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2017 | pages 2 à 3
ISBN 9782376870432
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-2.htm
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Dirigé par
Sandra CHARREIRE PETIT et Isabelle HUAULT
ISBN : 978-2-37687-044-9
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INTRODUCTION
2017 | pages 4 à 10
ISBN 9782376870432
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trois chercheurs qui ont collaboré à son écriture. Ce travail a été l’occasion
de nombreux échanges constructifs, permettant de faire une place aux
différentes conceptions de la recherche et de son rôle dans les univers aca-
démique et pratique. L’objectif n’est pas tant une présentation exhaustive
des œuvres traitées qu’une proposition de clé de lecture pour y entrer.
Chaque chapitre est ainsi une invitation à la relecture des travaux originels
et reflète, dans le traitement et les choix opérés, l’analyse et le point de vue
de chaque contributeur.
Pour exposer les apports majeurs des « Grands Auteurs » figurant dans
cet ouvrage, la démarche que nous retenons est thématique. Elle permet
en effet de mettre en relief les concepts et théories clés du management,
tout en situant les auteurs dans le vaste champ de l’analyse des organisa-
tions. Cet état des lieux de la pensée managériale s’articule ainsi autour de
huit thèmes fondamentaux.
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L’adaptation des structures et des styles de management aux caractéris-
tiques spécifiques de l’environnement constitue le fil directeur des travaux
de J. Lawrence et J. Lorsch, principaux représentants de la théorie de la
contingence structurelle. Dans la même veine, H. Mintzberg souligne
qu’une structure efficace dépend de la cohérence entre les paramètres de
conception, les modalités de coordination et les facteurs de contingence.
Malgré des nuances, la perspective socio-technique de F. Emery et E. Trist
place aussi l’environnement au cœur des évolutions organisationnelles.
Composée d’un sous-système techno-économique et d’un sous-système
social, l’organisation est un système ouvert, en continuel échange avec
l’extérieur. Mais l’environnement n’est pas réductible à ses caractéristiques
technico concurrentielles.
Dans la perspective du contrôle externe défendue par J. Pfeffer et
G. Salancik, les organisations puisent des ressources dans leur environne-
ment social, créant ainsi une dépendance réciproque. Elles procèdent alors
par ajustement avec le milieu économique et politique dans lequel elles
sont insérées. Enfin, H. Aldrich s’attache à comprendre le changement de
l’organisation dans une optique écologique puis évolutionniste, voire
entrepreneuriale.
L’analyse des caractéristiques de l’environnement ne saurait cependant
dispenser d’un regard complémentaire sur les pressions institutionnelles
qui s’exercent sur les organisations.
Introduction 7
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saisir le rôle et les formes du travail institutionnel dans la relation organi-
sation – institution, remettant ainsi l’action humaine au cœur des phéno-
mènes institutionnels.
Une attention toute particulière portée aux rôles des actions et déci-
sions humaines a inspiré d’autres auteurs, intéressés par les questions
d’apprentissage et de processus décisionnels au sein des organisations.
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Quand l’organisation est appréhendée
comme système d’influence
J. March élabore ainsi un modèle de comportement de l’entreprise,
partant du postulat selon lequel cette dernière peut être appréhendée
comme une véritable coalition politique, constituée d’acteurs aux intérêts
divergents. L’organisation n’est pas donnée, elle est le résultat de négocia-
tions entre des logiques locales susceptibles de produire une instabilité du
système. M. Crozier met bien en exergue cette interdépendance des
membres d’une firme mais aussi leur structuration par des effets de sys-
tème qui limitent finalement les possibilités de jeu des acteurs. La problé-
matique de la cohésion organisationnelle est reprise, sous un angle diffé-
rent, par W. Ouchi. Ce dernier s’intéresse aux modalités de contrôle, dont
le clan. Le clan devient, sous certaines conditions, une alternative aux
coordinations par le marché ou la bureaucratie et autorise une coopération
plus efficace. S’il est d’ailleurs un point de consensus entre W. Ouchi et
O. Williamson, celui-ci réside dans l’idée que le passage des transactions
par le marché engendre des coûts, issus des stratégies opportunistes des
co-contractants.
Véritable système socio-politique, comme en témoignent l’ensemble de
ces travaux l’organisation n’en est pas moins marquée par sa dimension
culturelle, facteur essentiel pour comprendre ou réussir le changement.
Introduction 9
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dans le fonctionnement des organisations en pointant les exigences mul-
tiples et contradictoires auxquelles elles font face. Plus spécifiquement, il
analyse comment le manager entre dans un processus de changement
personnel, devenant ainsi un acteur-clé des évolutions organisationnelles.
En intégrant les notions de culture, de vision partagée, ou de politique
pour expliquer et conduire les changements, d’autres travaux invitent à
utiliser pleinement les apports de la psycho-sociologie ou de la psychana-
lyse.
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doxie de plus en plus affirmée. Mais c’est avec l’émergence des Critical
Management Studies au début des années quatre-vingt que se développe
une conception résolument critique du management. M. Alvesson, ou
M. Calás et L. Smircich, demeurent des figures marquantes de ce courant.
Ils ébranlent le « managérialisme », mettent en cause les asymétries de
pouvoir pour dénoncer les phénomènes de domination, et s’engagent dans
une entreprise de dé-naturalisation des phénomènes managériaux contem-
porains. Dans une perspective plus post-moderne, le travail de R. Cooper
et G. Burrell, interroge le statut généralement accordé aux pensées, aux
discours et aux écrits, pour reconsidérer les manières les plus tradition-
nelles de voir le monde et d’appréhender la « réalité ». La critique portée
par l’ensemble de ces travaux, qui conduit à une plus grande réflexivité
quant aux effets des productions scientifiques, ouvre la voie à des concep-
tions profondément renouvelées de l’organisation et du management…
I. CHESTER I. BARNARD – L’ORGANISATION FORMELLE OU L’ART DE LA
COOPÉRATION
Michel Barabel
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
2017 | pages 11 à 28
ISBN 9782376870432
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universels
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L’organisation formelle ou
l’art de la coopération
Chester I. Barnard
Michel Barabel
I
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Chester I. Barnard 13
Notice biographique1
Barnard est issu d’une famille très modeste, au sein de laquelle la culture et la réflexion
tiennent une place importante. Après ses études au lycée du Mount Hermon School
dans le Massachusetts, il est admis en 1906 à Harvard où il suit des études de Langues
et d’Économie. Il est cependant contraint d’abandonner ses études pour des raisons
financières.
Grâce à son oncle qui travaille chez ATT (American Telephone and Telegraph
Company), il intègre cette entreprise en 1909 et y restera environ 40 ans jusqu’à l’âge
de la retraite.
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Sa carrière, commencée au département des statistiques comme simple observateur des
systèmes tarifaires téléphoniques étrangers et comme interprète anglais /français, alle-
mand et italien culmine en 1928 lorsqu’il devient le premier président à 41 ans de la
compagnie des téléphones du New Jersey. Il conservera ce poste jusqu’en 19482.
Parallèlement à ses emplois successifs chez ATT, Barnard a occupé de nombreuses
responsabilités dans le Service Public (Président de la USO-United Service Organization
durant la Seconde Guerre Mondiale, responsable du Conseil Général de l’Education,
PDG de la Fondation Nationale pour la Science, Assistant au Secrétaire du Trésor,
Consultant du représentant américain au Comité de l’Energie Atomique de l’ONU,
Représentant des États de New York, du New Jersey, de la Pennsylvanie et du Delaware
comme directeur à la Chambre de Commerce des États-Unis, etc.).
Barnard a aussi été un membre actif de nombreuses associations caritatives, un admin-
istrateur de nombreuses sociétés et un membre influent de l’Académie Américaine des
Arts et des Sciences.
Passionné de musique, il est aussi le fondateur de la société Jean-Sébastien Bach du
New Jersey.
Après son départ d’ATT, Barnard devient président de la fondation Rockefeller
jusqu’en 1952.
Il décède le 7 juin 1961 à l’âge de 74 ans.
1. Tous les éléments biographiques sont issus de l’ouvrage Conversations with Chester I Barnard qui est la
transcription d’un long entretien entre C.I. Barnard et W.B. Wolf (1973).
2. Selon Andrews (1968), suite à des conversations avec des dirigeants d’ATT, Barnard en tant qu’homme
apparaît plutôt comme réservé, digne et même terrifiant. Il n’a pas la réputation d’être un bon ou un
mauvais gestionnaire et aucun exemple ne permet de démontrer qu’il a été capable de rendre cette
organisation plus efficace ou plus efficiente.
14 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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nisation formelle, organisation formelle complexe, organisation
informelle, efficience, efficacité) qui permettent de comprendre
l’anatomie des organisations ;
–– les concepts dynamiques (libre volonté, coopération, communi-
cation, autorité, processus décisionnel, équilibre dynamique,
leadership) qui permettent de comprendre la physiologie des
organisations.
2. Sur de nombreuses thématiques managériales, Barnard apparaît
comme un pionnier dont les travaux ont donné naissance à de mul-
tiples courants de recherche (École de relations humaines, Théorie de
la décision, Économie des coûts de transaction, etc.).
3. Depuis sa parution, The Functions of the Executive figure dans presque toutes les bibliographies de
Théorie des Organisations.
Chester I. Barnard 15
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1. DÉFINITION ET DIMENSIONS CONSTITUTIVES DE
L’ORGANISATION FORMELLE
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–– la spécialisation associationnelle. Chaque travail nécessite l’inter-
vention d’un ensemble de travailleurs qui participent ensemble
aux différentes activités ;
–– et la spécialisation des procédés (méthodes ou processus par les-
quels le travail est réalisé).
L’objectif de la coopération porte sur ces cinq éléments. Chaque service
va recruter des individus qui acceptent les différentes spécialisations liées
aux missions recherchées.
5. Elle est composée d’organisations informelles.
Les organisations informelles se distinguent des organisations formelles
par le fait que leurs membres interagissent sans poursuivre une finalité
consciente précise. L’organisation informelle est indéfinie et peu struc-
turée.
Selon Barnard, l’organisation informelle précède nécessairement l’orga-
nisation formelle (contacts préliminaires). La société dans son ensemble
est d’ailleurs une organisation informelle. Ensuite, l’organisation infor-
melle ne peut persister ou se développer sans l’émergence d’une orga-
nisation formelle. Organisation formelle et informelle ne sont en fait
que des aspects interdépendants du même phénomène. L’une n’existe
pas sans l’autre. On ne peut donc pas comprendre une organisation
formelle sans comprendre ses éléments informels.
4. On pourra noter que lors de travaux empiriques récents, s’appuyant sur le big data, Google a fixé à 7
la taille idéale d’une équipe, ce que ne renierait pas Barnard !
Chester I. Barnard 17
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lisées réalisées conjointement par deux ou plusieurs personnes mobilisant
des facteurs biologiques, physiques et sociaux » Barnard (1938 : 17))
devient pour eux le meilleur moyen de les dépasser et de s’adapter à leur
environnement.
L’une des principales contributions de Barnard (1938) est de préciser
les raisons qui poussent un individu à coopérer à une organisation donnée
plutôt qu’à une autre. Il utilise pour cela le concept de libre volonté5 : bien
que limités et totalement dépendants, les individus sont libres de choisir
les organisations auxquelles ils souhaitent participer. Ils sont maîtres de
leur décision et vont sélectionner celles qui leur conviennent le mieux à
partir de trois critères :
• le sentiment que la finalité de l’organisation peut être atteinte ;
• le sentiment que la participation à l’organisation est la meilleure
option possible. Un individu analyse son degré de satisfaction
actuelle et potentielle espéré dans l’organisation et le compare avec
ce qu’il attend des autres opportunités qui s’offrent à lui. Les diffé-
rentes organisations sont donc engagées dans une lutte concurren-
tielle intense pour attirer et conserver les individus ;
• le sentiment que la coopération est rentable. L’être humain est
égoïste et individualiste. Il ne collabore pas gratuitement. Il va cal-
culer les avantages et les inconvénients liés à la coopération en esti-
5. Barnard se place volontairement dans un contexte démocratique. De manière générale, il considère
que les coopérations contraintes ne peuvent qu’échouer sur le long terme dans la mesure où, à un
moment ou un autre, la volonté des individus pourra s’exercer.
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respect de trois conditions
Barnard (1938) constate que les coopérations finalisées réussies font
figure d’exceptions. La plupart des organisations échouent ou meurent
prématurément. Les raisons sont multiples. Il peut s’agir d’erreurs com-
mises notamment par les dirigeants (mauvaise coordination, absence de
leadership, mauvaise structure, etc.), de comportements opportunistes des
individus (manque de loyauté, faible attachement à la finalité, manque de
la solidarité, égoïsme, comportements dysfonctionnels, etc.) ou encore de
la difficulté de l’organisation à s’adapter à un environnement en perpé-
tuelle mutation.
Ainsi, si elle veut survivre, une organisation doit respecter trois condi-
tions7 :
6. La participation d’un individu n’est jamais constante. Elle a nécessairement un caractère intermittent
et fluctuant. Dans une coopération, il y a nécessairement substitution de personnes.
7. Selon Barnard, la capacité de communication, le fait d’avoir une finalité commune et la volonté per-
sonnelle fondent la coopération dans l’organisation. La capacité à communiquer représente la contrainte
structurelle de toute coopération alors que la finalité commune et la volonté de participer forment plutôt
les ressorts de la motivation à coopérer.
Chester I. Barnard 19
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n’incite à la coopération que dans la mesure où elle est perçue sans
profonde divergence par les membres de l’organisation. Selon
Barnard, l’une des fonctions essentielles des dirigeants est donc de
faire croire (éduquer, inculquer) à une finalité commune partagée
par les membres de l’organisation. En particulier, l’accomplissement
de la finalité de l’organisation doit devenir une source de satisfaction
personnelle pour l’individu et une de ses motivations pour coopérer.
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d’esprit d’une personne). Contrairement à Taylor (1911), Barnard (1938 :
144) juge que l’importance des primes monétaires et matérielles a été exa-
gérée. En réalité, le pouvoir des incitations financières, est limité dès lors
que les besoins physiologiques de l’individu sont satisfaits8. Ainsi, les orga-
nisations les plus efficaces et les plus puissantes sont construites sur des
incitations où la part des primes matérielles est faible.
Cependant, dans la majorité des cas, une organisation n’est pas capable
d’offrir toutes les incitations qui poussent les individus à coopérer. Elle
doit aussi utiliser des méthodes de persuasion pour convaincre suffisam-
ment d’individus que les incitations qu’elle offre sont intéressantes.
L’organisation peut s’appuyer sur des méthodes coercitives (utilisation
de la force, système de sanctions, exclusion des indésirables, etc.) et des
méthodes communicationnelles (propagande, éducation, discours pour
convaincre les individus qu’il y va de leur intérêt de fournir leur force et
de se conformer aux demandes des organisations).
L’autorité joue alors un rôle particulier. La définition qu’en donne
Barnard est l’une de ses contributions majeures : « l’autorité a le caractère
d’une communication en vertu de laquelle un participant accepte un type
de contribution définie par l’organisation9 » (Barnard, 1938). Cette défi-
8. Barnard apparaît donc comme le précurseur des travaux menés par Maslow (1943) et McGregor
(1974).
9. Le caractère de l’autorité dans les communications organisationnelles tient dans le consentement
potentiel de ceux à qui elles sont envoyées. Ainsi, elles sont seulement adressées aux membres de
l’organisation. Elles n’ont aucun sens pour les personnes étrangères au système coopératif.
Chester I. Barnard 21
nition suggère que l’autorité réside, non pas dans une position ou un sta-
tut, mais dans une relation entre un supérieur et un subordonné et que
l’autorité dépend de la personne qui la reçoit et non de la personne qui
l’exerce. C’est l’acceptation et non l’ordre donné qui caractérise l’autorité.
En effet, un individu a souvent le choix d’obéir ou de désobéir à un ordre.
Barnard constate d’ailleurs que la désobéissance à l’autorité est fréquente
dans toutes les organisations, même les plus coercitives à partir du moment
où les individus perçoivent les ordres comme étant contraires à leurs inté-
rêts.
En effet, un individu acceptera une communication autoritaire seule-
ment si quatre conditions sont conjointement réunies :
1. Il peut comprendre et comprend effectivement la communication.
2. Au moment de prendre sa décision, il croit que cela n’est pas incom-
patible avec la finalité de l’organisation (absence de conflits d’ordre
et de conflits d’autorité).
3. Au moment de prendre sa décision, il croit que l’ordre est compa-
tible avec son intérêt personnel général.
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4. Il est capable mentalement et physiquement d’accomplir ce qui lui
est demandé.
Si le dirigeant donne un ordre contraire à l’une de ces quatre condi-
tions, il détruira son autorité car le subordonné refusera de l’exécuter. De
plus, Barnard constate que chaque individu a une zone d’indifférence au
sein de laquelle les ordres sont acceptés et exécutés sans interrogation sur
leur autorité. Une bonne connaissance de cette zone évite au dirigeant de
commettre des impairs.
En résumé, chaque organisation doit trouver la combinaison politique
d’incitation – politique de persuasion la plus efficace pour une période
donnée et l’adapter en permanence en fonction de l’évolution des motiva-
tions humaines et des conditions externes.
Cela entraîne, selon Barnard, deux conséquences majeures sur les orga-
nisations :
• La volonté de croître. Les organisations ont des politiques de crois-
sance car elles leur donnent l’opportunité d’assurer tous les types
d’incitations et d’offrir l’ensemble des primes possibles. Cependant,
cette recherche de croissance a aussi des désavantages et peut notam-
ment être la cause de problèmes (inefficacité, inefficience) qui dés-
tructurent l’entreprise.
• Le caractère hautement sélectif de la politique de recrutement d’une
organisation.
22 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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tions des individus, rôle joué par la persuasion) le rendent indispensable.
Barnard identifie trois principaux rôles12 du dirigeant.
• Le dirigeant doit tout d’abord fournir un système de communica-
tion organisationnelle et s’assurer de son maintien. Il va en par-
ticulier définir les positions organisationnelles (élaboration de la
structure de l’organisation) et gérer le personnel (sélectionner les
membres de l’organisation en fonction de leurs qualifications, pilo-
ter les politiques d’incitations, de persuasion et gérer la communi-
cation autoritaire objective (promotion, contrôle, rétrogradation,
sanction, renvoi) afin de rendre ces qualifications efficaces et au
service de l’organisation).
• Le dirigeant doit aussi mettre à la disposition de l’organisation
des ressources essentielles (affermir le système des contributions
individuelles). Ce rôle s’articule autour de deux missions. Il doit
amener un nombre suffisant de personnes à s’engager dans une rela-
tion coopérative avec l’organisation en les attirant dans un espace où
elles pourront être recrutées (communication, propagande), puis en
10. Une organisation doit d’ailleurs en permanence, selon Barnard, calculer le solde net des résultats et
des dépenses résultant de sa politique d’incitation et de persuasion pour s’assurer qu’il est supérieur à 0
(atteinte de l’équilibre financier).
11. Barnard (1938) fait une distinction des rôles joués selon le niveau hiérarchique du dirigeant. Les
PDG et les membres de l’équipe de direction ont des rôles que l’on peut qualifier d’informels où ils
disposent d’une certaine autonomie pour réaliser leur objectif alors que les cadres moyens ont leur travail
dominé par des rôles formels non négociables associés à leur poste.
12. Par opposition à Fayol (1916), ces rôles apparaissent comme informels et plus généraux.
Chester I. Barnard 23
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d’œuvre et instaurer des mécanismes permettant d’inculquer des attitudes
fondamentales de loyauté envers l’organisation, le système coopératif et le
système d’autorité objective.
De fait, la partie la plus difficile dans la gestion d’un système coopéra-
tif réside dans la nécessité d’à la fois endoctriner les personnes des niveaux
inférieurs, pour qu’elles soient capables de prendre les ultimes décisions
détaillées (bas de la pyramide) en cohérence avec la finalité générale et
pour les plus hauts niveaux de l’organisation de comprendre constamment
les conditions concrètes et les décisions ultimes des derniers contributeurs
alors qu’ils en sont généralement éloignés.
Pour remplir ces trois rôles, le dirigeant s’appuie sur les organisations
informelles qui lui communiquent des faits intangibles, des opinions, des
suggestions et des suspicions qui ne peuvent pas passer par les canaux
formels sans entraîner des décisions formelles. Elles vont lui permettre de
minimiser les influences indésirables et de promouvoir les influences dési-
rables en accord avec la structure des responsabilités formelles.
Pour Barnard, les rôles des dirigeants sont extrêmement complexes et
difficiles. Ils ne peuvent être remplis que par des individus qui possèdent
en plus de compétences spécialisées élevées (qui sont généralement déve-
loppées par la formation et la pratique) des compétences personnelles
exceptionnelles et très rares (caractéristiques innées développées à travers
13. Barnard s’oppose ici à la conception Weberienne de l’organisation qui prône les mérites de la bureau-
cratie au détriment d’une autorité de type charismatique perçue comme plus aléatoire et plus subjective.
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celle-ci, toute organisation meurt car c’est l’indispensable élément qui
permet de créer ce désir d’adhésion, dont aucune incitation ne peut être
un substitut, de la part de ceux dont les efforts volontaires contribuent à
constituer l’organisation.
Enfin, le dirigeant doit avoir une capacité décisionnelle. Barnard
constate que la majorité des individus évitent de prendre des décisions au-
delà d’un certain niveau, en particulier, parce qu’ils ont peur d’être criti-
qués et ne souhaitent pas en assumer les conséquences. Un dirigeant, du
fait de ses compétences (compréhension de la situation, capacité d’analyse,
capacité à savoir que quelque chose doit être entrepris) se doit de prendre
des décisions de sa propre initiative en supportant le risque qui y est asso-
cié.
En résumé, le facteur stratégique le plus général de la coopération
humaine est la capacité managériale (capacité des leaders à attacher la
volonté des hommes à accomplir des missions bien au-delà de leurs fina-
lités immédiates et de leur durée). Sans celle-ci, la coopération ne peut être
efficace et l’organisation ne pourra survivre.
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vu comme une « machine » (Morgan, 1998) et les principes d’administra-
tion avancés par Fayol (1916) sont contestés14.
