-
tionnement. Celui-ci exige plutôt de profonds changements marqués par
une responsabilisation accrue de l’individu et des groupes de travail (auto-
contrôle, intrapeneurship) ainsi que le développement de systèmes d’ap-
prentissage et d’amélioration continue axés sur des notions comme l’inno-
vation ou l’hyperflexibilité.
Les exigences de stabilité et d’ordre se voient également mis à mal par
une définition plus floue de l’organisation et de son périmètre d’action, au
gré des évolutions des métiers et des politiques de croissance externe qui
viennent périodiquement transformer et renouveler les entreprises. Les
structures des entreprises sont donc en constante évolution et agissent de
plus en plus par un fonctionnement en réseau avec une absence de fron-
tières internes et des frontières externes de plus en plus floues. Si la cohé-
rence reste une condition essentielle du développement de la firme, elle ne
s’opère plus par le biais d’un ordonnancement logique des tâches et des
rôles mais par des liens étroits entre structure et processus de travail. Ainsi
se dessinent de nouvelles logiques organisationnelles qui conduisent à
aborder différemment les rapports entre les hommes (travail interfonc-
tionnel autour de relations plus lâches et temporaires) et leur comporte-
ment vis-à-vis de l’entreprise (détachement). L’une des limites de l’analyse
de H. Fayol réside donc dans une conception uniforme et mécaniste de
l’organisation qui débouche sur un modèle de management universel
applicable à toute organisation, quelle que soit sa nature ou sa forme.
Henry Fayol 49

3.2. Limites du lien entre autorité et soumission


Pour H. Fayol, l’autorité est le droit de commander et le pouvoir de se
faire obéir. Ceci revient à admettre l’influence indestructible du détenteur
de l’autorité et de l’obéissance sans faille de celui qui la subit. Selon cette
conception, l’homme ne voit aucun inconvénient à être dirigé plutôt que
d’avoir la liberté de décider et d’agir. Or l’autorité n’existe pas de manière
inattaquable chez celui qui en est officiellement investi. L’autorité doit être
acceptée. Elle est fonction du consentement ou de la zone d’acceptation
des individus qui la subissent. C’est notamment oublier l’importance de
l’équilibre organisationnel qui met l’accent sur le lien délicat entre les
compensations reçues par l’acteur (salaire, récompense matérielle ou
morale) et les contributions qu’il fournit (travail et dévouement). En effet,
lorsque le prix de la soumission se révèle trop élevé, les employés peuvent
user de stratagèmes pour faire avancer une carrière, sans pour autant subir
les règles du jeu. Pour cela, les travailleurs vont utiliser des astuces pour
arriver à contrôler le rythme de leur travail et leur salaire, même lorsqu’ils
sont étroitement surveillés par des contremaîtres ou des spécialistes de
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l’efficience à la recherche du meilleur rendement. Le personnel ne va certes
pas prendre le risque d’enfreindre les règles. Pour conserver leur emploi
tout en disposant d’une plus grande liberté, les acteurs en présence vont
jouer la ruse et parvenir à leurs fins grâce à leur adresse et à leur ingénio-
sité.
L’excès de hiérarchie présente des limites, même au niveau de l’organi-
sation du travail et du contrôle des acteurs de l’organisation. Il peut
conduire les subordonnés à cacher leurs erreurs ou transformer la réalité,
pour conforter leur position au sein de l’organisation.

3.3. La non-prise en compte de la dimension


politique et humaine de l’organisation
L’approche de H. Fayol donne une vision formelle de l’organisation
hiérarchique qui ne prend pas en compte la dimension politique de l’en-
treprise, c’est-à-dire le pouvoir respectif des acteurs internes (membres de
l’entreprise) et externes (fournisseurs, concurrents, pouvoirs publics, orga-
nismes financiers) de l’organisation. Or ces derniers peuvent soit favoriser
la bonne marche de l’entreprise, soit au contraire lui porter préjudice.
En effet, la gestion d’une entreprise ne peut se faire sans la prise en
compte des actions et réactions des acteurs extérieurs à l’entreprise, dont
le rôle et la fonction peuvent avoir une incidence déterminante sur la vie
50 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

et le développement de l’entreprise. Ainsi, l’organisation doit faire face à


un champ de forces concurrentielles dont le pouvoir de négociation déter-
minera l’attractivité du marché sur lequel est implantée l’entreprise. De
même, cette dernière ne peut faire abstraction des évolutions réglemen-
taires, technologiques ni de ses relations avec les organismes financiers et
bancaires. Le management dépasse par conséquent les frontières de la
firme et doit montrer son efficacité dans la façon dont elle parvient à gérer
ses relations avec l’extérieur.
Sur le plan interne, dans la mesure où l’organisation hiérarchique
répartit les tâches et les rôles, elle contribue à créer une stratification de
l’organisation, symbolisée et prolongée par des systèmes de privilèges dif-
férentiels, selon la position de l’individu au sein de la chaîne hiérarchique.
Cette configuration devient dès lors un enjeu de pouvoir, créant par-là
même des phénomènes de compétition interne et de coalitions.
L’organisation n’apparaît plus simplement comme un réseau de tâches et
de rôles mais devient un système au sein duquel des individus se battent
pour obtenir les quelques places disponibles au sommet de la hiérarchie.
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Cette séparation entre ceux qui détiennent l’autorité et ceux qui la
subissent conduit les membres de l’entreprise à avoir deux types de réac-
tions. Les premiers vont tout mettre en œuvre pour renforcer ou conforter
leur pouvoir, et donc utiliser des moyens de dépendance qui leur assurent
la présence de subordonnées fidèles. Les seconds vont chercher à dévelop-
per des manœuvres leur permettant d’accéder au niveau supérieur, en
ayant recours à des phénomènes de coalition ou d’alliance (avec d’autres
membres de l’organisation, collègues ou supérieurs). Ceci a pour effet de
créer un système de relations basé non plus sur la compétence ou le mérite
mais sur la défense des intérêts particuliers d’un groupe donné au détri-
ment d’un autre. Ce penchant naturel est encore plus marqué lorsque
l’organisation s’appuie sur un système hiérarchique, peu ouvert sur l’exté-
rieur et organisé autour de privilèges. Cette compétition entre individus
est d’autant plus forte que les ressources dont dispose l’organisation sont
par définition limitées et aux mains d’une minorité qui souhaite conserver
son pouvoir et ses avantages.
Henry Fayol 51

3.4. Lourdeur structurelle et absence de


flexibilité
Pour mener à bien une politique, il est nécessaire de canaliser les forces
de l’entreprise dans une même direction. Ainsi, une fois le programme
d’actions défini, les responsables sont conduits à se concentrer sur la mise
en œuvre des actions. Ce type d’approche ne peut dès lors que susciter des
changements incrémentaux, c’est-à-dire des changements qui s’inscrivent
dans la continuité et évitent tout écart par rapport à la norme définie. Il
devient par conséquent difficile pour ce type d’organisation de répondre à
des problèmes spécifiques qui pourraient émerger de l’environnement ou
à des événements ou situations inattendues. De même, la focalisation des
dirigeants sur des actions précises, délimitées dans le temps (calendrier)
réduisent leur vigilance face à des changements qui pourraient se produire
au sein de l’environnement. La mise en œuvre d’un tel système n’est donc
pas sans poser de problèmes.
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Pour fonctionner, ce modèle exige en outre un investissement et des
efforts considérables sur le plan de l’organisation et du contrôle, dont
l’ampleur n’est pas toujours justifiée. En effet, pour être efficace, le modèle
hiérarchique a besoin du soutien visible de moyens physiques (normes /
procédures) et humains (encadrement intermédiaire). Il doit notamment
être capable de gérer la programmation détaillée des actions et appliquer
les sanctions en cas de désobéissance. Or l’exigence de visibilité et de maté-
rialité, essentielle en termes de prévention ou de punition, demande un
effort important et une vigilance constante. Ce système conduit à un
formalisme administratif où chaque niveau analyse les activités du niveau
inférieur, ce qui tend à limiter la circulation de l’information et ralentir le
processus de décision.

3.5. Inertie organisationnelle


Une des limites de l’approche de H. Fayol réside dans sa manière
d’appréhender l’organisation comme une machine à exercer l’autorité et à
transmettre l’information à l’unité adéquate, à partir d’un système de
communication verticale et de mécanismes de dissuasion ou de sanction.
Ces caractéristiques contribuent au développement d’un système cohérent
et stable, dont la contrepartie est un blocage du système. Le système envi-
sagé tend en effet à créer une déresponsabilisation du personnel et à rendre
les détenteurs de l’autorité hermétiques à toute forme de nouveauté ou
52 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

d’ouverture qui pourrait remettre en cause l’ordre des choses et donc


l’échelle des responsabilités.
Dans le système proposé par H. Fayol, l’ordre est une priorité qui tient
à la nécessité d’unifier dans une même voie les différentes forces qui la
composent. La coordination hiérarchique à la base du système vise donc à
créer un contexte de stabilité et de fermeture, qui peut conduire à la mise
en place d’une organisation militaire basée sur le principe suivant : le
supérieur a toujours raison. Ce type de modèle peut poser un problème du
fait que la définition rigoureuse des responsabilités et son contrôle par
d’autres encourage beaucoup de membres de l’entreprise à limiter leurs
domaines d’actions au strict nécessaire. L’organisation hiérarchique peut
ainsi conduire à des attitudes passives et apathiques, où les individus sont
programmés pour obéir aux ordres et à rester à leur place, plutôt qu’à
s’intéresser à ce qu’ils font et au bien fondé de leurs actions. En cela, le
système hiérarchique peut avoir tendance à décourager l’initiative et à
développer des comportements peu enclins à la prise de risque. Agissant
au regard de normes imposées, les acteurs de l’organisation sont conduits
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à se comporter par rapport à un modèle fixe préétabli qui exige des
actions, en adéquation avec les règles du milieu (conformité des compor-
tements et respect des instructions). Ce type de démarche pousse par
conséquent à la reproduction et limite les possibilités de renouvellement,
en dissuadant les acteurs d’avoir un regard critique sur leur travail, de
tenter des expériences ou à se lancer dans des projets innovants.
Ces mécanismes de reproduction plutôt que de régénération peuvent
être souhaités voire voulus par les dirigeants eux-mêmes. En effet, l’orga-
nisation hiérarchique conduit à créer une solidarité implicite chez les
détenteurs de l’autorité désireux de stabiliser leur acquis et d’éviter toute
action susceptible de modifier la distribution des pouvoirs. Ce type d’or-
ganisation tend à créer au sommet de la hiérarchie des attitudes défensives
voire hostiles à tout ce qui peut changer les règles en vigueur. Les respon-
sables sont ainsi enclins à renforcer le statu quo pour maintenir en l’état
leur position au sein de l’organisation et éviter que se constituent des
groupes internes dont l’influence pourrait venir contester le système
d’autorité existant.

4. RELECTURE ET PERSPECTIVES…
Les travaux de H. Fayol ne peuvent être relus, sans prendre en compte
les modifications profondes de l’environnement et des entreprises, avec le
développement de nouvelles formes d’apprentissage et des marchés de plus
Henry Fayol 53

en plus fluctuants. Ces données qui s’imposent aujourd’hui à l’organisa-


tion et au management des hommes, conduisent à remettre en question
des hypothèses comme la stabilité de l’emploi, l’équilibre interne ou
encore le refus de la diversité (au nom de l’unité de commandement et de
direction) au profit d’une réorganisation permanente des structures et des
tâches. Néanmoins, il serait préjudiciable de limiter l’apport de H. Fayol
à ces considérations. H. Fayol a en effet permis de jeter les bases de l’orga-
nisation et de son fonctionnement (départementalisation, coordination
du travail, système de contrôle). Il a également contribué à montrer la
nécessité d’une préparation spécifique aux tâches d’encadrement et de
direction, en mettant en avant l’importance de la communication hori-
zontale, les principes de passerelle (analyse des interrelations), de champ
d’action (nombre de subordonnés pouvant être gérés directement) ou
encore d’unité de direction (en termes de mission et d’objectifs). Enfin, les
propositions de H. Fayol ont permis de poser le problème des liens entre
les départements et celui de la délégation qui feront l’objet de nombreux
travaux et discussions.
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De plus, au-delà des exemples de grandes entreprises (armée, adminis-
tration, industrie traditionnelle), la doctrine administrative de H. Fayol
reste de rigueur et trouve une application, lorsqu’il s’agit de gérer et d’or-
ganiser des programmes lourds, à l’image d’intégration d’entités nouvelle-
ment absorbées ou de la mise place de systèmes d’information complexes.
Ce type d’actions demande en effet l’implication des dirigeants de l’entre-
prise, la formation de groupes de travail spécialisés et une unité de com-
mandement et de direction qui ne sont pas sans rappeler les principes
fondamentaux développés par H. Fayol.
Ainsi, si ces principes ne doivent pas prendre une dérive normative,
leur pertinence et cohérence leur confèrent un rôle essentiel dans une
direction d’entreprise, grâce à l’effort de formalisation qui caractérise ces
travaux. Il est par conséquent possible d’utiliser les recherches de H. Fayol
comme grille de lecture de fonctionnement des organisations et méthodes
d’analyse, dans des situations de gestion particulières, où le poids de la
hiérarchie, la spécialisation des tâches et les objectifs fixés peuvent être
clairement identifiés.

Travaux cités de l’auteur


Fayol, H. (1916), « Administration industrielle et générale », Bulletin de la
société de l’Industrie Minérale, n° 10, p. 5-164, Rééditions régulières par
Dunod depuis 1918.
54 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Fayol, H. (1917), « De l’importance de la fonction administrative dans le gou-


vernement des affaires, Bulletin de la Société de l’Industrie Minérale », n°12,
p. 225-267.
Fayol, H. (1917), « Préface à l’Administration industrielle de et générale, l’éveil
de l’esprit public », Études publiées sous la direction d’Henri Fayol, Bulletin
de la Société de l’Industrie Minérale, n°12, p. 145-152.

Autres références bibliographiques


Follett, M.P. (1942), Dynamic Administration, New York, Harper et Row.
Gulik, L., Urwick, L.F. (1947), Papers in the science of Administration, Institute
of Public Administration, Columbia University.
Mooney, J. et Reyley, A. (1931), Onward Industry, New York, Harper et Row.
Parker, D. L. (2016), « The global Fayol : contemporary management and
accounting traces », Entreprises et Histoire, vol. 2, n° 83, p. 51-63.
Segrestin, B. (2016), « Le tournant Fayolien », Entreprises et Histoire, vol. 2,
n° 83, p. 5-12.
Urwick, L.F. (1937), « The Functions of Administration : With Special Reference
To The Work of Henri Fayol », in L. Gulick and L. Urwick (Eds.), Papers on
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Urwick, L.F. (1944), Elements of Administration. London : Harper.
Weber, M. (1957), Theory of Social and Economic Organization, New York, Free
Press.
IV. MARY PARKER FOLLETT – CONCEPTS AND PRACTICES OF
UNBOUNDED RELATIONALITY

Ellen S. O’Connor
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 55 à 66
ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-55.htm
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Concepts and practices of
unbounded relationality
Mary Parker Follett

Ellen S. O’Connor
IV
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56 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Mary P. Follett (1868-1933) is known for her theory of cooperation or


what she called “coactive power.” More comprehensively, however, she
theorized management as the mastery of complex processes to bring about
the most desirable human achievement—creative experience (Follett,
1924). She posited management as a way of life characterized by relating
or “integrating”—an interactive, emerging, and dynamic process of
inquiry and experimentation leading to creative human experience per the
principles of circular response (see below) and natural laws.
Follett is unique in the management field for several reasons, which
prove her contemporary contributions. She resolved many of the field’s
current dilemmas. First, she not only crossed the theory-practice gap with
ease, but also she distinguished herself as a master of both. Second, she put
together what are today two separate domains—public administration
and private enterprise—under the larger category of society. Third, in
contrast to the field’s current fragmented state, she developed a general
theory of management attached to the sciences and an ethical framework
by which “profession” meant service. Finally, her expansive philosophy
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and practices counteract to the contemporary emphasis on limited ratio-
nality and cognitive constraints.
Follett developed her theory in response to a crisis: government and the
churches could not address the compelling problems associated with
industrialization and immigration, which shaped U.S. nation-building
and particularly the discussion about democratic governance and civil
society. In fact, institutions were part of the problem. Government was
linked to corruption and inefficiency. The church was increasingly seen as
irrelevant and ineffective. The academy had no answers because the
church dominated higher education. Science was a weak institution; the
U.S. did not have Ph.D. programs but sent candidates to Germany.
However, science did thrive in the form of social experiments and grass-
roots social science such as field investigations of city life (Oberscall,
1972). Follett saw that society lacked the necessary institutions to build
itself with the first mistake being conceptual. Society took “itself ” for
granted. By regarding society as an external thing, individuals endowed
“it” with autonomous existence and force. But every single person builds
society every day. Follett actually lived this idea, focusing on the indivi-
dual becoming responsible in a civil society and a society civilizing itself
vis-à-vis this individual, beginning with her own life (O’Connor, 2012).
In essence, Follett worked on generating reliable knowledge for building
the interdependent individual and society interdependently and doing so
given the prima facie failure of external authority.
Mary Parker Follett 57

Follett described her body of work as addressing “human relations in


general” (Fox et Urwick, 1973: 303). She grounded human relations and
her process for studying them in the principle of circular response (Cabot,
1934: 81). Follett most extensively described this principle in the context
of psychology (1924: 53-77). However, she previously discussed the same
process, called “group principle,” in the context of local political life
(1918: 105-121). Her management writings adapted this principle to
administration as “circular behavior” (Metcalf et Urwick, 1941: 45) and
“circular activity” (Metcalf et Urwick, 1941: 194-195). Follett developed
circular response theory throughout her many professional projects—edu-
cation and research, social work and institution-building, and mediation
and consulting (Tonn, 2003). She found that the theory held across the
natural and social sciences and in daily life. Thus Cabot asserted that the
theory was her life’s focus (Cabot, 1934: 81).
The most extensive presentations of Follett’s management theory are
found in Mercalf et Urwick (1941) and Urwick (1949). However, these
writings followed from her circular response theory (Follett, 1918, 1924).
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These four texts are henceforth referred to as DA (Dynamic Administration
[1941]), FC (Freedom and Coordination), NS (The New State), and CE
(Creative Experience).

1. EXPLICATION OF CIRCULAR RESPONSE THEORY


Follett held that circular response theory follows the biological law of
“growth by the continuous integration of simple, specific responses.” The
cellular process scales to human development (“we build up our characters
by uniting diverse tendencies into new action patterns”) and organization;
group and “social progress” follow “exactly the same law” (CE: 174). The
“alpha and the omega of philosophical teaching [is that] nature desires
eagerly opposites and out of them completes its harmony” (NS: 34). “The
core of the development, expansion, growth, progress of humanity is the
confronting and gripping of opposites” (CE: 302). Physiologists discussed
the “reflex arc” or “circular reflex” principle, as opposed to linear stimulus-
response reasoning based on cause and effect. According to this principle,
activity “is only in a certain sense caused by the stimulus of the situation
because that activity is itself helping to produce the situation which causes
the activity of the individual” (CE: 60). The theory collapses the distinc-
tion between subjects and objects and emphasizes mutually constitutive
relationships or, more accurately, processes of mutual constituting.
58 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Follett proposed a new approach to the social sciences based on this


dynamic (CE: 79-80). Envisioning a study of “the relating of things that
are varying, which makes the relating vary,” she made analogies to diffe-
rential calculus and compounded interest. “We must…develop methods
for watching varying activities in their relatings to other varying activities”
(CE: 68). Such a study would show “interlocking activity” whereby “indi-
vidual and situation each is creating itself anew,” thus “relating themselves
anew,” thus establishing “the evolving situation” (CE: 89).
Circular relations is a matter of human intelligence and choice. “You
can tear [experience] to pieces if you will and find subject and object,
stimulus and response, or…you can claim the right to see it as a rational
interplay of forces, as the functioning of self-creating coherence” (CE:
74-75). The law works according to scale. “The individual is sovereign
over himself as far as he unifies the heterogeneous elements of his nature.
Two people are sovereign over themselves as far as they are capable of
creating one out of two. A group is sovereign over itself as far as it is
capable of creating one out of several or many” (NS: 271). This awareness
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and practice releases energy (CE: 301-303; 209). Sovereignty is “the
power engendered by a complete interdependence becoming conscious of
itself ” (NS: 271). Although quite naturally--by meeting, being together,
and working together, “we…become something different” (CE: 63, 243-
244), the creative process is heightened as a new unit becomes conscious
of itself as a unit. This leads to opportunities for more unity through
conscious exploitation of the principle.
Circular response theory collapses common-sense dualities (subject/
object, cause/effect, part/whole) and establishes unities based on interde-
pendence. It is both a theory of self-making and of community-building
and of the one making the other. “Through circular response we are crea-
ting each other all the time…‘I’ can never influence ‘you’ because you
have already influenced me” (CE: 62-63).
Follett posited an overarching construct holding these interactions and
this conscious view: the “total situation.” This expression was used by
other social scientists in Follett’s era; but for her, the term meant both an
ideal to which to aspire and a process to achieve it. That is, in any given
interaction, the views of each individual constitute the total situation; and
the ongoing unifying process always generates new total situations.
Genuine integration includes each individual at each moment. The whole
is formed to the extent that each individual’s desires are expressed and
integrated (NS: 27). The “keenest individual thinking” is the “basis of
group thinking,” a process whereby “every man should maintain his point
of view until it has found its place in the group thought” (NS: 27). The
Mary Parker Follett 59

total situation is an ideal to which to aspire but also a practical basis for
interacting because it provides a point of reference for an overarching,
impersonal authority, per scientific management’s pursuit of objective
authority. Follett emphasized this point in her writings for managerial
audiences (see below).

2. DERIVATION OF CIRCULAR RESPONSE THEORY


Follett developed her theory relative to intellectual thought of her day
and also as she led her life. She drew from several fields and concepts,
including reflex-arc physiology (CE: 53-77), gestalt psychology (CE:
91-116), Freudian psychology (CE: 153-155) and pragmatist philosophy.
Particularly influential was the moral philosophy of Holt, who adapted
the Freudian theory of the wish (Holt, 1915). Holt reconciled Freudian
and moral philosophy. He began with suppression, defined as dividing the
self. The individual cannot “do any one thing with his whole heart”; and
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“a part of his strength has always to be spent in suppressing dissociated
and antagonistic tendencies” (Holt, 1915: 122). Holt, arguing with Hegel
(1915: 135-138), posited integration as a solution: “free play of both the
involved sets of tendencies, whereby they meet each other, and a line of
conduct emerges which is dictated by both sets of motives together, and
which embodies all that [is] not downright antagonistic in the two” (Holt,
1915: 122). Holt associated suppression with ignorance combined with
the “anomalies, contradictions, perplexities” associated with new expe-
rience.
Follett built on Holt’s work by constructing a theory of integration that
crossed the individual, small-group, and community levels (see below).
Her theory of integration in management followed the same logic: “If a
chief executive cannot integrate the different policies in his business, that
is, if he cannot make his executives unite wholeheartedly on a certain
policy, the suppressions will work underground and be a very strong factor
against the success of his business. For suppression means dissatisfaction,
and that dissatisfaction will go on working underneath…and may crop up
at any moment in some place where we least desire to see it, in some place
where it will give us more trouble than if we had dealt with it in the first
instance” (FC 68).
Follett also developed her theory based on her experience, beginning
with her early education. She was a top student at a progressive secondary
school that used history to teach citizenship, i.e., to cultivate interest in,
public opinion about, and consensus as to matters of public interest. This
60 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

was in contrast to traditional teaching, which emphasized memorization


and recitation. The reformed method taught students to do original
research and to synthesize diverse facts independently to build well-subs-
tantiated opinions and a sense of personal conviction. They had to defend
their position in front of the teacher and their peers. Then, through dis-
cussion, the class developed a consensus. Follett’s teachers described this
as a truth-seeking process (Hart, 1896). Follett further developed this
method and ideal in her thesis on the speaker of the House of
Representatives (Follett, 1896; Hart, 1896). She later extensively descri-
bed the process of “genuine group discussion” to “discover the truth” (NS:
209).
In her post-graduate work, Follett worked on two problems--her own
and the community’s. First, she and her peers, the first college-educated
women in the U.S., struggled to find a professional path other than secon-
dary-school teaching. Second, she undertook this struggle in Boston,
which faced problems of integration: of immigrants to the U.S., workers
to industry, and local aristocrats to centralized national politics. Boston
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had many strong social reform movements and Follett aligned with them,
particularly the Settlement House Movement (SHM), the Municipal
Reform Movement (MRM), the Women’s Club Movement (WCM), and
the Vocational Educational Movement (VEM). She used circular response
theory to address both problems separately and together. Specifically, she
combined resources from the various social movements to build institu-
tions for integrating individual neighborhoods, and the city of Boston as
a whole, across differences of class, age, ethnicity, and political party.
The SHM organized college women to live among immigrants in poo-
rer neighborhoods and to offer education, recreation, health care, and
other services. From this movement, Follett took up her emphasis on
immigrants, local neighborhoods, and quality of life. However, she saw
that adolescents rejected the SHM for its maternal focus on women and
children and also for its condescending attitude. The MRM was a men’s
movement for civic reform, but it favored the local aristocracy (“home
rule”) over greater centralized government and interests perceived as
foreign (“bossism”). To Follett, the MRM’s anti-immigration biases only
strengthened patronage politics. Also, the MRM emphasized values incul-
cation over practical action. Follett took up her interest in civic activism
from this movement, but she rejected the ideological focus and pursued
practical action instead (see below). She also integrated immigrants into
the MRM. She did this by providing the same training she herself had
received in secondary school, a training for participation in civil society.
The WCM mobilized upper-class women to participate in politics and
Mary Parker Follett 61

social reform. It also financed SHM activities on its own and through
partnerships with the MRM. From the WCM, and her own engagement
with it through the Women’s Municipal League of Boston (a local colla-
boration between the MRM and the WCM), Follett took methods for
self-organizing; but she applied them to immigrant neighborhoods and
organizations. Also, the WCM provided Follett with the financial means,
formal affiliation, and other resources for her institution-building. The
VEM was an educational reform to add industrial (“practical”) training to
secondary schools. Follett appreciated this movement, but she thought it
ignored the dynamic relationships among the evolving adolescent, the
evolving job, and the evolving community and that it was limited to
short-term job training and placement. Thus, to the VEM, she added
guidance and especially follow-up.
Thus Follett built the Boston Placement Bureau (BPB) to enable rela-
tionships across economic, cultural, civic, and recreational life. An
employment counselor, based at the social (community) center, commu-
nicated with center members—neighborhood residents of adolescent
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age—about their work lives. The communications were more free than
those at workplaces or in the home because the center was not characte-
rized by authoritative relations. Before founding the BPB, Follett started
five of these centers in the poorest neighborhoods of Boston. On the
surface, they were recreational centers. However, Follett used them to
cultivate self-governing capacity in individuals and in local neighbo-
rhoods. She organized the social centers into clubs, and each one ran itself
like a small business. It met concrete deliverables, such as athletic compe-
titions and musical performances, which generated revenues. Each club
sent delegates to a central club that managed the center. Thus to join the
center was also to participate in an experiment of self- and community-
building per Follett’s principles of democracy.
The WMLB focused on spinning off initiatives to the public. The BPB
became a public-supported institution in 1915. Thereafter, Follett served
on arbitration and mediation committees. She also collaborated with the
personnel movement in industry. She lectured at the Bureau for Personnel
Administration, at Harvard, and at Oxford. In these lectures, she applied
circular response theory to management.

3. CIRCULAR RESPONSE THEORY IN MANAGEMENT


“A group is sovereign over itself as far as it is capable of creating one out
of several or many” (NS: 271). This same principle, at the level of the self-
62 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

governing individual, group, or community, holds for organization.


Follett saw the organization as a work in progress relating to evolving
situations and always pursuing greater integration relative to its parts, to
itself, and to its environment. Just as Follett held that the principle of
circular response should guide the investigations of the social scientist
towards greater knowledge about cooperation, she argued that it should
govern the management of a business towards better cooperative practices.
Follett’s theory of circular response countered prevailing views of
industry as impersonal and bureaucratized. In fact, she held that as orga-
nizations grew in size and complexity, integration was even more impor-
tant. Although immigration made “adjustment” to industry a hot topic,
the process was usually understood as unilateral: i.e., the worker had to
adjust or to be adjusted to industry; and the immigrant had to adjust or
be adjusted to society. Circular relations emphasized reciprocal adjust-
ment (NS: 39). Thus Follett distinguished her views in the labor-versus-
capital battle. She held that as unions provided a way for individuals to
participate in management, they were helpful; but as the individual trans-
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ferred his or her responsibilities to unions, they were harmful. She also
viewed unions as harmful when they reified stereotypes about labor and
capital because stereotypes interfere with communication (see below).
Organization as integration. The organization must coordinate its
various parts to form a working unit or a functional whole (DA 71). “The
first test of business administration, of industrial organization, should be
whether you have a business with all its parts so co-ordinated, so moving
together in their closely knit and adjusting activities, so linking, interloc-
king, interrelating, that they make a working unit” (DA 71). In the inte-
gration process, Follett distinguished particular functions and processes:
The leader. The most important function of leadership is integrative
capacity. The leader must “relate all the complex outer forces and all the
complex inner forces” to form the organization into a whole. The leader
brings about “a common purpose, born of the desires and the activities of
the group” (Metcalf et Urwick, 1941: 260-267). The leader must be part
of the organization but also able to see the whole and his or her relation-
ship to the whole. The leader develops and conveys a view of the whole
throughout the organization. There is no personal or arbitrary element:
the situation has its own authority and integrity (DA 150). Thus the lea-
der too obey-the law of the situation (FC 55). Discerning this law requires
organizational ability. “One man seldom knows enough about the matter
in hand to impose his will on others” so resolution requires engaging “the
reciprocally modified judgment” of all concerned (DA 284). The task of
Mary Parker Follett 63

the leader is to facilitate such processes and secure such judgment (DA
284).
Other parts of the whole. All elements--individuals, groups, func-
tions, departments, etc.-are parts in the whole and must understand them-
selves that way. In the multidepartmental enterprise, engineering, manu-
facturing, and sales groups have their own interests. However, each must
be able to integrate these interests in order to make the final product. “It
isn’t enough to do my part well and leave the matter there. I must study
how my part fits into every other part and change my work if necessary so
that all parts can work harmoniously and effectively together” (FC 76).
Follett emphasized “horizontal” over “vertical” authority in situations
where “a problem which occurs at X which concerns Y does not have to
be taken up the line from X and then down the line to Y” (FC 64).
“Where you have this direct contact there is much less chance of misun-
derstanding, there is opportunity of explaining problems and difficulties
each to the other” (FC 64). She called this “cross-functioning” (FC 64).
A decision-maker must consider what is good for his department but
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especially “the good of the business as viewed from his department.” “I do
not say that he should consider what is good for the whole business and
end my sentence there…I say what is good for the whole as seen from his
department” (DA 73-74). Side-taking is not objectionable; what is impor-
tant is whether they are self-interested sides rather than sides that see
themselves as parts of a functional unity.
The connection between the parts and the whole is an individual,
human connection. The individual must feel a part of the whole. This
gives dignity to labor and allows a business to optimize performance (DA
71). Collective and decentralized responsibility “go hand in hand” (DA
79). “This is one of our gravest problems: how to foster local initiative and
at the same time get the advantages of centralization” (80). This begins at
the group level and extends to interdepartmental relations (DA 81-82).
This point leads to Follett’s views on the relationship of the individual
to the whole based on responsibility. Increasing functionalization in
industry make this principle especially important. Functionalization esta-
blishes departments such as purchasing, maintenance, and personnel. “…
[I]n those plants where there is a special department for mechanical equip-
ment, the head of this special department and the head of the manufactu-
ring department have to agree before the recommendation can go to the
general manager…This interlocking responsibility exists indeed under
any form of organization, but we have much more of it” in the functional
form (FC 72).
64 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Follett posited a double responsibility, of one’s function (“responsible


for our function in the whole”) and one’s relationship to the whole (“res-
ponsible for a functional whole”); DA 80. Work was divided “so that each
can do what he is best fitted for” but “our responsibility does not end with
doing conscientiously and well our particular piece of the whole…we are
also responsible for the whole” (DA 80). Thus “workers are sometimes
managing” (DA 85). Thus Follett’s theory was both supportive of and
subversive to the professionalization of management: The line between
management and labor is artificial (DA 88). The worker who decides how
to execute an assigned task is managing (DA 85). Furthermore, most
people have managing ability, “and opportunity should be given each man
to exercise what he has on his actual job…We want to make use of what
they have” (86). “[W]hen men are allowed to use their own judgment in
regard to the manner of executing orders, and accept the responsibility
involved in that [emphasis in original], they are managing” (DA 88). This
related to Follett’s political philosophy whereby responsibility cannot be
transferred: “There is no ‘they’…it is always we, we, we, that …are res-
ponsible” (NS: 241-242).
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Processes of integrating. Wholes are formed by integrating view-
points. This requires an attitude of cooperation (DA 61, 62) which both
causes and results from the sense of the whole, the sense of one’s part in
the whole, and one’s responsiveness to the evolving situation (DA 59).
Responsive relating gives free play to difference (CE: 6). It requires “an
experimental attitude”(CE: 213-215) and a “qualitative change in thin-
king” (CE: 163). “The creative attitude has to be created” (CE: 211). Fear,
self-protection, and power-seeking block communication and thus inte-
gration. Attitudes consistent with the laws and principles of creative expe-
rience facilitate integration. Prejudices lead to sides being taken prematu-
rely. Sides are fixed ideas, and they only lead to more conflict. They
construct “things” rather than the openness that is necessary for relating.
“The most profound reason against struggle is that it always erects a thing-
in-itself. If I ‘fight’ Mr. X, that means that I think of Mr. X as incapable
of change—that either he or I must prevail” (CE: 97). Likewise, executives
present policy such that coworkers “have to take a for or against attitude”
(CE: 217). The executive body acquires “solidarity” and a “self-interest of
its own” apart from “the functional relating” (CE: 218). “Hierarchy,”
“management,” “labor,” “executive”—these terms convey separateness and
block cooperation.
For this reason, groups must work together as early as possible, before
sides can be taken (CE: 225, 249-250). Follett advocated a practice called
“breaking up wholes” (CE: 67), which is the opposite of reification. It
Mary Parker Follett 65

dismantles fixed ideas and facilitates communication. “When I realize


fully that there are no things-in-themselves, struggle simply fades away;
then I know that Mr. X and I are two flowing streams of activity which
must meet for larger ends than either could pursue alone” (CE: 97).
Thinking must replace fighting (DA 121-2). Language interferes with
relating through value-laden labels (CE: 10), symbols (CE: 222) and
“canalizing,” or putting abstractions into boxes (CE: 217). “All static
expressions should be avoided” (CE: 58). These terms stultify thought
(CE: 58). Even a “situation” is not a thing (CE: 153). The practice of
establishing a purpose blocks cooperation: “We cannot bind our activity
to a preconceived purpose” (CE: 151). Upon joining a meeting, one must
compare one’s ideas with the ideas that are emerging rather than one’s
preconceived ideas (CE: 133). Individuals do not need to agree concep-
tually to cooperate physically. Cooperation occurs through cooperating
and individuals learn to work together by working together.

4.
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SUMMARY
Follett’s management theory emerged in and through her life, a process
of relating. She related to the problems and thought of her day. Holding
that truth, creativity, and life lies in the interplay of interdependencies, she
rejected a social science that split into disconnected fragments (CE: ix); an
industry that divided itself between labor and capital, management and
worker, and individual and organization; and social conventions that
involved unexamined habits and thoughts and that divided the individual
from himself and from others (“I”/“you”), the whole (“we”/”they”). Based
on her experience in educational reform, community organizing, and
social work, she viewed business life as an opportunity for individual and
collective advancement. In particular, she addressed the negative
consequences of scale: just as centralized federal government risked losing
the individual, so did the increasing scale and complexity of industry.
Follett’s theory has been criticized for its idealism. Certainly, she
belonged to the progressive era with its faith in a science, social science, to
solve social problems. She also belonged to a social and intellectual com-
munity that was unusually cohesive according to an ethic of responsibility
based on the Colonial ideal of the commonwealth. The Boston social
reformers integrated across class, gender, religious, political, and other
cultural and economic differences. They held to pragmatist philosophies
of the power of belief and the spoken word. In this context, functional
unity was both a practical concept and an ideal. If we believe there is a
66 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

total situation that we can bring into being, we will begin to put that
situation into place, and by beginning to put it into place, we will put it
into place.
Follett viewed organization as the exercise and development of creative
ability through relating. “The high adventure of business is its opportu-
nity for bringing into manifestation every hour of the day the deeper thing
within every man, transcending every man, which you may call your
ideal” (DA 137). Business may be regarded as mere production, but “every
activity of man should add to the intangible values of life…the greatest
usefulness of these [tangible] articles consists in the fact that their manu-
facture makes possible those manifold, interweaving activities of men by
which spiritual values are created” (DA 141).

Travaux cités de l’auteur


Follett, M. P. (1924), Creative Experience, New York: Longmans, Green.
Follett, M. P. (1918), The New State, New York: Longmans, Green.
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Follett, M. P. (1896), The Speaker of the House of Representatives, New York:
Longmans, Green.

Autres références bibliograhiques


Fox, E. and Urwick, L. (Eds.) (1973), Dynamic Administration: The Collected
Papers of Mary Parker Follett, New York: Hippocrene Books.
Hart, A. (1896), “Introduction,” in Follett, M. P., The Speaker of the House of
Representatives, xi-xvi. New York: Longmans, Green.
Holt, E. (1915), The Freudian wish and its place in ethics, New York: Henry Holt.
Metcalf, H. and Urwick, L. (Eds.) (1941), Dynamic Administration: The Collected
Papers of Mary Parker Follett, New York: Harper and Bros.
O’Connor, E. (2012), Creating New Knowledge in Management: Appropriating the
Field’s Lost Foundations, Stanford, Ca.: Stanford University Press.
Tonn, J. (2003), Mary P. Follett: Creating Democracy, Transforming Management,
New Haven, Ct.: Yale University Press.
Urwick, L. (Ed.). (1949), Freedom and Co-ordination: Lectures in Business
Organization by Mary Parker Follett, London: Management Publications
Trust.
V. FREDERICK WINSLOW TAYLOR – LE MANAGEMENT SCIENTIFIQUE
DES ENTREPRISES

Olivier Meier
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 67 à 79
ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-67.htm
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Le management scientifique
Frederick Winslow Taylor

des entreprises
Olivier Meier
V
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68 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Notice biographique (1856-1915)


Frederick Winslow Taylor (1856-1915) est un ingénieur américain qui a mis en appli-
cation l’organisation scientifique du travail (OST), à la base de la révolution industri-
elle du XXe siècle.
Après avoir accompli un apprentissage de modeleur et de mécanicien dans une fabrique
de pompe, Frederick Winslow Taylor entre à l’atelier des machines de la Midvale Steel
company. Pendant cette période (1878 – 1890), il se consacre à l’augmentation de la
productivité des usines et tente de remédier à la situation conflictuelle entre
l’encadrement et le personnel. Sans doute intéressé par la maîtrise scientifique dont
font preuve ses ingénieurs, il décide d’améliorer ses connaissances et accède lui-même
au diplôme d’ingénieur mécanicien. Parallèlement à son activité, F.W. Taylor produit
tout un ensemble de recherches sur l’application des méthodes scientifiques à la gestion
des ateliers. Ces recherches s’opèrent dans deux principales directions : l’usinage des
métaux d’une part et l’étude des temps opératoires d’autre part, qui révèle un intérêt
nouveau sur les aspects organisationnels du travail d’atelier. Certaines de ses contribu-
tions donneront lieu à la réalisation et la vente de brevets qui apporteront à F.W. Taylor,
en même temps que la fortune, la notoriété et la reconnaissance.
À 34 ans, F.W. Taylor quitte Mildave Steel, et change d’emploi avant de devenir ingé-
nieur – conseil, spécialiste d’organisation en atelier et de comptabilité industrielle.
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C’est durant cette période que F.W. Taylor met en place un certain nombre de ses idées
sur le management. Il intervient en particulier au sein de la Bethlehem Steel Company,
pour développer un système de salaire aux pièces dans les ateliers. En 1901, usé par des
conflits internes, F.W. Taylor décide de cesser toute activité salariée. Il multiplie les
conférences, écrit des mémoires et dirige les interventions de ses disciples1 engagés dans
la diffusion du Management Scientifique et sa mise en œuvre pratique. L’affaire de
l’Eastern Rate (1910)2 contribue à asseoir la notoriété publique du management scien-
tifique, en mettant en avant ses avantages en termes de réduction des coûts.
En dépit de vives critiques (enquête Hoxie3 1914 – 1915), les travaux de F.W. Taylor
ont eu un impact considérable sur le développement de l’industrie et sont notamment
à l’origine de qu’on a appelé le modèle américain d’organisation (production de masse
réalisée par une main-d’œuvre spécialisée et peu qualifiée – cf. Fordisme). Ces principes
continuent de fortement influencer les pratiques de management et d’organisation. Ils
présentent en particulier le mérite d’avoir sensibilisé les entreprises sur le rôle et
l’importance de la démarche scientifique pour le management.

123

1. Les principaux d’entre eux sont Henry L. Gantt, Carl G. Barth, Horace K. Hathaway et Morris L.
Cooke.
2. Lors d’un litige impliquant les compagnies de chemin de fer, plusieurs disciples du management
scientifique (dont F.W. Taylor) défendirent l’idée que l’application d’une telle démarche permettrait aux
compagnies d’économiser un million de dollars par jour.
3. En 1914, la United States Commission on Industrial Relations souhaite une information plus précise sur
les relations entre le management scientifique et le mouvement ouvrier, et confie à R.F. Hoxie une
enquête sur ce thème. L’enquête mettra en lumière de profondes différences entre la théorie défendue par
les promoteurs du management scientifique et la réalité observée, en soulignant les effets négatifs de la
méthode sur les salariés et le climat social.
Frederick Winslow Taylor 69

1. LE MANAGEMENT SCIENTIFIQUE ET SES PRINCIPES


Le management scientifique trouve ses fondements dans une analyse
critique de la situation des hommes au travail. Pour F.W. Taylor, le travail
est pénible et ne permet pas aux hommes d’être pleinement efficaces, en
raison de règles empiriques (issues de l’observation personnelle et de
l’apprentissage) qui freinent le rythme de travail. Il est donc nécessaire de
rechercher des moyens pour permettre à l’homme de réaliser de manière
efficace sa tâche.
La solution proposée par Taylor au problème de l’inefficacité qui, selon
ses termes, est le plus grand mal du siècle, est l’application de méthodes
scientifiques à l’analyse et l’amélioration de l’organisation des tâches. Elle
revient à définir de façon très précise la manière dont les tâches doivent
être organisées et les rôles que doivent occuper les différents acteurs
(ouvriers et responsables) pour obtenir une productivité optimale. Cette
démarche s’appuie sur cinq propositions établies au niveau du travail dans
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les ateliers de production :
• la recherche de la meilleure méthode – « the one best way » – pour
réaliser une tâche, à partir de la détermination scientifique des
temps et des modes opératoires (analyse des postes, décomposition
du processus de travail en tâches élémentaires, suppression de tout
geste inutile dans les mouvements humains, mécanismes de simpli-
fication des gestes, attribution d’un temps d’exécution à chaque
tâche élémentaire), et de leur prescription par l’encadrement (plani-
fication du travail, instructions écrites et complètes, codification
formelle…) ;
• le recrutement de l’individu le mieux à même d’accomplir la tâche
par une étude volontaire du caractère, tempérament et rendement
de chaque ouvrier ;
• la formation, le suivi et le contrôle permanents du personnel ;
• la mise en place d’un système de salaires proportionnel au rende-
ment. La démarche de Taylor est de considérer que la seule motiva-
tion du travail des ouvriers est de nature financière, en tant qu’agents
rationnels cherchant à maximiser de manière consciente leurs gains
monétaires. Pour cette raison, le salaire au rendement s’impose. À
chaque tâche correspond un temps d’exécution. Le chronomètre
détermine alors la rémunération de l’ouvrier, à travers un système
d’établissement du salaire à la pièce ;
• la séparation rigoureuse des tâches entre ceux qui conçoivent (dans
les bureaux de planification et d’organisation) et ceux qui exécutent
70 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

(dans les ateliers). Cette division verticale des tâches vise à distinguer
strictement les exécutants, des concepteurs du travail, en vue de
définir des processus opératoires performants.
Le système de Taylor vise à rendre scientifique l’organisation du tra-
vail4, dans le but d’atteindre le plus haut niveau de productivité et d’effi-
cacité. Il a pour but de se substituer aux « vielles méthodes empiriques »
et à la « flânerie systématique des ouvriers ». F.W. Taylor pense qu’il
incombe aux dirigeants de prendre part à cette mission. Il est de leur res-
ponsabilité de réunir, déchiffrer et classer les informations, afin de conce-
voir des principes, des règles, des lois permettant aux ouvriers de mieux
accomplir leur travail quotidien. Il s’agit en particulier d’évaluer la durée
nécessaire à l’exécution de chaque tâche grâce à une étude critique du
contenu du travail, à l’analyse scientifique des mouvements (recherche,
exécution, attente et repos) et l’étude des temps d’exécution (par observa-
tion directe et chronométrage et l’utilisation des tables de temps) Les
principes directeurs établis doivent être enseignés aux ouvriers et des
mesures appropriées doivent être prises, pour veiller à leur bonne applica-
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tion. De même, la mise en place d’un système de salaires différentiels aux
pièces (A piece rate system) doit permettre d’éliminer les comportements de
freinage volontaire, en stimulant la productivité et en prenant ses distances
avec l’ancien système qui reposait sur une forte délégation accordée aux
contremaîtres.
Les managers sont donc censés remplir une mission nouvelle et vitale,
visant à éviter le freinage volontaire et l’utilisation des méthodes empi-
riques. La faible productivité dans les usines résulte en effet d’un double
comportement : celui d’une maîtrise des temps opératoires par les ouvriers
qui par crainte du chômage et paresse naturelle freinent volontairement les
cadences de travail et celui de l’encadrement qui ignore la gestion quoti-
dienne du travail, et ne s’implique pas dans l’élaboration de méthodes
efficaces.
Le principal facteur de réussite réside par conséquent dans la modifica-
tion des rapports entre la direction et son personnel. Il implique à court
terme des rôles et des fonctions différents au sein de l’organisation, seule
manière de parvenir à une révolution mentale novatrice du travail de ges-
tion. Cette conception de l’organisation impose la présence d’un contrôle
étroit de l’exécution du travail qui insère l’ouvrier dans un réseau de
contraintes, l’obligeant à agir efficacement ou à démissionner. Pour que ce
système puisse être durable et refléter une conception synergique des rela-
4. Référence à l’Organisation Scientifique du Travail (O.S.T.), c’est-à-dire la gestion et la coordination
des tâches en vue d’établir et de maintenir l’aménagement optimum du travail au sein de l’entreprise, à
partir de principes ou de méthodes résultant d’une recherche scientifique.
Frederick Winslow Taylor 71

tions sociales, il importe en contrepartie que l’ouvrier puisse s’appuyer sur


un système de salaire incitatif qui l’amène à entrer de plein gré dans cette
logique.
Sur le plan du fonctionnement, F.W. Taylor veut sortir de l’organisa-
tion hiérarchique traditionnelle qui lui semble inadaptée à la grande
variété des problèmes rencontrés dans les usines. Cette forme militaire est
selon lui mise à mal par l’inadéquation entre les capacités des individus et
les compétences requises pour le travail d’encadrement. Il convient donc
d’abandonner cette forme d’organisation au profit d’un management
fonctionnel fondé sur deux principes : l’éclatement des attributions de la
maîtrise traditionnelle en fonctions spécialisées et la centralisation des
activités intellectuelles (brain work) dans un même département, le dépar-
tement d’organisation, censé assurer institutionnellement l’unité de
conception entre l’organisation du travail et la gestion du personnel.

2.
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UN SYSTÈME DE PENSÉE TROP EXCLUSIVEMENT
TECHNICO-ÉCONOMIQUE ?
Dans l’analyse taylorienne, l’organisation est abordée en tant que pro-
blème technique, à l’instar d’une machine qu’il faut agencer rationnelle-
ment, conformément à des règles préétablies, présentées comme des solu-
tions universelles. Cette vision mécanique de l’organisation conduit à
l’établissement d’un ordre impersonnel, où les comportements et relations
entre les acteurs sont voués à l’accomplissement des tâches, à l’exclusion
de toute considération politique ou sociale. Le système devient une force
autonome qui déroule sa logique propre, à partir de règles prédéfinies.
Les travaux de F.W. Taylor ont ainsi fait l’objet de vives critiques liées
principalement au caractère mécaniste de sa démarche qui occulte les
aspects humains de l’organisation au profit d’une analyse profondément
rationnelle et normative qui va à l’encontre d’un esprit de responsabilisa-
tion.

2.1. Une conception restrictive de l’homme


dans son cadre de travail
La vision taylorienne s’associe à une conception mécanique de la nature
humaine, inspirée de celle de l’homo economicus, en mettant en avant un
modèle de comportement universel marqué par un excès de rationalisme.
72 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Selon cette conception, l’individu devient l’adjoint des machines, avec


comme seule motivation la satisfaction de ses besoins économiques, à
travers un système de salaire incitatif fondé sur le rendement. Il s’assimile
à un agent au raisonnement essentiellement économique dont la seule
motivation est l’augmentation de ses gains financiers. L’homme se voit dès
lors ôté toute manifestation sensorielle ou émotionnelle. Ses mouvements,
ses temps de récupération, son comportement sont perçus comme pou-
vant être analysés scientifiquement. L’ouvrier professionnel de la fin du
XIXe siècle, doté d’une maîtrise et d’un savoir-faire, laisse place à un
ouvrier spécialisé, simple exécutant, conçu, piloté et coordonné par sa
direction. L’ouvrier est considéré comme un individu incapable de réflé-
chir sur son travail, en raison d’un manque d’instruction et de qualités
intellectuelles limitées. À partir de ce postulat, il devient illusoire de don-
ner à l’ouvrier de trop amples informations sur son travail. La formation
doit en effet se limiter à la stricte acquisition d’un mode opératoire parti-
culier. L’individu est ainsi analysé au regard d’une classification scienti-
fique de ses capacités, qui vise à établir pour chaque homme la tâche qui
lui convient le mieux, en fonction de son caractère et de ses qualités phy-
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siques. Le seul problème qui se pose est d’identifier, de façon quasi-méca-
nique (ou systématique) qui a le statut de première classe (first-class men)
pour une tâche donnée.
Le projet de Taylor a pour effet de participer à une modification pro-
fonde de la structure du pouvoir au sein de l’entreprise, en transformant
les ouvriers en de véritables automates et en donnant à l’encadrement la
maîtrise complète des temps et des modes opératoires. Au sein de cette
logique, l’ouvrier n’a pas à agir ou réagir. Il doit simplement exécuter une
tâche élémentaire qu’il doit accomplir mécaniquement.
Cette conception de l’organisation ne tient pas compte des interactions
entre les individus et l’organisation. En particulier, elle fait abstraction des
problèmes de pouvoir, de la formation de groupes informels ou des moti-
vations personnelles au profit de l’existence d’un réseau formel de relations
centrées sur la réalisation d’objectifs efficaces et rationnels. Elle traduit une
véritable aliénation de l’homme à son travail à qui l’on retire toute dispo-
sition d’ordre affectif ou cognitif pour devenir un instrument au service de
la productivité et de la rentabilité de l’entreprise. Cette orientation a eu
pour principale conséquence des réactions négatives de la part du person-
nel d’exécution (absentéisme, turnover, démotivation) et l’émergence de
conflits sociaux fréquents. Elle s’est notamment traduite par une vive
opposition de la part des syndicats et le développement de grèves pour
protester contre les conditions et méthodes de travail imposées aux
ouvriers comme le chronométrage.
Frederick Winslow Taylor 73

2.2. L’illusion d’une méthode universelle


de gestion et d’organisation du travail :
le one best way
Taylor pensait avoir trouvé des principes qui puissent s’appliquer à
toutes les organisations et répondre à l’ensemble des problèmes posés.
Selon lui, s’il existe de nombreuses façons différentes d’accomplir une
tâche, il n’existe toujours qu’une méthode et un outil qui soient plus
rapides et meilleurs que tous les autres. Le système Taylor repose sur une
conception scientifique des organisations, où seules les lois de la raison
sont indiscutables et peuvent conduire à des solutions justes et convain-
cantes.
Elle tend également à occulter l’influence de l’environnement, ses effets
sur l’organisation du travail et la gestion du changement. Les spécificités
sectorielles ne sont pas prises en compte. Les problèmes de flexibilité,
d’adaptabilité de l’entreprise aux contraintes de l’environnement, en par-
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ticulier par l’intermédiaire de sa structure, sont absents du discours.
L’organisation apparaît comme un système fermé et relativement stable,
fondé sur des principes universels dont le respect doit conduire au maxi-
mum d’efficience et de productivité.
Or, l’environnement évolue, les outils s’usent, des pannes inter-
viennent, de nouvelles attentes émergent dans la mise en œuvre du travail.
Ces multiples variations des conditions d’exercice du travail imposent à
l’opérateur des adaptations permanentes et la prise en compte de besoins
et contraintes de nature différente.

2.3. Dilution des responsabilités et absence de


hiérarchisation
Une limite importante du système taylorien peut également être
recherchée dans le mode d’organisation et de fonctionnement préconisé
par Taylor, où la structure fonctionnelle doit prendre le pas sur la structure
hiérarchique traditionnelle. Si la structure fonctionnelle a pour avantage
de favoriser la spécialisation, en raisonnant par fonction / spécialiste,
chaque individu dépend dans les faits de plusieurs responsables spécialistes
d’un domaine. Ceci peut dès lors poser des problèmes de hiérarchisation
des priorités et laisser le dirigeant assumer seul la décision finale, notam-
ment dans des situations d’urgence. Or, il peut arriver que le dirigeant,
compte tenu de la complexité du problème, ne parvienne plus à maîtriser
74 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

seul les conflits d’objectifs ou d’intérêts entre les différentes fonctions de


l’organisation.
L’organisation fonctionnelle peut aussi créer une situation marquée par
l’équivocité, dans la mesure où l’analyse et la résolution d’un problème
peut être abordée et interprétée de différentes manières, selon l’angle de
spécialisation retenu. En effet, les connaissances, informations et exper-
tises étant multiples et variées, elles rendent plus délicates la prise de déci-
sion qui doit s’opérer à partir de données différentes mais de valeur égale
sur le plan de leur légitimité. Tout changement risque donc de remettre en
cause l’équilibre des spécialités sur lequel se fonde l’organisation. Le statu
quo peut dès lors apparaître comme une solution moins conflictuelle que
le changement.
Dans le modèle taylorien, il y a également le risque de voir une modi-
fication des sources de pouvoir vers celle d’un contrôle des spécialistes fiers
de leur expertise et de leur accès exclusif à certaines informations. Ce type
de modèle peut dès lors évoluer vers une dépendance à l’égard des diffé-
rents services de l’organisation, avec une absence de coordination et de
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hiérarchisation des actions engagées. Il arrive d’ailleurs que les spécialistes
fonctionnels s’enferment dans leur spécialité et finissent par oublier les
véritables enjeux de l’entreprise. Chacune des spécialités peut en effet être
conduite à privilégier sa conception et agir en fonction de ses préférences.
Cette tentation peut notamment prendre la forme d’une frontière artifi-
cielle entre les fonctions (constitution de baronnies) et empêcher une
collaboration vitale pour parvenir à des objectifs économiques réalistes.

Les points-clés
1. Méthode d’inspiration scientifique sur la façon d’analyser et de concevoir le travail
2. Analyse du travail autour de la séparation entre la conception (planification) et la
réalisation (exécution)
3. Définition optimale et unique (one best way) sur la manière d’accomplir une tâche
4. Rémunération variable et proportionnelle de la performance
5. Approche centrée sur les économies d’échelle, la productivité et les effets
d’apprentissage
6. Démarche fondée sur le contrôle renforcé des collaborateurs dotés d’une faible
autonomie et d’une faible responsabilité
Frederick Winslow Taylor 75

3. RELECTURE ET PERSPECTIVES…
Tout et son contraire a pu être dit sur F.W. Taylor et son système, ce qui
vaut aujourd’hui à ses travaux des réactions variées et contradictoires qui
méritent d’être précisées et expliquées. La vie et surtout la pensée de F.W.
Taylor demeurent en effet étonnement méconnues et ses propos ont sou-
vent fait l’objet de vives critiques de la part des conceptions modernes du
management qui voient dans le taylorisme un référentiel symboliquement
encombrant et opérationnellement inadéquat. Il suffit en effet de taxer une
méthode de taylorienne pour voir celle-ci déconsidérée et relayée au stade
de l’archaïsme. Plusieurs éléments conduisent à refuser cette facilité rhéto-
rique et à défendre certains positions prises par F.W. Taylor qui ne sont pas
sans rapport avec la réalité économique et sociale des organisations passées
et actuelles.
Il convient tout d’abord de réinsérer la démarche de F.W. Taylor dans le
contexte historique de l’époque. Dans la majorité des industries, la réalisa-
tion des opérations productives continuait en effet de reposer sur le savoir-
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faire des ouvriers professionnels, dont la compétence technique était irrem-
plaçable (car liée à l’expérience). Cette situation se heurtait à la volonté de
la direction de contrôler la gestion de la productivité. Or face à ces pres-
sions, les ouvriers qui avaient la maîtrise totale des temps et des modes
opératoires, mettaient en œuvre une même stratégie, à savoir un freinage
systématique du rythme de production. L’absence de dialogue social et les
risques de dépendance vis-à-vis d’ouvriers conscients de leur pouvoir,
constituaient donc un facteur potentiel de conflit et de baisse de producti-
vité. Il y a par conséquent chez F.W. Taylor une critique fondamentale de
l’organisation du travail du XIXe siècle qui l’a conduit à rechercher des
méthodes qui assurent le contrôle managérial de la production. L’objectif
de son approche consiste donc à concevoir des méthodes capables d’ame-
ner les ouvriers à un niveau de productivité conforme aux performances
des nouvelles technologies industrielles et pouvant résoudre le freinage
volontaire du rythme de production.
F.W. Taylor a par conséquent essayé de rendre opérationnelle une syn-
thèse entre les contraintes techniques et celles de l’économie, en actant les
changements de son époque et en les réinsérant dans des principes d’ac-
tions clairs, cohérents et efficients.
Une deuxième raison tient à la posture épistémologique adoptée par
Taylor aux différents moments de sa vie. Au fur et à mesure que le temps
passe, le personnage Taylor change, non pas tant sur le plan des idées mais
sur la manière de les présenter et de les défendre. Issu de son expérience des
76 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

ateliers, l’expert Taylor fait progressivement place au théoricien pour in fine


s’affirmer comme le représentant d’une nouvelle doctrine à base scienti-
fique. On peut ainsi décomposer l’œuvre de Taylor selon le statut épisté-
mologique acquis aux différents moments de sa vie professionnelle
(Hatchuel, 1994, 1995). On trouve ainsi :
• l’ingénieur des ateliers de machine-outil (1880-1906), reconnu pour
ses travaux empiriques (emploi des courroies, coupe des métaux) et
ses nombreuses découvertes techniques (Médaille d’or de l’exposi-
tion universelle de 1900 pour son brevet des aciers à Tungstène) qui
s’inscrivent dans une démarche résolument expérimentale, en conce-
vant et mettant en place certaines de ses innovations sur l’usinage des
métaux ;
• le théoricien de l’efficacité organisationnelle (1895-1907) dans les
ateliers de mécanique, intéressé par les facteurs contingents pouvant
permettre d’améliorer les conditions de travail dans les ateliers (étude
des temps opératoires, système de tarif différentiel aux pièces, pre-
mier système embryonnaire de gestion de production) Ces réflexions
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témoignent d’une perception fine des enjeux et problèmes au sein
des entreprises productives. S’il est vrai que l’univers mental de
F.W. Taylor est celui d’un mécanicien qui rêve de voir l’usine comme
une machine, cette démarche s’inscrit également dans une analyse
lucide des problèmes rencontrés dans les organisations ;
• le porte-parole et défenseur de principes universels sur la gestion
scientifique du travail, dans lesquels F.W. Taylor appelle à une révo-
lution complète d’état d’esprit dans les relations entre l’ouvrier et sa
direction, organisé autour de coopération cordiale. Ces principes
permettront d’obtenir un bénéfice plus important qui favorisera des
salaires plus élevés et la paix dans l’atelier.
La troisième raison vient d’une confusion entre ce que F.W. Taylor a dit,
voulu et écrit, et ce qu’est devenu par la suite le taylorisme dans les organi-
sations. En effet, pour la plupart, les travaux de F.W. Taylor sont assimilés
au phénomène du travail à la chaîne. Or la première chaîne de montage fut
expérimentée en avril 1913, soit deux ans avant la mort de l’auteur et son
développement s’est imposé plusieurs années après aussi bien aux États-
Unis qu’en France. Il convient donc dans l’analyse critique du taylorisme
de distinguer l’œuvre de F.W. Taylor et les conséquences de son discours
sur les organisations. Il est néanmoins vrai que les propos parfois excessifs
ou maladroits de F.W. Taylor sur la place de l’ouvrier dans l’entreprise ont
certainement contribué à légitimer certaines dérives.
Enfin, on ne peut nier que les attaques formulées à l’égard du taylorisme
s’expliquent également par son succès et l’importance de son influence
Frederick Winslow Taylor 77

encore aujourd’hui dans un grand nombre d’entreprises. On retrouve ainsi


des modèles importants de cette conception dans de nombreuses usines,
entreprises de détail ou bureaux, ainsi que dans différents secteurs de l’éco-
nomie comme la restauration rapide, l’hôtellerie ou les industries agro-ali-
mentaires. C’est le cas par exemple de la chaîne Mac Donald’s dont l’acti-
vité repose sur une standardisation des tâches, des procédés et des qualifi-
cations. Elle s’appuie sur une organisation minutieuse du travail centrée sur
le choix des procédés de fabrication les plus efficaces et une séparation
entre les fonctions d’encadrement et d’exécution. Les systèmes de récom-
pense et d’évaluation se sont également fortement inspirés des propositions
de F.W. Taylor, en évaluant les cadences de travail et en analysant les tâches
de façon élémentaire. Cette pratique apparaît en effet bien adaptée à des
logiques de concession qui demandent un contrôle rigoureux et une éva-
luation rapide des actions engagées par chaque concessionnaire. Le recours
à des méthodes précises pour déterminer le travail à effectuer, peut dès lors
être un facteur important dans le développement de la firme et favoriser
l’utilisation fréquente de procédures standards et codifiées (manuels, pro-
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grammes de formation, de recrutement…).
Cette gestion technique du travail n’est d’ailleurs pas en contradiction
avec des projets d’innovation. Simplement, leur élaboration et mise en
œuvre se retrouvent à un autre niveau de l’organisation auprès des cadres
et dirigeants de l’entreprise. Cette conception du travail trouve un autre
domaine d’application au sein des usines, dans le cadre des chaînes de
montage et d’assemblage, en pratiquant une politique de gestion de masse
et en favorisant le développement de tâches simples et répétitives. Le déve-
loppement du secteur de l’automobile constitue un des exemples d’appli-
cation du modèle taylorien, dont la concrétisation se reflète dans le prin-
cipe du travail à la chaîne et la standardisation des produits et pièces, tel
que le fordisme. Bien que complété et enrichi par les phénomènes d’auto-
matisation et de robotisation, les secteurs nécessitant une forte main-
d’œuvre et orientée vers une consommation de masse, continuent d’être
influencés par l’approche taylorienne. De même, les méthodes de calcul des
temps constituent aujourd’hui la base de nombreux systèmes de gestion,
qui ont donné naissance à de nombreux bureaux de conseils contempo-
rains (BTE : Bureau des Temps Elémentaires). On peut encore trouver
l’influence de Taylor dans la création des bureaux d’études et des méthodes
qui reposent sur une approche fonctionnelle et non hiérarchique de l’orga-
nisation. Cette influence est également visible dans le cas de structures
nécessitant des compétences professionnelles pointues (précisions tech-
niques, expertise) et soumises à des risques élevés (services de chirurgie ou
entretien d’avions par exemple).
78 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Il serait par conséquent dangereux de considérer le remplacement nor-


matif d’un modèle d’organisation par un autre et de conclure à la fin du
taylorisme. Il semble aujourd’hui plus juste de parler d’évolutions diffé-
rentes selon le secteur d’activités et le type d’entreprises étudiées. Selon D.
Linhart (1994), il existe trois réalités simultanées :
• des innovations réellement post-tayloriennes, par exemple dans l’in-
dustrie de process, où des ouvriers (techniciens à forte qualification)
effectuent de la conduite et du dépannage d’installations. Il y a dans
cette conception du travail effectivement des groupes plurifonction-
nels décloisonnés autour desquels se greffent des formes précaires
d’emplois comme le travail en intérim ;
• du taylorisme assisté par ordinateur, par exemple dans le secteur
textile ou le bâtiment, où l’on cherche à peser sur le coût de main-
d’œuvre et où l’on tend les processus, ce qui se traduit par un accrois-
sement du rythme de travail ;
• du taylorisme effectif dans de nombreuses industries, où l’automati-
sation est poussée mais sans remettre en cause le bureau des
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méthodes, même si certains réglages peuvent être effectués par l’opé-
rateur.
De manière générale, les travaux de F.W. Taylor présentent l’avantage de
donner des moyens de maîtrise et de contrôle dans la réalisation des tâches,
notamment lors de la phase de production. La question du taylorisme ne
doit pas se poser en termes d’intérêt relatif à la gestion scientifique d’une
organisation, mais en termes d’implication et de généralisation. En effet, la
nécessité d’une régulation autonome de l’activité par l’opérateur humain
ne fait pas disparaître l’utilité des règles prescrites comme en témoignent
les exemples repris ci-dessus.
Ce constat permet de rendre compte des raisons qui, malgré des
déviances théoriques, expliquent l’efficacité passée de la doctrine de Taylor
et les potentialités qu’elle recèle encore aujourd’hui. La démarche taylo-
rienne ne doit pas avoir l’ambition de mécaniser et systématiser l’organisa-
tion du travail, mais d’en fixer des principes et des limites dans l’intérêt de
l’entreprise.

Travaux cités de l’auteur


Taylor, F.W. (1912), Études sur l’organisation du travail dans les usines, Paris,
Dunod/Pinat.
Taylor, F.W. (1930), La direction des ateliers, Paris, Dunod.
Taylor, F.W. (1965), La direction scientifique des entreprises, Paris, Dunod.
Frederick Winslow Taylor 79

Autres références bibliographiques


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C.Knight et Co.
Bevort, A. (2013), « De Taylor au néomanagement », Participations, n° 5,
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Gilbreth, F. (1912), Primer of Scientific Management, New york, Harper et Row.
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rationalisation industrielle dans l’économie française au XXe siècle »,
in GERPISA, Ford et les autres entre les deux guerres, Actes du GERPISA,
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Linhardt, D. (1994), « Le taylorisme n’est pas mort », Sciences Humaines, n° 38
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(1er trimestre), p. 77-79.
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p. 111-126.
VI. HOWARD E. ALDRICH – ÉVOLUTION, VARIATION, ENTREPRENEURIAT

Bernard Forgues
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 80 à 96
ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-80.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
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Évolution, variation,
Howard E. Aldrich

entrepreneuriat
Bernard Forgues
VI
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82 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Notice biographique
Howard Aldrich est professeur de sociologie à l’Université de Caroline du Nord à
Chapel Hill. Il a obtenu son Ph.D. en 1969 à l’Université du Michigan, puis est parti
enseigner à Cornell, où il a passé treize ans.
Il enseigne la théorie des organisations et la pédagogie. Au-delà de l’évolutionnisme, il
s’intéresse à l’entrepreneuriat, l’émergence d’industries, mais aussi aux différences entre
genres dans la gestion et à la pédagogie. La liste de ses publications à ce jour compose
un document de 54 pages. On y trouve un nombre impressionnant de revues les plus
exigeantes, comme Administrative Science Quarterly, Academy of Management Review,
American Journal of Sociology, mais aussi Journal of Finance !
Howard Aldrich a été récompensé par de nombreux prix et titres honorifiques : il est
Fellow de l’Academy of Management, a obtenu le Distinguished Scholar Award
(Organization and Management Theory), le Global Award for Entrepreneurship
Research, et la première édition de son livre Organizations Evolving (1999) a obtenu le
Max Weber Award de l’American Sociological Association et le Terry Award d’Academy
of Management.
Son site internet regorge de ressources très intéressantes, y compris sur des aspects non
traités ici. On y trouvera aussi sa bibliographie : https://howardaldrich.org/
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L’immense contribution d’Howard Aldrich à la théorie des organisa-
tions révèle à la fois une vision et une cohérence rares1. Pionnier de l’ap-
proche de l’organisation comme système ouvert (voir Aldrich, 1971), il a
ouvert la voie à l’écologie des populations, théorisé l’approche évolution-
niste des organisations et donné l’impulsion à une nouvelle branche de
l’entrepreneuriat. Sa page sur Google Scholar liste 391 articles, chapitres
et livres, parmi lesquels on peut citer les deux ouvrages de référence que
sont Organizations and Environments (1979) et Organizations Evolving
(1999, 2006).
En fait, ses nombreux apports s’inscrivent dans la même lignée. Ils
constituent des avancées successives inscrites dans le même cadre intégra-
teur ayant guidé les recherches d’Howard Aldrich depuis plus de trente
ans : l’évolution des organisations.
C’est ce cadre intégrateur puissant et soigneusement pensé dans le
détail qui explique la remarquable cohérence des très nombreuses publica-
tions d’Aldrich. Le constat de départ est celui de l’absence de contexte
dans la majeure partie des travaux sur les organisations. Cela a amené
Aldrich à se consacrer aux relations entre les organisations et leurs environ-
nements. L’environnement étant lui-même composé d’organisations, cela
1. La première version de ce chapitre a bénéficié de l’aide d’Howard Aldrich, Joel Baum, Filippo Carlo
Wezel, El-Bekkay Essabar, Jérôme Ibert, et les coordinatrices de cet ouvrage Sandra Charreire et Isabelle
Huault, que je remercie chaleureusement.
Howard E. Aldrich 83

conduit naturellement à se pencher sur des populations d’organisations,


d’où un premier ensemble pionnier de travaux sur l’écologie des popula-
tions. Cependant, si ce cadre permet de mettre en avant des mécanismes
fondamentaux, comme la sélection, il est plus restrictif sur d’autres. Ainsi,
la variation dans les populations d’organisations n’a fait l’objet que d’un
nombre très restreint de travaux dans cette perspective. Dépasser ces
limites nécessite d’avoir un cadre plus globalisant : Aldrich est ainsi passé
à une perspective évolutionniste, dont les mécanismes fondamentaux per-
mettent des études à différents niveaux d’analyse et l’intégration d’apports
de plusieurs champs disciplinaires. Ceci lui a permis d’analyser la varia-
tion, c’est-à-dire la création de nouvelles entreprises, l’entrepreneuriat.
Dans la suite de ce chapitre, l’écologie des populations, l’évolution-
nisme et l’entrepreneuriat font l’objet de trois parties successives. Dans
chacune d’elles, on trouvera une rapide présentation, quelques contribu-
tions d’Aldrich, et une mise en perspective.
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1. L’ÉCOLOGIE DES POPULATIONS
Si Aldrich, en tant que sociologue, est choqué au début des années
soixante-dix du peu de cas fait de l’environnement dans la vaste majorité
des recherches sur les organisations, une vision statique lui semble égale-
ment peu adaptée. Ainsi, il estime que la théorie de la contingence a une
« pertinence historique douteuse » (Aldrich, 1979 : xi). Étudier le change-
ment organisationnel en échappant aux limites d’approches a-contex-
tuelles ou a-historiques impose une démarche empirique englobant l’orga-
nisation et son environnement, et ce longitudinalement. L’écologie des
populations rend possible un tel programme.

1.1. Présentation de l’écologie des populations


L’écologie des populations trouve son origine en biologie dans les tra-
vaux de Darwin sur la sélection naturelle. L’utilisation de ces travaux dans
les sciences sociales a été largement favorisée par les recherches de Hawley
(1950) et surtout de Campbell (1969), dont Aldrich (1979 : 33 ; 1999 :
2) se réclame. L’écologie des populations cherche à répondre à la question
« Pourquoi y a-t-il autant d’organisations ? » (Hannan et Freeman, 1977 :
936) et s’intéresse donc à la diversité des formes organisationnelles. Cette
diversité se produit certes parce que certaines entreprises changent, mais
surtout, pour les tenants de cette approche, parce que des organisations de
84 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

la population disparaissent et d’autres sont créées avec des caractéristiques


différentes.
Un point fondamental de cette approche tient en l’unité d’analyse
choisie. En se focalisant sur des niveaux macros (population d’organisa-
tions, voire communautés de populations), les tenants de l’écologie des
populations s’intéressent aux changements dans la composition de cet agré-
gat. Ainsi, ils expliquent les changements par une sélection de l’environ-
nement beaucoup plus que par une adaptation des entreprises (Scott,
1998 : 115). En effet, ils partent généralement de trois observations
(Baum, 1996) : 1/ les populations d’organisations exhibent une certaine
diversité ; 2/ les organisations ont généralement du mal à concevoir et
mettre en œuvre des changements suffisamment rapides pour répondre
aux demandes d’environnements instables ; 3/ la population est générale-
ment changeante, des organisations apparaissant ou disparaissant sans
cesse. Dès lors, les variables observées en priorité pour rendre compte de
la diversité dans une population seront d’ordre démographique : les taux
de création et de disparition des organisations.
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Il s’ensuit qu’une question majeure est celle de la sélection opérée par
l’environnement. Celle-ci se produit sur la base de l’adéquation entre la
forme organisationnelle et les caractéristiques de l’environnement. Les
formes organisationnelles (des configurations spécifiques de buts, fron-
tières et activités) font l’objet de la sélection par l’environnement2. La
création des formes organisationnelles, leur survie ou disparition, leur
diffusion sont expliquées par un modèle général du changement organisa-
tionnel composé de trois étapes : variation, sélection et rétention. La créa-
tion de variété se produit de manière volontaire ou non, au niveau d’une
population (par exemple quand de nouvelles formes viennent d’une autre
population) ou à l’intérieur d’une organisation. La sélection des formes
organisationnelles se produit du fait des contraintes environnementales :
les organisations en adéquation avec l’environnement survivent alors que
les autres disparaissent (ou changent). Enfin, la rétention des formes sélec-
tionnées positivement par l’environnement se manifeste par leur repro-
duction. On peut noter que, du fait des pressions environnementales, le
déterminant majeur des activités des organisations est la compétition pour
les ressources3 (Aldrich, 1979 : 28).

2. La notion de forme organisationnelle est liée à la définition même d’une organisation, à savoir un
système orienté vers un but, maintenant une frontière avec l’extérieur, et possédant une certaine tech-
nologie pour accomplir son activité (Aldrich, 1979 : 5).
3. Le lien avec la théorie de la dépendance des ressources développée par Pfeffer et Salancik (1978) est
d’autant moins étonnant qu’Aldrich et Pfeffer ont collaboré dès 1976 à un article sur le thème de
l’adaptation des organisations à l’environnement, qui jetait les premières bases de la distinction entre
écologie des populations et dépendance des ressources.
Howard E. Aldrich 85

L’apport majeur de l’écologie des populations a été de montrer que le


changement dans la composition d’une population d’organisations se pro-
duit essentiellement par la disparition d’organisations et leur remplace-
ment par d’autres beaucoup plus que par l’adaptation des organisations
existantes, un aspect jusque-là négligé dans les théories des organisations
(Scott, 1998 : 115). En effet, la rapidité des changements dans l’environ-
nement l’emporte le plus souvent sur la capacité des managers à interpré-
ter ce signal et à mettre en œuvre une stratégie d’adaptation (Hannan et
al., 1996).

1.2. Aldrich et l’écologie des populations


L’intérêt qu’Aldrich porte à l’écologie des populations est bien compré-
hensible : il s’intéresse au changement organisationnel, et plus précisément
aux conditions dans lesquelles ce changement se produit (Aldrich, 1979 :
12). L’écologie des populations offre un cadre d’analyse qui permet de
répondre à cette question, et qui est, de plus, en conformité avec une
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approche contextualisée, c’est-à-dire sociologique, du problème. « Les
chercheurs utilisant le modèle de l’écologie des populations ne peuvent
éviter de prendre en compte le contexte sociétal dans lequel les organisa-
tions sont créées, survivent ou disparaissent, et deviennent proéminentes
ou disparaissent dans l’obscurité. » (Aldrich, 1979 : 11).
Dès 1971, il propose ainsi que l’on étudie dans quelle mesure les orga-
nisations sont en adéquation avec des environnements changeants et
divers4. Il écrit en 1979 le premier ouvrage présentant l’écologie des popu-
lations de manière systématique. Il apporte, seul ou avec des collègues, de
multiples contributions, comme les implications stratégiques des handi-
caps de la taille et de l’âge, expliquant par exemple que les organisations
les plus grandes sont aussi les plus inertes, étant plus formalisées et ayant
plus à perdre au changement (Aldrich et Auster, 1986). Pourtant, Aldrich
a rapidement été un peu en marge des écologistes : aucune de ses
recherches n’utilise leur méthode reine – l’analyse de survie –, il s’intéresse
à des questions qu’ils délaissent, comme la variation (voir section 3). De
manière plus fondamentale, il se passionne pour la transformation, même
s’il reconnaît qu’elle sera plus difficile à étudier que la sélection, « puisque
le critère d’adéquation avec l’environnement passe d’un succès ou échec
facile à observer à un critère plus problématique de changement structurel
ou stabilité » (Aldrich et Pfeffer, 1976 : 9).
4. Si l’écologie des populations est généralement associée à Hannan et Freeman, qui y ont énormément
contribué, on peut noter, avec Joel Baum (2000), que cet article fondateur (Aldrich, 1971) a été publié
bien avant celui de Hannan et Freeman (1977).
86 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

1.3. Mise en perspective de l’écologie


des populations
On peut établir des liens intéressants entre l’écologie des populations et
la plupart des théories des organisations axées sur l’environnement. Sans
reprendre les excellentes synthèses existantes (e.g., Baum et Amburgey,
2002), on peut se pencher sur le débat fondamental entre sélection et
adaptation, et sur certaines critiques de la théorie.
Un des débats les plus féconds de l’écologie des populations est celui de
l’importance respective de la sélection et de l’adaptation des organisations.
Ce débat rappelle les conceptions darwinienne et lamarckienne du chan-
gement (McKelvey, 1994)5.
Les premiers travaux en écologie des populations ont accordé une place
primordiale à la sélection. Hannan et Freeman (1977) ont tout d’abord
expliqué la suprématie de la sélection sur l’adaptation en insistant sur la
difficulté du changement. Les entreprises n’arrivent pas à changer du fait
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de contraintes internes (actifs intransférables, manque d’information,
enjeux politiques, poids de l’histoire) et de pressions externes (barrières à
l’entrée et à la sortie, coût d’information, besoin de légitimité, problème
de rationalité collective6). Hannan et Freeman (1984) ont plus tard
enrichi cette idée en insistant sur la notion d’inertie structurelle : la sélec-
tion favorise les entreprises capables de répéter leurs performances de
manière fiable (reliability) et de rationaliser le moyen d’y parvenir (accoun-
tability). Ces deux critères exigent des structures hautement reproduc-
tibles, ce qui génère une forte inertie structurelle, comme le montre
l’exemple des chaînes de restauration rapide.
Des travaux plus récents ont posé à nouveau le problème de la sélection
et de l’adaptation en indiquant que ces deux processus de changement
n’étaient pas forcément antinomiques, ni même peut-être complémen-
taires, mais plutôt inter-reliés (Levinthal, 1991). Ainsi, dans leur étude
longitudinale des stations-services à Edmonton, Usher et Evans (1996)
ont montré que la sélection se produisait au niveau des unités, mais que
les maisons-mères étaient capables de s’adapter en tenant compte de cette
sélection de leurs unités dans leurs choix de fermeture ou d’ouverture de
nouvelles unités.
5. Au risque d’une simplification grossière, on peut dire que, pour Darwin, le changement se fait par
sélection : les espèces les moins adaptées disparaissant et étant remplacées par d’autres mieux adaptées.
Pour Lamarck, le changement se fait par adaptation, les espèces évoluant pour s’adapter à l’environnement.
Une présentation claire et synthétique, appliquée aux organisations, se trouve dans Usher et Evans
(1996).
6. Le problème de la rationalité collective fait ici référence au fait que la stratégie d’adaptation d’une
entreprise ne peut pas être couronnée de succès si toutes les entreprises l’adoptent.
Howard E. Aldrich 87

La critique la plus fréquemment adressée à l’écologie des populations


est celle de son déterminisme, selon lequel l’environnement sélectionne
sans que les managers ne puissent agir7. Cette critique résulte d’une lecture
hâtive et est infondée. En effet, la capacité d’action des managers est prise
en considération à deux niveaux. Tout d’abord, on reconnaît explicitement
que les managers agissent dans leur entreprise (Hannan et Freeman,
1977 : 930). Simplement, les actions d’un dirigeant donné auront un
impact sur son entreprise sans que cela ne se remarque beaucoup au niveau
de la population, sauf dans quelques cas très exceptionnels. D’autre part,
l’environnement est en fait composé d’autres organisations dont les
actions des dirigeants opèrent la sélection. Ainsi, le déterminisme au
niveau de la population n’empêche nullement le volontarisme au niveau
d’une organisation. Il s’agit donc d’un problème de niveau d’analyse
(Baum, 1996).

2.
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L’APPROCHE ÉVOLUTIONNISTE
La force de l’écologie des populations a été de mettre sur pied un cou-
rant de recherche d’une cohérence extrême. Hannan, Freeman et leurs
collègues ont systématiquement privilégié les études de populations
entières, depuis leur apparition, et par une méthode, l’analyse de survie.
Cette force (l’accumulation des résultats empiriques) représente aussi une
faiblesse. En effet, l’exhaustivité des bases de données a été obtenue au
détriment de leur finesse, et les variables observées (généralement de type
démographique) sont parfois loin du concept de départ (Young, 1988).
De plus, le recours a une seule méthode a amené à laisser de côté un cer-
tain nombre de questions de recherche. L’évolutionnisme, basé sur les
mêmes travaux (principalement Campbell, 1969), permet notamment
d’aborder différents niveaux d’analyse ou d’analyser la genèse d’industries,
thème intéressant Aldrich.

2.1. Présentation de l’évolutionnisme


Quatre processus génériques sont à l’origine de l’évolution (Campbell,
1969) : 1/la variation, 2/la sélection, 3/la rétention et diffusion, et 4/ la
lutte pour les ressources rares. Ils sont nécessaires et suffisants pour expli-
quer le changement (Aldrich, 1999 : 21).
7. Pour d’autres critiques adressées à l’écologie des populations, voir Young (1988).
88 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

La variation peut se produire soit au niveau de l’organisation (dans les


routines et compétences), soit au niveau de la population (dans les formes
organisationnelles). Ce changement peut être intentionnel s’il est le résul-
tat de nouvelles solutions apportées à des problèmes ou d’entrées d’outsi-
ders dans une industrie. La variation peut également être aveugle quand le
changement est non intentionnel, fruit du hasard ou d’erreurs. Un point
important dans l’évolutionnisme est la distinction entre la possibilité
d’action et l’efficacité de cette action (Aldrich, 1999 : 23). Il est nécessaire
de distinguer entre la question de savoir si les acteurs sont libres de s’enga-
ger dans des actions et la question de savoir si leurs actions ont des consé-
quences visibles. Ainsi, les besoins des acteurs peuvent expliquer qu’ils
génèrent de la variation, mais ces besoins ne peuvent expliquer le résultat
obtenu. Il en découle que les variations aveugles peuvent s’avérer aussi
importantes que les autres.
La sélection consiste en une élimination de certaines variations sous la
pression de différentes forces. Par exemple, en interne, ces forces peuvent
résulter d’habitudes, de normes d’organisation… Les pressions externes
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sont dues aux concurrents, aux pressions institutionnelles, etc. Ce qui est
sélectionné peut être une routine ou une compétence à l’intérieur d’une
organisation, ou une organisation à l’intérieur d’une population, voire une
population ou une communauté de populations entières.
Le processus de rétention et diffusion fait référence à la conservation et
la propagation des variations qui ont été positivement sélectionnées
(Aldrich, 1999 : 30). Au niveau de l’organisation, ce processus peut se faire
par réplication, laquelle est favorisée par la mémoire organisationnelle et
toutes les procédures en place. Au niveau de la population, la diffusion se
fait par imitation, et plus généralement par institutionnalisation des pra-
tiques (DiMaggio et Powell, 1983).
Enfin, la lutte pour les ressources rares s’observe elle aussi aux différents
niveaux d’analyse. Elle concerne toutes les ressources disponibles en quan-
tité limitée, comme les capitaux, les clients, ou la légitimité.
Il est important de noter que ces quatre processus ne se produisent pas
de manière séquentielle, mais plutôt simultanée, étant reliés entre eux par
des boucles de rétro-action. Certes, la variation produit la matière qui sera
sélectionnée, et les processus de rétention permettent la préservation des
variations sélectionnées positivement. Mais on doit également constater
des effets de rétro-action dans la mesure où les processus de rétention
limitent les variations possibles, et la lutte pour les ressources rares peut
changer les critères de sélection (Aldrich, 1999 : 33).
Howard E. Aldrich 89

2.2. Aldrich et l’évolutionnisme


Aldrich s’est intéressé très tôt à l’évolutionnisme, comme le montrent
les références à Campbell ou Hawley dans son livre de 1979. Mais à
l’époque, ça n’est pour lui qu’un support à l’écologie. Ainsi, toutes les
entrées d’index pour le terme « évolution » dans son ouvrage Organizations
and Environments amènent au chapitre présentant le modèle de l’écologie
des populations.
Le glissement vers l’évolutionnisme s’est fait progressivement, peut-être
parce que l’étroitesse du cadre d’analyse proposé par l’écologie au sens
strict se révélait frustrante pour certaines problématiques (comme l’émer-
gence d’industries par exemple).
Passer à l’évolutionnisme pose la question, on l’a vu, de l’unité qui va
faire l’objet de la sélection. Si on admet que c’est la routine ou la compé-
tence, et non plus l’organisation, il faut établir une classification des
formes organisationnelles, ce qui permet par ailleurs de trouver une ana-
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logie à l’espèce en biologie. McKelvey et Aldrich (1983), en se basant sur
des travaux de McKelvey (1982) ont ainsi proposé de définir une espèce
organisationnelle comme un groupe dont chaque membre possède des
propriétés p d’un ensemble P, dont chaque propriété p de P est possédée
par plusieurs membres, et dont aucune propriété p de P n’est possédée par
tous les membres.
La perspective évolutionniste permet plus facilement que l’écologie des
populations de prendre en compte les interactions entre différents niveaux
d’analyse. Les processus évolutionnistes sont applicables à tous les niveaux,
et Aldrich a su utiliser cette possibilité en éclairant les observations effec-
tuées à un niveau par des résultats obtenus à un autre niveau, et vice-versa.
Par exemple, Aldrich et Auster (1986) commencent par observer l’exis-
tence de handicaps d’âge et de taille dans les organisations, puis discutent
les implications stratégiques de ces handicaps, tant au niveau de l’organi-
sation qu’au niveau de la population.
Un autre avantage de l’évolutionnisme sur l’écologie est de permettre
une meilleure intégration de différentes perspectives, tirant ainsi parti de
la multiplicité des approches observées dans la théorie des organisations
(Aldrich, 1999 : Ch. 3). On peut ainsi concevoir l’évolutionnisme comme
un cadre intégrateur général (Aldrich et al., 2008) à l’intérieur duquel
différentes théories vont pouvoir être mobilisées pour expliquer des chan-
gements organisationnels particuliers, à différents niveaux d’analyse. Le
tableau 1 résume les contributions de six perspectives à l’évolutionnisme.
90 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Tableau 1. Contributions de six perspectives à l’évolutionnisme


Perspective Implications pour comprendre l’évolution des organisations
Écologie Met l’accent sur la volatilité à long terme au niveau de la population :
des populations créations et disparitions
(e.g., Hannan et Se focalise sur les généralisations empiriques par recours à des
Freeman, 1977) recherches cumulatives et des tests d’hypothèses
Institutionnalisme Met l’accent sur la nature socialement construite des organisations et
(e.g., DiMaggio et populations
Powell, 1983) Permet de lier des événements à différents niveaux d’analyse
Interprétativisme Laisse place au hasard et à la créativité dans les organisations en se
(e.g., Weick, 1995) focalisant sur les processus de création de sens
Considère les individus comme des agents actifs déterminant leur
destinée
Met l’accent sur l’observation directe de la vie en société sur le terrain
Apprentissage orga- Construit des modèles explicites de la manière dont les individus
nisationnel peuvent exercer une influence sur leur destinée
(e.g., Argyris et Permet de lier différents niveaux d’analyse
Schön, 1978) Basé implicitement sur le modèle variation-sélection-rétention
Dépendance des Met l’accent sur les stratégies utilisées par les organisations pour
ressources changer leur environnement
(e.g., Pfeffer et Permet de lier différents niveaux d’analyse
Salancik, 1978)
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Coûts Pousse à l’explicitation des hypothèses sous-jacentes et propositions
de transaction Met l’accent sur l’examen des coûts et bénéfices d’arrangements
(e.g., Williamson, organisationnels alternatifs
1998)

Source : d’après Aldrich, 1999 : 73.

2.3. Mise en perspective de l’évolutionnisme


La critique du déterminisme est tout aussi fréquente pour l’évolution-
nisme que pour l’écologie des populations, et elle est tout aussi infondée,
largement pour les mêmes raisons. Aldrich va par exemple plus loin que
certains tenants du choix stratégique en montrant comment des entre-
prises, même petites, peuvent intervenir sur les pressions environnemen-
tales dès lors qu’elles agissent collectivement (Staber et Aldrich, 1983).
Un des points les plus mal compris de l’évolution est qu’elle ne conduit
pas nécessairement à une amélioration. Le processus n’est pas « historique-
ment efficient » et le progrès n’a rien d’évident (ceci s’applique également
à la biologie comme le montre Gould [1996 : Part 4]). Aussi, les organi-
sations que l’on observe à un moment donné ne sont donc pas forcément
celles qui sont les plus en adéquation avec l’environnement. Comme le fait
remarquer Aldrich (1999 : 33), l’indétermination des résultats est un
point-clé. On observe des organisations, mais celles-ci ne sont que le résul-
Howard E. Aldrich 91

tat d’un processus de tentatives de résolution de problèmes qui a pu


connaître des milliers d’essais-erreurs.
On peut revenir sur un point intéressant : celui de l’unité sélectionnée.
Au niveau intra-organisationnel, ce sont les routines et compétences qui
sont sélectionnées, au niveau organisationnel, ce sont les organisations, et
au niveau inter-organisationnel, ce peut être les populations ou les com-
munautés. Pourtant, comme le fait remarquer Aldrich (1999 : 39), les
routines et compétences peuvent survivre indépendamment de leurs orga-
nisations quand, par exemple, les anciens membres d’une organisation
dissoute mettent des compétences en œuvre dans d’autres organisations. Il
conviendrait donc de prendre en compte la contribution des routines à
l’adéquation avec l’environnement, les organisations n’en étant en quelque
sorte que le réceptacle. L’accent mis sur les routines plutôt que sur les
organisations comme unités sélectionnées est ce qui différencie les
approches évolutionnistes à la Nelson et Winter (1982) de l’écologie des
populations à la Hannan et Freeman (1977)8.
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3. L’ENTREPRENEURIAT
Le moteur de l’évolution repose sur la présence de variations : en leur
absence, aucun changement ne se produirait. Pourtant, ces variations
n’ont que peu été étudiées, essentiellement pour des raisons de difficulté
d’accès aux données. Même si les écologistes étudient les industries depuis
leur naissance, la masse des projets ayant échoué avant même leur lance-
ment leur échappe. Une meilleure compréhension de la variation impose
donc de remonter en amont, ce qui conduit à se pencher sur les travaux
en entrepreneuriat.

3.1. Présentation de l’entrepreneuriat


L’entrepreneuriat consiste à lancer de nouvelles entreprises ou à en
revitaliser des existantes afin de saisir les opportunités perçues dans l’envi-
ronnement. Shane (2003) indique que le champ peut être scindé en deux
groupes. Le premier, fidèle à la tradition de l’Unternehmergeist de
8. Une autre distinction entre les deux est proposée par Meyer (1990) : l’écologie étudie principalement
les petites organisations, car elle prend en compte toute la population (et non pas un échantillon) et que
les petites organisations sont de très loin les plus nombreuses. Mais les évolutionnistes expliquent que ces
petites organisations n’ont pas grossi car elles n’ont pas été sélectionnées par l’environnement. Donc,
suivant la formule de Meyer (1990), dans une perspective évolutionniste, l’écologie des populations est
la science des organisations déficientes !
92 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Schumpeter, s’est focalisé sur la personne de l’entrepreneur. Tout le monde


ne se lance pas dans la création d’une entreprise. L’idée est donc de com-
prendre ses traits de personnalité, sa manière d’appréhender les risques, sa
façon de monter ses projets ou encore d’activer des réseaux d’entraide. Le
second s’est penché sur le contexte de l’entrepreneuriat, c’est-à-dire sur les
conditions rencontrées par les entrepreneurs. Dans ce courant, les cher-
cheurs ont étudié l’impact de l’environnement économique sur la création
d’entreprises, le rôle des ruptures technologiques, de la dynamique des
industries, etc. Chacun des deux camps ignorait largement l’autre, mais
n’observait qu’une face de la même pièce. Parmi les tentatives les plus
intéressantes de synthèse, l’ouvrage de Shane (2003) mérite sans conteste
que l’on s’y arrête. Son idée est de développer un cadre intégrateur synthé-
tisant l’ensemble des travaux sur les petites entreprises, et permettant donc
de réconcilier les deux perspectives citées plus haut. Il part de l’idée que
les opportunités existent dans l’environnement, mais que leur existence
n’implique pas qu’elles soient perceptibles par tout un chacun.
L’entrepreneuriat dépend dès lors de l’interaction entre les caractéristiques
des opportunités et celles des individus cherchant à en tirer profit.
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3.2. Aldrich et l’entrepreneuriat
Les principales contributions à l’entrepreneuriat d’Howard Aldrich,
honoré d’un Global Award for Entrepreneurship Research en 2000,
peuvent être regroupées en trois ensembles. Le premier s’inscrit dans la
droite ligne des travaux sur l’écologie et l’évolution, le deuxième porte sur
les réseaux et le troisième sur les questions d’ethnicité et de genre. La place
manquant pour tous les développer, je renvoie sur les articles d’origine9 ou
sur la synthèse de Landström (2000). Je ne parlerai ici que du premier
groupe, pour lequel la filiation avec l’évolution est encore plus évidente.
Dans une série d’articles abondamment cités, Aldrich et ses collègues
se concentrent sur une approche macro de la création d’entreprise et
observent donc des taux de création et de disparition au niveau de la
population d’entreprises. Ainsi, Aldrich et Auster (1986) montrent qu’en
plus des handicaps liés à l’âge (liability of aging, liability of newness) bien
connus des écologistes, les entreprises nouvellement créées doivent faire
face à un handicap lié à leur petite taille (liability of smallness). Ce handi-
cap les gêne pour récolter des fonds ou recruter du personnel, et se concré-
tise en des coûts supplémentaires pouvant entraîner la disparition de
l’entreprise. Aldrich et Wiedenmayer (1993) continuent dans cette voix
9. Sur les réseaux, voir par exemple Martinez et Aldrich (2011) ; sur le genre, voir par exemple Yang et
Aldrich (2014).
Howard E. Aldrich 93

évolutionniste en étudiant les déterminants du taux de création d’entre-


prises. Ils montrent que ces déterminants existent à plusieurs niveaux : la
population (densité, créations et disparitions passées, etc.), la commu-
nauté et l’environnement plus large avec sa capacité de portage. Dans un
autre article célèbre, Aldrich et Fiol (1994) ont analysé le manque de
légitimité cognitive et sociopolitique des entreprises se lançant dans de
nouvelles industries. Ils indiquent que les entrepreneurs doivent relever
des exigences renouvelées dans un contexte enchâssé : confiance au sein de
l’entreprise, fiabilité dans l’industrie, réputation dans la communauté et
légitimité au niveau institutionnel. Récemment, Aldrich s’est intéressé à
l’émergence d’une orientation entrepreneuriale collective (Lippmann et
Aldrich, 2016).

3.3. Mise en perspective de l’entrepreneuriat


N’étant pas un spécialiste de l’entrepreneuriat, je suis mal placé pour
critiquer les recherches qui y sont menées. Il me semble toutefois que le
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domaine fait face à deux problèmes récurrents. Le premier, d’ordre théo-
rique, tient en une absence de consensus sur les limites du champ. Le
simple fait que la question fasse l’objet de débats année après année dans
les revues d’entrepreneuriat révèle bien l’ampleur du problème et le
malaise qu’il provoque au sein de la communauté des chercheurs. En bref,
l’entrepreneuriat a du mal à dépasser le stade d’une collection de résultats,
certes impressionnante, mais manquant d’unité. Pour reprendre la méta-
phore de Koppl et Minniti (2003), on a de plus en plus de pièces du
puzzle, mais on ne sait toujours pas à quoi ressemble l’image. Le deuxième
problème est d’ordre méthodologique et est pour l’heure insoluble. Toute
recherche empirique en entrepreneuriat est confrontée à un problème de
biais de sélection : on ne peut étudier que les entreprises qui existent. On
manque donc d’une base de données qui recenserait les projets avortés,
idées abandonnées, rêves non réalisés. Les résultats sont en conséquence
systématiquement biaisés dans le même sens…

Conclusion
En recevant le Distinguished Scholarly Career Award lors de la confé-
rence d’Academy of Management en Août 2000, Howard Aldrich a pro-
noncé un discours développant le type de recherches qu’il appelle de ses
vœux10. Tout d’abord, nos théories ont quasiment toutes pour base empi-
10. Ce discours a été reproduit : voir Aldrich (2001).
94 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

rique une fraction infime des organisations : les grandes entreprises cotées.
Ceci implique une ignorance de la manière dont elles ont grandi et sur-
vécu aux périodes qui ont été fatales à leurs concurrents d’alors. Il convient
d’avoir une vision plus représentative et donc d’élargir la base empirique.
De plus, beaucoup de recherches restent statiques, cross-sectionnelles. Il
serait préférable d’adopter un design longitudinal, mais cela ne suffit pas.
Un design évolutionniste doit de plus suivre le cours du temps, depuis les
événements jusqu’à leurs résultats. Par contraste, beaucoup de designs
remontent le cours du temps pour chercher les causes des résultats obser-
vés. Ceci impose d’avoir recours à des méthodes de type ethnographique,
par exemple. Troisièmement, le temps doit être explicitement indiqué
dans les modèles, de manière à éviter une vision basée sur l’équilibre, dans
laquelle le changement ne peut se produire. Enfin, il faut reconnaître que
toute généralisation empirique se fait sur le passé. Ce qui différencie
l’approche évolutionniste est la volonté de bâtir des modèles axés vers le
futur (Aldrich, 2001).
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VII. FREDERICK E. EMERY ET ERIC L. TRIST – DES SYSTÈMES SOCIO-
TECHNIQUES À L’ÉCOLOGIE SOCIALE DES ORGANISATIONS

Jérôme Ibert
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 97 à 112


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-97.htm
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VII
Frederick E. Emery
et Eric L. Trist
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Des systèmes socio-techniques
à l’écologie sociale
des organisations
Jérôme Ibert
98 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Emery et Trist ont été parmi les principaux fondateurs de l’Institut


Tavistock des relations humaines de Londres, créé en 1946, qui réunit des
psychologues et des sociologues menant des travaux de recherche, notam-
ment sur les problèmes du travail dans les organisations. Ils ont également
participé à la création de la revue Human Relation.
Les travaux d’Emery et Trist ont été orientés sur l’application de la
théorie systémique à la situation des entreprises. Cette démarche est restée
constante tout au long de leurs parcours de chercheurs et s’est traduite par
la rédaction commune de plusieurs ouvrages et articles mais aussi par des
travaux plus individuels. Ils ont été les principaux promoteurs de la théo-
rie socio-technique qui considère l’organisation comme un système
ouvert, en continuel échange avec l’extérieur, composé d’un sous-système
techno-économique et d’un sous-système social, qu’il est nécessaire d’opti-
miser de façon conjointe. Ils ont alors orienté leur réflexion sur l’analyse
de la structure de l’environnement et des relations qu’entretiennent les
différents éléments qui le composent puis sur les modalités de sa régula-
tion.1
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Notices biographiques1
Eric Trist (1909-1993) fit des études universitaires en psychologie à l’Université de
Cambridge et entreprit des études doctorales à Yale qu’il ne put finir pour obtenir son
Ph.D. De retour en Grande-Bretagne, il participa à des programmes de recherche en
psychologie sociale. Il rejoignit, pendant la Seconde Guerre mondiale, le Tavistock
Clinic, avec lequel il travailla au sein de l’armée comme psycho-analyste dans des
activités de recrutement de cadres puis de thérapie de prisonniers britanniques rapatriés
des camps allemands et japonais. Après la guerre, il participa à la création du Tavistock
Institute. Son expérience le conduisit à des recherches sur les dynamiques de groupe
dans l’organisation du travail. La publication des résultats de ses travaux dans Human
Relation lui valu une certaine notoriété aux États Unis, où il fut convié en tant
qu’enseignant-chercheur.
Trist a été membre associé au Centre d’Études Avancées dans les Sciences du
Comportement de Palo Alto (1960-1961). Professeur de comportement des organisa-
tions et d’écologie sociale à l’Université de Californie de Los Angeles (1963), il a rejoint
ensuite, en 1966, la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie comme professeur
émérite du département des Sciences des Systèmes Sociaux. Il a enseigné, à partir de
1978 et jusqu’en 1985, à la Faculté des Études Environnementales de l’Université de
York en Ontario. Il a terminé sa carrière d’enseignant comme professeur invité au
Département de management de l’Université du Minnesota. Il a été distingué pour son
œuvre par le Fellow of International Academy of Management en 1978 et par le grade de
Doctor of Laws Honoris Causa de l’Université de York en 1983.

1. Je tiens à remercier Richard Trahair, biographe d’Emery et de Trist pour la précieuse aide qu’il m’a
apportée à la collation de ces éléments biographiques.
Frederick E. Emery et Eric L. Trist 99

Frederick Emery (1925-1997) commenca sa carrière d’enseignant-chercheur en psy-


cho-sociologie, en 1947, dans le Département de Psychologie de l’Université
Occidentale d’Australie à Perth puis enseigna au Département de Psychologie de
l’Université de Melbourne. Après sa rencontre avec Trist qui marqua un tournant dans
leurs carrières respectives, il contribua à partir de 1951 au développement des études
du Tavistock Institute. Il y apporta une contribution conceptuelle essentielle en matière
d’analyse systémique (Trist, 1993 ; Trahair, 1997). Il soutint son Ph.D. à l’Université
de Melbourne en 1953. Il rejoignit à nouveau le Tavistock Institute à partir de 1958,
pour mener ses recherches en Grande-Bretagne et en Norvège. En 1969, il retourna
enseigner à l’École de recherche en Science Sociale de l’Université Nationale d’Australie
de Canberra. En dehors de quelques brèves périodes à la Wharton School, il mena le
reste de sa carrière en Australie. Avec son épouse Merrelyn, il développa une approche
systémique de recherche d’idéal : la « conférence de recherche » (search conference),
dispositif de macro-régulation socio-écologique et prospective mobilisant les parties
prenantes d’un domaine interorganisationnel, fondé sur la rationalisation des conflits
entre participants par l’alternance de plusieurs niveaux de dynamique de groupe
(Emery et Emery, 1978 ; Emery, 1999). Enseignant-chercheur au talent éclectique, il
n’a obtenu que tardivement une reconnaissance académique avec le grade de Doctor
Honoris Causa de l’Université Macquarie de Sydney en 1992.
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1. LES SYSTÈMES SOCIO-TECHNIQUES
Emery et Trist ont situé leurs travaux en filiation avec l’analyse systé-
mique. Selon eux, penser en termes de système permettait de comprendre la
nature des relations d’interdépendance engendrées par les phénomènes orga-
nisés.
La construction de la théorie des systèmes est venue du développement
de l’analyse des processus internes dans les organismes vivants et les organi-
sations : le problème était de voir comment les parties étaient liées à l’en-
semble. Les premiers pas de la théorie des systèmes s’inscrivaient dans une
représentation par des modèles de systèmes fermés. Quand il a fallu relier ces
ensembles organisés à leurs environnements, la représentation s’est orientée
sur les modèles de systèmes ouverts, grâce notamment à l’apport de la cyber-
nétique et de la théorie de l’information, qui ont permis d’élargir le champ
des systèmes fermés et de progresser dans la formulation des systèmes ouverts
(Bertalanffy, 1950). L’entité vivante survit en important certains matériaux
de son milieu externe, en les transformant d’après les caractéristiques de son
système propre et en exportant en échange d’autres matériaux vers le milieu.
La propriété des systèmes ouverts est de se réorganiser spontanément pour
parvenir à un « état stable » qui leur permet néanmoins de continuer à tra-
vailler, contrairement aux systèmes mécaniques fermés pour lesquels l’at-
teinte de l’état stable entraîne un arrêt de toute activité.
100 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

1.1. La distinction entre le sous-système


technique et le sous-système social
Selon Emery et Trist, les entreprises offrent cette propriété inhérente
aux systèmes ouverts car « elles croissent par un processus d’élaboration
interne » et « parviennent à un équilibre quasi stationnaire », tout en
maintenant des échanges avec un environnement externe soumis à une
grande variété de changement. « La continuité d’une entreprise suppose
un commerce régulier de produits ou des services avec les autres entre-
prises, institutions, personnes de son environnement social externe »
(Emery et Trist, 1960 : 85). Cette continuité dépend à la fois de condi-
tions internes et de conditions externes. Les conditions internes étant
l’utilisation efficace du support matériel (emplacement, matières pre-
mières, outils et machines) et l’organisation rationnelle des actions des
agents humains, Emery et Trist ont proposé de décomposer l’entreprise en
deux sous-systèmes : le sous-système technique et le sous-système social.
Quant aux conditions externes, elles résident dans la tolérance de l’entre-
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prise aux changements extérieurs indépendants, en particulier les modifi-
cations des marchés des produits et des moyens de production (main-
d’œuvre, matières premières et technologie) qui affectent la régularité de
ses échanges avec l’environnement. Pour Emery et Trist, le « composant
technologique » permet le maintien de l’état stable, sans changement
structurel, du système qu’est l’entreprise. Celle-ci peut tolérer la variation
du marché des produits par la mise en valeur d’une compétence distinctive
mais aussi par la souplesse de l’appareil de production technique, c’est-à-
dire « sa capacité de modifier son rythme, son produit final ou l’éventail
de ses produits » (ibid. : 85). Le composant technologique permet égale-
ment une tolérance à la variation du marché des moyens de production
car il est manipulable. « Il n’y a pas de relation simple et directe entre
moyens de production et production. Suivant le système technologique,
des productions similaires peuvent résulter de combinaisons différentes de
moyens de production et différents éventails de produits peuvent résulter
de moyens de production similaires. L’entreprise tendra, autant que faire
se peut, à cela plutôt qu’à opérer des changements structurels de son orga-
nisation » (ibid. : 86). Les auteurs en ont conclu que l’entreprise possédait
donc cette propriété des systèmes ouverts, d’être sélective et, dans une
certaine mesure, autorégulatrice.
Frederick E. Emery et Eric L. Trist 101

1.2. La mise en exergue du rôle du sous-système


technique
Pour Emery et Trist, c’est « le composant technologique (qui) déter-
mine la capacité d’autorégulation d’une entreprise » (ibid. : 86). C’est une
« condition limitative » intermédiaire, constante des systèmes ouverts,
déterminante du système social de l’entreprise, qui constitue un « environ-
nement de l’intérieur ». En d’autres termes, c’est un véritable sous-système
qui a un rôle d’intermédiaire entre le sous-système social et l’environne-
ment. Il est donc nécessaire d’envisager les relations d’interdépendance
entre le sous-système technique et l’environnement mais également entre
les sous-systèmes technique et social.
L’approche d’Emery et Trist se démarque explicitement de l’école des
relations humaines dans le traitement du composant technologique. Le
composant technologique ne joue pas un « rôle passif et intermittent » et
ne peut être envisagé « selon un aspect arbitrairement choisi ». « Il a été à
la mode, en particulier dans l’école des “relations humaines”, de considérer
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que le travail, sa technologie et ses exigences mécaniques et physiques sont
relativement peu importants par rapport à la situation sociale et psycholo-
gique de l’homme au travail. Même quand on a fait une étude détaillée de
la technologie, on ne l’a pas reliée directement au système social, mais on
l’a traitée comme une information d’arrière-plan. » (ibid. : 87)
Selon Emery et Trist, le composant technologique ne peut être consi-
déré « simplement comme un ensemble de limites qui ont une influence
au premier stade de construction d’une entreprise et, ensuite, seulement
lorsque ces limites sont dépassées ». « Il y a au contraire une accommoda-
tion presque constante aux tensions résultant des changements de l’envi-
ronnement externe. Le composant technologique non seulement établit
les limites dans lesquelles on peut agir, mais aussi par le processus d’ac-
commodation, suscite des besoins qui doivent être pris en compte par
l’organisation interne et les fins de l’entreprise. » (ibid. : 87) « L’efficacité
du système de production pris dans son ensemble dépendra de la manière
dont le système social » répondra aux « conditions limitatives » induites
par le système technologique. D’où l’idée d’optimisation, avancée par
Emery et Trist, car il y a différentes réponses possibles mais avec des diffé-
rences d’efficacité.
102 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

1.3. Une démonstration fondée sur une


démarche d’expérimentation
Trist a construit le concept d’intégration sociale et technique du travail,
après avoir analysé avec l’aide de Bamforth, un ancien mineur, les trans-
formations du travail d’abattage du charbon dans les mines de grande
profondeur à Haighmoor dans le South Yorkshire en Grande-Bretagne
(Trist et Bamforth, 1951). Le passage de l’abattage à la main à l’abattage
mécanisé entraîna une modification de l’organisation du travail. De
l’équipe artisanale, investie d’une tâche complète et autonome, caractéri-
sée par une certaine cohésion sociale et une relative égalité de statut entre
les membres, on passa à une division du travail en trois équipes se succé-
dant schématiquement pour assurer trois tâches successives : creuser,
étayer et ramasser. La mécanisation introduisit une diversification des
qualifications, des modes de rétribution et des types d’organisation du
travail. Les groupes ainsi créés se trouvèrent à la fois en relation de dépen-
dance mutuelle et de rivalité. La mécanisation entraîna une dégradation
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des relations sociales entre les hommes. Trist en conçut que l’organisation
du groupe de travail n’était pas fondée sur la technologie, ni sur les com-
portements individuels, mais de manière indissociable sur les deux à la
fois. L’organisation du travail est donc un système socio-technique dans
lequel les contraintes techniques et sociales sont en interaction.
Trist expérimenta alors une réorganisation de l’abattage mécanisé par
autorégulation. Les hommes furent libres de composer les trois équipes et
de répartir le travail de chacun au sein des équipes. L’expérience permit de
comparer deux formes différentes d’organisation du travail d’abattage
mécanisé du charbon, sur le même gisement et avec la même technologie
(Trist et al., 1963). La première forme, mise en place à la suite de l’intro-
duction de la mécanisation, était qualifiée de « système conventionnel ».
Elle reposait donc sur une division complexe et poussée du travail, où le
mineur était concerné uniquement par une partie simple de la tâche et où
il n’était partie prenante que d’un nombre très limité de relations sociales
invariables. La seconde forme, issue d’une réorganisation par autorégula-
tion expérimentée par Trist, était qualifiée de « système composite ». Il
mettait le mineur aux prises avec la globalité des tâches, ce qui le condui-
sait à agir en coopération avec différents membres du groupe pris dans son
ensemble. Les résultats obtenus montrèrent clairement la supériorité du
système composite en termes de production et de coût : meilleure produc-
tivité, moins de tâches non productives, moins de nécessité d’un renforce-
ment de la main-d’œuvre et plus de semaines consécutives sans perte de
rythme. La démonstration était faite que pour une technologie donnée, les
Frederick E. Emery et Eric L. Trist 103

modalités d’organisation du travail sont diverses. Elle doit néanmoins être


remise dans son contexte : les conditions du travail souterrain changeaient
constamment et les séquences de travail déjà complexes devaient être
modifiées fréquemment en ce qui concerne leur importance respective et
même leur ordre. Une organisation du travail fondée sur une division
rigide des tâches était donc inadaptée à des tâches variables. La seule jus-
tification d’une division rigide du travail réside dans une technologie
nécessitant des compétences spécialisées et non substituables, compensant
les pertes imputables à la rigidité du système. Dans le cas de l’abattage
mécanisé du charbon, une division rigide du travail était incapable de
répondre au changement fréquent des conditions d’activité, autrement
qu’en augmentant la tension des membres du groupe.

1.4. La supériorité des groupes semi-autonomes


de travail
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Emery et Trist (1960) ont postulé que la supériorité du « système com-
posite », issu de l’optimisation conjointe des sous-systèmes technique et
social, se situait également dans le fait qu’il répondait mieux aux aspira-
tions des mineurs. De fait, les indices de tension, absentéisme et accidents
du travail, étaient beaucoup plus élevés dans le « système conventionnel ».
Alors que dans ce « système conventionnel », les relations de soutien entre
groupes de mineurs étaient exceptionnelles, elles devenaient la règle dans
le « système composite ». En conséquence, le fait de priver le mineur du
soutien des membres des autres groupes de mineurs dans le contexte d’une
tâche à la fois cruciale et pénible, risquait d’aggraver les situations difficiles
par des conflits interpersonnels.
Les primes furent attribuées aux équipes, selon le principe d’autorégu-
lation, et non plus selon une qualification prédéterminée. Dans le « sys-
tème conventionnel », la distribution de récompense et de promotion
n’était pas liée à l’effort demandé mais établie également en fonction du
pouvoir de négociation des différents rôles et groupes de tâches. Il se pro-
duisait donc un hiatus entre l’effort demandé et la récompense obtenue.
En conséquence, toute demande d’effort supplémentaire pouvait engen-
drer une tension supplémentaire car elle n’était pas perçue comme juste-
ment rétribuée.
En faisant référence aux résultats concordants obtenus dans le contexte
totalement différent des études expérimentales menées par un autre cher-
cheur de l’Institut Tavistock dans des usines textiles d’Ahmedabad en Inde
(Rice, 1958), Emery et Trist (1960) ont précisé les conditions d’applica-
104 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

tion et les limites du principe d’autonomie selon lequel le choix d’un type
d’organisation doit être laissé aux exécutants afin d’intégrer leurs besoins
sociaux et psychologiques. Pour eux, il ne s’agissait pas de maximiser
l’autonomie de groupe. Le niveau optimum de groupement, c’est-à-dire
de définition de la sphère d’autorégulation, ne pouvait être établi que par
l’analyse des conditions du système technologique. Les auteurs ont d’ail-
leurs jugé utile de préciser qu’il n’existait pas de relation simple entre le
niveau d’automation et le niveau de groupement. Se distanciant de l’école
des relations humaines, ils ont souligné que le principe des groupes semi-
autonomes n’avait pas pour vocation à satisfaire un besoin psychologique
d’amitié entre les hommes au travail. Ce sont les conditions d’accomplis-
sement et l’interdépendance des tâches qui conduisent à la coopération et
au lien de camaraderie. La performance des groupes semi-autonomes est
conditionnée par un dosage convenable des compétences spécialisées à
l’intérieur d’un groupe et par le développement d’un système de rôles
appropriés. L’analyse socio-technique permet de mieux définir les rôles de
l’encadrement. Ces rôles résident dans le besoin de contrôler et de coor-
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donner un système incomplet de relations hommes-tâches. Or la défini-
tion de groupements naturels de tâches permet de maximiser la responsa-
bilité autonome des groupes de travail en matière de contrôle et de coor-
dination interne, et donc de libérer partiellement l’encadrement de son
travail de régulation interne pour le rendre plus disponible pour un
contrôle et une coordination élargis à l’ensemble du système sous sa res-
ponsabilité. Il s’agit concrètement de rendre l’encadrement apte à détecter
les conditions-limites du système, à prendre les mesures appropriées,
lorsque ses conditions limites sont atteintes, et à mieux s’occuper des rela-
tions de l’entreprise avec son environnement. En vertu de la nature de
système ouvert de l’entreprise, l’enjeu qui se pose pour le management
d’une entreprise est bien de gérer à la fois un système interne et un envi-
ronnement externe.

2. DE LA TRAME CAUSALE DE L’ENVIRONNEMENT À SON


AMÉNAGEMENT
Partisan de l’introduction de l’analyse systémique pour donner une
portée régulatrice les sciences sociales, Trist (1970) s’est appuyé sur les
travaux d’Angyal (1941). L’interdépendance entre l’organisme et le milieu
est un processus de structuration qui repose sur deux courants de direc-
tions contraires, unis de façon inséparable au sein d’une dynamique glo-
bale, avec une détermination autonome, c’est-à-dire une domination de
Frederick E. Emery et Eric L. Trist 105

l’organisme, et une détermination hétéronome, c’est-à-dire une domina-


tion du milieu.
Le refus d’un déterminisme technologique quant à la conception du
système social de l’organisation se conjugue, chez Emery et Trist, à un
refus du déterminisme de l’environnement sur la firme. Les relations que
la firme entretient avec son environnement varient, selon eux, en fonc-
tion : des « efforts productifs de l’entreprise pour répondre aux exigences
de l’environnement », des « changements de l’environnement qui peuvent
être provoqués par l’entreprise » et des « changements indépendants de
l’environnement » (1960 : 96). L’attention portée à l’environnement ne
doit donc pas être exclusivement dévolue aux menaces qu’il peut receler
dans une perspective défensive. Pour atteindre un état stable, l’entreprise
peut initier des « stratégies agressives » visant à la transformation de l’envi-
ronnement.
Emery et Trist ont ensuite prolongé leur réflexion systémique sur la
quête par l’organisation d’un équilibre dynamique avec son environne-
ment (1965). Le problème crucial provient du fait que l’environnement
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est soumis à des changements dont le taux s’accélère et qu’il évolue vers
une complexité croissante. Pour analyser les processus d’échange qui s’ins-
taurent dans le milieu lui-même et déterminent les conditions de tous les
échanges, les auteurs mobilisent un concept issu de l’analyse sociologique :
« la trame causale de l’environnement » (Tolman et Brunswick, 1935).
Celle-ci rend compte des interdépendances dans le milieu, dues notam-
ment aux effets des réactions des organisations qui le composent. Elle peut
évoluer selon quatre étapes caractérisées par un accroissement des degrés
de complexité, d’interdépendance et d’incertitude.

2.1. Les étapes de complexité, d’interdépendance


et d’incertitude croissante de l’environnement
L’environnement constitutif de la première étape (type 1) est un environ-
nement stable et aléatoire. Il n’y a aucun lien entre les différents éléments
composant cet environnement et ces éléments sont distribués au hasard.
C’est le marché de l’économie classique : un système concurrentiel caracté-
risé par une concurrence pure et parfaite. Il est donc vain d’essayer de pré-
voir l’évolution future de l’environnement puisque la connaissance d’un
élément n’apporte aucune information sur les autres éléments. La réponse
de l’organisation aux variations de son milieu doit être purement tactique :
s’efforcer de faire mieux dans un cadre purement local, par un apprentissage
« essai et erreur », circonscrit à chaque catégorie particulière de variation du
106 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

milieu. Des petites organisations isolées peuvent donc « exister et s’adapter »


dans ce type d’environnement (1965 : 25).
L’environnement de la deuxième étape (type 2) est un environnement
toujours stable mais plus complexe et structuré. Les éléments qui le com-
posent ne sont plus distribués au hasard mais agglomérés par grappes. Ce
type d’environnement correspond au marché de concurrence imparfaite.
Compte tenu des relations probabilistes entre causes et effets des événe-
ments, la connaissance de certaines parties du milieu permet d’en interpré-
ter d’autres parties. L’organisation ne peut plus se contenter de répondre de
façon tactique aux variations quand elles se présentent. Elle est contrainte
d’élaborer des stratégies. Puisqu’il y a des éléments de cohésion et donc des
« positions potentiellement plus riches que d’autres », « l’objectif pertinent
est de déterminer la localisation optimale » (ibid. : 25). Ce type d’environ-
nement exige une concentration des ressources, l’obéissance au plan princi-
pal et l’établissement d’une compétence distinctive. Dans ces conditions les
organisations tendent à s’agrandir, à devenir hiérarchiques pour exercer « un
contrôle et une coordination centralisés » (ibid. : 25).
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L’environnement de la troisième étape (type 3) est un environnement
instable et réactif. Les éléments qui le composent sont en concurrence et
réagissent aux actions des uns et des autres, ce qui donne une dynamique.
Ce type d’environnement correspond au marché d’oligopole. « C’est un
milieu de type 2 où il existerait plusieurs organisations de même statut »
(ibid. : 25). Ces organisations partagent donc une même connaissance du
milieu et le savent. Cette « présence d’homologues (…) crée une imbrica-
tion des liens de causalité dans le milieu environnant. (…) Si la stratégie
consiste à déterminer l’objectif stratégique – où l’on souhaite être dans une
période future – et la tactique, à déterminer une action immédiate parmi
toutes celles possibles », il apparaît « un niveau intermédiaire de réponse
de l’organisation, celui d’opération » (ibid. : 25). Au-delà « d’une suite
ordonnée de choix », il y a l’impératif de choisir « les actions qui élimine-
ront les organisations rivales » (ibid. : 25). La notion d’opération, que les
auteurs ont empruntée à la théorie militaire, renvoie à la préparation à
l’avance « d’initiatives tactiques », à l’estimation de la réaction des organi-
sations rivales et à la prévision de contre-mesures. La souplesse nécessaire
encourage à la décentralisation pour répondre de façon rapide et adaptée
à la périphérie. Les objectifs ne doivent plus seulement être définis en
termes de localisation mais aussi en termes de mobilité potentielle, c’est-
à-dire de capacité à défier ou à faire face à la concurrence. Ce type d’envi-
ronnement peut conduire à des stratégies « d’absorption ou de parasi-
tisme ». La stabilité peut y être atteinte par « des arrangements entre
Frederick E. Emery et Eric L. Trist 107

concurrents, (…) entreprises, groupes d’intérêts ou encore gouverne-


ments » (ibid. : 26).

2.2. Vers l’environnement turbulent


Alors que les trois étapes précédentes n’étaient pour Emery et Trist que
le fruit de la conceptualisation d’un processus déjà identifié dans la litté-
rature, c’est, pour eux, la quatrième et dernière étape de l’évolution de la
« trame causale de l’environnement » (type 4) qui constituait une décou-
verte et représentait un véritable défi en termes de réponse organisation-
nelle. Cet environnement de type 4, Emery et Trist l’ont qualifié de
« champ de turbulence ». « À l’instar du type 3 et en opposition avec les
types statiques 1 et 2, l’environnement de type 4 est dynamique et en
mouvement. Mais à la différence du type 3, la dynamique du système ne
vient pas seulement des inter-réactions des organisations composantes
mais du champ lui-même » (ibid. : 26). En effet, si, comme dans le type
3, les actions issues de la croissance des organisations et de leur groupe-
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ment organisé, sont assez fortes et suffisamment prolongées « pour induire
dans le champ environnant des processus internes », il se produit égale-
ment un « approfondissement de la relation d’interdépendance » entre le
domaine économique et les autres domaines de la « réalité sociale ».
L’environnement des organisations économiques est alors constitué d’un
« réseau de législation et de régulations sociales ». De plus, la recherche et
le développement devenant l’outil concurrentiel essentiel, « le changement
est continuellement présent dans le champ environnant » (ibid. : 26).
Ces forces combinées accroissent brutalement le « domaine d’incerti-
tude pertinente » des organisations. Leurs actions conduisent à des déve-
loppements de plus en plus imprévisibles, qui transcendent la distance et
peuvent s’amplifier de façon inattendue en n’importe quel endroit. Face à
ce phénomène de turbulence, la stabilité de l’organisation ne peut être
atteinte de façon autonome et directe.

2.3. L’exigence d’une réponse


interorganisationnelle
Dans cette perspective, les auteurs ont suggéré une nouvelle forme de
réponse des organisations pour contrer la turbulence de l’environnement,
sous la forme d’une « matrice organisationnelle » destinée à instaurer une
coopération entre les organisations de différentes natures, interdépen-
108 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

dantes dans le milieu environnemental. Une telle matrice organisation-


nelle, fondée sur des rapports non nécessairement hiérarchiques entre
membres, sélectionnerait, d’après des critères de valeur, les caractéristiques
de ce qui pourrait être « inclus dans le domaine spécifié » et établirait un
cadre d’actions pour stabiliser l’environnement ou le rendre réactif.
L’objectif stratégique serait alors « l’institutionnalisation », condition pré-
alable à la stabilité, qui affecterait la politique de l’organisation, la
contraindrait à sélectionner des moyens d’atteindre ses objectifs qui
offrent le maximum de convergence avec les intérêts des autres parties.
Une limite à ce raisonnement est mentionnée : l’écart entre la lenteur du
processus social d’établissement de nouvelles valeurs et la rapidité d’appa-
rition des contextes de turbulence.

2.4. Une écologie sociale des organisations


Maintenant un refus systémique du déterminisme de l’environnement
sur la firme, Emery et Trist (1973) se sont faits les défenseurs d’une « éco-
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logie sociale », par laquelle les organisations pourraient, par un effort
collectif de système de support mutuel d’arrangements communautaires
pro-actif, construire et contrôler un environnement social et se protéger,
au moins partiellement, des caprices d’un l’environnement naturel exo-
gène. Dans la mesure où des relations de coopération offrent une plus
grande capacité à gérer l’interdépendance que des relations de compéti-
tion, il s’agit de substituer à un ordre fondé sur la lutte pour la domina-
tion, un ordre négocié fondé sur l’accommodation mutuelle des intérêts
légitimes de toutes les parties (Trist, 1977). Dans cette perspective, Trist
(1983) a préconisé la création d’entités organisationnelles intermédiaires
spécifiques pour réguler certains domaines interorganisationnels, c’est-à-
dire coordonner les besoins, les stratégies et les comportements de leurs
meneurs d’enjeux pour y instaurer une dynamique globalement béné-
fique. Cette « entité intermédiaire »2 est une structure sociale d’aménage-
ment du cadre de vie ou de survie des organisations d’un domaine.
Conçue à un niveau intermédiaire entre « la fragmentation sociale », qui
caractérise la rencontre d’intérêts individuels conflictuels, et le recours à
des modalités d’interventions centralisées et hiérarchiques, susceptibles
d’enliser toute initiative dans une dérive bureaucratique, voire totalitaire,
« l’entité intermédiaire » doit produire un leadership et une certaine cen-
tralité pour être efficace. Elle n’a cependant pas pour vocation à se substi-
tuer aux parties prenantes, qui doivent conserver des prérogatives, mais à
2. Trist utilise le vocable « referent organization », en s’inspirant de la notion de groupes de référence.
Nous reprenons ici la traduction de Joffre et Kœnig (1987).
Frederick E. Emery et Eric L. Trist 109

réguler leur activité, ce qui implique leur consentement à un partage de


leur pouvoir discrétionnaire. Alternative à la légalité bureaucratique et à la
mentalité de compétition (i.e. jeu à somme nulle) qui « barrent la voie à
une confrontation adaptative à la turbulence » (ibid. : 279), l’entité inter-
médiaire doit remplir, trois grandes fonctions : régulation (règles, valeurs,
résolution de conflit), prospective (ajustement à un futur désirable) et
logistique (mobilisation de ressources » et partage d’informations.
Trist a cité en exemples « d’entité intermédiaire », le Comité des travail-
leurs et des dirigeants des entreprises de la région de Jamestow, chargé
d’enrayer son déclin économique et de relancer son développement indus-
triel, ainsi que le Comité « Sudbury 2001 », du nom de la ville de Sudbury,
au nord-est de l’Ontario, capitale mondiale de l’extraction du nickel.
Réunissant des dirigeants, des représentants syndicaux, des élus, des uni-
versitaires et autres détenteurs de ressources disséminés dans l’univers
sociétal de l’activité, le Comité « Sudbury 2001 » fut chargé de définir et
de promouvoir des alternatives à l’activité minière en déclin sur le nickel.
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3. LE BILAN D’UNE DÉMARCHE VOLONTARISTE
Les travaux d’Emery et Trist peuvent être affiliés au courant qui consi-
dère l’organisation comme un système ouvert (Katz et Kahn, 1966). Mais
en montrant, que contrairement au supposé impératif technologique, une
grande latitude existe en matière d’organisation du travail (1960), et en
conjuguant ce refus du déterminisme technologique à un refus du déter-
minisme de l’environnement sur l’organisation (1960, 1965, 1973),
Emery et Trist se sont inscrits dans un courant plus large qui « met (…)
en exergue le rôle pro-actif des managers dans le modelage des domaines
d’activités et des caractéristiques structurelles des organisations et plus
globalement dans la maîtrise de son destin » (Desreumaux, 1998 : 193).
Les principes d’organisation du travail qu’ils ont formulés s’opposent aux
principes tayloriens. Leur conception de la relation de la firme à l’environ-
nement, au travers de l’écologie sociale, contraste avec le courant de l’éco-
logie des populations. Leur démarche de recherche s’est en fait traduite par
une conception volontariste de l’organisation et de ses actions.
Certains aspects de leurs travaux ont fait l’objet de critiques. Dans leur
analyse d’une évolution de l’environnement selon quatre étapes (1965),
Emery et Trist ont fait l’hypothèse d’une relation en quelque sorte linéaire
entre interdépendance des composants, complexité et d’incertitude de
l’environnement. Leur raisonnement pourrait être inversé car les environ-
nements stables et aléatoires (type 1) pourraient ne pas être sans incerti-
110 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

tude tandis que les environnements envisagés comme instables et réactifs


(type 3) ne sont pas forcément incertains compte tenu de leur situation
oligopolistique (White, Crino et Kedia, 1984). En outre, la turbulence
pourrait comporter des degrés (Desreumaux, 1998 : 118)
Emery et Trist ont apporté une contribution majeure au renouvelle-
ment des problématiques en management. Leur préoccupation sur la
gestion de la turbulence a notamment inspiré le courant des stratégies
collectives (Astley et Fombrun, 1983). Qu’il s’agisse de créer une « matrice
organisationnelle » visant à « l’institutionnalisation » (Emery et Trist,
1965) ou de fonder une « organisation étendue » (Trist, 1983) pour gérer
les relations interorganisationnelles dépassant les frontières traditionnelles
de l’activité, le processus préconisé marque une évolution de la pensée
stratégique (Joffre et Kœnig, 1985). Ce processus implique des « actes au
travers desquels la société se pense et se transforme elle-même » (ibid. : 174).
En ce sens, la démarche d’Emery et Trist qui implique pour les acteurs
d’un domaine de transcender la complexité par un processus cognitif col-
lectif de transformation de leur représentation pour construire leur envi-
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ronnement, constitue une version volontariste et élargie du « processus
d’activation » (enactement) (Weick, 1969).
Enfin, l’écologie sociale qu’ils ont défendue, reste d’une cruciale perti-
nence, tant le système de compétition, légitimé quasi-unanimement par la
quête de l’efficience économique, corollaire supposé du bien-être collectif,
demeure inapte à prendre en compte les coûts externes, sociaux et envi-
ronnementaux. La question qui reste donc en suspens est de savoir quel
type d’environnement est susceptible de succéder à l’environnement tur-
bulent (type 4). Mc Cann et Selsky (1984) ont, à cet égard, postulé l’émer-
gence d’un environnement « partitionné » où les organisations seront
parvenues à créer des îlots de stabilité dans un milieu hyper turbulent.
Certains travaux d’Emery et Trist, et plus largement du Tavistock
Institute, ont été réédités sous l’impulsion de Trist, en trois volumes,
consacrés pour chacun à des perspectives complémentaires en science
sociale : la perspective socio-psychologique (Trist et Murray, 1990), la
perspective socio-technique (Trist et Murray, 1993) et la perspective socio-
écologique (Trist, Emery et Murray, 1997).

Travaux cités des auteurs


Emery, M., Emery, F. E. (1978), « Searching : For New Directions : In New
Ways… For New Times », in J. W. Sutherland (Ed.), Management Handbook
for Public Administration, New York : Van Nostrand.
Frederick E. Emery et Eric L. Trist 111

Emery, F. E., Trist, E. L. (1960), « Socio-Technical Systems, in C. W. Churchman


et M Verhulst », Management Sciences, Models and Techniques, vol. 2,
Elmsford, New York : Pergamon Press, p. 83-97.
Emery, F. E., Trist, E. L. (1965), « The Causal Texture of Organizational
Environments », Human Relations, vol. 18, n° 1, p. 21-32.
Emery, F. E., Trist, E. l. (1973), Toward a Social Ecology, New York : Plenum,
Rice, A. K., Trist, E. L. (1952), « Institutional and Sub-institutional Determinants
of Change in Labour Turnover (The Glacier Project – VIII) », Human
Relation, vol. 5, n° 4, p. 347-372.
Trist, E. L. (1976), « Toward a Postindustrial Culture », in R. Dubin (Ed.),
Handbook of Work, Organization and Society, Chicago : Rand McNally,
p. 1011-1033.
Trist, E. L. (1983), « Referent Organizations and the Development of Inter-
Organizational Domains », Human Relations, vol. 36, n° 3, p. 269-284.
Trist, E. L. (1993), « Guilty of Enthusiasm », in A. G. Bedeian (Ed.), Management
Laureates : A Collection of Autobiographical Essays, vol. 3, Greenwich,
Connecticut : JAI Press, p. 193-221.
Trist, E. L., Bamforth, K. W. (1951), « Some Social and Psychological
Consequences of the Longwall Method of Coal-getting », Human Relations,
vol. 4, n° 1, p. 43-77.
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Social Science : A Tavistock Anthology, vol. 7 : The Socio-Ecological Perspective,
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A Tavistock Anthology, vol. 2 : The Socio-Technical Perspective, Philadelphia,
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vol. 16, n° 1, p. 97-116.
VIII. PAUL ROGER LAWRENCE ET JAY WILLIAM LORSCH –
ENVIRONNEMENT, ORGANISATION, ADAPTATION : LA CONTINGENCE
STRUCTURELLE

Patricia Milano
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 113 à 128


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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VIII
Paul Roger Lawrence
et Jay William Lorsch
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Environnement, organisation,
adaptation : la contingence
structurelle
Patricia Milano
114 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Les parcours universitaires de Paul Roger Lawrence et Jay William


Lorsch se croisent dès le début des années soixante à la Harvard Business
School où ils obtiennent leur doctorat en management (1964). Les noms
de Lawrence et Lorsch deviennent très célèbres en théorie des organisa-
tions dès la fin des années soixante, à travers le succès de la publication
d’Organization and Environment (1967) qui restera la seule publication
écrite en commun par les auteurs.
Aujourd’hui encore, les parcours professionnels de Lawrence et Lorsch
restent étroitement liés car ils sont tout deux professeurs à la Harvard
Business School. Paul Roger Lawrence intervient en conduite organisa-
tionnelle, et Jay William Lorsch en relations humaines.

1. ÉMERGENCE D’UN NOUVEAU PARADIGME


EN DÉVELOPPEMENT ORGANISATIONNEL
Au début des années soixante, nombre de recherches en développement
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organisationnel se sont intéressées aux relations entre structure et perfor-
mance. Parmi ces travaux, l’ouvrage Organization and Environment
(Lawrence et Lorsch, 1967) constitue une référence majeure qui présente
les fondements d’un nouveau courant en théorie des organisations : la
théorie de la contingence structurelle. Cette théorie stipule qu’il n’existe
pas une forme organisationnelle unique assurant la performance à toutes
les entreprises mais que la structure optimale varie en accord avec certains
facteurs. Ainsi, la théorie de la contingence structurelle s’attache précisé-
ment à découvrir les facteurs de contingence, facteurs déterminants les
structures des entreprises.
Organization and Environment (Lawrence et Lorsch, 1967) ouvre alors
la voie à un nouveau paradigme en développement organisationnel. Dans
ce nouveau champ de recherche, la question de l’adaptation des structures
et styles de management aux caractéristiques spécifiques de l’environne-
ment prédomine. L’ouvrage met ainsi un terme à l’ère du one best way
(Brech, 1957), caractéristique de l’école classique du management dont les
travaux consacrés à la structure organisationnelle, jusqu’à la fin des années
cinquante, se préoccupaient de savoir, quel est le seul et unique meilleur
moyen de gérer et d’organiser l’entreprise.
Ce chapitre a pour premier objectif de présenter les travaux à l’origine
du courant de la contingence structurelle et d’en expliciter les principaux
concepts. Pour comprendre et exposer les éléments de la contingence
structurelle, notre propos se base, alors, uniquement sur l’ouvrage de
Paul Roger Lawrence et Jay William Lorsch 115

Lawrence et Lorsch (1967). Ce chapitre tente ensuite de souligner les


apports majeurs du courant dans son ensemble ; il en expose les princi-
paux fondements ainsi que les grandes limites. Pour conclure, le chapitre
propose une mise en perspective du courant de la contingence structurelle.

2. VERS UNE THÉORIE RELATIVISTE DES ORGANISATIONS

2.1. Les précurseurs


Les premières publications qui cherchent à mettre en lumière certains
déterminants de la structure de l’organisation sont anglo-saxonnes et
remontent à la fin des années cinquante. Ainsi, les travaux de Woodward
(1958, 1965) révèlent que la structure organisationnelle est directement
liée aux techniques de production utilisées. Les conclusions de recherche
de Woodward (1958) annoncent alors le début de la remise en question
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de la théorie classique et laissent déjà entrevoir les prémices de la théorie
de la contingence structurelle. « L’affirmation très largement admise, selon
laquelle il y a des principes de direction valables pour tous les types de
système de production, semble très douteuse – conclusion qui a de
grandes conséquences pour l’enseignement de cette question » (Woodward,
1958).
Dans la même lignée, les recherches menées par Burns et Stalker
(1961) soulignent l’existence d’une très grande variété de méthodes de
direction et de procédures qui les conduisent à classer les entreprises en
deux catégories, les mécanistes et les organiques. Ces travaux constituent
une des contributions les plus importantes à la théorie de la contingence
structurelle car ils offrent une synthèse de la théorie classique et de la
vision du courant des ressources humaines. Ils proposent en outre un
compromis entre les deux théories, en soulignant que les deux peuvent
s’avérer opportunes suivant le contexte organisationnel.
Un ensemble de chercheurs, connu sous le nom de groupe d’Aston (du
nom de l’Université du Royaume-Uni) a également évoqué le besoin
d’appréhender la structure organisationnelle (Pugh et al., 1963). Ils ont
développé un grand nombre de mesures quantitatives de différents aspects
de la structure organisationnelle et mis en évidence que la taille (nombre
d’employés) constituait le facteur qui explique le plus la structuration de
l’organisation : plus l’organisation est grande, plus elle est structurée (Pugh
et al., 1969).
116 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Outre ces références majeures issues du Royaume-Uni, le travail de


l’américain Chandler (1962) se situe également dans la lignée des précur-
seurs de la théorie de la contingence structurelle. Ses recherches soulignent
que la structure découle et résulte en même temps des décisions straté-
giques. Le choix de nouvelles stratégies provient du changement de l’envi-
ronnement qui apparaît comme un facteur-clé dans le choix de la struc-
ture appropriée.
Ces premiers travaux sur la relation structure / performance présentent
un caractère essentiellement empirique. Ils se distinguent fondamentale-
ment du travail de Lawrence et Lorsch (1967) qui est le premier à exposer
les fondements théoriques du courant de la contingence structurelle.
Comme nous l’avons souligné, la suite de notre développement (para-
graphes 2.2 et 2.3) se concentre précisément sur les principaux concepts
au cœur cette recherche fondatrice.

2.2. De la différenciation organisationnelle…


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Soulignant que la relation à l’environnement, en termes de structure,
ne doit pas être appréciée de façon globale, Lawrence et Lorsch (1967)
étudie l’impact du degré d’incertitude de l’environnement sur la structure
organisationnelle en distinguant trois types de facteurs : la connaissance
scientifique, le marché et les facteurs de nature technico-économique.
Il apparaît ainsi que chaque unité de l’entreprise entretient des relations
particulières avec une fraction de l’environnement, dont les caractéris-
tiques contribuent à déterminer son mode d’organisation. La diversité
organisationnelle induite par ces différences environnementales illustre un
concept central la différenciation.
Contrairement à Chandler (1962), le concept de structure organisa-
tionnelle envisagé par les auteurs va au-delà de la simple division formelle
du travail et des systèmes formels de coordination. Il comporte une
dimension informelle renvoyant aux normes de comportements et aux
attitudes des membres de l’organisation. La différenciation se définit alors
comme « les différences d’attitudes et de comportements et non unique-
ment le simple fait du fractionnement et de la spécialisation » au sein de
l’organisation (Lawrence et Lorsch, 1986 : 27).
Quatre dimensions spécifiques des différentes façons de penser et de
travailler des dirigeants dans les diverses unités fonctionnelles des organi-
sations sont identifiées. Elles fournissent, ainsi, un schéma simplifié des
modes de différenciation, c’est-à-dire : « les différences d’orientations
Paul Roger Lawrence et Jay William Lorsch 117

cognitives et affectives des cadres dans les différents départements fonc-


tionnels » (Lawrence et Lorsch, 1986 : 28). Ces différences entre unités
concernent d’une part, des différences d’orientations portant sur la nature
des objectifs, l’horizon temporel du travail, la nature des relations interin-
dividuelles et d’autre part, sur des différences en termes de structure.
La nature des objectifs est une dimension qui concerne les différences
d’orientations des dirigeants vis-à-vis d’objectifs particuliers. Chaque
unité fonctionnelle fait face à un aspect particulier de l’environnement
global et pour être efficace, les spécialistes doivent fixer leur attention sur
les objectifs et les buts liés directement à leur spécialité. Il s’agit alors de se
poser la question, par exemple, dans quelle mesure les vendeurs sont-ils
marqués par certains objectifs (volume des ventes) par rapport à ceux de
leurs collègues de la production (bas coût de production) ou de la
recherche (développer les connaissances scientifiques).
La différenciation organisationnelle s’exprime également à travers
l’horizon temporel du travail. En effet, l’environnement spécifique de
chaque unité exige de la part des dirigeants des orientations temporelles
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particulières. Ainsi, les départements de la vente et de la production qui
nécessitent souvent des résultats rapides sont plus axés sur des problèmes
de court terme ; et la recherche, où les résultats tangibles sont plus lents à
obtenir, est d’avantage orientée sur le long terme.
La troisième dimension qui permet d’apprécier les différences entre
départements concerne les types de relations interindividuelles entre leurs
membres. Au sein de chaque département, les individus doivent dévelop-
per, pour être efficaces, différentes relations interpersonnelles en fonction
de la nature de leur tâche. Ceux dont les tâches sont généralement très
précises, comme les directeurs d’usine par exemple, entretiennent des rela-
tions centrées sur la tâche professionnelle et sont peu enclins à entretenir
entre eux des relations sociales très développées. Ceux dont les tâches sont
modérément certaines, comme les dirigeants du marketing, et qui sont
accoutumés à un certain type de relation avec la clientèle ont le souci
d’entretenir avec leurs collègues des relations plus riches.
Les différents modèles de structure formelle constituent une quatrième
dimension de différenciation entre les unités fonctionnelles. À travers ce
dernier critère, il s’agit de répondre à la question : les départements ont-ils
des structures formelles liées au degré d’incertitude de leur environnement
spécifique. Ainsi le département de la production, face à un environne-
ment technico-économique relativement certain peut avoir plusieurs
niveaux hiérarchiques et comporter un intéressement aux résultats en
fonction des coûts, de la qualité, et des systèmes de contrôle qui mesure
118 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

ces critères en détail. À l’inverse, le département de la recherche, confron-


té à un environnement très incertain peut ne posséder qu’un petit nombre
de niveau de commandement, et des systèmes de récompenses basés sur de
larges objectifs tels que la contribution à la connaissance et un système
plus léger de contrôle.
Ces quatre dimensions éclairent, le concept de différenciation. Elles
montrent que les unités ou les organisations sont plus ou moins différen-
ciées, selon que les cadres de diverses unités sont totalement différents du
point de vue des quatre dimensions ou qu’ils sont relativement semblables.
Dans le premier cas il y a beaucoup de différenciation, dans le second cas
il y en a peu.

2.3. … à l’intégration organisationnelle


Les problèmes stratégiques auxquels est confrontée l’organisation,
introduire de nouveaux produits ou de nouveaux procédés, adapter les
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produits à des clientèles nouvelles, maîtriser les approvisionnements, ne
peuvent être résolus sans la collaboration de plusieurs unités plus ou
moins différenciées. Or la différenciation crée des barrières à la communi-
cation entre départements et favorise donc le cloisonnement organisation-
nel. Plus une entreprise est différenciée, plus il est difficile de faire colla-
borer les différentes unités car chaque unité a tendance à ne voir le pro-
blème posé qu’en fonction de son sous-environnement et de ses caractéris-
tiques propres. Ces conflits d’intérêts et d’opinions entre les départements
nécessitent alors la mise en place de mécanismes de résolution des conflits
qui illustrent un deuxième concept majeur : l’intégration.
L’intégration se définit comme « la qualité de la collaboration qui existe
entre des départements qui doivent unir leurs efforts pour satisfaire aux
demandes de l’environnement » (Lawrence et Lorsch, 1986 : 29). L’objectif
des dirigeants, qui est d’aboutir à des décisions interdépartementales per-
mettant de réaliser un plan d’action coordonné implique inévitablement
la résolution de ces conflits entre départements. Quatre facteurs d’effica-
cité dans la résolution des conflits interdépartementaux sont examinés.
La répartition du pouvoir de décision entre les différents départements
constitue un premier facteur. Celui-ci permet de mesurer le degré de
concentration des pouvoirs au sein de l’organisation. En effet, selon la
caractéristique de l’environnement, certains départements s’avèrent plus
ou moins fondamentaux pour la performance globale de l’organisation.
Par conséquent, la répartition du pouvoir de décision entre les différents
départements doit être étroitement liée à cet aspect organisationnel.
Paul Roger Lawrence et Jay William Lorsch 119

Le fondement du pouvoir de décision au sein de l’organisation apparaît


lui aussi déterminant dans la résolution efficace des conflits entre départe-
ments. Ce pouvoir peut provenir non seulement de la position hiérar-
chique des acteurs au sein de l’organisation mais également de leurs
connaissances et de leurs compétences pour traiter les problèmes.
Le niveau hiérarchique auquel se situe le pouvoir de décision constitue
un troisième déterminant d’efficacité dans la résolution des conflits. Le
pouvoir de décision doit être donné aux acteurs qui ont la connaissance et
l’information requise. Ainsi, lorsque l’organisation est confrontée à un
environnement incertain, complexe, il apparaît nécessaire de faire des-
cendre le pouvoir de décision jusqu’au niveau le plus bas dans la hié-
rarchie.
Enfin, un dernier facteur concerne le mode de comportement utilisé
pour résoudre les conflits. Quand les dirigeants sont confrontés à une
situation conflictuelle entre départements, ils peuvent réagir de trois
manières différentes : éluder le problème, imposer une décision ou
confronter les différentes opinions. L’éludation constitue un mode de
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résolution utilisé par les dirigeants soucieux de maintenir des relations
amicales entre les départements. À l’opposé, la direction peut choisir de
contraindre les acteurs en leur imposant sa propre décision. Enfin, la
confrontation ou la résolution des problèmes constitue un type de com-
portement intermédiaire, où les dirigeants choisissent d’examiner franche-
ment les différents points de vue au sein des départements.
Les problèmes d’intégration peuvent être permanents ou conjoncturels,
concerner un nombre plus ou moins grand d’unités et être de nature plus
ou moins opérationnelle. Dans cette perspective, le choix d’un mécanisme
d’intégration dépend de la nature du problème d’intégration à résoudre.
Deux mécanismes d’intégration sont envisagés, la hiérarchie et les fonc-
tions de coordination spécifique.
Lorsque la différenciation est relativement faible, la hiérarchie, associée
à des systèmes formels tels que des procédures, des systèmes de planifica-
tion et de contrôle, permet obtenir le degré d’intégration suffisant pour
atteindre la performance.
Lorsque la différenciation s’accroît, la hiérarchie seule ne peut être suf-
fisante. Il faut alors concevoir des procédures d’intégration complémen-
taires qui rendent la coordination plus flexible et plus adaptable, par une
multiplication des modes de collaboration entre individus. L’organisation
se dote alors de fonctions de coordination spéciales en dehors de la ligne
hiérarchique, tels que des comités ou des départements de coordination
jouant alors le rôle d’intégrateurs.
120 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Dans ce type d’organisation, caractérisée par un haut degré de différen-


ciation, deux déterminants d’efficacité supplémentaires dans la résolution
des conflits entre départements sont proposés. Elles portent sur les diffé-
rences d’orientations cognitives des intégrateurs et les modes de rémuné-
ration utilisés.
Les intégrateurs sont plus efficaces pour résoudre les conflits lorsque
leurs objectifs, leurs orientations temporelles et leurs relations interperson-
nelles sont équidistants de ceux des dirigeants des départements avec les-
quels ils ont à faire pour résoudre les conflits engendrés par la divergence
des points de vue.
La façon dont les intégrateurs ont l’impression d’être jugés et rémuné-
rés est un autre déterminant d’efficacité dans la résolution des conflits.
Notamment, lorsqu’ils se sentent évalués et rétribués sur la base des résul-
tats globaux de la division de produit avec laquelle ils sont associés, les
intégrateurs sont plus motivés à atteindre une meilleure coordination.
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Au terme de ce développement consacré au travail de Lawrence et
Lorsch (1967), il apparaît que la division du travail entre les départements
d’une part, et la nécessité d’un effort commun entre ces départements
d’autre part, conduisent à divers états de différenciation et d’intégration à
l’intérieur de toute organisation. Le travail met ainsi en lumière, l’exis-
tence d’une relation fondamentale entre les variables de l’environnement
(incertitude, diversité, nature des contraintes), les états internes de diffé-
renciation et d’intégration et les procédures de résolution des conflits.
Mais au-delà de ces conclusions, Organization and Enviroment montre
clairement que les dirigeants ne peuvent être en présence d’une seule
bonne façon d’organiser.

3. APPORTS, FONDEMENTS ET LIMITES DE LA


CONTINGENCE STRUCTURELLE

Au-delà du travail réalisé par Lawrence et Lorsch (1967), nous allons


examiner à présent, les apports majeurs du courant de la contingence
structurelle en intégrant l’ensemble des travaux qui ont contribué au déve-
loppement de cette théorie. Nous exposons ensuite les fondements ainsi
que les grandes limites de ce courant de recherche.
Paul Roger Lawrence et Jay William Lorsch 121

3.1. Une remise en cause du one best way


La théorie de la contingence structurelle a réalisé des apports certains,
permettant notamment de mieux comprendre les organisations et les rela-
tions entre celles-ci et leur environnement. La théorie met en évidence
l’influence de l’environnement sur la structure et permet ainsi de relativi-
ser le rôle des dirigeants et des facteurs exclusivement internes dans le
management. Les travaux de la contingence étudient l’impact sur la per-
formance du lien existant entre l’adaptation de la structure et les facteurs
de contingence. Parmi ces travaux, quatre sous-ensembles se dessinent,
étudiant chacun un facteur de contingence structurelle spécifique : l’envi-
ronnement (Burns et Stalker, 1961 ; Lawrence et Lorsch, 1967), la tech-
nologie (Woodward, 1958, 1965 ; Perrow, 1967 ; Thompson, 1967), la
taille de l’organisation (Pugh et al., 1963, 1968, 1969 ; Blau, 1970) et la
stratégie (Chandler, 1962). À la lumière de ces travaux, la notion d’adap-
tation/cohérence (fit) apparaît comme un concept central. La théorie de la
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contingence structurelle stipule, en effet, que les organisations adaptent
leur structure afin de passer de l’inadaptation (misfit), ayant comme
conséquence de mauvaises performances, à l’adaptation (fit) garant de
haute performance et d’efficacité. La variation d’une variable contingente
entraîne l’organisation de l’adaptation à l’inadaptation et de ce fait de
l’équilibre vers le déséquilibre. Les changements structurels sont la consé-
quence de variations de l’environnement. Un modèle proposé par
Donaldson (1987) a conceptualisé le cycle d’adaptation : le Structural
Adjustment to Regain FIT model. L’organisation est à l’origine adaptée et
un changement de facteurs de contingence produit une inadaptation de la
structure à l’environnement qui engendre une sous performance. La struc-
ture est donc modifiée pour être de nouveau adaptée et pour restaurer
ainsi la performance et l’équilibre.
Au-delà de la prise en compte de l’environnement et de la nécessaire
adaptation de la structure à cet environnement, un apport essentiel de la
théorie de la contingence structurelle est d’avoir remis en cause le principe
dominant du one best way des théoriciens classiques en introduisant une
part incontestable de relativisme en matière de structure organisationnelle.
Cette théorie apporte ainsi les bases d’une trame conceptuelle grâce à
laquelle il est désormais possible de créer et gérer des organisations en
fonction des objectifs qu’elles désirent atteindre.
122 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

3.2. La mise à jour de quelques hypothèses


sous-jacentes
Le courant de la théorie de la contingence structurelle s’appuie sur un
ensemble de fondements dont nous proposons à présent d’examiner le
contenu.
La théorie de la contingence structurelle soutient la thèse simple selon
laquelle il n’y a pas de structure organisationnelle optimale, mais des struc-
tures adaptables aux traits de l’environnement. Cette primauté accordée à
l’environnement inscrit la théorie de la contingence structurelle dans le
courant des écoles déterministes, au même titre par exemple que l’écologie
des populations (Hannan et Freeman, 1977). L’atteinte de la performance
est directement liée à la capacité des managers à mettre en œuvre la struc-
ture requise par le contexte sans que leur possibilité d’agir ou de prendre
des initiatives par rapport à l’exigence de performance ne soit jamais envi-
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sagée.
En termes sociologiques, la théorie de la contingence structurelle est
une théorie fonctionnaliste qui explique la structure organisationnelle par
ses conséquences sur la performance. La structure et sa modification au
cours du temps sont le résultat d’une adaptation fonctionnelle en ce sens
où les managers n’ont qu’un rôle réactif visant à permettre l’adaptation de
la structure aux exigences de l’environnement.
La démarche empruntée par les travaux sur la contingence structurelle
est de nature positiviste. L’organisation est appréhendée comme un objet
à part entière doté d’une réalité objective, pouvant être observée et mesu-
rée. Dans cette approche, la structure n’est pas expliquée par des idéolo-
gies, des perceptions d’acteurs, mais par des facteurs eux-mêmes mesu-
rables (la taille, la technologie, le degré d’incertitude, etc.).
Enfin, la théorie de la contingence structurelle adopte une approche
nomothétique qui propose des lois de structuration à vocation universelle.
L’ensemble des travaux de ce courant établit des relations causales, notam-
ment entre le degré de diversification de ses activités et le degré de divisio-
nalisation de la structure, ou encore la taille et le degré de spécialisation
fonctionnelle de la structure, quel que soit le secteur d’activité, ou le pays
d’appartenance de l’organisation.
Paul Roger Lawrence et Jay William Lorsch 123

3.3. Une théorie dont la portée est cependant


limitée
Notons tout d’abord que les premières critiques apparaissent relative-
ment tôt dans le développement du courant, à travers les travaux de Mohr
(1971) et de Pennings (1975) qui soulignent alors les insuffisances de la
théorie pour expliquer les différences de structures et de performances
entre les organisations. Par la suite, nombre de critiques et de limites sont
apparues parmi lesquelles nous distinguons deux ensembles : celles remet-
tant en cause les méthodes d’observations et les mesures, et celles adressées
aux fondements qui sous-tendent la théorie.
Les principales critiques d’ordre méthodologique portent sur le carac-
tère unidimensionnel des observations, l’absence de décalage temporel et
l’opérationnalisation des concepts.
Le fait d’étudier une seule variable contextuelle (la taille, la technologie,
le degré d’incertitude de l’environnement…) aux dépens de toutes les
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autres est un procédé de recherche discuté (Mintzberg 1982). La non-prise
en compte de tous les facteurs de contingence pose un problème de vali-
dité de la mesure, car les coefficients de corrélation mis en évidence se
trouvent alors diminués. Dans cette perspective, certains auteurs comme
Pugh et al. (1968) plaident pour une approche multidimensionnelle afin
de saisir l’influence du contexte sur les structures organisationnelles.
Les méthodes d’observation, de type synchronique, très largement uti-
lisées dans les travaux de la théorie de la contingence structurelle, sont
vivement critiquées. Les observations effectuées au même moment sont
insatisfaisantes dans la mesure où les changements de situation ne se
reflètent sur la structure qu’après un certain délai comme le soulignent
Stopford et Wells (1972).
Enfin, le recours à des concepts abstraits contraint le chercheur à utili-
ser une variable qui ne peut pas être mesurée dans les termes même de
l’organisation (Mintzberg, 1982). Ainsi, pour mesurer le concept de « par-
ticipation », concept abstrait, auquel ne répond aucune mesure unique,
valide et objective, les tenants de la contingence structurelle sont réduits à
utiliser des mesures perceptuelles qui peuvent distordre la réalité. D’autres
chercheurs se sont également penchés sur cette difficulté. Ainsi, Tosi et al.,
(1973), dans leur réplication de la recherche de Lawrence et Lorsch (1967)
ont mis en doute la validité de l’échelle utilisée pour mesurer l’incertitude
de l’environnement.
124 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Le deuxième ensemble de critiques adressées à la théorie de la contin-


gence structurelle se situe à un autre niveau d’analyse et porte sur ses
fondements. Sont ainsi critiqués, la vision déterministe, l’esprit fonction-
naliste et le caractère nomothétique de la théorie.
La vision déterministe du courant de la contingence structurelle sou-
lève de vives critiques car selon certains auteurs, les managers ont le pou-
voir d’analyser le contexte organisationnel et de lui donner un sens. Ainsi,
l’environnement ne peut pas être perçu comme une fatalité contre laquelle
les managers ne peuvent rien ni être envisagé comme la principale source
de variation structurelle. Child (1972), Bourgeois (1984) et Whittington
(1989) mettent en avant l’idée que les managers sont libres de leur choix
et peuvent donc exercer une latitude décisionnelle. Dans cette perspective,
la réponse des dirigeants face à la contingence peut varier du fait de leurs
perceptions, leurs préférences, leurs valeurs, leurs intérêts et de leurs pou-
voirs : c’est ce que Child (1972) appelle le strategic choice.
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Le fondement fonctionnaliste de la théorie de la contingence selon
lequel l’agencement structurel d’une organisation reflète fidèlement les
exigences d’efficience techno-économique associées à son contexte de
fonctionnement est également remis en cause. Une vision plus politique
de l’organisation, qui intègre des éléments tels que l’exercice du pouvoir,
la poursuite d’un intérêt personnel ou encore les stratagèmes utilisés par
les dirigeants pour maintenir une position permet selon Desreumaux
(1998 : 153) une meilleure compréhension de sa structuration.
Enfin, la non prise en compte de la diversité des contextes organisa-
tionnels remet sérieusement en question le caractère nomothétique de la
théorie de la contingence structurelle qui tente d’énoncer des lois générales
sur la structuration des organisations du type « la taille de l’organisation
engendre la bureaucratisation ou l’incertitude de l’environnement déter-
mine la structure » (Desreumaux, 1998 : 155). En effet, les investigations
de terrain réalisées par les travaux fondateurs du courant de la contingence
se sont souvent appuyées sur des échantillons extrêmement vastes et hété-
rogènes rendant ainsi l’interprétativité des résultats très difficile. Holdaway
et al. (1975 : 38), interviennent dans ce sens et soulignent que la première
étude du groupe d’Aston inclut à la fois des bains publics de Birmingham
et une grande entreprise de pneumatiques.
Paul Roger Lawrence et Jay William Lorsch 125

4. MISE EN PERSPECTIVE…
Le courant de la contingence structurelle s’est développé en réaction au
principe du one best way des théoriciens classiques, et selon lequel il existe
une forme universelle d’organisation efficace. Autour des premiers auteurs
qui ont investi ce champ de recherche (Woodward, 1958, 1965 ; Burns et
Stalker, 1961 ; Chandler, 1962 ; Pugh et al., 1963), Organization and
Environment (Lawrence et Lorsch, 1967) marque véritablement l’émer-
gence d’un nouveau paradigme en développement organisationnel. Le
courant de la contingence structurelle, en stipulant que la structure idéale
de l’entreprise est contingente à un ensemble de facteurs qui lui sont
propre, introduit alors la notion fondamentale d’adaptation/cohérence
(fit) qui jusque là était inexistante en management.
Nous avons vu que les critiques et les limites de la théorie de la contin-
gence structurelle sont nombreuses sur le plan méthodologique ainsi que
sur les fondements scientifiques. Soulignons ici qu’une critique essentielle,
est que la théorie n’apporte pas de réponse convaincante à la question
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« pourquoi des entreprises confrontées au même contexte environnemen-
tal réagissent de façons différentes et ce, notamment sur le plan de leur
organisation » Pras et Tarondeau (1979).
Toutefois, ces critiques et ces limites ne semblent pas, à notre sens,
remettre en question le bien fondé du paradigme de la contingence struc-
turelle si on en juge par le nombre de travaux qui ont continué à investir
le champ. Parmi ces recherches certaines ont étudié de nouveaux facteurs
de contingence, comme par exemple, le développement international de
l’entreprise (Stopford et Wells, 1972 ; Egelhoff, 1988 ; Goshal et Nohria,
1989), le degré d’hostilité de l’environnement (Khandwalla, 1977) ou le
cycle de vie d’un produit (Donaldson, 1985). D’autres travaux, plus
récents encore, montrent incontestablement que le paradigme de la
contingence structurelle constitue un courant dominant de la littérature
de gestion actuelle (Chiapello, 1996 ; Ellis et al., 2002 ; Jarley et Fiorito,
1997 ; Peaucelle, 2007 ; Whittington et Mayer, 2000).
Au-delà de la contingence structurelle, notons que dès les années
soixante-dix, de nouveaux paradigmes ont ouvert des perspectives nou-
velles importantes sur les organisations grâce notamment, aux travaux
réalisés en sociologie et en économie. Ainsi, la théorie de l’agence (Jensen
et Meckling, 1976), la théorie de la dépendance des ressources (Pfeffer et
Salancick, 1974), la théorie des coûts de transaction (Williamson, 1975),
la théorie de l’écologie des populations (Hannan et Freeman, 1977) et la
théorie néo-institutionnelle (Powell et DiMaggio, 1991) se sont inscrites
126 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

dans cette perspective et ont ainsi contribué à l’enrichissement la théorie


des organisations.
Pour conclure, retenons que la théorie de la contingence structurelle, à
travers l’idée « qu’un arrangement organisationnel structurel n’est garant
de performance économique que dans une configuration particulière
d’environnement » (Bouchikhi, 1990), a été source de remise en question
et d’ouverture de voies de recherche tout à fait nouvelles et toujours
d’actualité.

Travaux cités des auteurs


Lawrence, P. R. et Lorsch, J. W. (1967), Organization and Environment :
Managing Differenciation and Integration, Boston : Division of Research,
Graduate School of Business Administration, Harvard Universtity ; Traduction
française, Adapter les structures de l’entreprise, (1986), Paris, Les Éditions
d’Organisation.
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Autres références bibliographiques
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IX. HENRY MINTZBERG – LES CONFIGURATIONS ORGANISATIONNELLES

Michel Barabel
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 129 à 150


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-129.htm
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Les configurations
organisationnelles
Henry Mintzberg

Michel Barabel
IX
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130 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Henry Mintzberg fait partie des auteurs contemporains d’ouvrages de


management parmi les plus célèbres1. Avec plus de 17 livres et de
170 articles publiés, il est aussi l’un des plus prolifiques. Mise à part, sa
double formation d’ingénieur et de gestionnaire, son parcours (cf. Notice
biographique) est relativement classique pour un chercheur en manage-
ment.
Depuis son premier ouvrage sur Le manager au quotidien, Mintzberg
s’est positionné en marge du courant traditionnel du management straté-
gique qui développe selon lui une vision trop normative de la stratégie et
donne un rôle démesuré à la planification stratégique (cf. Encadré 1 pour
une présentation des caractéristiques communes de ses recherches).
L’auteur accorde une place importante aux phénomènes émergents et au
rôle de l’intuition pour faire face à un environnement incertain, complexe,
changeant et ambigu. Quels que soient les thèmes étudiés, il a tenté de
réconcilier l’approche rationnelle normative (contenu) et l’approche qua-
litative (processus et informel) en développant une vision intégrative.
Mintzberg (1999 : 306-351) se positionne ainsi dans « l’école de la confi-
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guration »2. Cette dernière cherche à intégrer les apports des neuf princi-
pales écoles de la pensée stratégique identifiées par l’auteur (école de la
conception, de la planification, du positionnement, entrepreneuriale,
cognitive, apprentissage, pouvoir, culturelle et environnementale) en
décrivant une organisation à un moment donné comme une certaine
configuration stable de ses attributs (structure, style de commandement,
stratégies et contexte environnemental).

Notice biographique3
Né le 2 septembre 1939 à Montréal, Henry Mintzberg suit dans un premier temps des
études d’ingénieur à McGill pour lesquelles il obtient un diplôme en Génie Mécanique
(BEng. McGill University, 1961). Après une première expérience professionnelle aux
Chemins de Fer Nationaux Canadiens, il décide de poursuivre ses études en
Management des organisations. Il obtient successivement une maîtrise (BA) à la Sir
George Williams University, puis un troisième cycle (SM) et un doctorat (Ph.D.) à la
Sloan School of Management du MIT (Massachusetts Institute of Technology, Boston,
USA).

1. Le classement Fnege 2016 sur « l’impact de la recherche en management » le classe au 2e rang des
« gurus » du management juste derrière Michael Porter. Henry Mintzberg figure également dans le top
20 dans tous les classements internationaux (FT, Mercer…). Toujours très actif, Mintzberg s’appuie sur
son compte twitter @mintzberg141 (plus de 11 000 followers) pour porter le débat dans l’espace public.
2. Cf. la partie 3 de cet article pour une présentation plus développée de cette théorie.
3. Pour disposer d’une biographie complète, on se réfèrera au site de l’auteur : www.Henry.Mintzberg.
com.
Henry Mintzberg 131

En 1968, il rejoint l’Université de McGill à Montréal en tant qu’assistant pour y ensei-


gner le management. En 1982 il obtient la chaire Bronfman puis en 1998, il se voit
confié la prestigieuse chaire Cleghorn de cette même institution qu’il occupe depuis
près de 20 ans. Mintzberg a également été professeur visitant de l’Université d’Aix
Marseille (France), de l’Université Carnegie-Mellon (USA), de l’École des Hautes
Études Commerciales (Canada) et de la London Business School (Angleterre). Il est
actuellement professeur visitant à l’INSEAD (France).
Les travaux de Mintzberg lui ont valu de nombreuses récompenses et honneurs aussi
bien au Canada qu’à l’étranger. Il a notamment été le premier chercheur en manage-
ment à avoir été élu à la Société Royale du Canada. Il a aussi été désigné lauréat du prix
Léon-Gérin 1996, la plus haute distinction du Gouvernement du Québec dans le
domaine des Sciences Humaines.
Mintzberg s’est aussi vu décerné de nombreux titres de doctor honoris causa dont ceux
des universités de Lausanne, de Lund, de Montréal, de Paris Dauphine et de Venise et
a reçu de nombreuses distinctions académiques (deux prix du meilleur article de
l’Harvard Business Review, Prix du meilleur ouvrage en Management) dont récemment
une récompense décernée par l’une des associations en management la plus importante
(« Academy of Management ») pour l’ensemble de ses travaux (chercheur de l’année
2000). Il a, de plus, été président de l’association « Strategic Management » dont il est
l’un des fondateurs.
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Encadré 1. Les caractéristiques communes des travaux de
Mintzberg
L’analyse des travaux de Mintzberg permet d’identifier cinq caractéristiques communes
à l’ensemble de ses recherches.
En premier lieu, Mintzberg s’appuie toujours sur une analyse de la littérature extrême-
ment détaillée et exhaustive4 à laquelle il cherche à donner une certaine cohérence en
construisant un cadre d’analyse intégrateur. De fait, dans la majorité de ses travaux,
Mintzberg élabore des typologies et des configurations (rôles du dirigeant, structures
organisationnelles, cycles de changement stratégiques, etc.) qui donnent une vision
synthétique des questions traitées et qui ont certainement contribué à sa notoriété et à
son succès (facilité de compréhension).
Deuxièmement, Mintzberg marque une préférence pour les méthodes de recueil et de
traitement de données de nature qualitative. L’auteur construit des essais théoriques à
partir d’analyse de la littérature et de données empiriques issus d’études de cas appro-
fondies (souvent longitudinales) menées seul, en collaboration ou par ses étudiants.
Troisièmement, les travaux de Mintzberg s’appuient sur l’étude d’organisations très
diverses5 (Hôpitaux, Universités, Grandes entreprises publiques ou privées, PME,
Gouvernements, etc.) À ce titre, Mintzberg accorde une place très importante aux
facteurs de contingence comme facteurs explicatifs des choix organisationnels réalisés.

4. Par exemple, son ouvrage Grandeurs et décadences de la planification stratégique comporte plus de
24 pages de références bibliographiques.
5. À titre d’illustration, sa thèse sur les activités quotidiennes des dirigeants repose sur l’analyse des
responsables d’une grande société de conseil, d’un célèbre hôpital universitaire, d’une grande université,
d’une société de technologie de pointe et d’une grande fabrique de biens de consommation).
132 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Quatrièmement, les recherches de Mintzberg sont de nature cumulative. La théorie se


construit au fur et à mesure sur plusieurs années. Chaque nouvelle réflexion est un
moyen de mieux cerner le problème et de faire émerger de nouveaux points6. De plus,
ses objets de recherche sont imbriqués7.
Enfin, Mintzberg a recours aux analogies et aux métaphores pour imager ses analyses
(le stratège vu comme un potier, la métaphore de l’éléphant pour explorer les grands
courants de la pensée stratégique, le puzzle pour décrire les structures organisation-
nelles, le jeu de lego pour manager une organisation, la stratégie de l’ombrelle pour
décrire un type de stratégie…) et aux représentations graphiques originales pour les
illustrer (configuration notamment).

L’objectif de ce chapitre est de présenter les principales thèses dévelop-


pées par Mintzberg. Devant l’ampleur des champs d’investigation, nous
avons décidé de privilégier trois thématiques8 liées qui apparaissent
comme ses principales contributions dans le champ du management.

1. LE TRAVAIL QUOTIDIEN DES DIRIGEANTS


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Durant sa recherche doctorale, Mintzberg (1968) s’est intéressé à la
façon dont les managers9 travaillent au quotidien. Après une analyse de la
littérature approfondie qui lui permet de mettre en place un cadre d’ana-
lyse structuré, Mintzberg va suivre cinq directeurs généraux durant une
semaine chacun10. Ses travaux connaissent un retentissement important
(notamment sa typologie des rôles des dirigeants) et vont permettre à
Mintzberg d’acquérir une notoriété significative parmi les auteurs en
management.
6. Par exemple sur le thème de la « formation de la stratégie », son premier article date de 1967. À partir
de 1971, il met en place un programme de recherche et affine ses propositions théoriques (Mintzberg,
1972, 1973, 1978,1987 ; avec Waters, 1985) en intégrant des études de cas successives (par exemple avec
Waters (1982) et McHugh (1985) qui le conduisent à la rédaction d’un livre sur la planification stra-
tégique en 1994 et d’un ouvrage synthétique en 1998 (avec Ahslstrad et Lampel)).
7. Ses ouvrages Le management : Voyage au centre des organisations et Manager, ce que font vraiment les
managers apparaissent comme des recueils de l’essentiel de ses travaux qui permettent de mieux compren-
dre la théorie managériale globale qu’il développe.
8. Ces dernières années, les travaux de Mintzberg ont pris une tournure plus générale. Ils portent sur
l’étude de secteurs névralgiques de la société : l’organisation des soins de santé, les modes de gestion des
États et des gouvernements publics et la refonte de l’enseignement de la gestion. Son dernier ouvrage,
Rebalancing Society se propose de rééquilibrer les forces entre les entreprises, l’État et les communautés
au détriment des premières qui ont selon lui prises trop de pouvoir. Nous ne faisons pas état de ces
travaux dans ce chapitre.
9. Selon Mintzberg, un cadre est une personne investie d’une autorité formelle dans son organisation
(responsabilité d’une sous unité ou de l’ensemble de celle-ci) dont découle un statut particulier et des
devoirs (assurer la production efficiente de biens et de services, organiser les opérations de l’organisation
et en assurer la stabilité, adapter l’organisation de façon contrôlée à son environnement changeant, gar-
antir que l’organisation serve les objectifs de ceux qui la contrôlent, servir de lien-clé dans le domaine de
l’information et faire fonctionner le système statutaire).
10. À cela s’ajoutent entre 1968 et 1973 des études empiriques portant sur de nombreux autres cadres.
Henry Mintzberg 133

1.1. Caractéristiques du travail des cadres


Mintzberg observe que, contrairement à l’idée reçue du manager perçu
comme « un planificateur systématique et réfléchi » (Mintzberg, 1975), ses
activités sont principalement caractérisées11 par la brièveté (49 % de leurs
activités durent moins de 9 minutes), la fragmentation (les dirigeants sont
sans cesse interrompus), la variété et la répétition (malgré la diversité de
leurs actions, les dirigeants réalisent aussi de nombreuses tâches répétitives
comme par exemple la participation aux rites de l’organisation et à des
cérémonies).
Le plus surprenant est de constater que « les activités courantes et les
activités les plus importantes se succèdent sans que l’ensemble ait une
structure particulière. Le cadre doit être prêt à changer de registre fré-
quemment et avec rapidité » Mintzberg (1973, 1980 : 45). L’un des prin-
cipaux apports de Mintzberg a été de montrer que cette organisation a
priori chaotique est délibérément recherchée par les managers afin de leur
permettre de « jongler avec toutes sortes de projets concurrents, une large
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échelle de rôles joués, une infinité de contacts et des informations en
abondance » (Mintzberg, 1980). Le comportement des dirigeants est en
fait un moyen opportuniste de réaliser beaucoup en peu de temps dans le
but de ne pas se couper du flux d’informations incessant qu’ils doivent
maîtriser. Ils vont donc à la fois se surcharger de travail tout en évitant de
perdre du temps, faisant toute chose de façon abrupte et relativement
superficielle.
De façon plus générale, les dirigeants affichent une préférence pour
l’action. Ils privilégient les éléments les plus actifs de leur travail (ce qui est
courant, actuel, spécifique, bien défini, non routinier) au détriment de la
réflexion (la prise de décision stratégique considérée par la littérature tra-
ditionnelle comme primordiale ne correspond qu’à 13 % de leur temps).
Enfin, les managers sont des hommes de contact et de représentation
dont la principale activité est la gestion de l’information (40 % de leur
temps) pour laquelle ils privilégient les contacts avec autrui (en moyenne,
ils passent seulement 22 % de leur temps de travail seul) car ils apportent
de l’information vivante (ton de la voix, expression gestuelle) plus rapide-
ment et plus facilement.
En résumé, le travail du manager apparaît comme étant plus simultané,
global et relationnel que linéaire, séquentiel et ordonné (Mintzberg,
1994 : 326).
11. Ces observations sont en cela conformes à des recherches antérieures (Carlson, 1951 ; Burns,
1958 ; Stewart, 1967, etc.).
134 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

À partir de ce portrait général du travail quotidien du manager,


Mintzberg (1973) dresse une typologie de rôles qui constitue encore
aujourd’hui la référence sur ce thème.

1.2. Rôles des dirigeants


Mintzberg (1973) identifie dix rôles qu’il regroupe en trois grandes
catégories.
Premièrement, les rôles interpersonnels qui découlent de l’autorité for-
melle et du statut du cadre. Ils regroupent les rôles de symbole (représen-
tation de l’organisation dans toutes les occasions formelles), de leader
(responsable des subordonnés afin de permettre leur coopération) et
d’agent de liaison (construction et entretien d’un système de relations
externes). Deuxième, les rôles liés à l’information où le dirigeant apparaît
comme le centre nerveux de son organisation et le chef d’orchestre de la
gestion des informations. Ils regroupent les rôles d’observateur actif (scru-
ter l’environnement et l’organisation en vue d’acquérir de l’information),
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de diffuseur (répartition et diffusion des informations au sein de l’organi-
sation) et de porte-parole (répartition et diffusion de certaines informa-
tions à l’extérieur). Enfin, les rôles décisionnels qui comprennent les rôles
d’entrepreneur (rechercher des opportunités, assurer la conception de la
stratégie et initier les changements), de régulateur (trouver des réponses
aux perturbations inattendues de l’environnement), de répartiteur des
ressources (arbitrer entre les différentes entités de l’organisation) et de
négociateur (représenter l’organisation dans les négociations importantes).
Ces dix rôles ne sont pas dissociables les uns des autres. Ils forment une
gestalt et doivent tous être exécutés par le dirigeant.
Selon Mintzberg, il existe de nombreuses ressemblances fondamentales
entre les postes managériaux mais aussi des différences qui peuvent être
expliquées par l’influence qu’exercent quatre ensembles de variables : les
variables d’environnement (caractéristiques du secteur, de l’organisa-
tion…), les variables liées au poste (niveau hiérarchique, fonction…), les
variables liées à la personne (personnalité, style, etc.) et les variables rela-
tives à la situation (variation du travail dans le temps).
Henry Mintzberg 135

1.3. Modèle de représentation du travail


des dirigeants
Ultérieurement, Mintzberg (1994, 1996)12 a cherché à améliorer sa
typologie en construisant un modèle13 capable de mieux rendre compte de
la complexité du travail des cadres. Ce modèle qui identifie sept rôles
managériaux (nouvel agencement des dix rôles précédents et introduction
du rôle de contrôleur issu de ses travaux sur les structures organisation-
nelles) est constitué d’un centre et de trois cercles concentriques qui l’en-
tourent.
Le centre représente le cadre d’ensemble du manager (objectifs du
poste ; caractéristiques personnelles et moyens d’actions) auquel corres-
pond deux rôles : la conception de l’agenda stratégique (questions spéci-
fiques à traiter) et sa programmation.
Les trois cercles concentriques symbolisent les niveaux où le travail du
manager peut se situer. Le premier cercle représente le niveau de l’infor-
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mation, dont le manager se sert pour inciter les personnes à agir, auquel
correspond deux rôles : communiquer (observateur actif, diffuseur et
porte-parole) et contrôler (directives, conception de la structure, dévelop-
pement de systèmes formels). Le second cercle représente le niveau des
personnes, avec lesquelles le manager peut travailler pour les encourager à
agir, auquel correspond deux rôles : être leader (symbole, création d’une
culture d’entreprise, encouragement)) et relier (agent de liaison). Enfin, le
troisième cercle représente le niveau de l’action, où le manager agit de
façon plus ou moins directe, auquel correspond un rôle : agir (entrepre-
neur, régulateur et répartiteur).
Dans son ouvrage Manager, Mintzberg insiste sur le fait que manager
n’est pas une profession mais une pratique qui dépend la capacité de l’indi-
vidu à articuler trois champs : l’Art (vision, perception créative), l’artisanat
(expérience, apprentissage pratique) et la Science (analyse, données systé-
miques). De ce fait, Mintzberg trouve exagéré la distinction Leader/
Manager (survalorisation du premier sur le second) et pense qu’aujourd’hui
on a tendance à sur-diriger les collaborateurs et à les sous-manager au
risque d’échouer.
12. Mintzberg (1994) cherche par là même à répondre à un certain nombre de critiques sur sa
typologie formulée par un certain nombre d’auteurs (notamment Morse et Wagner, (1978),
Mc Call et Segrist (1980), Martinko et Gartner (1985) et Hall (1985)) qui lui reprochaient en
particulier :
– d’être présentée comme une décomposition en éléments et non comme un modèle interactif ;
– de ne pas avoir pris en compte le rôle de contrôleur qui est pourtant observé dans la réalité.
13. On se réfèrera à l’article de Mintzberg (1996 : 107) paru dans la Revue Française de Gestion pour
visualiser le modèle.
136 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

2. LA DÉTERMINATION DE LA STRATÉGIE
Après avoir étudié les activités quotidiennes des managers, Mintzberg
(1973b) centre sa recherche sur l’une des tâches les plus importantes qui
leur est dévolue : la détermination de la stratégie14. Quatre problématiques
sont étroitement liées à ce thème. Mintzberg en déduit des prescriptions
concernant la formation des dirigeants et les rôles des planificateurs.

2.1. Critique de la planification stratégique


Dans la littérature normative, la stratégie est présentée comme expli-
cite, développée consciencieusement, intentionnelle et déterminée à
l’avance (plan construit pour le futur) en vue de décisions spécifiques
faites pour la réaliser (Mintzberg, 1978). Selon Mintzberg, les auteurs15
ont mis en avant le mode planifié d’élaboration de la stratégie qui conduit
à former une stratégie cohérente, globale et à long terme (système intégré
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de décisions). Or, si la planification (efforts de formalisation et de finali-
sation) convient particulièrement à un environnement prédictible et
stable, elle est loin d’être efficiente dans d’autres contextes et comporte des
risques importants (Mintzberg, 1994)16. En particulier, la planification, en
mettant en place des systèmes de contrôle stricts, limite l’autonomie et la
flexibilité des acteurs et la capacité d’adaptation de l’organisation. Elle
s’avère alors inefficace et dangereuse dans des périodes de turbulences de
l’environnement car elle tend souvent à remplacer une vision stratégique
par une procédure (l’extrapolation par statu quo) qui décourage la pensée
et le changement stratégique (Mintzberg et Waters, 1982 : 498).
Ainsi, le mode planifié conduit à trois erreurs majeures (Mintzberg,
1994) :
• l’erreur de prédétermination (production de prévisions erronées du
futur, du fait de la complexité et de l’incertitude de l’environne-
ment) ;
14. Ce processus d’élaboration est selon l’auteur fascinant et a constitué son principal thème de réflexion
à travers toute sa carrière. Dès 1971, il engage un programme de recherche où il mène de nombreuses
études de cas (Volkswagen (1920-1974), etc.) pour traquer les stratégies au cours de leur histoire
(Mintzberg, 1990 : 48).
15. Les écoles de la perception et de la planification sont perçues comme étant voisines. Les seules dif-
férences concernent l’acteur-clé du processus (respectivement le PDG et le planificateur), la nature du
processus (informelle contre formelle) et la finalité (stratégies originales contre stratégies efficaces).
16. Mintzberg présente dans le chapitre 3 de son ouvrage une analyse synthétique de nombreuses études
empiriques menées depuis les années sur la performance de la planification. Il s’appuie en particulier sur
l’analyse de huit études empiriques pour affirmer que la planification pratiquée est plutôt un échec, et
qu’elle ne favorise pas l’élaboration de la stratégie.
Henry Mintzberg 137

• l’erreur de formalisation (processus purement analytique donnant


une vision trop réductrice et simplifiée de la réalité) ;
• et l’erreur de détachement de la réalité opérationnelle17 (système
poussant le dirigeant à déconnecter réflexion et action en privilé-
giant la première et en s’appuyant sur des systèmes formels pour
appréhender la seconde alors que ces systèmes fournissent des infor-
mations quantitatives, limitées, agrégées, peu fiables, en retard et
manquant de richesses).

2.2. Modes de formation18 des stratégies19


Mintzberg (1978) introduit donc une alternative au mode planifié qui
ne correspond qu’à un type de formation d’une stratégie (la stratégie déli-
bérée20). Il s’agit de la stratégie émergente (non intentionnelle, réalisée)
qui se construit graduellement sans forcément provenir du centre.
Cependant, il n’existe que très peu de stratégies purement délibérées ou
émergentes (Mintzberg et Waters, 1985). « Le premier cas suggère qu’il n’y
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a pas eu apprentissage, le second qu’il n’y a pas eu contrôle » (Mintzberg,
1994 : 41). Ces deux modes purs sont en fait les deux pôles d’un conti-
nuum entre lesquelles les stratégies s’inscrivent. On peut donc s’attendre à
trouver des formes imparfaites qui combinent divers états de trois dimen-
sions : les intentions managériales (degré de précision, d’explicitation,
d’adhésion), le niveau du contrôle central sur les actions de l’organisation
(degré de fermeté) et la nature de l’environnement (degré de prédictibilité,
de contrôlabilité et de bienveillance).
Les auteurs en déduisent une typologie de différentes formes de straté-
gies possibles. Dans le tableau ci-après, nous en présentons quelques-unes.

17. Mintzberg (1994) indique que ce détachement empêche le dirigeant d’avoir un accès direct à
l’information et l’empêche de jouer ses rôles de communication identifiés précédemment (cf. 1.).
18. Alors que le mode planifié élabore une stratégie, le mode émergent construit la stratégie et Mintzberg
(1979) préfère alors parler de formation de la stratégie.
19. Selon Mintzberg (1978 : 941), la stratégie peut être vue comme l’interaction entre un environnement
dynamique (qui pousse au changement permanent) et une bureaucratie (qui cherche avant tout à stabi-
liser ses actions et pousse à la continuité) avec la direction faisant l’interface entre les deux. La stratégie
est alors un ensemble de comportements cohérents par lesquels une organisation établit pour un moment
donné sa place dans son environnement.
20. Ce mode doit satisfaire trois conditions strictes : (1) il existe des intentions précises dans
l’organisation, articulées à un niveau relativement précis de détail. (2) Ces intentions sont communes à
la quasi majorité des acteurs. (3) Ces intentions collectives sont réalisées comme prévues. Dans le cas
contraire, on aboutit à une stratégie non réalisée.
138 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Tableau 1. Exemple de formes de stratégies élaborées


Stratégie Principales caractéristiques
Entrepreneuriale Les intentions sont personnelles et résultent de la vision
(stratégies relativement inarticulée du seul leader (vision centrale). Elles peuvent donc
délibérées pouvant s’adapter à de nouvelles opportunités. L’organisation est sous le
émergées) contrôle personnel du leader.
Parapluie ou ombrelle La direction, pour contrôler partiellement les actions
(stratégie en partie organisationnelles, définit des frontières stratégiques ou des
délibérée, en partie cibles (grandes directions) à l’intérieur desquelles les acteurs
émergente et agissent librement sous les contraintes environnementales et
délibérément émergente) organisationnelles.
Déconnectée Les acteurs, faiblement couplés à l’organisation, produisent
(stratégies leurs actions en l’absence d’intentions communes ou centrales
organisationnellement ou en contradiction avec elles.
émergente)
Imposée L’environnement dicte les dessins des actions soit par une
(stratégies émergentes imposition directe soit par des choix organisationnels.
pouvant être
internalisées)

Source : Mintzberg et Waters, 1985.


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2.3. Le changement organisationnel
Le dilemme fondamental de l’élaboration de la stratégie réside dans le
besoin de réconcilier les forces de la stabilité (tirer une efficacité maximale)
et celles du changement (s’adapter aux évolutions) (Mintzberg, 1990 : 62).
De fait, toute stratégie connaît un cycle de vie (conception, élaboration,
déclin et mort) et on peut alors distinguer alternativement dans les orga-
nisations des périodes de stabilité et de changement.
Mintzberg et Westley (1992) ont formalisé un cadre d’analyse du chan-
gement organisationnel pour décrire le phénomène et ses principales
caractéristiques. Ce cadre assez complexe est décrit comme un système de
quatre familles de cercles en mouvement. Les cercles concentriques repré-
sentent la nature du changement envisagé (changement organisationnel
ou stratégique, aspects conceptuels ou concrets) et le niveau du change-
ment réalisé (révolutionnaire, étape par étape, focalisé, isolé ou incrémen-
tal). Les cercles circonférentiels symbolisent les processus de changement
possible (informel, implicite, importé ou inconscient) et les moyens21
complémentaires de l’orchestrer (le planning procédural conçu au sommet
et délibéré, le dirigeant visionnaire et l’apprentissage inductif de nature
informelle et émergente). Les cercles tangentiels représentent les épisodes
21. Ces trois moyens sont respectivement assimilés au squelette, cœur et sang d’une organisation
(métaphore de l’organisme vivant).
Henry Mintzberg 139

particuliers du changement (le renversement stratégique rapide et délibéré


ou la revitalisation adaptative, lente et incrémentale) et les principales
étapes du changement (stades de développement, de stabilité, d’adapta-
tion, de lutte, ou de révolution). Enfin, les cercles en spirale symbolisent
les séquences du changement et leurs objectifs dans le temps.
En général, une organisation vit de longues périodes de stabilité sépa-
rées par des chocs périodiques violents de courte durée. Cependant, de
façon sous-jacente l’organisation est en changement permanent et conti-
nu. Elle alterne des cycles de convergence adaptative vers la stabilité aux-
quels succèdent des cycles de lutte divergente pour le changement.
En résumé, le changement organisationnel peut prendre pour Mintzberg
(1990) des multiples formes. C’est un phénomène extrêmement complexe
et le manager pour pouvoir le gérer et former sa stratégie doit savoir
« modeler conjointement, pensée et action, contrôle et apprentissage, sta-
bilité et changement » (Mintzberg, 1990 : 66).
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2.4. La prise de décision stratégique
Les processus de prise de décisions sont intimement liés au processus
d’élaboration d’une stratégie perçue comme un « ensemble structuré de
décisions » (Mintzberg, 1978).
Selon Mintzberg et al. (1978 : 246) : une décision est « un engagement
spécifique (généralement en termes de ressources) à réaliser une action
(signal d’une intention explicite d’agir) » alors que le processus de prise de
décision est défini comme « une série d’actions et de facteurs dynamiques
qui commence depuis le moment où le stimulus est perçu et se termine au
moment où un engagement spécifique est pris » (Mintzberg et al., 1978).
S’appuyant sur les travaux d’équipes d’étudiants en dernière année de
MBA qui étudient durant 3 à 6 mois des décisions prises dans des organi-
sations, Mintzberg et al. (1978) arrivent à une description très différente
de l’image classique et rationnelle du processus décisionnel donnée. Ce
dernier est caractérisé par son manque de programmations, des interrup-
tions continuelles et des blocages liés entre autres à des facteurs politiques
et à des accélérations ou des ralentissements initiés par les décideurs eux-
mêmes. Chaque processus de décision peut être décrit au moyen de sept
types d’activités ou routines (prise de conscience, diagnostic, recherche,
conception, passage au crible, évaluation choix, autorisation) regroupés en
trois phases (identification, développement, sélection). Cependant, selon
les décisions, ces étapes ne se succèdent pas nécessairement dans cet ordre.
140 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Il y a des processus de décision qui n’aboutissent pas, d’autres où l’on


observe des retours en arrière, et enfin certains qui font des boucles (se
répètent).
Le décideur doit alors se caractériser par son ouverture d’esprit (bien
souvent le processus commence sans que l’entreprise ait une idée précise
de la solution recherchée) et sa capacité à décider rapidement dans un
environnement ambigu (peu d’informations, données subjectives, floues
et informelles).

2.5. Incidence sur les rôles des planificateurs et


sur la formation à la gestion
La nature complexe et incertaine des processus de formation de la stra-
tégie et de prise de décisions stratégiques induit deux conséquences sur la
nature des planificateurs et des dirigeants nécessaires dans une organisa-
tion.
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Mintzberg propose alors de repenser les rôles des premiers et la forma-
tion des seconds.
Au regard des critiques formulées à l’encontre de la planification,
Mintzberg (1994) propose de transformer les rôles des planificateurs. Ces
derniers n’ont aucun rôle à jouer dans la formation de la stratégie. Ils se
voient confier cinq missions. Ils doivent devenir les détecteurs de stratégies
émergentes (rôle de détectives), les catalyseurs de la formation de la stra-
tégie (favoriser la réflexion stratégique informelle et créative), les analystes
des stratégies proposées (contrôler leur efficacité et le comportement des
acteurs), les programmateurs des stratégies définies par les décideurs (cla-
rifier et préciser la stratégie jusque dans les détails, la traduire dans les
opérations, les procédures et les budgets, etc.) et les communicateurs des
stratégies en interne et en externe. Dotés de ces nouvelles responsabilités,
Mintzberg (1994 : 19) propose « de coupler les capacités et les inclinations
des planificateurs avec l’autorité et la flexibilité des manager de façon à être
sûr d’avoir un processus d’élaboration de la stratégie prenant en compte
les informations, intégrateur et capable de répondre aux changements qui
interviennent dans l’environnement de l’organisation ».
Concernant les dirigeants, Mintzberg identifie trois compétences fon-
damentales pour exercer efficacement ce métier : les capacités d’apprentis-
sage, de synthèse (être doté d’un cerveau créatif capable de synthétiser une
vision) et la capacité à coupler analyse et intuition.
Henry Mintzberg 141

Or, les écoles et universités de gestion ne développent aucune de ces


compétences. Elles se sont focalisées sur l’enseignement des méthodes et
de techniques analytiques et sont, selon l’auteur, en partie responsables
d’une mauvaise utilisation des techniques de formalisation. L’enseignement
en gestion s’appuie en particulier sur des études de cas qui donnent
« l’impression à l’étudiant que les managers efficaces se prononcent du
haut de leur sommet sur la base de la lecture rapide d’un rapport pitoyable
[…] et que la mise en œuvre de leur décision relève d’autres
acteurs »(Mintzberg, 1990 :140).
De plus, il est erroné de vouloir former des étudiants relativement
inexpérimentés à la gestion. On ne peut pas créer un leader dans une classe
de cours (Mintzberg, 2000). Pour devenir un manager global, il faut déjà
avoir une réelle expérience pratique et des capacités au leadership recon-
nues par ses subordonnés, ses supérieurs et ses pairs.
Dans le cas contraire, notre système éducatif ne peut que produire une
« nouvelle aristocratie qui pense que parce qu’elle a été présélectionnée à
un jeune âge sur la base de critères universitaires théoriques et a passé
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quelques années dans une classe, elle aura le droit d’atteindre rapidement
une position dominante dans une organisation et un jour la diriger »
(Mintzberg, 2000).
Mintzberg (1990) propose alors de changer les priorités de l’enseigne-
ment en gestion22 : « Il contiendrait moins d’analyse et de prescription et
plus de substance informelle et de perspicacité ». Sa philosophie reposerait
sur une vision du management comme étant une pratique, un art, une
science et un savoir-faire qui se rencontrent (Mintzberg, 2000).

22. Mintzberg a mis en pratique ses théories et créé en 1993 son propre diplôme (l’IMPM : International
Masters in practicing management) avec Jonathan Gosling : réservé aux cadres expérimentés. D’une
durée de 16 mois, il se déroule dans cinq pays (Canada, France, Inde, Japon et Angleterre) et comprend
5 modules de 15 jours (un par pays) 1°) Se manager, l’esprit réflexif ; 2°) Manager les relations, l’esprit de
collaboration ; 3°) Manager les organisations, l’esprit analytique, 4°) Manager le contexte, la vision globale
et mondiale ; 5°) Manager le changement et l’action. Les étudiants voyagent dans chaque campus et
s’immergent dans la culture du pays d’accueil (visite des entreprises locales, expérience de leurs collègues).
Après chaque module, les étudiants retournent travailler et doivent écrire un papier décrivant la façon
dont ce qu’ils ont appris les aide dans leur travail. Ils passent aussi entre chaque module, une semaine
dans le bureau d’un partenaire et prépare ensuite un papier détaillé de leurs observations.
142 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

3. STRUCTURE ET POUVOIR23
Les travaux de Mintzberg qui traitent de la structure et du pouvoir
reposent sur une analyse synthétique de la littérature sur ces questions24 et
s’appuient sur la théorie de la configuration initiée à la faculté de gestion
de McGill (notamment par Pradip Khandwalla) avec le lancement en
1971 d’un important programme de recherches auquel l’auteur va active-
ment participer. Ce courant de recherche est né de la volonté de répondre
à une limite importante de la théorie managériales qui a principalement
cherché à « expliquer le succès d’une organisation par l’utilisation d’un
attribut organisationnel unique » (la stratégie, l’environnement, la struc-
ture ou le dirigeant, etc.) alors qu’une organisation est en réalité une
constellation multidimensionnelle de caractéristiques, de dimensions ou
de composantes qui se manifestent ensemble (notion de couplage). En
n’étudiant qu’un paramètre isolé, les auteurs en management ne peuvent
pas disposer d’une vue d’ensemble de l’organisation. Ainsi, selon
Mintzberg, nous avons besoin de configurations pour comprendre plus
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rapidement et facilement les organisations25.
Une configuration est alors définie comme le co-alignement de diffé-
rents attributs.
La théorie de Mintzberg repose sur deux hypothèses :
• la combinaison des différents attributs ne peut engendrer qu’un
nombre restreint de configurations organisationnelles ayant les
moyens de survivre dans un contexte donné grâce à leur agencement
harmonieux (co-alignement naturel) ;
• les configurations idéales permettent de classer les organisations, de
concevoir des outils de conception et de diagnostic et en définitive
de mieux comprendre la réalité. Cependant, elles n’en sont qu’une
« simplification extrême ». et ne peuvent pas être trouvées telles
quelles. « Mais il y en a qui sont remarquablement proches d’une de
ces configurations alors que d’autres organisations reflètent une
23. La théorie développée par Mintzberg s’est affinée au cours de ses publications. Par exemple, l’auteur
a introduit un nouveau mécanisme de coordination dans son ouvrage de 1990. Nous présentons donc la
version la plus récente des propositions de Mintzberg. L’ouvrage de Jean Nizet et François Pichault
(1995) constitue selon nous une excellente critique des travaux de Mintzberg sur ce thème. De même,
l’ouvrage de Alain Desreumaux (1998 : 156-165) présente une excellente analyse critique de la théorie
des configurations organisationnelles.
24. Mintzberg a compilé et structuré les nombreuses études et publications à sa disposition en faisant le
postulat que les études très ciblées de la littérature sont des reflets de la réalité.
25. Pour Tsoukas, la théorie de la configuration a une vision organiciste du monde. C’est une théorie
synthétique et intégrative qui perçoit le monde au-delà de son apparence, comme étant cohérent et bien
intégré et fait l’hypothèse qu’il existe une logique immanente qui sous-tend la dynamique de l’objet
étudié et le conduit à une certaine forme de structuration (Desreumaux, 1998 : 91).
Henry Mintzberg 143

combinaison de plusieurs configurations, quelque fois dans des


périodes transitoires de l’une à l’autre » (Mintzberg, 1990 : 174).

3.1. Les attributs des configurations


Mintzberg distingue cinq familles d’attributs dont la combinaison (ana-
logie du jeu de puzzle) permet de former les configurations.
Première famille d’attribut : les six parties internes de l’organisation.
Selon Mintzberg (1983,1986), les organisations sont des coalitions dans
lesquelles les détenteurs d’influence représentant une partie de l’organisa-
tion cherchent à contrôler les décisions et actions entreprises et sont donc
en lutte pour déterminer la répartition du pouvoir. La coalition interne est
composée de six groupes qui représentent chacun une partie de l’organisa-
tion et exercent sur elle des forces dans des directions opposées :
• la Direction Générale symbolisée par le sommet stratégique, dont la
fonction est de faire en sorte que l’organisation remplisse sa mission
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de façon efficace, pousse à la centralisation afin de conserver le
contrôle du processus de prise de décisions. Lorsque le sommet
domine, la coalition est dite personnalisée ;
• les cadres intermédiaires responsables de la ligne hiérarchique, char-
gés de la supervision directe des opérateurs, poussent à la balkanisa-
tion afin d’obtenir plus d’autonomie par rapport au sommet. Si cette
force domine, la coalition est qualifiée de divisionnelle ;
• les opérateurs, localisés dans le centre opérationnel, prennent en
charge le travail même de l’organisation (production de biens et de
services) et cherchent à minimiser l’influence des dirigeants et celle
des analystes sur leur travail en encourageant une décentralisation à
la fois horizontale et verticale. Ils poussent vers le professionnalisme
(coalition professionnelle) ;
• les analystes de la technostructure qui sont des spécialistes en charge
de la conception et de l’exploitation des systèmes formels et informels
de gestion poussent en faveur de la standardisation (coalition bureau-
cratique) ;
• les salariés qui exercent les fonctions de support logistique (fourniture
de services internes (par ex. : service juridique) poussent à la collabo-
ration afin qu’on sollicite leurs expertises (coalition innovatrice).
Enfin, le sixième agent présent dans l’organisation a une nature un peu
particulière puisqu’il est inanimé. Il s’agit de l’idéologie de l’organisation
(ou culture d’entreprise) définie comme l’ensemble des croyances parta-
gées par les détenteurs d’influence internes. Elle insuffle une certaine
144 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

existence au squelette de la structure et poussent les cinq autres parties à


tirer ensemble dans le même sens (coalition idéologique).
Lorsque aucune de ses parties ne domine, la coalition est dite politi-
sée26, chaque force fondamentale tirant chacune de son côté.
Deuxième famille d’attribut : les quatre coalitions externes.
L’organisation est aussi soumise aux forces de la coalition externe com-
posée de quatre groupes d’acteurs qui cherchent à exercer une influence
sur elle par différents moyens de pression (normes sociales, contraintes
formelles, campagnes, contrainte directe, présence au Conseil d’adminis-
tration). Mintzberg distingue les propriétaires, les associés qui ont avec
l’organisation des relations économiques (fournisseurs, clients, concur-
rents et partenaires commerciaux), les associations de salariés (syndicats et
corporations professionnelles) et les publics représentant des groupes aux
intérêts généraux ou particuliers (pouvoirs publics, mouvements écolo-
giques, collectivités locales, etc.).
La coalition externe peut prendre plusieurs formes. Elle sera dominée
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si elle est contrôlée par un seul détenteur d’influence, divisée si elle com-
posée de groupes rivaux et passive lorsque le nombre de détenteurs d’in-
fluence qui la composent est si important que le pouvoir se trouve extrê-
mement dispersé. Entre la coalition interne et externe, on trouve le conseil
d’administration qui va réaliser l’interface.
Troisième famille d’attribut : les six mécanismes de coordination.
Les moyens fondamentaux par lesquels les organisations peuvent coor-
donner leur travail sont au nombre de six : l’ajustement mutuel (commu-
nication informelle privilégiée), la supervision directe, la standardisation
des procédés de travail (description des tâches), la standardisation des
résultats (management par objectifs avec autonomie dans le travail), la
standardisation des qualifications (niveau de formation requis, grille
d’emplois, etc.) et la standardisation des normes (comportement dicté par
la culture d’entreprise). Ces six mécanismes sont les éléments les plus fon-
damentaux de la structure. Mintzberg (1990) précise qu’ils constituent le
ciment qui tient les pierres de la bâtisse de l’organisation. Ils coexistent au
sein d’une même organisation mais en général l’un d’entre eux est domi-
nant.

26. Mintzberg accorde une place importante dans ses travaux aux jeux politiques qui présentent selon lui
trois caractéristiques (ils utilisent des moyens illégitimes, les objectifs poursuivis par les acteurs vont à
l’encontre des buts de l’organisation, ils prennent la forme de conflits, d’oppositions, de discordes entre
certains acteurs) et dont il présente treize d’entre eux (jeux de l’insoumission, du parrainage, de la con-
struction d’empire, de la rivalité entre deux camps, du coup de sifflet, etc.).
Henry Mintzberg 145

Quatrième famille : les neuf paramètres de conception.


La conception organisationnelle dépend d’une série de neuf paramètres
qui déterminent la division du travail et la réalisation de la coordination de
façon à créer des comportements stables dans l’organisation. Les structures
d’organisation sont composées en combinant ceux-ci de diverses façons. Les
paramètres sont liés aux mécanismes de coordination et concernent quatre
types de conception : la conception des postes (spécialisation du travail,
formalisation du comportement, formation et endoctrinement), la concep-
tion des liens latéraux (systèmes de planification et de contrôle et méca-
nismes de liaison), la conception de la superstructure (regroupement en
unités et taille des unités) et la conception du système de prise de décision
de l’organisation (six types de décentralisation).
Cinquième famille d’attribut : les quatre facteurs de contingence.
Selon Mintzberg (1979 : 208), pour qu’une structure soit efficace, il faut
qu’il y ait cohérence entre paramètres de conception et facteurs de contin-
gence. En effet, ces derniers (âge, taille, système technique et type d’envi-
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ronnement27) influencent les choix des paramètres de conception et inver-
sement. À ce propos Mintzberg a formulé un certain nombre d’hypothèses.
Sixième famille d’attribut : le pouvoir.
Mintzberg (1986) considère qu’un certain type de coalition externe a
plus de probabilité d’être associé à une coalition interne spécifique donnant
naissance à un type d’organisation donnée. Six types d’organisation sont
distinguées (instrument, système clos, autocratie, missionnaire, méritocratie
et arène politique). Par exemple, une coalition externe passive associée à une
coalition interne personnalisée donne naissance à une organisation autocra-
tique.

3.2. Les sept configurations organisationnelles


Les six familles d’attributs d’une organisation se combinent (analogie
du jeu de puzzle) et donnent naissance à sept configurations (différentes
façons de combiner les différentes pièces) dont le tableau (cf. ci-après)
présente les attributs types respectifs. Dans une volonté de synthétiser
l’ensemble de ses recherches, Mintzberg (1990 : 192-197) indique aussi les
principales correspondances que l’on peut établir entre certaines configu-
rations, les modes de formations des stratégies et les rôles joués par les
planificateurs.
27. Mintzberg (1983) distingue l’environnement stable ou dynamique, simple ou complexe, accueillant
ou hostile.
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Tableau 2. Les sept configurations organisationnelles


146

Organisation Entrepreneu- Mécaniste (bu- Professionnelle Divisionnalisée Innovatrice Missionnaire Politisée


riale reaucratique)* (méritocratie) (normative) (forme rare) (forme rare)
Partie dominante Sommet straté- Technostructure Centre opérationnel Ligne hiérarchique Fonctions support Idéologie Aucune
gique logistique (conflit)
Mécanisme Supervision Standardisation Standardisation des Standardisation des Ajustement mutuel Standardisation Aucun (jeu poli-
dominant directe des procédés qualifications résultats des normes tique)
Paramètres de conception de la structure (exemples)
Spécialisation du Peu, structure Horizontale et ver- Horizontale impor- Horizontale et verti- Horizontale forte Fort contrôle Jeu de pouvoir
travail simple ticale fortes tante cale modérées normatif informel
Type Organique Bureaucratique Bureaucratique Bureaucratique Organique Organique Organique
Décentralisation Centralisation Décentralisation Décentralisation Décentralisation ver- Décentralisation Décentralisation Aucune
horizontale lim. horizont./ vertic. ticale limitée sélective pure
Autres Informelle Formalisée S. logistique fort Autonomie locale Peu formalisée Informelle, flou Informelle
Facteurs de contingence/ contexte (exemples)
Age/taille Jeune Vieille/grande Vieille/ très grande Jeune
Environnement Stable, simple, Simple et stable Complexe et stable Marchés diversi-fiés, Complexe et
dynamique/ assez simple dynamique
Autres caractéristiques
Avantages Flexibilité, sens Efficace, sûre, Démocratie et auto- Risque réparti, capi- Peu bureaucrati- Sens mission. Stimule le chan-
mission, rapidité cohérente nomie tal mobile que/démocratie Cohérent gement
Inconvénients Vulnérable Pb d’adaptation Pb coordination Innovation faible Inefficience Implosion Explosion
Stratégies Learder Vision- Programmée, Stratégie stable Portefeuille groupe/ Emergente, cycle Réformateur, Arène politique.
naire Ré-sistance au mais stratégies division libre de leur de convergence/ convertisseur ou Confrontation
Plutôt délibérée chgt. Crise ponc- locales instables stratégie divergence cloître
tuelle
Pays associé Suisse Canada USA/Pays de l’Est Suède Japon Italie
Formation de la Modèle vision- Modèle rationna- Modèle politique Modèle incrémen- Modèle interpré-
stratégie naire liste tal tatif
Type de Inexitant Planificateurs droi- Inadaptée à la pla- Planificateurs gau-
planificateurs tiers nification chers
LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Forces Direction Efficience Compétence Concentration Apprentissage Coopération Compétition


*Selon Mintzberg (1990 :494), cette forme défendue par les trois écoles normatives de la pensée stratégique (conception, planification, positionnement) domine notre opin-
ion sur la façon dont les organisations devraient être établies.
(Tableau synthétique réalisé par l’auteur à partir des différentes contributions de Mintzberg sur ce thème)

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Henry Mintzberg 147

En 1991, Mintzberg affine encore sa théorie en introduisant le concept


de force (cf. dernière ligne du tableau 2). Selon lui, un système de sept
forces agit sur les organisations. Deux cas de figures sont alors envisa-
geables. Le premier correspond à la domination d’une des sept forces.
L’organisation prend alors la forme d’une des sept configurations présen-
tées précédemment. Cependant, cette domination n’est pas exempte de
risques. Si la force dominante est trop puissante, elle peut contaminer les
autres forces et les affaiblir. L’organisation risque alors d’échapper à tout
contrôle, la force dominante faisant tout pour la maintenir dans son état
actuel et l’empêchant ainsi de réaliser les adaptations nécessaires. Ainsi, les
configurations performantes ne peuvent être de forme pure (Mintzberg,
1991 : 59). Une organisation doit pouvoir disposer de forces secondaires
suffisamment fortes pour contenir et tempérer la force dominante. « Sans
ce que nous appelons l’endiguement, chaque configuration peut devenir
éventuellement normative28 » (Mintzberg ; 1990 : 384). De fait, manager
efficacement une configuration consiste à exploiter une des sept forces
tout en entretenant les autres forces. Le second cas intervient lorsqu’au-
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cune force ne domine29. L’organisation fonctionne alors comme une com-
binaison (analogie du jeu de lego) plus ou moins équilibrée de deux
(forme hybride30) ou de plusieurs forces. Ces forces peuvent se rencontrer
plus ou moins directement et l’équilibre peut être stable ou instable.
L’organisation peut aussi combiner différentes formes qui dominent diffé-
rentes parties. De même, certaines organisations peuvent laisser chaque
force dominer alternativement. Cependant, la combinaison n’est pas
exempte de risques. Elle dégénère souvent en conflit entre plusieurs forces
opposées (clivage) qui peut conduire à la paralysie de l’organisation.
Enfin, une organisation, même si elle passe une grande partie de sa vie
dans un état stable, est amenée au cours de son existence à changer de
forme quand celle-ci devient inefficace (sous la pression de l’extérieur ou
des forces internes). Elle va alors se convertir (de façon temporaire ou
permanente) en passant d’une configuration ou d’une combinaison à une
autre et traverser une période de transition plus ou moins longue et
conflictuelle. De fait, une organisation suit souvent un cycle de vie en
28. Nous nous rapportons au chapitre de cet ouvrage sur Kets de Vries car Mintzberg, en reprenant les
travaux de Miller et Kets de Vries (198X) considère que les organisations entrepreneuriale, mécaniste,
professionnelle, divisionnalisée et innovatrice peuvent devenir respectivement dramatique, maniaque,
paranoïaque, dépressive et schizophrène.
29. Sur 132 organisations étudiées par ses étudiants, la moitié était voisine de l’une des sept formes pures.
Les autres correspondaient à des combinaisons (17 identifiées dont la professionnelle innovatrice est la
plus courante) (Mintzberg, 1991 : 60).
30. Mintzberg (1990) cite l’exemple de l’orchestre symphonique qui est une combinaison stable et
uniforme entre les formes professionnelle (compétences des musiciens) et entrepreneuriale (Chef
d’orchestre).
148 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

quatre étapes (formation, développement, maturité, déclin) associé à un


cycle de changement de pouvoir.

Conclusion
Aussi bien consultant que chercheur en management et concepteur de
programmes pédagogiques, Henry Mintzberg apparaît comme un auteur
doté de multiples facettes dont les travaux ne peuvent laissés indifférents.
Ce chapitre montre d’ailleurs la richesse et la diversité de ses contribu-
tions. C’est pourquoi en guise de conclusion, il peut être intéressant
d’apprécier son œuvre au regard de ses différentes facettes en dressant un
portrait de l’auteur.
Henry Mintzberg en temps que chercheur a contribué à faire avancé la
recherche en management en proposant des réorganisations conceptuelles
brillantes (Desreumaux, 1998) qui ont le mérite d’intégrer les contribu-
tions de bon nombre d’autres auteurs qui encombraient jusque là le
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champ de l’analyse organisationnelle (Nizet et Pichault, 1995). Sa princi-
pale qualité est d’avoir développée au cours de ces quarante dernières
années une théorie complète et intégrative qui rend compte de la com-
plexité des organisations et de la difficulté de les gérer pour les dirigeants.
Henry Mintzberg en tant que chercheur en Sciences de Gestion est
caractérisé par le faible formalisme méthodologique propre à ses travaux
qui limite leur généralisation et rend difficile leur duplication telle quelle.
En effet, ses protocoles de recherche apparaissent souvent comme peu
rigoureux. De fait, Mintzberg formule rarement un raisonnement scienti-
fique avec élaboration d’hypothèses à tester empiriquement, privilégie
souvent l’interprétation des faits à leur vérification et se soucie peu de la
taille et de la représentativité de ses échantillons.
Mintzberg en tant qu’analyste des organisations a développé une théo-
rie qui permet d’opérer un diagnostic global du fonctionnement d’une
organisation. En revanche, il ne traite pas de deux dimensions importantes
qui permettraient de compléter son approche :
• la dimension individuelle des organisations. L’individu est complè-
tement exclu en tant qu’acteur, dans ses jeux de pouvoir et d’inte-
ractions sociales, pour n’étudier que les masses divisées par grandes
fonctions (Nizet et Pichault, 1995) ;
• et la dimension macro. Les phénomènes macrosociaux (évènements,
évolutions politiques, sociales et économiques) ne sont pas abordés
Henry Mintzberg 149

alors qu’ils peuvent avoir des effets non négligeables et convergents


sur les organisations (Nizet et Pichault, 1995).
Mintzberg en temps qu’auteur d’ouvrages et d’articles de référence s’est
positionné comme un vif opposant à la vision de l’organisation développée
par les auteurs des écoles managériales classiques (cf. par exemple son
débat avec I. Ansoff ). Son style incisif, l’utilisation de métaphores bril-
lantes, la qualité de son raisonnement associée à une certaine lourdeur
(taille des ouvrages où l’essentiel n’est pas toujours distingué de l’acces-
soire, multitude de variables mobilisées et d’hypothèses formulées) et au
caractère peu scientifique de ses travaux ont conduit à développer autour
de ses recherches de nombreuses polémiques.
Enfin, Mintzberg en tant que consultant et concepteur de programmes
pédagogiques apparaît comme un innovateur, porteur d’une vision de
l’organisation, qui cherche à transformer son fonctionnement notamment
en repensant la formation des dirigeants.
Pour ces raisons, Mintzberg est indéniablement une des références les
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plus incontournables dans le domaine du management et l’un des auteurs
dont la lecture s’avère la plus instructive.

Travaux cités de l’auteur31


Mintzberg, H. (1967), « The Science of Strategy-making », Industrial Management
Review, vol. 8, p. 71-81.
Mintzberg, H. (1973b), « Strategy-making in Three Modes », California
Management Review, Winter, vol. 16, n° 2, p. 44-53.
Mintzberg, H. (1975), « The Manager’s Job : Folklore and Fact », Harvard
Business Review, August.
Mintzberg, H. (1978), « Patterns in Strategy Formation », Management Science,
mai, vol. 24, p. 934-948.
Mintzberg, H. (1982), Structure et dynamique des organisations, Paris, Éditions
d’Organisation Traduction de Mintzberg (1979), The Structuring of
Organizations, N-J, Prentice Hall, Englewood Cliffs.
Mintzberg, H. (1984), « Power and Organization Life Cycles », Academy of ma-
nagement review, avril, vol. 9, n° 2, p. 207-224.
Mintzberg, H. (1984), Le manager au quotidien : les dix rôles du cadres, Paris, Les
éditions d’Organisation, traduction de Mintzberg, Henry (1973a), The
nature of managerial work, Harper and Row.
Mintzberg, H. (1986), Le pouvoir dans les organisations, Paris, Éditions
d’Organisation, Traduction de Mintzberg (1983), Power in and around
Organization, N-J, Prentice Hall, Englewood Cliffs.
31. La bibliographie complète est disponible sur le site de l’auteur : www.henrymintzberg.com
150 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Mintzberg, H. (1987), « Crafting Strategy », Harvard Business Review, juillet,


p. 66-77.
Mintzberg, H. (1990), Le Management : voyage au centre des organisations, Paris,
Éditions d’Organisation, Paris traduction de Mintzberg, H. (1989), Mintzberg
on management : inside our strange word of organizations, New York, Free Press.
Mintzberg, H. (1991), « The Effective Organization : Forces and Forms », Sloan
Management Review, winter, p. 54-67.
Mintzberg, H. (1992), « Commentary on MBA, is the Traditional Model
Doomed », Harvard Business Review, novembre, p. 129.
Mintzberg, H. (1994), « Rounding Out the Manager’s Job », Sloan Management
Review, vol. 36, n° 1, fall, p. 11-26.
Mintzberg, H. (1994), Grandeur et décadence de la planification stratégique, Paris,
Éditions d’Organisation Traduction de The Rise and Fall of Strategic Planning,
New York, London, The Free Press Prentice Hall International.
Mintzberg, H. (2000), « You Can’t Create a Leader in a Classroom », www.
Henrymintzberg.com
Mintzberg H. (2014), Manager ce que font vraiment les managers, Paris, Vuillet.
Mintzberg, H. (2014), Rebalancing Society, amazon.com.
Mintzberg, H. (avec Ahlstrand Bruce et Lampel, Joseph) (1999), Safari en pays
stratégie, Paris, Éditions Village Mondial, traduction de Mintzberg, H. et al.
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(1998), Strategy Safari, The Free Press
Mintzberg, H., Raisinghani, D. et Theorêt, A. (1976), « The Structure of
“Unstructured” Decision Processes », Administrative Science Quarterly,
vol. 25, juin, p. 465-499.
Mintzberg, H., Waters, J. (1985), « Of Strategies, Deliberate and Emergent,
Strategic Management Journal, vol. 6, p. 257-272.
Mintzberg, H. et J. Waters (1990), « Does Decision Get in the Way »,
Organizational studies, vol. 11, n° 1, p. 1-6.
Mintzberg, H., Westley, F. (1992), « Cycles of Organizational Change », Strategic
Management Journal, vol. 13, p. 39-59.

Autres références bibliographiques


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& Société.
Nizet, J., Pichault, F. (1995), Comprendre les organisations : Mintzberg à l’épreuve
des faits, Europe, Gaëtan Morin Éditeur.
X. JEFFREY PFEFFER ET GERALD SALANCIK – LA DÉPENDANCE DES
RESSOURCES EST STRATÉGIQUE

Sandra Charreire Petit


in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 151 à 165


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-151.htm
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ressources est stratégique
La dépendance des
et Gerald Salancik
Jeffrey Pfeffer

Sandra Charreire Petit


X
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152 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Sur une décennie, Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik ont co-signé plus
de quinze articles dans les plus grandes revues, offrant ainsi une des colla-
borations les plus fructueuses que l’on puisse identifier en management :
cinq articles dans Administrative Science Quarterly entre 1974 et 1978
dont l’un (1978-a) a été primé par l’Academy of Management et deux
articles dans Academy of Management Journal (1978 et 1980), entre autres.
Au-delà des revues académiques, certains articles ont été reproduits dans
différents ouvrages entre 1978 et 1989, dont l’un l’a été neuf fois. Le point
culminant de cette collaboration est cependant constitué par un ouvrage-
clé, en 1978, qui présente la théorie de la dépendance des ressources, et
qui reste l’apport fondamental de de cette collaboration. Ce chapitre a
pour objet de présenter essentiellement cette théorie en la resituant dans
son contexte d’émergence et en en soulignant les principaux déterminants.
La période concernée reste celle d’une décennie particulièrement
féconde en perspectives nouvelles pour l’étude du comportement organi-
sationnel. Le contexte académique est alors celui de débats fondamentaux,
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notamment sur le rôle de l’environnement (perspective déterministe
dominante) et Pfeffer et Salancik manifestent une réelle originalité de
pensée. Les théories de l’époque (comportement individuel, motivation,
leadership, communication interpersonnelle, design organisationnel…)
sont orientées par la logique de maximisation de l’utilisation des ressources
par la firme. Imposant une autre approche du problème, Pfeffer et
Salancik discutent des questions ayant trait à l’acquisition de ces ressources
par les organisations. Pour ces chercheurs, la négligence et la sous estima-
tion du contexte social, trop fréquentes dans les développements théo-
riques, ne peuvent conduire qu’à une mauvaise appréhension du compor-
tement de l’organisation. Ainsi, la problématique est moins la maximisa-
tion d’objectifs sous contraintes de ressources disponibles dans l’organisa-
tion, que la maximisation sous contraintes des ressources disponibles dans
l’environnement.
Pour Pfeffer et Salancik, aucune entreprise n’est complètement sous
son propre contrôle. En cela, leur pensée est conforme à la logique domi-
nante de l’époque. Ils développent cependant une perspective qui fait
place à une voie nouvelle : celle du contrôle externe de la firme, laquelle
considère les questions d’acquisition et d’utilisation des ressources comme
stratégiques. Parce qu’elles importent des ressources de leur environne-
ment social, les organisations en dépendent et leur survie est due à des
adaptations internes efficaces, mais aussi à des ajustements avec leur envi-
ronnement.
Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik 153

Notices biographiques
Jeffrey Pfeffer est né en 1946. Il a obtenu, en 1972, un Ph.D. en comportement
organisationnel à l’Université de Stanford. Il a ensuite enseigné à l’Université de
l’Illinois (Urbana-Champaign) de 1971 à 1973, puis à Berkeley en Californie jusqu’en
1979 et à Stanford depuis. À la suite de ses travaux avec Salancik, il a travaillé sur le
management du pouvoir, le management des connaissances ou sur le leadership. Dans
un ouvrage paru en 2015, Pfeffer s’attache à comprendre les causes des échecs, en
matière de leadership et, ce faisant, à proposer une nouvelle conceptualisation du lead-
ership. Il est considéré aujourd’hui comme l’un des penseurs les plus influents en
management.
Gerald Salancik (1943-1996), après une expérience dans le journalisme, est venu à la
recherche académique par le biais de la psychologie sociale expérimentale où il s’est
particulièrement intéressé aux contextes sociaux de l’action (cf. Weick, 1996). En
1970, il est titulaire d’un Ph.D. en psychologie sociale de l’Université de Yale. Son
travail avec Pfeffer a débuté lorsqu’ils ont rejoint ensemble l’Université de l’Illinois et
leur ouvrage The External Control of Organizations est le fruit d’importantes collabora-
tions dès 1971. Salancik a poursuivi ses recherches, toujours centrées sur les contextes
sociaux des actions organisationnelles depuis les Universités de Carnegie Mellon et de
Pittsburg, en Pennsylvanie.
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1. LA THÉORIE DE LA DÉPENDANCE DES RESSOURCES
ÉMERGE DANS UNE DÉCENNIE RICHE
EN PERSPECTIVES NOUVELLES
Jusqu’à la fin des années soixante, la structure de l’organisation est un
élément fondamental de compréhension du comportement de la firme.
Les travaux de Lawrence et Lorsch, de Woodward, mais aussi de Burns et
Stalker en particulier fondent le courant de la contingence structurelle.
Cette conception pose l’organisation comme une entité isolable de son
environnement face auquel elle est contrainte de s’adapter. C’est précisé-
ment ce que remettent en cause les théoriciens des années soixante-dix. En
effet, au cours de cette décennie, trois perspectives nouvelles importantes
pour le champ de la théorie des organisations émergent : La théorie des
coûts de transaction de Williamson (1975), le néo-institutionnalisme
sociologique de Meyer et Rowan (1977) et l’écologie des populations de
Hannan et Freeman (1977) puis de Aldrich (1979)1. Ces trois théories
interrogent de façon nouvelle les rapports que l’organisation entretient
avec son environnement. Les années soixante-dix marquent une rupture
entre une conception dominante globalement relativiste mais très déter-
ministe de l’organisation (école d’Aston) et une perspective plus volonta-
1. Les apports structurants de Williamson, de Meyer et Rowan et d’Aldrich sont traités au sein de
chapitres dédiés dans le présent ouvrage.
154 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

riste et systémique qui situe l’organisation dans l’interaction active avec


son environnement. C’est dans cette dernière perspective que s’inscrit le
travail de Pfeffer et Salancik, mais aussi celui de Hannan et Freeman ou
encore celui d’Aldrich. En effet, l’éloignement substantiel du paradigme
dominant peut être illustré, chez Pfeffer et Salancik, par la prise en compte
d’un contrôle plus ou moins étroit des ressources de l’environnement par
l’acteur décisionnaire au sein de l’organisation. En plaçant notamment les
notions de pouvoir et de conflits d’intérêts au cœur de leur réfléxion,
Pfeffer et Salancik se rapprochent des positions néo-institutionnelles. Il
faut y lire ici la fertilisation croisée de l’intérêt de Jeffrey Pfeffer pour le
concept de pouvoir et de celui de Gérald Salancik pour la notion d’action
sociale.
La thèse du contrôle externe de Pfeffer et Salancik met l’accent sur le
rôle fondamental de l’environnement en tant qu’ensemble multiple au
sein duquel la firme peut aller puiser les ressources dont elle a besoin. La
survie de la firme n’est alors possible qu’à la condition de satisfaire les
autres organisations ou groupes d’intérêts avec lesquels elle est en relation,
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notamment pour parvenir à se procurer les ressources nécessaires.

1.1. L’ancrage externe de la théorie :


une proximité avec le néo-institutionnalisme
sociologique
La théorie de la dépendance des ressources est, par certains aspects,
assez proche de la théorie néo-institutionnelle. D’inspiration sociologique,
cette dernière pose l’organisation comme une entité socialement construite
par son environnement. De manière générale pour les néo-institutionna-
listes, la firme est le produit des institutions qu’elle a contribué à créer.
Ainsi, les organisations évoluent dans des contextes institutionnels dont la
compréhension est indispensable pour saisir le fonctionnement des firmes.
Ceci pose la question de la définition et de l’appréhension de l’environne-
ment.
De manière classique, l’environnement est souvent qualifié à l’aune de
variables comme les différents marchés, la concurrence, les pouvoirs
publics, les fournisseurs, l’écologie, la technologie, les facteurs sociocultu-
rels, démographiques et économiques. La considération accordée à ces
différents éléments favorise une conception plus ou moins déterministe de
l’organisation (Desreumaux, 1998). En effet, ils structurent les logiques
d’actions pour les uns (conception déterministe) ou font partie des dimen-
Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik 155

sions dans lesquelles les organisations vont aller puiser des ressources pour
les autres (conception volontariste). Par conséquent, le mode d’appréhen-
sion de l’environnement est une clé fondamentale de la compréhension du
comportement et des actions organisationnelles, en supposant que chaque
organisation interprète son environnement. Ainsi, il n’existerait pas un
mais des environnements : ceux que les organisations se créent en font
partie. C’est précisément dans cette conception que les travaux de Pfeffer
et Salancik s’inscrivent. De manière plus précise encore, si globalement, la
théorie du contrôle externe marque le caractère volontiers déterministe de
la théorie, la participation de l’organisation à la création (ou ré création)
de son environnement2 atténue la perspective déterministe et consacre la
part volontariste de l’action organisationnelle.

1.2. Une parenté particulière avec l’écologie


des populations
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La perspective du contrôle externe de Pfeffer et Salancik est partagée par
la théorie de l’écologie des populations de Hannan et Freeman. La domina-
tion qu’exerce l’environnement sur les organisations est cependant plus
affirmée encore chez ces derniers. Le rôle de l’environnement suffirait à
expliquer la dynamique des phénomènes organisationnels et l’étude de
populations homogènes d’organisations en concurrence permettrait alors
d’étudier les modalités d’accès aux ressources limitées. Pour Hannan et
Freeman, seul l’environnement sélectionne les entreprises qui survivent ; les
firmes sont difficilement capables de s’adapter tant les forces environne-
mentales sont vives et le rapport de force totalement asymétrique. Pour
Pfeffer et Salancik, si l’organisation connaît également de grandes difficultés
pour s’adapter au système de contraintes représenté par l’environnement,
leur analyse est moins radicale, notamment parce qu’ils n’évacuent pas tota-
lement la dimension stratégique interne de l’organisation3. Pour eux, le rôle
des acteurs de l’organisation, en particulier celui des dirigeants, existe,
même s’il est embryonnaire ou faible. Il est principalement de nature sym-
bolique et vise essentiellement à donner un sentiment ou une apparence de
contrôle sur l’environnement. Le déterminisme reste important.

2. K. Weick (1979) pose le terme d’enactement (voir le chapitre dédié à ce grand auteur dans le présent
ouvrage).
3. Les articles parus dans Administrative Science Quarterly (1974a ; 1974b et 1977c en particulier),
traitant du pouvoir et des stratégies développées pour l’allocation des ressources, l’illustrent.
156 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

2. L’ANCRAGE DE LA DÉPENDANCE DES RESSOURCES


DANS DES DÉBATS FONDAMENTAUX
La théorie de la dépendance des ressources trouve sa source et sa légiti-
mité dans des débats sur les déterminants et la dynamique des organisa-
tions. Plus précisément, la question est finalement de savoir de quel degré
de maîtrise disposent les acteurs d’une organisation ? Sont-ils totalement
inaptes à contrôler quoi que ce soit parce que les forces en présence les
dépassent ? Ou disposent-ils malgré tout d’un libre arbitre pour agir dans
un environnement ? Outre l’illustration des différences entre les concep-
tions déterministes et volontaristes de l’organisation, ce débat pose en
particulier la question des frontières de l’organisation : où s’arrête l’orga-
nisation et où commence son environnement ? Quel est alors le périmètre
d’action potentielle des acteurs, en particulier des dirigeants ?

2.1. La perspective interactionniste ou la


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nécessité de reconsidérer la notion de frontière
organisationnelle
Différentes conceptualisations de l’organisation cohabitent dans la lit-
térature et les débats sur la notion de frontière invitent prudemment à dire
qu’elles sont floues. Dans une perspective interactionniste, Pfeffer et
Salancik (1977a, 1978b) définissent l’organisation comme une coalition
de groupes d’intérêts, chacun d’entre eux attendant d’obtenir quelque
chose de la collectivité grâce aux interactions avec les autres, et chacun
ayant ses propres préférences et objectifs. Le résultat de ces interactions et
échanges est constitutif de l’organisation. Les acteurs de l’organisation
contribuent à l’activité de la collectivité et reçoivent des salaires pour
s’assurer de sa pérennité. Les organisations sont alors considérées comme
des micro marchés au sein desquels l’influence et le contrôle sont négociés
et alloués en fonction de ce que les participants déterminent comme essen-
tiels pour la survie et le succès de la firme4. Plus précisément, pour Pfeffer
et Salancik (1978b), les frontières d’une organisation sont appréhendées
en fonction des influences qu’elle exerce sur les activités d’un secteur, en
comparaison à l’influence qu’exercent d’autres acteurs sociaux sur les
mêmes activités dans le même secteur. In fine, parce que les organisations
sont des micros marchés, leurs frontières sont définies en termes d’in-
fluence et de contrôle.
4. Sur ces questions, le lecteur pourra utilement se reporter à deux articles des deux auteurs (1977b) et
(1978a).
Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik 157

Au-delà de la cohérence avec la conception d’un système organisation-


nel ouvert, ces arguments montrent à l’évidence la difficulté de circons-
crire avec précision les frontières de l’organisation. Pour autant, cette
dimension est centrale dans la théorie de la dépendance des ressources au
sens où l’organisation « efficace » est celle qui parvient à se procurer des
ressources en agissant dans et sur ce qu’elle considère comme étant son
environnement.
Agir dans et sur l’environnement apparaissent indissociables. La dicho-
tomie « classique » et tranchée entre l’interne et l’externe apparaît donc
peu pertinente dans l’œuvre de Pfeffer et Salancik. L’organisation déve-
loppe des liens constants dans son environnement sous des formes variées
(les partenariats, les joint ventures, la sous-traitance…). Depuis l’exposé
de cette nouvelle perspective, la séparation sémantique entre l’externe et
l’interne apparaît moins comme le fait de frontières observables que
« d’une convention destinée à produire un discours clair » (Livian, 1998).
Aujourd’hui encore, ce discours conserve toute sa pertinence à l’heure des
débats sur les recompositions/reconfigurations des frontières de l’entre-
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prise. Notons alors qu’à partir du moment où la notion de frontière
(interne versus externe) est floue et n’est appréciable que par le seul système
d’influences qui caractérise l’organisation dans son environnement, le
caractère déterministe versus volontariste de la théorie proposée par Pfeffer
et Salancik n’est pas aussi discriminant qu’il ne l’est pour des perspectives
comme l’écologie des populations ou l’évolutionnisme.

2.2. De l’interaction à l’interdépendance :


la clé de voûte du modèle de contrôle social
Quel qu’il soit, un système organisationnel est engagé dans une relation
d’interdépendance avec son environnement et son comportement est en
partie dicté par les demandes et les pressions des acteurs au sein de ce
contexte. Cette contrainte résulte de situations d’interdépendance asymé-
triques.
L’hypothèse selon laquelle l’organisation est davantage influencée
quand la dépendance externe est importante constitue le socle de la pers-
pective du contrôle externe. Dans la théorie de la dépendance des res-
sources, l’environnement est constitué de demandes conflictuelles pour les
organisations. Ces dernières interagissent entre elles, entretenant ainsi des
interdépendances qui croissent avec le temps. Cette vision confère un
caractère plus difficile pour le management, obligé de traiter avec des
158 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

demandes compétitives et conflictuelles5. La tâche du dirigeant consiste


alors à gérer cette coalition d’intérêts pour que puissent se poursuivre les
activités de la firme. La fonction primordiale du manager ou du leader est
alors d’être un symbole, c’est-à-dire un point de focalisation des succès et
échecs de l’organisation. En d’autres termes, il personnifie l’organisation,
ses activités et ses résultats. Ce phénomène renforce le sentiment d’une
prévision et d’un contrôle possibles, en conséquence de quoi le dirigeant
est souvent une cible pour ses observateurs. La fonction « symbolique » du
manager n’est pas neuve (cf. Mintzberg, 1973) mais son rôle est substan-
tiel et souvent réaffirmé dans la conception de Pfeffer et Salancik (1974-b,
1975, 1978-b), en raison notamment des importantes fonctions sociales
remplies grâce à la manipulation de symboles6. L’action managériale
requiert à la fois la reconnaissance du contexte social et des contraintes
avec lesquelles l’organisation va devoir opérer, et le choix des ajustements
organisationnels pour répondre à ces réalités sociales. Le manager serait
ainsi un « avocat » et un « manipulateur actif » de contraintes du contexte
social au sein duquel l’organisation est insérée7.
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Pfeffer et Salancik (1978b) mettent en évidence différents moyens pour
contrôler des situations d’interdépendance défavorables à une organisation
donnée. Ces techniques impliquent, par exemple, la restriction de l’accès
à l’information sur le fonctionnement des échanges. Il y a une asymétrie
informationnelle : les organisations émettent des demandes et ne savent
pas ce que les autres ont obtenu. Elles sont, de fait, incapables d’évaluer si
leurs propres demandes ont été correctement satisfaites. Elles ont donc
davantage de difficultés à apprécier leur sphère d’influences. Le modèle de
contrôle social externe des organisations développé par Pfeffer et Salancik
cherche, en d’autres termes, à prédire et à expliquer l’occurrence des
actions organisationnelles entreprises pour gouverner le contrôle social des
relations.
Lorsque les entreprises ne parviennent pas à régler les problèmes d’in-
terdépendance qu’elles rencontrent ou lorsque les ressources pour y parve-
nir sont trop largement dispersées, les organisations essaient alors d’utiliser
à leur avantage un pouvoir social plus large. En d’autres termes, quand le
contrôle de la dépendance externe par le contrôle des ressources est diffi-
cile, les organisations ont recours à la sphère politique pour tirer parti du
pouvoir social légal. Elles sont alors tentées de s’impliquer dans la vie
politique (lobbying notamment) quand les activités des gouvernements
5. On note la proximité ici avec les travaux de Cyert et March (1963).
6. Les auteurs soulignent à ce propos que, excepté Mintzberg, cette activité symbolique a été négligée
dans les recherches passées.
7. Les articles de Leblebici et al. (1976) et de Pfeffer et Salancik (1977a) offrent un éclairage particulier
sur l’approche managériale en fonction des contraintes représentées par le contexte social.
Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik 159

commencent à affecter leur bonne santé économique et la perception


qu’elles ont du caractère stable de leur environnement8.
L’environnement politique et légal n’échappe donc qu’en partie au
contrôle des organisations. D’après Pfeffer et Salancik (1978), les lois, la
légitimité et les résultats politiques sont également imputables aux actions
organisationnelles pour infléchir leur contexte social dans une direction
qui favorise leur survie, leur croissance et leur stabilité. Plutôt que de
considérer l’environnement comme une donnée, il est bien plus réaliste,
pour ces auteurs, de le penser comme le résultat d’un processus qui
implique à la fois l’adaptation à l’environnement et des tentatives pour
changer cet environnement (Oliver, 1991).

3. ANALYSE DE DEUX SOCLES DE LA THÉORIE


CONSTITUTIFS DE LA DÉPENDANCE
DES RESSOURCES
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La compréhension du cadre théorique de la dépendance des ressources
fait apparaître que, outre les notions précédemment évoquées, d’autres
concepts en constituent le socle. Ainsi, les concepts d’efficacité organisa-
tionnelle et de contrainte « positive » contribuent à préciser le cadre de
pensée des auteurs. Au-delà, la conception de l’environnement mobilisée
dans leurs travaux est très proche de celle développée quelques années plus
tôt par K. Weick.

3.1. Une conception de l’efficacité


organisationnelle structurante de la théorie
Pour comprendre le comportement d’une organisation, il est impératif
d’en comprendre le contexte. Est ici exprimé un fondement de la perspec-
tive systémique9. En dépit de l’apparente banalité de cette position, la
plupart de la littérature sur les organisations ne reconnaît pas, à l’époque,
l’importance des contextes en tant qu’éléments structurant l’organisation.
En effet, la question de l’existence même des organisations est discutée10
8. L’article paru dans Administrative Science Quarterly, et référencé (1974-a), permet d’appréhender plus
largement l’émergence de ces notions.
9. Dès 1966, Katz et Kahn posent que l’organisation devait être appréhendée comme un système ouvert,
en relation avec son environnement. Cette idée n’est donc pas nouvelle et Pfeffer et Salancik y adhèrent.
10. En particulier par Coase puis Williamson qui cherchent à répondre à l’interrogation « pourquoi la
firme existe-t-elle ? » Pour Pfeffer et Salancik, cette question n’est intéressante que lorsque les ressources
dont elle a besoin viennent à manquer.
160 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

et constitue une problématique en soi. C’est précisément ce que Pfeffer et


Salancik contestent. Leur position consiste à dire que les organisations
survivent tant qu’elles sont efficaces. Pour ce faire, elles doivent établir des
transactions avec leur environnement afin d’acquérir les ressources dont
elles ont besoin. Ceci est vrai quels que soient leur taille ou leur statut.
Ainsi, la question même de leur existence ne se pose pas tant que les res-
sources externes dont elles ont besoin existent et sont disponibles dans
l’environnement. Pour Pfeffer et Salancik, le problème n’est pas simple-
ment lié à cette dépendance mais provient plutôt du fait que l’environne-
ment n’est pas dépendant des organisations. Ces éléments légitiment ainsi
la perspective nouvelle proposée qui pense l’organisation aussi dans ses
relations externes.
Dans quelle mesure l’organisation est-elle efficace ? Selon Pfeffer et
Salancik (1978b), l’efficacité d’une organisation est sa capacité à créer des
résultats acceptables et à entreprendre des actions. Il est alors primordial
de ne pas confondre efficacité organisationnelle et efficience.
L’efficacité organisationnelle est un « standard externe » ayant trait à la
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manière dont une organisation rencontre les demandes de groupes divers
et d’organisations concernées par ses activités. Le plus significatif aspect de
ce concept est que l’efficacité est toujours, au final, évaluée et jugée par des
instances externes à l’organisation (ex. de la firme automobile : son effica-
cité est jugée par les clients et par les instances dirigeantes, non par les
constructeurs eux-mêmes…). Cela ne signifie pas pour autant que l’orga-
nisation soit à la merci de son environnement. L’organisation peut et doit
manipuler, influencer et créer de l’acceptabilité pour elle-même et pour ses
activités. L’efficacité des organisations serait donc, finalement, une ques-
tion socio-politique. L’efficience organisationnelle, quant à elle, est un
« standard interne » de performance. L’efficience est mesurée par un ratio :
ressources utilisées sur ressources produites. Mais, parce que l’efficience
implique de toujours mieux faire, les pressions externes sur l’organisation
sont souvent définies de manière interne, remarquent Pfeffer et Salancik.
L’efficacité est une évaluation externe de ce que les organisations font,
alors que l’efficience est une évaluation interne de la quantité de ressources
consommées dans le processus d’action organisationnelle.
Le concept d’environnement est important pour apprécier l’efficacité
organisationnelle notamment parce qu’elle est évaluée par des éléments
externes à l’organisation, à l’aune de critères propres à chaque évaluateur.
Reste le problème de sa définition. Pour Pfeffer et Salancik, les environne-
ments des organisations sont créés par un processus d’attention et d’inter-
prétation. Les systèmes d’information organisationnels sont alors les sup-
ports ou vecteurs de ce dernier.
Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik 161

3.2. Une acception weickienne


de l’environnement et une vision positive
de la contrainte
Afin de découvrir comment l’environnement affecte les structures et les
décisions de l’organisation, la question de savoir comment la firme
apprend de son environnement est fondamentale. Pfeffer et Salancik s’ins-
crivent dans la perspective de Weick en faisant leur le concept d’enactment.
Pour Weick (1969), les êtres humains créent l’environnement auquel le
système organisationnel s’adapte. L’acteur ne réagit pas à un environne-
ment, il le construit autant qu’il est construit par lui. Le concept d’enact-
ment intègre deux processus repris par Pfeffer et Salancik. Le premier
processus consiste à décréter l’existence des choses, comme dans un pro-
cessus législatif. Le second consiste à recréer ou à se représenter le monde.
Un individu à qui l’on demande ce qu’il a vu est obligé, à la fois de recons-
truire l’image qu’il se remémore, et de décréter l’existence de quelques-
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unes des images qu’il a oubliées. Selon Pfeffer et Salancik, les deux proces-
sus sont mobilisés par l’acteur qui interprète les événements de son envi-
ronnement. L’implication principale de cet argument est que la création
de sens est rétrospective et que les actions ne sont connues que lorsqu’elles
ont été menées en totalité. Ainsi, toutes les perceptions de l’environne-
ment sont des représentations : ce qu’un individu perçoit n’est pas un
stimulus, mais la représentation qu’il s’en fait.
Les premiers travaux de Weick (1969) ont des implications considé-
rables pour la compréhension des actions organisationnelles. À partir du
moment où les organisations construisent leur environnement autant
qu’elles sont structurées par celui-ci, on ne doit plus considérer qu’il existe
un, mais des environnements. Et parler des contextes séparément d’orga-
nisations particulières n’a plus beaucoup de sens : l’un ne va pas sans
l’autre11.
Pour Pfeffer et Salancik, il est important de reconnaître que les actions
organisationnelles sont déterminées par un environnement co-construit
(enacted) – l’organisation répond à ce qu’elle perçoit et croit dans le
monde qu’elle perçoit. L’enactment suggère, entre autres, qu’une attention
plus grande doit être accordée au management de l’acquisition de l’infor-
mation et aux déterminants du processus d’attention12 dans les organisa-
tions. Pour décrire le processus de construction de l’environnement,
11. Cette idée est déjà présente chez Lawrence et Lorsch (1967) pour qui la détermination de
l’environnement ne peut être faite indépendamment de l’organisation que l’on considère.
12. Le processus d’attention est restrictif : on ne peut multiplier les sources d’attention simultanément.
162 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Weick parle « d’environnement négocié ». Pour lui, les phénomènes sont


réifiés en les évoquant.
Ainsi, le processus de sélection pose l’organisation comme une entité
disposant d’un libre arbitre pour déterminer ce qui fait et ne fait pas partie
de son environnement. En faisant leur cette position, Pfeffer et Salancik
s’éloignent nettement des perspectives déterministes où les organisations
sont totalement soumises à un environnement extérieur auquel elles ne
peuvent, qu’au mieux, tenter de s’adapter afin de survivre, pour se rappro-
cher d’une conception volontariste de l’environnement organisationnel.
La contrainte environnementale constitue un autre concept significatif
de la thèse de Pfeffer et Salancik. Le comportement est inévitablement
contraint par des réalités physiques, des normes sociales, ce qui limite la
marge de manœuvre, y compris pour les dirigeants. Ces contraintes sont
fréquemment perçues comme indésirables, restreignant la créativité et
l’adaptation. Cependant, dans bien des cas, soulignent les auteurs, l’action
n’est pas possible sans contrainte car celle-ci guide le choix et facilite le
processus de décision. Or, quand une contrainte est nécessaire, elle cesse
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d’être une contrainte ! Ceci explique, selon Pfeffer et Salancik, la faible
variance entre les actions, mais aussi le peu de divergence sur l’apprécia-
tion de ces mêmes actions en termes de performances individuelles et
organisationnelles. Si les individus ont, d’une certaine manière, plus de
facilité à agir parce, paradoxalement, ils agissent sous contrainte, cela
n’implique pas pour autant qu’ils peuvent créer « la réalité » qu’ils sou-
haitent. Autrement dit, la contrainte est positive pour l’action mais ne
permet qu’un nombre limité d’actions et demeure une restriction du
champ des possibles. Réapparaît ici le poids de la dissymétrie dans le sys-
tème d’influences permettant de qualifier un environnement organisation-
nel particulier.

4. L’EFFICACITÉ ORGANISATIONNELLE AU CŒUR


DES APPORTS THÉORIQUES ET MANAGÉRIAUX
Toutes les contributions de Pfeffer et Salancik portent une attention
particulière au contexte social, aux motivations, au système d’influence et
aux actions. Il s’agit d’un véritable programme de recherche qui se révèle
notamment au moyen de la présentation de la théorie de la dépendance
des ressources en 1978. La perspective alors développée récuse la validité
d’une conception de l’organisation auto-dirigée, composée d’acteurs auto-
nomes poursuivant leurs propres objectifs. Au contraire, elle affirme que
les organisations sont en partie dirigées par d’autres acteurs sociaux et sont
Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik 163

impliquées dans un combat constant pour l’autonomie et la préservation


d’un libre arbitre.
Outre sa visée explicative et, au-delà, compréhensive, la théorie de la
dépendance des ressources élabore des solutions pour limiter ou contrôler
l’interdépendance. Une des réponses possibles consiste à l’absorber, par
exemple au moyen de fusions. Dans l’ouvrage de 1978, les fondateurs de
la théorie développent ainsi des scénarii de fusion distincts en fonction, en
particulier, de la configuration environnementale considérée. La profitabi-
lité des fusions est alors discutée13.
Pfeffer et Salancik (en particulier, 1974a, 1974b) développent d’autres
apports conceptuels significatifs. Ils étudient la succession des dirigeants et
montrent que les contingences environnementales influent sur la distribu-
tion des pouvoirs internes. Le recrutement, par exemple, est lu comme un
échange d’informations qui accroît la coordination. Cette forme inter
organisationnelle de coordination peut se produire sans que cela soit
assumé rationnellement dans une stratégie d’actions consciente de la part
des dirigeants. Ces derniers disposent cependant d’un libre arbitre. La
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question est finalement de savoir ce qui détermine le niveau de ce libre
arbitre et comment les processus administratifs étendent ou limitent la
liberté d’action. Pfeffer et Salancik montrent que la communication orga-
nisationnelle est l’élément commun de toutes les stratégies envisagées pour
« négocier » l’environnement au sens où elle apparaît comme le meilleur
prédicateur des liens inter firmes. En outre, les efforts prodigués par les
organisations pour établir des conditions environnementales favorables se
font à travers des actions de régulation, mais aussi par le biais d’actions
politiques. Au-delà, les organisations agissent pour atteindre une légiti-
mité sociale et, occasionnellement, poursuivent la quête de cette légiti-
mité à travers un processus d’identification à d’autres acteurs sociaux
légitimes.
Le travail de Pfeffer et Salancik, si souvent cité en management, repré-
sente à la fois une modélisation du comportement organisationnel et un
schéma prescriptif pour piloter les organisations afin d’en assurer la survie.
En étudiant les rapports de l’entreprise à son environnement mais aussi les
logiques politiques intraorganisationnelles à l’œuvre pour décider de l’allo-
cation des ressources, ils mettent en évidence la nature des liens qu’entre-
tiennent les firmes avec leurs environnements respectifs, dans une logique
qui sert conjointement leur structuration interne et leur survie.

13. Globalement, la croissance et la taille sont deux facteurs corrélés positivement à la capacité de survie
des organisations parce qu’elles leur procurent davantage de pouvoir dans leur environnement et
impliquent davantage d’acteurs concernés par leur survie. La fusion entre firmes apparaît ainsi comme
un moyen d’absorber l’interdépendance et de réduire le contrôle externe.
164 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Travaux cités des auteurs


Kelly, J. P., Pfeffer, J., Salancik, G. (1978), « A Contingency Model of Influence
in Organizational Decision Making », Pacific Sociological Review, vol. 21,
p. 239-256.
Leblebici, H, Pfeffer, J., Salancik, G. (1974), « Stability and Concentration of
National Science Foundation Funding in Sociology, 1964-1971 », American
Sociologist, vol. 9, p. 194-198.
Leblebici, H., Pfeffer, J., Salancik, G. (1976), « The Effect of Uncertainty on the
Use of Social Influence in Organizational Decision Making », Administrative
Science Quarterly, vol. 21, p. 227-245.
Pfeffer, J. (2015), Leardeship BS, fixing workplaces and careers one thruth at a time,
Harper Collins Publishers.
Pfeffer, J., Salancik, G. (1974-a), « Organizational Decision Making as a Political
Process : The Case of a University Budget », Administrative Science Quarterly,
vol. 19, p. 135-151.
Pfeffer, J. et Salancik, G. (1974-b), « The Bases and Use of Power in
Organizational Decision Making : The Case of a University », Administrative
Science Quarterly, vol. 19, p. 453-473.
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Pfeffer, J., Salancik, G. (1975), « Determinants of Supervisory Behavior : A Role
Set Analysis », Human Relations, vol. 28, p. 139-154.
Pfeffer, J., Salancik, G. (1977), « Constraints on Administrator Discretion : The
Limited Influence of Mayors on City Budgets », Urban Affairs Quarterly,
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Pfeffer J., Salancik, G. (1977), « Organization Design : The Case for a Coalitional
Model of Organizations », Organizational Dynamics, vol. 6, p. 15-29.
Pfeffer, J., Salancik, G. (1977), « Organizational Context and the Characteristics
and Tenure of Hospital Administrators », Academy of Management Journal,
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to It : A Strategic-Contingency Model of Power », Organizational Dynamics,
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Pfeffer, J., Salancik, G. (1977-c), « An Examination of Need-Satisfaction Models
of Job Attitudes », Administrative Science Quarterly, vol. 22, p. 427-456.
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Pfeffer, J., Salancik, G. (1978-b), The External Control of Organizations : A
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Pfeffer, J., Salancik, G. (1977-a), « Administrator Effectiveness : The Effects of
Advocacy and Information on Resource Allocations », Human Relations,
vol. 30, p. 641-656.
Pfeffer, J., Salancik, G. (1978-a), « A Social Information Processing Approach to
Job Attitudes and Task Design », Administrative Science Quarterly, vol. 23,
Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik 165

p. 224-253. Awarded “The New Concept Award” of the Organizational


Behavior Division of the Academy of Management.

Autres références bibliographiques


Cyert, R., March, J. (1963), A Behavioral Theory of the Firm, Englewood Cliffs,
NJ : Prentice Hall, 2nd ed., Oxford, Blackwell Publishers, 1992.
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Mintzberg, H. (1973), The nature of managerial work, Harper and Row.
Oliver, C. (1991), « Strategic Responses to Institutional Processes », Academy of
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Weick, K. (1969), The Social psychology of organizing, Addison-Wesley, Reading,
M.A. : New York.
Weick, K. (1996), « An Appreciation of Social Context : One Legacy of Gerald
Salancik », Administrative Science Quarterly, vol. 41, p. 563-573.
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XI. PAUL DIMAGGIO ET WALTER W. POWELL – DES ORGANISATIONS EN
QUÊTE DE LÉGITIMITÉ

Isabelle Huault
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 166 à 181


ISBN 9782376870432
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façonnent l’organisation
Quand les institutions
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Des organisations en quête
et Walter W. Powell
Paul DiMaggio

de légitimité
Isabelle Huault
XI
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168 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Paul DiMaggio et Walter Powell constituent deux représentants impor-


tants de ce qu’il est désormais convenu d’appeler, depuis les travaux pion-
niers de Meyer et Rowan1 à la fin des années soixante-dix, la sociologie
néo-institutionnaliste. Leurs contributions communes2, qui serviront ici
de point de référence pour illustrer les éléments structurants de ce pro-
gramme de recherche, ne doivent pas pour autant masquer la variété et
l’hétérogénéité du mouvement institutionnaliste. Les racines de l’institu-
tionnalisme sont en effet anciennes et le courant actuel doit beaucoup aux
travaux précurseurs de J. Commons ou P. Selznick. Tout en ré-affirmant
la prégnance des institutions pour comprendre et expliquer les faits
sociaux et économiques, la démarche néo-institutionnaliste est davantage
orientée vers l’analyse des systèmes inter organisationnels, au-delà de l’at-
tention portée aux seules forces en présence à l’intérieur d’une organisa-
tion (Selznick, 1949).
En outre, appliqué à l’économie, aux sciences politiques ou à la socio-
logie, le néo-institutionnalisme ne recouvre ni les mêmes réalités empi-
riques, ni les mêmes fondements théoriques. Entre la tradition écono-
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mique (Jensen et Meckling, 1976 ; Williamson, 1979) orientée vers une
conception instrumentale des institutions, et la tradition sociologique
(Meyer et Rowan 1977 ; Scott, 2001 ; Tolbert et Zucker, 1996) attachée
à une définition plus extensive de celles-ci comme véritable moyen de
coordination sociale3, les prémisses paraissent à bien des égards éloignés.
Contre l’individualisme méthodologique revendiqué par la première, la
seconde affirme l’importance de niveaux intermédiaires voire macro-
sociaux. En outre, face à la perspective utilitariste de la pensée économique
néo-institutionnelle, l’approche sociologique souligne que les structures
formelles ont des propriétés tout autant symboliques que fonctionnelles et
que l’adoption d’une structure peut survenir indépendamment des pro-
blèmes de contrôle et de coordination qu’une organisation doit affronter
(Meyer et Rowan, 1977). En réponse à l’analyse exclusivement écono-
mique de la première, la seconde s’inscrit à la suite de March et Simon,
1. Meyer J. et Rowan B. (1977) « Institutionalized Organizations : Formal Structure as Myth and
Ceremony », American Journal of Sociology, vol. 83, 1977, p. 340-363.
2. DiMaggio P.J. et Powell W.W. (1983), The Iron Cage Revisited : Institutional Isomorphism and
Collective Rationality in Organizational Fields, American Sociological Review, vol 48, April, 147-160.
Powell W.W. et DiMaggio P.J. (Eds.) (1991), The New Institutionalism in Organizational Analysis,
Chicago : University of Chicago Press.
3. Peu de définitions consensuelles se dégagent de la littérature académique concernant le concept
d’institution. Durkheim (1893) appréhende par exemple les institutions comme « manières de sentir, de
penser et d’agir qui permettent au groupe de gérer leur problème d’interdépendance et d’incertitude ».
L’institution comprend une dimension habilitante en tant que dispositif de coordination et une
dimension contraignante puisqu’elle exerce des pressions sur les acteurs encastrés dans des logiques
sociales plus globales. On retiendra ici la définition de Jepperson (1991) qui définit l’institution comme
un schéma d’interprétation, un ensemble de représentations acceptées socialement, un système de règles
conduisant à la reproduction de routines au sein d’un champ.
Paul DiMaggio et Walter W. Powell 169

dans une démarche cognitiviste, puisque la décision y est appréhendée


comme le résultat de processus dans lequel scripts et routines d’origine
institutionnelle jouent un rôle majeur. L’insistance sur les dimensions
cognitives distingue d’ailleurs le néo-institutionnalisme de l’institutionna-
lisme originel.
C’est au courant sociologique que se rattachent DiMaggio et Powell.
Leurs travaux communs, devenus désormais des classiques de la théorie
des organisations, s’articulent autour d’une construction théorique dont le
concept d’isomorphisme institutionnel constitue le socle fondateur.

Notices biographiques
Depuis 2015, Paul DiMaggio est professeur de sociologie à la New York University. Il
a auparavant été professeur de sociologie à l’Université de Princeton (1992-2015) et a
enseigné à l’Université de Yale dans la School of Organization and Management de
1979 à 1992. Né en 1951, il est diplômé de l’Université de Harvard où il a soutenu sa
thèse de doctorat en sociologie en 1979. Ses principales publications portent tout à la
fois sur l’analyse organisationnelle, la stratification sociale, les organisations non
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marchandes et la sociologie de la culture. Dans le domaine de la théorie des organisa-
tions, il est l’auteur de The New Institutionalism in Organizational Analysis (Ed avec
W.Powell, Chicago, University of Chicago Press, 1991) et de Structures of Capital : The
Social Organization of Economic Life (Ed avec S.Zukin, New York, Cambridge
University Press). Il a également écrit plusieurs dizaines d’articles. Il est membre du
comité éditorial de Administrative Science Quarterly, rédacteur en chef de Theory and
Society et rédacteur en chef associé de Poetics.
Walter W. Powell est, quant à lui, professeur de sociologie à l’Université de Stanford
depuis 1999, après avoir enseigné à l’Université de l’Arizona (1988-1999) et à Yale
(1979-1987) où il fut professeur de management. Né en 1951, il a soutenu sa thèse de
doctorat en sociologie en 1978 à l’Université de l’État de New York à Stony Brook. Ses
travaux s’inscrivent dans le champ de la théorie des organisations et de la sociologie
économique. Ses principales recherches ont d’abord porté sur les organisations non
marchandes et l’ont conduit à publier en 1987, l’ouvrage de référence The Non Profit
Sector. Il s’intéresse aujourd’hui plus particulièrement aux réseaux comme formes de
coordination de l’échange économique. Ses contributions récentes s’inscrivent dans
cette perspective, comme le met en évidence sa série d’articles co-écrits avec Ken Koput
sur la structure en réseaux dans les industries de biotechnologie, ou le chapitre
« Neither Market, Nor Hierarchy : Network Forms of Organisations » (in Cummings
et Staw (Eds.), Readings in Organizational Behavior, Greenwich, Conn : JAI Press, 12 :
295-336).
170 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

1. SIMILARITÉS ORGANISATIONNELLES ET
HOMOGÉNÉISATION STRUCTURELLE
Le point de départ de la réflexion de DiMaggio et Powell (1983) réside
dans l’interrogation fondamentale : pourquoi les organisations deviennent-
elles similaires ? L’intention est d’opérer une rupture avec les questionne-
ments classiques de la théorie des organisations qui s’intéresse plus volon-
tiers à la diversité des formes structurelles (Woodward, 1965 ; Hannan et
Freeman, 1977), et d’expliquer la propension des organisations à se res-
sembler.

1.1. Le champ organisationnel comme domaine


de vie institutionnelle
Pour ce faire, les deux auteurs rappellent l’explication avancée par Max
Weber dans l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Selon ce dernier,
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l’ordre rationnel est devenu une véritable « cage de fer » et l’esprit rationa-
liste constitue un tel moyen de contrôle des individus que la bureaucrati-
sation est un processus irréversible. DiMaggio et Powell reconnaissent à
l’instar de Weber que la bureaucratisation représente un vecteur important
de l’homogénéisation des entreprises et des États. Ils suggèrent néanmoins
que les causes de la rationalisation ont changé et sont moins le fait de la
concurrence et de la recherche d’efficacité que de facteurs de nature insti-
tutionnelle. En phase de développement et de maturité, la structuration
des champs organisationnels est profondément modelée et canalisée par
les arrangements institutionnels qui entretiennent une tendance inexo-
rable à la similarité. C’est ainsi que DiMaggio (1981) décrit l’émergence
de modèles organisationnels dominants pour la production de services
culturels hauts de gamme aux États-Unis à la fin du XIXe siècle ou que
Coser, Kadushin et Powell (1982) montrent le passage d’une diversité à
une homogénéité structurelle chez les éditeurs de livres universitaires amé-
ricains. Ce modèle structurel dominant forme, pour DiMaggio et Powell,
un champ organisationnel, concept-clé de la sociologie néo-institutionna-
liste. Le champ organisationnel est le résultat d’un ensemble varié d’acti-
vités provenant de diverses organisations et définit un domaine reconnu
de vie institutionnelle, tels que les fournisseurs-clés, les clients, les agences
de régulation et les organisations concurrentes. L’intérêt de ce niveau
d’analyse intermédiaire est de focaliser l’attention sur la totalité des acteurs
pertinents structurant un système, dont la logique de fonctionnement est
propre, au-delà du seul domaine économico-concurrentiel.
Paul DiMaggio et Walter W. Powell 171

Le processus d’institutionnalisation du champ organisationnel est alors


bien caractérisé par DiMaggio et Powell. Il est articulé autour de quatre
phases : a) une croissance des interactions organisationnelles dans le
champ ; b) l’émergence de structures inter-organisationnelles dominantes
et de coalitions ; c) une augmentation du niveau d’information à traiter ;
d) la prise de conscience des participants de leur appartenance commune
à un domaine d’activités. Alors que des pressions institutionnelles signifi-
catives s’exercent et poussent à l’homogénéisation des modes d’action, il se
développe peu à peu une forme de rationalité collective propre au champ.
Même si les organisations souhaitent, de façon plus ou moins récurrente,
instaurer des changements, la conséquence est, sous l’effet des forces ins-
titutionnelles et de l’intérêt des acteurs (DiMaggio, 1988), une diminu-
tion de la diversité. On explique ainsi la permanence et la similarité de
systèmes sociaux complexes à travers l’interaction d’acteurs dont les
actions sont conscientes et parfois finalisées mais qui tendent incidem-
ment à reproduire au niveau agrégé, les institutions qui contraignent ces
actions. Tout en orientant l’action en effet, les institutions agissent comme
un filtre par lequel les individus découvrent leurs préférences (DiMaggio
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et Powell, 1991 : 11).
Le concept de « champ organisationnel » permet, tout en insistant sur
le rôle des acteurs, de réintroduire l’importance des contextes dans l’étude
du comportement organisationnel et de construire des modèles plus
mésoscopiques. Il dresse ainsi un pont entre niveaux d’analyse et relie
actions individuelles et influences macro-sociales.
En outre, la conception de l’organisation luttant pour l’obtention de
ressources rares dans son secteur économique est revisitée pour y ajouter
des enjeux en termes de légitimation au sein de l’ensemble du champ
(Bensedrine et Demil, 1998 : 97). Qu’il s’agisse du champ interorganisa-
tionnel (Aldrich, 1972) ou organisationnel (DiMaggio et Powell, 1983),
du réseau interorganisationnel (Benson, 1975), du système industriel
(Hirsch, 1972), ou encore du secteur sociétal (Meyer et Scott, 1983),
l’ensemble de ces dénominations a bien pour objet de placer l’accent sur
les vertus d’une unité d’analyse, qui, au-delà du seul marché économique,
permet de considérer l’ensemble des organisations formant un système4.

4. Mais comme le soulignent les institutionnalistes eux-mêmes, cela n’exclut pas les problèmes
méthodologiques liés à la détermination et à la délimitation du champ organisationnel adéquat.
172 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

1.2. La recherche de légitimité


Dans cet esprit, DiMaggio et Powell soutiennent que le concept le plus
adapté à la description de la dynamique d’homogénéisation est celui d’iso-
morphisme. Il permet en effet d’identifier le processus qui conduit l’unité
d’une population à ressembler aux unités affrontant les mêmes conditions
environnementales. Une telle démarche suggère que les caractéristiques
organisationnelles se modifient pour devenir progressivement compatibles
avec les traits dominants de l’environnement.
Surtout, au-delà de l’isomorphisme concurrentiel bien décrit par l’éco-
logie des populations d’organisations, DiMaggio et Powell affirment la
prégnance de l’isomorphisme institutionnel. Les organisations entrent
non seulement en concurrence pour des ressources et des clients mais sont
mues par la recherche de pouvoir et de légitimité. Pour gagner cette légi-
timité, les organisations inventent des mythes sur elles-mêmes, s’adonnent
à des activités symboliques et créent des histoires, ce qui participe à leur
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survie et à leur propre institutionnalisation. En ce sens, les composantes
politiques voire rituelles de la vie organisationnelle surpassent la poursuite
de l’efficacité. On ne trouve dès lors que des définitions socialement
construites de la performance car, pour survivre, les organisations
n’adoptent pas nécessairement les pratiques les plus appropriées aux exi-
gences économiques du moment, mais celles qui apparaissent les mieux
acceptées socialement. Les explications de l’isomorphisme institutionnel
sont articulées simultanément autour de l’émergence d’un discours nor-
matif et des pressions que les organisations et les acteurs exercent les uns
sur les autres. Ce phénomène permet tout à la fois de comprendre les
dynamiques d’homogénéisation et de structuration des champs mais aussi
la dimension parfois très irrationnelle voire ambiguë des processus organi-
sationnels, dont les fondements ne sont pas ceux de l’optimalité écono-
mique.

2. L’ISOMORPHISME COMME FONDEMENT


DES PROCESSUS D’INSTITUTIONNALISATION
Selon DiMaggio et Powell (1983), il existe trois formes d’isomor-
phisme : l’isomorphisme coercitif, l’isomorphisme normatif, l’isomor-
phisme mimétique.
Paul DiMaggio et Walter W. Powell 173

2.1. Trois formes d’isomorphisme


L’isomorphisme coercitif est le résultat de pressions tout autant for-
melles qu’informelles exercées par les organisations appartenant à un
champ ; il est également issu des attentes culturelles d’une société. Dans
cette perspective, de nouvelles règles politiques et législatives sont suscep-
tibles d’encourager le changement organisationnel ; par exemple la pro-
mulgation de nouvelles réglementations environnementales contraint
souvent à innover. Progressivement d’ailleurs, les structures organisation-
nelles et les modes d’action en viennent à refléter les règles dominantes
édictées par une société ou un État (Meyer et Hannan, 1979). Mais la
coercition peut être plus subtile et concerner l’adoption de rituels infor-
mels pour gagner en légitimité. Selon DiMaggio et Powell, des organisa-
tions entretenant par exemple une proximité géographique sont peu à peu
conduites à adopter les mêmes structures organisationnelles et à dévelop-
per un fonctionnement hiérarchique pour obtenir des subventions et
susciter l’appui d’organismes donateurs, eux-mêmes très fortement struc-
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turés hiérarchiquement.
L’isomorphisme normatif se distingue, au niveau analytique, du précé-
dent, par l’importance accordée au phénomène de professionnalisation. La
professionnalisation est ici appréhendée comme l’ensemble des efforts
collectifs des membres d’une profession pour définir leurs conditions et
méthodes de travail et établir une base légitime à leurs activités, leur garan-
tissant un degré d’autonomie suffisant. Deux aspects de la professionnali-
sation sont considérées comme des sources importantes d’isomorphisme :
l’un concerne les dispositifs d’éducation formelle, l’autre est relatif à la
croissance des réseaux professionnels par lesquels les modèles organisation-
nels se diffusent. De tels mécanismes produisent des individus quasi inter-
changeables qui réagissent de façon quasi identique, quels que soient les
contextes et les situations. La professionnalisation entretient l’uniformité,
la reproduction mais aussi la socialisation, au travers de pratiques langa-
gières voire vestimentaires communes. Ainsi, les membres de la profession
décident et agissent non pas mus par la recherche de l’optimum écono-
mique mais surtout par la démonstration de la conformité de leurs déci-
sions aux normes produites par la structure sociale. Ces normes ainsi
produites et copiées engendrent, dans un processus toujours renouvelé,
une homogénéisation croissante des structures. Pour apparaître profes-
sionnel, il faut produire des normes à fondements cognitifs qui légitiment
l’autonomie professionnelle. Dans cet esprit, les décideurs sont amenés à
donner l’illusion qu’ils se comportent de manière rationnelle en adoptant
des normes de comportement et les techniques perçues comme les plus
174 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

adéquates pour atteindre les objectifs fixés par le marché. De manière


symétrique, si les acteurs ne se conforment pas à ces schémas normatifs, ils
créent les conditions d’un retrait brutal des différents partenaires, accrois-
sant de ce fait le risque de faillite, et accréditant l’idée que les modèles
normatifs non utilisés étaient les bons. L’appartenance de nombreux
managers à des associations professionnelles n’est probablement pas sans
effet sur la propagation de pratiques jugées légitimes dans un champ et
une profession.
En outre, si l’homogénéisation au sein de champs organisationnels se
voit très largement entretenue par l’exercice de pressions institutionnelles
normatives et coercitives, elle est également le fruit de l’incapacité fré-
quente à imaginer des solutions nouvelles. Car les individus en situation
d’incertitude sont souvent enclins à chercher « au voisinage de solutions
connues » leurs propres solutions (Cohen, March et Olsen, 1972).
DiMaggio et Powell relèvent alors l’importance de l’isomorphisme mimé-
tique comme comportement des organisations confrontées à un problème
dont les causes sont obscures ou les solutions inconnues. Cette dynamique
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prend la forme de l’imitation des comportements les plus facilement iden-
tifiables ou les plus utilisés par les organisations apparaissant comme légi-
times dans un champ. En ce sens, le processus de sélection des innovations
est plutôt guidé par les tendances à l’isomorphisme mimétique que par
l’amélioration des performances. L’intervention des consultants ou la mul-
tiplication des associations professionnelles expliquent pour partie ce
processus d’imitation, parfois inconscient.

2.2. Isomorphisme, mimétisme et régulation


Plus que les autres formes d’isomorphisme, le concept d’isomorphisme
mimétique a été souvent repris, utilisé et diffusé dans les travaux en
sciences sociales et en management (Mizruchi et Fein, 1999). Le mimé-
tisme en effet représente non seulement un puissant moyen de coordina-
tion comme le soulignent volontiers les conventionnalistes, puisqu’il
devient une véritable modalité de coordination routinière et un méca-
nisme de normalisation des comportements. Meyer et Rowan (1977)
avaient noté dans la même veine et quelques années avant DiMaggio et
Powell, que rien ne vaut la répétition de comportements qui par le passé
ont été perçus par le marché comme performants. Le mimétisme est donc
censé engendrer des solutions efficaces à moindre coût.
Le mimétisme apparaît également producteur de structure sociale, en
ce qu’il favorise les phénomènes de mode, dont le management est un
Paul DiMaggio et Walter W. Powell 175

réceptacle bien connu. Cette forme d’isomorphisme conduit à la confor-


mité, à l’imitation et, plus encore, à l’attrait des managers pour les nou-
veaux outils et méthodes de gestion. Bensedrine et Demil (1998) sou-
lignent ainsi que le benchmarking peut être appréhendé comme l’institu-
tionnalisation d’un processus mimétique, puisqu’il consiste à se comparer
aux concurrents et à s’inspirer de leurs recettes.
Au total, l’isomorphisme avec l’opinion publique, les systèmes éduca-
tifs, les structures de régulation et de certification et les organisations
apparaissant comme légitimes, permet d’obtenir plus de stabilité et de
prévisibilité dans les comportements, rehausse la légitimité (Deephouse,
1996), autorise l’accès aux ressources (Pfeffer et Salancik, 1978) et cela
avec beaucoup plus d’efficacité que le système concurrentiel classique. Les
organisations s’adaptent ainsi à des règles qui s’auto-légitiment et s’im-
posent comme des croyances, plutôt qu’aux contraintes économiques et
techniques. Elles en viennent alors à devenir de plus en plus similaires.
DiMaggio et Powell (1983) mettent cependant en évidence des variables
qui catalysent la tendance à l’homogénisation des structures, des processus
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et des modes d’action au sein d’un système organisationnel : par exemple,
la dépendance d’une organisation vis-à-vis d’une autre organisation,
l’ambiguïté de ses objectifs, le rôle de l’incertitude, l’importance du degré
de professionnalisation et de structuration d’un champ.

3. LES ORGANISATIONS, ENTRE PASSIVITÉ ET


VOLONTARISME
Le paradigme néo-institutionnaliste ne suscite pas l’indifférence. Les
débats que les contributions de DiMaggio et Powell soulèvent, alimentent
de façon récurrente des controverses bien classiques en sciences sociales,
puisqu’elles concernent les dualismes déterminisme/volontarisme et
holisme/individualisme méthodologique (Seo et Creed, 2002). En rom-
pant avec les démarches conventionnelles d’adaptation rationnelle et de
logique d’efficience, plutôt prégnantes dans le domaine du management,
le néo-institutionnalisme a posé de nombreuses questions (Scott, 2001).
Comme le mentionne Alain Desreumaux (2004 : 33, note 8), l’accueil de
la variable institutionnelle par les managers a été quelque peu ambigu, « à
la fois fascination pour une nouvelle perspective, et rejet, pour son divorce
avec l’image que les managers ont d’eux-mêmes (…), celle de décideurs
rationnels, ou qui aiment à rendre compte rationnellement de leurs
actions ».
176 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

3.1. Prégnance des institutions et conformité


sociale
Les critiques traditionnellement adressées à la théorie portent d’abord
sur la conception des dynamiques organisationnelles qualifiée de détermi-
niste et sur l’appréhension trop macro-sociologique des phénomènes éco-
nomiques (Oliver, 1991). Dans cette perspective, les organisations seraient
le fruit de processus institutionnels qui les dépassent, sans référence
aucune à la rationalité des managers. Conventions, habitudes, obligations
sociales conduiraient à des comportements de non-choix. Guidées par le
seul souci d’intégrer des pratiques et procédures institutionnalisées dans la
société, les organisations chercheraient uniquement à asseoir leur légiti-
mité et prolonger leur survie. Ainsi, les éléments structurels internes sont
parfois peu reliés entre eux, les règles sont souvent violées, les décisions
souvent non implantées ou présentent des conséquences incertaines, les
technologies ont une efficacité problématique, et les systèmes d’évaluation
se voient pervertis. On peut dès lors effectivement s’interroger sur la place
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et le rôle du décideur dans un tel système. Structures et comportements
organisationnels sont surtout fondés sur les institutions « tenues pour
acquises » et non sur une quelconque maximisation des stratégies des
acteurs. Les règles du jeu institutionnalisées constituent la source princi-
pale de coordination en palliant l’incertitude. Certaines croyances et pra-
tiques sont ainsi tellement intériorisées par les organisations qu’elles en
deviennent invisibles aux acteurs qu’elles influencent. Fait social total,
l’institution constitue la seule manière concevable, évidente, naturelle de
conduire l’activité organisationnelle. Pour le dire autrement, l’institution
devient, dans cette acception, une « réalité objective », indépendante de
tout agencement humain (Willmott, 2011).
De façon générale, les théoriciens institutionnalistes ont préféré l’étude
de la conformité à celle de la résistance, de la passivité au volontarisme, de
l’acceptation à la manipulation politique. Les avantages de la conformité
aux normes sociales se manifestent d’ailleurs dans la variété des récom-
penses dont les firmes peuvent bénéficier : prestige accru, stabilité, légiti-
mité, soutien social, accès aux ressources, attraction d’un personnel de
qualité, reconnaissance par la profession et le secteur d’activité.
Malgré les critiques souvent émises, cette perspective théorique permet
cependant d’attirer l’attention sur des dimensions souvent ignorées ou
négligées dans l’analyse des organisations : l’influence des pressions éta-
tiques, sociétales et culturelles plutôt que celle des forces du marché et de
la rareté des ressources, les effets de l’histoire, des réglementations plutôt
que ceux de l’autonomie de l’acteur. Cela permet même d’expliquer dans
Paul DiMaggio et Walter W. Powell 177

une version radicale comment la passivité peut contribuer à l’acceptation


sociale et à la vie des organisations, et comment les mythes, significations
et autres valeurs déterminent le comportement organisationnel, en dépas-
sant la seule logique de l’efficacité. En outre, des auteurs institutionnalistes
de plus en plus nombreux soulignent le caractère résolument volontariste
des politiques de conformité.

3.2. Au-delà de l’individualisme


méthodologique et du holisme
Des travaux institutionnalistes plus récents, dont ceux de DiMaggio et
Powell (DiMaggio, 1988 ; DiMaggio et Powell, 1991), sensibles à la cri-
tique qui est traditionnellement adressée à ce courant, ont toutefois ré-
intégré le choix et l’intentionnalité du décideur, ce qui participe à l’enri-
chissement du paradigme et le rend, par là même, plus adapté à une
appréhension plus managériale des processus organisationnels.
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Il apparaît en premier lieu que les règles institutionnelles n’appellent
pas des réponses unanimes et homogènes et rendent souvent nécessaire un
comportement discrétionnaire. L’introduction de la notion d’entrepreneur
institutionnel par P. DiMaggio (1988), laquelle a donné lieu au dévelop-
pement de nombreux travaux mobilisant ce concept (voir le numéro spé-
cial d’Organization Studies de juillet 2007 et Leca, Battilana, Boxenbaum,
2008), montre que certains acteurs ont des intérêts particuliers dans l’éta-
blissement et le maintien de structures institutionnelles qui préservent leur
intérêt. Si les institutions constituent des dispositifs qui structurent l’inte-
raction humaine et réduisent l’incertitude, ceci n’exclut pas l’agencement
humain ou managérial. La démarche de C. Oliver (1991) vise précisément
à instiller plus de volontarisme dans l’analyse institutionnaliste. L’auteur
décline de façon systématique l’ensemble des manœuvres stratégiques
pouvant modeler l’environnement. Cinq types de manœuvres sont recen-
sées : l’acceptation, le compromis, l’évitement, la contestation et la mani-
pulation. Plus récemment, les contributions portant sur le travail institu-
tionnel (Lawrence et Suddaby, 2006 ; Lawrence, Suddaby et Leca, 2011),
mettent l’accent sur les dynamiques de création, de maintien voire de
destruction des institutions.
Ainsi, la prégnance des institutions n’exclut pas le volontarisme. Par
exemple Greenwood, Suddaby et Hinings (2002) en sont venus à dévelop-
per un véritable modèle du changement institutionnel en six phases qui
prend en compte les phénomènes d’institutionnalisation et de désinstitu-
tionnalisation en considérant le rôle des acteurs, leur marge de manœuvre
178 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

et leurs capacités stratégiques. Ce modèle peut par exemple permettre de


comprendre les mécanismes par lesquels une nouvelle technologie est
adoptée ou rejetée par un secteur d’activité. Plusieurs contributions
(Garud et al. 2002, Demil, Leca et Naccache, 2001, Tellier, 2003) ont dès
lors montré comment des entreprises telles qu’Intel ou Sun pouvaient,
grâce à leur position dominante, contribuer à la création de règles de fonc-
tionnement dans leur secteur.

Conclusion
La démarche de DiMaggio et Powell dépouille les interprétations de
l’argument utilitariste et soutient que la recherche de légitimité est, pour
les entreprises et les organisations, plus importante que la quête exclusive
d’efficacité. Elle permet ainsi de mieux comprendre des dynamiques orga-
nisationnelles complexes et comporte des implications importantes en
termes d’agenda de recherche pour le management.
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Avec d’autres tenants de la sociologie économique, DiMaggio et Powell
ré-affirment avec force l’inscription institutionnelle des organisations,
qu’il s’agisse d’un encastrement politique, culturel, cognitif voire relation-
nel. En s’intéressant à l’articulation des phénomènes économiques et
sociaux, ils introduisent une dimension proprement sociologique dans
l’analyse économique conventionnelle. En explorant le thème du change-
ment, ils placent au cœur de leurs préoccupations, la question de l’institu-
tionnalisation des pratiques, de leur reproduction, de leur diffusion voire
de leur transformation. Les domaines couverts par la théorie néo-institu-
tionnaliste revêtent également des implications pratiques, telles que l’iden-
tification de facteurs pouvant freiner ou au contraire favoriser le maintien
et l’établissement de la légitimité. Le champ organisationnel comme unité
principale et systématique d’analyse constitue à cet égard une voie métho-
dologique féconde et permet d’appréhender plus finement les marges de
manœuvre réelles dont disposent les acteurs. Dans cet esprit, la sociologie
néo-institutionnaliste, telle que mise en lumière par les contributions ori-
ginales de Paul DiMaggio et Walter Powell, constitue un cadre théorique
fécond pour les sciences de l’organisation, au point que cette théorie est
aujourd’hui devenue centrale, sinon hégémonique, en management
(Allard-Poesi, Germain, Huault, Kœnig, 2015). Bien qu’elle mette l’ac-
cent sur les phénomènes d’isomorphisme et de soumission des agents aux
structures sociales, elle s’est récemment imposée grâce au tournant « agen-
tiel » et créatif, lequel en insistant sur le changement institutionnel, pro-
meut le rôle de l’acteur, de l’entrepreneur institutionnel et plus récemment
du travail institutionnel.
Paul DiMaggio et Walter W. Powell 179

Travaux cités de l’auteur


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Autres références bibliographiques


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XII. THOMAS B. LAWRENCE ET ROY SUDDABY – LE TRAVAIL
INSTITUTIONNEL : LE RÔLE DES ACTEURS DANS LA RELATION
INSTITUTION ORGANISATION

Benjamin Taupin
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 182 à 201


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-182.htm
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XII
Thomas B. Lawrence
et Roy Suddaby
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Le travail institutionnel :
le rôle des acteurs dans
la relation institution
organisation
Benjamin Taupin
Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby 183

Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby, actuellement respectivement


professeur de management à la Beedie School of Business de la Simon
Fraser University et titulaire de la Eldon Foote Chair of Law and Society
à l’Université de l’Alberta, ont produit un nombre limité d’écrits com-
muns. Mais leur collaboration a profondément marqué les études organi-
sationnelles, à travers la publication en 2006 du chapitre « Institutions and
Institutional Work », production majeure d’un ouvrage collectif portant
sur les études organisationnelles, dans lequel ces chercheurs introduisent
le concept de « travail institutionnel ». Lawrence et Suddaby y définissent
le travail institutionnel comme « l’action volontaire d’individus et d’orga-
nisations dont le but est de créer, maintenir et de contester les institu-
tions » (2006, p. 215, traduction de l’auteur). En se focalisant sur la pro-
duction commune de ces deux grands auteurs en management, ce chapitre
vise à présenter l’importance qu’a prise cette notion pour les études en
management.
On ne peut prendre la mesure de la contribution séminale de Lawrence
et Suddaby sans opérer un détour préalable par les études organisation-
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nelles s’inscrivant dans ce que l’on appelle le néo-institutionnalisme socio-
logique – une approche à laquelle les auteurs se réfèrent en parlant
« d’approches institutionnelles des études organisationnelles » dans leur
chapitre de 2006. Ces études se sont focalisées sur l’étude des similarités
organisationnelles prenant leur origine dans des conditions institution-
nelles, qu’il s’agisse par exemple de pratiques, de technologies ou de règles
(pour une description détaillée, se reporter à Huault, 2009). En dévelop-
pant ce raisonnement dans des contextes sectoriels variés et à différents
niveaux d’analyse, aussi bien au niveau international que national par
exemple, ces études ont certes montré la pertinence d’une telle perspec-
tive ; elles ont cependant également largement ignoré le rôle des acteurs
dans ces processus.
Bien que de nombreuses définitions de la notion d’institution puissent
être trouvées dans la littérature, les études se réclamant du néo-institution-
nalisme adoptent une perspective commune. Elles conçoivent l’institution
comme un élément durable de la vie sociale dont l’effet est profond sur les
comportements et les représentations des acteurs individuels ou collectifs.
En particulier, l’accent a été mis sur l’institution au sens cognitif, appré-
hendé notamment à travers les représentations et significations partagées.
Comme le notent Lawrence et Suddaby (2006), c’est sans doute pour cette
raison que les études néo-institutionnelles ont eu tendance à délaisser le
rôle de l’action humaine dans le façonnement des institutions. Pour celles-
ci, l’influence des acteurs est réduite à la portion congrue : ils n’agissent
que pour mettre en œuvre les prescriptions dictées, ou, pour le dire plus
184 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

précisément, internalisées cognitivement, par les institutions. C’est la rai-


son pour laquelle les auteurs ont préféré adopter une définition de l’insti-
tution inspirée par Jepperson (1991 : 143), et d’après laquelle les institu-
tions sont décrites comme le produit d’une action intentionnelle.
En effet, les contraintes institutionnelles qui s’imposent aux organisa-
tions ne sont-elles redevables que des phénomènes opérant à un niveau
macro-sociologique ? Greenwood et Hinings (1996) se focalisent par
exemple sur « l’organisation individuelle » lorsqu’ils expliquent que le
changement organisationnel est dû aux contraintes institutionnelles, lais-
sant de côté le rôle qui pourrait être probablement joué par les individus
dans le processus de changement organisationnel. Dans un autre article
fondateur des études néo-institutionnelles, Meyer et Rowan (1977) se
focalisent sur les institutions considérées en tant que mythes : ils étudient
la manière dont les mythes génèrent différentes formes organisationnelles.
Les auteurs définissent les mythes comme des prescriptions imperson-
nelles et rationalisées d’une part et, d’autre part, comme des objets dépas-
sant la discrétion de quelque participant individuel que ce soit (Meyer et
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Rowan, 1977 : 343-344). Tous ces travaux adoptent une perspective
commune, celle de l’analyse du rôle des institutions. Ils partagent égale-
ment une tendance à éluder, dans une large mesure, la question de l’action
individuelle dans ce processus.
Un réajustement théorique devait naturellement s’opérer face à cette
conception finalement partielle des phénomènes reliant organisations et
contraintes institutionnelles. Dès les années quatre-vingt, cette nécessité
s’est traduite dans le champ académique : le mouvement a pris la forme
d’études sur « l’entrepreneur institutionnel » (Eisenstadt, 1980 ; DiMaggio,
1988). Ces recherches se sont intéressées au rôle joué par des individus,
généralement particulièrement dotés en ressources, capables d’opérer une
action (institutionnalisation, transformation, maintien) sur les institutions
pour les aligner sur leurs intérêts propres.
Cependant, dans leur chapitre de 2006, Lawrence et Suddaby posi-
tionnent leur approche comme étant clairement distincte de ces recherches
ayant porté sur l’entrepreneur institutionnel. S’ils identifient cette pers-
pective comme un sous-courant de recherche pertinent, ils la considèrent
néanmoins comme disjointe de leur analyse. C’est pourquoi les deux
chercheurs proposent une définition de leur approche du travail institu-
tionnel qui permet d’articuler un ensemble de travaux antérieurs parta-
geant une conception semblable des organisations : les actions des indivi-
dus ont une incidence sur les institutions. Pour être plus précis, et rendre
d’ores et déjà sensible ce qui distingue le caractère novateur de leur
approche de celle de certains travaux antérieurs et de la notion d’entrepre-
Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby 185

neur institutionnel notamment, il faut évoquer l’objection qu’ils énoncent


en rejetant « l’idée selon laquelle la seule agence des intérêts est celle asso-
ciée avec des cas de changement institutionnel couronnés de succès »
(Lawrence, Suddaby et Leca, 2011, traduction de l’auteur).
Dans une introduction à l’édition spéciale de la revue Organization
Studies consacrée au travail institutionnel, Lawrence, Leca et Zilber
(2013 : 1024) optent pour une manière spécifique d’ordonnancer les
recherches sur la notion. Ils distinguent les études se concentrant sur les
questions suivantes : « comment le travail institutionnel se produit ? »,
« qui le met en œuvre ? » et « qu’est-ce qui constitue le travail institution-
nel ? ». Afin d’examiner le courant du travail institutionnel à l’aune de ses
propres critères d’analyse, nous nous proposons de structurer ce chapitre
en reprenant successivement chacune de ces questions. Nous présenterons
d’abord ce sur « quoi » porte la notion de Lawrence et Suddaby puis nous
répondrons à la question du « comment » en examinant les approches
utilisées par les études portant sur le travail institutionnel. Une deuxième
partie s’intéressera à « qui » sont les chercheurs en management ayant été
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influencés par cette notion, en nous focalisant sur le champ académique
francophone. Enfin la dernière partie développera la question du « pour-
quoi », en présentant une réflexion sur les perspectives ouvertes par le
travail institutionnel, notamment au profit des études critiques en mana-
gement.

1. LE TRAVAIL INSTITUTIONNEL : DÉFINITION

1.1. Quelle(s) forme(s) prend le travail


institutionnel ?
Comme nous l’avons indiqué précédemment, la notion de travail ins-
titutionnel a d’abord été élaborée afin de disposer d’une articulation com-
mune pour les travaux ayant étudié l’action volontaire opérée sur les ins-
titutions. Il s’agit de répondre à la question : quelle forme prend concrè-
tement le travail institutionnel dans les organisations ? Pour exposer les
réponses à cette interrogation, nous nous proposons de suivre l’ordonnan-
cement originel des analyses de Lawrence et Suddaby portant sur trois
actions différentes : la création, le maintien et la perturbation des institu-
tions.
186 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

1.1.1. La création des institutions


La création des institutions peut prendre la forme d’un travail politique
par lequel les acteurs produisent des règles, des normes juridiques et des
frontières qui définissent l’accès aux ressources matérielles. Ce processus se
manifeste également lorsque des acteurs mènent des actions qui visent à
modifier les représentations sociales et les systèmes de croyance de groupes
d’individus. Cela peut se manifester, par exemple, par la réalisation d’une
action sur l’identité construite par les employés, comme cela apparaît dans
l’étude de Oakes et al. (1998) portant sur l’analyse d’un changement dans
le domaine des musées de la région canadienne de l’Alberta. Dans ce cas,
le ministère régional en charge des musées a travaillé afin de réorienter
l’identité individuelle des employés des musées, afin de cultiver un état
d’esprit que l’on pourrait qualifier de plus « entrepreneurial ». Ce travail
de création des institutions peut également, comme c’est le cas dans
l’étude de Hargadon et Douglas (2001), prendre la forme de la mise en
place de structures d’éducation tournées vers des acteurs spécifiques, afin
qu’ils disposent des compétences et des connaissances nécessaires pour
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soutenir la nouvelle institution. Les auteurs illustrent cette idée par
l’exemple de Thomas Edison dans sa volonté de développer l’éclairage
électrique. Ce dernier parvint notamment à convaincre les écoles locales
de développer des formations d’ingénieur-électricien de telle sorte à sou-
tenir cette nouvelle institution.

1.1.2. Le maintien des institutions


La question du maintien institutionnel, quant à elle, se pose dès lors
que l’on accepte l’idée selon laquelle une institution ne se perpétue que
rarement mécaniquement. Malgré l’apparente stabilité qui caractérise cer-
taines industries, un travail institutionnel permettant la reproduction des
institutions peut bien souvent être mis en lumière. Schuler décrit la
manière dont les entreprises de l’industrie de l’acier au carbone ont agi,
notamment en lançant des pétitions à destination des autorités internatio-
nales, afin de demander la mise en œuvre de réglementations de l’industrie
visant à perpétuer le statu quo organisationnel (Schuler, 1996). Les insti-
tutions peuvent également se reproduire à travers des processus normatifs
comme cela apparaît dans le cas d’un établissement d’enseignement secon-
daire privé australien étudié par Angus (1993). Dans cet établissement, le
chercheur met en exergue la manière dont les exemples donnés en public
de ce qui est jugé bon ou mauvais, à travers des cérémonies récompensant
le mérite sportif notamment, permettaient de maintenir les institutions
telles que la compétition, le machisme et la violence. Il s’agit aussi, ici, de
perpétuer l’institution en entretenant des mythes liés à l’histoire de l’éta-
Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby 187

blissement. Ce travail peut prendre une forme plus explicite, en diffusant


de manière plus active les fondements normatifs d’une institution. Dans
le cas de l’étude d’Angus, l’éducation, en tant que telle, mise en œuvre par
l’établissement visait à perpétuer, chez les élèves, la conception d’une dif-
férence de genre marquée. Lors de la fête religieuse de l’Immaculée
Conception, le 25 mars, les élèves se voyaient recevoir une instruction sur
les pratiques sexuelles, les manières et les relations appropriées à adopter
avec les femmes, en insistant sur la différence et le caractère mystérieux de
ces dernières.

1.1.3. La déstabilisation des institutions


Le dernier type de travail traité par les auteurs tient à la perturbation
(traduction de l’anglais disruption) des institutions. Ce processus peut
conduire, dans certains cas, à ce que l’on qualifie de désinstitutionalisa-
tion, c’est-à-dire à la perte de légitimité progressive d’une institution.
Dans la perspective du travail institutionnel, un tel processus met aux
prises des acteurs ou groupes d’acteurs soucieux de contester l’ordre en
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place, souvent par le biais de luttes institutionnelles.
Ce travail de déstabilisation de l’institution peut mettre en scène des
acteurs, qu’ils soient étatiques ou non, qui travaillent, à travers l’appareil
d’état, à déconnecter les récompenses et les sanctions de certains types de
pratiques, de technologies ou de règles. Ainsi lors du développement
embryonnaire de la radio aux États-Unis, les règles techniques imposées
aux radios locales restreignaient à une seule station l’accès aux petits mar-
chés. Après la Seconde Guerre Mondiale, cette institution, l’idée selon
laquelle l’existence de plusieurs radios locales poserait un problème, a été
remise en cause sous la pression combinée du Congrès américain et des
groupes de vétérans de l’armée, permettant le développement d’un marché
des radios locales (Leblebici et al., 1991).

1.2. Comment met-on à jour le travail


institutionnel ?
La notion de travail institutionnel de Lawrence et Suddaby prend sa
source dans un nombre limité d’articles, principalement DiMaggio (1988)
et Oliver (1991 ; 1992). Ces articles avaient précédemment souligné
l’importance de l’influence des acteurs dans les processus institutionnels.
Pour autant, comme c’est souvent le cas en sciences de gestion et du mana-
gement, le courant du travail institutionnel emprunte ses outils d’analyse
à un vaste champ d’approches variées et hétérogènes.
188 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

1.2.1. La sociologie critique de Bourdieu


Dans leur article de 2006, Lawrence et Suddaby dressent une liste des
approches utiles pour mettre au jour le travail institutionnel dans les orga-
nisations. Ils citent tout d’abord la théorie de la pratique de Pierre
Bourdieu. En effet, dans son ouvrage de 1972, le sociologue français éta-
blit la notion d’habitus (1972 : 175) qui vise à étudier « [le système de
dispositions] collectivement orchestrées sans être le produit de l’action
organisatrice d’un chef d’orchestre ». Bourdieu propose une analyse du
social permise par l’étude des différents champs sociaux, au sein desquels
les acteurs luttent pour les ressources donnant accès à l’autorité et à la
légitimité sociale. Cette analyse conduit à mettre en exergue les rapports
de domination et de résistance assurant la stabilité et la reproduction du
statu quo social. La conception du social véhiculée par cette approche per-
met de mettre en œuvre la perspective du travail institutionnel, selon
laquelle on conçoit l’action institutionnelle comme située, créative et
intelligente (Lawrence et Suddaby, 2006, p. 219). Il s’agit d’étudier le rôle
des acteurs et de leur pratique, par opposition aux études s’étant focalisées
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sur la description des institutions, en tant que telles, et sur leurs évolutions
dans le temps.

1.2.2. Les études de discours


L’appréhension du travail institutionnel passe également par les études
du discours, dans la mesure où ce travail implique des actes de paroles et
des écrits produisant un effet sur les institutions. Parmi les différents types
d’études de discours mobilisés, le courant du travail institutionnel s’est
particulièrement inspiré des analyses de récit (se reporter, par exemple, à
Zilber, 2009). Les récits accompagnent la création ou le maintien d’une
institution, que cela soit pour construire des identités ou bien pour diabo-
liser des pratiques. Il s’agit alors d’analyser la structure spécifique de ces
récits ou de donner à voir la signification d’un récit dans un contexte
culturel spécifique.

1.2.3. La théorie de l’Acteur-Réseau


En 2006, Lawrence et Suddaby affirment que la Théorie de l’Acteur-
Réseau (en anglais Actor-Network Theory, désignée pat son acronyme
ANT) est « extrêmement prometteuse pour étendre notre compréhension
du travail institutionnel » (2006, p. 242, traduction de l’auteur).
L’approche issue des travaux de Bruno Latour examine la construction
sociale résultant des interactions encastrées dans des réseaux sociaux. Il est
vrai que, en décrivant en quelques mots l’objet de l’ANT, l’intérêt que
Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby 189

revêt cette perspective, relativement à ce que nous avons décrit du courant


du travail institutionnel, est manifeste. L’ANT se concentre sur les interac-
tions, au niveau micro social notamment, entre les différents actants
(humains ou non), incluant les technologies et les médias afin de décrire
les pratiques sociales. Dès lors, cela ouvre la possibilité à l’utilisation de
l’ANT afin d’investiguer, par exemple, la construction de réseaux suppor-
tant une institution donnée. Lawrence et Suddaby insistent également sur
l’intérêt que représente la notion de « traduction » développée par cette
approche au profit de l’analyse du travail institutionnel.

1.2.4. L’entrepreneur institutionnel ?


Le concept d’entrepreneur institutionnel compte parmi les influences
ayant conduit à la théorisation du travail institutionnel. Comme nous
l’avons indiqué précédemment, cette approche doit cependant être consi-
dérée comme un courant distinct du travail institutionnel. La construc-
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tion théorique de Lawrence et Suddaby entre en opposition avec la vision
du changement institutionnel qui met en scène quelques acteurs centraux
au pouvoir extraordinaire (voir aussi Lawrence, Suddaby et Leca, 2011,
p. 55). Le travail institutionnel est un travail « plus minimaliste, incré-
mental, et délicat que la littérature existante sur le changement ne voudrait
nous le suggérer » (Lawrence, Suddaby et Leca 2009, page 19, traduction
de l’auteur). Afin que l’institution se crée, perdure ou, au contraire, pour
qu’elle soit remise en cause, l’importance des actions et réactions humaines
dépasse le simple cas de l’entrepreneur institutionnel. Du point de vue du
courant du travail institutionnel, le retour de balancier du côté de l’action
rationnelle proposé par l’approche de l’entrepreneur institutionnel peut
sembler extrême. On lui a reproché d’ériger en quelque sorte les acteurs au
rang de démiurges (voir Garud et al., 2007). Car cette approche peut
paraître masquer une réalité bien plus subtile, faite d’un travail généralisé,
concernant un nombre plus large d’individus, et beaucoup plus constant
que ne le laisse présumer la vision de l’entrepreneur institutionnel. Dans
leur article de 2006, Lawrence et Suddaby affirment en effet que la créa-
tion de nouvelles institutions nécessite le travail institutionnel mené
« aussi bien par des acteurs avec les ressources et compétences leur permet-
tant d’agir en tant qu’entrepreneurs que par les personnes jouant le rôle de
support ou de facilitateur des objectifs de l’entrepreneur » (2006, p. 217,
traduction de l’auteur).
190 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

2. L’INFLUENCE DU TRAVAIL INSTITUTIONNEL


DANS LA COMMUNAUTÉ FRANCOPHONE
Dans la communauté académique francophone des études en manage-
ment, la notion de travail institutionnel a irrigué de nombreux travaux.
Sans prétendre à l’exhaustivité dans la recension de ces recherches, nous
proposons d’en présenter quelques-unes afin d’exposer le transfert et de
démontrer l’influence de la notion développée par Lawrence et Suddaby
dans le champ francophone des sciences de gestion.

2.1. Les travaux sur le maintien institutionnel


Premièrement, si en 2009, Lawrence, Suddaby et Leca écrivaient que le
maintien institutionnel avait « reçu relativement peu d’attention empi-
rique et théorique » (Lawrence, Suddaby et Leca 2009, p. 8, traduction de
l’auteur) les recherches publiées par des spécialistes de la communauté
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francophone se sont depuis expressément confrontées à cette question.
Parmi elles, Blanc et Huault (2010) ont étudié l’industrie du disque. Ils
montrent que, malgré l’incertitude qui a caractérisé la décennie 2000, les
majors du disque de la filière musicale ont effectué un travail pour repro-
duire les croyances et les schémas de pensée, notamment sur la représen-
tation collective de la notion d’artiste. Les auteurs ont eu recours, dans ce
cas, à une analyse de discours afin de mettre en exergue le rôle de ces
acteurs qui se sont chargés de réactiver les croyances institutionnalisées,
affaiblies durant cette période de crise et d’incertitude (Blanc et Huault,
2010, p. 96 ; se reporter aussi à Blanc et Huault, 2014). Dans une étude
portant plus spécifiquement sur la stratégie politique des organisations,
Blanc et Taupin (2015) ont montré que cette action politique a pu à long
terme menacer la légitimité des majors de l’industrie du disque. Leur suc-
cès politique, dans le cadre du vote de la loi DADVSI, la loi relative à la
protection des droits d’auteur, a paradoxalement coïncidé avec une perte
effective d’audience et de crédibilité pour ces entreprises.
Dans un tout autre domaine, celui de la finance, Taupin (2011 ; 2012)
étudie la manière dont différents types de travail institutionnel de main-
tien ont permis la perpétuation de l’organisation de la notation de crédit,
en particulier lors de la crise des subprimes en 2008. Cette recherche
articule la sociologie pragmatique inspirée des travaux de Luc Boltanski
avec la notion de travail institutionnel. L’approche utilisée permet en effet
de réaliser une sociologie de la critique, en étudiant la manière dont les
acteurs décrivent eux-mêmes la réalité organisationnelle qui les entoure.
Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby 191

Dans les travaux mentionnés, on notera la diversité des perspectives


théoriques mobilisées afin de rendre compte du travail institutionnel.
D’autres travaux ont combiné l’approche par les mouvements sociaux avec
la perspective du travail institutionnel afin d’étudier le travail de maintien
institutionnel (Peton, 2011). Pour son étude, la chercheuse s’appuie sur le
cas de l’amiante et examine la manière dont la pratique institutionnalisée
du recours à ce matériau a, malgré sa toxicité avérée, été perpétuée entre
1982 et 1995.

2.2. Les travaux sur le processus


d’institutionnalisation
Lanciano et Saleilles (2011) ont adopté une perspective semblable à
celle de Peton, articulant travail institutionnel et étude des mouvements
sociaux, pour analyser la manière par laquelle l’un de ces mouvements,
celui des Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture pay-
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sanne), impose un nouveau mode de consommation politique.
Contrairement aux recherches précédemment mentionnées, toutes focali-
sées sur la question du maintien, cette recherche porte sur la question de
l’institutionnalisation. Plus récemment, Berthinier-Poncet (2013) a iden-
tifié les pratiques institutionnelles d’innovation de nature politique mobi-
lisées par la gouvernance de trois clusters à la française – un technopôle et
deux pôles de compétitivité de la région Rhône-Alpes. Cette étude trans-
pose la notion de travail institutionnel au contexte des clusters afin de
montrer comment l’action politique mise en œuvre par les clusters contri-
bue à soutenir les institutions innovantes (se reporter aussi à Berthinier-
Poncet, 2014). Dans le milieu académique francophone, d’autres
recherches se sont intéressées au changement institutionnel en s’inscrivant
dans le courant du travail institutionnel. Ben Slimane (2012) a étudié le
rôle joué par le discours durant le processus de changement institutionnel,
en l’espèce lors du déploiement de la télévision numérique terrestre en
France. Plus récemment, Peton et Pezé (2015) ont examiné les dyna-
miques institutionnelles sur le temps long, en suivant le travail institution-
nel politique mené autour de la question du concept juridique de « faute
inexcusable » de 1898 à 2012.

2.3. Les travaux sur la désinstitutionalisation


La désinstitutionalisation fait référence à l’érosion ou la discontinuité
d’une activité ou d’une pratique organisationnelle institutionnalisée
192 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

(Oliver, 1992). Cette question a également mobilisé les chercheurs fran-


çais en sciences de gestion. Dans le domaine de l’organisation des activités
culturelles, Delacour et Leca (2011) ont réalisé une étude historiogra-
phique de la désinstitutionalisation du Salon de Paris. Ce salon avait en
effet structuré le champ des Beaux-Arts en France pendant plus de deux
siècles avant de décliner progressivement, à la fin du XIXe siècle. Peton
(2012) a également soutenu une thèse investiguant le processus de désins-
titutionalisation de l’amiante en France entre 1975 et 1997, date à laquelle
la désinstitutionalisation se conclut avec l’interdiction définitive de la
substance au 1er janvier 1997. Cette étude confirme le rôle central joué par
le travail institutionnel au cœur du processus de perte de légitimité de
l’institution.