En présentant l’individu comme étant libre dans ses choix et à la
recherche de la coopération la plus satisfaisante possible (analyse du rap-
port entre sa contribution et sa rétribution basée avant tout sur des rétri-
butions symboliques15), Barnard a ouvert de nouvelles perspectives aux
chercheurs du champ managérial. De fait, les théories développées par
Barnard ont influencé de nombreux courants de recherche et sont tou-
jours aujourd’hui d’actualité.
En premier lieu, Barnard est présenté comme le précurseur de l’école
décisionnelle. « Je pense que de nombreux auteurs ont eu la révélation de
l’importance du processus de prise de décision dans mon ouvrage.
Personne à l’époque ne parlait de prise de décision. Ni les psychologues,
ni les sociologues, ni les chercheurs en gestion » (Barnard, 1961). Par
exemple, Barnard est le premier à percevoir que les systèmes organisation-
nels (en définissant une finalité, en développant des objectifs globaux et
en faisant circuler l’information en direction des décideurs spécialisés)
peuvent compenser les limites cognitives des individus. Herbert Simon
s’inscrit d’ailleurs dans sa filiation. « Je me sens redevable d’une dette spé-
ciale envers lui (…) pour son ouvrage qui a eu une influence majeure sur
mes réflexions sur l’organisation », Herbert Simon (1957).
De manière plus générale, W.R. Scott (1990) considère que Barnard a
donné aux théoriciens de « l’école rationnelle » (en particulier Simon et
Williamson) la meilleure définition de ce qu’est une organisation (un type
de coopération entre les hommes qui est conscient, délibéré et finalisé) et
a introduit des concepts comme « la relation d’autorité » et « la zone
d’acceptabilité » qui vont être repris par ces auteurs. Ainsi, avant Barnard
« il manquait une reconnaissance de l’organisation formelle comme une
caractéristique importante de la vie sociale » Williamson (1990). Selon cet
auteur, Barnard a introduit un nouveau paradigme au sens de Kuhn.
En second lieu et de façon assez remarquable, Barnard a aussi inspiré
de nombreux courants plus qualitatifs qui se sont intéressés, en particulier,
aux concepts « d’organisations informelles », de « leadership » et de
« culture ». En effet, la seconde moitié de The Functions of the Executive
insiste sur l’importance de créer une vision partagée et sur la nécessité de
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générer des objectifs communs et de stimuler l’implication. Barnard
reconnaît que des valeurs et des objectifs partagés, internalisés par les par-
ticipants peuvent constituer un système de contrôle beaucoup plus puis-
sant qu’un système bâti exclusivement sur des récompenses matérielles ou
sur la force. (Scott, 1990). De fait, des auteurs tels que Selznick (1957),
Wilson (1973), Peters et Waterman (1982), Ouchi (1980) ou Deal et
Kennedy (1985) ont reconnu dans leurs ouvrages la dette qu’ils doivent à
Chester Barnard.
Selznick (1957), par exemple, s’est inspiré des traitements faits par
Barnard de « l’organisation informelle », du « leadership », de la « forma-
tion d’une finalité » et de « l’ordre moral ». Plus généralement, Barnard
(1928) est perçu comme l’un des pionniers de « l’école des relations
humaines » avec Elton Mayo et on peut clairement identifier sa paternité
dans des travaux traitant de la « théorie des besoins et des motivations »
comme ceux de Maslow (1945) et de McGregor (1971).
Enfin, la partie de son ouvrage sur les incitations et les contributions
dans les contrats de travail fait clairement de Barnard un précurseur de la
théorie de l’agence (Levitt et March, 1990). Son thème récurrent est le
besoin de trouver une série de primes telles que les acteurs dans leur propre
intérêt agissent coopérativement dans le sens de l’intérêt de l’organisation.
De plus, Barnard a aussi anticipé l’intérêt récent, parmi les théoriciens
économistes de la théorie des jeux, sur les notions de confiance et de
croyance comme éléments importants d’un système structuré de primes.
Chester I. Barnard 27
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Les secondes ont trait à la vision donnée par Barnard de l’organisation
impliquant notamment nécessairement un objectif partagé. Cette vision
sous-tend un rationalisme soumettant la culture, les influences du leader et
la dimension informelle de l’organisation à des objectifs supérieurs. Cette
vision a été depuis critiquée (Weick, 1980).
En conclusion, malgré ces quelques limites, Barnard au regard de ses
contributions et de l’influence qu’il a eue sur la recherche en management
est sans conteste l’un des pionniers de cette discipline.
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II. PETER FERDINAND DRUCKER – UNE ANALYSE « HISTORICO-
DÉDUCTIVE » DU MANAGEMENT
David Autissier
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
2017 | pages 29 à 40
ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-29.htm
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« historico-déductive »
du management
Une analyse
David Autissier
II
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partir des années quarante, sa production s’est accélérée dans les années
quatre-vingt. Le thème commun à tous ses travaux est celui de l’adapta-
tion des entreprises à l’environnement, du point de vue tant de l’organisa-
tion que des modes de management. Dans l’ensemble de ses publications,
Drucker traite du management en faisant systématiquement référence à
des éléments économiques et sociologiques dépassant le cadre d’une entre-
prise.
Drucker n’est pas à proprement parler un théoricien de l’organisation,
plutôt un penseur de l’activité productive. Ses travaux ne cherchent pas à
confirmer ou infirmer des hypothèses mais constatent des réalités socio-
économiques et leurs impacts sur le fonctionnement des entreprises. Selon
nous, il ne faut pas chercher à le rattacher à une école théorique mais le
lire comme un praticien qui a formalisé un savoir empirique avec l’objec-
tif de le communiquer aux managers. Pour apporter des éléments de
réponse à cette problématique, il s’est inspiré de ses expériences et a trans-
formé ces dernières en analyses et conseils. Ses apports sont essentielle-
ment des formes de théorisation contextualisées, c’est-à-dire des résultats
descriptifs exploitables de manière contextuelle pour comprendre l’action
managériale.
Pour présenter l’œuvre de Drucker, nous développerons successivement
trois points qui reprennent la méthodologie narrative de l’auteur dans ses
différentes publications. Nous préciserons l’importance du client et de
l’environnement dans une première partie, en soulignant le caractère
structurant de la société de l’information sur l’organisation des entreprises.
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ronnement. L’entreprise est au cœur de la société contemporaine et son
efficacité dépend de la capacité de ses dirigeants à l’organiser en tenant
compte de l’environnement et de son évolution. D’un point de vue théo-
rique, Drucker est proche de la théorie de la contingence (Woodward,
1965 ; Lawrence et Lorsch, 1973). Pour Drucker, les éléments environne-
mentaux qui contraignent (ou qui orientent) l’entreprise sont le client et
les technologies. Il pourrait être rapproché, sur ce point et sur sa manière
de communiquer, à Porter (1985). Les deux auteurs sont très complémen-
taires. Drucker justifie la démarche client par des analyses environnemen-
tales et Porter l’instrumentalise avec le concept de chaîne de valeur.
Comme beaucoup d’auteurs occidentaux, il va trouver, dans la réussite
économique nippone, une alternative au one best way américain. Son
ouvrage de 1997, De l’Asie et du monde en général, traite de l’impact du
développement asiatique tant sur les méthodes de management que sur la
création d’un nouvel espace commercial. En citant le Japon en exemple,
Drucker déclare que le but d’une entreprise n’est pas de créer du profit
mais une clientèle. Une entreprise doit, si elle veut durer, s’inscrire dans le
long terme alors que le profit l’oblige à gérer à très court terme. Il analyse
la réussite de l’économie japonaise (notamment dans l’automobile)
comme étant le résultat de la mise en place de la culture client dans les
entreprises. Pour lui, le management de la qualité n’est qu’une opération-
nalisation technique de cette culture. Si la clientèle est là, le profit sera au
rendez-vous. Le profit n’est pas une finalité mais une forme de contrôle
par feedback.
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et le capital financier.
La gestion de la connaissance est d’autant plus importante que de nom-
breux acteurs qui participent à la production ne transforment plus des
matières mais des informations représentant des états de la matière en
cours de transformation ou bien des informations formalisant des presta-
tions de services. La mutation que Drucker (1995b) note comme un élé-
ment structurant pour l’entreprise est celle de la société de l’information.
Une fois terminée la phase de reconstruction qui a suivi la deuxième
guerre mondiale (dans les années soixante), les surcapacités de la produc-
tion par rapport à la demande des pays développés et l’évolution des
besoins des consommateurs ont entraîné le début d’une période d’intense
concurrence entre les entreprises. La baisse continue des coûts de transport
des marchandises a entraîné une délocalisation de la production par rap-
port à leurs lieux de consommation. En relation avec ce phénomène est
apparu un besoin croisant d’acheminement et de traitement de l’informa-
tion accru par le développement de l’informatique et des télécommunica-
tions dans les années soixante-dix. C’est cette part prépondérante de l’in-
formation par rapport à la transformation de matière qui permet de dire
que nous passons de la société industrielle à la société de l’information.
Pour préciser cet état de fait, Drucker (1988) a développé le concept
d’organisation fondée sur l’information (Information Based Organising)
qui a les caractéristiques suivantes : travail en équipe, multidisciplinairité,
réduction des échelons hiérarchiques, collaboration entre spécialistes et
généralistes, l’information est un bien qui se transforme en connaissance
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tégique (DAS) dans une logique « marché/client » (Levitt, 1980). Cette
finalité oblige les entreprises à bâtir une connaissance de leur environne-
ment et de leur savoir-faire dans un contexte de changement. Le manage-
ment se trouve alors confronté à l’obligation d’organiser et de faire évoluer
les entreprises.
2. L’OBLIGATION DE CHANGER
Si l’on devait trouver un titre pour les œuvres complètes de Drucker,
l’on pourrait avancer celui-ci : Penser et organiser le changement des entre-
prises. Dans tous ses écrits, il définit le management comme l’action qui
pense le système entreprise en train de changer. Le management consiste
à identifier les variables environnementales du changement et à les intégrer
dans l’entreprise en transformant les pratiques managériales. Drucker sera
un des premiers à montrer les limites des principes tayloriens et à souligner
l’émergence de la société des services pour laquelle les organisations indus-
trielles ne sont pas toujours très efficaces et efficientes.
Drucker n’est pas un théoricien du changement. Les théories du chan-
gement social cherchent à décrire les propriétés des situations t et t+1 pour
ensuite essayer de dégager des lois de changement vérifiables dans d’autres
contextes que ceux qui ont servi à leur formalisation. Pour l’obtention
d’un tel résultat, les théories du changement social partent en général du
constat en t+1, reconstruisent le point t, et se livrent ensuite à des pro-
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• telle pratique de management a été mise en place pour telle raison ;
• il y a un changement de la raison ;
• donc les pratiques de management doivent évoluer.
L’encadré 1, extrait de l’un de ses articles (Drucker, 1999 : 59) justifie
les changements de techniques de gestion en faisant référence à des évolu-
tions environnementales.
Nous discernerons déjà, quoiqu’encore faiblement peut être, à quoi cette nouvelle
organisation ressemblera ; nous sommes capables d’identifier quelques-unes de ses
caractéristiques et conditions préalables essentielles ; nous pouvons mettre le doigt sur
certains problèmes fondamentaux de valeurs, de structure et de comportement. Mais
la tâche concrète de l’édification de l’organisation fondée sur l’information est encore
devant nous – c’est le défi qui attend les chefs d’entreprise du futur. »
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l’émergence de nouvelles situations qui ne s’inscrivent pas dans les prévi-
sions à long terme et vis-à-vis desquelles il faut inventer de nouvelles
réponses.
L’information est parfaite. Dans un contexte de société de l’informa-
tion où les individus reçoivent plus d’informations qu’ils ne peuvent en
traiter, l’information n’a plus son rôle de donneur d’ordre mais devient un
élément de représentation par lequel les acteurs appréhendent le système
auquel ils participent. L’inflation informationnelle et la multiplication des
canaux de communication augmentent les sollicitations et diminuent la
visibilité quant à la valeur de l’information.
La performance productive s’identifie à la minimisation des coûts.
Dans un marché d’offre cela est vrai mais dans un marché de demande, ce
principe devient caduc. Les clients manifestent des choix de plus en plus
individuels et c’est le rapport « prix/satisfaction » qui est pris en compte
par le client plus que le critère prix.
Le coût global est celui du facteur de production dominant – la main-
d’œuvre. Peut-on déterminer le coût d’un produit en prenant simplement
les frais de main-d’œuvre qui lui sont imputables ? Non, car les entreprises
ont de plus en plus en plus de coûts fixes (investissements capitalistiques,
frais de recherche et développement, campagnes promotionnelles, etc.).
De plus l’utilisation de la sous-traitance ne permet pas de déterminer de
manière précise la part de main-d’œuvre dans un produit du fait du
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3.
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L’ACTIVITÉ MANAGÉRIALE
Drucker (1973) considère le management comme une activité spéci-
fique. La fonction managériale doit rendre productif le travail humain et
faire en sorte que les ressources (personnelles ou collectives) consommées
créent de la valeur. La fonction managériale a principalement en charge
trois tâches majeures : la définition de la mission, la définition d’une struc-
ture et la définition des objectifs.
La définition de la mission de l’institution qui permettra de donner
à chaque acteur des objectifs clairs afin que les actions de ceux-ci s’ins-
crivent dans la réalisation d’un objet collectif. Drucker insiste sur le rôle de
visibilité du management qui doit décider d’une stratégie et la faire parta-
ger à tous les membres. N’oublions l’aphorisme de Sénèque selon lequel,
« il n’y a pas de bon vent pour qui ne sait où il veut aller ».
La définition d’une structure d’action : en relation avec les travaux de
Chandler (1989), Drucker pense que la structure, en tant qu’ensemble
d’activités, dépend de la stratégie et qu’elle n’évolue pas d’elle même. Par
conséquent, les changements de stratégie amènent la fonction managériale
à transformer la structure existante. En fonction des activités, des décisions
et des relations, Drucker définit cinq types de structures : fonctionnelle,
par équipe, décentralisée fédérative, décentralisée simulée et par système.
La structure fonctionnelle : l’activité est divisée en fonctions (produc-
tion, vente, distribution, logistique, etc.) qui ont des objectifs de produc-
tion sans tenir compte de ce qui est fait dans les autres parties de l’entre-
Peter Ferdinand Drucker 37
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tique et de support. Cette forme de structure est adaptée aux grands
groupes et conglomérats qui disposent d’une taille suffisante pour opérer
cette dissociation. Les stratégies de recentrage sur le métier, les recherches
de synergies, les systèmes d’information centralisés sont autant d’éléments
qui montrent les limites de ces organisations décentralisées. Intéressantes
pour des positionnements « marché/produit », elles trouvent leurs limites
dans les fonctions support (Ressources Humaines, Comptabilité,
Informatique, etc.) qui peuvent être centralisées.
La structure décentralisée simulée : lorsqu’une entreprise ne dispose pas
de produits ou de marchés suffisamment distincts pour opérer une décen-
tralisation, elle peut rendre autonome certaines de ses fonctions en les
considérant comme des centres de profits (business units). Chaque fonction
(considérée comme une entreprise à part entière) se voit attribuer un
compte de résultat et un bilan qu’elle doit valider et justifier auprès de sa
direction générale. Lorsque la fonction autonomisée ne vend rien à des
clients externes, ses productions sont valorisées par des techniques de prix
de cession internes. Destiné à stimuler le management et éviter les excès de
centralisation, ce mode d’organisation est très difficile à mettre en place car
l’autonomie n’est que partielle. De nombreuses décisions et certains coûts
ne dépendent pas des unités décentralisées mais des directions générales.
La structure par système : c’est une extension de la structure par équipe
vue précédemment. Les équipes élaborées pour un projet sont pérennisées
dans des structures plus où moins permanentes. C’est un mode de mana-
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• orienter les ressources et les efforts sur les secteurs-clés de l’entre-
prise ;
• être opérationnels (une personne doit pouvoir faire le lien entre un
objectif et des actions opérationnelles) ;
• être motivants (il faut qu’ils soient acceptés par les acteurs sinon
ceux-ci peuvent les vérifier sans pour cela réaliser les finalités qui les
sous-tendent) ;
• mesurer les risques de non réalisation de certaines activités-clés.
Ces trois actions (définition de la mission, de la structure et des objec-
tifs) visent à organiser les responsabilités de chaque acteur dans l’entreprise.
La fonction managériale fait du salarié un partenaire sans toutefois nier les
rapports contractuels qui lient les deux parties. Pour cela, tout manager
devra veiller à réaliser les cinq tâches suivantes :
1. Fixer des objectifs ;
2. Analyser et organiser le travail en une structure ;
3. Motiver et communiquer ;
4. Mesurer par des règles ;
5. Former les acteurs.
Dans son rôle de « concepteur/motivateur », le manager doit com-
prendre que ses collaborateurs, dans le cadre de leur contrat de travail, sont
à la recherche d’éléments physiologiques, psychologiques, sociaux, finan-
ciers et de pouvoir. Et par conséquent il doit traiter simultanément ces cinq
dimensions dans les interactions quotidiennes de travail.
Peter Ferdinand Drucker 39
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best way et à faire du client l’élément central du management et de l’orga-
nisation de l’entreprise. Il fait partie des auteurs qui ont montré l’intérêt
managérial des approches sociales postulant que l’entreprise n’est pas un
ensemble de ressources à optimiser mais un groupe d’acteurs à motiver.
La troisième raison, en relation avec la précédente, est qu’il a pensé le
système entreprise comme une dynamique et non comme un ensemble
stable de ressources. D’un point de vue empirique et pragmatique, il envi-
sage le management comme l’action de mettre en mouvement (ou mettre
sous tension) une action collective où la ligne managériale a plus un rôle
d’accompagnement que de donneur d’ordre. Il remettra en cause (mais il
n’est pas le seul) les principes tayloriens et préconisera des méthodes inci-
tatives comme la direction par objectifs. Sans lui attribuer la paternité des
théories du changement organisationnel, il a su sensibiliser les managers
aux thèmes du changement et ouvert le chemin à une réflexion managé-
riale sur la dynamique collective.
Drucker, P.F. (1994), The Essential Drucker : In one Volume the best of sixty years
of Peter Drucker’s essential writing on management, Harper et Row Publishers,
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III. HENRY FAYOL – LES PRINCIPES DE « SAINE » ADMINISTRATION DE
L’ENTREPRISE
Olivier Meier
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
2017 | pages 41 à 54
ISBN 9782376870432
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Olivier Meier
III
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42 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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1. LES GRANDES FONCTIONS DE L’ENTREPRISE
Dans son ouvrage paru en 19161 (chapitre I – Définition de l’adminis-
tration), H. Fayol répartit les opérations d’une entreprise en six catégories
représentant autant de fonctions qui vont au-delà de la simple description
d’une structure d’entreprise :
• la fonction technique (production, transformation, fabrication)
revient à préparer, exécuter et contrôler le travail ;
• la fonction commerciale (achat, vente, transactions) consiste à savoir
acheter et vendre. Elle suppose une bonne connaissance du marché
et une analyse de la force des principaux concurrents en présence ;
• la fonction de sécurité (protection des biens et des personnes, gestion
des risques) protège les biens et les personnes contre tous les obs-
tacles d’ordre social qui peuvent compromettre la bonne marche et
même la vie de l’entreprise : inondations, accidents du travail,
incendie, vol, grèves… La mise en avant de cette fonction à égalité
avec les autres fonctions (ou opérations) de l’entreprise résulte de
1. H. Fayol publie à l’âge de 75 ans son texte phare regroupant les principaux éléments de sa doctrine
qui s’appuie fortement sur son expérience professionnelle et les enseignements qu’il tire de la première
guerre mondiale en tant que source de réflexion.
Henry Fayol 43
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prise font d’elle une fonction essentielle pour diriger une société.
En effet, la fonction administrative telle que H. Fayol la conçoit s’ap-
plique à tous les niveaux hiérarchiques. Pour lui, la fonction administra-
tive n’est ni un privilège exclusif, ni une charge personnelle du chef ou des
dirigeants de l’entreprise. C’est une fonction qui se répartit, comme les
autres fonctions-clés de l’organisation entre le sommet hiérarchique et les
membres du corps social. H. Fayol en préconise donc sa diffusion à l’inté-
rieur des entreprises, le niveau hiérarchique d’un poste étant associé à la
part d’administration que l’on peut y trouver. Ainsi, plus la composante
administrative d’un poste est importante, plus le niveau hiérarchique de ce
poste sera élevé. Un directeur général, un cadre intermédiaire ou même un
contremaître sont de fait tous trois des managers qui, chacun à leur
niveau, réalisent des tâches d’administration plus ou moins sophistiquées
en fonction de la nature de leur responsabilité.
Il convient ici de ne pas confondre « l’administration » avec le « gou-
vernement » qui consiste à conduire l’entreprise vers son but en cherchant
le meilleur parti possible de toutes les ressources dont elle dispose. Le
gouvernement correspond à ce que l’on désigne généralement sous le
terme de direction générale. Il exerce par conséquent des tâches non délé-
gables qui restent du ressort exclusif du dirigeant, comme les décisions
d’orientation stratégique, le choix de la structure ou encore l’organisation
générale de l’entreprise.
44 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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mances élevées. Si la division du travail a ses limites, l’expérience
associée à l’esprit de mesure doit apprendre à ne pas les franchir ;
• la coordination hiérarchique : la transmission des ordres doit a priori
suivre les échelons de la voie hiérarchique, à travers une supervision
directe de l’encadrement sur le personnel d’exécution (communica-
tion verticale). L’organisation hiérarchique s’appuie sur un système
de récompenses – sanctions qui favorise les liens de dépendance et
oblige l’individu à se mettre en conformité avec les usages et règles
établis par l’organisation. H. Fayol, préconise donc la méthode mili-
taire, même s’il peut également exister des systèmes de passerelle
entre chefs de même niveau hiérarchique, lorsque le succès de l’opé-
ration dépend d’une exécution rapide. En cas de conflit entre
employés, les perturbations doivent se régler par voie hiérarchique
normale. Lorsque le conflit implique le supérieur hiérarchique, il est
d’usage de recourir aux délégués du personnel. Ces différentes règles
permettent de respecter des conditions d’objectivité et de ne pas
transgresser le principe de hiérarchie. Elles visent à réduire les
risques de déviance et d’incohérence, en imposant aux employés un
système de contrôle permanent ;
• l’unicité de commandement et de direction : selon H. Fayol, les
hommes supportent difficilement la dualité de commandement,
bien qu’elle puisse parfois exister. Il est donc important d’éviter ce
type de situation, pour concentrer le pouvoir de décision et la légi-
2. L’argumentation peut être rapprochée de celle d’Adam Smith même si celui-ci n’est pas cité.
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nieuse de l’activité, corriger les causes d’inefficacité, en garantissant
la stabilité de l’entreprise ;
• la substitution des intérêts particuliers à l’intérêt général : Le fonction-
nement de l’organisation demande l’effort de tous, qui passe par une
coopération entre les équipes de travail centrée sur la réalisation de
l’intérêt général ;
• la rémunération suffisante et équitable : chaque employé doit recevoir
en échange de son travail une rémunération suffisante et équitable.