2.4. Les questionnements théoriques


Enfin, et cela témoigne de la vigueur avec laquelle ce courant se diffuse
dans le champ francophone, plusieurs articles théoriques ont proposé des
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pistes d’utilisation de la notion de travail institutionnel. Ben Slimane et
Leca (2010) proposent un travail pédagogique visant à diffuser la notion.
Ils suggèrent en particulier l’idée, car ils la jugent particulièrement fertile,
de mener des études sur les « stratégies de maintien des avantages et des
positions concurrentielles non en raison de rentes acquises ou de contrôle
des ressources, mais par le biais de la constitution de barrières cognitives ou
culturelles » (Ben Slimane et Leca, 2010, p. 67).
D’autres recherches théoriques ont présenté les contributions que l’on
pouvait retirer de l’articulation de la notion de travail institutionnel avec
d’autres perspectives. Par exemple, Ben Slimane et Leca ont récemment
(2014) suggéré de combiner la perspective du travail institutionnelle avec
une approche par les ressources et les compétences. Pour leur part, Huault
et Leca (2009) se sont penchés sur la question du pouvoir dans les organi-
sations. Si ces chercheurs ne se réfèrent pas explicitement à la notion de
travail institutionnel dans cet article, l’approche inédite qu’ils proposent de
la notion de pouvoir peut aisément être utilisée au profit de l’analyse du
travail institutionnel. Huault et Leca soutiennent en effet que la manière
dont les pratiques s’institutionnalisent confère à ces pratiques une forme de
pouvoir qui leur permet de modeler les actions. Enfin, une autre preuve de
la vitalité de la notion de travail institutionnel tient à la publication, dans
la revue française M@n@gement, d’un échange entre des chercheurs inves-
tiguant l’institution dans sa dimension historique, sur la question des
conditions d’étude du changement institutionnel sur de longues périodes
(Daudigeos, Boutinot et Jaumier, 2015 ; Peton et Pezé, 2015).
Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby 193

3. LE TRAVAIL INSTITUTIONNEL :
LIMITES ET PERSPECTIVES
Le courant du travail institutionnel, le nombre de publications que
nous avons présentées en témoigne, est désormais indéniablement ancré
dans le paysage des études en management aussi bien au niveau interna-
tional que dans le champ académique francophone. La stabilisation de la
notion s’accompagne naturellement de questions relatives à ses manque-
ments et ses limites dans sa capacité à décrire et comprendre les phéno-
mènes organisationnels. Nous nous proposons de les examiner dans cette
section.

3.1. Prendre en compte le travail institutionnel


au niveau micro-sociologique
Dans le propos liminaire à leur ouvrage de 2009, Lawrence, Suddaby
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et Leca, indiquent que l’une des dimensions centrales dans la structuration
du travail institutionnel, tient à distinguer l’activité du résultat du travail
institutionnel. Lawrence, Leca et Zilber (2013) notent que cette distinc-
tion entre les travaux qui se soucient des connexions entre, d’une part, le
travail institutionnel et ses effets en termes institutionnels, et, d’autre part,
les recherches qui se focalisent sur le travail en lui-même, est utile afin
d’exprimer les questions qui demeurent, dix ans après la première forma-
lisation du concept. En effet, les travaux portant sur le travail institution-
nel se sont principalement focalisés sur les connexions entre le travail
institutionnel et les effets de ce dernier. Et les effets sur les institutions
sont, en général, appréhendés au travers d’une reconstruction effectuée a
posteriori, c’est-à-dire de manière rétrospective.
Pourtant, le travail institutionnel cible l’étude de l’activité de création
ou de maintien institutionnels et non une description statique de résultats
de la conduite de cette activité (Lawrence, Suddaby et Leca 2009, p. 10).
Il s’agit donc d’une étude d’un travail dynamique et situé, qui ne suit pas
pour autant un processus inexorable, et dont la forme peut être multiple.
Dans cette perspective, les fondateurs du concept expriment cette idée en
s’appuyant plus volontiers sur les formes du présent continu de la langue
anglaise (« creating, maintaining, disrupting ») plutôt que sur la forme
substantivée (« creation, maintenance, disruption of institutions »). Or, en
portant sur le lien entre le travail institutionnel et les effets de ce dernier
sur les institutions, les recherches ont eu tendance à négliger la compré-
hension de la manière dont le travail institutionnel s’exécute en pratique,
194 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

au niveau des acteurs individuels. Comme le suggèrent Lawrence, Leca et


Zilber (2013, p. 1029), l’appréhension de ce phénomène passe sans doute
par la conduite d’études faisant appel à des méthodes de recherche peu
utilisée dans ce champ, comme par exemple les études ethnographiques.
Ces méthodes semblent en effet particulièrement appropriées, de par
l’immersion sur le long terme qu’elles permettent, afin de saisir la pratique
quotidienne, complexe et parfois paradoxale, du travail institutionnel.

3.2. De l’entrepreneur institutionnel


à la biographie institutionnelle
L’appel à intégrer la capacité à appréhender le niveau micro-social pour
l’analyse du travail institutionnel pourrait à tort pousser les chercheurs en
management à y voir une incitation à articuler la notion de travail institu-
tionnel à la perspective de l’entrepreneur institutionnel. Or la description
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des processus institutionnels par la figure de l’entrepreneur institutionnel
n’entre pas dans le périmètre défini par Lawrence et Suddaby. Nous
l’avons dit, leur approche considère un travail beaucoup plus généralisé et
complexe que l’action menée par un entrepreneur institutionnel. Cela
tient également à l’inspiration théorique dans laquelle puise cette notion
de travail institutionnel. Rappelons qu’elle prend ses racines dans la
Théorie de la pratique bourdieusienne, et en particulier la notion d’habi-
tus. Or l’habitus décrit la relation complexe entre le social et l’individuel,
et cette dernière ne peut être rendue par le type d’imputabilité véhiculée
par l’approche de l’entrepreneur institutionnel (un acteur doté de res-
sources agissant en fonction de son intérêt sur les institutions). Dans un
article de 2011, Lawrence, Suddaby et Leca suggèrent de délaisser la pers-
pective de l’entrepreneur institutionnel au profit de l’analyse de la « bio-
graphie institutionnelle », définie comme « l’exploration des individus
particuliers en relation avec les institutions qui ont structuré leurs vies, et
sur lesquelles ils ont travaillé pour les créer, les maintenir ou les perturber »
(Lawrence, Suddaby et Leca, 2011, p. 55, traduction de l’auteur). Cette
perspective, beaucoup moins déterministe que ne l’est l’approche par le
filtre de l’entrepreneur institutionnel, vise à explorer l’influence des indi-
vidus sur les institutions, en la combinant à l’analyse des évènements,
relations et circonstances qui ont façonné la connexion entre les individus
et les institutions.
Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby 195

3.3. Rapprocher le travail institutionnel


des perspectives critiques
L’angle d’approche du travail institutionnel, que nous venons de
décrire, ouvre également des perspectives pour la réflexion critique en
management. Lawrence, Suddaby et Leca (2011) regrettent eux-mêmes la
séparation qui existe entre les recherches néo-institutionnelles et les études
critiques en management. Les études critiques en management mettent en
exergue des relations asymétriques du pouvoir et les différentes formes de
structures de domination dans les entreprises (Golsorkhi, Huault et Leca,
2009). Elles se préoccupent de la charge éthique et politique de la
recherche et tentent de proposer des discours (et des pratiques) alternatifs
à visée émancipatoire (Golsorkhi, Huault et Leca, 2009). L’objectif n’est
plus « l’implication managériale » d’une recherche, mais son « utilité
sociale » au sens large. Dans la mesure où les études critiques sont carac-
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térisées par une grande hétérogénéité de centre d’intérêts et d’inspiration
théoriques, l’articulation de ces deux perspectives peut prendre de nom-
breuses formes. Elle soulève également de multiples questions. Parmi les
nombreuses interrogations qui se posent, on peut se demander en quoi la
perspective du travail institutionnel résoudra-t-elle le risque qui guette les
études critiques, celui de la « récupération » par les managers ? Dans le cas
contraire, ne serait-elle pas menacée par l’accusation classique opposée aux
études critiques, celle qui leur reproche de s’en tenir à une attitude plus
contemplative et d’ainsi courir le risque d’être ignorée, par les managers
notamment ? Dans le cas spécifique du travail institutionnel, Willmott
(2011, p. 70) se demande en effet en quoi la problématisation permise par
l’approche sera-t-elle différente du travail institutionnel des consultants,
pour permettre in fine la remise en cause du statu quo ?
Sans apporter une réponse définitive à cette question, un article récent
donne cependant à voir le type de contribution permise par l’association
d’une perspective critique à celle sur le travail institutionnel. Martí et
FernÀndez (2013) présentent une approche originale permettant d’entre-
voir les perspectives ouvertes par ce type de recherches. Ils proposent une
analyse du travail institutionnel d’oppression et de résistance lors de
l’Holocauste. Pour ce faire, Martí et FernÀndez combinent la littérature
sociologique sur le pouvoir, plus particulièrement sur l’oppression et la
résistance, avec une approche par le travail institutionnel.
196 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

3.4. Le travail institutionnel au fondement


d’une nouvelle perspective critique ?
Les questions de l’intentionnalité et de l’effort sont centrales dans la
notion de travail institutionnel (Lawrence, Suddaby et Leca, 2009). C’est
en prenant en compte cette spécificité que des perspectives possibles de
développement apparaissent, en particulier pour les études critiques en
management.

3.4.1. La question de l’intentionnalité comme fondement d’une


nouvelle perspective critique
En regard du libellé relativement simple et direct figurant dans la défi-
nition originelle du travail institutionnel (l’expression « action intention-
nelle » ou, en anglais, « purposive action »), les créateurs du concept ont par
la suite affiné, pour la clarifier, ce que cette expression recouvrait, notam-
ment en lien avec la question de l’intentionnalité. Or cette question est
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complexe, en témoigne par exemple l’analyse du paradoxe de l’agence
encastrée (Battilana et D’Aunno, 2009), c’est-à-dire la contradiction fon-
damentale qui existe entre l’agence des acteurs et le déterminisme institu-
tionnel. Dans la perspective du travail institutionnel, on adopte une
définition large de l’intention : il y a présence d’une intention lorsque les
« acteurs lient leurs actions aux situations qu’ils rencontrent » (Lawrence,
Suddaby et Leca, 2009, p. 13, traduction de l’auteur). Cette définition est
large car elle permet d’abriter de nombreuses formes différentes de travail
institutionnel, de la plus évidente à la plus subtile. Cela comprend bien
entendu les cas dans lesquels les acteurs s’efforcent d’avoir un effet sur les
institutions (maintien, changement, interruption). Mais cela inclut égale-
ment, et cela est moins intuitif, toutes les actions humaines qui ont un
impact sur les institutions. Lawrence, Suddaby et Leca citent le cas
extrême des locuteurs de langue anglaise, dans un pays dont la langue
majoritaire est l’anglais, dont l’action constitue un travail institutionnel
« puisque il sert à reproduire la domination de cette langue » (Lawrence,
Suddaby et Leca, 2009, p. 14, traduction de l’auteur).
Comme le notent Lawrence, Suddaby et Leca (2011, p.56), de ce point
de vue, l’émancipation pourrait se matérialiser par la transformation des
formes d’intentionnalité. Cela passerait, en accord avec la perspective du
travail institutionnel, par la prise en compte de l’importance des structures
se perpétuant dans le façonnement des actions. Mais également par l’ac-
ceptation du fait que les acteurs aient conscience de ces structures, ce qui
les amènerait à agir sur, voire à lutter contre, ces structures.
Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby 197

3.4.2. La question de l’effort comme fondement d’une nouvelle


perspective critique
Lawrence, Suddaby et Leca (2009) suggèrent que la notion d’effort est
un autre des critères déterminants afin de caractériser le travail institution-
nel. Le concept de travail nécessite une notion d’effort afin de le distinguer
des autres formes d’action. Des différents degrés d’effort consentis peuvent
dépendre la nature du travail institutionnel considéré. L’effort qui caracté-
rise le travail institutionnel peut être de plusieurs natures, physique ou
mentale, ou, pour reprendre les piliers de l’institution décrits par Scott
(2008), fondé sur des éléments régulateur, normatif ou cognitif.
À partir de cette caractéristique du travail institutionnel, Lawrence,
Suddaby et Leca (2011, p.56) identifient une autre possibilité d’articula-
tion entre perspective critique et travail institutionnel. Ils proposent d’étu-
dier les efforts réalisés par les acteurs pour s’émanciper en ayant recours à
l’élaboration d’arrangements institutionnels alternatifs. En se référant aux
travaux de Martí et Mair (2009) pour illustrer cette idée, les auteurs
évoquent l’exemple du rapport à l’effort que nécessite la pratique entrepre-
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neuriale dans des conditions de pauvreté extrême. Dans ce cas, l’action des
acteurs va au-delà de nouvelles pratiques. Elle nécessite de nouvelles
manières de voir les choses, contrairement au travail institutionnel des
acteurs en place, plus organisés et disposant du pouvoir. Ces acteurs
doivent parvenir à remettre en cause les mythes et traditions les dénigrant
en faisant preuve de stratégies institutionnelles particulièrement subtiles,
voire expérimentales dans certains cas. On voit ici tout l’intérêt qu’il y a,
dans une perspective critique, à considérer les efforts cognitifs et émotion-
nels nécessaires pour que les acteurs puissent effectuer ce travail institu-
tionnel, et ainsi créer ou perturber les institutions (sur cette question, se
reporter également à Lawrence, Leca et Zilber, 2013, p. 1029).

Conclusion
Le courant du travail institutionnel, développé dans le sillage des tra-
vaux fondateurs de Lawrence et Suddaby, est donc apparu afin de répondre
au problème créé par le développement du paradigme néo-institutionnel,
au sein duquel le rôle individuel avait pratiquement disparu. Dans ce
cadre cependant, la réintroduction de l’individu ne peut se faire que de
manière circonstanciée. L’approche du travail institutionnel offre une
perspective de ce type dont les chercheurs en management se sont alors
largement saisis. La présentation que nous en avons proposée, tout au long
de ce chapitre, montre finalement la plasticité de cette perspective. À par-
198 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

tir d’une définition relativement simple, plusieurs niveaux de lecture sont


en effet possibles, qui permettent de saisir la complexité organisationnelle
au profit des études en management. D’un questionnement sur les straté-
gies de groupe d’acteurs pour agir sur les institutions à une réflexion épis-
témologique sur le lien complexe entre l’individu et le social, le travail
institutionnel permet d’aborder de nombreux problèmes auxquels sont
confrontées les études en management. Il répond à des questions concrètes
aussi bien qu’à des interrogations ontologiques quant à la représentation
que l’on adopte du social, de l’individu et de la relation entretenue entre
ces deux éléments (se reporter à Willmott, 2011). C’est sans doute de cette
caractéristique, de cette forme de plasticité, que le courant du travail ins-
titutionnel tire son succès dans le monde académique.
Pour conclure, nous relèverons que le courant issu des travaux de
Lawrence et Suddaby s’est lui-même institutionnalisé en étant probable-
ment porté par une forme de travail institutionnel. En effet, l’approche
par le travail institutionnel a été soutenu par les membres du courant néo-
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institutionnel, lequel, comme le note Suddaby (2015, p.2), après avoir été
créé en réaction à l’hégémonie de la théorie économique, est lui-même
devenu dominant. La nature exacte de ce travail institutionnel demeure
cependant encore largement méconnue. Une connaissance approfondie de
ce processus d’institutionnalisation, et dans notre cas spécifique de l’émer-
gence d’une nouvelle approche scientifique dans les études en manage-
ment, serait à coup sûr utile pour le champ académique ainsi que pour les
acteurs composant ces organisations afin d’en permettre un meilleur…
management.

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XIII. JOHN MEYER ET BRIAN ROWAN – LES ORGANISATIONS COMME
REFLETS DE MYTHES RATIONNELS

Sandra Charreire Petit


in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 202 à 215


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-202.htm
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John Meyer et Brian Rowan

reflets de mythes rationnels


Les organisations comme

Sandra Charreire Petit


XIII
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John Meyer et Brian Rowan 203

La collaboration de John Meyer et de Brian Rowan repose essentielle-


ment sur un article considéré encore aujourd’hui comme majeur. Dans cet
article paru en 1977 dans American Journal of Sociology, est défendue l’idée
que les structures formelles de nombreuses organisations dans les sociétés
post industrielles reflètent de façon spectaculaire les mythes de leurs envi-
ronnements institutionnels1. Les exigences liées aux activités productives
des organisations sont d’ailleurs bien moins représentées dans ces struc-
tures formelles. En d’autres termes, les organisations se créent et se déve-
loppent lorsque des mythes sont rationalisés et institutionnalisés dans
l’environnement.
Trois implications liées découlent directement de cette proposition et
fondent la théorie proposée par Meyer et Rowan :
• les organisations formelles se développent d’autant plus aisément
qu’un grand nombre de mythes est contenu et institutionnalisé dans
leurs environnements ;
• les organisations ayant intégré ces mythes sont plus légitimes, plus
performantes et, ce faisant, plus aptes à survivre ;
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• les efforts déployés pour l’activité de contrôle sont consacrés à la
conformité rituelle, à la fois interne et externe, notamment lorsque
les environnements sont hautement institutionnalisés.
Dans ce chapitre, nous présentons les fondements de la théorie néo-
institutionnelle, tels que les posent Meyer et Rowan en mettant particu-
lièrement l’accent sur des notions et concepts qui en sont de véritables
lignes de force. Pour Meyer et Rowan, l’organisation est avant tout le reflet
de mythes rationnalisés dans l’environnement (section 1). Ces mythes
sont intégrés au sein des structures formelles, donnant l’illusion d’une
réponse rationnelle aux sollicitations de l’environnement. Ils renforcent,
en retour et via un isomorphisme institutionnel, la légitimité de l’organi-
sation (section 2). Ce faisant, ils lui permettent d’agir dans et sur son
environnement (section 3).

1. Le terme environnement institutionnel ou institutionnalisé renvoie à la prise en compte des forces


sociales et culturelles.
204 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Notices biographiques
John W. Meyer, né en 1935, est professeur émérite de sociologie, spécialiste des ques-
tions d’éducation, à Stanford (département de sociologie). Ses centres d’intérêt scienti-
fiques sont la propagation des institutions modernes dans le monde entier, et leur
impact sur les États et les sociétés – en particulier la propagation et l’impact de l’activité
scientifique et de la normalisation des modèles de formation. Il est membre du corps
professoral de CDDRL (Center of Democracy, Development, and the Rule of Law) et
Senior Fellow à la FSI (Fremman Spogli Institute for International Studies) à Stanford.
Il obtint son doctorat de l’Université de Columbia en 1965 et y a enseigné plusieurs
années durant avant de rejoindre Stanford. Ses contributions sont nombreuses en théo-
rie des organisations et en sociologie de l’éducation. Il a influencé significativement
l’essor de la théorie néo-institutionnelle, notamment avec Brian Rowan, dans un article
séminal publié en 1977. Depuis la fin des années soixante-dix, il a travaillé sur les ques-
tions liées à l’impact de la société mondiale sur les États nationaux et les sociétés. À titre
d’exemple, il a réalisé une étude de la science dans le monde entier et son impact sur
les sociétés nationales (Drori et al., 2006), et il a travaillé sur l’impact du développe-
ment des droits de l’homme dans le monde entier. Ses travaux sur les organisations
dans leurs environnements institutionnels représentent plus de 230 publications dans
les plus prestigieuses revues ou éditions académiques. Il a reçu de très nombreuses
distinctions et prix.
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Brian Rowan est sociologue. Il obtint un Ph.D. à Stanford en 1978 et ses recherches
sont, depuis, au croisement de la théorie des organisations et de la question de
l’efficacité de la recherche universitaire. Dans sa carrière, B. Rowan a écrit sur
l’éducation en tant qu’institution, sur la nature du travail des enseignants, sur les effets
de l’organisation scolaire, le leadership, ou encore sur l’instruction et la pratique des
élèves. Il s’est attaché à mesurer et à améliorer la qualité de l’enseignement. Son travail
comprend une vaste étude longitudinale (conception, mise en œuvre et mesure
d’efficacité) portant sur trois des plus importantes réformes du système éducatif aux
États Unis. Avant de rejoindre la faculté d’éducation de l’Université du Michigan en
1991, Brian Rowan a été directeur de recherche au Far West Laboratory for Educational
Research and Development, et Président du Département de l’administration de
l’éducation à la Michigan State University. Il est membre de la National Academy of
Education des États-Unis. Il a reçu de très nombreux prix et a siégé au comité de rédac-
tion des principales revues scientifiques dans son domaine.

1. L’ORGANISATION COMME ARTEFACT DE MYTHES


RATIONALISÉS
L’histoire de la théorie des organisations est riche de travaux pour tenter
d’expliquer, voire de comprendre, l’apparition des structures organisées
formelles (Blau, 1970 ; Woodward, 1965 ; Thompson, 1967, notam-
ment). La plupart de ces travaux suppose que la structure organisée et
formelle2 est la plus performante. Dans ces théories, que Meyer et Rowan
2. La structure formelle d’une organisation est généralement représentée par son organigramme, lequel
met en évidence les différentes fonctions et leurs liaisons. La structure formelle donne une vision norma-
tive de l’organisation et ne rend pas complètement compte de la réalité des pouvoirs qui s’y manifestent.
John Meyer et Brian Rowan 205

considèrent comme « dominantes », la légitimité est donnée. Pour Meyer


et Rowan, à l’inverse, elle s’acquiert par le jeu des interactions avec l’envi-
ronnement. Leur propos est précisément de dire que l’on comprendrait
davantage l’action sociale organisée – et les structures formelles qui en
découlent – si l’on s’attachait à décrypter les règles, les compréhensions et
les significations attachées aux structures sociales institutionnalisées dans
les environnements. Ces processus de bureaucratisation – qu’ils appellent
l’alternative Wéberienne – ont été, pensent-ils, négligés. Pour les auteurs,
certains éléments formels des structures sont tellement tenus pour acquis
qu’ils fonctionnent comme des mythes ; ils ne sont jamais remis en cause
et ne sont jamais mis en perspective avec la production, avec la perfor-
mance même de l’organisation ou avec ses déterminants. À ce titre, leur
travail de 1978 consacré à la structure des organisations dédiées à l’ensei-
gnement montre bien que les universités en particulier se définissent – se
structurent formellement – par l’idéologie qui les sous-tendent : enseigner
et chercher.
À la base de la théorie proposée par Meyer et Rowan, réside le principe
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de l’institutionnalisation de pratiques dans l’environnement dont les orga-
nisations vont se saisir. En effet, il existe, pour les auteurs, un certain
nombre de concepts rationalisés qui prévalent à propos de l’organisation
du travail et qui sont institutionnalisés dans les sociétés dites post indus-
trielles. Scott (1992 : 117) définit l’institutionnalisation comme le proces-
sus selon lequel des actions sont répétées et donnent, de ce fait même, une
signification similaire à d’autres actions. Institutionnaliser signifie ainsi à
la fois une répétition d’actions mais, plus fondamentalement sans doute,
une conception partagée de la réalité que cette répétition autorise. Les
organisations intègrent ces pratiques et procédures institutionnalisées et,
ce faisant, accroissent leur légitimité et leur potentiel de survie, indépen-
damment de l’efficacité même de ces pratiques et procédures acquises. En
réalité, à chaque fois que l’organisation fait face à l’incertitude, elle est
tentée d’imiter d’autres structures, d’adopter d’autres pratiques présentes
dans son environnement. Ces pratiques et procédures, parce qu’elles béné-
ficient d’un important degré de partage a priori dans la société, fonc-
tionnent comme de puissants mythes qui structurent formellement l’orga-
nisation. Dans la littérature, l’apparition des structures formelles est
expliquée de différentes manières mais, pour Meyer et Rowan (1977),
aucune n’est réellement totalement satisfaisante.
Ils proposent une compréhension alternative : les mythes de l’environ-
nement institutionnel façonneraient cette structure…
La relation qu’entretient, au plan structurel, l’organisation avec son
environnement n’est pas une question nouvelle. Les organisations for-
206 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

melles sont faiblement couplées à leur activité nous signalent March et


Olsen (1976) ou encore Weick (1976). Cette observation largement par-
tagée dans la communauté académique des années soixante-dix signifie
que les éléments de structure, non seulement n’entretiennent qu’un rap-
port lâche avec les activités de l’organisation, mais sont faiblement liés
entre eux. Ce couplage lâche ne constitue pas un rempart aux dysfonction-
nements – les règles sont souvent violées, les décisions non appliquées ou
mal appliquées – et ne produit qu’une faible coordination. Pourtant, les
organisations formelles se développent dans nos sociétés et la question de
leur apparition n’est, du coup, pas totalement élucidée. C’est donc à cette
question ambitieuse que Meyer et Rowan s’attèlent. Les auteurs par-
viennent à préciser davantage la nature de ce couplage lâche, par la force
de la dimension rituelle. En effet, une pratique de gestion qui est adoptée
et se diffuse ne représente souvent qu’une réponse très superficielle aux
problèmes auxquels l’organisation fait face. Cette pratique se trouve en
outre fréquemment en décalage avec les valeurs et les comportements des
acteurs. À titre d’exemple, Lozeau (2005) met en évidence que le déploie-
ment de la démarche de gestion par la qualité dans les hôpitaux au Québec
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correspond à ce « couplage ritualisé » : le degré de diffusion de la démarche
qualité ne représente qu’une « mesure d’étalement3 » – caractère superficiel
– et non une « mesure d’enracinement », qui correspondrait davantage à
une logique de performance intrinsèque et locale du dispositif. Les activi-
tés qui correspondent à la qualité prennent ainsi la forme de rituels et de
cérémonies qui finissent par s’ancrer formellement dans les structures des
organisations.

2. LA DIMENSION SYMBOLIQUE DE LA CONFORMITÉ ET


SON APPARENTE RATIONALITÉ
Il existe une double dynamique entre la structure formelle d’une part
et la légitimité, d’autre part. Pour comprendre cette double dynamique, il
faut saisir, pour une organisation donnée, la dimension symbolique de la
conformité à son environnement. Il s’agit là de la genèse, à la fois de la
structuration formelle, mais également de la légitimité acquise par ladite
organisation. Le symbole se représente alors comme un standard à la ratio-
nalité non discutée ; le mythe rationnel.

3. L’étalement correspond au nombre d’organisations touchées par la démarche dans l’environnement.


John Meyer et Brian Rowan 207

2.1. Une double dynamique de la structuration


et de la légitimité
Meyer et Rowan (1977, 1978) insistent sur la manière dynamique de
saisir à la fois la structuration formelle des organisations et leur dépen-
dance très forte aux mythes rationalisés dans et par l’environnement.
C’est, dans le même esprit, de manière dynamique que la question de la
légitimité se pose. La conformité n’est pas seulement liée au respect de
certaines caractéristiques structurelles de la part de l’organisation. Plus
fondamentalement, elle est liée à la capacité de cette dernière à s’impré-
gner de mythes rationalisés par l’environnement et à les intégrer dans un
système de règles formelles qui ne seront plus discutées. Les mythes insti-
tutionnalisés de l’environnement incorporés dans les structures formelles
des organisations accroissent leur légitimité et, ce faisant, pousse à l’iso-
morphisme institutionnel. Cet isomorphisme avec l’environnement pré-
juge de trois types d’effets liés entre eux :
• le découplage (ou couplage lâche) entre les sous unités structurelles
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les unes avec les autres d’une part, et avec l’activité d’autre part. Cela
ne signifie cependant pas que les organisations « découplées » sont
anarchiques. Les acteurs de ces organisations sont de bonne foi, et
cette posture contribue à la légitimité socialement reconnue de
l’organisation ;
• l’apparition de rites d’inspection et d’évaluation, y compris dans les
organisations où règnent confiance et bonne foi ;
• l’évitement de l’inspection formelle et de l’évaluation effective, ce
qui produit de l’illégitimité. À titre d’exemple, les États fédéraux
américains ont souvent insisté pour que soient évalués les fonds
spéciaux créés pour financer les domaines de la santé ou de l’éduca-
tion. Cependant, dans les faits, l’évaluation des programmes finan-
cés par ces fonds ne s’inscrit pas dans les routines organisationnelles.
Le travail de Meyer et Rowan en 1978 sur la structure des organisations
du milieu éducatif (universités, en particulier) montre bien ces trois effets
sur le long terme au sein de ce type de structures sociales. Plus le système
éducatif est une institution nationale de grande importance, moins ses
structures internes sont étroitement couplées, et plus la logique du
contrôle repose sur la confiance et la professionnalisation (1978 : 105). De
manière plus fondamentale Meyer et Rowan (1978 : 106) notent, à pro-
pos de tous types d’organisations, que les règles sociales et les comporte-
ments – formels et informels – sont souvent dissociés et incompatibles.
Selon eux, il convient de ne surtout plus s’en étonner tant il est évident
que les structures formelles et les activités sont faiblement liées. En effet,
208 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

pour se développer et être légitime, les organisations ont appris à intégrer


dans leur structure formelle les règles sociales en vigueur dans leurs envi-
ronnements. Ce faisant, ces règles n’ont pas systématiquement de rapport
avec l’activité de production. Pour illustrer ce phénomène, il suffit de
penser à l’apparition des économistes et des économètres dans les person-
nels des entreprises. La légitimité sociale grandissante de la profession
d’économiste dans les années soixante-dix a conduit les organisations à en
employer. Et, même si très peu de personnes, au sein de ces structures, est
à même de comprendre et de mobiliser leurs analyses en pratique, l’exis-
tence même de ces analyses aident à rendre légitimes les plans de l’organi-
sation, aux yeux des investisseurs, des clients ou des acteurs internes. La
règle sociale – compter des économistes en son sein – est ainsi intégrée
dans les structures formelles pour, notamment, que l’action puisse se
poursuivre dans l’environnement.
Ainsi, les structures ne sont pas adoptées en raison de leur efficacité
intrinsèque, mais en raison de la congruence qu’elles présentent avec
d’autres formes organisationnelles institutionnalisées. Pour saisir le carac-
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tère réellement novateur – encore aujourd’hui – de la pensée de Meyer et
Rowan, il convient de rappeler brièvement les sources de ce que nous
appelons ici la double dynamique de la structuration et de la légitimité.

2.2. À la source de cette double dynamique,


la dimension symbolique de la conformité
Toute organisation fait l’objet d’exigences – d’ordre technique et éco-
nomique, mais aussi d’ordre social et culturel – qui la poussent à se
conformer à des valeurs, à des règles, à des croyances prégnantes pour la
société. La pensée de Meyer et Rowan ne s’affranchit pas des travaux de
Selznick4, considéré comme le père fondateur de la théorie institution-
nelle, mais les prolongent en développant plus avant la dimension symbo-
lique de la relation organisation – environnement. En effet, Meyer et
Rowan ne considèrent pas la seule logique de l’adaptation mais s’inté-
ressent à la manière avec laquelle les organisations et les pratiques sociales
s’institutionnalisent entre elles. Si les exigences techniques ou écono-
miques sont considérées comme rationnelles, les exigences sociales et
culturelles sont davantage perçues comme relevant du domaine du sym-
bolique. Aussi, la conformité sociale, c’est-à-dire le fait, pour une organi-
sation, de s’adapter aux exigences sociales et culturelles de son environne-
ment s’apparente à une « victoire de la gestion symbolique » (Hatch,
4. Voir le chapitre consacré à Philip Selznick dans ce même ouvrage.
John Meyer et Brian Rowan 209

2000 : 100). Cette conformité (compliance) est un gage de survie, même


s’il s’agit là d’une condition nécessaire mais non suffisante. Zucker (1987)
développera plus tard cette idée en montrant que l’organisation conforme
ou conformée est liée aux autres organisations de son environnement via
un système de conventions largement acceptées.

2.3. Le mythe : un symbole érigé en standard


et considéré comme rationnel
L’apport majeur de Meyer et Rowan (1977) repose sur la mise en évi-
dence du rôle essentiel de la conformité sociale. Quand une organisation
se développe, selon des critères convenus (ou légitimes) au sein de son
environnement, elle prend appui sur des caractéristiques que personne ne
discute plus et qui, de ce fait, sont considérées comme rationnalisées.
Autrement dit, quand une organisation se développe selon des critères
convenus au sein de son environnement, elle s’apparente à une organisa-
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tion rationnelle et, ce faisant, elle réunit les conditions nécessaires pour
survivre. Pour Meyer et Rowan (1977), ces critères fonctionnent comme
des « mythes rationnels ». L’expression signifie à elle seule que la rationa-
lité ne saurait, stricto sensu, constituer une frontière nette entre les environ-
nements hautement institutionnalisés et ceux qui ne le seraient pas ou
peu. Hatch (2000) parle de « démarcation floue ». En outre, certains
phénomènes semblent relever du rationnel de prime abord alors même
qu’ils peuvent indiquer avant tout de l’émotionnel5. De nouvelles pra-
tiques comptables (par exemple, de nouvelles normes internationales)
peuvent contribuer à rendre légitimes les organisations qui les déploient à
travers la construction d’une apparence de rationalité et d’efficacité. C’est
ce que montrent notamment les travaux de Carruthers (1995).
Ces mythes rationnels ne sont pas objectivement testables mais tel n’est
pas le sujet puisqu’il existe un large consensus entre les individus pour
considérer que ces rationalités sont « vraies » (Hatch, 2000). Les remettre
en cause n’aurait donc aucun sens tandis que s’y conformer représenterait
un intérêt évident : être légitime aux yeux des parties prenantes de l’orga-
nisation. En d’autres termes, se conformer à un standard admis comme
étant rationnel par tous, c’est devenir légitime. Et devenir légitime, c’est se
donner la possibilité d’agir dans et par son environnement.
5. Certaines décisions peuvent être rationnalisées a posteriori mais être essentiellement guidées au départ
par une émotion. Les exemples ne manquent pas de décisions de dirigeant rationnalisées économique-
ment ou stratégiquement et qui ne s’expliquent, en réalité, que si l’on considère l’expression de leur
personnalité, leur vécu, leur rapport au pouvoir, leur capital émotionnel, la dimension symbolique de
ladite décision, etc.
210 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Meyer et Rowan montrent ainsi que des caractéristiques structurelles


d’organisations emblématiques peuvent se transformer progressivement en
standards sociaux auxquels il devient impératif de se conformer pour sur-
vivre, pour continuer à capter des ressources utiles au système productif
dans le ou les environnement(s) d’une organisation donnée. Les organisa-
tions éducatives n’y échappent pas et Meyer et Rowan le soulignent parti-
culièrement dans leur écrit de 1978 en proposant une description des
mécanismes principaux.
L’isomorphisme par rapport à l’environnement doit cependant être dou-
blement considéré. Dans une première acception, au demeurant classique,
il est le moyen déployé par les organisations pour traiter des interdépen-
dances qu’elles entretiennent précisément avec cet environnement6. Meyer
et Rowan (1977 : 346) privilégient cependant une seconde acception pour
expliquer l’organisation isomorphe : les organisations reflètent d’abord, au
plan structurel, la réalité socialement construite. Ces deux explications ou
acceptions sont cependant plus complémentaires que rivales. En effet, les
organisations traitent à la fois avec l’environnement – à leurs frontières – en
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même temps qu’elles intègrent ou copient en leurs seins (structures) des
éléments repérés comme pertinents dans leurs environnements.

3. LA LÉGITIMITÉ SOCIALE COMME PRÉALABLE


À L’ACTION
Si le capital, le travail, les matières premières ou d’autres ressources
comme les connaissances sont classiquement considérés comme des ingré-
dients de l’action (inputs), Meyer et Rowan nous signifient que la légiti-
mité sociale l’est tout autant. Elle agit comme un input dans un système
productif et doit même être considérée comme la première des ressources
organisationnelles parce qu’elle permet l’action. La société apporte ainsi
un consentement à l’organisation – une sorte de caution – pour l’autoriser
implicitement à agir dans son ou ses environnement(s). Certaines organi-
sations militantes (ex. de Green Peace) utilisent ce levier de la légitimité
sociale pour neutraliser les actions d’autres organisations qu’elles estiment
néfastes. Elles le font précisément en mobilisant l’opinion publique.
D’autres organisations visent à acquérir une légitimité certaine vis-à-vis de
cette opinion publique en communiquant fortement sur la conformité de
leurs actions – réelles ou proclamées – avec des valeurs sociales et sociétales
dans lesquelles se reconnaît volontiers cette opinion publique (ex. Areva et
6. Thompson (1967), Aiken et Hage (1968) ou Hawley (1968) développent ce raisonnement dans leurs
travaux.
John Meyer et Brian Rowan 211

le développement durable). Dans les deux cas, la légitimité sociale apparaît


bien comme un préalable à l’action et, a minima, comme nécessaire à sa
poursuite.
Plus de trente années plus tard, l’on voit bien comment les débats et/
ou les pratiques en termes de RSE ou de développement durable peinent
à franchir ce cap de la légitimité sociale. Dans le même temps, l’on com-
prend bien aussi l’importance que revêt l’adhésion de l’opinion publique
pour les parties prenantes, en particulier pour les entreprises.

Figure 1. La survie de l’organisation


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Source : Meyer et Rowan, 1977 : 353.

Parmi les conséquences possibles de l’isomorphisme des organisations


avec les institutions environnementales [Meyer et Rowan (1977 : 348-
349) en identifient trois7], une mérite d’être appuyée à nouveau ici car elle
précise la nature même de la légitimité qui permet d’agir : Les organisa-
tions intègrent au sein de leurs structures des éléments qui sont légitimés
par leur environnement, plutôt que par elles mêmes directement sur des
critères d’efficacité. L’isomorphisme institutionnel peut ainsi, en toute
rigueur, mener à des adoptions d’innovation (technique ou managériale)
par mimétisme tout en étant très éloigné d’une logique de recherche
d’efficacité. L’innovation est recherchée, dans ce cas, pour la légitimité
qu’elle procure, plutôt qu’en vue d’une amélioration de la performance.
L’idée est importante. Elle traduit que la légitimité de l’environnement
(externe) s’impose à l’entreprise par rapport à une légitimité plus
« interne » qui reposerait sur des considérations d’efficacité intrinsèque.
7. Meyer et Rowan identifient en effet deux autres conséquences de l’isomorphisme institutionnel : A) les
organisations s’appuient sur des critères d’évaluation externes de leurs pratiques qui s’apparentent à des
mythes ou cérémonies. B) la dépendance d’une organisation à des institutions bien établies réduit la
turbulence dans laquelle elle se trouve et aide à maintenir une forme de stabilité.
212 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Six propositions au cœur de la théorie de Meyer et Rowan (1977)


I. De la même manière que les règles institutionnelles rationalisées
émergent dans des domaines d’activité donnés, les organisations
formelles se structurent et s’étendent en incorporant ces règles
comme des éléments structurants.
II. Plus la société est moderne, plus la structure institutionnelle ratio-
nalisée est étendue à de nombreux domaines et plus le nombre de
domaines contenant des institutions rationalisées s’accroit.
III. Les organisations qui intègrent des éléments socialement légitimes
et rationnels au sein de leur structure formelle maximisent leur légi-
timité et accroissent leurs ressources ainsi que leurs capacités de
survie.
IV. Parce que les attentes pour contrôler et coordonner les activités dans
les organisations institutionnalisées poussent aux conflits et dimi-
nuent la légitimité, les éléments constitutifs de la structure sont
découplés des activités et découplés entre eux.
V. Plus une structure organisationnelle est issue de mythes institution-
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nels, plus elle maintient un affichage de confiance, de satisfaction et
de bonne foi, de manière interne, comme externe.
VI. Les organisations institutionnalisées cherchent à minimiser l’inspec-
tion et l’évaluation, tant par les managers en interne que par des
parties prenantes externes.
Ces six propositions forment le cœur de la théorie néo-institutionnelle,
telle que la formulent Meyer et Rowan en 1977 dans American Journal of
Sociology. Pour donner du relief à sa présentation, nous voulons insister sur
quelques-unes des idées-clés peu mobilisées et qui offrent pourtant un
éclairage très contemporain aux problèmes que connaissent les organisa-
tions en ce début de XXIe siècle.
Tout d’abord, il reste assez novateur de considérer que la structure for-
melle de l’organisation est, plus que tout, la manifestation de la puissance
des règles institutionnelles qui, fonctionnant comme des mythes rationna-
lisés, s’invitent dans les procédures et les pratiques des organisations au
point de les structurer formellement. Prenons le cas d’un hôpital. La
structure hospitalière relève d’une classification où chaque fonction – ou
service – s’apparente à une formule préfabriquée et disponible pour être
déployée au sein de n’importe quelle structure. Ainsi, l’hôpital est par
exemple doté d’un service des urgences, d’un service d’obstétrique ou de
médecine interne. Ces « mythes obligatoires » sont, selon Meyer et Rowan
(1977), tenus pour acquis et sont mobilisés sans négociation préalable afin
d’accomplir le dessein – qui ne se discute plus – d’une organisation telle
que l’hôpital : soigner, faire naître, guérir…
John Meyer et Brian Rowan 213

Ensuite, la prolifération des mythes rationnels dans les environnements


hautement institutionnalisés est expliquée par trois processus spécifiques :
Le premier processus a trait à l’élaboration d’un réseau relationnel (ou
réseau social) complexe. Au fur et à mesure de la densification du réseau
et des connexions qui s’y créent, le nombre de mythes rationnels s’accroit.
Le deuxième processus traite du degré d’organisation de l’environnement
qui s’opère plus ou moins collectivement et qui prend plus ou moins
appui sur une légitimité officielle, basée sur des mandats légaux. La légiti-
mité repose sur la croyance que les mythes sont rationnellement efficaces.
Beaucoup d’entre eux reposent sur un socle légal et réglementaire. Plus
l’ordre rationnel légal qui sous-tend les mythes est fort, plus l’extension
des règles rationnalisées et des procédures est issue de demandes institu-
tionnelles. Enfin, le troisième processus concerne les efforts de leadership
développés par les organisations localement dans le réseau. Deux méca-
nismes sont au cœur de ce troisième processus. Tout d’abord, les organi-
sations puissantes poussent leurs réseaux sociaux immédiats à s’adapter à
leurs structures et à leurs modes relationnels. C’est ainsi que les construc-
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teurs automobiles poussent à ce que des demandes émergent pour la créa-
tion de routes par exemple. Ensuite, ces organisations puissantes tendent
à imposer leurs objectifs et leurs procédures directement comme des règles
institutionnelles pour la société en général. Ces mêmes constructeurs
automobiles poussent à l’établissement de standards dans l’opinion
publique en matière de voitures désirables afin d’influer sur les standards
légaux. Autrement dit, les compétiteurs d’un secteur engagent des batailles,
non seulement directement sur les marchés par le truchement des relations
avec leurs clients respectifs, mais également au sein des réseaux sociaux, au
sein de contextes institutionnalisés à des fins de maintien de position
dominante ou au minimum de survie.
Enfin, il est intéressant de pointer la relation qui lie le contrôle de
l’activité organisationnelle à l’importance des mythes. Ce lien doit être mis
en perspective avec le temps que managers et dirigeants consacrent à la
gestion de l’image publique de l’organisation. En effet, plus cette dernière
activité est importante, moins ils disposent de temps pour se consacrer à
la coordination et au management particulier des activités internes et des
interdépendances que l’organisation entretient avec son environnement.
Parallèlement, plus la gestion de l’image publique est une préoccupation
intégrée comme une modalité de contrôle interne et/ou externe, plus la
légitimité de l’organisation est consacrée dans et par son environnement
et plus elle dispose de latitudes pour agir dans et sur ce même environne-
ment. Selon Meyer et Rowan (1977 : 339), il conviendrait dès lors d’ap-
précier si les managers proposent de consacrer davantage d’énergie à
214 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

maintenir un « isomorphisme rituel » qu’à assurer un suivi interne de


conformité aux règles en vigueur. Près de trente ans après, et à notre
connaissance, cette piste de recherche reste toujours à explorer.
En synthèse, les travaux de Meyer et Rowan demeurent au centre des
problématiques en sociologie des organisations aujourd’hui. En posant les
bases de la thèse centrale de la théorie sociologique néo-institutionnelle –
l’isomorphisme organisationnel accroît la légitimité des organisations –
ces deux auteurs ont permis l’apparition de nombreux travaux et débats.
On peut citer en particulier les apports ultérieurs de Di Maggio et Powell
(1983)8 ou de Scott (1992). Dès 1977, les termes de ce débat sont posés :
Il existerait un ordre social qui dépend largement de l’interaction – en
grande partie symbolique – des acteurs et des organisations au sein de
leurs environnements. Les organisations deviennent, sous l’effet de cette
interaction symbolique, isomorphes et « intègrent des éléments légitimés
à l’extérieur plutôt que justifiés par des considérations d’efficience ou des
logiques internes » (Desreumaux, 1998 : 100).
Les enseignements de Meyer et Rowan concernent également le dia-
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gnostic stratégique. Leur travail nous montre en particulier qu’un diagnos-
tic externe ne peut s’affranchir d’une analyse fine de la manière avec
laquelle l’organisation est adaptée au contexte institutionnel dans lequel
elle est insérée. Aujourd’hui, étudier le degré d’institutionnalisation de
l’environnement des organisations d’une part, et le degré selon lequel
l’organisation intègre dans ses structures formelles les institutions environ-
nementales (mythes) d’autre part reste une voie de recherche féconde pour
expliquer et, plus encore, pour comprendre, les dimensions comporte-
mentales et cognitives de l’agir stratégique organisationnel.

Travaux cités de l’auteur


Meyer, J.W., Rowan, B. (1977), « Institutionalized Organizations : Formal
Structure as Myth and Ceremony », American Journal of Sociology, vol. 83,
September, p. 340-363.
Meyer, J.W., Rowan, B. (1978), The Structure of Educational Organizations, in
M.W. Meyer and Associates, Organizations and Environments, San Francisco :
Jossey Bass.
Scott, W.R. (1992), Organizations : Rational, natural and open systems (Third
Edition), Englewood Cliffs, NJ : Prentice Hall.

8. Voir le chapitre consacré à Paul Di Maggio et Walter Powell dans ce même ouvrage.
John Meyer et Brian Rowan 215

Autres références bibliographiques


Carruthers, B.G. (1995), « Accounting, ambiguity and the new institutional-
ism », Accounting, Organizations and Society, vol. 20, p. 313-328.
Desreumaux, A. (1998), Théorie des Organisations, Éditions EMS.
Drori, G. S., Meyer, J. (2006), « Scientization : Making a World Safe for
Organizing », in Transnational Governance : Institutional Dynamics of
Regulation, Cambridge University Press.
Hatch, M.J. (2000), Théorie des Organisations, DeBoeck Université.
Lozeau, D. (2005), « Le labyrinthe de la gestion de la qualité : entre l’enlisement
d’une démarche et l’enracinement d’un archétype », in Lemire L., Joffre P. et
Rouillard C. (éds.), Gestion privée et management public : une perspective
québécoise et française, Colombelles, Éditions EMS, p. 171-202.
Meyer, J. (2006), The Impact of Comparative Education Research on Institutional
Theory, Elsevier.
Ramirez, F., X. Luo, E. Schofer, J. Meyer (2006), « Student Achievement and
National Economic Growth », American Journal of Education, vol. 113.
Suddaby, R., Elsbach, K., Greenwood, R., Meyer, J., Zilber, T. (2010),
« Organizations and their Institutional Environments – Bringing Meaning,
Values and Culture Back In », Academy of Management Journal, vol. 53, n° 6,
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December, 1234-1240.
XIV. PHILIP SELZNICK – L’ORGANISATION COMME INSTITUTION

Alain Desreumaux
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 216 à 233


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-216.htm
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L’organisation comme
Philip Selznick

institution
Alain Desreumaux
XIV
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Philip Selznick 217

Notice biographique
Né en 1919 aux États-Unis, Philip Selznick a obtenu son doctorat en 1947 à
l’Université Columbia sous la direction de Robert K. Merton. Il a enseigné la sociologie
à l’Université du Minnesota puis à l’Université de Californie – Los Angeles. En 1952,
il rejoint le département de sociologie de l’Université Californie – Berkekey, où il
organise le centre d’étude du droit et de la société.
Philip Selznick s’est d’abord fait connaître comme théoricien des organisations et de la
bureaucratie. À partir des années soixante, il s’est essentiellement consacré à la sociolo-
gie du droit.
Plusieurs ouvrages figurent au nombre de ses publications les plus importantes : TVA
and the Grass Roots (1949), The Organizational Weapon (1952), Leadership in
Administration (1957), The Moral Commonwealth (1992).
Philip Selznick décède en 2010 aux États-Unis, à Berkeley.

Bien qu’elle n’ait pas d’emblée suscité beaucoup d’intérêt, l’étude de la


Tennessee Valley Authority que Philip Selznick publie en 1949 a contribué à
asseoir sa notoriété en tant que sociologue. Il s’agit d’un travail emblématique
à la fois d’une certaine posture en sociologie, inspirée de Robert K. Merton
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dont Philip Selznick est un élève, et d’un type de recherche que Charles
Perrow considère comme relevant de la catégorie « dévoilement » et qui
consiste à dépasser les apparences pour montrer que les organisations ne sont
pas nécessairement ce qu’elles semblent être.
Cette notoriété est renforcée par la publication en 1957 de l’ouvrage
Leadership in Administration dans lequel, en s’appuyant sur ses travaux anté-
rieurs, Philip Selznick expose ses principales idées sur l’organisation, l’entre-
prise et le management.
À partir des années soixante, Philip Selznick élargit ses centres d’intérêt à
la sociologie du droit et à la philosophie morale, mais seuls seront restituées
ici les avancées qu’on lui doit dans le domaine de la théorie des organisations
et du management.
Sur ces sujets, les publications de Philip Selznick présentent une cohérence
de thématique en même temps qu’elles restituent la construction progressive
d’une vision originale de l’organisation et de l’entreprise qui résonne forte-
ment avec certains débats contemporains.
Trois lignes de force peuvent être retenues pour rendre compte des apports
de cet auteur :
• il est l’un des premiers théoriciens à faire de l’entité « organisation » un
objet d’analyse ;
• c’est un fondateur de la théorie institutionnelle de l’organisation ;
• il est porteur d’une certaine conception de l’entreprise et du leadership.
218 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

1. PHILIP SELZNICK : UN PIONNIER DE L’ANALYSE


DES ORGANISATIONS
Jusqu’aux années trente, les organisations sont essentiellement considé-
rées en tant que lieux de travail et l’intérêt qu’elles suscitent est justifié par
le désir d’en améliorer l’efficience ou la productivité, ou par la volonté de
mettre au jour et de comprendre le comportement effectif de leurs parti-
cipants. Ce double souci a nourri une perspective ingénierique, dont F.W.
Taylor est évidemment le grand représentant, et suscité les observations de
psychologues sociaux qui donnent notamment naissance au célèbre
« mouvement des relations humaines ».
Philip Selznick est à compter au nombre des premiers théoriciens qui
prennent l’organisation comme objet d’analyse et qui l’abordent en tant
que système social ou acteur collectif. Il est devancé dans cette démarche
par Chester Barnard (1938), dont il partage un certain nombre d’idées,
mais avec lequel il exprime également des désaccords. Tous deux consi-
dèrent l’organisation à la fois comme un système technique de production
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et un système social adaptatif tentant de survivre dans son environnement.
Il reviendra à A. Gouldner (1959) de codifier d’une certaine façon ces
deux visions en distinguant la perspective « système rationnel », qui consi-
dère les organisations comme des instruments qu’il est possible de façon-
ner délibérément pour atteindre des buts donnés, et la perspective « sys-
tème naturel », qui voit les organisations comme des systèmes organiques
cherchant à survivre, des collectivités évoluant via des processus sponta-
nés, indéterminés. W.R. Scott (2004) fait de cette double facette du phé-
nomène organisationnel le fil conducteur de son histoire d’un demi-siècle
de théorisation, laquelle est traversée de débats incessants, jusqu’à notre
période contemporaine, entre partisans respectifs de ces deux visions.
Dès 1948, Philip Selznick considère cette distinction comme la source
d’un paradoxe fondamental du phénomène organisationnel. Celui-ci n’est
en effet pas réductible à la structure formelle de délégation et de contrôle,
expression de l’action rationnelle, puisqu’il est en même temps fait de
personnes qui interagissent en tant que totalités plutôt que sur la seule
base des rôles formels qui leur sont assignés. Les personnes tendent préci-
sément à résister à la dépersonnalisation qu’exprime le système de rôles
formels. À cela s’ajoute le fait que le système formel et la structure sociale
sont soumis à la pression d’un environnement institutionnel auquel il
convient de s’ajuster. L’organisation doit donc être considérée de deux
points de vue analytiquement distincts mais empiriquement unis dans une
dynamique de conséquences réciproques.
Philip Selznick 219

Philip Selznick contribue donc à faire des organisations un champ


d’étude scientifique, pluridisciplinaire. Il inscrit ses premiers travaux dans
le cadre de la théorie de la bureaucratie (Selznick, 1943), sans pour autant
partager les hypothèses quelque peu naïves sur la nature humaine que la
perspective structuro-fonctionnaliste tend à véhiculer. En témoigne
notamment la façon dont il explore comment les individus réagissent à
leur vie dans une organisation essentiellement impersonnelle.
Le fonctionnalisme qui l’inspire est plutôt celui de Robert K. Merton
dont l’apport à la théorie de la bureaucratie a été de montrer que les fonc-
tions créées dans un but précis peuvent avoir des effets inattendus et tout
aussi vitaux (fonctions manifeste vs fonctions latentes), et de développer
une analyse des processus intra-organisationnels conduisant les agents à
mener leurs actions sur la base de règles, au point que le souci de confor-
mité à ces dernières finit par supplanter l’accomplissement des buts
mêmes de l’organisation. Philip Selznick confirme ce phénomène de
déplacement des buts et en complète l’analyse sur plusieurs points origi-
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naux. Il insiste sur le rôle de la délégation et sur celui de la prévalence des
problèmes et de l’action quotidiens dans le processus de déplacement des
buts. Il montre comment la délégation d’autorité peut faciliter la pour-
suite de buts de sous-unités de l’organisation, ce qui travaille à contre-
courant des buts de cette dernière. Il montre également que le comporte-
ment quotidien des groupes se focalise sur les problèmes spécifiques et les
buts immédiats qui prennent sens d’un point de vue interne. Ces activités
se substituent d’autant plus facilement aux buts « professés » de l’organi-
sation que ceux-ci n’expriment que des idées abstraites, ne désignant
aucun comportement concret. Par ailleurs, si les buts « professés »
requièrent des actions qui entrent en conflit avec ce qu’exige le fonction-
nement quotidien, ils tendent le plus souvent à être ignorés.
L’étude du cas de la TVA lui permet par ailleurs de mettre au jour le
rôle de ce qu’il appelle le processus de cooptation dans ce phénomène de
déplacement des buts.

Encadré 1. Le cas de la TVA (Tennessee Valley Authority)


L’ouvrage que Philip Selznick consacre au cas de la Tennesse Valley Authority restitue
une histoire de l’adaptation d’une agence gouvernementale aux difficultés, menaces,
pressions de son environnement.
Etablissement public fédéral, créée dans les années trente, la TVA constituait une des
pièces maîtresses de la politique de New Deal établie par le Président F. Roosevelt.
220 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Sa mission était d’apporter l’électricité et les techniques agricoles avancées de façon à


développer la vallée du Tennessee. Le programme comportait également des objectifs
de construction d’infrastructure fluviale, de protection des forêts, d’aide aux fermiers
pauvres.
Face à l’hostilité de l’État du Tennessee envers cette institution fédérale, et à la
dépendance de cette dernière vis-à-vis des élites locales, la TVA sera amenée à intégrer
ces dernières dans sa structure décisionnelle. Si cela lui permit de survivre et de réaliser
certains de ses programmes, ce fut au prix du sacrifice de bon nombre d’orientations et
d’activités. Dans le cas de la TVA, les stratégies de réponse aux menaces externes ont
affecté de façon décisive sa capacité à respecter les standards de protection de
l’environnement et à aider les fermiers pauvres et noirs de la vallée du Tennessee, ce qui
constituait les buts initiaux de l’organisation.

Pour une organisation, le processus de cooptation revient à accroître ses


chances de survie en intégrant dans son appareil décisionnel les éléments
externes potentiellement ou effectivement perturbateurs. Ce processus
conduit à un partage du pouvoir avec les acteurs cooptés et à une modifi-
cation des buts de l’organisation ou de leur hiérarchie. Son interprétation
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n’est cependant pas sans ambiguïté puisque l’on peut y voir l’habileté
d’une organisation à neutraliser ce qui peut menacer son existence ou, au
contraire, sa faiblesse face à des acteurs externes dont elle est fondamenta-
lement dépendante. En tous les cas, ce travail trouvera des prolongements
théoriques importants, notamment avec les analyses de J.D. Thompson et
W.J. McEwen (Thompson et McEwen, 1958 ; Thompson, 1967).
Enfin, Philip Selznick relie l’explication du phénomène de déplace-
ment des buts aux jeux politiques internes à l’organisation et aux compor-
tements de ses leaders, qui tendent à agir au bénéfice de leurs propres
intérêts, à travailler de façon à préserver et reproduire leur propre pouvoir.
En développant ce thème, il reprend une idée de M. Weber, tout en consi-
dérant qu’il ne lui a pas donnée toute l’importance qu’elle méritait. Il
s’appuie également sur les écrits de R. Michels (1915/1949), montrant
comment des individus de bonne volonté finissent par compromettre les
buts de leur organisation afin de préserver leur position de leader. Selon
R. Michels, et il semble bien que Philip Selznick partage ce point de vue,
ils le font sans malice consciente, ce qu’un auteur critique comme Charles
Perrow ne manque pas de contester.
Au-delà de ces éléments, les premiers écrits de Philip Selznick délivrent
sa vision d’une théorie de l’organisation et sa conception de la bureaucra-
tie considérée comme un cas particulier dans la théorie générale de l’orga-
nisation finalisée.
Philip Selznick 221

Sa théorie de l’organisation prend appui sur plusieurs sources qui


révèlent, de différentes façons, l’existence et l’importance des phénomènes
informels. Ces sources sont, bien sûr, les recherches de F.J. Roethlisberger
et W.J. Dickson (1941) qui contribuent à la naissance du « mouvement
des relations humaines », mais aussi les analyses de Chester Barnard
(1938).
Sur ces bases, Philip Selznick pose trois hypothèses relatives à la réalité
organisationnelle :
• toute organisation crée une structure informelle ;
• dans toute organisation, les buts sont modifiés (abandonnés,
détournés, élaborés) via des processus internes ;
• ce processus de modification est le fait de la structure informelle.
Les hiatus qui se manifestent entre les buts officiels ou professés et les
exigences de l’action quotidienne conduisent à compléter cet énoncé
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d’une quatrième hypothèse : les procédures réelles de toute organisation
tendent à être modelées par l’action orientée vers les buts susceptibles
d’inspirer des solutions opérationnellement pertinentes aux problèmes
quotidiens de l’organisation.
La conception que Philip Selznick développe de la bureaucratie découle
de ces fondements. Elle s’écarte de la vision courante qui met l’accent, à
l’instar de Max Weber, sur l’organisation formelle et assimile la bureaucra-
tie à un système administratif basé sur la professionnalisation et la subor-
dination hiérarchique. Ce que Max Weber n’a que partiellement compris
c’est que la dynamique du système administratif lui-même crée de nou-
velles influences personnelles, celles des administrateurs poursuivant leurs
propres fins et s’engageant dans des jeux de pouvoir. L’usage du mot
« bureaucratie » par Philip Selznick ne désigne pas tant une organisation
administrative en tant que telle mais certaines caractéristiques de cette
organisation. Pour lui, le comportement bureaucratique correspond aux
comportements d’agents qui tendent à produire le paradoxe organisation-
nel, c’est-à-dire la modification des buts professés de l’organisation, ceux
auxquels les agents sont censés travailler. Ce processus résulte des compor-
tements constitutifs de l’organisation informelle, centrés principalement
sur les relations d’influence entre agents, et qui tendent à concentrer le
pouvoir dans les mains des fonctionnaires.
222 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

2. PHILIP SELZNICK : UN FONDATEUR DE LA THÉORIE


INSTITUTIONNELLE DES ORGANISATIONS
Selon W.R. Scott (2008), la théorie institutionnelle des organisations
est une extension de la révolution intellectuelle que constitue, au milieu
des années soixante, le fait de considérer les organisations comme des
« systèmes ouverts ». Au sein de cette perspective la spécificité de la théorie
institutionnelle est de souligner l’impact des forces sociales et culturelles
(autrement dit de l’environnement institutionnel) sur les organisations et
d’illustrer cet impact en procédant à l’étude de cas d’organisations réelles,
avec leur histoire et les fonctions qu’elles assument dans la société, plutôt
que de se cantonner à la production de théories formelles et élégantes.
L’un des résultats de cette démarche est de montrer que « les organisations
ne sont pas les créatures rationnelles qu’elles prétendent être, mais des
véhicules pour incarner des valeurs, parfois discrètes » (Scott, 2008 : 23).
Il existe un large consensus pour considérer Philip Selznick comme
étant, en théorie des organisations1, à l’origine de ce courant (Rojot,
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2003 ; Scott, 2008). Il n’est guère d’exposé du renouveau qu’il connaît à
partir du milieu des années soixante-dix sous l’influence de J.W. Meyer et
B. Rowan (1977), ou encore de P.J. DiMaggio et W.W. Powell (1983), qui
ne rende justice aux apports de Philip Selznick et à son « ancien » institu-
tionnalisme.
C’est l’ouvrage qu’il publie en 1957 (Leadership in Administration) qui
est souvent cité comme étant à la source de cet ancien institutionnalisme.
Ce texte vient donner sens aux idées-clés de deux publications antérieures,
la notion, issue de l’étude de la TVA, de caractère de l’organisation qui se
forme dans la durée et celle de compétence distinctive que Philip Selznick
met en évidence dans son analyse du parti communiste, laquelle montre
comment des méthodes d’organisation créent une capacité originale à
transformer les membres d’une association volontaire en agents discipli-
nés.
L’articulation de ces deux notions est à la base de ce qui constitue l’un
des apports majeurs de Philip Selznick, à savoir l’élucidation du processus
selon lequel une organisation se transforme en institution, c’est-à-dire en
une organisation possédant un caractère distinctif, qui devient valorisée
pour elle-même plutôt que pour ce qu’elle produit, à laquelle les partici-
pants s’identifient et qu’ils cherchent à préserver. À mesure qu’une organi-
sation s’institutionnalise, elle tend à posséder un caractère particulier et à
détenir une compétence distinctive.
1. Pour une revue des auteurs institutionnalistes de différentes disciplines, voir Scott (2008).
Philip Selznick 223

À la base, l’institutionnalisation est une idée neutre, qui désigne l’émer-


gence de patterns sociaux d’intégration, ordonnés, stables (Broom, 1955).
C’est un processus, « quelque chose qui se produit au cours du temps, qui
reflète l’histoire propre de l’organisation, les individus qui y ont travaillé,
les groupes qui la constituent, leurs intérêts personnels, et la façon dont
elle s’est adaptée à son environnement » (Selznick, 1957 : 16-17). Mais
Philip Selznick en vient à considérer que le point essentiel de l’institution-
nalisation réside dans les valeurs : « l’aspect sans doute le plus significatif
de l’institutionnalisation est “l’infusion” par des valeurs au-delà des exi-
gences techniques de l’exécution de la tâche » (Selznick, 1957 : 16-17).
Dès lors que l’organisation devient infused with value, elle ne peut plus être
considérée comme un simple outil. Elle acquiert un caractère, une compé-
tence distinctive, qui méritent d’être préservés. Pour Philip Selznick, les
termes « institution », « caractère de l’organisation » et « compétences
distinctives » reviennent tous au même processus fondamental : la trans-
formation d’un assemblage matériel, technique, en un organisme social.
Il importe de préciser que l’institutionnalisation, telle que Philip
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Selznick la présente, est un phénomène largement « bottom-up » au sens
où une organisation n’est institutionnalisée que dans la mesure où elle
devient le vecteur par lequel ses constituants poursuivent leurs aspirations
et leurs idéaux. Ce faisant, ces constituants perçoivent l’institution comme
étant la leur et en viennent à la valoriser comme une fin en elle-même. En
retour, l’institution acquiert une sorte d’autorité morale, de légitimité,
pour formuler des exigences à l’adresse des groupes qui la constituent,
voire pour réinterpréter idéaux et buts lorsque les circonstances le
demandent.
On imagine aisément qu’une compétence distinctive puisse devenir
une incompétence distinctive face à un contexte changeant. Mais ce n’est
pas le message dominant de Philip Selznick. Il considère au contraire l’ins-
titutionnalisation comme un processus favorisant l’adaptation intelligente,
fixant des limites à la flexibilité ou à la conduite erratique et invitant à agir
de façon responsable envers les parties prenantes à l’organisation et par
rapport à son histoire.
Conduire le processus d’institutionnalisation est la responsabilité
majeure du leadership. Le résultat de ce processus peut être une entité
profondément coopérative, socialement intégrée et fortement durable.
Elle peut aussi devenir l’instrument de domination d’une élite et faire
preuve d’inertie. C’est précisément le rôle du leadership institutionnel que
de garantir le premier résultat et d’éviter le second2.
2. Philip Selznick note cependant qu’un tel leadership brille souvent par son absence…
224 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Cette possibilité de transformation en institution existe dans toutes les


organisations, sauf peut-être, ajoute Philip Selznick, les plus étroitement
spécialisées. Cette précision conduit à considérer l’institutionnalisation
comme un processus mais aussi comme une variable permettant de distin-
guer différents types d’organisations. Celles qui possèdent des buts très
précisément définis, ou qui emploient des technologies très élaborées, sont
sans doute moins sujettes à l’institutionnalisation que celles qui ont des
buts diffus et des technologies « faibles ». Philip Selznick pose ainsi les
bases d’une catégorisation, mais sans développer véritablement l’analyse3.
C. Perrow s’emparera de cette question pour se livrer à une analyse critique
(Perrow, 1972 : 168).
Le processus d’institutionnalisation est un thème familier en sociologie,
souvent abordé sur la base des idées de l’école structuro-fonctionnaliste. Il
n’est sans doute pas surprenant que Philip Selznick s’y intéresse et nour-
risse, par les objets qu’il analyse, la théorie institutionnelle des organisa-
tions.
Si les néo-institutionnalistes lui rendent régulièrement et à juste titre
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hommage, leurs travaux se différencient de ceux de Philip Selznick. Alors
que les premiers regardent comment les organisations sont influencées par
les règles institutionnalisées et les environnements institutionnels, Philip
Selznick examine comment les organisations deviennent des institutions.
Ce faisant, il se distancie, au moins implicitement d’un strict structuro-
fonctionnalisme et s’inscrit plutôt dans une forme d’individualisme
méthodologique. Dans Leadership and Administration, il écrit en effet :
« Aucun processus social ne peut se comprendre sans considérer qu’il est
localisé dans le comportement des individus, et en particulier dans leurs
perceptions d’eux-mêmes et des autres. Le problème est de relier la vision
plus large et la vision plus limitée, de voir comment le changement insti-
tutionnel est produit par, et en retour façonne, l’interaction des individus
dans les situations quotidiennes » (Selznick, 1957 : 4). Et Philip Selznick
de poursuivre : « Dans cette version de l’individualisme méthodologique,
qui m’inspire depuis longtemps, il ne s’agit pas de sous-estimer l’impor-
tance ou la réalité des phénomène sociaux spécifiques, comme le moral
d’un groupe ou les patterns d’adaptation et de maintien institutionnels.
Nous voulons dire, cependant, que ces phénomènes sont produits dans et
3. La catégorisation des organisations est un exercice auquel se sont livrés de nombreux théoriciens, sans
parvenir à une solution indiscutable. Philip Selznick n’élabore pas véritablement une proposition agen-
cée, mais souligne le fait que les classifications de bon sens (par exemple selon les fonctions remplies par
les organisations) ne sont pas forcément les plus intéressantes : « peut-être découvrirons-nous que des
caractéristiques plus générales, telles que la supervision par des gestionnaires professionnels, la capacité
d’utiliser pleinement les talents créatifs, ou l’emploi d’un personnel bénévole, nous permettrons mieux
de classer les organisations et de comprendre à quels genres de problèmes elles font face et quelles solu-
tions elles peuvent envisager. » (Selznick, 1957).
Philip Selznick 225

à travers le comportement de résolution de problème des individus. Ce


comportement ne se conforme pas nécessairement aux modèles de l’acteur
rationnel, mais il prend très souvent en compte les opportunités,
contraintes et incitations immédiates. Nous avons besoin d’une meilleure
compréhension des rationalités multiples et reliées, incluant ce qui est pris
en compte dans les modèles économiques. Mettre l’accent sur le compor-
tement de réponse et de résolution de problème crée un pont utile entre
le non rationnel et le rationnel. Evidemment, non rationnel ne doit pas
être assimilé à irrationnel » (Selznick, 1996 : 274).
Sans doute honoré d’être considéré comme une référence par les néo-
institutionnalistes, Philip Selznick n’en hésite pas moins à souligner ce
qu’il considère comme certains de leurs travers. Le fait, notamment, de
s’appuyer sur des dichotomies pernicieuses pour la saisie des éléments
institutionnels comme, par exemple, l’opposition entre normes et valeurs
d’une part et règles, classifications, scripts tenus pour garantis d’autre part.
Ou bien encore, la tendance à oublier le caractère limité, partiel, haute-
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ment contingent, des vérités découvertes. Pour lui, ces biais ne font que
jouer au détriment de l’intégration de l’ancien et du nouvel institutionna-
lisme qui conditionne le développement de la théorie institutionnelle.

3. PHILIP SELZNICK : UN THÉORICIEN DE L’ENTREPRISE


ET DU MANAGEMENT
Auteur de référence en théorie institutionnelle des organisations, Philip
Selznick l’est également pour certains courants de recherche en stratégie et
en théorie de la firme. Son nom apparaît en effet régulièrement dans les
recensions de travaux considérés comme fondateurs de l’approche res-
sources et compétences en management stratégique, approche dont on
connaît l’ambition qu’elle affiche de se substituer aux approches contrac-
tuelles et transactionnelles comme base de la théorie de l’entreprise. Il n’est
pas certain, cependant, que cette révérence marquée prenne toute la
mesure des apports de Philip Selznick sur ce dernier sujet.
On s’attend sans doute à trouver la formulation d’une théorie de la
firme sous la plume d’économistes davantage que sous celle de sociolo-
gues. Pourtant, on peut considérer que Philip Selznick fournit, dans son
ouvrage de 1957, les bases d’une « théorie stratégique de l’entreprise »,
plus explicite sur certains points que la version proposée par E. Penrose,
pourtant tout aussi fréquemment citée.
226 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Ces bases tient en plusieurs points essentiels, en fait difficilement dis-


sociables :
• une conception à la fois holiste et dynamique de l’entreprise ;
• une vision large de la rationalité des acteurs ;
• une conception « économico-politique » de l’entreprise, à laquelle
s’associe une certaine vision du leadership.
Il importe tout d’abord de considérer l’entreprise de façon globale et en
tenant compte de son dynamisme. L’approche pertinente devrait être,
selon les termes de Philip Selznick, « génétique et développementale »,
mettant l’accent sur les origines historiques et les étapes de croissance. Il
est nécessaire d’aborder l’entreprise comme un tout et de voir comment
elle se transforme à mesure qu’émergent de nouvelles façons de faire face
à un environnement changeant » (Selznick, 1957 : 141).
Partant de cette position de principe, Philip Selznick nourrit une vision
de l’entreprise qui prend beaucoup de distance avec les représentations en
usage dans différents courants théoriques. Il s’oppose ainsi à une certaine
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sociologie qui entretient l’idée de l’adaptation passive des organisations à
leur environnement, pour lui substituer la vision de l’entreprise qui crée
activement son rôle. Il propose d’étudier l’entreprise de façon diachro-
nique et non plus synchronique, et de l’aborder comme une unité relati-
vement intégrée plutôt que de multiplier les points de vue atomistiques. Il
ne s’agit pas, bien sûr d’ignorer les phénomènes d’incohérence qui peuvent
prévaloir dans les organisations complexes, phénomènes sur lequel
insistent certains néo-institutionnalistes, manifestant ainsi une sensibilité
post-moderniste. Mais pour lui, le fait d’attirer l’attention sur cette ques-
tion de l’incohérence est plus une façon de souligner le travail à accomplir
pour créer des organisations viables, les maintenir dans des états de fonc-
tionnement régulier tout en les préparant au changement, qu’il ne doit
être une invitation à se complaire dans la rhétorique déconstructionniste
(Selznick, 1996 : 275).
Une certaine distance est prise également vis-à-vis de la représentation
de l’entreprise comme résultat d’un processus complexe d’équilibration
des intérêts de différents groupes de parties prenantes, que l’on doit
notamment à Chester Barnard et à Herbert Simon. À cet égard, il ne s’agit
évidemment pas de nier le fait que l’entreprise est une coalition d’acteurs
multiples dont les comportements procèdent de différentes rationalités,
mais de poser que cette seule vision, et la description du leader comme
agent interpersonnel qui lui est attachée, ne permet pas de comprendre
comment l’entreprise construit dans la durée des compétences distinctives,
Philip Selznick 227

comment s’affirment une mission et une identité spécifiques, fruits à long


terme d’un processus d’institutionnalisation.
Enfin, la conception de l’entreprise que Philip Selznick développe peut
être considérée comme « duale », au sens où elle pose le principe de l’inter-
pénétration de mécanismes de coordination consciemment ou rationnel-
lement conçus et de mécanismes organiques ou spontanés (Knudsen,
1995). Il s’agit de comprendre simultanément comment l’organisation
formelle est conçue pour régler des problèmes spécifiques de coordination
et comment le processus d’institutionnalisation produit des solutions
spontanées et informelles aux nouveaux problèmes, solutions qui finissent
par être incorporées (« infusées ») à la structure formelle ou internalisées
par les participants comme normes et conventions constitutives de la
culture organisationnelle.
Une théorie de la firme ne se conçoit guère sans un énoncé des fonde-
ments du comportement des acteurs, autrement dit sans élucidation des
rationalités qui les inspirent. Sur ce point, Philip Selznick fait également
œuvre originale en cherchant à dépasser les représentations que lui offrent
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les théories économiques et sociologiques dominantes. Il critique à la fois
la vision de la rationalité que véhicule les modèles économiques d’équi-
libre, notamment parce qu’elle exprime une orientation excessivement
technique et ne permet pas de comprendre comment se construisent les
buts de l’organisation, et celle qui est inhérente au modèle adaptatif, parce
qu’elle ne restitue qu’une vision passive de l’entreprise, réduite à des ajus-
tements à court terme, voire opportunistes. En d’autres termes, il s’agit
d’éviter la seule référence à la figure du décideur hyper-rationnel ou à celle
d’un processus de sélection environnemental.
D’où la proposition d’une autre voie, empruntant à l’étude de la
construction de l’identité de l’individu développée en psychologie cli-
nique. Paradoxalement, c’est en renonçant à une certaine liberté d’action
consistant à prendre des décisions au cas par cas pour, au contraire, fonder
le comportement futur sur un ensemble de principes définis, que l’indi-
vidu construit sa propre identité. De la même façon, c’est en liant son
comportement futur à certains pré-engagements, que l’entreprise déve-
loppe une identité unique, acquiert un certain « caractère » et construit ses
compétences distinctives.
Cette proposition correspond à une conception étendue de la rationa-
lité selon laquelle le décideur, constitué d’un ensemble de sous-agents (ou
de multiple « moi ») est confronté à un problème de décision inter-tem-
porel qui suppose la résolution d’un conflit intrapersonnel entre des inté-
rêts à long terme et des intérêts à court terme. Ces derniers risquent fort
228 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

de dominer la logique décisionnelle et de conduire à des incohérences


destructrices de l’identité propre, si des pré-engagements ne viennent pas
inspirer les décisions et contrôler les comportements immédiats ou au cas
par cas. Ces pré-engagements, vecteurs et expressions de l’identité de
l’entreprise, entretiennent une relation forte avec un système de valeurs,
dont on a vu précédemment qu’il sous-tend le processus d’institutionnali-
sation : « …l’organisation, en tant qu’instrument technique, assume des
valeurs. En tant que véhicule de l’intégrité du groupe, elle devient, dans
une certaine mesure, une fin en soi. Ce processus, par lequel l’entreprise
se pénètre de certaines valeurs, constitue une partie de ce que nous appe-
lons “institutionnalisation”. Lorsque cela se produit, la gestion administra-
tive se transforme en leadership institutionnel » (Selznick, 1957). En
insistant ainsi sur la dimension valorielle de la logique décisionnelle,
Philip Selznick substitue au concept de rationalité limitée de Herbert
Simon, une conception où la rationalité des normes et valeurs fondamen-
tales devient un objet d’analyse et non plus un ensemble de variables
exogènes (Knudsen, 1995).
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Finalement, la conception de l’entreprise que Philip Selznick défend
s’exprime par la métaphore du système constitutionnel, ou de la constitu-
tion politique, et celle de son dirigeant par la métaphore de l’homme
d’État, promoteur et gardien de l’institution.
Cette vision de l’entreprise est bien sûr étroitement liée à la vision de
l’organisation en tant qu’institution. L’entreprise est un arrangement coo-
pératif entre un certain nombre d’apporteurs de ressources qui projettent
de se partager les résultats que produira un travail en équipe. Mais pour
accepter de prendre le risque inhérent à l’action d’entreprendre, chacun
doit être protégé contre les éventuels comportements opportunistes des
autres. L’entreprise, comme une institution, doit être capable d’apporter
cette protection en instaurant une sorte de contrat social entre apporteurs
de ressources4 qui pose les bases procédurales de la prise de décision, per-
met de construire dans la durée une organisation crédible et orientera
l’accumulation à long terme des capacités spécifiques de l’entreprise.
C’est la responsabilité du dirigeant que de bâtir et de protéger ce sys-
tème constitutionnel. Sa tâche essentielle est de veiller à la construction et
à la préservation de l’identité et des compétences distinctives de l’entre-
prise, ce qui ne se conçoit pas hors d’une perspective de long terme. Il
s’agit de considérer l’entreprise comme un going concern, une entité saine
et durable, et d’orienter les décisions de façon à nourrir et préserver cette
dimension identitaire.

4. En quelque sorte, une constitution.


Philip Selznick 229

La responsabilité du dirigeant « consiste à accepter l’obligation de don-


ner une direction au lieu de s’occuper simplement de maintenir l’équilibre
de l’organisation ; à adapter ses aspirations au caractère de l’organisation
en gardant présent à l’esprit que ce que l’organisation a été influe sur ce
qu’elle peut être et faire ; et à transcender la simple survie de l’organisation
en veillant à ce que les décisions spécialisées n’affaiblissent pas ou ne
rendent pas confuse l’identité distinctive de l’entreprise » (Selznick, 1957 :
149). La tâche est évidemment délicate. Le dirigeant doit faire route entre
l’utopisme, qui consiste à prendre des décisions par référence à des objec-
tifs trop généraux ou irréalistes, et l’opportunisme qui réduit la stratégie à
la poursuite d’avantages immédiats, à court terme, sans considération
pour les principes qui fondent le système constitutionnel et qui risque de
mettre en péril le caractère de l’organisation. Pour Philip Selznick, une
stratégie qui n’est pas en harmonie avec le développement historique des
compétences distinctives de l’entreprise, ou qui ne gère pas le changement
dans la perspective de développement de nouvelles capacités répondant
mieux aux besoins et aux aspirations réels de l’institution, est l’expression
d’un leadership irresponsable5.
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Cette conception du rôle du dirigeant présente des parentés avec ce que
délivre la théorie contemporaine des ressources et des compétences, du
moins lorsqu’elle prolonge les vues d’Edith Penrose. Par exemple, lorsque
la théorie des ressources et compétences considère la diversification non
reliée comme problématique, c’est bien parce qu’en brouillant les compé-
tences centrales ou distinctives de l’entreprise elle peut conduire à la frag-
mentation de l’organisation et à la perte de contrôle.
La conception de l’entreprise que défend Philip Selznick présente en
définitive plusieurs particularités.
Tout d’abord, elle s’oppose aux représentations inspirées du schéma
incitations/contributions de Chester Barnard, typiques d’une conception
simplement technique du leadership où il s’agit d’instaurer une trêve entre
différents groupes d’intérêts. Cela conduit à se focaliser sur les questions
de court terme au détriment du processus d’institutionnalisation. À la
vision du leader comme agent interpersonnel, se substitue celle de l’agent
d’institutionnalisation, soucieux de la cohérence des décisions dans la
durée. Cette distanciation vis-à-vis de ce qui est à l’origine d’une théorie

5. Par exemple, la décision de lancer un nouveau produit ou d’entrer sur un nouveau marché, bien qu’elle
puisse être bénéfique dans l’immédiat, est irresponsable si elle n’est pas basée sur la compréhension du
caractère passé et potentiel de l’entreprise.
230 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

behavioriste de la firme, vaut également à l’égard d’une certaine économie


moderne de l’organisation, d’inspiration contractualiste6.
En deuxième lieu, elle exprime une approche véritablement proces-
suelle en théorie des organisations, au sens où c’est le processus lui-même,
et non simplement son résultat, qui devient l’objet de l’analyse. Par
exemple, privilégiant une perspective diachronique, Philip Selznick ne
considère pas les objectifs de l’entreprise comme donnés mais traite plutôt
du processus qui préside à leur formation et, au-delà, au processus qui
produit la mission et le rôle à long terme de l’entreprise. D’une certaine
façon, cette perspective processuelle constitue une tentative de dépasse-
ment d’oppositions bien connues dans les représentations du décideur,
entre celles qui reposent sur l’idée de choix rationnel (l’homo œconomicus)
et celles qui renvoient à la logique des règles et des normes (homo sociolo-
gicus). Si l’on suit la conception de la rationalité, évoquée précédemment,
action rationnelle et suivi de règles ne s’opposent pas puisque c’est bien le
fait de choisir les contraintes de son comportement futur qui est le propre
d’un comportement rationnel.
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Enfin, cette conception de l’entreprise correspond à une vision large de
sa responsabilité. Une théorie institutionnelle de l’entreprise, traduit le
rejet d’une culture de courte vue. Elle invite à penser la responsabilité de
l’entreprise sur d’autres bases que celles qui s’expriment dans la recherche
du profit ou de la rentabilité maximum, et à prendre en considération la
variété des parties prenantes qui y participent. Considérer l’entreprise
comme une institution et la voir comme une organisation saine et durable,
suppose de prendre en considération les différentes parties prenantes per-
tinentes, en se souciant des intérêts à long terme. Tout cela est en opposi-
tion avec la conception encore dominante qui voit l’entreprise comme
l’association volontaire d’actionnaires qui la possèdent et qui sont les seuls
acteurs à compter réellement. : « La primauté de l’actionnaire a eu un effet
pernicieux sur ce que l’on considère être la rationalité de l’entreprise. Si
l’essentiel est le retour pour l’investisseur, en termes de dividendes ou
d’accroissement de la valeur de l’action, il est facile de considérer que la
rationalité consiste à maximiser ce retour. Vraisemblablement, c’est que ce
que les investisseurs individuels souhaiteraient. Leur intérêt ne va pas au-
delà… Ce qui est rationnel pour eux, ne l’est pas nécessairement pour
l’entreprise » (Selznick, 1992 : 347).

6. La critique vaut, par exemple, pour la théorie des coûts de transaction et la place centrale qu’y tient la
notion d’opportunisme. Pour Philip Selznick, l’opportunisme est avant tout un comportement myope
ou à courte vue.
Philip Selznick 231

Conclusion
Comme théoricien des organisations et de l’entreprise, Philip Selznick
a introduit des perspectives dont se saisiront par la suite bon nombre
d’auteurs s’inscrivant dans ces disciplines. Si, au départ, ses travaux pré-
sentent des affinités avec les penchants naturalistes et évolutionnistes des
« Relations Humaines », leur développement annonce la vision des orga-
nisations comme coalitions politiques et les réflexions que l’on trouve dans
des courants comme la théorie de la dépendance en ressources et la théorie
néo-institutionnelle quant aux stratégies comportementales qu’une orga-
nisation ouverte sur son environnement et cherchant à survivre peut être
amenée à adopter. Ils ont ouvert la voie à la prise en compte des aspects
symboliques du fonctionnement des organisations dans la mesure où ces
aspects jouent un rôle important dans le processus d’institutionnalisation
en permettant la création d’une coalition d’identités, plus robuste qu’une
simple coalition d’intérêts. Ils introduisent également la conception du
dirigeant comme constructeur et manager de sens, bien avant que l’on
parle de « nouveau leadership », qu’il soit qualifié de « transformation-
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nel », de visionnaire » ou de « charismatique ».
Son apport essentiel sur le plan d’une théorie institutionnelle de l’orga-
nisation, considéré comme l’un des bases fondatrices de la théorie néo-
institutionnelle, est en même temps plus en phase que cette dernière avec
le management stratégique quand ce dernier privilégie la construction de
la singularité plutôt que la mise au jour de « lois universelles », et quand il
cherche à se doter d’une théorie stratégique de l’entreprise dépassant les
visions réductrices empruntées à la seule économie ou la seule sociologie
(Bréchet et Desreumaux, 2004).
Le travail de Philip Selznick peut être considéré comme une des pre-
mières transgressions des frontières disciplinaires entre sociologie et éco-
nomie. L’entreprise de dépassement de ce qui oppose ces deux disciplines
de référence reste sans doute un chantier d’envergure (Joas, 1999), mais
les sciences du management, qui ont un rôle à jouer à cet égard, peuvent
trouver chez cet auteur des points de repère qu’il serait dommage de ne pas
exploiter davantage.
Philip Selznick est clairement influencé par la philosophie de John
Dewey et l’importance que ce dernier donne à l’interaction de la morale
et de la science. Pour lui, comme pour le philosophe pragmatiste, il n’y a
pas véritablement de contradiction entre les deux. Il faut mobiliser notre
intelligence (c’est-à-dire une démarche scientifique) pour comprendre les
problèmes que posent les organisations aux êtres humains, à la vie sociale
ou aux politiques sociales, et essayer de trouver des façons d’améliorer les
232 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

choses. Porteur d’une vision morale et politique, Philip Selznick est une
référence à redécouvrir pour ce qui est des questions de gouvernance de
l’entreprise et de responsabilité sociale qui sont devenues des préoccupa-
tions majeures en management. S’il n’exprime pas de critique particulière
vis-à-vis des différentes perspectives qui ont marqué et marquent encore
aujourd’hui le développement de la théorie des organisations, il ne lui
semble pas, cependant, que l’on accorde suffisamment d’attention aux
questions essentielles et liées de responsabilité et d’intégrité des entreprises
et des organisations, ni à celui des rapports entre bureaucratie et démocra-
tie (Selznick, 2000).

Travaux cités de l’auteur


Nonet, P., Selznick, P., Kagan, R.A. (1970), Law et Society in Transition : Toward
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Selznick, P. (1948), « Foundations of the Theory of Organization », American
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Selznick, P. (1949), TVA and the Grass Roots : A Study in the Sociology of Formal
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Selznick, P. (1952), The Organizational Weapon : a Study of Bolshevik Strategy and
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Selznick, P. (1996), « Institutionalism “Old” and “New” », Administrative Science
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Autres références bibliographiques


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XV. CHRIS ARGYRIS – APPRENTISSAGE ORGANISATIONNEL ET
CONNAISSANCES ACTIONNABLES

Sandra Charreire Petit


in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 234 à 251


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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l’action sont des leviers
Quand les théories de

d’apprentissage
et de décision
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connaissances actionnables
organisationnel et
Apprentissage
Chris Argyris

Sandra Charreire Petit


XV
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236 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Chris Argyris (1923-2013) est natif du New Jersey, de parents immi-


grés grecs. Il est marqué par les injustices endurées par sa famille. Au cours
de la Seconde Guerre mondiale, il rejoint le Signal Corps dans l’armée
américaine pour y devenir sous-lieutenant. Son cursus universitaire com-
mence à Clark où il obtient un diplôme de psychologie en 1947 et se
poursuit à l’Université du Kansas, où il obtient une maîtrise en psycholo-
gie et en économie en 1949. Puis, il part à l’Université de Cornell pour
préparer, sous la direction de William F. Whyte, un doctorat en compor-
tement organisationnel qu’il obtient en 1951. Il enseigne ensuite durant
vingt années à l’Université de Yale (une chaire porte son nom) avant de
rejoindre, à Boston, la Harvard Graduate School of Business and
Education où il fut professeur de 1971 à 1995. Ses travaux ont un écho
tant dans le monde académique que dans celui des praticiens. Il s’est
retiré de Harvard en 1995 mais a continué d’écrire et de travailler, renfor-
çant encore son statut de chercheur de référence et d’enseignant d’excep-
tion (dixit Peter Senge, 1990).
Son œuvre connaît quatre temps forts, plus entremêlés que réellement
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successifs. Il s’intéresse tout d’abord à l’individu dans l’organisation (1957,
1964), puis explore le changement organisationnel à partir des cadres
dirigeants (1962, 1965). Il s’intéresse ensuite, en termes de méthode, à
élaborer les contours d’une recherche intervenante pour accompagner le
changement (1970, 1985). Enfin, et parallèlement dès les années soixante-
dix, il développe, avec Donald Schön1, les bases de la théorie de l’appren-
tissage individuel et organisationnel (1978, 1996) qu’il n’a eu de cesse
d’enrichir depuis. Au cours de sa carrière, il publie une trentaine d’ou-
vrages et près de trois cent articles, sans compter les nombreuses interven-
tions en entreprises, lui valant une renommée internationale, aussi bien
dans l’univers académique qu’auprès des dirigeants. Pour Chris Argyris, la
description et l’explication sont des étapes nécessaires mais non suffi-
santes. Lorsque les consultants s’aventurent dans la formulation de recom-
mandations, ils constatent souvent que les effets non voulus l’emportent
fréquemment sur ceux recherchés. Il existe deux raisons pour cela. La
première est que la théorie utilisée n’est pas la bonne, et l’autre, découlant
de la première, est que le système d’information a changé entre le moment
où les recommandations ont été formulées et celui où il y a constat d’un
échec ou d’un dysfonctionnement.
Les thèmes de recherche que privilégie cependant Chris Argyris sont
l’apprentissage organisationnel, le changement et le leadership ; trois
concepts qui caractérisent son intérêt pour l’activité de production de
connaissances et pour l’action. Dans les années soixante-dix, il publie des
1. Donald Schön est né en 1931 à Boston où il est décédé en 1997.
Chris Argyris 237

textes fondamentaux qui lui permettront d’accéder à une reconnaissance


internationale. En particulier, dans un article de 1974, il dessine les
contours de sa théorie de l’apprentissage organisationnel et définit les
bases des deux modèles d’apprentissage, en simple et double boucle. Mais
c’est l’ouvrage, écrit en 19782, avec Donald Schön, sur l’apprentissage
organisationnel, qui structure véritablement le champ de recherche sur ce
thème. La théorie d’Argyris prend sa source dans un travail colossal de
recherches empiriques effectuées avec Donald Schön : près de 3 000 cas
provenant d’horizons professionnels différenciés (managers, instances
gouvernementales, syndicats, monde judiciaire, architecte, médecins,
ministres et enseignants de tous niveaux) ont été recueillis et analysés
(Argyris, 1977). Sa complicité avec le terrain, significative et structurante
de sa pensée, se manifeste tout au long de sa carrière par son écriture, très
riche en exemples et anecdotes.
La pensée d’Argyris doit se lire et se comprendre comme un faisceau
d’interrogations simultanées opérant à trois niveaux : individuel, collectif
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et organisationnel.
• Individuel, en ramenant sans cesse le chercheur à expliquer les phé-
nomènes observés par la condition humaine.
• Collectif, en s’interrogeant sur la nature des interactions entre les
acteurs et sur les effets qu’elles produisent sur l’organisation.
Ces deux premiers niveaux sont en particulier très présents lorsqu’il
mobilise la notion de « routine défensive » pour expliquer l’inhibition des
acteurs en situation de changement et d’apprentissage. Seuls les efforts
individuels et collectifs d’honnêteté, de justice et de vérité (clés essentielles
chez Argyris) permettent de dépasser les facteurs qui inhibent l’apprentis-
sage pour autoriser le développement des conditions propices à un réel
développement organisationnel.
• Organisationnel, en orientant la réflexion sur ce que les apprentis-
sages permettent de développer en termes de compétences et perfor-
mances additionnelles pour l’entreprise.
Son travail central consiste ainsi à explorer, à ces trois niveaux, les liens
entre la connaissance et l’action. Il développe alors une théorie de l’action
qui constitue un apport indiscutable au management par son ancrage
pluridisciplinaire, par les emprunts conceptuels effectués et par son rayon-
nement.
2. Argyris et Schön (1978), Organizational Learning : a Theory of Action Perspective, Addison Wesley,
Reading Mass.
238 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Outre des apports conceptuels importants, la recherche de Chris


Argyris se caractérise également par une posture méthodologique singu-
lière. En effet, sa démarche est originale en management. Argyris prône
une approche mixte de chercheur et de consultant et ne conçoit son travail
que dans le cadre de recherches interventions. Pour lui, la proximité (ou
l’empathie) avec le terrain est fondamentale, non seulement pour élaborer
des construits enracinés3 mais aussi pour que les préconisations du cher-
cheur soient les plus opérationnelles et utiles possibles aux managers
(Pickard, 1997). Cette posture originale est particulièrement affirmée
dans un ouvrage de 1993, dans lequel il évoque la mise en œuvre de ses
démarches au sein d’un cabinet de conseil international pour aider les
directeurs associés à créer une organisation capable d’apprendre.
Ce chapitre vise à exposer les principaux éléments au cœur de l’œuvre
développée par Argyris mais, au-delà, à montrer l’originalité de sa
démarche et à présenter son regard sur ce monde académique qu’il a tant
contribué à nourrir. La première section souligne les apports conceptuels
du chercheur. La seconde a pour objectif de mettre en perspective son
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travail avec les sciences de l’action, mais aussi d’en circonscrire les
influences en termes méthodologique et épistémologique notamment.

1. UNE THÉORIE DE L’APPRENTISSAGE ORGANISATIONNEL


CONSTRUITE SUR LE CONCEPT DE L’ACTION
La théorie d’Argyris est articulée autour de la notion d’action car, fonda-
mentalement, la chose apprise est indissociable de la façon dont on l’ap-
prend et ce que l’on acquiert est inséparable de ce que l’on sait déjà.
Autrement dit, si l’individu apprend, c’est d’abord pour agir efficacement,
même si l’apprentissage n’est pas la seule condition de l’action efficace.
Pour Argyris (1993), l’apprentissage est un concept d’action pour trois
raisons essentielles :
• Il existe systématiquement un écart entre le savoir mémorisé et le
savoir « utile » pour agir efficacement à un moment donné.
• Les contextes dans lesquels les acteurs agissent se modifient en per-
manence, rendant l’exercice d’anticipation des résultats de leurs
actions et des actions d’autrui très délicat. Il est donc impératif, pour
3. L’enracinement des construits s’entend au sens de Glaser et Strauss (1967). En effet, les propositions
théoriques (modèles, théories), développés à partir d’un contexte organisationnel singulier, sont ainsi
fortement contextualisés et ne peuvent prétendre à devenir des théories formelles (universelles), mais
seulement des théories enracinées.
Chris Argyris 239

l’acteur, de contrôler ses actions et celles des autres, ce qui nécessite


d’apprendre en permanence du contexte.
• Les règles, routines et procédures des organisations traduisent la
volonté des acteurs de faire accéder le plus grand nombre à l’effica-
cité. En effet, ne sont standardisées que les actions efficaces. Cet
ensemble de pratiques est de nature tacite ou explicite et la culture de
l’entreprise en est le principal vecteur dans l’organisation. L’élaboration
de cet ensemble de pratiques nécessite au préalable de l’apprentissage.

1.1. Au cœur de la théorie, deux modèles


L’apprentissage organisationnel est un processus complexe, particuliè-
rement délicat à étudier tant il nécessite de disposer de sources d’observa-
tion distinctes à différents niveaux de l’entreprise. Il est défini comme un
processus de détection et de correction d’erreurs. L’erreur doit être enten-
due comme un écart entre ce qui est attendu d’une action et son résultat.
Elle est alors perçue comme un dysfonctionnement par les acteurs.
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Dès l’ouvrage de 1978, Argyris et Schön exposent les deux niveaux
d’apprentissage mis en évidence grâce à de multiples observations et expé-
riences en entreprises. Ces deux processus, enrichis par les travaux ulté-
rieurs, se distinguent entre eux notamment en ce qu’ils mobilisent de
façon différente les théories de l’action. Il existe deux types de théorie de
l’action : la théorie professée (espoused theory) et la théorie en usage (theory
in use) mobilisées par les acteurs dans le processus de détection et correc-
tion d’erreurs. La théorie professée correspond à l’ensemble des valeurs,
des croyances et des attitudes qui donnent lieu à la production de discours
de la part des acteurs. La théorie en usage correspond aux stratégies d’ac-
tion effectives et se rapporte à l’ensemble des règles et procédures ou
modes opératoires mis en pratique par les acteurs. Lorsqu’il est confronté
à une situation embarrassante, et bien qu’il n’en soit pas forcément
conscient, il existe fréquemment, pour l’acteur, un écart entre la théorie
qu’il évoque pour expliquer et/ou justifier ses actions (théorie professée) et
la théorie qu’il mobilise effectivement (sa théorie d’usage). C’est alors
qu’interviennent les routines défensives. Elles représentent toutes les
actions qui permettent à un individu d’éviter la situation embarrassante.
Ces routines, qui d’une certaine manière protègent, ont cependant pour
conséquence non désirée, d’empêcher, ce faisant, la discussion et la réso-
lution des « vrais » problèmes.
Les deux processus d’apprentissage sont présentés sous la forme de
deux modèles distincts : l’apprentissage en simple boucle et l’apprentissage
en double boucle.
240 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

L’apprentissage en simple boucle est le processus de détection et de


correction des dysfonctionnements qui consiste à modifier les pratiques
pour corriger les problèmes constatés sans pour autant qu’il soit nécessaire
de remettre en cause les principes qui sous-tendent ces pratiques dans
l’organisation. L’image employée par l’auteur pour situer le niveau de cet
apprentissage est celle du thermostat qui détecte qu’il fait trop chaud et
qui va enclencher le processus pour réduire la température de la pièce.
L’apprentissage en double boucle se produit lorsque le dysfonctionne-
ment ne peut être réduit simplement, c’est-à-dire sans remettre en cause,
ou, a minima, interroger les principes et les buts qui sous-tendent les
pratiques. Pour poursuivre l’image précédente, si la température idéale
n’est pas préprogrammée, c’est-à-dire si elle ne figure pas dans un ensemble
a priori de pratiques, le thermostat est incapable de la déterminer lui
même. Pour résoudre ce type de dysfonctionnement, il faut produire autre
chose qu’un simple ajustement des pratiques…
La théorie de l’apprentissage articule ainsi deux modèles présentés
comme exclusifs l’un de l’autre et intervenant séquentiellement. Si les
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auteurs (1978 : 26) envisagent la perspective d’un continuum, ils exposent
cependant de façon purement discrète les deux modèles dans leurs tra-
vaux. Autrement dit, si l’apprentissage en simple boucle ne permet pas de
résoudre le problème rencontré par les acteurs, il est alors envisageable de
considérer un déplacement cognitif vers un processus de type double
boucle. Argyris et Schön soulignent cependant la difficulté d’apprendre
selon ce dernier processus, par nature plus perturbant pour les acteurs,
parce que porteur de remise en cause des principes qui structurent l’acti-
vité de ces mêmes acteurs dans l’organisation. Le schéma 1 ci-après,
adapté de Argyris (1993), présente de façon simplifiée l’articulation entre
ces deux modèles.

Schéma 1 : Les apprentissages en simple et double boucle

Source : adapté de Argyris (1993, 1995 : 67).


Chris Argyris 241

1.2. À l’origine de la théorie, deux paradoxes


Argyris constate que des comportements types ont une influence sur
l’occurrence des processus d’apprentissage et, notamment sur l’apprentis-
sage en double boucle. Il met en évidence deux paradoxes dans l’organisa-
tion situés au confluent des normes, principes et valeurs (théories profes-
sées) d’une part, et des pratiques (théories en usage), d’autre part. Ces
comportements paradoxaux s’expriment par l’interaction des acteurs le
long de la ligne hiérarchique.
Le premier paradoxe concerne les employés. Ces derniers savent que
leur hiérarchie dispose d’un pouvoir de sanction s’ils n’effectuent pas cor-
rectement leur travail et ne résolvent pas les problèmes. Mais ils savent
aussi que, s’ils rendent compte des problèmes, ils s’exposent à une remise
en cause de leur travail par la hiérarchie, laquelle n’a pas tendance à valo-
riser ce type de retour. Transmettre de l’information négative vers la hié-
rarchie est en effet toujours délicat. Par conséquent, les acteurs rédigent
plus ou moins inconsciemment des notes complaisantes visant à ne pas
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heurter la représentation de la situation qu’ont les dirigeants (Argyris,
1977). Ainsi, nous dit Argyris, lorsque des problèmes sont constatés par la
hiérarchie intermédiaire, une déconnexion progressive des dirigeants avec
les cadres opérationnels se produit, sans d’ailleurs que ces derniers en sai-
sissent véritablement la raison. Masquer les problèmes est un moyen de
retarder une discussion désagréable avec la hiérarchie. Mais, indique l’au-
teur, c’est aussi le plus sûr moyen de se voir reprocher un jour son com-
portement « déloyal ». Par conséquent, les employés sont pris au piège et,
quoiqu’ils fassent, cela s’avère contre-productif pour l’organisation. C’est
pourquoi le dévoilement des problèmes s’opère souvent dans la douleur
(crise).
Le second paradoxe concerne les dirigeants. Ces derniers reçoivent une
plus grande récompense lorsqu’ils maintiennent leur organisation stable
que lorsqu’ils la perturbent en voulant y introduire du changement. Or, le
cœur de leur mission est précisément de piloter l’organisation vers davan-
tage de performance, notamment en interrogeant les pratiques en cours
(théories en usage) et les principes qui les sous-tendent (théories profes-
sées). Ainsi, encourager les interrogations de l’organisation sur ses pro-
blèmes ou bien mettre en œuvre une réflexion sur des axes de progression
par exemple, revient, pour les dirigeants à ouvrir « la boîte de Pandore »
car le risque est considérable pour eux. C’est ce qu’Argyris appelle le
dilemme du pouvoir : accepter de se mettre en danger, soit en prenant le
risque de la contradiction, soit en autorisant un partage des responsabilités
en cas de dysfonctionnement majeur. Ceci va à l’encontre de la prédispo-
242 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

sition naturelle des dirigeants pour le statu quo. De fait, même s’ils sont
intellectuellement séduits par l’idée d’accompagner l’organisation vers une
performance accrue ou une plus grande adaptabilité, il leur est très difficile
de réunir les conditions d’un apprentissage de second ordre, c’est-à-dire en
double boucle (Argyris, 1994). La prédisposition naturelle des managers à
ignorer ou supprimer les dilemmes et paradoxes constitue ainsi un pro-
blème crucial, empêchant l’occurrence ou la promotion d’un apprentis-
sage en double boucle. Pourtant, selon Argyris, même si ces conditions ne
sont pas faciles à réunir, seuls les dirigeants peuvent et doivent encourager
l’apprentissage dans l’organisation.
La conséquence première de ces deux paradoxes est que les change-
ments organisationnels ne sont très souvent, dès lors, que des « change-
ments de surface ». Il est ainsi difficile pour les organisations d’apprendre
de leurs erreurs.

1.3. Une réflexion constante sur la nature


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humaine
L’originalité du travail de Chris Argyris réside sans doute dans sa
manière d’appréhender les acteurs de l’organisation. Pour lui, l’acteur
organisationnel n’est pas un être à part, différent de l’Homme ou du
citoyen, et il est fondamental de comprendre avant toute chose comment
les individus fonctionnent sur le plan cognitif4 (le human being).
Que lui apportent ses réflexions sur le human being ? Pour Argyris,
toute action est fondée d’abord sur un raisonnement défensif qui « pro-
tège » l’individu de progrès potentiels. En effet, la nature humaine est ainsi
faite qu’il existe des mécanismes cognitifs naturels de protection [qu’Argy-
ris (1986, 1993) nomme les routines défensives] qui freinent l’introspec-
tion et poussent rapidement l’individu à considérer que les causes de son
problème ne viennent pas de lui mais du monde, l’empêchant ainsi d’agir
et d’apprendre. Cette dissonance cognitive gênante se manifeste lorsque
l’individu, quel qu’il soit, constate un écart entre ses valeurs (théories pro-
fessées) et les théories de l’action qu’il mobilise effectivement (théories en
usage). Aussi, si les dirigeants s’interrogeaient davantage sur leurs propres
4. Notons, à ce sujet, la proximité de ses travaux avec ceux notamment de Kurt Lewin sur la dynamique
des groupes qu’il aurait rencontré lorsqu’il était étudiant et qui l’aurait influencé. Argyris se reconnaît
également dans les travaux de Roger Barker, le fondateur de l’écologie psychologique (psychological
ecology) qui implique, entre autres, l’observation des acteurs en situation naturelle (Pickard, 1997).
Au-delà, il reconnaît une filiation avec le travail ultérieur de Peter Senge. En considérant les concepts de
systèmes dynamiques qui caractérisent le contexte de l’action et les méthodes expérimentales
d’apprentissage, Senge (1990) prolonge en effet la voie ouverte par Argyris.
Chris Argyris 243

modèles et schémas mentaux, seraient-ils plus enclins à comprendre le


monde et à apprendre de ce monde. Ils seraient ainsi, pour l’auteur, plus
à même de faire progresser les organisations dont ils ont la charge.
Pour Argyris (1998), l’articulation entre la motivation des individus au
travail et la délégation (empowerment) constitue une autre dimension utile
à l’appréhension des processus d’apprentissage organisationnel. Là encore,
cette dimension, intrinsèque à la nature humaine, est révélée par le constat
suivant : les managers adorent la délégation de pouvoir en théorie, mais le
modèle de commandement et de contrôle est celui dans lequel ils croient,
et c’est également celui qu’ils connaissent le mieux. Pour leur part, les
employés sont également ambivalents à propos de la délégation des pou-
voirs et de leur autonomie. Il s’agit souvent, pour eux, d’un modèle sédui-
sant tant qu’ils ne sont pas en situation de rendre des comptes.
Ce constat conduit Argyris à interroger plus profondément les modali-
tés de conception et de pilotage des programmes de changement. Le pro-
blème principal est alors celui de la sensibilité des acteurs à l’autonomie
dans le travail ; certains acteurs sont autonomes par nature, d’autres les
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sont moins. Argyris distingue ainsi deux types d’engagement individuel
(interne et externe) susceptibles de guider l’analyse des changements
(cf. encadré 1). Des acteurs autonomes ne se sentiront engagés dans un
processus de changement que s’ils pensent et définissent eux-mêmes les
actions de ce changement. Pour ces derniers, l’engagement individuel
interne est la seule clé à l’acceptation du changement5. Sans lui, la produc-
tion d’énergie nouvelle, réclamée par les dirigeants via les programmes de
changement, est impossible. Dans l’ensemble, les programmes de change-
ment sont d’ailleurs conçus pour des individus autonomes, c’est-à-dire
pour ceux dont l’engagement interne est le moteur. Or, certains employés
se sentent plus à l’aise dans des situations de travail prescrit et un pro-
gramme de changement très directif leur convient parfaitement. Selon
Argyris, il existe alors une contradiction forte entre les motifs de concep-
tion du programme et les résultats qu’il permet d’obtenir.

5. On retrouve ici l’influence de Kurt Lewin sur Chris Argyris : la nécessaire adhésion de l’acteur pour
qu’un changement se produise autrement que dans les discours.
244 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Encadré 1. L’engagement individuel externe versus interne


Pour illustrer la fréquence de l’engagement personnel externe, Argyris (1998) relate ses
discussions avec des dirigeants au moment de la chute du mur de Berlin. Pour lui, les
employés de l’est ont appris à travailler en minimisant la réponse à apporter à une
consigne. Dans le même temps, ils ont montré collectivement, à l’époque, leur volonté
de reprendre en main leur destinée. Cependant, quelques mois après la chute du mur,
les dirigeants de l’ouest restent surpris du peu d’initiative et d’autonomie de leurs
homologues de l’est. Selon Argyris, la domination de l’engagement externe dans le
système social en général explique cette situation. Les acteurs « sont agis » par la struc-
ture et, par habitude, restent en phase avec cette façon de fonctionner.
D’une manière plus générale, les acteurs opèrent selon les règles et procédures prescrites
tant que les récompenses (salaires) continuent de croître. Or, le salaire, comme les
autres outils de motivation individuelle, renforce le poids de l’engagement individuel
externe dans le même temps qu’il crée un biais à l’engagement individuel interne. Plus
fondamentalement encore, de nombreux employés ne sont pas favorables à une déléga-
tion de pouvoir accrue tant cette dernière est synonyme de travail supplémentaire.

Ainsi, en soulignant le rôle des routines défensives, puis celui des deux
formes d’engagement individuel, Argyris apporte des réponses particuliè-
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rement fines aux situations observées liées à l’introduction de change-
ments dans les organisations. Et, si le niveau de contribution théorique
qu’il ambitionne est organisationnel, les réponses qu’il apporte sont inti-
mement liées aux efforts déployés pour comprendre davantage la nature
humaine (aux niveaux individuel et collectif ).

2. DES THÉORIES DE L’ACTION À LA CONNAISSANCE


ACTIONNABLE
Argyris (1985 en particulier) a développé sa théorie de l’apprentissage
grâce à la conceptualisation de l’action qu’il a proposé : 1) Les théories de
l’action que les individus professent ou adoptent intellectuellement et qui
comprennent leurs croyances, leurs attitudes et valeurs (espoused theory).
2) Les théories de l’action que les individus utilisent au moment où ils
agissent (theory in use). Dans les faits, il existe une incompatibilité fré-
quente entre les théories professées par les acteurs et les modèles d’action
qu’ils mobilisent effectivement. De plus, si les théories professées varient
très largement dans le monde, les théories en usage ont un caractère uni-
versel ; elles sont très similaires et homogènes sur tous les continents. En
outre, elles se révèlent identiques, quels que soient les critères sociolo-
giques ou démographiques considérés. Une implication forte de ce constat
est qu’il n’existe que très peu de théories en usage distinctes.
Chris Argyris 245

Par conséquent, comprendre comment les théories de l’action sont


mobilisées par les acteurs permet de saisir, dans le même temps, de quelle
manière ces théories créent, de manière non intentionnelle, des routines
organisationnelles défensives qui inhibent l’apprentissage. Pour Argyris
(1994), l’activité des consultants et chercheurs doit être orientée vers
l’identification de ces théories et doit contribuer à la production d’un
savoir actionnable6 dans l’organisation.

2.1. Pourquoi apprendre est si difficile pour


les organisations ?
Au même titre qu’il a repéré des mécanismes d’inhibition au niveau
individuel, Argyris met en évidence deux ensembles de facteurs qui
limitent considérablement l’apprentissage de l’organisation. Le premier
ensemble concerne l’évaluation et la perception individuelle des informa-
tions tandis que le second se rapporte aux jeux de pouvoir et aux compor-
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tements qui en découlent (Argyris, 1993). De manière liée, l’auteur
constate que les sessions de formation destinées aux managers, dont le but
est de faciliter l’occurrence d’un apprentissage en double boucle, n’y
changent pas grand-chose. Certes, les formations créent les conditions
pour débattre des problèmes, mais ces situations restent artificielles, donc
temporaires et contingentes à l’action de formation.
Pour Argyris, il convient plutôt de créer les conditions de ce dévelop-
pement au sein même de la structure, notamment par une meilleure com-
munication. Les dirigeants admettent qu’une compétition accrue nécessite
davantage d’apprentissage mais aussi une plus grande délégation des pou-
voirs et plus d’engagement de chacun dans l’entreprise. Au-delà, ils com-
prennent aisément l’intérêt d’une meilleure communication. Argyris sou-
ligne cependant qu’il ne suffit pas d’introduire davantage de communica-
tion pour accroître les capacités d’apprentissage de l’entreprise. En effet, la
mobilisation, même correcte, des techniques de communication est un
facteur qui peut bloquer l’apprentissage car elles n’incitent pas les acteurs
à un travail réflexif sur leurs activités et leurs comportements. Les pro-
blèmes peuvent être ainsi vus et véhiculés dans la structure, sans pour
autant être nommés ni traités. Le risque est alors d’ignorer ou de nier les
dysfonctionnements sans remettre en question, d’une quelconque façon,
les théories professées. En outre, pour les acteurs, cette posture est plus
6. Pour l’auteur, un savoir devient actionnable lorsqu’il est utile aux dirigeants dans l’exercice de leurs
missions. La connaissance actionnable doit être scientifiquement valide et pouvoir être déployée par les
managers.
246 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

confortable que celle qui consiste à affronter les problèmes. Ce faisant, elle
contribue à rendre difficile l’occurrence d’un apprentissage fort et signifi-
catif au sein de la structure organisationnelle.
L’apprentissage, notamment en double boucle, est ainsi empêché et les
raisons sont à rechercher, selon Argyris, parmi un ensemble de motiva-
tions profondes et complexes, d’ordre psychologique. Il existe un raison-
nement défensif individuel qui consiste à préserver l’individu de la vulné-
rabilité, du risque, de l’embarras et d’une apparente incompétence.
L’individu n’est que peu enclin naturellement à interroger ses propres
schémas de pensées. Par conséquent, il ne s’expose ni à la critique, ni à la
déstabilisation. Et rien ne saurait être plus destructeur pour l’apprentissage
organisationnel que ce processus d’élévation des tactiques de défense indi-
viduelles en routines organisationnelles. En effet, ces dernières relèvent de
toutes les politiques, pratiques et actions qui préviennent de la nouveauté
ou de l’expérience et, dans le même temps, qui protègent les acteurs d’un
examen portant sur la nature et les causes de ce qui embarrasse ou fait
peur. C’est pourquoi managers et dirigeants privilégient la stabilité orga-
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nisationnelle au détriment d’une situation plus perturbante de réflexion
sur les pratiques en cours et sur les principes qui les sous-tendent (cf. 1.2
– le statu quo).
Argyris trouve ainsi des explications au niveau individuel pour justifier
les interactions entre acteurs et leur résultat : le non apprentissage et la non
création de compétences. Pour autant, Argyris ne renonce pas à faciliter
l’introduction de l’apprentissage en double boucle dans l’organisation. Il
préconise même un cadre méthodologique interventionniste.

2.2. La recherche intervention au cœur de la


« méthode Argyris »
Chris Argyris est considéré, avec Donald Schön, comme l’un des
« architectes » de la science de l’action (Greenwood et Levin, 1998). Ce
champ de recherche, traitant de la compréhension et de la production
d’actions, repose sur quatre socles indissociables (Argyris, 1995).
– Le premier socle indique que l’action requiert l’exécution d’une
solution, la production d’une invention et l’évaluation de l’efficacité de
ladite production.
– Le deuxième socle est constitué d’un dispositif méthodologique de
recherche intervention. Argyris, Putnam et McClain-Smith (1985)
défendent la recherche intervention qu’ils érigent au rang de « science de
Chris Argyris 247

la pratique ». Pour ces auteurs, cette démarche de recherche est la seule qui
autorise un couplage étroit entre l’établissement des construits théoriques
et leurs tests dans l’action. En outre, en énonçant que la description empi-
rique est impossible sans l’intervention, Argyris prend volontairement
position face à ce qu’il appelle les sciences conventionnelles. En effet, si
pour Argyris, la méthodologie de recherche doit produire des propositions
généralisables et falsifiables, elles doivent également être actionnables,
c’est-à-dire mises en œuvre par les praticiens et / ou le chercheur. Ainsi,
pour l’étude de l’apprentissage, le chercheur doit notamment évaluer si
l’organisation est très imprégnée de routines défensives ou si l’occurrence
d’un apprentissage type double boucle est possible. La démarche d’inter-
vention utilise une échelle d’inférence, employée comme un support pour
faire émerger la structuration du sens que les acteurs donnent aux événe-
ments (Argyris, Putnam et McClain-Smith, 1985). Il convient alors de
découvrir le degré avec lequel les acteurs mobilisent des raisonnements
défensifs alors même qu’ils traitent de situations embarrassantes ou de
problèmes stressants. L’apprentissage est considéré comme acquis lorsque
le diagnostic et l’intervention se sont effectivement produits.
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La connaissance actionnable ne doit pas seulement avoir une validité
externe importante. Elle doit indiquer les processus cognitifs et les actions
requises pour créer des propositions dans le monde des acteurs ou prati-
ciens de l’organisation. Cette dernière dimension est centrale dans la
méthode « Argyris ». Autrement dit, la connaissance produite ne fait sens
que si les acteurs ont la capacité de la mettre en œuvre7. Par exemple, la
confiance, en tant que variable, a un haut degré de validité externe. Mais
le niveau d’actionnabilité de cette variable est traditionnellement faible
dans les recherches qui produisent de la validité externe sur la confiance.
Pour Argyris, la recherche doit être descriptive, normative et prescrip-
tive. La description est essentielle pour ordonner et présenter une vue de
la réalité. L’optique normative est importante parce que se focaliser sur
l’action revient à se concentrer sur son efficacité. La prescription est essen-
tielle en ce qu’elle autorise la généralisation dans les actions quotidiennes,
mais aussi parce qu’elle permet de développer des tests de validité des
propositions émises.
– Le troisième socle de la science de l’action est l’individu. Il est la clé
de voûte de l’apprentissage organisationnel. Ce dernier est engendré par
les raisonnements que la nature humaine mobilise, invente et produit,
pour agir et évaluer les actions. Penser et agir sont deux activités basées sur
un raisonnement de nature causale. Par conséquent, les solutions pro-
7. On retrouve ici l’ancrage volontiers pragmatiste de la posture revendiquée par Chris Argyris (Charreire
Petit et Perret, 1998).
248 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

duites seront d’autant plus facilement généralisées dans l’organisation


qu’elles sont de nature causale. Les acteurs mobiliseront ainsi facilement
ces solutions, en adéquation avec leur nature profonde.
– Le quatrième socle de la science de l’action est formé par le très fort
degré d’interdépendance entre les individus et l’organisation. De ces liens
interindividuels peut émerger l’apprentissage organisationnel.
Ces quatre socles sont articulés pour servir l’exploration de ce processus
complexe qu’est l’apprentissage organisationnel. Outre des conceptualisa-
tions sur l’objet de sa recherche, la relation entre le chercheur et le terrain
produit de la connaissance. Argyris a plaidé, tout au long de sa carrière,
pour que cette connaissance soit actionnable, sous conditions.

2.3. L’éthique de la recherche comme moteur


Dans un entretien (Fulmer et Keys, 1998), Argyris a déclaré qu’après la
notion de justice, la notion de vérité est primordiale pour un chercheur.
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Justice, vérité, compétence, efficacité et apprentissage sont les mots qu’il
emploie pour qualifier l’ensemble de sa recherche. Pour lui, l’éthique du
chercheur doit toujours être très affirmée. La production d’une recherche
de qualité est d’abord une recherche « libre », c’est-à-dire une recherche
pour laquelle le chercheur n’est soumis à aucune contrainte d’aucune
sorte. Il était fondamentalement attaché aux valeurs démocratiques et une
recherche « libre » ne peut être réalisée pour un organisme ou un État
dictatorial. Autrement dit, la démarche méthodologique doit être inscrite
dans un contexte large ; le contexte politique et social du programme de
recherche et l’éthique du chercheur ne doit pas être délimitée par les seules
frontières de l’objet ou de l’organisation étudiée. L’éthique a occupé une
place très importante dans sa réflexion. Il a revendiqué une position épis-
témologique pragmatiste devant être en cohérence, non seulement avec la
recherche produite, mais plus largement avec le contexte social et sociétal
dans lequel elle s’inscrit (Charreire Petit et Perret, 1998).
La dimension éthique doit inclure l’honnêteté de la démarche intellec-
tuelle du chercheur. Pour Argyris, trop de recherches en sciences sociales
ne se soucient pas assez de la façon dont les résultats peuvent être « utiles »
et opérationnalisés. Sur ce point, son propos fut militant ; il faut produire
des résultats dont les acteurs pourront se servir, soit pour améliorer leur
capacité de réflexion, soit leur pratique, soit les deux. Cette position a
irrité certains chercheurs de sa génération, mais a été entendue par de plus
jeunes collègues par la suite et Argyris s’en félicitait (Fulmer et Keys,
1998). Reconnaître l’importance de l’actionnabilité des connaissances fut
Chris Argyris 249

pour lui un combat. Le monde des praticiens l’a entendu et le monde


académique y fut sensible plus récemment, si l’on en juge par le nombre
de débats et controverses engagés.

Débats et perspectives…
À l’évidence, Chris Argyris restera comme un grand auteur, qui a très
largement contribué à structurer les différents champs du management.
Ses travaux font écho dans toutes les disciplines et sont pertinents pour
toutes les fonctions des organisations. Outre les apports conceptuels de
l’auteur, la relecture de son œuvre a pour objet de mettre en évidence
l’apport méthodologique et épistémologique de ses travaux, mais aussi les
débats suscités par ses prises de positions radicales. En effet, il a toujours
défendu la recherche intervention en tant qu’unique moyen de produire
une connaissance actionnable et a mis en doute, à ce titre, les méthodes de
recherche conventionnelles. Pour Argyris, ce que les acteurs disent de leur
comportement ne correspond que rarement aux théories de l’action qu’ils
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mobilisent effectivement. Par conséquent, la découverte de connaissances
valides et utiles devient alors très problématique à travers l’utilisation des
méthodes scientifiques conventionnelles.
Ses différentes prises de position font l’objet de controverses auxquelles
participent des chercheurs internationalement reconnus. Ainsi, si Van de
Ven reconnaît que le monde académique pourrait être plus performant
pour accompagner la mise en œuvre des connaissances, il pense, à l’instar
de Simon, que les avancées significatives sur le management des connais-
sances passent nécessairement par la production de construits théoriques
valides, y compris pour leur mise en pratique ultérieure. Pour Argyris, si
les démarches classiques sont efficaces pour comprendre et expliquer, elles
ne sont pas adéquates lorsqu’elles sont au service de l’action. Se cachent
derrière ces questions des conceptions de la recherche bien différentes
pour les protagonistes. Certains privilégient la pertinence scientifique des
recherches produites alors qu’Argyris fut davantage préoccupé par les
questions et les solutions du « monde réel ».
Au-delà de sa position sur la science de l’action versus la science « nor-
male », ses travaux ont également fait l’objet de quelques critiques. En
particulier, son regard sur la nature humaine, véritable filtre de ses propo-
sitions, est considéré comme réducteur en ce qu’il se focalise essentielle-
ment sur des réactions de défense (routines défensives). Or, les motiva-
tions humaines sont riches et multiples, les interactions entre les cultures,
les systèmes économiques et politiques sont complexes (Greenwood et
250 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Levin, 1998). Et, même si le rôle de la culture a davantage été intégré dans
le second ouvrage (Argyris et Schön, 1996), la conceptualisation des pro-
cessus d’apprentissage proposée reste très guidée par sa représentation
première du human being. De plus, les fondements des modèles de l’action
resteront peu explicités, y compris pour la démarche d’intervention qu’il a
toujours préconisée. Un doute légitime s’installe alors sur la capacité
qu’auraient eue Argyris et Schön, dans leurs interventions, à s’affranchir
eux-mêmes des limites humaines ordinaires dont ils s’attachaient pourtant
à démontrer le caractère universel (Greenwood et Levin, 1998).
L’originalité et la fécondité de la pensée de Chris Argyris sont cepen-
dant unanimement reconnues. Peter Senge confie même la fascination
qu’il a ressentie en écoutant Chris Argyris enseigner. La conceptualisation
de l’apprentissage qu’a livrée Chris Argyris s’inscrit dans un cadre théo-
rique et méthodologique large et intégré ; des théories de l’action couplées
à la recherche intervention. Il s’agit d’un véritable programme de recherche
devenu incontournable pour aborder de très nombreuses problématiques
en management. En outre, son travail est mis en valeur par un style écrit
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original où se mêlent conceptualisations, exemples nombreux et réflexions
personnelles sur son propre apprentissage des phénomènes complexes qu’il
a étudiés. On doit y lire l’illustration de son empathie avec le terrain,
revendiquée explicitement dans le dispositif de recherche intervention, et
qu’il a largement contribué à promouvoir dans la communauté scienti-
fique et au-delà.

Travaux cités de l’auteur


Argyris, C. (1957), Personality and Organization, New York : Harper Collins.
Argyris, C. (1962), Interpersonal Competence and Organizational Effectiveness,
Homewood, Ill. : Dorsey Press.
Argyris, C. (1964), Integrating the Individual and the Organization, New York :
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Argyris, C. (1965), Organization and Innovation, Homewood, Ill. : R. D. Irwin.
Argyris, C. (1970), Intervention Theory and Method : A behavioral science view,
Reading, Mass. : Addison Wesley.
Argyris, C. (1977), « Double loop learning in organizations », Harvard Business
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Argyris, C. (1980), Inner Contradictions of rigorous Research, New York :Academic
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Argyris, C. (1986), « Skilled incompetence », Harvard Business Review, vol. 64,
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Argyris, C. (1989), « Strategy Implementation : An Experience in Learning »,
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Chris Argyris 251

Argyris, C. (1993), Knowledge for action. A Guide to Overcoming Barriers to


Organizational change, San Francisco, Jossey-Bass Publishers. Traduit en fran-
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organisationnel, 1995, InterÉditions.
Argyris, C. (1994), « Good Communication that blocks Learning », Harvard
Business Review, July-August, p. 77-85.
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managerial psychology, vol. 10, p. 20-26.
Argyris, C. (1998), « Empowerment : the emperor’s new clothes », Harvard
Business Review, May-June, p. 98-105.
Argyris, C., Putnam, R., McClain Smith, D. (1985), Action Science : concepts,
Methods and skills for Research and Intervention, San Francisco : Jossey-Bass.
Argyris, C., Schön, D. (1978), Organizational learning, Reading, MA : Addison
– Wesley.
Argyris, C., Schön, D. (1996), Organizational learning II, Reading, MA :
Addison – Wesley.

Autres références bibliographiques


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Beer, M., Nihria, N. (2000), Breaking the Code of Change, Boston, MA : Harvard
Business School Press.
Charreire, S., Perret, V. (1998), « Quand Chris Argyris parle de recherche »,
Revue française de gestion, vol. 119, p. 58-68.
Fulmer, R.M., Keys, B.J. (1998), « A conversation with Chris Argyris, the father
of Organizational Learning », Organizational dynamics, Autumn, p. 21-32.
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Senge, P. (1990), The fifth discipline : The art and practice of the learning organiza-
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XVII. ROBERT CHIA – APPROCHE PROCESSUELLES ET PRATIQUES EN
MANAGEMENT, UNE ONTOLOGIE ALTERNATIVE

Isabelle Bouty
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 268 à 280


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-268.htm
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et pratiques en management,
une ontologie alternative
Approche processuelles
Robert Chia
XVII

Isabelle Bouty
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Robert Chia 269

Dans le champ du management, Robert Chia est un porteur résolu et


écouté d’une ontologie processuelle et pratique dont la résonnance s’ampli-
fie depuis plusieurs dizaines d’années maintenant. La pensée de Chia vise
à revenir aux difficultés les plus ordinaires, les plus concrètes, des managers
dont le quotidien est mouvant, peuplé d’incertitudes, de surprises, d’hési-
tations, d’enchevêtrements complexes et d’indéterminations. Les mana-
gers, comme les autres acteurs, sont pris dans le flux ininterrompu de la vie
organisationnelle dans laquelle ils sont enchâssés et à laquelle ils parti-
cipent. Un quotidien bien connu de R. Chia puisqu’il fut le sien durant
plus d’une quinzaine d’années. Mais le projet proposé par Robert Chia est
aussi particulièrement ambitieux car il remet finalement en cause de nom-
breux principes implicitement admis du management, depuis l’efficacité de
l’action directe et planifiée jusqu’à la position analytique surplombante
supposée du manager héro qui décide et agit sur l’objet organisationnel, en
passant par la nature même de ce que nous appelons une organisation. Et
plus qu’une simple remise en cause, il s’agit de substituer à ces canons de
la pensée managériale d’autres propositions : sagesse pratique et sagacité,
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obliquité et modestie des incisions dans le flux organisationnel, attention
périphérique, surprise, indétermination… Autant de notions qui semblent
plus équivoques, certainement moins conventionnelles en management,
mais qui sont indubitablement ouvertes, plus fluides et, de ce fait, en phase
avec la vision processuelle et pratique à laquelle elles font écho. Au demeu-
rant, cette pensée est, chez Robert Chia, nourrie à deux sources intellec-
tuelles : la pensée orientale dans laquelle il a grandi, été éduqué et a évolué
d’une part et, d’autre part, la pensée processuelle postmoderne occidentale
en organisation.
L’on comprend dès alors que Robert Chia occupe une place originale
parmi les penseurs contemporains en management ; tant par sa trajectoire
mi-pratique / mi-académique qui le situe entre deux traditions, que par son
double ancrage culturel en Orient et en Occident, ou encore par les idées
qu’il promeut et qui l’amènent à s’intéresser autant à la pratique managé-
riale qu’à la formation au management. Ce chapitre est articulé en trois
sections visant à tracer la pensée de Robert Chia et à en esquisser la portée.
Il ne saurait toutefois épuiser celle-ci, car R. Chia est un auteur prolixe et
toujours très actif, qui porte sa réflexion sur de nombreuses questions et
décline ses travaux sous diverses formes, écrites comme orales. La première
section esquisse les traits essentiels du renversement ontologique et de
l’approche proposés par R. Chia. Puis il s’agit de décrire les principales
contributions des travaux de l’auteur pour le champ du management et des
organisations. Enfin, la dernière section s’arrête sur les propositions de
Chia relativement à la formation et à l’enseignement du mangement.
270 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Notice biographique
Né en 1949, Robert Chia a initialement étudié l’ingénierie mécanique et est diplômé
de la Singapore Polytechnic. Il débute sa carrière en entreprise dans les années soixante-
dix et occupe, durant une quinzaine d’années, divers postes d’encadrement intermédi-
aire et supérieur dans de grandes entreprises de l’industrie aéronautique principalement
en Asie ; d’abord dans les domaines de l’ingénierie et de la production, puis progres-
sivement en ressources humaines, pour finalement devenir directeur des ressources
humaines. Ces expériences l’amènent à poursuivre ses études en management et il
obtient un MA en Analyse Organisationnelle. À la fin des années quatre-vingt, R. Chia
quitte l’industrie et s’engage dans un doctorat en Sciences des Organisations, qu’il
obtiendra en 1992, à l’Université de Lancaster sous la direction du Pr. R. Cooper. Il
embrasse à cette occasion une carrière académique qui le mènera de son premier poste
de professeur assistant à l’Université de Lancaster à celle d’Essex (1996-2001), puis
d’Exceter (jusqu’en 2004) et surtout en Écosse ; notamment à l’Université de
Strathclyde (2008-2012) et à l’Université de Glasgow dont il rejoint l’Adam Smith
Business School en 2013 en tant que Professeur Chercheur. Robert Chia a été proposé
puis élu membre de la Royal Society for the Encouragement of Arts, Manufactures and
Commerce du Royaume-Uni et membre invité de la Society for the Advancement of
Management Studies. Il a également été éditeur associé d’Organization Studies et mem-
bre du comité scientifique de plusieurs autres revues dont Journal of Management
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Studies, Management Learning, European Management Journal, mais aussi le Journal of
Chinese Management. En parallèle d’une recherche et d’une production très soutenues
dans les revues internationales et les conférences les plus prestigieuses, Robert Chia
maintient une activité de conseil auprès de grandes organisations publiques et privées
et demeure largement impliqué dans des programmes de formation exécutive.

1. AU CŒUR DE LA PENSÉE, UNE VISION DU MONDE


EN FLUX
Initialement influencée par la pensée asiatique (plus spécifiquement
taoïste), qui constitue en partie la culture d’origine de l’auteur, l’approche
de Robert Chia est par la suite nourrie de la lecture de penseurs occiden-
taux du processus et de la pratique (Bourdieu, 1980 ; Whitehead, 1929
par exemple). Les deux ancrages intellectuels de R. Chia convergent dans
une ontologie du monde comme un flux, c’est-à-dire un mouvement
incessant et un changement continu dans lequel sont pris et auquel parti-
cipent les acteurs, donc les organisations et finalement le management.
L’objectif ici n’est naturellement pas de rendre fidèlement compte des
nuances de la pensée orientale ni des travaux occidentaux sur la pratique
et les processus. Il s’agit plutôt de mettre en lumière quelques contrastes
majeurs entre cette approche du monde et celle qui, à l’opposé, caractérise
l’approche occidentale classique. Ainsi que Robert Chia le souligne lui-
même (Chia, 2003 ; 2013), deux ontologies significativement différentes
Robert Chia 271

l’une de l’autre sont ici en présence et épouser l’une ou l’autre est lourd de
conséquences puisqu’il s’agit d’inverser complètement les priorités.
La tradition occidentale classique (et la perspective dite moderne en
management) privilégie traditionnellement une pensée de l’être et des
entités dans laquelle l’enjeu principal est celui de la représentation d’une
réalité supposée fixe et largement extérieure au sujet. Il s’en suit une forte
inclinaison pour l’explication, la précision, l’articulé… Autant de traits
qui, ensemble, font du langage un moyen privilégié de la connaissance.
C’est conséquemment au fixe, à l’universel, à ce qui « est » qu’est attachée
la validité. Dès lors, le fluctuant et le changeant ne sont que variations
empiriques secondaires relativement négligeables ou encore phénomènes
exceptionnels. C’est la position ontologique dont est empreinte une large
part de la réflexion en management jusqu’à aujourd’hui. L’enjeu y est de
conceptualiser les observations empiriques pour dire ce qui est, pour nom-
mer et pour établir des relations causales entre ces éléments. Mais, ainsi
que le souligne R. Chia (2003), cette entreprise est au fond relativement
éloignée des préoccupations concrètes des managers, dont le souci est
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souvent plus prospectif et pragmatique (que faire, comment manœuvrer,
qu’est-ce qui va « marcher ») que théorique et rétrospectif (décrire a poste-
riori et nommer).
À l’opposé, la pensée orientale (taoïste), quelques auteurs présocra-
tiques (notamment Héraclite) et la pensée processuelle et pratique
(Whitehead, 1929 par exemple), privilégient une approche synthétique et
fluide, qui fait une place centrale à l’expérience directe du sujet au monde
dans lequel il est engagé. Le mouvement, la transformation et le change-
ment incessant priment sur la stabilité et la permanence, car l’expérience
directe du monde est celle d’une dynamique continue, de la vie qui se
déroule. La résolution des problèmes prend donc le pas sur la description ;
les corrélations et les résonnances sur les relations causales linéaires ; l’inar-
ticulé sur le littéral. Ainsi que le souligne R. Chia (2003), c’est précisé-
ment l’ontologie que porte la communication indirecte, suggestive ou
symbolique ; l’écriture idéographique relève moins du système de repré-
sentation que de la performance artistique car la réalité est ultimement
inaccessible à un langage qui échoue à capturer les aspects les plus pro-
fonds de la condition humaine. Une véritable ontologie alternative est ici
au cœur de la pensée : le flux, le devenir et la transformation incessante
sont l’essence de la vie. Et ce sont donc le fugace et l’éphémère qui priment
sur l’ordre et les états stables. Pris dans le flux contribuant au mouvement
continu du monde, l’humain ne peut qu’essayer de faire face de manière
très pragmatique et pratique.
272 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Ce renversement ontologique, au cœur des travaux de Robert Chia, est


très lourd de conséquences pour le management. D’abord, si la perspective
est celle d’un monde en flux, de l’éphémère, du devenir et de la transfor-
mation incessante plutôt que celle de la stabilité et de l’universel, alors
l’individu ne peut être parfaitement réflexif, car son expérience au monde
est essentiellement directe et celle d’un perpétuel développement. Pris
dans le flux du monde, l’acteur est irrémédiablement partie du contexte et
l’un ne peut être détaché de l’autre. Cela signifie que l’acteur, bien qu’il
puisse en avoir l’illusion, n’a pas le luxe d’une position entièrement exté-
rieure aux circonstances dans lesquelles il est engagé ; il ne peut pas s’en
extraire totalement pour les analyser et agir sur elles. Il est plutôt à l’inté-
rieur de celles-ci et agit toujours « du dedans ». Ce faisant, l’acteur est
également et irrémédiablement pris dans les dimensions socio-historiques
de ce qu’il vit et influencé par elles dans ses dispositions, ses choix et ses
préférences. En d’autres termes, l’individu ne peut plus être conçu comme
une entité détachée qui agirait délibérément pour atteindre des objectifs
qui lui seraient totalement propres. Par ailleurs, dans la perspective d’un
monde en flux, les organisations ne sont pas des entités existantes et fixes ;
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ce sont des accomplissements continus. Les ébauches humaines de catégo-
risation, d’organisation, de mise en ordre, s’assimilent à des incisions dans
le flux du monde et à des tentatives de stabilisation (Chia, 2002). En ce
sens, le changement n’est pas une propriété de l’organisation et c’est plutôt
l’organisation qui doit être comprise comme une propriété émergente du
changement continu (Tsoukas et Chia, 2002 : 570). Les organisations
sont en devenir permanent parce qu’elles émergent en continu de l’action
qui se déploie en leur sein et de l’agence de leurs membres qui vaquent
tout simplement à leur occupations (Tsoukas et Chia, 2002 : 580). Dès
lors, l’organisation en tant que catégorie institutionnalisée structure l’ac-
tion humaine qui s’y déploie, mais en même temps, l’organisation est aussi
le produit de cette action continue et ainsi, une structure en partie indé-
terminée car perpétuellement émergente. En son sein, l’acteur quant à lui
ne peut être détaché du contexte, de l’action, ni du savoir qu’il contribue
continuellement à produire. Finalement, sans être systématiquement her-
métique à la contribution d’une ontologie plus classique, Chia maintient
que le renversement ontologique est porteur en ce qu’il ouvre des ques-
tionnements nouveaux et propose d’autres voies pour comprendre la per-
formance et les organisations (Chia, 2003 ; Tsoukas et Chia, 2002).
Robert Chia 273

2. POUR UNE APPROCHE REVISITÉE DU MANAGEMENT


L’œuvre de Robert Chia à ce jour est entièrement tendue vers ces nou-
veaux questionnements et la revisite d’interrogations classiques, à la
lumière combinée du renversement ontologique qu’il propose et de son
souci d’ancrage dans la pratique des managers. Chia aborde ainsi de très
nombreux thèmes, de la formation de la stratégie (Chia, 2013 ; Chia et
Holt, 2006 ; 2009 ; MacKay et Chia, 2013) au changement organisation-
nel (Tsoukas et Chia, 2002), en passant par exemple par la chance, l’indé-
termination (Chia, 2013 ; MacKay et Chia, 2013) ou la décision (Chia,
1994). Ce chapitre ne saurait rendre compte de toutes ces contributions
et le choix a donc été fait de structurer cette section autour des théma-
tiques du changement organisationnel puis de la formation de la stratégie,
pour finalement mettre en lumière la vision du management que porte
globalement R. Chia.
Parce qu’il promeut une vision différente de l’organisation, le renverse-
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ment ontologique décrit dans la section précédente ouvre tout d’abord
une perspective radicalement nouvelle sur le changement organisationnel
(Chia, 2013 ; Tsoukas et Chia, 2002). En effet, la question ayant jusqu’ici
été abordée principalement en termes de relations causales rationnelles,
d’actions visibles et de plans affichés, les dynamiques moins ostensibles
voire souterraines, pourtant à l’œuvre dans l’organisation au quotidien,
n’ont pas été intégrées. Il en résulte une compréhension partielle du chan-
gement organisationnel centrée sur la structure synoptique du phéno-
mène. Celle-ci est certes riche d’enseignements mais également impuis-
sante à rendre compte de l’accomplissement du changement, c’est-à-dire
de la manière dont, à chaque instant, les acteurs tissent et retissent leurs
croyances et habitudes en réponse aux circonstances locales du moment et
à l’expérience. La vision synoptique du changement ne réussit pas non
plus à rendre compte de l’influence des managers et des incisions qu’ils
opèrent dans le flux des actions organisationnelles. Or c’est ce que permet
justement de faire l’adoption d’une ontologie alternative, processuelle
forte, du monde comme un flux.
Ainsi que le soulignent Tsoukas et Chia (2002 : 579) les deux perspec-
tives sont en fait complémentaires. Si les managers peuvent tenter de
transformer les manières d’agir et de penser par la mise en œuvre descen-
dante de plans ou de projets, il n’en demeure pas moins que les individus,
eux, produisent quotidiennement du changement lorsqu’ils effectuent les
micro-adaptations nécessaires à la conduite de leur activité ordinaire dans
un monde en flux donc toujours nouveau. Une focalisation trop forte sur
274 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

la mise en œuvre des plans descendants offre ainsi un point de vue partiel
alors qu’une dynamique importante est déjà à l’œuvre. Il s’agit donc de
maintenir un équilibre entre les deux perspectives plutôt que d’adhérer
exclusivement à l’une ou à l’autre.
En cela, les managers ont un rôle capital : puisqu’ils sont engagés dans
l’organisation au même titre que tous les autres et donc eux aussi copro-
ducteurs des mirco-adaptations quotidiennes, ils sont au plus près du
changement ordinaire. Pour faire place à celui-ci c’est aux managers qu’il
revient donc de libérer leur vision de la perspective exclusive des plans
descendants, pour devenir sensibles à ce qui se produit tous les jours, sous
leurs yeux et avec eux, dans l’organisation (Tsoukas et Chia ; 2002). Ce
faisant, ils deviennent capables de soutenir l’émergence et la cristallisation
d’une structure d’action cohérente. Il leur revient également, en tant que
managers, de produire ce qu’il est convenu d’appeler le changement orga-
nisationnel ; non pas comme la mise en œuvre d’un plan, mais plutôt
comme la mise en forme d’une histoire, celle d’un mouvement souterrain
déjà à l’œuvre dans l’organisation. Cette histoire n’est, de fait, pas prescrip-
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tive, mais elle est importante : elle porte de nouveaux schémas interpréta-
tifs et institutionnalise de nouvelles manières de penser et d’agir dans
l’organisation. Sans elle, on ne peut parler de changement organisationnel.
En ces termes, l’expression consacrée de « résistance au changement »
réfère finalement aux éléments que les managers n’ont pas institutionna-
lisé dans les pratiques, qu’ils soient de l’ordre des plans ou des improvisa-
tions locales.
La deuxième déclinaison-clé du renversement ontologique proposé par
Chia en management est relative à la formation de la stratégie. La question
est, certes, relativement ancienne mais elle est redevenue d’actualité à la
faveur du déploiement d’approches pratiques et processuelles fortes redé-
finissant les contours de la notion d’intentionnalité, centrale à la stratégie.
Chia se saisit à plusieurs reprises de la question, dans des productions
essentiellement théoriques (Chia, 1994 ; Chia et Holt, 2006, 2009 ; l’ar-
ticle avec B. MacKay en 2013 est une des rares déclinaisons empiriques du
thème à ce jour). Il y cultive l’argument selon lequel l’intentionnalité en
stratégie est plus affaire d’orientation et de dispositions pratiques (idée
qu’il associe en anglais au qualificatif purposive) que de détermination et
de projet délibéré (purposefull), ce qui conduit de fait à considérer que la
chance et les conséquences inattendues jouent aussi un rôle dans la straté-
gie… Chia, toujours sensible à la portée de la communication indirecte,
use de la métaphore de la navigation : l’entreprise est un navire qu’il s’agit
de conduire sur les océans. Dans la vision classique, le capitaine (stratège)
détermine la position actuelle (diagnostic) et le point d’arrivée (l’objectif )
Robert Chia 275

sur une carte (le monde qui « est »), puis trace la route qui relie les deux
points (la stratégie) et barre le navire (mise en œuvre). Mais dans la vie
d’une organisation, note R. Chia, le stratège ne peut pas se retirer, s’ex-
traire du flux du monde à la manière de ce que permet la carte au capi-
taine. Le stratège est, comme les autres, dans l’organisation (sur le navire),
face à un futur indéterminé (une étendue d’eau vivante) et essentiellement
doté d’orientations générales ; tout comme l’étaient les premiers explora-
teurs maritimes. Il n’a pas plus que les autres le luxe d’une vision distanciée
et surplombante du monde dans lequel il est engagé. Malgré l’illusion de
détachement que lui procure tout l’outillage stratégique orthodoxe, le
stratège ne suit pas le navire depuis l’extérieur ; il le conduit depuis l’inté-
rieur. En d’autres termes, les outils et perspectives stratégiques classiques
qui, fonctionnant comme une carte, présupposent une forme d’extériorité
du stratège, relèvent du phantasme.
Est-ce pour autant à dire qu’il n’est point de cohérence dans les actions,
que l’idée même de stratégie ne tient plus, que les bateaux voguent seule-
ment au gré du courant et des vents, que l’on ne peut en tenir la barre ?
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Assurément non répond Chia. Et ce pour deux raisons principales. La
première est qu’il existe bel et bien une cohérence dans les actions, une
direction, une structure que l’on peut appeler stratégie, mais qui ne relève
pas de l’intention délibérée explicite au sens classique. Que les stratèges
soient dans le flux du monde signifie qu’ils sont entre autres pris dans les
dimensions socio-historico-organisationnelles des situations qu’ils vivent.
Ces dimensions influencent leurs orientations, leurs dispositions, leurs
appréciations, et leurs choix. En ce sens les acteurs ne font pas face
approximativement aux situations ; ils n’opèrent pas aléatoirement leurs
micro-adaptations quotidiennes. Au contraire, ils font face de manière
pragmatique et pratique, c’est-à-dire concrète et apparemment fluide mais
néanmoins orientée. Dans les termes de la sociologie pratique que mobi-
lise Chia, l’habitus bourdieusien (Bourdieu, 1980) est au cœur des actions,
des ajustements comme des desseins des acteurs et leur procure cohérence.
C’est en cela que la stratégie est une pratique. L’intentionnalité, la délibé-
ration froide et détachée, illusoires source de cohérence des actions en
stratégie, doivent donc être remplacées par l’idée d’orientation et de dis-
positions internalisées irrigant (et structurées par) les acteurs et leurs pra-
tiques. Il s’ensuit que la stratégie réside en chaque acteur et est immanente
à chaque adaptation quotidienne, chaque action (Chia et Holt, 2006 :
644). De là proviennent l’apparente cohérence, la créativité et la fluidité
des actions. Deuxièmement, dire que les acteurs sont pris dans le flux du
monde en devenir ne revient pas à considérer qu’ils se laisseraient porter,
impuissantes feuilles mortes dans le courant, sottement occupés de vaquer
276 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

à leur quotidien sans plus de soucis. Bien au contraire ils sont très actifs et
essayent en permanence de créer de nouvelles manières de vivre et de faire
face. Les acteurs habitent activement le monde, contournent les difficul-
tés, profitent de la chance, s’accommodent des surprises et des consé-
quences inattendues de leurs actions passées (MacKay et Chia, 2013).
C’est pourquoi Chia et Holt (2009) adoptent le terme (emprunté à
T. Ingold, 2000) de wayfinding que l’on peut peut-être traduire par l’idée
d’orientation. Dans la pensée de Chia, la stratégie est finalement conçue
comme la recherche active d’un chemin, comme une itinérance mobili-
sant les expériences passées, les dispositions et les préférences pour se
lancer activement dans l’inconnu, exister, aller de l’avant en faisant face
aux surprises.
Cette vision du changement organisationnel et de la stratégie porte
naturellement lourdes conséquences pour le management. L’approche
orthodoxe et l’ontologie classique en management s’incarnaient dans la
figure d’un manager héro maître du devenir organisationnel. L’approche
proposée par Robert Chia va de pair avec une figure plus modeste et ordi-
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naire du manager, mais dont l’action indirecte et peu spectaculaire est,
selon Chia, bien plus critique : un management oblique, teinté d’une
forme de passivité active, en partie indéterminé mais empreint de sagaci-
té ; en somme sensible au renouveau perpétuel de la réalité sociale. Chia
et Holt n’hésitent d’ailleurs pas à revendiquer une apparente fadeur mana-
gériale (2006) probablement pour forcer le contraste : le manager devrait
se garder de toute opinion trop rapidement déployée, position prise trop
tôt, ou interprétation hâtive, car il doit avant tout demeurer ouvert à
l’ambigu, à l’incertain et à l’inconnu. La clarification (dont l’incarnation
ultime est la carte du navigateur) étant un mirage, le manager doit cultiver
sa sensibilité à l’équivoque, à l’indéterminé et au périphérique (Chia et
Holt, 2009), bref sa sagacité. Le penchant usuel pour les décisions par trop
spectaculaires est stérile et mieux vaux lui préférer l’action managériale
indirecte et l’indétermination, car elles contribuent au flux dont émergent
les conséquences inattendues, notamment les bonnes fortunes (Chia,
2013). La patience est donc une qualité-clé du manager : laisser les choses
se dérouler jusqu’à ce qu’elles prennent forme et que les possibilités com-
mencent à précipiter, comme une balle que l’on laisse venir à soi et qui, à
la faveur d’un dernier rebond sur un terrain accidenté se présente presque
directement à la main. Et cette patience va de pair avec un mode d’inter-
vention plus oblique, moins direct et moins radical : un flux de micro-
incisions et d’ajustements progressifs (Chia, 1994), plutôt que de grandes
décisions définitives. En somme le management serait à l’organisation ce
qu’est le jardinage à la culture. Le jardinier ne tire pas sur la tige des
Robert Chia 277

plantes pour qu’elles sortent plus vite de terre mais, attentif à la vie qu’il
choie, arrose régulièrement, favorise l’exposition à la lumière et multiplie
les soins pour un bon développement du végétal. De même, un manager
agit indirectement et avec patience pour favoriser le développement de
l’organisation, qu’il peut orienter mais ne peut décréter, ni forcer.

3. POUR UNE APPROCHE REVISITÉE DE L’ÉDUCATION


MANAGÉRIALE
Le portrait dressé ici du manager idéal est pour le moins éloigné de
celui habituellement croisé dans la littérature ; point de héro, ni de spec-
taculaires projets, décisions ou actions ; place aux incisions modestes, à
l’action indirecte, à la patience… Dès lors, se pose la question de com-
ment éduquer de tels managers et Chia y consacre donc une partie de ses
travaux. Il développe ses propositions dès les années quatre-vingt-dix alors
que des critiques du modèle traditionnel de formation au management
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dans les business schools commencent à s’élever. Ces critiques ne partagent
pas nécessairement les mêmes origines que les propositions de Chia, mais
elles les rencontrent (notamment celles de Mintzberg auxquelles Chia est
particulièrement sensible ; cf. Chia, 2005) dans un plaidoyer pour une
refonte de l’enseignement du management.
La proposition de Chia est fondée sur l’idée que le rôle des acadé-
miques dans la formation au management (en général et de manière
encore plus aigüe pour les programmes exécutifs) est d’aider les managers
(actuels et futurs) à faire face au monde dans lequel ils sont pris, à répondre
aux questions pratiques qui se posent à eux. Or ces questions, c’est la
nature même du monde, ne sont pas structurées ; elles ne se posent que
rarement aux managers sous un jour clair, n’ont pas un périmètre défini.
Car, ainsi que détaillé plus haut, le manager n’a pas plus que les autres le
loisir d’une position surplombante ou distanciée du monde dans lequel il
est pris. Il éprouve celui-ci de manière irrémédiablement locale, contex-
tuelle, sociale ; il est dans les situations qu’il vit. Pour agir, le manager doit
donc réussir à structurer une compréhension desdites situations depuis
l’intérieur. C’est ce véritable défi quotidien que la formation devrait l’aider
à affronter selon R. Chia (1996). Or, fondé sur une ontologie de l’être,
l’enseignement du management est pour l’essentiel centré sur la transmis-
sion de modèles et outils analytiques relativement fermés et prêts à l’usage
pour répondre à des problèmes précis (Chia, 1996). Les études de cas
relèvent souvent de cette logique par exemple (Chia, 2005). Ainsi, l’ensei-
gnement actuel du management répond mal aux besoins des managers car
278 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

ces besoins sont amont à ce dont il est question en cours : avant de pouvoir
prétendre à sélectionner des outils, il s’agit d’abord de réussir à développer
une compréhension des situations, même vague. Par ailleurs et plus fon-
damentalement, la focalisation sur les outils tend à favoriser un modèle de
pensée fermé et inerte qui assèche littéralement l’imagination des mana-
gers en les cantonnant à l’application technique de dispositifs formels
(Chia, 1996). À l’opposé, une formation au management sensible aux
problèmes quotidiens des managers devrait être largement tendue vers
l’éveil de la sensibilité aux relations et interrelations, devrait cultiver la
sagacité, la réceptivité, spécialement à l’égard de contradictions et des dif-
ficultés des situations dont il s’agit pour les manager de faire sens avant
tout.
En somme, il s’agit une fois de plus de renverser la logique : abandon-
ner les approches usuelles, selon R. Chia trop directes et trop structurées/
fermées, au profit d’un apprentissage indirect et d’une stratégie de relâche-
ment des cadres de la pensée ; oublier ce que l’on pense savoir afin de
s’exposer plus directement au chaos du monde et à son ambiguïté fonda-
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mentale (Chia, 1994). Car c’est ainsi exposé que l’on peut ressentir que ce
que l’on tient usuellement pour vrai est fondamentalement une construc-
tion humaine, une invention, une proposition de sens ; et il devient alors
possible d’entrevoir la possibilité d’autres ontologies et donc d’autres
manière de penser. L’enjeu de l’éducation au management est en d’autres
termes de mettre à jour les fondements ontologiques de la pensée mana-
gériale classique pour enrichir celle-ci d’autres relations au monde afin de
libérer l’imagination, ouvrir les situations à l’interprétation et la réinter-
prétation, redéfinir les « problèmes », bref faire sens du monde autrement.
Et c’est en cultivant cette agilité mentale des managers que les programmes
de management peuvent finalement contribuer à soutenir la pratique.
R. Chia va même plus loin en proposant qu’il s’agit là de la contribution
première et essentielle de l’académie au management, contribution que ne
peut par ailleurs faire, selon Chia (1994), aucun autre acteur. La respon-
sabilité particulière des universitaires est de convier leurs étudiants à
l’aventure ontologique et de les y accompagner de multiples manières.
Naturellement, les méthodes d’enseignement idoines sont significative-
ment différentes de celles usuellement employées. Elles sont notamment
tournées vers la mise en lumière des cadres de pensée sous-jacents et des
relations ; la transmission de contenu n’est plus prioritaire. Il s’agit aussi
d’accompagner les étudiants dans leur prise de conscience d’une forme
d’ignorance (Chia, 1994) en promouvant l’expérience de l’ambigüité que
permettent les arts et la littérature. Selon R. Chia, aux académiques égale-
ment de monter l’exemple en explorant eux-mêmes le monde des idées
Robert Chia 279

avec plus d’audace qu’ils ne le font encore. Revenir aux idées, à leur
beauté et à leur pouvoir… Pour cela, les académiques doivent s’affranchir
des contraintes et des inhibitions que font peser sur eux le jeu acadé-
mique ; Chia en convient volontiers mais sans pour autant s’étendre sur le
(vaste) sujet.