Le niveau de la rémunération dépend des résultats de l’entreprise
(productivité et rentabilité), de l’habileté et de la qualification des
individus et des éléments conjoncturels. La rémunération du per-
sonnel doit contribuer à favoriser la fidélité des employés à l’entre-
prise ;
• l’initiative, stabilité interne et union du personnel : la stabilité du per-
sonnel permet d’envisager des liens permanents et étroits entre
l’homme et son entreprise qui, en résistant au temps, conduisent à
une plus grande fidélité envers l’entreprise. Elle renforce chez l’indi-
vidu l’idée que son futur est directement associé au destin de l’entre-
prise et que la rupture de ces liens peut entraîner pour lui la perte
de ses moyens de subsistance. La stabilité du personnel est une
condition essentielle au développement de l’entreprise, en assurant
à la direction un personnel fidèle et dévoué. Cette atmosphère pro-
pice à une plus grande efficacité est renforcée, lorsque l’initiative et
l’esprit de corps coexistent au sein de l’entreprise. Ces différentes
46 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
Les points-clés
1. Développement de l’organisation fonctionnelle avec une structuration des activités
en différentes catégories
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2. Mode de fonctionnement fondé sur l’efficacité de la production et la coordination
3. Analyse approfondie de la fonction administrative et de ses rôles
4. Établissement de principes en matière de management (spécialisation, fidélisa-
tion…)
5. Spécifications des qualités d’un bon manager
3. LIMITE DE L’ANALYSE
La méthode de Fayol consiste à observer, recueillir et classer les faits
puis à les interpréter (à partir de son expérience personnelle) en vue de
tirer des règles utiles pour la pratique des affaires et en les instituant en lois
positives. L’auteur est ici partie prenante dans le fonctionnement de l’orga-
nisation étudiée et intervient à deux niveaux. Il fait soit état d’éléments
vécus par ses collaborateurs et propose des récits de critique de situations.
Il peut également participer directement à la transformation de la réalité
en relatant des actions menées (par lui) avec succès en tant que respon-
sable.
Cette position est critiquable à plus d’un titre. Dans les deux cas, le fait
(succès ou échec) donne lieu à une interprétation unique, attribuant au
fait une seule cause possible. Les faits étudiés sont interprétés par une seule
théorie laissée à la discrétion du responsable de l’organisation, sans qu’il y
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à diffuser sa doctrine. Elle dépend essentiellement de la capacité
d’un acteur interne à l’organisation et responsable, de ressentir et
d’interpréter des faits, que sa formation, son expérience profession-
nelle et sa position dans l’entreprise rendent possibles. La doctrine
de H.Fayol s’adresse par conséquent à des responsables en place et
peut difficilement s’appliquer à des agents externes du changement,
à des cabinets en organisation, en raison de la difficulté à sortir du
contexte d’étude et d’une démarche qui ne peut venir que d’en haut
(et être initiée par le responsable lui-même).
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(stabilité, ordre, justice) ne sont plus suffisants pour assurer un bon fonc-
tionnement. Celui-ci exige plutôt de profonds changements marqués par
une responsabilisation accrue de l’individu et des groupes de travail (auto-
contrôle, intrapeneurship) ainsi que le développement de systèmes d’ap-
prentissage et d’amélioration continue axés sur des notions comme l’inno-
vation ou l’hyperflexibilité.
Les exigences de stabilité et d’ordre se voient également mis à mal par
une définition plus floue de l’organisation et de son périmètre d’action, au
gré des évolutions des métiers et des politiques de croissance externe qui
viennent périodiquement transformer et renouveler les entreprises. Les
structures des entreprises sont donc en constante évolution et agissent de
plus en plus par un fonctionnement en réseau avec une absence de fron-
tières internes et des frontières externes de plus en plus floues. Si la cohé-
rence reste une condition essentielle du développement de la firme, elle ne
s’opère plus par le biais d’un ordonnancement logique des tâches et des
rôles mais par des liens étroits entre structure et processus de travail. Ainsi
se dessinent de nouvelles logiques organisationnelles qui conduisent à
aborder différemment les rapports entre les hommes (travail interfonc-
tionnel autour de relations plus lâches et temporaires) et leur comporte-
ment vis-à-vis de l’entreprise (détachement). L’une des limites de l’analyse
de H. Fayol réside donc dans une conception uniforme et mécaniste de
l’organisation qui débouche sur un modèle de management universel
applicable à toute organisation, quelle que soit sa nature ou sa forme.
Henry Fayol 49
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l’efficience à la recherche du meilleur rendement. Le personnel ne va certes
pas prendre le risque d’enfreindre les règles. Pour conserver leur emploi
tout en disposant d’une plus grande liberté, les acteurs en présence vont
jouer la ruse et parvenir à leurs fins grâce à leur adresse et à leur ingénio-
sité.
L’excès de hiérarchie présente des limites, même au niveau de l’organi-
sation du travail et du contrôle des acteurs de l’organisation. Il peut
conduire les subordonnés à cacher leurs erreurs ou transformer la réalité,
pour conforter leur position au sein de l’organisation.
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Cette séparation entre ceux qui détiennent l’autorité et ceux qui la
subissent conduit les membres de l’entreprise à avoir deux types de réac-
tions. Les premiers vont tout mettre en œuvre pour renforcer ou conforter
leur pouvoir, et donc utiliser des moyens de dépendance qui leur assurent
la présence de subordonnées fidèles. Les seconds vont chercher à dévelop-
per des manœuvres leur permettant d’accéder au niveau supérieur, en
ayant recours à des phénomènes de coalition ou d’alliance (avec d’autres
membres de l’organisation, collègues ou supérieurs). Ceci a pour effet de
créer un système de relations basé non plus sur la compétence ou le mérite
mais sur la défense des intérêts particuliers d’un groupe donné au détri-
ment d’un autre. Ce penchant naturel est encore plus marqué lorsque
l’organisation s’appuie sur un système hiérarchique, peu ouvert sur l’exté-
rieur et organisé autour de privilèges. Cette compétition entre individus
est d’autant plus forte que les ressources dont dispose l’organisation sont
par définition limitées et aux mains d’une minorité qui souhaite conserver
son pouvoir et ses avantages.
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Pour fonctionner, ce modèle exige en outre un investissement et des
efforts considérables sur le plan de l’organisation et du contrôle, dont
l’ampleur n’est pas toujours justifiée. En effet, pour être efficace, le modèle
hiérarchique a besoin du soutien visible de moyens physiques (normes /
procédures) et humains (encadrement intermédiaire). Il doit notamment
être capable de gérer la programmation détaillée des actions et appliquer
les sanctions en cas de désobéissance. Or l’exigence de visibilité et de maté-
rialité, essentielle en termes de prévention ou de punition, demande un
effort important et une vigilance constante. Ce système conduit à un
formalisme administratif où chaque niveau analyse les activités du niveau
inférieur, ce qui tend à limiter la circulation de l’information et ralentir le
processus de décision.
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à se comporter par rapport à un modèle fixe préétabli qui exige des
actions, en adéquation avec les règles du milieu (conformité des compor-
tements et respect des instructions). Ce type de démarche pousse par
conséquent à la reproduction et limite les possibilités de renouvellement,
en dissuadant les acteurs d’avoir un regard critique sur leur travail, de
tenter des expériences ou à se lancer dans des projets innovants.
Ces mécanismes de reproduction plutôt que de régénération peuvent
être souhaités voire voulus par les dirigeants eux-mêmes. En effet, l’orga-
nisation hiérarchique conduit à créer une solidarité implicite chez les
détenteurs de l’autorité désireux de stabiliser leur acquis et d’éviter toute
action susceptible de modifier la distribution des pouvoirs. Ce type d’or-
ganisation tend à créer au sommet de la hiérarchie des attitudes défensives
voire hostiles à tout ce qui peut changer les règles en vigueur. Les respon-
sables sont ainsi enclins à renforcer le statu quo pour maintenir en l’état
leur position au sein de l’organisation et éviter que se constituent des
groupes internes dont l’influence pourrait venir contester le système
d’autorité existant.
4. RELECTURE ET PERSPECTIVES…
Les travaux de H. Fayol ne peuvent être relus, sans prendre en compte
les modifications profondes de l’environnement et des entreprises, avec le
développement de nouvelles formes d’apprentissage et des marchés de plus
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De plus, au-delà des exemples de grandes entreprises (armée, adminis-
tration, industrie traditionnelle), la doctrine administrative de H. Fayol
reste de rigueur et trouve une application, lorsqu’il s’agit de gérer et d’or-
ganiser des programmes lourds, à l’image d’intégration d’entités nouvelle-
ment absorbées ou de la mise place de systèmes d’information complexes.
Ce type d’actions demande en effet l’implication des dirigeants de l’entre-
prise, la formation de groupes de travail spécialisés et une unité de com-
mandement et de direction qui ne sont pas sans rappeler les principes
fondamentaux développés par H. Fayol.
Ainsi, si ces principes ne doivent pas prendre une dérive normative,
leur pertinence et cohérence leur confèrent un rôle essentiel dans une
direction d’entreprise, grâce à l’effort de formalisation qui caractérise ces
travaux. Il est par conséquent possible d’utiliser les recherches de H. Fayol
comme grille de lecture de fonctionnement des organisations et méthodes
d’analyse, dans des situations de gestion particulières, où le poids de la
hiérarchie, la spécialisation des tâches et les objectifs fixés peuvent être
clairement identifiés.
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the Science of Administration, New York, Columbia University Press.
Urwick, L.F. (1944), Elements of Administration. London : Harper.
Weber, M. (1957), Theory of Social and Economic Organization, New York, Free
Press.
IV. MARY PARKER FOLLETT – CONCEPTS AND PRACTICES OF
UNBOUNDED RELATIONALITY
Ellen S. O’Connor
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
2017 | pages 55 à 66
ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-55.htm
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dans une base de données est également interdit.
Ellen S. O’Connor
IV
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56 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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and practices counteract to the contemporary emphasis on limited ratio-
nality and cognitive constraints.
Follett developed her theory in response to a crisis: government and the
churches could not address the compelling problems associated with
industrialization and immigration, which shaped U.S. nation-building
and particularly the discussion about democratic governance and civil
society. In fact, institutions were part of the problem. Government was
linked to corruption and inefficiency. The church was increasingly seen as
irrelevant and ineffective. The academy had no answers because the
church dominated higher education. Science was a weak institution; the
U.S. did not have Ph.D. programs but sent candidates to Germany.
However, science did thrive in the form of social experiments and grass-
roots social science such as field investigations of city life (Oberscall,
1972). Follett saw that society lacked the necessary institutions to build
itself with the first mistake being conceptual. Society took “itself ” for
granted. By regarding society as an external thing, individuals endowed
“it” with autonomous existence and force. But every single person builds
society every day. Follett actually lived this idea, focusing on the indivi-
dual becoming responsible in a civil society and a society civilizing itself
vis-à-vis this individual, beginning with her own life (O’Connor, 2012).
In essence, Follett worked on generating reliable knowledge for building
the interdependent individual and society interdependently and doing so
given the prima facie failure of external authority.
Mary Parker Follett 57
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These four texts are henceforth referred to as DA (Dynamic Administration
[1941]), FC (Freedom and Coordination), NS (The New State), and CE
(Creative Experience).
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and practice releases energy (CE: 301-303; 209). Sovereignty is “the
power engendered by a complete interdependence becoming conscious of
itself ” (NS: 271). Although quite naturally--by meeting, being together,
and working together, “we…become something different” (CE: 63, 243-
244), the creative process is heightened as a new unit becomes conscious
of itself as a unit. This leads to opportunities for more unity through
conscious exploitation of the principle.
Circular response theory collapses common-sense dualities (subject/
object, cause/effect, part/whole) and establishes unities based on interde-
pendence. It is both a theory of self-making and of community-building
and of the one making the other. “Through circular response we are crea-
ting each other all the time…‘I’ can never influence ‘you’ because you
have already influenced me” (CE: 62-63).
Follett posited an overarching construct holding these interactions and
this conscious view: the “total situation.” This expression was used by
other social scientists in Follett’s era; but for her, the term meant both an
ideal to which to aspire and a process to achieve it. That is, in any given
interaction, the views of each individual constitute the total situation; and
the ongoing unifying process always generates new total situations.
Genuine integration includes each individual at each moment. The whole
is formed to the extent that each individual’s desires are expressed and
integrated (NS: 27). The “keenest individual thinking” is the “basis of
group thinking,” a process whereby “every man should maintain his point
of view until it has found its place in the group thought” (NS: 27). The
Mary Parker Follett 59
total situation is an ideal to which to aspire but also a practical basis for
interacting because it provides a point of reference for an overarching,
impersonal authority, per scientific management’s pursuit of objective
authority. Follett emphasized this point in her writings for managerial
audiences (see below).
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“a part of his strength has always to be spent in suppressing dissociated
and antagonistic tendencies” (Holt, 1915: 122). Holt, arguing with Hegel
(1915: 135-138), posited integration as a solution: “free play of both the
involved sets of tendencies, whereby they meet each other, and a line of
conduct emerges which is dictated by both sets of motives together, and
which embodies all that [is] not downright antagonistic in the two” (Holt,
1915: 122). Holt associated suppression with ignorance combined with
the “anomalies, contradictions, perplexities” associated with new expe-
rience.
Follett built on Holt’s work by constructing a theory of integration that
crossed the individual, small-group, and community levels (see below).
Her theory of integration in management followed the same logic: “If a
chief executive cannot integrate the different policies in his business, that
is, if he cannot make his executives unite wholeheartedly on a certain
policy, the suppressions will work underground and be a very strong factor
against the success of his business. For suppression means dissatisfaction,
and that dissatisfaction will go on working underneath…and may crop up
at any moment in some place where we least desire to see it, in some place
where it will give us more trouble than if we had dealt with it in the first
instance” (FC 68).
Follett also developed her theory based on her experience, beginning
with her early education. She was a top student at a progressive secondary
school that used history to teach citizenship, i.e., to cultivate interest in,
public opinion about, and consensus as to matters of public interest. This
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had many strong social reform movements and Follett aligned with them,
particularly the Settlement House Movement (SHM), the Municipal
Reform Movement (MRM), the Women’s Club Movement (WCM), and
the Vocational Educational Movement (VEM). She used circular response
theory to address both problems separately and together. Specifically, she
combined resources from the various social movements to build institu-
tions for integrating individual neighborhoods, and the city of Boston as
a whole, across differences of class, age, ethnicity, and political party.
The SHM organized college women to live among immigrants in poo-
rer neighborhoods and to offer education, recreation, health care, and
other services. From this movement, Follett took up her emphasis on
immigrants, local neighborhoods, and quality of life. However, she saw
that adolescents rejected the SHM for its maternal focus on women and
children and also for its condescending attitude. The MRM was a men’s
movement for civic reform, but it favored the local aristocracy (“home
rule”) over greater centralized government and interests perceived as
foreign (“bossism”). To Follett, the MRM’s anti-immigration biases only
strengthened patronage politics. Also, the MRM emphasized values incul-
cation over practical action. Follett took up her interest in civic activism
from this movement, but she rejected the ideological focus and pursued
practical action instead (see below). She also integrated immigrants into
the MRM. She did this by providing the same training she herself had
received in secondary school, a training for participation in civil society.
The WCM mobilized upper-class women to participate in politics and
Mary Parker Follett 61
social reform. It also financed SHM activities on its own and through
partnerships with the MRM. From the WCM, and her own engagement
with it through the Women’s Municipal League of Boston (a local colla-
boration between the MRM and the WCM), Follett took methods for
self-organizing; but she applied them to immigrant neighborhoods and
organizations. Also, the WCM provided Follett with the financial means,
formal affiliation, and other resources for her institution-building. The
VEM was an educational reform to add industrial (“practical”) training to
secondary schools. Follett appreciated this movement, but she thought it
ignored the dynamic relationships among the evolving adolescent, the
evolving job, and the evolving community and that it was limited to
short-term job training and placement. Thus, to the VEM, she added
guidance and especially follow-up.
Thus Follett built the Boston Placement Bureau (BPB) to enable rela-
tionships across economic, cultural, civic, and recreational life. An
employment counselor, based at the social (community) center, commu-
nicated with center members—neighborhood residents of adolescent
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age—about their work lives. The communications were more free than
those at workplaces or in the home because the center was not characte-
rized by authoritative relations. Before founding the BPB, Follett started
five of these centers in the poorest neighborhoods of Boston. On the
surface, they were recreational centers. However, Follett used them to
cultivate self-governing capacity in individuals and in local neighbo-
rhoods. She organized the social centers into clubs, and each one ran itself
like a small business. It met concrete deliverables, such as athletic compe-
titions and musical performances, which generated revenues. Each club
sent delegates to a central club that managed the center. Thus to join the
center was also to participate in an experiment of self- and community-
building per Follett’s principles of democracy.
The WMLB focused on spinning off initiatives to the public. The BPB
became a public-supported institution in 1915. Thereafter, Follett served
on arbitration and mediation committees. She also collaborated with the
personnel movement in industry. She lectured at the Bureau for Personnel
Administration, at Harvard, and at Oxford. In these lectures, she applied
circular response theory to management.
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ferred his or her responsibilities to unions, they were harmful. She also
viewed unions as harmful when they reified stereotypes about labor and
capital because stereotypes interfere with communication (see below).
Organization as integration. The organization must coordinate its
various parts to form a working unit or a functional whole (DA 71). “The
first test of business administration, of industrial organization, should be
whether you have a business with all its parts so co-ordinated, so moving
together in their closely knit and adjusting activities, so linking, interloc-
king, interrelating, that they make a working unit” (DA 71). In the inte-
gration process, Follett distinguished particular functions and processes:
The leader. The most important function of leadership is integrative
capacity. The leader must “relate all the complex outer forces and all the
complex inner forces” to form the organization into a whole. The leader
brings about “a common purpose, born of the desires and the activities of
the group” (Metcalf et Urwick, 1941: 260-267). The leader must be part
of the organization but also able to see the whole and his or her relation-
ship to the whole. The leader develops and conveys a view of the whole
throughout the organization. There is no personal or arbitrary element:
the situation has its own authority and integrity (DA 150). Thus the lea-
der too obey-the law of the situation (FC 55). Discerning this law requires
organizational ability. “One man seldom knows enough about the matter
in hand to impose his will on others” so resolution requires engaging “the
reciprocally modified judgment” of all concerned (DA 284). The task of
Mary Parker Follett 63
the leader is to facilitate such processes and secure such judgment (DA
284).
Other parts of the whole. All elements--individuals, groups, func-
tions, departments, etc.-are parts in the whole and must understand them-
selves that way. In the multidepartmental enterprise, engineering, manu-
facturing, and sales groups have their own interests. However, each must
be able to integrate these interests in order to make the final product. “It
isn’t enough to do my part well and leave the matter there. I must study
how my part fits into every other part and change my work if necessary so
that all parts can work harmoniously and effectively together” (FC 76).
Follett emphasized “horizontal” over “vertical” authority in situations
where “a problem which occurs at X which concerns Y does not have to
be taken up the line from X and then down the line to Y” (FC 64).
“Where you have this direct contact there is much less chance of misun-
derstanding, there is opportunity of explaining problems and difficulties
each to the other” (FC 64). She called this “cross-functioning” (FC 64).
A decision-maker must consider what is good for his department but
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especially “the good of the business as viewed from his department.” “I do
not say that he should consider what is good for the whole business and
end my sentence there…I say what is good for the whole as seen from his
department” (DA 73-74). Side-taking is not objectionable; what is impor-
tant is whether they are self-interested sides rather than sides that see
themselves as parts of a functional unity.
The connection between the parts and the whole is an individual,
human connection. The individual must feel a part of the whole. This
gives dignity to labor and allows a business to optimize performance (DA
71). Collective and decentralized responsibility “go hand in hand” (DA
79). “This is one of our gravest problems: how to foster local initiative and
at the same time get the advantages of centralization” (80). This begins at
the group level and extends to interdepartmental relations (DA 81-82).
This point leads to Follett’s views on the relationship of the individual
to the whole based on responsibility. Increasing functionalization in
industry make this principle especially important. Functionalization esta-
blishes departments such as purchasing, maintenance, and personnel. “…
[I]n those plants where there is a special department for mechanical equip-
ment, the head of this special department and the head of the manufactu-
ring department have to agree before the recommendation can go to the
general manager…This interlocking responsibility exists indeed under
any form of organization, but we have much more of it” in the functional
form (FC 72).
64 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Processes of integrating. Wholes are formed by integrating view-
points. This requires an attitude of cooperation (DA 61, 62) which both
causes and results from the sense of the whole, the sense of one’s part in
the whole, and one’s responsiveness to the evolving situation (DA 59).
Responsive relating gives free play to difference (CE: 6). It requires “an
experimental attitude”(CE: 213-215) and a “qualitative change in thin-
king” (CE: 163). “The creative attitude has to be created” (CE: 211). Fear,
self-protection, and power-seeking block communication and thus inte-
gration. Attitudes consistent with the laws and principles of creative expe-
rience facilitate integration. Prejudices lead to sides being taken prematu-
rely. Sides are fixed ideas, and they only lead to more conflict. They
construct “things” rather than the openness that is necessary for relating.
“The most profound reason against struggle is that it always erects a thing-
in-itself. If I ‘fight’ Mr. X, that means that I think of Mr. X as incapable
of change—that either he or I must prevail” (CE: 97). Likewise, executives
present policy such that coworkers “have to take a for or against attitude”
(CE: 217). The executive body acquires “solidarity” and a “self-interest of
its own” apart from “the functional relating” (CE: 218). “Hierarchy,”
“management,” “labor,” “executive”—these terms convey separateness and
block cooperation.
For this reason, groups must work together as early as possible, before
sides can be taken (CE: 225, 249-250). Follett advocated a practice called
“breaking up wholes” (CE: 67), which is the opposite of reification. It
Mary Parker Follett 65
4.
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SUMMARY
Follett’s management theory emerged in and through her life, a process
of relating. She related to the problems and thought of her day. Holding
that truth, creativity, and life lies in the interplay of interdependencies, she
rejected a social science that split into disconnected fragments (CE: ix); an
industry that divided itself between labor and capital, management and
worker, and individual and organization; and social conventions that
involved unexamined habits and thoughts and that divided the individual
from himself and from others (“I”/“you”), the whole (“we”/”they”). Based
on her experience in educational reform, community organizing, and
social work, she viewed business life as an opportunity for individual and
collective advancement. In particular, she addressed the negative
consequences of scale: just as centralized federal government risked losing
the individual, so did the increasing scale and complexity of industry.
Follett’s theory has been criticized for its idealism. Certainly, she
belonged to the progressive era with its faith in a science, social science, to
solve social problems. She also belonged to a social and intellectual com-
munity that was unusually cohesive according to an ethic of responsibility
based on the Colonial ideal of the commonwealth. The Boston social
reformers integrated across class, gender, religious, political, and other
cultural and economic differences. They held to pragmatist philosophies
of the power of belief and the spoken word. In this context, functional
unity was both a practical concept and an ideal. If we believe there is a
66 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
total situation that we can bring into being, we will begin to put that
situation into place, and by beginning to put it into place, we will put it
into place.
Follett viewed organization as the exercise and development of creative
ability through relating. “The high adventure of business is its opportu-
nity for bringing into manifestation every hour of the day the deeper thing
within every man, transcending every man, which you may call your
ideal” (DA 137). Business may be regarded as mere production, but “every
activity of man should add to the intangible values of life…the greatest
usefulness of these [tangible] articles consists in the fact that their manu-
facture makes possible those manifold, interweaving activities of men by
which spiritual values are created” (DA 141).
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Follett, M. P. (1896), The Speaker of the House of Representatives, New York:
Longmans, Green.
Olivier Meier
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
2017 | pages 67 à 79
ISBN 9782376870432
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-67.htm
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sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
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des entreprises
Olivier Meier
V
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68 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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C’est durant cette période que F.W. Taylor met en place un certain nombre de ses idées
sur le management. Il intervient en particulier au sein de la Bethlehem Steel Company,
pour développer un système de salaire aux pièces dans les ateliers. En 1901, usé par des
conflits internes, F.W. Taylor décide de cesser toute activité salariée. Il multiplie les
conférences, écrit des mémoires et dirige les interventions de ses disciples1 engagés dans
la diffusion du Management Scientifique et sa mise en œuvre pratique. L’affaire de
l’Eastern Rate (1910)2 contribue à asseoir la notoriété publique du management scien-
tifique, en mettant en avant ses avantages en termes de réduction des coûts.
En dépit de vives critiques (enquête Hoxie3 1914 – 1915), les travaux de F.W. Taylor
ont eu un impact considérable sur le développement de l’industrie et sont notamment
à l’origine de qu’on a appelé le modèle américain d’organisation (production de masse
réalisée par une main-d’œuvre spécialisée et peu qualifiée – cf. Fordisme). Ces principes
continuent de fortement influencer les pratiques de management et d’organisation. Ils
présentent en particulier le mérite d’avoir sensibilisé les entreprises sur le rôle et
l’importance de la démarche scientifique pour le management.
123
1. Les principaux d’entre eux sont Henry L. Gantt, Carl G. Barth, Horace K. Hathaway et Morris L.
Cooke.
2. Lors d’un litige impliquant les compagnies de chemin de fer, plusieurs disciples du management
scientifique (dont F.W. Taylor) défendirent l’idée que l’application d’une telle démarche permettrait aux
compagnies d’économiser un million de dollars par jour.
3. En 1914, la United States Commission on Industrial Relations souhaite une information plus précise sur
les relations entre le management scientifique et le mouvement ouvrier, et confie à R.F. Hoxie une
enquête sur ce thème. L’enquête mettra en lumière de profondes différences entre la théorie défendue par
les promoteurs du management scientifique et la réalité observée, en soulignant les effets négatifs de la
méthode sur les salariés et le climat social.
Frederick Winslow Taylor 69
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les ateliers de production :
• la recherche de la meilleure méthode – « the one best way » – pour
réaliser une tâche, à partir de la détermination scientifique des
temps et des modes opératoires (analyse des postes, décomposition
du processus de travail en tâches élémentaires, suppression de tout
geste inutile dans les mouvements humains, mécanismes de simpli-
fication des gestes, attribution d’un temps d’exécution à chaque
tâche élémentaire), et de leur prescription par l’encadrement (plani-
fication du travail, instructions écrites et complètes, codification
formelle…) ;
• le recrutement de l’individu le mieux à même d’accomplir la tâche
par une étude volontaire du caractère, tempérament et rendement
de chaque ouvrier ;
• la formation, le suivi et le contrôle permanents du personnel ;
• la mise en place d’un système de salaires proportionnel au rende-
ment. La démarche de Taylor est de considérer que la seule motiva-
tion du travail des ouvriers est de nature financière, en tant qu’agents
rationnels cherchant à maximiser de manière consciente leurs gains
monétaires. Pour cette raison, le salaire au rendement s’impose. À
chaque tâche correspond un temps d’exécution. Le chronomètre
détermine alors la rémunération de l’ouvrier, à travers un système
d’établissement du salaire à la pièce ;
• la séparation rigoureuse des tâches entre ceux qui conçoivent (dans
les bureaux de planification et d’organisation) et ceux qui exécutent
70 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
(dans les ateliers). Cette division verticale des tâches vise à distinguer
strictement les exécutants, des concepteurs du travail, en vue de
définir des processus opératoires performants.
Le système de Taylor vise à rendre scientifique l’organisation du tra-
vail4, dans le but d’atteindre le plus haut niveau de productivité et d’effi-
cacité. Il a pour but de se substituer aux « vielles méthodes empiriques »
et à la « flânerie systématique des ouvriers ». F.W. Taylor pense qu’il
incombe aux dirigeants de prendre part à cette mission. Il est de leur res-
ponsabilité de réunir, déchiffrer et classer les informations, afin de conce-
voir des principes, des règles, des lois permettant aux ouvriers de mieux
accomplir leur travail quotidien. Il s’agit en particulier d’évaluer la durée
nécessaire à l’exécution de chaque tâche grâce à une étude critique du
contenu du travail, à l’analyse scientifique des mouvements (recherche,
exécution, attente et repos) et l’étude des temps d’exécution (par observa-
tion directe et chronométrage et l’utilisation des tables de temps) Les
principes directeurs établis doivent être enseignés aux ouvriers et des
mesures appropriées doivent être prises, pour veiller à leur bonne applica-
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tion. De même, la mise en place d’un système de salaires différentiels aux
pièces (A piece rate system) doit permettre d’éliminer les comportements de
freinage volontaire, en stimulant la productivité et en prenant ses distances
avec l’ancien système qui reposait sur une forte délégation accordée aux
contremaîtres.
Les managers sont donc censés remplir une mission nouvelle et vitale,
visant à éviter le freinage volontaire et l’utilisation des méthodes empi-
riques. La faible productivité dans les usines résulte en effet d’un double
comportement : celui d’une maîtrise des temps opératoires par les ouvriers
qui par crainte du chômage et paresse naturelle freinent volontairement les
cadences de travail et celui de l’encadrement qui ignore la gestion quoti-
dienne du travail, et ne s’implique pas dans l’élaboration de méthodes
efficaces.
Le principal facteur de réussite réside par conséquent dans la modifica-
tion des rapports entre la direction et son personnel. Il implique à court
terme des rôles et des fonctions différents au sein de l’organisation, seule
manière de parvenir à une révolution mentale novatrice du travail de ges-
tion. Cette conception de l’organisation impose la présence d’un contrôle
étroit de l’exécution du travail qui insère l’ouvrier dans un réseau de
contraintes, l’obligeant à agir efficacement ou à démissionner. Pour que ce
système puisse être durable et refléter une conception synergique des rela-
4. Référence à l’Organisation Scientifique du Travail (O.S.T.), c’est-à-dire la gestion et la coordination
des tâches en vue d’établir et de maintenir l’aménagement optimum du travail au sein de l’entreprise, à
partir de principes ou de méthodes résultant d’une recherche scientifique.
Frederick Winslow Taylor 71
2.
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UN SYSTÈME DE PENSÉE TROP EXCLUSIVEMENT
TECHNICO-ÉCONOMIQUE ?
Dans l’analyse taylorienne, l’organisation est abordée en tant que pro-
blème technique, à l’instar d’une machine qu’il faut agencer rationnelle-
ment, conformément à des règles préétablies, présentées comme des solu-
tions universelles. Cette vision mécanique de l’organisation conduit à
l’établissement d’un ordre impersonnel, où les comportements et relations
entre les acteurs sont voués à l’accomplissement des tâches, à l’exclusion
de toute considération politique ou sociale. Le système devient une force
autonome qui déroule sa logique propre, à partir de règles prédéfinies.
Les travaux de F.W. Taylor ont ainsi fait l’objet de vives critiques liées
principalement au caractère mécaniste de sa démarche qui occulte les
aspects humains de l’organisation au profit d’une analyse profondément
rationnelle et normative qui va à l’encontre d’un esprit de responsabilisa-
tion.
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siques. Le seul problème qui se pose est d’identifier, de façon quasi-méca-
nique (ou systématique) qui a le statut de première classe (first-class men)
pour une tâche donnée.
Le projet de Taylor a pour effet de participer à une modification pro-
fonde de la structure du pouvoir au sein de l’entreprise, en transformant
les ouvriers en de véritables automates et en donnant à l’encadrement la
maîtrise complète des temps et des modes opératoires. Au sein de cette
logique, l’ouvrier n’a pas à agir ou réagir. Il doit simplement exécuter une
tâche élémentaire qu’il doit accomplir mécaniquement.
Cette conception de l’organisation ne tient pas compte des interactions
entre les individus et l’organisation. En particulier, elle fait abstraction des
problèmes de pouvoir, de la formation de groupes informels ou des moti-
vations personnelles au profit de l’existence d’un réseau formel de relations
centrées sur la réalisation d’objectifs efficaces et rationnels. Elle traduit une
véritable aliénation de l’homme à son travail à qui l’on retire toute dispo-
sition d’ordre affectif ou cognitif pour devenir un instrument au service de
la productivité et de la rentabilité de l’entreprise. Cette orientation a eu
pour principale conséquence des réactions négatives de la part du person-
nel d’exécution (absentéisme, turnover, démotivation) et l’émergence de
conflits sociaux fréquents. Elle s’est notamment traduite par une vive
opposition de la part des syndicats et le développement de grèves pour
protester contre les conditions et méthodes de travail imposées aux
ouvriers comme le chronométrage.
Frederick Winslow Taylor 73
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ticulier par l’intermédiaire de sa structure, sont absents du discours.
L’organisation apparaît comme un système fermé et relativement stable,
fondé sur des principes universels dont le respect doit conduire au maxi-
mum d’efficience et de productivité.
Or, l’environnement évolue, les outils s’usent, des pannes inter-
viennent, de nouvelles attentes émergent dans la mise en œuvre du travail.
Ces multiples variations des conditions d’exercice du travail imposent à
l’opérateur des adaptations permanentes et la prise en compte de besoins
et contraintes de nature différente.
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hiérarchisation des actions engagées. Il arrive d’ailleurs que les spécialistes
fonctionnels s’enferment dans leur spécialité et finissent par oublier les
véritables enjeux de l’entreprise. Chacune des spécialités peut en effet être
conduite à privilégier sa conception et agir en fonction de ses préférences.
Cette tentation peut notamment prendre la forme d’une frontière artifi-
cielle entre les fonctions (constitution de baronnies) et empêcher une
collaboration vitale pour parvenir à des objectifs économiques réalistes.
Les points-clés
1. Méthode d’inspiration scientifique sur la façon d’analyser et de concevoir le travail
2. Analyse du travail autour de la séparation entre la conception (planification) et la
réalisation (exécution)
3. Définition optimale et unique (one best way) sur la manière d’accomplir une tâche
4. Rémunération variable et proportionnelle de la performance
5. Approche centrée sur les économies d’échelle, la productivité et les effets
d’apprentissage
6. Démarche fondée sur le contrôle renforcé des collaborateurs dotés d’une faible
autonomie et d’une faible responsabilité
Frederick Winslow Taylor 75
3. RELECTURE ET PERSPECTIVES…
Tout et son contraire a pu être dit sur F.W. Taylor et son système, ce qui
vaut aujourd’hui à ses travaux des réactions variées et contradictoires qui
méritent d’être précisées et expliquées. La vie et surtout la pensée de F.W.
Taylor demeurent en effet étonnement méconnues et ses propos ont sou-
vent fait l’objet de vives critiques de la part des conceptions modernes du
management qui voient dans le taylorisme un référentiel symboliquement
encombrant et opérationnellement inadéquat. Il suffit en effet de taxer une
méthode de taylorienne pour voir celle-ci déconsidérée et relayée au stade
de l’archaïsme. Plusieurs éléments conduisent à refuser cette facilité rhéto-
rique et à défendre certains positions prises par F.W. Taylor qui ne sont pas
sans rapport avec la réalité économique et sociale des organisations passées
et actuelles.
Il convient tout d’abord de réinsérer la démarche de F.W. Taylor dans le
contexte historique de l’époque. Dans la majorité des industries, la réalisa-
tion des opérations productives continuait en effet de reposer sur le savoir-
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faire des ouvriers professionnels, dont la compétence technique était irrem-
plaçable (car liée à l’expérience). Cette situation se heurtait à la volonté de
la direction de contrôler la gestion de la productivité. Or face à ces pres-
sions, les ouvriers qui avaient la maîtrise totale des temps et des modes
opératoires, mettaient en œuvre une même stratégie, à savoir un freinage
systématique du rythme de production. L’absence de dialogue social et les
risques de dépendance vis-à-vis d’ouvriers conscients de leur pouvoir,
constituaient donc un facteur potentiel de conflit et de baisse de producti-
vité. Il y a par conséquent chez F.W. Taylor une critique fondamentale de
l’organisation du travail du XIXe siècle qui l’a conduit à rechercher des
méthodes qui assurent le contrôle managérial de la production. L’objectif
de son approche consiste donc à concevoir des méthodes capables d’ame-
ner les ouvriers à un niveau de productivité conforme aux performances
des nouvelles technologies industrielles et pouvant résoudre le freinage
volontaire du rythme de production.
F.W. Taylor a par conséquent essayé de rendre opérationnelle une syn-
thèse entre les contraintes techniques et celles de l’économie, en actant les
changements de son époque et en les réinsérant dans des principes d’ac-
tions clairs, cohérents et efficients.
Une deuxième raison tient à la posture épistémologique adoptée par
Taylor aux différents moments de sa vie. Au fur et à mesure que le temps
passe, le personnage Taylor change, non pas tant sur le plan des idées mais
sur la manière de les présenter et de les défendre. Issu de son expérience des
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témoignent d’une perception fine des enjeux et problèmes au sein
des entreprises productives. S’il est vrai que l’univers mental de
F.W. Taylor est celui d’un mécanicien qui rêve de voir l’usine comme
une machine, cette démarche s’inscrit également dans une analyse
lucide des problèmes rencontrés dans les organisations ;
• le porte-parole et défenseur de principes universels sur la gestion
scientifique du travail, dans lesquels F.W. Taylor appelle à une révo-
lution complète d’état d’esprit dans les relations entre l’ouvrier et sa
direction, organisé autour de coopération cordiale. Ces principes
permettront d’obtenir un bénéfice plus important qui favorisera des
salaires plus élevés et la paix dans l’atelier.
La troisième raison vient d’une confusion entre ce que F.W. Taylor a dit,
voulu et écrit, et ce qu’est devenu par la suite le taylorisme dans les organi-
sations. En effet, pour la plupart, les travaux de F.W. Taylor sont assimilés
au phénomène du travail à la chaîne. Or la première chaîne de montage fut
expérimentée en avril 1913, soit deux ans avant la mort de l’auteur et son
développement s’est imposé plusieurs années après aussi bien aux États-
Unis qu’en France. Il convient donc dans l’analyse critique du taylorisme
de distinguer l’œuvre de F.W. Taylor et les conséquences de son discours
sur les organisations. Il est néanmoins vrai que les propos parfois excessifs
ou maladroits de F.W. Taylor sur la place de l’ouvrier dans l’entreprise ont
certainement contribué à légitimer certaines dérives.
Enfin, on ne peut nier que les attaques formulées à l’égard du taylorisme
s’expliquent également par son succès et l’importance de son influence
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grammes de formation, de recrutement…).
Cette gestion technique du travail n’est d’ailleurs pas en contradiction
avec des projets d’innovation. Simplement, leur élaboration et mise en
œuvre se retrouvent à un autre niveau de l’organisation auprès des cadres
et dirigeants de l’entreprise. Cette conception du travail trouve un autre
domaine d’application au sein des usines, dans le cadre des chaînes de
montage et d’assemblage, en pratiquant une politique de gestion de masse
et en favorisant le développement de tâches simples et répétitives. Le déve-
loppement du secteur de l’automobile constitue un des exemples d’appli-
cation du modèle taylorien, dont la concrétisation se reflète dans le prin-
cipe du travail à la chaîne et la standardisation des produits et pièces, tel
que le fordisme. Bien que complété et enrichi par les phénomènes d’auto-
matisation et de robotisation, les secteurs nécessitant une forte main-
d’œuvre et orientée vers une consommation de masse, continuent d’être
influencés par l’approche taylorienne. De même, les méthodes de calcul des
temps constituent aujourd’hui la base de nombreux systèmes de gestion,
qui ont donné naissance à de nombreux bureaux de conseils contempo-
rains (BTE : Bureau des Temps Elémentaires). On peut encore trouver
l’influence de Taylor dans la création des bureaux d’études et des méthodes
qui reposent sur une approche fonctionnelle et non hiérarchique de l’orga-
nisation. Cette influence est également visible dans le cas de structures
nécessitant des compétences professionnelles pointues (précisions tech-
niques, expertise) et soumises à des risques élevés (services de chirurgie ou
entretien d’avions par exemple).
78 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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méthodes, même si certains réglages peuvent être effectués par l’opé-
rateur.
De manière générale, les travaux de F.W. Taylor présentent l’avantage de
donner des moyens de maîtrise et de contrôle dans la réalisation des tâches,
notamment lors de la phase de production. La question du taylorisme ne
doit pas se poser en termes d’intérêt relatif à la gestion scientifique d’une
organisation, mais en termes d’implication et de généralisation. En effet, la
nécessité d’une régulation autonome de l’activité par l’opérateur humain
ne fait pas disparaître l’utilité des règles prescrites comme en témoignent
les exemples repris ci-dessus.
Ce constat permet de rendre compte des raisons qui, malgré des
déviances théoriques, expliquent l’efficacité passée de la doctrine de Taylor
et les potentialités qu’elle recèle encore aujourd’hui. La démarche taylo-
rienne ne doit pas avoir l’ambition de mécaniser et systématiser l’organisa-
tion du travail, mais d’en fixer des principes et des limites dans l’intérêt de
l’entreprise.
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Tesi, F. (2008), « Michelin et le Taylorisme », Histoire, économie et société, n° 3,
p. 111-126.
VI. HOWARD E. ALDRICH – ÉVOLUTION, VARIATION, ENTREPRENEURIAT
Bernard Forgues
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
2017 | pages 80 à 96
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entrepreneuriat
Bernard Forgues
VI
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82 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
Notice biographique
Howard Aldrich est professeur de sociologie à l’Université de Caroline du Nord à
Chapel Hill. Il a obtenu son Ph.D. en 1969 à l’Université du Michigan, puis est parti
enseigner à Cornell, où il a passé treize ans.
Il enseigne la théorie des organisations et la pédagogie. Au-delà de l’évolutionnisme, il
s’intéresse à l’entrepreneuriat, l’émergence d’industries, mais aussi aux différences entre
genres dans la gestion et à la pédagogie. La liste de ses publications à ce jour compose
un document de 54 pages. On y trouve un nombre impressionnant de revues les plus
exigeantes, comme Administrative Science Quarterly, Academy of Management Review,
American Journal of Sociology, mais aussi Journal of Finance !
Howard Aldrich a été récompensé par de nombreux prix et titres honorifiques : il est
Fellow de l’Academy of Management, a obtenu le Distinguished Scholar Award
(Organization and Management Theory), le Global Award for Entrepreneurship
Research, et la première édition de son livre Organizations Evolving (1999) a obtenu le
Max Weber Award de l’American Sociological Association et le Terry Award d’Academy
of Management.
Son site internet regorge de ressources très intéressantes, y compris sur des aspects non
traités ici. On y trouvera aussi sa bibliographie : https://howardaldrich.org/
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L’immense contribution d’Howard Aldrich à la théorie des organisa-
tions révèle à la fois une vision et une cohérence rares1. Pionnier de l’ap-
proche de l’organisation comme système ouvert (voir Aldrich, 1971), il a
ouvert la voie à l’écologie des populations, théorisé l’approche évolution-
niste des organisations et donné l’impulsion à une nouvelle branche de
l’entrepreneuriat. Sa page sur Google Scholar liste 391 articles, chapitres
et livres, parmi lesquels on peut citer les deux ouvrages de référence que
sont Organizations and Environments (1979) et Organizations Evolving
(1999, 2006).
En fait, ses nombreux apports s’inscrivent dans la même lignée. Ils
constituent des avancées successives inscrites dans le même cadre intégra-
teur ayant guidé les recherches d’Howard Aldrich depuis plus de trente
ans : l’évolution des organisations.
C’est ce cadre intégrateur puissant et soigneusement pensé dans le
détail qui explique la remarquable cohérence des très nombreuses publica-
tions d’Aldrich. Le constat de départ est celui de l’absence de contexte
dans la majeure partie des travaux sur les organisations. Cela a amené
Aldrich à se consacrer aux relations entre les organisations et leurs environ-
nements. L’environnement étant lui-même composé d’organisations, cela
1. La première version de ce chapitre a bénéficié de l’aide d’Howard Aldrich, Joel Baum, Filippo Carlo
Wezel, El-Bekkay Essabar, Jérôme Ibert, et les coordinatrices de cet ouvrage Sandra Charreire et Isabelle
Huault, que je remercie chaleureusement.