Conclusion
La contribution de Robert Chia s’inscrit dans le courant des approches
processuelles et pratiques du management. Se fondant sur une ontologie
du monde en flux nourrie par la pensée orientale, la philosophie proces-
suelle, la sociologie de la pratique et une longue expérience du manage-
ment en entreprise, R. Chia offre une vision radicalement nouvelle qui
met l’accent sur l’obliquité et la fluidité des incisions managériales effi-
caces dans le flux de la vie organisationnelle. Il ne cesse de mettre en garde
contre le penchant occidental pour le spectaculaire, l’héroïque, la recherche
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d’effets directs et immédiats et maintient qu’au contraire, c’est en relâ-
chant nos cadres de pensée sur et dans les organisations que nous pouvons
favoriser l’efficacité de l’action managériale. Car le manager n’a pas plus
que les autres le luxe de s’extraire du flux de la vie organisationnelle. Ainsi,
la recherche d’efficacité n’est pas abandonnée mais déplacée, dans le sens
où le type de réponses apporté à cette quête est radicalement différent de
celui envisagé habituellement. Il s’agit de renoncer au phantasme de l’effi-
cacité de l’action directe, d’abandonner l’idéal du manager héro pour
plutôt cultiver la perspicacité et la sensibilité aux adaptations locales ordi-
naires. Car seule cette sagacité permet aux managers de faire sens des
situations dans lesquelles ils sont pris et donc d’agir. Il s’agit aussi de
reconnaître que la cohérence des micro-incisions managériales dans le flux
organisationnel est forte car ancrée dans des dispositions, des apprécia-
tions et des préférences nourries par la nature socio-historique de l’organi-
sation. Les micro-incisions managériales sont en ce sens pratiques et
grandes mais silencieuse leur efficacité.

Travaux cités de l’auteur


Chia, R. (1994), « The Concept of Decision : a Deconstructive Analysis »,
Journal of Management Studies, vol. 31, n° 6, p. 781-806.
Chia, R. (1996), « Teaching Paradigm Shifiting in Management Education
University Business Schools and the Entrepreneurial Imagination », Journal of
Management Studies, vol. 33, n° 4, p. 409-428.
280 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Chia, R. (2002), « Essai : Time, Duration and Simultaneity : Rethinking Process


and Change in Organizational Analysis », Organization Studies, vol. 23, n° 6,
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Chia, R. (2003), « From Knowledge-creation to the Perfecting of Action : Tao,
Basho and pure Experience as the Ultimate Ground of Knowing », Human
Relations, vol. 56, n° 8, p. 963-981.
Chia, R. (2005), « The Aim of Management Education : Reflections on
Mintzberg’s Managers not MBAs », Organization Studies, vol. 26, n° 7,
p. 1090-1092.
Chia, R. (2013), « In Praise of Strategic Indirection : an Essay on the Efficacy of
Oblique Ways of Responding », M@n@gement, vol. 16, n° 5, p. 667-679.
Chia, R., Holt, R. (2006), « Strategy as Practical Coping : A Heideggerian
Perspective », Organization Studies, vol. 27, n° 5, p. 635-655.
Chia, R., Holt, R. (2009), Strategy without Design. The Silent Efficacy of Indirect
Action, Cambridge University Press, Cambridge, UK.
MacKay, B., Chia, R. (2013), « Choice, Chance, and Unintended Consequences
in Strategic Change : A Process Understanding of the Rise and Fall of
Northco Automotive », Academy of Management Journal, vol. 56, n° 1,
p. 208-230.
Tsoukas, H., Chia, R. (2002), « On Organizational Becoming : Rethinking
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Organizational Change », Organization Science, vol. 13, n° 5, p. 567-582.

Autres références bibliographiques


Bourdieu, P. (1980), Le Sens Pratique, collection « Le sens commun », Éditions
de Minuit : Paris.
Ingold T. (2000), The Perception of the Environment : Essays on Livelihood,
Dwelling and Skill. Routledge : London and New York.
Whitehead AN. (1929), Process and Reality : An Essay in Cosmology. Cambridge
University Press : Cambridge, UK.
XVIII. RICHARD R. NELSON ET SIDNEY G. WINTER – LA THÉORIE
ÉVOLUTIONNISTE DE LA FIRME : ROUTINES, SÉLECTION ET
RECHERCHE D’INNOVATION

Jérôme Ibert
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 281 à 295


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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XVIII
Richard R. Nelson
et Sidney G. Winter
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La théorie évolutionniste
de la firme :
routines, sélection
et recherche d’innovation
Jérôme Ibert
282 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Nelson et Winter comptent parmi les principaux fondateurs du cou-


rant évolutionniste de la firme. Dans leur ouvrage, Une théorie évolution-
niste du changement économique (1982), ils ont jeté les bases de l’économie
du changement technique, qui a pris le nom d’École évolutionniste. Pour
les économistes tenant de cette École évolutionniste, le modèle standard
néoclassique de la théorie de l’équilibre économique général, dit « modèle
orthodoxe », n’apportait pas une compréhension satisfaisante des méca-
nismes du changement technique dans la vie économique.
La théorie évolutionniste assimile l’entreprise à un organisme qui, pour
s’adapter aux exigences de son environnement, développe un apprentis-
sage sous la forme d’un ensemble de routines organisationnelles.
L’évolutionnisme, c’est-à-dire le changement dans l’économie d’une
industrie, découle d’un double processus de sélection naturelle par l’envi-
ronnement et de comportement de « recherche » (search) par les firmes de
nouvelles solutions innovantes pour la gestion de leurs activités.
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Notices biographiques
Richard Nelson est professeur à l’Université Columbia de New York, où il enseigne les
affaires publiques et internationales, le commerce et le droit. Il a obtenu son Ph. D en
1956 à l’Université de Yale. Il a ensuite mené une carrière de chercheur en économie à
la Rand Corporation, jusqu’en 1968, avec un bref intermède pendant lequel il a été
professeur associé à l’Institut de Technologie de Carnégie et membre senior du Council
of Economic Advisors. Il est devenu ensuite professeur à l’Université de Yale puis à
l’Université de Columbia. Ces recherches concernent le changement économique sur
le long terme, l’avance technologique et l’évolution des institutions économiques.
Sidney Winter est professeur de management des organisations et de stratégie à la
Wharton School de l’Université de Pennsylvanie. Il a obtenu son Ph.D. en 1964 à
l’Université de Yale, tout en menant une carrière de chercheur en économie à la Rand
Corporation et de membre du Council of Economic Advisors. Il a ensuite enseigné à
l’Université du Michigan, puis à l’Université de Yale et enfin à la Wharton School. Ces
recherches portent sur les capacités des firmes, le changement technologique et
l’avantage concurrentiel.
Richard R. Nelson et Sidney G. Winter 283

1. LA CONSTRUCTION D’UNE THÉORIE HÉTÉRODOXE

1.1. La convergence vers une remise en cause


du modèle économique orthodoxe
À l’origine, Nelson et Winter menaient des recherches aux objets dis-
tincts.
Nelson s’attachait à analyser le développement économique sur le long
terme puis le rôle du changement technologique comme vecteur essentiel
de ce développement. Il avait ainsi acquis la conviction que le processus
de changement technologique était empreint d’incertitude et de tâtonne-
ments, qu’il était non linéaire et affecté d’erreurs cachées. Pour Nelson, la
réalité empirique du changement technologique n’était pas appréhendée
dans le modèle orthodoxe de la théorie de l’équilibre économique général.
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Winter avait consacré ses travaux au réalisme des théories en économie
et à leur aptitude à rendre compte du comportement de la firme. Il s’était,
à cet égard, intéressé à la contribution des autres disciplines dans cette
compréhension notamment en matière de recherche et développement.
Ses travaux étaient orientés vers la production d’un modèle théorique plus
réaliste, rendant mieux compte d’un comportement évolutionniste de la
firme issu de ses habitudes générales et de ses orientations stratégiques
passées.
Ayant travaillé tous deux comme chercheurs à la Rand Corporation et
comme économistes au Council of Economic Advisors, Nelson et Winter
ont réalisé que leurs recherches respectives convergeaient vers une remise
en cause de la théorie de l’équilibre économique général reposant sur la
maximisation du profit sous contrainte d’un ensemble d’alternatives défi-
nies de façon exogène et parfaite. Ils se sont alors investis ensemble pen-
dant plus d’une dizaine d’années à la rédaction d’un ouvrage (1982) ins-
crit explicitement dans l’hétérodoxie vis-à-vis du modèle économique
orthodoxe.

1.2. L’analyse des processus d’évolution


technico-économique
Nelson et Winter ont été particulièrement inspirés par l’œuvre de
Schumpeter quant à l’objet que doit se donner l’analyse microécono-
284 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

mique. Qualifiant eux-mêmes le courant évolutionniste de « néo-schum-


pétérien », ils ont partagé avec Schumpeter « une insatisfaction quant au
traitement du progrès technique dans l’approche orthodoxe, une volonté
de rapprocher la technologie de la sphère économique et de la stratégie des
firmes, le souhait de privilégier (…) l’analyse des processus d’évolution
(des technologies, mais également des firmes, ou des industries) plutôt que
la recherche de l’équilibre » (Louazel, 1999 : 39).

1.3. Le rejet de l’hypothèse de maximisation


Après la critique radicale du modèle microéconomique standard de
Simon (1955, 1959)1 Nelson et Winter avaient à reconstruire une théorie
économique de la firme totalement hétérodoxe, débarrassée d’un corpus
jugé « encombrant » pour les progrès de la discipline (1982 : 5).
L’hypothèse retenue est que les individus ne fonctionnent qu’en « rationa-
lité limitée ». Leur capacité limitée de traitement de l’information induit
un processus, non de maximisation (hypothèse centrale du modèle néo-
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classique) mais de satisfaction. En conséquence, ils limitent leurs compor-
tements de recherche de solutions à des routines et des programmes sim-
plificateurs, selon une « rationalité procédurale ». « Des règles et des pro-
cédures de décisions relativement simples sont utilisées pour guider l’ac-
tion ; en raison du problème de rationalité limitée, ces règles et procédures
ne peuvent être trop compliquées et ne peuvent être caractérisées comme
“optimales” dans le sens qu’elles reflètent les résultats d’un calcul global
prenant en compte les coûts d’information et de décision » (ibid. : 35).

1.4. L’hypothèse d’ultra individualisme au sein


de la firme
Nelson et Winter se sont également référés à Cyert et March (1963) et
donc plus largement à l’approche comportementale de l’école de Carnégie,
en soulignant que « une firme n’est pas en mesure de posséder un objectif
global bien articulé, en partie, parce que les individus ne pensent pas à
travers toutes leurs alternatives d’utilité et, en partie, parce que les firmes
sont des coalitions de décideurs avec des intérêts différents qui ne peuvent
être pleinement conciliés dans une fonction de bien-être social interne à la
firme » (1982 : 35). Distincte par l’unité d’analyse qu’elle adopte pour
construire une théorie explicite du comportement de l’industrie plutôt
1. Voir la présentation des travaux de Herbert Simon par Isabelle Derumez dans le présent ouvrage.
Richard R. Nelson et Sidney G. Winter 285

que du comportement de la firme, la théorie évolutionniste promulgue


une hypothèse d’ultra individualisme au sein de la firme par opposition à
l’individualisme ambigu de la théorie orthodoxe. En effet, les néoclas-
siques partent de l’individu souverain, abstraction commode du consom-
mateur isolé, pour considérer la firme comme un agent unique, évitant
ainsi une réalité plus complexe « avec très peu ou aucune justification »
(Winter, 1991, ibid. : 181). La théorie évolutionniste envisage la firme
comme composée d’individus distincts, dotés de caractéristiques cogni-
tives qui leur sont propres. Mais le raisonnement de Cyert et March
(1963) est ici prolongé à un degré plus détaillé, ultra-individualiste, et
donc à l’ensemble des acteurs de la firme. « Même si un intérêt partagé et
un marchandage efficace parmi les dirigeants suffisent pour produire un
accord sur les objectifs de haut niveau », dans une situation stationnaire
de quasi-résolution de conflit conditionnée par la stabilité du contexte,
« des intérêts divergents à propos de la mise en œuvre peuvent encore être
un facteur majeur dans le comportement concret de la firme » (1982 : 56).
Pour eux, le « rôle façonneur du conflit intraorganisationnel » devait être
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donc élargi à l’ensemble des niveaux hiérarchiques de la firme. Ce qu’am-
bitionne la théorie évolutionniste, c’est de résoudre le problème de la
cohérence de l’action des différents individus qui composent la firme, afin
« que la firme quoique ramenée une collection d’individus » constitue
aussi une « entité qui s’affirme comme telle dans ses comportements »,
tout en écartant « l’hypothèse du directeur omniscient (le manager capable
d’assurer la super-coordination entre décisions a priori non cohérentes) »
(Coriat et Weinstein, 1995 : 115). Pourtant leur modélisation s’écarte de
l’approche comportementale en se limitant à quelques hypothèses simples
pour résumer les forces consistantes et motrices qui tendent à modeler le
comportement de la firme dans son ensemble. Opter pour un traitement
plus élaboré et plus réaliste posait, selon eux, un problème d’opérationna-
lisation pour la recherche empirique (Nelson et Winter, 1982 : 56).

2. LES FONDEMENTS DE LA THÉORIE ÉVOLUTIONNISTE


DE LA FIRME
Précurseur, Alchian (1950) a relevé les difficultés d’application de la
théorie microéconomique standard en situation d’information incomplète
et d’incertitude. L’abandon de l’hypothèse d’information certaine induit
l’abandon du comportement maximisateur de l’entrepreneur parfait cal-
culateur. Parmi tous les objectifs qui motivent l’activité économique, c’est
« la condition de suffisance des profits positifs réalisés » qui est la condi-
286 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

tion « sine qua non de la survie et du succès ». Ce sont donc les « modes
de comportement » qui « remplacent les conditions d’équilibre optimum
comme règles de conduite des actions ». C’est par l’examen a posteriori du
rôle de l’incertitude, selon les échecs et les réussites des actions entreprises,
qu’il faut envisager des mécanismes d’évolution par lesquels des popula-
tions de firmes apporteraient des réponses aux modifications des condi-
tions de marché (Alchian, 1950 : 217). Le courant évolutionniste est donc
né pour palier l’insuffisance du modèle néoclassique à produire une théo-
rie réaliste de la décision économique en univers d’information incom-
plète et d’incertitude. Mais le recours aux analogies biologiques en écono-
mie a soulevé une interrogation sur le pendant de l’héritage génétique en
économie (Penrose, 1952). Alchian (1950) avait mis en avant les prémisses
de l’équivalent économique de cet héritage génétique, avec la « reproduc-
tion » par l’imitation des règles de comportement. Winter (1971) suggéra
d’emprunter le mécanisme génétique requis aux travaux de l’approche
comportementale de la firme : le rôle observé des règles simples de déci-
sions fournissait les déterminants du comportement et le principe de
satisfaction dictait un processus de recherche de nouvelles règles.
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2.1. De la métaphore biologique aux processus
cognitifs
C’est sur la métaphore biologique, mobilisant les processus de sélection
naturelle et de cognition adaptative des agents individuels qui composent
la firme, que Nelson et Winter (1982) ont bâti leur théorie économique
de la dynamique du changement technique dans l’industrie, conciliant les
hypothèses hétérodoxes de recherche de « satisfaction » et « d’ultra indivi-
dualisme » comme ressorts du comportement économique. La métaphore
biologique accorde une place centrale aux processus de cognition dans le
comportement des agents qui constituent la firme. « Fondamentalement
et dans les termes les plus abstraits, un processus évolutionniste est un
processus de stockage d’information avec conservation sélective » (Winter,
1987 : 614). Il repose sur trois éléments déterminant le comportement des
agents économiques : les routines organisationnelles, la « recherche »
(search) d’innovations et la sélection de l’environnement.

2.2. Les routines, gènes de l’organisation


« À tout moment, les routines d’une firme définissent une liste de fonc-
tions qui détermine (peut être de façon stochastique) ce que la firme fait
Richard R. Nelson et Sidney G. Winter 287

en fonction de variables externes multiples (principalement les conditions


de marché) et de variables internes d’état » (Nelson et Winter, 1982 : 16).
La théorie évolutionniste attribue aux routines des firmes, le rôle joué par
les gènes dans l’évolutionnisme en biologie. « Traits persistant de l’orga-
nisme », les routines constituent un héritage dans l’évolution des firmes
qui conservent des caractéristiques de leur passé. Comme les gènes, les
routines « sont sujettes à la sélection dans le sens où les organismes avec
certaines routines peuvent faire mieux que d’autres » (ibid. : 14). Elles sont
donc soumises à un processus écologique. Leur importance relative dans
une population de firmes, c’est-à-dire une industrie, peut s’accroître ou se
réduire au fil du temps.
Mais la notion de routine est envisagée de manière « hautement
flexible ». Elle « peut être utilement élargie pour rattacher nombre d’acti-
vités qui d’ordinaire ne seraient pas décrites par ce terme » (ibid. : 97).
Non seulement, « les routines sont les savoir-faire d’une organisation »
(ibid. : 124) mais la notion de routine fait référence plus largement à « un
modèle d’activité répétitive pour une organisation entière, à une compé-
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tence individuelle, ou, comme un adjectif, à une efficacité exempte d’à-
coup » (ibid. : 97).
Dans l’hypothèse hétérodoxe d’ultra individualisme, comme ressort du
comportement économique, la conjonction des comportements indivi-
duels produit le comportement de l’organisation. La caractérisation des
routines organisationnelles passe par celle des savoir-faire individuels.
« Les savoir-faire individuels sont l’analogue des routines de l’organisa-
tion2, c’est en examinant le rôle des savoir-faire dans le fonctionnement
individuel, que l’on peut comprendre le rôle joué par la routinisation dans
le fonctionnement des organisations » (1982 : 73).
Les savoir-faire sont envisagés comme des programmes dont l’exécu-
tion efficiente repose sur la répétition, l’acquisition d’automatismes et les
effets d’apprentissage par la familiarité. Le savoir-faire se construit au tra-
vers d’un processus d’exécution routinière. L’efficience, c’est-à-dire le
meilleur résultat pour une allocation donnée, s’acquiert par l’exécution
sans à-coups du savoir-faire programme dans sa totalité. Comme le pro-
gramme, le savoir-faire constitue une unité d’ensemble de sous-éléments
qui le composent mais le fait d’accorder de l’attention aux détails induit
des effets disruptifs qui réduisent l’efficience de son exécution.
L’automaticité et la fluidité requises font que l’exécution du savoir-faire
programme est en grande partie non consciente. Il en découle que le
2. « Dans notre vue, la clarté devrait être faite en réservant le terme “savoir-faire” au niveau individuel
et “routines” au niveau de l’organisation. (…) “Les routines sont les savoir-faire d’une organisation” est
une vérité métaphorique pas une vérité littérale. » (Dosi, Nelson et Winter, 2001 : 5).
288 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

savoir-faire fait largement appel au registre de la connaissance tacite. Pour


caractériser le processus cognitif qui préside à l’acquisition, à la pratique et
à l’évolution d’un savoir-faire, Nelson et Winter mobilisent la distinction
de Polanyi (1967) entre une connaissance explicite, qui est codifiable et
transmissible dans un langage formel et systématique, et une connaissance
tacite, qui est personnelle, difficilement communicable, et qui ne s’ex-
prime pas aisément dans la formalité du langage. Même si le savoir-faire
est décomposable en sous-savoir formalisables, l’explicitation de leur arti-
culation dans un savoir-faire principal se heurte à la difficulté de la forma-
lisation de la complexité et aux limites cognitives des sujets. Ceux-ci
savent plus qu’ils ne peuvent dire (Polanyi, 1967 : 4). L’intégration effi-
ciente des sous-savoir-faire exige donc un apprentissage par la pratique qui
détermine, peu à peu et en partie de façon tacite, un répertoire individuel
de réponses à des situations plus ou moins variables. Du fait de sa nature
partiellement tacite, le savoir-faire procède de l’observation d’un ensemble
de règles qui ne sont pas toutes connues comme telles par les personnes
qui les suivent. « Lorsque l’exercice d’un savoir-faire implique la sélection
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d’options de comportement, le processus de sélection est hautement auto-
matique » (Nelson et Winter, 1982 : 82). « Les actes habiles de sélection
entre les options disponibles sont constitutifs du savoir-faire principal lui-
même. Ce sont des choix enchâssés dans une capacité3 » (ibid. : 85). Plutôt
que de délibérer entre de nombreuses options selon un comportement de
maximisation, c’est en appliquant des automatismes dans la sélection des
options possibles que les agents parviennent à exécuter, sans à-coups et de
façon efficiente, les savoir-faire. « Les avantages du savoir-faire sont
atteints en supprimant le choix délibéré, en confinant le comportement
dans des voies bien définies, et en réduisant la sélection d’option juste à
une autre part du programme » (ibid. : 85).
Comme pour les savoir-faire individuels, les routines organisationnelles
comportent des sous-routines. Le rôle de la routine est d’articuler ces sous-
routines exécutées par les membres de l’organisation. Ce sont les routines
qui assurent la cohérence des comportements que la théorie évolutionniste
situe au niveau individuel des agents qui composent la firme. De fait, les
routines reflètent les processus cognitifs qui interviennent dans la
construction du répertoire des savoir-faire et des connaissances de l’orga-
nisation. Les routines comprennent donc à la fois les techniques mises en
œuvre et les règles de décision, ce sont les caractéristiques opératoires des
firmes.
3. Pour postuler que les choix d’options font partie intégrante d’un savoir-faire à analyser dans son
ensemble, Nelson et Winter ont fait référence notamment aux travaux de March et Simon (1958).
Richard R. Nelson et Sidney G. Winter 289

« La routinisation de l’activité d’une organisation constitue la forme la


plus importante de stockage de la connaissance opérationnelle spécifique
de l’organisation » (ibid. : 99). Les routines constituent et construisent la
mémoire de l’organisation, envisagée comme la collection des répertoires
individuels et leur coordination collective par l’expérience passée.
Cependant, les limites cognitives dans l’articulation de la connaissance
organisationnelle sont encore plus sévères que celles qui interviennent
dans l’articulation de la connaissance au niveau individuel. La métaphore
des routines comme savoir-faire de l’organisation met en exergue le rôle de
la rationalité limitée dans le comportement des organisations. « L’échelle
et la complexité des grandes organisations rendent impossible le degré de
centralisation du contrôle tel qu’il existe dans le cerveau humain » (ibid. :
125). Dès lors, une part importante du répertoire des routines d’une orga-
nisation, relève de la connaissance tacite. Les routines peuvent être accom-
plies sans « attention consciente », c’est-à-dire sans requérir l’attention des
dirigeants. Nelson et Winter ont établi un parallèle entre la décentralisa-
tion du fonctionnement organisationnel et l’aptitude des savoir-faire indi-
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viduels à être mis en œuvre sans accorder d’attentions aux détails. Le fait
que les routines puissent comporter des interactions avec l’environnement
et engager des acteurs de la firme dans des choix, n’implique pas forcément
de processus de délibération par les dirigeants. « L’intervention des diri-
geants dans le fonctionnement détaillé des niveaux inférieurs est d’ordi-
naire symptomatique de tentatives pour modifier les routines ou de diffi-
cultés avec les routines existantes » (ibid. : 124). L’hypothèse d’un compor-
tement organisationnel dicté par des choix délibérés apparaît donc invrai-
semblable. Le concept de routine vient palier la distinction, artificielle
qu’opère la théorie orthodoxe entre l’ensemble des alternatives qui s’offrent
aux décideurs de la firme et « l’action de choisir ».
Nelson et Winter ont envisagé le terme « routine » en y incluant « les
dispositions relativement constantes et les heuristiques stratégiques qui
modèlent l’approche d’une firme vis-à-vis des problèmes non routiniers
auxquels elle fait face » (ibid. : 15). Il ne faut donc pas voir le terme « rou-
tine » comme une simple répétition des comportements. « La routine de
l’organisation (…) est un ordre qui ne peut persister que s’il est imposé sur
un ensemble continuellement changeant de ressources spécifiques. Une
part de l’activité consistant à imposer l’ordre de la routine aux nouvelles
ressources, est elle-même traitée comme une routine ; une autre part relève
de l’effort de recherche de solutions ad hoc » (ibid. : 113). C’est par la
flexibilité que la firme peut maintenir sa capacité à faire varier son activité
en réponse aux variations de l’environnement. « L’utilisation du terme
commun “routine” indique (…) que la distinction entre des dispositions
290 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

constantes et des heuristiques face à la nouveauté est subtile et continue,


ni claire, ni nette » (ibid. : 15). Il y a un continuum de situations entre la
routine pleine et l’innovation, selon le degré de changement à l’œuvre. De
fait, les auteurs ont identifié trois classes de routines selon le degré d’élé-
ments stochastiques dans la représentation de la prise de décision : les
routines qui relèvent d’une période particulière, les routines qui déter-
minent la modification d’une période à l’autre tout en restant dans une
logique de continuité et enfin les routines qui interviennent dans la réso-
lution de problèmes n’ayant pas eu de réels précédents et nécessitant des
procédures improvisées.

2.3. Un principe de mutation : la « recherche »


« D’un moment à l’autre, des membres d’une firme peuvent engager
un examen de ce que la firme fait et pourquoi elle le fait, avec l’idée d’une
révision ou d’un changement radical » (Nelson et Winter, 1982 : 17). Ce
processus de « recherche » (search) constitue « la contrepartie de la muta-
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tion biologique dans la théorie évolutionniste biologique ». Cette
« recherche » est en partie déterminée par les routines d’une firme tout
comme dans la théorie biologique, la mutation est en partie déterminée
par la composition génétique de l’organisme.
« Le terme “recherche” renvoie à toutes les activités organisationnelles
qui sont associées à l’évaluation des routines en cours et qui peut conduire
à leur modification, à un changement drastique, ou à leur remplacement.
(…) Ces activités sont elles-mêmes partiellement routinisées et prédic-
tibles, mais elles ont aussi une nature stochastique » (ibid. : 400). Ainsi le
comportement de « recherche », qui conduit la firme à l’innovation, par-
ticipe lui-même, pour partie, de la routine organisationnelle. Non seule-
ment, l’innovation peut consister en une nouvelle combinaison de rou-
tines existantes mais la politique de « recherche » d’une firme est aussi
déterminée par certains critères relativement stables pour évaluer les
changements proposés dans les routines. « Même l’effort sophistiqué de
résolution de problème d’une organisation tombe dans des modèles de
quasi-routine, dont les grandes lignes peuvent être anticipées à partir de
l’expérience avec les anciens efforts de résolution de problème de cette
organisation » (ibid. : 136).
Enfin, la « recherche » est elle-même une routine. Elle s’inscrit dans le
principe de « satisfaction » car c’est un processus itératif par lequel la firme
teste les attributs économiques des innovations qu’elle peut apporter dans
ces produits ou dans son processus de production jusqu’à ce que ces attri-
Richard R. Nelson et Sidney G. Winter 291

buts lui paraissent satisfaisants. Le choix des alternatives entre différentes


technologies relève lui-même du principe de « satisfaction ». Lorsque les
gains attendus de la focalisation sur une technologie deviennent insatisfai-
sants, la firme va orienter ses efforts sur une technologie alternative
jusque-là délaissée. Implicitement, la « recherche » tout comme la routine
repose sur une articulation non formelle de savoir-faire à la fois dans la
simultanéité et dans le temps. Cette « recherche » est néanmoins distincte
des routines classiques, dites « réponses routinisées », car c’est un processus
de changement irréversible, modifiant le répertoire de la firme, et incer-
tain, car ce qui est découvert n’est pas forcément attendu.

2.4. La sélection par l’environnement


La théorie évolutionniste postule l’action de l’environnement sur les
routines et sur la « recherche » par un mécanisme de sélection. Les firmes
les plus profitables grandissent tandis que les non profitables se contractent.
Ce sont donc les caractéristiques opératoires des firmes les plus profitables
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qui deviennent les traits dominants de la population des firmes d’une
industrie. « Le mécanisme de sélection est ici clairement analogue à la
sélection naturelle des génotypes avec des taux différentiels de reproduc-
tion. (…) La sensibilité du taux de croissance de la firme à la prospérité
ou à l’adversité est elle-même un reflet de ses “gènes” » (Nelson et Winter,
1982 : 17).
La sélection de l’environnement est déterminée à la fois par des condi-
tions externes et internes. Les contraintes de marché, évolutions du prix
des facteurs de production et de la demande, interviennent sur le profit
des firmes et donc sur le caractère efficient ou non de leurs routines ainsi
que sur l’incitation à l’innovation. Les bénéfices et les coûts d’une innova-
tion, eux-mêmes soumis à ces contraintes de marché, déterminent son
adoption ou son abandon. Les possibilités d’imitation d’une innovation
par les concurrents interviennent sur sa diffusion et sur sa profitabilité.

3. LA PORTÉE, LES LIMITES ET LES PERSPECTIVES


DE L’ÉVOLUTIONNISME
Les travaux de Nelson et Winter ont apporté une contribution essen-
tielle à l’analyse économique mais aussi managériale du changement tech-
nique. Il n’est donc pas surprenant qu’ils aient donné lieu à de fructueux
prolongements. Si la conceptualisation de l’évolution de la firme au travers
292 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

des notions liées de routines et d’apprentissage ne restitue pas toutes les


dimensions qui la caractérisent, cette démarche, par l’objet soumis à la
théorisation, a le mérite d’ouvrir sur différents niveaux d’analyse.

3.1. Un courant théorique fécond


Par leur ouvrage, Nelson et Winter (1982) ont apporté une alternative
à la théorie néoclassique et ont construit les fondations du courant évolu-
tionniste de la firme. De nombreux auteurs y ont apporté leur contribu-
tion, affinant ainsi les postulats et les perspectives de l’évolutionnisme.
La contribution de Dosi, Teece et Winter (1990) mérite une mention
particulière. Ils ont en effet apporté des précisions sur le concept d’appren-
tissage, qui conjugue la répétition et l’expérimentation, au niveau de
l’organisation. Phénomène social et collectif, l’apprentissage organisation-
nel réside dans l’imitation et l’émulation des individus mais aussi dans les
contributions conjointes à la compréhension de problèmes complexes. Les
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routines quasi-statiques, fondées sur la reproduction avec amélioration, se
distinguent donc des routines dynamiques, plus orientées vers l’apprentis-
sage par expérimentation et vers l’innovation. Actifs spécifiques, tacites et
non transférables, les routines différencient de façon irréductible les firmes
les unes des autres et conduisent leur diversification des firmes au travers
d’une « contrainte de sentier » (path dependancy). Le sentier, qu’em-
pruntent les firmes en se diversifiant, ne répond pas qu’à des processus de
continuité, comme le sous-entendait l’ouvrage de Nelson et Winter
(1982), mais épouse aussi les discontinuités, les bifurcations dans le par-
cours des firmes. Lorsque les ruptures, induites par la sélection de l’envi-
ronnement, disqualifient les actifs spécifiques principaux, c’est à partir des
actifs spécifiques complémentaires que les firmes changent d’activités
principales et bâtissent leur transformation. Dosi, Teece et Winter (1990)
ont enfin proposé une typologie de « cohérence » des entreprises selon la
nature de la « contrainte de sentier » (lien lâche, étroit ou convergent entre
les compétences accumulées par la firme), la lenteur ou la rapidité de
l’apprentissage et la sélection plus ou moins forte de l’environnement.

3.2. Un processus d’évolution restrictif


Nelson et Winter n’échappent pas cependant pas à une critique concer-
nant l’ensemble du courant évolutionniste. Si les routines et la contrainte
de sentier permettent d’intégrer le poids de leur propre histoire dans l’évo-
lution des firmes, la théorie évolutionniste n’est pas exhaustive à propos
Richard R. Nelson et Sidney G. Winter 293

des conditions historiques et sociales qui fondent les innovations organi-


sationnelles. En ramenant, selon leur individualisme méthodologique, les
compétences et capacités organisationnelles de la firme aux limites cogni-
tives des individus qui la composent et y interagissent, les évolutionnistes
font l’impasse sur la firme en tant qu’institution et construit social. (Coriat
et Weinstein, 1995). Non seulement, l’opposition fondamentale, entre les
intérêts des actionnaires et ceux des managers, n’est pas prise en compte,
mais leur théorie élude « le rôle du conflit dans la détermination des rou-
tines ». Les routines sont définies comme résultant de « trêves »4 alors que
« la plupart des routines essentielles résultent au contraire de conflits
majeurs pour les imposer ». Il est alors loisible de s’interroger « s’il est
possible de définir les concepts joints des compétences organisationnelles
et de firme sans la prise en compte des conflits dont elles sont tout à la fois
l’expression, l’enjeu et le résultat » (Coriat et Weinstein, 1995 : 142).
L’accent mis sur les routines, plutôt que sur les individus qui les mettent
en œuvre, peut conduire à « une certaine forme de réification de l’organi-
sation » (Desreumaux, 1998 : 37). Ce glissement n’a pas échappé à
Feldman et Pentland (2003) qui ont, par une contribution majeure, réhu-
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manisé en quelque sorte la notion théorique de routine. Pour eux, le
paradoxe ontologique des routines, cette tension entre la stabilité et le
changement qu’elles incarnent, s’inscrit dans la dualité des phénomènes
sociaux, entre la structure et l’agence. Ils distinguent donc l’aspect ostensif
des routines (les habitus, les répertoires de programmes et le matériel géné-
tique de l’organisation) et leur aspect performatif (leur mise en œuvre par
les agents individuels qui conduit à la création, au maintien et la modifi-
cation des routines). Par ces deux aspects, les routines deviennent à la fois
des principes, en partie tacites et intersubjectifs, et des pratiques, avec des
ajustements et de l’improvisation. La relation récursive entre ces deux
aspects, le cadre de référence ostensif et l’action performative qui intera-
gissent constamment, resitue le concept de « routine » dans un véritable
processus évolutionniste de la firme.

3.3. L’évolutionnisme et ses niveaux d’analyse


Le courant évolutionnisme entretient une parenté avec le courant de
l’écologie des populations (Hannan et Freeman, 1977, 1984 ; Aldrich5,
1979). Les deux courants s’intéressent au mécanisme de sélection qu’opère
4. « Une sorte d’accommodation stable entre les prérequis du fonctionnement de l’organisation et les
motivations de tous ses membres est un corollaire de l’opération de routine » (Nelson et Winter, 1982 :
108). « L’opération de routine implique une trêve compréhensive dans le conflit intraorganisationnel »
(ibid. : 110).
5. Voir la présentation des travaux de Howard Aldrich par Bernard Forgues dans le présent ouvrage.
294 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

l’environnement. Toutefois, ils se distinguent par leur niveau d’analyse.


Alors que l’écologie des populations vise à appréhender l’évolution des
populations de firmes, l’évolutionnisme s’intéresse au changement tech-
nique, à l’évolution des populations de routines. Dans l’approche de
Nelson et Winter, ce ne sont donc pas les firmes qui sont sélectionnées par
l’environnement mais les routines. Bien que le niveau d’analyse choisi par
Nelson et Winter pour examiner la genèse et l’évolution des routines ne
soit pas restrictif puisqu’il part de l’observation des individus qui com-
posent la firme à l’observation des firmes qui constituent une industrie, ils
ont néanmoins privilégié une conception endogène du progrès technique6
qui occulte la contribution exogène à la firme qu’apportent les réseaux
d’innovation en tant que réunion de compétences et d’acteurs qui ne se
situent pas à l’intérieur de la firme (Bell et Callon, 1994). Il n’en demeure
pas moins que le concept de routine ne saurait être enfermé dans une
vision intraorganisationnelle puisque les routines peuvent, tôt ou tard
malgré leur caractère tacite, se diffuser, voire survivre aux organisations où
elles sont nées (Aldrich, 1999).
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Travaux cités des auteurs
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Dynamics of Organizational Capabilities », in G. Dosi, R. R. Nelson et S. G.
Winter (Eds.), The Nature and Dynamics of Organizational Capabilies, New
Yok : Oxford University Press, p. 1-22.
Dosi, G., Teece, D. J., Winter, S. G. (1990), « Les frontières des entreprises »,
Revue d’Économie Industrielle, 1er trimestre, p. 238-254.
Nelson R. R., Winter S. G. (1982), An Evolutionary Theory of Economic Change,
Cambridge : Belknap Press of Harvard University Press.
Winter, S. G. (1971), « Satisficing, Selection and the Innovating Remnant »,
Quartely Journal of Economics, vol. 85, p. 237-261.
Winter, S. G. (1987), « Natural Selection and Evolution, in J. Eatwell, M.
Milgate et P. Newman (Eds.), The New Palgavre : A dictionnary of Economics,
3, MacMillan, p. 614-617.
Winter, S. G. (1991), « On Coase, Competence and Corporation », in
O. Williamson et S.G. Winter (Eds.), The Nature of the firm, New york :
Oxford University Press, p. 179-195.

6. Notons ici que Nelson et Winter postulent que c’est la Recherche et Développement interne à la
firme qui est à l’origine de la plupart des innovations (1982 : 263).
Richard R. Nelson et Sidney G. Winter 295

Autres références bibliographiques


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Journal of Political Economy, vol. 58, p. 211-221.
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Prentice Hall, nouvelle édition publiée à Chapel Hill, NC.
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Cyert, R. M., March, J. G. (1963), A behavioral Theory of the Firm, Englewood
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XIX. HERBERT A. SIMON – LES LIMITES DE LA RATIONALITÉ :
CONTRAINTES ET DÉFIS

Isabelle Vandangeon-Derumez
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 296 à 313


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-296.htm
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Les limites de la rationalité :
contraintes et défis
Herbert A. Simon

Isabelle Vandangeon-Derumez
XIX
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Herbert A. Simon 297

Herbert Simon consacra la majeure partie de ses travaux à la compréhen-


sion des processus de management et plus particulièrement de prise de déci-
sion. Il a mobilisé, au cours de ses recherches, des domaines aussi variés que
les sciences politiques, les théories économiques, la psychologie, les sciences
de l’informatique et enfin la logique mathématique, la théorie des systèmes
et la cybernétique.
C’est un exercice délicat que de parler des contributions d’Herbert Simon,
dans la mesure où la diversité des ses travaux ne fait pas de doute. Il existe,
toutefois, un fil directeur à toutes ses recherches : l’intérêt porté à la décision
et à la résolution de problèmes. C’est par la volonté d’effectuer la jonction
entre la théorie des choix (faisant référence à la rationalité individuelle) et la
théorie des organisations (faisant référence à la notion de but organisation-
nel1, de structure et de rationalité), qu’Herbert Simon fonde ses développe-
ments théoriques. Ainsi, lorsqu’il publie son premier ouvrage, il souligne le
tournant important devant être pris par la gestion dans les années à venir.
Alors qu’elle avait centré son attention sur « comment produire » – une fois
que les décisions concernant la qualité et la quantité des biens ou services
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prises –, elle doit maintenant s’interroger sur la façon dont il faut organiser le
système de prise de décision entre plusieurs niveaux et plusieurs centres
(Simon, 1983 ; VI)2 – en intégrant des principes d’organisation garantissant
de bonnes décisions et des principes assurant une action efficace.
Après avoir rapidement présenté l’auteur, ce chapitre expose les travaux
d’Herbert Simon selon le fil directeur de ses recherches : le processus de prise
de décision. Dans un premier temps, sa contribution à l’évolution de la ges-
tion – avec le concept de rationalité limitée puis de la rationalité procédurale
– est présentée. Pour mieux appréhender les tenants et les aboutissants de ces
rationalités (limitée et procédurale), l’accent est ensuite mis sur les fonde-
ments du raisonnement Simonien, avec deux éléments principaux : le
concept de but pour expliquer les actions au sein des organisations et les
mécanismes d’intégration mis en œuvre par les individus et les organisations
pour structurer le processus de prise de décision. En extension de ses travaux
sur le processus de prise de décisions, sont présentées ses recherches sur l’in-
telligence artificielle et les systèmes experts.

1. Alors que pour les économistes « l’objectif de l’organisation est l’objectif de l’individu qui dirige
l’organisation, en tout cas un objectif unique et indiscuté même si plusieurs décideurs sont en cause »,
Herbert Simon estime que « ce que l’on peut identifier clairement ce sont certains buts généraux de
l’organisation et certains motifs personnels, mais en aucun cas des objectifs opératoires
incontestables. » (Greffe, dans Simon, 1983 ; IX).
2. Selon Herbert Simon, l’organisation du système de prise de décision suppose de prendre en compte :
– la notion de but pour expliquer les actions au sein de l’organisation, avec l’idée sous-jacente d’une
hiérarchie des décisions (cf. deuxième partie de ce chapitre) ;
– les mécanismes d’intégration du comportement comme éléments structurants le processus de prise de
décision (cf. troisième partie de ce chapitre).
298 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Notice biographique
Herbert Simon, né le 15 juin 1916 à Milwaukee, est mort en février 2001 à l’âge de
84 ans. Il a été nommé Docteur en Sciences Politiques de l’Université de Chicago en
1943. Associé de 1936 à 1942 à des recherches dans un bureau de l’administration
publique au sein de l’Université de Californie à Berkeley (sujet de Ph.D.), il devient
professeur de Sciences Politiques à la Graduate School of Administration, Carnegie
Institute of Technology de 1943 à 1949. Professeur à l’Université Carnegie Mellon de
Pittsburgh à partir 1949, il y enseigne l’administration jusqu’en 1961, puis la psy-
chologie jusqu’en 1966 et enfin les sciences de l’informatique depuis 1966. En dehors
de son activité d’enseignement, il participe très activement au développement de la
formation.
Durant sa prestigieuse carrière, Herbert Simon reçoit de nombreuses distinctions
nationales et internationales tant en économie (prix Nobel en économie en 1978),
qu’en psychologie, en Intelligence Artificielle ou en Administration Publique.
Herbert Simon a été également membre ou président de nombreuses associations pro-
fessionnelles et académiques comme Président du Conseil des États Unis pour la
Recherche en Sciences Sociales (de 1961 à 1965), Président du département
« Behavioral Science » du Conseil pour la Recherche Nationale (de 1968 à 1970).
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1. DE LA RATIONALITÉ OMNISCIENTE
À LA RATIONALITÉ LIMITÉE
C’est en questionnant le modèle de la rationalité économique, qu’Her-
bert Simon apporte une de ses contributions majeures aux sciences de ges-
tion et permet ainsi une meilleure compréhension des processus managé-
riaux. L’originalité de sa démarche réside dans le caractère « clinique » de
son approche (Nioche, 1993 : 76) : il prend, en effet, comme point de
départ la résolution de problèmes concrets d’entreprise, qu’il tente de modé-
liser (sous une forme logique ou mathématique) par des allers et retours
entre l’observation et la formalisation. Il souligne alors que la littérature –
en particulier les théories économiques – contient de nombreuses affirma-
tions, mais manque de preuve pour déterminer si ces affirmations tiennent
lorsqu’elles sont confrontées au domaine des faits (March et Simon, 1991 ;
5). Dès lors, il s’attache à remettre en cause certaines de ces hypothèses en
les confrontant à la réalité (Simon, 1947) :
• une connaissance de tous les choix possibles pour l’agent ;
• une connaissance complète de toutes les conséquences de ces choix
ou une capacité à les évaluer ;
• une certitude parfaite dans l’évaluation présente et future des consé-
quences des choix possibles ;
Herbert A. Simon 299

• la capacité de l’agent à comparer ces conséquences en les ramenant à


un indicateur unique.
Cette critique des théories économiques, est reprise avec James March
dans Organizations (March et Simon, 1958). Les deux auteurs testent trois
grands ensembles de propositions, en les reformulant pour les mettre à
l’épreuve des faits :
• des propositions issues de l’organisation scientifique du travail : les
membres de l’organisation sont des instruments passifs, incapables de
faire preuve d’initiatives ou d’exercer une influence importante ;
• des propositions faisant référence aux théories de la motivation et aux
conflits : les hommes viennent dans les organisations avec leurs
propres attitudes, leur propre système de valeur et leurs propres
objectifs. Ces éléments sont des sources potentielles de conflits
lorsqu’ils sont mis en correspondance avec ceux de l’organisation ;
• des propositions faisant référence à la rationalité humaine, telle
qu’elle est utilisée dans les théories économiques.
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La démarche d’Herbert Simon, fondée sur l’observation, a été reprise par
un grand nombre d’auteurs, même en économie (Coriat et Weinstein,
1995). Ainsi, Liebenstein (1975) montre que l’hypothèse d’efficience rete-
nue par les néoclassiques – à savoir le marché alloue de façon optimale les
facteurs de production entre les firmes et les secteurs – ne tient pas à
l’épreuve des faits. Elle ne permet pas d’expliquer pourquoi et comment des
entreprises, en apparence identiques en termes de facteurs de production
(même composition de la main-d’œuvre et même technologie), parviennent
à des résultats inégaux en terme d’efficience (productivité des hommes et
qualité des produits).
Les premières observations empiriques d’Herbert Simon le conduisent à
questionner l’idée défendue par les théories économiques classiques, d’un
homo oeconomicus rationnel, capable de trouver la solution optimale à tous
les problèmes. La rationalité, au sens large, fait référence au style de com-
portement à adopter pour atteindre un objectif donné à l’intérieur de
limites imposées par certaines conditions et contraintes. Pour les écono-
mistes classiques l’objectif prend la forme d’une maximisation des gains (le
consommateur rationnel maximise sa fonction d’utilité alors que l’entrepre-
neur rationnel maximise son profit). Cet objectif étant fixé à l’avance, les
conditions et les contraintes – représentant les caractéristiques de l’environ-
nement externe et de l’organisation – déterminent le comportement ration-
nel. Ces caractéristiques de l’environnement étant parfaitement connues
(pour les économistes), il ne peut exister qu’une unique « meilleure » façon
d’atteindre l’objectif désiré. Dans ce cadre d’analyse, la prise de décision
300 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

repose sur des hypothèses fortes concernant l’accès à l’information, les alter-
natives envisageables et la capacité cognitive des individus à évaluer les
conséquences de chaque alternative3. En partant de ces hypothèses, Herbert
Simon (1983) met en évidence trois raisons essentielles pour lesquelles il est
impossible d’atteindre l’optimum préconisé par les économistes classiques :
• l’incertitude et l’information imparfaite : qui ne permet pas d’appré-
hender dans sa globalité la chaîne moyens-fin4 et d’avoir une connais-
sance exhaustive des fins ultimes s’y rattachant (cf. paragraphe 2 de ce
chapitre) ;
• les limites des capacités cognitives des individus5 : qui ne leur per-
mettent pas de trouver l’ensemble des alternatives possibles à une
décision donnée et d’en évaluer toutes les conséquences ;
• les situations d’interdépendance : qui obligent chaque individu à
émettre des conjectures sur les conséquences de ses actes sur les
actions des autres individus et sur l’organisation.
Ainsi, le comportement réel des individus s’écarte à trois égards de la
rationalité : « 1) La rationalité exige la connaissance parfaite et l’anticipation
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des conséquences de chacun des choix. En fait, la connaissance des consé-
quences est toujours fragmentaire. 2) Comme il s’agit de conséquences
futures, l’imagination doit suppléer au manque d’expérience en leur affec-
tant une valeur. Mais l’anticipation des valeurs reste toujours imparfaite.
3) la rationalité oblige à choisir entre diverses alternatives possibles de com-
portement. En pratique, on n’envisage qu’un nombre très limité de cas
possibles. » (Simon, 1983 : 74).
Ce constat conduit Herbert Simon à substituer au critère de maximisa-
tion, celui de satisfaction. Avec ce nouveau critère, il est possible de faire
face à la complexité des processus de décisions. L’individu ne recherche plus
la solution optimale, mais s’arrête à la première solution qu’il juge satisfai-
sante. Dès lors, les décideurs trouvent « des solutions qui vont satisfaire un
ensemble de contraintes, ces contraintes représentant la meilleure approxi-
mation du but de l’action » (Simon, 1983 : 249).
3. Comme le souligne Rouleau (2007), le modèle classique suppose que les décideurs disposent d’une
connaissance parfaite de l’information – concernant les différentes solutions possibles et les conséquences
de ces solutions – qu’ils sont capables d’ordonner leurs préférences en fonction de critères ou règles de
décision, connus et validés par tous.
4. La chaîne moyens-fin fait référence aux moyens adéquats mis en œuvre pour atteindre des fins
déterminées.
5. Pour Herbert Simon les limites de la rationalité humaine sont de plusieurs ordres. Tout d’abord,
« l’individu est limité par sa compétence, ses habitudes et ses réflexes qui n’appartiennent plus au
domaine du conscient » (Simon, 1983 : 37). Il est également limité « par ses valeurs et les objectifs qui
orientent ses décisions » ainsi que par « l’étendue de sa connaissance des éléments rattachés à son travail. »
(Simon, 1983 : 38). Herbert Simon ajoute alors : « il importe de rappeler que les limites de la rationalité
sont des limites variables et que (…) le fait qu’on en ait conscience peut déjà les modifier » (Simon,
1983 : 38).
Herbert A. Simon 301

En introduisant l’idée d’une rationalité limitée6, Herbert Simon inscrit


la prise de décision dans une vision processuelle, opposant la rationalité
substantive (privilégiée par les économistes) à la rationalité procédurale
(concept développé au sein de la psychologie cognitive). Un comportement
est défini comme substantivement rationnel, « lorsqu’il permet d’atteindre
un objectif donné à l’intérieur de limites imposées par les conditions et les
contraintes données. » (Simon, 1982 : 425). Dès lors, la rationalité du com-
portement dépend de l’acteur uniquement au niveau de ses buts. Ces objec-
tifs étant fixés, le comportement rationnel est, quant à lui, déterminé par les
caractéristiques de l’environnement au sein duquel il prend place. En remet-
tant en cause l’idée d’objectifs clairement définis (cf. paragraphe 2 de ce
chapitre) et de conditions et contraintes clairement appréhendées par les
acteurs (problème d’accès à l’information et de traitement de cette informa-
tion), Herbert Simon montre que le concept de rationalité substantive ne
peut s’appliquer à la réalité de la prise de décision. Cependant, il estime que
si l’optimum ne peut être atteint, le processus suivi lors de la prise de déci-
sion doit permettre aux acteurs de prendre des décisions satisfaisantes. Il se
rallie alors au concept de rationalité procédurale mis en évidence par les
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psychologues cognitifs à savoir : « un comportement est rationnel lorsqu’il
est le résultat d’une délibération appropriée. Sa rationalité procédurale
dépend donc du processus qui l’a généré » (Simon, 1982 : 426). La rationa-
lité procédurale est alors analysée en situation de résolution de problème, au
sein de laquelle le sujet doit collecter des informations de différentes
natures, les analyser de façon à arriver à un ensemble raisonnable d’actions
lui permettant de résoudre le problème. Ainsi, la rationalité procédurale ne
se focalise pas sur la solution au problème mais sur la méthode mise en
œuvre pour trouver cette solution. De même, elle ne considère pas les objec-
tifs et moyens à mettre en œuvre comme des données a priori, mais comme
les objets même de la recherche.
Sous cet angle de la rationalité procédurale, Herbert Simon analyse les
travaux de la théorie de la concurrence imparfaite. À l’inverse des écono-
mistes (qui considèrent cette concurrence comme exceptionnelle), Herbert
Simon estime qu’elle caractérise le fonctionnement de la majorité des mar-
chés économiques contemporains. Il souligne alors que l’introduction du
concept d’incertitude, au sein des théories économiques, conduit à remettre
en cause la notion de rationalité substantive. L’ignorance du futur ne per-
6. Il importe ici de rappeler l’influence de Hayek (1944) cité par March et Simon (1991) : la rationalité
limitée « (nous utiliserons la formulation de ce dernier) dépend essentiellement des limites de
l’information accessible à l’homme et de sa capacité d’utiliser l’information dans ses calculs » (March et
Simon, 1991 ; 197). Le concept de la rationalité limitée repose alors sur l’idée que les hommes sont
rationnels – puisqu’ils sont en mesure de donner les raisons de leurs actes – mais que leur rationalité est
limitée – car les résultats de leurs décisions n’atteignent pas toujours les objectifs qu’ils s’étaient fixés.
Cette idée est plus largement développée dans le paragraphe 2 de ce chapitre.
302 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

met pas à l’homme d’adopter un comportement substantivement ration-


nel (cette dernière supposant que pour chaque variable économique sa
valeur prévue, au sens statistique du terme, soit égale à sa valeur réelle dans
le futur). Dès lors, l’homme peut, tout au plus, suivre un processus ration-
nel lui permettant de prévoir des évolutions futures ou de s’adapter à son
environnement.
Les travaux d’Herbert Simon sur la rationalité limitée sont complétés
plus tard par les « behavioristes » avec l’analyse dite « comportementale » de
la firme7. Ces derniers, à l’image de Cyert et March (1963), confortent
l’idée de Simon selon laquelle l’objectif de l’entreprise n’est pas la maximi-
sation mais plutôt la satisfaction des individus et des groupes qui la com-
posent (Coriat et Weinstein, 1995). Ils vont également au-delà, lorsqu’ils
admettent que l’organisation est aux prises avec des groupes d’intérêts
multiples, pour qui, la prise de décision peut être considérée comme une
série de médiations. Ainsi, si Herbert Simon explique pourquoi les indivi-
dus sont prêts à participer à l’organisation, puis pourquoi les conflits
peuvent naître (Organizations avec James March, 1958), Cyert et March
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(1963) montrent, quant à eux, que l’organisation n’est qu’une coalition de
groupes d’intérêts dont le destin est commun mais qui manœuvrent chacun
pour leur propre compte.
La richesse du concept de rationalité limitée pour expliquer le processus
de prise de décision et ses implications sur l’organisation ne fait pas de
doute. Les explications fournies par Herbert Simon sont tout aussi impor-
tantes et riches d’enseignements que le concept lui-même. Il nous a donc
semblé important de revenir sur deux fondements théoriques de cette ratio-
nalité limitée. Le premier fait référence à un problème-clé du management :
toute décision implique le choix d’un but et un comportement approprié
(Simon, 1983 : 6). Le second fait référence aux mécanismes d’intégration
comme éléments structurant les processus de prise de décision au sein des
organisations8.

7. Cyert et March (1963), considérés comme les précurseurs de l’analyse « behavioriste » (Coriat et
Weinstein, 1995), proposent le passage d’une firme représentée par un point (vision économiste) à une
firme représentée par une organisation se caractérisant par :
– sa complexité : la « firme apparaît comme une coalition de groupes dont le destin est commun mais
qui manœuvrent chacun pour leur propre compte » (Coriat et Weinstein, 1995 : 27) ;
– un lieu de processus de prise de décision : l’objectif général ne peut s’exprimer qu’à travers une série de
sous-objectifs et les groupes de pression exercent leur influence (lieu de négociation) ;
– un lieu d’apprentissage collectif.
8. Nous sommes ici conscients du fait que les deux paragraphes suivants n’exposent qu’un raccourci du
raisonnement complexe d’Herbert Simon. Toutefois, nous ne pouvons qu’inciter le lecteur à étudier les
textes d’Herbert Simon afin qu’il se forge sa propre grille de lecture.
Herbert A. Simon 303

2. LES BUTS POUR EXPLIQUER LES ACTIONS AU SEIN


DES ORGANISATIONS
Pour Herbert Simon, le comportement d’un acteur au sein d’une orga-
nisation est intentionnel donc tourné vers un objectif spécifique. Chaque
décision implique le choix d’un but et un comportement approprié, les-
quels peuvent devenir des éléments intermédiaires conduisant à un autre
objectif, et ainsi de suite jusqu’à arriver à des objectifs plus finaux. Herbert
Simon montre alors que plusieurs éléments empêchent l’individu d’at-
teindre ces objectifs finaux (ou fins ultimes).
Tout d’abord, selon Herbert Simon, chaque décision prise, dans leur
enchaînement décrit précédemment, est composée d’éléments de valeurs
et d’éléments factuels, en proportion variable (Simon, 1983 : 42-43) :
• les valeurs9 font référence aux jugements successifs qui préludent à
la sélection d’objectifs ;
• les faits10 correspondent à la mise en œuvre des projets permettant
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d’atteindre les objectifs.
Les valeurs définissent donc les paramètres qui guident les décisions et
à travers lesquels les résultats, ou faits, sont évalués. Les buts, quant à eux,
décrivent un état de choses désiré et constituent des prémisses aux valeurs
dans le processus de prise de décision. Pour Herber Simon, l’existence
d’éléments de valeur au sein de la décision nous empêche de réaliser les
buts de façon parfaite (ou optimale) pour plusieurs raisons :
• à cause des valeurs qui les sous-tendent, les buts visés sont souvent
formulés de façon imprécise. Ceci rend difficile la comparaison des
décisions entre elles, qui, pour être comparées, devraient pouvoir
s’appuyer sur des éléments factuels ;
• plus on se rapproche de la direction générale, plus les buts visés sont
de l’ordre de l’éthique. À l’inverse, plus on se rapproche du niveau
opérationnel, plus les objectifs appartiennent à l’univers factuel.
Ensuite, un individu est toujours confronté, au cours du processus de
décision, à un certain nombre d’alternatives, conscientes ou non, dont la
réalisation entraînera des conséquences. Le processus de prise de décision
rationnel comporte alors trois étapes : « 1) le recensement de toutes les
alternatives possibles ; 2) la détermination de toutes les conséquences de
9. Avec les propositions de valeur, l’individu est plongé dans l’univers des préférences, des désirs, de
l’impératif, où l’on affirme ce qui est bien ou mal (Fiol et Solé, 1993).
10. Avec les propositions factuelles, les individus se réfèrent à des faits, à l’expérience ou à des événements.
Nous sommes donc dans le domaine de l’objectif, de l’empirisme, où il est possible de distinguer le vrai
du faux (Fiol et Solé, 1993).
304 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

ces alternatives ; 3) l’évaluation comparative de ces ensembles de consé-


quences (Simon, 1983). Or, selon Herbert Simon, il est difficile de suivre
un tel processus dans la mesure où :
• le temps restreint le champ des alternatives possibles : lorsqu’un
individu s’engage dans une voie particulière il préfère continuer
dans cette voie plutôt que de revenir en arrière ;
• les conséquences n’étant pas définies à l’avance, elles sont anticipées
en fonction des expériences passées et de l’information disponible
sur la situation présente ;
• lorsque plusieurs individus (ou organisations) interviennent dans le
processus de décisions il est difficile de savoir ce que les autres déci-
derons donc de déterminer les conséquences de ses propres actions.
Dès lors, l’existence de différentes alternatives, les difficultés pour anti-
ciper les conséquences des alternatives ainsi que des comportements des
autres individus face à nos décisions, ne permettent pas d’atteindre la
réalisation optimale des objectifs de l’organisation.
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Enfin, selon Herbert Simon, les moyens et les fins liés aux faits et aux
valeurs, sans se confondre, nous éloignent de la rationalité objective. En
effet, la décision devient rationnelle lorsqu’elle permet de choisir les
moyens adéquats pour atteindre des fins déterminées. Le processus de
décision suppose alors de définir des alternatives capables de fournir les
moyens nécessaires à la réalisation des objectifs (ou fins désirées). Or, les
individus associent un élément de valeur aux fins intermédiaires pour
guider les décisions suivantes (celles qui vont conduire aux buts ultimes).
En affectant ces indices de valeurs, les individus se donnent alors la possi-
bilité « d’évaluer les alternatives sans avoir une connaissance exhaustive des
fins ultimes ou des valeurs qui leurs sont inhérentes » (Simon, 1983 : 71).
La réalisation parfaite de ces buts ultimes devient alors impossible (Fiol et
Solé, 1993).
Ceci met en évidence à quel point la perception des buts de l’organisa-
tion par les individus qui la composent et les éléments de valeur associés à
ces buts, agissent sur le processus de prise de décision. Cette perception
étant influencée par l’environnement dans lequel l’individu évolue, il
importe donc, selon Herbert Simon, de modifier délibérément cet envi-
ronnement pour améliorer la prise de décision. Cette modification de
l’environnement « est en partie une affaire d’individu : celui-ci se place
dans une situation où il est soumis à certains stimuli et prend connaissance
de certains fragments d’information » (Simon, 1983 : 72). C’est également
le rôle de l’organisation que de placer les individus « dans un environne-
ment psychologique qui adaptera leurs décisions aux objectifs de l’organi-
Herbert A. Simon 305

sation et leur fournira l’information dont ils ont besoin pour prendre ces
décisions correctement » (Simon, 1983 ; 72). Ce rôle de l’organisation
s’explique par le fait que « le choix individuel se fait dans un milieu de
“données”, c’est-à-dire de prémisses que le sujet accepte comme bases de
son choix ; et le comportement n’est “adaptatif ” que dans les seules limites
fixées par ces données » (Simon, 1983 : 72).

3. LES MÉCANISMES D’INTÉGRATION DU COMPORTEMENT


COMME ÉLÉMENTS STRUCTURANTS DU PROCESSUS
DE PRISE DE DÉCISION
La décision rationnelle suppose que chaque individu modèle son com-
portement, en prenant une vue panoramique de l’ensemble des solutions
qui s’offrent à lui. Il doit disposer d’une description complète de l’en-
semble des conséquences de chacun de ses choix et affecter une valeur à
ces conséquences afin de pourvoir évaluer et sélectionner les alternatives.
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Il est bien évident, pour Herbert Simon, que l’ensemble de ces conditions
ne peut être rempli, en raison des capacités limitées des individus. En effet,
ces derniers ne sont en mesure d’envisager qu’un nombre réduit d’alterna-
tives et la connaissance qu’ils ont des conséquences n’est que fragmentaire.
L’incapacité de l’esprit humain à porter son attention sur tous les points
de valeur, de connaissance et de comportement, font que la prise de déci-
sion correspond plus à un processus de stimulus – réponse, qu’à un réel
choix optimal entre plusieurs alternatives (Simon, 1983). Pour atténuer les
effets des limites de la rationalité humaine, et rendre sa prise de décision
plus efficace, Herbert Simon estime que l’individu chercher à « intégrer »
son comportement à l’aide du processus de planification suivant :
• dans un premier temps, l’individu prend une décision, qualifiée de
« planification de fond », qui lui permet d’orienter ses activités sur
un terme plus ou moins long (par exemple un dirigeant qui décide
de fabriquer tel produit plutôt qu’un autre) ;
• ensuite, il oriente son attention et canalise l’information qu’il
recueille au cours du temps (par exemple si le dirigeant décide de
fabriquer des montres, il ne s’intéresse pas aux informations en pro-
venance du marché de la restauration) : Herbert Simon qualifie ce
processus de planification de forme. Ainsi, les décisions prises au
jour le jour sont conformes à sa planification de fond ;
• enfin l’individu exécute son plan en prenant des décisions et en
engageant des actions, selon les orientations fixées au cours de la
planification de fond et de la planification de forme.
306 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Toutefois, le processus réel ne se réduit pas à ces trois étapes et com-


porte toute une hiérarchie de décisions. Ainsi, pour faciliter l’intégration
de son comportement, Herbert Simon explique que l’individu se base sur :
des valeurs particulières (comme un objectif à atteindre), des éléments de
connaissances (précisant les faits devant être pris en compte dans toutes les
décisions ultérieures), des alternatives de comportement à envisager (par
exemple des scenarii possibles). L’individu, par un processus psycholo-
gique, sélectionne alors des critères généraux de choix (au sein des valeurs
particulières, des connaissances et des alternatives) qu’il adapte ensuite aux
différentes situations de prise de décision.
Ce processus d’intégration du comportement n’est pas le seul fait des
individus. L’organisation est également en mesure de créer un environne-
ment qui favorise l’intégration du comportement des personnes. Tout
d’abord, elle procure à chaque membre du groupe des éléments d’informa-
tion lui permettant d’établir des prévisions stables quant au comporte-
ment des autres individus sous certaines conditions. Ensuite, elle fournit
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les stimuli et les catalyseurs d’attention qui orientent le comportement des
individus. Ces mécanismes ont pour fonction de coordonner les activités
des membres de l’organisation. Cette coordination est essentielle, car
l’efficacité avec laquelle l’individu peut atteindre ses buts dépend non
seulement de son activité propre, mais également de l’harmonie de ses
actions avec celles des autres individus de l’organisation (Simon, 1983).
Cette coordination comporte plusieurs éléments :
• le lien entre les objectifs, les buts intermédiaires de chaque individu
avec ceux des autres services (l’auto coordination) ;
• l’évaluation des différentes alternatives qui s’offrent à chaque
membre et aux autres membres du même groupe (les alternatives du
groupe contre celles de l’individu) ;
• les prévisions de solutions qu’adopteront les autres individus (le
plan du groupe et la communication de ce plan).
La maîtrise délibérée de l’environnement de la décision par l’organisa-
tion permet non seulement l’intégration du choix, mais également sa
« socialisation ». Cette « socialisation du choix » par l’organisation inter-
vient à deux niveaux : celui de l’individu et celui du groupe. Dans le pre-
mier cas, l’organisation peut (Simon, 1983 : 216) :
• augmenter les formations « techniques » des individus afin d’ac-
croître les alternatives envisagées par des individus limités par leurs
dons, leurs habitudes et leurs réflexes inconscients ;
Herbert A. Simon 307

• réorienter les valeurs organisationnelles vers des buts plus globaux


ou plus larges, pour limiter les divergences entre ces buts et les
valeurs propres aux individus ;
• anticiper les besoins en information des individus, afin de surmon-
ter les limites de leurs connaissances et de leur niveau d’information.
Dans le cas des groupes, l’organisation doit être « construite de sorte
qu’une décision qui est (…) rationnelle du point de vue de celui qui la
prend, soit aussi rationnelle aux yeux de celui qui l’évalue du point de vue
du groupe » (Simon, 1983 : 218). Ainsi, pour s’assurer que toute décision
prise au niveau de l’individu est conforme aux valeurs et à la situation du
groupe, l’organisation doit favoriser la bonne transmission des décisions
des niveaux supérieurs vers les niveaux inférieurs.
En soutenant l’idée selon laquelle l’organisation doit s’intéresser aux
limites de la rationalité humaine pour tenter de les repousser, Herbert
Simon met en évidence le lien fort existant entre les individus et les orga-
nisations. Ainsi, il « ne considère jamais la décision individuelle indépen-
damment du contexte organisationnel » (Thépot, 1993 : 79). Il soutient
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également que les organisations construites par les êtres humains ne sont
rien d’autre que des machines « destinées à traiter les limites des capacités
de l’homme pour concevoir et calculer dans des situations de complexité
et d’incertitude » (Simon, 1979 : 501, cité par Thépot, 1993). Le pro-
blème de la rationalité limitée ne peut donc être traité sans l’organisation
et l’organisation n’existe que parce que la rationalité des individus est
limitée.
C’est en cherchant à dépasser les limites de la rationalité humaine
qu’Herbert Simon a logiquement orienté ses recherches sur les processus
de résolution de problème et sur les outils permettant de rendre le proces-
sus de décision plus rationnel (rationalité procédurale).

4. MÉMOIRE ET APPRENTISSAGE EN SITUATION


DE RÉSOLUTION DE PROBLÈMES (REPRÉSENTATION
ET COMPRÉHENSION DES PROBLÈMES)
En étudiant le processus de prise de décision, Herbert Simon fait très
rapidement le lien entre un nouveau management, la recherche opération-
nelle et l’intelligence artificielle. Ainsi, la recherche opérationnelle (les
analyses mathématiques et statistiques) met en œuvre la démarche de ratio-
nalité procédurale au sein de leur modélisation du processus de décision.
Les algorithmes traitent de problèmes de décisions multidimensionnelles
308 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

(économétrie par exemple) pouvant prendre en compte l’incertain. De son


côté, l’intelligence artificielle prenant la forme d’une heuristique de
recherche (« recherches sélectives par tâtonnement », Simon, 1996 ; 66),
abouti à des décisions « satisfaisantes ». L’une comme l’autre s’applique aux
processus de décision et font appel à la notion de rationalité procédurale.
En étudiant l’analogie Homme – Machine, Herbert Simon élabore,
avec Newell, sa théorie de IPS (IPS : Information Processing System) expo-
sée dans Human Problem Solving (1972). Il s’intéresse alors aux racines
psychologiques du processus de résolution de problème chez l’homme, en
utilisant l’ordinateur comme un outil visant à simuler l’utilisation et le
traitement des informations par l’homme. La théorie de l’IPS regroupe
ainsi un ensemble de mécanismes reproduisant la pensée humaine et en
particulier les processus de mémorisation et d’apprentissage.
Pour stocker les informations, les individus disposent d’une mémoire à
long terme qui s’envisage comme « une grande encyclopédie ou une biblio-
thèque, l’information y étant rangée par thèmes (des nœuds), reliés abon-
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damment par des références croisées (des liens associatifs), doté d’un index
élaboré (une capacité de reconnaissance) qui autorise un accès direct via des
multiples entrées par thèmes (ou sujets). » (Simon, 1996 ; 162). Cette
mémoire, dont les capacités sont illimitées, fonctionne comme un deu-
xième environnement, parallèle à l’environnement perçu par les yeux et les
oreilles. Lors du processus de résolution de problème, « l’information gla-
née dans un environnement est utilisée pour guider la prochaine étape de
recherche dans l’autre environnement. » (Simon, 1996 ; 163). De son côté,
la mémoire à court terme correspond au lieu où les informations en prove-
nance de l’environnement externe sont traitées. Cette mémoire dispose
d’une petite quantité de stockage d’accès rapide. (Simon, 1996 ; 121)
Pour comprendre les processus de résolution de problème Herbert
Simon distingue deux types de problèmes. Ceux pour lesquels la recherche
d’information est avant tout guidée par la structure même du problème
(comme pour la réalisation d’un Puzzle), plus que par la mémoire. Ils
peuvent être décrits « en termes d’objets, de relations entre ces objets et de
modifications dans ces relations. » (Simon, 1996 ; 175). Ils sont en général
traités par des programmes de type « comprendre » (Simon, 1996 ; 174)
capables de construire une représentation virtuelle de toute sorte de pro-
blème ne demandant pas de connaissances du monde réel pour être com-
pris. De tels programmes tirent les informations du monde extérieur et les
transforment en connaissances rangées dans la mémoire à long terme
« sous la forme de structures de listes ou de procédures » (Simon, 1996 ;
180).
Herbert A. Simon 309

Le deuxième ensemble de problèmes, faisant appel à un domaine


sémantique plus riche (comme par exemple un diagnostic médical), néces-
sitent, quant à eux, des connaissances préalables sur ce domaine. Une
grande partie du processus de résolution du problème mobilise alors la
mémoire à long terme (et est guidé par l’information découverte dans cette
mémoire). Les programmes utilisés pour résoudre ce type de problème sont
plus complexes. Ils commencent par comprendre le problème en décom-
posant le problème complexe en schémas simples faisant référence à des
connaissances qui auront au préalable été mémorisées dans le programme.
Une fois ces schémas identifiés et les informations appropriées reconnues
dans la mémoire du programme, ce dernier est capable d’assembler les
schémas simples en schémas de problème composite pouvant être résolu
(en général en se basant sur des équations).
Ainsi pour résoudre le premier type de problèmes, le programme va se
« créer sa propre représentation du problème et des opérations à partir de
rien, guidé uniquement par l’information contenue dans les instructions
du problème » alors que pour résoudre le deuxième ensemble de pro-
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blèmes, le programme « doit découvrir une correspondance entre les choses
mentionnées dans l’énoncé du problème et les schémas et lois qu’il détient
en mémoires » (Simon, 1996, 178).
En allant plus loin dans la compréhension des processus de résolution
de problème, Herbert Simon s’intéresse au processus d’apprentissage tra-
duisant un changement plus ou moins permanent dans la capacité d’adap-
tation d’un système à son environnement. S’il reconnaît que les recherches
actuelles ne permettent pas de rendre compte de l’ensemble des types
d’apprentissages réalisés par l’homme, certains systèmes experts, capables
de comprendre les problèmes dans les nouveaux domaines de tâches, sont
des systèmes qui apprennent.
Pour comprendre comment fonctionnent de tels systèmes, Herbert
Simon part de la différence entre l’apprentissage par cœur (qui permet
d’augmenter le nombre de connaissances) et l’apprentissage avec compré-
hension (qui permet de créer de nouvelles représentations du problème). À
la différence du premier, l’apprentissage avec compréhension, mobilise une
indexation qui facilite l’accès rapide aux matériaux stockés pertinents et
utilise la redondance qui permet de reconstruire avec les matériaux restants
ceux qui ont pu être oubliés. Mais la différence principale repose sur la
notion de représentation : « les matériaux significatifs sont stockés sous
forme de procédures plutôt que sous forme de données “passives”, ou, si
elles sont stockées sous forme de données, elles sont représentées de telle
façon que les processus de résolution de problèmes et autres méthodes
puissent facilement en faire usage. » (Simon, 1996, 185). En intelligence
310 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

artificielle cette notion de représentation est reprise par les systèmes de


production constitués de processus associant des conditions à des actions.
Ces dernières sont exécutées lorsque les conditions de la production sont
satisfaisantes. Les systèmes informatiques partent alors des règles de pro-
duction dont on a besoin pour aboutir à un résultat, et recherchent les
séquences d’exemples pouvant induire l’apprentissage de ces règles de pro-
duction (Simon, 1996 ; 190). De tels systèmes peuvent être assimilés à des
méthodes d’apprentissage par l’action, où en cherchant à résoudre plusieurs
fois de suite un problème, il est possible de dégager graduellement une
stratégie efficace pouvant être généralisée (Anzai et Simon, 1979).
De tels processus d’apprentissages peuvent également être mobilisés
pour réaliser des découvertes11. Dans un premier temps un certain nombre
de systèmes informatiques se sont appuyés sur différents aspects des pro-
cessus de découvertes scientifiques. Ces systèmes permettent de découvrir
de nouveaux concepts, tout en établissant des plans d’expériences propo-
sant des scénarios complexes. Toutefois ils ne permettaient pas de découvrir
de nouvelles représentations d’un problème donc de trouver des solutions
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à « des situations qui ne semblent pas pouvoir s’ajuster aux espaces de pro-
blèmes que nous avions précédemment reconnus, même en les généralisant
ou les transformant. » (Simon, 1996, 196). Herbert Simon estime que de
telles situations nous placent en face de tâches de découverte comparables
à celles d’une nouvelle loi de la nature.
Ce rapprochement réalisé par Herbert Simon entre l’homme comme un
système de traitement de l’information et la machine (ordinateur), soulève
des critiques de la part de Lucien Sfez (1990), qui remet en cause 5 postu-
lats de la science de l’artificiel. Tout d’abord, il reproche à Herbert Simon
de réduire la problématique de la science de l’artificiel à la résolution de
problème, sans tenir compte de variables personnelles (postulat 1). Ceci
conduit alors Simon à percevoir l’homme comme un système de procès
d’information (postulat 2). Or, selon Lucien Sfez, la composition même
des systèmes de procès d’information consistant en une mémoire conte-
nant des structures de signe désignant des objets (postulat 3) conduit à une
conception représentative des problèmes nécessitant leur fragmentation
toujours plus importante pour les résoudre (postulat 4). La pensée humaine
se réduit alors à une approche séquentielle, à savoir que toute chose est
décomposable à court terme. Lucien Sfez (1990) estime, quant à lui, que
si nous sommes séquentiels, nous ne pouvons tenir qu’une conversation à
la fois ou encore être attentif à une seule chose à la fois (pas de surimpres-
sion des souvenirs et de simultanéité de nos attentions). Cette conception

11. Sur ce point Herbert Simon part du principe qu’il est difficile de distinguer ce qui est nouveau pour
un individu mais déjà connu des autres de ce qui est nouveau pour tout le monde.
Herbert A. Simon 311

conduit au dernier postulat selon lequel la représentation interne est la


juste réplique de l’environnement externe. Lucien Sfez reproche alors à
Herbert Simon de penser que l’individu est simple et que la complexité
apparente de son comportement n’est que le « reflet adaptatif de l’environ-
nement où il se trouve » (Simon, 1974 : 39)12.
Cependant, Lucien Sfez reconnaît plus loin que « ces critiques sont à
manier avec prudence et sagesse. Peut-on, en effet, contester Simon
lorsqu’il affirme vouloir user consciemment d’une méthode opératoire qui
a sa pleine cohérence interne et d’évidents résultats (les systèmes experts) ? »
(Sfez, 1990 : 206-207). Il ajoute : « J’ai beau lui faire observer que sa ratio-
nalité est précisément … très limitée et son intelligence … très artificielle,
mes arguments viennent buter sur sa forteresse close, sur son architecture
interne rigoureuse et souple, et sur ses résultats, partiels, mais indiscu-
tables » (Sfez, 1990 : 207). Il reconnaît enfin que le « réductionnisme »
d’Herbert Simon a été indispensable pour faire avancer la science, et
notamment pour réaliser les progrès décisifs en intelligence artificielle.
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Conclusion
L’influence des travaux d’Herbert Simon s’étend bien au-delà des fron-
tières nationales et des simples sciences de gestion. Il a inspiré de nombreux
auteurs, comme le met en évidence une étude réalisée par Déry (Nioche,
1993) : Herbert Simon seul, ou avec March, est la référence dominante
dans les recherches sur le processus de décision à la fois chez les écono-
mistes et les psychologues, et une des références principales chez les cher-
cheurs en gestion. Son influence va également bien au-delà de ses propres
domaines de recherche comme le souligne Michel Crozier (1993). En effet,
si la sociologie n’est pas le domaine de prédilection de Simon, ni d’ailleurs
d’affiliation, c’est pourtant en sociologie que sa contribution fut la plus
marquante. Michel Crozier montre ainsi que le modèle d’optimisation,
nécessaire pour comprendre la rationalité des actions, enfermait les socio-
logues dans une « vision utilitariste proche de celle des économistes (…) ne
rendant compte que d’une faible partie de l’action humaine, ou (…) dans
une vision déterministe permettant d’englober la rationalité économique
dans le cadre des déterminants sociaux de groupes, de classes et de
cultures » (Crozier, 1993 : 86). Ces visions empêchaient les sociologues
d’appréhender les phénomènes d’apprentissages nécessaires à la compré-
12. Herbert Simon a toujours intégré le décideur dans l’ensemble plus vaste qu’est l’environnement
(Thévenot et France-Lanord, 1993). Tout homme est lié à cet environnement par les informations et
stimuli qu’il reçoit de lui pour prendre ses décisions. L’homme peut également agir sur cet environnement
à travers les actions qu’il conduit au sein des organisations.
312 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

hension de l’évolution des organisations. Or, sans remettre en cause le


raisonnement rationnel des économistes, Herbert Simon critique, avec le
concept de rationalité limitée, sa mise en application concrète. Ainsi, il
montre que si le modèle d’optimisation est indispensable pour expliquer les
potentialités de toute réalité, il est insuffisant pour expliquer les comporte-
ments concrets des individus. Il devient alors nécessaire, pour faire le lien
avec la pratique, d’envisager les processus cognitifs et les critères de ratio-
nalité. L’individu peut alors raisonner de façon séquentielle, par un proces-
sus d’essai – erreur permettant l’apprentissage (Crozier, 1993).
Si la percée conceptuelle réalisée avec le concept de rationalité limitée
est indéniable, il est toutefois étonnant de remarquer à quel point, à travers
ses nombreux travaux de recherche, Herbert Simon a tenté de se rappro-
cher le plus possible d’un concept d’organisation toujours plus rationnelle
(Fiol et Solé, 1993). En effet, dès son premier ouvrage, il conclue que « la
nécessité d’une théorie administrative découle de l’existence de limites pra-
tiques à la rationalité humaine, limites qui (…) dépendent de l’environne-
ment organisationnel dans lequel intervient la décision de l’individu.
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L’administration se doit donc de concevoir cet environnement de telle
façon que l’individu s’approche aussi près que possible de la rationalité (…)
dans ses décisions » (Simon, 1983 : 216). Cette recherche d’une plus
grande rationalité se retrouve également dans ses travaux sur l’intelligence
artificielle. Le but d’Herbert Simon est bien de mettre au point des sys-
tèmes permettant à l’homme de dépasser les limites de sa rationalité.
Voici maintenant plus de 50 ans qu’Herbert Simon avait engagé sa
réflexion sur la rationalité limitée, avec l’espoir que celle-ci conduise à un
renouvellement des sciences de l’organisation et de gestion. Force est de
constater que la fécondité de ses réflexions est sans limite et quelle a obligé
les chercheurs, et les oblige encore, à se dépasser.

Travaux cités de l’auteur


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Autres références bibliographiques


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XX. ANDREW VAN DE VEN – INNOVATION ET CHANGEMENT AU SEIN
DES ORGANISATIONS

Florence Durieux
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 314 à 330


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-314.htm
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Innovation et changement
au sein des organisations
Andrew Van de Ven

Florence Durieux
XX
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Andrew Van de Ven 315

Notice biographique
Andrew H. Van de Ven est professeur de management de l’innovation et de change-
ment à la Carlson School of Management de l’Université du Minnesota. Il a obtenu
son doctorat à l’Université du Wisconsin à Madison, en 1972, et a enseigné à la Kent
State University (1972 – 1975) puis à Wharton School de l’Université de Pennsylvanie
(1975-1981) avant de prendre ses fonctions actuelles.
Durant sa carrière, A. Van de Ven a effectué des recherches longitudinales au sein d’une
variété d’organisations et sur de nombreux sujets en management. À la fin des années
soixante, il a co-développé avec A. Delbecq le Nominal Group Technique, inventeur
d’une méthode qui deviendra la plus utilisée au sein des groupes de créativité. Au cours
des années soixante-dix, il a développé et testé des modèles de planification de grands
programmes (programmes de la petite enfance dans 14 comtés du Texas) et d’évaluation
de l’organisation (emplois, groupes de travail, organisations de service à l’emploi et
programmes d’indemnisation du chômage dans le Wisconsin et en Californie). Dans
les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, A. Van de Ven a dirigé le Minnesota
Innovation Research Program, composé de trente chercheurs et doctorants. Depuis
1994, A. Van de Ven étudie les processus de changement organisationnel au sein des
organismes de soins et de l’industrie de la santé dans le Minnesota.
A. Van de Ven est un chercheur d’exception, reconnu à de multiples reprises par ses
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pairs. Il a été président de l’Academy of Management en 2000-2001. Membre actif de
l’Academy of Management pendant 35 ans, il a été élu responsable de la Division
Organization and Management Theory (1979-1982), il a été représentant au Board of
Governors (1982-1984), Fellow de l’Academy of Management (1988) et consulting edi-
tor de l’Academy of Management Review (1996-1998). Il a aussi été rédacteur en chef de
la revue Organization Science (1989-1996) et participe au comité de rédaction de
nombreux ouvrages et revues. En 1997, A. Van de Ven a reçu la distinction récompen-
sant la carrière d’un enseignant-chercheur, Distinguished Scholar Career Award de la
Division Organization and Management Theory de l’Academy of Management. Les
recherches menées par A. Van de Ven ont été récompensées par plusieurs distinctions
(cf. Travaux cités de l’auteur). Il a été choisi pour faire les conférences inaugurales à
l’Academy of Management de la Division Technology and Innovation Management en
2002 et de la Division Health Care Management en 2005. Enfin, A. Van de Ven est à
la 26e place des économistes les plus cités dans le monde selon le Thomson – ISI
Essential Indicators, et est l’un des 30 spécialistes sélectionnés pour le prix Nobel
depuis 2002.

Tout au long de sa carrière, A. Van de Ven a abordé les thèmes de la


gestion de l’innovation et du changement principalement à travers deux
programmes de recherche : l’un portant sur l’étude de projets d’innovation
(MIRP – Minnesota Innovation Research Program) de 1983 à 2001 et un
vaste programme d’étude du secteur de la santé (MHOC Program –
Minnesota Healthcare Organization Change Program) depuis 1994. Ses
recherches adoptent une démarche qualitative longitudinale à quelques
exceptions près, liées à l’accompagnement de travaux de recherche de cer-
tains de ses doctorants. Il est possible de représenter graphiquement les
316 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

travaux réalisés par Van de Ven et ses collègues par un schéma en trois
dimensions : (1) les concepts-clés étudiés (idées, acteurs, transactions,
contexte, résultats), (2) la méthodologie longitudinale adoptée (méthode
historique, données primaires, étude de cas) et (3) les terrains de recherche
(innovation, santé) (cf. Figure 1). Les recherches s’inscrivant dans de vastes
et longs programmes, une des caractéristiques des publications d’A. Van
de Ven est qu’elles sont le plus souvent collectives.

Figure 1. Programme de recherche


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Source : adapté de Van de Ven, Schroeder, Scudder et Polley, 1986 : 507.

Ses contributions majeures portent sur la gestion de l’innovation, la


gestion du changement et enfin, les méthodologies d’étude des processus.
Andrew Van de Ven 317

1. COMMENT LES INNOVATIONS ÉMERGENT,


SE DÉVELOPPENT, GRANDISSENT ET S’ACHÈVENT ?
A. Van de Ven s’est tout d’abord intéressé à la gestion de l’innovation,
identifiée comme centre d’intérêt fondamental des dirigeants d’entreprise
dès les années quatre-vingt.
Il contribue à l’élaboration d’une perspective générale sur la gestion de
l’innovation. Il pose une définition du processus d’innovation : « The pro-
cess of innovation is defined as the development and implementation of new
ideas by people who over time engage in transactions with others within an
institutional context » (Van de Ven, 1986 : 591). Cette définition est suffi-
samment large pour s’appliquer à une variété d’innovations, qu’elles soient
techniques, de produit, de process ou organisationnelles. D’un point de
vue managérial, comprendre le processus d’innovation revient à identifier
les facteurs qui facilitent ou inhibent le développement des innovations.
A. Van de Ven retient quatre facteurs :
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• Les idées : alors que l’invention et la conception d’idées innovantes
peuvent être des activités individuelles, l’innovation est une réalisa-
tion collective qui pousse ces idées afin que celles-ci soient mises en
œuvre et institutionnalisées. La dynamique sociale et la politique de
l’innovation deviennent primordiales lorsqu’il s’agit de centraliser
l’énergie et l’engagement nécessaires aux coalitions de groupes
d’intérêt pour développer l’innovation.
• Les acteurs : les acteurs et les organisations ont l’habitude de se
concentrer et protéger les pratiques existantes plutôt qu’accorder de
l’attention aux nouvelles idées. Plus une entreprise réussit, plus il
semble difficile de mobiliser les acteurs sur les nouvelles idées, les
besoins et les opportunités.
• Les transactions : il existe un problème structurel de gestion des
relations qui émergent au cours du développement de l’innovation.
Une caractéristique commune des processus d’innovation est la
coexistence de multiples fonctions, ressources et disciplines, indis-
pensable pour transformer une idée innovante en une réalité concrète
au risque de perdre une vision globale de l’effort d’innovation.
• Le contexte dans le temps : les innovations non seulement s’adaptent
au contexte organisationnel et industriel mais aussi transforment la
structure et les pratiques de ces environnements. Le problème stra-
tégique porte sur le contexte de l’innovation et la création d’une
infrastructure propice à l’innovation.
318 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Après avoir posé ce cadre général, dans ses recherches futures, il va


chercher à répondre plus précisément à la question suivante : comment les
innovations émergent, se développent, grandissent et s’achèvent ?
Pour répondre à la première partie de la question, il s’interroge sur les
antécédents (catalyseurs et freins) de l’innovativité dans les organisations.
Les causes de l’innovation sont généralement classées en trois familles
selon qu’elles relèvent de l’individu (dont la créativité ou la motivation),
de l’organisation (dont la structure et les pratiques managériales) ou de
l’industrie (1980, 1984). A. Van de Ven s’est intéressé dans plusieurs
articles et ouvrages (Van de Ven et Garud, 1989 ; Van de Ven, 1993 ; Van
de Ven et al., 1999) au niveau industrie ou inter-organisationnel en met-
tant en évidence l’importance du rôle joué par quatre sous-systèmes : 1)
les arrangements institutionnels (les agences gouvernementales, les asso-
ciations professionnelles et la communauté scientifique et technique légi-
timent, régulent et standardisent la technologie) ; 2) les dotations en res-
sources (incluant l’évolution de la connaissance scientifique et technique,
le financement et le développement des compétences) ; 3) la demande du
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consommateur (pour des technologies radicalement nouvelles, un marché
informé et compétent n’existe pas et il est nécessaire de le créer) ; 4) les
activités d’appropriation (par lesquelles la connaissance scientifique et les
compétences des chercheurs sont transformées en produits et services sus-
ceptibles de satisfaire la demande de consommateurs) (cf. Figure 2).

Figure 2. Infrastructure industrielle favorable à l’innovation technologique

Source : adapté de Van de Ven et Garud, 1989 et complété par Van de Ven,
Polley, Garud et Vankatraman, 1999.
Andrew Van de Ven 319

Pour répondre à la deuxième partie de la question, A. Van de Ven pense


que comprendre la séquence temporelle des activités qui interviennent
dans le développement et la mise en œuvre de nouvelles idées est fonda-
mental à l’élaboration d’une théorie explicative de la gestion de l’innova-
tion. Le développement d’une innovation est un processus incertain dans
lequel les acteurs, avec le soutien financier d’investisseurs, entreprennent
des séquences d’événements sur une période de temps relativement longue
pour transformer une idée nouvelle en une réalité mise en œuvre. Un
problème central dans la gestion et le financement de l’innovation réside
dans le fait de savoir s’il est opportun de continuer l’effort entrepris et si
oui, comment, alors même qu’il n’existe pas d’information concrète sur la
performance.
Pour répondre à cette question, il propose de mobiliser un modèle
d’apprentissage par essai erreur (cf. Figure 3).

Figure 3. Modèle d’apprentissage par essai-erreur


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Source : adapté de Van de Ven et Polley, 1992 : 95.

La boucle interne entre actions et résultats représente le modèle com-


portemental d’apprentissage par essai-erreur des entrepreneurs, des cher-
cheurs ou des départements responsables du développement de l’innova-
tion. Les acteurs de l’innovation choisissent une ligne de conduite à tenir
comprise comme une somme d’actions, dans le but d’atteindre un résultat
positif. S’ils arrivent à un résultat positif, ils auront tendance à continuer
ou reprendre les actions entreprises ; dans le cas d’un résultat négatif, les
acteurs seront amenés à modifier les actions. Un résultat négatif conduit
320 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

donc à changer les actions jusqu’à ce que les acteurs rencontrent un résultat
positif, auquel cas, on observe un phénomène de rétention. Toutefois, il est
parfois difficile de juger du résultat de certaines actions ou encore certains
résultats qui sont influencés par des facteurs exogènes indépendants des
actions entreprises.
La boucle externe supérieure reflète la possibilité que des actions
puissent créer de nouveaux objectifs ou que des critères de performance
puissent évoluer et ainsi justifier une action. Ainsi, les acteurs agissent
intentionnellement et poursuivent ou changent leurs actions avec pour
objectif d’atteindre des résultats positifs. Si le retour est positif, les acteurs
apprennent que s’ils refont ce qu’ils avaient fait la fois précédente, il est
probable qu’ils rencontrent un succès. Mais les acteurs n’apprennent pas
quoi faire pour remporter un succès à partir d’une information négative ;
ils n’apprennent que ce qu’il ne faut pas faire. Les acteurs auront donc
tendance à modifier leurs actions pour éviter les résultats négatifs rencon-
trés la fois précédente mais rien ne dit que leur nouvelle ligne de conduite
les conduira au succès. Dès qu’il y a changement dans les actions, l’appren-
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tissage redémarre de zéro.
La boucle externe inférieure intègre un élément-clé de l’apprentissage
organisationnel : les investisseurs externes ou les dirigeants en charge de
l’allocation des ressources peuvent être partie prenante du processus d’éva-
luation et, par voie de conséquence, modifier le cours de l’action prise par
l’unité entrepreneuriale. Quand le plan d’action prévu et suivi par les
acteurs de l’innovation est jugé satisfaisant par les investisseurs, leur
confiance et leur volonté de laisser une plus grande souplesse dans la ges-
tion augmentent ce qui permet aux acteurs de l’innovation de poursuivre
leur processus d’apprentissage. Dans ce cas, la boucle externe inférieure n’a
aucun effet. À l’inverse, en cas de doutes concernant la pertinence de la
ligne de conduite à suivre, les investisseurs ou les responsables de l’alloca-
tion de ressources interviennent en envisageant des modes de conduite
alternatifs. L’impact est non seulement sur la boucle interne mais égale-
ment sur la boucle externe.
Et enfin, du côté droit du schéma, des événements issus de l’environne-
ment peuvent apparaître indépendamment de la boucle d’apprentissage et
ces événements contextuels peuvent affecter l’évaluation des résultats,
changer les critères de résultats ou déclencher une intervention de la part
des personnes en charge de l’allocation des ressources.
À travers ce modèle, développé dans le cadre de la gestion de l’innova-
tion, A. Van de Ven propose, plus généralement, une aide pour comprendre
le comportement des organisations dans un environnement incertain.
Andrew Van de Ven 321

2. COMMENT ET POURQUOI LES ORGANISATIONS


CHANGENT ?
Comprendre et expliquer la gestion du changement est au cœur des
préoccupations des chercheurs, en sciences de gestion et dans de nom-
breuses autres disciplines. Les processus ou séquences d’événements qui se
déroulent dans des changements tels que les évolutions de carrière des
individus, la formation d’un groupe et son développement, l’innovation
organisationnelle, sa croissance, sa réorientation, son déclin, restent très
difficile à expliquer.
Pour comprendre comment les organisations changent, les chercheurs
ont emprunté de nombreux concepts, des métaphores et des théories à
d’autres disciplines, allant du développement de l’enfant à la biologie évo-
lutionniste. Ces concepts incluent l’équilibre ponctué, les étapes de la
croissance, des processus de dégradation et de mort, l’écologie des popu-
lations, des modèles fonctionnels de changement et de développement, ou
encore la théorie du chaos. La diversité des théories et des concepts
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empruntés à différentes disciplines a permis de découvrir de nouvelles
façons d’expliquer certains des changements organisationnels et des pro-
cessus de développement sans toutefois proposer un cadre d’ensemble
général et cohérent. A. Van de Ven a cette ambition qu’il construit pro-
gressivement au travers de plusieurs articles sur près de quinze années (Van
de Ven et Astley, 1981 ; Astley et Van de Ven, 1983 ; Van de Ven et Poole,
1988 ; Van de Ven et Poole, 1995).
Il commence par définir les concepts-clés sur lesquels il va appuyer son
raisonnement, de manière délibérément large afin de pouvoir intégrer
plusieurs champs disciplinaires. Il s’intéresse au processus, c’est-à-dire
l’ordre et la séquence d’événements intervenant dans la vie d’une entité
organisationnelle au fil du temps. Le changement est considéré comme
l’un de ces événements. C’est une observation empirique de la différence
dans le temps d’une forme, de la qualité ou de l’état d’une entité organi-
sationnelle. L’entité peut être le travail d’un acteur, le fonctionnement
d’un groupe de travail, l’élaboration de la stratégie d’une organisation, un
programme, un produit ou encore l’organisation dans son ensemble. Le
développement est un processus de changement complet, c’est-à-dire une
succession d’événements depuis le début jusqu’à la fin du changement
observé.
Il est possible de catégoriser le changement selon deux critères : l’unité
d’analyse et le mode de changement. Premièrement, le changement et les
processus de développement peuvent s’appliquer à différents niveaux de
322 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

l’organisation : individu, groupe, organisation, population, et même de


grandes communautés d’organisations. Il est donc nécessaire de définir
précisément à quel niveau se situe la recherche : développement d’une
seule entité ou interactions entre deux ou plusieurs entités. Ce classement
met en lumière deux angles différents pour étudier le changement à
n’importe quel niveau d’organisation : le développement interne d’une
seule entité organisationnelle en examinant le processus chronologique de
changement, d’adaptation et de réplication, et les relations entre de nom-
breuses entités pour comprendre les processus écologiques de la compéti-
tion, de la coopération, des conflits et d’autres formes d’interaction entre
entités. Deuxièmement, s’intéressant au mode de changement, la question
qui se pose est de savoir si la séquence des événements de changement est
prescrite a priori, soit par des lois déterministes ou probabilistes, ou si la
progression est construite et émerge au fur et à mesure que le processus de
changement se déroule. Un mode de changement prescrit conduit au
développement des entités dans une direction prédéterminée, générale-
ment dans le but de maintenir et d’adapter très progressivement leurs
formes d’une manière stable et prévisible. Il évoque une séquence d’événe-
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ments en accord avec un programme défini ou des actions de routine. Un
mode de changement construit génère de nouvelles formes qui, étudiées a
posteriori, sont souvent le résultat d’évolutions discontinues et imprévi-
sibles. Dans ce cadre, de nouvelles actions de routine sont à l’origine (ou
non, dans certains cas) d’une reformulation originale de l’entité.
Partant d’une vingtaine de théories contribuant à la compréhension du
processus de changement, A. Van de Ven propose de les regrouper au sein
de quatre grandes familles de pensée : cycle de vie, téléologie, dialectique
et évolution. Ces quatre théories sont considérées comme des théories
idéales-types, c’est-à-dire qu’elles sont incompatibles les unes avec les
autres et expliquent chacune une partie de la réalité (cf. Figure 4).
Andrew Van de Ven 323

Figure 4. Théories idéales-types explicatives du développement et du changement


organisationnel
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Source : adapté de Van de Ven et Poole, 1995 : 520.

Le modèle du cycle de vie décrit le processus de changement dans une


entité en tant que progression, par le biais d’une séquence d’étapes néces-
saires. Un programme institutionnel, naturel ou logique prescrit le conte-
nu spécifique de ces étapes. Le modèle téléologique envisage le développe-
ment comme un cycle de formulation, de mise en œuvre, d’évaluation, et
de modification des objectifs, sur la base de ce qui a été appris par l’entité.
Cette séquence apparaît à travers la construction sociale d’individus au
sein de l’entité. Dans les modèles dialectiques de développement, des
conflits émergent entre les entités qui adoptent des thèses opposées ; de
leur réconciliation autour d’une synthèse nait la prochaine thèse qui sera
source de conflit lors du cycle suivant de la progression dialectique.
Confrontations et conflits entre des entités opposées génèrent le cycle
dialectique. Enfin, un modèle évolutionniste de développement est consti-
tué d’une séquence répétitive d’événements de variation-sélection-réten-
tion au sein d’entités appartenant à une population précise. La compéti-
tion entre les entités de la population, pour les ressources limitées de
l’environnement, génère ce cycle évolutionniste.
324 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Chacune de ces quatre théories décrit des dynamiques et des lois sus-
ceptibles d’expliquer le développement et le changement organisationnels.
A. Van de Ven a donc cherché à expliquer des processus de développement
de l’innovation, de création d’entreprise ou de gestion d’organismes de
santé à l’aide de cette grille de lecture. En fait, il s’est rendu compte que
ces théories étaient incomplètes prises individuellement, mais qu’elles
offraient une plus grande richesse et rendaient mieux compte de la com-
plexité de la réalité si on les faisait intervenir conjointement. Il propose
ainsi seize modalités d’explication possible à l’observation d’un change-
ment organisationnel selon un système combinatoire de présence ou
d’absence de chacune des quatre théories « idéales ». Il semble alors pos-
sible de comprendre n’importe quel changement organisationnel au tra-
vers de l’une de ces grilles d’interprétation.
Plus récemment, il calque la même démarche pour étudier le change-
ment institutionnel (Van de Ven et Hargrave, 2004 et Hargrave et Van de
Ven, 2006). En adoptant les mêmes dimensions (changement construit vs
changement reproduit ; focalisation sur un acteur vs acteurs multiples), il
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propose quatre perspectives distinctes : design institutionnel, adaptation
institutionnelle, diffusion institutionnelle et action collective. Chacune
d’entre elles permet d’aborder différemment le changement institutionnel
et repose sur des hypothèses et mécanismes distincts. A. Van de Ven pro-
pose à l’aide de la matrice 2x2 (cf. Figure 5) de répondre à la question :
comment et où chacune des perspectives peut être mobilisée pour expli-
quer les différentes facettes du changement institutionnel ? Il propose
également des couplages entre perspectives pour mieux rendre compte de
la réalité.
Andrew Van de Ven 325

Figure 5. Perspectives pour étudier le changement institutionnel


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Source : adapté de Van de Ven et Hargrave, 2004 : 293.

3. L’ANALYSE LONGITUDINALE DES PROCESSUS POUR


RÉPONDRE AUX QUESTIONS
Point commun à l’ensemble de ses recherches : la méthodologie. À
quelques exceptions près, A. Van de Ven a adopté une même démarche :
l’analyse longitudinale des processus de changement. La première diffi-
culté réside dans les multiples définitions du terme processus. Van de Ven
(1992) identifie trois cas de figure couramment étudiés : (1) une logique
qui explique une relation causale entre variables indépendantes et variable
dépendante, (2) une catégorie de concepts ou variables qui se réfère aux
actions d’individus ou d’organisations, (3) une séquence d’événements qui
décrit comment les choses changent dans le temps. Dans la suite de ses
travaux, il ne retiendra finalement que la première et la troisième défini-
tions (Poole et al., 2000) correspondant à deux modes d’approche du
changement.
326 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Premièrement, si le changement est une différence observée dans le


temps de dimensions sélectionnées et identifiées au sein d’une entité orga-
nisationnelle, les chercheurs qui l’étudient vont adopter l’approche par la
variance. Le changement est alors une variable dépendante qui est expli-
quée par un ensemble de variables indépendantes qui expliquent statisti-
quement les variations de la variable dépendante. Le chercheur recherche
une explication d’un changement continu selon une ou des lois détermi-
nistes : X est à l’origine de Y qui est à l’origine de Z. Les chercheurs uti-
lisent donc des expérimentations ou des enquêtes par sondage et analysent
les données à l’aide de méthodes statistiques comme l’ANOVA, la régres-
sion, l’analyse factorielle ou les équations structurelles. Jusqu’à une période
récente, il s’agissait de l’approche dominante en gestion du changement,
de l’innovation et de l’entrepreneuriat.
Deuxièmement, si le chercheur s’intéresse à une histoire décrivant une
séquence d’événements relatant comment le développement et le change-
ment ont lieu, alors il est pertinent d’adopter une approche par les proces-
sus qui fournit une explication de l’ordre temporel et de la séquence dans
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laquelle les événements de changement sont identifiés dans l’histoire. Les
méthodes processuelles sont délicates à mettre en œuvre du fait de la com-
plexité des événements, de la nécessaire prise en compte des connexions
temporelles entre événements, des différentes échelles temporelles au sein
d’un même processus et de la nature dynamique du processus. Dans sa
quête d’explications, le chercheur doit intégrer différentes sortes d’in-
fluences dont les événements critiques et les bifurcations, l’influence du
contexte, les schémas qui donne des indications sur la direction globale du
changement et les facteurs causaux qui influencent les séquences d’événe-
ments. Pour mener à bien ces méthodes, les chercheurs utilisent des
designs de recherche assez variés tels que l’observation directe, l’analyse
d’archives ou les études de cas multiples. Différents outils d’analyse sont
disponibles tant qualitatifs que quantitatifs du moment qu’ils satisfont les
deux conditions suivantes : l’outil doit permettre d’identifier et de tester
des liens temporels entre événements et de dégager des schémas temporels
d’ensemble ainsi que de tenir compte et d’exploiter des temporalités mul-
tiples différentes, fréquentes au sein des processus.
La plupart des recherches sur les processus stratégiques portent sur des
études de cas rétrospectives, une fois les résultats connus. Or, il est indé-
niable qu’une connaissance préalable du succès ou de l’échec d’un change-
ment stratégique biaise les résultats de la recherche. L’analyse historique est
toutefois nécessaire pour aborder un grand nombre de questions ; pour
limiter le biais précédent, A. Van de Ven préconise soit de démarrer l’étude
de cas avant de connaître l’issue de l’action de changement, soit d’étudier
Andrew Van de Ven 327

en temps réel un processus de changement stratégique. Par exemple, si


l’objectif de la recherche est de comprendre comment gérer la formulation
et la mise en œuvre d’une stratégie organisationnelle, il est nécessaire pour
les chercheurs de se placer eux-mêmes dans la temporalité et le cadre de
référence contextuel des dirigeants. Vraisemblablement, cela va impliquer
de mener une étude de cas rétrospective pour comprendre le contexte et
les événements qui sous-tendent la stratégie étudiée. Mais il faudra bien
faire attention à observer en temps réel les événements et activités liés au
développement de la stratégie, sans connaître a priori les résultats et consé-
quences de ces événements et activités. A. Van de Ven préconise à la fois
la collecte régulière de données primaires mais également des moments de
rencontres et d’échanges en temps réel. Par exemple, cela peut consister en
l’observation de réunions d’un comité de pilotage-clé, des événements de
décision ou de crise, et des discussions informelles avec des acteurs-clés du
processus. La collecte régulière de données apporte des éléments de
réponse à des questions relatives à « si » et « quel » changement a lieu ; les
observations en temps réel sont indispensables pour comprendre « com-
ment » ces changements interviennent. Ce dispositif méthodologique
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nécessite une implication importante de la part du chercheur et un accès
au terrain privilégié, accordé par les dirigeants. Van de Ven, Angle et Poole
(1990) précisent que les chercheurs doivent d’abord faire l’effort d’adopter
la perspective des dirigeants impliqués dans l’effort de changement straté-
gique pour appréhender les dynamiques auxquelles ils sont confrontés et,
ensuite, contribuer à l’amélioration des connaissances théoriques sur la
compréhension des processus stratégiques.
Une fois les données collectées, Van de Ven, Angle et Poole (1990) puis
Huber et Van de Ven (1995) proposent des méthodes d’analyse tant qua-
litatives que quantitatives. Dans les démarches qualitatives, ils proposent
les représentations graphiques (notamment des formes d’arbres d’évolu-
tion chronologiques) ou les stratégies narratives. Dans les démarches
quantitatives, ils présentent les méthodes d’analyse de séquences d’événe-
ments codés, les structures des séries temporelles d’événements et des
propositions de modélisation de différentes séries temporelles (données
ordonnées, chaotiques ou aléatoires).

Conclusion
A. Van de Ven a ainsi passé l’essentiel de sa carrière à étudier en pro-
fondeur la gestion de l’innovation et la gestion du changement au sein
d’organisations diverses. Il a tenté de construire des théories explicatives
des phénomènes qu’il a observés sur des périodes de temps longues. En
328 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

guise de synthèse de l’ensemble de sa carrière, A. Van de Ven propose dans


son dernier ouvrage une réflexion sur les contributions des chercheurs en
sciences de gestion à la construction des connaissances (2007). Comprendre
comment la recherche peut faire avancer la connaissance scientifique et les
pratiques managériales est un défi continuel et une mission centrale pour
les enseignants-chercheurs. A. Van de Ven propose de réconcilier théorie
et pratique dans les recherches en sciences humaines et sociales. Il identifie
trois problèmes : le transfert de connaissances, notamment du milieu aca-
démique vers le milieu professionnel, la complémentarité des connais-
sances scientifiques et techniques et la traduction de la production de
connaissances en implications managériales. Afin de réduire l’ampleur des
problèmes, il propose de faire intervenir davantage les praticiens dans la
démarche-même de recherche, ainsi qu’il l’a pratiquée au cours de sa car-
rière (cf. Figure 6). Par exemple, les professionnels peuvent intervenir au
moment de la définition de la question de recherche pour confirmer
l’ancrage de la question dans les préoccupations des dirigeants. Bien évi-
demment, le terrain est indispensable pour collecter des données suscep-
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tibles de comparer des alternatives théoriques, qu’il s’agisse de modèles ou
de théories. Enfin, la réponse à la question de recherche doit être formulée
de manière à permettre aux dirigeants de faire évoluer leurs pratiques.

Figure 6. Comment réconcilier théorie et pratique

Source : adapté de Van de Ven, 2007.


Andrew Van de Ven 329

Ce dernier ouvrage est une théorisation de près de 40 ans de pratique


de la recherche en sciences de gestion, tant sur le plan épistémologique
que méthodologique afin d’accorder une place importante au terrain et
aux dirigeants qui font l’entreprise.

Travaux cités de l’auteur


Astley, G., Van de Ven, A.H. (1983), « Central Perspectives and Debates in
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p. 245-273.
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Institutional Innovation », Academy of Management Review, vol. 31, n° 4,
p. 864-888.
Huber, G.P., Van de Ven, A.H. (Eds.) (1995), Longitudinal Field Research
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California : Sage Publishers.
Poole M.S., Van de Ven A.H. (2004), « Theories of Organizational Change and
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Startups : Entrepreneurial, Organizational and Ecological Considerations »,
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Van de Ven A.H., Polley D. (1992), « Learning While Innovating », Organization
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Van de Ven A.H., Polley D., Garud R., Venkataraman S. (1999), The Innovation
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Cambridge, Massachusetts : Ballinger, p. 19-53.
Van de Ven A.H., Poole M.S. (1990), « Methods For Studying Innovation
Developments in the Minnesota Innovation Research Program », Organization
Science, vol. 1, n° 3, p. 313-335.
Van de Ven A.H., Poole M.S. (1995), « Explaining Development and Change in
Organizations », Academy of Management Review, vol. 20, n° 3, p. 510-540.
Prix du meilleur article de l’Academy of Management Review reçu en 1996.
Van de Ven A.H., Schroeder R., Scudder G., Polley D. (1986), « Managing
Innovation and Change Processes : Findings from the Minnesota Innovation
Research Program », Agribusiness Management Journal, vol. 2, n° 4, p. 501-
523.
XXI. MICHEL CROZIER – ACTEURS ET SYSTÈMES : L’ANALYSE
STRATÉGIQUE DES ORGANISATIONS

François Grima
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 331 à 342


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-331.htm
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Quand l’organisation est
pensée comme système
d’influence
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Acteurs et systèmes :
l’analyse stratégique
des organisations
Michel Crozier
XXI

François Grima
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Michel Crozier 333

Comme le soulignent Durand et Weil (1991), Michel Crozier est sou-


vent défini comme un sociologue des organisations. Néanmoins, la grille
de lecture qu’il propose, l’analyse stratégique, dépasse la simple analyse des
firmes pour interroger, comme en témoignent ses écrits des années quatre-
vingt-dix (1989, 1995) l’évolution des sociétés en général. Saussois (1999)
souligne que Crozier demeure le chercheur en Sciences Sociales le plus
connu des entrepreneurs. Cette renommée repose sur une construction
théorique originale.
Réfutant les approches fonctionnalistes, contestant tout à la fois les
analyses interactionnistes et culturalistes, Crozier propose d’analyser les
phénomènes organisationnels selon une double perspective individuelle et
holistique. L’individu est un acteur autonome, à la liberté contrainte par
l’incertitude entourant l’action de ses partenaires et par sa méconnaissance
des effets de système engendrés par la multitude des liens structurant son
espace social. Incertitude, système d’action et pouvoir constituent les fon-
dements de l’analyse.
Au-delà de ce double mouvement singulier de compréhension du
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social, l’analyse stratégique ne se résume pas à une étude des phénomènes
de pouvoir. Elle intègre la problématique du changement. Ce dernier est
comme un moment de crise des équilibres internes à la firme, question-
nant les jeux existants.

Notice biographique
Né en 1922, Michel Crozier a suivi un cursus universitaire atypique. Diplômé HEC,
il entre au CNRS en 1952, où il devient directeur de recherche en 1970. En 1961, il
fonde le Centre de Sociologie des Organisations (CSO) qu’il dirige jusqu’en 1993.
Durant sa carrière, Crozier s’intéressa au thème du changement organisationnel, qu’il
prenne la forme de l’innovation où se produise dans une institution comme l’État.
Cette réflexion fut articulée à des travaux plus théoriques sur la nature de l’action indi-
viduelle et collective. Plus récemment, l’auteur a entrepris d’écrire ses mémoires.

1. L’ANALYSE STRATÉGIQUE : UNE APPROCHE


DU SOCIAL À LA FOIS INDUCTIVE ET DÉDUCTIVE
Si pour certains l’action est interaction (Goffman, 1974), connaissance
(Berger et Luckman, 1986) ou simple recherche d’utilité (Boudon, 1979),
pour Crozier, elle est stratégie. Questionnant les approches instrumentales
et contingentes d’inspiration anglo-saxonne, remettant en cause les tra-
vaux de Weber sur la supériorité de la bureaucratie sur toute autre forme
organisationnelle, Crozier s’interroge, au niveau micro-social le plus fin,
334 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

c’est-à-dire l’individu, sur la coordination au travail : pourquoi les indivi-


dus choisissent-ils de coopérer ou de s’opposer ?
Ses recherches à la Seita, rendues célèbres par l’ouvrage, Le Phénomène
Bureaucratique (1964) lui révèlent une organisation fragmentée, véritables
constellations d’ajustements entre les acteurs. Ces derniers mettent en
mouvement des logiques stratégiques, c’est-à-dire orientent leur action en
fonction de leurs ressources propres, de leur compréhension de leur situa-
tion de travail et des contraintes encadrant leur activité. Loin de subir une
structure sociale pré-déterminant ses actes, comme le souligne une cer-
taine forme de holisme, l’individu au travail est un acteur qui arbitre entre
diverses opportunités au mieux de ses intérêts et de la perception qu’il en
a. Il se trouve inséré dans un espace de jeu où chacun joue et, ce faisant,
fait évoluer le jeu, sans que pour autant tous les joueurs aient une même
vision du jeu. Cette quête d’un espace de liberté est synonyme de pouvoir.
En effet, le pouvoir constitue la problématique de fond de l’analyse crozé-
rienne, tant pour l’auteur « la société harmonieuse, parce que vertueuse,
n’existe pas. »
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Pour définir le concept, l’auteur s’inspire de la définition de Dahl pour
qui « e pouvoir d’une personne A sur une personne B, est la capacité de A
d’obtenir que B fasse quelque chose qu’il n’aurait fait sans l’intervention
de A ». Cela le conduit à proposer sa propre définition du pouvoir en ces
termes : « Le pouvoir de A sur B dépend de la prévisibilité du comporte-
ment de B pour A et de l’incertitude ou B se trouve du comportement de
A. Tant que les besoins même de l’action créent des situations d’incerti-
tude, les individus qui doivent y faire face se trouvent disposer de pouvoir
sur ceux qui seront affectés par les résultats de leur choix. » Le pouvoir
réside dans l’incertitude dans laquelle on laisse son environnement, sur ses
possibilités d’action ou d’inaction et dans ses propres capacités à diminuer
cette incertitude dans son environnement. Crozier met en exergue ici plu-
sieurs sources d’indétermination, synonyme de pouvoir : l’expertise pro-
fessionnelle, le contrôle du système hiérarchique et le positionnement de
garde-barrière. Dans chacun de ces trois cas, l’acteur dispose d’un avantage
concurrentiel sur ses partenaires qui lui assure un espace de liberté au
détriment de ces derniers. On voit se dessiner ici les soubassements de
l’analyse stratégique de Crozier.
L’un des principes fondamentaux demeure l’affirmation d’une certaine
liberté de l’homme au travail. En effet, ce dernier n’est pas prisonnier de
l’exécution d’un rôle social strict mais dispose d’une marge de manœuvre
lui autorisant des adaptations personnelles. Il est actif, même si ce déploie-
ment peut être synonyme parfois de passivité. Il s’agira alors d’un mouve-
ment tactique et non d’une acceptation de la position que la structure lui
Michel Crozier 335

a donnée. Cependant, cette capacité d’action est développée par tous, ce


qui rend le jeu mouvant, sans cesse à découvrir. Deux caractéristiques
apparaissent ici :
• la première est la nature construite du phénomène organisationnel.
Ce dernier résulte des différents ajustements interindividuels. Il
n’existe aucun déterminisme structurel mais une somme de micro
coopérations qui tisse l’ensemble organisationnel dans lequel cha-
cun va tenter, avec ses ressources, de faire triompher ses intérêts.
L’organisation n’est donc pas une donnée naturelle mais une
construction collective largement inconsciente, en ce sens que les
individus ne cherchent pas à réaliser des buts collectifs, sauf s’ils
satisfont en partie leurs propres objectifs. Il n’existe pas d’accord a
priori entre les orientations de la firme et ceux des individus qui la
composent. Les objectifs de l’organisation font l’objet de discus-
sions, d’arrangements plus ou moins importants ;
• la seconde est l’incertitude dans laquelle l’acteur opère ses choix. En
effet, l’incertitude constitue pour lui une ressource stratégique lui
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garantissant une marge de liberté, il en va de même pour les autres
acteurs de l’organisation. L’acteur n’est pas totalement libre. Le rai-
sonnement volontariste doit laisser place à une perspective opportu-
niste. L’imprévisibilité, le foisonnement de l’information, le carac-
tère utilitaire de la décision l’amènent à ne pas rechercher l’optimi-
sation mais la satisfaction. Il ne tente pas d’amasser le maximum
d’informations pour réaliser ses choix comme l’indique le modèle
classique de la rationalité. Il arrête sa collecte lorsqu’elle lui garantit
un choix acceptable, ou en tout cas le moins insatisfaisant possible.
Le concept d’utilité mobilisé ici ne doit être rapproché que partiel-
lement de son usage en économie. Le sens que lui accorde Crozier
est beaucoup plus large. Le rapport à autrui peut intégrer des
dimensions telles que l’émotion que ne prend pas en compte la
théorie économique standard avec la tarification du prix.
Loin d’être le résultat d’un cheminement rationnel complet, l’acteur
croziérien saisit des opportunités, avec toute la part d’inconnu, de mécon-
naissance que cela suppose. Crozier adhère ici au principe de rationalité
limitée défendu par Match et Simon (1971). L’acteur ne connaît pas l’in-
tégralité du jeu dans lequel il se trouve placé. Il ne peut pas saisir les consé-
quences de ses choix. L’acteur procède largement par induction. Il tend à
découvrir le système dans lequel il se trouve inséré par tâtonnements qui
sont autant de questionnements, de reconstructions de ses règles organisa-
tionnelles.
336 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Si Crozier souligne les possibilités d’action de l’individu dans la firme,


parallèlement il met en exergue l’interdépendance des membres d’une
firme. Des effets de système apparaissent qui encadrent, structurent les
possibilités de jeu. Cependant, il reste impossible de dresser une cartogra-
phie précise des liens entre les individus comme des effets système engen-
drés. Le niveau systémique de l’analyse traduit la complexité du jeu social
au sein de la firme, au sens ou il est impossible de dégager les causes et les
conséquences des différentes actions entreprises dans l’organisation.
Dubet (1994 : 87) souligne : « Il n’y a donc ni un pur marché des interac-
tions a la Goffman, ni une domination absolue du système, comme dans
le fonctionnalisme ; il existe a la fois des joueurs et des contraintes de jeu. »
L’articulation de l’approche stratégique, aux fondements rationnels, et
d’une logique systémique, de nature culturelle, doit permettre à l’observa-
teur, qu’il soit sociologue ou gestionnaire, d’accéder à un niveau de com-
préhension élevé de l’ensemble social. Elle permet la coordination des
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analyses inductives (stratégiques) et déductives (systémiques). Pour
atteindre ce niveau d’efficience et être capable de donner sens aux actions
apparemment irrationnelles de ses acteurs, ce modèle s’inscrit dans un
espace circonscrit : le système d’action concret. Ce dernier est construit
par l’observateur. Crozier et Friedberg (1977 : 246) le définissent en ces
termes : « un ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses
participants par des mécanismes de jeux relativement stables et qui main-
tient sa structure, c’est-à-dire la stabilité de ses jeux et les rapports entre
ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d’autres jeux ».
Conçue à l’origine pour être utilisée au sein d’une même organisation,
laissant place à plusieurs critiques sur l’enfermement de l’analyse sur le
fonctionnement de la firme, la notion de système d’action concret a fait
l’objet de modifications qui ont amené Friedberg (1993 :15) à lui préférer
celle de système d’action organisée. L’observateur étudie alors les « proces-
sus par lesquels sont stabilisées et structurées les interactions entre un
ensemble d’acteurs placés dans un contexte d’interdépendance straté-
gique ». Au-delà de l’intérêt de ce renouvellement théorique dans un
contexte de transformation, voire d’affaiblissement des frontières des
firmes, qui débouchent sur la constitution de réseau, cette notion montre
que la coopération entre les individus n’est ni le résultat de la passation de
contrat, ni celui de l’application de normes sociales mais une combinaison
des deux.
Michel Crozier 337

2. UNE ANALYSE DU CHANGEMENT COMME


UN PHÉNOMENE SYSTÉMIQUE CONTINGENT
Au-delà de cette réflexion sur la coopération entre les acteurs, Crozier
a développé, conjointement avec Friedberg, une analyse originale du chan-
gement organisationnel et de ses difficultés. Se fondant sur leur travail à
propos du cercle vicieux bureaucratique, les auteurs montrent que l’orga-
nisation peut se rigidifier par la multiplication des règles de fonctionne-
ment visant à contrôler ses membres, ce qui engendre de ce fait des amé-
nagements locaux. Ces enchaînements sont synonymes de rejet de tout
changement en provenance de l’extérieur, tant il est difficile d’aménager
cette source d’incertitude. Les liens entre les erreurs, l’information et la
correction sont faibles. Ce type d’équilibre appelé par les auteurs « sys-
tèmes bureaucratiques d’organisation » dispose de quatre traits distinctifs
rappelés par Durand et Weil (1990) :
• le développement de règles impersonnelles de fonctionnement :
elles protègent les membres de l’organisation contre tout déborde-
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ment arbitraire tout en les privant d’initiatives personnelles ;
• la centralisation des décisions : elle conduit à une distanciation entre
prise de décision et exécution des tâches dans la firme, ce qui ren-
force la rigidité du fonctionnement interne de la firme ;
• l’isolement de chaque catégorie hiérarchique : l’organisation est
découpée en de multiples sous-groupes aux intérêts divergents qui
s’opposent tout en faisant pression sur leurs propres membres pour
maintenir un degré d’homogénéité élevé, afin de subsister dans les
luttes internes pour la maîtrise de la détermination des règles ou le
maintien, voire l’élargissement de leur zone de liberté ;
• le développement de relations de pouvoir : le maintien de situations
de dépendance entre les catégories laisse subsister des phénomènes
d’influence visant à contraindre le partenaire tout en élargissant
l’incertitude entourant sa propre action.
Crozier souligne que ce type d’équilibre n’est nullement remis en cause
par une pression extérieure. Au contraire, ce dernier est vécu au mieux,
comme une tentative de questionnements des acquis ayant fait l’objet de
négociations passées. Au pire, il apparaît comme une occasion d’élargir sa
sphère d’influence catégorielle ou personnelle.
Dans cette perspective, la question est de savoir selon quel contexte il
est possible d’envisager que les tensions structurant cet équilibre bureau-
cratique vont cesser de le structurer pour au contraire le remettre en cause.
À cette question, Crozier répond en analysant le changement comme un
338 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

phénomène systémique contingent. Le changement est un mouvement


qu’il est impossible de réguler, de cadenasser. Sous certaines conditions
préalables propres à chaque organisation, il se met en œuvre.
Loin de s’assimiler à la traduction de la volonté d’un leader charisma-
tique ou aux résultats d’un rapport de forces entre classes, le changement
est une opportunité à saisir au gré des circonstances. Celles-ci s’avèrent
plus favorables dans des contextes marqués par la pluralité des lieux de
contacts entre les différents groupes d’intérêts. En effet, il est plus facile de
tolérer une rupture locale, une innovation dans un tissu relationnel dense
ou son poids relatif est plus faible que dans un maillage réduit.
L’implication d’un leader constitue une autre condition favorable.
Tant grâce à sa passion qu’à sa connaissance fine du système d’action
concret, il est capable de modifier la perception des acteurs de leur situa-
tion comme celle de leur organisation. La réalisation d’un changement
apparaît ici comme un phénomène d’apprentissage collectif ou chacun
prend conscient de nouveaux modes de raisonnement et des potentialités
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positives à l’établissement de nouvelles règles du jeu collectif.
L’approche de Crozier est modeste. Il ne cherche pas à dégager des
règles d’émergence ou de gestion du changement. Il souligne au contraire
son caractère nécessairement contingent tant sa programmation mènerait
à sa suppression par les différents intérêts en jeu dans la démarche. Il ne se
propose que de dégager des constellations, qui à la lumière de son expé-
rience de sociologue de terrain, lui permettent de dire que la situation est
favorable à une action de changement.
Cette analyse du changement prend aussi la forme d’ouvrages de nature
plus politique ou Crozier s’engage dans le débat politique en tant que
réformateur. Reprenant la matrice de l’analyse stratégique et systémique,
il y dénonce l’omnipotence de la structure étatique qui reste prisonnière
d’un cercle vicieux bureaucratique, s’étendant à l’ensemble de la société
française. Bien que théoriquement moins charpentés, ces ouvrages telles
que La société de la confiance (1995), État modeste, État moderne (1987),
On ne change pas la société par décret (1982), La société bloquée (1970)
contribuent à la diffusion du modèle proposé par Crozier, au-delà de la
communauté scientifique pour en faire une référence essentielle de l’ana-
lyse des firmes.
Néanmoins, il demeure que l’analyse stratégique et systémique n’est pas
exempte de critiques.
Michel Crozier 339

3. MISE EN PERSPECTIVE CRITIQUE


Si le travail de Crozier apparaît à un grand nombre de chercheurs
(Saussois, 1999) comme une référence ayant ouvert une nouvelle voie
d’analyse de l’organisation, pour d’autres, différents éléments peuvent être
avancés qui en limitent la pertinence. Deux points font l’objet de cri-
tiques : l’absence de prise en compte des déterminants des ressources des
acteurs et l’étendue de la liberté de l’acteur.
Si l’un des apports de Crozier est de montrer que le pouvoir peut être
endogène à une situation de travail, il demeure qu’il néglige les sources
extérieures. Durand et Weil (1990) soulignent que l’analyse stratégique
reste muette sur l’origine des inégalités de ressources préexistant à la situa-
tion du système d’action concret. L’individu ne peut être réduit à un stra-
tège pris dans un contexte donné. Il dispose d’un passé professionnel et
personnel, de caractéristiques sociales, démographiques qu’il peut mobili-
ser pour accroître sa zone d’incertitude en situation de travail. Pour Rolle
(1980) et Leca et Jobert (1981), il conviendrait de raisonner de manière
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graduée. S’il est vrai que le jeu organisationnel est source de pouvoir, il doit
être réintroduit dans un dispositif de recherche élargi qui intègre des déter-
minants structuraux. Rolle note qu’il est difficile de ne pas prendre en
compte le fonctionnement global d’une entreprise, voire plus largement
celui de l’activité, lorsque l’on analyse le fonctionnement d’un atelier.
Cette absence de prise en compte de macro-dimensions, notamment
culturelles, est relevée par Sainsaulieu qui y ajoute un questionnement sur
le transfert de la grille crozérienne de l’individu au groupe : « Entre la
puissance collective d’un groupe rendu important par l’opportunité de
pouvoir et de jeu qu’il contrôle, et le cas particulier de l’individu capable
de stratégie, qu’y a-t-il de commun ? Peut-on parler d’un groupe et d’un
individu avec le même langage ? Faute d’avoir dissocié le registre de l’indi-
viduel et du collectif, on donne ici l’impression d’un curieux mélange qui
heurte et effraie autant par son psychologisme quand on parle de groupe
ou d’un atelier comme acteur, que par son hypothèse draconienne de pur
calcul stratégique et de froide appétence au jeu dangereux du pouvoir
quand on se rapproche de l’individu comme acteur » (1981 : 454). Ce que
résument Weil et Durand (1991 : 139) en ces termes : « Autrement dit, le
social n est pas que de l’organisationnel recélant de l’incertitude, source de
pouvoir. »
L’individu est difficilement réductible à un stratège impliqué dans un
système d’action concret. Il peut agir autrement que pour la poursuite de
ses intérêts, ce qui fait de chaque personne une combinaison unique de
340 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

motifs d’action. Cette inégalité des ressources, les différences dans les
motivations, sources de subjectivisation pour chaque individu, amènent
plusieurs auteurs à relativiser la liberté organisationnelle de l’analyse stra-
tégique.
Alter (1993) montre que l’exercice stratégique dans un contexte orga-
nisationnel est une activité éprouvante. Certains peuvent préférer y renon-
cer par lassitude alors que d’autres possèdent des aptitudes pour mener à
bien ce véritable travail. Ici, le retrait n’est pas analysé comme une
manœuvre stratégique mais comme l’expression d’une véritable fatigue
organisationnelle. Courpasson (1997) va plus loin dans la remise en cause.
S’appuyant sur les évolutions managériales des dernières années, il doute
des possibilités laissées aux acteurs pour négocier des zones d’incertitudes.
Il voit au contraire une intensification de la domination de l’organisation
au travers des mécanismes, tels que la menace crédible d’une sortie de la
firme. Cette contrainte souple remet en cause la volonté même de l’acteur
d’amorcer un mouvement de marchandage autour des règles organisation-
nelles. La notion de jeu laisse la place à celle d’un engagement nécessaire,
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voire souhaité par les membres de l’organisation tant les repères culturels
du monde du travail sont maintenant vécus au niveau de la firme.
Au-delà de ces diverses limites, certains s’interrogent sur le statut à
accorder aux analyses de Crozier. En effet, comme le fait remarquer
Friedberg lors du colloque de Cerisy, l’analyse stratégique est avant tout
une méthode qui permet, à la manière de la Grounded Theory de Glaser et
Strauss (1967) de faire émerger du terrain un construit théorique localisé.
La contextualisation des résultats, leur extrême contingence ne permet pas
de proposer d’élargissement théorique. La connaissance apparaît ici
comme locale, fragile tant la liberté des acteurs fait évoluer le système
d’action concret dont elle est issue.
Ces questionnements sur la notion d’acteur, sur les niveaux d’analyses
ne remettent pas en cause la pertinence tant intellectuelle que pratique des
travaux de Crozier. Loin d’être un travail stérile, s’enfermant dans une
logique de chapelle, l’analyse stratégique apparaît comme un terreau sur
lequel plusieurs grilles de lecture complémentaires se sont développées. Il
en va ainsi de la théorie de la régulation proposée par Reynaud (1989).
J.-D. Reynaud formalise la question de la forme du marchandage orga-
nisationnel permanent décrit par Crozier avec sa notion de jeu. Pour la
traduire, il met en avant les notions de régulations conjointe, de contrôle
et autonome. Grâce à ces dernières, il montre que le compromis organisa-
tionnel, la régulation conjointe, résultent tant de l’association des règles
émises par le centre, la régulation de contrôle, et de la mise en œuvre des
Michel Crozier 341

savoirs pratiques des individus, la régulation autonome. Bien que fournis-


sant des éclairages pertinents, cette démarche reste instrumentale voire
normative. L’action de l’individu au travail se réduit à l’expression de ses
intérêts. Les approches valorisant l’identité, telles celles de Sainsaulieu,
tout en continuant de percevoir l’acteur comme un stratège, insistent
quant à elles sur sa socialisation. L’acteur est aussi membre d’une commu-
nauté professionnelle dont il intègre les normes car l’encastrement struc-
turel, pour reprendre une terminologie propre à Granovetter (1985), n’est
pas pris en compte dans les travaux de Crozier. Toute dimension institu-
tionnelle est écartée. Enfin, plus récemment, la réflexion en termes de New
Public Management (NPM) peut être rapprochée en partie des travaux de
l’auteur sur la réforme de l’État. Si Crozier ne distingue pas l’État de
l’administration comme le NPM, les deux analyses se retrouvent sur la
nécessité d’orienter le travail de l’administration vers un citoyen conçu
comme un client. Il en va de même de la valorisation d’une évolution de
la culture des fonctionnaires même si le NPM aborde ce point de manière
beaucoup plus instrumentale.
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Au-delà, ces divers développements soulignent les risques qu’il y a tou-
jours à analyser les situations sociales à partir d’une grille unique de com-
préhension. Les recherches de Michel Crozier ne font pas exception à la
règle. Certains choix ont été opérés par l’auteur, des postulats admis qui
rendent possible une critique fondée… mais aussi un travail fructueux de
recherche.

Travaux de l’auteur
Crozier, M., Friedberg, E. (1977), L’acteur et le système, Paris, Seuil.
Crozier, M. (1963), Le phénomène bureautique, Paris, Seuil.
Crozier, M. (1970), La société bloquée, Paris, Seuil.
Crozier, M. (1979), On ne change pas la société par décret, Paris, Grasset.
Crozier, M. (1986), État modeste, État moderne, Paris, Fayard.
Crozier, M. (1989), L’entreprise a l’écoute, Paris, Interéditions.
Crozier, M. (1995), La crise de l’intelligence, Paris, Interéditions.
Crozier, M. (2002), Ma belle époque, Paris, Fayard.
Crozier, M. (2004), À contre-courant, Paris, Fayard.

Autres références bibliographiques


Alter, N. (1993), « Innovation et organisation : deux légitimités en concur-
rence », Revue Française de Sociologie, vol. XXXIV-2, p. 175-197.
Alter, N. (1993), « La lassitude de l’acteur de l’innovation », Sociologie du travail,
n° 4, p. 447-468.
342 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Berger, P., Luckmann T. (1986), La construction sociale de la réalité, Paris,


Méridiens-Klincksieck.
Boudon, R. (1979), La logique du social Paris, Hachette.
Courpasson, D. (1997), « Régulation et gouvernement des organisations. Pour
une sociologie de l’action managériale », Sociologie du travail, vol. 1, p. 39-61.
Dahl, R.A. (1971), Qui gouverne, Paris, Armand Colin.
Dubet F., (1994), Sociologie de l’expérience, Paris, Seuil.
Durand, J.P., Weil, R. (1990), Sociologie contemporaine, Paris, Vigot.
Glaser, G.B., Strauss, A.L. (1967), The discovery of grounded theory. Strategies for
qualitative research, Aldine Publishing Company.
Goffman, E. (1974), Les rites d’interaction, Paris, Éditions de Minuit.
Leca, J., Jobert, B. (1980), « Le dépérissement de l’État. À propos de “l’acteur et
le système” », Revue Française des Sciences Politiques, vol. 30, n° 6, p. 112-
1170.
Match J., Simon H. (1971), Les organisations, Paris, Dunod.
Pavé, F. (1994), L’analyse stratégique : sa genèse, ses applications et ses problèmes
actuels : autour de Michel Crozier, Colloque Cerisy, Seuil.
Reynaud, J.-D. (1989), Les règles du jeu. L’action collective et la régulation sociale,
Armand Colin, Paris.
Rolle, P. (1980), « Analyse stratégique et liberté humaine », Connexions, vol. 30,
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p. 103-113.
Sainsaulieu R. (1981), « Du système à l’acteur », L’année sociologique, vol. 31,
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Sainsaulieu R. (1997), Sociologie de l’entreprise, PFNSP et Dalloz, Paris.
Saussois, J.-M. (1999), « Michel Crozier », Revue Française de Gestion, juin-juil-
let-août, p. 100-109.
XXII. JAMES G. MARCH – AMBIGUÏTÉ ET DÉRAISON DANS LES
ORGANISATIONS

Isabelle Huault
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 343 à 357


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-343.htm
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Ambiguïté et déraison dans
les organisations
James G. March
XXII

Isabelle Huault
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344 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

« L’impressionnante intégration des organisations ne doit pas masquer


les nombreux domaines où les organisations manquent de coordination :
le comportement ne correspond que de loin aux intentions ; d’une unité
à l’autre, les actions divergent, les décisions d’aujourd’hui n’ont pas de lien
avec celles de demain. Et cette situation est inévitable, les défauts de coor-
dination, d’attention et de contrôle sont inhérents à l’application de la
rationalité dans l’action des organisations »1.
Telle est en substance la conception plutôt iconoclaste du fonctionne-
ment organisationnel développée par James March. Éloigné des présuppo-
sés fonctionnalistes et rationalistes de la science managériale, dénonçant
les « mythes du management » (March, 1999), et conscient de la pré-
gnance des symboles, des idéologies voire de la déraison dans les organisa-
tions, l’auteur renouvelle en profondeur la vision des dynamiques de ges-
tion classiquement adoptée. C’est en puisant de façon judicieuse dans
plusieurs domaines des sciences sociales (économie, science politique,
sociologie, management) qu’il éclaire des concepts aussi complexes que
ceux de rationalité, d’ambiguïté, d’asymétrie informationnelle et de pou-
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voir. Chercheur aux frontières de la science (on ne compte plus les incur-
sions dans le domaine de la littérature et de la poésie) mais aussi de plu-
sieurs champs et de nombreuses méthodologies, James March articule ses
recherches depuis 1958 autour des processus de décision et du change-
ment organisationnel. C’est cette logique thématique que nous retien-
drons dans la présente contribution, même si elle ne rend pas totalement
justice à la diversité de l’œuvre de March qui a examiné d’autres problé-
matiques, telle que celle du leadership2.
Dès le début de ses travaux, James March situe sa réflexion sous l’éclai-
rage de la rationalité limitée et de l’ambiguïté, posture qui le conduit à une
conception particulière de la dialectique de l’ordre et du désordre dans le
fonctionnement organisationnel. Dans cette perspective, l’emprise de
l’ambiguïté n’est pas étrangère aux dynamiques du changement et de
l’apprentissage dans les organisations, perpétuellement traversées par le
dilemme de l’adaptation et de l’innovation.

1. J. March (1991), Décisions et organisations, Ed. d’Organisation, Chapitre 4, p.101. Traduit de J.March,
« Footnotes to Organizational Change », Administrative Science Quarterly, 26, 1981, 563-577.
2. Sur ce point, on lira avec intérêt l’ouvrage de March et Weil (2003), qui reprend le cours qu’a donné
James March sur le thème du leader.
James G. March 345

Notice biographique3
James March est né le 15 janvier 1928 à Cleveland dans l’Ohio. Après avoir effectué
une partie de ses études à l’Université du Wisconsin, il obtient son Doctorat en science
politique à l’Université de Yale en 1953. Sa thèse Autonomy as a Factor in Group
Organization porte sur la relation entre les mécanismes de contrôle internes à un
groupe et l’autonomie de ce groupe par rapport à l’entité supérieure à laquelle il appar-
tient. Recruté par H.Simon comme professeur assistant, il enseigne ensuite de 1953 à
1964, le management et la psychologie au Carnegie Institute of Technology, puis
devient doyen de la faculté de sciences sociales à l’Université de Californie. Il est
Professeur à l’Université de Stanford depuis 1970. Il y occupe différentes chaires, en
sciences politiques et en sociologie, mais aussi en science de l’éducation et en manage-
ment international. À partir de 1989 et jusqu’à se retraite, il devient directeur de
l’institut scandinave pour les recherches sur les organisations (SCANCOR) qui accue-
ille des doctorants et chercheurs des pays scandinaves. James March est doctor honoris
causa de plusieurs universités dans le monde.
Il est l’auteur d’une centaine d’articles et de plusieurs livres. Parmi ces derniers, on peut
citer : Organizations, écrit en collaboration avec H. Simon (1958), A Behavioral Theory
of the Firm, co-écrit avec R.Cyert (1963 puis réédité et augmenté en 1992), Handbook
of Organizations (1965), Ambiguity and Choice in Organizations, sous la direction de
J.March et J.Olsen (1976), Decisions and Organizations (1988), traduit en français en
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1991 aux éditions d’Organisation et The Ambiguities of Experience (2010), synthèse de
conférences données à Cornell University.

1. RATIONALITÉ LIMITÉE ET EMPRISE DE L’AMBIGUÏTÉ


L’une des contributions majeures de l’œuvre de March est la remise en
cause des modèles classiques de la décision. Ébranlant la présomption de
logique et de transparence qui imprègne la théorie orthodoxe4, J. March
montre que l’acte peut créer voire précéder la pensée, que le hasard, la
chance et des circonstances aléatoires sont constitutifs de tout processus
décisionnel et que les interactions entre individus sont accidentelles et non
forcément planifiées. Dans ces conditions, les choix des individus se
révèlent paradoxaux et sont sujets à de multiples interprétations.

1.1. La rationalité limitée et ses avatars


Les processus de décision ne sont pas toujours finalisés et les décideurs
disposent rarement d’une vision claire du futur. En outre, les principes
3. Cette notice s’appuie sur la relecture de l’œuvre de March réalisée par Thierry Weil (2000), Invitation
à la lecture de James March, Presses de l’École des Mines de Paris.
4. Le modèle de la décision rationnelle se fonde sur les quatre principes suivants : a) les objectifs du
décideur sont clairs, b) le décideur est capable de mettre en œuvre un raisonnement de nature synoptique,
c) il est en mesure d’optimiser ses choix, d) le processus de décision est linéaire.
346 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

d’exhaustivité de l’information, d’optimisation des résultats et d’invariabi-


lité des objectifs se trouvent largement ébranlés. En particulier, l’informa-
tion d’un manager reste souvent incomplète si bien que, soumis à de
multiples contraintes, il est dans l’incapacité de maximiser son action.
Doté d’une rationalité limitée, il s’arrête à la première solution satisfai-
sante, après avoir abordé les problèmes séquentiellement. Sans être irra-
tionnel, l’acteur est borné par les possibilités de calcul et d’utilisation de la
mémoire.
J. March (1978) repère ainsi différentes formes de rationalité qui ani-
ment les comportements de choix, au-delà de la seule rationalité limi-
tée mise en évidence vingt ans plus tôt avec H. Simon : la rationalité
contextuelle puisque les choix sont encastrés dans de nombreux autres
sujets de préoccupations et dans une diversité de relations sociales et
cognitives, la rationalité des jeux car les individus poursuivent leurs intérêts
personnels et participent à la construction de coalitions, de sorte que la
décision finale devient le fruit de ces calculs, la rationalité des processus
quand les décisions trouvent un sens dans certains aspects du processus de
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décision et non dans le résultat lui-même (rationalité substantielle). À ces
dimensions orientées vers une conception plutôt calculatrice de la nature
humaine, s’ajoutent d’autres formes de rationalités, pour lesquelles les
actes ne trouvent pas toujours une claire justification : la rationalité adap-
tative qui traduit les effets d’apprentissage et une adaptation permanente
des préférences aux fluctuations de l’environnement, la rationalité sélec-
tionnée car les choix sont dominés par la construction sociale des rôles et
les procédures habituelles de fonctionnement, la rationalité a posteriori
enfin qui permet de justifier la cohérence des choix ex post, les actes pré-
cédant souvent l’expression des préférences.
J. March modifie ainsi radicalement les hypothèses de la théorie clas-
sique sur les goûts et leur rôle. Dans cette perspective, les goûts ne sont ni
absolus, ni pertinents, ni nécessairement cohérents ou précis. Prenant
appui sur la description du comportement des individus et des institutions
sociales, l’auteur rejette le postulat selon lequel les préférences futures sont
exogènes aux acteurs, stables et permettent des décisions sans équivoque.
Les managers en effet prennent quotidiennement des décisions en igno-
rant leurs propres goûts mais en suivant des routines et leur intuition. En
outre, nombre de préférences restent imprécises ; de manière rétroactive,
les actions et leurs conséquences, endogènes au processus de décision,
influent sur ces préférences voire les manipulent. L’information collectée
dans les entreprises d’ailleurs ne l’est pas nécessairement en vue d’aider à
la prise de décision. Les informations ont peu de rapport avec les décisions
et sont même utilisées une fois la décision prise pour la justifier. En outre,
James G. March 347

les organisations collectent souvent plus d’informations qu’elles n’en uti-


lisent ou ne peuvent raisonnablement en utiliser pour effectuer des choix.
L’information revêt au final une dimension hautement symbolique
(Feldman et March, 1981). Fût-elle sujette à des déformations, elle consti-
tue toutefois une base d’interprétation pour l’élaboration d’histoires cohé-
rentes. La prise en compte des composantes rituelles et symboliques de
l’information et de la décision est nécessaire, afin de comprendre la
manière dont les organisations élaborent une culture pour la création
d’une vision commune et d’une action néanmoins efficace.
Cette vision était déjà contenue en filigrane dans les premières
réflexions de J. March initiées avec H. Simon en 19585 puis avec R. Cyert
en 1963, et qui l’avaient conduit à insister sur les questions politiques et
de conflits d’intérêt dans les organisations (March, 1962, Cyert et March,
1963, 1992). March a participé ainsi à l’élaboration d’un modèle de com-
portement de l’entreprise, partant du postulat selon lequel cette dernière
pouvait être appréhendée comme une véritable coalition politique, consti-
tuée d’acteurs aux intérêts divergents. L’organisation n’est pas donnée, elle
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est le résultat de négociations entre logiques locales qui conduisent inci-
demment à une instabilité du système. L’encadrement par les institutions
(March et Olsen, 1984), telles que les structures, les budgets, la culture et
les procédures permet néanmoins de pallier le relatif désordre organisa-
tionnel. Pour s’adapter, l’entreprise dispose aussi de plus de ressources qu’il
n’est nécessaire – le slack –, c’est-à-dire de ressources qui ne sont pas
allouées de façon optimale, ce qui constitue une conséquence directe de
l’imperfection des processus de décision. Le slack participe à la cohésion
de l’organisation et à son adaptabilité, en permettant un jeu dans les
rouages et en protégeant des contrôles organisationnels normaux, les per-
sonnes et les groupes qui cherchent à innover.
Cette théorisation de l’entreprise adaptative, simulée avec une bonne
robustesse sur deux entreprises durant une période de trente ans, se
démarque, en premier lieu, de la théorie économique orthodoxe en atti-
rant toute l’attention sur les organisateurs réels et agissants de la coalition.
En deuxième lieu, les buts organisationnels sont présentés comme le fruit
de demandes plutôt disparates des participants, dont l’attention varie au
cours du temps. Cette situation limite la possibilité d’envisager les pro-
blèmes organisationnels de façon simultanée et prévient les possibilités de
5. Il faut cependant noter que les routes de March et Simon ont par la suite divergé. March et Simon
ont certes activement collaboré au sein de l’École de Carnegie comme en témoigne leur ouvrage commun
Organizations (1958). Mais à la différence de March, Herbert Simon continuera à adhérer par la suite à
une démarche rationaliste, apportant aménagements et adaptations au modèle de l’économie orthodoxe.
La perspective de J. March constitue a contrario une rupture et une critique radicale adressée à l’encontre
du référentiel classique.
348 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

conflits. Les finalités de l’organisation reflètent ainsi l’adaptation des buts


aux modifications de la structure d’une coalition. En troisième lieu enfin,
Cyert et March montrent que l’organisation réduit l’incertitude par des
réactions rapides plutôt que par l’anticipation et la planification. Cela
rejoint sur de nombreux points les premières propositions de March énon-
cées en 1962, prémisses de l’essentiel de son œuvre et selon lesquelles a) les
objectifs des entreprises apparaissent comme une série de contraintes plus
ou moins indépendantes, b) les organisations tolèrent une incohérence
entre les objectifs et les décisions, c) les objectifs et les décisions sont cou-
plés et décentralisés avec de faibles interrelations, d) l’étendue du conflit
et le nombre de décisions marginales varient selon la libéralité de l’envi-
ronnement, e) les objectifs et les engagements évoluent lentement en
fonction des modifications de la coalition représentée dans l’entreprise.

1.2. Ordre et désordre au cœur


du fonctionnement organisationnel
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James March offre ainsi une vision plutôt chaotique voire anarchique
(Cohen, March et Olsen, 1972) de la décision. Ce qui est organisé en
effet, ne fonctionne pas forcément sous forme de procédures, élaborées en
vue de l’atteinte d’objectifs préalablement spécifiés ou appliqués à la lettre
par tous ceux qui ont vocation à intervenir dans leur mise en œuvre.
L’auteur observe des relations lâches entre les stratégies et les actions, les
projets et les comportements, les décideurs et les gestionnaires (March et
Olsen, 1976 ; March et Romelaer, 1976). Dans ces conditions, loin de
considérer la prise de décision comme un difficile travail technique d’opti-
misation, dépendant d’orientations préalables et exogènes, et élaborée par
une autorité légitime, il lui semble plus judicieux de l’envisager comme
fruit de négociations et de stratégies marquées du sceau de l’ambiguïté
(Baier, March et Sætren, 1986). La décision ne fait pas seulement appel à
des ressorts d’ordre technico-économique mais obéit à des motifs de
nature socio-politique. Les personnes, les problèmes et les solutions se
combinent de façon aléatoire, ce qui rend toute prévision d’action ou de
résultat difficile (March, 1987).
On ne peut cependant déduire de ces observations que les processus de
décision sont absolument désordonnés. En revanche, à la vision de l’orga-
nisation comme ensemble cohérent de procédures finalisées se substitue la
définition d’une nouvelle conception de l’ordre. C’est précisément ce à
quoi s’attache March quand, en 1972, il formalise avec M. Cohen et
J. Olsen le modèle du garbage can (corbeille à papier) dans les anarchies
James G. March 349

organisées. Cette analyse donnera lieu à des prolongements, simulations et


validations empiriques (March et Olsen, 1976) qui complètent le modèle
initial et lui offrent de nouvelles applications.
Les anarchies organisées sont caractérisées par des préférences incer-
taines, une technologie floue – les procédures ne sont pas bien comprises
y compris par les propres membres de l’organisation –, et une participa-
tion fluctuante – les participants fournissent aux différents domaines une
quantité variable de temps et de travail. Fondant leur analyse sur les uni-
versités, « formes bien connues d’anarchies organisées »6, les auteurs
rendent compte de situations décisionnelles chaotiques dans lesquelles
existent néanmoins des régularités observables. Bien souvent dans les uni-
versités, la prise de décision ne résout pas les problèmes puisque les choix
y sont effectués par glissement ou survol7. La répartition des problèmes,
des choix et des décideurs se modifie sans cesse. De plus, un choix qui
pourrait dans certaines circonstances être réalisé sans effort devient le
théâtre de luttes de pouvoir. March et ses collègues montrent en particu-
lier comment les choix sont à la recherche de problèmes et les solutions en
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quête de questions auxquelles elles pourraient répondre. On peut dès lors
considérer chaque occasion de choix comme une corbeille à papier, une
poubelle dans laquelle les différents problèmes et les solutions sont jetés
par les participants au fur et à mesure de leur apparition. En lieu et place
d’une conception logique de la décision apparaît un ordre plus temporel.
Les cohérences logiques sont balayées par un flot de problèmes, solutions,
participants et occasions de choix. Un problème donné peut être résolu
par une occasion de choix différente ; par exemple le développement d’une
ligne de produit qui ne trouve pas sa justification dans le plan marketing
pourra réapparaître dans le cadre de la gestion prévisionnelle de l’emploi
et y être réglé (Romelaer, 1994). Chaque décision dépend aussi éminem-
ment de la structure de contact des acteurs et la recherche de solution
s’effectue souvent au voisinage de solutions connues. En outre, l’implica-
tion dans une décision est un signe de pouvoir, certains acteurs voulant
participer à une décision sans que la question traitée ait pour autant beau-
coup d’importance dans l’organisation ou, parce qu’au contraire, la déci-
sion présente des caractéristiques attractives pour les participants poten-
tiels.

6. Les auteurs ne manquent pas de souligner cependant que dans n’importe quelle entreprise, à un
moment donné de son histoire ou à un endroit donné de sa structure, les caractéristiques d’une anarchie
organisée sont présentes.
7. On relèvera au passage la proximité théorique avec le concept de « systèmes faiblement liés » développé
par K. Weick (1976).
350 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Ces nombreuses observations empiriques8 ne pourraient être considé-


rées que comme des pathologies si l’on adoptait le paradigme technocra-
tique de l’organisation comme système de procédures finalisées. Pourtant,
loin de révéler des anomalies de l’organisation, ce modèle met en évidence
que les organisations peuvent être performantes sans nécessairement cor-
respondre au modèle canonique de la théorie classique et de la rationalité
des choix. Ces phénomènes organisationnels considérés jusqu’à la contri-
bution de March et de ses co-auteurs comme isolés et anormaux, appa-
raissent finalement fréquents et familiers. Dans ces conditions, les solu-
tions managériales rationnelles, telles que l’augmentation du contrôle ou
des procédures, se révèlent inadaptées. La formalisation de March permet
une prise de conscience du type de choix et de problèmes à résoudre
quand l’organisation est sous emprise de l’ambiguïté d’objectifs, de
conflits, de problèmes mal compris, d’un environnement variable et de
« décideurs qui ont autre chose à penser ». La performance organisation-
nelle devient le fruit de négociations, de marchandages, de persuasions, de
gestion de l’information et de jeux sur les structures d’attention des
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acteurs.