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1. L’ÉCOLOGIE DES POPULATIONS
Si Aldrich, en tant que sociologue, est choqué au début des années
soixante-dix du peu de cas fait de l’environnement dans la vaste majorité
des recherches sur les organisations, une vision statique lui semble égale-
ment peu adaptée. Ainsi, il estime que la théorie de la contingence a une
« pertinence historique douteuse » (Aldrich, 1979 : xi). Étudier le change-
ment organisationnel en échappant aux limites d’approches a-contex-
tuelles ou a-historiques impose une démarche empirique englobant l’orga-
nisation et son environnement, et ce longitudinalement. L’écologie des
populations rend possible un tel programme.
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Il s’ensuit qu’une question majeure est celle de la sélection opérée par
l’environnement. Celle-ci se produit sur la base de l’adéquation entre la
forme organisationnelle et les caractéristiques de l’environnement. Les
formes organisationnelles (des configurations spécifiques de buts, fron-
tières et activités) font l’objet de la sélection par l’environnement2. La
création des formes organisationnelles, leur survie ou disparition, leur
diffusion sont expliquées par un modèle général du changement organisa-
tionnel composé de trois étapes : variation, sélection et rétention. La créa-
tion de variété se produit de manière volontaire ou non, au niveau d’une
population (par exemple quand de nouvelles formes viennent d’une autre
population) ou à l’intérieur d’une organisation. La sélection des formes
organisationnelles se produit du fait des contraintes environnementales :
les organisations en adéquation avec l’environnement survivent alors que
les autres disparaissent (ou changent). Enfin, la rétention des formes sélec-
tionnées positivement par l’environnement se manifeste par leur repro-
duction. On peut noter que, du fait des pressions environnementales, le
déterminant majeur des activités des organisations est la compétition pour
les ressources3 (Aldrich, 1979 : 28).
2. La notion de forme organisationnelle est liée à la définition même d’une organisation, à savoir un
système orienté vers un but, maintenant une frontière avec l’extérieur, et possédant une certaine tech-
nologie pour accomplir son activité (Aldrich, 1979 : 5).
3. Le lien avec la théorie de la dépendance des ressources développée par Pfeffer et Salancik (1978) est
d’autant moins étonnant qu’Aldrich et Pfeffer ont collaboré dès 1976 à un article sur le thème de
l’adaptation des organisations à l’environnement, qui jetait les premières bases de la distinction entre
écologie des populations et dépendance des ressources.
Howard E. Aldrich 85
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approche contextualisée, c’est-à-dire sociologique, du problème. « Les
chercheurs utilisant le modèle de l’écologie des populations ne peuvent
éviter de prendre en compte le contexte sociétal dans lequel les organisa-
tions sont créées, survivent ou disparaissent, et deviennent proéminentes
ou disparaissent dans l’obscurité. » (Aldrich, 1979 : 11).
Dès 1971, il propose ainsi que l’on étudie dans quelle mesure les orga-
nisations sont en adéquation avec des environnements changeants et
divers4. Il écrit en 1979 le premier ouvrage présentant l’écologie des popu-
lations de manière systématique. Il apporte, seul ou avec des collègues, de
multiples contributions, comme les implications stratégiques des handi-
caps de la taille et de l’âge, expliquant par exemple que les organisations
les plus grandes sont aussi les plus inertes, étant plus formalisées et ayant
plus à perdre au changement (Aldrich et Auster, 1986). Pourtant, Aldrich
a rapidement été un peu en marge des écologistes : aucune de ses
recherches n’utilise leur méthode reine – l’analyse de survie –, il s’intéresse
à des questions qu’ils délaissent, comme la variation (voir section 3). De
manière plus fondamentale, il se passionne pour la transformation, même
s’il reconnaît qu’elle sera plus difficile à étudier que la sélection, « puisque
le critère d’adéquation avec l’environnement passe d’un succès ou échec
facile à observer à un critère plus problématique de changement structurel
ou stabilité » (Aldrich et Pfeffer, 1976 : 9).
4. Si l’écologie des populations est généralement associée à Hannan et Freeman, qui y ont énormément
contribué, on peut noter, avec Joel Baum (2000), que cet article fondateur (Aldrich, 1971) a été publié
bien avant celui de Hannan et Freeman (1977).
86 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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de contraintes internes (actifs intransférables, manque d’information,
enjeux politiques, poids de l’histoire) et de pressions externes (barrières à
l’entrée et à la sortie, coût d’information, besoin de légitimité, problème
de rationalité collective6). Hannan et Freeman (1984) ont plus tard
enrichi cette idée en insistant sur la notion d’inertie structurelle : la sélec-
tion favorise les entreprises capables de répéter leurs performances de
manière fiable (reliability) et de rationaliser le moyen d’y parvenir (accoun-
tability). Ces deux critères exigent des structures hautement reproduc-
tibles, ce qui génère une forte inertie structurelle, comme le montre
l’exemple des chaînes de restauration rapide.
Des travaux plus récents ont posé à nouveau le problème de la sélection
et de l’adaptation en indiquant que ces deux processus de changement
n’étaient pas forcément antinomiques, ni même peut-être complémen-
taires, mais plutôt inter-reliés (Levinthal, 1991). Ainsi, dans leur étude
longitudinale des stations-services à Edmonton, Usher et Evans (1996)
ont montré que la sélection se produisait au niveau des unités, mais que
les maisons-mères étaient capables de s’adapter en tenant compte de cette
sélection de leurs unités dans leurs choix de fermeture ou d’ouverture de
nouvelles unités.
5. Au risque d’une simplification grossière, on peut dire que, pour Darwin, le changement se fait par
sélection : les espèces les moins adaptées disparaissant et étant remplacées par d’autres mieux adaptées.
Pour Lamarck, le changement se fait par adaptation, les espèces évoluant pour s’adapter à l’environnement.
Une présentation claire et synthétique, appliquée aux organisations, se trouve dans Usher et Evans
(1996).
6. Le problème de la rationalité collective fait ici référence au fait que la stratégie d’adaptation d’une
entreprise ne peut pas être couronnée de succès si toutes les entreprises l’adoptent.
Howard E. Aldrich 87
2.
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L’APPROCHE ÉVOLUTIONNISTE
La force de l’écologie des populations a été de mettre sur pied un cou-
rant de recherche d’une cohérence extrême. Hannan, Freeman et leurs
collègues ont systématiquement privilégié les études de populations
entières, depuis leur apparition, et par une méthode, l’analyse de survie.
Cette force (l’accumulation des résultats empiriques) représente aussi une
faiblesse. En effet, l’exhaustivité des bases de données a été obtenue au
détriment de leur finesse, et les variables observées (généralement de type
démographique) sont parfois loin du concept de départ (Young, 1988).
De plus, le recours a une seule méthode a amené à laisser de côté un cer-
tain nombre de questions de recherche. L’évolutionnisme, basé sur les
mêmes travaux (principalement Campbell, 1969), permet notamment
d’aborder différents niveaux d’analyse ou d’analyser la genèse d’industries,
thème intéressant Aldrich.
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sont dues aux concurrents, aux pressions institutionnelles, etc. Ce qui est
sélectionné peut être une routine ou une compétence à l’intérieur d’une
organisation, ou une organisation à l’intérieur d’une population, voire une
population ou une communauté de populations entières.
Le processus de rétention et diffusion fait référence à la conservation et
la propagation des variations qui ont été positivement sélectionnées
(Aldrich, 1999 : 30). Au niveau de l’organisation, ce processus peut se faire
par réplication, laquelle est favorisée par la mémoire organisationnelle et
toutes les procédures en place. Au niveau de la population, la diffusion se
fait par imitation, et plus généralement par institutionnalisation des pra-
tiques (DiMaggio et Powell, 1983).
Enfin, la lutte pour les ressources rares s’observe elle aussi aux différents
niveaux d’analyse. Elle concerne toutes les ressources disponibles en quan-
tité limitée, comme les capitaux, les clients, ou la légitimité.
Il est important de noter que ces quatre processus ne se produisent pas
de manière séquentielle, mais plutôt simultanée, étant reliés entre eux par
des boucles de rétro-action. Certes, la variation produit la matière qui sera
sélectionnée, et les processus de rétention permettent la préservation des
variations sélectionnées positivement. Mais on doit également constater
des effets de rétro-action dans la mesure où les processus de rétention
limitent les variations possibles, et la lutte pour les ressources rares peut
changer les critères de sélection (Aldrich, 1999 : 33).
Howard E. Aldrich 89
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logie à l’espèce en biologie. McKelvey et Aldrich (1983), en se basant sur
des travaux de McKelvey (1982) ont ainsi proposé de définir une espèce
organisationnelle comme un groupe dont chaque membre possède des
propriétés p d’un ensemble P, dont chaque propriété p de P est possédée
par plusieurs membres, et dont aucune propriété p de P n’est possédée par
tous les membres.
La perspective évolutionniste permet plus facilement que l’écologie des
populations de prendre en compte les interactions entre différents niveaux
d’analyse. Les processus évolutionnistes sont applicables à tous les niveaux,
et Aldrich a su utiliser cette possibilité en éclairant les observations effec-
tuées à un niveau par des résultats obtenus à un autre niveau, et vice-versa.
Par exemple, Aldrich et Auster (1986) commencent par observer l’exis-
tence de handicaps d’âge et de taille dans les organisations, puis discutent
les implications stratégiques de ces handicaps, tant au niveau de l’organi-
sation qu’au niveau de la population.
Un autre avantage de l’évolutionnisme sur l’écologie est de permettre
une meilleure intégration de différentes perspectives, tirant ainsi parti de
la multiplicité des approches observées dans la théorie des organisations
(Aldrich, 1999 : Ch. 3). On peut ainsi concevoir l’évolutionnisme comme
un cadre intégrateur général (Aldrich et al., 2008) à l’intérieur duquel
différentes théories vont pouvoir être mobilisées pour expliquer des chan-
gements organisationnels particuliers, à différents niveaux d’analyse. Le
tableau 1 résume les contributions de six perspectives à l’évolutionnisme.
90 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Coûts Pousse à l’explicitation des hypothèses sous-jacentes et propositions
de transaction Met l’accent sur l’examen des coûts et bénéfices d’arrangements
(e.g., Williamson, organisationnels alternatifs
1998)
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3. L’ENTREPRENEURIAT
Le moteur de l’évolution repose sur la présence de variations : en leur
absence, aucun changement ne se produirait. Pourtant, ces variations
n’ont que peu été étudiées, essentiellement pour des raisons de difficulté
d’accès aux données. Même si les écologistes étudient les industries depuis
leur naissance, la masse des projets ayant échoué avant même leur lance-
ment leur échappe. Une meilleure compréhension de la variation impose
donc de remonter en amont, ce qui conduit à se pencher sur les travaux
en entrepreneuriat.
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3.2. Aldrich et l’entrepreneuriat
Les principales contributions à l’entrepreneuriat d’Howard Aldrich,
honoré d’un Global Award for Entrepreneurship Research en 2000,
peuvent être regroupées en trois ensembles. Le premier s’inscrit dans la
droite ligne des travaux sur l’écologie et l’évolution, le deuxième porte sur
les réseaux et le troisième sur les questions d’ethnicité et de genre. La place
manquant pour tous les développer, je renvoie sur les articles d’origine9 ou
sur la synthèse de Landström (2000). Je ne parlerai ici que du premier
groupe, pour lequel la filiation avec l’évolution est encore plus évidente.
Dans une série d’articles abondamment cités, Aldrich et ses collègues
se concentrent sur une approche macro de la création d’entreprise et
observent donc des taux de création et de disparition au niveau de la
population d’entreprises. Ainsi, Aldrich et Auster (1986) montrent qu’en
plus des handicaps liés à l’âge (liability of aging, liability of newness) bien
connus des écologistes, les entreprises nouvellement créées doivent faire
face à un handicap lié à leur petite taille (liability of smallness). Ce handi-
cap les gêne pour récolter des fonds ou recruter du personnel, et se concré-
tise en des coûts supplémentaires pouvant entraîner la disparition de
l’entreprise. Aldrich et Wiedenmayer (1993) continuent dans cette voix
9. Sur les réseaux, voir par exemple Martinez et Aldrich (2011) ; sur le genre, voir par exemple Yang et
Aldrich (2014).
Howard E. Aldrich 93
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domaine fait face à deux problèmes récurrents. Le premier, d’ordre théo-
rique, tient en une absence de consensus sur les limites du champ. Le
simple fait que la question fasse l’objet de débats année après année dans
les revues d’entrepreneuriat révèle bien l’ampleur du problème et le
malaise qu’il provoque au sein de la communauté des chercheurs. En bref,
l’entrepreneuriat a du mal à dépasser le stade d’une collection de résultats,
certes impressionnante, mais manquant d’unité. Pour reprendre la méta-
phore de Koppl et Minniti (2003), on a de plus en plus de pièces du
puzzle, mais on ne sait toujours pas à quoi ressemble l’image. Le deuxième
problème est d’ordre méthodologique et est pour l’heure insoluble. Toute
recherche empirique en entrepreneuriat est confrontée à un problème de
biais de sélection : on ne peut étudier que les entreprises qui existent. On
manque donc d’une base de données qui recenserait les projets avortés,
idées abandonnées, rêves non réalisés. Les résultats sont en conséquence
systématiquement biaisés dans le même sens…
Conclusion
En recevant le Distinguished Scholarly Career Award lors de la confé-
rence d’Academy of Management en Août 2000, Howard Aldrich a pro-
noncé un discours développant le type de recherches qu’il appelle de ses
vœux10. Tout d’abord, nos théories ont quasiment toutes pour base empi-
10. Ce discours a été reproduit : voir Aldrich (2001).
94 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
rique une fraction infime des organisations : les grandes entreprises cotées.
Ceci implique une ignorance de la manière dont elles ont grandi et sur-
vécu aux périodes qui ont été fatales à leurs concurrents d’alors. Il convient
d’avoir une vision plus représentative et donc d’élargir la base empirique.
De plus, beaucoup de recherches restent statiques, cross-sectionnelles. Il
serait préférable d’adopter un design longitudinal, mais cela ne suffit pas.
Un design évolutionniste doit de plus suivre le cours du temps, depuis les
événements jusqu’à leurs résultats. Par contraste, beaucoup de designs
remontent le cours du temps pour chercher les causes des résultats obser-
vés. Ceci impose d’avoir recours à des méthodes de type ethnographique,
par exemple. Troisièmement, le temps doit être explicitement indiqué
dans les modèles, de manière à éviter une vision basée sur l’équilibre, dans
laquelle le changement ne peut se produire. Enfin, il faut reconnaître que
toute généralisation empirique se fait sur le passé. Ce qui différencie
l’approche évolutionniste est la volonté de bâtir des modèles axés vers le
futur (Aldrich, 2001).
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Travaux cités de l’auteur
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VII. FREDERICK E. EMERY ET ERIC L. TRIST – DES SYSTÈMES SOCIO-
TECHNIQUES À L’ÉCOLOGIE SOCIALE DES ORGANISATIONS
Jérôme Ibert
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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Des systèmes socio-techniques
à l’écologie sociale
des organisations
Jérôme Ibert
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Notices biographiques1
Eric Trist (1909-1993) fit des études universitaires en psychologie à l’Université de
Cambridge et entreprit des études doctorales à Yale qu’il ne put finir pour obtenir son
Ph.D. De retour en Grande-Bretagne, il participa à des programmes de recherche en
psychologie sociale. Il rejoignit, pendant la Seconde Guerre mondiale, le Tavistock
Clinic, avec lequel il travailla au sein de l’armée comme psycho-analyste dans des
activités de recrutement de cadres puis de thérapie de prisonniers britanniques rapatriés
des camps allemands et japonais. Après la guerre, il participa à la création du Tavistock
Institute. Son expérience le conduisit à des recherches sur les dynamiques de groupe
dans l’organisation du travail. La publication des résultats de ses travaux dans Human
Relation lui valu une certaine notoriété aux États Unis, où il fut convié en tant
qu’enseignant-chercheur.
Trist a été membre associé au Centre d’Études Avancées dans les Sciences du
Comportement de Palo Alto (1960-1961). Professeur de comportement des organisa-
tions et d’écologie sociale à l’Université de Californie de Los Angeles (1963), il a rejoint
ensuite, en 1966, la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie comme professeur
émérite du département des Sciences des Systèmes Sociaux. Il a enseigné, à partir de
1978 et jusqu’en 1985, à la Faculté des Études Environnementales de l’Université de
York en Ontario. Il a terminé sa carrière d’enseignant comme professeur invité au
Département de management de l’Université du Minnesota. Il a été distingué pour son
œuvre par le Fellow of International Academy of Management en 1978 et par le grade de
Doctor of Laws Honoris Causa de l’Université de York en 1983.
1. Je tiens à remercier Richard Trahair, biographe d’Emery et de Trist pour la précieuse aide qu’il m’a
apportée à la collation de ces éléments biographiques.
Frederick E. Emery et Eric L. Trist 99
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1. LES SYSTÈMES SOCIO-TECHNIQUES
Emery et Trist ont situé leurs travaux en filiation avec l’analyse systé-
mique. Selon eux, penser en termes de système permettait de comprendre la
nature des relations d’interdépendance engendrées par les phénomènes orga-
nisés.
La construction de la théorie des systèmes est venue du développement
de l’analyse des processus internes dans les organismes vivants et les organi-
sations : le problème était de voir comment les parties étaient liées à l’en-
semble. Les premiers pas de la théorie des systèmes s’inscrivaient dans une
représentation par des modèles de systèmes fermés. Quand il a fallu relier ces
ensembles organisés à leurs environnements, la représentation s’est orientée
sur les modèles de systèmes ouverts, grâce notamment à l’apport de la cyber-
nétique et de la théorie de l’information, qui ont permis d’élargir le champ
des systèmes fermés et de progresser dans la formulation des systèmes ouverts
(Bertalanffy, 1950). L’entité vivante survit en important certains matériaux
de son milieu externe, en les transformant d’après les caractéristiques de son
système propre et en exportant en échange d’autres matériaux vers le milieu.
La propriété des systèmes ouverts est de se réorganiser spontanément pour
parvenir à un « état stable » qui leur permet néanmoins de continuer à tra-
vailler, contrairement aux systèmes mécaniques fermés pour lesquels l’at-
teinte de l’état stable entraîne un arrêt de toute activité.
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prise aux changements extérieurs indépendants, en particulier les modifi-
cations des marchés des produits et des moyens de production (main-
d’œuvre, matières premières et technologie) qui affectent la régularité de
ses échanges avec l’environnement. Pour Emery et Trist, le « composant
technologique » permet le maintien de l’état stable, sans changement
structurel, du système qu’est l’entreprise. Celle-ci peut tolérer la variation
du marché des produits par la mise en valeur d’une compétence distinctive
mais aussi par la souplesse de l’appareil de production technique, c’est-à-
dire « sa capacité de modifier son rythme, son produit final ou l’éventail
de ses produits » (ibid. : 85). Le composant technologique permet égale-
ment une tolérance à la variation du marché des moyens de production
car il est manipulable. « Il n’y a pas de relation simple et directe entre
moyens de production et production. Suivant le système technologique,
des productions similaires peuvent résulter de combinaisons différentes de
moyens de production et différents éventails de produits peuvent résulter
de moyens de production similaires. L’entreprise tendra, autant que faire
se peut, à cela plutôt qu’à opérer des changements structurels de son orga-
nisation » (ibid. : 86). Les auteurs en ont conclu que l’entreprise possédait
donc cette propriété des systèmes ouverts, d’être sélective et, dans une
certaine mesure, autorégulatrice.
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que le travail, sa technologie et ses exigences mécaniques et physiques sont
relativement peu importants par rapport à la situation sociale et psycholo-
gique de l’homme au travail. Même quand on a fait une étude détaillée de
la technologie, on ne l’a pas reliée directement au système social, mais on
l’a traitée comme une information d’arrière-plan. » (ibid. : 87)
Selon Emery et Trist, le composant technologique ne peut être consi-
déré « simplement comme un ensemble de limites qui ont une influence
au premier stade de construction d’une entreprise et, ensuite, seulement
lorsque ces limites sont dépassées ». « Il y a au contraire une accommoda-
tion presque constante aux tensions résultant des changements de l’envi-
ronnement externe. Le composant technologique non seulement établit
les limites dans lesquelles on peut agir, mais aussi par le processus d’ac-
commodation, suscite des besoins qui doivent être pris en compte par
l’organisation interne et les fins de l’entreprise. » (ibid. : 87) « L’efficacité
du système de production pris dans son ensemble dépendra de la manière
dont le système social » répondra aux « conditions limitatives » induites
par le système technologique. D’où l’idée d’optimisation, avancée par
Emery et Trist, car il y a différentes réponses possibles mais avec des diffé-
rences d’efficacité.
102 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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des relations sociales entre les hommes. Trist en conçut que l’organisation
du groupe de travail n’était pas fondée sur la technologie, ni sur les com-
portements individuels, mais de manière indissociable sur les deux à la
fois. L’organisation du travail est donc un système socio-technique dans
lequel les contraintes techniques et sociales sont en interaction.
Trist expérimenta alors une réorganisation de l’abattage mécanisé par
autorégulation. Les hommes furent libres de composer les trois équipes et
de répartir le travail de chacun au sein des équipes. L’expérience permit de
comparer deux formes différentes d’organisation du travail d’abattage
mécanisé du charbon, sur le même gisement et avec la même technologie
(Trist et al., 1963). La première forme, mise en place à la suite de l’intro-
duction de la mécanisation, était qualifiée de « système conventionnel ».
Elle reposait donc sur une division complexe et poussée du travail, où le
mineur était concerné uniquement par une partie simple de la tâche et où
il n’était partie prenante que d’un nombre très limité de relations sociales
invariables. La seconde forme, issue d’une réorganisation par autorégula-
tion expérimentée par Trist, était qualifiée de « système composite ». Il
mettait le mineur aux prises avec la globalité des tâches, ce qui le condui-
sait à agir en coopération avec différents membres du groupe pris dans son
ensemble. Les résultats obtenus montrèrent clairement la supériorité du
système composite en termes de production et de coût : meilleure produc-
tivité, moins de tâches non productives, moins de nécessité d’un renforce-
ment de la main-d’œuvre et plus de semaines consécutives sans perte de
rythme. La démonstration était faite que pour une technologie donnée, les
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Emery et Trist (1960) ont postulé que la supériorité du « système com-
posite », issu de l’optimisation conjointe des sous-systèmes technique et
social, se situait également dans le fait qu’il répondait mieux aux aspira-
tions des mineurs. De fait, les indices de tension, absentéisme et accidents
du travail, étaient beaucoup plus élevés dans le « système conventionnel ».
Alors que dans ce « système conventionnel », les relations de soutien entre
groupes de mineurs étaient exceptionnelles, elles devenaient la règle dans
le « système composite ». En conséquence, le fait de priver le mineur du
soutien des membres des autres groupes de mineurs dans le contexte d’une
tâche à la fois cruciale et pénible, risquait d’aggraver les situations difficiles
par des conflits interpersonnels.
Les primes furent attribuées aux équipes, selon le principe d’autorégu-
lation, et non plus selon une qualification prédéterminée. Dans le « sys-
tème conventionnel », la distribution de récompense et de promotion
n’était pas liée à l’effort demandé mais établie également en fonction du
pouvoir de négociation des différents rôles et groupes de tâches. Il se pro-
duisait donc un hiatus entre l’effort demandé et la récompense obtenue.
En conséquence, toute demande d’effort supplémentaire pouvait engen-
drer une tension supplémentaire car elle n’était pas perçue comme juste-
ment rétribuée.
En faisant référence aux résultats concordants obtenus dans le contexte
totalement différent des études expérimentales menées par un autre cher-
cheur de l’Institut Tavistock dans des usines textiles d’Ahmedabad en Inde
(Rice, 1958), Emery et Trist (1960) ont précisé les conditions d’applica-
104 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
tion et les limites du principe d’autonomie selon lequel le choix d’un type
d’organisation doit être laissé aux exécutants afin d’intégrer leurs besoins
sociaux et psychologiques. Pour eux, il ne s’agissait pas de maximiser
l’autonomie de groupe. Le niveau optimum de groupement, c’est-à-dire
de définition de la sphère d’autorégulation, ne pouvait être établi que par
l’analyse des conditions du système technologique. Les auteurs ont d’ail-
leurs jugé utile de préciser qu’il n’existait pas de relation simple entre le
niveau d’automation et le niveau de groupement. Se distanciant de l’école
des relations humaines, ils ont souligné que le principe des groupes semi-
autonomes n’avait pas pour vocation à satisfaire un besoin psychologique
d’amitié entre les hommes au travail. Ce sont les conditions d’accomplis-
sement et l’interdépendance des tâches qui conduisent à la coopération et
au lien de camaraderie. La performance des groupes semi-autonomes est
conditionnée par un dosage convenable des compétences spécialisées à
l’intérieur d’un groupe et par le développement d’un système de rôles
appropriés. L’analyse socio-technique permet de mieux définir les rôles de
l’encadrement. Ces rôles résident dans le besoin de contrôler et de coor-
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donner un système incomplet de relations hommes-tâches. Or la défini-
tion de groupements naturels de tâches permet de maximiser la responsa-
bilité autonome des groupes de travail en matière de contrôle et de coor-
dination interne, et donc de libérer partiellement l’encadrement de son
travail de régulation interne pour le rendre plus disponible pour un
contrôle et une coordination élargis à l’ensemble du système sous sa res-
ponsabilité. Il s’agit concrètement de rendre l’encadrement apte à détecter
les conditions-limites du système, à prendre les mesures appropriées,
lorsque ses conditions limites sont atteintes, et à mieux s’occuper des rela-
tions de l’entreprise avec son environnement. En vertu de la nature de
système ouvert de l’entreprise, l’enjeu qui se pose pour le management
d’une entreprise est bien de gérer à la fois un système interne et un envi-
ronnement externe.
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est soumis à des changements dont le taux s’accélère et qu’il évolue vers
une complexité croissante. Pour analyser les processus d’échange qui s’ins-
taurent dans le milieu lui-même et déterminent les conditions de tous les
échanges, les auteurs mobilisent un concept issu de l’analyse sociologique :
« la trame causale de l’environnement » (Tolman et Brunswick, 1935).
Celle-ci rend compte des interdépendances dans le milieu, dues notam-
ment aux effets des réactions des organisations qui le composent. Elle peut
évoluer selon quatre étapes caractérisées par un accroissement des degrés
de complexité, d’interdépendance et d’incertitude.
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L’environnement de la troisième étape (type 3) est un environnement
instable et réactif. Les éléments qui le composent sont en concurrence et
réagissent aux actions des uns et des autres, ce qui donne une dynamique.
Ce type d’environnement correspond au marché d’oligopole. « C’est un
milieu de type 2 où il existerait plusieurs organisations de même statut »
(ibid. : 25). Ces organisations partagent donc une même connaissance du
milieu et le savent. Cette « présence d’homologues (…) crée une imbrica-
tion des liens de causalité dans le milieu environnant. (…) Si la stratégie
consiste à déterminer l’objectif stratégique – où l’on souhaite être dans une
période future – et la tactique, à déterminer une action immédiate parmi
toutes celles possibles », il apparaît « un niveau intermédiaire de réponse
de l’organisation, celui d’opération » (ibid. : 25). Au-delà « d’une suite
ordonnée de choix », il y a l’impératif de choisir « les actions qui élimine-
ront les organisations rivales » (ibid. : 25). La notion d’opération, que les
auteurs ont empruntée à la théorie militaire, renvoie à la préparation à
l’avance « d’initiatives tactiques », à l’estimation de la réaction des organi-
sations rivales et à la prévision de contre-mesures. La souplesse nécessaire
encourage à la décentralisation pour répondre de façon rapide et adaptée
à la périphérie. Les objectifs ne doivent plus seulement être définis en
termes de localisation mais aussi en termes de mobilité potentielle, c’est-
à-dire de capacité à défier ou à faire face à la concurrence. Ce type d’envi-
ronnement peut conduire à des stratégies « d’absorption ou de parasi-
tisme ». La stabilité peut y être atteinte par « des arrangements entre
Frederick E. Emery et Eric L. Trist 107
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ment organisé, sont assez fortes et suffisamment prolongées « pour induire
dans le champ environnant des processus internes », il se produit égale-
ment un « approfondissement de la relation d’interdépendance » entre le
domaine économique et les autres domaines de la « réalité sociale ».
L’environnement des organisations économiques est alors constitué d’un
« réseau de législation et de régulations sociales ». De plus, la recherche et
le développement devenant l’outil concurrentiel essentiel, « le changement
est continuellement présent dans le champ environnant » (ibid. : 26).
Ces forces combinées accroissent brutalement le « domaine d’incerti-
tude pertinente » des organisations. Leurs actions conduisent à des déve-
loppements de plus en plus imprévisibles, qui transcendent la distance et
peuvent s’amplifier de façon inattendue en n’importe quel endroit. Face à
ce phénomène de turbulence, la stabilité de l’organisation ne peut être
atteinte de façon autonome et directe.
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logie sociale », par laquelle les organisations pourraient, par un effort
collectif de système de support mutuel d’arrangements communautaires
pro-actif, construire et contrôler un environnement social et se protéger,
au moins partiellement, des caprices d’un l’environnement naturel exo-
gène. Dans la mesure où des relations de coopération offrent une plus
grande capacité à gérer l’interdépendance que des relations de compéti-
tion, il s’agit de substituer à un ordre fondé sur la lutte pour la domina-
tion, un ordre négocié fondé sur l’accommodation mutuelle des intérêts
légitimes de toutes les parties (Trist, 1977). Dans cette perspective, Trist
(1983) a préconisé la création d’entités organisationnelles intermédiaires
spécifiques pour réguler certains domaines interorganisationnels, c’est-à-
dire coordonner les besoins, les stratégies et les comportements de leurs
meneurs d’enjeux pour y instaurer une dynamique globalement béné-
fique. Cette « entité intermédiaire »2 est une structure sociale d’aménage-
ment du cadre de vie ou de survie des organisations d’un domaine.
Conçue à un niveau intermédiaire entre « la fragmentation sociale », qui
caractérise la rencontre d’intérêts individuels conflictuels, et le recours à
des modalités d’interventions centralisées et hiérarchiques, susceptibles
d’enliser toute initiative dans une dérive bureaucratique, voire totalitaire,
« l’entité intermédiaire » doit produire un leadership et une certaine cen-
tralité pour être efficace. Elle n’a cependant pas pour vocation à se substi-
tuer aux parties prenantes, qui doivent conserver des prérogatives, mais à
2. Trist utilise le vocable « referent organization », en s’inspirant de la notion de groupes de référence.
Nous reprenons ici la traduction de Joffre et Kœnig (1987).
Frederick E. Emery et Eric L. Trist 109
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3. LE BILAN D’UNE DÉMARCHE VOLONTARISTE
Les travaux d’Emery et Trist peuvent être affiliés au courant qui consi-
dère l’organisation comme un système ouvert (Katz et Kahn, 1966). Mais
en montrant, que contrairement au supposé impératif technologique, une
grande latitude existe en matière d’organisation du travail (1960), et en
conjuguant ce refus du déterminisme technologique à un refus du déter-
minisme de l’environnement sur l’organisation (1960, 1965, 1973),
Emery et Trist se sont inscrits dans un courant plus large qui « met (…)
en exergue le rôle pro-actif des managers dans le modelage des domaines
d’activités et des caractéristiques structurelles des organisations et plus
globalement dans la maîtrise de son destin » (Desreumaux, 1998 : 193).
Les principes d’organisation du travail qu’ils ont formulés s’opposent aux
principes tayloriens. Leur conception de la relation de la firme à l’environ-
nement, au travers de l’écologie sociale, contraste avec le courant de l’éco-
logie des populations. Leur démarche de recherche s’est en fait traduite par
une conception volontariste de l’organisation et de ses actions.
Certains aspects de leurs travaux ont fait l’objet de critiques. Dans leur
analyse d’une évolution de l’environnement selon quatre étapes (1965),
Emery et Trist ont fait l’hypothèse d’une relation en quelque sorte linéaire
entre interdépendance des composants, complexité et d’incertitude de
l’environnement. Leur raisonnement pourrait être inversé car les environ-
nements stables et aléatoires (type 1) pourraient ne pas être sans incerti-
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ronnement, constitue une version volontariste et élargie du « processus
d’activation » (enactement) (Weick, 1969).
Enfin, l’écologie sociale qu’ils ont défendue, reste d’une cruciale perti-
nence, tant le système de compétition, légitimé quasi-unanimement par la
quête de l’efficience économique, corollaire supposé du bien-être collectif,
demeure inapte à prendre en compte les coûts externes, sociaux et envi-
ronnementaux. La question qui reste donc en suspens est de savoir quel
type d’environnement est susceptible de succéder à l’environnement tur-
bulent (type 4). Mc Cann et Selsky (1984) ont, à cet égard, postulé l’émer-
gence d’un environnement « partitionné » où les organisations seront
parvenues à créer des îlots de stabilité dans un milieu hyper turbulent.
Certains travaux d’Emery et Trist, et plus largement du Tavistock
Institute, ont été réédités sous l’impulsion de Trist, en trois volumes,
consacrés pour chacun à des perspectives complémentaires en science
sociale : la perspective socio-psychologique (Trist et Murray, 1990), la
perspective socio-technique (Trist et Murray, 1993) et la perspective socio-
écologique (Trist, Emery et Murray, 1997).
© EMS Editions | Téléchargé le 06/08/2020 sur www.cairn.info via Université Yaoundé 2 (IP: 154.126.184.31)
Trist, E. L., Emery, F. E., Murray, H. (Eds.) (1997), The Social Engagement of
Social Science : A Tavistock Anthology, vol. 7 : The Socio-Ecological Perspective,
Philadelphia, PA : University of Pennsylvania Press.
Trist, E. L., Higgins, G. W., Murray, H., Pollock, A. B. (1963), Organizational
Choice : Capabilities of GroupsWork at the Coal FaceUnder Changing
Technologies : The Loss, rediscovery and Transformation of the Work Tradition,
London : Tavistock Publications.
Trist, E. L., Murray, H. (Eds.) (1990), The Social Engagement of Social Science :
A Tavistock Anthology, vol. 1 : The Socio-Psychological Perspective, Philadelphia,
PA : University of Pennsylvania Press.
Trist, E. L., Murray, H. (Eds.) (1993), The Social Engagement of Social Science :
A Tavistock Anthology, vol. 2 : The Socio-Technical Perspective, Philadelphia,
PA : University of Pennsylvania Press.
Trist, E. L., Simon, A. (1970), « Organisation et système », Revue Française de
Sociologie, 11, n° spécial, Analyse des systèmes en sciences sociales, p. 123-
139.
© EMS Editions | Téléchargé le 06/08/2020 sur www.cairn.info via Université Yaoundé 2 (IP: 154.126.184.31)
vol. 16, n° 1, p. 97-116.
VIII. PAUL ROGER LAWRENCE ET JAY WILLIAM LORSCH –
ENVIRONNEMENT, ORGANISATION, ADAPTATION : LA CONTINGENCE
STRUCTURELLE
Patricia Milano
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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Environnement, organisation,
adaptation : la contingence
structurelle
Patricia Milano
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organisationnel se sont intéressées aux relations entre structure et perfor-
mance. Parmi ces travaux, l’ouvrage Organization and Environment
(Lawrence et Lorsch, 1967) constitue une référence majeure qui présente
les fondements d’un nouveau courant en théorie des organisations : la
théorie de la contingence structurelle. Cette théorie stipule qu’il n’existe
pas une forme organisationnelle unique assurant la performance à toutes
les entreprises mais que la structure optimale varie en accord avec certains
facteurs. Ainsi, la théorie de la contingence structurelle s’attache précisé-
ment à découvrir les facteurs de contingence, facteurs déterminants les
structures des entreprises.
Organization and Environment (Lawrence et Lorsch, 1967) ouvre alors
la voie à un nouveau paradigme en développement organisationnel. Dans
ce nouveau champ de recherche, la question de l’adaptation des structures
et styles de management aux caractéristiques spécifiques de l’environne-
ment prédomine. L’ouvrage met ainsi un terme à l’ère du one best way
(Brech, 1957), caractéristique de l’école classique du management dont les
travaux consacrés à la structure organisationnelle, jusqu’à la fin des années
cinquante, se préoccupaient de savoir, quel est le seul et unique meilleur
moyen de gérer et d’organiser l’entreprise.
Ce chapitre a pour premier objectif de présenter les travaux à l’origine
du courant de la contingence structurelle et d’en expliciter les principaux
concepts. Pour comprendre et exposer les éléments de la contingence
structurelle, notre propos se base, alors, uniquement sur l’ouvrage de
Paul Roger Lawrence et Jay William Lorsch 115
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de la théorie classique et laissent déjà entrevoir les prémices de la théorie
de la contingence structurelle. « L’affirmation très largement admise, selon
laquelle il y a des principes de direction valables pour tous les types de
système de production, semble très douteuse – conclusion qui a de
grandes conséquences pour l’enseignement de cette question » (Woodward,
1958).
Dans la même lignée, les recherches menées par Burns et Stalker
(1961) soulignent l’existence d’une très grande variété de méthodes de
direction et de procédures qui les conduisent à classer les entreprises en
deux catégories, les mécanistes et les organiques. Ces travaux constituent
une des contributions les plus importantes à la théorie de la contingence
structurelle car ils offrent une synthèse de la théorie classique et de la
vision du courant des ressources humaines. Ils proposent en outre un
compromis entre les deux théories, en soulignant que les deux peuvent
s’avérer opportunes suivant le contexte organisationnel.
Un ensemble de chercheurs, connu sous le nom de groupe d’Aston (du
nom de l’Université du Royaume-Uni) a également évoqué le besoin
d’appréhender la structure organisationnelle (Pugh et al., 1963). Ils ont
développé un grand nombre de mesures quantitatives de différents aspects
de la structure organisationnelle et mis en évidence que la taille (nombre
d’employés) constituait le facteur qui explique le plus la structuration de
l’organisation : plus l’organisation est grande, plus elle est structurée (Pugh
et al., 1969).
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Soulignant que la relation à l’environnement, en termes de structure,
ne doit pas être appréciée de façon globale, Lawrence et Lorsch (1967)
étudie l’impact du degré d’incertitude de l’environnement sur la structure
organisationnelle en distinguant trois types de facteurs : la connaissance
scientifique, le marché et les facteurs de nature technico-économique.
Il apparaît ainsi que chaque unité de l’entreprise entretient des relations
particulières avec une fraction de l’environnement, dont les caractéris-
tiques contribuent à déterminer son mode d’organisation. La diversité
organisationnelle induite par ces différences environnementales illustre un
concept central la différenciation.
Contrairement à Chandler (1962), le concept de structure organisa-
tionnelle envisagé par les auteurs va au-delà de la simple division formelle
du travail et des systèmes formels de coordination. Il comporte une
dimension informelle renvoyant aux normes de comportements et aux
attitudes des membres de l’organisation. La différenciation se définit alors
comme « les différences d’attitudes et de comportements et non unique-
ment le simple fait du fractionnement et de la spécialisation » au sein de
l’organisation (Lawrence et Lorsch, 1986 : 27).
Quatre dimensions spécifiques des différentes façons de penser et de
travailler des dirigeants dans les diverses unités fonctionnelles des organi-
sations sont identifiées. Elles fournissent, ainsi, un schéma simplifié des
modes de différenciation, c’est-à-dire : « les différences d’orientations
Paul Roger Lawrence et Jay William Lorsch 117
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particulières. Ainsi, les départements de la vente et de la production qui
nécessitent souvent des résultats rapides sont plus axés sur des problèmes
de court terme ; et la recherche, où les résultats tangibles sont plus lents à
obtenir, est d’avantage orientée sur le long terme.
La troisième dimension qui permet d’apprécier les différences entre
départements concerne les types de relations interindividuelles entre leurs
membres. Au sein de chaque département, les individus doivent dévelop-
per, pour être efficaces, différentes relations interpersonnelles en fonction
de la nature de leur tâche. Ceux dont les tâches sont généralement très
précises, comme les directeurs d’usine par exemple, entretiennent des rela-
tions centrées sur la tâche professionnelle et sont peu enclins à entretenir
entre eux des relations sociales très développées. Ceux dont les tâches sont
modérément certaines, comme les dirigeants du marketing, et qui sont
accoutumés à un certain type de relation avec la clientèle ont le souci
d’entretenir avec leurs collègues des relations plus riches.
Les différents modèles de structure formelle constituent une quatrième
dimension de différenciation entre les unités fonctionnelles. À travers ce
dernier critère, il s’agit de répondre à la question : les départements ont-ils
des structures formelles liées au degré d’incertitude de leur environnement
spécifique. Ainsi le département de la production, face à un environne-
ment technico-économique relativement certain peut avoir plusieurs
niveaux hiérarchiques et comporter un intéressement aux résultats en
fonction des coûts, de la qualité, et des systèmes de contrôle qui mesure
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produits à des clientèles nouvelles, maîtriser les approvisionnements, ne
peuvent être résolus sans la collaboration de plusieurs unités plus ou
moins différenciées. Or la différenciation crée des barrières à la communi-
cation entre départements et favorise donc le cloisonnement organisation-
nel. Plus une entreprise est différenciée, plus il est difficile de faire colla-
borer les différentes unités car chaque unité a tendance à ne voir le pro-
blème posé qu’en fonction de son sous-environnement et de ses caractéris-
tiques propres. Ces conflits d’intérêts et d’opinions entre les départements
nécessitent alors la mise en place de mécanismes de résolution des conflits
qui illustrent un deuxième concept majeur : l’intégration.
L’intégration se définit comme « la qualité de la collaboration qui existe
entre des départements qui doivent unir leurs efforts pour satisfaire aux
demandes de l’environnement » (Lawrence et Lorsch, 1986 : 29). L’objectif
des dirigeants, qui est d’aboutir à des décisions interdépartementales per-
mettant de réaliser un plan d’action coordonné implique inévitablement
la résolution de ces conflits entre départements. Quatre facteurs d’effica-
cité dans la résolution des conflits interdépartementaux sont examinés.
La répartition du pouvoir de décision entre les différents départements
constitue un premier facteur. Celui-ci permet de mesurer le degré de
concentration des pouvoirs au sein de l’organisation. En effet, selon la
caractéristique de l’environnement, certains départements s’avèrent plus
ou moins fondamentaux pour la performance globale de l’organisation.
Par conséquent, la répartition du pouvoir de décision entre les différents
départements doit être étroitement liée à cet aspect organisationnel.
Paul Roger Lawrence et Jay William Lorsch 119
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résolution utilisé par les dirigeants soucieux de maintenir des relations
amicales entre les départements. À l’opposé, la direction peut choisir de
contraindre les acteurs en leur imposant sa propre décision. Enfin, la
confrontation ou la résolution des problèmes constitue un type de com-
portement intermédiaire, où les dirigeants choisissent d’examiner franche-
ment les différents points de vue au sein des départements.
Les problèmes d’intégration peuvent être permanents ou conjoncturels,
concerner un nombre plus ou moins grand d’unités et être de nature plus
ou moins opérationnelle. Dans cette perspective, le choix d’un mécanisme
d’intégration dépend de la nature du problème d’intégration à résoudre.
Deux mécanismes d’intégration sont envisagés, la hiérarchie et les fonc-
tions de coordination spécifique.
Lorsque la différenciation est relativement faible, la hiérarchie, associée
à des systèmes formels tels que des procédures, des systèmes de planifica-
tion et de contrôle, permet obtenir le degré d’intégration suffisant pour
atteindre la performance.
Lorsque la différenciation s’accroît, la hiérarchie seule ne peut être suf-
fisante. Il faut alors concevoir des procédures d’intégration complémen-
taires qui rendent la coordination plus flexible et plus adaptable, par une
multiplication des modes de collaboration entre individus. L’organisation
se dote alors de fonctions de coordination spéciales en dehors de la ligne
hiérarchique, tels que des comités ou des départements de coordination
jouant alors le rôle d’intégrateurs.
120 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Au terme de ce développement consacré au travail de Lawrence et
Lorsch (1967), il apparaît que la division du travail entre les départements
d’une part, et la nécessité d’un effort commun entre ces départements
d’autre part, conduisent à divers états de différenciation et d’intégration à
l’intérieur de toute organisation. Le travail met ainsi en lumière, l’exis-
tence d’une relation fondamentale entre les variables de l’environnement
(incertitude, diversité, nature des contraintes), les états internes de diffé-
renciation et d’intégration et les procédures de résolution des conflits.