2. DE L’AMBIGUÏTÉ AU CHANGEMENT ORGANISATIONNEL


Si James March caractérise, avec force, précision et réalisme, les proces-
sus décisionnels, il contribue, par là-même, à améliorer la compréhension
des dynamiques de changement organisationnel. Deux voies principales
guident sa réflexion : a) les cycles d’apprentissage, tout comme les déci-
sions, sont traversés par l’ambiguïté ; b) s’adapter demande de savoir allier
raison et déraison, exploitation des procédures habituelles et exploration
de nouvelles routines.

2.1. L’ambiguïté dans les cycles d’apprentissage


J. March s’éloigne résolument d’une analyse du changement comme
simple adaptation rationnelle aux évolutions de l’environnement. Ainsi,
les processus de changement ne relèvent pas d’un modèle de cycle complet
des choix. Quatre propositions majeures de ce modèle sont ébranlées :
a) les préférences des individus influent sur leur comportement, b) le com-
8. Pour une présentation plus exhaustive du modèle, voir P. Romelaer (1994), La contribution de James
G. March à la théorie des organisations, Revue Française de Gestion, n°98, mars-avril, p. 48-60 et pour
un essai de validation empirique, P. Romelaer et I. Huault (1996), La gestion des cadres à l’international
et le modèle du garbage can, Revue Française de Gestion, juin-juillet-août, p. 19-37.
James G. March 351

portement des individus influe sur les modalités organisationnelles choi-


sies, c) les choix effectués entraînent une réaction de l’environnement,
d) cette réaction modifie les cognitions et préférences individuelles. Pour
Cohen et March (1974), le cycle est beaucoup plus complexe que ne le
laisse supposer ce modèle, parce que l’intention ne permet pas de contrô-
ler le comportement et que le lien entre l’action des individus et les consé-
quences organisationnelles est lâche. Ainsi, la façon dont l’environnement
réagit n’a pas grand-chose à voir avec les réalisations effectives de l’organi-
sation. Enfin, les actions et événements observés dans l’environnement
sont non seulement foncièrement ambigus mais constituent aussi le lieu
de conflits d’analyse. La difficulté d’interprétation des environnements, la
déformation voire la reconstruction du passé, l’appui sur des discours
empruntés à d’autres acteurs, en constituent quelques illustrations.
Ces observations soulignent l’importance de la formation des convic-
tions et la complexité de l’apprentissage. Il arrive parfois que l’apprentis-
sage effectué par l’individu n’ait pas de réel effet sur son comportement et
que connaissance et action soient séparées. De plus, les réactions de l’envi-
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ronnement (par exemple le comportement du consommateur) n’ont par-
fois pas de lien avec l’action de l’entreprise (par exemple le lancement
d’une action promotionnelle), contrairement à ce qu’imaginent les
membres de l’organisation souvent plus enclins à adopter un comporte-
ment d’apprentissage que March qualifie de « superstitieux » (Lave et
March, 1975). Il se produit enfin des situations où l’apprentissage n’est
guère diffusé et ne conduit à aucune adaptation organisationnelle.
Pourtant, si les possibilités de contrôle des individus sur les événements
restent limitées, les acteurs mettent néanmoins en œuvre des ressources
pour faire avancer le monde dans le sens souhaité. Certes, ces tentatives
n’ont guère un caractère héroïque ou spectaculaire et ne correspondent en
rien à un progrès mécanique de l’organisation mais elles n’en ont pas
moins des conséquences. Mus par une rationalité adaptative, les membres
d’une organisation essaient de tirer des leçons de leur expérience, bien que
celle-ci puisse être trompeuse. Ils se trouvent en effet dans des conditions
« où les événements ne sont pas évidents, on ne sait pas pourquoi ils se
sont produits et rien ne dit que ces événements soient une bonne chose »
(Cohen et March, 1974). De ce fait, toute théorie de l’apprentissage dans
les organisations doit considérer quatre dimensions essentielles :
• les convictions présentes dans l’organisation résultent du fonction-
nement de sa mémoire qui varie selon les parties de l’organisation et
les personnes concernées. Dans cette perspective, la collecte d’infor-
mations se modifie en fonction de l’organisation et des systèmes mis
en place pour consigner son histoire (les archives par exemple) ;
352 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

• les incitations à l’apprentissage ne dépendent pas d’une évaluation


objective de la situation mais de l’interprétation choisie par l’indi-
vidu ou l’unité de l’organisation ;
• le développement des convictions est fonction de la structure pré-
existante des connaissances, des réseaux de confiance et d’amitié des
acteurs et du statut des participants ;
• les convictions sont très sensibles aux détails du calendrier, à l’ordre
temporel, au contexte de l’information, c’est-à-dire à de nombreux
événements de nature exogène.
Les acteurs de l’entreprise tentent toutefois de définir un ordre, d’inter-
préter des situations, d’attribuer des significations pour donner une cohé-
rence à leur action et faciliter la coordination. Trois catégories d’affirma-
tions énoncées par March permettent de déterminer les mécanismes de
l’interprétation des événements par les individus et partant, les processus
d’apprentissage : 1) un membre de l’organisation voit ce qui est visible et
aime ce qui est aimable, en fonction de ce qu’il connaît déjà ; 2) il voit ce
qu’il s’attend à voir et aime ce qu’il s’attend à aimer, dans la mesure où il
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aborde les situations avec des attentes et un ensemble établi de valeurs,
d’opinions, d’attitudes ; 3) il voit ce qu’on veut qu’il voie et aime ce qu’on
veut qu’il aime, dans un contexte où les normes sociales, les liens affectifs,
les relations interpersonnelles se révèlent très prégnants. Au total, les expé-
riences sont interprétées au travers de schémas simplifiés et de communi-
cations très imparfaites.

2.2. Exploration et exploitation, mimétisme


et déviation
La problématique du changement sous conditions d’ambiguïté pose la
question du dosage entre exploitation des anciennes routines et explora-
tion de nouvelles routines, et constitue un autre point d’attention majeur
des travaux de March (1991). Les systèmes organisationnels qui s’engagent
dans l’exploration à l’exclusion de l’exploitation supportent les coûts de
l’expérimentation sans tirer parti de ses bénéfices (Levinthal et March,
1981). En effet, les résultats de l’exploration sont souvent éloignés de
l’action immédiate, se révèlent incertains et se concrétisent à plus long
terme. L’exploitation en revanche fournit plus de certitudes, de retours
instantanés, de clarté et de précisions quant aux conséquences de l’action.
Ces avantages sont bien perçus par les organisations qui apprennent de
leurs succès et s’engagent de façon renforcée dans les routines et les com-
pétences bien maîtrisées. Les effets de l’exploitation s’accroissent en raison
James G. March 353

des relations que l’organisation entretient avec d’autres organisations


qu’elle est tentée d’imiter quand ces dernières semblent réussir (Levitt et
March, 1988). La diffusion et la contagion des bonnes pratiques augmen-
tent en retour la compétence de l’organisation. La raison se substitue ici à
la folie, l’expérimentation voire l’excentricité tandis que l’adaptation pro-
gressive et incrémentale débouche sur des performances améliorées. Les
changements organisationnels ne proviennent ni de mouvements extraor-
dinaires, ni de ruptures, ni même d’aptitudes hors du commun mais de
processus stables et routiniers (March, 1981). Dans cet esprit, le change-
ment a pour origine des personnes ordinaires faisant avec compétence des
choses ordinaires.
Cependant, les systèmes engagés dans la seule exploitation se trouvent
souvent enfermés dans des dépendances de sentier, équilibres stables mais
sous-optimaux. Les actions ordinaires en effet peuvent avoir des consé-
quences tout à fait imprévues. Parmi de nombreux exemples, March
(1981) cite celui des « multiplicateurs de compétences » qui conduisent au
renforcement de la spécialisation. En effet, les participants à une décision,
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selon leur statut et leur connaissance des problèmes traités, vont s’impli-
quer différemment dans un processus décisionnel. Et ceux qui participent
un peu plus au départ, deviennent aussi un peu plus compétents. Ce
constat les incite à accroître leur participation et à tirer ainsi de nouvelles
leçons de leur expérience. Toutefois, il en résulte un processus de spéciali-
sation, qui peut s’avérer déplacé, quand les évolutions de l’environnement
s’avèrent radicales.
Or, tant l’exploration que l’exploitation semblent essentielles pour les
organisations, quand bien même ces dernières effectuent souvent des
choix explicites ou implicites en faveur de l’une ou l’autre des solutions.
En effet, « la connaissance du changement passe par celle des relations
entre le côté apparemment prosaïque et le côté apparemment poétique de
la vie des organisations » (March, 1981). Cette thèse qui ressurgit comme
un leitmotiv dans l’ensemble de l’œuvre de James March, souligne que les
systèmes organisationnels sont perpétuellement traversés par la dialectique
de processus de changement raisonnables et de dynamiques plus irration-
nelles. Elle reprend l’idée chère à March, du « mélange nécessaire de plom-
bier et de poète chez le leader », nourri de compétence ordinaire, d’atten-
tion prosaïque au quotidien mais également de vision grandiose pour
rendre la vie plus attrayante (March et Weil, 2003 : 19).
De façon plus tranchée encore, la technologie de la folie ou de la dérai-
son que prône J. March (March, 1971, 1973) consiste à s’abstraire de
règles par trop conventionnelles pour adopter des comportements plus
354 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

originaux voire ludiques : traiter ses objectifs comme des hypothèses, uti-
liser son intuition, oublier sa mémoire afin de ne pas reproduire des solu-
tions pré-établies, développer un goût du jeu (Weil, 2000). Tolérer la
présence de déviants qui ne se conforment pas, voire résistent aux normes
de l’organisation, accepter les « explorateurs » qui prennent des initiatives
ou les individus qui s’entêtent dans une voie donnée (Lounamaa et March,
1987), c’est s’autoriser à mieux s’adapter, à faire des découvertes, à explorer
l’environnement, à régénérer l’organisation.
La littérature sur les processus de décision et le changement organisa-
tionnel a été profondément et durablement marquée par l’œuvre de James
March. On ne compte plus les références, les emprunts à ses travaux et les
proximités théoriques entretenues implicitement ou explicitement avec de
nombreux auteurs (Allison, Mintzberg, Shrivastava, Crozier, Weick…).
Certes, les contributions de March ont pu faire, ici ou là, l’objet de
quelques critiques. Le modèle du garbage can en particulier, marqué par
« un biais en faveur de l’incertain et de l’aléatoire », aboutit selon
E. Friedberg (1993) à une nouvelle orthodoxie qui ne concernerait au
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final que les décisions à caractère exceptionnel. Ces remarques pour inté-
ressantes qu’elles soient, ne convainquent que partiellement puisque
March montre, preuve à l’appui, que toutes les organisations présentent
en certains lieux ou à certains moments de leur existence les traits d’une
anarchie organisée.
Au-delà d’un programme de recherche très ambitieux et d’apports
théoriques nombreux, March apparaît non seulement comme un anti-
conformiste mais aussi comme un humaniste, pour qui les préoccupations
politiques et institutionnelles, l’interprétation critique du monde sont
constitutives du questionnement scientifique. Les contributions sur les
fondements de la démocratie initiées avec J. Olsen (1984) illustrent cette
orientation, puisque les auteurs y remettent en cause une conception trop
étroite de la rationalité en sciences politiques. Dans la même perspective,
J. March et J. Olsen décrivent aussi dans leur ouvrage de 1989, le fonc-
tionnement des institutions politiques au niveau d’un pays pour montrer
comment une analyse organisationnelle en termes de leader politique, de
gouvernement, d’administration, permet de repérer les marges de
manœuvre et les difficultés des actions d’un gouvernement au niveau d’un
pays (Romelaer, 2004).
Cette posture humaniste s’incarne aussi dans la manière d’appréhender
l’enseignement (March, 1975) que résume la formule (Weil, 2000) : « foi
dans l’acte d’apprendre (croyance en la beauté de la connaissance), convic-
tion qu’il est souhaitable de devenir adulte (par l’éducation), optimisme
fondamental (l’éducation est proclamation de la volonté humaine). »
James G. March 355

En dernière analyse, la réflexion originale et parfois dérangeante de


James March constitue désormais une source d’inspiration pour les cher-
cheurs et gestionnaires, en quête d’une vision infiniment plus réaliste du
fonctionnement organisationnel, que la conception mécanique ou pure-
ment technico-économique, glorifiée par les tenants de l’école classique.
En réponse au désenchantement weberien des organisations lié à l’emprise
d’une rationalité absolue, March contribue d’une certaine manière au ré-
enchantement de la pensée managériale.

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Autres références bibliographiques


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XXIII. WILLIAM OUCHI – LA COHÉSION ORGANISATIONNELLE EN
QUESTION

François Grima
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 358 à 367


ISBN 9782376870432
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La cohésion organisationnelle
William Ouchi

en question
XXIII

François Grima
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William Ouchi 359

Au moment où, tant les nouvelles formes organisationnelles que les


recherches visant à les comprendre, se développent dans la plus grande
hétérogénéité, les travaux de William Ouchi constituent un point d’an-
crage reconnu. En effet, rares sont les auteurs s’intéressant à la probléma-
tique de la cohésion organisationnelle à ne pas y faire référence. L’approche
par le mode de contrôle apparaît comme un outil pertinent pour analyser
le fonctionnement d’une firme, ou plus précisément, dans la terminologie
d’Ouchi, pour comprendre les raisons de la coopération. Bien que rare-
ment rediscutée, cette grille de lecture a connu des développements plus
récents qui en élargissent la portée et en révèlent les limites.
Néanmoins, l’œuvre d’Ouchi déborde ses textes fondateurs sur les
modes de contrôle de 1979 et 1980. Tout en restant dans le champ de la
définition de principes généraux d’organisation à valeur idéal typique,
Ouchi propose un nouveau modèle de firme, qu’il appelle le modèle Z.
Au-delà du caractère pionnier de cette construction, a mi-chemin entre la
firme J-japonaise et la firme A-américaine, Ouchi développe ici une
réflexion culturelle sur l’efficacité organisationnelle dans un contexte, le
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début des années quatre-vingt, ou le défi économique japonais se pose
crûment en Occident.

Notice biographique
Titulaire d’un MBA de l’Université de Stanford (1967), d’un Ph.D. de l’Université de
Chicago (1972), William Ouchi est professeur titulaire de chaire à l’Université
d’UCLA ou il enseigne le management et les théories des organisations. Cette activité
d’enseignant et de chercheur connut une interruption de 1993 à 1995. Ouchi fut
recruté en tant que conseiller et chef du personnel du maire de Los Angeles. Cela l’a
conduit à s’intéresser à la performance du management scolaire et à ouvrir un débat sur
ce thème aux États-Unis. Ses recherches s’orientent essentiellement vers la question des
mécanismes de contrôle et de la cohésion organisationnelle.

1. L’ANALYSE PAR LES MODES DE CONTRÔLE


Partant d’une interrogation sur la nature du fait organisationnel, Ouchi
avance que la cohésion d’une firme repose sur un strict respect des prin-
cipes de réciprocité et d’équité dans son fonctionnement. Selon l’auteur,
ces derniers constituent des invariants universels de la vie collective au
même titre que l’interdit de l’inceste. Pour rendre possible leur application
et maintenir sa cohésion, la firme doit gérer des coûts de transactions que
l’auteur définit en ces termes « Un coût de transaction est n’importe quelle
activité qui vise à rendre possible un échange interne entre les différentes
360 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

parties prenantes, de telle sorte que la valeur donnée et reçue dans la réa-
lisation de la transaction soit conforme aux attentes de chacun » (Ouchi,
1980 : 130).
Cette régulation interne s’opère au travers de trois mécanismes, quali-
fiés de mode de contrôle : le marché, la bureaucratie et le clan. Il s’agit de
principes généraux d’organisation, de coordination qui, pour entrer en
œuvre, nécessitent l’existence de pré requis sociaux normatifs et informa-
tionnels propres à chacun et viennent compléter l’exigence de réciprocité.
Pour autant, cela ne signifie pas que leur fonctionnement est exclusif. Au
contraire, les combinaisons sont la règle.
Le marché en tant que mode de contrôle repose sur une application
stricte de la réciprocité. Le rapport entre les parties est conçu sur la courte
durée. S’inscrivant ici dans la filiation des travaux de Barnard, Ouchi met
en exergue que l’équilibre entre la contribution et la rétribution se définit
dans la quasi instantanéité. En effet, l’absence d’autres pré requis garantis-
sant un échange équitable rend le marché particulièrement fragile en tant
que mode de contrôle, à toute tentative opportuniste. L’unique solution
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pour maintenir son efficacité consiste à sanctionner de façon exemplaire
tout comportement frauduleux. Ouchi souligne ici que la fraude est punie
à la fois par les parties lésées et par l’ensemble du système social. De fait,
selon l’auteur, l’honnêteté des parties est obtenue grâce à l’effet dissuasif
de la sanction qui fait de la réputation des agents un élément-clé de leur
survie.
Sur un plan informationnel, le marché fonctionne grâce à un système
de prix, censé fournir toutes les données nécessaires à l’équité des transac-
tions. Au sein d’une firme, Ouchi avance l’idée que les systèmes de rému-
nération à la performance et de cession internes permettent à ce type de
régulation d’être à l’œuvre. Chaque salarié reçoit une rémunération en
fonction de son implication dans la firme.
Malgré ses différents atouts, le marché peut s’avérer insuffisant pour
maintenir la coopération au sein d’une firme. S’appuyant sur les travaux
de Williamson (1975) et Coase (1937), Ouchi (1980) souligne que le
cadre de l’échange contractuel fixé par le marché ne garantit pas la satis-
faction des acteurs dans un contexte d’incertitude élevée. Faute de moyens
de contrôle efficaces, l’opportunisme n’est plus une option écartée par les
acteurs. L’honnêteté n’est plus garantie socialement. Le mode de contrôle
de la bureaucratie apparaît alors comme un mécanisme plus fiable pour
assurer la cohésion de la firme. Il témoigne d’une situation d’échec de la
régulation par le marché et répond aux insuffisances de ce dernier. En plus
de la norme de réciprocité, qui cette fois, n’est généralement pas instanta-
William Ouchi 361

née, la bureaucratie suppose l’existence et la reconnaissance d’une autorité


légitime qui contrôle a priori et a posteriori le travail des membres de
l’organisation. Son rôle est essentiel. En l’absence d’un effet réputationnel,
l’autorité légitime a pour tâche de veiller à ce que la contribution de
chaque partie soit justement évaluée et rémunérée. Ce rôle de garant de la
réciprocité s’opère par l’établissement de règles organisationnelles commu-
niquées à tous. Selon Ouchi, ces caractéristiques permettent à la bureau-
cratie de palier les insuffisances du marché. La bureaucratie, grâce au
partage de moyens qu’elle suppose entre les salariés facilite le développe-
ment de l’esprit professionnel et encourage l’intégrité au travail. La légiti-
mité de l’autorité hiérarchique est renforcée, les tendances opportunistes
s’en trouvent réduites.
Néanmoins, là encore, il est possible que l’échec du mode de contrôle
par le marché ne trouve pas de solutions dans la bureaucratie. Ouchi
(1980) souligne que l’ambiguïté de l’évaluation de la performance
demeure importante, surtout lorsque les tâches sont uniques ou d’une
grande complexité. Les salariés n’en perçoivent plus la légitimité. De plus,
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le délai dans l’application du principe de réciprocité contribue à brouiller
l’équilibre contribution-rétribution. L’extériorité de l’autorité de contrôle
n’est plus suffisante pour garantir un échange interne satisfaisant pour
tous. Dans un contexte d’incertitude élevée, le mode du clan semble être
pour Ouchi la solution la plus adaptée.
En effet, lorsque le contrôle par le système de prix ou la hiérarchie n’est
plus possible en tant que garantie de l’honnêteté des parties, la réciprocité
ne peut être obtenue que grâce à une socialisation poussée des membres
de l’organisation. Ce mode de contrôle repose sur une culture organisa-
tionnelle forte qui permet à chacune des parties d’éprouver que son parte-
naire partage sa manière de concevoir la réalité de la firme. Les anticipa-
tions sur autrui sont positives, ce qui conduit à un opportunisme faible.
Les salariés sont sûrs que la firme procédera à une répartition juste de la
valeur. La réciprocité est réelle. On atteint alors un niveau élevé de
congruence entre les objectifs de la firme et ceux des salariés.
Ouchi (1980) se réfère à la solidarité organique décrite par Durkheim
(1933) pour traduire le partage de valeurs régnant dans la firme qu’il
nomme traditions. Si cette imprégnation culturelle est synonyme d’ab-
sence de contrôle extérieur formel, Ouchi met en relief que le mode de
contrôle par le clan n’est pas assimilable à un système sans contrôle. La
cohésion s’opère à travers une socialisation intense. Elle prend la forme de
recrutement précis réalisé selon les critères culturels de l’entreprise. La
formation joue aussi un rôle-clé dans l’intégration de normes comporte-
mentales et cognitives largement informelles.
362 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Le clan constitue le mode d’organisation pouvant maintenir la cohé-


sion de la firme dans le contexte le plus incertain, c’est-à-dire où tout
contrôle externe est impossible sur les tâches de travail, à la condition que
les objectifs des parties prenantes soient congruents. Il demeure, qu’Ouchi
n’écarte pas la possibilité que le clan ne puisse pas atteindre cet objectif.
Au-delà de l’ambiguïté de l’évaluation des tâches ou de l’impossibilité de
rapprochement des objectifs collectifs et individuels, le clan peut devenir
un mode de contrôle inefficace, dans la mesure où il ne dispose d’aucun
mécanisme de contrôle interne de la performance de ses membres. Une
sélection ou une formation défaillante peuvent engendrer un opportu-
nisme destructeur. Dans ce cas, Ouchi envisage une voie de réflexion selon
laquelle le contrôle s’opérerait dans une perspective symbolique et cérémo-
niale, sans pour autant en détailler le fonctionnement interne.
Si ce travail sur les modes de contrôle constitue le cœur des recherches
d’Ouchi, il serait incorrect de l’y réduire. En effet, Ouchi a approfondi la
compréhension du clan au travers du modèle de la firme Z.
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2. LA FIRME Z
Ouchi dresse un constat sévère de l’état de la société. Selon lui, elle se
caractérise par une désagrégation des structures intermédiaires. L’individu
ne peut plus se reposer sur la famille ou la nation pour assurer son inser-
tion dans la communauté. Pour l’auteur, la firme constitue le dernier îlot
de cohésion pour les individus. Ces derniers ne peuvent trouver ailleurs un
lieu d’identification, et plus largement, un espace cohérent ou se dévelop-
per personnellement. Cela conduit Ouchi à valoriser le type de société Z
au détriment des modèles A et J qui correspondent respectivement aux
idéaux-types de la firme américaine et à celle de la firme japonaise mis en
évidence par M. Aoki. À l’image de la construction des modes de contrôle,
l’auteur détermine chacun des types idéaux au travers de plusieurs dimen-
sions. Sept éléments sont mis en avant : l’ancienneté dans l’emploi, le
mode de décision, l’étendue de la responsabilité, le rythme de la carrière,
la nature du contrôle, le niveau de spécialisation des carrières et la richesse
de la relation avec les salariés de l’entreprise, plus particulièrement avec le
supérieur hiérarchique.
Les firmes A et J s’opposent point a point. En effet, reprenant la dis-
tinction posée par F.J. Tönnies, on pourrait dire que la première est une
société alors que la seconde est une communauté. Dans la firme A, le
rapport salarial est de courte durée. La prise de décision et les responsabi-
lités sont individuelles. L’évaluation et la promotion du salarié sont
William Ouchi 363

rapides. Elles se fondent sur des critères formalisés et explicites d’apprécia-


tion. Les carrières sont spécialisées. La relation entre l’individu et la firme
reste étroitement limitées au domaine de la contribution à la création de
valeur. À l’opposé, dans la firme J, les liens unissant le salarié à son orga-
nisation sont empreints d’une forte dimension collective. L’individu n’est
pas perçu uniquement comme un salarié mais comme une personne
appartenant à une communauté. Ainsi, il bénéficie d’un emploi à vie. La
prise de décision et la responsabilité résultent d’un consensus. L’évaluation
de la performance individuelle repose sur des critères informels, tacites qui
débouchent sur une évolution professionnelle lente et non spécialisée.
Ouchi intègre cette perspective organisationnelle dans une lecture plus
large de la société. Chacun des deux modèles lui apparaît comme des
réponses mises en place par les firmes pour faire face à des contraintes
sociétales spécifiques. Le modèle de la firme A est adapté à la société amé-
ricaine que l’auteur définit comme ayant un haut niveau de mobilité
sociale alors que celui de la firme J s’inscrit dans le contexte japonais d’une
certaine stabilité dans ce domaine. Néanmoins, ses propres observations au
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cours de la fin des années soixante-dix et du début des années quatre-vingt
lui révèlent qu’un modèle hybride s’est développé aux États-Unis. Cette
mutation repose sur des évolutions de la société américaine qui rendent
plus efficaces, en termes de cohésion sociale, une configuration proche du
modèle J, sans renoncer au modèle A. Ouchi le nomme modèle Z.
La détermination de la firme Z est complexe au sens premier du terme.
Les contraires s’y associent à chaque niveau. Les fondements culturels
combinent les valeurs individualistes du modèle A et la cohésion commu-
nautaire de la firme J, ce qui conduit à un rapport salarial conçu sur la
durée. La prise de décision est collective alors que le niveau de responsa-
bilité est individuel. L’évaluation de la performance repose à la fois sur un
contrôle informel et un recours à des éléments précis. L’évolution de car-
rière est lente. La spécialisation demeure modérée. Ces éléments amènent
Ouchi à conclure à la prégnance d’une logique communautaire. Au-delà,
il semble même à l’auteur que le modèle de la firme Z soit la meilleure
solution tant pour les salariés que pour l’économie américaine dans les
années a venir.
En effet, se référant à Maslow (1954), Ouchi met en exergue le besoin
de filiation des individus. Ce dernier ne peut être pris en charge dans le
modèle J qu’au détriment de l’identité de la personne. L’équilibre proposé
par la firme Z doit permettre à la grande majorité des salariés de concilier
le désir d’exister en tant qu’individu avec le besoin d’appartenance.
Au-delà de cette gestion de tensions, la firme Z se caractérise avant tout
par sa logique communautaire.
364 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Sur un plan économique, Ouchi est encore plus assertif. Le modèle de


la firme Z doit permettre aux firmes occidentales d’intégrer ce qu’il y a de
meilleur dans les organisations japonaises. Dans son avant propos à la
version française du livre d’Ouchi sur la firme Z, de Bettignies parle de
« Z-ification », de développement d’une culture Z comme synonyme
d’une meilleure performance économique.

3. MISE EN PERSPECTIVE CRITIQUE


Les travaux d’Ouchi, tant en ce qui concerne les modes de contrôle que
l’émergence de la firme Z, constituent des références pour tout chercheur
analysant la cohésion organisationnelle (Scott, 1995 ; Grandori, 1987). Si
les travaux sur le marché ou la bureaucratie s’inscrivent dans un courant
structuré (Williamson et Ouchi, 1981), l’analyse néo-institutionnelle des
firmes, ils n’en demeurent pas moins originaux.
En effet, si l’on se réfère aux premières analyses de Williamson, Ouchi
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tente de les compléter en suggérant un pluralisme des mécanismes de
contrôle à l’œuvre dans la firme. Ouchi (Barney et Ouchi, 1983) montre
qu’il est possible d’associer des formes différentes, afin de gérer des situa-
tions d’échanges complexes ; en particulier lorsque les visées des parte-
naires sont divergentes et les performances ambiguës. À partir de cette
valorisation de l’hybridation, Ouchi met en exergue l’importance du clan,
qui demeure une de ses contributions essentielles à la théorie des organi-
sations. Toutes choses égales par ailleurs, le clan peut être associé aux
autres mécanismes de contrôle, afin d’améliorer leurs capacités à intégrer
de la complexité (Grandori, 1987).
Malgré ces apports réels, une analyse plus approfondie de l’utilisation
par la communauté scientifique des travaux d’Ouchi révèle que leur mobi-
lisation s’arrête souvent à la simple citation. Les chercheurs semblent leur
préférer les démarches configurationnelles ou institutionnelles pour les
analyses synthétiques et les auteurs plus spécialisés, notamment Aoki
(1990), pour le traitement d’un des modes de coordination. De manière
plus critique, on peut penser que la valorisation d’une volonté de coopé-
ration dans des entreprises marquées par la mixité des formes de contrats
et la recherche de la flexibilité peut rendre les analyses d’Ouchi moins
pertinentes. Au-delà, cet auteur apparaît comme un point de passage
obligé d’une revue de littérature qui serait incomplète en son absence.
Or le triptyque formé par le clan, la bureaucratie et le marché est loin
d’être un construit insuffisant pour cerner les nouvelles réalités organisa-
William Ouchi 365

tionnelles, même si les travaux de Mintzberg (1990), de Williamson


(1975), donnent lieu a un nombre plus élevé de recherches empiriques.
Certains chercheurs, à l’image de Jarillo (1988), continuent à s’inspirer
directement des travaux d’Ouchi. Se fondant sur une discussion des fon-
dements de l’approche par les modes de contrôle, Jarillo propose la notion
de mode d’organisation, et surtout la création d’un quatrième principe de
cohésion, celui du réseau. Ce dernier, bien que profondément poly-
morphe, est fondé sur une coordination interne non hiérarchique, ce qui
le rapproche du marché, mais l’éloigne de la bureaucratie et du clan. Il
repose aussi sur une cohésion de type communautaire, ce qui rappelle le
clan et l’oppose au marché et à la bureaucratie. Le réseau apparaît comme
un construit théorique opératoire pour comprendre les nouvelles formes
organisationnelles. Ainsi, loin d’être une simple référence, citée mais rare-
ment utilisée, le travail d’Ouchi demeure un construit d’actualité que
l’auteur contribue à entretenir. En effet, son implication dans la vie
publique l’a conduit à réaliser une recherche sur la performance scolaire
des différentes formes d’établissements scolaires (publiques, privées, reli-
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gieux, indépendants). Cette réflexion (Ouchi, 2003 ; 2007), à l’origine
d’une intensification des débats sur le management public, souligne l’im-
portance de l’influence de la décentralisation sur la performance. Ouchi
invite le politique à donner plus de pouvoirs aux responsables locaux, seuls
capables selon lui de créer dans leur établissement une dynamique de coo-
pération, un sens de l’investissement dans la réussite de l’enfant.
Cette longévité peut s’expliquer par la capacité de l’auteur à avoir une
vision élargie du fonctionnement des entreprises. Loin de limiter ses inves-
tigations au simple cadre de la théorie organisationnelle, Ouchi n’hésite
pas à avoir recours aux grilles de lecture de la sociologie générale. Il
conteste les frontières disciplinaires qui amoindrissent la pertinence des
outils d’analyse. Cette capacité à penser la mixité, l’ambivalence, la sou-
plesse organisationnelle constitue l’un des intérêts majeurs des travaux
d’Ouchi.
En effet, alors que les approches configurationnelles multiplient les cas
de figures, que la grille des coûts de transaction éprouvent des difficultés
à penser les formes hybrides, à mi-chemin entre le marché et la firme,
Ouchi propose, dès la fin des années soixante-dix, un mode de contrôle et
un type d’organisation, qu’il qualifie lui-même de déviant, apte à saisir la
complexité et la flexibilité accrues des firmes. Si l’on peut s’interroger sur
la pertinence de l’extension de ses analyses organisationnelles au niveau
sociétal, qui le conduisent à des généralisations hâtives, d’ou il ressort que
le modèle communautaire est le plus pertinent socialement, il reste que ce
366 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

cadre théorique garde tout son intérêt, comme en attestent des travaux
empiriques récents précédemment cités.
Enfin, comme le rappelle de Bettignies dans sa préface a la version
française de la théorie Z, si le travail d’Ouchi n’a pas la qualité d’un japa-
nologue aguerri, ce qui lui occasionna de nombreuses critiques de réduc-
tionnisme de la complexité du modèle japonais, l’auteur a joué un rôle
d’intermédiaire, de médiateur auprès des firmes occidentales. Il leur a
permis de réfléchir sur leur fonctionnement à la lumière des réalités orga-
nisationnelles nipponnes à un moment où la tentation d’une exportation
de leur modèle était tentante.

Travaux cités de l’auteur


Johnson, R.T., Ouchi, W.G. (1974), « Made in America under Japanese
Management », Harvard Business Review, 52.
Ouchi, W.G. (1977), « The Relationship between Organizational Structure and
Organizational Control », Administrative Science Quarterly, vol. 22, mars.
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Ouchi, W.G. (1978), « The Transmission of Control through Organizational
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Ouchi, W.G. (1979), « A Conceptual Framework for the Design of Organizational
Control Mechanisms », Management Science, vol. 25, n° 9, septembre.
Ouchi, W.G., (1982), Théorie Z : faire face au défi japonais, Paris, InterÉditions.
Ouchi, W. G. (2003), Making Schools Work, Los Angeles, Simon et Schuster.
Ouchi, W. G. (2007), « Power to the Principals : Decentralization in Three Large
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Ouchi, W.G., Jaeger, A. (1978), « M. Type Z Organization : Stability in the
Midst of Mobility, Academy of Management Review, avril.
Ouchi, W.G., Johnson, J.B. (1978), « Types of Organizational Control and Their
Relationship to, Emotional well Being », Administrative Science Quarterly,
vol. 23, juin.
Ouchi, W.G., Maguire, M.A. (1975), « Organizational Control ; two Functions »,
Administrative Science Quarterly, vol. 20, décembre.
Ouchi, W.G., Markets (1980), « Bureaucraties and Clan, » Administrative Science
Quarterly, vol. 25, mars 1980.
Williamson, O.E., Ouchi, W.G. (1981), « The Markets and Hierarchies Program
of Research : Origins, Implications, Prospects », in A.H. Van de Ven and W.F.
oyce (Eds.), Perspectives on Organization Design and Behavior, p. 347-370.
New-York : Wiley-Interscience.

Autres références bibliographiques


Allouche, J., Huault, L. (1998), « Contrôle, coordination et régulation : les nou-
velles formes organisationnelles », Finance Contrôle Stratégie, vol. 1, 2 juin.
William Ouchi 367

Aoki, M. (1990), « Toward an Economic Theory of the Japanese Firm », Journal


of Economie Literature, vol. 26, 1 mars.
Coase, R.H. (1937), The Nature of the Firm, Economica, new series, 4.
Durkheim, E. (1933), The Division of Labor in Society, G. Simpson, trans, New
York, Free Press.
Grandori, A. (1987), Perspectives on Organization Theory, Ballinger, 44 et sq.
Jarillo J.C., (1988), « On strategic networks », Strategic Management Journal,
vol. 4, n° 9.
Maslow, A.H. (1954), Motivation and personality, New York, Harper.
Mintzberg, H. (1990), Le management : voyage au centre des organisations, Paris,
Les Éditions d’Organisation.
Williamson, O.E. (1975), Markets and Hierarchies : Analysis and Antitrust
Implications, New York, Free Press.
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XXIV. OLIVER WILLIAMSON – DE L’ÉCONOMIE DES COÛTS DE
TRANSACTION AU « WILLIAMSONISME »

Faouzi Bensebaa
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De l’économie des coûts

au « williamsonisme »
Oliver Williamson

de transaction
XXIV

Faouzi Bensebaa
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Oliver Williamson 369

Notice biographique
Oliver Williamson est professeur émérite à la Hass School of Business (chaire Edgar F.
Kaiser) et à la Graduate School (Droit et Économie) de l’Université de Berkeley en
Californie aux États-Unis. Né en 1932 à Supérior (Wisconsin, États-Unis), Oliver
E.Williamson fréquenta d’abord l’école publique locale puis entra au Massachusetts
Institute of Technology (MIT) (USA), où il obtint un diplôme d’ingénieur. Il est
ensuite recruté par le gouvernement américain comme ingénieur de projets, travail qui
l’amena à voyager à l’étranger et à visiter beaucoup d’entreprises privées. Ce contact
avec les organisations privées le poussa à entrer à l’Université de Stanford (USA) pour
y préparer un doctorat en gestion. Il y découvrit alors l’économie grâce notamment à
Kenneth Arrow et entra dans le groupe de Carnegie-Mellon, animé par Herbert Simon.
Après la soutenance de sa thèse en 1963 sur le rôle des managers dans la performance
des entreprises, il fréquenta quelque temps l’Université de Berkeley, l’Université de
Pennsylvanie ainsi que la Rand Corporation, passages qui lui permirent de rencontrer
des économistes réputés et de réfléchir aux problèmes de droits de propriété et
d’organisation industrielle. Son retour comme économiste à la division AntiTrust de
l’administration fédérale américaine lui permit de travailler sur les problèmes de fran-
chise, d’intégration verticale et de pratiques de prix restrictives et de participer à
l’élaboration de normes en matière de fusions-acquisitions. Son installation définitive
comme enseignant et chercheur se fit d’une manière progressive, d’abord dans les
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années soixante-dix à l’Université de Pennsylvanie, ensuite à partir de 1983 à
l’Université de Yale comme professeur d’économie et enfin à l’Université de Berkeley à
partir de 1989 comme professeur de management, d’économie et de droit.
De nombreuses distinctions récompensèrent ses travaux : Alexander Henderson Award
(1962) ; Fellow Econometric Society (1977) ; Fellow, American Academy of Arts and
Sciences (1994) ; Fellow, American Academy of Politica and Social Science (1997) ;
Horst Claus Recktenwald Prize in Economics (2004) ; Distinguished Fellow, American
Economic Association (2007) ; prix de la Banque de Suède en sciences économiques
en mémoire d’Alfred Nobel avec Elinor Ostrom (2009).

« Que se passe-t-il ? » est la question centrale ayant préoccupé


Williamson tout au long de sa carrière (Williamson, 1996, 2010d). Dit
autrement, cette question traduit le souci continu de Williamson de déve-
lopper une compréhension des problèmes économiques complexes
(Ketokivi et Mahoney, 2016). Cette compréhension a emprunté le che-
min de l’économie des coûts de transaction, caractérisée comme le lieu de
rencontre du droit, de la pensée économique, de la stratégie et de la théo-
rie organisationnelle, bien que les travaux de Williamson portent égale-
ment sur l’anti-trust et la régulation. L’économie des coûts de transaction
constitue une importante rupture avec l’analyse économique convention-
nelle. Sous des conditions parfaites, les théories classique et néoclassique
avancent que les transactions consistent seulement en échanges de biens
de valeur égale. Cette affirmation repose sur deux principes-clés de la
théorie néoclassique : la maximisation de l’utilité individuelle rationnelle
et l’information parfaite. En introduisant la possibilité que des facteurs
370 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

externes à l’échange puissent influencer le coût total du bien, l’inefficience


dans les transactions devient non seulement possible, mais tout à fait pro-
bable. Ces obstacles hors marché font partie intégrante des coûts de tran-
saction. Comment réduire ces coûts, comment organiser les transactions
tout en sachant que les individus peuvent faire preuve d’opportunisme ?
Comme les coûts de transaction constituent un élément naturel de toute
économie, pour que celle-ci progresse, les institutions pouvant éliminer
ces coûts doivent émerger et la firme peut être, dans un univers incertain,
un substitut à la confiance. En faisant ressortir l’importance des coûts de
transaction, Williamson éclaire, d’une manière particulière, la formation
des institutions – à savoir les organisations –, leur existence et leur péren-
nité. « L’approche en termes de coûts de transaction appliquée à l’étude de
l’organisation économique considère la transaction comme l’unité de base
de l’analyse et soutient qu’une compréhension de l’économie des coûts de
transaction est centrale à l’étude des organisations ». L’objectif ultime des
structures organisationnelles, selon cette analyse, est de réduire les fric-
tions, propres à toute transaction, se produisant naturellement et d’assurer
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l’intermédiation des transactions. Il y a ainsi changement de perspective
par rapport à la notion de marché auto-régulé promu par la théorie néo-
classique dans laquelle l’ordre et la structure sont la résultante du chaos
collectif des transactions individuelles. En d’autres termes, le marché crée
son propre ordre, alors que la théorie de Williamson indique que des fac-
teurs extérieurs au marché opèrent. Cependant, les transactions sont régies
par des contrats de différentes natures, étroitement associés à l’environne-
ment institutionnel dans lequel ils sont établis. Ce qui signifie que les
contrats formels seront encadrés par un système juridique structuré alors
que les contrats informels seront fondés sur un système coutumier. Les
coûts de transaction dépendront alors de la bonne adéquation entre les
systèmes institutionnels et les modes organisationnels. Par conséquent, le
choix des transactions – firme ou marché – va être fortement lié à celui des
règles du jeu institutionnel.
C’est à l’examen des principaux travaux de Williamson que se consacre
ce chapitre. Si l’économie des transactions a pu être considérée comme
une rupture par rapport aux enseignements de la théorie néoclassique de
la firme, il s’agit aujourd’hui de cerner l’ensemble des apports de
Williamson, notamment aux sciences de gestion. La réflexion portera,
dans un premier temps, sur la présentation des fondements ayant permis
l’émergence de l’économie des coûts de transaction. Elle se consacrera,
ensuite, à l’étude des caractéristiques principales des travaux de Williamson.
Elle traitera, dans un troisième temps, des principaux apports théoriques
de Williamson. L’accent sera ainsi mis sur sa théorie « réaliste » de la firme,
Oliver Williamson 371

sur la place des coûts de transactions dans les décisions des firmes, sur la
prise en compte de l’impact des droits des contrats sur les choix entre les
différentes structures organisationnelles, etc. Elle analysera, enfin, les cri-
tiques adressées aux contributions de Williamson, tant sur les difficultés
d’opérationnalisation de l’approche que sur l’absence de liens solides entre
coûts de transactions/institutionnalisme et management/stratégie, ainsi
que les réactions qu’elles ont suscitées tant de la part de Williamson lui-
même que d’autres chercheurs.

1. LES FONDEMENTS DES TRAVAUX DE WILLIAMSON

1.1. La notion de transaction chez Commons


Commons (1934) a été le premier à introduire l’idée qui consiste à
considérer la transaction comme l’unité ultime d’activité, contenant les
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trois principes de conflit, de mutualité et d’ordre. Unité de base de l’ana-
lyse, la transaction, c’est-à-dire l’échange entre deux parties, permet d’étu-
dier l’échange à un niveau microanalytique. De plus, Commons considère
l’organisation économique à la fois comme la traduction de caractéris-
tiques technologiques, illustrées par les économies d’échelle, les économies
de gamme, les aspects physiques et techniques, et à la fois comme l’har-
monisation des relations entre les parties (« les structures de gouver-
nance »).

1.2. La question de l’existence des firmes


chez Coase
Observant que dans le monde de l’économie néoclassique standard, les
firmes n’ont aucune raison d’exister, puisque la coordination économique
est assurée par une structure constituée par des prix décentralisés, Coase
(1937) pose deux questions principales : si les marchés concurrentiels sont
aussi efficients que l’affirme la théorie néoclassique, comment expliquer
l’existence de firmes qui, justement, ont pour fonction d’éviter le recours
aux transactions de marché ? En outre, si les firmes offrent des avantages
par rapport au marché, comment justifier qu’elles ne s’y substituent pas
complètement ? Une double réponse est proposée par Coase : l’impor-
tance des coûts de transaction, nécessités par le recours au marché, fonde
l’existence des firmes ; les charges organisationnelles expliquent les limites
372 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

des capacités de ces entreprises à se substituer complètement au marché.


Quatre catégories de coûts de fonctionnement associés au marché sont,
dans cette optique, retenues par Coase : les coûts d’utilisation du système
de prix qui sont la source des prix de transaction, ils se distinguent des
coûts de production ordinaires tout en leur étant additionnels ; les coûts
de négociation des contrats ; les coûts de renégociation des contrats ; les
coûts de régulation. Comment éviter ces coûts ? Leur analyse permet à
Coase de justifier la supériorité de la coordination de la production par les
firmes sur celle assurée par le marché et partant, la substitution de la firme
au marché, au moyen de l’internalisation des transactions. La firme
devient alors « un système de relations qui apparaît quand la répartition
des ressources dépend d’un entrepreneur ». Cependant, l’apparition de la
firme ne signifie pas, tant s’en faut, l’abolition complète des transactions.
En effet, l’émergence de l’entreprise entraîne des charges d’organisation,
dont la croissance est subordonnée à l’augmentation de la dimension de la
firme. Deux causes majeures sous-tendent l’augmentation des charges
organisationnelles : les rendements décroissants de la direction de la firme
dus à l’augmentation des risques d’erreur de décisions et des rigidités
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administratives lorsque le nombre de transactions augmente ; la variation
des prix d’offre des facteurs de production.
À partir de là, et sur la base de la relation positive existant entre les
coûts d’organisation et la taille de la firme, Coase estime que celle-ci
devient optimale quand les coûts marginaux organisationnels égalisent les
coûts marginaux de transaction. L’égalisation des deux types de coûts per-
met, alors, de définir les frontières entre la firme et le marché.

1.3. La théorie de l’organisation de Barnard


Comme autre source fondant la théorie des coûts de transaction de
Williamson, le travail de Barnard (1938) (cf. le chapitre de Barrabel dans
cet ouvrage) qui montre que l’organisation est importante est pourtant
sous-évaluée par les chercheurs. Comme le fit plus tard Hayek, il estime
que l’adaptation constitue le problème central de l’organisation écono-
mique. Cependant, alors que Hayek (1945) affirme que l’adaptation se
réalise via le marché, Barnard indique que l’adaptation coopérative de type
conscient, délibéré, intentionnel s’obtient au moyen de l’administration.
Quatre éléments-clés sont développés, dans cette veine, par Barnard pour
expliquer sa théorie de l’organisation interne : l’economizing ; l’organisa-
tion informelle ; la relation d’emploi ; la théorie de l’autorité. Cet apport
constitue un début de retour à la théorie des organisations, comme le
prouveront subséquemment les recherches de Selznick, de Simon et de
Oliver Williamson 373

l’école de Carnegie (March et Simon ; Cyert et March) (cf. dans cet


ouvrage le chapitre de Huault sur March ainsi que celui de Vandangeon
sur Simon).

1.4. Le concept de coût de transaction de Arrow


Bien que la transaction soit présente, explicitement ou implicitement,
dans l’ensemble de ces travaux fondateurs, il faut attendre les contribu-
tions de Arrow pour que l’expression « coûts de transaction » apparaisse
clairement dans la littérature académique. Étudiant en effet l’échec du
marché, Arrow (1969, p. 48) remarque que cet « …échec n’est pas absolu ;
[et qu’] il vaut mieux considérer une catégorie plus large, celle des coûts
de transaction, qui, en général, entravent la formation des marchés ». Par
coûts de transaction, Arrow fait référence « aux coûts de fonctionnement
du système économique ».
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2. CARACTÉRISTIQUES PRINCIPALES DES TRAVAUX

2.1. Les concepts et les dimensions-clés


Williamson adopte comme unité d’analyse, la transaction, comme
l’avait fait Commons, mais en rejette les principes de d’efficience, de futur,
de rareté, de règles de travail et de souveraineté. Il préfère s’appuyer sur
l’analyse de Coase, tout en utilisant le travail de Simon sur la satisfaction
comme point de départ et développe ainsi ses propres concepts de ratio-
nalité limitée et d’opportunisme.
Le premier concept – la rationalité limitée tirée donc des travaux de
Simon – permet à Williamson d’énoncer que les individus cherchent à être
rationnels mais sont limités par leur incapacité à calculer ou connaître tous
les risques ainsi que les incertitudes et les potentialités existant dans un
contrat. Cette rationalité peut être appréhendée à partir d’un spectre de
construits théoriques neutres. D’un côté du spectre, il est permis d’identi-
fier l’ultra rationalité de l’homme économique (obtenue à partir de la
maximisation de l’utilité, un construit néoclassique), dont les aptitudes à
la connaissance et au calcul sont illimitées, les volontés auto-déterminées
et l’indépendance totale. De l’autre côté, il y a la rationalité culturelle de
l’homme institutionnel (obtenue à partir de la culture-apprentissage, un
construit institutionnel), affichant des aptitudes au calcul et à la connais-
374 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

sance limitées, des volontés acquises de la culture et une très faible indé-
pendance. Face à ces deux extrêmes, Williamson propose un homme
hybride, doté d’aptitudes au calcul et à la connaissance limitées mais de
volonté auto-déterminée et donc d’indépendance. Par rapport à Simon
qui avance que la rationalité limitée conduit à la satisfaction plutôt qu’à la
maximisation du comportement, Williamson estime que la rationalité
limitée conduit à l’economizing sur les coûts de transaction. Ce qui rend
l’approche de minimisation des coûts de Williamson incompatible avec
l’approche de rationalité limitée de Simon. En particulier, les limites de
calcul centrales dans la rationalité limitée excluent les calculs requis par la
minimisation des coûts de Williamson. Le second concept proposé par
Williamson – l’opportunisme – vise à permettre l’explication de la signifi-
cativité des coûts de transaction. Le spectre théorique, exposé ci-dessus, va
de nouveau être utile pour appréhender cette hypothèse. D’un côté du
spectre, l’homme économique poursuit son propre intérêt, mais sans ruse
ou tromperie ni contrainte (pouvoir). De l’autre côté, l’homme institu-
tionnel poursuit son propre intérêt (lorsqu’il apprend pour comprendre)
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avec ruse et contrainte. L’homme hybride de Williamson poursuit son
propre intérêt avec ruse mais sans contrainte. Opportuniste, il est suffi-
samment intéressé pour avoir recours à la ruse mais pas assez puissant pour
utiliser la coercition. L’opportunisme implique la retenue ou la distorsion
de l’information des autres à son propre avantage, mais non la coercition
des autres. L’opportunisme rend le résultat ultime des transactions sur le
marché risqué et incertain, donnant aux coûts de transaction une plus
grande significativité. Concept central de l’économie des coûts de transac-
tion, l’opportunisme suppose des investissements de transaction spéci-
fiques en capital humain et physique.
Les concepts de rationalité limitée et d’opportunisme vont constituer
l’axiome de la théorie des coûts de transaction qui va s’efforcer de déter-
miner la forme institutionnelle qui fournit l’échange le plus efficient. À
cette fin, les transactions sont analysées par rapport à trois dimensions. La
première – la spécificité des actifs – conduit à une transformation fonda-
mentale des relations économiques. La logique est simple. Les actifs sont
hautement spécifiques (par exemple les pipelines dans le secteur du pétrole)
quand ils ont de la valeur dans le contexte d’une transaction particulière
mais peu de valeur à l’extérieur de la transaction. Ceci est dû aux investis-
sements réalisés par les parties pour permettre l’échange et aux coûts
devant être supportés s’il est mis fin à la relation entre les parties. La deu-
xième dimension est constituée par l’incertitude, caractérisant les situa-
tions dans lesquelles la rationalité limitée rend les êtres humains incapables
de prédire le futur. La troisième dimension a trait à la fréquence des tran-
Oliver Williamson 375

sactions, c’est-à-dire le nombre de contacts se produisant entre les co-


échangistes.
Ces trois dimensions permettent à la théorie de prédire deux types de
gouvernance : les transactions caractérisées par une spécificité faible et des
contacts peu nombreux entre les co-échangistes sont régies par le marché
alors que celles qui reposent sur des actifs hautement ou moyennement
spécifiques et des contacts nombreux sont gérées par la hiérarchie. Mais
c’est cette dernière forme institutionnelle qui satisfait les conditions de
rationalité limitée et d’opportunisme. La hiérarchie peut cependant
prendre deux formes : la quasi-intégration de l’un des partenaires par
l’autre au moyen d’un contrat bilatéral (lorsque la spécificité est moyenne)
ou tout simplement l’intégration pure de l’un des partenaires (lorsque la
spécificité est forte). Un troisième type de gouvernance peut être envisagé
lorsque les actifs dotés d’une spécificité importante ou moyenne sont asso-
ciés à des contacts faibles : la gouvernance trilatérale qui fait appel à un
contrat dit « néoclassique » et à un arbitrage des litiges. Dans ce dernier
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cas de figure, le marché et la hiérarchie semblent inefficients et les parte-
naires établissent des contrats avec des clauses de protection en cas de
défaillance de l’un d’entre eux et le recours à un arbitre externe en cas de
litige.

2.2. Les ouvrages majeurs


L’apparition de la gouvernance, comme conséquence de la spécificité
des actifs, et le rôle central que lui attribue Williamson, vont profondé-
ment influencer l’étude des organisations. Deux ouvrages – Markets and
Hierarchies (1975) et Economic Institutions of Capitalism (1985) – mettent
en évidence les éléments de base de l’économie des transactions et le sys-
tème général qui lui est sous-jacent. The Mechanisms of Governance (1996)
est voulu comme la troisième partie de la trilogie. L’objectif principal de
ce dernier ouvrage est d’élaborer complètement la notion de gouvernance
et de l’opérationnaliser d’une manière cohérente avec le modèle général de
l’économie des coûts de transaction. Se focalisant sur les situations
d’échecs de marché, qui incluent des échanges de faible importance entre
des acteurs indépendants, Williamson cherche à identifier, dans cet
ouvrage, les mécanismes utilisés pour créer l’ordre quand « le conflit
potentiel menace de détruire les opportunités afin de réaliser des gains
mutuels ».
376 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

2.3. Les formes institutionnelles


La reconnaissance que la hiérarchie et le marché constituent les deux
formes institutionnelles principales pour gouverner les transactions a
entraîné de nombreuses tentatives afin de faire émerger d’autres formes
institutionnelles. Ainsi, Williamson (1975, p. 41) lui-même introduit le
peer group comme la forme de substitution la plus simple au marché. Cette
organisation collective offre l’atténuation de risques, les avantages associa-
tifs, l’information et la taille, mais « est elle-même assaillie de difficultés
transactionnelles nombreuses ». Williamson suggère que la vulnérabilité
du peer group aux abus du passager clandestin et aux processus de prises de
décisions coûteux entraîne son remplacement par des hiérarchies simples.
À partir de la loi des contrats, et comme on l’a vu plus haut, Williamson
(1979, 1985) intègre les formes bilatérales et trilatérales, qu’il voit comme
des modes de gouvernance efficients de transactions avec des actifs moyen-
nement ou fortement spécifiques et des contacts fréquents ou occasion-
nels.
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Williamson propose en 1991 (Williamson, 1991a, 1991b) la forme
hybride comme forme intermédiaire entre les deux modes de gouvernance
principaux évoqués, à savoir la hiérarchie et le marché. Elle se caractérise
par une spécificité modérée de l’actif tout en étant supportée par son
propre contrat implicite. Cette forme inclut l’échange réciproque, la fran-
chise, la régulation et les différents types de contrats à long terme. Par
rapport aux deux formes principales, la forme hybride est intermédiaire
dans l’adaptabilité, l’intensité de l’incitation et le contrôle administratif
qu’elle fournit.
Cependant, rejetant les deux formes institutionnelles principales – hié-
rarchie et marché – et rejetant également la forme hybride proposée par
Williamson, des développements théoriques subséquents aux travaux de
Williamson proposent d’autres formes institutionnelles qui vont des
accords entre agences à la fédération en passant par le clan et la commu-
nauté. Ainsi, Powell (1990) met l’accent sur le réseau comme forme non
intermédiaire distincte, possédant des caractéristiques complémentaires
relationnelles réciproques. Sur le même plan, Thompson et al. (1991)
utilisent le terme réseau pour définir leur troisième forme afin de décrire
un ensemble tripolaire de formes institutionnelles. La plupart de ces
formes institutionnelles ont des caractéristiques intermédiaires entre celles
du marché et de la hiérarchie, dues à leur perspective interorganisation-
nelle et/ou aux combinaisons intégrant les caractéristiques des deux
formes principales.
Oliver Williamson 377

3. LES APPORTS DE WILLIAMSON


Les travaux sur les coûts de transaction vont asseoir, bien évidemment,
la réputation de Williamson. Cette réputation s’est faite également autour
de son rôle de leader du nouvel institutionnalisme, considéré comme élar-
gissement de l’institutionnalisme traditionnel (au sens de Commons) dans
le champ néoclassique de l’économie, soulignant ainsi le « retour » de
l’historicisme. L’œuvre de Williamson va se traduire alors par plusieurs
apports.

3.1. L’émergence d’une nouvelle théorie


de la firme
Williamson construit, à partir du concept d’actifs spécifiques, non seu-
lement une théorie de la firme inédite mais également une théorie fondant
tous les types d’organisation contractuelle, explicitement liée à la loi des
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contrats. Williamson conceptualise l’entreprise dans cette veine, non
comme une fonction de production, mais comme une structure de gou-
vernance, un type d’État dans l’État, un ordre privé de priorités indivi-
duelles à l’intérieur de priorités collectives. Émerge dès lors comme subs-
titut pour les transactions coûteuses du marché la hiérarchie. Celle-ci
apparaît comme un choix effectué au détriment du marché, indiquant
l’abandon du recours à l’ordre de l’État formel et centralisé. L’ordre privé
de l’entreprise, estime Williamson, est habituellement préférable à l’ordre
public de l’État. Par ailleurs, Williamson laisse entendre que le marché ne
constitue pas un phénomène autonome ou naturel, il le considère plutôt
comme une institution artificielle, créée et maintenue par la souveraineté
de l’État lui-même.

3.2. La place du management et de la stratégie


Comme deuxième apport, Williamson avance dans ses ouvrages
majeurs (1975, 1985) que l’économie est plus fondamentale que la straté-
gie, « l’économie…[étant même] la meilleure stratégie » (Williamson,
1991d). Y a-t-il donc rejet de la stratégie chez Williamson ? À vrai dire, la
stratégie est implicite à tout moment chez Williamson à partir du moment
où il critique les postulats de l’économie néoclassique (information, insti-
tution, marché, etc.) et du droit traditionnel et où il considère que le
marché est une des composantes de l’économie des transactions. Puisque
378 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

le prix du marché n’est plus « enregistré » par la firme-fonction de produc-


tion, le champ devient libre pour une analyse en termes stratégiques :
émergence d’une méthode de hiérarchies (une méthode de choix entre
plusieurs façons d’être présents sur des segments stratégiques : hiérarchie,
contrat ou marché) ; existence d’une multitude de contrats « gouvernés »
par une structure ; introduction des acteurs et partant, des projets ; mana-
gement ayant trait aux transactions entre les entreprises et à l’intérieur des
entreprises ; minimisation des coûts par le management ; substitution de
la loi des parties à la loi tout court. Tout un ensemble de questions straté-
giques et organisationnelles, ayant parfois des implications normatives,
sont, dans cette optique, étudiées : alliances stratégiques ; expansion inter-
nationale et firmes multinationales (Kogut, 1988) ; intégration verticale et
relations d’offres verticales (Masten, Meehan et Snyder, 1989) ; joint ven-
tures (Pisano, 1990 ; stratégie de distribution ; structure financière opti-
male ; systèmes d’incitation internes ; etc. Ce qui amène Rumelt, Schendel
et Teece à observer que de tous les champs de l’économie, la branche coûts
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de transaction de l’économie de l’organisation a la plus grande affinité
avec le management stratégique (1991, p. 14). Mais, d’une manière géné-
rale, Williamson estime que l’économie demeure la meilleure des straté-
gies. Cependant, comme la théorie des coûts de transaction proposée est
explicitement comparative, permettant dans cet esprit l’analyse des effi-
ciences relatives des arrangements hybrides, des hiérarchies et des marchés,
les travaux de Williamson ont pour conséquence l’établissement d’un
ensemble de règles normatives permettant de choisir stratégiquement
entre des plusieurs types d’ arrangements (Masten, 1993).

3.3. L’interdisciplinarité de la démarche


Le troisième apport concerne l’interdisciplinarité de la démarche,
impliquant des aspects de l’économie, du droit et de la théorie des organi-
sations. Ces trois disciplines ont, chacune à sa manière, fourni des analyses
profondes de la nature de l’organisation économique. Mais les principales
contributions sont demeurées largement indépendantes les unes des autres
tout en se préoccupant du même objet. C’est en partie pour cette raison
qu’il est estimé que l’économie des coûts de transaction n’a pas réalisé de
progrès notables durant les trente années qui ont suivi les travaux fonda-
teurs.
Oliver Williamson 379

4. LA THÉORIE DES COÛTS DE TRANSACTION :


ANALYSE CRITIQUE

4.1. L’institutionnalisme hybride de Williamson


La plupart des chercheurs considèrent que l’institutionnalisme de
Williamson est hybride et son réalisme sélectif tout en admettant que le
remplacement du néoclassicisme « non réaliste » par l’institutionnalisme
constitue une avancée indéniable. En effet, la rationalité limitée de
l’homme hybride de Williamson est plus prégnant que l’homme écono-
mique de la théorie néoclassique, mais Williamson échoue toutefois à
incorporer l’apprentissage culturel dans son modèle ; l’opportunisme de
cet homme hybride est également plus marquant que l’homme écono-
mique, mais là également Williamson ne parvient pas à prendre en compte
dans son approche le pouvoir de la contrainte.
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4.2. Les prescriptions normatives
Les enseignements tirés de la théorie des coûts de transaction sont consi-
dérés comme non seulement médiocres (bad)1 mais également dangereux
pour les dirigeants des firmes en raison des hypothèses et de la logique sur
lesquelles ils sont construits. De ce fait, les prescriptions proposées ne sont
pas seulement difficilement applicables à la plupart des situations de prise
de décision dans les firmes mais, si elles sont mises en œuvre, affecteront
probablement la performance des entreprises (Ghoshal et Moran, 1996).
Selon Ghosah et Moran (1996), Williamson ne réussissant pas à distin-
guer l’opportunisme comme attitude de l’opportunisme comportemental
– deux concepts supposés distincts et influencés par des dispositions contex-
tuelles et individuelles – cherche surtout à montrer que les organisations se
substituent au marché lorsque ce dernier échoue. Or, d’après ces deux
auteurs, tout indique que le marché commence quand les organisations
échouent. D’abord, parce que les organisations ne sont pas seulement des
substituts pour structurer des transactions efficientes quand le marché ne
réussit pas à le réaliser : elles possèdent des avantages uniques pour gouver-
ner certains types d’activités économiques via une logique qui est très diffé-
1. Toutefois, pour Ketoviki et Mahoney (2016), cette appréciation est problématique non en raison des
difficultés de la théorie des coûts de transaction en termes de représentation des problèmes économiques
mais à cause du sujet utilisé dans la phrase énoncée. Celui-ci ne désigne pas une personne mais une
théorie. Dès lors, la notion de « théories mauvaises » ou « bad theories » est une erreur anthropomor-
phique.
380 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

rente de celle du marché. L’absence de prix et de marché ne remet pas en


cause leur existence. Ensuite, le choix proposé par Williamson entre la
hiérarchie et le marché ne prend pas en compte l’efficience sur le long
terme. Enfin, selon Williamson, les organisations, dotées d’aptitudes éle-
vées, existent pour atténuer l’opportunisme humain via l’exercice de
contrôles hiérarchiques non accessibles aux marchés. Dans cette veine, les
firmes, s’appuyant sur une perspective morale, s’évertuent à mettre un place
un environnement institutionnel, influençant les valeurs de leurs membres
et facilitant les interactions sociales, dans le but d’opérer d’une manière
autonome.
À partir de cette base, les organisations émergent, non pour réduire les
comportements humains déviants au moyen du contrôle hiérarchique, mais
pour orchestrer les capacités humaines et stimuler les acteurs humains.
Lorsque les firmes se révèlent incapables de mettre en place les bases per-
mettant l’apparition de relations sociales coopératives, le marché devient la
solution de remplacement.
De leur côté, Rumelt et al. (1991, p. 19), dans leur revue du manage-
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ment stratégique et de l’économie, suggèrent que les économistes s’interro-
geant par le passé sur la manière dont une firme doit être managée auraient
argué que les sous-unités devraient être mesurées par le profit, elles devraient
à cet égard transférer capital, produits et services et le capital à d’autres
firmes au coût marginal. De surcroît, la qualité de la concurrence était esti-
mée corrélée à son caractère interne. Les réflexions de ces deux ou trois
dernières décennies conduisent à rejeter cette recommandation, consistant
à considérer la firme comme si elle était un ensemble de marchés. En effet,
les firmes existent plutôt parce que les moyens hors marché de coordination
et d’engagement qu’elles possèdent sont supérieurs à ceux du marché. Dans
cette veine, la construction d’une théorie du management et de la stratégie
autour des échecs des marchés ne peut être que limitée (1991, p. 19). Ce
qui réellement différencie les marchés et les firmes est que les deux struc-
tures sont capables d’atteindre l’efficience et de faciliter l’adaptation de
différentes manières tout en suivant des logiques institutionnelles diffé-
rentes. L’une n’est pas la continuation des relations de l’autre.

4.3. L’absence d’un objectif partagé


Sur le plan de la logique organisationnelle, bien que Williamson recon-
naisse le rôle de la coordination dans l’adaptation organisationnelle, il
échoue à reconnaître le rôle de l’objectif partagé induisant une telle coor-
dination. C’est précisément parce que la menace de comportements
Oliver Williamson 381

opportunistes est commune, parce que des effets dysfonctionnels sont


substantiels et parce que les forces qui donnent naissance à la menace et
aux conséquences de l’opportunisme sont probablement influencées par
les pensées, les politiques et les pratiques managériales que la théorie de
Williamson est estimée si « mauvaise » pour la pratique du management.

4.4. L’oubli de l’apprentissage


Bien que l’économie des transactions ait été la première à faire la diffé-
rence entre la connaissance explicite et la connaissance tacite (Williamson,
1970) et à développer ensuite les ramifications contractuelles/organisa-
tionnelles du capital humain spécifique à la firme, dans lesquelles travail-
leur et firme ont des incitations à inscrire des clauses contractuelles
lorsqu’il y a spécificité de l’actif (Williamson, 1975), le thème de l’appren-
tissage n’a pas été vraiment abordé. En effet, l’économie des transactions
soutient que les acteurs économiques ont la capacité de « voir loin » et de
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repérer les hasards (ou aléas) contractuels et les opportunités d’investisse-
ment. Cependant, cette identification émane le plus souvent de l’expé-
rience. Qu’elle soit positive ou négative, la proposition de base est que la
firme est censée réagir à une telle identification en entreprenant des
actions qui atténuent les aléas possibles et réalisent pleinement les gains
futurs. L’apprentissage via l’expérience – en découvrant davantage sur
l’environnement, les offreurs et les concurrents après les adaptations
appropriées – est supposé plus ambitieux que l’apprentissage essais-erreurs
mais est moins ambitieux que l’idée de contractualisation prévoyante.

4.5. Les autres insuffisances


L’approche de Williamson est critiquée parce qu’elle confond la straté-
gie en général avec le modèle très spécifique issu de l’économie industrielle
et développée par Porter (Foss, 1997) ; parce qu’elle écarte les relations de
coopération, ainsi que celles qui reposent sur la confiance mutuelle ; parce
qu’elle ignore le contexte dans lequel se déroulent les actions humaines ;
parce qu’elle incarne une idéologie implicite qui déforme plus qu’elle
n’éclaire (Perrow, 1986) ; parce qu’elle manque de généralisation en raison
du biais ethnocentrique (Dore, 1983) ; parce qu’elle présente une approche
sous-socialisée de la motivation humaine et sur-socialisée du contrôle ins-
titutionnel (Granovetter, 1985) ; enfin parce qu’elle repose sur une théo-
risation ad hoc coupée de la réalité (Simon, 1991).
382 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

5. LA DÉFENSE DE LA THÉORIE DES COÛTS


DE TRANSACTION
Les critiques adressées à l’économie des transactions (notamment par
Kogut et Zander, 1992 ; Ghoshal et Morgan, 1996 ; Madhok 1996) ont
entraîné un certain nombre de réactions.

5.1. La réaction de Williamson


À tout seigneur, tout honneur, Williamson (1996) défend lui-même
son concept d’opportunisme. Il estime ainsi que les comportements
opportunistes, menant à des « mauvaises pratiques », ne sont pas du tout
encouragés par son approche. Bien au contraire, ces comportements
doivent être examinés dans le contexte de contrats préventifs afin d’atté-
nuer les effets du « moral hazard ». Ces comportements sont toutefois
difficilement identifiables ex ante en raison de la rationalité limitée. De
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plus, les comportements opportunistes sont exceptionnels (Ketokivi et
Mahoney, 2016) et le monde doit être organisé au profit de ceux qui res-
pectent leurs engagements et contre les opportunistes (Swedberg, 1990).
Il récuse ensuite les arguments des thuriféraires de la théorie des compé-
tences. Étudiant les avancées réalisées par l’économie des transactions en
termes d’acteurs humains, d’unité d’analyse, de travaux empiriques etc., il
estime (1999) que les critiques formulées par les théoriciens des compé-
tences sont dépassées, eu égard aux améliorations permises par les der-
nières contributions axées sur la théorie des coûts de transaction. Il
indique de surcroît que l’économie des transactions et la théorie des com-
pétences ne peuvent être considérées comme antagoniques. Elles seraient
plutôt complémentaires en matière de compréhension du phénomène
économique complexe, que constitue la science des organisations.

5.2. Le point de vue des partisans de la théorie


des transactions
Un certain nombre de recherches défendent la théorie des coûts de
transactions, tout en cherchant à l’approfondir. Noorderhaven (1996), par
exemple, estime qu’une théorie « comportementale » des transactions est
indispensable. Celle-ci montrerait que les comportements opportunistes,
rendus partiellement endogènes, sont influencés tant par des tendances
antérieures que par les caractéristiques de la gouvernance. Mais il faut
Oliver Williamson 383

dépasser l’approche de Williamson pour spécifier, d’une manière précise,


la nature de ces influences et de leurs mécanismes. Cette théorie compor-
tementale doit également aborder d’une manière radicale les conséquences
de la rationalité limitée. En effet, la théorie des coûts de transaction
emploie une approche épistémologique selon laquelle la connaissance peut
en principe être transférée au-delà des interfaces du marché. Si cela était
vrai, le choix de la forme de gouvernance serait réduit à une analyse de
coûts comparatifs. Cependant, la question est nettement plus complexe.
La connaissance tacite développée et diffusée dans la firme est susceptible
de ne pas être transférée au marché et les contacts avec le marché peuvent
être la source d’intuitions nouvelles, peu aisées à développer à l’intérieur
des organisations. Le traitement de l’opportunisme et de la rationalité
limitée doit être associé à une analyse fine et détaillée du processus ayant
permis leur occurrence. L’approche de Williamson, de type statique com-
parative, est trop restrictive mais l’arbitrage entre coûts et risques des dif-
férentes formes de gouvernance, qui constitue le socle de la théorie des
coûts de transaction, doit rester le point de mire de l’analyse et la source
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primordiale de l’inspiration.

Conclusion
La richesse des contributions de Williamson est indéniable en dépit des
réserves suscitées par certains aspects de ses travaux. Il s’est ainsi intéressé
aux sciences économiques, aux théories des organisations2, au droit, au
management des organisations et à la politique. Ses réflexions sont telle-
ment célèbres et notoires que Williamson est devenu éponyme avec la
théorie. Dans cette perspective, le « williamsonisme » est tant admis
comme courant de recherches que comme approche distinctive, via
laquelle les problèmes de l’organisation économique sont étudiés. Pour
l’essentiel, Williamson rapproche la microéconomie de la sociologie des
organisations, récusant au passage l’approche néoclassique de l’entreprise,
permettant ainsi aux sciences économiques et aux sciences de gestion de
considérer la firme comme objet d’étude. En outre, en dépit du peu d’at-
tention accordé au pouvoir quand il s’intéresse à la taille des firmes,
Williamson parvient à expliquer les décisions sous-tendant le choix entre
2. La référence à l’article de 1995 nous semble appropriée. Dans cette contribution, Williamson propose
en complément aux formes organisationnelles A (caractérisant l’entreprise occidentale hiérarchisée) et J
(caractérisant l’entreprise japonaise) la forme T. Celle-ci, estimée temporaire ou transitionnelle, joue un
rôle majeur dans le succès ou l’échec des organisations opérant dans de nouveaux marchés, connaissant
des changements technologiques et concurrentiels rapides. Williamson cite les joints ventures et les
alliances comme des organisations de forme T. Aoki (2004) a prolongé ce travail en l’appliquant au
cluster « Silicon Valley ».
384 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

le recours à la hiérarchie ou au marché, tout en mettant en évidence les


formes dites hybrides de gouvernance. Surestimant l’opportunisme et
sous-estimant la confiance, il souligne également que les organisations
sont censées chercher à diminuer les risques de comportements internes
non coopératifs. De plus, il offre, au moyen des actifs spécifiques, concept-
clé de sa théorie, des explications fort utiles aux processus d’innovation ou
d’intégration verticale. Enfin, une contribution récente appréhende la
théorie des coûts de transaction comme une théorie constructive des par-
ties prenantes constructive. Ce rapprochement est rendu possible via
l’identification dans la théorie des coûts de transaction de trois éléments-
clés de la théorie des parties prenantes, à savoir la coopération, l’engage-
ment et la responsabilité. Il est rendu envisageable en considérant la partie
prenante « conseil d’administration » comme une structure de gouver-
nance devant être réservée à ceux qui financent ou fournissent les actifs
spécialisés et susceptible d’être utilisée comme un instrument de sécurité.
Il est permis en considérant certains groupes d’employés comme des actifs
spécifiques devant être protégés ou avec lesquels la coopération devra être
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encadrée.

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in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 388 à 404


ISBN 9782376870432
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culturelle est constitutive
Quand la dimension

organisationnel
du changement
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L’histoire des structures
Alfred Chandler

industrielles
Jean-Claude Pacitto
XXV
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390 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Chandler n’est pas un théoricien de la gestion, c’est un historien et


l’ouvrage qui va le rendre célèbre Strategy and Structure, constitue un tra-
vail d’historien. Né en 1918 dans une famille moyennement aisée, il est
décédé en 2007. Alfred Chandler débute son cursus universitaire à l’Uni-
versité de Caroline du Nord et l’achève à l’Université d’Harvard où il
obtient son PHD en 1952. Ses activités d’enseignement et de recherche se
déroulent tout d’abord au MIT de 1950 à 1963, puis à l’université Johns
Hopkins de 1963 à 1971, enfin, depuis cette date à la Harvard Business
School. Chandler a écrit 6 ouvrages dont trois ont eu un grand retentisse-
ment : Strategy and Structure en 1962, The Visible Hand en 1977 et Scale
and Scope paru en 1990. Il a aussi édité ou dirigé plus d’une trentaine
d’autres ouvrages, écrit plus de 60 articles, 25 chapitres et 30 comptes-
rendus d’ouvrages. Ajoutons à tout cela son travail de classement des
lettres ou archives personnelles des présidents Roosevelt et Eisenhower.
Alfred Chandler est un pionnier. Comme tous les pionniers, il est beau-
coup cité mais comme aussi tous les pionniers il est rarement lu. D’une
œuvre complexe et fournie, on a voulu retenir que des formules simplifi-
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catrices qui tendent à altérer la portée générale des démonstrations de
l’auteur. De surcroît, une trop grande focalisation sur ses premiers
ouvrages et travaux tend à quelque peu éclipser ses derniers développe-
ments, notamment ceux concernant les capacités organisationelles, que
l’on trouve dans ses derniers ouvrages et qui intéressent fortement les
gestionnaires.
Il convient donc de resituer son message dans son intégralité, ce que
nous essaierons de faire dans le présent chapitre.

1. CHANDLER HISTORIEN DES AFFAIRES


Chandler a beaucoup hésité dans le choix d’une orientation définitive.
Néanmoins, l’intérêt qu’a toujours porté l’auteur au changement (et pas
seulement dans les organisations) va peu à peu l’orienter vers l’histoire
structurelle des grandes entreprises américaines.

1.1. la recherche d’une vocation


Comme nous l’avons souligné, Chandler est historien, mais rien ne
prédisposait le jeune Chandler à s’intéresser à l’histoire des affaires. Cet
intérêt doit beaucoup à un fait émergent, nous y reviendrons. En effet,
Chandler pendant et après son cursus a beaucoup hésité sur le choix d’une
Alfred Chandler 391

orientation pour ce qui concerne ses travaux de recherche. On ne sera, dès


lors, pas étonné que ses premiers travaux historiques, effectués durant les
années 1939-1940, portaient sur l’histoire politique du pays. Chandler
s’intéresse à cette date à la défaite électorale du gouverneur
D.H. Chamberlain, homme brillant et influent, que tout le monde
annonçait gagnant.
Pourtant à y regarder de plus près, ce travail est à plus d’un titre fonda-
teur de ce que sera la méthode chandlerienne en ce qu’elle se focalise sur
ce qui constituera son structurant fondamental : l’examen des faits. À
l’aide de nombreuses cartes (qu’il remplacera bientôt par les graphiques !),
Chandler d’un point de vue sociologique, met en évidence les évolutions
sociales qui avaient transformé la Caroline du Sud, évolutions qui expli-
queront la défaite du gouverneur. Son cursus universitaire est interrompu
par la seconde guerre mondiale. Officier de marine, Chandler est frappé
par les profonds changements qui vont s’opérer dans les armées. De ces
années de guerre lui viendra cet intérêt jamais démenti pour les processus
de changement dans les organisations. N’oublions pas que Strategy and
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Structure est aussi l’histoire des changements organisationnels de la grande
entreprise américaine. De la même façon, le travail de reconnaissance
effectué sur des photographies aériennes prises avant et après les bombar-
dements sur les villes allemandes et japonaises, attirera l’attention du
chercheur sur le fait logistique, seul capable d’expliquer la capacité des
pays de l’Axe (Allemagne et Japon) à faire fonctionner leurs usines malgré
des bombardements incessants.

1.2. De l’étude du changement à l’histoire


des structures
Durant les années d’après-guerre, Chandler qui hésite pour beaucoup
sur l’orientation à donner à ses travaux, va subir l’influence du grand
sociologue américain Talcott Parsons, Parsons à la lecture duquel il
découvrira les œuvres de Weber et Durkheim. Il est à peu près certain que
Chandler doit à Parsons son goût pour les généralisations systématiques et
sa capacité à restituer en aperçus théoriques des données souvent com-
plexes. Deux faits vont orienter définitivement sa carrière : sa participation
au Research Center in Entrepreneurial History et la découverte suite au
décès de sa grande-tante, des archives de son arrière grand-père, Henry
Varnum Poor. Ce dernier, directeur de deux publications spécialisées dans
les chemins de fer – l’American Railroad Journal puis le Poor’s Manual of
Railroads – va être le témoin extraordinairement privilégié de l’expansion
392 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

des chemins de fer américains et des profondes transformations des orga-


nisations mises en place pour gérer leur expansion. De l’examen appro-
fondi de ces archives sortiront une thèse, puis un ouvrage intitulé : Henry
Varnum Poor : Business Editor, Analyst and Reformer. Le titre est trompeur,
car au-delà de l’aspect biographique, l’ouvrage peut se lire comme une
véritable histoire du chemin de fer américain. La longue vie de son ancêtre
(1812-1905) va permettre à Chandler de décrire en profondeur les chan-
gements opérés et d’entrevoir les conséquences de l’expansion du chemin
de fer sur la société américaine. Tous les travaux de Chandler insisteront
sur cette révolution et sur toutes les transformations de l’économie
américaine du fait de l’expansion du rail. De son arrière grand-père,
Chandler héritera aussi de son goût pour le détail, les graphiques, la
volonté de comprendre et d’expliquer. Suite à la publication de cet
ouvrage, Chandler va écrire une série d’articles publiés dans la Business
History Review portant sur la naissance et le développement de la grande
entreprise aux États-Unis, articles qui trouveront leur prolongement
logique dans la publication en 1962 de Strategy and Structure. Les années
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1952-1959 constituent donc la matrice intellectuelle sans laquelle on ne
peut saisir l’ensemble de l’œuvre chandlerienne. Toutes les idées s’y
trouvent soit en germes soit déjà développées. Entre 1952 et 1959,
Chandler va définitivement faire sortir l’histoire des affaires d’une ornière
stérilisante : celle du jugement moral porté sur les capitaines d’industrie.
Désormais ce n’est plus l’individu et ses qualités morales qui deviennent la
préoccupation majeure de l’historien mais l’organisation et son évolution,
évolution resituée dans le contexte des transformations subies par
l’économie américaine.

2. À LA REDÉCOUVERTE DU MESSAGE CHANDLERIEN


Si l’histoire des affaires peut-être utile au gestionnaire, il convient
néanmoins de ne pas réduire des développements riches en enseignements
en quelques sentences, ce à quoi nous invite Chandler lui-même mais
aussi la lecture de son œuvre.

2.1. L’extraordinaire préface : quand Chandler


revisite Chandler
Préfaçant une nouvelle édition (1989) de son ouvrage de 1962,
Chandler, en des lignes incisives, va émettre un certain nombre d’idées qui
Alfred Chandler 393

pourraient faire douter le lecteur non-averti de la continuité de pensée


entre cette nouvelle préface et le travail de 1962. Il est certain que dans
cette nouvelle préface Chandler a voulu réagir contre un certain nombre
de simplifications qui ont quelque peu altéré et déformé la portée de son
message. Pour qui n’a lu que l’introduction et la conclusion de Stratégy and
Structure, la formule « la structure suit la stratégie » semble s’imposer. Pour
qui a lu l’ensemble de l’ouvrage, les choses paraissent moins simples, nous
y reviendrons. L’intérêt de cette nouvelle préface tient aussi au fait que
Chandler, sans y faire explicitement référence, resitue son travail à la
lumière des nouvelles perspectives ouvertes par les sciences de gestion au
cours des années qui ont suivi la publication de Strategy and Structure.
D’une certaine manière, c’est tout le débat stratégie – structure ou
structure-stratégie qui est ici évoqué. En premier lieu Chandler tient à
réfuter la thèse de l’intentionnalisme stratégique que certains ont voulu
voir défendu dans son ouvrage. Pour Chandler (1989a : 11) en effet les
managers « ne changent leur routine quotidienne ou ne bouleversent les
positions de pouvoir que rarement et sous l’emprise de pressions très
fortes ». Toute explication du changement doit, pour être saisie, être
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contextualisée. Le chapitre premier de Strategy and Structure est d’ailleurs
entièrement consacré à l’étude du contexte dans lequel vont se dérouler les
mutations organisationnelles de la grande entreprise américaine. Pour
l’auteur, ces changements ne peuvent s’expliquer que par la nécessité et ou
la volonté des managers à s’adapter aux nouvelles donnes de l’économie
américaine issues des profondes transformations subies entre 1840 et
1920. Ce sont les pressions exercées par ces transformations et le besoin
des entrepreneurs d’assurer la croissance et ou la survie de leur organisa-
tion qui les pousseront à modifier leur stratégie puis leur structure.
Comme nous l’approfondirons, ces processus ne vont pas de soi et Strategy
and Structure n’est surtout pas un hymne à la clairvoyance managériale. Au
contraire, la description des processus de changement montre que pour
Chandler ces derniers sont le plus souvent contraints, rarement volon-
taires. Dans cette perspective, Chandler ne néglige pas l’impact du fait
structurel sur la formation des nouvelles stratégies, la chronologie est
trompeuse et l’historien tient ici à dissiper un certain nombre de malen-
tendus. La structure écrit-il (1989a : 14) « a eu autant d’impact que la
stratégie sur la structure. Mais parce que les changements se sont produits
chronologiquement avant ceux de la structure et peut-être aussi parce que
mon éditeur m’avait convaincu de changer le titre de “structure à stratégie”
en “stratégie à structure”, le livre donne l’impression de mettre l’accent sur
la relation entre la stratégie et la structure plutôt que l’inverse ». Dans le
schéma chandlerien, les transformations de l’environnement révèlent tou-
jours à un moment donné l’inaptitude des structures anciennes à relever
394 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

les nouveaux défis. Toute la démonstration de l’auteur vise à montrer


comment les changements intervenus dans l’économie américaine, ont
fini par rendre inopérantes les anciennes structures. Mais on aurait tort de
penser que les pressions extérieures sont seules responsables de ces change-
ments structurels. Chandler montre bien que la recherche-développement,
au tournant des années 1900, expliquera pour beaucoup les mouvements
de diversification opérés par les grandes entreprises américaines et en der-
nier lieu leur adoption de la structure multi-divisionnelle. De ce point de
vue les innovations organisationnelles sont autant redevables du technology
push que de la demand pull.

2.2. Un message plus complexe que sa


simplification
Strategy And Structure publié en 1962 puis The Visible Hand publié en
1977, condensent l’apport d’Alfred Chandler à la théorie des organisa-
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tions. À bien des égards, le second ouvrage est le prolongement du premier
et Chandler montre bien que l’essor et l’autonomisation des managers
dans les grandes entreprises américaines sont liés à la mise en place des
nouvelles structures.
Comme nous l’avions souligné, Strategy and Structure constitue un
travail d’aboutissement et d’approfondissement d’idées développées dans
des contributions – et notamment deux – parues entre 1959 et 1960. La
première publiée dans la Business History Review et intitulée « The
Beginning Of Big Business in American Industry » est centré autour du
problème du changement. L’interrogation de Chandler mérite d’être
reprise car elle imprègne toute son œuvre. Pour Chandler (1959 : 1), en
effet, une histoire de la grande entreprise doit consister à examiner les
causes du changement, c’est donc une histoire du changement, « en
d’autres termes qu’est-ce qui a poussé les entreprises à développer de nou-
veaux produits, de nouveaux marchés, de nouvelles sources de matières
premières, de nouvelles façons de faire… ? Qu’est-ce qui les a encouragées
à trouver de nouvelles méthodes de financement, de nouvelles méthodes
de management et d’organisation ? ».
Même si l’auteur reste prudent et emploie à volonté les verbes paraître
et sembler, une conclusion plus nette se dégage de cet article important.
Les innovations constatées dans les grandes entreprises américaines consti-
tuent des réponses à la croissance rapide du marché générée par l’expan-
sion du chemin de fer. Mais à partir des années 1900, Chandler note que
ces innovations seront davantage suscitées par la dynamique interne des
Alfred Chandler 395

structures et notamment des services recherche-développement. Ces der-


niers permettent des approfondissements de gamme et des diversifications
reliées et obligent d’une manière ou d’une autre les entreprises à repenser
leurs structures. La deuxième contribution qui annonce plus directement
Strategy and Structure s’insère dans le cadre d’un ouvrage collectif dirigé
par R.E. Freeman et intitulé Postwar Economic Trends In The United States
où Chandler va rédiger le chapitre 7 « Development, Diversification and
Decentralization ». Ce qui intéresse ici Chandler, c’est l’étude des causes
qui ont poussé les grandes entreprises américaines à adopter la structure
dite multi-divisionnelle. Parmi les cinquante entreprises étudiées figurent
General Motors, General Electric et Du Pont de Nemours qui feront
l’objet de chapitres distincts dans Strategy and Structure. Les conclusions
de cette étude sont éclairantes. Dans un premier temps, l’auteur constate
que l’adoption des structures décentralisées est une conséquence des
stratégies de diversification menées par les grandes entreprises. Cette
diversification, ajoute-t-il, résulte des progrès réalisés dans les sciences
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naturelles et physiques qui ont permis aux entreprises de tester et créer de
nouvelles applications et d’élargir ainsi leur champ d’activité à un moment
où le marché imposait de nouvelles contraintes (saturation). Dans un
second temps, Chandler va préciser les conditions d’adoption de ces nou-
velles structures. Pour l’historien cette adoption n’a résulté que rarement
d’un processus « automatique ». Elle s’est opérée le plus souvent dans la
crise et a souvent requis des changements de dirigeants. Il est à noter que
la vision du changement telle qu’elle se dégage de ses premiers écrits n’est
pas sans rappeler celle qui sera décrite quelques années plus tard par
Crozier dans le phénomène bureaucratique. D’une certaine façon, les
managers décrits par Chandler semblent contraints par une sorte de
déterminisme structurel et culturel qui les empêchent de gérer les change-
ments de manière pro-active. L’anticipation n’est pas une qualité que
Chandler attribue volontiers aux managers et il n’hésita pas à écrire
(Chandler dans Freeman, 1960, chapitre 7) « les anciens dirigeants ont eu
rarement conscience des nécessités organisationnelles engendrées par la
diversification… dans la plupart des cas étudiés ici, les changements orga-
nisationnels furent opérés et mis en œuvre par de nouveaux groupes de
dirigeants ».
Strategy and Structure va amplifier et systématiser les apports et conclu-
sions des deux précédentes études.
396 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

2.3. La nécessaire contingence du contexte


économique pour l’analyse des changements
organisationnels
Quatre entreprises vont faire l’objet d’une étude serrée et chronolo-
gique : Du Pont, General Motors, Standard Oil (New Jersey) et Sears.
Pour Chandler, le choix de ces quatre entreprises se justifie par le rôle
pionnier qu’elles ont joué dans l’adoption de la structure divisionnelle.
Ces études à caractère monographique seront resituées dans une perspec-
tive d’ensemble : celle de l’évolution des 70 plus grosses entreprises
américaines entre 1880 et 1960. L’histoire des innovations organisation-
nelles se voit assignée un but : montrer comment ces entreprises « ont
étendu leurs affaires, pratiqué de nouvelles activités, changé d’orientation
et pourquoi chacune de ces modifications exigeait un nouveau type de
gestion » (Chandler, 1989a : 31). Pour comprendre les changements orga-
nisationnels opérés par les grandes entreprises américaines, il faut, insiste
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l’auteur, les relier aux profonds changements qui ont affecté l’économie
entre 1840 et 1920. L’expansion continue du chemin de fer, l’urbanisation
croissante et le déclin du monde rural, la constitution d’un vaste marché
unifié ont eu d’énormes répercussions sur les stratégies d’expansion des
entreprises qui ont du s’adapter au fur et à mesure. De ce point de vue, la
naissance et le développement des grandes entreprises aux États-Unis ne
doivent pas grand-chose à de quelconques valeurs culturelles. Pour
Chandler, c’est une création contingente qui a longtemps été combattue
par la société américaine. Les processus d’adaptation découlant de ces
stratégies d’expansion ont suscité des besoins administratifs différents exi-
geant à leur tour des formes d’organisation différentes. Mais on se trom-
perait si on pensait que ces changements ont été ressentis de la même
façon dans les quatre entreprises étudiées. Dans les chapitres 2 à 5,
Chandler montre comment les dirigeants de ces entreprises ont réagi aux
nouveaux défis de l’environnement. Si le résultat fut identique (adoption
de la structure divisionnelle), les processus de changement furent différents
parce que la perception que pouvaient avoir les dirigeants des transforma-
tions à opérer différait elle même profondément.
Comme nous l’avions souligné précédemment, l’étude de Chandler
n’est pas un panégyrique déguisé à la gloire des managers et les change-
ments décrits se font souvent dans la douleur. Il faut relire à cet égard les
chapitres consacrés à Du Pont et General Motors pour se rendre compte
que l’adoption de nouvelles stratégies puis de nouvelles structures a été
consécutive à de longues périodes de crise et de remise en cause pour
Alfred Chandler 397

l’entreprise. De la même façon, Sears et Standart Oil n’ont réagi que parce
qu’ils étaient menacés de disparition suite à la modification brutale de
leurs marchés initiaux. La vision contrainte du processus de changement
qui se dégage de l’analyse de Chandler est une indication claire quant à la
préférence causale qu’accorde l’auteur à l’environnement, du moins
jusqu’au début des années 1900. De 1840 à 1900, les entreprises
américaines vont devoir grandir et se structurer pour suivre l’évolution du
marché. Pour Chandler (1989a : 45) « l’expansion sans réorganisation ne
peut mener qu’à une impasse économique ». Pourtant là aussi, il convient
d’être attentif à ne point trop vouloir simplifier les propositions de l’au-
teur. En modifiant la répartition des ressources de l’entreprise, la nouvelle
stratégie, pour être efficace, nécessite un changement de structure. Les
nouvelles structures ainsi mises en place visent donc à optimiser l’emploi
des ressources dégagées par la mise en œuvre des nouvelles stratégies. Le
schéma en 4 phases proposé n’est qu’une systématisation à finalité
pédagogique de processus longs et complexes. Chaque phase d’expansion
a nécessité un nouvel aménagement structurel parce qu’elle appelait un
nouvel emploi des ressources pour faire face aux nouveaux défis de l’envi-
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ronnement.
Chandler montre que le dénominateur commun entre toutes ces entre-
prises, selon des modalités certes différentes, a été l’adaptation des res-
sources de l’entreprise à la demande du marché. Cette adaptation plus ou
moins rapide a tenu largement à la qualité des managers en place et
Chandler note qu’au contraire des quatre entreprises étudiées dans le
détail, la plupart des entreprises américaines n’ont opéré leurs grandes
mutations structurelles qu’entre 1940 et 1960. Pour faire face à la baisse
des profits et à la saturation des marchés, les grandes entreprises évoluant
dans des environnements plus exigeants (chimie, automobile) vont profi-
ter de leur maîtrise technologique pour élargir leur gamme et s’engager
dans des politiques de diversification relative. En créant de nouveaux
produits pour de nouveaux marchés, les structures en place vont être
confrontées aux nombreux problèmes de coordination que vont générer
ces nouvelles politiques, et les entreprises vont devoir relever un nouveau
défi : comment gérer de nouveaux produits, de nouveaux marchés au sein
de structures centralisées et organisées selon un mode fonctionnel ?
Sont ici évoqués avec précision les problèmes de liaison, de coordina-
tion, de surcharge administrative induits par ces nouvelles stratégies d’ex-
pansion. Dans cette perspective, l’adoption de la nouvelle structure divi-
sionnelle apparaît comme la réponse la plus adaptée aux défis posés par le
nouvel environnement. Le processus est loin d’être linéaire et chose que
l’on ne souligne que rarement, ce n’est qu’à ce moment que Chandler
398 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

décrit aussi comment ces choix structurels ont fini par influencer la poli-
tique de diversification tous azimuts adoptée par nombre d’entreprises
dans les années soixante. Il n’y a donc pas d’a priori de l’auteur en faveur
de la structure divisionnelle. Ce qui l’intéresse, c’est comment les entre-
prises sont venues à innover en mettant en place de telles structures
décentralisées. D’une certaine manière, le point de vue de Chandler est
très contingent, la structure divisionnelle a été la réponse la plus adaptée
en vue de répartir les ressources générées par la double pression externe
(environnement) et interne (technologie). Tout au long de l’ouvrage,
Chandler ne cesse de souligner le fait que ces processus de changement ont
été difficiles à gérer, ce qui est tout le contraire de la vision « intentionna-
liste » souvent prêtée à l’auteur. Dans un même ordre d’idées, si le marché
exerce une pression, les processus d’adaptation relèvent des managers en
place et ces processus ne sont pas automatiques. Si Chandler se garde de
tout jugement moral, il sait évaluer la qualité « gestionnelle » des managers
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étudiés et la rapidité des processus d’adaptation dépend en dernier lieu de
cette qualité. Chandler est historien, s’il évoque ces problèmes, il ne s’y
arrête pas. Pour autant, il nous apparaît clairement que la qualité inclut
pour lui le sens de l’anticipation, l’intuition et bien d’autres aspects qui
seront étudiés par la suite. Point intéressant qui mériterait une étude en
soi, c’est que pour Chandler ces qualités se révèlent souvent dans les
périodes de crise et que les pesanteurs structurelles du moment, les rou-
tines expliquent facilement l’inertie constatée dans beaucoup de grands
groupes américains.
Dans cette perspective, Strategy and Structure peut être relu comme
l’histoire contrainte des processus d’adaptation et peut être ainsi aisément
resitué dans une trame contingente. De la même façon, et dans The Visible
Hand le volontarisme des managers s’il ne saurait être sous-estimé est lui
aussi en partie contraint par les effets de la révolution économique des
années 1840-1880. Cette révolution va favoriser les phénomènes de
concentration à l’intérieur de l’entreprise et susciter une prise de conscience
de la nécessité d’une meilleure coordination administrative devenue, dès
lors, nécessaire. Enfin, Chandler estime à la fin de son investigation histo-
rique que la nature des marchés a joué un rôle plus important que les
méthodes de production dans la détermination de la taille et de la gamme
d’activités de l’entreprise industrielle moderne.
Alfred Chandler 399

3. CHANDLER PIONNIER ET VISIONNAIRE


À travers l’histoire structurelle des grandes entreprises américaines ce sont
les causes des changements constatés que Chandler veut mettre en évidence.
Ce faisant, l’auteur ne pouvait éviter de définir certains concepts fondamen-
taux de la gestion, définitions qui marqueront fortement la matière.

3.1. Expliquer et comprendre


Si Strategy and Structure a connu un tel succès ce n’est pas seulement
pour l’originalité des thèses exposées et de la célèbre formulation « la struc-
ture suit la stratégie », c’est aussi et surtout parce que pour la première fois
et sur une longue période, était resituée, expliquée et décrite l’évolution
des structures industrielles américaines. De la sorte et comme le souligne
Chandler, c’est aussi une histoire de la grande entreprise qui est narrée.
Rien dans la culture américaine ne laissait présager la naissance et le
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développement de ces grandes structures et Chandler note que pendant
longtemps la grande entreprise a eu mauvaise presse aux États-Unis. Loin
d’une quelconque histoire critique ou panégyrique, l’historien des affaires
montre comment au fond la grande entreprise est le fruit des transforma-
tions économiques subies par le pays entre 1840 et 1920 et comment la
recherche de la meilleure allocation des ressources possible a conduit peu
à peu les entreprises à grandir soit par le moyen de l’intégration verticale
soit plus tard par le moyen de la diversification. Histoire donc mais his-
toire concrète. La généralisation chez Chandler n’intervient qu’après un
examen serré des faits et les monographies sur les entreprises sont toujours
vivantes et détaillées. L’historien ne néglige aucun fait, et on y voit les
hésitations, les crises, tout ceci fort éloigné des travaux quelque peu pres-
criptifs qui seront menés peu de temps après par ses collègues de la
Harvard Business School.
Dans cette optique, les généralisations et systématisations opérées par
l’auteur au début et à la fin de son ouvrage sont quelque peu trompeuses
car elles induisent l’idée de linéarité dans les processus étudiés, ce qui,
comme on l’a vu, est loin d’être le cas. De la même façon, la focalisation
sur quatre entreprises ne doit pas illusionner et Chandler précise que
celles-ci ont été pionnières en matière d’innovation organisationnelle mais
que le mouvement d’adoption de la structure multi-divisionnelle par les
autres entreprises a été plus lent et souvent contesté. À la lecture des
différents travaux de Chandler, on se rend compte que ce sont bien plus
sûrement les pressions exercées par les tendances lourdes de l’économie
400 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

américaine et la nécessité de s’y adapter afin de survivre qui ont poussé les
managers à innover plutôt que leur clairvoyance que Chandler ne
reconnaît qu’à certains d’entre eux. Dans cette perspective, il n’est pas faux
de penser que l’auteur est à plus d’un trait proche des courants
déterministes et qu’il faut beaucoup oser pour voir en lui le chantre d’un
quelconque optimisme managerial. Les titres sont trompeurs et The
Visible Hand est tout sauf une ode à la gloire des managers. Le propos de
l’auteur est simplement d’examiner comment les mécanismes de coordi-
nation des activités de l’économie ont remplacé peu à peu les mécanismes
de marché. C’est l’histoire de cette transformation qu’à la suite de Strategy
and Structure, Chandler entreprend. The Visible Hand est la suite logique
de Strategy and Structure car l’essor des managers est indissociable des
changements organisationnels. La contestation de la main invisible du
marché ne doit rien chez l’auteur à une quelconque posture idéologique
mais à l’examen des faits. Il constate simplement que la grande entreprise
a remplacé la petite à partir du moment où la coordination administrative
a permis une plus grande productivité et une meilleure allocation des res-
sources que la coordination réalisée par les mécanismes du marché. C'est
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un fait et la conséquence pour les entreprises américaines c’est que cette
montée en puissance de la coordination administrative a entraîné l'appa-
rition d'une nouvelle catégorie d’acteurs : les managers. Sont ainsi décrits
les processus d’institutionnalisation et de perpétuation de ce nouveau
corps social où on sent l’influence de Parsons. Dans ce cas aussi, Chandler
ne se contente pas de constater, il décrit avec minutie les processus de
création, transformation et en dernier lieu d’institutionnalisation du
phénomène étudié. Si Berle et Means avaient observé avant lui, les proces-
sus de distanciation et séparation qui vont s’opérer entre managers et
propriétaires d’entreprise, l’analyse de Chandler du fait de son caractère
chronologique, nous les restitue toujours dans le cadre de leurs contextes
concrets et des évolutions longues. La grande entreprise est née de cette
nécessité de coordonner les activités pour suivre les évolutions du marché
et les managers se sont imposés quand il est devenu évident que cette
coordination appelait des compétences particulières. Chandler fait remar-
quer que c’est à ce moment que vont apparaître les préoccupations concer-
nants la formation des managers. C’est entre 1920 et 1940 que vont être
publiés les premiers manuels de gestion et les premières formulations sur
ce que doit être une bonne gestion. Chandler se garde pourtant de
conclure à une quelconque disparition du marché car pour lui celui-ci
reste la première force dans la génération des produits et services, même si
les grandes structures bureaucratiques peuvent influer sur la structure des
marchés mais en dernier lieu « l’entreprise moderne fut dès lors la réponse
institutionnelle face à l’accélération de l’innovation technologique et à
Alfred Chandler 401

l’accroissement de la demande aux États-Unis durant la seconde moitié du


dix-neuvième siècle » (Chandler, 1989b : 12).

3.2. Chandler gestionnaire malgré lui


En s’intéressant à l’histoire des affaires et en particulier aux change-
ments structurels des grandes entreprises américaines, Chandler se devait
de préciser certains termes et concepts comme ceux d’entreprise, de
stratégie, de structure et de manager. Cela était d’autant plus nécessaire
que le corpus référentiel de l’époque était faible et que dans tous les cas,
les dernières innovations organisationnelles n’avaient pas suscité des tra-
vaux tels ceux de Fayol sur la structure fonctionnelle.
La définition de l’entreprise donnée par l’auteur va évoluer et cette
évolution est intéressante. Dans Stratégie et Structure (Chandler, 1989a :
35), l’entreprise industrielle « désigne toute grosse entreprise privée,
orientée vers le profit, qui intervient, au moins partiellement dans la
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chaîne des opérations industrielles subies par les produits, depuis l’appro-
visionnement en matières premières jusqu’à la vente des produits finis ».
C’est une définition large et très descriptive. The Visible Hand marque une
évolution. Deux caractéristiques définissent désormais l’entreprise
moderne : le fait de posséder de multiples unités distinctes et surtout le
fait d’être dirigée par une hiérarchie de managers salariés. Ce qui intéresse
Chandler, c’est la façon dont les dirigeants administrent, coordonnent les
activités et répartissent les ressources à l’intérieur de l’entreprise. L’auteur
ne comprend d’ailleurs pas que ces processus n’aient pas plus retenu l’at-
tention des économistes. Pour l’historien, c’est ce qui se trouve à l’intérieur
de la « black box » qui mérite l’attention, « tant que les économistes ne se
seront pas penchés sur la coordination administrative et son fonctionne-
ment, la théorie de la firme restera une théorie de la production »
(Chandler, 1989b : 544).
La définition de la gestion découle de cette vision de l’entreprise. Pour
Chandler, en effet, gérer c’est administrer, coordonner et surtout répartir
les ressources. C’est à partir des processus de répartition des ressources
qu’il devient possible d’individualiser les homme-clés de l’entreprise. La
distinction entre managers et entrepreneurs se situe à ce niveau, notons
qu’elle s’estompera dans The Visible Hand. Pour ce qui concerne la gestion,
l’auteur distingue (distinction qui deviendra classique) la gestion à long
terme ou politique de celle à court terme ou tactique. Dans la politique,
Chandler accorde une grande place à la planification. Pour définir l’orga-
nisation et la structure (souvent confondues) Chandler procède en deux
402 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

temps. D’abord il dresse un constat d’évidence : les organisations sont les


structures mises en place pour administrer les activités et les ressources
accrues par l’expansion. Il y a donc équivalence des termes et d’ailleurs
Chandler le note sans détour : l’organisation c’est la structure de l’entre-
prise. Cette structure présente deux aspects : elle comporte tout d’abord
des voies hiérarchiques et de communication entre les différents niveaux
et cadres administratifs. Elle comprend ensuite des informations et des
données qui circulent par le canal de ces voies. De fait la structure n’est
pas seulement pour Chandler une donnée objective et facilement instru-
mentalisable, c’est aussi un corps animé par des processus informels qui
jouent un rôle déterminant dans les phénomènes de fluidité ou de sur-
charge administrative. Même s’il ne s’y arrête pas, on voit bien que la
structure peut être un enjeu de pouvoir ce qui explique d’après Chandler
bien des réticences de la part des dirigeants, à vouloir les changer.
En écrivant l’histoire « structurelle » des grandes entreprises américaines,
Chandler, d’une certaine manière, a aussi écrit l’histoire du management
américain et l’extrême nécessité dans laquelle se trouvaient placés les diri-
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geants de ces entreprises à innover parce qu’au fond ils ne disposaient d’au-
cun corpus théorique mobilisable. On a ainsi dans The Visible Hand une
description de la mise en place des différentes méthodes d’exploitation
élaborées pour coordonner toujours mieux les activités de production et de
commercialisation de masse. On assiste, de la sorte, aux perfectionnements
de la comptabilité, des systèmes statistiques et à la mise en place de la part
des managers des systèmes d’évaluation. Les sciences de gestion naissent et se
développent dans la période 1840-1920 de manière pragmatique et pour
répondre toujours mieux aux efforts de coordination nécessités par la double
révolution du chemin de fer et du télégraphe. Tout aussi important,
Chandler montre bien que ces multiples perfectionnements proviennent des
cadres intermédiaires qui inventent, perfectionnent pour faire face aux défis
qui sont les leurs. Ce rappel n’est peut être pas inutile à un moment où
l’imposition de best practices nées et développées en dehors de l’entreprise
tend à devenir la norme. Pragmatisme donc mais aussi incrémentalisme, ces
méthodes nouvelles doivent tout autant à l’expérience accumulée qu’à la
volonté de rendre toujours plus efficients des systèmes d’exploitation tou-
jours plus complexes. On est loin du one best way et assez proche de
l’expérimentation continue. C’est un aspect souvent méconnu du
développement du capitalisme industriel. On sera aussi redevable à Chandler,
notamment dans son ouvrage Scale and Scope, d’avoir montré comment les
capacités organisationnelles ont entretenu la croissance des grandes entre-
prises, comment elles ont alimenté leur avantage concurrentiel et permis de
saisir les opportunités des marchés. On a là, sur un mode concret et évolutif,
Alfred Chandler 403

une description de ces capacités, capacités qui vont devenir un point de


focalisation dans les sciences de gestion, quelque dénomination qu’elles
prendront. Scale and Scope, de ce point de vue, est un ouvrage majeur et bien
des développements permettent de mieux saisir les phénomènes d’apprentis-
sage, de capitalisation des connaissances mais aussi comment ces phénomènes
sont stimulés sous l’effet à la fois des contextes concurrentiels et de l’action
des managers. Chandler s’intéresse aussi et pour la première fois, aux grandes
entreprises européennes (Allemagne et Grande-Bretagne) restituant leur
spécificité au travers de leur mode de développement. Nous est ainsi livrée
l’explication de l’énigme du moindre développement des capacités managé-
riales des grandes entreprises britanniques, explication qui a suscité d’ailleurs
en Grande-Bretagne un débat soutenu (Supple, 1991). Scale and Scope nous
apprend beaucoup sur les politiques de diversification, leurs déterminants et
la capacité des grandes entreprises à générer des économies d’envergure,
économies d’envergure qui vont constituer un des socles de l’avantage
concurrentiel de ces entreprises. Dans ses derniers ouvrages et notamment
Inventing the Electronic Century (2001), Chandler au travers des exemples de
RCA, IBM, Sony et JVC, révèle le rôle moteur joué par les capacités d’ap-
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prentissage des organisations et le fait que les entreprises qui ont su tirer leur
épingle du jeu dans l’industrie électronique sont celles qui ont su développer
des integrated learning base. Le propos de Chandler n’est peut être pas origi-
nal mais il a l’immense mérite de nous livrer des monographies historiques
de ces entreprises fourmillant de détails et pas seulement des exemples vite
évoqués sans mise en perspective historique. On peut suivre sur la durée les
erreurs de gestion d’une firme comme RCA, son déclin et saisir les causes de
ce déclin. Dans Shaping the Industrial Century (2005), Chandler souligne de
nouveau l’importance décisive des capacités organisationnelles d’apprentis-
sage dans la génération des avantages compétitifs, capacités qui sont rede-
vables de trois types de savoir : les savoirs techniques, fonctionnels et
managériaux. À partir de Scale and Scope, l’historien des affaires rencontre
donc de plus en plus des thématiques de gestion et où le thème de la
génération de la compétitivité devient central. Son propos intéresse dés lors
autant le dirigeant d’entreprise, la recherche que les pouvoirs publics. Dans
un article publié en 2010, Teece reconnaîtra d’ailleurs l’apport de Chandler
dans ce domaine. Teece n’hésite pas à écrire que Chandler, d’une certaine
manière, anticipe déjà et dès Scale and Scope les développements futurs sur
les capacités dynamiques. De la même façon, Teece souligne le fait que
Chandler a compris que ces capacités devaient être renouvelées, qu’elles
n’étaient en rien statiques. Chandler en 1992, reviendra sur ce thème dans
un article publié dans le Journal of Economic Perpectives. Il en profitera d’ail-
leurs pour prendre ses distances avec l’approche transactionnelle telle que
développée par Williamson.
404 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Il définit ainsi l’efficacité stratégique qu’il oppose à l’efficacité opération-


nelle. Porter dans son célèbre article What’s strategy reprendra cette distinc-
tion mais dans une toute autre perspective !
Enfin, un apport plus structurel qu’intellectuel souligné par Fridenson
(2007) : la mise en place des cours de stratégie dans les business schools puis
dans les universités doit beaucoup à la sortie en 1962 de Strategy and
Structure. Il n’est pas certain que sans cet ouvrage décisif cette matière eût
pu connaître un tel développement.

Travaux cités de l’auteur


Chandler, A. (1959), « The Beginnings of “Big Business” in American Industry »,
Business History Review, vol. 33, Spring, p. 1-31.
Chandler, A. (1960), « Development, Diversification and Decentralization »,
chapitre 7 dans Ralph E ; Freeman (Ed.), Postwar economic trends in the united
states, New York : Harper and Brother, p. 237-288.
Chandler, A. (1962), Strategy and Structure : Chapters in the History of the Industrial
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Enterprise. Cambridge, MA : MIT Press, traduction française :Stratégies et struc-
tures de l’entreprise, Ed. d’organisation, 1989a.
Chandler, A. (1977), The Visible Hand : the Managerial Revolution in American
Business. Cambridge, MA : Belknap Press of Harvard University Press, traduc-
tion française : La main visible des managers : une analyse historique,
Ed.d’organisation, 1989b.
Chandler, A. (1990), Scale and Scope, the Dynamics of Industrial Capitalism,
Belknap Press of Harvard University Press, traduction française : Organisation
et performance des entreprises, Ed.d’organisation, 1992.
Chandler, A. (1992), « Organizational Capabilities and the Economic History of
Industrial Enterprise », Journal of Economic Perspective, vol. 6, p. 79-100.
Chandler, A. (2001), Inventing the Electronic Century : the Epic Story of the Consumer
Electronics and Computer Industries, NewYork Free Press. Chandler, A. (2005)
Shaping the industrial century : the remarkable story of the modern chemical and
pharmateucical industries, Harvard University Press.

Autres références bibliographiques


MacCraw, T.K. (1991), The Essential Alfred Chandler, Boston, Harvard Business
School Press
Supple, B. (1991), « Scale and Scope : Alfred Chandler and the Dynamics of
Industrial Capitalism », Economic History Review, vol. XLIV, n° 3, p. 500-514.
Fridenson, P (2007) L’héritage d’Alfred Chandler, Revue Française de Gestion,
vol. 6, n°175.
Teece, D.J. (2010), « Alfred Chandler and “Capabilities” Theories of Strategy and
Management », Journal of Industrial and Corporate change, vol. 19, n° 2,
p. 297-316.
XXVI. RICHARD TANNER PASCALE – DU PARADOXE À LA COMPLEXITÉ

Jean-Claude Pacitto
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 405 à 418


ISBN 9782376870432
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Richard Tanner Pascale

à la complexité
Du paradoxe
XXVI

Jean-Claude Pacitto
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406 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Partageant son temps entre ses activités de consultant, de recherche et


d’enseignement (Stanford et Oxford), R.T. Pascale apparaît du point de
vue des sciences de gestion comme un pionnier. En effet, on doit à l’auteur
l’une des premières explorations de la réalité managériale japonaise. On
pourrait caractériser la méthode « pascalienne » par deux mots : investiga-
tion et relecture. Au-dela de son premier ouvrage, R.T. Pascale restera aussi
l’auteur par qui le grand ébranlement est arrivé et nous voulons ici parler
de son célèbre Honda effect, qui par la relecture opérée de l’intrusion du
constructeur japonais aux USA, va susciter un long débat et contribuer un
peu plus à miner les fondements du paradigme traditionnel de gestion.
Plus que The Art of Japanese Management, « l’effet Honda » sera révélateur
de ce qui va constituer un des fils conducteurs de la pensée pascalienne :
la mise en perspective du paradoxe. Honda a réussi parce qu’il s’est beau-
coup trompé et les entreprises ne réussissent que parce qu’elles parviennent
à gérer les situations paradoxales, ce qui sera la thèse de son second
ouvrage. La vision du management, telle que développée par Pascale ne
peut être saisie que si replacée dans une double perspective : celle de la
critique méthodique d’un mode de pensée managérial né aux États-Unis
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et répandu dans toute la sphère occidentale, et celle de l’exploration d’une
nouvelle réalité : la complexité.

1. LA CRITIQUE DU MODÈLE RATIONNEL DE GESTION


Comme on le soulignait, Pascale ne se contente pas de critiquer le
modèle occidental de gestion, il va beaucoup plus loin en sapant les fon-
dements mêmes de ce modèle.

1.1. Le préalable : voyage au pays du management


Dès les premières pages de The Art of Japanese Management, Pascale et
Athos dévoilent sans détour leur pensée : le management japonais est plus
efficace que le management américain, plus adapté aux nouveaux défis. Ce
qui fait la différence entre les deux et assure la supériorité du premier, c’est
précisément le sens du management qu’ont su développer les entreprises
japonaises. Là où les entreprises américaines n’entrevoient que techniques
et rationalité, les entreprises japonaises développent de véritables visions,
où les techniques dures sont étroitement mêlées à d’autres principes,
d’autres dimensions. Habitués à gérer les trois premiers S de l’entreprise
(strategy, structure, system), les entreprises américaines négligent les quatre
autres (style, staff, skills, superordinate goals). Les chapitres consacrés à
Richard Tanner Pascale 407

Matsushita et ITT vont dès lors illustrer cette thèse. La différence entre les
deux entreprises ne doit pas être seulement recherchée dans des écarts de
performance mais bien plutôt dans la capacité de ces entreprises à surmon-
ter les défis du long terme. Or, notent les auteurs, le problème d’ITT c’est
de concentrer en une seule entreprise bien des travers du management
américain. La logique de rationalité est illustrée chez ITT par l’axiome de
son PDG, Harold Geneen : seuls les faits comptent. Pour traquer ces faits
indiscutables, Geneen va mettre en place une structure verticale où tous
les niveaux opérationnels se voient doublés d’un niveau fonctionnel et où
toute l’information disponible doit remonter au sommet. Là où Matsushita
cultive la confiance, la loyauté, la prise d’initiative, la défiance est érigée
en principe de gestion chez ITT et Geneen décide, en dernière instance,
de toutes les orientations. La survie de l’organisation ITT s’explique par la
formidable pression que fait peser Geneen sur ses subordonnés et aussi par
son charisme que les deux auteurs jugent indiscutable. De fait, Geneen est
le seul véritable régulateur de son entreprise. Pour Pascale et Athos, ce qui
distingue fondamentalement Geneen de Matsushita, ce n’est pas seule-
ment le style de gestion mais bien plutôt l’incapacité du premier à
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développer des objectifs supérieurs. En négligeant ces derniers, Geneen
rendait plus aléatoire sa succession. En soi l’organisation ITT est mue par
une certaine cohérence, la structure accompagne la stratégie et les systèmes
en place sont en parfaite adéquation avec les deux premiers. Pour autant
et en se focalisant sur les 3 premiers S, Geneen oubliait dangereusement
les 4 autres, ce qui expliquera les lendemains difficiles de l’après Geneen.
La succession ne s’est bien opérée chez Matsushita que parce que l’entre-
prise était imprégnée de ces objectifs supérieurs, objectifs partagés qui
assuraient la cohésion de l’organisation Matsushita. Dans la perspective du
management japonais, un objectif supérieur ne se réduit jamais aux seuls
objectifs économiques. Il intègre toutes les valeurs de la société car, comme
le souligne Matsushita, une organisation qui est déficitaire signifie qu’elle
n’est pas acceptée par la société et donc il est inutile d’essayer de la ren-
flouer. Pour les deux auteurs ce sont toutes les hypothèses du modèle
occidental de gestion que l’exemple japonais nous invite à « revisiter ».
C’est d’abord l’idée solidement établie de la bonne décision, la décision
« décisionnelle », celle qui tranche mais qui ne prend pas en compte les
situations d’ambiguïté, d’incertitude, d’imperfection qui sont pourtant
des réalités quotidiennes du dirigeant. Ce qui ressort de l’expérience japo-
naise, c’est précisément le fait que ce mode décisionnel n’est plus adapté,
qu’il est préférable dans bien des cas de procéder par étapes et de recher-
cher le compromis. Pascale et Athos avancent une idée que le second
auteur développera par la suite : la décision reflète toujours l’expérience et
cette expérience est acquise dans l’entreprise. Dans une perspective
408 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

américaine ne pas décider est proprement inconcevable alors que pour les
Japonais cela peut constituer la solution la plus adaptée. La différence
entre les deux modes de pensée tient au fait que pour les occidentaux la
décision est individuelle et constitue une étape de l’affirmation de soi dans
l’entreprise. L’urgence pour les entreprises américaines c’est de passer des
objectifs purement quantitatifs et de courts termes aux objectifs supérieurs
par définition de long terme. Loin de n’être que des exercices de style, ces
objectifs ont des conséquences pratiques évidentes. C’est en effet autour
d’eux que se construira la cohésion interne de l’organisation et c’est de
cette cohésion que dépendront les processus d’adhésion et d’identification
à l’entreprise. Pour les deux auteurs le constat est simple : pour abandon-
ner leurs idées à l’entreprise, les employés doivent s’identifier à elle. Ces
objectifs supérieurs insistent les deux auteurs doivent être sous-tendus par
de véritables principes spirituels. La conclusion de l’ouvrage s’impose
d’elle-même : « la différence avec les Japonais c’est qu’ils appréhendent
différemment les éléments les plus subtils, le savoir-faire, le style, le per-
sonnel et les objectifs supérieurs… » (Pascale et Athos, 1984 : 171) et
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quelles sont donc les entreprises américaines qui marchent ? « Ce sont
celles où les membres partagent les mêmes convictions concernant leur
entreprise, les mêmes priorités et la même connaissance que l’on attend
d’eux ainsi que de la conscience de leur valeur pour l’entreprise… »
(Pascale et Athos, 1984 : 172).
C’est ce qu’il fallait démontrer.

1.2. Quand Richard Tanner Pascale rencontre


Honda
En 1984, R.T. Pascale publie dans la revue américaine California
Management Review, un article au titre évocateur : « Perspectives on
Strategy : The Real Story behind Honda’s Success ». Cet article va être à
l’origine d’un des débats les plus féconds en stratégie et aussi un des plus
longs puisque 12 années plus tard, la même revue consacrera un numéro
spécial à « l’effet Honda ». La thèse est connue : le succès du constructeur
japonais aux USA ne doit rien au bien fondé de sa programmation mais
beaucoup à ses échecs et à ses différentes expérimentations sur le terrain.
Loin des descriptions méthodiques du fameux rapport du Boston
Consulting Group de 1975, Honda a du gérer au jour le jour une incur-
sion commerciale somme toute assez mal préparée et, qui aurait pu tour-
ner court. Retrouvant les personnes qui furent à l’origine de « l’aventure »
Honda aux USA, Pascale nous livre un récit décapant où la planification
Richard Tanner Pascale 409

implacable version BCG ou Harvard Business School fait place à des situa-
tions d’incertitude, de tâtonnement et à l’adaptation permanente. Toutes
les solutions imaginées initialement échoueront. Il faut donc en imaginer
de nouvelles et ne pas hésiter à sortir des cadres pré-établis. De la sorte le
choix gagnant des petites cylindrées ne devait rien à une quelconque pro-
grammation mais beaucoup aux échecs des premières motos commercialisées
et à la sagacité des hommes de l’équipe en place, qui remarquèrent que les
engins qu’ils utilisaient dans leurs déplacements quotidiens, suscitaient
beaucoup d’intérêt. La force du constructeur japonais ne réside plus alors
dans sa capacité à suivre les différentes étapes de la programmation mais à
s’adapter aux différentes évolutions suscitées par le contexte, les circons-
tances et le hasard. Douze années plus tard, Pascale parlera d’agilité. Cette
agilité procède plus de l’expérience acquise en d’autres termes de l’appren-
tissage, que de méthodes apprises et que l’on doit rationnellement mettre
en œuvre. Une organisation apprend en faisant et non pas simplement en
pensant et l’erreur peut être salutaire. Mais cette capacité à apprendre
résulte pour beaucoup de la vision de l’entreprise, vision qui permet à des
employées à un moment donné de prendre des initiatives et de transfor-
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mer ainsi l’échec en succès. Les leçons à tirer, du point de vue occidental,
de l’exemple Honda sont multiples et complexes. La vraie question est
celle qui consiste à se demander, comment, dans les mêmes conditions,
aurait réagi un constructeur européen ou américain ? L’agilité ne se décrète
pas et Pascale souligne dans sa contribution de 1996 à la California
Management Review, qu’elle résulte toujours des valeurs profondes de
l’entreprise, qu’elle n’est qu’un effet, « le comportement stratégique, l’in-
tention stratégique sont dans une organisation agile des variables
dépendantes. Les variables indépendantes sont les normes, les valeurs, les
valeurs inculquées à l’intérieur d’un système social » (Pascale, 1996 : 37).
De ce point de vue la culture « pionnière » de Honda l’avait sans aucun
doute préparé à explorer de nouvelles solutions. De la même façon l’habi-
tude à supporter des situations contradictoires (conflit entre Soishiro
Honda et l’ingénieur Kume a propos du refroidissement à air) prédisposait
l’équipe américaine à expérimenter d’autres solutions même quand celles-
ci s’éloignaient des souhaits premiers de la direction. Comme pour son
premier ouvrage, Pascale au travers de l’effet Honda, nous invite à envisa-
ger la stratégie autrement. Il s’agit tout autant de démontrer le caractère
aléatoire des modes de pensée et d’agir issus de l’école traditionnelle du
management que de nous inviter à l’exploration de nouvelles voies, des
voies paradoxales. C’est la vision de l’échec et de l’expérimentation que
doivent reconsidérer les entreprises occidentales. L’intentionnalité, ajoute
Pascale, doit être focalisée sur l’amélioration des capacités organisation-
nelles des entreprises, car c’est d’elles en dernier lieu, que dépendra la
410 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

capacité d’adaptation de ces entreprises. Il est donc illusoire de faire de


l’intentionnalité un structurant de la stratégie parce que le résultat
escompté différera dans presque tous les cas, des intentions premières.
Honda et Toyota insiste l’auteur, ne doivent pas leur succès à la maîtrise
d’une compétence fondamentale particulière (sauf peut-être l’agilité), ils
ont su s’imposer que parce qu’ils ont su tirer les leçons de leurs échecs.
L’échec n’a pas sanctionné l’organisation, il l’a enrichie et le paradoxe
réside ici. Peut-être plus que son premier ouvrage qui se ressent aujourd’hui
d’un certain culturalisme et d’un étayage « relations humaines » trop
marqué, l’article de 1984 apparaît comme l’une des premières, sinon la
première, remise en cause empirique du modèle traditionnel de formation
de la stratégie. Six années avant l’article d’Henry Mintzberg (1990), se
trouvent ici démontées bien des hypothèses du modèle de « l’intentionna-
lité ». En effet, au travers du BCG, c’est toute une école de pensée qui est
visée, celle issue des travaux de la Harvard Business School. C’est tout le
modèle rationnel managérial qui se trouve ainsi contesté, l’important
n’étant plus de prévoir ce qui est par nature imprévisible mais de réagir
quand l’imprévu se présente. L’important ce n’est donc plus la justesse de
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la prévision mais la vision capable de soutenir les processus d’apprentissage
des entreprises et les « variables indépendantes » qui peuvent expliquer à
un moment donné qu’une entreprise malgré des échecs, puisse rencontrer
le succès. Dans cette perspective, la stratégie ne résulte plus d’un
enchaînement causal de type mécanique mais de processus complexes,
pour certains paradoxaux, qui obligent les entreprises à des remises en
cause permanentes.

2. PARADOXE ET COMPLEXITÉ ; LES PIERRES


ANGULAIRES DE LA BÂTISSE « PASCALIENNE »
Approfondissant les découvertes de « l’effet Honda », Pascale nous
introduit dans la nouvelle ère du management caractérisée par les situa-
tions de paradoxe et de complexité mais l’ajout de nouvelles pierres ne
finit-il pas par fragiliser l’édifice pascalien ?

2.1. Du paradoxe à la complexité


Bien des idées contenues dans l’article de 1984 vont se retrouver dans
l’ouvrage publié en 1990 et intitulé Managing on The Edge : How the
Smartest Sompanies Use Conflict to Stay Ahead. Le titre en soi est réducteur
car le conflit ne constitue qu’indirectement l’objet de l’ouvrage. Pascale
Richard Tanner Pascale 411

part d’un constat, les entreprises qui veulent rester dans la compétition
doivent être capables de changer de paradigme stratégique. Problème :
« lorsque les résultats de l’entreprise viennent à fléchir, on s’efforce de
réalimenter le moteur de la croissance, en général en utilisant les mêmes
méthodes » (Pascale, 1992 : 20). Il faut donc identifier les facteurs qui
peuvent être à la fois vecteurs de renouveau et ou vecteurs de déclin. Ces
facteurs sont au nombre de quatre : cohésion, division, opposition et
dépassement. En soi, chacun de ces facteurs pris isolément peut contribuer
au déclin de l’entreprise et Pascale montre bien qu’une trop grande
cohésion peut fermer une entreprise aux remises en cause salutaires.
L’entreprise qui réussira à se dépasser sera celle qui arrivera à combiner les
trois premiers facteurs en mettant au centre de ses préoccupations le
conflit. Car pour Pascale, le conflit est bien le moteur du renouvellement,
mais pour être fructueux il doit être géré. La dialectique conflictuelle entre
les facteurs peut être salutaire pour l’entreprise et la réussite de Honda
repose pour l’auteur sur « cette mystérieuse alchimie ». Divisée (en trois
entités), contradictoire (chacun pouvant au cours de réunions prévues `à
cet effet remettre en cause les points de vue des autres), Honda n’en
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possède pas moins une forte cohésion structurée autour d’une culture
d’entreprise très prégnante. La force de Honda réside dans sa capacité à
gérer le binôme cohésion-division et le binôme cohésion-opposition. Pour
ce qui concerne les entreprises américaines, Pascale souligne le fait que
McDonald’s a su s’adapter aux nouvelles tendances de consommation que
parce que la direction a su écouter les cadres opérationnels qui contes-
taient la stratégie suivie jusqu’alors (principe d’opposition). De la même
façon, si la logique de division n’est pas contrebalancée par des valeurs de
cohésion, l’entreprise peut rencontrer des difficultés sérieuses, le cas
Hewlett-Packard en témoigne. Pour le manager le changement de perspec-
tive est radical. Il ne doit plus choisir mais gérer des binômes par nature
conflictuels, il doit intégrer le raisonnement dialectique et faire émerger de
la synthèse là où il n’y a que conflit et opposition. Cette dialectique
conflictuelle est présente sur toutes les dimensions de l’entreprise : stratégie
(planification versus opportunisme), structure (élitisme versus pluralisme),
systèmes (obligation versus arbitraire), style (gestion versus transforma-
tion), personnel (esprit d’équipe versus individualisme), valeurs (esprits
durs versus cœurs tendres) et compétences (amélioration versus invention).
La gestion de cette tension conflictuelle devient la clé de la réussite pour
l’entreprise mais note pascale cette gestion doit éviter deux écueils :
l’exagération et la recherche de compromis. Le compromis, en effet, vise à
éviter les situations conflictuelles, il ne dépasse pas les oppositions il les
annihile. De ce point de vue, la synthèse n’est jamais compromis et Pascale
n’hésite pas à écrire « pour conserver une pression constructrice toute
412 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

orientation marquée doit être contrebalancée par son opposé » (Pascale,


1992 : 105). Plus profondément que le compromis c’est la notion même
d’équilibre qu’il faut revoir, qu’il faut ébranler selon les termes de l’auteur.
L’Amérique attribue le succès de ses entreprises à son génie propre alors
que pour l’auteur il doit beaucoup aux circonstances et le management
s’est développé dans le cadre de cette méprise. La discontinuité n’avait tout
simplement pas été entrevue par les premiers théoriciens du management
chez qui l’ordre est toujours préféré à une quelconque instabilité. Pour
affronter la nouvelle concurrence la gestion se doit d’être paradoxale, c’est-
à-dire savoir créer des opposés et affirmer leur égale importance. La trans-
formation appelle un processus discontinu en aucune façon incrémental.
Petersen a sauvé Ford de la faillite que parce qu’il a su gérer le paradoxe ou
le susciter. Pour Pascale ce qui distingue « Ford ce n’est pas tant son action
mais le processus qui l’a imposé » (Pascale, 1992 : 149). L’action de
Petersen (au contraire de l’action de Iacocca chez Chrysler) n’a pas visé à
essayer de régénérer l’ancien paradigme mais à le changer. Toute l’habileté
du manager et sa réussite résideront dans sa capacité à imposer de nou-
velles méthodes, de nouveaux principes en contradiction avec ceux du
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paradigme précédent. Mais loin d’opposer systématiquement les deux
dans un conflit vain et coûteux, Petersen réussira des synthèses brillantes
qui marqueront l’histoire du groupe ainsi de l’opportunisme stratégique
qui permettra au constructeur, et malgré une programmation initiale, de
modifier des paramètres du modèle Taurus (pour tenir compte des nou-
velles conditions environnementales), et de rencontrer ainsi le succès. La
confrontation des nouveaux principes (écoute du client, écoute de l’autre,
participation, information partagée, qualité) avec les anciens et la capacité
de Petersen à les faire pénétrer progressivement dans l’entreprise vont pro-
duire le résultat escompté : la fin de l’ancien paradigme. Le nouveau para-
digme est ainsi né de la confrontation des nouvelles idées avec les
anciennes. Cette confrontation et la nécessité de gérer des pôles d’une
même réalité, se retrouvent à la direction même de Ford où Petersen le
transformiste saura toujours s’entourer de gestionnaires plus traditionnels.
On pourra arguer que Petersen a été grandement aidé dans sa tache par
l’état de crise dans lequel se trouvait plongé Ford. C’est peut-être oublier
un peu vite que les phénomènes de myopie résistent aux crises les plus
dures, même lorsque tout indique que le vieux paradigme est inapte à
gérer la nouvelle situation. Pour Pascale il ne faut pas attendre la crise pour
engager un processus de transformation, il faut savoir déterminer dans des
périodes de faible perturbation les limites de l’organisation, ébranler
l’équilibre pour mieux anticiper ce qui caractérisera l’action de Welch à la
General Electric. La différence entre Welch et Petersen tient au caractère
centralisé du processus mis en branle chez GE. Là où le second suggérait,
Richard Tanner Pascale 413

Welch impose et le principe de contradiction s’arrête aux portes de la


direction. Après avoir examiné les cas de Hewlett-Packard et Citicorp,
Pascale consacre ses derniers chapitres à ce qui constitue le véritable objet
de son ouvrage : l’apprentissage. Pour Pascale, en effet, la vitalité et la
capacité d’adaptation d’une entreprise dépendent de l’apprentissage et
continue l’auteur « la cohésion, la division, l’opposition et le dépassement
ne sont que des véhicules permettant aux entreprises de procéder à l’auto-
réalisation que comporte tout processus d’apprentissage effectif » (Pascale,
1992 : 297). Par rapport à l’apprentissage deux types d’approche sont
possibles : une approche quantitative où l’accent est mis sur l’amélioration
des processus et l’approche qualitative où l’on cherche à faire passer l’en-
treprise d’un type de fonctionnement à un autre. Le problème de la
première approche c’est qu’elle ne change pas grand-chose à la réalité de
l’entreprise et peut, comme en témoigne l’exemple General Motors,
contribuer à faire perdurer les mauvaises habitudes. À l’opposé, la vitalité
de Honda témoigne de sa capacité à faire vivre et prospérer les principes
de cohésion, division et opposition. Les expériences comparées de GM et
Honda permettent au final à l’auteur d’établir une liste des facteurs-clés de
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succès de l’apprentissage et qui sont : l’habitude de se remettre en ques-
tion, l’attention portée aux jugements extérieurs, la volonté de faire mieux
que les meilleurs du secteur et un système harmonieux de gestion des
conflits. La conclusion constitue un véritable programme de recherche et
annonce les futurs développements de Surfing the Edge of Chaos. Honda
devient dès lors l’éclaireur de l’avenir « Honda nous montre la prochaine
étape du management : un système social organisé pour servir d’instru-
ment d’adaptation et d’apprentissage permanent » (Pascale, 1992 : 335).
Curieusement, Pascale dans son dernier ouvrage (collectif ) abandonne
l’idée du système social organisé pour lui préférer celui de système com-
plexe adaptatif. Utilisant les acquis des sciences naturelles et les réflexions
sur la complexité du Santa-Fe Institute, Pascale et al., énoncent les condi-
tions qui permettent à un système d’être qualifié à un moment donné de
complexe adaptatif. En premier lieu celui-ci doit être composé d’agents
agissant de façon parallèle. En second lieu, le système adaptatif complexe
réaménage de façon continue ses paramètres de construction et génère de
la sorte de multiples niveaux d’organisation et de structure. En troisième
lieu, il est soumis à la deuxième loi de la thermodynamique : il manifeste
de l’entropie et ralentit dans le temps à moins d’être réapprovisionné en
énergie (ce qui signifie qu’il peut mourir). Enfin, tout système complexe
adaptatif manifeste une capacité à identifier les facteurs qui lui permettent
de fonctionner ou performer et les approfondit en se confrontant à de
nouvelles situations, ce qui lui permet de la sorte d’anticiper le futur et de
générer de nouveaux savoirs. En s’inspirant des sciences de la complexité,
414 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

la stratégie devra désormais intégrer dans sa réflexion un certain nombre


de principes et caractéristiques qui, pour certains d’entre eux, ne sont pas
faciles à admettre tant ils semblent remettre en cause une certaine manière
d’envisager le système entreprise. Retrouvant une des idées maîtresses de
Managing on The Edge, Pascale et al., mettent en garde contre l’équilibre.
Pour ces auteurs, celui-ci annonce toujours la mort de l’organisation, il est
le « précurseur de la mort ». Une autre caractéristique des systèmes com-
plexes adaptatifs c’est leur capacité à générer des processus d’auto-organi-
sation et de complexité « émergente ». Cette complexité émergente résulte
de la tendance des structures à générer des dispositifs nouveaux, d’une
infinie variété et souvent, ajoutent les auteurs, la somme est plus impor-
tante que les parties qui la composent. La troisième caractéristique a trait
au moment où ces systèmes complexes tendent à « surfer » sur la crête du
chaos. Pour Pascale et al., les systèmes adaptatifs complexes tendent à se
déplacer sur la crête du chaos lorsqu’ils affrontent une tâche complexe.
C’est en gérant cette instabilité « bordée » que le système évoluera. Enfin
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la quatrième caractéristique est lourde de conséquence pour le manage-
ment. On ne dirige pas un système vivant, on ne peut que l’ébranler. La
difficulté c’est que les systèmes adaptatifs complexes ne relèvent plus du
paradigme mécanique où toute cause provoque un effet que l’on peut
sinon mesurer du moins prévoir. En ébranlant ces systèmes, on ne peut
plus rien prévoir, les effets n’étant que lâchement reliés aux causes.
L’organisation qui surfe sur la crête du chaos n’a plus de certitudes, elle est
comme le souligne Andy Grove (PDG d’Intel), dans la « vallée de la
mort » et c’est en traversant cette vallée qu’elle pourra affronter le futur.
La méthode de validation du cadre conceptuel annoncé suit celui de
Managing on The Edge. Un certain nombre de cas d’entreprises sont
examinés, de Sears à l’armée américaine. L’idée centrale de l’ouvrage n’est
pas fondamentalement différente de celle de l’ouvrage précédent et on
retrouve bien des thèmes traités dans Managing on The Edge, notamment
celle de l’apprentissage. Le management doit tenir compte de cette nou-
velle réalité et les conclusions de Steven Miller (qui a suscité l’ébranlement
de l’organisation Shell) résument bien les nouvelles taches qui attendent le
manager, « changez votre approche de la stratégie et vous changerez la
manière dont les entreprises sont dirigées. Le dirigeant doit se contenter
de déterminer le contexte et d’élaborer le cadre de l’apprentissage, il n’est
plus la figure de l’autorité apportant des solutions toutes trouvées… »
(Pascale, 1999 : 93).
Richard Tanner Pascale 415

2.2. Les lézardes de la bâtisse pascalienne


Nous avons souligné tout au long de l’exposé les points de force des
idées avancées par R.T. Pascale, nous n’y reviendrons donc pas et nous
concentrerons notre propos sur certaines faiblesses de l’œuvre. Si l’étude
sur le management japonais représentait sans aucun doute, dans le
contexte du début des années quatre-vingt une avancée, il est certain
qu’aujourd’hui certains points posent problème. On peut se demander, en
effet, si les valeurs culturelles qui sous-tendent le management japonais tel
que décrit, ne sont pas le moyen de retrouver bien des acquis de l’école des
relations humaines ou d’une certaine psycho-sociologie des années
soixante ou soixante-dix. L’insistance sur la cohésion, la nécessité de se
sentir bien au travail, le sentiment d’appartenance, la considération pour
les employés et l’idée que la contribution des employés dépend de cette
considération, ne constituent-ils pas un bon résumé des critiques adressées
au management occidental dans ces mêmes années ? De surcroît, Pascale
et Athos poussent même plus loin, puisqu’ils insistent sur la nécessitz pour
les employés de s’identifier à l’entreprise et de cette identification ajoutent
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– ils, dépend la capacitz à innover de l’entreprise. Trop simple pour être
vrai, serions-nous tenté de dire ! De la même façon, la nécessitz pour les
entreprises de développer des valeurs spirituelles voire un spiritualisme, ne
peut que surprendre. Pour les deux auteurs celui-ci doit répondre aux
valeurs profondes que recherchent les gens, est-on si sûr qu’elles coïncident
avec les développements précédents. À ce niveau, il nous semble que
Pascale et Athos ignorent certains développements des théories de l’orga-
nisation et réduisent la notion d’intérêt à sa seule dimension psycholo-
gique. Nécessaire mais insuffisant. On remarquera, ici, que la conclusion
de The Art of Japanese Management est contradictoire avec les
développements de Managing on The Edge. Comme nous l’avions déjà
souligné, pour Pascale et Athos les entreprises qui marchent sont celles
« où les membres partagent les mêmes convictions les mêmes priorités… ».
Or, reconnaît Pascale en 1990, une trop forte cohésion peut être facteur
de déclin, il lui faut donc être contrebalancé par le principe d’opposition.
La fameuse harmonie des 7S fait place à la dialectique conflictuelle mais
stimulante des opposés. Le danger pour les entreprises est ici constitué par
une trop forte cohésion qui empêche toute remise en cause salutaire. Entre
les deux ouvrages, Pascale va rencontrer Honda. Une bonne partie de
l’article de 1984 est bâtie sur le récit des protagonistes de « l’aventure »
américaine. Mais, sans remettre en cause la véracitz du récit, on peut se
demander si l’accent mis sur les péripéties n’est pas une tendance profonde
des acteurs qui racontent leur histoire et qui tendent de la sorte à transfor-
mer leur vécu en aventure. L’important, dans la perspective de la conquête
416 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

du marché américain, ce ne sont pas tant les péripéties du constructeur


japonais mais le différentiel de compétitivité qu’il était parvenu à établir
avec ses concurrents européens et américains. Au début des années
soixante, Honda avait déjà dépassé, du point de vue de la maîtrise techno-
logique des moteurs, ses concurrents et cette maîtrise supérieure doit être
recherchée dans la lutte féroce qui opposera, sur le marché japonais, près
d’une centaine de constructeurs. De ce point de vue, l’approche en termes
d’intention stratégique et de compétences fondamentales développée par
Hamel et Prahalad, dans leurs articles de 1989 et 1990, rend bien compte
des bases de compétitivité du constructeur japonais.
Enfin, Pascale sous-estime ou ignore une des clés de la réussite de
Honda ; la non-réaction ou les réactions inappropriées des concurrents
européens. Honda n’a pas seulement appris de ses seules erreurs mais aussi
beaucoup de celles des autres et en l’occurrence ici de celles de ses concur-
rents européens. De fait, l’entreprise japonaise se retrouvait dans la même
situation qu’une décennie plus tôt face à ses concurrents locaux et notam-
ment le plus important d’entre eux, Tohatsu. Leader du marché japonais
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du deux roues, Tohatsu ne comprend pas, au milieu des années cinquante,
que la technologie est devenue une exigence forte pour les clients, exigence
qu’Honda saura rencontrer avec le modèle super cub, véritable condensé de
technologie. Face aux concurrents européens, Honda applique la même
stratégie, dès le milieu des années soixante, les constructeurs européens
sont technologiquement distancés et se révèlent incapables de rattraper
leur retard.
Managing on The Edge est, et nous l’avons souligné, un livre important.
Important parce qu’il met en valeur des dimensions stratégiques peu
traitées jusque là, comme le conflit et la nécessité pour l’entreprise de tou-
jours ébranler des certitudes trop solidement établies. Pour autant, les
démonstrations ne parviennent pas toujours à convaincre le lecteur.
Pascale, de manière assez virulente, pourfend les théories incrémentalistes.
Mais l’action de Petersen chez Ford ou celle de Martinez chez Sears, ne
doivent-elles pas beaucoup à la méthode des petites touches ? Des petits
changements continus d’intensité variable ne provoquent-ils pas pareille-
ment l’ébranlement de l’équilibre ? L’idée que le changement nécessite des
processus radicaux de transformation reste à prouver et cela dépend :
principe de contingence. Certes, le conformisme en entreprise et la
prégnance de certains paradigmes peuvent déboucher sur des phénomènes
de myopie mais pareillement l’option du transformisme radical peut être
toute aussi lourde de conséquences. Une entreprise apprend en étant
confrontée à de nouveaux défis et en opérant parallèlement des mutations
organisationnelles, mais de trop fortes mutations peuvent tout autant
Richard Tanner Pascale 417

nuire aux phénomènes d’apprentissage. D’un certain point de vue les idées
développées par Pascale ne sont pas sensiblement différentes de celles
développées par Gary Hamel dans ses derniers ouvrages. On y retrouve le
thème de la nécessaire révolution managériale, du bouleversement des
modes de pensée. Le recours au darwinisme, dans Surfing the Edge of
Chaos ne convint pas, les auteurs ne finissent-ils pas par adopter des
hypothèses du modèle rationnel de gestion ? Et notamment l’idée du
champ concurrentiel vu comme un champ de bataille féroce où seuls les
plus forts survivent ? Il est difficile de souscrire à des assertions telles que :
« Des téléphones portables… aux sauces épicées, du savon aux logiciels,
c’est une lutte pour la survie et les choses ne vont pas en s’améliorant »
(Pascale et al., 2000 : 27). De descriptives, les thèses de Pascale ont une
fâcheuse tendance à devenir prescriptives en opposant toujours les bons
exemples aux mauvais exemples et l’édiction des principes et caractéristiques,
vus comme des nécessités impérieuses, finit par lasser. De surcroît, dans
bien des cas cités, les stratégies de changement ont été mises en œuvre par
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des leaders que l’on serait tenté de qualifier de charismatique. C’est une
dimension importante de ces stratégies et un facteur-clé de succès certain.
Or, dans la réalité, ces dirigeants sont souvent marginalisés par les mana-
gers classiques plus axés sur la gestion à court et moyen terme et il n’est
même pas certain que les temps de crise favorisent particulièrement les
managers capables d’explorer des voies nouvelles. Enfin, si le recours aux
sciences de la nature peut être d’un point de vue intellectuel stimulant et
ouvrir de nouvelles perspectives, il s’avère dans la gestion quotidienne que
de peu d’utilité et c’est souvent à ce niveau que se construit au quotidien
la réalité de l’entreprise.
On pourrait faire des remarques similaires sur le dernier ouvrage de
Pascale The Power of Positive Deviance co-écrit avec Jerry et Monique
Sternin. On y trouve des développements très intéressants et bien docu-
mentés sur la réussite de programmes de nutrition, notamment, et est
révélé le rôle joué par ces déviants positifs qui à l’intérieur de leurs com-
munautés trouvent des modes de solution originaux et efficaces là où les
« experts » échouaient souvent. À partir de ces cas, Pascale et al., proposent
une méthode pour « propager » ces innovations et l'esprit de ces innova-
tions. Mais comme souvent avec Pascale, l’impression donnée est que la
révélation de l’originalité de ces réussites est le préalable de considérations
quelque peu prescriptives qui deviennent autant de recettes pour bien
faire !
418 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Travaux cités de l’auteur


Pascale, R.T. (1984), « Perspectives on Strategy : the Real Story behind Honda’s
Success », California Management Review, vol. 26, n° 3, p. 47-72.
Pascale, R.T. (1990), Managing on the Edge, Simon and Schuster (traduction
française : les risques de l’excellence, InterÉditions, 1992).
Pascale, R.T (1996), « Reflexions on Honda », California Management Review,
vol. 38, n° 4, p. 112-117.
Pascale, R.T (1996), « The Honda Effect », California Management Review,
vol. 38, n° 4, p. 80-91.
Pascale, R.T (1999), « Surfing the Edge of Chaos », Sloan Management Review,
Spring, p. 83-94.
Pascale, R.T., Athos, A. (1981), The Art of Japanese Management, Simon and
Schuster (traduction française : le management est-il un art japonais ? Ed.
d’organisation, 1984).
Pascale, R.T, Millenam, M., Gioja, L. (2000), Surfing the edge of chaos, Crown
Business.
Pascale, RT, Sternin, J., Sternin, M. (2010), The Power of positive deviance : how
unlikely innovators solve the world’s thoughest problem, Harvard Business
Review Press.
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Autres références bibliographiques
Hamel, G., Prahalad, C.K. (1989), « Strategic Intent », Harvard Business Review,
May-June, p. 63-73.
Mair, A. (1999), « Learning from Honda », Journal of Management Studies,
vol. 36, n° 1, p. 25-43.
Mintzberg, H. (1990), « The Design School : Reconsideration of the Basic
Premises of Strategic Management », Strategic Management Journal, vol. 11,
n° 9, p. 171-186.
Mintzberg, H. (1996), « Learning 1, Planning 0 », California management review,
vol. 38, n° 4, p. 92-93.
Mintzberg, H. (1996), « Reply to Michael Goold », California Management
Review, vol. 38, n° 4, p. 96-99.
Prahalad, C.K., Hamel, G. (1990), « The Core Competences of Corporation »,
Harvard Business Review, p. 79-91.
Rumelt, R.P. (1996), « The Many Faces of Honda », California Management
Review, vol. 38, n° 4, summer, p. 103-111.
XXVII. ANDREW PETTIGREW – L’APPROCHE DYNAMIQUE,
CONTEXTUELLE ET LONGITUDINALE DU CHANGEMENT
ORGANISATIONNEL

Faouzi Bensebaa
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 419 à 438


ISBN 9782376870432
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XXVII
Andrew Pettigrew
L’approche dynamique,
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contextuelle et longitudinale
du changement
organisationnel
Faouzi Bensebaa
420 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Notice biographique
Andrew Marshall Pettigrew est né le 11 juin 1944 à Corby (Northamptonshire) au
Royaume-Uni. Après des études scolaires à la Corby Grammar School, il entre d’abord
à l’Université de Liverpool où il obtient un Bachelor of Arts en sciences sociales, ensuite
à la Manchester Business School où il soutient une thèse de doctorat (Ph.D.) en soci-
ologie industrielle.
Sur le plan professionnel, il fut associé de recherche à la Manchester Business School,
assistant professeur en visite à Yale University ; lecteur en comportement organisation-
nel à London Business School ; professeur de comportement organisationnel à
Warwick Business School, doyen à l’Université de Bath School de management et
consultant pour de nombreuses entreprises : ICI, BP, Shell, NHS, etc.
Il a reçu à la fin de l’année 2008 l’Ordre de l’Empire Britannique (OBE) pour services
rendus à la formation supérieure locale et nationale. Il a été également vice-president
de l’European Foundation for Management Development.
Il créa et dirigea le Centre for Corporate Strategy and Change à Warwick Business
School de 1985 à 1995. En 2002, il a été le premier chercheur non nord-américain à
recevoir le Distinguished Scholar de l’US Academy of Management Award.
Il fut professeur invité à European Institute for Advanced Studies in Management à
Bruxelles, Harvard University et Stanford University.
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Il co-fonda la British Academy of Management, en devint le premier chairman et
ensuite son second président.
Aujourd’hui (2017), il est professeur émérite à l’Université d’Oxford (Said Business
School) au Royaume-Uni.

L’étude du changement et du développement constitue un des grands


thèmes des sciences sociales. Ainsi, beaucoup de recherches en sciences
naturelles et en sciences sociales développent une littérature théorique et
empirique sur la naissance, le développement, la transformation et le
déclin des systèmes naturels et humains. Une tradition relativement
récente dans le champ des sciences de l’organisation s’intéresse également
au changement et au développement organisationnels. Les théories du
changement dans le champ du management et des sciences de l’organisa-
tion doivent, cependant, satisfaire deux conditions : la qualité académique
et la pertinence pratique. S’inscrivant dans cette tradition, critiquant
cependant les premiers travaux sur le changement organisationnel comme
étant en grande partie acontextuels, ahistoriques et aprocessuels, Pettigrew
développe, dès ses premières recherches, une perspective originale dans le
but de comprendre le fonctionnement des organisations. La publication
de son premier ouvrage, The Politics of Organizational Decision Making
(1973), tirée de sa thèse de Doctorat, examine, dans le détail, d’une
manière inédite, les processus politiques sous-tendant les décisions organi-
sationnelles, en s’appuyant sur une étude de cas et en mobilisant plusieurs
méthodes. L’ouvrage réalisé est rapidement suivi par un deuxième ouvrage,
Andrew Pettigrew 421

écrit avec son directeur de thèse, Enid Mumford, Implementing Strategic


Decisions (1975), et utilise des données collectées lors de la réalisation de
la thèse de Doctorat. S’appuyant sur ces mêmes données, il publie,
ensuite, dans Sociology (1972) et Sociological Review (1973), deux articles
qui constituèrent, si l’on peut dire, les dernières contributions dans les
revues académiques à connotation fortement sociologique.
La rencontre opportune avec Mike Browing, le manager de la division
personnel de Imperial Chemical Industries (ICI) est l’occasion pour
Pettigrew de mener une autre étude sur le changement. Celle-ci aura un
impact significatif sur sa pensée et sur sa réputation en donnant naissance
à un ouvrage The Awakening Giant, publié en 1985. Le cas étudié relate
l’histoire du processus du changement et de transformation affectant le
conseil de direction de ICI ainsi que les changements se produisant en
même temps dans les quatre divisions les plus importantes de la firme.
Pettigrew décrit d’une manière minutieuse et détaillée les événements et
les processus qui se sont produits dans la firme. Ce travail donne égale-
ment la possibilité à Pettigrew de procéder à des développements en
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méthodologie – données chronologiques tirées de plusieurs niveaux d’ana-
lyse : firme, secteur, contexte politique et économique – qui vont influen-
cer ses recherches subséquentes ainsi que celles d’autres auteurs s’intéres-
sant aux processus organisationnels. Et c’est cette aptitude à conjuguer des
données processuelles et des données contextuelles qui permet à Pettigrew
de cartographier la complexité du changement dans les systèmes organisa-
tionnels. Pettigrew éclaire également la façon dont ces changements
dépendent du changement macro lié au contexte dans lequel la firme
opère et interagit avec lui.
Les premières contributions ont non seulement permis à Pettigrew
d’acquérir, d’emblée, une solide réputation dans le champ du changement
organisationnel et du management mais également font avancer ces disci-
plines en termes de prise en compte du contexte, de la nature processuelle
des comportements organisationnels et du temps, donnant ainsi naissance
à des recherches, théoriques et empiriques, aussi nombreuses que variées.
Ces contributions laissent apparaître déjà les traits distinctifs de ce cher-
cheur : l’intérêt pour le temps, les processus et les structures sociales ; le
rôle important accordé à l’approche longitudinale et historique dans le
repérage du processus social ; la conviction de l’importance de la théorisa-
tion interdisciplinaire ; la nécessité d’intégrer, dans le champ du manage-
ment et des sciences de l’organisation, les concepts comme le pouvoir et
la politique afin de comprendre le pourquoi et le comment des décisions
prises et du conflit dans la vie des organisations.
422 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

L’objectif de ce chapitre est d’examiner les apports, tant théoriques que


méthodologiques, de Pettigrew aux sciences des organisations et du mana-
gement. Après la description des caractéristiques principales de sa
démarche dont la finalité est l’appréciation des changements et des boule-
versements que connaissent les organisations, nous exposerons dans la
deuxième partie ses contributions méthodologiques les plus novatrices. La
troisième partie est consacrée aux quelques insuffisances de ses travaux, à
ses recherches récentes et aux perspectives qu’elles laissent entrevoir.