Mais au-delà de ces conclusions, Organization and Enviroment montre
clairement que les dirigeants ne peuvent être en présence d’une seule
bonne façon d’organiser.
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contingence structurelle stipule, en effet, que les organisations adaptent
leur structure afin de passer de l’inadaptation (misfit), ayant comme
conséquence de mauvaises performances, à l’adaptation (fit) garant de
haute performance et d’efficacité. La variation d’une variable contingente
entraîne l’organisation de l’adaptation à l’inadaptation et de ce fait de
l’équilibre vers le déséquilibre. Les changements structurels sont la consé-
quence de variations de l’environnement. Un modèle proposé par
Donaldson (1987) a conceptualisé le cycle d’adaptation : le Structural
Adjustment to Regain FIT model. L’organisation est à l’origine adaptée et
un changement de facteurs de contingence produit une inadaptation de la
structure à l’environnement qui engendre une sous performance. La struc-
ture est donc modifiée pour être de nouveau adaptée et pour restaurer
ainsi la performance et l’équilibre.
Au-delà de la prise en compte de l’environnement et de la nécessaire
adaptation de la structure à cet environnement, un apport essentiel de la
théorie de la contingence structurelle est d’avoir remis en cause le principe
dominant du one best way des théoriciens classiques en introduisant une
part incontestable de relativisme en matière de structure organisationnelle.
Cette théorie apporte ainsi les bases d’une trame conceptuelle grâce à
laquelle il est désormais possible de créer et gérer des organisations en
fonction des objectifs qu’elles désirent atteindre.
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sagée.
En termes sociologiques, la théorie de la contingence structurelle est
une théorie fonctionnaliste qui explique la structure organisationnelle par
ses conséquences sur la performance. La structure et sa modification au
cours du temps sont le résultat d’une adaptation fonctionnelle en ce sens
où les managers n’ont qu’un rôle réactif visant à permettre l’adaptation de
la structure aux exigences de l’environnement.
La démarche empruntée par les travaux sur la contingence structurelle
est de nature positiviste. L’organisation est appréhendée comme un objet
à part entière doté d’une réalité objective, pouvant être observée et mesu-
rée. Dans cette approche, la structure n’est pas expliquée par des idéolo-
gies, des perceptions d’acteurs, mais par des facteurs eux-mêmes mesu-
rables (la taille, la technologie, le degré d’incertitude, etc.).
Enfin, la théorie de la contingence structurelle adopte une approche
nomothétique qui propose des lois de structuration à vocation universelle.
L’ensemble des travaux de ce courant établit des relations causales, notam-
ment entre le degré de diversification de ses activités et le degré de divisio-
nalisation de la structure, ou encore la taille et le degré de spécialisation
fonctionnelle de la structure, quel que soit le secteur d’activité, ou le pays
d’appartenance de l’organisation.
Paul Roger Lawrence et Jay William Lorsch 123
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autres est un procédé de recherche discuté (Mintzberg 1982). La non-prise
en compte de tous les facteurs de contingence pose un problème de vali-
dité de la mesure, car les coefficients de corrélation mis en évidence se
trouvent alors diminués. Dans cette perspective, certains auteurs comme
Pugh et al. (1968) plaident pour une approche multidimensionnelle afin
de saisir l’influence du contexte sur les structures organisationnelles.
Les méthodes d’observation, de type synchronique, très largement uti-
lisées dans les travaux de la théorie de la contingence structurelle, sont
vivement critiquées. Les observations effectuées au même moment sont
insatisfaisantes dans la mesure où les changements de situation ne se
reflètent sur la structure qu’après un certain délai comme le soulignent
Stopford et Wells (1972).
Enfin, le recours à des concepts abstraits contraint le chercheur à utili-
ser une variable qui ne peut pas être mesurée dans les termes même de
l’organisation (Mintzberg, 1982). Ainsi, pour mesurer le concept de « par-
ticipation », concept abstrait, auquel ne répond aucune mesure unique,
valide et objective, les tenants de la contingence structurelle sont réduits à
utiliser des mesures perceptuelles qui peuvent distordre la réalité. D’autres
chercheurs se sont également penchés sur cette difficulté. Ainsi, Tosi et al.,
(1973), dans leur réplication de la recherche de Lawrence et Lorsch (1967)
ont mis en doute la validité de l’échelle utilisée pour mesurer l’incertitude
de l’environnement.
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Le fondement fonctionnaliste de la théorie de la contingence selon
lequel l’agencement structurel d’une organisation reflète fidèlement les
exigences d’efficience techno-économique associées à son contexte de
fonctionnement est également remis en cause. Une vision plus politique
de l’organisation, qui intègre des éléments tels que l’exercice du pouvoir,
la poursuite d’un intérêt personnel ou encore les stratagèmes utilisés par
les dirigeants pour maintenir une position permet selon Desreumaux
(1998 : 153) une meilleure compréhension de sa structuration.
Enfin, la non prise en compte de la diversité des contextes organisa-
tionnels remet sérieusement en question le caractère nomothétique de la
théorie de la contingence structurelle qui tente d’énoncer des lois générales
sur la structuration des organisations du type « la taille de l’organisation
engendre la bureaucratisation ou l’incertitude de l’environnement déter-
mine la structure » (Desreumaux, 1998 : 155). En effet, les investigations
de terrain réalisées par les travaux fondateurs du courant de la contingence
se sont souvent appuyées sur des échantillons extrêmement vastes et hété-
rogènes rendant ainsi l’interprétativité des résultats très difficile. Holdaway
et al. (1975 : 38), interviennent dans ce sens et soulignent que la première
étude du groupe d’Aston inclut à la fois des bains publics de Birmingham
et une grande entreprise de pneumatiques.
Paul Roger Lawrence et Jay William Lorsch 125
4. MISE EN PERSPECTIVE…
Le courant de la contingence structurelle s’est développé en réaction au
principe du one best way des théoriciens classiques, et selon lequel il existe
une forme universelle d’organisation efficace. Autour des premiers auteurs
qui ont investi ce champ de recherche (Woodward, 1958, 1965 ; Burns et
Stalker, 1961 ; Chandler, 1962 ; Pugh et al., 1963), Organization and
Environment (Lawrence et Lorsch, 1967) marque véritablement l’émer-
gence d’un nouveau paradigme en développement organisationnel. Le
courant de la contingence structurelle, en stipulant que la structure idéale
de l’entreprise est contingente à un ensemble de facteurs qui lui sont
propre, introduit alors la notion fondamentale d’adaptation/cohérence
(fit) qui jusque là était inexistante en management.
Nous avons vu que les critiques et les limites de la théorie de la contin-
gence structurelle sont nombreuses sur le plan méthodologique ainsi que
sur les fondements scientifiques. Soulignons ici qu’une critique essentielle,
est que la théorie n’apporte pas de réponse convaincante à la question
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« pourquoi des entreprises confrontées au même contexte environnemen-
tal réagissent de façons différentes et ce, notamment sur le plan de leur
organisation » Pras et Tarondeau (1979).
Toutefois, ces critiques et ces limites ne semblent pas, à notre sens,
remettre en question le bien fondé du paradigme de la contingence struc-
turelle si on en juge par le nombre de travaux qui ont continué à investir
le champ. Parmi ces recherches certaines ont étudié de nouveaux facteurs
de contingence, comme par exemple, le développement international de
l’entreprise (Stopford et Wells, 1972 ; Egelhoff, 1988 ; Goshal et Nohria,
1989), le degré d’hostilité de l’environnement (Khandwalla, 1977) ou le
cycle de vie d’un produit (Donaldson, 1985). D’autres travaux, plus
récents encore, montrent incontestablement que le paradigme de la
contingence structurelle constitue un courant dominant de la littérature
de gestion actuelle (Chiapello, 1996 ; Ellis et al., 2002 ; Jarley et Fiorito,
1997 ; Peaucelle, 2007 ; Whittington et Mayer, 2000).
Au-delà de la contingence structurelle, notons que dès les années
soixante-dix, de nouveaux paradigmes ont ouvert des perspectives nou-
velles importantes sur les organisations grâce notamment, aux travaux
réalisés en sociologie et en économie. Ainsi, la théorie de l’agence (Jensen
et Meckling, 1976), la théorie de la dépendance des ressources (Pfeffer et
Salancick, 1974), la théorie des coûts de transaction (Williamson, 1975),
la théorie de l’écologie des populations (Hannan et Freeman, 1977) et la
théorie néo-institutionnelle (Powell et DiMaggio, 1991) se sont inscrites
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IX. HENRY MINTZBERG – LES CONFIGURATIONS ORGANISATIONNELLES
Michel Barabel
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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Michel Barabel
IX
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guration »2. Cette dernière cherche à intégrer les apports des neuf princi-
pales écoles de la pensée stratégique identifiées par l’auteur (école de la
conception, de la planification, du positionnement, entrepreneuriale,
cognitive, apprentissage, pouvoir, culturelle et environnementale) en
décrivant une organisation à un moment donné comme une certaine
configuration stable de ses attributs (structure, style de commandement,
stratégies et contexte environnemental).
Notice biographique3
Né le 2 septembre 1939 à Montréal, Henry Mintzberg suit dans un premier temps des
études d’ingénieur à McGill pour lesquelles il obtient un diplôme en Génie Mécanique
(BEng. McGill University, 1961). Après une première expérience professionnelle aux
Chemins de Fer Nationaux Canadiens, il décide de poursuivre ses études en
Management des organisations. Il obtient successivement une maîtrise (BA) à la Sir
George Williams University, puis un troisième cycle (SM) et un doctorat (Ph.D.) à la
Sloan School of Management du MIT (Massachusetts Institute of Technology, Boston,
USA).
1. Le classement Fnege 2016 sur « l’impact de la recherche en management » le classe au 2e rang des
« gurus » du management juste derrière Michael Porter. Henry Mintzberg figure également dans le top
20 dans tous les classements internationaux (FT, Mercer…). Toujours très actif, Mintzberg s’appuie sur
son compte twitter @mintzberg141 (plus de 11 000 followers) pour porter le débat dans l’espace public.
2. Cf. la partie 3 de cet article pour une présentation plus développée de cette théorie.
3. Pour disposer d’une biographie complète, on se réfèrera au site de l’auteur : www.Henry.Mintzberg.
com.
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Encadré 1. Les caractéristiques communes des travaux de
Mintzberg
L’analyse des travaux de Mintzberg permet d’identifier cinq caractéristiques communes
à l’ensemble de ses recherches.
En premier lieu, Mintzberg s’appuie toujours sur une analyse de la littérature extrême-
ment détaillée et exhaustive4 à laquelle il cherche à donner une certaine cohérence en
construisant un cadre d’analyse intégrateur. De fait, dans la majorité de ses travaux,
Mintzberg élabore des typologies et des configurations (rôles du dirigeant, structures
organisationnelles, cycles de changement stratégiques, etc.) qui donnent une vision
synthétique des questions traitées et qui ont certainement contribué à sa notoriété et à
son succès (facilité de compréhension).
Deuxièmement, Mintzberg marque une préférence pour les méthodes de recueil et de
traitement de données de nature qualitative. L’auteur construit des essais théoriques à
partir d’analyse de la littérature et de données empiriques issus d’études de cas appro-
fondies (souvent longitudinales) menées seul, en collaboration ou par ses étudiants.
Troisièmement, les travaux de Mintzberg s’appuient sur l’étude d’organisations très
diverses5 (Hôpitaux, Universités, Grandes entreprises publiques ou privées, PME,
Gouvernements, etc.) À ce titre, Mintzberg accorde une place très importante aux
facteurs de contingence comme facteurs explicatifs des choix organisationnels réalisés.
4. Par exemple, son ouvrage Grandeurs et décadences de la planification stratégique comporte plus de
24 pages de références bibliographiques.
5. À titre d’illustration, sa thèse sur les activités quotidiennes des dirigeants repose sur l’analyse des
responsables d’une grande société de conseil, d’un célèbre hôpital universitaire, d’une grande université,
d’une société de technologie de pointe et d’une grande fabrique de biens de consommation).
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Durant sa recherche doctorale, Mintzberg (1968) s’est intéressé à la
façon dont les managers9 travaillent au quotidien. Après une analyse de la
littérature approfondie qui lui permet de mettre en place un cadre d’ana-
lyse structuré, Mintzberg va suivre cinq directeurs généraux durant une
semaine chacun10. Ses travaux connaissent un retentissement important
(notamment sa typologie des rôles des dirigeants) et vont permettre à
Mintzberg d’acquérir une notoriété significative parmi les auteurs en
management.
6. Par exemple sur le thème de la « formation de la stratégie », son premier article date de 1967. À partir
de 1971, il met en place un programme de recherche et affine ses propositions théoriques (Mintzberg,
1972, 1973, 1978,1987 ; avec Waters, 1985) en intégrant des études de cas successives (par exemple avec
Waters (1982) et McHugh (1985) qui le conduisent à la rédaction d’un livre sur la planification stra-
tégique en 1994 et d’un ouvrage synthétique en 1998 (avec Ahslstrad et Lampel)).
7. Ses ouvrages Le management : Voyage au centre des organisations et Manager, ce que font vraiment les
managers apparaissent comme des recueils de l’essentiel de ses travaux qui permettent de mieux compren-
dre la théorie managériale globale qu’il développe.
8. Ces dernières années, les travaux de Mintzberg ont pris une tournure plus générale. Ils portent sur
l’étude de secteurs névralgiques de la société : l’organisation des soins de santé, les modes de gestion des
États et des gouvernements publics et la refonte de l’enseignement de la gestion. Son dernier ouvrage,
Rebalancing Society se propose de rééquilibrer les forces entre les entreprises, l’État et les communautés
au détriment des premières qui ont selon lui prises trop de pouvoir. Nous ne faisons pas état de ces
travaux dans ce chapitre.
9. Selon Mintzberg, un cadre est une personne investie d’une autorité formelle dans son organisation
(responsabilité d’une sous unité ou de l’ensemble de celle-ci) dont découle un statut particulier et des
devoirs (assurer la production efficiente de biens et de services, organiser les opérations de l’organisation
et en assurer la stabilité, adapter l’organisation de façon contrôlée à son environnement changeant, gar-
antir que l’organisation serve les objectifs de ceux qui la contrôlent, servir de lien-clé dans le domaine de
l’information et faire fonctionner le système statutaire).
10. À cela s’ajoutent entre 1968 et 1973 des études empiriques portant sur de nombreux autres cadres.
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échelle de rôles joués, une infinité de contacts et des informations en
abondance » (Mintzberg, 1980). Le comportement des dirigeants est en
fait un moyen opportuniste de réaliser beaucoup en peu de temps dans le
but de ne pas se couper du flux d’informations incessant qu’ils doivent
maîtriser. Ils vont donc à la fois se surcharger de travail tout en évitant de
perdre du temps, faisant toute chose de façon abrupte et relativement
superficielle.
De façon plus générale, les dirigeants affichent une préférence pour
l’action. Ils privilégient les éléments les plus actifs de leur travail (ce qui est
courant, actuel, spécifique, bien défini, non routinier) au détriment de la
réflexion (la prise de décision stratégique considérée par la littérature tra-
ditionnelle comme primordiale ne correspond qu’à 13 % de leur temps).
Enfin, les managers sont des hommes de contact et de représentation
dont la principale activité est la gestion de l’information (40 % de leur
temps) pour laquelle ils privilégient les contacts avec autrui (en moyenne,
ils passent seulement 22 % de leur temps de travail seul) car ils apportent
de l’information vivante (ton de la voix, expression gestuelle) plus rapide-
ment et plus facilement.
En résumé, le travail du manager apparaît comme étant plus simultané,
global et relationnel que linéaire, séquentiel et ordonné (Mintzberg,
1994 : 326).
11. Ces observations sont en cela conformes à des recherches antérieures (Carlson, 1951 ; Burns,
1958 ; Stewart, 1967, etc.).
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de diffuseur (répartition et diffusion des informations au sein de l’organi-
sation) et de porte-parole (répartition et diffusion de certaines informa-
tions à l’extérieur). Enfin, les rôles décisionnels qui comprennent les rôles
d’entrepreneur (rechercher des opportunités, assurer la conception de la
stratégie et initier les changements), de régulateur (trouver des réponses
aux perturbations inattendues de l’environnement), de répartiteur des
ressources (arbitrer entre les différentes entités de l’organisation) et de
négociateur (représenter l’organisation dans les négociations importantes).
Ces dix rôles ne sont pas dissociables les uns des autres. Ils forment une
gestalt et doivent tous être exécutés par le dirigeant.
Selon Mintzberg, il existe de nombreuses ressemblances fondamentales
entre les postes managériaux mais aussi des différences qui peuvent être
expliquées par l’influence qu’exercent quatre ensembles de variables : les
variables d’environnement (caractéristiques du secteur, de l’organisa-
tion…), les variables liées au poste (niveau hiérarchique, fonction…), les
variables liées à la personne (personnalité, style, etc.) et les variables rela-
tives à la situation (variation du travail dans le temps).
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mation, dont le manager se sert pour inciter les personnes à agir, auquel
correspond deux rôles : communiquer (observateur actif, diffuseur et
porte-parole) et contrôler (directives, conception de la structure, dévelop-
pement de systèmes formels). Le second cercle représente le niveau des
personnes, avec lesquelles le manager peut travailler pour les encourager à
agir, auquel correspond deux rôles : être leader (symbole, création d’une
culture d’entreprise, encouragement)) et relier (agent de liaison). Enfin, le
troisième cercle représente le niveau de l’action, où le manager agit de
façon plus ou moins directe, auquel correspond un rôle : agir (entrepre-
neur, régulateur et répartiteur).
Dans son ouvrage Manager, Mintzberg insiste sur le fait que manager
n’est pas une profession mais une pratique qui dépend la capacité de l’indi-
vidu à articuler trois champs : l’Art (vision, perception créative), l’artisanat
(expérience, apprentissage pratique) et la Science (analyse, données systé-
miques). De ce fait, Mintzberg trouve exagéré la distinction Leader/
Manager (survalorisation du premier sur le second) et pense qu’aujourd’hui
on a tendance à sur-diriger les collaborateurs et à les sous-manager au
risque d’échouer.
12. Mintzberg (1994) cherche par là même à répondre à un certain nombre de critiques sur sa
typologie formulée par un certain nombre d’auteurs (notamment Morse et Wagner, (1978),
Mc Call et Segrist (1980), Martinko et Gartner (1985) et Hall (1985)) qui lui reprochaient en
particulier :
– d’être présentée comme une décomposition en éléments et non comme un modèle interactif ;
– de ne pas avoir pris en compte le rôle de contrôleur qui est pourtant observé dans la réalité.
13. On se réfèrera à l’article de Mintzberg (1996 : 107) paru dans la Revue Française de Gestion pour
visualiser le modèle.
136 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
2. LA DÉTERMINATION DE LA STRATÉGIE
Après avoir étudié les activités quotidiennes des managers, Mintzberg
(1973b) centre sa recherche sur l’une des tâches les plus importantes qui
leur est dévolue : la détermination de la stratégie14. Quatre problématiques
sont étroitement liées à ce thème. Mintzberg en déduit des prescriptions
concernant la formation des dirigeants et les rôles des planificateurs.
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de décisions). Or, si la planification (efforts de formalisation et de finali-
sation) convient particulièrement à un environnement prédictible et
stable, elle est loin d’être efficiente dans d’autres contextes et comporte des
risques importants (Mintzberg, 1994)16. En particulier, la planification, en
mettant en place des systèmes de contrôle stricts, limite l’autonomie et la
flexibilité des acteurs et la capacité d’adaptation de l’organisation. Elle
s’avère alors inefficace et dangereuse dans des périodes de turbulences de
l’environnement car elle tend souvent à remplacer une vision stratégique
par une procédure (l’extrapolation par statu quo) qui décourage la pensée
et le changement stratégique (Mintzberg et Waters, 1982 : 498).
Ainsi, le mode planifié conduit à trois erreurs majeures (Mintzberg,
1994) :
• l’erreur de prédétermination (production de prévisions erronées du
futur, du fait de la complexité et de l’incertitude de l’environne-
ment) ;
14. Ce processus d’élaboration est selon l’auteur fascinant et a constitué son principal thème de réflexion
à travers toute sa carrière. Dès 1971, il engage un programme de recherche où il mène de nombreuses
études de cas (Volkswagen (1920-1974), etc.) pour traquer les stratégies au cours de leur histoire
(Mintzberg, 1990 : 48).
15. Les écoles de la perception et de la planification sont perçues comme étant voisines. Les seules dif-
férences concernent l’acteur-clé du processus (respectivement le PDG et le planificateur), la nature du
processus (informelle contre formelle) et la finalité (stratégies originales contre stratégies efficaces).
16. Mintzberg présente dans le chapitre 3 de son ouvrage une analyse synthétique de nombreuses études
empiriques menées depuis les années sur la performance de la planification. Il s’appuie en particulier sur
l’analyse de huit études empiriques pour affirmer que la planification pratiquée est plutôt un échec, et
qu’elle ne favorise pas l’élaboration de la stratégie.
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a pas eu apprentissage, le second qu’il n’y a pas eu contrôle » (Mintzberg,
1994 : 41). Ces deux modes purs sont en fait les deux pôles d’un conti-
nuum entre lesquelles les stratégies s’inscrivent. On peut donc s’attendre à
trouver des formes imparfaites qui combinent divers états de trois dimen-
sions : les intentions managériales (degré de précision, d’explicitation,
d’adhésion), le niveau du contrôle central sur les actions de l’organisation
(degré de fermeté) et la nature de l’environnement (degré de prédictibilité,
de contrôlabilité et de bienveillance).
Les auteurs en déduisent une typologie de différentes formes de straté-
gies possibles. Dans le tableau ci-après, nous en présentons quelques-unes.
17. Mintzberg (1994) indique que ce détachement empêche le dirigeant d’avoir un accès direct à
l’information et l’empêche de jouer ses rôles de communication identifiés précédemment (cf. 1.).
18. Alors que le mode planifié élabore une stratégie, le mode émergent construit la stratégie et Mintzberg
(1979) préfère alors parler de formation de la stratégie.