1. LE CHANGEMENT : UN PROCESSUS, UN CONTENU


ET UN CONTEXTE
Deux étapes majeures dans la carrière de Pettigrew permettent d’appré-
cier ses contributions à la recherche sur le changement organisationnel :
l’étude de l’entreprise britannique Imperial Chemical Industries (1.1.) ; la
création et l’animation du Centre for Corporate Strategy and Change.
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1.1. L’étude de Imperial Chemical Industries (ICI)
Le travail séminal d’Andrew Pettigrew sur IC (Pettigrew, 1985a) a
introduit l’approche contextualiste dans l’étude de la formation de la stra-
tégie. Les fondements de son approche peuvent être repérés dans ses pre-
mières réflexions sur la prise de décision stratégique (Pettigrew, 1973,
1979). L’objectif initial de l’étude de ICI portait sur les transformations
affectant le conseil de direction de ICI et les quatre divisions de l’entre-
prise. La recherche est devenue par la suite une étude plus générale, por-
tant sur le changement stratégique et visant à expliquer pourquoi des
démarches de changement identiques conduisent à des résultats non simi-
laires. Décrivant d’une manière minutieuse et détaillée les événements et
les faits qui se sont déroulés dans la firme, Pettigrew estime que ces trans-
formations ne doivent pas être considérées comme un moment unique,
isolé mais comme une série d’épisodes.
Il tire de cette description des enseignements fort significatifs.
• Les changements importants ne peuvent être introduits si les indi-
vidus chargés de les mettre en place ne peuvent les justifier par des
performances antérieures médiocres.
• Les changements intenses sont étroitement liés aux transformations
macroéconomiques. Dans le cas de l’entreprise ICI, la récession de
l’économie mondiale a eu des conséquences sur sa performance,
Andrew Pettigrew 423

l’obligeant à opérer des transformations profondes. Pettigrew éclaire


ainsi la façon dont ces changements dépendent du changement
macro lié au contexte dans lequel la firme opère et interagit avec lui.
Pettigrew prend soin, cependant, d’indiquer que le contexte a deux
dimensions : une dimension interne portant sur les éléments cultu-
rels, politiques et structurels à travers lesquels les actions et les idées
de changement agissent ; une dimension externe ayant trait aux
environnements économique, social, politique et sectoriel.
• Les transformations se produisent d’une manière incrémentale et
discontinue.
• Une réponse appropriée à ces changements ne peut être possible en
l’absence d’une tension créée préalablement par la vision et l’imagi-
nation d’un individu ou d’un groupe, disposant d’un pouvoir signi-
ficatif. Pettigrew privilégie ainsi la démarche politique de change-
ment, qui doit être à la fois acceptable innovante et acceptable. Ce
qui signifie que les promoteurs du changement sont amenés à
conjuguer adaptation au contexte dans lequel se déroule le change-
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ment et innovation, indiquant ainsi que les transformations se
construisent autour d’un dilemme : la survie ou la regénération. Les
organisations doivent ainsi épouser le contexte dans lequel se
déroulent les actions de transformation tout en préservant leur iden-
tité.
• La crise n’est pas monnaie courante. Lorsqu’elle se produit, elle peut
être opportunément utilisée par les dirigeants, quand ils sentent la
nécessité de la transformation, pour établir les changements souhai-
tés. Toutefois, l’essentiel du changement n’est pas automatique, se
déroule par regénération et dépend du contexte interne et externe
de l’entreprise.
• La structure ne suit pas la stratégie. Bien au contraire, les transfor-
mations observées à ICI indiquent un mélange complexe de révi-
sions des convictions profondes des managers, suivies par des chan-
gements dans les rémunérations, les structures et les systèmes ; les
modifications de stratégies émergent alors pour être réalisées plus
lentement après leur légitimation.
Ces considérations conduisent Pettigrew à estimer que les transforma-
tions de ICI sont liées au contexte, à l’histoire de la firme ICI et au pro-
cessus. Ce qui l’amène à rejeter les théories en usage à ce moment-là parce
qu’elles sont vues comme acontextuelles, ahistoriques et aprocessuelles
(Pettigrew, 1985a ; 1985b ; 1990).
424 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

1.2. Le rôle du Centre for Corporate Strategy


and Change (CCSC)
L’approche iconoclaste initiée dans l’étude de ICI a poussé Pettigrew à
créer le CCSC qui répondait à un objectif ambitieux : construire des par-
tenariats de co-production, de co-diffusion et de co-financement de la
recherche. Fort de ses solides expériences en matière d’approches analy-
tiques et méthodologiques des processus de transformation affectant les
organisations, mais insatisfait de la façon dont ses recherches ont été
menées, Pettigrew estimait que la compréhension des processus de chan-
gement dans leurs contextes a besoin d’être enracinée dans la connaissance
des sciences sociales ainsi que dans le monde de la politique et de la pra-
tique. De ce fait, tout en faisant du changement le thème fédérateur du
CCSC, il développa une stratégie de diffusion active et diverse pour com-
pléter sa philosophie combinant pratique et théorie, pertinence et rigueur
intellectuelle. La conjugaison de l’académisme et de la pertinence pratique
recherchée a pour corollaire une approche partenariale de production de
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la connaissance.
Le CCSC fut fondé en 1985 à la business school de l’Université de
Warwick (RU) et eut Pettigrew comme directeur jusqu’en 1995. Les
thèmes développés par les chercheurs du centre – l’analyse processuelle de
la compétitivité ; le développement de quasi-marchés ; l’émergence d’idées
managériales ; le pouvoir et l’influence des élites ; le rôle du pouvoir et de
l’idéologie dans les processus de changement ; les théories du processus de
changement ; – inspirèrent et influencèrent largement les milieux acadé-
miques européens et nord-américains notamment. Ce qu’il faut cependant
noter est l’impact de la création et du développement du CCSC sur l’ap-
proche de Pettigrew concernant la recherche. En effet, avant 1985, date de
la création du centre, ses recherches étaient menées d’une manière soli-
taire. Mais, à partir de 1985, tout en restant un chercheur empirique actif
travaillant selon sa propre conception, c’est également, d’une manière
importante, un manager de la recherche avec la capacité de développer, de
gérer et de compléter, dans des délais courts, de grandes études proces-
suelles.
La réputation du CSSC fut rapidement établie en matière d’enquêtes
et d’analyses profondes des phénomènes processuels. La perspective adop-
tée et les thèmes abordés se révélèrent importants pour les organisations
concernées par les études menées ainsi que pour les pratiques des managers
des autres firmes. Cependant, la caractéristique principale de ces recherches,
et notamment de celles de Pettigrew, est l’aptitude continue, via les
Andrew Pettigrew 425

méthodologies utilisées, à tirer des études entreprises des théories concep-


tuelles généralisables et applicables.
Le premier projet majeur conduit par le nouveau centre et financé par
la firme ESRC a donné lieu à un rapport, Corporate Strategy Change et
Human Resource Management (Pettigrew et al., 1990) et au quatrième
ouvrage de Pettigrew, Managing Change for Competitive Success (Pettigrew
et Whipp, 1991). L’étude porte sur les liens entre la compétitivité, le chan-
gement de la stratégie et les transformations des ressources humaines.
L’originalité de la démarche réside, dans une certaine mesure, dans la
combinaison de deux des préoccupations de Pettigrew des années quatre-
vingt : le management pour la compétitivité et les nouvelles approches du
management des ressources humaines. Les résultats obtenus laissent
entendre que les firmes opérant dans des contextes économiques, poli-
tiques et institutionnels similaires se distinguent considérablement en
termes de performance. Deux types de facteurs expliquent ces résultats :
ceux qui sont internes aux firmes et ceux qui sont liés aux mécanismes
sous-jacents au contexte dans lequel elles opèrent. Ce qui signifie que la
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performance est induite d’une part par un processus qui intègre dans le
management l’environnement dans lequel la firme opère et par la manière
dont le changement est approché notamment dans le domaine de la stra-
tégie. La recherche établit également des liens entre le changement, les
capacités d’apprentissage des entreprises et leur performance de long
terme et montre, par ailleurs, l’importance du management des ressources
humaines pour atteindre la compétitivité sur la longue période. Cet
ouvrage fut suivi par une autre contribution permettant la compréhension
du processus de management et de la performance des organisations. Elle
fut réalisée avec Ferlie et McKee (1992) et porte sur la mise en place de
changements de service dans le British National Health Service (BHNS)
dans Shaping Strategic Change : Making Change in Large Organizations,
The Case of The NHS. Ces deux ouvrages ont sensiblement amélioré notre
compréhension du processus conduisant à l’exécution avec succès du
changement et étendu notre connaissance des organisations émanant tant
du secteur public que du secteur privé.

2. LES CONTRIBUTIONS THÉORIQUES


ET MÉTHODOLOGIQUES
Dès le début, les travaux de Pettigrew s’appuient sur des dispositifs
méthodologiques et théoriques originaux qui vont influencer ses recherches
subséquentes ainsi que celles d’autres auteurs s’intéressant aux processus
426 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

organisationnels. Ces dispositifs consistent à considérer le processus de la


stratégie et non son contenu (2.1.), à tirer profit de la théorie de la struc-
turation (2.2.), à observer directement les processus (2.3.), à accorder une
importance primordiale au contexte et à appréhender les phénomènes
organisationnels d’une manière longitudinale (2.4) et à utiliser plusieurs
niveaux d’analyse (2.5).

2.1. L’approche de la stratégie


Dès le début de ses travaux, Pettigrew laisse entendre que la stratégie est
la conséquence du processus stratégique. En effet, dans une de ses conclu-
sions sur ICI, il estime que « le contenu de changement stratégique est en
fin de compte le produit d’un processus de légitimation formé par des
considérations culturelles/politiques, quoique souvent exprimées en termes
rationnel/analytiques » (Pettigrew 1985a, p. 443). Dans cette perspective,
la contribution du top management à la réalisation de la stratégie porterait
davantage sur la création du changement stratégique que sur la fourniture
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du contenu de stratégie. Pettigrew prend soin de décrire la manière dont
les subtilités dans le comportement affectent le cours du processus. En
même temps, il récuse toute idée de conduite du processus au moyen de
directives simples. Par la suite, Pettigrew soutient que la voie utilisée par
une organisation pour traiter le changement affecte sa performance
(Pettigrew et Whipp, 1991 ; Pettigrew et al., 1992). En un sens, l’origina-
lité de sa contribution en matière de stratégie repose sur la mise en avant
de celle-ci comme processus. De surcroît, l’activité du management est
devenue de plus en plus détachée du top management. La conduite du
changement met bien en évidence à cet égard la contribution du manage-
ment au processus (Pettigrew et 1991, Whipp). Ce qui conduit à intro-
duire de l’ambiguïté et de l’indéterminisme dans l’équation managériale.

2.2. L’utilisation avisée de la théorie


de la structuration
Sur le plan de l’héritage théorique, Pettigrew (1985a, 1985b, 1990,
1992) s’appuie sur les théories de la structuration et plus spécifiquement sur
celles de Giddens (1979), Sewell (1992) et Sztompka (1991) afin de propo-
ser des schémas récurrents des processus organisationnels. Ces théories de la
structuration appréhendent le processus social à partir des actions bornant
la structure sociale tout en permettant son changement et sa reproduction.
Pettigrew mit ainsi l’accent sur les « mécanisme génératifs » (Tsoukas, 1989)
Andrew Pettigrew 427

pour répondre à ses questions de recherche. Ainsi, dans le cas de l’étude de


compétitivité, la question de la différence de performance des firmes opé-
rant pourtant dans des circonstances similaires était expliquée au moyen
d’un schéma constitué de cinq facteurs interdépendants (Pettigrew et
Whipp, 1991). Ces facteurs environnementaux, à savoir les actifs, la cohé-
rence, la conduite du changement associant changement opérationnel et
changement stratégique, les ressources humaines et le passif produiraient
des boucles auto-renforçantes, conduisant au succès ou à l’échec. Chacun
de ces facteurs façonne le processus organisationnel et est façonné par lui.
Dans l’étude portant sur le NHS, « un mécanisme génératif » est égale-
ment identifié. Ce mécanisme se référant aux contextes du changement
répond à la question suivante : pourquoi la variation des processus du chan-
gement est-elle contingente à la localisation et aux thèmes abordés
(Pettigrew et al., 1992) ? Huit facteurs sont proposés dans cette veine :
changement de l’ordre du jour et de la localisation ; relations managériales ;
réseaux de coopération interorganisationnelle ; responsables de la conduite
du changement ; pression sur l’environnement ; simplicité et clarté des
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objectifs et des priorités. La recherche sur les formes innovantes d’organisa-
tion a produit dès lors un nouveau mécanisme de l’évolution
des limites organisationnelles, des processus et des structures qui semble
influencer l’innovation organisationnelle (Pettigrew et Fenton, 2000 ;
Pettigrew et al., 2003).

2.3. L’observation directe des processus


L’incompatibilité entre la nature dynamique des phénomènes straté-
giques et organisationnels et le caractère statique des études quantitatives
transversales bâties sur des bases de données secondaires et des enquêtes
par questionnaire a poussé Pettigrew à recourir à d’autres méthodes de
recherche. En effet, la compréhension de la logique existant derrière les
séquences d’événements et les transformations se produisant dans les
firmes et les organisations rendent nécessaire l’utilisation de démarches
holistiques et processuelles, les seules aptes à permettre l’observation
directe des mécanismes par lesquels les phénomènes émergent dans le
temps. Ces démarches sont dites narratives et consistent à construire une
histoire organisée et chronologique des événements qui se sont produits à
partir de données brutes qualitatives. Pettigrew rejette ainsi les données
« grossières » conduisant selon lui à des résultats « grossiers » (Pettigrew,
1992), écartant tout ce qui est données quantitatives ainsi que l’utilisation
de variables sur lesquelles sont fondées généralement les théories de la
variance (cf. à ce propos Langley, 1997).
428 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

2.4. La prise en compte du contexte et les choix


méthodologiques
L’introduction du contexte ne vise pas à mettre l’accent sur la dimen-
sion objective du temps – le temps de l’horloge – mais sur l’événement
historique dans son contexte. La notion de contextualisme mise en avant
par Pettigrew a pour origine les travaux de Pepper (1942 ; Pettigrew
1985b, 1990). Pour Pepper, la justification de toute connaissance ne peut
pas être fondée sur des observations empiriques. Plutôt, quatre hypothèses
régissent le « monde » : le formisme, le mécanisme, le contextualisme,
l’organicisme. Chaque hypothèse offre une voie particulière de transfor-
mer les observations en connaissances. Dans cette veine, le contextualisme
considère le monde comme une collection d’événements se déroulant dans
un cadre unique. Il souligne le caractère local de la vérité, tant dans le
temps et dans l’espace, confirmée de façon qualitative. C’est cette concep-
tion du temps et de l’espace qui conduit Pettigrew à estimer le processus
comme une flux de continuités et de changements (Pettigrew, 1985b,
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1990, 1992, 1997a).
Par ailleurs, le contextualisme conduit à un design de la recherche pre-
nant la forme d’études de cas rétrospectives réelles longitudinales, basées
le plus souvent sur des données qualitatives, provenant de sources mul-
tiples, mais également le cas échéant, sur des données quantitatives
(Pettigrew, 1985b, 1990). Ainsi, dans l’étude sur les formes innovantes
d’organisation, Pettigrew allie données qualitatives et données quantita-
tives et contexte (Pettigrew, 1985b), comme d’autres l’avaient fait, en
mettant l’accent sur les aspects artisanaux de la recherche empirique. Les
activités réelles de recherche, telles que la sélection du choix du processus
devant être étudié (et la délimitation de la période d’observation), la for-
mulation de la question de recherche et le choix des dispositifs de collecte
et d’analyse de données, conjuguent induction et déduction (Pettigrew,
1990, 1997a). Une approche purement inductive rendrait sans doute jus-
tice à la nature contextuelle d’un processus, mais entraînerait probable-
ment « l’asphyxie par les données » (Pettigrew, 1990). Certaines approches
de la déduction laissent entendre qu’il est possible de se passer d’idées a
priori sur le cours des événements. Étant donné que le processus de base
est considéré comme celui de la structuration, il y a des présomptions sur
les processus devant être observés. Au final, on suppose que les acteurs
vont essayer de réaliser leurs aspirations, tout en s’appuyant sur le contexte
et la structure (Pettigrew, 1985b).
Avec l’idée de la temporalité fermement ancrée dans l’approche contex-
tualiste, la validité interne repose sur la véracité des résultats en relation
Andrew Pettigrew 429

avec le lieu et le moment de l’occurrence des évènements (Ferlie et


McNulty, 1997 ; Pettigrew, 1985b). Ces résultats font l’objet tant d’une
approche analytique que d’une approche approche descriptive. En effet,
de multiples interprétations des événements émanant des individus (ana-
lystes et participants) et se produisant dans le temps, sont utiles parce que
la variété est souvent associée aux changements, et permet la comparaison.
Dans sa forme la plus extrême, le contextualisme est éloigné de la généra-
lisation, dans la mesure où le caractère local et temporel de la connaissance
obtenue s’oppose à toute forme de connaissance générale. Toutefois, pour
Pettigrew (1985b, 1997a ; Pettigrew et al., 2001), les mécanismes généra-
tifs ont une signification allant au-delà du cas singulier, même s’il préco-
nise l’approche comparative des cas extrêmes comme étant la meilleure
façon de souligner la logique sous-jacente commune (Pettigrew, 1990 ;
Pettigrew et Whipp, 1991). Sur le plan de la validité externe, Ferlie et
McNulty (1997) proposent une définition originale laissant entendre que
les résultats obtenus doivent être contrôlés par des groupes d’utilisateurs,
extérieurs à la communauté des chercheurs.
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Au niveau de la méthodologie de la recherche, le contextualisme de
Pettigrew se rapprocherait du réalisme critique. Pettigrew se caractérise
lui-même comme un « mediativist » qui observerait la situation sociale, se
situant entre la réalité et les comptes-rendus de la réalité, sans éliminer les
effets de la réalité sur le médiateur (Pettigrew, 1997b, 2013). À cet égard,
nous avons le sentiment que dans le travail de Pettigrew la réalité sociale
est toujours présente. Celle-ci est considérée comme opérant aux moyens
de mécanismes génératifs et partant, objectifs, mais toute description des
processus est appréhendée comme subjective dans une certaine mesure. Ce
subjectivisme est assez large, en ce sens qu’il se réfère non seulement à la
possibilité de multiples interprétations des acteurs impliqués, mais à tout
compte-rendu particulier réalisé à un certain moment.

2.5. L’approche multi-niveaux


La recherche à la base de l’ouvrage The Awakening Giant a convaincu
Pettigrew de la nécessaire prise en compte du phénomène de changement
comme processus, comme contenu et comme contexte. En outre,
Pettigrew estime que les phénomènes processuels comme l’apprentissage,
l’innovation, la formation de la stratégie et la prise de décision ont un
caractère divergent et flou dans le temps et dans l’espace. Que faut-il, dans
cette veine, inclure dans la définition du processus ? La réponse de
Pettigrew a trait à l’utilisation d’une approche analytique, combinant de
multiples niveaux d’analyse, difficiles à distinguer entre eux, ressemblant
430 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

plus à un continuum qu’à à une classification franche ou à une hiérarchie.


Dans cette optique, les contributions de Pettigrew s’appuient sur des don-
nées chronologiques tirées de plusieurs niveaux d’analyse : le contexte
politique et économique, la firme et le secteur. La conjugaison de données
contextuelles et de données processuelles permet alors à Pettigrew de car-
tographier la complexité du changement dans les systèmes organisation-
nels.

3. LIMITES ET CONTRIBUTIONS RÉCENTES


Après voir remis en cause d’une manière substantielle les approches
traditionnelles du changement, Pettigrew a continué son parcours de
recherche en combinant ses préoccupations méthodologiques et théo-
riques avec les questions d’actualité intéressant les managers et les acteurs
politiques. La présente partie expose d’abord les critiques portées à la
démarche de Pettigrew (3.1.) et tente d’apprécier ensuite ses centres d’in-
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térêt les plus récents (3.2.)

3.1. Les insuffisances de l’approche


À vrai dire, il n’y a pas de véritable remise en cause des recherches de
Pettigrew. La critique concerne principalement ses premiers travaux et
considère que la méthode d’études de cas est limitée à cause de son
manque de généralisation (essentiellement statistique…). La démarche de
narration des événements se produisant dans les organisations est égale-
ment sujette à caution. En effet, bien que son utilité dans la transmission
de la richesse du contexte étudié soit reconnue, elle est considérée comme
n’offrant pas suffisamment d’éléments d’interprétation explicites et ne
fournissant qu’une histoire idiosyncratique, ayant peu d’intérêt pour ceux
qui ne s’y intéressent pas. La méthodologie utilisée dans son ouvrage réa-
lisé avec Whipp en 1991 est également jugée insuffisante dans la mesure
où elle évacue l’ordonnancement temporel et probabiliste des événements
pour ne décrire que des mécanismes et des routines engendrant des résul-
tats (ici, la performance des firmes).
Tout en restant fidèle à la démarche descriptive (détaillée et minu-
tieuse), Pettigrew a continué ses recherches sur les processus organisation-
nels en améliorant sa méthodologie par l’introduction de davantage de
rigueur (utilisation judicieuse de plusieurs cas et de plusieurs niveaux
d’analyse), répondant ainsi aux critiques à l’encontre de son approche
Andrew Pettigrew 431

méthodologique ou de ses conclusions. De plus, le développement persé-


vérant de ses idées conceptuelles et sa concentration sur les développe-
ments théoriques thématiques couplés avec l’élargissement de son
approche méthodologique ont rendu ses travaux suffisamment clairs pour
que ses résultats soient susceptibles de généralisation, analytique ou théo-
rique.
Toutefois, Pettigrew (2012) admet la difficulté de lier contexte, proces-
sus et résultats. Mais cette difficulté n’est-elle pas endémique aux travaux
ayant trait aux processus ? Burgelman Eisenhardt, Langley, Mintzberg et
Van de Ven n’ont-ils pas rencontré les mêmes problèmes ? Ce qui conduit
Pettigrew à estimer que la démarche fondée sur les processus nous conduit
à mettre l’accent sur le comment afin de réduire, autant que faire se peut,
la primauté du quoi dans les sciences sociales. Il souligne dans cette veine :
nous pourrons être en mesure [en utilisant les processus] non seulement
d’identifier les modèles [c’est-à-dire les logiques sous-jacentes] dans le
monde, mais également de comprendre comment le monde change »
(Pettigrew, 2012, p. 1325)1.
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3.2. Les nouveaux centres d’intérêt
Élargissant son champ d’investigation, Pettigrew a réalisé une recherche
sur la gouvernance des firmes britanniques et examiné les implications des
accords de gouvernance et le pouvoir d’influence des membres de la direc-
tion des grandes compagnies. Cette recherche a conduit à un article rédigé
avec McNulty (1995) et publié dans Human Relations sur le Power and
Influence in and Around the Boardroom. Allant au-delà de la simple dicho-
tomie entre dirigeants internes ou externes, Pettigrew et McNulty ana-
lysent la dynamique du processus et du pouvoir des conseils de direction
des firmes au moyen de données qualitatives – détaillées et substantielles
– sur les incidents critiques collectées auprès des managers. Toutefois, la
perspective « d’encastrement » adoptée rend la généralisation statistique
difficile en matière de questionnements sur la gouvernance (Davis et
Museum, 2001).
Parallèlement à cette contribution, Pettigrew a poursuivi son travail
dans le BNHS et publié en 1996 son ouvrage The New Public Management
in Action. Cet ouvrage traite des études portant sur l’exécution du quasi-
marché dans le service de santé britannique comme conséquence des ini-
1. “In this way we might be able to not just codify patterns in the world, but also better understand how to
change the world”.
432 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

tiatives prises par le gouvernement conservateur au début des années


quatre-vingt-dix.
Un article écrit avec Webb et publié en 1996 montre l’intérêt que porte
Pettigrew au champ de la stratégie. Considérant, en effet, que la stratégie
d’entreprise s’est enfermée dans une certaine mesure dans un vocabulaire
approprié pour la description de phénomènes statiques au lieu de décrire
le processus actif et dynamique dans lequel la plupart des managers sont
engagés, il développe avec son collègue une typologie des stratégies, expri-
mée dans le langage de la consolidation, de l’internationalisation, etc.
Cette contribution améliore non seulement la connaissance de phéno-
mènes variés étudiés mais modifie en plus la façon de s’exprimer et de
penser en refondant les outils linguistiques avec lesquels ces thèmes
doivent être abordés. Le résultat put être atteint par la mobilisation de
théories et de méthodes, alternant étude des événements singuliers et des
processus historiques et prenant en compte la logique générale du proces-
sus. Un ouvrage, réalisé en collaboration avec Whittington et Thomas
(2001) et portant sur l’examen de l’avenir de la recherche en stratégie et
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en management, va dans le même sens et suggère aux lecteurs de considé-
rer la pratique et la théorie comme les éléments d’une seule dualité.
Une autre extension du travail de Pettigrew concerne l’internationalisa-
tion de la firme (Pettigrew et Fenton, 2000). Dans ce domaine, Pettigrew
étend les compétences, tant méthodologiques que théoriques, qu’il a
acquises sur les processus de changement et sur la stratégie. Pour la pre-
mière fois, il combine son approche d’études de cas comparatives avec un
travail comparatif international en utilisant des données temporelles et des
enquêtes élargies. Employant cette méthodologie et en partenariat avec ses
collègues établis dans plusieurs pays dans le cadre du programme
INNFORM2, il examine l’importance de la mise en place de nouvelles
formes organisationnelles dans des grandes firmes et dans des entreprises
de taille moyenne installées aux États-Unis, en Europe et au Japon. Il teste
également les effets de l’adoption de ces nouvelles formes organisation-
nelles sur la performance. Il étudie enfin le processus managérial d’aban-
don des formes traditionnelles organisationnelles. Cinq résultats majeurs
sont obtenus :
• la comparaison des données portant sur l’adoption des formes orga-
nisationnelles innovantes aux États-Unis, en Europe et au Japon

2. INNFORM est un réseau liant les chercheurs des universités suivantes : Duke University (États-
Unis), Erasmus University (Pays-Bas), ESSEC (France), IESE (Espagne), Hitotsubashi University
(Japon), ST Gallen (Suisse). Le programme de recherche de ce réseau vise principalement à identifier et
cartographier les nouvelles formes organisationnelles aux États-Unis, en Europe et au Japon.
Andrew Pettigrew 433

indique une direction similaire de changement, bien que les points


de départs et le rythme du changement soient différents ;
• le processus d’innovation dans les organisations est incrémental –
dans les trois régions étudiées, les formes organisationnelles nou-
velles complètent les anciennes et ne les remplacent pas ;
• en dépit de la similitude des directions de changement, des diffé-
rences statistiques importantes dans les indicateurs d’innovation
peuvent être soulignées entre les organisations européennes, entre
les organisations européennes et les organisations japonaises, entre
les organisations américaines et les organisations japonaises ;
• dans les années quatre-vingt-dix, le changement organisationnel
était plus incrémental au Japon qu’aux États-Unis et en Europe ;
• il y a une association forte entre le changement dans le système glo-
bal (en termes de limites, de processus et de structures) et la perfor-
mance de la firme. Les organisations qui participent à ce change-
ment en modifiant les structures et les limites, tout en maintenant
en l’état les processus de mise en œuvre, affichent une performance
médiocre. Ce qui signifie que les transformations au niveau du sys-
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tème dans son ensemble nécessitent des changements à plusieurs
niveaux (dont celui du processus) pour qu’elles soient couronnées de
succès.
Un ouvrage publié en 2002 avec Thomas et Whittington (Pettigrew et
al., 2002) présente une rétrospective substantielle et une démarche pros-
pective dans le champ du management stratégique. Cet ouvrage constitue
un important « benchmark » des contributions des chercheurs majeurs en
management et en stratégie. Cet ouvrage évalue et synthétise le travail
réalisé dans le champ, il fait également le bilan des avancées obtenues et
souligne les développements futurs. Les auteurs ont cherché dans cette
veine à conjuguer la thématique du management et de la stratégie avec la
diversité, offrant ainsi une analyse critique puissante et une synthèse des
contributions disciplinaires variées pour ce corpus de connaissances.

3.3. La double contrainte du chercheur


Pettigrew constate un certain scepticisme dans la communauté acadé-
mique quant au rôle qu’est censée jouer la recherche en management dans
la société (Pettigrew, 2008). Dès lors, il propose un certain nombre de
pistes pour améliorer la situation, c’est-à-dire pour faire en sorte que la
recherche sur les questions managériales soit de qualité élevée et serve
réellement les praticiens. En d’autres termes, quelles sont les voies permet-
tant à la recherche en management d’influencer la société ?
434 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

La première piste souligne que les chercheurs doivent entreprendre leur


recherche académique en évitant la dichotomie actuelle à savoir, vouloir
influencer le monde académique ou l’aptitude à bien écrire ou bien parler
intéresser les mondes de la politique et de la pratique. Les deux objectifs
sont inéluctables. Ce qui suppose un changement culturel qui ferait évo-
luer les individus de la publication d’inputs (articles, ouvrages, etc.) à la
production d’un bien final, dont la validité académique est élevée et aux
conséquences pratiques certaines.
La deuxième piste concerne la qualité des relations établies par les cher-
cheurs académiques et l’aptitude de ces derniers à travailler avec les « cour-
tiers » de la connaissance. Ce qui signifie un engagement avec les utilisa-
teurs potentiels de la recherche, le développement de réseaux sociaux
allant nettement au-delà des institutions d’origine, l’établissement de liens
durables, etc. En d’autres termes, il est crucial pour le chercheur acadé-
mique de développer son capital social en même temps que son capital
intellectuel.
La troisième piste est relative à la qualité des idées. Il ne s’agit pas de
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mettre l’accent sur l’importance de l’aptitude à bien écrire ou bien parler
ou de la diffusion, caractéristiques devenues certes essentielles dans un
monde d’influences. Il s’agit plutôt de repérer les bonnes thématiques à
explorer er de poser les bonnes questions de recherche, au bon endroit et
au bon moment.
Enfin, la dernière piste porte sur la co-production de la recherche par
les chercheurs et les praticiens. Ce qui signifie l’implication des partenaires
à travers le cycle complet de recherche : accord sur les questions de
recherche et direction des projets de recherche ; conduite et management
de la recherche ; mise en œuvre de la recherche ; fourniture des résultats
de la recherche et contrôle de leur impact.

Conclusion
Pettigrew a fait une contribution majeure non seulement à la littérature
académique sur les processus organisationnels (sur les plans théorique et
méthodologique) mais également à la lecture managériale de tels proces-
sus. Ce second aspect est illustré, on ne peut plus, par le nombre et la
variété de contrats, obtenus par le CCSC, avec des organisations privées et
publiques. Ce double intérêt est lié au souci de réunir théorie et pratique,
estimant que le champ de recherche portant sur le changement organisa-
tionnel est le mieux placé des champs des sciences de gestion pour combi-
ner le « quoi » et le « comment » de la connaissance.
Andrew Pettigrew 435

In fine, tout le travail de Pettigrew a consisté à vouloir « saisir la réalité


en vol » et toutes ses préoccupations cherchaient à appréhender la qualité
dynamique du comportement humain dans les organisations. De ce fait,
ses recherches ont essayé de comprendre comment les décisions sont
prises, comment le pouvoir est gagné et perdu, comment les cultures orga-
nisationnelles sont créées et maintenues, et comment s’établit la relation
entre la continuité et le changement dans les organisations. L’intégration
du temps dans les recherches visait à montrer le caractère temporel du
comportement humain et à mettre en évidence la relation entre le com-
portement humain et les contextes évolutifs dans lesquels il se déroule.
L’insistance sur la qualité dynamique du comportement humain n’est ainsi
qu’une quête de son intégration dans l’analyse sociale. Les recherches ont
généralement atteint le but recherché en localisant le comportement pré-
sent dans sa perspective historique et en analysant les comportements
individuels, de groupe et organisationnels dans leurs contextes sectoriel,
économique et politique.
Par ailleurs, Pettigrew considère peu dignes d’intérêt les recherches
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ayant comme unique objectif l’obtention de l’assentiment scientifique des
pairs. Le chercheur en management ne peut être qu’un chercheur « ambi-
dextre » : des qualités scientifiques solides et un engagement social signifi-
catif et clairement affirmé.

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XXVIII. ROBERT QUINN – CONTRADICTIONS ET PARADOXES DANS LE
MANAGEMENT ET LES ORGANISATIONS

Mathieu Detchessahar
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 439 à 452


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-439.htm
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Contradictions et paradoxes
dans le management
et les organisations
XXVIII
Robert Quinn

Mathieu Detchessahar
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440 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Robert E. Quinn (1948-) est Professeur de « Comportement organisa-


tionnel et management des ressources humaines » à l’Université du
Michigan à Ann Arbor. Après des études de sociologie, il soutient son
Ph.D. en Organizational Behavior and Applied Behavioral Science à l’Uni-
versité de Cincinnati en 1974.
C’est de sa collaboration avec John Rohrbaugh (1981, 1983), spécia-
liste de management public, que va naître au début des années quatre-
vingt sa contribution théorique la plus connue : le Competing Value
Framework (CVF) ou modèle des valeurs antagonistes ou en compétition.
Ce modèle est au fondement du travail de Robert Quinn qui tout au long
de son œuvre va faire preuve d’une formidable capacité – le mot n’est pas
trop fort – à décliner ce modèle dans différents champs d’analyse théo-
rique : l’étude du cycle de vie des organisations, les théories du leadership,
l’analyse de la culture des organisations et, plus largement, l’étude du
changement dans les organisations.
Le travail de Robert Quinn met en lumière la complexité du fonction-
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nement des organisations en relevant les exigences multiples et contradic-
toires auxquelles elles sont confrontées dans leur quête de performance.
Cette complexité met le manager à rude épreuve et l’oblige à développer
une large palette de comportements et de compétences auxquelles Quinn
va consacrer une partie importante de son travail. Il fait du manager un
élément-clé du changement en insistant avant tout, non pas sur son habi-
lité à conduire le changement organisationnel, mais sur sa capacité à entrer
dans un processus de changement personnel.

1. AUX ORIGINES DU COMPETING VALUES FRAMEWORK


Le Competing Values Framework (CVF) trouve son origine dans une
réflexion sur la performance des organisations et plus précisément sur les
différents critères susceptibles de la mesurer ou, à défaut, d’en définir les
différentes dimensions. D’une revue de la littérature portant sur les indi-
cateurs de performance des organisations, Quinn et Rohrbaugh concluent
que la performance n’est pas un concept mais un construit composé d’une
grande variété d’items, souvent opposés et contradictoires, qui laisse
l’impression d’une littérature en désordre, voire en déroute (disarray),
lorsqu’il s’agit de penser ce thème pourtant central. L’objectif de Quinn et
Rohrbaugh est de mettre de l’ordre dans ce construit et d’en articuler les
différentes dimensions autour de valeurs centrales.
Robert Quinn 441

Ce travail de mise en ordre de la littérature n’est pas conduit à partir


d’un travail empirique sur un échantillon d’organisation mais se fonde sur
une enquête réalisée auprès de chercheurs. Comme l’écrivent Quinn et
Rohrbaugh (1983, p. 365), « l’accent est mis sur la structure cognitive des
théoriciens des organisations, et non sur les structures opérationnelles de
l’organisation ». Deux échantillons de chercheurs sont ainsi interrogés :
l’article de 1981 repose sur un échantillon de 7 experts, tous titulaires d’un
doctorat dans le champ des sciences de l’organisation, l’article de 1983 vise
à répliquer la première étude exploratoire auprès d’un échantillon plus
large de 45 chercheurs ayant publié au moins un article dans Administrative
Science Quarterly au cours des deux années précédent l’étude. L’étude
s’appuie sur la liste des 30 critères de performance des organisations établie
par Campbell en 1977 (Campbell, 1977). Il est demandé aux chercheurs
de réduire et d’organiser la liste de critères proposée par Campbell en se
prononçant sur le degré de similarité entre les différents critères.
Il ressort de l’étude que ces critères s’organisent finalement autour de
trois axes, ou trois dimensions de valeur, sur lesquels repose la perfor-
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mance organisationnelle. La première dimension concerne l’orientation
principale de l’organisation et oppose deux polarités principales au sein
d’un même continuum : une orientation essentiellement interne insistant
sur le développement des ressources humaines et la maîtrise des processus
à une orientation essentiellement externe centrée sur le développement de
l’organisation et la définition de ses objectifs. La deuxième dimension de
valeur concerne la structure de l’organisation et oppose l’impératif de
contrôle de la structure à l’impératif de flexibilité. Enfin, la troisième
dimension de valeur est relative à la question des liens entre finalités de
l’organisation et moyens mis en œuvre. La combinaison de ces trois
dimensions de valeur permet à Quinn et Rohrbaugh de proposer un
modèle spatial de l’efficacité organisationnelle qui met en relation l’en-
semble des approches de la performance (Figure 1).
442 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Figure 1. Le Competing Value Framework


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Source : adaptée de Quinn et Rohrbaugh, 1983.

L’intérêt de ce modèle est qu’il fait de la performance une question


traversée de dilemmes fondamentaux, pour l’essentiel déjà bien repérés
dans la littérature, mais présentés ici en un seul modèle conceptuel. Sur
l’axe opposant les impératifs de flexibilité aux impératifs de maîtrise et
contrôle de la structure, on retrouve une des tensions fondamentales des
organisations sans cesse tiraillées entre les nécessités de favoriser la diver-
sité, l’initiative individuelle et l’adaptabilité, et l’impératif de cohésion, de
coordination et d’harmonie entre chacune des composantes de la struc-
ture. On retrouve ici le dilemme intégration-différenciation dont Lawrence
et Lorsch (1967) avaient fait un des enjeux centraux en matière de design
organisationnel. De la même manière, la tension orientation interne /
orientation externe de l’organisation renvoie aux dilemmes autour de la
création de valeur pour les différentes parties prenantes de l’organisation.
La valeur créée pour les parties prenantes externes (clients ou actionnaires)
peut être obtenues en dégradant les ressources allouées au système socio-
technique interne. De même, l’attention portée au soutien au système
interne peut éloigner des objectifs de performance globale de l’organisa-
tion. Tout comme la dernière tension concernant les arbitrages moyens/
fins, le dilemme interne/externe renvoie notamment à des questions de
conflit d’horizon temporel et pose la délicate question du conflit entre les
logiques d’investissement internes – investissements matériels comme
Robert Quinn 443

investissement de forme – et les impératifs de performance globale à court


terme.
La question de la performance des organisations peut donc être pensée
à partir de 4 modèles de la performance, qui constituent en fait autant de
sous-systèmes de performance nécessaires à l’atteinte de la performance
globale et durable. Le modèle des relations humaines centré sur le déve-
loppement des ressources humaines et l’harmonie interne contraste forte-
ment avec le modèle de définition rationnelle des objectifs centré sur la
productivité et l’efficience. De même, le modèle du système ouvert qui
met l’accent sur la flexibilité, la rapidité et la croissance contraste avec le
modèle des processus internes valorisant le contrôle des processus et leur
stabilité. Pour Quinn, ces 4 modèles, assignant à l’organisation des objec-
tifs possiblement contradictoires, doivent néanmoins être tenus ensemble
si l’on veut penser la performance de l’organisation puisque chacun d’eux
correspond à une des fonctions de base de tout système d’action telles que
repérées par Talcott Parsons (1959) dans le modèle A-G-I-L : adaptation
au milieu externe (A), définition de moyens orientée vers des buts (Goal-
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Attainment, G), évaluation des tâches et coordination interne (Intégration,
I) et construction de la cohésion et la solidarité du groupe (Latence, L).
Si les contradictions possibles entre les critères de performance
demeurent au cœur du modèle CVF, Quinn et Cameron (1983) envi-
sagent que les enjeux de performance de l’organisation se posent de façon
différente en fonction de son stade de développement. À partir d’une
revue de la littérature sur les modèles de cycle de vie des organisations,
Quinn et Cameron proposent un modèle de synthèse à partir du
Competing Value Framework. Ils distinguent ainsi quatre phases de déve-
loppement de l’organisation. La première est entrepreneuriale et se carac-
térise par l’accent mis sur l’innovation et la créativité. Elle met en avant les
critères de performance du modèle du système ouvert : flexibilité, crois-
sance, acquisition de ressources. La deuxième phase est collective et cor-
respond au modèle des relations humaines valorisant la coopération et
l’implication dans l’organisation. La troisième phase est une phase de
formalisation et de contrôle, elle correspond au modèle des processus
internes ainsi qu’au modèle rationnel du CVF. La quatrième phase est une
phase d’élaboration et de renouvellement de la structure au cours de
laquelle l’organisation se met à nouveau à l’écoute de son environnement
externe et cherche à « se développer aux frontières » (p. 44) tout en main-
tenant sa cohérence interne ce qui implique de maintenir l’effort sur les
autres modèles. Ainsi, s’il distribue les enjeux de performance tout au long
du cycle de vie de l’organisation, ce modèle de synthèse n’annule pas les
tensions entre différents objectifs. D’une part, l’ensemble des objectifs
444 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

restent posés à chaque phase même si certains d’entre eux dominent clai-
rement, et d’autre part, les phases de maturité (et notamment la qua-
trième) sont, plus que d’autres, au croisement de plusieurs sous-modèles
du CVF et, à ce titre, particulièrement traversés par des tensions et contra-
dictions d’objectifs.
Le grand intérêt du travail de Quinn et ses collègues autour du
Competing Value Framework est de construire la notion de performance sur
un ensemble d’oxymores qui rend bien compte de la complexité de la
notion et, par voie de conséquence, des difficultés auxquelles est confron-
té le management dans sa quête de performance. Les organisations sont
traversées de contradictions et le travail du management consiste en une
série d’arbitrages, toujours temporaires, visant à sortir pour un temps de
la contradiction, tout en anticipant bien qu’un second temps de l’action
justifiera certainement un arbitrage contraire.
Cette capacité à se mouvoir parmi les contradictions et à conduire des
politiques inverses au gré des différents arbitrages suppose un large réper-
toire et une grande plasticité de comportements du manager. C’est cette
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« complexité comportementale » (behavioral complexity) du manager que
Robert Quinn va explorer à travers son travail sur le leadership.

2. COMPLEXITÉ COMPORTEMENTALE ET LEADERSHIP


Le travail de Quinn sur le leadership dérive directement d’une applica-
tion des conclusions du Competing Values Framework aux théories du lea-
dership (Quinn, 1984, 1988). Si l’organisation est traversée de paradoxes
et d’exigences contradictoires alors « le manager efficace est celui qui a la
capacité cognitive et comportementale de reconnaître les paradoxes et les
contradictions et de réagir à la complexité de ses environnements »
(Quinn, 1995, p. 525). Dès le démarrage de sa réflexion sur les managers,
Quinn s’inscrit en faux par rapport aux théories classiques du leadership
dont beaucoup adoptent une perspective discrète consistant à repérer dif-
férents profils de managers, ou styles de leadership, plus ou moins adaptés
à différents types d’environnements. On pense ici aux travaux de Mac
Gregor (1960) sur les perspectives managériales issues de la théorie X et de
la théorie Y, à la distinction établie par Zaleznik (1977) entre managers et
leaders ou encore celle de Burns (1978) opposant les leaders transaction-
nels aux leaders transformationnels.
Pour Quinn à l’inverse, le manager efficace est celui qui sait endosser
tour à tour tous ces rôles, qui peut concevoir et mettre en place des rôles
Robert Quinn 445

multiples et contradictoires, bref qui dispose d’un large répertoire de com-


portements différents et qui sait les mobiliser à bon escient. En matière de
leadership, Quinn (1988, pp. 80-89) nous invite à évoluer d’une approche
fondée sur le « ou/ou » (ou leader démocratique/ou leader autocratique,
ou participatif/ou directif, ou orienté tâches ou orienté relations…) qui
caractérise les théories classiques du leadership vers une approche du
management fondée sur le « et/et » qui rend mieux compte des difficultés
de l’action managériale et du vaste répertoire de comportement que le
manager doit pouvoir mobiliser. C’est cette « complexité comportemen-
tale » (1995) qui lui permet d’affronter les ambiguïtés de l’organisation et
de son environnement.
Pour faire l’inventaire des différents types de comportement nécessaires
au manager, Quinn reprend les 4 différents sous-modèles du CVF. Chacun
d’eux appelle des rôles spécifiques. Ainsi, dans le modèle rationnel, le
manager est orienté vers la tâche et l’atteinte des objectifs, il encourage les
comportements qui servent directement les objectifs (rôle de producteur)
et il utilise son pouvoir pour clarifier les rôles et les objectifs de chacun
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(rôle de directeur). À l’inverse, dans le modèle des relations humaines, le
manager est avant toute autre chose attentif aux individus et à leurs rela-
tions. Il a pour objectif premier de faciliter l’expression des opinions et de
rechercher le consensus (rôle de facilitateur) ainsi que d’être attentif aux
besoins et aux projets individuels de développement de chacun (rôle de
mentor). Dans le modèle des processus internes, le manager tire sa légiti-
mité de son expertise et de sa maîtrise de l’information. C’est lui qui dis-
tribue l’information pertinente et contrôle les résultats (rôle de pilote) de
même qu’il rappelle les règles de fonctionnement et traite les problèmes
rencontrés par l’équipe (Rôle de coordinateur). Enfin, dans le modèle du
système ouvert, le management s’oriente vers la croissance et l’innovation.
Le manager doit être créatif et inciter au changement (rôle d’innovateur)
en même temps qu’il est attentif à capter des ressources externes et à main-
tenir et développer la place de l’organisation dans son réseau de relation
(rôle de Broker).
446 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Figure 2. Les 8 rôles en tension du leader


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Source : adaptée de Quinn, 1988.

Ce modèle des 8 rôles du manager fait de la capacité du manager à tenir


des rôles contradictoires une des clés du leadership efficace. Pour le mana-
ger, l’enjeu n’est pas d’être un pilote, ou un directeur ou un innovateur
mais d’être les trois simultanément, conformément au principe du « et/
et ». Pour Quinn, c’est donc bien le degré de complexité comportementale
du manager qui est la clé de l’efficacité.
En 1984 et 1988, Quinn établit son modèle à partir d’une réflexion sur
les implications managériales du CVF ainsi que d’une large revue de la
littérature sur le leadership. Ce n’est qu’en 1995 que Quinn proposera,
avec Denison et Hooijberg (Denison et al., 1995), une validation empi-
rique de ce modèle sur la base d’une étude portant sur un échantillon de
176 managers dont le mode de management est évalué à partir d’une
enquête auprès de leurs collaborateurs (670 collaborateurs) et l’efficacité
managériale appréciée par une enquête auprès de leurs supérieurs hiérar-
chiques directs (222 n+1). L’enquête confirmera que les managers les plus
efficaces sont perçus par leurs collaborateurs comme ayant une plus forte
complexité comportementale, au sens de leur capacité à tenir les 8 diffé-
rents rôles du modèle. Les managers moins performants agissent, quant à
eux, conformément à un modèle plus classique de management mettant
l’accent sur le contrôle, la stabilité et la productivité.
Robert Quinn 447

3. LES CULTURES ASSOCIÉES AU COMPETING VALUES


FRAMEWORK
À partir des années quatre-vingt-dix, le travail de Quinn s’oriente vers
la recherche d’un concept de synthèse susceptible de ramasser l’ensemble
de ses travaux sur la performance, le changement et le leadership en une
seule grammaire qui rende compte de la variété des sous-modèles de per-
formance mis à jour ainsi que de la variété des types de management qui
y sont associés. Ce concept de synthèse, Quinn le trouve dans la notion de
« culture organisationnelle » qui va lui permettre de caractériser à partir
d’un horizon théorique commun différents ensembles de pratiques. Il
montre comment chacun des sous-modèles de performance issus du CVF
associe à des objectifs de performance, des pratiques de management, de
gestion de la qualité et de gestion des ressources humaines spécifiques qui
finalement instrumentent une conception du bon et du mauvais dans
l’organisation, de l’adapté et du non adapté, du beau et du laid… bref un
ensemble de valeurs-clés qui vont servir de critères de jugement, d’évalua-
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tion et de sanction dans l’organisation (Cameron, Quinn, 1999, p. 35).
Ainsi la variété des pratiques managériales associées à chaque cadrant du
CVF trouve son unité à un niveau supérieur aux pratiques, celui des
convictions fondamentales et des valeurs partagées, c’est-à-dire de la
culture.
Cameron et Quinn mettent donc à jour quatre grands types de culture
différents. Pour nommer et décrire chacune de ces cultures, ils choisissent,
de façon très pédagogique, d’associer un auteur et un exemple à chacune
d’elles. Les quatre grands types de culture repérés sont : la culture hiérar-
chique, la culture de marché, la culture clanique et la culture adhocra-
tique.
448 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Figure 3. Les quatre principaux types de culture


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Source : traduit de Cameron, Quinn, 1999, p. 46.

Cameron et Quinn trouvent dans la bureaucratie weberienne « l’es-


prit » de la culture hiérarchique. Face un environnement stable, les fac-
teurs-clés de succès de l’organisation sont la claire codification des circuits
de décision, la formalisation des règles et des procédures afin de garantir
la stabilité des process et l’uniformité des produits et services. L’entreprise
de restauration rapide Mac Donald leur sert d’exemple emblématique de
la culture hiérarchique : formalisation extrême des comportements au
travail (un manuel de procédures de plus de 350 pages) et suppression des
zones d’autonomie, uniformité des produits dans tous les points de vente,
codification fine des parcours professionnels…
Les travaux d’Oliver Williamson (1975) les aident à penser l’essence de
la culture marchande ou de marché. Les valeurs centrales de ce type de
culture sont la compétitivité et la productivité, servies par le goût de la
victoire et l’esprit de conquête. Les figures du client et du concurrent y
sont sans cesse convoquées pour appeler des efforts complémentaires et
entretenir l’esprit de compétition. Les années Jack Welsh à la Général
Electric sont présentées comme typique de la culture marchande : forte
orientation sur les résultats, achat et vente d’activités en fonction des résul-
tats, goût de la compétition…
Pour définir la culture clanique ou de clan, Cameron et Quinn
empruntent directement aux travaux de William Ouchi (1981) opposant
Robert Quinn 449

les modèles américains et japonais d’organisation. Selon Ouchi, les orga-


nisations japonaises font le pari d’un fonctionnement clanique très diffé-
rent des formes de coordination marchande ou bureaucratique que l’on
retrouve fréquemment dans les organisations américaines. L’organisation
clanique repose sur le travail d’équipe et des formes d’incitation collectives
plutôt qu’individuelles, l’implication cognitive des salariés est favorisée et
l’organisation s’engage fortement envers le salarié (sur la carrière, la forma-
tion, le maintien de l’emploi…). L’expérience de Don Burr à la tête de
PeopleExpress Airline, qu’il crée après avoir quitté Texas Air, est montrée
comme une tentative de développer aux États-Unis un nouveau modèle de
management fondé sur une culture de type clanique : peu de niveaux hié-
rarchiques, autonomie du personnel et travail en équipe, participation aux
décisions, actionnariat salarié…
Pour qualifier, le quatrième type de culture, Cameron et Quinn
empruntent aux travaux d’Alvin Toffler (1970) et Henry Mintzberg
(1982) la notion d’adhocratie. Ils reprennent leurs développements clas-
siques sur l’organisation à l’âge de la turbulence des marchés et de l’éco-
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nomie de l’innovation. Dans ce contexte, l’adhocratie doit encourager la
flexibilité, l’adaptabilité et la créativité. L’adhocratie est une structure plate
qui se recompose en fonction des problèmes rencontrés qu’elle distribue à
des structures projet toujours temporaires. Sans surprise, Cameron et
Quinn reprennent assez largement l’exemple canonique de la NASA pour
illustrer la culture adhocratique orientée vers l’innovation et le change-
ment.
Suite à ce travail de synthèse et de mise en ordre de la littérature sur la
culture, Cameron et Quinn développent une réflexion à visée plus ingé-
nierique dont l’objectif est de fournir aux managers des outils et des plans
d’action pour intervenir sur la culture de leur organisation. La première
phase du processus de changement consiste à révéler la culture de l’orga-
nisation et à bâtir le consensus autour cette représentation. Pour cela,
Cameron et Quinn proposent un outil de diagnostic de la culture que
Quinn a testé avec Gretchen Spreitzer (1991). Le OCAI (Organizational
Culture Assesment Instrument) se présente comme un questionnaire en six
parties permettant de positionner l’organisation dans un des quatre
cadrants du CVF en même temps qu’il permet de faire apparaitre la
culture désirée par les acteurs. Celle-ci devient la culture cible autour de
laquelle les acteurs devront s’entendre lors de la phase 2 du processus de
changement. La phase 3 vise à dégager les axes principaux sur lesquels le
changement devra porter. La quatrième phase reprend certains éléments
du courant du « storytelling » pour recommander de communiquer sur le
changement à partir de récits ou « stories » particulièrement illustratifs de
450 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

la culture désirée. La phase 5 concerne la mise en place du plan stratégique


et la phase 6 la construction du plan d’action ; chaque phase fait l’objet
d’un ensemble de recommandations sous forme de listes synthétisant les
éléments essentiels de chacune des phases.
Pour conclure, Cameron et Quinn insistent tout particulièrement sur
les dimensions individuelles du changement de culture. D’une certaine
manière, le changement doit être individuel, interne aux individus, pour
que le changement organisationnel ait lieu (pour un positionnement de
cette thèse dans la littérature sur le changement, voir Weick, Quinn,
1999). Le changement radical (Deep Change) suppose avant tout autre
chose un profond travail sur soi, un changement intérieur radical. Pour
soutenir ce travail sur soi, Cameron et Quinn proposent un outil d’évalua-
tion (le Management Skills Assesment Instrument, MSAI) permettant de
faire le point sur ses compétences managériales et d’entamer un processus
de changement personnel. Apparait ici comme central la thématique du
changement et du développement personnel qui devient à compter de la
fin des années quatre-vingt-dix le thème principal de réflexion et d’inter-
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vention de Quinn. Plusieurs ouvrages aux titres très suggestifs et à la
vocation essentiellement « managérial » vont lui permettre d’approfondir
ce thème : depuis le grand succès public Deep Change, Discovering the
Leader Within (1996) jusqu’à Building the Bridge as you Walk on it (2004)
en passant par Change the World, How Ordinary people Can Accomplish
Extraordinary Results ? (2000).

Conclusion
L’œuvre de Quinn nous invite à une approche complexe des organisa-
tions et du management qui va très au-delà des théories de la contingence
dont il s’est inspiré à ses débuts. Loin de tout déterminisme, fut-il « multi-
varié » (Crozier, Friedberg, 1977, p. 142), Quinn insiste sur les tensions
irréductibles qui traversent les organisations et le travail. Alors que tout un
courant d’analyse contemporain voit dans la montée en puissance des
contraintes et des contradictions organisationnelles un dérèglement de
type anomique propre à générer de la souffrance parmi les salariés (par ex :
Gollac, 2005, Gollac et Volkoff, 1996), Quinn y voit l’état normal des
organisations. Les organisations obligent les managers à développer un
niveau de complexité cognitive et comportemental suffisant pour faire
face à la complexité. Il leur faut penser et agir à partir de valeurs et d’objec-
tifs potentiellement contradictoires. C’est ce que Quinn appelle dans ses
écrits récents à destination des managers le Wholonic reasoning, sorte de
pensée globale et complexe combinant au sein d’une même réflexion plu-
Robert Quinn 451

sieurs schèmes de raisonnement opposés. C’est d’ailleurs le nom que


Quinn a donné au cabinet de conseil dont il est un des associés fonda-
teurs : le Wholonic Leadership Group. Quinn est aujourd’hui un consultant
très recherché sur les questions de leadership et de développement indivi-
duel.
On retrouve ici un des traits marquants de l’œuvre de Robert Quinn
qui est d’alterner en permanence écrits et conférences scientifiques et écrits
et conférences de vulgarisation à destination essentiellement des cadres
mais aussi de tous ceux qui sont en position de responsabilité (politiques,
syndicalistes, parents, enseignants…). De la même manière, son travail
prend depuis quelques années un tour plus personnel avec son engage-
ment pour le développement d’un savoir positif sur les organisations
(Positive Organizational Scholarship). À la croisée de différents types de
démarche – scientifique, « citoyenne » et spirituelle – Quinn propose avec
ses collègues de l’Université du Michigan, notamment Kim Cameron et
Jane Dutton (2003)1, de penser les organisations et le management à par-
tir de l’étude de phénomènes positifs mettant en avant des dynamiques
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« édifiantes » et « énergisantes » : le courage, l’intégrité, la vitalité, le sens,
la transcendance, le bien commun… Dans l’un de ses derniers ouvrages
(2000), Quinn va chercher son inspiration chez les grands leaders spiri-
tuels : Jesus, Gandhi et Martin Luther King. Le projet est ici rien moins
que d’explorer les dimensions positives de la condition humaine dans les
organisations…

Travaux cités de l’auteur


Cameron, K., Dutton, J.E., and Quinn, R.E. (Eds.). (2003), Positive
Organizational Scholarship : Foundations of a New Discipline. Berrett-Koehler
Publishers.
Cameron, K., Quinn, R. E. (1999), Diagnosing and Changing Organizational
Culture, Addison-Westley.
Denison, D.R., Hoojberg. R., Quinn. R.E. (1995), « Paradox and Performance :
Toward a Theory of Behavioral Complexity in Managerial Leadership »,
Organization Science, vol. 6, n° 5, September-October, p. 524-540.
Quinn, R.E. (2000), Change the World. How Ordinary People Can Accomplish
Extraordinary Results ?, Jossey-Bass.
Quinn, R.E. (2004), Building the Bridge as you Walk on It, Jossey-Bass.

1. Plusieurs chercheurs importants dans le champ des sciences de l’organisation participent au « mani-
feste » de la POS de 2003, notamment Karl Weick et Martha Feldman (cf. www.bus.umich.edu/Positive/
POS-Research/).
452 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Quinn, R.E. (1983), « Organizational Life Cycle and Shifting Criteria of


Effectiveness : Some Preliminary Evidence », Management Science, vol. 29,
n° 1, p. 33-51.
Quinn, R.E. (1984), « Applying the Competing Values Approach to Leadership :
Toward an integrative Model », in Hunt. J.G., Stewart. R., Schriesheim. C.,
Hosking. D. (Eds.), Managers and Leaders : An International Perspective,
Pergamon.
Quinn, R.E. (1988), Beyond Rational Management : Mastering the Paradoxes ans
Competing Demands of High Performance, Jossey-Bass.
Quinn, R.E. (1996), Deep Change. Discovering the Leader Within, Jossey Bass.
Quinn, R.E., Rohrbaugh, J. (1981), « A Competing Values Approach to
Organizational Effectiveness », Public Productivity Review, vol. 5, p. 122-140.
Quinn, R.E., Rohrbaugh, J. (1983), « A Spatial Model of Effectiveness Criteria :
Towards a Competing Value Approach to Organizational Analysis »,
Management Science, vol. 29, n° 3, p. 363-377.
Weick, K. E., Quinn, R.E. (1999), « Organizational Change and Development »,
Annual Review of Psychology, vol. 50, p. 361-386.
www.bus.umich.edu/Positive/POS-Research/
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Autres références bibliographiques
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XXIX. EDGAR H. SCHEIN – LA CULTURE ORGANISATIONNELLE

Isabelle Vandangeon-Derumez
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 453 à 471


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-453.htm
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organisationnelle
Edgar H. Schein

Isabelle Vandangeon-Derumez
XXIX
La culture
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454 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Si aujourd’hui Edgar Schein se distingue par ses travaux sur la culture


organisationnelle, il a également largement contribué à la compréhension
des comportements humains, dans les groupes et les organisations. Dès
son premier ouvrage, il souligne l’évolution nécessaire de la pensée psycho-
logique vers une nouvelle approche de l’organisation. Il estime que « l’or-
ganisation est une structure sociale complexe qu’il faut étudier en tant que
système global pour bien comprendre le comportement individuel de ses
membres. » (Schein, 1971 : 3). La psychologie industrielle axée sur les
individus va orienter sa réflexion vers les systèmes. À partir de là, Edgar
Schein met tout d’abord en évidence un modèle de développement des
carrières professionnelles au sein des organisations. Ensuite, en élargissant
sa problématique à l’organisation comme structure sociale, il se penche sur
le concept de culture organisationnelle. Il s’intéresse alors à l’impact de
cette culture sur le développement des groupes et des organisations.
À travers ses nombreuses missions de recherche et de conseil, visant à
analyser et comprendre la culture organisationnelle, Edgar Schein se forge
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progressivement une idée sur la façon dont le chercheur doit intervenir
dans une entreprise. Il élabore un processus d’intervention, qu’il formalise
par une démarche de recherche « clinique ». Il acquière ainsi la reconnais-
sance des consultants et des chercheurs internationaux (nommé consul-
tant de l’année en 1988 par le Division Consulting de « the American
Psychological Association and the American Society for Training and
Development »).
Après avoir rapidement présenté l’auteur (cf. encadré N°1), ce chapitre
s’attache à retracer l’évolution des travaux d’Edgar Schein en prenant
comme point de départ l’analyse de l’évolution de la pensée psychologique
(et la notion d’ancrage professionnel). Suivent ses travaux sur la culture
organisationnelle et la recherche « clinique ».

Notice biographique
Edgar Schein, est né le 5 mars 1928 à Zurich en Suisse. Il arrive à l’age de dix ans aux
États Unis. Psychologue de formation (Ph.D. en psychologie sociale à l’Université
d’Harvard en 1952), il enseigne aujourd’hui comme professeur émérite en manage-
ment à la Sloan School of Management du Massachusetts Institue of Technology
(MIT).
Durant son Ph.D. à Harvard, Edgar Schein est marqué par de nombreux courants
théoriques tels que la psychologie sociale, la psychologie clinique, la sociologie et
l’anthropologie – influences que l’on retrouve tout au long de son œuvre. À la suite de
son Ph.D., il intègre l’armée américaine, et prend en charge l’échange des prisonniers
de
Edgar H. Schein 455

guerre coréens. Cette expérience lui fournit des observations empiriques sur les phé-
nomènes culturels, qu’il reprendra par la suite dans son analyse de la culture organisa-
tionnelle.
Au Tavistock Institute, Edgar Schein trouve une source d’inspiration pour sa théorie de
l’intervention et de son analyse culturelle des organisations – avec les travaux des psy-
chologues organisationnels sur le concept de système socio-technique1.

1. UNE NOUVELLE APPROCHE DE LA PSYCHOLOGIE


POUR MIEUX COMPRENDRE LES RELATIONS ENTRE
INDIVIDUS ET ORGANISATION
S’il est vrai que la contribution majeure d’Edgar Schein concerne la
culture organisationnelle et la recherche clinique, il est difficile d’évoquer
ses travaux sans revenir aux fondements de sa réflexion sur les organisa-
tions. C’est par un intérêt certain porté sur les problèmes humains posés
dans et par les organisations, qu’Edgar Schein commence ses recherches en
psychologie. Insatisfait des résultats des recherches en psychologie indus-
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trielle, mettant trop en avant les individus par rapport à l’organisation,
Edgar Schein met en évidence l’apport de la « psychologie des organisa-
tions » (Schein, 1971) : en élargissant les problèmes psychologiques des
individus à la notion de motivation, les psychologues des organisations
s’interrogent sur les relations entre l’organisation et le comportement
humain (notamment par l’intermédiaire des systèmes de récompenses et
de punitions). En creusant cette notion de motivation, ils font progressi-
vement ressortir l’importance des relations entre collègues pour expliquer
les comportements des individus. Dès lors, l’organisation, en tant que
système global, entre dans leur champ d’analyse. Cette découverte marque,
selon Edgar Schein, la naissance de la psychologie des organisations. Cette
nouvelle discipline se distingue de la psychologie industrielle selon deux
points essentiels. Tout d’abord, les questions traditionnelles de recrute-
ment, sélection, formation, division du travail, sont traitées en étroite
relation avec le système social de l’organisation. Ensuite, de nouvelles
questions émergent sur le comportement des groupes, des sous-ensembles
organisationnels, voire de l’organisation dans sa globalité.
Sous ce nouvel angle – et influencé par les travaux de Douglas
McGregor – il reprend l’analyse des problèmes humains au sein des orga-
nisations. Il classe ces problèmes en quatre catégories2 : ceux liés au recru-
1. Cf. Chapitre sur Emery et Trist, par Jérôme Ibert.
2. Pour plus de renseignements sur les quatre catégories de problèmes, le lecteur peut se référer à son
ouvrage Psychologie et organisation (Schein, 1971), pour la version française ou Organizational Psychology
(Schein, 1965) pour la version anglaise.
456 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

tement (la sélection, la formation des personnes, ainsi que leur affectation
dans l’organisation) ; ceux liés à l’utilisation des ressources humaines
(l’autorité, l’influence et le contrat psychologique3 liant l’individu à l’orga-
nisation) ; ceux liés à l’intégration des membres de l’organisation ; et enfin
ceux liés à l’efficacité de l’organisation.
Concernant la première catégorie de problèmes, Edgar Schein montre
que l’approche traditionnelle de la psychologie industrielle conduit les
auteurs à une spécialisation excessive en matière de sélection, de définition
de poste et de formation. Or, si selon Edgar Schein cette spécialisation
fonctionne correctement dans un grand nombre d’organisations, elle
devient inopérante lorsque les missions des postes tendent à se complexi-
fier (notamment pour les fonctions de direction) et que l’environnement
évolue. Cette inefficacité résulte d’une vision mécaniste de l’organisation
ne prenant pas en compte les interrelations entre les différents éléments et
niveaux du système organisationnel.
Pour la seconde catégorie de problèmes, Edgar Schein montre que la
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nature du contrat psychologique passé entre l’individu et l’organisation,
ainsi que le lien d’autorité supérieur – subordonné, ont subi certaines
modifications au fil du temps. Il souligne deux évolutions principales :
• auparavant, la nature de l’échange au sein du contrat psychologique
s’évaluait principalement en termes économiques (salaires, condi-
tions de travail, horaires, sécurité de l’emploi). Or, la perception de
l’organisation comme système social, conduit à prendre en compte
des éléments psychologiques dans cette relation : la façon dont
l’individu est considéré à son poste, dont il est encouragé par ses
supérieurs pour développer ses responsabilités, son savoir-faire, ses
besoins sociaux, etc. ;
• alors que les approches en psychologie industrielle mettaient en
évidence qu’un individu travaillant bien était motivé et faisait
preuve d’ambition – alors qu’un individu qui ne travaillait pas cor-
rectement n’était pas motivé et manquait d’ambition –, Edgar
Schein, estime plutôt que le « bon travailleur » est quelqu’un dont
le manager sait mobiliser l’ardeur – alors que le « mauvais travail-
leur » est quelqu’un à qui l’on donne des tâches sans intérêt (Schein,
1971 : 68)4.
3. Par contrat psychologique il faut entendre l’existence d’une concordance entre ce que pense pouvoir
attendre l’individu de l’organisation dans laquelle il travaille et en contrepartie ce qu’il pense lui devoir,
avec ce que compte donner l’organisation à l’individu, en échange de ce qu’elle pense recevoir de cet
individu.
4. Nous retrouvons ici l’idée développée par McGregor dans sa « théorie Y », qui a très largement inspiré
les travaux d’Edgar Schein.
Edgar H. Schein 457

Ces nouvelles approches du « contrat psychologique » et de la relation


supérieur-subordonné traduisent un rapport de réciprocité entre l’indivi-
du et l’organisation où les motivations individuelles et les pratiques orga-
nisationnelles interagissent de façon complexe. La responsabilité du
« contrat psychologique » incombe alors aux managers, qui doivent
prendre conscience de l’intérêt à accorder davantage responsabilités à leurs
subordonnés.
Pour Edgar Schein, le troisième ensemble de problèmes, liés à l’intégra-
tion des membres de l’organisation, est fortement ancré dans les relations
intra-groupes et intergroupes. Or, si la division du travail est à la base de
la subdivision de l’organisation en groupes, la psychologie industrielle
adopte une approche trop formelle de ces groupes : la mission d’ensemble
de l’organisation est fractionnée en missions partielles, attribuées à diverses
sous unités, et ainsi de suite en suivant la ligne hiérarchique. Selon Edgard
Schein, cette approche traditionnelle ne traite pas deux aspects importants
de la psychologie des groupes : le groupe doit pouvoir satisfaire les besoins
de ses membres et ceux de l’organisation, il doit également pouvoir gérer
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l’existence de conflits, de compétition entre les groupes. Dès lors, l’inté-
gration des individus ne peut s’effectuer qu’en assurant l’équilibre entre
besoins individuels et organisationnels et en limitant la compétition entre
groupes.
Le dernier ensemble de problèmes concerne la définition même de ce
qui est efficace et ce qui ne l’est pas. Alors que les approches classiques
mettent l’accent sur le haut rendement ou la bonne mentalité du person-
nel comme critère d’efficacité organisationnel, Edgar Schein estime, quant
à lui, que pour être efficaces les organisations doivent apprendre à gérer les
interrelations complexes les liant aux individus qui les composent. Ainsi,
ce n’est qu’en apportant des solutions adaptées aux trois catégories de pro-
blèmes précités que l’on peut prétendre rendre une organisation efficace.
Cette réflexion sur les évolutions nécessaires de la pensée psycholo-
gique, fixe les bases du raisonnement futur d’Edgar Schein, notamment en
ce qui concerne l’ancrage professionnel des individus au sein de l’organi-
sation. Il suppose alors que chaque individu fait preuve d’un ancrage
professionnel dominant correspondant à des traits de caractère (comme les
talents ou les compétences) ou des valeurs (comme les croyances, les buts
de la vie, etc) guidant ses choix au cours de sa carrière. Afin de vérifier
cette hypothèse, Edgar Schein (1978) conduit une étude sur 44 étudiants
en seconde année du programme de Master au MIT. Interrogés, une pre-
mière fois, entre 1961 et 1963 pour déterminer les valeurs et attitudes les
ayant conduit à suivre cette voie, les étudiants sont à nouveau contacté
10 ans après (en 1973), afin de faire le point sur leur carrière. De cette
458 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

étude, Edgar Schein conclut que chaque individu possède un schéma


dominant en matière de choix professionnel et identifie cinq catégories
d’ancrage professionnel (Schein, 1978), qu’il complète par la suite par
trois nouvelles catégories (Schein, 1996a, 2006) :
• « Technique/fonctionnel » : cette catégorie comprend des individus
qui exercent dans un domaine de compétence spécifique et sont
experts dans ce domaine. Ces individus ne souhaitent pas être orien-
tés vers des domaines plus généraux tels que le management. Ainsi,
plutôt que de promouvoir ou d’octroyer des récompenses monétaires
à ces individus, Edgar Schein pense qu’il est préférable de leur don-
ner des challenges à relever.
• « Compétence managériale générale » : cette catégorie regroupe des
individus disposant d’un certain esprit d’analyse (nécessaire à la réso-
lution de problèmes). Ils sont capables de diriger les hommes et de
résister à la pression de l’opérationnel. Ces personnes, douées de
qualités analytiques, relationnelles et émotionnelles, ont besoin
d’une organisation qui leur offre les possibilités d’exercer leurs com-
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pétences managériales.
• « Créativité entrepreneuriale » : cette catégorie réunit des individus
qui ont besoin de créer, de construire des choses, pour ne pas s’en-
nuyer. Ils recherchent le pouvoir et la liberté d’évoluer vers des rôles
qu’ils considèrent comme clés, leur permettant de continuer à créer
(comme des postes de responsable R&D ou de membre du comité
de direction). Ils sont fiers de donner leur nom à leurs créations
(comme l’entrepreneur qui donne son nom à son entreprise), d’ex-
poser leur fortune personnelle qui traduit l’accomplissement de leur
travail. Pour les entrepreneurs, ils préfèreront vendre leur entreprise
et en créer une nouvelle plutôt que de s’installer dans la routine.
• « Autonomie/indépendance » : cette catégorie comprend les indivi-
dus ayant besoin de réaliser des choses par eux-mêmes, de pouvoir
relier les résultats de leur travail à leurs efforts personnels. Ils n’ac-
ceptent pas d’être encadrés par des règles, des procédures élaborées
par d’autres personnes. Ces individus vont rechercher les organisa-
tions leur offrant l’opportunité de travailler librement, selon leurs
propres méthodes de travail. Ils sont très sensibles aux promotions
individuelles – reflétant le travail et les performances passées – ainsi
qu’aux récompenses (médailles, prix, etc.).
• « Stabilité/sécurité » : cette catégorie réunit des personnes recher-
chant une longue carrière stable et sans embûche dans l’organisation,
la sécurité de l’emploi et un plan d’évolution de leur rémunération.
Ils préfèrent un travail stable et prévisible, et se sentent plus concer-
Edgar H. Schein 459

nés par le contexte de leur travail que par la nature même de ce tra-
vail. Ils attendent une reconnainsse de leur loyauté et de leur niveau
de performance stable.
• « Sens du service/Dévouement à une cause » : cette nouvelle catégo-
rie regroupe des personnes qui dédient leur carrière à défendre une
cause, en se reposant sur leur désir de faire évoluer le monde dans
une certaine direction. Ces personnes suivent souvent des carrières
médicales, sociales ou encore d’enseignement. Elles cherchent des
organisations dont elles peuvent influencer l’évolution selon les
valeurs qu’elles défendent. Pour cette raison la loyauté envers l’orga-
nisation n’est pas une priorité. Elles ont besoin d’être reconnues aussi
bien par leur supérieur que par leur milieu professionnel.
• « Challenge pur » : cette nouvelle catégorie comprend des individus
pensant qu’il est possible de tout conquérir, et tout le monde. Pour
ceux-ci le succès réside dans leur capacité à surmonter les obstacles.
Pour certains, ils n’ont pas d’ancrage technique ou fonctionnel,
puisque seul les domaines où apparaissent les problèmes les inté-
ressent. Pour d’autres, leur implication se mesure à travers le chal-
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lenge et la compétition tel le guerrier à la recherche de victoire. Le
besoin de reconnaissance des individus de ce groupe varie en fonc-
tion du type de travail qu’ils réalisent (qu’ils soient athlète profes-
sionnel, vendeur, scientifique, ingénieur, etc.).
• « Style de vie » : cette dernière catégorie réunit les personnes qui
déclarent que leur carrière est moins importante que leur style de vie
et doit donc exactement s’insérer dans ce dernier. De telles personnes
souhaitent parfaitement manager leur vie en général et pas unique-
ment leur travail. Ils peuvent embrasser n’importe quelle carrière
professionnelle, accepter les règles de l’organisation, à partir du
moment où celles-ci ne nuisent pas à leur vie en dehors du travail
(vie personnelle et familiale).
À partir de ces résultats, Edgar Schein fait des propositions pour les
organisations qui souhaitent mettre en place un système d’évolution du
personnel performant5. Il estime que ces organisations doivent s’orienter
vers des schémas de carrière, des systèmes de motivation et de récompenses,
suffisamment flexibles pour satisfaire les individus de chaque catégorie.
Elles doivent également stimuler la perspicacité et la capacité des individus
à se prendre en charge par eux-mêmes (auto-management). Enfin, elles
doivent clarifier ce qu’elles attendent des individus qu’elles recrutent.
5. Edgar Schein développe par la suite un modèle de planification et de développement des ressources
humaines dans les organisations (HRPD : Human Resource Planning and Development) exposé dans son
article publié dans la revue Sloan Management Review, Fall 1977, Vol 19, N°1 et reprise dans l’ouvrage
collectif The Art of mamanging Human Resources, 1987b).
460 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

2. LA CULTURE ORGANISATIONNELLE : UNE MANIÈRE


DE FAIRE FACE AUX PROBLÈMES D’ADAPTATION
EXTERNE ET D’INTÉGRATION INTERNE
La remise en cause des travaux des psychologues industriels trop centrés
sur l’individu et pas suffisamment sur l’organisation, conduit Edgar
Schein à proposer une approche intégrée trouvant ses fondements au sein
de la psychologie sociale, de la sociologie et de l’anthropologie. Celle-ci
l’amène à introduire le concept de « culture » comme dimension centrale
de l’analyse des organisations. Partant des limites de la psychologie indivi-
duelle pour expliquer le comportement des prisonniers de guerre (dans le
conflit coréen) – qui se rallient aux idées de leur ennemi – Edgar Schein
montre que l’attitude de ces prisonniers ne peut être comprise qu’à travers
le contexte de détention créé par les ravisseurs. Enrichissant les résultats de
cette première étude, à partir de ses nombreuses missions de conseil et de
formation dans des organisations européennes et mexicaines, Edgar
Schein tente d’expliquer pourquoi et comment ces organisations pos-
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sèdent une culture (Schein, 1991).
Edgar Schein définit la culture organisationnelle comme : « un
ensemble de postulats de base – inventés, découverts ou développés par un
groupe cherchant à faire face à des problèmes d’adaptation externe ou
d’intégration interne6 – qui ont largement été vérifiés pour être considérés
comme valides et ainsi perçus comme des façons correctes de penser ou de
se comporter face à de tels problèmes »7 (Schein, 1991 : 9) (cf. Encadré 1).

6. Edgar Schein reconnaît ici l’influence de Parsons (Schein, 1991 : 50).


7. « a pattern of basic assumptions – invented, discovered, or developed by a given group as it learns to cope
with its problems of external adaptation and internal integration – that has worked well enough to be
considered valid and, therefore, to be taught to new members as the correct way to perceive, think, and feel in
relation to those problems ».
Edgar H. Schein 461

Encadré 1. Les trois niveaux de la culture organisationnelle


Pour Edgar Schein, la culture organisationnelle se compose de trois niveaux en interac-
tion :
• Niveau 1 : les artefacts et créations. Niveau le plus « visible » de la culture, les arté-
facts construisent l’environnement physique et social de l’organisation. Ils tra-
duisent en faits et gestes, perceptibles par un étranger, les valeurs quotidiennes qui
guident le comportement des individus. C’est en regardant l’espace physique, les
outputs technologiques de l’activité d’une organisation, ou encore les productions
écrites, orales, artistiques et autres des ses membres, que l’on est en mesure
d’identifier les artefacts. Hatch (2000) identifie trois catégories d’artefacts : les
manifestations physiques (logo, design, construction, vêtements, apparences, etc.),
les manifestations comportementales (cérémonies, rituels, traditions, coutumes,
etc.) et les manifestations verbales (anecdotes, jargon, noms, mythes, etc.).
Toutefois, ce n’est pas parce qu’ils sont visibles que les artefacts sont facilement
déchiffrables.
• Niveau 2 : les valeurs. Elles se situent à un niveau de conscience supérieur aux
postulats (Niveau 3) et représentent ce à quoi les membres d’une organisation
accordent de l’importance (Hatch, 2000). Elles constituent la base du jugement
permettant aux individus d’une même organisation de déterminer ce qui est juste
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et ce qui ne l’est pas. Si, face à un problème, la solution envisagée et mise en œuvre
par un groupe, fonctionne et que ledit groupe perçoit la réussite de cette solution,
alors la solution devient une croyance (valeur partagée). Ainsi, les valeurs qui com-
posent la culture ne peuvent-elles exister que par un consensus social. Dans le cas
contraire elles resteront des valeurs propre à l’individu et non à l’organisation.
• Niveau 3 : les « postulats » de base ou hypothèses fondamentales. Ils constituent le
cœur de la culture organisationnelle. Ils agissent tel un filtre influençant la façon
dont les individus d’une même organisation perçoivent, pensent et ressentent les
évènements. Ces postulats sont inconscients, et font référence à la nature de la
réalité, à la nature de l’homme, à ses activités et ses relations8. Ils traduisent les
attitudes adoptées à l’intérieur de l’organisation ainsi que le comportement de celle-
ci vis-à-vis de l’extérieur. Les postulats ne peuvent être remis en causes, ils sont
acquis pour tous (comme le fait que l’école permet d’éduquer), à la différence des
valeurs (Schein, 1987c).

Edgar Schein estime que le concept de culture organisationnelle ne


peut être abordé sans faire référence à la fonction de leadership au sein des
organisations. En effet, les cultures organisationnelles prennent leurs
sources dans (Schein, 2004 ; 225) :
• les croyances, valeurs et hypothèses des fondateurs des organisa-
tions ;

8. Pour plus de renseignements sur les différentes catégories qui permettent d’étudier les postulats de base
le lecteur peut se référer à l’article paru dans The Art of Managing Human Resources, (Schein, 1987c :
265), ou au chapitre 4 de son ouvrage Organizational Culture and Leadership (Schein, 91 : 85-111).
462 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

• les expériences et apprentissages que les membres du groupe peuvent


réaliser au cours de l’évolution de leur organisation ;
• les nouvelles croyances, valeurs, et hypothèses apportées par les nou-
veaux membres et les nouveaux dirigeants.
Une des missions du leader sera donc de créer, manager et – lorsque
cela devient nécessaire – de détruire et transformer la culture de l’organi-
sation (Schein, 1985). Lorsque l’organisation naît, la façon dont le petit
groupe composant l’organisation affronte son environnement interne et
externe fait naître les premiers éléments de culture. Au départ, ce sont les
solutions du fondateur, ses propres postulats, qui aident à structurer les
relations entre les membres du groupe. Si ces solutions prouvent leur effi-
cacité et sont retenues par les autres membres du groupe, elles forment
alors les premiers éléments de la culture. Dans le cas contraire, le groupe
peut désigner un nouveau leader ou se dissoudre (Schein, 2004). Si l’envi-
ronnement évolue – et que les hypothèses ne permettent plus de résoudre
les problèmes – il devient nécessaire de changer de culture, changement
qui sera particulièrement difficile si le fondateur contrôle toujours l’orga-
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nisation. En effet, à de multiples occasions, ce fondateur aura ancrer les
hypothèses fondamentales dans les routines de l’organisation, en utilisant
des mécanismes d’influence conscients et inconscients dont les plus puis-
sants sont (Schein, 2004 ; 246) :
• l’attention portée par à certains événements par rapport à d’autres ;
• la façon dont il importe de réagir face aux incidents critiques et aux
crises organisationnelles ;
• l’allocation des ressources à l’intérieur de l’organisation ;
• la conception qu’il (le fondateur) a de son rôle, et de la façon d’en-
seigner et de coacher ses collaborateurs ;
• la façon dont il récompense ou sanctionne ;
• le recrutement des futurs salariés (les critères de sélection et de pro-
motion).
Ces mécanismes d’influence sont très puissants les toutes premières
années de la vie des organisations, d’autant plus puissants que le fondateur
en a conscience et que son propre comportement est cohérent avec ces
mécanismes.
Un second ensemble regroupe des mécanismes moins puissants et plus
ambigus, susceptibles de renforcer le premier :
• la structure organisationnelle ;
• les routines et procédures ;
• les rites et rituels de l’organisation ;
• le design physique de l’espace organisationnel ;
Edgar H. Schein 463

• les histoires sur des personnes ou des actions importantes ;


• les déclarations formelles portant sur la philosophie, les valeurs de
l’entreprise (comme les chartes).
Les mécanismes de ce second ensemble sont plus difficiles à contrôler.
Toutefois si le leader parvient à les maîtriser, alors ils viendront renforcer
le premier ensemble et à terme, lorsque l’organisation devient plus mature,
ils pourront prendre le pas sur le premier.
Lorsque l’histoire de l’organisation se détache progressivement de celle
du fondateur – remplacé par un nouveau leader et une équipe de direction
– le rôle du leadership (CEO et Board) devient plus diffus. Alors que
l’organisation croît et se différencie, le leadership devient garant d’une
certaine diversité culturelle9 et doit faire en sorte de coordonner et d’inté-
grer cette diversité en encourageant, par exemple, la recherche de buts
communs, l’élaboration d’un langage commun, ou encore de procédures
communes pour résoudre les problèmes. Il est important que cette inté-
gration se réalise dans le respect mutuel et le dialogue (Schein, 2004). Si
la diversité culturelle peut être utilisée par le leader pour faire évoluer la
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culture de l’organisation, elle peut ne pas suffire. Le leadership est alors
amené à intervenir de façon plus directe en se basant sur un processus de
changement visant à désapprendre autant qu’à apprendre10. Ce processus
repose sur l’idée que la culture peut être « évaluée » par l’intermédiaire
d’entretiens (individuels ou collectifs) réalisés auprès des membres de
l’organisation. Toutefois, cette évaluation n’a de sens que si le leader sou-
haite améliorer les performances de l’organisation, ce qui n’est pas évident
lorsque le leader reste trop attaché aux valeurs du fondateur. Dans ce cas,
une crise mettant en cause la survie de l’organsation peut amener le leader
à engager un processus de changement de culture.
L’approche de la culture organisationnelle proposée par Edgar Schein
soulève quelques interrogations de la part d’autres auteurs. Par exemple,
Amblard et al. questionnent l’ancrage fonctionnaliste11 de la définition
(Amblard et al., 1996). Pour ces auteurs, Edgar Schein définit la culture
9. Selon Edgar Schein (2004), les sous-groupes, qui partagent suffisamment d’expériences, sont en
mesure de créer des sous-cultures avec leur propre langage, code vestimentaire, etc. Les processus de
dédifférenciation culturelle sont liés à la fonction occupée, la dispersion géographique, aux produits, aux
marchés, à la divisionnalisation et à la différenciation hiérarchique (Schein, 204 ; 274). Ils peuvent
également être le résultat de l’arrivée de nouvelles personnes avec de nouvelles croyances.
10. Edgard Schein propose d’inscrire ce processus dans une démarche de recherche-action (présentée en
partie 3 de ce chapitre).
11. L’approche « fonctionnaliste » présente la culture organisationnelle comme un ensemble de modes
d’action et de penser, construit dans une situation de travail. Elle se distingue d’une approche dite
« culturaliste », qui présente la culture comme un « système de valeurs d’une société constituant un
ensemble original et cohérent caractérisé par certaines valeurs dominantes formant un ensemble. Ces
valeurs influencent la personnalité des individus, donnent un style de vie et un modèle de comportement
à l’intérieur d’un pays. » (Amblard et al., 1996 : 53).
464 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

comme des modes d’action utilisés en situation de résolution de pro-


blèmes. Il écarte donc, dans un premier temps, l’idée de valeurs indépen-
dantes de situation de travail – qui influencent la personnalité des indivi-
dus, donnent un style de vie et un modèle de comportement (comme les
valeurs d’un pays). Il s’éloigne également de l’approche culturaliste d’Iri-
barne pour qui « les cultures nationales (…), pèsent de tout leur poids,
même là où les grands efforts sont faits pour créer, au-delà des frontières,
une culture d’entreprise originale » (Iribarne, 1989 : 265). Mais progres-
sivement, et à partir de ses nombreuses observations de phénomène orga-
nisationnel, Edgar Schein reconnaît s’être trompé en pensant que l’histoire
unique de l’organisation pouvait annuler les postulats culturels premiers
des employés (Schein, 1996b). Sans totalement rallier les idées cultura-
listes, il reconnaît que ses dernières analyses des causes de succès et d’échec
de changements culturels, lui permettent de prendre conscience que la
culture émerge également dans une communauté de métiers profession-
nels. Pour cette raison, la culture n’est pas uniquement le résultat des
histoires de l’organisation, mais elle est également le reflet du passé profes-
sionnel12 des différents individus qui la composent. Edgar Schein définit
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ainsi trois communautés professionnelles agissant au sein des organisa-
tions : les opérateurs, les ingénieurs et les dirigeants (cf. Encadré 2).

Encadré 2. Les trois communautés culturelles présentes


au sein des organisations (Schein, 1996)
Au cours de ses interventions Edgar Schein (1996b) constate la présence de trois com-
munautés professionnelles en interaction au sein des organisations :
• les « opérateurs » : communauté composée des managers intermédiaires et des
exécutants (ceux qui réalisent et délivrent le produit ou le service). Les individus de
ce groupe sont souvent la cible des programmes de changement et des efforts enga-
gés pour développer l’apprentissage. Ils sont directement confrontés aux problèmes
d’adaptation externe et d’intégration interne. Lorsque que les top-managers leur
laissent la possibilité d’explorer de nouvelles solutions, ils développent leur capacité
d’apprentissage ;
• les « ingénieurs » : communauté composée de technocrates et de fonctionnels. Les
individus de ce groupe ont tendance à préférer les systèmes, les routines et les
machines, plus fiables que les hommes. Ce sous-groupe est en tension avec la com-
munauté des opérationnels. La résolution des conflits entre ces deux groupes ne
peut être réalisée que par un troisième groupe culturel : les top-managers ;
• les « top-managers » : communauté composée des directeurs généraux. Ils partagent
ensemble des valeurs et postulats reposant sur la réalité de leur statut et de leur rôle
(sont donc exclus de ce groupe, les fondateurs, les entrepreneurs, ou les membres
de la famille possédant l’organisation). L’essence de leur statut, comme de leur rôle,
est d’assurer les résultats financiers de l’organisation et le versement de dividendes,
les plus élevés possibles, aux actionnaires.

12. Formation, et expériences professionnelles dans d’autres organisations.


Edgar H. Schein 465

En lien direct avec ses travaux sur la culture organisationnelle, Edgar


Schein s’intéresse également à l’apprentissage, identifiant deux dimensions
extrêmes : un apprentissage actionné par l’individu – faisant référence à la
créativité et l’innovation – et un apprentissage actionné par l’organisation
– accomplit par un processus d’enseignement visant à apprendre les com-
pétences, attitudes et valeurs validées par les centres de pouvoir de l’orga-
nisation. Si le premier apprentissage traduit la liberté d’explorer l’environ-
nement pour se forger sa propre opinion, le second traduit un phénomène
de « persuasion coercitive ». Edgar Schein conceptualise le phénomène de
« persuasion coercitive » à la suite de ses recherches sur les prisonniers de
guerre. Il montre qu’il existe des similitudes entre ce que font des ravis-
seurs à leurs prisonniers et ce que nous réalisons tous les jours au sein des
familles, des écoles, des organisations publiques ou privées : « l’éduca-
tion », « le développement » et « la socialisation ». Si les objectifs recher-
chés sont différents, les méthodes utilisées restent similaires. Ce qui était
alors perçu par les américains comme une torture psychologique n’était en
fait, pour les ravisseurs, qu’une façon « normale » d’enseigner les valeurs
qu’ils défendent (Schein, 1996 : 233).
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Une autre interrogation soulevée par l’approche de la culture organisa-
tionnelle proposée par Edgar Schein concerne l’idée d’un phénomène en
évolution. En effet, pour Edgar Schein la culture résulte d’un processus
d’apprentissage en situation de résolution de problème. Or, comme le
souligne Argyris (Argyris, 1995), les individus développent et renforcent
des routines défensives lorsqu’ils doivent faire face à de multiples pro-
blèmes. Ces routines font obstacle à l’apprentissage aussi bien au niveau
des individus que de l’organisation. À ce niveau, Edgar Schein reconnaît
que les postulats de base évoluent selon deux ensembles de situations
d’apprentissage (Schein, 1987c) : des situations concrètes de résolution de
problème (où les individus testent l’effet positif ou négatif d’une solution
à un problème donné et conserve cette solution tant qu’elle produit des
effets positifs) ; et des situations de résolution de problème où la solution
retenue permet avant tout de réduire ou de surmonter l’anxiété liée à la
situation elle-même. Dans le premier cas la solution peut être abandonnée
si elle ne produit pas d’effets positifs. Dans le second cas, dans la mesure
où la solution permet de réduire l’anxiété, elle sera répétée indéfiniment
même si la cause originale de l’anxiété n’agit plus. Ainsi, pour Edgar
Schein, il est évident que les postulats issus de la seconde situation d’ap-
prentissage sont plus stables que ceux issus de la première, et donc plus
difficile à faire évoluer.
Pour surmonter ces obstacles à l’apprentissage Edgar Schein développe
une démarche d’intervention facilitant la prise de conscience, par les
466 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

membres de l’organisation, des valeurs ou postulats à l’origine des dys-


fonctionnements. À partir de ce diagnostic, les membres de l’organisation
apprennent progressivement à inventer ou à développer de nouvelles solu-
tions aux problèmes auxquels ils sont confrontés. Cependant, Edgar
Schein reconnaît que ce processus d’apprentissage n’est pas simple à
mettre en œuvre : il existe chez tout individu une anxiété liée à toute
situation d’apprentissage (comme la manipulation d’un nouvel outil de
gestion)13. Il est donc important de créer, pour la personne en apprentis-
sage, un sentiment de sécurité afin qu’elle soit en mesure de surmonter son
anxiété. Dès lors, Edgar Schein estime que le chercheur doit pouvoir éta-
blir une relation de confiance avec les membres de l’organisation dans
laquelle il intervient. Mais le simple fait de réduire l’anxiété des individus
n’est pas toujours suffisant pour faire évoluer la culture organisationnelle.
En effet, Edgar Schein constate lors de ses interventions que, même si les
personnes sont en mesure de développer de nouvelles méthodes de travail,
il est difficile de les diffuser dans les autres départements ou divisions de
l’organisation. Edgar Schein explique en partie ce blocage par l’existence
des trois sous communautés professionnelles culturelles présentes au sein
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de l’organisation (Schein, 1996b) (cf. Encadré 2).
Ces trois communautés sont en conflits d’intérêt au sein de l’organisa-
tion : les top-managers sont à la recherche de profit à court terme ; les
ingénieurs remplaceraient bien volontiers les hommes par des machines et
des routines ; et les opérateurs sont les cibles privilégiées des plans de
changement des top-managers. Ainsi, au sein des organisations, la com-
munauté des top-managers à tendance à se rapprocher de celle des ingé-
nieurs : ces deux communautés considèrent, en effet, que l’augmentation
des capacités d’apprentissage des individus (les opérateurs en l’occurrence)
nécessite beaucoup de temps et d’argent, pour un retour sur investisse-
ment parfois incertain. Compte tenu de ce rapprochement, il n’est donc
pas étonnant que les résultats des recherches sur l’importance des groupes
de travail, de la collaboration entre individus, de l’implication, etc. restent
sans échos. Il faudrait être en mesure d’intégrer les points de vue des trois
communautés professionnelles afin de développer l’apprentissage (Schein,
1996). Toutefois, Edgar Schein reconnaît qu’il existe, à l’heure actuelle,
peu d’organisations qui ont réussi cette évolution culturelle.
Pour conclure il est à noter qu’Edgar Schein – dans sa dernière version
de Organizational Culture and Leadership – s’est penché sur le problème
de la « culture de l’apprentissage » (Schein, 2004 ; 394). En effet, il pense
que dans un contexte mondial turbulent et imprévisible, la flexibilité et

13. Dans la mesure où celui-ci se sent temporairement incompétent (Quick et Kets de Vries, 2000).
Edgar H. Schein 467

l’apprentissage sont les clés de la survie des organisations. Cette culture de


l’apprentissage s’appuie sur14 :
• la pro activité vis-à-vis des problèmes et de l’apprentissage ;
• l’engagement d’apprendre à apprendre ;
• une vision positive de la nature humaine ;
• l’idée qu’un certain degré de contrôle de l’environnement est néces-
saire et possible ;
• les solutions aux problèmes n’existent pas toujours, il faut aussi
adopter une recherche pragmatique de la réalité et de la vérité ;
• l’horizon temporel se trouve entre le futur proche et le futur loin-
tain ;
• la nécessité d’informer et de communiquer pour que personne ne
soit isolé dans l’organisation ;
• la diversité comme ressource pour l’organisation ;
• l’engagement dans une réflexion systémique ;
• l’analyse de la culture de l’organisation pour en permanence cher-
cher à l’améliorer.
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La mise en place d’une telle culture repose sur un leader en mesure de
développer ses propres capacités d’apprentissage, de porter les fondements
de la culture de l’apprentissage et de valoriser les personnes dont les com-
portements s’inscrivent dans ces fondements. Mais la culture de l’appren-
tissage ne peut être imposée aux acteurs de l’organisation. Ils doivent être
impliqués et participer au diagnostic culturel et à l’élaboration de la nou-
velle culture.

3. UNE DÉMARCHE « CLINIQUE » POUR MIEUX


ANALYSER LES ÉVOLUTIONS NÉCESSAIRES DE LA
CULTURE ORGANISATIONNELLE
Lors de ses nombreuses missions de recherche, Edgar Schein s’intéresse
à la façon dont le consultant / chercheur doit contribuer à faire évoluer la
culture d’entreprise. Il élabore progressivement une démarche, qu’il quali-
fie de recherche « clinique »15. Cette méthode lui permet, en collaboration
avec les managers de l’organisation, de diagnostiquer les problèmes orga-
14. Le lecteur qui souhaite plus de détails sur ces fondements peut se référer à la troisième édition de
Organizational Culture and Leadership, Jossey-Bass San Fransisco, pages 394 à 402.
15. Edgar Schein estime intervenir à l’image d’un médecin qui cherche avec l’aide de son patient, et sur
la base de symptômes, sa maladie pour y apporter un remède. Cette méthode de recherche s’apparente
moins à la psychologie sociale, qu’aux thérapies de groupes ou de la famille, ou encore aux méthodes
utilisées par le Tavistock Institut, dont il s’inspira très largement lors de ses interventions (Quick et Kets
de Vries, 2000).
468 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

nisationnels et d’élaborer des solutions (Schein, 1969). Elle repose sur


l’idée centrale que l’on ne peut comprendre une organisation, ou un phé-
nomène organisationnel sans les changer (Schein, 1987a). C’est donc par
le mécanisme de transformation que le chercheur et les membres de l’orga-
nisation accèdent à la connaissance et peuvent surmonter les sources de
l’inefficacité organisationnelle.
Cette définition de la recherche « clinique », place la démarche d’Edgar
Schein dans un processus de recherche-action « fondée sur l’interaction
entre l’observateur participant et les participants observés » (Kœnig,
1993 : 12). Cette interaction se traduit, pour d’Edgar Schein, par un
contrat psychologique16 passé entre le chercheur et les membres du groupe
étudié. Ainsi, le commanditaire (ou client) attend, en retour de sa contri-
bution financière, que le chercheur l’aide à résoudre son problème et à
améliorer le fonctionnement de son organisation. Le chercheur, quant à
lui, attend du client, au-delà du cachet financier, que celui-ci soit motivé
et s’implique directement dans la résolution des problèmes. Cette partici-
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pation favorise le transfert de compétences du chercheur vers le client17.
Dès lors, le chercheur s’engage auprès du client à lui transmettre ses
connaissances et compétences en matière d’analyse de la situation.
Ainsi, le contrat psychologique permet au chercheur de devenir
membre du système (de l’organisation étudiée) pour apprendre et mieux
comprendre ou analyser la nature du système (Schein, 1987a). Le cher-
cheur, en devenant « membre » de l’organisation, peut lui-même la faire
évoluer, ce qui constitue une différence majeure avec la démarche de l’eth-
nographie (cf. encadré 3).

Encadré 3. Une relation chercheur – objet de l’étude différente


de celle retenue par l’ethnographie
Selon Edgar Schein, il existe des différences fondamentales entre la recherche « clin-
ique » et l’ethnographie concernant la nature de la relation chercheur – objet de l’étude.
En effet, l’ethnographe choisit l’organisation qu’il souhaite étudier en fonction de
critères qu’il aura au préalable déterminé selon l’intérêt théorique de sa recherche. À
l’inverse le chercheur clinique ne peut pas intervenir dans une organisation, tant que
celle-ci n’a pas fait appel à ses services. Ainsi, alors que l’ethnographe doit obtenir la
coopération de son sujet d’étude, le client impliqué dans une recherche clinique doit
obtenir la coopération du chercheur ou du consultant.

16. Terme employé par l’auteur.


17. Edgar Schein estime, d’ailleurs, que l’expertise du chercheur ne se situe pas au niveau de son domaine
de recherche, mais plutôt de sa capacité à installer une relation de confiance avec les membres de
l’organisation étudiée (son expertise doit lui permettre de se fondre dans l’organisation).
Edgar H. Schein 469

Une fois le processus de recherche engagé, l’ethnographe collecte des données afin de
comprendre la culture à laquelle il s’intéresse – la plupart du temps pour des raisons
intellectuelles ou scientifiques. Les membres du groupe qu’il étudie sont amenés à
participer, sans pour autant intervenir ou s’intéresser à l’étude elle-même. À l’inverse,
dans l’approche « clinique », les membres de l’organisation sont des « clients » directe-
ment impliqués et motivés par l’intervention, dont l’initiative leur revient directement.

La nature même de la relation entre le chercheur et le phénomène étudié


a des répercussions sur la façon d’aborder le terrain. Le chercheur « cli-
nique », dans sa démarche de résolution de problème, a besoin d’une orien-
tation issue des théories (la psychologie, la sociologie, la théorie des groupes,
etc.). Ces théories – qui ne sont pas nécessairement explicites – lui donnent
la direction à suivre pour orienter ses recherches et sa collecte d’informa-
tions. Même si ces théories ne fournissent pas de cadre d’analyse formalisé,
le chercheur « clinique » doit commencer sa recherche avec un modèle
d’action pour faire réagir les membres de l’organisation à son intervention.
Ces réactions seront alors utilisées comme premier élément de diagnostic.
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Les interventions d’Edgar Schein commencent par des sessions de demi-
journées au cours desquelles il essaye de mettre en évidence les artefacts
culturels (codes vestimentaires, langages, etc.). Ensuite, Edgar Schein
cherche à identifier les valeurs partagées en demandant aux personnes
d’expliquer les raisons des artéfacts culturels. Enfin, en s’intéressant par
exemple aux inconsistances entre artéfacts et valeurs, il tente de capturer les
postulats sous-jacents. En rassemblant l’ensemble de ces données, le cher-
cheur et les membres de l’organisation examinent ensemble les postulats qui
peuvent les aider, ou au contraire les empêcher de faire progresser l’organi-
sation. Si Edgar Schein reconnaît que les réponses à ces interrogations
peuvent parfois être superficielles, il estime que le contrat psychologique
liant le chercheur à l’organisation doit permettre de se prémunir d’un tel
risque. Ainsi, le seul fait de rémunérer l’intervention du chercheur est un
argument pour obtenir des réponses ouvertes et profondes (Schein, 1987a).
La nature de la relation entre chercheur et objet de l’étude a également
des répercussions sur les résultats attendus de l’intervention du chercheur.
En effet, l’interaction entre le chercheur et l’objet repose sur l’idée forte que
pour comprendre un système complexe il est nécessaire de tenter de le faire
évoluer (Lewin, 1951 cité par Argyris, 1995). Le résultat attendu est alors
l’évolution du phénomène étudié, donc pour Edgar Schein, la culture orga-
nisationnelle. Cependant certains auteurs estiment que la démarche de
recherche « clinique » ne permet pas toujours d’obtenir un tel résultat, car
elle fait peu état des mécanismes de défenses mis en place par les individus
(Argyris, 1995). Or ces mécanismes visent à conserver les choses telles
470 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

qu’elles sont (Edmonson, 1996). En effet, Edgar Schein soutient qu’une


relation clinique doit s’établir progressivement au cours d’une longue
période où le chercheur est présent pour comprendre le fonctionnement de
l’organisation et gagner la confiance du client. Le chercheur peut intervenir
lorsque le client lui demande de faire des commentaires sur la situation,
mais sans révéler trop rapidement ses conclusions : ceci afin de ne pas perdre
sa crédibilité au cas où il se tromperait et ne pas provoquer des réactions de
défenses de la part du client. La cession, au cours de laquelle les croyances
contradictoires, freinant l’apprentissage et le changement de culture sont
présentées au client, ne sera engagée que plus tardivement. Cette position
est remise en cause par Chris Argyris (Argyris, 1995) qui estime, quant à lui,
que la confrontation avec les membres de l’organisation est nécessaire dès le
départ pour faire émerger les routines défensives qui empêche les individus
et l’organisation d’apprendre. Le chercheur est donc présent afin d’analyser
les symptômes des routines défensives et les communiquer aux individus
composant l’organisation. Ce n’est que lorsque chacun a pris conscience de
ces routines et des dysfonctionnements qu’elles engendrent, que l’organisa-
tion peut changer. Ainsi, à la différence d’Edgar Schein, Chris Argyris
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estime que le chercheur doit être direct, dès le départ, à propos de ses inten-
tions et provoquer le débat pour identifier la communication défensive des
managers.

Conclusion
Aujourd’hui l’apport réel des concepts de « contrat psychologique » et
« d’ancrage professionnel » est indéniable. Ils sont mobilisés à de nom-
breuses occasions, au sein d’études, ou de recherches portant sur la moti-
vation et la gestion des carrières. Ils sont d’une très grande utilité pour les
managers qui cherchent à mieux comprendre et à améliorer les relations
qu’ils entretiennent avec leurs collaborateurs. Ils ont fortement contribué
à l’avancée des travaux en psychologie (Kets de Vries, 2000) en défendant
une approche par l’organisation.
Il en est de même pour le concept de culture organisationnelle proposé
par Edgar Schein. En effet, Edgar Schein nous fournit des éléments d’ana-
lyse qui nous permettent de mieux comprendre la culture et ses répercus-
sions sur le fonctionnement des entreprises. L’image d’un leaders jouant
un rôle essentiel dans la gestion et l’évolution de la culture interne a été
très largement reprise et approfondie par des chercheurs travaillant sur les
phénomènes de prise de contrôle, de fusion et d’acquisition, etc. (ces der-
niers l’influence de la culture d’entreprise sur les risques d’échec ou de
succès de telles opérations).
Edgar H. Schein 471

Travaux cités de l’auteur


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XXX. ELLIOTT JAQUES – DE L’ORGANISATION COMME MOYEN DE LUTTE
CONTRE L’ANXIÉTÉ À LA REQUISITE ORGANIZATION

Véronique Perret
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 472 à 489


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-472.htm
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Quand la psychologie
investit le champ
du management
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XXX
Elliott Jaques
De l’organisation comme
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moyen de lutte contre l’anxiété
à la Requisite Organization
Véronique Perret
474 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Le 17 mars 2003, dans son article consacré à Elliott Jaques, le New York
Times titrait : « Elliott Jaques, 86 ans, le scientifique qui inventa “la crise de
la quarantaine”, est mort ». Décédé le 8 mars 2003 à Gloucester dans le
Massachussetts, Elliott Jaques a achevé sa carrière en tant que Professeur
visitant à l’Université George Washington. Les nécrologies qui lui ont été
consacrées évoquent ses activités de psychanalyste, de spécialiste des
sciences sociales et son rôle influent en tant que consultant en gestion. Son
long parcours professionnel le conduit en effet à exercer de nombreuses
activités parmi lesquelles celle de chercheur au sein de diverses institutions
comme le Tavistock Institut de Londres (1946-1951) dont il fut l’un des
membres fondateurs ; celle de consultant notamment au sein de la Glacier
Metal Company (à partir de 1948), une entreprise anglaise de mécanique,
avec laquelle il collaborera pendant plus de 30 ans1. Jaques exercera égale-
ment l’activité de médecin psychiatre au cours de la seconde guerre mon-
diale (1941-1945), en particulier dans l’armée canadienne, son pays d’ori-
gine où il naît en 1917 à Toronto. Il complètera sa formation en suivant
une analyse avec Mélanie Klein qui aura beaucoup d’influence sur ses
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futurs travaux et en obtenant la qualification de psychanalyste par la
British Psychoanalytical Society en 1951. Son ouvrage de 1951, The
Changing Culture of a Factory, sera accepté comme thèse de doctorat à
Harvard dans le domaine des relations sociales en 1952. En 1965 il est
nommé professeur de sciences sociales à l’Université Brunel de Londres,
au sein de laquelle il sera directeur de l’Institute of Organization and
Social Studies de 1970 à 1985.
La recherche intervention, menée au départ en tant que membre du
Tavistock Institut puis ensuite en tant que consultant indépendant, au
sein de la Glacier Metal sera le laboratoire d’Elliott Jaques. Il y élaborera
une méthode d’analyse et d’intervention, la socio-analyse (1.) ; il y pro-
duira ses principales observations et analyses d’influence psychanalytique
sur le fonctionnement des groupes et les résistances au changement (2.).
La Glacier Metal Company sera enfin à la source de la théorie générale sur
le comportement humain et organisationnel que Jaques propose et qu’il
situe lui-même, de manière un peu provocante, comme la seule théorie
prédictive produite à ce jour dans le champ du management (3.).
Sans être disjointes, car reposant sur le support commun de la Glacier
Metal, on peut aisément repérer deux phases distinctes dans le parcours de
recherche d’Elliott Jaques. La transition entre ces deux périodes sera assez
brutale, marquée par la rupture institutionnelle avec le Tavistock Institute
1. Cette collaboration donnera naissance à de nombreuses publications. Une dizaine d’ouvrages et une
trentaine d’articles composent la bibliographie du « Glacier Project ». La plupart des ouvrages d’Elliott
Jaques utilisent comme base empirique les analyses issues de ses interventions.
Elliott Jaques 475

qu’Elliott Jaques quittera en 1952, évoquant des désaccords théoriques ne


lui permettant pas, à l’époque, de poursuivre ses travaux dans la voie qu’il
envisageait alors (Jaques, 1998).
La première phase se caractérise par des recherches de nature compré-
hensive et analytique. Fortement ancrées dans le contexte de La Glacier
Metal Company, ces travaux sont marqués par la forte influence de la
psychanalyse. Le caractère pionnier de ces recherches contribuera à forger
la notoriété académique d’Elliott Jaques. L’ouvrage le plus significatif et le
plus célèbre de cette phase est celui de 1951 The Changing Culture of a
Factory. Les deux premières parties du chapitre s’attacheront à mettre en
lumière les contributions majeures de cette première étape de l’œuvre
d’Elliott Jaques.
La deuxième phase est, quant à elle, marquée par des travaux de nature
normative et prescriptive. D’abord influencé par les travaux sur la dyna-
mique des groupes, il s’en éloigne pour orienter ses recherches vers ce qu’il
qualifiera de modèle scientifique rigoureux du développement humain.
L’ambition de Jaques, affichée comme telle, est de formuler une théorie
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générale et universelle de « la bonne organisation » : une organisation qui
permet à la fois l’efficacité de l’entreprise et l’épanouissement de l’indivi-
du. Elliott Jaques s’appuie sur les résultats issus de son expérience à la
Glacier Metal Company, il les complète par de larges études par question-
naires dans de nombreux pays et par son expérience en tant que consultant
auprès de diverses firmes. Ces travaux, académiquement controversés,
jouissent d’un large écho dans l’univers du conseil et auprès des respon-
sables d’entreprises. L’ouvrage le plus populaire de cette période est sûre-
ment Requisite Organization de 1988. Il synthétise l’ensemble des conclu-
sions et préconisations d’Elliott Jaques en matière de « bonne organisa-
tion ». La troisième partie de ce chapitre sera consacrée aux principaux
résultats que Jaques considère comme l’aboutissement de sa démarche de
recherche sur les organisations.

1. LA SOCIO-ANALYSE COMME MÉTHODE


DE CHANGEMENT DE L’ORGANISATION

1.1. La socio-analyse…
Elliott Jaques est considéré comme l’initiateur de l’application de la
psychanalyse aux organisations. Son approche, qu’il qualifie d’abord de
collaborative approach, puis à partir de 1964 de social analysis, se positionne
476 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

à la fois en opposition partielle avec le courant américain de l’école lewi-


nienne et avec la pratique inspirée par le courant initié par C. Rogers
(Jaques, 1964a). Elle se positionne surtout contre la position technocra-
tique prétendant agir pour ou sur les gens, plutôt qu’avec les gens.
Le positionnement du chercheur et la visée de la recherche permettent
de distinguer clairement les différentes traditions de la recherche-action
(Allard Poesi et Perret, 2004) Les premiers travaux de Jaques (1947) sur
les méthodes d’intervention de nature psychosociologique insistent sur
deux préoccupations majeures : 1/ la participation des acteurs comme
méthode d’intervention, 2/ l’émancipation comme objectif de l’interven-
tion. Certains travaux récents relativisent fortement le caractère émancipa-
toire des démarches pionnières du Tavistock Institute comme l’évoquent
Cassell et Johnson :
« Others seem rather sceptical about this force for emancipation. For
instance, Cullen (1998) uses a Foucauldian perspective to argue that the
action research model that has evolved within the Tavistock Institute has cre-
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ated a paradoxical stance regarding social control and social change. He sug-
gests that on the one hand, action research utilizes what Foucault described as
“dividing practices” in that a new form of “examination”, administered
through the consultant as the authority figure had been developed. Therefore,
far from being liberationary, action research has been promoting more effective
forms of organizational control. On the other hand, he argues that the main
contribution of action research can be seen to “open up and facilitate spaces
within which alternative social and organizational paradigms “could be nur-
tured” » (Cassell et Johnson, 2006 : 785).
Les principes de la socio-analyse, tels qu’énoncés par Jaques (1947),
sont cependant clairement empreints de ce souci anti-technocratique.
Pour lui l’approche technocratique tend à empêcher chez le « système-
client » le développement de nouveaux rôles qui lui permettraient de faire
face lui-même à ses problèmes. L’intervenant entretient ainsi une dépen-
dance continue à son égard, sans possibilité d’émancipation. La voie que
propose Jaques est l’acquisition par les membres de l’organisation de
connaissances sur son fonctionnement et des techniques leur permettant
de faire face de façon adéquate à leurs propres problèmes. Jaques insiste
également sur le fait que les consultants doivent offrir leurs analyses à ceux
qui en font la demande mais ne font aucune recommandation et ne s’ar-
rogent jamais la responsabilité des personnes de l’organisation qui ont
initié l’étude.
Elliott Jaques 477

1.2. …est une méthode collaborative…


L’approche psychosociologique de Jaques propose une visée de thérapie
sociale. Il définit l’approche collaborative comme la mise en place des
conditions qui permettent à tous les groupes concernés d’une commu-
nauté de participer avec le consultant social à l’élucidation des origines des
difficultés et à l’élaboration des méthodes de résolution des problèmes
(Jaques, 1948).
Le processus type d’une recherche-intervention de cette nature est syn-
thétisé par Dubost (1972 : XII) en trois étapes-clés :
1. La reconnaissance du problème : le travail réalisé alors amorce la
participation de l’organisation à son propre traitement. Il permet
souvent de découvrir que l’énoncé de la première demande en
cachait d’autres, et qu’il faut aller au-delà de ces symptômes.
2. L’étude (ou l’action) pilote : engager une action à petite échelle des-
tinée à recenser et à éprouver la validité de techniques susceptibles
d’être appliquées à des problèmes plus vastes et permettant l’appren-
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tissage au niveau d’un petit groupe.
3. La réalisation du projet : prise en charge par l’organisation elle-
même des techniques et du processus thérapeutique.

1.3. …utilisant les outils de la cure


psychanalytique…
La démarche proposée par Jaques, et mise en œuvre dans les trois pre-
mières années d’intervention à la Glacier Metal (1948-1950), s’inspire
donc des méthodes de l’action-research de l’époque, mais elle s’en dis-
tingue en mobilisant l’outillage psychanalytique pour proposer une véri-
table démarche de thérapie sociale. Ainsi Jaques met au cœur de toute
recherche-intervention de nature socio-analytique la maîtrise du problème
de l’ambivalence, l’identification et l’interprétation des phénomènes de
transfert et la mise en place d’un processus de perlaboration2 (Encadré 1).

2. Le terme de perlaboration est conventionnellement choisi pour traduire Working through (littérale-
ment : travail au travers de) et se réfère au processus d’élucidation progressive dans la cure psychanaly-
tique.
478 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Encadré 1. Les outils de la cure psychanalytique appliqués


à l’organisation
L’ambivalence à l’égard du traitement, trait caractéristique de la thérapie individuelle,
est également présente dans la thérapie sociale. D’une part il y a le désir d’une amélio-
ration, de la résolution des tensions, du développement de nouvelles techniques,
d’autre part il y a crainte que le traitement ne soit plus pénible que le problème.
L’ambivalence envers le traitement est dirigée sur le thérapeute. Ce processus connu
sous le terme de transfert est utilisé en psychanalyse comme base de la thérapie. Jaques
propose de s’en servir en sociothérapie. Le transfert des sentiments positifs sur le con-
sultant rend possible le traitement social. Les transferts négatifs quant à eux, qui se
définissent comme des réactions d’hostilité vis-à-vis du consultant et qui sont
l’expression de résistance à la collaboration, sont d’un maniement crucial pour que le
changement puisse s’accomplir. La formation psychanalytique des intervenants devient
une condition nécessaire au succès de l’intervention : en tant que thérapeute, il peut
réaliser ce rôle « collaboratif » et neutre, il participe au changement social ni en manip-
ulateur ni en ingénieur, mais en clarificateur qui aide le groupe à rendre manifestes ses
tensions internes, de telle sorte que celui-ci puisse faire face lui-même à ces tensions
dans les meilleures conditions. C’est ce travail de perlaboration qu’il convient de met-
tre en place et de faciliter. Pour Jaques (1951), le travail de perlaboration consiste pour
le consultant à attirer l’attention sur la nature de la résistance (le traitement doit
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s’attaquer aux problèmes ressentis comme douloureux) en se fondant sur des faits con-
nus des intéressés. L’acte essentiel de l’analyste tient dans le fait de saisir les opportuni-
tés d’éclairer, dans la situation spécifique, la signification des sentiments (crainte, cul-
pabilité, suspicion…) qui constituent l’arrière-fond désagréable des anxiétés présentes.

1.4. …appliqués à l’entreprise dans son


ensemble…
L’approche socio-analytique saisit l’entreprise comme une unité, un
ensemble organique ayant une histoire, une structure, une culture, des
buts spécifiques. Le thérapeute recherche une relation avec l’entreprise
prise comme un tout. Il est conduit à refuser tout caractère privé aux rela-
tions avec les individus qui appartiennent à la communauté, comme toute
demande thérapeutique individuelle, à définir comme publics tous ses
contacts internes. Vis-à-vis de l’extérieur, le consultant est soumis au
secret, et sa relation avec l’organisation est confidentielle, non exposée à la
présence de tiers.
Pour Jaques, l’organisation est un assemblage de trois grandes compo-
santes qui lui confèrent son unicité.
1. La structure sociale : elle définit les rôles et les relations de rôle au
sein de l’organisation. Elle lie les personnes à l’organisation tout
comme elle lie entre eux les membres de l’organisation. La structure
Elliott Jaques 479

des rôles et des relations constitue le cadre formel dans lequel se


situe le comportement au travail (Jaques, 1951, 1972 : 216).
2. La culture : elle peut être définie comme son mode de pensée et
d’action habituel et traditionnel, plus ou moins partagé par tous les
membres. Elle comprend les moyens ou les techniques qui sont à la
disposition de l’individu pour bien mener ses relations et auxquels
il a recours pour s’orienter dans ses relations avec d’autres membres
ou groupes dans l’entreprise. (Jaques, 1951, 1972 : 217).
3. La personnalité : elle se définit comme l’organisation de tout le moi
de l’individu (attitudes, croyances, désirs, ambitions, sympathies…).
Beaucoup d’aspects de la personnalité sont conscients, mais parmi
les plus importants beaucoup ne sont pas conscients. (Jaques, 1951,
1972 : 217).
Selon Jaques, l’entreprise doit son caractère unique à cette configura-
tion qui lui est particulière de structure, de culture et de personnalités.
« Le caractère des institutions est déterminé et coloré non seulement par
leurs fonctions explicites ou acceptées consciemment de commun accord,
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mais également par leurs multiples fonctions non reconnues, au niveau
fantasmatique » (Jaques, 1955, 1968 : 549).
La vie de l’entreprise peut ainsi être saisie par l’interaction constante de
la structure, de la culture et des personnalités et des changements dans une
de ces dimensions nécessitent des changements dans les autres dimen-
sions.

1.5. …et visant le changement


L’apparition du stress dans une période de changement organisationnel
est, selon Jaques, liée au fait qu’un changement dans une des trois dimen-
sions ne s’accompagne pas de changements dans les autres dimensions :
« imposer un changement dans la structure manifeste ou dans la culture,
avec l’objectif de résoudre un problème, peut fréquemment laisser le pro-
blème non résolu, les relations inconscientes demeurant inchangées »
(Jaques, 1955, 1968 : 548). Il est donc nécessaire lorsqu’on envisage
quelque changement que ce soit, de prendre en considération les modifi-
cations que cela suppose dans la structure sociale, les changements suscep-
tibles d’intervenir dans la culture et les ajustements d’ordre personnel chez
les intéressés.
En utilisant les résistances, c’est-à-dire en interprétant les attitudes dans
le groupe, en mettant en évidence leurs relations aux tensions, en exami-
nant les forces émotionnelles influençant le comportement au moment où
480 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

elles opèrent, en mettant en évidence les éléments positifs ou négatifs du


phénomène transférentiel, le consultant aide la communauté à dégager les
bases sur lesquelles elle pourra entreprendre le changement. Le lieu du
changement n’est plus l’individu mais l’entreprise comme système social,
organisationnel, culturel, ou plutôt comme système d’interaction, entre la
structure, la culture et la personnalité.
L’approche psychosociologique de Jaques le conduit à interpréter les
problèmes organisationnels rencontrés au travers de leur signification rela-
tionnelle, psychanalytique et culturelle. L’apport théorique le plus impor-
tant sans doute de l’intervention à la Glacier Metal concerne la défense
contre l’anxiété psychotique.

2. L’ORGANISATION COMME MOYEN DE LUTTE CONTRE


L’ANXIÉTÉ
Influencé par les travaux de Freud, de Bion et de Mélanie Klein, Elliott
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Jaques utilise le concept d’anxiété psychotique pour expliquer ce qui
amène les individus dans les organisations et ce qui fonde les mécanismes
inconscients de résistances au changement. Selon Jaques (1955) la défense
contre l’anxiété paranoïde (sentiment inconscient affectant celui qui reçoit
les ordres) et l’anxiété dépressive (sentiment inconscient affectant le com-
portement de celui qui donne les ordres) est l’une des principales forces
dynamiques amenant les individus dans les institutions. Réciproquement,
toutes les institutions sont utilisées inconsciemment par leurs membres
comme mécanismes de défense contre ces anxiétés psychotiques. Par des
mécanismes psychiques comme le clivage (séparation du bien et du mal
ressentis en soi), de la projection (attribution à autrui de désirs ou de sen-
timents qu’on refuse en soi), d’introjection (passage en dedans de soi des
qualités d’autrui), d’idéalisation ou d’identification, l’individu renforce
son système de défense contre l’angoisse et l’organisation est un terrain
propice à l’expression de ces mécanismes. Pour Jaques, beaucoup de pro-
blèmes sociaux pourraient devenir plus compréhensibles si « l’on s’aperçoit
qu’ils recèlent des tentatives, dont les motivations sont inconscientes, de
la part des êtres humains pour se défendre contre l’expérience d’anxiétés
dont ils ne pourraient pas consciemment contrôler les sources » (Jaques,
1955, 1968 : 547).
À l’aide d’une étude de cas, Jaques (1951, 1955) fait l’examen détaillé
et complet des systèmes sociaux fantasmatiques en tant que mécanismes
de défense pour l’individu et également en tant que mécanismes permet-
tant au groupe de poursuivre ses tâches objectives (Encadré 2).
Elliott Jaques 481

Encadré 2. Tentative de changement au département entretien


de la Glacier Metal
À la tête du département entretien, d’environ 60 personnes, le chef de département
avait sous ses ordres un surintendant, responsable à son tour de quatre contremaîtres,
chacun d’eux disposait d’un groupe de travail de dix à seize agents. Les agents avaient
élu cinq représentants pour négocier avec le chef de département des problèmes
concernant le changement des méthodes de paiement des salaires. L’ancienne méthode
de paiement aux pièces était ressentie, depuis un certain nombre d’années, comme
insatisfaisante. La possibilité de revenir à une méthode de paiement basée sur un taux
uniforme avait été discutée durant plus d’un an, mais en dépit du fait que le change-
ment était généralement désiré (par la direction comme par les agents), les intéressés
n’avaient pu arriver à une décision.
Un comité composé du chef de département, du surintendant et de trois représentants
des ouvriers a été chargé de trouver une solution. Le ton général des discussions était
amical, cependant de temps en temps des désaccords se produisaient et les représen-
tants ouvriers déclaraient alors qu’il y avait de nombreuses questions sur lesquelles ils
sentaient ne pas pouvoir faire confiance à la direction. À cette déclaration de suspicion,
la direction répondait en soulignant que, pour leur part, ils avaient grande confiance
sur le sens des responsabilités des ouvriers. Les ouvriers, dans l’ensemble, étaient en
faveur du changement ; mais ils avaient quelque doute quant à la confiance qu’ils pou-
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vaient accorder à la direction pour mettre en œuvre et pour gérer ce changement de
manière équitable. Les ouvriers montraient également une attitude ambivalente vis-à-
vis de leurs représentants. Ils leur faisaient confiance pour continuer à mener les négo-
ciations avec la direction ; mais, en même temps, ils les suspectaient d’être des hommes
de paille de celle-ci. Les relations de travail au jour le jour, entre contremaîtres et
ouvriers ne reflétaient cependant pas ces tensions. Le travail en atelier était accompli
dans un bon climat et les ouvriers ressentaient les contremaîtres comme faisant leur
possible pour eux. Le comité s’est réuni pendant 7 mois sans pouvoir s’acheminer vers
une décision : les discussions s’enlisaient sans autre cause visible que la suspicion des
ouvriers vis-à-vis de la direction, compensée par l’idéalisation des ouvriers par celle-ci.
Cette suspicion et cette idéalisation deviennent compréhensibles si l’on fait les hypo-
thèses suivantes sur les attitudes inconscientes au niveau fantasmatique : les ouvriers
établissaient un clivage des membres de la direction en bons et en mauvais : les bons
étant ceux avec qui ils travaillaient ; et les mauvais, étant les mêmes dans la situation
de négociation. Inconsciemment, les ouvriers avaient projeté leurs pulsions hostiles
destructrices dans leurs représentants élus. De cette façon, les représentants pouvaient
détourner ces pulsions contre les mauvais « patrons », avec qui les négociations conti-
nuaient, tandis que bons objets et pulsions bonnes pouvaient être placés dans la per-
sonne réelle des chefs dans la situation quotidienne de travail. Ce clivage de la direction
en bons et mauvais servait deux fins. Au niveau de la réalité, cela permettait le maintien
de bonnes relations nécessaires à l’accomplissement des tâches du département. Au
niveau fantasmatique, cela fournissait un système de relations sociales renforçant les
défenses individuelles contre l’anxiété paranoïde et dépressive. Ainsi, les attitudes
inconscientes, paranoïdes chez les ouvriers, idéalisantes et apaisantes chez la direction,
étaient complémentaires et se renforçaient réciproquement. Plus les représentants des
ouvriers attaquaient la direction, plus celle-ci les idéalisait pour les apaiser. Plus la
direction faisait des concessions, plus les ouvriers ressentaient de la culpabilité et la
482 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

crainte d’anxiété dépressive et plus donc ils se repliaient vers des attitudes paranoïdes
comme moyen d’éviter l’anxiété dépressive. De cette façon, les anxiétés furent élimi-
nées de la situation quotidienne de travail ; ceci permettait d’effectuer de façon efficace
les tâches objectives et d’assurer de bonnes relations de travail.
Adapté de Jaques (1955, 1968 : 555-561).

Les difficultés du changement organisationnel doivent être reconsidé-


rées. Il convient de les envisager comme les résistances de groupes de gens
qui se « cramponnent » inconsciemment à leurs institutions, parce que des
changements dans les relations sociales menacent de perturber les défenses
sociales existantes qui les protègent contre l’anxiété psychotique. Le chan-
gement se produit là où les relations sociales fantasmatiques à l’intérieur
d’une institution ne servent plus à renforcer les défenses individuelles
contre l’anxiété psychotique. « Un changement social effectif requiert pro-
bablement l’analyse des anxiétés communes et des collusions inconscientes
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sous-jacentes aux défenses sociales, qui déterminent les relations sociales
fantasmatiques » (Jaques, 1955, 1968 : 564).
Un travail récent actualise les ressorts des dynamiques psycho-organi-
sationnelles étudiés par Jaques dans les années cinquante. Partant d’une
interrogation sur son parcours professionnel comme salariée chez
McDonald’s, présentée comme une entreprise offrant à ses employés des
conditions de travail et un contenu d’activité particulièrement contrai-
gnants et peu épanouissants, la thèse de Weber (2005), mobilise les tra-
vaux de Jaques pour analyser les correspondances psycho-organisation-
nelles à la source de la profonde adhésion d’une proportion non négli-
geable d’employés de cette entreprise.
Les travaux exposés ici font de Jaques un pionnier de l’analyse psycha-
nalytique de l’organisation. Ses résultats lui permettent d’éclairer de
manière originale les phénomènes de résistances au changement et d’avan-
cer des éléments théoriques majeurs sur le fonctionnement des groupes.
Lors de son intervention à la Glacier Metal, Jaques a également été amené
à prendre en compte les problèmes d’organisation et de structure de l’en-
treprise. Sa recherche des conditions générales d’un bon fonctionnement
organisationnel va le conduire à abandonner son orientation analytique
pour s’orienter vers des travaux de nature plus normative et prescriptive, à
la recherche du modèle idéal d’organisation.
Elliott Jaques 483

3. REQUISITE ORGANIZATION
À s’en tenir à ses déclarations, Jaques serait parvenu à ce que d’autres,
avant lui, espéraient avoir atteint : établir les principes et les modalités de
l’organisation idéale. Dans une conférence donnée au MIT Jaques déclarait
« Le management est au même stade aujourd’hui que les sciences naturelles
l’étaient au XVIIe siècle : l’alchimie était considérée comme crédible, la
saignée était un traitement jugé efficace et les barbiers effectuaient les prin-
cipales opérations chirurgicales. Aujourd’hui il n’y a aucun concept dans le
champ du management sur lequel on puisse bâtir une théorie testable ».
Jaques poursuit en affirmant « moi, et moi seul, dispose aujourd’hui de
cette théorie testable en management »3. Cette théorie s’affiche sous le label
de « Requisite Organization » (RO)4, modèle que toute entreprise doit
adopter si elle est soucieuse à la fois de l’efficacité de sa structure et du bien-
être psychologique de ses membres. Les principes de la RO sont sous-ten-
dus par des lois naturelles et universelles et peuvent donc être appliqués à
toutes les organisations, toutes les relations sociales et tous les individus.
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Les éléments qui sous-tendent l’élaboration de cette théorie permettent à
Jaques de faire des préconisations très précises, en particulier en matière de
responsabilité et d’autorité, de rémunération et de structure hiérarchique.
Les principes de la RO, sur lesquels Jaques appuiera son activité de
consultant, reposent sur une démarcation claire des différents niveaux
d’autorité et de responsabilité et l’assurance que les individus à chaque
niveau de l’organisation sont cognitivement aptes à occuper ce niveau.
Cette organisation « nécessaire » repose sur le concept central de « période
d’autonomie »5. La période d’autonomie permet d’établir la structure
idéale, de mettre en place un système de rémunération équitable et de
répondre pleinement aux besoins des individus en leur permettant d’ex-
ploiter au mieux leur capacité potentielle.

3.1. Élaboration d’une méthode objective


d’évaluation : la « période d’autonomie »
La période d’autonomie est définie comme le délai maximal durant
lequel un subordonné peut exercer ses facultés de jugement personnel et
3. Ces propos sont rapportés par Kleiner, A. (2001), Elliott Jaques Levels with you (http://www.strategy-
business.com/article/10938). Lien consulté en janvier 2017.
4. Jaques (1988) explique le choix de ce terme comme l’opposition à la notion d’organisation arbitraire.
5. Traduit de Time-span of discretion. Issu des observations menées au sein de la Glacier Metal dès 1948,
Jacques cherchera à valider ce concept par des méthodes de questionnaires sur de larges échantillons
administrés auprès du personnel d’entreprises de différents pays.
484 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

d’initiative sur un travail désigné par son supérieur sans que ce dernier soit
amené à contrôler l’usage qu’il fait de sa liberté d’action (Jaques, 1964b).
Ainsi, le travail peut se définir comme l’exercice d’une autonomie et l’ap-
plication d’un savoir dans des limites prescrites permettant d’atteindre un
but dans un temps donné. La période d’autonomie devient donc un outil
de mesure objectif qui permet d’évaluer le niveau de travail et la taille de
n’importe quel poste dans l’organisation. Cette méthode se distingue des
techniques de « job evaluation » de l’époque, qui mettaient en place une
batterie de critères jugés pléthoriques et subjectifs et qui se révélaient sou-
vent inefficaces dans la capacité à évaluer les postes. La période d’autono-
mie identifie l’horizon temporel de chaque poste sur une échelle de 1 à 7
et ce quelle que soit l’organisation. Sur cette base Jaques soutiendra l’idée
que les organisations, aussi complexes soient-elles, peuvent concevoir une
structure hiérarchique idéale basée sur la différenciation des périodes
d’autonomie (cf. tableau 1).

3.2. Un principe systématique de structuration


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hiérarchique
Jaques fait un lien essentiel entre période d’autonomie et responsabilité
hiérarchique.
« Plus long est le temps durant lequel la personne dispose d’une auto-
nomie sans que ses résultats soient évalués, plus grand est l’effort psycho-
logique requis pour le travail. Plus long sera le temps durant lequel la
personne doit supporter l’incertitude et néanmoins continuer son travail,
plus grande est la responsabilité. Plus long est le temps durant lequel
l’organisation laisse exercer l’autonomie d’un individu, prendre des déci-
sions et allouer des ressources, plus grande est la confiance envers cette
personne et la responsabilité qui lui est confiée » (Jaques, 1964b, 1965 :
127).
Sur la base de ces liens simples, Jaques en conclut que la structure
d’encadrement doit se conformer à un modèle dans lequel les niveaux
hiérarchiques se répartissent en fonction de la période d’autonomie de
chaque poste. La mesure de la période d’autonomie permet également
d’instituer un système de rémunération équitable.
Elliott Jaques 485

3.3. Une norme universelle de rémunération


équitable
La notion de rémunération équitable peut se définir de la manière sui-
vante :
« Les normes communes de rémunération que des individus occupant
des postes de même niveau, interrogés en privé, considèrent comme équi-
tables. (…) les individus pris séparément ont des vues identiques sur ce
qui constitue une juste rétribution pour des fonctions d’un niveau donné
mesuré par la période d’autonomie. (…) Les sondages effectués ailleurs
qu’en Grande Bretagne (…) indiquent que cette échelle y est valable et
que les normes d’une hiérarchie équitable des salaires sont apparemment
universelles » (Jaques, 1964b, 1965 : 31-32).
Ces observations permettent à Jaques d’affirmer que lorsque le poste est
mesuré en termes de période d’autonomie, un système de rémunération
équitable peut être mis en place (Jaques, 1956, 1972 : 85). Le tableau 1
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résume les liens qui relient les trois notions qui fondent selon Jaques les
principes de la RO.

Tableau 1. Les principes de la Requisite Organization


Niveau de
Période d’autonomie Niveau hiérarchique Rémunération équitable
poste
Moins de 3 mois
1 heure 0,3 (495 £)6
Rang 1
Moins d’une semaine 0,63
1 à 4 semaines
Niveau opérationnel
0,75
De 3 mois à 1an Rang 2
0,9
De 1 à 2 ans Rang 3 1
2
De 2 à 5 ans Rang 4
Niveau intermédiaire 3.21
De 5 à 10 ans Rang 5 4
8
De 10 à 20 ans Rang 6
Niveau stratégique 12
Plus de 20 ans Rang 7 16

Source : adapté de Jaques, 1964b, 1965.

6. Le premier chiffre exprime la rémunération équitable en fonction d’un coefficient par rapport à
l’indice des salaires. Le chiffre entre parenthèse donne l’exemple de la rémunération équitable annuelle
obtenue selon ce principe. Cette rémunération est exprimée en £ par rapport à l’indice mensuel des
salaires en 1964 en Grande-Bretagne qui s’élevait à 137,4 £.
486 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

La dernière « découverte » qui fonde le modèle de Requisite Organization


et qu’Elliott Jaques approfondira dans une recherche menée avec sa femme
(Jaques et Cason, 1994), porte sur la « capacité potentielle » des individus
mesurée en termes de période d’autonomie. Elle stipule que les individus
ne sont pas égaux, naturellement, en termes de complexité cognitive et
qu’ils peuvent être classés en strates, en fonction du nombre de mois ou
d’années à venir dont ils tiennent compte en prenant une décision. Cette
capacité potentielle évoluerait au long de la carrière d’un individu mais
serait bornée par une limite maximale atteinte dans le milieu de carrière
(Jaques, 1965). Cette mesure de la complexité cognitive justifierait aux
yeux de Jaques qu’un individu ne puisse pas prétendre occuper un niveau
hiérarchique au-delà de sa capacité potentielle. Cette conception méca-
niste et naturaliste des dimensions cognitives est peut-être le concept jac-
quien qui soulèvera le plus de controverses. Les critiques y voient l’expres-
sion d’une forme d’autoritarisme et la justification des prérogatives et de
l’arbitraire du management. Elles lui reprochent également un certain
impérialisme culturel nord-américain et surtout une vision fonctionnaliste
et instrumentale de l’organisation (Amado, 1995 ; Emery, 1997).
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En réponse à ces critiques, mais également à la suite des nombreux
scandales qui ont porté en particulier sur les comportements des diri-
geants7, Jaques exhorte à une vision éthique des relations d’emploi et du
management (Jaques, 2002). Il rejette une vision des employés comme des
« ressources humaines », défendant l’idée que les dirigeants ont une « res-
ponsabilité sacrée » de fournir des dispositifs organisationnels basés sur la
confiance plutôt que sur la crainte (Jaques, 2002).

Conclusion
Si Jaques peut être considéré comme le pionnier de l’application de la
psychanalyse à l’organisation et un des fondateurs des méthodes d’inter-
vention sociologiques (Dubost, 2006), son parcours le conduit peu à peu
à abandonner la démarche de la socio-analyse et à s’écarter de l’approche
psychanalytique de l’organisation adoptée au départ. Cette approche, qui
conduit plus souvent à souligner les difficultés et à mettre en évidence les
causes des dysfonctionnements organisationnels grâce à l’analyse appro-
fondie d’un contexte particulier, ne lui permettait pas de formuler les
principes universels de la Requisite Organization. On peut partager avec
Amado (1995 : 356) le sentiment qu’en « rejetant ce qu’il appelle “l’im-
passe organisationnelle des construits et observations psychanalytiques”, et
7. Jaques fait en particulier référence aux scandales d’Enron et d’Arthur Andersen qui ont suscité un
regain d’intérêt pour l’enseignement de l’éthique des affaires (Jaques, 2003).
Elliott Jaques 487

en niant l’intérêt potentiel de l’application des connaissances psychanaly-


tiques aux organisations, après en avoir été le pionnier, Elliott Jaques jette
le bébé avec l’eau du bain ».
Durant ces dernières décennies, force est de constater que les travaux
d’Elliott Jaques ont été largement ignorés par la communauté académique.
Par exemple, dans sa revue de la littérature sur la satisfaction liée à la rému-
nération, Henman (1985) n’évoque pas les travaux de Jaques.
Dans son ouvrage de 2007 Michael Raynor voit dans cet isolement une
grande injustice à l’égard d’un des chercheurs en management les plus
importants de l’ère moderne. Carraher et Carraher (2005) attribuent ce
désintérêt aux difficultés de mesure du concept de « période d’autono-
mie » au cœur de la théorie générale d’Elliott Jaques.
L’ambition d’établir une théorie générale de l’organisation prônant un
caractère universel et l’absence de référencement des travaux de recherche
en management que Jaques jugeait peu valides scientifiquement ont cer-
tainement également contribués à son isolement académique.
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On note aujourd’hui un certain regain d’intérêt pour ses travaux
(numéro spécial de la revue International Journal of Applied Psychoanalytic
Studies, 2005) et la multiplication de recherches qui visent à appliquer les
différentes propositions de son modèle de Requisite Organization (Carraher
et Carraher, 2005 ; McMorland, 2005). La pratique de nombreux consul-
tants s’inspire largement du modèle de Jaques et la première conférence
RO s’est tenue en décembre 2004 à l’Université Deakin de Melbourne.
Dans le champ académique, Craddock (2002) recense une importante
bibliographie de recherches, comprenant en particulier 53 thèses de doc-
torat, qui cherchent à valider les résultats des travaux d’Eliott Jaques.

Travaux cités de l’auteur


Jaques, E. (1947), « Some Principles of Organization of a Social Therapeutic
Institution », Journal of Social Issues, vol. 3, n° 2, p. 4-10.
Jaques, E. (1948), « Interpretive Group Discussion as a Method of Facilitating
Social Change », Human Relations, n°1, p. 533-549. Traduction française
(1972), L’utilisation du groupe d’évolution comme méthode de facilitation
du changement social, Connexions, n° 3.
Jaques, E. (1951), The Changing Culture of a Factory, London : Tavistock.
Traduction française (1972), Intervention et changement dans l’entreprise, Paris,
Dunod.
Jaques, E. (1955), « Social System as a defense against Persecutory and Depressive
Anxiety », New directions in Psychoanalysis, p. 478-498, London, Tavistock
Publication. Traduction française (1968), Des systèmes sociaux comme
488 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

défenses contre l’anxiété dépressive et l’anxiété de persécution, in Lévy, A,


Psychologie sociale. Textes fondamentaux anglais et américains, p. 546-565,
Paris, Dunod.
Jaques, E. (1956), Measurement of Responsability, London : Tavistock Publications.
2de édition (1972), London, Heinemann Educational Books.
Jaques, E. (1964a), Social-analysis and the Glacier Project, Human Relations,
XVII, n°4.
Jaques, E. (1964b), Time span Handbook, London : Heinemann. Traduction
française (1965), Manuel d’évaluation des fonctions, Paris, Hommes et
Techniques.
Jaques, E. (1965), « Death and the Mid-Life Crisis », International Journal of
Psychanalysis, vol. 46, p. 502-514.
Jaques, E. (1970), Work, Creativity and Social Justice, London, Heinemann.
Jaques, E. (1988), Requisite Organization, Falls Church : CasonHall and Co.
Publishers. Seconde édition (1997), Requisite Organization : A Total System for
Effective Managerial Organization and Managerial Leadership for de 21st
Century, Falls Church, Cason Hall and Co. Publishers.
Jaques, E. (1998), « On leaving The Tavistock Institute », Human Relations,
vol. 51, n° 3, p. 251-257.
Jaques, E. (2001), « Diagnosing Sources of Managerial Leadership Problems for
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Research and Treatment », Consulting Psychology Journal : Practice and
Research, vol. 3, n° 2, p. 67-75.
Jaques, E. (2002), Social Power and the CEO : Leadership and Trust in a sustain-
able free enterprise system, Connecticut : Quorum Books.
Jaques, E. (2003), « Ethics for Management », Management Communication
Quarterly, vol. 17, n° 1, p. 136-142.
Jaques, E. et Clement, S. (1991), Executive Leadership : A Practical Guide to
Managing Complexity, Cason Hall Publishers.
Jaques, E. and Cason, K. (1994), Human Capability : A Study of Individual
Potential and its Application, Cason Hall Publishers.

Autres références bibliographiques


Allard Poesi, F. et Perret, V. (2004), La recherche-action, e-thèque, col. Méthodes
quantitatives et qualitatives, http://www.numilog.Com/.
Amado, G. (1995), « Why psychoanalytical knowledge helps us understand
organizations : A discussion with Elliott Jaques », Human Relations, vol. 48,
n° 4, p. 351-357.
Bion, W. (1959), Experience in groups, New York, Basic Books.
Carraher, S. et Carraher, S. (2005), « Felt fair pay of small to medium sized
enterprise (SME) owners in Finland and Latvia : An examination of Jaques’
equity construct, » Journal of Small Business Strategy, Avril.
Cassell, C. et Johnson, P. (2006), « Action research : Explaining the diversity »,
Human Relations, vol. 59, n° 6, p. 783-814.
Craddock, K (2002), Requisite Leadership Theory : An annotaded research bibliog-
raphy on Elliott Jaques, Columbia University.
Elliott Jaques 489

Dubost, J. (1972), « Introduction sur la méthode socioanalytique d’Elliott


Jaques », in Elliott Jaques, Intervention et changement dans l’entreprise, IX-XLI,
Paris, Dunod.
Dubost, J. (2006), Analyse sociale et sociologies d’intervention, L’Harmattan.
Emery, F. (1997), « Le concept d’organisation requise d’Elliott Jaques, » Revue
internationale de psychosociologie, vol. 4, n° 6-7, p. 185-193.
Freud, S. (1923, 1981), « Psychologie des foules et analyse du moi », in Essais de
psychanalyse, Paris, Payot.
Henneman, H. (1985), « Pay Satisfaction », Research in Personnel and Human
Resources, vol. 3, p. 115-139.
McMorland, J. (2005), « Are you big enough for your job ? Is your job big
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Review, vol. 7, n° 2, p. 74-83.
Special Issue Elliott Jaques (2005), International Journal of Applied Psychoanalytic
Studies, 2, 4, 315-418.
Raynor, M. (2007), The Strategy Paradox : Why Committing to Success Leads to
Failure, Crown Business.
Weber, H. (2005), Du Ketchup dans les veines. Pourquoi les employés adhèrent-ils à
l’organisation chez McDonald’s, Erès.
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XXXI. MANFRED F.R. KETS DE VRIES – LEADERSHIP ET NÉVROSES
ORGANISATIONNELLES

Véronique Perret
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 490 à 509


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-490.htm
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Manfred F.R. Kets De Vries
Leadership et névroses
organisationnelles
XXXI

Véronique Perret
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Manfred F.R. Kets De Vries 491

Né en 1942 aux Pays-Bas, diplômé de l’Université d’Amsterdam où il


reçoit son doctorat d’économie en 1966, Manfred Kets de Vries poursuit
sa formation à l’Université de Harvard où il obtient un doctorat en 1970.
Un séminaire d’Abraham Zaleznik à la Harvard Business School intitulé
Psychologie psychanalytique et théorie de la gestion, va largement marquer les
orientations qu’il donnera à sa carrière. Cette rencontre est une révélation,
les thèses défendues par Zaleznik sur la nature humaine et sur les influences
de l’inconscient humain sur la vie organisationnelle, vont amener Manfred
Kets de Vries à développer ses recherches sur le pouvoir et le management
en s’appuyant sur la psychanalyse. Sa collaboration avec A. Zaleznik se
concrétisera par une série de publications et en particulier la parution de
l’ouvrage Power and the Corporate Mind en 1975.
Durant quatre ans (de 1977 à 1982), il se forme à l’Institut Canadien
de Psychanalyse, ce qui lui permet depuis cette date d’exercer comme psy-
chanalyste. Parallèlement à cette activité, il poursuit une carrière de
consultant d’entreprise et d’universitaire dans diverses institutions
(Harvard University, Mc Gill University, HEC Montréal). Il occupe à
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partir de 1985 une charge de professeur clinique de management et de
leadership à l’INSEAD, institution au sein de laquelle il est aujourd’hui
professeur émerite de la chaire Raoul de Vitry d’Avaucourt. Il fonde et
dirige à partir de 2003 l’Insead Global Leadership Center. Ce centre se
consacre à la recherche cross-culturelle, au partage d’expertises et de pra-
tiques en matière d’approche clinique du leadership à l’échelle globale et
au développement d’outils de management des ressources humaines (Kets
de Vries, 2005a). Il est également le fondateur du cabinet de conseil
Manfred Kets de Vries Institute (KDVI) spécialisé dans le coaching et le
développement organisationnel et qui est aujourd’hui dirigé par sa fille
Oriane Kets de Vries.
Manfred Kets de Vries est l’auteur et co-auteur de plus de 30 d’ou-
vrages, plus de 350 chapitres d’ouvrages et articles publiés dans différentes
revues de management, de psychologie clinique et de psychanalyse, ainsi
que de nombreux cas pédagogiques1. Ses travaux, traduit dans 31 langues
connaissent une renommée mondiale y compris en dehors de la sphère
académique. Des journaux comme le Financial Times ou The Economist
ont classé Manfred Kets de Vries dans le Top 50 des penseurs en manage-
ment et parmi les contributeurs les plus influents dans le domaine de la
gestion des ressources humaines. Récipiendaire de nombreuses récom-
penses et distinctions, Manfred Kets de Vries a reçu en 2016 un Life
Achievement Award et a été désigné par l’International Leadership
1. Une bibliographie complète des travaux de Manfred Kets de Vries est disponible à l’adresse suivante :
http://www.ketsdevries.com/ (consulté en janvier 2017).
492 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Association comme l’une des six personnalités fondatrices de la discipline


et du champ de recherche sur le leadership.
Tout au long de ses quarante ans de carrière Manfred Kets de Vries a
principalement exploré la question du leadership et les dynamiques de
changement individuel et organisationnel, mais ses travaux ont également
abordé des champs de recherche comme les entreprises familiales (Kets de
Vries, 1993 ; 1996a, c) ou encore le management international et la ges-
tion multiculturelle (Kets de Vries et Mead, 1989 ; Kets de Vries et al.,
2002 ; Kets de Vries et Korotov, 2005 ; Kets de Vries et al., 2008).

1. UNE APPROCHE PSYCHANALYTIQUE DES


ORGANISATIONS
Les travaux de Manfred Kets de Vries abordent les problématiques
organisationnelles et managériales de la décision, du commandement, du
leadership en s’appuyant sur les données cliniques et théoriques de la psy-
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chanalyse. Ses travaux s’inscrivent dans la tradition de recherche du
Tavistock Institute of Human Relations qui pratique, depuis les années
quarante, une recherche systématique sur les institutions et les organisa-
tions et qui met en évidence la répétition de la problématique psychana-
lytique. Ces travaux revisitent, au moyen de concepts analytiques comme
l’imaginaire, l’angoisse ou le narcissisme, des questions comme celles de la
constitution du lien social, de la motivation, du pouvoir, du leadership,
des conflits, du changement organisationnel ou encore de l’identité au
travail. Pour Grosvernier (2004) l’intérêt des travaux de Manfred Kets de
Vries tient à la fécondité de la psychanalyse qui ne s’arrête donc pas à la
connaissance du psychisme individuel. Elle est également un support pré-
cieux dans l’approche des collectifs organisés, notamment des entreprises
en ce qu’elle fournit les clés d’une compréhension approfondie de la dyna-
mique humaine des organisations et des repères méthodologiques pour
analyser et structurer des démarches d’intervention, en dépassant un cer-
tain réductionnisme comportementaliste.
Manfred F.R. Kets De Vries 493

1.1. Principales orientations de la recherche


L’approche de Manfred Kets de Vries est une démarche de recherche
qui entend relier la psychodynamique2 et la théorie des organisations. Ce
qui caractérise l’approche psychanalytique de l’organisation tient en parti-
culier aux hypothèses sur l’homme et sur l’organisation qu’elle sous-tend.
En ce qui concerne la vision de l’homme, Manfred Kets de Vries s’ap-
puie sur les travaux de Freud pour analyser les schémas généraux du com-
portement humain.
« Sigmund Freud a insisté sur le fait qu’une grande part du contrôle que
nous croyons avoir sur le monde qui nous entoure n’est qu’illusion. Il a
souligné que la rationalité est limitée par le cognitif et l’émotionnel (…)
Un des apports les plus importants de Freud, ce fut sa description de la
motivation inconsciente et de son rôle dans la vie de tous les jours. Il a
aussi montré qu’il y a une continuité entre comportement passé et actuel,
le sommeil et l’éveil, la santé et la pathologie. La vision de Freud s’est
révélée capitale pour nous faire comprendre ce qui pousse les hommes à
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avoir tel comportement. » (Kets de Vries, 1995 : 13).
Ainsi, l’individu n’est pas réductible aux intérêts qu’il défend, il a éga-
lement des émotions, des comportements inconscients et des affects et ces
dimensions font partie intégrante de la vie de l’organisation. L’organisation
n’a donc pas seulement une activité économique, une vie sociale et poli-
tique basée sur ses systèmes d’actions concrets, elle a aussi une vie psy-
chique, une dimension inconsciente. Reprenant l’image de la main invi-
sible d’Adam Smith, Manfred Kets de Vries fait le postulat que les organi-
sations sont influencées par d’« invisibles » forces psychiques qui sont déjà
présentes depuis longtemps mais pourtant ignorées d’ordinaire.
L’objectif visé par ses recherches est alors de « ramener l’homme dans
l’organisation » en s’intéressant aux racines humaines (et en particulier aux
racines psychiques) de ce phénomène complexe qu’est l’organisation. Pour
cela il utilise une approche méthodologique de nature qualitative s’ap-
puyant en grande partie sur la démarche psychanalytique, pour fournir
une analyse en profondeur de ce qui motive les hommes et du fonction-
nement des organisations.

2. Les différentes approches de la psychodynamique incluent en particulier la psychanalyse, la psycholo-


gie analytique, la psychologie interpersonnelle… Les approches dynamiques de la psychologie sont
souvent opposées aux approches plus orientées vers les comportements observables et mesurables comme
la psychologie stimulus-réponse. (Neumann et Hirschhorn, 1999).
494 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

1.2. Études de cas et méthode clinique


Nombre des travaux de Manfred Kets de Vries utilisent les données
recueillies au cours de sa pratique de psychanalyste et de consultant d’en-
treprise (Kets de Vries et Miller, 1985, 1987a ; Kets de Vries, 1991a, 1995,
1996a), il complète parfois son expérience personnelle par une approche
biographique à l’aide de documents publics. Il utilise par prédilection
l’étude de cas et, sur la base du matériau empirique recueilli, il applique
de façon systématique sa compétence clinique en particulier à la théma-
tique du leadership. Ainsi, l’histoire de nombreuses personnalités du
monde politique (Saddam Hussein, Hitler, De Gaulle) ; du monde des
affaires (Richard Branson, Henri Ford, Carlo de Benedetti ou Robert
Maxwell) ainsi que de cadres, de dirigeants et de sociétés plus anonymes
(ou anonymés) composent son matériau essentiel. C’est à partir de ce
matériau qu’il fait émerger des modèles et archétypes visant à améliorer la
compréhension de phénomènes complexes comme la prise de décision, les
modes de commandement, la succession…
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En utilisant la méthode clinique de la psychanalyse, Manfred Kets de
Vries se distingue d’autres recherches sur le comportement humain qui
abordent le travail managérial sous un angle plus comportemental (plus
« objectif »). Dans cette dernière forme d’« extrospection », le comporte-
ment du sujet est considéré comme une donnée en soi, on ne fait aucune-
ment recours ni référence à l’expérience passée de l’observateur. En
revanche, dans le cas d’une observation empathique, introspective, comme
l’orientation psychanalytique, le comportement du sujet est apprécié en
fonction de la manière dont l’observateur ressentirait, penserait et réagirait
dans la même situation. L’introspection est ainsi utilisée comme un outil
supplémentaire d’enquête et d’analyse où l’interprétation des réactions de
transfert et contre-transfert joue un rôle majeur. L’observateur intègre et
utilise ses propres réactions de contre-transfert pour formuler des conjec-
tures (Kets de Vries, 1996a).
La démarche de recherche s’inscrit dans la tradition des méthodes qua-
litatives d’études de cas visant à faire émerger des théories enracinées
(Glaser et Strauss, 1967 ; Geertz, 1973, Kets de Vries et Miller, 1987b),
ici grâce à des inférences de nature psychanalytique.
En appliquant les cadres théoriques de la psychanalyse et de la psychia-
trie aux cas empiriques issus du monde des affaires, la plupart des travaux
de Manfred Kets de Vries proposent des archétypes, des schèmes d’analyse,
visant à éclairer certains types de comportements humains et organisation-
nels (Kets de Vries, 2004). Ses résultats revendiquent un statut compré-
hensif en proposant une description aussi riche et réaliste que possible des
Manfred F.R. Kets De Vries 495

processus mentaux des cadres et des dirigeants afin de les relier aux divers
aspects de l’organisation (stratégie, structure, processus de groupe, com-
mandement…). Par une description qu’il veut à la fois plus fine et plus
englobante que d’autres approches psychologiques de l’organisation3,
Manfred Kets de Vries cherche à prendre en compte les différences indivi-
duelles (en termes de personnalité, d’entourage, de circonstance…) des
états psychologiques et des comportements des dirigeants afin de pouvoir
éclairer les problèmes de l’organisation. Les résultats de ses recherches ont
également fréquemment une visée prescriptive et sont présentés comme
des aides au diagnostic et à la résolution de problèmes. La justification de
la valeur normative des différents modèles et cadres d’analyse proposés
tient au fait que les principaux résultats sont développés dans le cadre
d’interventions, qu’ils reflètent l’expérience de l’analyste et/ou du consul-
tant, qu’ils ont autorisé des diagnostics plus précis et plus rapides, qu’ils
ont été des aides pour résoudre les difficultés rencontrées.

2.
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L’ORGANISATION MALADE DES NÉVROSES
DE SON LEADER
En ancrant principalement ses travaux sur la psychologie du leader, en
cherchant à expliquer la nature des échanges psychologiques entre meneur
et menés, en analysant comment les processus psychodynamiques opèrent
au sein des organisations, Manfred Kets de Vries propose une analyse origi-
nale, de nature psychanalytique, des dysfonctionnements organisationnels.

3. Kets de Vries et Miller (1985 : 2 et suivantes) positionnent et distinguent leur travail par rapport à
trois autres courants qui ont abordé les problèmes psychologiques dans les organisations. Tout d’abord
l’école des relations humaines qui se soucie avant tout des travailleurs et fort peu des cadres et des diri-
geants, qui ne s’interroge guère sur la genèse des besoins humains et qui ne parvient pas à prendre en
compte les différences individuelles. Ensuite l’école de la caractérologie qui analyse divers traits de carac-
tère chez les dirigeants mais qui souffre d’un excès de simplification car ces recherches se contentent en
général de caractériser les sujets par un trait ou une dimension psychologique élémentaire. Enfin, l’école
des « contraintes cognitives » qui s’intéresse aux blocages psychologiques qui affectent les individus au
sein d’une organisation mais qui ignore les différences individuelles, différences que Kets de Vries et
Miller jugent pourtant cruciales si l’on prétend comprendre la genèse des dérèglements dans les organi-
sations.
496 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

2.1. Le leader
Centré pour l’essentiel sur le leader et le cadre dirigeant4 les travaux de
Manfred Kets de Vries s’interrogent sur les particularités du parcours, sur
les spécificités de la personnalité et sur les difficultés de la tâche de ces
individus qui détiennent un pouvoir important et sont donc en mesure
d’influencer grandement le devenir de l’organisation.
Un premier cadre d’analyse du parcours du dirigeant est celui du cycle
de vie professionnel qui propose d’étudier les incitations et perspectives
qui se présentent dans le travail et l’entourage familial de celui-ci à mesure
qu’il franchit les différentes étapes du cycle de vie. Kets de Vries et Miller
(1985) définissent, en puisant dans la littérature psychiatrique, psychana-
lytique et sociologique, 5 étapes dans le cycle de vie professionnel :
1. Choc de la réalité, 2. Socialisation et maturation, 3. Crise du milieu de
carrière, 4. Acceptation, 5. Préretraite5. Les émotions, les sentiments, les
besoins, les exigences d’accomplissement changent avec les étapes de ce
cycle de vie et modifient par conséquent les conditions de satisfaction tirée
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du travail et de l’entreprise où il s’exerce. Ces distinctions permettent de
se détourner de modèles trop simplistes qui tentent de prévoir la satisfac-
tion en se fondant sur une variable comme le niveau hiérarchique, l’édu-
cation, le sexe… Elles soulignent que les dirigeants doivent affronter des
problèmes spécifiques à chaque étape de leur cycle de vie.
Un second cadre d’analyse du leader est proposé au travers de la déter-
mination d’archétypes de la personnalité. Ces archétypes sont identifiés
grâce aux cadres d’analyse de la psychanalyse. Manfred Kets de Vries
mobilise en particulier la notion de théâtre interne, emprunté à Freud,
qu’il adapte à l’analyse de la personnalité du leader. Ainsi, le théâtre
interne d’un individu est un fantasme qui compose son image du monde,
laquelle sous-tend et finalement détermine en grande partie son compor-
tement, de sorte qu’elle en vient à influencer largement, ou même à résu-
mer, ce qu’il est convenu d’appeler le « caractère » ou la « personnalité ».
Parmi les archétypes de la personnalité du leader, Manfred Kets de Vries
accorde une place particulière aux personnalités narcissique et para-
noïaque, qui sont selon lui des traits quasiment indispensables à posséder,
au moins partiellement, pour atteindre le sommet. A contrario, les person-
nalités alexithymiques (Kets de Vries, 1995, 1999b), personnalités qui
montrent un fort détachement émotionnel et d’une grande difficulté à
4. Certaines de ses recherches se sont intéressées à des figures particulières comme celle de l’entrepreneur
(Kets de Vries 1977, 1996b) ou à des formes organisationnelles spécifiques comme celle de la firme
familiale (Kets de Vries, 1996a, c).
5. Certaines phases ont été plus particulièrement développées dans des travaux ultérieurs (Kets de Vries
1995, 1999a).
Manfred F.R. Kets De Vries 497

éprouver des sentiments, sont souvent peu enclines à occuper des postes
de pouvoir. Le travail effectué par Manfred Kets de Vries sur ces différents
styles de personnalité se veut avant tout un répertoire, un guide pratique
pour aider l’observateur à déceler dans une personnalité certains éléments
qu’on ne distingue pas au premier abord. Ses recherches le conduisent à
identifier les combinaisons de styles qui prédisposent au leadership et
celles qui font plutôt des suiveurs (Kets de Vries, 1991a). Elles l’amènent
également à mettre en évidence ce qu’il appelle la dimension F du leader-
ship et qu’il définit comme les forces et dimensions en partie inconscientes
qui conduisent le leader à l’échec. La position de leadership engendre
naturellement des fragilités, le théâtre interne de la personnalité du leader
peut venir renforcer ces fragilités. Ainsi, les situations de crise, le compor-
tement des suiveurs, les traits de personnalité du leader, la position même
de leader concourent à l’existence et la force avec laquelle peut s’exprimer
la dimension F. La dimension F s’explique par les réactions de transfert, la
solitude du pouvoir, la crainte du succès et conduit certains leaders à
« tirer la défaite des griffes de la victoire » (Kets de Vries, 1991a : 41). En
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réponse à la question qu’il soulève : Pourquoi certains leaders échouent-ils
et d’autres réussissent-ils ? Manfred Kets de Vries donne une réponse
d’ordre psychanalytique. Certains types de personnalité semblent plus à
même d’être en position de leader que d’autres, certains types de person-
nalité engendrent plus de « pathologie du pouvoir » et de conduites régres-
sives collectives que d’autres. Les grands dirigeants, les chefs véritables sont
donc dotés de qualités particulières, les unes apparentes, les autres cachées.
Ils ont assez de caractère pour ne pas céder aux forces de régressions
inconscientes que fait surgir, chez eux comme chez les autres, leur position
dominante (Kets de Vries, 1991a). Pourtant ces forces régressives s’expri-
ment parfois, se diffusant à l’organisation par des mécanismes que les
travaux de Manfred Kets de Vries se sont attachés à mettre en évidence.

2.2. La folie à deux


Dans la littérature psychanalytique et psychiatrique revient souvent le
thème de la contagion mentale : autrement dit, comment la fréquentation
d’un individu peut rendre fou. C’est cette forme d’influence au sein d’un
groupe que Manfred Kets de Vries, en utilisant la littérature spécialisée sur
la dynamique des groupes et de la famille, met en évidence particulière-
ment dans les rapports entre supérieur et subordonné. Il identifie ainsi
quatre formes particulières de comportements collusifs pathologiques :
narcissique, sadomasochiste, paranoïaque et de contrôle (Kets de Vries,
498 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

1999c). Cette folie à deux s’accompagne en général d’une certaine rupture


avec le réel.
« Un chef ne doit pas sous-estimer l’étendue de l’influence qu’il exerce
dans son organisation (…). La dépendance – le besoin de direction est un
de nos traits les plus communs. Le dirigeant fera bien de s’en souvenir :
pour satisfaire ce besoin combien de subordonnés n’iront-ils pas jusqu’à
sacrifier la réalité ? Et ils prendront part à des décisions irrationnelles. Sans
discuter. Sans s’interroger sur ce qui arrive. En renonçant à leurs capacités
critiques. Pour préserver leurs relations de dépendance, leaders et suiveurs
peuvent créer ensemble des groupes clos, étrangers à la réalité immédiate
de l’organisation, néfastes à son fonctionnement. » (Kets de Vries, 1991a :
98-99).
En interprétant les perturbations des relations entre supérieur et subor-
donné à la lumière des résultats de la pathologie des dynamiques fami-
liales, Kets de Vries et Miller (1985) identifient trois types de relations
destructrices suivant la force de la contrainte, ou le degré de contrôle que
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le supérieur impose à son subordonné :
• D’abord, lorsque les supérieurs contraignent leurs subordonnés au
point d’étouffer leur initiative et de gêner leur progrès, parce qu’ils
en font de simples marionnettes.
• Ensuite, si le supérieur se sert du subordonné comme d’un officiant,
d’un mandataire, qui lui fournit du frisson par procuration et exé-
cute pour son compte des missions dangereuses ou anormales.
• Enfin, dans le cas des comportements d’exclusion, le supérieur ne se
préoccupe nullement de ses employés, il les laisse sans conseils, sans
aide ni sécurité.
Ces phénomènes de contagions mentales trouvent leur source dans le
mécanisme inconscient et universel du transfert. Toujours à l’œuvre dans
une relation, le transfert contribue à donner un sens aux relations entre
personnes. Il possède parfois une puissance idéalisatrice et illusionniste
dans la mesure où il est la manifestation d’un fantasme inconscient qui
déforme les sentiments et les réactions d’un individu dans sa relation à
autrui.
« Sommairement défini, le transfert est la projection par le sujet d’un
état affectif sur une certaine personne ; plus précisément, les sentiments
que le sujet éprouve aujourd’hui à son égard, la façon dont il agit, repro-
duisent une attitude ancienne à l’endroit d’une figure importante de son
passé : c’est la tendance de chacun à interpréter son expérience à la lumière
du passé » (Kets de Vries et Miller, 1985 : 54).
Manfred F.R. Kets De Vries 499

L’importance accordée au transfert dans la cure psychanalytique a


engendré une abondante littérature, mais ce concept reste peu exploité
dans les études sur le management. Pourtant, comme le montre par
exemple Amado (1987), les difficultés des relations supérieur-subordonné
peuvent souvent être décrites comme le résultat de transferts inconscients.
Le travail de Manfred Kets de Vries vise également à révéler le rôle que
peut jouer le transfert dans les problèmes de commandement et de déci-
sion. Il identifie en particulier deux conséquences importantes de ces
comportements pathologiques pour la conduite des organisations. La
première est le risque d’un défaut de réalisme que Manfred Kets de Vries
illustre de la manière suivante :
« Sous le coup d’un événement renvoyant d’ordinaire à une privation
ancienne, le leader est la proie (inconsciente en général), d’idées fausses,
de fantasmes parmi lesquels le sentiment que ses subordonnés se jouent de
lui. Les subordonnés qui résistent sont rangés “dans l’autre camp”. Le
subordonné se trouve pris dans une double contrainte : ou bien il renonce
à satisfaire ses besoins de dépendance et encourt en même temps la colère
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du chef, ou bien il renonce à la vérité du réel. L’expérience révèle que dans
la plupart des cas, les subordonnés résolvent ce conflit intérieur en cédant
à l’ultimatum psychologique, en s’identifiant à l’agresseur. Ainsi, peuvent-
ils à la fois répondre à leurs soucis propres de dépendance et détourner
l’animosité du leader. » (Kets de Vries, 1991a : 100).
La seconde conséquence fâcheuse de ce type de mécanisme est le phé-
nomène de trappe qui explique la difficulté à diagnostiquer la folie à deux.
La plupart du temps en effet, les conduites contagieuses passent pour les
conséquences ordinaires d’un style de leadership excentrique ou despo-
tique, elles sont ainsi admises et même justifiées au sein de l’organisation
ce qui les rend particulièrement résistantes au changement.
Cette forme de contagion d’une pathologie individuelle à une patholo-
gie collective (au niveau d’une relation duelle ou d’un groupe restreint)
peut ainsi s’étendre à des groupes sociaux plus larges voir à des sociétés
dans leur ensemble. C’est dans cet esprit que Manfred Kets de Vries ana-
lyse les régimes despotiques et cherche à comprendre l’existence de formes
de leadership par la terreur (Kets de Vries, 2006a). Il explore en particulier
la relation tout à fait particulière qui existe entre les dirigeants et les sui-
veurs et le cycle auto-destructeur des régimes despotiques. Le rôle de
l’idéologie, la mise en œuvre de l’esprit de contrôle, l’impact des médias,
la création d’une illusion de solidarité, et la recherche de boucs émissaires
sont identifiés comme les principaux leviers utilisés par ces régimes afin de
consolider la base de leur pouvoir.
500 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Dans le cadre organisationnel, les travaux de Manfred Kets de Vries se


sont attachés à montrer comment les pathologies individuelles pouvaient
donner naissance à des configurations organisationnelles névrotiques.

2.3. Les névroses organisationnelles


Le cas d’Henri Ford est souvent mobilisé comme exemple de contagion
d’une pathologie du leader à une pathologie de l’organisation. Kets de
Vries et Miller (1985) illustrent cette idée que la personnalité du chef
d’entreprise marque de façon notable non seulement la stratégie et la
structure de la firme mais aussi le climat et la culture de l’organisation. En
identifiant cinq types névrotiques les plus courants (paranoïaque, compul-
sif, théâtral, dépressif, schizoïde), et les fantasmes qui leur sont associés, ils
étudient les avantages éventuels et les faiblesses potentielles que peuvent
avoir ces comportements sur le fonctionnement global de l’organisation.
Le tableau 1 synthétise les principales conséquences organisationnelles des
types névrotiques identifiés par Kets de Vries et Miller (1985 : 18-30).
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Tableau 1. Styles névrotiques et conséquences organisationnelles


Style névro-
Caractéristiques Avantages éventuels Faiblesses potentielles
tique
Suspicion de défiance à l’égard d’autrui.
Hypersensibilité et hypervigilance.
Bonne connaissance des dangers Absence de stratégie concertée, définie, cohérente
Prompte riposte contre tout ce qui est ressenti comme
et des occasions à l’intérieur et à – les compétences ne sont pas assez caractérisées.
L’organisation une menace.
l’extérieur de la firme. Insécurité et désillusion parmi les dirigeants de
paranoïaque Recherche excessive de motifs cachés et de significa-
Réduction des risques sur le mar- second rang et chez leurs subordonnés à cause de
tions particulières.
ché par la diversification l’atmosphère de suspicion.
Intensité de l’attention et de la concentration.
Froideur, affirmation d’objectivité, de rationalité.
Perfectionnisme, souci de détails insignifiants.
Volonté opiniâtre du sujet de plier autrui à sa ligne de L’étreinte de la tradition est si forte que stratégie et
Précision et finesse des contrôles
conduite. structure deviennent désuètes.
L’organisation internes ; efficacité de l’exécution.
La relation à autrui n’est vue qu’en termes de domination La programmation est trop extensive, de sorte que
compulsive Stratégie commerciale bien inté-
ou de soumission. les dérèglements bureaucratiques, les rigidités et
grée et ciblée.
Absence de spontanéité, incapacité de se détendre. les réponses inadaptées se banalisent.
Méticulosité, dogmatisme, obstination.
Dramatisation du comportement : excès dans l’expression Stratégies incohérentes, inconséquentes, qui com-
des émotions, tentatives incessantes pour attirer l’atten- portent un facteur de risque particulièrement élevé
Capable de donner l’impulsion
tion d’autrui. et entraînent un gaspillage inconsidéré des res-
nécessaire pour le bon démar-
L’organisation Préoccupations narcissiques. sources.
rage d’une firme.
théâtrale Besoin impérieux d’activité et de sensations fortes. Politiques d’expansions imprudentes et dange-
Quelques bonnes idées pour revi-
Autrui est tantôt idéalisé, tantôt dévalorisé à l’extrême. reuses.
gorer les firmes affaiblies.
Exploitation et abus d’autrui. Médiocrité du rôle joué par les responsables de
Inaptitude à la concentration ou imprécision de l’attention. second rang.
Sentiment de médiocrité, d’indignité, de culpabilité ;
autoaccusation.
Stratégies périmées et sclérose de l’organisation.
Impression d’impuissance, d’être à la merci de l’événe- Efficacité des processus de fonc-
L’organisation Confinement sur des marchés moribonds.
ment ; détresse, désespérance. tionnement interne.
dépressive Faiblesse de la position concurrentielle à cause de
Affaiblissement de l’aptitude à la pensée claire. Stratégie centrée.
la médiocrité des lignes de produits.
Manque d’intérêt et de motivation.
Manfred F.R. Kets De Vries

Incapacité d’éprouver du plaisir.


Indifférence, abstention, retrait. Stratégie incohérente ou hésitante.
Les dirigeants de second rang
Sentiment d’éloignement. Les décisions résultent moins de la considération
participent à l’élaboration et à la
L’organisation Défaut d’émotion ou d’enthousiasme. des faits que de négociations entre forces rivales.
formulation de la stratégie ; des
501

schizoïde Insensibilité à l’éloge ou au blâme. Défaillance du commandement.


points de vue divers peuvent
Manque d’intérêt pour le présent ou le futur. Climat de suspicion et de méfiance, qui entrave la
s’exprimer et se confronter.
Apparence de froideur, d’impassibilité. coopération.

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502 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Les « syndromes » caractérisant le dysfonctionnement d’une organisa-


tion peuvent être reliés aux comportements de son dirigeant. Chaque type
de comportement névrotique engendre des problèmes spécifiques qui
affectent la stratégie de l’entreprise, sa structure, ses décisions et son
ambiance. En classant les dérèglements des organisations par rapport aux
cinq styles névrotiques les plus courants, Kets de Vries et Miller proposent
d’intégrer des phénomènes divers (d’ordre psychodynamiques et organisa-
tionnels) dans un ensemble structuré, une configuration originale à
laquelle ils attribuent une capacité de prévision.
« Le recours à la configuration éclaire la genèse des faiblesses caractéris-
tiques d’une organisation et la manière dont elles se rattachent à la straté-
gie de l’entreprise, à sa structure, à sa culture et à la personnalité des diri-
geants. Notre schéma conceptuel peut être utilisé pour produire un
ensemble d’hypothèses associant un style névrotique et des fantasmes
collectifs pour chaque type de dérèglement » (Kets de Vries et Miller,
1985 : 31).
L’idée centrale défendue par les auteurs est que la « configuration »
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d’une organisation, les problèmes stratégiques, structurels et managériaux
qu’elle rencontre, reflètent approximativement, la structure psychodyna-
mique de la névrose de ses dirigeants.
Cette conception à une incidence essentielle sur les préconisations
faites par Manfred Kets de Vries concernant les démarches et les processus
de changement à entreprendre pour remédier aux dysfonctionnements
organisationnels.

3. DES PATHOLOGIES AUX REMÈDES


Les problèmes de l’organisation sont souvent de nature psychanalytique,
parfois enracinés profondément dans l’inconscient des acteurs-clés, leur étio-
logie renvoie aux styles névrotiques et aux fantasmes des dirigeants. En
conséquence les experts chargés de redresser une organisation n’auront d’effi-
cacité que s’ils peuvent découvrir, atteindre et éliminer les causes profondes
des difficultés. L’expérience de l’analyste se révèle dans ce cadre particulière-
ment utile lorsqu’il faut parvenir à une compréhension de la complexité d’un
cas et conduire une intervention. Celle-ci peut cependant s’avérer très diffi-
cile si les problèmes sont à la fois enracinés et trop diffus dans l’ensemble de
l’organisation. On doutera de toute manière qu’il suffise pour les traiter,
d’être muni d’un attirail de remèdes standard (installation de système d’in-
formation, constitution d’unités stratégiques opérationnelles, structures
Manfred F.R. Kets De Vries 503

matricielles, projets d’amélioration des conditions de travail…), tant que les


responsables continuent à fonctionner avec les mêmes névroses.

3.1. La thérapie psychanalytique


L’application de démarches psychanalytiques aux problèmes de change-
ment de l’organisation peut se révéler efficace notamment car elle propose
un travail totalement différent sur les résistances au changement. La psy-
chanalyse fait de la résistance et du travail sur la résistance un des leviers
de la cure. Transposer ce processus dans le travail sur le changement orga-
nisationnel permet de renverser la perspective traditionnelle et d’utiliser la
résistance plutôt que de la combattre (Reitter, 1991). Kets de Vries et
Miller (1985) décrivent les multiples formes de résistances (refoulement,
régression, dénégation, formation réactionnelle… et d’autres mécanismes
mis en évidence par Freud et ses successeurs) ainsi que les différentes
étapes d’un changement organisationnel. Ces différentes phases vers un
nouvel équilibre, processus que l’on nomme perlaboration, s’inspirent du
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cheminement de la cure psychanalytique individuelle. « On appelle perla-
boration le processus par lequel on maîtrise la perte, on change son propre
univers représentatif, avec ses fantasmes, ses croyances, ses attitudes, ses
valeurs.(…) Sans perlaboration, la prise de conscience et en conséquence
un changement durable et constructif aboutissent rarement » (Kets de
Vries et Miller, 1985 : 110). Cependant si la prise de conscience est essen-
tielle, elle ne suffit pas. Après avoir admis la nécessité du changement, ou
après l’avoir subie, les individus doivent s’attendre à passer une série de
moments difficiles, ils doivent « faire leur deuil » de ce qu’ils viennent de
perdre avant d’être capables d’une nouvelle forme de comportement. Les
thérapies d’éclaircissement (qui visent à la compréhension profonde des
problèmes) comme les thérapies de soutien (qui visent à l’accompagne-
ment et à la prévention du changement) préconisées par les auteurs, néces-
sitent une maîtrise de la psychodynamique de la part du consultant ou de
l’expert chargé de conduire le changement.
Manfred Kets de Vries a consacré plusieurs ouvrages aux bénéfices
d’une intervention de nature psychanalytique dans les organisations (Kets
de Vries, 1991b, 2006b, Kets de Vries et Carlock, 2007). S’adressant aux
managers, aux consultants et aux étudiants, ces ouvrages s’attachent à
défendre l’efficacité de la perspective psychanalytique pour l’analyse et le
changement de comportements organisationnels « malsains » mais profon-
dément enracinés, tels que l’addiction au pouvoir ou l’affaiblissement de
la responsabilité personnelle (Kets de Vries, 1991b). S’appuyant sur sa
pratique du coaching (Kets de Vries, 2005b), mêlant des concepts
504 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

empruntés à l’approche psychanalytique, à la philosophie Zen et à l’intel-


ligence émotionnelle, ces ouvrages ont pour objectif de « changer les gens
et les organisations dans un but d’amélioration, en révélant le “côté
sombre” du leadership et son impact sur les performances » (Kets de Vries,
2006b). Cette visée clairement performative s’affirme de manière de plus
en plus marquée dans les travaux de Manfred Kets de Vries. Certaines
publications récentes sont ainsi dédiées à la présentation et l’évaluation
d’outils de management à destination des praticiens et des consultants
comme, par exemple, l’audit de personnalité (Kets de Vries et al., 2006)
ou le GELI6 (The Global Executive Leadership Inventory). Cette méthode
est présentée comme un outil de développement du leadership pour le
coaching des ressources humaines visant à améliorer les performances
individuelle, collective et organisationnelle (Kets de Vries, 2005a).

3.2. Le rôle du consultant


Pour être pratiquée en entreprise, une démarche de changement de type
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psychanalytique nécessite le recours à un tiers, dont le rôle de miroir pour
l’organisation est comparable à celui du psychanalyste pour l’analysant :
aider à dévoiler le sens caché des choses. Dans l’organisation comme ailleurs,
le psychanalyste est un « détective du sens » qui va faire parler ce qui est
latent pour le faire remonter à la surface et le rendre patent (Grosvernier,
2004). Le rôle du consultant n’est donc pas très différent de celui d’un cli-
nicien. Comme ce dernier, le consultant ne cesse de dialoguer avec ses clients
et il participe à un processus interactif où la confrontation, la clarification et
l’interprétation (concepts empruntés à la psychanalyse), interviennent de
façon capitale. « Il faut du temps pour prendre “conscience” et cela ne suffit
pas, encore faut-il surmonter les résistances. Cela n’est pas sans conséquences
dans le domaine du conseil : cela signifie qu’il n’y a guère de chances pour
qu’un changement efficace dans une organisation puisse tenir aux “recettes
instantanées” habituelles ». (Kets de Vries et Miller, 1985 : 112).
Une telle démarche psychanalytique dans les organisations comporte de
toute manière des risques d’échecs. Il n’est nullement certain en effet que les
dérèglements d’origine psychodynamique puissent toujours être victorieuse-
ment combattus. Des sentiments, des idées, des interprétations, des
conduites, établis de longue date et tenaces, y associent des individus parti-
culièrement puissants. Ces configurations d’ordre psychique sont très diffi-
6. « The GELI consists of 100 action-and-behavior-based questions that are designed to measure the partici-
pants› competency within twelve areas : Visioning, Empowering, Energizing, Designing and Aligning,
Rewarding and Feedback, Team Building, Outside Orientation, Global Mindset, Tenacity, Emotional
Intelligence, Life Balance, and Resilience to Stress » (Kets de Vries, 2005a).
Manfred F.R. Kets De Vries 505

ciles à modifier, même lorsque les altérations de fonctionnement qui en


résultent sont évidentes. Les investigations de celui qui est en charge de
révéler en profondeur les raisons de ces dysfonctionnements, le consultant
en l’occurrence, s’avèrent souvent désagréables et coûteuses et il peut se voir
remercier. À partir d’un exemple d’intervention, Kets de Vries et Balazs
mettent en évidence les limites des approches traditionnelles de consultation
en organisation. Ils dépeignent une série de comportements dysfonctionnels
du leadership, comme les relations de collusion entre supérieur et subor-
donné, les mécanismes destructeurs de défense sociale ou une culture orga-
nisationnelle névrotique, comme autant de dynamiques pathologiques qui
peuvent faire échecs aux pratiques de consultation (Kets de Vries et Balazs,
2005).
Les difficultés et les risques d’échec de l’intervention psychanalytique, en
particulier lorsque les pathologies sont profondément ancrées et que le chan-
gement est plus subi qu’anticipé, conduisent Manfred Kets de Vries à une
préconisation essentielle : il convient d’anticiper et de prévenir le change-
ment plutôt que de chercher les remèdes a posteriori. Permettre l’expression
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et l’intervention experte de personnes susceptibles de jouer un rôle de
contre-pouvoir dans l’organisation est la seule prévention réellement efficace
de la pathologie organisationnelle. Ce rôle, qui se rapproche de celui du fou,
peut être joué par un individu extérieur ou une équipe dans la structure.
Grâce à l’humour et à une communication franche, le « fou » et le « roi »
s’engagent dans une sorte de jeu de rôles où sont abordés les différents pro-
blèmes liés à la nature humaine. L’humour peut ainsi contribuer à la cohé-
sion du groupe et à un climat de confiance. Il peut avoir un effet calmant
susceptible de réorienter une organisation vers les véritables problèmes.
« Dans une organisation, quelqu’un jouant le rôle du fou peut contribuer à
la maintenir sur les rails, à la garder en prise avec la réalité et, ce qui est le
plus important, à mettre en échec cette force destructrice qu’est l’orgueil
inconscient ». (Kets de Vries, 1995 : 97).

Conclusion
Dans une série d’ouvrages récemment parus dans lesquels il propose une
vue d’ensemble de ses travaux (2009a, b ; 2010), Manfred Kets de Vries se
définit lui-même comme un ingénieur et entrepreneur raté, un économiste
peu convaincu, un gourou du management international, un psychana-
lyste, mais surtout un homme d’esprit et de plein air.
L’œuvre de Manfred Kets de Vries qui l’établira comme une figure
essentielle dans l’étude clinique du leadership s’inscrit dans un courant de
506 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

recherche qui vise à mettre en évidence les dimensions et mécanismes


inconscients à l’œuvre dans les organisations. Mobilisant les concepts et les
méthodes de la psychanalyse pour analyser et comprendre les organisa-
tions, Manfred Kets de Vries appartient à ce mouvement dont l’objectif est
finalement de rendre conscient l’inconscient organisationnel et mettre au
jour le fonctionnement de son « théâtre interne ». Cette approche clinique
du management vise à déterminer dans quelle mesure les prises de déci-
sions et les pratiques de management subissent l’effet de fantasmes ou de
comportements échappant à la perception consciente (Grosvernier, 2004).
Les nombreux travaux s’inscrivant dans ce courant7 sont parfois l’objet de
critiques dont nous mentionnerons ici brièvement les plus fréquentes.
Premièrement, on a parfois reproché à l’approche psychanalytique le regard
trop unidimentionnel qu’elle pose sur les problématiques organisation-
nelles. Les mécanismes psychanalytiques sont parfois tellement au cœur de
l’analyse qu’ils effacent d’autres dimensions toutes aussi essentielles (tech-
nique, économique, sociale). Cette vision réductionniste fait courir un
risque réel à la pertinence de l’approche psychanalytique. Il convient à cet
égard de se garder de parler d’inconscient organisationnel ou d’effectuer
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d’autres raccourcis abusifs allant dans le sens d’une anthropomorphisation
de l’organisation. Deuxièmement, les méthodes d’interventions d’inspira-
tion psychanalytique (Lourau, 1971) peuvent être jugées inadaptées à la
nature des demandes des entreprises. Elles se sont parfois révélées pertur-
bantes pour le fonctionnement des organisations (Lapassade, 1971) et
donc incompatibles avec les contraintes et les objectifs organisationnels.
Enfin, Le regard souvent pessimiste que pose l’approche psychanalytique
sur l’organisation (dévoilant les causes d’échec et de souffrance des indivi-
dus, révélant les motifs inconscients des dysfonctionnements et des patho-
logies organisationnelles) lui confère un statut plus compréhensif que
prescriptif. On peut lui reprocher alors d’être plus « un annonceur de
mauvaise nouvelle » qu’un « bon guide » pour la conduite des organisa-
tions. Cependant, sans minimiser le poids de certaines de ces critiques,
l’apport des travaux s’inscrivant dans cette approche, et en particulier ceux
de Manfred Kets de Vries, ne peut être négligé. En montrant comment les
organisations nourrissent l’inconscient des individus et comment, en
retour, elles se construisent et se structurent autour des mécanismes incons-
cients que les individus mobilisent dans leurs rapports avec elle, l’approche
psychanalytique donne à voir des dimensions essentielles pour comprendre
et agir dans les organisations.
7. En dehors des travaux de Kets de Vries présentés dans cet article on peut mentionner (sans souci
d’exhaustivité) les travaux de Levinson (1972) et de Lapierre (1987) sur le leadership, les travaux sur les
relations de travail de Desjours (1980), sur l’imaginaire social (Enriquez, 1972, 1992), sur l’imaginaire
organisationnel (Larçon et Reitter, 1979), sur l’emprise de l’organisation (Pagès et al., 1979) ou encore
sur le sexe du pouvoir (Aubert et al., 1987).
Manfred F.R. Kets De Vries 507

Travaux cités de l’auteur


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XXXII. KURT LEWIN – DE LA THÉORIE DU CHAMP À UNE SCIENCE DU
SOCIAL

Florence Allard-Poesi
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 510 à 530


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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De la théorie du champ
à une science du social
XXXII
Kurt Lewin

Florence Allard-Poesi
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Kurt Lewin 511

Kurt Lewin est considéré comme le père de la psychologie sociale et de


la recherche-action. La lecture de son œuvre révèle en outre une véritable
ambition scientifique pour l’étude des objets sociaux. Paradoxalement, ce
que l’on sait dire immédiatement de lui paraît relativement pauvre et revêt
principalement un caractère instrumental : les expériences sur la consom-
mation d’abats, sur les styles de leadership, des méthodes d’intervention
pour promouvoir le changement dans les organisations. À cela plusieurs
raisons : Lewin élabora les grandes lignes de son projet dès les années
vingt, alors qu’il était jeune enseignant en psychologie à l’Université de
Berlin, mais sa mort prématurée en 1947 ne lui laissera pas le temps de le
mener à bien. Et si ses étudiants et collègues, parmi lesquels Festinger,
Kelley, White, Lippitt et Newcomb, furent fortement influencés par la
« méta-théorie » et la vision des sciences que proposa Lewin, aucun d’entre
eux ne reprit à son compte l’ambition du père. Certes, le projet lewinien
a conduit à considérer, dans l’étude des groupes notamment, les facteurs
de direction (le style de leadership) et de structure (rôles et statuts hiérar-
chiques) ainsi que des dimensions plus « psychologiques » (la cohésion, la
normativité, le climat). Mais ni le programme de recherche qu’il prévoyait
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pour sa théorie du champ, ni son projet pour les sciences sociales, ne trou-
vèrent écho dans le développement effectif des différentes disciplines.
Aujourd’hui encore, le projet que Lewin dessina paraît particulière-
ment ambitieux. Il s’agit, en résumé, de faire du social une science, ambi-
tion qu’il décline dans un triple programme :
• élaborer une approche permettant d’expliquer le comportement de
l’individu, en prenant en compte la structure et la dynamique de
son espace psychologique au moment considéré. Ce sera l’objet de
la théorie du champ, que Lewin transposera audacieusement à
l’étude des groupes et des conduites sociales (Lewin, 1947a et b) ;
• faire reconnaître le social comme une réalité conceptuelle à part
entière, distincte des parties le composant. La transposition de la
théorie du champ de la psychologie individuelle aux conduites
sociales nécessitera en effet de légitimer le social, et le groupe en
particulier, comme un objet aussi réel que la personne. Ceci condui-
ra Lewin à sortir du laboratoire et à s’attaquer à l’étude des phéno-
mènes sociaux dans la vraie vie pour y étudier le rôle des cadres
culturels et idéologiques, puis pour résoudre des problèmes sociaux
concrets : l’école et l’éducation des enfants (Lewin et al., 1939), les
relations entre minorités et majorités et la marginalité (Lewin,
1946b), les habitudes alimentaires des familles (Lewin, 1947a) ;
• définir les traits essentiels d’une méthode de recherche scientifique
de cet objet social. L’ambition scientifique de Lewin le conduit à
512 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

mener une réflexion sur les moyens par lesquels élaborer une
connaissance scientifique des conduites sociales. L’expérimentation
en laboratoire puis dans les cadres réels (Lewin, 1939a ; b), la
rigueur de la formulation théorique, la clarté et l’univocité des
hypothèses, la qualité et la fiabilité des méthodes d’observation et
d’analyse, seront ces chevaux de bataille, et les éléments principaux
que l’on retiendra de son œuvre.
Ces trois axes, dont on peut trouver les origines dans le parcours intel-
lectuel de Lewin (Encadré 1), seront ici privilégiés.

Encadré 1. Sources et vie du projet lewinien


Kurt Lewin, aîné d’une famille juive de 4 enfants, est né en 1890 en Prusse orientale
où il passe les 15 premières années de sa vie. Entré à l’Université de Berlin en 1910 où
il suit des cours de psychologie, il obtient son doctorat en 1916 sous la direction de
Carl Stumpf. C’est à cette époque, puis en tant que jeune professeur après la Première
Guerre mondiale, qu’il bénéficie des influences intellectuelles qui lui permettront
d’élaborer la théorie du champ et plus largement, sa vision des sciences.
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Le courant de la Gestalt et ses fondateurs – Wertheimer, Koffka et Kölher – connais-
saient alors leur heure de gloire à l’Université de Berlin. Ce courant de la psychologie
postule que l’individu perçoit la réalité comme un tout, à partir des relations spatiales
et temporelles entre les éléments qui la constituent, et non à partir de leurs caractéris-
tiques intrinsèques. Nous n’entendons pas une mélodie en distinguant chacune des
notes qui la composent, mais en percevant les relations qui existent entre elles, de sorte
que nous sommes capables de la reconnaître même si elle est jouée dans une tonalité,
à un rythme ou avec des instruments différents. Cette vision holiste et dynamique de
la psychologie individuelle, qui s’oppose aux théories associationnistes alors en vigueur
(Lewin, 1951), marquera fortement la conception que Lewin développera du compor-
tement individuel et des conduites sociales. Il s’en démarque néanmoins à plus d’un
titre. S’il accepte pleinement la vision holiste et contextuelle proposée par les
gestaltistes, il en rejette les explications physicalistes. L’influence de la biologie est en
effet alors prégnante, et les gestaltistes confinent leurs explications des phénomènes
perceptifs et psychologiques à des éléments directement observables ou tangibles (une
hypothétique structure du cerveau, en particulier).
Il est ici fortement influencé par sa rencontre, au cours de sa vingtième année, du
philosophe Ernst Cassirer lors d’un séminaire à l’Université de Berlin. Cassirer, et les
autres philosophes néo-kantiens de l’époque, défiaient l’empirisme qui prévalait alors
avec une conception de la réalité que l’on qualifierait aujourd’hui de constructiviste
(Gold, 1999) : si l’on a l’idée de quelque chose, elle a une forme de réalité, une exist-
ence. Dans cette perspective, une théorie scientifique n’a pas à se cantonner à
l’observable. « Si un concept est utile pour construire une hypothèse, alors il faut le
créer, le définir, le décrire, et, si l’on souhaite que ce concept soit pleinement scienti-
fique, il faut concevoir un moyen de le mesurer (Gold, 1999 : 8) ». Selon Gold (1999),
la rencontre d’Ernst Cassirer fut pour Lewin, « une force libératrice ». Lewin partageait
l’ambition gestaltiste de faire de la psychologie une science, mais il était loin de vouloir
renoncer aux notions de besoin, de motivation et d’intention, notions auxquelles il
allait d’ailleurs accorder une place centrale dans la théorie du champs (Lewin, 1946a ;
Kurt Lewin 513

1951). Lewin voyait ainsi dans cette « idée de l’idée » soutenue par les philosophes
néo-kantiens un moyen de légitimer son recours à ces concepts immatériels. En même
temps, l’importance accordée par ce courant à la théorie, à la formulation des constru-
its et à leur mesure, devait marquer sa vision des sciences. Si Lewin (1949) lui-même
accorde à Cassirer la paternité de nombre de ces idées sur les sciences, cette influence
fut loin d’être la seule : de la phénoménologie, il retiendra que l’individu n’est qu’en
contact indirect avec la réalité, par le biais de processus perceptuels qui lui permettent
d’interpréter les stimuli qu’il reçoit et perçoit, et que son comportement ne doit donc
s’entendre qu’en termes de ces perceptions et interprétations (Lewin, 1946a). Avec le
positivisme logique de Vienne, Lewin défendra l’idée que seules les affirmations qui
peuvent être soumises à l’épreuve du test sont dignes d’intérêts. Sans que ces influ-
ences ne soient explicitement reconnues par les commentateurs enfin, les lectures de
Freud et d’Einstein lui ont sans conteste permis de préciser la nature des dimensions
impliquées dans le champ psychologique du sujet pour le premier, et celle des forces
qui l’animent pour le second (Lewin, 1946a).
De 1924 à 1933, Lewin, alors professeur à l’Université de Berlin, mène ses premières
expériences sur les effets de la motivation sur la mémoire notamment, et travaille sur
les notions d’intentions et de besoins et sur leurs rôles dans le champ psychique du
sujet. Se sentant menacé par l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il quitte l’Allemagne en 1933
pour rejoindre l’Université d’Iowa. Il y mène ses recherches sur le degré d’aspiration
(Lewin et al., 1944), sur les effets de la frustration sur le développement cognitif et le
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comportement des enfants (Lewin, et al., 1941) en situation de groupe, ce qui
l’amènera à étudier, en collaboration avec Lippitt et White, les effets du style de leader-
ship sur l’agressivité (Lewin et al., 1939). Après cette première incursion en dehors du
laboratoire, la deuxième guerre mondiale oriente ses recherches sur les problèmes
sociaux qui se posent alors : l’alimentation des nourrissons, les habitudes alimentaires
des familles, les niveaux de production dans les usines (Lewin, 1947a). Ces recherches
le conduiront à étudier plus avant les groupes, puis à développer un modèle de change-
ment des conduites sociales (Lewin, 1944 ; 1947a et b). Il quitte l’Université d’Iowa en
1944 et fonde le Research Center for Group Dynamics au Massachusetts Institute of
Technology, qu’il dirigera jusqu’à sa mort en 1947. C’est au cours de cette période qu’il
ébauche les traits de la recherche-action (Lewin, 1946b) et qu’il formalise plus avant
ces idées sur les méthodes de recherche et les sciences sociales (Lewin, 1943-1944 ;
1949). À sa mort, un de ses élèves, Léon Festinger, prend la direction du centre de
recherche.

1. LE CHAMP DYNAMIQUE DE LA PERSONNE


La « théorie » du champ développée par Lewin est une approche ana-
lytique (plutôt qu’une théorie au sens strict) ayant initialement pour objet
de rendre compte et d’expliquer le comportement de l’individu, entendu
au sens le plus large possible (l’action proprement dite, mais aussi les acti-
vités de formation des intentions et de la motivation, de la réflexion, ou
encore des rêves, souhaits ou peurs). Trois principes relatifs au fonctionne-
ment de la personne sont à l’œuvre dans cette approche : (1) le compor-
tement résulte de la totalité du champ psychologique de la personne ;
514 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

(2) le champ psychologique est la situation telle que perçue et vécue par
l’individu « ici et maintenant » ; (3) il est défini par une structure cognitive
particulière (les éléments que l’individu perçoit, appréhende, souhaite…),
et un ensemble de forces motrices ou contraignantes qui poussent ou
empêchent l’individu d’agir.

1.1. Le comportement résulte de la totalité


du champ psychologique de la personne
La théorie du champ repose ainsi sur une vision interactionniste du
comportement. En termes généraux, Lewin (1946a ; 1951) conçoit le
comportement (C) comme étant fonction (F) et de la personne (P) et de
son environnement (E). Dans cette équation C = F(P,E), l’état de la per-
sonne et de son environnement sont deux facteurs interdépendants. La
perception que l’individu a de son environnement immédiat dépend ainsi
de son stade de développement (celui d’un enfant de 18 mois, celui d’un
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adulte de 30 ans), de son caractère, de son état physiologique du moment,
de sa culture et de son idéologie. L’environnement immédiat de la per-
sonne (est-elle dans un climat agréable, agressif, a-t-elle été encouragée)
influence en retour le degré de tension qu’elle peut ressentir et donc son
état psychologique à ce moment considéré. Ainsi, pour Lewin, si l’on sou-
haite comprendre ou prédire le comportement, il nous faut considérer la
personne et son environnement comme une constellation de facteurs
interdépendants. La totalité de ces facteurs est l’espace de vie (life space) de
l’individu. Souhaitant souligner l’interdépendance des facteurs constitutifs
de cet espace, Lewin emprunte à la physique la notion de champ pour le
désigner. Le champ psychologique d’une personne à un moment donné se
définit comme un ensemble de facteurs comprenant sa perception immé-
diate1 de son environnement physique et social (ce qu’elle voit, définissant
la structure du champ) et les pressions ou tensions qu’elle ressent (la façon
dont elle les vit)2. Le comportement est le produit de ce champ psycholo-
gique immédiat, dans la totalité et l’interdépendance dynamique des élé-
ments le composant (Lewin, 1946a). Expliquer le comportement d’un
sujet implique de fait de 1/ trouver une représentation adéquate (scienti-
1. Ce principe d’immédiateté est, avec celui de totalité, fondamental pour Lewin : si le champ psy-
chologique passé laisse toujours des traces dans le champ psychologique présent de la personne, il ne
saurait en être la cause, encore moins expliquer le comportement immédiat du sujet : « Les événements
du passé n’existent pas maintenant et ne peuvent donc avoir un effet maintenant » (Lewin, 1942, 1997 :
214-215).
2. Les dimensions sociales et physiques objectives sont importantes en ce qu’elles limitent la variété des
champs psychologiques possibles (Lewin, 1946a). Mais ces dimensions ne constituent pas, en tant que
telles, le champ psychologique du sujet, qui les perçoit toujours de manière singulière.
Kurt Lewin 515

fique) du champ, et 2/ déterminer la fonction F liant le comportement à


ce champ (Lewin, 1946a). Lewin aborde cette question sous le double
aspect de la structure et de la dynamique du champ.

1.2. La structure cognitive du champ


psychologique : déterminer les possibles
Le champ psychologique d’une personne est en premier lieu caractérisé
par une structure, une organisation particulière. Ce que l’on perçoit et vit
à un moment donné et dans une situation particulière est ainsi plus ou
moins étendu et différencié, en fonction du stade de développement que
l’on a atteint et plus largement de la connaissance que l’on a de la situation
(Lewin, 1946a) : un nouveau-né ne perçoit ainsi qu’un nombre restreint
de régions dans son environnement et il n’a conscience ni du futur ni du
passé. Rapidement, il distinguera des éléments ayant trait à son alimenta-
tion, sa mère, puis à son corps et son environnement immédiat. Dans
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l’enfance, cette transformation s’accompagnera d’une différenciation
croissante entre les niveaux de « réalité » (ce qui est perçu comme réel) et
d’irréalité (les rêves, les peurs, les souhaits), et d’une extension temporelle
du champ et de ses dimensions constitutives : ce qui est considéré comme
étant le présent, le passé, le futur, devient plus étendu ; nous devenons
capables de former des plans à plus long terme, pour des périodes et à des
échéances différenciées (voir Figure 1 pour une représentation graphique
de ce processus).
516 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Figure 1. Le champ psychologique à différents stades de développement

Source : adapté de Lewin, 1946a, 1997 : 342.


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Le schéma supérieur représente le champ psychologique d’un jeune enfant, celui au-
dessous d’un enfant plus âgé. Ce dernier est marqué par un plus fort degré de différen-
ciation de chacune des dimensions du champ (passé, présent, futur, réalité, irréalité),
entre ces différentes dimensions du champ (la distance entre les niveaux de réalité et
d’irréalité s’accroît), et par une plus grande perspective temporelle.

Les dernières caractéristiques structurelles que retient Lewin sont le


degré d’organisation et la relative fluidité/rigidité du champ. Par organisa-
tion, Lewin désigne les liens et/ou restructuration entre régions initiale-
ment disjointes qui s’opèrent dans le champ psychologique. La fluidité/
rigidité du champ désigne sa plasticité, sa capacité à se modifier : le champ
psychologique d’un enfant est ainsi moins organisé que celui d’un adulte,
mais plus fluide, donnant lieu à une plus grande capacité d’apprentissage.
Pour Lewin, la structure du champ, avec la localisation de la personne
dans ce champ, est fondamentale pour comprendre le comportement
d’une personne. C’est en effet la structure du champ qui rend compte de
la signification que la personne attribue à son environnement et donc des
comportements qu’elle estime possibles au moment considéré (les régions
accessibles et celles qui sont inaccessibles, parce que trop éloignées ou
absentes du champ). La localisation de la personne dans cette structure,
c’est-à-dire la région dans laquelle elle se voit par rapport aux autres
régions physiques, sociales, d’activités ou d’objectifs qu’elle distingue, rend
compte des zones immédiatement accessibles, des déplacements possibles,
et des étapes que la personne va considérer comme lui permettant d’at-
Kurt Lewin 517

teindre son objectif. Le comportement possible d’une personne dépend


ainsi et de la structure du champ psychologique et de sa localisation dans
ce champ.
Qu’il soit dirigé vers un objectif ou induit par des forces extérieures, le
comportement consiste en un déplacement d’une région (celle où l’on est
initialement placé) à une autre (celle que l’on souhaite ou que l’on est
poussé à atteindre). Le comportement effectivement adopté par la per-
sonne, parmi les possibles, résulte de la dynamique du champ, c’est-à-dire
de l’ensemble des forces d’attraction, de répulsion et des contraintes qui
s’exercent entre les différentes régions du champ.

1.3. La dynamique du champ : forces, valences


et comportement
D’une manière générale, une force dans un champ peut se définir
comme une tendance au changement dans une direction donnée, donc
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comme une relation entre deux régions du champ. On parle de force
d’attraction lorsqu’elle tend à diriger l’individu dans une zone particulière,
de répulsion lorsqu’elle l’en éloigne. À ces forces motrices (driving forces)
qui engendrent l’action, Lewin ajoute des forces contraignantes (constrai-
ning forces), matérialisées par des obstacles physiques (une barrière) ou
sociaux (un tabou) qui au contraire inhibent ou empêchent l’action. Le
comportement effectivement adopté par une personne à un moment don-
née est alors le produit de la force résultante (resultant force) du champ,
c’est-à-dire de la combinaison (de la somme) de l’ensemble des forces
agissant sur elle (sur la zone dans laquelle elle est située) à ce moment
considéré. La relation entre force et comportement peut être résumée
ainsi : dès lors qu’une force résultante non nulle s’exerce sur l’individu, il
y a déplacement (comportement) dans la direction de cette force ou un
changement dans la structure cognitive du champ équivalent à ce dépla-
cement (Lewin, 1946a).
Ces différentes forces et leur puissance relative ont principalement pour
origine les besoins ou intentions de l’individu (Lewin, 1942 ; 1946a ;
1951). Ceux-ci correspondent à ses besoins fondamentaux (sécurité, faim,
soif ), à des combinaisons de besoins et/ou à des besoins secondaires déri-
vés de ceux-ci (quasi-besoins) qui se traduisent par des intentions (réaliser
une activité particulière comme poster une lettre, Lewin, 1951). Ces
besoins créent une tension dans le champ psychologique du sujet (celle
d’une vision, qui n’a pas à être précise, d’un futur ou d’une action future)
qui va, dans une situation particulière, se traduire par la création de forces
518 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

d’attraction ou de répulsion pour certaines régions au détriment d’autres


régions. Cette influence des besoins sur le champ psychologique est
d’autant plus importante que leur intensité est grande et que la structure
du champ est fluide. Dans cette perspective, plus nous avons faim, et plus
nous sommes prêts considérer comme « attractive » une catégorie impor-
tante d’aliments, même si nous ne les aimons pas spécialement. Une fois
le besoin satisfait, la tension disparaît, et les régions originellement attrac-
tives redeviennent neutres. La dynamique du champ résulte ainsi des
besoins ou quasi-besoins de l’individu et de la situation dans laquelle il se
trouve, c’est-à-dire, en termes lewiniens, de la structure particulière du
champ psychologique du sujet au moment considéré.
Pour Lewin, l’approche du champ permet d’expliquer les comporte-
ments de fuite ou d’abandon, l’acte de décision lui-même, l’apathie ou
encore l’agressivité que l’on observe en situations conflictuelles ou tension-
nelles (Lewin et al., 1939). Elle permet aussi d’appréhender les modifica-
tions qu’engendre le comportement dans la structure cognitive même (du
fait du déplacement qu’il implique d’une région à l’autre) et/ou dans la
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dynamique (du fait de la modification des forces en présence qu’il
engendre) du champ : les modifications du niveau d’aspiration suite au
succès ou à l’échec dans une tâche précise (Lewin et al., 1944), les com-
portements coopératifs, agressifs ou apathiques observés chez les enfants
soumis à des modes de leadership différents (Lewin et al., 1939), par
exemple. De manière audacieuse, Lewin transpose l’approche du champ,
initialement développée pour appréhender les comportements indivi-
duels, aux conduites sociales des groupes.

2. LE CHAMP DYNAMIQUE DU GROUPE


Même encore aujourd’hui, l’idée selon laquelle un groupe social consti-
tue une réalité conceptuelle à part entière, c’est-à-dire capable de proprié-
tés distinctes des éléments qui le composent, est loin d’être unanimement
partagée. C’est en s’appuyant sur ce postulat très novateur pour l’époque,
que Lewin transpose la théorie du champ à l’étude des groupes et des
conduites sociales.

2.1. Le groupe est une réalité conceptuelle


Sa défense de l’idée que le groupe est une réalité à part entière repose
sur deux ensembles d’arguments (Lewin, 1947a ; 1949). S’appuyant sur la
Kurt Lewin 519

réflexion menée par Ernst Cassirer sur le développement des sciences,


Lewin souligne en premier lieu le caractère à la fois crucial et contextuel
de la reconnaissance de l’existence d’un phénomène en science. Empruntant
à la physique, il souligne ensuite que des entités composées d’éléments de
taille inférieure disposent de propriétés globales spécifiques du fait de
l’interdépendance dynamique des unités le composant. Si l’on admet cela,
alors « Il n’y a pas plus de magie derrière le fait que les groupes ont des
propriétés qui leur sont propres, qui sont différentes des propriétés de
leurs sous-groupes ou de leurs membres individuels, qu’il n’y en a derrière
le fait que les molécules ont des propriétés qui sont différentes de celles des
atomes ou des ions qui les composent » (Lewin, 1947a, 1997 : 303). Le
problème de l’existence du groupe, dans une telle perspective, perd toute
connotation métaphysique pour devenir un problème empirique : il s’agit
simplement de démontrer que le tout étudié, un groupe en l’occurrence,
démontre de propriétés particulières liées à l’interdépendance de ses
membres.
L’approche du champ, qui repose précisément sur l’idée que c’est l’in-
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terdépendance dynamique des facteurs (la constellation des forces et de la
structure) qui donne au champ ses spécificités, servira de cadre analytique
pour concevoir ce tout qu’est le groupe et mettre en évidence ses proprié-
tés globales.

2.2. Appréhender le champ dynamique


du groupe
Cette transposition suppose d’envisager le groupe dans son contexte
comme un « champ social » et de retenir des unités d’analyse de taille
suffisamment importante, condition nécessaire pour mettre en évidence
les propriétés du champ dans son ensemble (Lewin 1943-1944 ; 1947a).
On cherchera dans un premier temps à représenter la structure du groupe
et de son contexte, c’est-à-dire la position relative de ses entités constitu-
tives (sous-groupes ou membres individuels) et les dimensions structurant
ces positions telles que la structure des rôles dans la tâche, celle des statuts
des membres, les réseaux de communication. Cette analyse, avec celle des
propriétés structurelles du champ (relative fluidité/rigidité, espace de
mouvement libre laissé aux individus par exemple), permet d’envisager les
mouvements possibles des membres ou sous-groupes dans le champ. Dans
un second temps, on cherchera à appréhender la distribution des forces
s’exerçant entre les différentes régions du champ. Ces forces représentent
en général les pressions qu’exercent les sous-groupes ou membres indivi-
520 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

duels les uns sur les autres, les contraintes impliquées par les barrières
physiques ou sociales du champ, les besoins des membres et sous-groupes.
La série d’expériences menées par Lippitt, White et Lewin sur le compor-
tement des enfants dans des clubs dirigés par des adultes au style de lea-
dership différent est exemplaire de ce type d’analyse (voir Encadré 2, pour
une synthèse).

Encadré 2. Agressivité et mode de leadership dans les groupes


d’enfants
(d’après Lewin et al., 1939 ; Lewin, 1939a)
Dans cette expérience (in Lewin et al., 1939), 4 groupes de 5 enfants sont dirigés suc-
cessivement par des adultes adoptant des styles de leadership différents. Ces groupes
d’enfants, tous volontaires, participent après la classe à des activités variées et sont
dirigés toutes les 6 semaines par un adulte différent (pour neutraliser les effets de la
personnalité) adoptant un style de leadership particulier. Les comportements des
enfants et des adultes furent filmés, observés à l’aide de différentes grilles et les propos
sténographiés. D’autres informations furent recueillies en interviewant les enfants, leurs
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parents et leurs professeurs. Les spécificités des différents styles de leadership et leurs
principaux effets sur le comportement des enfants sont résumés dans le tableau suivant.

Conditions des groupes et effets sur le comportement des enfants


Style de Leadership Autoritaire Démocratique Laissez-faire
Définition des Par les enfants
Par l’adulte Par les enfants
objectifs seuls
Par les enfants Par les enfants
Choix des moyens Par l’adulte avec l’aide active avec adulte si aide
de l’adulte demandée
Constitution des
sous-groupes de Par l’adulte Par les enfants Par les enfants
travail
Par l’adulte sans Par l’adulte avec
Évaluation précision précision Pas d’évaluation
des critères des critères
Comportements Agressivité (1)
Peu d’agressivité Forte agressivité
des enfants Apathie (4)

Adapté d’Oberlé D. (1995), « Le leadership », in Mugny G., D. Oberlé et J.-L.


Beauvois, Relations humaines, groupes et influence sociale, Grenoble, Presses
Universitaires de Grenoble, p. 121.

Les résultats les plus importants concernent le changement du niveau


d’agressivité des enfants dans les atmosphères induites. Ces différents
niveaux d’agressivité relèvent bien d’une propriété du groupe dans son
ensemble et non de caractéristiques individuelles, puisque ce sont les mêmes
Kurt Lewin 521

enfants qui, passant d’une modalité à l’autre, changent du tout au tout. Plus
précisément, 4 climats sociaux différents furent provoqués par les trois styles
de commandement. Alors que dans le climat démocratique, l’agressivité est
présente mais reste à un niveau moyen, et que le climat laissez-faire montre
le plus fort taux d’agressivité, le climat autocratique donne lieu à deux types
de comportements différenciés. Dans 5 des climats autocratiques induits, 4
groupes montrent un comportement apathique, 1 groupe une forte agressi-
vité. Pour Lewin et al. (1939), ces différences de comportements observés
dans les climats autocratiques ne sont pas le fait de dynamiques fondamen-
talement différentes, mais relèvent toutes d’un degré élevé de frustration et
de tension : tous les enfants font ainsi preuve d’une très forte agressivité lors
des journées de transition d’une modalité autocratique à une modalité
démocratique ou laissez-faire (non observé dans les autres cas).
En accord avec la perspective du champ, ces différents éléments sont
interprétés comme le résultat de différences dans la structure du groupe et
dans l’intensité des forces agissant dans ce champ impliquées par les diffé-
rents modes de leadership. Dans le climat autocratique, le comportement
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du leader induit un espace restreint de mouvement libre pour les indivi-
dus. À cette tension induite par la structure s’ajoutent les pressions exer-
cées par le leader par ses critiques ou directives. Cette tension élevée chez
les enfants donne naissance à un besoin, une force motrice poussant les
enfants à quitter le champ. Ceux-ci ne peuvent néanmoins le faire de par
la rigidité de la structure (force contraignante). L’agressivité résulte ainsi
d’une tension créée par la structure elle-même, tension amplifiée par sa
rigidité d’une part et par les pressions qu’exerce le leader d’autre part. Il y
a néanmoins apathie tant que ces forces externes sont plus importantes
que celles poussant l’individu à extérioriser la tension qu’il ressent.
Expliquer et qualifier les propriétés du groupe dans son ensemble,
comme un niveau d’agressivité par exemple, nécessite ainsi d’envisager la
constellation des facteurs (structure et forces) à l’œuvre dans le champ du
groupe. C’est dans cette perspective que Lewin élabore un cadre d’analyse
et de changement des niveaux de conduite des groupes.

2.3. Concevoir et changer un niveau


de conduite dans un groupe
Une propriété du groupe (le taux d’agressivité, le niveau de production
par exemple) peut parfois fluctuer autour d’un niveau particulier. On
parle de processus en équilibre quasi-stationnaire pour désigner cette rela-
tive stabilité. Cette apparente stabilité, souligne Lewin, est toujours le fait
522 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

d’un processus du groupe, qui, « comme une rivière, change d’éléments au


cours du temps même si sa vélocité et sa direction restent iden-
tiques (Lewin, 1947a, 1997 : 310-311) ». Elle résulte d’un champ de
forces opposées d’intensités similaires, et non de l’absence de forces dans
le champ, et n’est de fait jamais parfaitement constante. Cette notion
d’équilibre quasi-stationnaire implique que le changement d’un niveau de
conduite particulier peut s’effectuer soit en augmentant l’intensité des
forces présentes dans la direction souhaitée ou en ajoutant des forces nou-
velles dans cette direction, soit en diminuant l’intensité des forces s’oppo-
sant à ce changement (voir figure 2).

Figure 2. Deux états de tension résultant de différents modes de changement des niveaux
de production
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Source : adapté de Lewin, 1947a, 1997 : 321).

Si le même niveau de conduite est alors atteint, le degré de tension en


présence dans le champ est plus élevé dans le premier cas que dans le
second. Un niveau de tension plus élevé impliquant une plus grande
fatigue, une plus grande émotivité et une moindre créativité, la seconde
méthode est pour Lewin, préférable à la première. C’est dans ce cadre
général de compréhension des niveaux de conduite dans les groupes que
Lewin développe les notions de résistance au changement et conçoit le
modèle « dégel-changement-regel ».
La notion de résistance au changement désigne les forces supplémen-
taires qui, malgré l’application de forces nouvelles ou l’augmentation de
l’intensité des forces en direction du changement, maintiennent le groupe
au même niveau de conduite. Il peut s’agir d’habitudes sociales liées à une
forme d’institutionnalisation, un intérêt dans le niveau de conduite atteint
ou encore l’établissement d’une norme attachant les individus à ce niveau.
Dans ce dernier cas, les individus, par peur d’être ridiculisé ou margina-
lisé, font en sorte de ne pas s’écarter de la norme du groupe, celle-ci acqué-
rant une valeur et créant une force supplémentaire dans sa direction.
Kurt Lewin 523

Changer le niveau de conduite du groupe implique dès lors de diminuer


l’intensité de cette force, soit en réduisant l’attachement qu’ont les indivi-
dus à la norme soit en modifiant la norme elle-même. Les expériences que
Lewin (1944 ; 1947a) et ses collègues mèneront sur les habitudes alimen-
taires et les niveaux de production dans les usines montreront que cette
voie est plus efficace et plus aisée pour changer les normes sociales (voir
encadré 3, ci-après pour une synthèse d’une de ces expériences). Ce chan-
gement implique en premier lieu de « dégeler » (unfreeze), par la discussion
en particulier, l’habitude sociale, dégel qui sera suivi d’une modification
du niveau de conduite (changement) de par la simple réduction de la force
de résistance qu’il implique. Afin d’empêcher que le groupe ne retourne
au niveau antérieur, une étape de « gel » (freezing) du niveau de conduite
atteint est nécessaire pour stabiliser le nouveau champ de force à l’œuvre
(par institutionnalisation ou par l’établissement d’une nouvelle norme
sociale, Lewin, 1947a et b).

Encadré 3. Décision de groupe et changement social –


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L’expérience sur la consommation d’abats dans les familles
américaines pendant la Seconde Guerre mondiale
(d’après Lewin, 1947a et b)
L’expérience des abats est la première d’une série d’expériences menées par Lewin et ses
collègues à l’Université d’Iowa sur le changement des niveaux de conduite dans les
groupes (consommation de lait frais dans les familles, alimentation des nourrissons,
niveau de production dans les usines, etc.). Cette expérience porta sur 6 groupes de 13
à 17 femmes, toutes volontaires et membres de la Croix Rouge, réunies pour 45 min-
utes. L’aversion pour les abats était très forte aux États-Unis, maintenant, malgré la
pénurie de viande, la consommation de ce type de morceaux à un niveau très bas. Trois
des groupes assistèrent à une conférence présentant les avantages de la consommation
d’abats (mérites nutritionnels, économiques, participation à l’effort de guerre), puis
proposant des recettes et techniques pour les préparer agréablement. Les trois autres
groupes, après la même présentation introductive, furent invités à discuter de la con-
sommation de ces aliments pour « des femmes comme elles ». Les participantes évo-
quaient ainsi les obstacles à la consommation d’abats (odeur, dégoût du mari etc.). Une
fois les femmes suffisamment engagées dans la discussion, l’expert en nutrition leur
proposait les mêmes recettes que celles présentées aux autres groupes. En fin de réun-
ion, on demanda aux femmes de dire si elles étaient prêtes à essayer de préparer ce type
d’aliment la semaine suivante. 33 % des femmes ayant participé aux groupes de discus-
sion, contre seulement 3 % dans les groupes de conférence, se déclarèrent prêtes à
essayer. Ces résultats furent confirmés, avec de meilleurs scores encore, dans les expéri-
ences suivantes.
Pour Lewin, ces éléments confirment en premier lieu qu’il est plus facile de changer les
normes sociales d’un groupe dans son ensemble que celles d’individus séparés. Plusieurs
facteurs sont envisagés pour expliquer ces différences. En premier lieu, si la conférence
induit un intérêt pour le problème, elle engendre une plus grande passivité que la dis-
cussion de groupe, qui, parce que les femmes ne sont pas invitées à parler d’elles-mêmes
524 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

directement (mais de femmes comme elles), est susceptible de conduire à une plus forte
motivation. Lewin (1947b) souligne néanmoins que la motivation n’est pas suffisante
pour engager l’action. Il faut qu’il y ait décision. C’est elle en effet qui permet de passer
d’un champ psychologique conflictuel où des forces d’égales intensités s’opposent, à un
champ psychologique pacifié où l’une des forces en faveur d’un des termes de
l’alternative domine, et où les autres s’annulent. Ceci ne se produit pas toujours, mais
la décision est la condition nécessaire pour cristalliser le dégel et le changement appor-
tés par la discussion.

La simplicité du modèle de changement proposé par Lewin a sans


aucun doute contribué à son succès en management, puis à sa critique.
Lewin (1947b, 1999 : 282) nous mettait néanmoins en garde : « Des
managers qui se précipiteraient sur la décision de groupe pour augmenter
la production sont susceptibles de rencontrer l’échec. En management
comme en médecine, il n’y a pas de recette miracle, chaque cas demande
un diagnostic précis ». Cette ambition et cette exigence, caractéristiques de
l›approche de champ, sont aussi la marque du projet scientifique de
Lewin.
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3. RIGUEUR ET AUDACE DU PROJET LEWINIEN
C’est Lewin qui sort l’expérimentation du laboratoire pour étudier les
effets des actions sociales sur les propriétés des groupes « réels » et initie
ainsi la recherche-action. C’est aussi lui qui souligne l’importance de la
réflexion théorique, de la clarté des hypothèses, de l’adaptation des unités
d’analyse, et, plus largement, de la formation du chercheur aux méthodes
d’observation et d’interprétation, préfigurant par-là les sciences sociales
actuelles.

3.1. De l’expérimentation à la recherche-action


Pour Lewin (1939b), les propriétés dynamiques d’entités comme les
groupes ne peuvent être efficacement mises en évidence par les approches
descriptives et de classification conventionnelles. Ces méthodes s’appuient
en effet sur l’observation d’unités d’analyses les plus petites possible (le
champ psychologique et le comportement de chaque participant dans un
groupe, par exemple), ce qui ne permet pas de rendre compte de l’interdé-
pendance dynamique à l’œuvre dans le champ étudié (l’influence mutuelle
des participants et sous-groupes, Lewin, 1939b). Rendre compte des pro-
priétés et caractéristiques du groupe dans son ensemble nécessite de retenir
Kurt Lewin 525

des unités d’analyse de taille suffisante, et de s’appuyer sur une méthode


permettant de mettre en évidence l’interdépendance dynamique des fac-
teurs ou parties du tout étudié. Les méthodes d’observation (techniques
sociométriques par exemple) et d’enregistrement (vidéo, sténographie)
permettent certes de collecter des données sur les propriétés structurelles
et sur les relations entre individus ou sous-groupes. Mais si l’on souhaite
démontrer les propriétés dynamiques du tout observé, il vaut mieux s’ap-
puyer sur l’expérimentation : « Tant que le scientifique décrit une forme
de leadership, on peut lui reprocher que cette catégorie reflète sa vision
subjective et ne correspond pas aux propriétés réelles du phénomène
considéré. (…) La réalité de ce à quoi le concept réfère est établie en fai-
sant avec plutôt qu’en l’observant, et cette réalité est indépendante de
certains éléments subjectifs de classification (Lewin, 1949, 1999 : 31) ».
L’expérimentation permet d’évaluer les effets de l’un ou l’autre des facteurs
du champ sur les autres, donc de révéler leur interdépendance dyna-
mique ; elle permet aussi de lever les tabous scientifiques plus efficacement
que ne le permettent les méthodes descriptives classiques. Son succès sup-
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pose néanmoins de prendre en compte l’ensemble des facteurs essentiels
de la vie du groupe tels que sa structure, son idéologie, sa culture.
L’expérimentation est, en ce sens, une forme de management social :
« Pour réussir, comme le management, elle doit prendre en compte les
facteurs qui sont importants pour le cas considéré (Lewin, 1949, 1999 :
31) ». La méthode expérimentale lewinienne suppose ainsi toujours la
description des caractéristiques essentielles du champ (structure et forces),
ce qui contribue à en dégager une vision « comme un tout », et permet de
lier ces caractéristiques aux effets qu’elles produisent.
C’est cette ambition de complétude dans l’analyse du champ qui
amène Lewin (et al., 1939 ; 1947a) à sortir du cadre du laboratoire pour
mener des expériences dans la vraie vie. Parce que les phénomènes sociaux
sont des tout dans lesquels la culture et l’idéologie sont des dimensions
particulièrement importantes, ils doivent être étudiés dans leur cadre réel :
l’école (Lewin, 1939b), la maison (1947a), l’usine (1947a). Les modes de
commandement, et plus largement ensuite, l’action sociale, en tant que
forces structurantes et dynamiques du champ, deviennent dès lors des
objets privilégiés d’analyse. Le pas est franchi pour définir les traits essen-
tiels de la recherche-action. Lewin (1946b, 1997 : 144) définit cette
méthode comme une « recherche comparant les conditions et les effets de
différentes formes d’action sociale, et conduisant à l’action sociale ». Cette
seconde dimension devient essentielle, car « la recherche qui ne produit
que des livres ne suffit pas ». Si ce n’est son cadre et son objet (l’action
sociale), la recherche-action est en tout point similaire à l’expérimentation
526 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

en laboratoire. Comme elle, cette méthode implique une connaissance


approfondie de la situation totale dans laquelle elle prend place, et des lois
générales à l’œuvre dans les groupes. Le diagnostic ne suffit en effet pas.
« Il doit être complété d’étude expérimentale comparative de l’efficacité
des différentes techniques de changement (Lewin, 1946b, 1997 : 145) ».
Et ce sont ces lois générales mises en évidence par l’expérimentation et la
recherche-action, qui serviront ensuite de guide pour atteindre certains
objectifs dans certaines situations.
Lewin (1943-44) n’occulte pas les difficultés que pose ce passage du
laboratoire à la « vraie vie », soulignant en particulier la réduction de la
marge de liberté et du pouvoir de l’expérimentateur. Ce dernier, dans son
laboratoire, bien que ne disposant pas d’un pouvoir absolu (il se doit de
respecter les règles de la société en particulier), peut créer les conditions
physiques et sociales qu’il souhaite et ainsi contrôler la situation. Dans les
groupes réels, il en va autrement : le chercheur doit pouvoir mettre en
place et faire varier les constellations de facteurs et forces nécessaires pour
mener à bien sa recherche, mais il ne peut se permettre de perturber les
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objectifs de l’organisation dans laquelle il intervient. En second lieu,
même si le dirigeant est convaincu de l’utilité de la recherche, il n’est pas
certain qu’il laisse au chercheur toute marge de liberté. L’expérimentateur
ne peut ainsi espérer disposer du pouvoir qui lui est nécessaire pour ana-
lyser une politique et ses effets sans rechercher une collaboration active
avec l’organisation. Il doit faire participer le dirigeant à l’élaboration de
son projet et donc le familiariser avec les aspects scientifiques du problème
(Lewin, 1943-44). L’éducation est de fait un prérequis pour conduire une
recherche dans les organisations.
En passant du laboratoire à la vraie vie, l’expérimentation est ainsi
confrontée à de réelles opportunités en même temps qu’à de réelles
menaces. Lewin souligne l’importance de la formation scientifique des
participants dans ce passage, car il accorde une place prépondérante à la
théorie.

3.2. Théorie et méthode : deux facettes d’une


même rigueur scientifique
« Il n’y a rien de plus pratique qu’une bonne théorie (Lewin, 1943-44,
1997 : 288) ». C’est elle qui nous permet « d›aller au-delà des apparences »,
et qui nous donne des critères objectifs pour évaluer les effets des actions
mises en œuvre. Si l’on peut penser que les rois, les éducateurs, les fabri-
cants, les pères et mères de familles, parce qu’ils ont pendant des centaines
Kurt Lewin 527

d’années chercher à influencer des groupes de tailles variées, ont accu-


mulé une « sagesse d’une nature bien intégrée », rien n’est plus faux
(Lewin, 1949, 1999 : 31). L’homme des affaires, par exemple, est convain-
cu de la réalité de la vie des groupes, mais il rechigne à toute analyse
conceptuelle, soulignant souvent qu’il est impossible de formuler des
règles simples et claires sur les moyens à mettre en œuvre pour atteindre
des objectifs, et qu’il s’agit d’adapter les actions aux situations et à leurs
évolutions. Pour Lewin, ses intuitions et difficultés du praticien signifient
que d’une part, tout événement social dépend toujours de la totalité du
champ dont il est l’émanation, et que d’autre part, il n’est jamais possible
de lier directement un ensemble de données observables à d’autres. Ceux-
ci ne sont jamais que des symptômes derrière lesquels on doit distinguer
des faits sous-jacents et des variables intervenantes. La théorie, et l’ap-
proche du champ en particulier, en ce qu’elles consistent en des lois reliant
ces entités sous-jacentes et variables intervenantes (et non des symptômes),
sont donc de première utilité (Lewin, 1949, 1999 : 32-33) : elles nous
permettent de toucher ces faits dynamiques sous-jacents « qui sont les
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points de référence pour le chercheur et le praticien ». En ce qu’elle lie, par
le biais des concepts, les faits observés aux faits sous-jacents, la théorie
nous fournit enfin des mesures objectives des effets des actions sociales
mises en œuvre. Elle constitue, en ce sens, ces « yeux et ces oreilles […] dont
nous avons besoin pour savoir si nous allons dans la bonne direction et à
quelle vitesse nous y allons » (Lewin 1946b, 1997 : 146).
C’est dans ce même souci d’objectivité et de rigueur scientifique que
Lewin souligne l’importance du choix des unités d’analyse et des méthodes
d’observation et d’interprétation. Pour comprendre la signification sociale
d’un comportement ou d’un événement social, il faut toujours retenir des
unités de taille temporelle suffisante et observer ses unités dans leur
contexte particulier : si une personne court après une autre, cela peut
vouloir dire qu’elle veut la rattraper ou la chasser, mais il n’y a aucun
moyen de distinguer l’une ou l’autre de ces significations si l’observation
ne dure que quelques secondes (Lewin, 1943-1944). L’observation du
comportement social n’est de plus pertinente que si elle prend en compte
l’unité plus large de l’activité dans laquelle elle s’inscrit. La situation a-t-
elle le sens d’un jeu, d’un travail, d’une discussion, d’une guerre ? La
signification du contexte est toujours essentielle, car ce sont les relations
qu’entretiennent les comportements et activités avec elle qui font sens. Il
s’agit enfin de distinguer clairement observation et interprétation. Pour
Lewin, si le champ psychique du sujet et le champ social du groupe sont
toujours subjectifs, en ce qu’ils sont la définition de la situation pour eux,
il faut les décrire objectivement. La formation du chercheur joue là un rôle
528 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

primordial. Elle permet d’obtenir des observations valides, là où la per-


sonne non formée ne donnera qu’interprétation ou approximation, et de
classer correctement ces observations collectées, c’est-à-dire de développer
une interprétation à la lumière du contexte dans lequel elles s’expriment
(Lewin, 1943-1944).
La recherche-action et l’expérimentation sur les groupes sont sans
aucun doute la marque d’une créativité, d’une inventivité importante.
Mais la méthode lewinienne est aussi caractérisée par une rigueur et une
exigence particulière. Deux facettes d’une ambition qui dépasse largement
la seule théorie du champ.

Conclusion
Si l’on doit à Lewin, au travers de la théorie du champ, d’avoir pro-
posé une conception temporelle de la subjectivité, une vision interaction-
niste du comportement, d’avoir apporté les méthodes scientifiques du
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laboratoire dans la vie sociale et de ce fait contribué à faire du social un
objet légitime de recherche scientifique, son ambition dépassait ces
dimensions. Il ne s’agissait pas simplement de faire du social une science,
mais d’intégrer les différentes sciences sociales (la psychologie, la sociolo-
gie, et même l’économie) en une seule et même science du social. Lewin
(1939b, 1997 : 264) considérait ainsi que a) une science est avant tout
définie comme un ensemble de problèmes et non de matériaux, b) que les
différents aspects d’un problème peuvent nécessiter des univers de dis-
cours et de lois différents (appartenant aux champs de la physique, de
l’esthétique, de la psychologie ou de la sociologie). Dans cette perspective,
la psychologie et la sociologie devraient se sentir libres d’utiliser tout
construit ou méthode qui leur semble utile pour étudier les problèmes
qu’elles se donnent. Dès lors que ces domaines s’accordent pour voir dans
le social un objet légitime de recherche et pour le définir comme un
champ total et dynamique, l’utilisation d’un même ensemble de méthodes,
d’approches et de langage (en particulier les mathématiques et la géomé-
trie topologique, Lewin, 1942 ; 1949) doit contribuer à une intégration
des sciences sociales.
Nous sommes aujourd’hui loin de cette science « intégrée » du social
dont rêvait Lewin, mais l’ambition et l’exigence qu’il porte constituent
toujours, à notre sens, un message important pour les praticiens et les
chercheurs en management. « Ce que cette intégration (des sciences
sociales) signifiera reste ouvert. Elle peut signifier la fusion des sciences
sociales en une seule et même science. Elle peut signifier une coopération
Kurt Lewin 529

entre les différentes sciences dans l’objectif d’améliorer le management


social. Une invitation, pour notre discipline en particulier, à poursuivre le
dialogue avec les autres sciences du social.

Travaux cités de l’auteur


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Vol. IX, p. 21-32. Réédité in : K. Lewin (1997), Resolving Social Conflicts et
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Lewin K. (1943-1944), « Psychology and the Process of Group Living », Journal
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530 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

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Aspiration », in J. Mc V. Hunt (Ed.), Personality and the Behavior Disorders,
New York, The Ronald Press, 333-378. Réédité in M. Gold (Ed.) (1999), The
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Autres références bibliographiques


Gold M. (1999), « The Making of a Complete Social Scientist : a Brief
Intellectual Biography », in M. Gold (Ed.), The Complete Social Scientist, A
Kurt Lewin Reader, Washington, American Psychological Association, p. 7-16.
XXXIII. KARL E. WEICK – UNE ENTREPRISE DE SUBVERSION,
ÉVOLUTIONNAIRE ET INTERACTIONNISTE

Gérard Koenig
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 531 à 548


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-531.htm
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Une entreprise de subversion,

et interactionniste
XXXIII

évolutionnaire
Karl E. Weick

Gérard Kœnig
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532 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Weick est né en 1936 dans l’Indiana et, à un intermède texan près, c’est
autour des grands lacs qu’il a passé le plus clair de sa vie. Arrivé à trois ans
dans l’Ohio, il y restera jusqu’à l’obtention de son Ph.D. en psychologie
industrielle. Au cours de son séjour à l’Ohio State University (1958-62) le
thème de la productivité des équipes l’occupe tout particulièrement.
Après trois années passées à l’Université de Purdue (Indiana), Weick
rejoint celle du Minnesota en 1965. Le séjour à Minneapolis est fructueux
et donne lieu à deux livres : The Social Psychology of Organizing dont la
première édition date de 1969 et Managerial Behavior Performance and
Effectivness (1970) écrit en collaboration avec Campbell, Dunette et
Lawler.
En 1972, Weick abandonne Minneapolis pour Ithaka (Cornell
University). Il y restera douze ans. Le Jazz y est moins brillant et les
échanges entre collègues moins stimulants. L’activité éditoriale à la tête de
l’Administrative Science Quarterly comble en partie ce vide.
Après un intermède texan de quatre années, retour sur les grands lacs
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en 1988. Cette fois pour Ann Arbor, ses concerts, ses librairies, ses profes-
seurs… et l’Université du Michigan où G. H. Mead l’avait précédé
presque cent ans avant. Weick y obtient la chaire de Rensis Likert dédiée
au comportement organisationnel et à la psychologie qu’il occupera
jusqu’à sa retraite. C’est à la fin des années quatre-vingt que se dessine le
thème de la fiabilité organisationnelle qui tiendra dès lors une place pré-
pondérante dans l’œuvre de Weick. Les terrains d’origine sont ceux inves-
tis à l’époque par le groupe de Berkeley1 : le porte-avion nucléaire le Carl
Vinson, la centrale nucléaire de Diablo Canyon et le centre de contrôle du
trafic aérien de Fremont. Viendront ensuite s’y ajouter les services de lutte
contre l’incendie et l’activité hospitalière. En 2001, il publiera sur ce
thème avec Kathleen M. Sutcliffe un ouvrage intitulé Managing the
Unexpected.

1. UNE ENTREPRISE DE SUBVERSION


À la fin des années soixante, la théorie des organisations avait entrepris
d’intégrer les apports de l’analyse systémique. Cet aggiornamento condui-
sit à considérer l’organisation comme un système ouvert sur l’extérieur et
1. C’est au printemps 1984 que Karlene Roberts, Todd La Porte, bientôt rejoints par Gene Rochlin,
découvrent leur intérêt mutuel pour les organisations qui, ayant en charge des activités potentiellement
dangereuses, atteignent des niveaux de fiabilité étonnants : les High Reliability Organizations. Le lecteur
intéressé par les travaux de Karlene Roberts peut se reporter à l’analyse que j’en propose in Th. Loilier et
A. Tellier Les grands auteurs en stratégie, EMS (2007) : « Karlene Roberts, l’exigence de fiabilité ».
Karl E. Weick 533

par conséquent à abandonner la recherche de solutions universelles. Le


courant de la contingency approach2 est typique de cette orientation intel-
lectuelle. C’en était fini du one best way classique : l’efficacité des formes
organisationnelles ne pourra plus désormais être appréciée hors contexte.
L’évolution est réelle, mais les parentés entretenues empêchent de par-
ler de rupture paradigmatique. D’un point de vue épistémologique, l’ap-
proche classique et « l’approche contingente3 » d’inspiration structuro-
fonctionnaliste partagent la même ambition nomothétique qui consiste à
découvrir des lois générales susceptibles de s’appliquer à toutes les organi-
sations. D’un côté comme de l’autre, l’inspiration est clairement détermi-
niste. Sur le plan théorique, les aspects structurels continuent d’être privi-
légiés et l’organisation d’être vue comme un instrument au service de la
politique générale. D’un point de vue praxéologique enfin, les deux
approches souscrivent à une conception purement téléologique de l’ac-
tion : celle-ci est pensée et ordonnancée de manière à atteindre des objec-
tifs prédéterminés.
Il n’est sans doute pas exagéré de dire qu’avec la publication en 1969
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de The Social Psychology of Organizing, Karl Weick donne le coup d’envoi
d’une vaste entreprise de subversion du paradigme dominant. L’attaque
n’est pas frontale. La controverse n’est pas engagée explicitement avec les
représentants du paradigme dominant : ni leurs thèses, ni leurs noms ne
sont cités4. Weick feint de se situer ailleurs, dans le champ de la psycho-
sociologie ; de s’intéresser à d’autres aspects (le processus) et à d’autres
questions (l’élaboration du sens). L’attaque pourtant est radicale : elle vise
rien moins qu’à constituer un paradigme alternatif.
Même s’il mobilise, à l’occasion, méthodes quantitatives et expérimen-
tales, Karl Weick ne cherche pas à établir des lois de portée générale à la
fois simples et précises5, ni à transposer aux sciences sociales les manières
des sciences de la nature. Ce serait d’ailleurs peu compatible avec son
orientation interactionniste. Si elle reconnaît l’existence de règles propres,
l’approche interactionniste pose en effet que les résultats d’une interaction
sont imprévisibles et rejette toute forme de déterminisme.
Au plan théorique, le décrochement d’avec le paradigme dominant est
bien sûr considérable. Tout y contribue, qu’il s’agisse des questions posées
2. Ce courant de pensée comprend des auteurs tels que T. Burns et G.M. Stalker, J. Woodward, P.R.
Lawrence et J.W. Lorsch, J.D. Thompson et le groupe d’Aston mené par Derek S. Pugh.
3. Cette traduction littérale est adoptée ici, parce qu’elle évite toute ambiguïté sur ce qui est visé, à savoir
le courant de la Contingency Approach.
4. Si Derek Pugh est cité, c’est pour le jugement, partagé par K. Weick, qu’il porte sur le statut de la
psychologie appliquée.
5. Il invite d’ailleurs le chercheur en sciences sociales à prendre conscience du caractère contradictoire
des exigences de généralité, de simplicité et de précision et à arbitrer entre elles de façon raisonnée.
534 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

ou des concepts mobilisés, mais un point mérite tout particulièrement


d’être souligné. Dans l’approche weickienne, les organisations cessent
d’être considérées comme des moyens au service de fins qui leur seraient
assignées ; elles sont des fins pour elles-mêmes.
Du point de vue praxéologique, enfin le renversement opéré par Karl
Weick est tout aussi significatif. La condition humaine ne se confond pas
avec la visée projective ; l’individu est jeté au monde, pris dans le flux et
le sens s’élabore, fondamentalement, de façon rétrospective.
Depuis la fin des années soixante, les thèmes et les thèses développés
par Weick ont progressivement gagné du terrain au sein de la commu-
nauté scientifique. Ces progrès ont été tels, qu’au milieu des années
quatre-vingt-dix, la controverse, longtemps contenue, a éclaté au grand
jour. Pris comme figure emblématique d’une nouvelle manière de poser les
problèmes organisationnels, Weick s’est retrouvé au cœur du très vif débat
qui a opposé les tenants d’une approche positiviste, déterministe et nomo-
thétique (Donaldson, 1992 ; Pfeffer, 1993) à ceux qui, à l’instar de Van
Maanen (1995), défendent une approche interprétativiste et s’insurgent
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contre les visées normalisatrices des tenants d’une orthodoxie intransi-
geante. La place centrale qu’il accorde à l’interprétation ne doit pas
conduire à faire de K. Weick un tenant du subjectivisme à tout crin.
Conformément aux traditions pragmatiste et interactionniste6 qui l’ins-
pirent Weick refuse les dichotomies et notamment celle qui oppose sub-
jectivisme et objectivisme.

2. UNE PROBLÉMATIQUE ÉVOLUTIONNAIRE ET


INTERACTIONNISTE
The Social Psychology of Organizing, le titre de l’ouvrage majeur de Karl
Weick indique les lignes de force de la problématique. L’emploi du géron-
dif signale le caractère dynamique de l’approche. L’intérêt est porté aux
processus plutôt qu’aux structures et à l’instituant (indissolublement lié à
l’élaboration du sens) plutôt qu’à l’institué. Largement émergente, la
dynamique de « l’organisant » est davantage faite d’évolutions que de
transformation programmées et de révolutions managériales. Deuxième
caractéristique de la démarche : le choix d’une approche psycho-sociolo-
gique, celle de l’interactionnisme symbolique, qui conduit à poser à nou-
veaux frais la question de l’activité organisationnelle. Ce ne sont pas tant
6. À propos de la place centrale qu’occupe l’interactionnisme symbolique sur le continuum qui va de
l’objectivisme au subjectivisme, le lecteur peut se reporter à l’ouvrage de Burrell G., Morgan G. (1979),
Sociological Paradigms and Organizational Analysis, London : Heinemann.
Karl E. Weick 535

les décisions que le manager est amené à prendre dans des situations bali-
sées qui intéressent Karl Weick, que l’élaboration collective du sens dans
les situations confuses (1987).

2.1. Une perspective évolutionnaire inspirée par


Donald Campbell
Jusqu’à la fin des années soixante, l’idée que le changement organisa-
tionnel puisse être programmé et contrôlé semble aller de soi. Le courant
du « Développement organisationnel » traduit parfaitement cette assu-
rance7 : pour autant qu’il soit convenablement outillé, le dirigeant ne doit
pas craindre de s’engager dans des transformations radicales et de se poser
en révolutionnaire. K. Weick développe une conception moins héroïque
du changement organisationnel. Les ruptures programmées y tiennent
une place réduite au profit des évolutions et les variations non justifiées y
sont privilégiées par rapport à celles qui procèdent d’une délibération
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rationnelle. Pour développer une problématique évolutionnaire de la
dynamique organisationnelle, Karl Weick s’est inspiré (1979, p. 119 et
sq.) des réflexions de Donald T. Campbell. Il en a tiré une dizaine de pro-
positions et un modèle :

2.1.1. L’évolution en dix propositions


1. L’évolution résulte de la combinaison de trois processus : la varia-
tion, la sélection et la conservation.
2. Les variations dans les comportements et les mutations génétiques
surviennent à l’aveuglette8. Sont sélectionnées et retenues celles qui
améliorent transitoirement l’adaptation.
3. Les processus de variation et de conservation sont opposés. Chaque
nouvelle mutation signifie l’échec à se reproduire d’une forme pré-
alablement sélectionnée.
4. Il n’est pas nécessaire de recourir à des notions du type plan ou pilo-
tage pour expliquer une évolution.
5. Un taux de variations élevé est de nature à compromettre la survie
et le bénéfice des adaptations déjà effectuées.
6. Les systèmes complexes comportent par conséquent des mécanismes
qui contrôlent le taux de variations.
7. Pour une présentation critique de ce courant, on peut se reporter à A. Pettigrew (Chapitre 1, 1985) et
P. Joffre et G. Kœnig (Chapitre 6, 1985).
8. Donald Campbell (1974) utilise le terme « blind » de préférence à « random », parce que les change-
ments qui alimentent l’évolution ne sont ni équiprobables, ni nécessairement indépendants les uns des
autres.
536 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

7. Toute apparition d’un ordre résulte d’une sélection qui intervient


après coup et non de variations à visées téléologiques.
8. L’évolution est essentiellement court-termiste : En matière de survie,
les avantages immédiats l’emportent sur les inconvénients de long
terme.
9. Les caractéristiques qui accroissent les chances de reproduction de
celui qui les détient, sont dites adaptatives.
10. L’évolution peut être considérée comme un processus de tamisage.

2.1.2. Le modèle Activation-Sélection-Rétention


Popularisé sous la forme d’une triade9, le modèle inspiré de Donald
Campbell comporte en fait quatre éléments : les modifications écolo-
giques, l’activation ou enactment, la sélection et la rétention. Utilisé par
Weick pour rendre compte des évolutions intra-organisationnelles, ce
cadre d’analyse est également mobilisé par des chercheurs travaillant aux
niveaux méso ou macro. Cette unité de cadre est bien sûr de nature à
faciliter l’articulation des différents niveaux d’analyse10. En ayant recours
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à ce modèle, Weick suggère que dans leurs réactions adaptatives à l’envi-
ronnement, les organisations ne font que reproduire en leur sein la dyna-
mique fondamentale des processus évolutionnaires. Il propose de penser le
« sensemaking » comme un processus d’échanges réciproques entre des
acteurs (activation) et leur environnement (changement écologique) aux-
quels une signification est attribuée (sélection) et conservée (rétention).

Le changement écologique
Dans le flux expérientiel où se trouvent engagés les individus, les varia-
tions ou les discontinuités sont fréquentes. Certains de ces changements
retiennent l’attention et fournissent l’occasion de tentatives visant à
réduire l’équivocité perçue. Les changements écologiques constituent
l’environnement « activable ».

9. Le sigle correspondant à la version anglaise est ESR (pour Enactment – Selection – Retention) La
traduction du terme anglais « ^Sretention » par le français « rétention » permet de jouer sur la polysémie
d’un mot qui comprend notamment les idées de conservation et de mémorisation.
10. Weick et al. (2005) citent à ce propos les travaux de H. Aldrich (1999, Organizations Evolving.
Thousand Oaks, C A : Sage), de J. A. Baum et J. V. Singh (1994, Evolutionary Dynamics of Organizations.
Oxford : Oxford University Press) et W. Ocasio (2001, « How do organizations think ? » in T. K. Lant
et Z. Shapira, eds. Organizational Cognition : Computation and Interpretation. Mahwah, N J : Erlbaum,
(39–60).
Karl E. Weick 537

« L’activation »11
L’« enactment » n’est pas un « enthinkment » : l’activation de l’environ-
nement fait boucle avec ce dernier. Le premier arc de cette boucle consiste
à extraire une portion du flux expérientiel et à attirer dessus l’attention des
membres de l’organisation. Réduite à ce seul arc, l’« enactment » serait une
activité strictement cognitive. Ce n’est pas le cas le plus usuel. Généralement,
le processus de sensemaking débouche sur des actions qui ferment la
boucle. Ces actions modifient l’environnement et vont donc influencer
indirectement la conduite ultérieure de l’organisation.
Alors que la représentation traditionnelle faisait de l’environnement un
espace à découvrir, K. Weick suggère avec la notion d’enactment de consi-
dérer l’environnement comme une production sociale des membres de
l’organisation. Ceux-ci construisent, réarrangent, distinguent et détruisent
de nombreux aspects « objectifs » de leur environnement. Ce faisant, ils
mettent un terme à l’aléa, introduisent des vestiges d’ordre et créent véri-
tablement leurs propres contraintes. Réducteur d’incertitude, producteur
d’ordre et de contrainte, l’enactment est à la fois de l’ordre de la pensée et
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de l’action.

La sélection
Les matériaux activés sont fondamentalement équivoques. Cette équi-
vocité ne renvoie ni à l’absence, ni à la confusion des significations, mais
à la multiplicité des significations envisageables. Elle ne correspond pas à
l’image d’un monde chaotique et indéterminé, mais à celle d’un monde
riche en connexions possibles, qu’il est possible de faire coïncider avec un
ensemble, également riche, de dispositifs explicatifs. L’importance du pro-
cessus de sélection tient précisément à la possibilité ainsi ouverte d’exercer
un pouvoir discrétionnaire sur le choix des schémas explicatifs.
Il n’est pas exclu que la sélection résulte d’une démarche rationnelle,
mais dans le domaine social bien d’autres mécanismes sont à l’œuvre.
L’inadaptation peut être cause d’élimination, mais à l’inverse ce qui réussit
peut être répété, emprunté (entre ou à l’intérieur des groupes et des orga-
nisations) ou encore promu12. Comme la sélection demande du temps, il
ne suffit pas d’être meilleur pour passer au travers du tamis de la sélection,
il faut encore se monter suffisamment persistant pour laisser à la sélection
le temps d’opérer.
11. D’autres traductions ont été proposées pour le terme « enactment » : mise en scène (G. Kœnig, 1987)
et promulgation (H. Laroche, 1996).
12. La carrière au sein d’une organisation peut s’analyser comme une succession d’épreuves au cours de
laquelle le responsable montre sa capacité à trouver les solutions les plus adaptatives et progresse à mesure
des succès enregistrés vers des responsabilités de plus en plus élevées.
538 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

La rétention
Une fois activé et interprété un segment d’expérience peut être stocké
et servir pour des actions et des interprétations ultérieures. Parce que les
dirigeants travaillent sur un mode de « stimulus-réponse », parce que le
processus de sélection est abrégé, la réflexion rare (Mintzberg, 1973), les
interprétations habituelles ont tendance à l’emporter et l’essentiel des déci-
sions vise à éviter le changement.
Si la rétention freine la prise en considération des variations de l’envi-
ronnement, une trop grande flexibilité, une trop forte capacité à repérer
les modifications de l’entour, et à s’y adapter, menace l’identité et la conti-
nuité de l’organisation. La stabilité peut être intéressante, si elle permet,
par le biais de la mémoire et de la répétition de certaines conduites, de
gérer de façon économique les situations qui se présentent en exploitant
les régularités et les répétitions de l’histoire. Mais si elle devient chronique,
la stabilité empêche de découvrir des modes d’adaptation plus efficaces et
gêne le repérage des changements de l’environnement. Le doute, la remise
en question de l’expérience constituent donc un exercice également néces-
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saire à la « survie » organisationnelle13.

2.2. L’interactionnisme symbolique


La sociologie interactionniste s’inscrit dans la tradition spécifiquement
américaine du pragmatisme et puise plus particulièrement dans les travaux
d’auteurs qui, à l’instar de Dewey, Thomas et Mead, se sont attachés à
traiter de problèmes de société. Le pragmatisme se caractérise tout d’abord
par l’importance accordée à l’individu dans une société d’égaux où les
différences existent, mais ne sont pas considérées comme figées. Il insiste
ensuite sur le fait que l’individu produit son environnement autant qu’il
est produit par celui-ci. Il accorde également une grande importance à la
nature sociale de l’identité individuelle, qu’il conçoit comme un équilibre
entre détermination et spontanéité. Il retient aussi le processus comme
une catégorie importante et il inscrit ce choix dans une perspective qui
rejette les conceptions dualistes, comme celles qui opposent l’individu à la
société, la pensée à l’action… Enfin, ce courant accorde de la considéra-
tion au « sens commun » qu’il conçoit comme le produit d’une activité
continue de communication interpersonnelle. (De Queiroz, Ziolkowski,
1997, p. 13 et sq.).
13. C’est ce que suggère C.F. Hermann (1963) : « Est-ce qu’une quelconque organisation a jamais dis-
paru parce qu’elle avait oublié quelque chose d’important ? Il est plus vraisemblable que les organisations
disparaissent parce qu’elles se souviennent de trop de choses, trop longtemps et persistent trop souvent
à faire trop de choses comme elles les ont toujours faites ».
Karl E. Weick 539

L’interactionnisme symbolique – l’expression a été proposée en 1937


par Herbert Blumer (1969, p. 1) –, naît à la fin des années trente de la
conjonction des apports théoriques de Georges Herbert Mead et des pré-
occupations méthodologiques de Robert E. Park (recherche de terrain,
observation directe). Il se présente comme une alternative critique au
modèle fonctionnaliste. Ce modèle, alors dominant, prévoit certes que
l’acteur puisse interpréter la situation, mais il réduit cette capacité à la
portion congrue. L’acteur peut exécuter des variations autour des normes
culturelles et des attentes liées aux rôles, mais à condition de se conformer.
Les critiques du modèle fonctionnaliste emprunteront deux voies dis-
tinctes. Certains sociologues s’attacheront à réaffirmer (après Marx) le
caractère profondément conflictuel de la vie sociale ; pour leur part les
interactionnistes s’attelleront au problème de l’interaction et de l’élabora-
tion collective du sens. Ils s’attacheront à analyser les processus en jeu et à
en montrer le caractère profondément émergent. Rejetant toute forme de
déterminisme, ils insisteront sur le fait qu’en dépit de l’existence de règles
propres, les interactions se développent de façon largement imprévisible.
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La connivence que Weick entretient avec les pragmatistes et les tenants
de l’interactionnisme symbolique se noue autour de thèmes communs
(l’action, l’interaction, l’interprétation, le sens, la conscience de soi) et
d’une préoccupation partagée : rester attentif aux procédés par lesquels les
acteurs s’influencent les uns les autres et informent les processus d’élabo-
ration du sens (Weick, 1995, p. 41).
Weick partage avec les interactionnistes à la fois l’idée que les acteurs
construisent et inventent leur vie quotidienne et leur souci d’analyser le
détail de cette construction. Comme eux, Weick (1993) considère que
l’interaction est un ordre négocié, temporaire, fragile, qu’il faut recons-
truire en permanence afin d’interpréter le monde (Coulon, 1987, p. 12).
Alors que Durkheim, estimant l’acteur incapable de rendre compte des
faits sociaux, se donne pour objectif d’étendre à la conduite humaine le
rationalisme scientifique et pose que les faits sociaux doivent être traités
comme des choses, les tenants de l’interactionnisme symbolique sou-
tiennent au contraire que la recherche sociologique doit se donner comme
objet essentiel la conception que les acteurs se font du monde social et ne
saurait être produite à distance de l’expérience immédiate. Quel que soit
l’objet d’étude, le point de vue des acteurs est essentiel, puisque c’est au
travers du sens qu’ils assignent aux gens, aux objets et aux symboles qui les
entourent que les acteurs fabriquent leur monde social (Coulon, 1987,
p. 11). C’est là une conception de la recherche en sciences humaines que
Weick reprend largement à son compte.
540 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

3. INDIVIDUS, INTERACTIONS ET ÉLABORATION DU SENS


Les caractéristiques émotionnelles et intellectuelles des individus
conditionnent la nature des interactions au cours desquelles les partici-
pants construisent le sens de la situation qui est la leur.

3.1. L’individu weickien


Le modèle psychologique que retient Weick a une tonalité clairement
béhavioriste et des concepts tels que les besoins fondamentaux de la per-
sonne humaine14 ou les structures de la personnalité15 n’y ont aucune
place. Il serait bien sûr facile de critiquer le caractère réducteur de ce
modèle, mais ce dernier n’a de sens qu’au sein d’un programme de
recherche qui en justifie la parcimonie.

3.1.1. Une identité plastique


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Comme G. H. Mead, K. Weick accorde de l’importance à la notion
d’identité individuelle, mais cette identité n’a rien de monolithique, ni de
figée. Parce qu’elle est faite de « soi » multiples entre lesquels l’individu
circule selon les interactions auxquelles il participe (Weick, 1995, p. 20),
cette identité se caractérise par un degré d’intégration qu’il ne faut pas
exagérer. La capacité à donner du sens aux situations et à s’y adapter
dépend de la diversité des « soi » auxquels l’individu a accès. Plus cette
variété est importante et moins l’individu court le risque de se trouver
déconcerté (1995, p. 24).
Si elle permet de s’adapter, l’identité individuelle est également susceptible
d’évoluer. Du point de vue du « sensemaking », ce que nous pensons être
influence ce que nous « faisons émerger »16 et la façon que nous avons de
l’interpréter. Ceci influence l’image que les acteurs extérieurs se font de
nous et la façon qu’ils ont de se comporter à notre endroit. Ce que nous
sommes est entre les mains des autres. Si l’image qu’ils se font de nous
change, notre identité peut s’en trouver déstabilisée et notre réceptivité à
de nouvelles interprétations accrue (Weick et al., 2005).

14. Les besoins fondamentaux de la personne humaine sont des ingrédients fondamentaux de l’École des
relations humaines et du courant participatif (E. Mayo, A. H. Maslow, R. Likert, D. McGregor).
15. Les structures de la personnalité sont au centre de travaux qui comme ceux du Tavistock Institute
(W. R. Bion, E. Jaques…) empruntent à la psychanalyse certains de ses concepts et de ses méthodes.
16. Cette expression est la traduction d’« enact » par F. Varela (1989).
Karl E. Weick 541

3.1.2. La sensibilité à la dissonance cognitive


L’individu weickien est également sensible à la dissonance cognitive et
l’influence de Léon Festinger sur les travaux de Weick ne saurait être sures-
timée (Weick, 1995, p. 11-13). Avant d’en apprécier l’impact, rappelons
brièvement les mécanismes impliqués par la dissonance cognitive. Que se
passe-t-il lorsqu’un individu s’aperçoit que les faits sont en désaccord avec
ses croyances et les conduites qui en découlent, comme ce peut être le cas
d’une personne qui éprouvait du plaisir à fumer, jusqu’à ce qu’elle prenne
conscience du caractère nocif du tabagisme ? Cet individu, nous dit
Festinger, va tenter de réduire la dissonance qui existe entre le plaisir
éprouvé et le sentiment d’une menace. Cette réduction de la tension est un
impératif qui peut être satisfait de plusieurs manières. Pour reprendre
l’exemple précédent, le fumeur peut notamment arrêter de fumer, dénier
toute valeur aux recherches médicales ou encore ajuster sa philosophie de
la vie et se convaincre qu’il n’y pas de plaisir sans risque.
Si l’on admet que l’élaboration du sens au sein des organisations est
influencée par l’impératif de consonance, il faut reconnaître les possibles
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bénéfices des conduites de justification et l’intérêt qu’il peut y avoir à éla-
borer après coup le sens de nos actions. Examinons ces deux points.
Lorsqu’il devient plus difficile de modifier le comportement que de
transformer les croyances, il reste à privilégier les croyances susceptibles de
justifier ce qui a été entrepris. Ceci ne va pas sans inconvénient : une réduc-
tion de la flexibilité, de l’apprentissage et de l’adaptation est en effet à
craindre. Mais les comportements de justification peuvent avoir un effet
positif que l’on a trop souvent tendance à ignorer : ils mettent l’acteur en
situation de devoir faire advenir les choses, ils encouragent les actions éner-
giques et leur poursuite persévérante. Il doit être clair toutefois que ce type
de comportement est plus ou moins adéquat, selon que les contraintes
d’environnement sont plus ou moins malléables (Weick, 1995, p. 161).
Le second thème lié à la théorie de la dissonance est celui de la « rétros-
pection » qui consiste à donner après coup un sens à nos décisions et
actions. L’origine de ce thème est à chercher du côté de l’ethnométhodolo-
gie. G. H. Mead et A. Schutz avaient avancé l’idée que l’individu ne peut
savoir ce qu’il fait qu’après l’avoir fait, mais c’est à Harold Garfinkel qu’il
revient d’avoir montré l’importance de l’élaboration rétrospective du sens
dans une étude restée célèbre : « Some rules of correct decision making that
jurors respect »17. La section conclusive de cette étude (Garfinkel, 1967,
17. C’est à l’occasion de cette étude que H. Garfinkel a forgé le terme « ethnométhodologie » pour
désigner l’étude des méthodes qu’un groupe particulier (des jurés par exemples) utilise dans
l’accomplissement des activités concertées de la vie quotidienne.
542 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

p. 113-115) mérite d’être largement citée parce qu’elle dépeint un aspect


important de la psychologie de l’individu dans la théorie de Weick.
« Les études relatives à la prise de décision mettent généralement l’ac-
cent sur le fait que les personnes connaissent par avance les conditions dans
lesquelles elles vont choisir une action parmi un ensemble d’alternatives.
Elles supposent en outre que les personnes vont corriger leur choix à
mesure que l’action se déroule et que des informations additionnelles sont
disponibles… »
« Au lieu de considérer que les décisions sont prises lorsque les circons-
tances l’exigent, il convient d’envisager la possibilité que la personne défi-
nisse rétrospectivement les décisions qui ont été faites. Le résultat précède la
décision. »
« (…) en fait les jurés ignoraient les conditions qui définissaient une
décision correcte tant que la décision n’avait pas été prise. Ce n’est que
rétrospectivement qu’ils décidaient de ce qu’ils avaient fait pour assurer la
correction de leurs décisions. (…) Dans la vie quotidienne les règles de
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décisions pourraient bien être davantage concernées par le fait d’attribuer
une histoire légitime à des résultats, que par la définition des conditions
qui vont présider au choix d’une action parmi un ensemble d’alterna-
tives. »18

3.1.3. L’importance des émotions


La dimension émotionnelle du sensemaking est liée au caractère conti-
nué (ongoing) de nos projets et au fait que leur interruption débouche sur
des émotions dont la tonalité, négative ou positive, dépend de la difficulté
ou de la facilité à reprendre le cours de l’activité interrompue (Weick et al.,
2005). En s’appuyant notamment sur les travaux de George Mandler
(1984), Weick lie émotion et excitation du système nerveux autonome.
Comme l’activité de ce dernier a pour effet de réduire la capacité de traite-
ment de l’information, l’émotion met en jeu rien moins que l’efficience de
la pensée. À mesure que croît l’excitation du système nerveux autonome,
l’individu modifie sa manière de réaliser ses tâches. Dans un premier
temps, il accélère le rythme de traitement en ignorant les éléments les plus
périphériques. Lorsque l’excitation dépasse un certain seuil, l’individu
commence à négliger des aspects important de la situation, accorde une
attention croissante à sa propre agitation et naturellement les performances
déclinent. En même temps, il tend à restreindre son répertoire en abandon-
nant les réponses qui ont été acquises le plus récemment, celles qui sont les
plus compliquées et les moins bien apprises (Weick, 1995, p. 101).
18. Une partie de cet extrait est cité par Weick, (1979, p. 195).
Karl E. Weick 543

3.2. La poursuite des interactions est affaire


de réciprocité et de respect
Suivant en cela une suggestion de Floyd Henry Allport (1962), Weick
estime que la rencontre de deux individus permet à chacun d’envisager
une satisfaction accrue de ses besoins et de nouvelles possibilités d’expres-
sion personnelle. Il va de soi que cette possibilité ne se maintient que si
chaque protagoniste peut compter sur le concours continué de l’autre.
Cette convergence des intérêts n’intervient qu’à la double condition :
d’une part que chacun pense que l’autre est en mesure de lui apporter
quelque chose, d’autre part que les deux s’accordent sur les moyens pour
y parvenir. S’étant accordés sur cette plate-forme, les protagonistes sont
prêts à enclencher une série d’interactions complémentaires.
Le point essentiel est ici que les partenaires convergent sur les moyens
plutôt que sur les fins. En d’autres termes, et cette proposition court dans
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toute l’œuvre de Weick, il n’est pas besoin que les acteurs se mettent
d’accord sur les buts, ni même qu’ils aient connaissance de leurs motifs
respectifs pour agir collectivement. Il n’est pas non plus impératif qu’ils
sachent à qui ils ont réellement affaire, ni indispensable qu’ils aient une
représentation correcte du système dans lequel ils se trouvent. La consti-
tution et le maintien des systèmes d’action collectifs n’impliquent donc
pas tant de comprendre l’autre que de prévoir son comportement (Weick,
1979, p. 90-91 et 100). Une illustration de cette proposition a été fournie
en 1979 par R. Axelrod à l’occasion d’un tournoi informatique qu’il orga-
nisa sur la base du dilemme du prisonnier. Le meilleur résultat fut obtenu
par un programme d’une extrême simplicité, qui coopérait au premier
coup et qui par la suite imitait scrupuleusement le comportement de
l’autre joueur.
Les partenariats qui durent sont ceux qui satisfont les trois impératifs
énoncés à propos de la vie sociale par D. Campbell (cité par Weick, 1993).
Le premier prescrit la confiance. Dans une perspective interactionniste, il
revient à prendre sérieusement en considération les comptes-rendus que
les autres me font au point d’y porter crédit et d’agir en fonction d’eux. Le
second impératif enjoint l’honnêteté qui permet aux autres de se fier à ce
que je leur rapporte. Le troisième impératif commande le respect de soi-
même, de ses perceptions et croyances qui seul permet de contribuer
pleinement à l’échange.
544 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

3.3. L’élaboration du sens


Le « sensemaking » ne se réduit pas à l’interprétation. Celle-ci suppose
un donné, un texte, celui-là associe le travail de l’interprète et de l’auteur,
combine découverte et création. Comme Weick insiste par ailleurs sur le
caractère processuel du « sensemaking », l’expression « élaboration du
sens » semble une traduction adéquate. Parce que l’élaboration du sens se
réalise dans l’interaction, il convient, avant d’examiner les propriétés du
« sensemaking », de préciser la conception weickienne de l’interaction.

3.3.1. L’interaction comme unité d’analyse


La compréhension des processus organisationnels passe, selon Weick,
par un examen attentif des composants de base de ces processus, c’est-à-
dire les séquences d’interactions qui se développent entre deux personnes.
En conséquence, il retient comme unité d’analyse « le schéma de réponse
conditionnée ». Dans un tel schéma, l’action de l’Un provoque une
réponse déterminée de l’Autre, ces deux éléments constituent une interac-
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tion (interact). La réponse que fait l’Un à la réaction de l’Autre complète
la séquence (double interact) (Weick, 1979, p. 89). Le tableau suivant
illustre la notion de cycle. Les exemples choisis indiquent clairement que
l’enjeu consiste dans l’élaboration du sens par les acteurs.

Figure 1. Exemples de cycles

Selon Weick, les formes sociales d’organisation consistent fondamenta-


lement dans ces schémas d’activité entretenus et développés au travers
d’une activité de communication continue au cours de laquelle les parti-
cipants développent des attentes compatibles autour de questions d’intérêt
commun (Weick, 1995, p. 74 et 1979, p. 100). L’explication du tout se
fait donc à partir de ses éléments. Cette préférence se traduira par un cer-
tain scepticisme à l’égard des démarches qui prennent l’idéologie ou la
culture comme point de départ. Les processus de socialisation sont loin
d’assurer l’homogénéité qui habituellement connote les concepts d’idéolo-
Karl E. Weick 545

gie et de culture. L’insistance mise sur les individus et leurs interactions


déplace les lieux de l’analyse et a pour conséquence de réduire l’impor-
tance traditionnellement accordée dans la littérature aux niveaux du
groupe et de l’organisation.

3.3.2. Les propriétés du « sensemaking »


L’élaboration du sens est un thème capital dans l’œuvre de Weick.
L’examen de ce concept (Weick, 1995, p. 17 et sq.) révèle l’influence exer-
cée par la tradition interactionniste. Une première propriété du sensema-
king consiste dans sa dimension sociale ; une autre est son caractère conti-
nué (ongoing). On retrouve là l’idée, chère aux interactionnistes, que la
vie sociale doit se comprendre comme un processus continu de commu-
nication, d’interprétation et d’adaptations mutuelles. La société ne saurait
donc être pensée comme un ensemble figé de structures ; son fonctionne-
ment se caractérise au contraire par la fluidité. Les évolutions sont conti-
nues et graduelles, médiatisées par l’activité des acteurs ; le changement
opère donc sans transformation brutale de la structure objective de la
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société.
Dans une perspective interactionniste, l’élaboration du sens est affaire
de récursivité ; séparer la pensée de l’action, l’acteur de la situation ne peut
conduire qu’à manquer l’essentiel. Ce rejet de tout dualisme est pleine-
ment assumé par Weick, comme en témoigne l’importance accordée à des
notions comme l’enactment ou la rétrospection (cf. supra).
L’efficacité du sensemaking n’est pas affaire de précision ou d’exacti-
tude, mais de plausibilité. Pour séparer le signal du bruit, il est indispen-
sable de filtrer et de caricaturer. Seule cette réduction simplificatrice peut
éviter à l’acteur d’être submergé par les données. Du point de vue de
l’élaboration du sens, les notions d’heuristique et de biais cognitifs
(Kahneman et al., 1982) sont sans doute moins productives que celle de
filtre, laquelle attire l’attention sur ce que les acteurs retiennent et éli-
minent. Il est indéniable que la qualité de la délibération peut souffrir de
simplifications mal fondées, mais ce qui est perdu en objectivité est rega-
gné en activité (Brunsson, 1985, p. 23-24). Dans un monde malléable et
changeant, l’action audacieuse et enthousiaste est bien plus adéquate que
la recherche d’une représentation qui pour être précise ne peut être qu’ob-
solète.
L’idée de malléabilité est ici capitale. Lorsque le monde est malléable
n’importe quelle représentation fera l’affaire pour autant qu’elle soit mobi-
lisatrice. Quelle qu’elle soit, l’action sera déterminante. En revanche,
lorsque le monde est indocile, comme peuvent l’être les grands feux de
546 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

forêts (Weick, 1993), l’efficacité de l’action dépend de l’adéquation de la


représentation à la situation. Si donc Weick peut être qualifié de construc-
tiviste, ce n’est pas au sens de Richard Rorty (1998, p. 87 et 90.), lorsque
celui-ci affirme « qu’il n’y a pas de façon dont est le monde qui soit indé-
pendante d’une description »19, c’est au sens d’Ernst von Glaserfeld (1988)
qui conçoit la relation entre connaissance et réalité, comme une adapta-
tion fonctionnelle20.
Analyser les phénomènes organisationnels en privilégiant les activités
de sensemaking peut sembler naïf, aux yeux de ceux qui considèrent que
les puissants et les privilégiés sont en mesure d’exercer une influence sans
égal sur la construction de la réalité sociale. Cette naïveté, si c’en est une,
trouve son origine dans le programme pragmatiste et ses aspirations démo-
cratiques. Il importe toutefois de noter que l’approche par le sensemaking
peut être mobilisée par des chercheurs en organisation privilégiant la thé-
matique du pouvoir. Cela vient de ce que le pouvoir s’exprime au travers
d’actes qui informent ce que les gens acceptent, considèrent comme allant
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de soi et rejettent. Or cette influence s’exerce par le biais des relations
sociales que l’on encourage ou réprime, des identités que l’on valorise ou
critique, des indices que l’on retient ou supprime, des interprétations que
l’on accepte ou discrédite… c’est-à-dire selon des dimensions qui sont
celles du sensemaking (Weick et al., 2005). Autrement dit, même si Karl
Weick ne mobilise pratiquement jamais le concept de pouvoir, cela ne
signifie pas qu’il soit impossible d’articuler celui-ci à la problématique du
sensemaking, lorsque les situations le réclament.

Conclusion
La théorie de l’organisant permet de poser à nouveaux frais, la question
du rapport entre pensée et action organisationnelles. Elle le fait de façon
paradoxale. D’un côté elle présente l’action comme émergeant presque par
hasard, en tout cas comme échappant largement à toute volonté de
contrôle, de l’autre elle affirme avec force le caractère socialement construit
des réalités organisationnelles.
19. Richard Rorty (1998, cité par Boghossian, 2009, p 36) affirme de même qu’« avant que vous ne
décriviez quelque chose comme un dinosaure ou comme quoi que ce soit d’autre, cela n’a pas de sens de
dire qu’il est là dehors avec ses propriétés ».
20. « On se contentera de faire ressortir le point principal qui distingue radicalement le constructivisme
que je propose des conceptualisations traditionnelles. Et cette différence concerne précisément la relation
entre connaissance et réalité. Alors que l’épistémologie traditionnelle comme la psychologie cognitive
considèrent cette relation comme une correspondance plus ou moins figurative (iconique), le construc-
tivisme radical la conçoit comme une adaptation au sens fonctionnel » (Glaserfeld, 1988, p. 23).
Karl E. Weick 547

Il en résulte une conception du management à la fois plus modeste et


plus riche. Les organisations sont des systèmes complexes et autonomes,
en grande partie régulés de manière efficace par des mécanismes informels.
Au regard de cette complexité, les figures du décideur et de l’organisateur
menacent de fourvoyer le manager en le poussant à des conduites naïves.
François Jullien (1996, p. 70-71) accède par d’autres voies à une
conclusion analogue : « Du seul fait qu’elle intervient dans le cours des
choses, l’action est toujours dans un rapport d’ingérence à leur égard (…)
en s’insérant dans le cours des choses, elle rompt toujours tant soit peu le
tissu des choses et vient troubler leur cohérence ». De son côté l’agent,
comme le suggère l’étymologie, en faisant infraction à l’ordre des choses se
conduit en « énergumène » (cf. energein : agir) au lieu d’être le démiurge
qu’il se croit.
Si Karl Weick invite les managers à adopter une posture modeste qui
leur permette d’éviter l’écueil de l’« overmanagement », il leur propose en
même temps d’élargir leur conception du management pour faire à l’éla-
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boration collective du sens la place essentielle qui lui revient.

Travaux cités de l’auteur


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Weick, K.E. (1987), « Organizational Culture as a Source of High Reliability »,
California Management Review, vol. 29, n° 2, p. 112-127.
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Mann Gulch Disaster », Administrative Science Quarterly, vol. 38, p. 628-652.
Weick, K.E. (1995), Sensemaking in Organizations, Thousand Oaks : Sage.
Weick, K.E., Sutcliffe, K. M. (2001), Managing the Unexpected, San Francisco,
CA : Jossey-Bass
Weick, K. E., Sutcliffe, K. M., Obstfeld, D. (2005), « Organizing and the Process
of Sensemaking », Organization Science, vol. 16, n° 4, p. 409-421.

Autres références bibliographiques


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Varela, F.J. (1989), Connaître – Les sciences cognitives tendances et perspectives,
Paris : Seuil.
XXXIV. ALVIN WARD GOULDNER – LA CRITIQUE DE LA FAUSSE
CONSCIENCE SOCIOLOGIQUE : POUR UNE SOCIOLOGIE ENGAGÉE

Olivier Babeau
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 549 à 565


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-549.htm
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critique permet de repenser
Quand la perspective

l’organisation
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XXXIV
Alvin Ward Gouldner
La critique de la fausse
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conscience sociologique :
pour une sociologie engagée
Olivier Babeau
Alvin Ward Gouldner 551

Notice biographique
Alvin Ward Gouldner est né à New York en 1920. Fils d’immigrants juifs fraîchement
débarqués dans le Nouveau Monde, il naît et grandit dans le quartier populaire de
Harlem. À 17 ans, il sort du lycée pour entrer au City College de New York et suivre
des études commerciales. Après avoir obtenu en 1941 son Business Bachelor of Art, le
jeune Alvin, déjà remarqué par ses professeurs comme l’un des éléments les plus bril-
lants de sa promotion, décide de se spécialiser dans la sociologie industrielle, discipline
alors en plein essor, et s’inscrit au département de sociologie de la prestigieuse
Université de Columbia. Ce département est alors l’un des centres de recherche les plus
en vue de la sociologie « orthodoxe ». Dès cette époque, Gouldner fait de Paul
Lazarsfeld, mais surtout de Robert K. Merton avec qui il entretient d’abord un dia-
logue épistolaire, ses principaux maîtres et mentors.
À la fin de son master en 1945, Gouldner passe deux ans comme sociologue résident
à l’American Jewish Committee. Il est ensuite engagé comme professeur assistant à
l’Université de Buffalo, poste qu’il occupera jusqu’en 1951, avant de se faire embauch-
er pendant deux ans comme sociologue consultant à la Standard Oil Co. du New
Jersey. Après deux années productives mais passées sans enthousiasme comme profes-
seur assistant à l’Antioch College, Gouldner rejoint l’Université d’Illinois en 1954, où
il restera jusqu’en 1959. Devenu enfin professeur à part entière, Gouldner rejoint
l’Université Washington de St Louis, dont il finira par occuper à partir de 1967 la
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chaire Max Weber. En parallèle de ses activités, il présidera l’Association pour l’étude
des problèmes sociaux en 1962 et fondera pas moins de trois revues académiques, dont
Theory and Society. Entre 1972 et 1976, il enseignera également à Amsterdam. Il meurt
en 1980.

Il est rare que la personnalité d’un auteur soit décrite dans le cadre d’un
exposé académique de ses travaux. Cette habitude procède d’un fantasme
bien connu et fort regrettable à notre sens de séparation totale entre la
production intellectuelle et la vie. Comme si une œuvre, quelle qu’elle
soit, était une sorte de contemplation éthérée des Essences platoniciennes,
une fois sortie de la fameuse caverne. C’est oublier combien la vie et la
production d’un homme s’éclairent mutuellement. Ignorer la vie dissolue
et aventurière du Caravage, les amours interdites de Montherlant ou de
Gide ou bien les déceptions de la vie de Mozart, cela ne laisserait-il pas un
voile fondamental sur leurs peintures, romans et pièces musicales ? Les
hommes créent et travaillent tout en vivant ; bien plus, ils vivent en créant
et en travaillant. C’est la vie qui donne à leurs œuvres cette palpitation
qui, des années ou des siècles plus tard, cristallise encore en un je-ne-sais-
quoi de présence qui finalement nous touche.
La vie et l’œuvre de Gouldner sont d’une égale richesse, d’une égale
complexité ; traversées l’une comme l’autre de contradictions profondes,
gages sans doute de profondeur. Nietzsche – que Gouldner utilisera beau-
coup comme nous le verrons – ne dit-il pas lui-même que « l’amplitude
552 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

des contradictions à l’intérieur d’une pensée constitue un critère de sa


grandeur » ?
Gouldner fait partie de ces auteurs dont l’œuvre et la vie semblent
inextricablement enchevêtrées ; présenter l’une sans l’autre serait plus
qu’un manque, une faute. Dans la biographie qu’il consacre à Gouldner,
Chriss (1999 p. vi) rapporte que l’homme avait la réputation d’être « hos-
tile, agressif, pompeux, aimant la confrontation, intolérant, avare et
injuste1. » Impressionnant tableau, que vient confirmer le fait avéré selon
lequel il en est même venu aux mains avec un de ses étudiants !
Il ne s’agit pas, en mentionnant la personnalité difficile de Gouldner,
de faire la critique péremptoire d’une œuvre que les défauts de son auteur
disqualifieraient2. Au contraire. On ne comprend un être que si l’on sait
faire preuve d’empathie (littéralement « souffrir avec ») avec lui. De la
même manière, un de nos professeurs de philosophie insistait autrefois sur
la nécessité, lorsqu’on étudiait un auteur, quel qu’il soit, de se mettre « de
son côté », et de partir ainsi d’un a priori positif quasi-inconditionnel.
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On trouvera dans les différentes publications de Gouldner cinq grands
thèmes : la sociologie industrielle, le fonctionnalisme et sa révision par
Merton, la théorie critique et la sociologie réflexive, le rôle des intellectuels
dans la sociologie moderne, le marxisme et ses limites. Comment présen-
ter de manière cohérente une œuvre qui a sans cesse balancé entre des
contraires (positivisme et postpositivisme, radicalisme et académisme,
objectivité et réflexivité) ?
La clé, nous semble-t-il, réside précisément dans ce lien que nous
venons d’évoquer entre la vie et le travail. L’évolution personnelle de
Gouldner est si fortement liée à son évolution intellectuelle qu’une présen-
tation de ses travaux ne saurait être plus claire qu’en épousant la chrono-
logie de leur production, découpant ainsi les trois grandes périodes de son
œuvre.

1. Hostile, belligerent, bombastic, confrontational, intolerant, mean and injudicious.


2. Diogène Laërce remarque déjà, dans sa Vie d’Epicure, que l’on utilise souvent la vie d’un homme pour
décrédibiliser ses idées.
Alvin Ward Gouldner 553

1. (1945-1962) LE JEUNE GOULDNER ET LA SOCIOLOGIE


INDUSTRIELLE

1.1. La sociologie industrielle : la critique


de la bureaucratie selon weber
Le premier ouvrage majeur de Gouldner est le fruit d’une enquête de
terrain approfondie menée dans une usine de gypse de l’État de New York
au moment d’une succession managériale. Dans Les formes de la bureau-
cratie industrielle (1954a), Gouldner met en évidence trois formes de
bureaucratie industrielle et cherche à comprendre les conditions qui
mènent à l’une de ces formes plutôt qu’à d’autres.
La première forme peut être appelée « bureaucratie simulée » (mock
bureaucracy). Elle repose sur une forme « tolérante » (indulgency pattern)
de management ayant les caractéristiques suivantes : management au plus
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près des opérateurs, grande culture de l’arrangement entre superviseurs et
subordonnés et ambiance familiale. Dans ce mode de fonctionnement, les
petites transgressions du quotidien (retards, absences, emprunts d’outil
pour usages privés…) sont réglées de façon bienveillante et informelles par
les supérieurs. Les règles sont flexibles et appliquées avec discernement.
Certaines sont mêmes totalement lettre morte (comme l’interdiction de
fumer), et ne servent qu’à assurer la conformité formelle à des obligations
externes (en l’espèce celles liées aux assurances).
Le deuxième type de bureaucratie peut être qualifiée de « représenta-
tive » (representative bureaucracy). Même dans le contexte d’indulgence
décrit plus haut, il existe tout de même dans l’usine un ensemble de règles
plus formellement organisé. Les règles de sécurité en font partie, et
incluent de nombreuses obligations de signalement et de rapport. Pour
Gouldner, l’utilité de ces règles rencontre l’acceptation générale, c’est
pourquoi elles caractérisent la bureaucratie « représentative ».
La troisième forme bureaucratique est appelée « centrée sur la puni-
tion » (punishment-centered). Contrairement aux deux précédentes formes,
la réponse aux déviances prend la forme de punitions, que cela soit de la
part du management (réprimande, licenciement…) ou des ouvriers
(grèves, sabotage, mauvaise volonté, absentéisme massif, etc.). Il est inté-
ressant de remarquer que Gouldner envisage la résistance et la contrainte
comme des forces bilatérales : les ouvriers aussi ont des moyens de punir
le management ; le management a aussi des moyens de résister !
554 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

L’existence de niveaux distincts d’obéissance aux règles liés à la résis-


tance ou au contraire à l’acceptation de celles-ci montre combien les
formes bureaucratiques dépendent en fait des ouvriers et non du manage-
ment. Gouldner constate que plus la résistance des assujettis à la bureau-
cratie est forte, plus la bureaucratie aura tendance à se structurer autour de
routines stables (c’est-à-dire à être formalisée).
Au cours de son enquête dans l’usine de gypse, Gouldner a pu assister
au passage des deux premières formes de bureaucratie vers la troisième,
sous l’effet de l’arrivée d’un nouveau manager refusant le système de l’ar-
rangement informel.
Parmi les enseignements tirés par Gouldner de son étude, un des plus
intéressants est sans doute l’idée selon laquelle les buts de l’organisation ne
sont pas monolithiques, mais qu’en réalité des parties différentes de l’orga-
nisation peuvent tout à fait poursuivre des buts différents voire contradic-
toires3.
Si la bureaucratie a un mérite, c’est plutôt, selon Gouldner, celui de
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permettre le contrôle des tensions : la négociation permanente associée à
la supervision directe génère en effet des tensions que les règles, en « éloi-
gnant » le manager de l’ouvrier, viennent supprimer (il n’y a plus à réflé-
chir ni à tenir compte de la personnalité de l’ouvrier dans ses décisions).
Les règles jouent cependant un rôle paradoxal en cela qu’elles ne suppri-
ment pas les causes de tension elles-mêmes : par exemple, le manque de
légitimité d’un manager sera voilé par la règle, mais ne supprimera pas la
mauvaise volonté latente des employés face à ses ordres. En fait, note
Gouldner, les règles servent à préserver les tensions, qui continuent ainsi
elles-mêmes de justifier en permanence le recours à la supervision directe
(tel une sorte de pompier pyromane). Bien avant Crozier (1963),
Gouldner décrit ainsi le cercle vicieux bureaucratique de réponse par la
règle aux problèmes entretenus par la règle. Il n’est pas étonnant alors de
constater que c’est dans la troisième forme de bureaucratie (centrée sur la
punition) que l’on trouve le plus de tensions internes.
L’analyse pénétrante de Gouldner concernant les règles est à l’époque
très novatrice : il est en effet parmi les premiers à s’opposer à la vision
univoque dominante pour montrer qu’elles remplissent des fonctions
latentes distinctes allant bien au-delà de leur lettre. Les règles sont l’objet
d’un jeu permanent (ceaseless interplay, 1954a, p. 241) joué par les diffé-
rentes parties en présence pour négocier, déstabiliser ou se protéger.
3. Ce faisant, Gouldner (1954a) entaille directement le fonctionnalisme à la Parsons pour qui la bureau-
cratie est un système unificateur permettant la poursuite d’un but unique. Nous allons voir qu’il dévelop-
pera beaucoup, dans un second temps, cette critique du fonctionnalisme.
Alvin Ward Gouldner 555

Cette réflexion sur les tensions dans les groupes sera approfondie dans
un deuxième livre publié la même année : La grève sauvage (Gouldner
1954b). Gouldner y utilise de nouveau son enquête de terrain pour élabo-
rer les rudiments d’une théorie des tensions dans les groupes. Il dresse ainsi
une liste des éléments provoquant l’apparition de ces tensions : attentes
vagues, changeantes, incohérentes, perçues comme illégitimes, absence de
confiance, pouvoirs très inégalement répartis, etc. S’opposant à la vision
de Parsons (1951) concernant l’harmonie et la stabilité des interactions
sociales, Gouldner montre que les tensions sont partout présentes dans le
système social.
L’année suivante, Gouldner publie d’autres travaux s’inscrivant dans le
domaine de la sociologie industrielle (1955). Il s’y emploie à dessiner les
limites et insuffisances de la théorie de la bureaucratie de Weber. Plus
précisément, il y accuse ce dernier de promouvoir une vision trop pessi-
miste de l’organisation formelle qui, selon les termes célèbres du grand
sociologue allemand, nous enferme dans une « cage d’acier ». Pour
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Gouldner, la bureaucratie n’est ni inévitable ni pathologique en elle-
même, mais est potentiellement humaine et libératrice. Weber et ses épi-
gones ont négligé, souligne Gouldner, l’irrationalité qui persiste dans
l’organisation, ses conflits et ses luttes qui sont autant de signes que la
liberté n’y est pas impossible et que les acteurs ne sont pas réduits à l’obéis-
sance et à la soumission à la rationalité.
Dès ses premiers travaux, Gouldner adopte comme instinctivement la
posture hétérodoxe qui sera toujours la sienne. Si, dans ses écrits des
années cinquante, la critique reste encore bien douce, elle ne fera que
durcir et se radicaliser au cours de son itinéraire intellectuel.

1.2. Le fonctionnalisme et sa révision


par Merton
La méthode critique adoptée et inlassablement pratiquée par Gouldner
tout au long de sa vie, qui s’inspire de la maïeutique socratique, consiste
en la mise en évidence des postulats inavoués des théories.
C’est d’abord vers la théorie fonctionnaliste que Gouldner, comme on
vient de le voir, dirige ses attaques. Cette dernière, on le sait, est la pers-
pective théorique qui s’efforce de comprendre la contribution positive de
tous les arrangements sociaux (institutions, valeurs, normes, rites, etc.) au
fonctionnement et à la reproduction d’une société. Elle est fondée sur
556 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

l’analogie de la société avec un organisme biologique. Talcott Parsons,


professeur à Harvard, est à l’époque le principal tenant de cette approche.
Le premier reproche adressé par Gouldner (reprenant une réflexion
entamée avec Grève sauvage en 1954 comme on l’a vu) est que le fonction-
nalisme défendu par Parsons (1951) fait le postulat que les relations
sociales dans les organisations sont fondées sur l’accord et le consensus.
L’ordre social, selon cette théorie, y serait maintenu de façon largement
non problématique grâce à un système normatif partagé. C’est ignorer,
souligne Gouldner (1959), que l’ordre social peut être maintenu par la
coercition, et que la désobéissance existe, ainsi que des myriades d’autres
possibilités s’écartant du schéma idéal de consensus. Citant la remarque de
Merton (1940) selon laquelle les conduites non conformes ou anomiques
peuvent être bénéfiques à la stabilité du groupe4, Gouldner ajoute qu’à
l’inverse, la sur-conformité des conduites peut causer le déséquilibre. La
fonction de la règle, encore une fois, est plus subtile que ne le suggère
Parsons, puisque l’organisation peut avoir besoin qu’elle ne soit pas respec-
tée !
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Dans son article « La norme de réciprocité : un point de vue prélimi-
naire » (1960), Gouldner adresse deux critiques supplémentaires à l’ap-
proche fonctionnaliste. Tout d’abord, elle ne permet pas d’expliquer la
persistance de faits sociaux ne remplissant aucune fonction sociale.
Deuxièmement et plus fondamentalement, Gouldner met en évidence
le fait que les fonctionnalistes placent un postulat informulé à la base de
leur théorie : la norme de réciprocité. Cette dernière est une obligation
sociale tacite qui se décline en trois points : les gens doivent aider ceux qui
les ont aidés, les gens ne doivent pas faire de mal ceux qui les ont aidées,
les gens doivent éviter de profiter de ceux qui les ont aidés.
Gouldner note que cette norme de réciprocité, et par voie de consé-
quence le fonctionnalisme, ne résistent pas à l’examen de la réalité : les cas
de réciprocité inégales sont légions. En effet, la répartition inégale du
pouvoir semble plutôt être la règle que l’exception. Le capitalisme
moderne, par exemple, produit des rapports d’échanges inégaux et de
l’exploitation. En niant cela, le fonctionnalisme, d’après Gouldner, est une
sociologie du statu quo social qu’il convient de critiquer. Parsons et ses
collègues, enfermés dans leur confortable tour d’ivoire universitaire alors
que la Grande Dépression faisait rage, développent des théories sans prise
avec le réel.
4. Remarque déjà faite par Durkheim, notons-le, précisément quand il introduit le terme d’anomie in
Durkheim, E. (1998). Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912), Paris, PUF.
Alvin Ward Gouldner 557

2. (1962-1970) MARGINALISATION ET CRITIQUE DE LA


SOCIOLOGIE NEUTRE
« Une affirmation faite sur la base d’une idéologie non soumise à examen
peut bien nous permettre de nous sentir une droiture virile ; mais elle nous
laisse aveugle. » (Gouldner 1968 p. 105)

2.1. L’ultime tentative « orthodoxe »


1962 est l’année du tournant de la vie intellectuelle de Gouldner. Avec
Notes sur la technologie et l’ordre moral (Gouldner et Peterson 1962), il
accomplit une ultime tentative pour redonner sens au fonctionnalisme et
à la sociologie orthodoxe. Tentative qui, Gouldner le constatera en écri-
vant son petit livre, fut un échec.
Les auteurs avaient placé leurs espoirs dans les méthodes quantitatives,
et plus précisément l’analyse factorielle, pour résoudre l’un des problèmes
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fondamentaux de l’analyse fonctionnelle : son raisonnement circulaire. En
effet, en conceptualisant le système social comme un système de parties
interdépendantes s’affectant mutuellement, le fonctionnalisme « explique
tout c’est-à-dire rien » (Chriss 1999, p. 68). L’idée de Gouldner et de
Peterson est d’utiliser l’analyse factorielle pour isoler certaines variables
ceteris paribus afin de déterminer l’influence relative de chacune d’elles.
Les auteurs utilisent les données relatives à 71 sociétés primitives, isolant
des facteurs tels que la domination sexuelle, la technologie ou la moralité,
cette dernière étant appelée « facteur A » pour « Apollinien », par référence
à la fameuse distinction de Nietzsche (1940) entre les civilisations diony-
siaque (fondée sur l’acceptation du tragique de l’existence et l’excès sous
toutes ses formes) et apollinienne (fondée sur le contrôle des impulsions).
Leur analyse montre que les sociétés accordant une large place à la
technologie sont également celles où le score de moralité est le plus élevé,
ces sociétés correspondant ainsi au paradigme apollinien mettant en valeur
l’expérience cognitive, la modération, le savoir la raison et la science.
Mais, surprise, à peine ont-ils exposé ces résultats que les auteurs
semblent regretter ce mariage surprenant entre méthode quantitative et
philosophie nietzschéenne. Les auteurs écrivent ainsi de manière amusante
« … nous sommes malheureusement conscients qu’arrivés à ce point, nous
risquons de perdre le peu de lecteurs qui nous restent » (Gouldner et
Peterson 1962, p. 32). Comme si, dès la rédaction de cet ultime article
« positiviste », le critique absolu que deviendra Gouldner pointait déjà. Six
558 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

ans plus tard, c’est bien la même personne qui stigmatisera violemment les
praticiens de la statistique pour leur acception « grotesque » de l’objecti-
vité. Celle-ci serait la conséquence d’un dévoiement outrancier de la pen-
sée de Weber concernant la possibilité d’une séparation stricte entre faits
et valeurs (Gouldner 1968 p.115).

2.2. La dialectique grecque pour idéal :


contre le mythe de la sociologie neutre
À partir de 1962, Gouldner va amplifier sa critique des sciences
sociales. Il n’aura de cesse de dénoncer par exemple le positivisme de la
sociologie, comme dans son article « Anti-Minotaure, le mythe de la
sociologie neutre » (1962), qui serait la conséquence d’une lecture défor-
mée de Max Weber. Il convient de noter qu’il n’est pas le premier à déve-
lopper une telle critique des savoirs (Adorno et Horkheimer avaient par
exemple ouvert la voie par leur critique des Lumières qui, en célébrant la
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Raison, ont pu déboucher sur l’horreur des camps nazis5).
Le problème est bien plus qu’une simple question épistémologique,
puisque selon Gouldner, l’idéologie véhiculée par la « fausse conscience6 »
sociologique (c’est-à-dire la prétention à la neutralité) est en fait un outil
de domination utilisé par l’élite dirigeante. C’est donc l’émancipation des
opprimés qui est en jeu dans la dénonciation du mythe de la neutralité
axiologique.
À travers Comprendre Platon : la Grèce antique et les origines de la théorie
sociale (1965), Gouldner témoigne son admiration et son allégeance à la
civilisation et à la philosophie grecque antique, habitée du souci de l’opi-
nion des autres, par opposition à la civilisation moderne tournée vers le
culte du soi et l’individualisme égoïste7. Gouldner prolonge l’appréhen-
sion de Weber face à la domination d’une rationalité instrumentale qui
enferme les hommes dans une « cage d’acier » de bureaucratie et de tech-
nocratie. À travers Weber déplorant le « désenchantement du monde »,
transparaît l’héritage révéré de Nietzsche (1940) auquel, nous le répétons,
Gouldner fait souvent référence. C’est bien de ce désespoir nietzschéen
5. Adorno, T. W. et Horkheimer, M. (1974), La dialectique de la raison (1944), Paris, Gallimard.
6. Dans la vulgate marxiste, le terme s’oppose à la « conscience de classe » à laquelle le prolétariat doit
parvenir quand il aura surmonté l’acceptation de la domination dont il fait l’objet, c’est-à-dire sa « fausse
conscience ». Gouldner applique le terme à la sociologie de l’establishment qui est elle aussi un mode de
légitimation de la domination (voir plus bas).
7. Gouldner oppose la « culture de la honte » (shame culture) grecque où l’important n’est pas tant ses
opinions personnelles que celles des autres à la « culture de la culpabilité » (guilt culture) moderne centrée
sur les sentiments et pensées du soi.
Alvin Ward Gouldner 559

devant la perte des certitudes concernant le sens de la vie, l’absurdité de


l’existence et l’absence de dieux dont se réclame Gouldner quand il stig-
matise la fuite de l’individu dans le soi égoïste. C’est de ce rejet d’une
sociologie en quelque sorte apollinienne qu’il témoigne en critiquant le
confinement des sociologues dans un paradigme positiviste aussi exigeant
qu’inaccessible qui conduit le chercheur à renoncer à lui-même. Au nom
d’un devoir-être scientifique, les sociologues condamnent leur action à la
stérilité. C’est le sens de la révolte permanente et des provocations vio-
lentes de Gouldner : s’opposer à l’obéissance et à la conformité dramatur-
gique qui voile l’authentique soi.
Gouldner fait référence à la dialectique grecque (la recherche raisonnée
de la vérité dans laquelle les idées sont échangées et des déclarations faites
au milieu de pairs8) comme l’alternative à la fausse conscience sociolo-
gique.
Gouldner oppose à la situation idéale de la dialectique grecque l’éris-
tique (du grec eris, la dispute), forme dégradée de la situation de commu-
nication où dominent les insinuations, les attaques ad hominem et plus
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généralement les querelles, les conflits et les disputes. Le but n’est plus
alors de trouver la vérité, mais juste d’humilier et de détruire l’autre.

3. (1970-1980) L’ERMITE ATRABILAIRE : CRITIQUE


DE LA CRITIQUE
« Mon propre point de vue est essentiellement celui de la ligne de crête : moi-
tié sociologue, moitié marxiste, et rebelle aux deux. » (Gouldner 1976, p. xiv)
À la fin des années soixante, Gouldner a brûlé ses vaisseaux. À force de
critiques, il s’est coupé de l’ensemble des universitaires. Son caractère
impossible achève de créer le vide autour de lui. Il est devenu un paria. Le
rejet dont il fait l’objet ne fait qu’accentuer sa critique qui se radicalise
puisqu’il en vient à critiquer la critiquer elle-même.

3.1. La critique des critiques


Alors que le développement de nouvelles recherches sociologiques pre-
nant leur distance d’avec le fonctionnalisme de Parsons et s’appuyant sur
8. On aura compris bien sûr tout ce que la théorie d’Habermas (Habermas, J. (1984), Theory of
communicative action, Volume 1, Boston, Beacon Press, — (1987). Theory of communicative action,
Volume 2, Boston : Beacon Press.) concernant la situation idéale de dialogue doit à la dialectique
grecque.
560 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

des études de terrain semble venir répondre aux voeux de Gouldner, ce


dernier n’est pas plus tendre avec ces nouveaux courants qu’avec la sociolo-
gie « positiviste ».
Dans son article « Le sociologue partisan : la sociologie et l’État provi-
dence » (1968), Gouldner développe une critique surprenante de Howard
Becker. On aurait en effet pu s’attendre à ce que ce dernier trouve grâce aux
yeux du contempteur infatigable de la « fausse conscience » sociologique
qu’est Gouldner, puisqu’il initie précisément un mouvement tournant
enfin le dos au mythe de la neutralité en sociologie. À travers ses travaux
sur la déviance (Becker 1967 ; 1985), Becker recommande au sociologue
de se faire ouvertement partisan, en se plaçant du côté des déviants et des
exclus (underdogs) eux-mêmes pour mieux conduire ses recherches.
En opérant une rupture illusoire d’avec le mythe de la sociologie neutre,
Becker développerait selon Gouldner un nouvel establishment sociolo-
gique asservi au nouvel État providence accusé lui-même de fonctionnari-
ser l’action sociale. La critique – philosophique on s’en rend compte – de
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Gouldner vise en fait plus loin : il accuse la nouvelle sociologie de contri-
buer, avec le nouvel État providence, à édifier une nouvelle religion de
l’humanité dont le but serait de faire le bonheur des peuples ; l’histoire du
XXe siècle ayant montré combien un tel dessein était le ferment des plus
terribles totalitarismes… Repoussant l’ancien idéal d’émancipation de
l’esprit humain qui était à la base du projet positiviste, la nouvelle ortho-
doxie sociologique ferait la promotion de la conformité et du consensus
aux dépens de la liberté. La violence des diatribes de Gouldner à l’endroit
de ses collègues serait en quelque sorte une réaction épidermique à la
mesure de la terreur que lui inspire le danger qu’il croit identifier.
Autre cible des attaques de Gouldner : Goffman et sa contribution au
courant de l’interactionnisme symbolique. Avec son approche dramatur-
gique démontant les codes de la « face », les mises en scènes quotidiennes
qui régulent les rapports interpersonnels, Goffman (1973a ; 1973b ; 1974 ;
1975) ne pouvait guère trouver grâce aux yeux d’un chercheur ennemi du
compromis et admirateur inconditionnel du dialogue grec « authentique »
comme Gouldner. Ce dernier reproche à Goffman de promouvoir la vision
d’un acteur outrageusement manipulateur et cynique, et de développer en
un mot une théorie de la vie sociale comme « escroquerie ». Goffman, dit
encore Gouldner, valorise l’apparence contre la vérité, et se fait l’apôtre
d’une sociologie du paraître. De plus, contre toute vraisemblance, il fait de
l’individu un acteur utilisant le système (les codes du paraître) pour pro-
gresser et maîtriser l’impression qu’il donne, mais néglige d’évoquer le fait
que l’individu est aussi un produit du système (1970 p. 379).
Alvin Ward Gouldner 561

3.2. La crise prochaine de la sociologie


occidentale : pour une sociologie réflexive
1970 est l’année de publication de son livre le plus fameux : La crise
prochaine de la sociologie occidentale (1970). Il défend la nécessité pour la
sociologie d’abandonner l’illusoire recherche de la vérité objective et
d’accepter la nature subjective et le caractère contextuel de la sociologie en
général et du savoir en particulier.
Pour Gouldner, il importe de réaliser une histoire sociologique de la
théorie sociologique elle-même, afin d’en montrer le caractère contingent,
historique, et de démontrer du même coup l’imposture de la prétention
positiviste (qui rêve la science a-historique, indépendante de l’idéologie et
du contexte, contemplation objective du Vrai). C’est une telle histoire
qu’il a entreprise à partir de Comprendre Platon, et qu’il poursuit avec La
crise prochaine. Ce thème du savoir comme phénomène subjectif aura
notamment des résonances quelques années plus tard dans les travaux de
Michel Foucault (dont on peut supposer qu’il a lu Gouldner, bien que ses
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livres ne soient pas traduits en français). Ce dernier montrera que loin
d’être neutre, le savoir est au contraire un élément fondamental des méca-
nismes de pouvoir et de coercition (Foucault 1975 ; 1976).
Quelle est cette « crise prochaine » dont il parle ? Gouldner désigne
ainsi la période qui marque le déclin du fonctionnalisme et l’apparition de
nouvelles théories sociales. Dans les années soixante, l’hégémonie du para-
digme fonctionnaliste en sociologie prend peu à peu fin. D’autres théories
apparaissent qui, note Gouldner, sont irréductibles les unes aux autres :
celles de Homans, de Garfinkel et de Goffman.
Quelle est la solution à ce « polycentrisme » scientifique inédit ?
Gouldner appelle de ses voeux l’émergence d’une sociologie réflexive. Le
but de cette dernière est d’assurer enfin la cohérence entre le niveau infras-
tructurel d’une théorie (ses postulats, ses présupposés idéologiques) et son
niveau technique (la construction des concepts, la méthodologie). Il s’agit
une nouvelle fois, en d’autres termes, de se libérer de l’acceptation irré-
fléchie des mythes du positivisme, de la neutralité ou même du parti pris
aveugle pour acquérir un niveau plus élevé de conscience de soi dans son
travail scientifique.
562 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

3.3. Gouldner marxiste hors-la-loi9


À partir de 1976, Gouldner commence la publication d’une trilogie
intitulée La face obscure de la dialectique (1976 ; 1979 ; 1980) dont le
dernier opus sera publié l’année même de sa mort. Cette œuvre l’aboutis-
sement intellectuel de sa vie. Appliquant son programme de critique et
mettant en action la réflexivité dont il est l’infatigable zélateur depuis tant
d’années, il entreprend en quelque sorte sa propre critique. Il souligne
ainsi que la dénonciation de la science comme idéologie est elle-même
idéologique. De même, le marxisme dont il se réclamait10 n’est, montre-t-
il, pas moins problématique que la sociologie de « l’establishment » dans
la mesure où il présente lui aussi une absence de réflexion sur soi-même
soulignant les contradictions de ce courant. Gouldner constate les contra-
dictions inhérentes et donc l’échec de tout programme critique cherchant
à éradiquer les structures sociales oppressives.
Dans le premier tome, La dialectique de l’idéologie et de la technologie
(1976), Gouldner développe une analyse des rapports de domination qui
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n’est pas sans rappeler celle que Pierre Bourdieu élabore au même moment
en France. La classe sociale économiquement dominante perd en effet avec
la technocratisation du pouvoir son contrôle jusque-là direct sur la classe
politique. Elle cherche alors à dominer par d’autres voies. La solution
trouvée permet une domination indirecte mais non moins réelle : en éri-
geant la science et la technologie comme fondement neutre du système, la
classe économique dominante crée les conditions d’une légitimité indiscu-
table d’un capitalisme qui lui bénéficie en priorité. Ainsi, en proclamant
la fin de l’idéologie au profit de la science et de la technologie, on accom-
plit le retour subreptice du positivisme légitimateur du statu quo social.
Dans le deuxième tome, intitulé Le futur des intellectuels et la montée de
la Nouvelle Classe (1979), Gouldner tente d’apporter une solution au
constat précédent. Il constate l’émergence d’une nouvelle classe d’intellec-
tuels qui, si elle sait faire preuve de réflexivité en mettant en accord théorie
et pratique, imagination et savoirs techniques, pourrait remplacer le pro-
létariat dans son rôle émancipatoire en vue de la révolution sociale postin-
dustrielle. Pour Gouldner, précisons-le, le prolétariat dont parle le
marxisme est à prendre comme une métaphore désignant l’ensemble des
groupes sociaux en situation d’oppression ou de désavantage.
Cette nouvelle classe se caractérise par sa « culture du discours cri-
tique » (Culture of Critical Discourse), c’est-à-dire un mode de discours
orienté vers le dialogue raisonné avec l’interlocuteur, ouvert par principe à
9. Il se définit ainsi (1976 : p. xii) : Marxist outlaw.
10. Il parle de sa « critique marxiste du marxisme » (1973, p. 425).
Alvin Ward Gouldner 563

la discussion et ne faisant par référence au statut du locuteur ou à son


expertise dans l’évaluation des justifications.
Malheureusement, constate Gouldner la CCD est viciée dans son prin-
cipe même. En effet, si ce dernier peut sembler être identique à celui de la
dialectique grecque, la CCD comporte en elle une exigence d’autocritique
infinie menant à une mise en abîme relativiste qui s’apparente à ce que les
Grecs appelaient avec horreur anomos (littéralement « absence de loi ») et
que Hegel qualifiait de « mauvaise infinité » (1979 p. 162). Le point fort
de l’ouverture devient en fait ce par quoi la CCD bascule dans le relati-
visme et l’impotence. Gouldner exprime finalement son scepticisme quant
aux capacités émancipatoires de cette nouvelle classe qui tend à négliger
son devoir d’engagement politique pour mieux servir sa carrière et se sou-
mettre à l’État providence.
Dans Les deux marxismes, contradictions et anomalies dans le développe-
ment des théories (1980), Gouldner montre que deux courants peuvent en
fait être distingués dans le marxisme : d’une part le marxisme scientifique,
théorie dialectique de l’histoire, annonçant l’effondrement du capitalisme
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du fait de sa structure même et son remplacement par le socialisme puis le
communisme ; d’autre part le marxisme critique, théorie de la révolution
violente mobilisant les opprimés et les réveillant de leur fausse conscience
afin qu’ils renversent leurs oppresseurs bourgeois.

Conclusion : éloge de l’intellectuel engagé


L’idée de Chriss (1999, p. 74) comparant Gouldner à un héros tragique
est saisissante de pertinence : comme le héros tragique, il s’est en effet
enfoncé avec détermination dans la transgression au nom d’une quête de
vérité supérieure qu’il savait ne pouvoir atteindre. Parti du paradigme
fonctionnaliste positiviste au début de sa carrière, il passera à partir du
début des années soixante les frontières de l’orthodoxie pour progresser
toujours plus avant dans une hétérodoxie déterminée, devenant le marxiste
marginal que l’histoire retient.
Les apports de Gouldner à la sociologie sont aussi notables que divers :
la théorie critique, le néo-marxisme, la sociologie de la connaissance, la
sociologie des organisations et l’exégèse wébérienne lui sont redevables. En
critiquant la sociologie de son temps, c’était bien la sociologie elle-même
que Gouldner souhaitait défendre, la débarrassant de ses défauts (Pour la
sociologie est le titre d’un livre qu’il publie en 1973). Gouldner est l’un des
fossoyeurs les plus persévérants et persuasifs du fantasme positiviste en
sciences sociales.
564 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Dans le feu de ses ouvrages11, Gouldner quitte fréquemment la posture


du sociologue pour se faire philosophe. C’est finalement du sens de l’exis-
tence dont il est question, quand Gouldner tempête contre les universi-
taires endormis. Le sens de la vie est en effet à trouver, selon une concep-
tion grecque, dans l’agone12, c’est-à-dire dans la lutte au service de la cause
que l’on croit être juste. Gouldner est un homme entier, sans concession,
jeté à corps perdu dans la vie des idées. Son rôle de professeur et de cher-
cheur est pour lui bien plus qu’un gagne-pain, c’est sa vie-même. Il n’y a
pour lui d’authentique intellectuel qu’engagé. En démystifiant la recherche,
Gouldner n’indique pas qu’elle est inutile, mais qu’elle ne l’est que si elle
se berce de la fausse conscience de la neutralité.
Lui qui veut changer le monde par ses écrits ne supporte pas ceux qui
« veulent en prendre une part pour eux » (Gouldner 1970, p. 503). C’est
là sans doute, nous y instistons, la clé de compréhension du caractère par-
ticulièrement irascible de Gouldner. Il n’est pas un homme de compromis,
de façade sociale, prêt à accepter les circonlocutions de la diplomatie aca-
démique. Toute compromis est lâcheté, trahison, accroc à la vérité. C’est
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dans cet esprit qu’il fustige les carriéristes parmi ses collègues, ceux qui
jouent les jeux politiques, qui s’appliquent à leur anti-promotion. À tra-
vers sa vie et son œuvre, Gouldner semble finalement relayer l’appel
d’Herbert Marcuse à réveiller la « pensée négative » (Marcuse, 1964), celle
de Hegel, pour qui la tâche fondamentale de la pensée et la dignité supé-
rieure de la raison résident dans ce grand refus, cette protestation contre
ce qui est.

Travaux cités de l’auteur


Gouldner, A. W. (1954a), Patterns of Industrial Bureaucracy, Glencoe : Free Press.
Gouldner, A. W. (1954b), Wildcat Strike. Yellow Springs, OH : Antioch Press.
Gouldner, A. W. (1955), Metaphysical Pathos and the Theory of Bureaucracy,
American Political Science Review, vol. 49, p. 496-507.
Gouldner, A. W. (1959), « Organizational Analysis », in R. K. Merton, L. Broom
et L. S. J. Cottrell (Eds.), Sociology today : problems and prospects, vol.2. New
York : Harper Torchbook.
Gouldner, A. W. (1960), « The Norm of Reciprocity : A Preliminary Statement »,
American Sociological Review, vol. 25, p. 161-178.
Gouldner, A. W. (1962), « Anti-Minotaur : the Myth of a Value-free Sociology »,
Social Problems, vol. 9, p. 199-213.
11. Dont on peut souligner combien ils sont agréables à lire, vivants, émaillés d’images roboratives, ce
qui, pour un écrit académique, est déjà en soi une transgression !
12. Du grec agwnaV : le combat, la lutte.
Alvin Ward Gouldner 565

Gouldner, A. W. (1965), Enter Plato : Classical Greece and the Origins of Social
Theory, New York : Basic Bokks.
Gouldner, A. W. (1968), « The Sociologist as Partisan : Sociology and the
Welfare State », American Sociologist, vol. 3, p. 103-116.
Gouldner, A. W. (1970), The Coming Crisis of Western Sociology, New York :
Avon.
Gouldner, A. W. (1973), For Sociology, Renewal and Critique in Sociology Today,
New-York : Basic Books.
Gouldner, A. W. (1976), The Dialectic of Ideology and Technology, New York :
Oxford University Press.
Gouldner, A. W. (1979), The Future of Intellectuals and the Rise of the New Class,
New York : Seabury Press.
Gouldner, A. W. (1980), The Two Marxisms : Contradictions and Anomalies in the
Development of Theory, New York : Seabury Press.
Gouldner, A. W., et Peterson, R. A. (1962), Notes on Technology and the Moral
Order, Indianapolis : Bobbs-Merrill.

Autres références bibliographiques


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Adorno, T. W., et Horkheimer, M. (1974), La dialectique de la raison (1944),
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Becker, H. (1967), The Other Side, Perspective on Deviance, New-York : Free
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Becker, H. (1985), Outsiders (1963) : Métailié.
Chriss, J. J. (1999), Alvin W. Gouldner : sociologist and outlaw marxist : Ashgate.
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Foucault, M. (1976), Histoire de la sexualité I, la volonté de savoir, Paris :
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Goffman, E. (1973a), La mise en scène de la vie quotidienne, 1-La présentation de
soi (1959). Paris : Ed. de Minuit.
Goffman, E. (1973b), La mise en scène de la vie quotidienne, 2-Les relations en
public (1959), Paris : Ed. de Minuit.
Goffman, E. (1974), Les rites d’interaction (1967), Paris : Ed. de Minuit.
Goffman, E. (1975), Stigmates (1964). Paris : Ed. de Minuit.
Habermas, J. (1984), Theory of Communicative Action, Volume 1, Boston :
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Habermas, J. (1987), Theory of Communicative action, Volume 2, Boston : Beacon
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Marcuse, H. (1964), L’Homme unidimensionnel, Paris : Ed. de Minuit.
Merton, R. K. (1940), « Bureaucratic Structure and Personality », Social Forces,
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Nietzsche, F. (1940), La naissance de la tragédie, Paris : Gallimard.
Parsons, T. (1951), The Social System. Glencoe, Il : Free Press.
XXXV. MATS ALVESSON – DÉNATURALISATION ET ÉMANCIPATION
COMME PROJET SCIENTIFIQUE EN MANAGEMENT

Damon Golsorkhi, Isabelle Huault


in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 566 à 578


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-566.htm
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XXXV
Mats Alvesson
Dénaturalisation et
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émancipation comme projet
scientifique en management
Damon Golsorkhi et Isabelle Huault
Mats Alvesson 567

Mats Alvesson occupe une place singulière dans le paysage des grands
auteurs en management. Il demeure l’un des initiateurs et l’une des figures
marquantes des études critiques (les Critical Management Studies, CMS).
Diverses et éclectiques, ses analyses couvrent tout autant les dimensions
épistémologique, théorique que méthodologique. Loin de s’adonner au pur
travail conceptuel et réflexif, Mats Alvesson démontre une forte appétence
pour la démarche empirique, ce qui le conduit à développer des analyses
originales et parfois iconoclastes autour des questions de méthode. Sa
rigueur, le foisonnement et l’originalité des thèmes qu’il aborde en font un
auteur doté d’une très forte légitimité, tant en Europe qu’aux États-Unis.
Mats Alvesson s’est tour à tour intéressé à la question de la culture orga-
nisationnelle, aux firmes à haute intensité de connaissance, à la probléma-
tique du genre ou encore du leadership. Dans chacune de ses recherches, il
ébranle le « managérialisme » qui tient pour acquises la légitimité et l’effi-
cacité des modèles établis de pensée et d’action, met en évidence les asymé-
tries de pouvoir, dénonce les « fermetures discursives », dévoile les phéno-
mènes de domination, et s’engage dans une entreprise de « dénaturalisa-
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tion » des phénomènes managériaux contemporains.
Les premières recherches de Mats Alvesson ont été consacrées à la ques-
tion de la culture organisationnelle, recherches dans lesquelles il s’oppose à
une conception réifiée et purement fonctionnaliste de la culture. Puis,
soucieux de confrontation avec le terrain, il adopte une posture interpréta-
tive pour mieux comprendre le fonctionnement des services professionnels
à forte intensité de connaissances (les SSII, les cabinets d’avocats, les cabi-
nets de conseil ou encore les agences de publicité). Il porte alors un regard
critique sur l’idéologie et le discours dominant autour de la connaissance.
Il s’attache ensuite à approfondir des thèmes comme le genre dans les orga-
nisations ou plus récemment le leadership. Il investit également le champ
de la méthodologie et y déploie une pensée originale. Au-delà de la pure
instrumentation et des techniques, il se focalise sur la philosophie des
sciences et la question centrale de la réflexivité.
La présente contribution s’articule autour de quelques axes-clés de la
pensée d’Alvesson, et vise à en montrer la portée. Elle ne couvre cependant
pas l’ensemble de l’œuvre d’un auteur trop prolixe pour qu’une courte
synthèse puisse en saisir toute la richesse.
Nous situons en premier lieu les travaux d’Alvesson dans le champ des
études critiques (1) et nous mettons en évidence la particularité de ses ana-
lyses en matière méthodologique (2). La présentation de quelques-uns des
objets étudiés constituent ensuite des illustrations emblématiques de la
posture de cet auteur (3).
568 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Notice biographique
Mats Alvesson est né en 1956. Après des études en psychologie et en management, il
suit simultanément deux programmes doctoraux, l’un en psychologie, l’autre en
administration des affaires. Il s’est très tôt intéressé aux organisations en tant qu’objet
d’analyse. C’est aussi à cette époque que Mats Alvesson a commencé à explorer les
principaux acquis de l’École de Francfort ; en particulier les travaux d’Adorno,
d’Horkheimer, d’Habermas et surtout de Marcuse. D’après lui1, ces lectures ont con-
stitué le fondement de son ouverture aux théories critiques et de l’intérêt porté à la
dénaturalisation de ce qui est généralement perçu comme rationnel. Les premiers
travaux de Mats Alvesson se sont logiquement situés au croisement des théories de
l’École de Francfort, de la psychologie et de théories plus conventionnelles en manage-
ment. Sa thèse de doctorat en psychologie, intitulée Théorie des organisations et con-
science technocratique (Alvesson, 1987a, 1987b), a été publiée sous forme d’ouvrage.
Mats Alvesson a cependant ensuite rencontré de nombreuses difficultés pour obtenir
un poste d’enseignant-chercheur à l’Université. Son travail considéré comme trop cri-
tique au début des années quatre-vingt n’a pas fait l’objet d’une reconnaissance immé-
diate. Il a néanmoins occupé jusqu’en 1991 des postes de chercheur et de professeur
assistant à l’Université de Concordia, de Linköping et de Stockholm. Puis il a été
recruté à l’Université de Gothenburg de 1991 à 1994. Depuis cette date, il est profes-
seur à l’Université de Lund. Il est également professeur visitant à l’Université d’Exeter
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depuis 2005, à l’Université de Queensland depuis 2006 et à l’Université de St Andrews
depuis 2007.

1. LE REGARD CRITIQUE COMME POSTURE


L’œuvre prolixe de Mats Alvesson s’inscrit dans une matrice commune,
celle des Critical Management Studies. Il fut avec Hugh Willmott, un des
pionniers de cette approche (Alvesson et Willmott, 1992 ; 2003 ; Alvesson
et Deetz, 2000 ; Alvesson, Bridgman et Willmott, 2009). Alvesson (2008 :
18) définit les études critiques en management comme « la critique des
idéologies, des institutions, des intérêts et des identités (ce qu’il appelle les
4I), grâce à la déconstruction et à la dénaturalisation, afin de susciter
l’émancipation des plus faibles ; tout en incluant la contrainte des situa-
tions de travail et la finalité légitime des organisations à produire des biens
et des services ».
Dans cette logique, la remise en cause permanente de l’ordre établi ou
de ce qui est tenu pour acquis, qu’il s’agisse d’une théorie, d’une concep-
tion de la réalité sociale des organisations, ou d’une méthodologie consti-
tue un trait caractéristique de sa démarche. Contre les présupposés des
analyses dominantes, qui privilégient une connaissance pour le manage-
ment, Mats Alvesson porte un regard non managérialiste, pour se focaliser
1. Interview de Mats Alvesson à Amsterdam, juillet 2008.
Mats Alvesson 569

sur la connaissance du management, de son fonctionnement, de ses méca-


nismes sous-jacents, de ses contradictions, et des voix alternatives.
L’objectif est de repenser le développement des théories et des pratiques de
management, afin de favoriser l’éveil des acteurs, voire leur émancipation.
Les cinq traits principaux des études critiques du management tels qu’ils
ont été décrits par Alvesson et Willmott (2003) traversent l’ensemble de
l’œuvre de Mats Alvesson :
a) La conception subjectiviste des techniques de management et
des processus organisationnels. Dans la tradition interprétativiste,
Alvesson démontre à travers toute sa recherche que l’interprétation ne
peut être univoque et objective, car la réalité est inatteignable, en raison
des multiples distorsions dont elle est l’objet. La réalité sociale est multi-
dimensionnelle, contradictoire, arbitraire et donc la connaissance produite
ne peut prétendre refléter cette réalité. De ce fait, objectivité et neutralité
axiologique du chercheur constituent de pures illusions. En outre, suggé-
rer que le management serait simplement un problème de manipulation
d’éléments objectifs à travers des techniques « neutres » d’amélioration de
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la performance est considéré comme une immense mystification.
b) La mise en évidence des asymétries de pouvoir. Alvesson insiste
de manière récurrente sur les asymétries de pouvoir dans les organisations.
Il soutient que les dispositifs actuels de management et les résultats des
courants conventionnels participent au maintien de la domination. De
plus, les recherches mainstream contribuent à la banalisation de l’hégémo-
nie managériale, naturalisant dans le sens commun, des situations arbi-
traires et inacceptables. Se nichant dans toutes les dimensions des organi-
sations, le pouvoir sert notamment à verrouiller les identités, à les réguler
par des techniques de socialisation voire d’inculcation de normes de
comportement. Le travail de recherche est alors de dévoiler les structures
de domination et les relations asymétriques de pouvoir, pour aider les
agents à s’émanciper. Mats Alvesson interroge également la place excessive
voire exclusive occupée par les élites managériales dans les modèles tradi-
tionnels de management et l’utilité même d’une discipline qui ignore
l’ensemble des autres parties prenantes. Il remet profondément en cause
l’idée que les objectifs des managers puissent être spontanément acceptés
comme moraux ou comme légitimes.
c) Le combat contre la « fermeture » discursive. Mats Alvesson attire
l’attention sur les « fermetures discursives » qui tiennent pour acquis cer-
tains postulats et certaines idéologies (Alvesson et Willmott, 2003 : 16) et
maintiennent l’ordre social. Ce qui semble naturel doit alors faire l’objet
d’une « dénaturalisation », c’est-à-dire d’un questionnement de l’évidence.
Le rôle des critiques est de rompre le silence pour susciter dialogues et
570 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

controverses. L’enjeu est de s’intéresser à la genèse des phénomènes analy-


sés, le devoir du chercheur en management étant de mettre à jour les
constructions sociales, de se situer contre le statu quo imposé.
d) Le dévoilement de la partialité des intérêts « partagés ». Alvesson
affirme que derrière l’idéologie du consensus et des intérêts partagés, se
dissimule la volonté de nier tout conflit et toute divergence d’intérêts. Or,
souligne-t-il, les organisations sont traversées de contradictions et l’on ne
peut nier la nature profondément politique de techniques de gestion qui
ont toute l’apparence de la neutralité.
Pour le dire autrement, la recherche classique en management articule
ses analyses autour de l’existence de systèmes fondés sur la coopération et
la recherche de performance, universalisant ainsi le point du vue du mana-
ger et édulcorant considérablement le « marquage » idéologique de la
discipline. L’absence de prise en compte d’autres acteurs de l’entreprise
tend à gommer les oppositions classiques patrons/salariés, dominants/
dominés, dans une quête illusoire d’harmonie et de consensus.
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e) La focalisation sur la centralité du langage et de l’action commu-
nicative. Le langage porte des significations historiquement établies et des
distinctions qui tendent à créer une certaine vision du monde social. Le
langage ne peut être appréhendé comme représentant la réalité sociale,
mais comme la construisant et la « performant ». Ainsi, le langage ne
concerne pas la manière dont les individus utilisent le discours pour par-
venir à des objectifs, mais la façon dont l’identité des groupes, leurs rela-
tions et leurs priorités sont constituées à travers le langage.
Le dévoilement des aliénations et la dénonciation de l’ordre établi sont
centraux dans l’œuvre de Mats Alvesson. En outre, l’appel à la réflexivité
vise à révéler la médiatisation des résultats par les valeurs du chercheur, par
son ancrage idéologique et culturel. C’est précisément cet aspect que Mats
Alvesson développe dans ses travaux portant sur la méthodologie.

2. DISCOURS SUR LA MÉTHODE ET APPEL


À LA RÉFLEXIVITÉ
Une des caractéristiques des travaux de Mats Alvesson est la focalisation
sur la dimension méthodologique et la manière dont il a tenté de théoriser
sa démarche (Alvesson et Sköldberg, 2000 ; Alvesson, 2002b). Il s’agit pour
lui de conceptualiser la méthode qualitative (intellectualization of qualita-
tive method) ou de rendre plus pratique la philosophie des sciences (prag-
matization of the philosophy of science). Son analyse se situe donc dans un
Mats Alvesson 571

entre-deux, entre la philosophie abstraite et les questions plus étroites


d’instrumentation.
Il aborde cette problématique sous l’angle de la réflexivité, (Alvesson et
Sköldberg, 2000) et il définit le chercheur réflexif comme celui qui est
capable de se lancer dans « l’interprétation de ses propres interprétations,
qui regarde ses propres perspectives à l’aune d’autres perspectives, et qui
garde un regard attentif sur sa propre autorité comme interprète et auteur »
(2000 :7). Car l’enjeu est bien de dépasser la tendance naturelle à la mono-
rationalité et à l’ethnocentrisme.
Pour ce faire, Alvesson et Sköldberg (2000) proposent quatre niveaux
d’attention pour toute recherche réflexive :
a) La proximité du chercheur avec le matériau empirique. Être
réflexif, c’est, selon Alvesson, dépasser les « grandes théories » qui biaisent
les données, pour se focaliser sur la connaissance locale. Les données et la
manière dont le chercheur les perçoit sont déformées et doivent être
constamment questionnées. La difficulté d’une telle démarche, cependant,
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est de dépasser le pur détail empirique et de parvenir à faire émerger des
compréhensions plus générales des phénomènes sociaux.
b) L’interprétation et la recherche de significations sous-jacentes.
Être réflexif, c’est-au-delà de l’interprétation, chercher à découvrir ce qui se
cache derrière les phénomènes sociaux. Autrement dit, ne pas se contenter
de lire les lignes mais aussi de lire entre les lignes. C’est en effectuant des
aller-retours entre les lignes et les interstices, les différentes parties et la
totalité, les significations adjacentes et la signification centrale, que le cher-
cheur peut atteindre ce qui n’est pas accessible directement. Selon Alvesson,
il faut prendre garde à toute démarche interprétative qui privilégierait les
significations uniques.
c) L’interprétation critique des aspects politiques et idéologiques de
la recherche. Être réflexif, c’est également prendre conscience du poids
politique des données. L’objet est de proposer des recherches capables de
stimuler l’autonomie des acteurs, leur émancipation en mettant à nu les
processus idéologiques implicites, non accessibles aux agents. Cela passe
par ce qu’Alvesson appelle la « négation » systématique dans l’interpréta-
tion des significations, en rendant étranger ce qui est familier et en cher-
chant toujours d’autres pistes interprétatives (Alvesson, 2003). Le but est
d’ébranler les interprétations naïves qui distordent et éludent la réalité des
phénomènes sociaux.
d) Le problème de la représentation linguistique. Être réflexif, c’est
tenir compte des problèmes de représentation puisque le langage est ambi-
572 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

valent, métaphorique, et performatif. Les mots s’immiscent toujours entre


le chercheur et la réalité d’une part, mais aussi entre les acteurs de la
recherche et la réalité qu’ils expriment, d’autre part. En ce sens, l’interpré-
tation de la réalité peut même devenir caduque dans certaines situations,
puisque l’interprétation consiste en la représentation de la représentation
du sujet étudié. Pour réduire les effets de cette dimension représentation-
nelle et langagière, il y a lieu de se focaliser sur les contradictions, les reli-
quats, les anomalies des matériaux empiriques.
Ainsi, toute la démarche méthodologique d’Alvesson est-elle inspirée
par la volonté de négocier le « tournant linguistique » (linguistic turn) dans
les recherches en théorie des organisations (Alvesson et Kärreman, 2000).
Il s’oppose à une conception purement représentationnelle du langage,
comme miroir de la réalité sociale, ou comme « medium » neutre et trans-
parent dans la diffusion de connaissance. En aucun cas, soutient-il, le lan-
gage ne saurait fonctionner tel un outil de mesure de la réalité. Au contraire,
Alvesson met l’accent sur la nature ambiguë, métaphorique et contextuelle
du langage, souvent utilisé de multiples manières pour « persuader, disci-
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pliner, convaincre, critiquer, exprimer des sentiments, clarifier, unifier,
constituer une identité » (Alvesson et Kärreman, 2000 : 142). Il défend
ainsi un pragmatisme discursif (discursive pragmatism) qui porte une atten-
tion aux textes, aux conversations mais qui implique également de travail-
ler à partir de multiples interprétations et d’une diversité de sens possibles.
La réflexivité favorise précisément la créativité et l’interprétation multi-
dimensionnelle, (Alvesson, 2003). L’enjeu est de voir au-delà de ce qui
nous limite et de dépasser les frontières prédéfinies par les représentations
du chercheur, les représentations des agents étudiés, les contextes idéolo-
giques, historiques et politiques dans lesquels se situe toute situation empi-
rique. C’est l’attention portée à toutes ces dimensions qui permet de libérer
du carcan de l’univoque. Alvesson met cependant en garde les chercheurs
(Alvesson et al., 2008). La réflexivité peut devenir une impasse quand elle
est utilisée cyniquement à des fins rhétoriques, pour rechercher un surcroît
de légitimité auprès de cercles critiques, comme peuvent l’être parfois les
arguments de rigueur et de réplicabilité dans le paradigme positiviste.
L’œuvre d’Alvesson ne contient pas de recette méthodologique cepen-
dant, ou de conseils sur l’instrumentation concrète d’une recherche, mais
elle suggère des pistes de réflexion visant à dépasser l’illusion scientiste et
techniciste de la recherche en sciences sociales.
Ce sont cette posture et cette démarche qu’il met en pratique en tant
que chercheur.
Mats Alvesson 573

3. DE LA CULTURE ORGANISATIONNELLE AUX FIRMES


À HAUTE INTENSITÉ DE CONNAISSANCE :
LA DÉNATURALISATION
Les premiers travaux de Mats Alvesson ont été consacrés à la culture
organisationnelle (Alvesson, 1993 ; 2002a). Leur principal apport est
avant tout d’ordre conceptuel. Alors qu’Alvesson définit (2002a) sept
thèmes primordiaux dans tout projet scientifique traitant de culture orga-
nisationnelle2, l’ensemble de ces thèmes est relié à un leitmotiv : Les tra-
vaux classiques sur la culture donnent une image erronée des organisa-
tions, en les abordant de manière naïve, et idéologique, et en laissant à
penser que la culture organisationnelle a pour objet le contrôle des indivi-
dus et la régulation des identités. Pour dépasser cette conception, ceci
suppose que l’on abandonne les niveaux d’analyse qui ont prévalu
jusqu’ici, et qui ont principalement reposé sur les acquis de la psychologie
sociale. Toute analyse de la culture doit dès lors intégrer la multiplicité des
niveaux, et l’importance des contextes.
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De façon plus précise, Alvesson (1993) stigmatise l’appréhension clas-
sique de la culture organisationnelle dans les études en management, où
prévaut une vision fonctionnaliste, articulée autour de la seule quête de
performance. Selon lui, cette conception ne prend pas en compte les
aspects macroscopiques et sociétaux. En outre, elle véhicule un ethnocen-
trisme primaire qui ne permet pas de comprendre la culture du point de
vue des « natifs ». Cette remise en cause assez radicale des travaux clas-
siques conduit Alvesson à proposer une autre conceptualisation. Cette
dernière doit intégrer les aspects in situ et matériels de la vie organisation-
nelle, les activités concrètes des membres de l’organisation, le travail quo-
tidien et les pratiques sociales.
Alvesson tente ainsi de dépasser toute vision monolithique pour mettre
en relief la place de « la grande culture unitaire, des cultures locales et des
affluents culturels » qui font de l’organisation un lieu de rencontre entre
de multiples influences. L’enjeu est de s’affranchir d’une vision réaliste,
statique et réifiée de la culture, il est de mettre l’accent sur une théorisation
qui favorise les configurations culturelles multiples et une vision dyna-
mique.
C’est finalement à une acception plus anthropologique de la culture
que nous invite Alvesson (2002a), rejetant la vision idéologique et positi-
2. 1) Le rôle et la signification des métaphores ; 2) la culture et la performance ; 3) les domaines
d’application de la pensée culturelle ; 4) la culture et le leadership ; 5) le potentiel émancipatoire des
études culturelles ; 6) la question du niveau d’analyse ; 7) la culture et le (dés-)ordre organisationnel.
574 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

viste des recherches dominantes. Il attire l’attention sur l’aliénation que les
acceptions conventionnelles de la culture véhiculent. En présentant cette
dernière de manière purement instrumentale, outil à la disposition d’un
manager en quête de performance, les recherches classiques voient le
manager comme un véritable héros capable de créer et de reproduire des
significations, des idées et des valeurs partagées grâce à des actes de com-
munication, qui « gèleraient » finalement la réalité sociale. Toute concep-
tualisation de la culture doit considérer au contraire les aspects politiques
et les dimensions liées au pouvoir, pour dénaturaliser ce qui semble aller
de soi. Ne pas interroger les pratiques dominantes c’est prendre le risque
que celles-ci favorisent les puissants, maintiennent le statu quo et aillent à
l’encontre des intérêts des plus faibles. Pour le dire autrement, la culture
peut devenir un puissant levier de domination quand elle inculque des
normes de comportement, des manières de pensée et d’agir présentées
comme étant évidentes, naturelles, inévitables.
Outre la culture organisationnelle, Mats Alvesson a analysé de façon
approfondie depuis la fin des années quatre-vingt (Alvesson, 19953 ;
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2004), les firmes de services professionnels à haute intensité de connais-
sance (FHICs)4, tels que les cabinets de conseil en management, les SSII,
les agences de publicité, les cabinets d’audit ou d’avocats… Pour Alvesson
(2004), il s’agit d’une forme d’organisation particulièrement représenta-
tive de l’économie contemporaine et de la société de connaissance,
puisqu’elle fournit 10 à 15 % des emplois salariés en Europe et aux États-
Unis.
Alvesson définit les FHICs comme des « organisations qui offrent au
marché l’utilisation de connaissances assez sophistiquées ou de produits
basés sur la connaissance » (2004 : 17). En adoptant une démarche inter-
prétative, il met en lumière des dimensions traditionnellement oubliées
dans la recherche sur cet objet ; en particulier les processus sociaux à
l’œuvre dans le management de la connaissance et les effets induits sur la
constitution de l’identité des membres de ce type d’organisation (Kärreman
et Alvesson, 2004). Alvesson invite à examiner par exemple les significa-
tions que les membres de l’organisation attribuent au système de gestion
des ressources humaines. Les pratiques de gestion des ressources humaines
peuvent être comprises comme des véhicules de la construction de signifi-
cations et d’histoires sur les individus – qui ils sont – et sur l’organisation
– sa cohérence-. Elles ne sauraient être ainsi considérées comme de purs
3. Cette première référence est au croisement du thème de la culture organisationnelle et de l’étude de
cas d’une FHIC.
4. Appelé Knowledge Intensive Firms ou « KIFs » en anglais. Bien qu’Alvesson définisse en réalité deux
catégories génériques (les services professionnels et les firmes à haut intensité technologique), nous
regroupons dans ce papier sous la catégorie de FIHCs l’ensemble de ces organisations.
Mats Alvesson 575

systèmes fonctionnels mais plutôt comme des dispositifs de création de


sens, à travers lesquels les individus développent et reproduisent des signi-
fications sur ce qu’ils sont, et sur ce la firme représente (Alvesson et
Kärreman, 2007). Aux antipodes des postulats les plus en vogue concer-
nant les bienfaits de l’adhocratie et de l’absence de règles, Alvesson
démontre la prégnance du contrôle socio-idéologique véhiculé par la
culture et la gestion des ressources humaines dans ces entreprises. Il insiste
sur la régulation des comportements et des identités, telle qu’elle s’incarne
dans la prolifération des outils de mesure de la performance, ou la rhéto-
rique très particulière utilisée pour représenter la firme auprès de la clien-
tèle, lesquels contribuent à la construction archétypale du « travailleur de
la connaissance ». (Alvesson et Willmott, 2002 ; Alvesson et Kärreman,
2007a). Si l’autonomie ou la quasi-absence de hiérarchie donnent un sen-
timent d’indépendance et d’autonomie, le contrôle social véritablement
exercé sur les membres de l’organisation ne laisse guère de place à des
ouvertures identitaires. Il engendre au contraire une structure de domina-
tion, et suscite une asymétrie de pouvoir. Les dynamiques à l’œuvre pour
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« travailler » l’identité du travailleur de la connaissance, visent finalement
à instituer la loyauté, un langage commun et un comportement collectif
univoque vis-à-vis des intentions stratégiques formulées par la direction
générale des FHICs.

Conclusion
Les travaux de Mats Alvesson sont un exemple emblématique d’un
modèle académique engagé et critique, qui refuse la pure spéculation théo-
rique, au profit d’une démarche pour l’émancipation des managés et des
managers.
Malgré la diversité des objets de recherche, ses analyses sont articulées
autour d’une matrice relativement cohérente, dont l’objet principal est de
dévoiler ce qui est traditionnellement oublié ou étouffé par les approches
dominantes, et de favoriser l’ouverture discursive. Cette intention s’ac-
compagne d’une conception qui promeut une recherche empirique pous-
sée. L’enjeu est bien d’exclure toute forme de spéculation purement scolas-
tique, fût-elle basée sur une conception critique de la réalité. Si les preuves
empiriques sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes cependant. Il faut
faire prendre conscience aux agents de leurs situations et permettre leur
émancipation. À cet égard, l’évolution des travaux de Mats Alvesson,
d’une démarche contemplative, au début de sa carrière, à une visée de plus
en plus émancipatrice, mérite d’être soulignée.
576 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Les travaux d’Alvesson ont cependant suscité des critiques. Son ton
arrogant et moraliste est souvent stigmatisé, par les tenants du courant
conventionnel. Arrogant, en ce que l’œuvre ébranle les fondements des
pratiques managériales et des paradigmes dominants. Moraliste, car elle
met en évidence leurs incohérences et leur caractère idéologique.
Une deuxième critique, relevée par Mats Alvesson lui-même5, est la
grande variété des thèmes et des objets de recherche qu’il aborde (culture,
méthodologie, genre, identité, méthodologie, philosophie de la recherche,
domination, pouvoir et contrôle, leadership, FHICs…), ce qui l’empêche
parfois de développer une assise théorique profonde et robuste.
En troisième lieu, il subsiste une ambiguïté dans le travail de Mats
Alvesson qui oscille entre une approche interprétative, et une démarche
critique, fondée sur le dévoilement et la dénonciation. Il lui arrive même
de considérer les deux postures comme poursuivant les mêmes objectifs
(Alvesson et Deetz, 1996, 2006), sans prendre la mesure des contradic-
tions que cela peut soulever. C’est un point qui pose le problème de
« l’identité » de son travail – pour reprendre un terme qui lui est cher-. Ce
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positionnement sur plusieurs « scènes identitaires » évite cependant l’en-
fermement.
Aujourd’hui, Mats Alvesson poursuit sa recherche sur les FHICs, et a
engagé un lourd travail empirique sur les processus sociaux de leadership,
concept à l’égard duquel il reste sceptique. Il relativise en particulier pro-
fondément la vision essentialiste du leader comme sujet cohérent doté
d’une orientation particulière au travail et il met en évidence les nom-
breuses contradictions du leadership (Alvesson et Sveningsson, 2003).
Alvesson mène également, avec d’autres chercheurs, des réflexions plus
générales sur la finalité des études critiques en management. Sur ce dernier
point, sa conception se veut nuancée et ne s’inscrit pas dans une posture
utopique ou radicale. Ses réflexions intègrent le contexte économique et
sociétal des firmes et prennent au sérieux la question du management, la
légitimité de valeurs comme la productivité, la qualité ou le service au
client. Mais elles ne font aucune concession pour dénoncer la dérive
managérialiste des sociétés contemporaines. Elles rappellent avec justesse
que la recherche en management doit aussi prendre le parti des plus
faibles, des dominés, des opprimés, pour souligner « la face noire » des
organisations et dénoncer toute forme de domination économique,
sociale, idéologique ou symbolique.

5. Interview à Amsterdam, juillet 2008.


Mats Alvesson 577

Travaux cités de l’auteur


Alvesson, M. (1987), Organization Theory and Technocratic Consciousness, Berlin/
New York : de Gruyter.
Alvesson, M. (1995), Management of Knowledge-Intensive Companies, Berlin/
New York de Gruyter.
Alvesson, M. (2002a), Understanding Organizational Culture, London : Sage.
Alvesson, M. (2002b), Postmodernism and Social Research, Buckingham : Open
University Press.
Alvesson, M. (2003), « Beyond neo-positivism, romanticism and localism. A
reflexive approach to interviews », Academy of Management Review, n° 28,
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Alvesson, M. (2004), Knowledge Work and Knowledge-Intensive Firms, Oxford :
Oxford University Press.
Alvesson, M. (2008), « The future of critical management studies », in D., Barry
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Alvesson, M., Bridgman, T. et Willmott, H. (Eds.) (2009), Oxford Handbook of
Critical Management Studies, Oxford : Oxford University Press.
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Alvesson, M., Deetz, S. (1996), « Critical Theory and Postmodernism Approaches

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to Organization Studies », in S Clegg, C. Hardy et W. Nord (Eds.), Handbook
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Sage.
Alvesson, M., Deetz, S. (2006), « Critical Theory and Postmodernism Approaches
to Organization Studies », in S Clegg, C., Hardy, T., Lawrence et W., Nord
(Eds.), Handbook of Organization Studies, London, Sage : 253-283.
Alvesson, M., Hardy C., Harley B, (2008), « Reflecting on Reflexivity : Reflexive
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Alvesson M., Kärreman D. (2000), « Taking the Linguistic Turn in Organizational
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and control in a management consultancy firm », Organization Science,
vol. 18, p. 711-723.
Alvesson, M., Sköldberg, K. (2000), Reflexive methodology, London : Sage
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and ugly ambiguity : Contributions of (non)-leadership in a knowledge
intensive organization », Organizations Studies, vol. 24, n° 6, p. 961-988
Alvesson, M., Sveningsson, S. (2008), Changing Organizational Culture,
London : Routledge 2008.
Alvesson, M. et Willmott, H. (Eds.) (1992), Critical Management Studies,
London : Sage.
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Identity regulation as organizational control », Journal of Management Studies,
n° 39, p. 619-644.
578 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Alvesson, M., Willmott, H. (Eds.) (2003), Studying Management Critically,


London : Sage.
Kärreman, D., Alvesson, M., (2004), « Cages in tandem : management control,
social identity, and identification in a knowledge-intensive firm », Organization,
n° 11, p. 149-175.
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XXXVI. MARTA CALÁS ET LINDA SMIRCICH – LES PERSPECTIVES
FÉMINISTES EN THÉORIE DES ORGANISATIONS

Véronique Perret
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 579 à 603


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-579.htm
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en théorie des organisations
Les perspectives féministes
et Linda Smircich
XXXVI
Marta Calás

Véronique Perret
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580 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Depuis près de 30 ans, Marta Calás et Linda Smircich poursuivent des


carrières académiques conjointes. Linda Smircich est originaire de Long
Island et ses premiers intérêts de recherche se sont tournés vers l’anthro-
pologie. Marta Calás est, quant à elle, née à Cuba et a vécu et travaillé dans
plusieurs pays avant de s’installer aux États-Unis. Toutes deux sont profes-
seures de théorie des organisations à l’Université Amherst du Massachusetts,
et co-écrivent régulièrement depuis 1987, date de l’obtention de la thèse
de doctorat de Marta Calás dans cette même université (Calás, 1987).
Elles partagent également de nombreuses activités d’animation de la com-
munauté scientifique, elles comptent en particulier parmi les fondatrices
et aujourd’hui membres de l’Advisory Board de la revue Organization,
revue dans laquelle elles sont très actives depuis sa création en 1993 (Calás
et Smircich, 2001, 2002, 2003a, 2012).
Cette longue et étroite collaboration a donné lieu à une activité de
publication remarquable par sa cohérence et par son homogénéité. Qu’ils
portent sur la culture organisationnelle (Smircich, 1983, 1985 ; Smircich
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et Calás, 1987), le leadership (Calás, 1993 ; Calás et Smircich, 1988,
1991, 1996a), l’éthique des affaires (Calás et Smircich, 1997a), la globali-
sation (Calás et Smircich, 1993 ; Mir, Calás et Smircich, 1999) ou l’entre-
preneuriat (Calás, Smircich et Bourne, 2009), les travaux de Marta Calás
et Linda Smircich se positionnent comme une critique des approches
traditionnelles en théorie des organisations et s’attachent à dénoncer la
vision moderne dominante dans le champ de production de la connais-
sance en management (Partie 1).
S’inscrivant dans une épistémologie postmoderne/poststructuraliste,
elles mobilisent les démarches et outils méthodologiques inspirés de ces
épistémologies, comme la déconstruction déridienne et l’approche généa-
logique de Foucault, pour offrir une lecture féministe des théories du
management (Partie 2).
Cette étiquette revendiquée de « féministes postructuralistes », leur
confère une forte identité qui a fait l’objet de critiques, en particulier sur
le caractère orienté du regard qu’elles portent sur les travaux en théorie des
organisations. Plus fondamentalement, ce positionnement soulève des
interrogations sur la portée et l’avenir des approches critiques en manage-
ment. Certains de ces questionnements sont d’ailleurs portés par Calás et
Smircich elles-mêmes, leurs travaux accompagnant l’évolution d’une cri-
tique féministe en mouvement (Conclusion).
Marta Calás et Linda Smircich 581

1. DÉCONSTRUIRE LE CHAMP DE PRODUCTION DE LA


CONNAISSANCE…
La majorité des travaux de Calás et Smircich mobilisent un matériau
de recherche issu du champ académique lui-même et se positionne ainsi
comme une méta-analyse critique de la nature et du système de produc-
tion des connaissances dans le domaine de la théorie des organisations.
Qu’il s’agisse de déconstruire des ouvrages célèbres sur le leadership (Calás
et Smircich, 1991 ; Calás, 1993) ou des rapports institutionnels sur l’éva-
luation des formations universitaires (Calás et Smircich, 1990) ; qu’il
s’agisse de faire une analyse généalogique de la littérature académique sur
la culture organisationnelle (Smircich et Calás, 1987) ou des idées circu-
lantes sur la globalisation (Calás et Smircich, 1993) ; qu’il s’agisse de pro-
poser de nouvelles problématisations dans le champ de l’entrepreneuriat
(Calás, Smircich et Bourne, 2009), le travail de Calás et Smircich a tou-
jours pour objet de dénoncer la vision moderne de la connaissance, domi-
nante dans le champ académique (partie 1.1).
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Par leur activité d’édition de travaux de recherches critiques (Smircich
et Calás, 1995) et postmodernes (Calás et Smircich, 1997b) ainsi que leurs
propres contributions à ces approches (Calás et Smircich, 1999, 2003b) ;
par le travail de positionnement des théories féministes dans le champ du
management (Calás et Smircich, 1992a, b, 1996b, 2006, 2009, 2014,
2016), Marta Calás et Linda Smircich s’inscrivent dans un projet de résis-
tance qui vise à donner la voix à des points de vues minoritaires ou domi-
nés porteurs de conceptions alternatives de/pour la connaissance dans ce
champ de recherche (partie1.2).

1.1. Résistance à l’égard d’une vision moderne


Les travaux de Marta Calás et Linda Smircich ont largement contribué
à populariser et développer les principaux arguments formant le socle des
épistémologies postmoderne/poststructuraliste en théorie des organisa-
tions. Ce faisant, elles portent une virulente critique de la modernité,
dénonçant les idées à la base de la science moderne comme la rationalité,
l’ordre, le réalisme ou la vérité. Dans leur analyse de la contribution post-
moderne à la théorie des organisations elles dénoncent, en miroir, les
principales limites inscrites dans la conception moderne de la connais-
sance (Calás et Smircich, 1999). Pour Calás et Smircich l’approche post-
moderne permet en particulier :
582 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

• de révéler le fonctionnement interne et les hypothèses de base des


théories organisationnelles existantes ;
• d’identifier les limites discursives arbitraires dans lesquelles ces théo-
ries opèrent ; de mettre l’accent sur la « fixation du sens » qui permet
de comprendre comment les théories de l’organisation, malgré leur
revendication d’universalisme, représentent certains phénomènes,
certains intérêts et certains groupes et en marginalisent d’autres ;
• de dénoncer toute notion de vérité durable à propos des organisa-
tions.
Ce que Calás et Smircich remettent profondément en cause c’est l’idée
de progrès inscrite dans la conception moderne de la production scienti-
fique. Elles dénoncent ainsi l’échec des théories des organisations à accom-
plir « les promesses modernes de progrès comme par exemple, des organi-
sations plus efficaces, une meilleure éducation, de meilleurs emplois ou de
meilleurs revenus pour tous » (Smircich et Calás, 1995 : xiv). La démons-
tration qu’elles s’attachent alors à faire pour soutenir ce constat d’échec est
d’ordre épistémologique. Les contraintes discursives, les « tenus pour
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acquis » jamais questionnés des théories, amènent à penser l’organisation
uniquement sous certains traits rendant ainsi très difficile la formulation
d’une conception réellement différente de ce qu’est ou pourrait être la
connaissance sur l’organisation.
Le problème fondamental de la théorie des organisations est qu’elle se
répète par une forme de bouclage sur elle-même. N’interrogeant jamais
certaines hypothèses implicites fondamentales, elle est finalement inca-
pable de répondre aux promesses d’innovation et de progrès qu’elle affiche
(Smircich et Calás, 1987 ; Calás et Smircich, 1991, 1992b, 2003b). La
littérature sur le leadership est posée comme exemplaire de cette condition
moderne de la connaissance (Calás et Smircich, 1991 : 568). Précédemment,
leur travail sur la culture organisationnelle (Smircich et Calás, 1987)
défendait le même point de vue. Dans cet article elles montrent comment
l’impulsion originelle des travaux sur la culture, qui visaient à contrer les
conceptions excessivement rationnelles de l’organisation, dominantes dans
le champ, a été dévoyée et a finalement disparu au fur et à mesure que le
concept de culture a été approprié par la tradition rationnelle. Les travaux
sur la culture ont petit à petit été incorporés à une conception positiviste
et instrumentale de l’organisation, faisant de la culture organisationnelle
un concept dominant de la littérature académique mais, reprenant ici
l’expression d’Habermas, un concept mort (Smircich et Calás, 1987 :
229).
Calás et Smircich soulignent la grande difficulté d’échapper à ces
contraintes et à ces enfermements discursifs. Elles montrent en particulier
Marta Calás et Linda Smircich 583

comment la connaissance est encastrée dans un environnement culturel,


historique et institutionnel qui naturalise les phénomènes et qui trans-
forme en « tenus pour acquis » certaines conceptions de l’organisation, en
imposant une unique forme de discours sur l’organisation (Calás et
Smircich, 1992a, b, 1996b, Mir et al., 1999). Dans un tel environnement
intellectuel, s’inscrire en opposition aux théories dominantes s’avère voué
à l’échec. Cette posture reste en effet enfermée dans la logique de la pensée
moderne, dans l’idée que le progrès se fait par le jeu de la contradiction et
de l’opposition. Proposer de « meilleures » théories ou de « meilleures »
méthodologies conduit à vouloir substituer une notion de vérité à une
autre, à opposer et défendre un paradigme par rapport à un autre. Cette
posture d’opposition ne fait que participer au bouclage et à l’enfermement
par le jeu de récupération et d’appropriation qui s’opère alors. Pour illus-
trer ce processus on peut reprendre l’exemple de la culture organisation-
nelle (Smircich et Calás, 1987). Construite au départ en opposition au
discours dominant positiviste et fonctionnaliste, cette littérature s’institu-
tionnalise finalement comme le stade ultime de la modernité dans le
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champ du management (Smircich et Calás, 1987 : 246), entraînant dans
ce mouvement la mort du concept de culture (Smircich et Calás, 1987 :
248).
Calás et Smircich préconisent non pas de s’opposer mais de résister. La
posture postmoderne de résistance qu’elles adoptent invite plutôt à soup-
çonner et différer l’acceptation de n’importe quelle notion de vérité, à
questionner la possibilité d’atteindre la vérité en ce que celle-ci est tou-
jours inscrite dans un cadre historique où le vrai et le faux sont posés au
centre d’un style dominant de pensée (Smircich et Calás, 1987 : 248).
La tâche qu’elles se donnent est alors double. Il s’agit de montrer com-
ment la théorie moderne des organisations ferme « ce qui peut être dit
comme relevant de la connaissance organisationnelle » (Calás et Smircich,
1991 : 567) et d’ouvrir le discours sur l’organisation à un plus large éven-
tail d’orientation et d’interprétation.

1.2. En donnant « voix au silence »


Donner « voix au silence » consiste, dans la droite ligne du projet post-
moderne, à ouvrir les discours sur l’organisation pour donner à voir leur
diversité, par la multiplication des points de vue et des regards, et faire
prendre conscience de l’impossible clôture de leur sens, par la remise en
cause des notions de réalité, de vérité et d’universalité.
584 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Intégrer de l’hétérogénéité et de la dissonance dans les discours en théo-


ries des organisations peut emprunter plusieurs voies comme les différents
travaux de Calás et Smircich l’illustrent.
Cela peut consister, comme elles le suggèrent dans l’introduction de
l’ouvrage qu’elles éditent en 1995, à réhabiliter et remettre sur le devant
de la scène académique des travaux qui prônaient des visions alternatives
et critiques de la connaissance sur les organisations, mais qui ont, à leur
époque, été ignorés ou disqualifiés par la pensée dominante (Smircich et
Calás, 1995 :x). Ici, comme dans d’autres de leurs travaux (Smircich et
Calás, 1987 ; Calás et Smircich, 1991, 1993), Marta Calás et Linda
Smircich insistent sur l’importance du recours à l’analyse historique non
pas pour justifier l’inéluctabilité et la nécessité de l’histoire mais, tout au
contraire, pour montrer comment des choix sont faits et comment le che-
min aurait pu être différent (Smircich et Calás, 1987 : 229).
L’ouverture de la connaissance à d’autres voix signifie également de
chercher à faire entendre dans le discours organisationnel la voix et les
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intérêts d’acteurs habituellement minoritaires ou marginalisés. Les théo-
ries féministes ou les théories post-coloniales, sur lesquelles Calás et
Smircich ont abondamment travaillé, ont pour projet de faire entendre les
points de vue de la femme, du genre, de la race, de l’ethnie… générale-
ment absents des travaux académiques en théories des organisations. Faire
parler les voix minoritaires n’a pas pour but de les conduire un jour à une
position de domination. L’objectif est plutôt de maintenir l’ouverture du
discours et faire ainsi échec aux tentatives totalitaires (aux visées d’intégra-
tion universalisante et d’explication globalisante) de ceux qui veulent
devenir ou rester dominants (Smircich et Calás, 1987 : 249).
Le projet est donc de questionner sans cesse l’autorité investie dans nos
catégories, nos champs et nos disciplines pour déterminer les bases de nos
connaissances. Il suppose une démarche réflexive par laquelle le chercheur
est amené à questionner les hypothèses implicites de son travail et à énon-
cer explicitement son positionnement. Cette posture de réflexivité est très
présente dans les écrits de Marta Calás et Linda Smircich qui s’attachent à
préciser, dans la plupart de leurs travaux, les éléments de contexte et
d’esprit dans lesquels ils ont été écrits ainsi que le statut qu’ils reven-
diquent. Pour exemple, voici comment, en 1996, elles présentent leur
analyse de la littérature sur les théories féministes en théories des organi-
sations : « We do not claim to write as “detached” observers : as authors we
have our favored positions in between the “post” discourses ; as a Latina and a
white US woman who write together and share their professional and per-
sonal lives, mostly within US contemporary institutions but also in other
Marta Calás et Linda Smircich 585

places in the world, we recognize that our writings come from particulary (dis)
located positions ». (Calás et Smircich, 1996 : 219)
Comme Calás et Smircich le défendent, dans un monde fragmenté
comme le nôtre, les points de vue totalisants sont condamnés à échouer.
Nous avons besoin de discours multiples pour pouvoir participer aux
nombreux « jeux de langage » que nous rencontrons (Calás et Smircich,
1987 : 249). En 2003, dans un propos inspiré par Bruno Latour, elles
poursuivent cette réflexion épistémologique en invitant à concevoir nos
projets de connaissance dans une voie/voix « non-moderne » qu’elles
présentent ainsi : « He [Latour] asks us to interpret our present time not as
modernity or postmodernity, but as non-modernity, because in his view moder-
nity and its dream of being able to separate facts from values, ends and means,
things and people, while always moving towards an ever better future, never
really happened. (…) we must replace the idea of “experts” (some of us) with
that of “co-researchers” (all of us). (…) As consumers, militants, citizens, we
are all now co-researchers (Latour, 2001). And thus, we see this as an option
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for organization studies. An option for rethinking our institutions, our univer-
sities included, as more hybrid forums, as space for co-researching (…) »
(Calás et Smircich, 2003c : 604-605).
Donner la voix au silence, c’est donc aussi contester certaines voix
dominantes et propos d’autorités et concevoir la production de connais-
sance comme une tâche collective au service d’une communauté élargie.
Cette conception de la connaissance implique en particulier de repenser
les institutions et les pédagogies de la connaissance (Calás et Smircich,
2003b : 52-53). Si l’argumentation de Marta Calás et Linda Smircich est
en premier lieu de nature épistémologique, interrogeant les modalités de
production de la connaissance dans le champ des théories des organisa-
tions, l’évolution de leur réflexion les conduit de plus en plus à interroger
le rôle « politique » que jouent ces théories comme l’évoque la citation
suivante : « Our project is an epistemological one. We are not intending to
suggest ways of organizing or managing from feminist perpectives. Rather, our
intent is to foster feminist theories as conceptual lenses to enact a more relevant
“organization studies” ; an organization studies which will bring “into the
picture” the concerns of many others, not only women, who are often made
invisible in / through organizational processes » (Calás et Smircich, 2006 :
286).
La deuxième partie de l’article s’attache à incarner la nature et la visée
du projet de connaissance porté par Marta Calás et Linda Smircich.
586 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

2. …PAR UNE LECTURE POSTSTRUCTURALISTE


FÉMINISTE DES THÉORIES DE L’ORGANISATION
Si le positionnement de Marta Calás et Linda Smircich reflète, au fil de
leurs écrits, une certaine cohérence épistémologique, sa labellisation a
évolué avec le temps. Elles revendiquent tour à tour l’étiquette de postmo-
derne (Calás, 1987 ; Smircich et Calás, 1987), de poststructuraliste (Calás
et Smircich, 1990 ; 1991) ou encore de postcoloniale (Calás et Smircich,
1993, Mir et al., 1999), résumant parfois leur position par le simple label
de « post » (Calás et Smircich, 1996).
Cette fluctuation est en partie la marque d’une évolution de la position
épistémologique de Calás et Smircich qui abandonnent au tournant des
années 2000, une certaine conception du postmodernisme (Calás et
Smircich, 1999, 2003b), et qui accompagnent la formalisation de nou-
veaux courants de pensée comme les études post-coloniales1 (Calás, 1992,
Calás et Smircich, 1993, 1996, 2006 ; Mir et al., 1999). Elle est peut-être
également en partie le fruit d’une appréciation différente des labels de
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poststructuralisme et postmodernisme de part et d’autre de l’Atlantique.
En effet, comme le rappelle Angermüller (2007), le terme de poststructu-
ralisme et son concept frère de postmodernité sont nés dans les années
soixante-dix dans les départements d’anglais nord-américains. Ils rassem-
blaient sous un même étendard des auteurs, majoritairement français,
comme Michel Foucault et Jacques Derrida en tête de ce mouvement et
d’autres figures parmi lesquelles Jean-François Lyotard, Gilles Deleuze,
Roland Barthes, Jean Baudrillard ou Jacques Lacan. Ces auteurs avaient
cependant beaucoup de mal à se concevoir comme un ensemble de pen-
seurs homogènes et s’interrogeaient également sur le sens que pouvait
recouvrir l’étiquette de poststructuraliste. Nous avons encore aujourd’hui
en France, du mal à embrasser l’ensemble de ces auteurs d’un même
regard.
Le positionnement épistémologique de Calás et Smircich correspond
cependant bien à cette acception nord-américaine du poststructuralisme
auquel est associé habituellement :
« a) la critique du sujet parlant souverain, b) le privilège accordé à la
matérialité langagière et discursive, c) la non-clôture et l’hétérogénéité des
terrains symbolique et social, d) la mise en cause des modèles postulant la
1. Les approches postcoloniales en théorie des organisations mettent en évidence l’exclusion et la mise
sous silence d’une connaissance organisationnelle non occidentale, qualifiée « d’étrange » dans les canons
de la théorie organisationnelle ; la représentation simplificatrice de « l’autre » dans les discours occiden-
taux et les erreurs d’analyse résultant de l’application de notions et définitions de l’Ouest dans des con-
textes non-occidentaux (Calás et Smircich, 1999, 2003b).
Marta Calás et Linda Smircich 587

transparence du monde, e) la critique d’un sens profond, d’une rationalité


latente ou encore d’une réalité objective cachée derrière les signes et, enfin
f ) une certaine réflexivité du travail théorique » (Angermüller, 2007 : 20)
L’identité du travail de Calás et Smircich se définit également par leur
revendication de chercheuses féministes. Elles définissent ainsi le poststruc-
turalisme féministe comme : « posit, in general, the importance of the struc-
ture masculinity/feminity in sustaining the durability of practices, discourses,
and forms of signification that allow certain activities the claim of knowledge,
while disallowing others. Organizational analyses based on feminist
poststructuralism(s) focus on the intersections between patriarchy and organi-
zational knowledge, and the social/discursive relations which sustain these
intersections. » (Calás et Smircich, 1991 : 571)
Par leur travail de synthèse et de positionnement des théories féministes
en théories des organisations, Marta Calás et Linda Smircich ont contri-
bué à donner la voix à ce champ de recherche et à en éclairer la diversité
et l’évolution (partie 2.1).
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Par la mobilisation des démarches et des méthodes inspirées du
poststructuralisme elles vont s’appliquer à dévoiler et déconstruire les non-
dits et les tenus pour acquis en matière de genre dans le champ des études
organisationnelles (partie 2.2).

2.1. Le genre et l’organisation


Un premier apport de Calás et Smircich aux approches féministes en
théorie des organisations réside dans l’analyse très référencée des différents
courants féministes (Calás et Smircich, 1992, 1996, 2006).
Leur synthèse de la littérature les conduit à identifier six principales
approches féministes2. Un tableau de synthèse de ces différents courants
est proposé dans l’annexe 1.
Par-delà la diversité des différents courants identifiés (certains d’entre
eux pouvant être incompatibles), Calás et Smircich mettent en évidence
que la plupart des théories féministes ont en commun : 1. Une reconnais-
sance de la domination masculine dans les arrangements sociaux et le désir
de changer cet état des choses. 2. D’une manière plus fondamentale, les
perspectives théoriques féministes sont des discours critiques, c’est-à-dire
2. En 1996, Calás et Smircich distinguaient 7 écoles de pensée féministes : libérale, radicale, marxiste,
psychanalytique, socialiste, postmoderne/poststructuraliste et postcoloniale. L’approche marxiste ne sera
pas reprise dans la version de 2006. Finalement, celle-ci ne reconnaît pas de spécificités particulières aux
approches féministes, les femmes pouvant être considérées ni plus ni moins comme une classe dominée.
588 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

qu’elles énoncent une critique du statu quo et sont en ce sens toujours


politiques (Calás et Smircich, 1996 : 219).
La virulence de la critique et la nature de l’engagement politique
varient cependant d’un courant à l’autre. Appliqué aux organisations,
l’agenda politique féministe peut aller de propositions visant à 1. Réformer
les organisations, 2. Transformer les organisations et la société ou
3. Transformer nos principales compréhensions de ce qui constitue les
connaissance/théorie/pratique dans les études organisationnelles (Calás et
Smircich, 2006 : 286). En 2006, dans leur revue revisitée de la littérature,
Calás et Smircich synthétisent les approches féministes en deux groupes
distincts.
Le premier regroupe les approches libérale, radicale et psychanalytique
qui, malgré leurs hypothèses épistémologiques différentes partagent une
hypothèse ontologique fondamentale : l’oppression des femmes se situe
dans la condition de femme. Dans le champ des théories des organisations
l’approche libérale est dominante, notamment au travers du courant « des
femmes en gestion »3, qui vise à faire valoir l’égalité entre les hommes et
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les femmes plutôt que l’élimination des inégalités de genre dans les orga-
nisations.
Même si ces trois approches (libérale, radicale, psychanalytique) par-
tagent une même visée réformiste, elles demeurent très différentes sur ce
que cela peut vouloir dire. L’annexe 2 permet d’illustrer ces divergences.
Cette annexe reprend le principe d’illustration utilisée par Marta Calás et
Linda Smircich (1996 et 2006) et nous raconte, avec 10 ans d’écart, l’his-
toire de deux femmes : Ellen, confrontée au plafond de verre (Calás et
Smircich, 1996) et Sarah qui doit faire face au dilemme de l’arbitrage entre
travail et famille (Calás et Smircich, 2006). Pour chaque posture féministe
l’attitude des deux femmes, leur vision du problème, les solutions qu’elles
entrevoient vont être différentes.
Le deuxième groupe est formé par les approches socialiste, postmo-
derne/poststructuraliste et enfin transnationale/post-coloniale. Calás et
Smircich se réclament plutôt de cette deuxième famille même si elles rap-
pellent qu’il ne faut pas surestimer les points communs de ces perspectives
théoriques contrastées. Ce qu’elles partagent cependant réside dans une
vision complexe du genre qui distingue clairement cette notion de celle du
sexe biologique. Le genre est socialement construit, et peut être compris
comme un processus produit et reproduit au travers des relations de pou-
voir des différents membres de la société. Les approches féministes
3. La traduction utilisée ici de « femmes en gestion » pour l’expression « women-in-management » est
empruntée à Linda Rouleau (2007).
Marta Calás et Linda Smircich 589

contemporaines regardent la structuration sociale et économique, les sub-


jectivités, les sexualités et les processus transnationaux comme simultané-
ment encastrés dans des systèmes de connaissance et producteurs de
connaissance. Ces approches ont porté leur critique sur les dynamiques de
systèmes complexes reliant genre/race/classe/homophobie/ethno-cen-
trisme/connaissance pour dénoncer les relations d’oppression et de subor-
dination en général et pas uniquement des femmes. La « théorie queer »
(Butler, 1990) est représentative de ces approches analytiques qui per-
mettent de comprendre les conditions spécifiques des différentes per-
sonnes dans le monde (Calás et Smircich, 1999 : 661). Ces approches
visent à analyser, dans leurs dimensions historique et contemporaine, les
systèmes d’interaction complexes qui construisent les subjectivités des
acteurs afin de dénaturaliser leurs principaux fondements (Calás ; Ou et
Smircich, 2013).
Cette perspective considère que les projets féministes centrés sur « la
condition des femmes » et la question de leurs discriminations sont insuf-
fisants dans la mesure où ils n’interrogent pas la manière dont ces condi-
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tions sont engendrées par une multiplicité de processus contribuant à la
reproduction de cette oppression et de ces discriminations. Pour ces
approches, la manière d’envisager le changement doit partir de l’analyse de
la structuration complexe des relations économique, culturelle, de
connaissances, appréhendées comme des relations de pouvoir, dans les-
quelles les identités et subjectivités de genre (et autre) prennent forme
(Calás et Smircich, 2006 : 301). L’annexe 2, au travers des histoires d’Ellen
et de Sarah, illustrent les différentes approches en réponse à ces interroga-
tions communes.

2.2. Une épistémologie féministe ?


Le dispositif méthodologique déployé dans la plupart des travaux de
Calás et Smircich met en œuvre les outils inspirés des épistémologies post-
moderne/poststructuraliste. Elles mobilisent plus particulièrement l’ap-
proche généalogique de Foucault et la déconstruction, inspirée des travaux
de Jacques Derrida, qu’elles présentent de la manière suivante : « The two
modalities of poststructuralist analyses appearing most frequently in organiza-
tion and management studies, deconstructive and genealogical, provide dif-
ferent but important ways of rethinking our field’s knowledge-making activi-
ties. Genealogical analyses, offering complex historical documentation of what
otherwise may appear today as natural and ahistorical, reposition conventio-
nal wisdom and show how what passes as knowledge is an entanglement of
power relations in which many discourses and practices are and have been
590 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

implicated. Similarly, deconstructions, as close readings for understanding the


constitution of textual knowledge, work on the blindspots that we all, readers
and writers, are unable to control as we write knowledge. Together they have
given us important tools to thoughtfully address the tricky nature of what we
do, as well as ways to reflect on other possible consequences if we forget to men-
tion our own sleight of hands. » (Calás et Smircich, 2003b : 32).
D’une manière générale, elles utilisent conjointement ces deux
démarches et s’attachent à re-lire et ré-écrire les concepts et les écrits en
théories des organisations pour dévoiler et dénoncer la sexualisation4 des
discours dans ce champ de recherche. Ces démarches mettent en évidence
deux éléments essentiels concernant la nature et le statut des connaissances
produites.
D’une part, elles considèrent que la connaissance est un texte. Partant
de ce point de vue, il est alors possible de questionner la démarche de
recherche comme un style et d’interroger les dimensions pragmatiques,
poétiques, politiques et éthiques de la recherche en théories organisation-
nelles. Comme Calás et Smircich le soulignent alors, « ces explorations
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produisent des effets dévastateurs sur toute revendication de fixer un sens
unique et simple et favorise la possibilité d’autres interprétations »
(Smircich et Calás, 1987 : 255).
Le travail de recherche devient alors un travail de « lecture » et de « ré-
écriture » comme elles le défendent, par exemple, dans leur déconstruction
féministe du rapport Porter/McKibbin5 portant sur l’évaluation des insti-
tutions universitaires : « Thus, our review is more a “reading”, as in litterary
theory where criticism stands as a text in its own right, than a review. Our
approach is congruent both with poststructuralist and feminist approaches in
that it accepts multiple interpretations due to the flexibility of discourses
(words mean more than they say ; the signifier is loose from the signified) and
in that it wishes to escape the “fixities” of male-produced discourse (Weedon,
1987). Because of this position from which we are speaking, we are paying
attention to the ways this text performs as a locus of Western white male patri-
archal activity. We accept, however, that our reading is one of the many pos-
sible interpretations over this text, and, by the same token, we claim the
legitimacy of ours. » (Calás et Smircich, 1990 : 698)
4. Cette expression est empruntée à Linda Rouleau qui définit la sexualisation comme « ce qui exprime
la non-neutralité des théories des organisations en matière de genre, lesquelles reposent sur des méta-
phores et des modèles de connaissance rappelant les caractéristiques de la masculinité » (2007 : 253).
5. Le rapport de Lyman Porter et Lawrence McKibbin (1988), commandé par l’American Assembly of
Collegiate Schools of Business (AACSB) portait sur l’évaluation des business schools américaines et l’avenir
de ces institutions d’enseignement. Dans ce rapport, intitulé Management Education and Development :
Drift or Thrust into the 21st Century ?, les auteurs soulevaient un certain nombre de problèmes et
prônaient la nécessité d’un changement radical des business schools pour aller vers un modèle d’excellence.
Marta Calás et Linda Smircich 591

D’autre part, suivant les principes de l’approche généalogique, elles


posent que toute connaissance doit être analysée dans les contextes qui la
produisent et lui donnent sens. Ainsi, par exemple, leur revue de la litté-
rature sur la culture organisationnelle (Smircich et Calás, 1987) développe
l’idée que c’est la convergence des contextes économique et intellectuel de
la fin des années soixante-dix aux États-Unis qui stimule la réceptivité à la
notion de culture et permet de faire émerger ce champ de recherche dans
les théories des organisations À cette époque en effet les enjeux de la glo-
balisation et de l’internationalisation de l’économie (succès du modèle
Japonais, difficulté du modèle américain) contribuent à modifier les lieux
du pouvoir économique et font apparaître des doutes concernant les capa-
cités managériales à contrôler la vie organisationnelle. Parallèlement les
sciences humaines ont progressivement substitué aux métaphores physica-
listes des métaphores d’un autre ordre fournissant des analogies pour
théoriser la culture organisationnelle.
Dans le même esprit, dans leur article de 1993, elles analysent com-
ment le discours ambiant sur la globalisation fournit un terrain favorable
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à la montée en puissance d’un discours académique sur les femmes en
gestion et la promotion de « valeurs féminines » dans le management des
organisations. Leur analyse les amène à dénoncer la reproduction du
schéma de domination masculine sur lequel repose cette conception
comme le laisse entendre cette citation : « We argue that there is, in fact, a
close relationship between feminine-in-management and “globalization”. If
approached separately, each of these managerial discourses appears to bring
about fundamental changes in corporate America. However, when taken
together, one — the feminine-in-management — maintains the domestic bal-
ance of power that allows for the other — globalization— to fight for con-
tinuing that same balance in the international arena. » (Calás et Smircich,
1993 : 72, soulignés par les auteurs)
L’article le plus exemplaire, et le plus souvent cité, qui déploie de
manière détaillée l’ensemble de ces dispositifs méthodologiques, est assu-
rément celui de 1991 paru dans Organization Studies. Dans cet article,
Calás et Smircich se livrent à un exercice de déconstruction féministe de
la notion de leadership sur la base de quatre ouvrages célèbres du domaine6.
L’examen des conditions culturelles des époques de publication et l’analyse
de la construction rhétorique de ces ouvrages, les amènent à considérer le
concept de leadership comme une figure rationnelle et affichée dont le
pendant opposé et masqué, mais bien présent, est la séduction. Derrière

6. The Functions of the Executive de Chester Barnard de 1938 ; The Human Side of Enterprise de Douglas
Mc Gregor de 1960 ; The Nature of Managerial Work d’Henri Mintzberg de 1973 et In Search of
Excellence de Thomas Peters et Robert Waterman de 1982.
592 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

les pseudo théories du leadership se cachent, quelles que soient les


époques, une conception sexuée et sexualisée de l’organisation et du
management.
Finalement, leurs travaux les amènent à interroger les éventuelles spé-
cificités des approches féministes (Calás et Smircich, 2009 ; Calás ;
Smircich, L. et Holvino, 2014). En s’appuyant sur les travaux de Sandra
Harding (1987, 1998) elles analysent la littérature féministe en manage-
ment et s’interrogent sur l’existence d’une méthodologie, d’une ontologie
et d’une épistémologie propres aux études féministes. Elles mettent en
évidence que les approches féministes s’appuient sur une diversité de
méthodes et que ce n’est donc pas là que réside leur spécificité, même si
certaines démarches, comme l’ethnographie institutionnelle7 par exemple,
paraissent particulièrement intéressantes. La spécificité des approches
féministes se fonde plutôt sur la nature du projet critique qui les caracté-
rise : « Thus, bringing feminist perspectives to the study of organizations today
implies more than a focus on women ; it implies recognizing that organiza-
tions, as core institutions of society, are centrally involved in the production
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and maintenance of social relations of inequality and subordination, inclu-
ding gender, race, ethnic, class, and sexuality relations. Organizational
research supported by feminist theorizing and analyses would start by regar-
ding gender as a central axis around which organizing/organization occurs.
Observation and study of organizations informed by feminist theorizing
would be guided by critical awareness of possible relations of domination/
subordination and would bring a focus on emancipatory change. » (Calás et
Smircich, 2009 : 247-248)
Cette revendication à concevoir une connaissance (dans sa nature et
dans ses pratiques de production et de diffusion) capable de contribuer à
changer les rapports d’inégalités de la société et à favoriser l’émancipation
des voix minoritaires et dominées, s’affirme au fil de leurs travaux de
manière de plus en plus marquée. C’est au travers de cette évolution que
nous proposons, dans la conclusion de ce chapitre, de lire et d’interroger
certaines caractéristiques de leur travail.

7. L’ethnographie institutionnelle peut se définir comme « emphasizes connections among the sites and
situations of everyday life, management/professional practice, and policy making, considered from people’s loca-
tion in everyday life … but the research is not confined to the everyday life of the anchor group at this point
of entry. Rather, the institutional ethnographer traces how those lives are organized through the social relations
of their context » (Calás et Smircich, 2009 : 258). L’article de Porschitz, E. ; Smircich, L et Calás, M.
(2016) offre un exemple empirique récent d’utilisation de cette approche méthodologique.
Marta Calás et Linda Smircich 593

Conclusion
Le travail de Marta Calás et Linda Smircich est marqué d’une forte
identité qui, comme le souligne Brewis (2005), replacé dans son contexte
historique et institutionnel (celui de la recherche en théories des organisa-
tions nord-américaine de tradition managérialiste et positiviste), lui
confère une place essentielle dans sa capacité à énoncer des voies alterna-
tives de connaissances sur les organisations.
Dans un tel contexte, on peut aisément concevoir que ce positionne-
ment a été l’objet de critiques. On leur a par exemple reproché leur lecture
« obsessionnelle » ou « hystérique »8 au travers du filtre du genre et de la
sexualité. C’est la critique qu’adresse Henri Mintzberg en réponse à leur
article qui proposait une déconstruction féministe de son ouvrage The
Nature of Managerial Work (Calás et Smircich, 1991). Dans ce même
commentaire, Mintzberg (1991) évoque également le caractère parfois
hermétique de l’écriture de Calás et Smircich. Cette critique sera reprise,
mais cette fois pour leur défense par Learmonth (2004), qui suggère que,
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à l’instar du travail de Jacques Derrida, elles adoptent un style délibéré-
ment difficile pour illustrer que tous les textes sont denses, compliqués et
sujets à de multiples interprétations.
Plus fondamentalement, la question posée par Marta Calás et Linda
Smircich est celle du rôle politique que peut, que doit jouer la connais-
sance. Cette question est soulevée à de nombreuses reprises dans leurs
travaux qui interrogent tant la nature que les pratiques institutionnelles de
production et de diffusion des connaissances. Par exemple en 2001, dans
un éditorial de la revue Organization elles s’interrogent sur le système uni-
versitaire et sa capacité à placer les valeurs démocratiques et pluralistes au
service d’une plus grande justice sociale. C’est autour de ces questions,
qu’elles argumentent de la nécessité d’abandonner le cadre épistémolo-
gique postmoderne (Calás et Smircich, 1999 ; 2003b ; 2009). Elles justi-
fient cette évolution, surprenante au regard de leurs précédents travaux, en
mentionnant que l’épistémologie postmoderne a permis de nombreuses
avancées mais que son anti-essentialisme radical interdit de fonder de
véritables bases pour l’action et un véritable engagement politique de la
connaissance (Calás et Smircich, 1999 : 659). Elles voient dans les études
féministes, les analyses post-coloniales ou encore dans la théorie de l’ac-
teur-réseau des voies de dépassement qui permettront d’apporter le cadre
8. Elles emploient elles-mêmes cette expression de « lecture hystérique » pour qualifier leur travail rap-
pelant la définition qu’en donne Foucault : l’une des peu nombreuses positions de sujet (plutôt que
d’objet) à partir de laquelle les femmes peuvent parler dans la période moderne (Calás et Smircich,
1990 : 704).
594 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

épistémologique et les outils méthodologiques nécessaires à la construc-


tion d’un projet politique pour les théories des organisations.
Certains commentateurs ont souligné que cette interprétation tenait,
en partie, à une mauvaise appropriation du postmodernisme, et en parti-
culier de la déconstruction, conçue chez Calás et Smircich dans une
logique presque instrumentale, la reléguant au rang d’outil méthodolo-
gique (Brewis, 2005 ; Weitzner, 2007). En particulier Weitzner (2007)
invite à reconsidérer le travail de Derrida dans sa dimension philosophique
et non dans son acception réductrice de « nouvelle méthodologie » dans
laquelle les recherches en management ont eu trop souvent tendance à le
cantonner.
La question soulevée de manière récurrente dans le travail de Marta
Calás et Linda Smircich est celle de la capacité et du rôle des connaissances
à participer à l’émancipation des minorités et au changement du statu quo.
En celà, leurs préoccupations rencontrent un agenda de recherche qui,
dans le champ des études féministes (Martin, 2003) comme dans celui des
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Critical Management Studies (Alvesson et al., 2009), est aujourd’hui large-
ment ouvert et auquel leur travail, sans aucun doute, apporte une contri-
bution. À ce titre, la principale contribution des travaux de Marta Calás
et Linda Smircich au champ des théories des organisations est celle d’une
identité féministe en mouvement.

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Annexe 1. Présentation des différentes approches féministes.


Traduction sur la base de Calás et Smircich (1996 ; 2006)
POST TIERS MONDE /
598

PSYCHANALY-
École de pensée LIBERAL RADICAL SOCIALISTE STRUCTURALISTE TRANSNATIONAL /
TIQUE
POSTMODERNE (POST)COLONIAL
Emerge dans les
années soixante-dix
Intersection des
des mouvements de Critiques contempo-
Théories psychana- approches critiques
Mouvements de libération féministes raines françaises
Théorie politique lytiques freudiennes du féminisme occi-
Racines libération de la qui cherchent à syn- poststructuralistes
libérale des XVIIIe et et autres. En parti- dental et des cri-
intellectuelles femme de la fin des thétiser les de la connaissance,
XIXe siècle. culier les théories de tiques postcolo-
années soixante. approches fémi- de l’identité et de la
la relation d’objet. niales des épistémo-
nistes marxistes, subjectivité.
logies occidentales.
psychanalytiques et
radicales.
Analysée comme un
La nature humaine
Décentration par construit occidental
est créée historique-
Les individus sont rapport à la rationali- qui fait « l’autre »
Les êtres humains La nature humaine ment et culturelle-
Conception de des êtres auto- té et à l’identité invisible ou
sont fondamentale- se développe biolo- ment au travers d’in-
la nature nomes rationnels humaniste. La sub- « presque humain ».
ment des êtres giquement et psy- terrelations dialec-
humaine (dualisme corps/ jectivité et la Parle également
sexués. cho-sexuellement. tiques entre la biolo-
esprit). conscience sont des d’essentialisme stra-
gie, la société et le
effets discursifs. tégique’ et de sub-
travail humain.
jectivités hybrides.
Les individus
deviennent sexuelle- Le genre est un pro- Constitution de sub-
Le sexe et le genre
ment identifiables au cessus socialement jectivités complexes
sont des pratiques
cours de leur déve- construit au travers au-delà les concep-
La « sex class » est discursives qui
Le sexe est une part loppement psycho- de l’intersection du tions occidentales
la condition des construisent les sub-
Conception du essentielle de la sexuel. Le genre sexe, de la race, de de sexe et de genre.
femmes, comme jectivités au travers
sexe / genre dotation biologique. structure un sys- l’idéologie et des Met l’accent sur la
classe dominée de du pouvoir, de la
Une variable binaire. tème social de expériences d’op- dimension de genre
la société. résistance et de la
domination mascu- pressions dans les de la globalisation et
matérialité des corps
LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

line qui influence le systèmes patriarcal des processus


humains.
développement psy- et capitaliste. transnationaux.
chosexuel.

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Une société qui a


La « bonne » socié-
éliminé tous les sys-
Une société juste Une société sans té est une idéologie
tèmes d’oppressions Une société qui
qui permet aux indi- Une société libérée structuration par occidentale produite
(privés et publics) déconstruit et déna-
Conception de vidus d’exercer leur des dominations de genre. Les enfants par les relations de
basés sur le sexe, le turalise en perma-
« la bonne » autonomie et de genre ou de sexe. développent des colonisation et des
genre, la race, la nence les discours
société s’accomplir grâce à (Pour certaines une valeurs égales à la politiques néo-libé-
classe…Permettant et pratiques qui la
un système de société matriarcale). fois féminine et rales. D’autres
ainsi de transformer constitue.
droits individuels. masculine. formes sociales sont
les relations
possibles.
sociales.
Le point de vue La connaissance est
Les modalités de féministe représente L’épistémologie est un système de rela-
Une connaissance connaissance des une condition histo- un problème étant tions de pouvoir
Positiviste, Objec- holiste féministe est femmes sont diffé- rique particulière donné l’hétérogénéi- déployé par l’Occi-
Positions épis-
tive, neutre (par rap- possible en dehors rentes en raison des d’oppression qui est té des sujets et des dent sur le reste du
témo-logiques
port au genre). des structures différences dans le plus adéquat pour identités sociales. Il monde. D’autres
patriarcales. développement psy- comprendre la n’y a pas de sujet connaissances /
chosexuel. société contempo- de connaissance. subjectivités sont
raine. possibles.
Études de cas.
Ethnographie institu- Analyses textuelles
Science positive Études de cas cli- Analyses textuelles
Orientations tionnelle – Ethnomé- – Déconstruction/
Expérimentation Etudes de cas et niques centrées sur – Déconstruction –
méthodo- thodologie micro- reconstruction post-
Analyses de corréla- Groupes de prise de des relations Généalogie foucal-
logiques favo- centrée et analyse coloniales – Témoi-
tion. Plutôt quantita- conscience. sociales spécifiques, dienne – Approches
rites des connexions gnages – représen-
tives. histoires de vie. Queer.
avec les processus tations hybrides.
macro-sociaux.
Marta Calás et Linda Smircich
599

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Annexe 2. L’histoire de Ellen et Sarah.


600

Traduction sur la base de Calás et Smircich (1996 ; 2006)


L’histoire de Ellen Randal en tant que…
Ellen Randal a travaillé dur afin de s’élever dans la hiérarchie et elle devenir présidente d’une des business units de sa société. Elle a du surmonter des
situations difficiles et résoudre des problèmes qui lui ont permis de gravir les échelons. Aujourd’hui elle est la responsable, mais elle a su également conser-
ver son style chaleureux et ouvert. Sa carrière peut laisser espérer qu’on lira ses futures promotions dans le Wall Street Journal. Elle ira jusqu’au top
niveau, on peut en être persuadé. Mais le futur n’apparaît pas si radieux pour Ellen. Quand elle pense à l’avenir, elle ne sent pas de véritables opportunités
de poursuivre son ascension dans sa société.
féministe libérale féministe radicale féministe psychanalytique
Elle sent plutôt un mur entre elle (une Depuis qu’elle participe à un groupe Elle sent plutôt un mur entre elle (une femme) et un emploi à la tête de
femme) et un emploi à la tête de l’entre- féministe, elle a pris pleinement l’entreprise. Ellen comprend comment sa situation et celle d’autres
prise. Ellen voit une limite dans la pro- conscience de son oppression. Elle autour d’elle ont été produites par les pratiques et les modèles d’édu-
gression de sa carrière de cadre. De note maintenant la sottise de ses cation et de socialisation des enfants durant les décennies précé-
manière réaliste elle sera probablement espérances. Non seulement elle ne dentes. Elle, comme ses collègues et ses supérieurs, sont enfermés
promue une ou deux fois encore mais sera pas promue au top, mais, par son dans des modes de pensée et de comportement qui favorisent un
elle n’atteindra probablement pas le som- comportement, elle contribue au main- mode « masculin » d’être au monde. Elle ne pense pas que les choses
met de la hiérarchie. Pourquoi une tien du système patriarcal. Pour qu’il y puissent changer pour elle, elle est trop chaleureuse et ouverte. Mais,
femme cadre ne peut-elle aller plus ait un sommet, il doit y avoir un bas, et avec son mari, elle prend soin d’élever ses enfants dans une relation
haut ? Que peut-on faire contre ces bar- ce bas semble essentiellement peuplé où les valeurs féminine et masculine sont également valorisées. Son
rières qu’on pensait d’un autre temps ? par des femmes. Elle reconnaît mari et elle travaillent, ils contribuent également tous les deux à élever
(1996 : 225) qu’avec sa préférence pour les modes leurs enfants comme un couple moderne des années quatre-vingt-dix.
de relations chaleureux et ouverts, elle Ce modèle d’éducation partagé peut, peut-être, rompre avec le sys-
se sentirait plus à l’aise dans un uni- tème de domination patriarcal présent dans les organisations et la
vers sans hiérarchie, entourée d’autres société. Cependant Ellen ne peut pas s’empêcher d’espérer, mainte-
femmes comme elle. Elle décide de nant que les organisations cherchent des approches alternatives aux
démissionner et de monter sa propre formes traditionnelles de management, qu’elle puisse utiliser ses
affaire avec les autres « sœurs » de valeurs féminines comme un atout qui lui permettra d’atteindre le som-
son groupe de prise de conscience. met. (1996 : 231)
(1996 : 227)
LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

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féministe socialiste féministe poststructuraliste féministe (post) coloniale


Mais ce n’est pas le pire. En fait Ellen, Mais ce n’est pas ce qui l’inquiète le Elle sent plutôt un mur entre elle (une femme) et un emploi à la tête de
femme diplômée d’une très bonne uni- plus. Ellen souhaite achever sa thèse l’entreprise. Une voie possible pour progresser dans la hiérarchie est
versité, est parfaitement consciente de de doctorat, une ethnographie postmo- d’accepter de se déplacer physiquement, c’est-à-dire accepter des
sa situation. Sa position élevée dans la derne sur le « plafond de verre dans missions à l’étranger, souvent. C’est du moins ce qu’elle pensait avant
classe sociale lui a permis de faire car- les entreprises américaines ». Son son récent voyage au Sri Lanka pour inaugurer la nouvelle usine. Là-
rière, mais le système patriarcal est tou- principal dilemme à ce stade de son bas, durant un déjeuner avec plusieurs femmes employées par l’usine,
jours présent. Même si elle pense qu’elle travail est de représenter son identité Ellen réalise à quel point elle ne comprend pas la manière dont les
est plus chanceuse que sa secrétaire en tant que « femme se heurtant au autres femmes dans le monde vivent leur situation au travail et à quel
noire, qui dispose d’un MBA, ou de ses plafond de verre ». Elle réalise que les point les informations disponibles sur le sujet sont rares. C’était, après
collègues qui ont un moins bon réseau pratiques discursives qui accom- tout, des travailleurs pauvres pour du travail peu qualifié, elle devrait
de relation qu’elle, elle reste une femme pagnent cette question organisation- donc savoir mieux qu’eux. La raison qui l’avait conduite ici, était de
dans un système capitaliste et patriarcal. nelle contemporaine ont une histoire. s’assurer que l’entreprise offrait à ces femmes de justes conditions de
Chaque minute de sa vie elle participe à Le plafond de verre est l’opposé d’un travail, la société voulant éviter tout scandale concernant ses fabrica-
recréer les structures qui l’exploite, elle discours qui assume la possibilité tions au tiers monde. Maintenant elle est un peu perturbée. Ces
et tant d’autres femmes. Elle ne peut pas d’une absence de barrières, une femmes avaient peu de respect pour la société. Elles ont créé leurs
oublier qu’elle contribue à ce système en « vérité’ qui n’a jamais été mais qui propres groupes communautaires en fonction desquels étaient déter-
employant sa femme de ménage nicara- continue à être affirmée par ceux qui minés comment faire le travail et qui serait payé. Leurs combats et
guayenne qui nettoie sa maison et s’oc- utilisent un discours libéral pour leurs résistances sont difficiles à expliquer. La situation n’est pas simi-
cupe de ses enfants, lui permettant ainsi rechercher le plafond de verre. Elle laire à une représentation syndicale, mais plutôt à celle d’un groupe
d’avoir ce poste qui lui demande tant s’observe en tant que nœud d’un d’action communautaire, incluant des hommes et des femmes, certains
d’heures de travail. Son mari travaille réseau de pouvoir/connaissance, où travaillant dans l’usine, d’autres non. Et ils paraissent très puissants.
également très dur pour parvenir au ses activités, normalisées par une Après réflexion, Ellen sent que lorsqu’elle a parlé aux femmes des
sommet, ou pour rien du tout d’ailleurs apparente conformité aux règles orga- opportunités d’avancements dans l’entreprise, par la formation, elles se
depuis que sa société parle de restructu- nisationnelles, sont également des sont un peu moquées d’elle. Ellen ressent qu’elle peut avoir tort, que
ration. Ellen est finalement peut être plus moments de résistance et de trans- sa notion et ses stratégies de carrière sont de mauvaises notions et de
en sécurité dans son travail que son gression. Elle sait également qu’il n’y a mauvaises stratégies. Peut-être que cette idée générale de combattre
mari, puisqu’elle est, après tout, une aucune sortie. Quand elle quittera la le plafond de verre est un consentement à une forme de privation de
force de travail moins coûteuse. (1996 : société, elle constituera et sera consti- son autonomie. Bien, vivons et apprenons ! Elle devra parler à son
233) tuée comme un/autre sujet dans un amie, une anthropologue féministe postcoloniale, quand elle sera de
réseau de pouvoir/connaissance ». retour à la maison. Peut-être qu’Ellen Randal est une figure extrême-
(1996 : 238) ment opprimée ! (1996 : 240)
Marta Calás et Linda Smircich
601

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L’histoire de Sarah Kelly en tant que…


602

Alors qu’elle réfléchit à l’entretien qu’elle a récemment accordé à un journaliste pour un article qui portait sur les femmes qui devenant mère, décident d’ar-
rêter de travailler pour rester à la maison, Sarah a des doutes. Elle doute que ce soit la bonne chose à faire.
féministe libérale féministe radicale féministe psychanalytique
Bien sûr elle croit au droit d’une femme à choisir Grâce à son groupe de prise de conscience elle a Sarah réalise que ses pensées reflètent les pra-
son mode de vie, mais pourquoi devrait-elle aban- pu adopter une perspective très différente de la tiques et les modèles d’éducation et de socialisa-
donner sa carrière pour rester à la maison avec situation. Et maintenant elle déborde de questions. tion des précédentes décennies. Elle, comme son
les enfants ? Après tout, elle a une excellente Sa situation personnelle n’est-elle pas la manifes- mari et leurs amis, pourraient être enfermés dans
éducation et a travaillé dur. Clairement elle tation du système patriarcal ? Pourquoi est-elle des modèles de ce qu’un bon père ou une bonne
apporte une contribution importante à sa commu- celle qui reste à la maison ? Pourquoi pas Mic- mère doivent faire. Si elle est celle qui reste à la
nauté avec son travail. Ses prédécesseurs dans kaël ? Ses capacités biologiques de donner la vie maison avec les enfants, ne va-t-elle pas repro-
les mouvements féministes ont lutté pour obtenir font-elle d’elle une meilleure « gardienne » ? Sa duire et perpétuer ces schémas ? Peut-être qu’elle
une situation qu’on peut considérer aujourd’hui situation est-elle simplement le reflet du pouvoir et son mari adopteront un modèle d’éducation
comme un acquis. Elle est reconnaissante que masculin ? Elle devrait sortir de la compétition et égalitaire. Ensemble ils forgeront un nouveau
ses droits à l’éducation et à l’emploi ne soient plus avoir une existence plus harmonieuse, rejoindre modèle de relations qui érodera les modèles
en question. Mais c’est maintenant à son tour de une organisation « women-centered », dans patriarcaux auxquels ils ont contribué. D’un autre
se mobiliser pour que les femmes n’aient plus à laquelle elle pourrait s’exprimer émotionnellement. côté, peut être que ses valeurs féminines : amour,
choisir entre leur travail et leur famille. Il est Peut être une organisation de défense des confiance, authenticité, si importantes pour élever
nécessaire de faire des ajustements dans les femmes dans le besoin, et peut être emmener ses les enfants, devraient se propager en dehors de la
modes de travail : partage du temps de travail ? enfants au travail… Mais, et à propos de Mic- maison, pour gagner le monde du travail, le
Travail à domicile ? des crèches sur le lieu de tra- kaël ? (2006 : 296) monde tout court. Le temps est venu de valoriser
vail ? Ou peut-être des politiques familiales sem- un mode de management féminin et aux pères de
blables à la Scandinavie qui ne forcent pas des rester à la maison. (2006 : 299)
femmes à choisir entre le travail et la famille.
Sarah est prête à devenir une activiste. Après tout,
elle est avocate du travail expérimentée dans la
négociation ! (2006 : 293)
LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

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féministe socialiste féministe postructuraliste/postmoderne Julia Pena : Féministe transnationale / post


La situation à laquelle elle doit faire face n’est pas Sarah est assise et lit l’article « Reste à la maison, coloniale
vraiment un choix. En dépit de leur même niveau Maman » du magazine d’actualités auquel elle a Julia est assise et lit l’article « Reste à la maison,
de diplôme et d’emploi, son mari gagne plus accordé une interview. Elle réfléchit, attristée, à Maman » du magazine d’actualités auquel sa
qu’elle, il est donc « raisonnable » que ce soit elle cette identité, qui bientôt pourra être la sienne, patronne a accordé une interview. Elle réfléchit à
qui reste à la maison. Sarah est une illustration de avec beaucoup d’ambivalence. Elle se sent inon- ce qu’elle est train de lire. Ainsi, Sarah a décidé
la théorie du « standpoint », elle réalise que sa dée d’un sentiment de bien-être en pensant que de rester à la maison avec son nouveau bébé.
situation illustre la division de genre du marché du beaucoup de gens la verront comme « une bonne Qu’est-ce que ça implique pour Julia ? Sera-t-elle
travail dans un système capitaliste et patriarcal. mère ». Mais rapidement, ce moment passe et renvoyée ? Sarah lui demandera-t-elle de rester
Sarah sait aussi, qu’elle et son mari, faisant partie elle sent monter la colère. Il y a tellement d’autres travailler mais en diminuant ses heures puisque la
de la classe moyenne blanche, avec un bon sortes de Mamans sans parler des nombreuses famille va avoir maintenant moins de revenus ?
niveau d’éducation, peuvent se permettre de sortir autres personnes qu’elle pourrait être. Comment Bien qu’avec un nouveau bébé il doit nécessaire-
quelques temps du marché du travail. Beaucoup est-il possible que la complexité de sa vie se ment y avoir plus de travail. Il est assez difficile de
d’autres n’ont pas ce privilège. Sa nounou, Julia résume à cette simple étiquette ? Pourquoi cela le joindre les deux bouts, comme le constate attris-
Pena, vient juste d’apprendre qu’elle est enceinte doit-il ? Pourtant, grâce à sa formation en Études tée Julia, quand elle doit s’occuper de ses enfants
de jumeaux, et elle s’inquiète vraiment de savoir Légales Critiques, Sarah est capable de com- ici et envoyer de l’argent à la famille restée au
comment elle va faire face à cette situation. Autour prendre qu’elle est en fait le sujet des discours pays. Une diminution de salaire ou la perte de
d’une tasse de thé, les deux femmes et leurs rivaux circulants dans la société. Ses sentiments salaire le temps de trouver un autre emploi serait
amies, de différentes classes sociales, races et conflictuels sont les produits de ces discours dramatique. Il doit y avoir des possibilités de trou-
ethnies parlent avec beaucoup d’implications de rivaux, avec leurs normes concernant le genre et ver plus de sécurité ou une meilleure rémunéra-
leur aliénation et de leur frustration. La globalisa- la sexualité. Il ne s’agit pas simplement d’elle, il y tion dans ce genre de travail. Il est temps de par-
tion, les restructurations, l’économie 24h/7j, a Mickaël, le mari et le père dévoué, et Julia, la ler à Sarah de ses activités au sein de l’Union des
n’existe pas seulement dans le monde du travail domestique fidèle. Une jolie image, en effet. Elle Trabajadoras Domesticas qui s’occupe des nour-
mais également à la maison. Ce qui est néces- imagine que lorsqu’elle montrera cet article à Mic- rices dans cette ville. Qui sait, en tant qu’avocate,
saire n’est pas uniquement des actions indivi- kaël et à Julia ils riront bien ensemble. Ce n’est Sarah peut accepter de travailler bénévolement
duelles, mais une véritable réorganisation des pas vraiment eux dans cette histoire, après tout ! pour ce nouveau syndicat. Elle essayera d’être
modes de production et de reproduction de la Ou, le serait-ce ? Si ce n’est pas eux… Le maga- optimiste, pour faire appel à son sens de la solida-
société contemporaine. Une ambition dans zine trouvera-il un intérêt à faire une histoire à rité (après tout ce sont deux femmes qui travaillent
laquelle les femmes qui se sont battues à la fin du propos d’eux ? (2006 : 316-317) dur). Mais, si les choses ne se passent pas bien
XIXe et au début du XXe siècle, pour surmonter la dans ses négociations avec Sarah, elle peut tou-
division entre vie privée et vie publique qu’avait jours faire appel à sa communauté, avec leur
créé le capitalisme industriel, se reconnaîtraient propre version du « feminismo popular ». Quelle
Marta Calás et Linda Smircich

sûrement. (2006 : 308) serait la meilleure façon d’organiser une grève


transnationale des employés de maison dans le
monde ? (2006 : 324-325)
603

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XXXVII. ROBERT COOPER ET GIBSON BURRELL – MODERNISME,
POSTMODERNISME ET THÉORIE DES ORGANISATIONS

Florence Allard-Poesi
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 604 à 624


ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-604.htm
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XXXVII
Robert Cooper
et Gibson Burrell
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Modernisme,
postmodernisme et théorie
des organisations
Florence Allard-Poesi
Robert Cooper et Gibson Burrell 605

De 1988 à 1994, Robert Cooper et Gibson Burrell, alors tous deux


professeurs à l’Université de Lancaster (Royaume-Uni) au Département
Behaviour in Organizations, publient une série de quatre articles intitulés
Modernism, Postmodernism and Organizational Analysis dans la revue
Organization Studies. Ces contributions présentent les traits majeurs du
postmodernisme, entendu comme un discours épistémologique, théo-
rique et méthodologique (et non comme une période) qui se veut rompre
avec ce que les postmodernes appellent le discours moderne. Le premier
article (Cooper et Burrell, 1988) distingue les discours modernes et post-
modernes, ainsi que leurs différentes conceptions de l’organisation. Les
articles suivants (Burrell, 1988 ; Cooper, 1989) présentent les travaux de
Jacques Derrida et de Michel Foucault et analysent, au travers de leur
regard, les discours et théories sur les organisations. Le dernier article
(Burrell, 1994), de nature plus polémique, expose les travaux du philo-
sophe et sociologue critique Jürgen Habermas, donnant ainsi voix à une
défense du modernisme et des théories des organisations contre les
attaques du postmodernisme.
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Cet ensemble d’articles a introduit les idées majeures du mouvement
postmoderne et contribué à diffuser, en théorie des organisations, les tra-
vaux de philosophes français comme Derrida, Lyotard, Foucault, et, dans
une moindre mesure, Deleuze. Il revêt de fait un statut particulier parmi
les nombreuses contributions consacrées au postmodernisme qui lui ont
succédé dans ce champ (voir Hassard, 1993 ; Chia, 1995 ; Alvesson et
Deetz, 1996). Outre que cette contribution est considérée comme inspi-
ratrice, fondatrice de ce courant en théorie des organisations (e.g. Hassard,
1993 ; Calás et Smircich, 1999), les présentations et analyses du postmo-
dernisme qu’elle propose sont souvent reprises directement par les cher-
cheurs s’inscrivant dans cette perspective1. Elle a ainsi concouru à l’intro-
duction des approches déconstructives et généalogiques en théorie des
organisations.
Plus indirectement, ce travail a aussi servi de point d’ancrage aux cri-
tiques et débats parfois virulents ayant opposé postmodernistes, moder-
nistes critiques (Parker, 1995 ; Alvesson, 1995) et féministes poststructu-
ralistes (Hearn et Parkin, 1993 ; Calás et Smircich, 1992), débats qui, une
fois apaisés, ont laissé la place au renouveau critique que connaissent la
théorie des organisations et certaines disciplines de la gestion (voir
Golsorkhi, Huault et Leca, 2009 ; Golsorkhi, Rouleau, Seidl et Vaara,
2015).
1. Les principes de la déconstruction et la vision derridienne de l’écriture exposés par Cooper, 1989 (voir
Linstead, 1993) ; l’analyse foucaldienne du pouvoir proposé par Burrell, 1988 (voir Gergen, 1992, par
exemple).
606 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

L’écho dont a bénéficié le travail de Cooper et Burrell, et plus large-


ment, l’impact des idées postmodernes en théorie des organisations,
n’auraient sans doute pas été si importants si le « paradigme dominant »
du positivisme et du fonctionnalisme n’avait déjà été fortement ébranlé
par l’apparition d’autres perspectives au début des années soixante-dix. À
cette période, les recherches en théories des organisations sont marquées
par le développement des courants socio-constructioniste ou interprétatif.
Ce développement s’accompagne de réflexions sur la multiplicité des para-
digmes (Burrell et Morgan, 1979 ; Silverman, 1970) et de questionne-
ments quant au caractère construit des objets d’études (Van Maanen,
1988), au centre desquels la « textualité des écrits théoriques » (Calás et
Smircich, 1999) et le caractère politique de la constitution des connais-
sances sont en particulier soulignés. Ainsi, le premier article de Cooper et
Burrell (1988) paraît alors que ces méta-analyses et critiques avaient d’ores
et déjà ouvert un « espace épistémologique » pour une réflexion postmo-
derne (Calás et Smircich, 1999 : 652).
Abordant le courant postmoderne et par contraste avec le courant
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moderne, et par la pensée de ses figures majeures, employant des niveaux
de lecture (philosophiques, théoriques, méthodologiques, voire éthiques)
et des modalités de traitement (celui de la description, celui de l’analyse,
voire celui de la polémique) différents, les articles de Cooper et Burrell ne
sont pas d’un accès très aisé. L’écriture des auteurs elle-même qui se veut
« respectueuse de la phraséologie, des concepts et des formes d’expérience
(Cooper et Burrell, 1988 : 92) » des œuvres qu’ils abordent, amplifie le
sentiment d’hermétisme et de réelle difficulté que l’on peut ressentir à la
lecture de ces travaux. La ré-écriture que nous en proposons ici ne saurait
en donner une représentation fidèle, encore moins exhaustive. Nous pré-
sentons dans un premier temps la vision du modernisme qu’exposent
Cooper et Burrell (1988) dans leur premier article et, par contraste, les
traits majeurs du discours postmoderne et l’approche analytique qu’il
implique. Certaines des conséquences envisagées par les auteurs pour la
conception des organisations d’une part, et pour la théorie des organisa-
tions d’autre part, sont ensuite exposées. Nous concluons en abordant les
grandes lignes des débats ayant émaillé le développement du courant
postmoderne et ses incidences marquantes en théorie des organisations.
Robert Cooper et Gibson Burrell 607

1. LE POSTMODERNISME : UNE « ÉCRITURE »


DU MODERNISME
Le postmodernisme se définit avant tout comme un rejet du style de
pensée dit moderne, qui marque les épistémologies, les théories du social
et les pratiques conventionnelles. Dans le premier article de la série,
Cooper et Burrell (1988) définissent ainsi les traits essentiels du discours
moderne au travers de ses postulats épistémologiques sous-jacents. Trois
idées majeures caractérisent, selon eux, l’épistémologie moderne : la raison
est l’attribut essentiel de l’homme ; le langage dispose d’une capacité réfé-
rentielle ou instructive ; deux hypothèses renvoyant à une métaphysique
de la présence qui autorise et légitime la quête d’une connaissance univer-
selle.

1.1. L’attribut essentiel de l’homme : la raison


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Le modernisme est avant tout « ce moment où l’homme s’est inventé
lui-même ; lorsqu’il ne s’est plus vu comme étant le reflet de Dieu ou de la
Nature (Cooper et Burrell, 1988 : 94) ». Avec la philosophie des Lumières,
la raison devient en effet l’attribut supérieur de l’être humain. Nous cessons
de dépendre d’une autorité supérieure, nous pensons par nous-même, et
nous pouvons exercer un sens critique. Cette notion de raison fut rapide-
ment appropriée par Comte et Saint Simon pour tenter de résoudre les
problèmes croissants d’administration et de gouvernement posés par l’in-
dustrialisation de la société. Cooper et Burrell (1988) soulignent qu’elle fut
cependant subvertie par cette application aux systèmes sociaux, donnant
naissance à deux versions distinctes du modernisme :
– Un modernisme systémique, dominant aujourd’hui, incarné en particu-
lier par les travaux de Bell (1974), dans lequel la raison est l’attribut du
système social dans son ensemble. Dans cette perspective, l’organisation
développe et utilise des connaissances théoriques (théorie de l’information,
de la décision, des jeux, par exemple), afin de définir, compte tenu d’un
résultat préféré, les moyens et les actions (rationnelles) à mettre en œuvre.
Cette rationalité s’exprimerait notamment dans les notions de performance
(performativité, productivité), c’est-à-dire la capacité du système à optimi-
ser les relations entre inputs et outputs. Ces notions viendraient en même
temps légitimer la primauté de l’organisation économique par rapport à
d’autres formes d’organisation (légales, par exemple), ainsi que son mode de
fonctionnement (ses procédures administratives, son assujettissement de la
raison individuelle).
608 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

À ce modernisme systémique dans lequel prédomine une rationalité dite


instrumentale (essentiellement définie en termes d’adéquation des moyens
aux fins) ou performative (définie en termes de résultat obtenu, Lyotard,
1984), Habermas (1972) oppose un modernisme critique qui renouerait
avec la raison kantienne.
– Dans le modernisme critique, la raison est essentiellement humaine et
se fonde dans les interactions que les individus entretiennent : « Par le bon
sens des conversations ordinaires, un réseau d’individus interagissant peut
atteindre un “consensus universel” sur l’expérience humaine (Cooper et
Burrell, 1988 : 97) ». La notion d’action communicative (communicative
action), qui comprend l’idée de réciprocité, de confiance mutuelle et de
partage est ici centrale (Habermas, 1984). Par un dialogue « vrai » et une
argumentation qui ne serait ni manipulatrice ni coercitive, un accord quant
aux actions à entreprendre peut émerger, accord derrière lequel il y a néces-
sairement raison. Ainsi, pour Habermas, alors que le monde de la structure,
de la complexité et des forces macro-sociales, est dominé par une rationa-
lité systémique, instrumentale, le « monde de la vie » (lifeworld) peut offrir
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une place à une rationalité différente (dite communicative), permettant
l’émancipation et la libération de l’homme.
Qu’elle soit propriété du système social ou d’individus en interactions,
l’idée de raison autorise un idéal d’unité (d’universalité) des connaissances
que l’on produit. Cet idéal suppose néanmoins que le langage et nos dis-
cours reflètent, tel un miroir, « cette raison et l’ordre du monde (Cooper et
Burrell, 1988 : 97) ».

1.2. Le langage, miroir de l’ordre du monde


et de la raison
Ces deux versions du modernisme proposées partagent ainsi, dans les
notions d’unicité de l’action rationnelle pour la première, et de consensus
communicationnel pour la seconde, l’idée que le langage dispose d’une
capacité référentielle : le langage peut signifier quelque chose en dehors de
lui-même, de sorte qu’une relation de correspondance puisse s’établir entre
lui-même et son objet (Cooper et Burrell, 1988). Derrida (1978, in
Cooper, 1989) qualifie une telle vision du langage de logocentrique en ce
qu’elle donne à la pensée et sa structure métaphysique sous-jacente (le logos
de la raison, de l’esprit, de la pensée) une place première, et considère le
langage comme un simple véhicule de cette pensée. L’expérience humaine
serait ainsi dirigée par un logos nous permettant de maîtriser et valider le
monde extérieur et les connaissances que l’on élabore sur celui-ci.
Robert Cooper et Gibson Burrell 609

1.3. Une métaphysique de la présence


et un idéal d’unité
Plus largement, Derrida (1977, in Cooper, 1989) souligne que cette
conception logocentrique du langage renvoie à une métaphysique de la
présence. Elle suppose en effet que les choses et les événements (nos pen-
sées, nos expériences, le monde) nous sont donnés comme des expériences
déjà constituées : l’individu, l’organisation, l’environnement en particulier
sont des objets naturels, purs, évidents qu’il s’agit de soumettre à examen
critique pour les connaître. Cette présence non-questionnée nous amène
à rechercher en toutes traces (effets) d’un phénomène, une cause originelle
liée à l’existence de quelque chose susceptible de l’avoir engendré. En ce
sens, la vision logocentrique du langage et du discours est aussi répression,
l’inscription d’une présence empêchant des milliers d’autres possibilités
qui ne seront jamais envisagées.
Pour Lyotard (1984, in Cooper et Burrell, 1988) le discours moderne
est, dans cette perspective, un méta-discours (un discours sur le discours)
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qui sait déjà. La philosophie de la présence sur laquelle il repose implique
nécessairement une réponse aux questions que l’on se pose, une bonne
façon de faire pour atteindre certains objectifs. De fait, bien qu’ancrant sa
légitimité dans de grands récits tels l’émancipation du sujet rationnel ou
du travailleur, ou l’amélioration du bien-être, le discours moderne revêt
un caractère totalisant.
Ce sont tout à la fois ces idées de raison et de référentialité du langage,
cet idéal d’universalité, et avec, les idées de liberté et de progrès, que
remettent en cause les postmodernes.

2. LE POSTMODERNISME : UN DISCOURS « DIFFÉRENT »

2.1. Le regard postmoderne : différence


et généalogie
À la philosophie de la présence et la conception logocentrique du lan-
gage du modernisme, les postmodernes substituent une vision décentrée
de l’agent humain, de sa pensée et de l’ordre du monde. Pour eux, l’expé-
rience humaine, les discours que nous élaborons et plus généralement ce
qui nous apparaît comme des choses, sont des processus autonomes, auto-
610 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

référentiels et indéterminés. Cooper et Burrell (1988 : 98) définissent ce


trait de l’expérience humaine au travers de la notion de différence : une
« forme d’auto-référence dans laquelle les termes contiennent leurs propres
opposés et refusent ainsi toute saisie particulière de leur sens ». Plus qu’à
une caractéristique du langage, la notion de différence renvoie à l’ensemble
des forces premières et paradoxales qui animent l’expérience humaine et
ses productions. Pour mieux cerner cette notion, Cooper et Burrell (1988)
rappellent ici l’influence importante de Nietzsche et en particulier du
regard généalogique qu’il propose, sur le courant postmoderne.
La notion de généalogie repose sur l’idée que l’expérience humaine est
avant tout animée par les deux forces contradictoires de la différence : la
force active, qui possède un pouvoir d’auto-transformation et d’auto-réfé-
rence, à laquelle s’oppose une force réactive, forme d’action inférieure qui
renie son origine dans l’actif et cherche à inverser la hiérarchie initiale.
Dans ce jeu, les actions humaines, en particulier les discours et la connais-
sance que nous élaborons, sont considérées comme des forces réactives
contre les pulsions passionnelles de l’actif. En sciences de l’homme, la
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prédominance des notions d’utilité, d’adaptation, de régulation est exem-
plaire de cette dimension réactive, et plus largement de cette « volonté de
savoir » (will to know) qui nous pousse à rendre le monde déterminé,
pensable, contrôlable.
Ainsi, alors que le discours moderne justifie nos actions et croyances en
leur donnant une apparence de naturalité et de logique (logos), le discours
postmoderne cherche à montrer comment la force supérieure de l’actif est
à la fois présente et inversée, reniée, dans la force inférieure du réactif
(Deleuze, 1983 ; 1986), pour, in fine, révéler les instabilités caractérisant
les expériences humaines. Ce regard généalogique qui constitue un des
traits essentiels du postmodernisme, est à l’œuvre dans l’analyse des sys-
tèmes disciplinaires élaborée par Foucault, dans l’analyse déconstructive
du langage et de l’écriture menée par Derrida, et plus largement, dans
l’analyse des grands récits de la modernité élaborée par Lyotard (Cooper
et Burrell, 1988).

2.2. Discipline, pouvoir et connaissance :


l’analyse généalogique de Foucault
Burrell (1988) rappelle que Foucault est initialement intéressé par la
découverte des principes de régulation et de gouvernement des pratiques
sociales. Son analyse consiste alors principalement en une étude en pro-
fondeur du développement des discours scientifiques tels que la psychia-
Robert Cooper et Gibson Burrell 611

trie, l’économie, la biologie et la linguistique. Après cette période dite


archéologique, Foucault développe une approche généalogique du social.
Fortement inspiré par Nietzsche, cette analyse porte sur le superficiel, le
normal et le familier, et vise à en montrer le caractère extraordinaire, inat-
tendu. Dans cette analyse, la réalité ne masque pas quelque structure ou
essence qu’il s’agit de découvrir. Elle est telle qu’elle apparaît. Néanmoins,
notre connaissance de la réalité est fondamentalement impliquée dans un
champ de pouvoir, qui, en normalisant notre manière d’appréhender le
monde, nous éloigne en même temps de l’étrangeté du quotidien.
Connaissance et pouvoir deviennent les objets d’analyse privilégiés du
généalogiste.
Foucault (1976 ; 1979) analyse en particulier les modalités de pouvoir
dans le monde occidental au cours de l’histoire. Il met ainsi en évidence la
transformation progressive des pratiques de contrôle et de domination à
partir du XVIIIe siècle. Initialement dirigées sur le corps au travers de la
punition, de la torture et de l’exécution, les méthodes de domination évo-
luent vers des techniques disciplinaires de surveillance, de contrôle et de
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redressement de l’esprit d’une part, du corps et des comportements d’autre
part. Ces techniques se marquent par le développement d’architectures
panoptiques au XIXe siècle (les hôpitaux, les écoles, les prisons, les pre-
mières fabriques), et des méthodes d’éducation et d’entraînement visant à
discipliner le corps, les comportements sociaux (manuel de comportement
appropriés, emploi du temps, évaluation, correction) et sexuels (appari-
tion des premières classifications des comportements sexuels). Ces
méthodes dites de bio-pouvoir, initialement développées par l’armée, sont
importées dans les hôpitaux, les prisons, les asiles, les universités et les
écoles. Le développement de ces méthodes et institutions s’appuient en
outre sur de nouvelles professions expertes du corps et de l’esprit : les
pédagogues, les psychiatres, les psychologues, les démographes.
La connaissance et les discours scientifiques ici, loin d’émanciper le
sujet, permettent son homogénéisation (par la définition de normes), son
individualisation (par la mesure d’écarts), et donc son contrôle, l’exercice
du pouvoir et de la domination (Burrell, 1988 ; Cooper et Burrell, 1988 ;
Cooper, 1989). Dans cette analyse, le pouvoir n’est certes pas une pro-
priété d’institutions ou d’individus, mais est une caractéristique intrin-
sèque aux réseaux de relations qui s’instaurent entre les individus, et qui
s’activent en particulier dans les processus d’éducation, de thérapie et
d’organisation. C’est ainsi dans et par les micro-physiques de la vie sociale
qu’émerge la globalité, le caractère total de la discipline et de la domina-
tion. De fait, même si nous ne vivons pas dans des institutions carcérales
ou totales, l’organisation institutionnelle de nos vies est totale : nous
612 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

sommes toujours, dans notre vie quotidienne, confrontés à un monde


organisé par les entreprises des télécoms, les fabricants de vêtements, de
tables et d’ordinateurs.
L’analyse généalogique du langage et de l’écriture proposée par Derrida
au travers de la déconstruction, conduit à une vision similaire de la
connaissance comme répression et mode de domination (Cooper, 1989).
Mais elle reconnaît également le mouvement continu et paradoxal, et
donc l’incertitude qui caractérisent l’expérience humaine.

2.3. Différance, langage et écriture :


la déconstruction derridienne
Derrida (1978) développe, avec la déconstruction, un regard généalo-
gique sur le langage, l’écriture, et plus largement les connaissances que l’on
élabore sur le monde. S’appuyant en particulier sur la notion nietzschéenne
de différence, il rejette la vision logocentrique du langage que porte le
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discours moderne. La vision moderne du langage suppose en effet que
celui-ci dispose d’une structure construite autour d’oppositions s’excluant
les unes les autres (Cooper, 1989). Dans cette logique, pour concevoir
« petit », je dois concevoir « grand », mais l’exclure en même temps. Cette
logique de différence et d’exclusion permet une vision dans laquelle le sens
des mots autorise leur saisie particulière : à un mot doit correspondre un
sens particulier que nous mobilisons lorsque nous l’utilisons (capacité
référentielle). Pour Derrida, le langage n’est pas animé par une logique de
différence (au sens de division et d’exclusion), mais de différance2, une
forme d’auto-référence dans laquelle tout mot contiendrait ainsi des signi-
fications contradictoires mais en même temps constitutives l’une de l’autre
(Cooper, 1989). En privilégiant une signification plutôt qu’une autre, on
diffère ainsi, on met à la marge l’autre signification (le supplément) cepen-
dant que celle-ci est nécessaire à la complétude de l’autre et revient tou-
jours à la surface, rendant toute distinction impossible (Cooper, 1989). À
une vision structurée, référentielle du langage, Derrida substitue ainsi une
conception processuelle, auto-référentielle, autonome et indécidable
(undecidable).
La déconstruction vise dès lors à mettre en évidence les processus de
différance à l’œuvre dans les discours : que ceux-ci se construisent autour
2. Du français différer, ce terme est envisagé par Derrida (in Cooper, 1989 : 488) comme possédant à la
fois la signification de « remettre à plus tard » (différer dans le temps), et de « d’être différent de » (dif-
férer dans l’espace). Saisir le sens de différer nécessite de différer une des deux significations, en même
temps que le terme absent (le a de différance) est nécessaire et essentiel à la compréhension de l’autre
terme.
Robert Cooper et Gibson Burrell 613

de dualismes et qu’ils privilégient toujours le terme porteur d’idées de


stabilité, d’ordre, de cohérence, mais qu’en même temps, par ces logiques
de différance et de supplémentarité, le sens échappe fondamentalement à
leurs auteurs (Cooper, 1989). Afin d’éviter le recours à un méta-niveau
d’analyse (et donc de retomber dans les pièges du logocentrisme dénoncé),
la déconstruction s’appuie sur les propres termes du texte pour les détour-
ner contre eux-mêmes. Dans un premier mouvement de renversement
(overturning), le terme absent, différé, marginalisé, est recherché. Un
second mouvement de métaphorisation empêche la clôture du sens en
montrant que les deux termes opposés sont en fait constitutifs l’un de
l’autre (Cooper, 1989). Cette méthode vise ainsi à dénoncer les illusions
de référentialité du langage et du caractère contrôlable du sens, tout en
suscitant de nouvelles interprétations des textes (voir Martin, 1990 ;
Mumby et Putnam, 1992 ; Chia, 1996 pour des analyses déconstructives
en théorie des organisations).
Cette approche du langage amène Derrida à reconsidérer nos manières
de voir le monde (en particulier nos analyses en termes de cause et d’effet,
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notre recherche systématique d’une présence), en même temps que le sta-
tut que nous accordons à notre pensée, nos discours et nos écrits. L’idée
que la parole et l’écriture sont des moyens de communiquer nos pensées
est ainsi conçue comme un effet du processus de division et d’inversion
(de réaction) à l’œuvre dans la différance. La force première, active (le
supplément que nous oublions), n’est pas la pensée ou la raison, mais
l’écriture, le processus par lequel nous inscrivons une organisation, un
ordre sur notre environnement (Cooper, 1989) : c’est l’écriture même qui
écrit nos pensées, qui, par effet rebond, arrivent à notre conscience. Parce
qu’elle est animée par le mouvement continu de la différance, l’écriture
implique donc la répression et l’ordre, mais aussi un mouvement continu
et inverse de corruption du sens ainsi écrit. Si l’agent humain est donc
« écrit » par l’écriture, il est de fait aussi animé par l’incertitude et le doute
intrinsèque à la différance que ce processus implique.
La déconstruction permet ainsi de révéler l’oscillation continue à
l’œuvre dans toute forme d’écriture (l’organisation en particulier), et plus
largement, dans l’expérience humaine. Lyotard (1984) s’appuie notam-
ment sur la notion derridienne de différance pour démanteler les grands
récits de la modernité et l’unité qu’ils présupposent.
614 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

2.4. Différance et grands récits de la modernité :


Lyotard et la différence
Lyotard (1984) remarque que les discours modernes ancrent leur légi-
timité dans de « grands-récits » (les droits de l’homme, le communisme, le
socialisme, la science) qui supposent tous la possibilité d’un consensus
universel entre les hommes. L’idée d’harmonie mécanique entre des
acteurs en interaction dans le modernisme systémique en particulier, celle
d’accord entre les hommes leur permettant de s’émanciper dans le moder-
nisme critique, renvoient à cette idée d’unité. Pour Lyotard, le consensus,
en tant qu’animé par la dialectique de la différence et de l’auto-référence,
est cependant un horizon qui ne pourra jamais être atteint.
En rupture avec la quête d’unité et d’universalité propre à la moder-
nité, le discours postmoderne se définit alors comme la « recherche des
instabilités » (Lyotard, 1984 : 53). Tout discours, le discours scientifique
en particulier, est ainsi entendu comme un jeu de langage, dans lequel les
participants font différents mouvements en fonction des règles établies.
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Ceux-ci atteignent la maîtrise et la domination non par l’annihilation
totale de l’autre, mais par le maintien d’une différence, d’une distance et
d’une marginalisation. Le consensus ne peut ni ne doit, dans cette pers-
pective, être atteint, en ce qu’il renierait ce de quoi il tire sa force (Cooper
et Burrell, 1988).
La notion nietzschéenne de différence est ainsi au centre de l’analyse
derridienne de l’écriture et du langage, de l’analyse foucaldienne du pou-
voir et des pratiques sociales, et de la critique de Lyotard des grands récits
de la modernité. Trait caractéristique du regard postmoderne, la différence
conduit à revoir de manière radicale nos manières de considérer l’organi-
sation et les théories que l’on élabore sur cet objet (Cooper et Burrell,
1988).
Robert Cooper et Gibson Burrell 615

3. L’ORGANISATION ET L’ÉCRITURE DE L’ORGANISATION


COMME PROCESSUS AUTO-RÉFÉRENTIELS

3.1. L’organisation comme processus


auto-référentiel
Cooper et Burrell (1988 : 92-93) soulignent en premier lieu que la
notion de différence et le mouvement continu qu’elle implique amènent
à rompre avec la vision moderne de l’organisation comme « fonction éco-
nomique et administrative circonscrite », comme un « ensemble quasi-
stable de propriétés ou d’objets subordonnant sa logique bureaucratique à
ses besoins ». En lieu et place d’une organisation « déjà constituée », l’ap-
proche postmoderne suggère d’étudier « la production de l’organisation »
(et non l’organisation de la production), en particulier les processus de
différence et d’auto-référence par lesquels l’organisation devient objet de
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connaissance. En termes derridiens, le regard postmoderne privilégie ainsi
« l’écriture de l’organisation », c’est-à-dire les processus par lesquels les
agents humains inscrivent une organisation, un ordre sur leur environne-
ment, en même temps que les contre-mouvements de désordre et de
désorganisation impliqués par la logique de différance à l’œuvre dans
l’écriture (Cooper, 1989).
Dans cette perspective généalogique, l’organisation est essentiellement
considérée comme un processus auto-référentiel, autonome, sans localisa-
tion précise, agissant de manière automatique (indépendamment du sujet
rationnel), et non comme un objet contrôlé et contrôlable par un humain
rationnel (logocentrisme), que l’on pourrait appréhender en/pour lui-
même (référentialité). Se référant aux travaux de Deleuze et Guattari
(1983), Cooper et Burrell (1988) nous invitent ainsi à voir l’organisation
comme une machine autonome continuellement engagée dans le traite-
ment de la matière. Cette machine, qui échappe fondamentalement à tout
contrôle, traite des flux continus d’énergie et de matières (ayant pour
source le monde physique, l’humain et l’environnement), les divise, et
finalement les codifie par le biais de discours et de connaissances afin de
limiter ses propres contours. Dans cette perspective, nos idées, discours et
images sur l’organisation, le sujet ou l’environnement, ne sont que le
résultat des processus autonomes de traitement qu’effectue l’organisation
sur les flux matériels d’énergie provenant des sujets humains et de leur
environnement. L’homme est ici une extension, une production et non le
créateur de la machine. En tant que processus auto-référentiel animé par
616 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

une logique de différance, l’organisation implique en même temps des


forces de réactions venant renier ses origines autonomes et fondamentale-
ment processuelles. Les discours sur l’organisation et l’action organisée
jouent précisément ce rôle (Cooper et Burrell, 1988).
Une vision postmoderne de l’organisation débute ainsi avec l’idée que
toute activité humaine organisée est essentiellement une réaction, une
défense contre des forces actives supérieures qui en sont à l’origine
(Cooper et Burrell, 1988). En somme, si l’approche moderne de l’organi-
sation privilégie les processus de formalisation (la structure, la décision,
l’action organisée), l’approche postmoderne nous amène à considérer la
dimension active, autonome, passionnelle (informelle) comme étant la
force originelle de l’organisation, force qui est continuellement marginali-
sée, masquée et censurée par les actions et les discours produits dans/sur
l’organisation (Cooper et Burrell, 1988). L’objet de connaissance organi-
sation, en particulier, doit être envisagé comme étant le produit de la
logique de contestation intrinsèque à la différance, réaction qui vient
renier l’auto-référentialité et l’autonomie de l’organisation. Cette vision, et
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l’attention qu’elle porte aux discours et à leurs rôles dans les systèmes
sociaux, se traduit par une réflexion critique sur les théories des organisa-
tions et les connaissances que l’on produit sur cet objet.

3.2. Les théories des organisations comme


processus auto-référentiels et de différance
La vision derridienne du langage et de l’écriture amène dans un pre-
mier temps à souligner la logique de différance à l’œuvre dans nos produc-
tions sur les organisations, et, à mettre en évidence, par le biais de la
déconstruction notamment, le caractère « indécidable » des théories sur
l’organisation. Cooper (1989) reprend ici l’analyse déconstructive menée
par Frug (1984) sur les théories de la bureaucratie pour illustrer la logique
de différance, et plus largement l’auto-référentialité, à l’œuvre dans nos
écrits (voir Encadré 1 ci-après).
Robert Cooper et Gibson Burrell 617

Encadré 1. Déconstruction des théories de la bureaucratie


(Frug, 1984, in Cooper, 1989)
S’appuyant sur les notions derridiennes de supplémentarité et d’indécidabilité, Frug
(1984) montre que les théories de la bureaucratie sont fondées sur l’opposition subjec-
tivité/objectivité, opposition qui, de par la logique de différance à l’œuvre dans
l’écriture, ne peut constituer un fondement solide à l’établissement de ces théories.
Ainsi, dans le modèle formaliste de la bureaucratie, le système est gouverné par une
rationalité instrumentale (le formel, l’objectif ), au service des objectifs des actionnaires,
du dirigeant ou encore du législateur (le discrétionnaire, l’informel, le subjectif ). Si les
deux sphères objectives et subjectives sont fermement séparées et distinguées, la ration-
alité instrumentale ne peut fonctionner sans l’exercice même d’une certaine subjectiv-
ité : l’application de commandement à des situations particulières nécessite notamment
de décider ce que les mots veulent dire, quel est leur objet, comment maintenir entre
eux une certaine cohérence. Paradoxalement, la notion d’objectivité implique ainsi un
caractère discrétionnaire, l’exercice d’un pouvoir arbitraire que l’on ne peut contenir
qu’en se référant à une autre subjectivité. La dimension objective comprend donc une
subjectivité qu’on ne peut limiter qu’en utilisant une autre forme de discrétion.
Le modèle dît de l’expertise de l’organisation bureaucratique visait à pleinement recon-
naître cette dimension subjective dans l’organisation. Celle-ci est envisagée comme une
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communauté naturelle organisée autour d’un objet commun dont le succès dépend
entre autre de la capacité des dirigeants à conduire, inspirer et motiver leurs subordon-
nés. Si ce modèle reconnaît le caractère subjectif du fonctionnement organisationnel,
il souligne en même temps l’existence de limites objectives au pouvoir et à la subjec-
tivité des décideurs. Ces limites sont en particulier définies par la discipline profession-
nelle des décideurs. Paradoxalement cependant, ces qualités objectives sont définies par
les activités (subjectives) de l’expert.
Pour Frug (1984), les théories de la bureaucratie partagent ainsi une structure com-
mune : elles cherchent à définir, distinguer et rendre néanmoins compatibles les aspects
subjectifs et objectifs de la vie organisationnelle afin de donner cohérence et complé-
tude à la notion de bureaucratie. Mais la relation de supplémentarité animant les
notions d’objectivité et de subjectivité implique une référence constante à l’opposé qui
constitue une menace du terme privilégié.

De manière plus ou moins convaincante, de nombreux chercheurs se


revendiquant du postmodernisme ont utilisé cette approche pour souli-
gner le caractère profondément paradoxal de nos théories sur les organisa-
tions (voir Chia, 1996 ; Martin, 1990, par exemple).
Le second volet de la critique postmoderne, plus largement repris par
le courant poststructuraliste (féministe ou post-colonial, Calás et Smircich,
1999) concerne l’implication (conséquences et complicité) des connais-
sances produites dans le fonctionnement et la reproduction des systèmes
sociaux. La relation entre les logiques à l’œuvre dans l’écriture et dans la
division du travail, avec Derrida, ou plus directement, les relations entre
le pouvoir et le savoir scientifique, avec Foucault, sont en particulier sou-
618 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

lignées. Pour Cooper (1989), les analyses de Latour et Woolgar (1979) sur
les relations entre les processus d’écriture et de différance à l’œuvre dans la
recherche et la division du travail scientifique en particulier, illustre bien
cette vision postmoderne de la connaissance comme moteur et mode de
reproduction de l’ordre et du système social (voir Encadré 2 ci-après).

Encadré 2. Travail scientifique, écriture,


division du travail et système universitaire
(Latour et Woolgar, 1979, in Cooper, 1989)
Fondée sur la vision derridienne de l’écriture comme technique d’inscription, l’analyse
de Latour et Woolgar (1979) du travail scientifique dans un laboratoire de biochimie
révèle le rôle structurant de l’écriture dans l’organisation sociale de l’activité de
recherche. Les cerveaux des rats, les produits chimiques, les actions du muscle sont
d’abord transformés en écrits (tableaux, graphes, figures, diagrammes), écrits qui devi-
ennent les objets de l’analyse scientifique. Dans ce processus, l’écrit perd son statut de
production pour prendre celui d’affirmation sur l’objet, lui donnant par là une vie
indépendante. L’objet devient réalité indépendamment de l’écrit qui lui a donné nais-
sance, il devient la cause, la raison principale pour laquelle il y a affirmation sur l’objet.
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Cette logique de séparation et d’inversion à l’œuvre dans l’écriture anime, plus large-
ment, l’organisation sociale du travail du laboratoire. S’il est capable de construire une
explication crédible du processus d’écriture qu’est la recherche (ce qui implique notam-
ment de supprimer le subjectif et le contingent en faveur de l’objectif et de l’établi), le
travailleur du laboratoire devient un chercheur : l’écrit devient écrit par quelqu’un qui
devient de ce fait chercheur, cause de l’écrit. Latour et Woolgar (1979) mettent ainsi
en évidence que les positions hiérarchiques, dynamiques de groupe et la structure du
laboratoire sont le résultat des processus de séparation et d’inversion à l’œuvre dans
l’écriture.

L’analyse des organisations serait ainsi condamnée à reproduire la struc-


ture de séparation et d’inversion à l’œuvre dans l’écriture et qui donne à
l’organisation académique son pouvoir (Cooper, 1989). Cette vision fait
écho à l’analyse de Foucault (1977, in Burrell, 1988) de l’activité scienti-
fique comme technique de normalisation et d’examen. La normalisation
liée à la recherche et à l’élaboration de connaissance permet d’imposer une
homogénéité sur des choses qui sont fondamentalement différentes : on
parle ainsi des organisations pour parler des hôpitaux, des prisons, des
multinationales. Cette homogénéisation permet en même temps la mesure
d’écarts, la détermination de particularismes, en un mot, l’individualisa-
tion : certaines organisations sont différentes du même. Nous pouvons
alors parler du « différent dans le même » ou « du même dans le diffé-
rent ». Nous reproduisons ainsi des champs de classifications fondamenta-
lement hiérarchiques et contribuons à la globalité de la discipline. Ainsi,
pour Burrell (1988 : 233-234) : « C’est seulement lorsque nous parlerons
Robert Cooper et Gibson Burrell 619

du même et du différent plutôt que du même dans le différent, que nous


pourrons espérer développer un ferment théorique en théorie des organi-
sations sans contribuer à la discipline ».
Les analyses de la connaissance et de l’écriture menées par Derrida et
Foucault nous laissent là peu d’illusion quant au rôle et à l’implication de
nos activités et de nos écrits dans la reproduction et l’exercice du pouvoir
du système plus large auquel nous appartenons. Les théories des organisa-
tions, en ce sens, seraient-elles complices de l’Holocauste ? Le dernier
article de la série consacré aux travaux d’Habermas aborde de front cette
question3. Pour Burrell (1994) si l’on accepte l’idée qu’un certain nombre
de traits du modernisme, en particulier la rationalité instrumentale, tech-
niciste, sur laquelle il repose, ont autorisé voire favorisé la mise en place
des chambres à gaz, les théories des organisations, en tant qu’émanation et
légitimation des organisations et de leur mode de fonctionnement instru-
mental, pourraient bien contribuer, par les solutions techniques qu’elles
produisent, à une nouvelle solution finale. La défense proposée par
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Habermas (1984) d’un modernisme critique serait alors le dernier rempart
derrière lequel les théories des organisations pourraient se cacher (Burrell,
1994). S’il s’agit sous une forme ou une autre de poursuivre l’analyse des
organisations, on ne peut en effet, de par la logique même de l’écriture et
de l’examen que cette discipline implique, qu’embrasser le projet moderne
(Burrell, 1994).

D’un contexte à l’autre


La tonalité du message que Cooper et Burrell nous adressent est claire-
ment pessimiste : nous sommes emprisonnés par notre connaissance et
libérés par notre ignorance (Burrell, 1988) ; nous ne pouvons échapper à
la répression intrinsèque au processus d’écriture et à la discipline de l’exa-
men. C’est malheureusement, dans un premier temps tout au moins, ce
message qui a nourri les nombreux débats et critiques qui se sont élevés à
l’encontre du courant postmoderne. La vision totalisante du modernisme
proposé (Thompson, 1993 ; Alvesson, 1995), le caractère valorisant que
revêt en contrepartie, le label postmoderne, le phénomène marketing
accompagnant le développement de ce courant (Alvesson, 1995), l’atti-
3. Cette question fait écho aux nombreux débats ayant opposé philosophes postmodernes, pragmatistes
et modernistes critiques, débats portant notamment sur les conséquences d’une vision relativiste des
connaissances et des valeurs. Sur ces questions, Habermas, philosophe et sociologue allemand, considère
les idées défendues par les postmodernes comme fondamentalement irrationnelles et dangereuses, en ce
qu’elles ne nous offrent aucune défense contre la reproduction de tels événements.
620 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

tude a-politique, a-éthique, voire nihiliste à laquelle il conduit (Parker,


1995), seront en particulier relevés.
C’est cependant la radicalité même de la contribution postmoderne qui
a encouragé les chercheurs en théorie des organisations à reconnaître tout
à la fois le caractère historiquement et socialement construit des objets
qu’ils étudient et leurs contributions à ces processus (Calás et Smircich,
1999 ; Allard-Poesi et Perret, 2002).
Les articles de Burrell et Cooper, en introduisant les œuvres de
Foucault, Habermas, Lyotard ou Derrida en théorie des organisations ont
ainsi contribué à l’impulsion et l’amplification du courant critique dans le
champ. De nombreux travaux s’attachent aujourd’hui à dénaturaliser les
objets de la gestion (la raison, l’identité des acteurs, le changement), ses
différentes disciplines (les ressources humaines, la stratégie) et les tech-
niques associées (les techniques de motivation, la planification, par
exemple) pour montrer leurs dimensions historiques et sociales et souli-
gner leurs incidences sur nos manières de nous concevoir en tant que
sujets.
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Suivant ici Foucault, Townley (1993), Knights et Morgan (1991),
Lilley (2001) ont analysé la constitution et les effets des disciplines que
sont les ressources humaines pour la première, la stratégie pour les seconds.
D’autres, à leur suite, étudient les ressorts et effets de techniques d’organi-
sation, de surveillance et de management spécifiques comme le travail en
équipe (Knights et McCabe, 2003), la professionnalisation et le manage-
ment de projet (Hodgson, 2005) le New Public Management (Thomas et
Davies, 2005), les politiques en faveur de la diversité (Fleming, 2007).
Suivant Habermas, certains chercheurs se sont attachés à décrire la
nature de la rationalité à l’œuvre dans les disciplines et techniques de ges-
tion pour en souligner les conséquences tant écologiques (Shrivastava,
1986) qu’humaines (Hancock et Tyler, 2004).
S’inspirant enfin des réflexions de Derrida sur le langage et l’aut(eur)
orité, nombre de chercheurs sont encouragés à (se) réfléchir et reconnaître
leur part active dans les connaissances et interprétations produites.
Questionnant l’apparente neutralité du langage, ils s’efforcent de montrer
en quoi les discours produits dans les organisations influencent la subjec-
tivité des acteurs, leur assignent des droits et des responsabilités différen-
ciés et contribuent par-là aux mécanismes de pouvoir (voir Knights et
Morgan 1991 ; 1995 ; Laine et Vaara, 2007 ; Vaara, 2010). Ces travaux,
qui participent du courant discursif, s’accompagnent de réflexions et de
questionnements quant au statut accordé au langage et aux discours étu-
diés (Alvesson et Kärreman, 2011 ; Alvesson et Sköldberg, 2000 ; 2011 ;
Robert Cooper et Gibson Burrell 621

Iedema, 2007). La relation qu’établit le chercheur entre les discours


recueillis et la réalité sociale se trouve ainsi spécifiée, tant en termes de
niveau (i.e., le discours renvoie-t-il à une production locale, à la subjecti-
vité de ses auteurs, ou reflète-t-il des idéologies et discours circulant dans
l’organisation ou la société ?) que de pouvoir ontologique ou performatif
(i.e., le discours définit-il la réalité sociale, la subjectivité et les positions
des individus ? ou n’est-il qu’une production éphémère, éventuellement
détachée des pratiques sociales ? voir Allard-Poesi et Perret, 2014 ; Gond
et al., 2015 ; Varlet et Allard-Poesi, 2017).
Le chercheur ne peut dès lors aujourd’hui travailler le discours, les
techniques, méthodes et outils de gestion sans exercer une réflexivité sur
ses postulats et rôles dans l’interprétation du matériau développée (voir,
par exemple, Brown, Stacey et Nandhakumar, 2008). Avec d’autres, la
contribution de Cooper et Burrell a ainsi largement contribué à donner
un tour plus critique et réflexif au regard que l’on porte aux objets que l’on
étudie et aux pratiques de recherche en théorie des organisations.
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Travaux cités des auteurs
Burrell, G. (1994), « Modernism, Postmodernism and Organizational Analysis
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2 : The Contribution of Michel Foucault », Organization Studies, vol. 9, n° 2,
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3 : The contribution of Jacques Derrida », Organization Studies, vol. 10, n° 4,
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Autres références bibliographiques


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PAGES DE FIN

in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management

EMS Editions | « Grands auteurs »

2017 | pages 625 à 636


ISBN 9782376870432
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Les auteurs
Florence Allard-Poesi
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Professeure en management à l’Université Paris-Est Créteil Val-de-
Marne et membre de l’Institut de Recherche en Gestion (I.R.G., EA
2354). Ses travaux de recherche portent principalement sur la construc-
tion du sens et le pouvoir dans les organisations et le rôle des pratiques
discursives dans ces processus. Elle travaille également sur les problèmes
méthodologiques et épistémologiques posés par ces objets.

David Autissier
Maître de conférences à l’Université Paris Est Créteil Val-de-Marne et
membre de l’Institut de Recherche en Gestion (I.R.G., EA 2354). Ses
travaux de recherche abordent plus particulièrement le management et la
théorie des organisations. Les thèmes développés sont la gestion du
changement, la diffusion des outils de pilotage, les systèmes d’information
et les fonctions managériales.

Olivier Babeau
Professeur à l’Université de Bordeaux. Ses travaux de recherche portent
notamment sur la transgression et l’hypocrisie organisationnelle.
626 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Michel Barabel
Maître de conférences à l’Université Paris est Créteil Val-de-Marne et
membre de l’Institut de Recherche en Gestion (I.R.G. EA 2354). Ses
travaux de recherche porte sur l’impact du digital sur le management
(métier de manager, nouvelles formes organisationnelles, innovations
managériales) et l’international (Gestion internationale des ressources
humaines, Management interculturel).

Faouzi Bensebaa
Professeur en management à l’Université Paris 8 et membre du
Laboratoire d’Economie Dionysien (EA 3391). Ses travaux portent
notamment sur la dynamique concurrentielle, la responsabilité sociétale
de l’entreprise et les innovations managériales.
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Isabelle Bouty
Professeure en management à l’Université Paris-Dauphine, PSL
Research University et membre du centre de recherche, Dauphine
Recherches en Management (UMR CNRS 7088). Ses travaux de
recherche explorent la dynamique multi-niveaux des phénomènes organi-
sationnels dans une perspective pratique et processuelle.

Sandra Charreire Petit


Professeure de management à l’Université Paris Sud, Université Paris-
Saclay et membre du laboratoire RITM. Ses recherches portent sur
l’apprentissage et le pilotage des changements dans des organisations.
Dans ce cadre, elle s’intéresse à des dispositifs de gestion particuliers tels
que les dispositifs d’alerte éthique et à la trajectoire du lanceur d’alerte.

Alain Desreumaux
Professeur Emérite à l’Université de Lille 1. Ses travaux de recherche et
ses publications portent sur le management stratégique, les théories des
organisations et la théorie de la firme.
Les auteurs 627

Mathieu Detchessahar
Professeur à l’IAE de l’Université de Nantes. Sa recherche porte sur les
questions de santé et de qualité de vie au travail ainsi que sur les liens entre
management, entreprise et société.

Florence Durieux
Professeure à l’Université Paris-Sud, Université Paris-Saclay. Ses travaux
de recherche portent sur la gestion de l’innovation. Plus précisément, elle
s’intéresse au processus de développement de nouveaux produits, à
l’innovation participative, à l’organisation de la R&D, à la valorisation des
résultats de recherche et au lancement et financement d’activités nou-
velles.
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Bernard Forgues
Professeur de théorie des organisations à Emlyon Business School.
Dans ses recherches actuelles, il explore principalement comment la maté-
rialité affecte et est affectée par les pratiques organisationnelles, les catégo-
ries, les technologies, la dynamique des champs institutionnels.

Damon Golsorkhi
Professeur associé à Grenoble Ecole de Management et Research Fellow
à Hanken School of Economics. Ses travaux de recherche portent sur la
fabrique de la stratégie, le pouvoir et l’innovation sociale.

François Grima
Professeur à l’Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne et membre de
l’Institut de Recherche en Gestion (I. R. G., EA 2354). Ses recherches
concernent les thématiques de la précarité, de la violence au travail et de
la carrière.
628 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Isabelle Huault
Professeure à l’Université Paris-Dauphine, PSL Research University et
membre du centre de recherche, Dauphine Recherches en Management
(UMR CNRS 7088). Ses recherches, inscrites dans le domaine de la théo-
rie des organisations portent sur les questions d’organisation des marchés,
de régulation et de changement institutionnel.

Jérôme Ibert
Maître de conférences à l’Institut d’Administration des Entreprises de
l’Université de Lille I. Membre du laboratoire Rime Lab, ses travaux de
recherche en cours ont trait : à l’entrepreneuriat, sur les thèmes de la
pédagogie, de l’accompagnement et de l’incubation. Il a publié des travaux
dans les domaines de la stratégie et du management (concurrence, psy-
chologie sociale des organisations, compétences organisationnelles,
méthodologies de recherche en management…).
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Gérard Kœnig
Professeur en management à l’IAE Gustave Eiffel de l’Université Paris-
Est. Son activité de recherche a trait à la stratégie, au management des
organisations et aux problèmes épistémologiques rencontrés dans le cadre
d’une activité qu’il mène de plus en plus sur le mode de la recherche-
action. Il intervient comme conseil en stratégie et organisation auprès de
structures publiques et privées.

Olivier Meier
Professeur des Universités et directeur de recherche au LIPHA Paris.
Ses travaux de recherche s’inscrivent dans le domaine du management
stratégique.

Patricia Milano
Maître de conférences à l’Université Paris 8. Membre du Laboratoire
d’Economie Dyonisien (LED) au sein de l’axe gestion, ses travaux de
recherche portent sur la théorie de l’agence, les outils de gestion, le
changement.
Les auteurs 629

Ellen S. O’Connor
Senior Research Fellow, Institute for Leadership Studies, Barowsky
School of Business, Dominican University of California. Elle étudie les
écoles classiques du management.

Jean-Claude Pacitto
Maître de conférences HDR à l’IUT-TC de l’Université Paris Est
Créteil Val-de-Marne. Il est membre de l’Institut de Recherche en Gestion
et chercheur associé à l’ESSCA et à l’INRPME de l’Université du Québec
à Trois-Rivières. Ses travaux de recherche portent sur la gestion des PME
et à la rationalité de leurs dirigeants. Parallèlement il s’intéresse aux rela-
tions de pouvoir dans les organisations bureaucratiques et aux effets non
désirés des politiques publiques.
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Véronique Perret
Professeure de Management à l’Université Paris-Dauphine, PSL
Research University. Membre du centre de recherche, Dauphine Recherche
en Management (UMR CNRS), ses activités de recherche se fédèrent
autour d’une approche critique du management. Spécialiste du change-
ment organisationnel, ses travaux s’articulent autour de thématiques
comme les relations entre Art et Management ou la spatialité des pratiques
organisationnelles.

Benjamin Taupin
Maître de conférences en théorie des organisations au Conservatoire
national des arts et métiers (Cnam). Il est membre du Laboratoire LIRSA
(EA 4603). Ses recherches portent sur les dynamiques organisationnelles
contemporaines dans divers secteurs (finance, tourisme, disque, etc.) et
s’inspirent d’approches sociologiques, notamment la sociologie pragma-
tique française.

Isabelle Vandangeon-Derumez
Maître de conférences HDR en management à l’Université Paris Est
Créteil. Elle est membre du laboratoire de recherche IRG (Institut de
630 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

recherche en Gestion, EA 2354). Ses travaux de recherche portent sur les


processus de changement organisationnel et sur la pratique du change-
ment au sien des organisations. Elle s’intéresse également à l’apprentissage
organisationnel et à l’innovation en matière d’enseignement du manage-
ment.
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Table des matières
Introduction
Sandra Charreire Petit et Isabelle Huault. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
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Quand le management est à la recherche de principes universels

I. Chester I. Barnard
L’organisation formelle ou l’art de la coopération
Michel Barabel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

II. Peter Ferdinand Drucker


Une analyse « historico-déductive » du management
David Autissier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

III. Henry Fayol


Les principes de « saine » administration de l’entreprise
Olivier Meier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

IV. Mary Parker Follett


Concepts and practices of unbounded relationality
Ellen S. O’Connor. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

V. Frederick Winslow Taylor


Le management scientifique des entreprises
Olivier Meier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
632 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

Quand l’environnement devient facteur d’évolution

VI. Howard E. Aldrich


Évolution, variation, entrepreneuriat
Bernard Forgues. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

VII. Frederick E. Emery et Eric L. Trist


Des systèmes socio-techniques à l’écologie sociale des organisations
Jérôme Ibert. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97

VIII. Paul Roger Lawrence et Jay William Lorsch


Environnement, organisation, adaptation : la contingence structurelle
Patricia Milano. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113

IX. Henry Mintzberg


Les configurations organisationnelles
Michel Barabel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
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X. Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik
La dépendance des ressources est stratégique
Sandra Charreire Petit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151

Quand les institutions façonnent l’organisation

XI. Paul DiMaggio et Walter W. Powell


Des organisations en quête de légitimité
Isabelle Huault. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167

XII. Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby


Le travail institutionnel : le rôle des acteurs dans la relation institution
organisation
Benjamin Taupin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182

XIII. John Meyer et Brian Rowan


Les organisations comme reflets de mythes rationnels
Sandra Charreire Petit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202

XIV. Philip Selznick


L’organisation comme institution
Alain Desreumaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216
Table des matières 633

Quand les théories de l’action sont des leviers d’apprentissage


et de décision

XV. Chris Argyris


Apprentissage organisationnel et connaissances actionnables
Sandra Charreire Petit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235

XVI. Nils G. M. Brunsson


Préserver la capacité d’action des organisations et défendre
la spécificité du fait organisationnel
Gérard Kœnig . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252

XVII. Robert Chia


Approche processuelles et pratiques en management,
une ontologie alternative
Isabelle Bouty. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268

XVIII. Richard R. Nelson et Sidney G. Winter


La théorie évolutionniste de la firme : routines, sélection et recherche
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d’innovation
Jérôme Ibert. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281

XIX. Herbert A. Simon


Les limites de la rationalité : contraintes et défis
Isabelle Vandangeon-Derumez. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 296

XX. Andrew Van de Ven


Innovation et changement au sein des organisations
Florence Durieux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 314

Quand l’organisation est pensée comme système d’influence

XXI. Michel Crozier


Acteurs et systèmes : l’analyse stratégique des organisations
François Grima. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332

XXII. James G. March


Ambiguïté et déraison dans les organisations
Isabelle Huault. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 343

XXIII. William Ouchi


La cohésion organisationnelle en question
François Grima. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 358
634 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION

XXIV. Oliver Williamson


De l’économie des coûts de transaction au « williamsonisme »
Faouzi Bensebaa. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 368

Quand la dimension culturelle est constitutive


du changement organisationnel

XXV. Alfred Chandler


L’histoire des structures industrielles
Jean-Claude Pacitto. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 389

XXVI. Richard Tanner Pascale


Du paradoxe à la complexité
Jean-Claude Pacitto. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 405

XXVII. Andrew Pettigrew


L’approche dynamique, contextuelle et longitudinale
du changement organisationnel
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Faouzi Bensebaa. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 419

XXVIII. Robert Quinn


Contradictions et paradoxes dans le management
et les organisations
Mathieu Detchessahar. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 439

XXIX. Edgar H. Schein


La culture organisationnelle
Isabelle Vandangeon-Derumez. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 453

Quand la psychologie investit le champ du management

XXX. Elliott Jaques


De l’organisation comme moyen de lutte contre l’anxiété
à la Requisite Organization
Véronique Perret . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 473

XXXI. Manfred F.R. Kets De Vries


Leadership et névroses organisationnelles
Véronique Perret . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 490

XXXII. Kurt Lewin


De la théorie du champ à une science du social
Florence Allard-Poesi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 510
Table des matières 635

XXXIII. Karl E. Weick


Une entreprise de subversion, évolutionnaire
et interactionniste
Gérard Kœnig . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 531

Quand la perspective critique permet de repenser l’organisation

XXXIV. Alvin Ward Gouldner


La critique de la fausse conscience sociologique :
pour une sociologie engagée
Olivier Babeau. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 550

XXXV. Mats Alvesson


Dénaturalisation et émancipation comme projet scientifique en management
Damon Golsorkhi et Isabelle Huault. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 566

XXXVI. Marta Calás et Linda Smircich


Les perspectives féministes en théorie des organisations
Véronique Perret . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 579
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XXXVII. Robert Cooper et Gibson Burrell
Modernisme, postmodernisme et théorie des organisations
Florence Allard-Poesi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 604

Les auteurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 625


Collection « grands auteurs »
les apports des auteurs majeurs d’une discipline

LES GRANDS AUTEURS EN LOGISTIQUE ET LES GRANDS AUTEURS EN ENTREPRENEURIAT


SUPPLY CHAIN MANAGEMENT ET PME
© EMS Editions | Téléchargé le 06/08/2020 sur www.cairn.info via Université Yaoundé 2 (IP: 154.126.184.31)

© EMS Editions | Téléchargé le 06/08/2020 sur www.cairn.info via Université Yaoundé 2 (IP: 154.126.184.31)
456 pages – 39 € – ISBN : 978-2-84769-877-0 496 pages – 39 € – ISBN : 978-2-84769-673-8
Dir. par Olivier LAVASTRE, Valentina CARBONE et Dir. par Karim MESSEGHEM et Olivier TORRÈS
Blandine AGERON Ce livre a une visée académique mais aussi une portée
Cet ouvrage s’attache à présenter les auteurs qui ont politique. Il explique les ressorts et les nejeux de la société
marqué la logistique et le Supply Chain Management. entrepreneuriale de ce début de XXe siècle.
LES GRANDS AUTEURS EN MARKETING LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT
2e ÉDITION INTERNATIONAL
472 pages – 37,50 € – ISBN : 978-2-84769-858-9 406 pages – 37,50 € – ISBN : 978-2-84769-631-8
Dir. par Alain JOLIBERT Dir. par Ulrike MAYRHOFER
Cet ouvrage présente en vingt chapitres les apports de ceux Les multiples défis liés à l’internationalisation des activités
qui ont contribué le plus à ce qu’est devenu le marketing invitent à la (re)lecture des travaux portant sur le manage-
aujourd’hui. ment international.
LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT DE LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT
L’INNOVATION ET DE LA CRÉATIVITÉ 2e ÉDITION
648 pages – 49 € – ISBN : 978-2-84769-812-1 640 pages – 49,70 € – ISBN : 978-2-84769-113-9
Dir. par Thierry BURGER-HELMCHEN, Caroline HUSSLER Dir. par Sandra CHARREIRE PETIT et Isabelle HUAULT
et Patrick COHENDET Cet ouvrage est l’expression d’une volonté : celle de présen-
Cet ouvrage revient sur les principaux auteurs en manage- ter de grands auteurs en management, d’illustrer le caractère
ment de l’innovation, leurs théories, préceptes et implica- foisonnant d’un champ et ses nombreuses connexions dis-
tions concrètes pour répondre aux besoins d’innovation des ciplinaires. La grande diversité des auteurs choisis témoigne
entreprises et de nos sociétés contemporaines. des évolutions permanentes qui traversent le champ.

disponibles en librairie et sur


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