19. Selon Mintzberg (1978 : 941), la stratégie peut être vue comme l’interaction entre un environnement
dynamique (qui pousse au changement permanent) et une bureaucratie (qui cherche avant tout à stabi-
liser ses actions et pousse à la continuité) avec la direction faisant l’interface entre les deux. La stratégie
est alors un ensemble de comportements cohérents par lesquels une organisation établit pour un moment
donné sa place dans son environnement.
20. Ce mode doit satisfaire trois conditions strictes : (1) il existe des intentions précises dans
l’organisation, articulées à un niveau relativement précis de détail. (2) Ces intentions sont communes à
la quasi majorité des acteurs. (3) Ces intentions collectives sont réalisées comme prévues. Dans le cas
contraire, on aboutit à une stratégie non réalisée.
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2.3. Le changement organisationnel
Le dilemme fondamental de l’élaboration de la stratégie réside dans le
besoin de réconcilier les forces de la stabilité (tirer une efficacité maximale)
et celles du changement (s’adapter aux évolutions) (Mintzberg, 1990 : 62).
De fait, toute stratégie connaît un cycle de vie (conception, élaboration,
déclin et mort) et on peut alors distinguer alternativement dans les orga-
nisations des périodes de stabilité et de changement.
Mintzberg et Westley (1992) ont formalisé un cadre d’analyse du chan-
gement organisationnel pour décrire le phénomène et ses principales
caractéristiques. Ce cadre assez complexe est décrit comme un système de
quatre familles de cercles en mouvement. Les cercles concentriques repré-
sentent la nature du changement envisagé (changement organisationnel
ou stratégique, aspects conceptuels ou concrets) et le niveau du change-
ment réalisé (révolutionnaire, étape par étape, focalisé, isolé ou incrémen-
tal). Les cercles circonférentiels symbolisent les processus de changement
possible (informel, implicite, importé ou inconscient) et les moyens21
complémentaires de l’orchestrer (le planning procédural conçu au sommet
et délibéré, le dirigeant visionnaire et l’apprentissage inductif de nature
informelle et émergente). Les cercles tangentiels représentent les épisodes
21. Ces trois moyens sont respectivement assimilés au squelette, cœur et sang d’une organisation
(métaphore de l’organisme vivant).
Henry Mintzberg 139
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2.4. La prise de décision stratégique
Les processus de prise de décisions sont intimement liés au processus
d’élaboration d’une stratégie perçue comme un « ensemble structuré de
décisions » (Mintzberg, 1978).
Selon Mintzberg et al. (1978 : 246) : une décision est « un engagement
spécifique (généralement en termes de ressources) à réaliser une action
(signal d’une intention explicite d’agir) » alors que le processus de prise de
décision est défini comme « une série d’actions et de facteurs dynamiques
qui commence depuis le moment où le stimulus est perçu et se termine au
moment où un engagement spécifique est pris » (Mintzberg et al., 1978).
S’appuyant sur les travaux d’équipes d’étudiants en dernière année de
MBA qui étudient durant 3 à 6 mois des décisions prises dans des organi-
sations, Mintzberg et al. (1978) arrivent à une description très différente
de l’image classique et rationnelle du processus décisionnel donnée. Ce
dernier est caractérisé par son manque de programmations, des interrup-
tions continuelles et des blocages liés entre autres à des facteurs politiques
et à des accélérations ou des ralentissements initiés par les décideurs eux-
mêmes. Chaque processus de décision peut être décrit au moyen de sept
types d’activités ou routines (prise de conscience, diagnostic, recherche,
conception, passage au crible, évaluation choix, autorisation) regroupés en
trois phases (identification, développement, sélection). Cependant, selon
les décisions, ces étapes ne se succèdent pas nécessairement dans cet ordre.
140 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Mintzberg propose alors de repenser les rôles des premiers et la forma-
tion des seconds.
Au regard des critiques formulées à l’encontre de la planification,
Mintzberg (1994) propose de transformer les rôles des planificateurs. Ces
derniers n’ont aucun rôle à jouer dans la formation de la stratégie. Ils se
voient confier cinq missions. Ils doivent devenir les détecteurs de stratégies
émergentes (rôle de détectives), les catalyseurs de la formation de la stra-
tégie (favoriser la réflexion stratégique informelle et créative), les analystes
des stratégies proposées (contrôler leur efficacité et le comportement des
acteurs), les programmateurs des stratégies définies par les décideurs (cla-
rifier et préciser la stratégie jusque dans les détails, la traduire dans les
opérations, les procédures et les budgets, etc.) et les communicateurs des
stratégies en interne et en externe. Dotés de ces nouvelles responsabilités,
Mintzberg (1994 : 19) propose « de coupler les capacités et les inclinations
des planificateurs avec l’autorité et la flexibilité des manager de façon à être
sûr d’avoir un processus d’élaboration de la stratégie prenant en compte
les informations, intégrateur et capable de répondre aux changements qui
interviennent dans l’environnement de l’organisation ».
Concernant les dirigeants, Mintzberg identifie trois compétences fon-
damentales pour exercer efficacement ce métier : les capacités d’apprentis-
sage, de synthèse (être doté d’un cerveau créatif capable de synthétiser une
vision) et la capacité à coupler analyse et intuition.
Henry Mintzberg 141
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quelques années dans une classe, elle aura le droit d’atteindre rapidement
une position dominante dans une organisation et un jour la diriger »
(Mintzberg, 2000).
Mintzberg (1990) propose alors de changer les priorités de l’enseigne-
ment en gestion22 : « Il contiendrait moins d’analyse et de prescription et
plus de substance informelle et de perspicacité ». Sa philosophie reposerait
sur une vision du management comme étant une pratique, un art, une
science et un savoir-faire qui se rencontrent (Mintzberg, 2000).
22. Mintzberg a mis en pratique ses théories et créé en 1993 son propre diplôme (l’IMPM : International
Masters in practicing management) avec Jonathan Gosling : réservé aux cadres expérimentés. D’une
durée de 16 mois, il se déroule dans cinq pays (Canada, France, Inde, Japon et Angleterre) et comprend
5 modules de 15 jours (un par pays) 1°) Se manager, l’esprit réflexif ; 2°) Manager les relations, l’esprit de
collaboration ; 3°) Manager les organisations, l’esprit analytique, 4°) Manager le contexte, la vision globale
et mondiale ; 5°) Manager le changement et l’action. Les étudiants voyagent dans chaque campus et
s’immergent dans la culture du pays d’accueil (visite des entreprises locales, expérience de leurs collègues).
Après chaque module, les étudiants retournent travailler et doivent écrire un papier décrivant la façon
dont ce qu’ils ont appris les aide dans leur travail. Ils passent aussi entre chaque module, une semaine
dans le bureau d’un partenaire et prépare ensuite un papier détaillé de leurs observations.
142 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
3. STRUCTURE ET POUVOIR23
Les travaux de Mintzberg qui traitent de la structure et du pouvoir
reposent sur une analyse synthétique de la littérature sur ces questions24 et
s’appuient sur la théorie de la configuration initiée à la faculté de gestion
de McGill (notamment par Pradip Khandwalla) avec le lancement en
1971 d’un important programme de recherches auquel l’auteur va active-
ment participer. Ce courant de recherche est né de la volonté de répondre
à une limite importante de la théorie managériales qui a principalement
cherché à « expliquer le succès d’une organisation par l’utilisation d’un
attribut organisationnel unique » (la stratégie, l’environnement, la struc-
ture ou le dirigeant, etc.) alors qu’une organisation est en réalité une
constellation multidimensionnelle de caractéristiques, de dimensions ou
de composantes qui se manifestent ensemble (notion de couplage). En
n’étudiant qu’un paramètre isolé, les auteurs en management ne peuvent
pas disposer d’une vue d’ensemble de l’organisation. Ainsi, selon
Mintzberg, nous avons besoin de configurations pour comprendre plus
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rapidement et facilement les organisations25.
Une configuration est alors définie comme le co-alignement de diffé-
rents attributs.
La théorie de Mintzberg repose sur deux hypothèses :
• la combinaison des différents attributs ne peut engendrer qu’un
nombre restreint de configurations organisationnelles ayant les
moyens de survivre dans un contexte donné grâce à leur agencement
harmonieux (co-alignement naturel) ;
• les configurations idéales permettent de classer les organisations, de
concevoir des outils de conception et de diagnostic et en définitive
de mieux comprendre la réalité. Cependant, elles n’en sont qu’une
« simplification extrême ». et ne peuvent pas être trouvées telles
quelles. « Mais il y en a qui sont remarquablement proches d’une de
ces configurations alors que d’autres organisations reflètent une
23. La théorie développée par Mintzberg s’est affinée au cours de ses publications. Par exemple, l’auteur
a introduit un nouveau mécanisme de coordination dans son ouvrage de 1990. Nous présentons donc la
version la plus récente des propositions de Mintzberg. L’ouvrage de Jean Nizet et François Pichault
(1995) constitue selon nous une excellente critique des travaux de Mintzberg sur ce thème. De même,
l’ouvrage de Alain Desreumaux (1998 : 156-165) présente une excellente analyse critique de la théorie
des configurations organisationnelles.
24. Mintzberg a compilé et structuré les nombreuses études et publications à sa disposition en faisant le
postulat que les études très ciblées de la littérature sont des reflets de la réalité.
25. Pour Tsoukas, la théorie de la configuration a une vision organiciste du monde. C’est une théorie
synthétique et intégrative qui perçoit le monde au-delà de son apparence, comme étant cohérent et bien
intégré et fait l’hypothèse qu’il existe une logique immanente qui sous-tend la dynamique de l’objet
étudié et le conduit à une certaine forme de structuration (Desreumaux, 1998 : 91).
Henry Mintzberg 143
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de façon efficace, pousse à la centralisation afin de conserver le
contrôle du processus de prise de décisions. Lorsque le sommet
domine, la coalition est dite personnalisée ;
• les cadres intermédiaires responsables de la ligne hiérarchique, char-
gés de la supervision directe des opérateurs, poussent à la balkanisa-
tion afin d’obtenir plus d’autonomie par rapport au sommet. Si cette
force domine, la coalition est qualifiée de divisionnelle ;
• les opérateurs, localisés dans le centre opérationnel, prennent en
charge le travail même de l’organisation (production de biens et de
services) et cherchent à minimiser l’influence des dirigeants et celle
des analystes sur leur travail en encourageant une décentralisation à
la fois horizontale et verticale. Ils poussent vers le professionnalisme
(coalition professionnelle) ;
• les analystes de la technostructure qui sont des spécialistes en charge
de la conception et de l’exploitation des systèmes formels et informels
de gestion poussent en faveur de la standardisation (coalition bureau-
cratique) ;
• les salariés qui exercent les fonctions de support logistique (fourniture
de services internes (par ex. : service juridique) poussent à la collabo-
ration afin qu’on sollicite leurs expertises (coalition innovatrice).
Enfin, le sixième agent présent dans l’organisation a une nature un peu
particulière puisqu’il est inanimé. Il s’agit de l’idéologie de l’organisation
(ou culture d’entreprise) définie comme l’ensemble des croyances parta-
gées par les détenteurs d’influence internes. Elle insuffle une certaine
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si elle est contrôlée par un seul détenteur d’influence, divisée si elle com-
posée de groupes rivaux et passive lorsque le nombre de détenteurs d’in-
fluence qui la composent est si important que le pouvoir se trouve extrê-
mement dispersé. Entre la coalition interne et externe, on trouve le conseil
d’administration qui va réaliser l’interface.
Troisième famille d’attribut : les six mécanismes de coordination.
Les moyens fondamentaux par lesquels les organisations peuvent coor-
donner leur travail sont au nombre de six : l’ajustement mutuel (commu-
nication informelle privilégiée), la supervision directe, la standardisation
des procédés de travail (description des tâches), la standardisation des
résultats (management par objectifs avec autonomie dans le travail), la
standardisation des qualifications (niveau de formation requis, grille
d’emplois, etc.) et la standardisation des normes (comportement dicté par
la culture d’entreprise). Ces six mécanismes sont les éléments les plus fon-
damentaux de la structure. Mintzberg (1990) précise qu’ils constituent le
ciment qui tient les pierres de la bâtisse de l’organisation. Ils coexistent au
sein d’une même organisation mais en général l’un d’entre eux est domi-
nant.
26. Mintzberg accorde une place importante dans ses travaux aux jeux politiques qui présentent selon lui
trois caractéristiques (ils utilisent des moyens illégitimes, les objectifs poursuivis par les acteurs vont à
l’encontre des buts de l’organisation, ils prennent la forme de conflits, d’oppositions, de discordes entre
certains acteurs) et dont il présente treize d’entre eux (jeux de l’insoumission, du parrainage, de la con-
struction d’empire, de la rivalité entre deux camps, du coup de sifflet, etc.).
Henry Mintzberg 145
© EMS Editions | Téléchargé le 06/08/2020 sur www.cairn.info via Université Yaoundé 2 (IP: 154.126.184.31)
ronnement27) influencent les choix des paramètres de conception et inver-
sement. À ce propos Mintzberg a formulé un certain nombre d’hypothèses.
Sixième famille d’attribut : le pouvoir.
Mintzberg (1986) considère qu’un certain type de coalition externe a
plus de probabilité d’être associé à une coalition interne spécifique donnant
naissance à un type d’organisation donnée. Six types d’organisation sont
distinguées (instrument, système clos, autocratie, missionnaire, méritocratie
et arène politique). Par exemple, une coalition externe passive associée à une
coalition interne personnalisée donne naissance à une organisation autocra-
tique.
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Henry Mintzberg 147
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cune force ne domine29. L’organisation fonctionne alors comme une com-
binaison (analogie du jeu de lego) plus ou moins équilibrée de deux
(forme hybride30) ou de plusieurs forces. Ces forces peuvent se rencontrer
plus ou moins directement et l’équilibre peut être stable ou instable.
L’organisation peut aussi combiner différentes formes qui dominent diffé-
rentes parties. De même, certaines organisations peuvent laisser chaque
force dominer alternativement. Cependant, la combinaison n’est pas
exempte de risques. Elle dégénère souvent en conflit entre plusieurs forces
opposées (clivage) qui peut conduire à la paralysie de l’organisation.
Enfin, une organisation, même si elle passe une grande partie de sa vie
dans un état stable, est amenée au cours de son existence à changer de
forme quand celle-ci devient inefficace (sous la pression de l’extérieur ou
des forces internes). Elle va alors se convertir (de façon temporaire ou
permanente) en passant d’une configuration ou d’une combinaison à une
autre et traverser une période de transition plus ou moins longue et
conflictuelle. De fait, une organisation suit souvent un cycle de vie en
28. Nous nous rapportons au chapitre de cet ouvrage sur Kets de Vries car Mintzberg, en reprenant les
travaux de Miller et Kets de Vries (198X) considère que les organisations entrepreneuriale, mécaniste,
professionnelle, divisionnalisée et innovatrice peuvent devenir respectivement dramatique, maniaque,
paranoïaque, dépressive et schizophrène.
29. Sur 132 organisations étudiées par ses étudiants, la moitié était voisine de l’une des sept formes pures.
Les autres correspondaient à des combinaisons (17 identifiées dont la professionnelle innovatrice est la
plus courante) (Mintzberg, 1991 : 60).
30. Mintzberg (1990) cite l’exemple de l’orchestre symphonique qui est une combinaison stable et
uniforme entre les formes professionnelle (compétences des musiciens) et entrepreneuriale (Chef
d’orchestre).
148 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
Conclusion
Aussi bien consultant que chercheur en management et concepteur de
programmes pédagogiques, Henry Mintzberg apparaît comme un auteur
doté de multiples facettes dont les travaux ne peuvent laissés indifférents.
Ce chapitre montre d’ailleurs la richesse et la diversité de ses contribu-
tions. C’est pourquoi en guise de conclusion, il peut être intéressant
d’apprécier son œuvre au regard de ses différentes facettes en dressant un
portrait de l’auteur.
Henry Mintzberg en temps que chercheur a contribué à faire avancé la
recherche en management en proposant des réorganisations conceptuelles
brillantes (Desreumaux, 1998) qui ont le mérite d’intégrer les contribu-
tions de bon nombre d’autres auteurs qui encombraient jusque là le
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champ de l’analyse organisationnelle (Nizet et Pichault, 1995). Sa princi-
pale qualité est d’avoir développée au cours de ces quarante dernières
années une théorie complète et intégrative qui rend compte de la com-
plexité des organisations et de la difficulté de les gérer pour les dirigeants.
Henry Mintzberg en tant que chercheur en Sciences de Gestion est
caractérisé par le faible formalisme méthodologique propre à ses travaux
qui limite leur généralisation et rend difficile leur duplication telle quelle.
En effet, ses protocoles de recherche apparaissent souvent comme peu
rigoureux. De fait, Mintzberg formule rarement un raisonnement scienti-
fique avec élaboration d’hypothèses à tester empiriquement, privilégie
souvent l’interprétation des faits à leur vérification et se soucie peu de la
taille et de la représentativité de ses échantillons.
Mintzberg en tant qu’analyste des organisations a développé une théo-
rie qui permet d’opérer un diagnostic global du fonctionnement d’une
organisation. En revanche, il ne traite pas de deux dimensions importantes
qui permettraient de compléter son approche :
• la dimension individuelle des organisations. L’individu est complè-
tement exclu en tant qu’acteur, dans ses jeux de pouvoir et d’inte-
ractions sociales, pour n’étudier que les masses divisées par grandes
fonctions (Nizet et Pichault, 1995) ;
• et la dimension macro. Les phénomènes macrosociaux (évènements,
évolutions politiques, sociales et économiques) ne sont pas abordés
Henry Mintzberg 149
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plus incontournables dans le domaine du management et l’un des auteurs
dont la lecture s’avère la plus instructive.
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(1998), Strategy Safari, The Free Press
Mintzberg, H., Raisinghani, D. et Theorêt, A. (1976), « The Structure of
“Unstructured” Decision Processes », Administrative Science Quarterly,
vol. 25, juin, p. 465-499.
Mintzberg, H., Waters, J. (1985), « Of Strategies, Deliberate and Emergent,
Strategic Management Journal, vol. 6, p. 257-272.
Mintzberg, H. et J. Waters (1990), « Does Decision Get in the Way »,
Organizational studies, vol. 11, n° 1, p. 1-6.
Mintzberg, H., Westley, F. (1992), « Cycles of Organizational Change », Strategic
Management Journal, vol. 13, p. 39-59.
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l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
Sur une décennie, Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik ont co-signé plus
de quinze articles dans les plus grandes revues, offrant ainsi une des colla-
borations les plus fructueuses que l’on puisse identifier en management :
cinq articles dans Administrative Science Quarterly entre 1974 et 1978
dont l’un (1978-a) a été primé par l’Academy of Management et deux
articles dans Academy of Management Journal (1978 et 1980), entre autres.
Au-delà des revues académiques, certains articles ont été reproduits dans
différents ouvrages entre 1978 et 1989, dont l’un l’a été neuf fois. Le point
culminant de cette collaboration est cependant constitué par un ouvrage-
clé, en 1978, qui présente la théorie de la dépendance des ressources, et
qui reste l’apport fondamental de de cette collaboration. Ce chapitre a
pour objet de présenter essentiellement cette théorie en la resituant dans
son contexte d’émergence et en en soulignant les principaux déterminants.
La période concernée reste celle d’une décennie particulièrement
féconde en perspectives nouvelles pour l’étude du comportement organi-
sationnel. Le contexte académique est alors celui de débats fondamentaux,
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notamment sur le rôle de l’environnement (perspective déterministe
dominante) et Pfeffer et Salancik manifestent une réelle originalité de
pensée. Les théories de l’époque (comportement individuel, motivation,
leadership, communication interpersonnelle, design organisationnel…)
sont orientées par la logique de maximisation de l’utilisation des ressources
par la firme. Imposant une autre approche du problème, Pfeffer et
Salancik discutent des questions ayant trait à l’acquisition de ces ressources
par les organisations. Pour ces chercheurs, la négligence et la sous estima-
tion du contexte social, trop fréquentes dans les développements théo-
riques, ne peuvent conduire qu’à une mauvaise appréhension du compor-
tement de l’organisation. Ainsi, la problématique est moins la maximisa-
tion d’objectifs sous contraintes de ressources disponibles dans l’organisa-
tion, que la maximisation sous contraintes des ressources disponibles dans
l’environnement.
Pour Pfeffer et Salancik, aucune entreprise n’est complètement sous
son propre contrôle. En cela, leur pensée est conforme à la logique domi-
nante de l’époque. Ils développent cependant une perspective qui fait
place à une voie nouvelle : celle du contrôle externe de la firme, laquelle
considère les questions d’acquisition et d’utilisation des ressources comme
stratégiques. Parce qu’elles importent des ressources de leur environne-
ment social, les organisations en dépendent et leur survie est due à des
adaptations internes efficaces, mais aussi à des ajustements avec leur envi-
ronnement.
Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik 153
Notices biographiques
Jeffrey Pfeffer est né en 1946. Il a obtenu, en 1972, un Ph.D. en comportement
organisationnel à l’Université de Stanford. Il a ensuite enseigné à l’Université de
l’Illinois (Urbana-Champaign) de 1971 à 1973, puis à Berkeley en Californie jusqu’en
1979 et à Stanford depuis. À la suite de ses travaux avec Salancik, il a travaillé sur le
management du pouvoir, le management des connaissances ou sur le leadership. Dans
un ouvrage paru en 2015, Pfeffer s’attache à comprendre les causes des échecs, en
matière de leadership et, ce faisant, à proposer une nouvelle conceptualisation du lead-
ership. Il est considéré aujourd’hui comme l’un des penseurs les plus influents en
management.
Gerald Salancik (1943-1996), après une expérience dans le journalisme, est venu à la
recherche académique par le biais de la psychologie sociale expérimentale où il s’est
particulièrement intéressé aux contextes sociaux de l’action (cf. Weick, 1996). En
1970, il est titulaire d’un Ph.D. en psychologie sociale de l’Université de Yale. Son
travail avec Pfeffer a débuté lorsqu’ils ont rejoint ensemble l’Université de l’Illinois et
leur ouvrage The External Control of Organizations est le fruit d’importantes collabora-
tions dès 1971. Salancik a poursuivi ses recherches, toujours centrées sur les contextes
sociaux des actions organisationnelles depuis les Universités de Carnegie Mellon et de
Pittsburg, en Pennsylvanie.
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1. LA THÉORIE DE LA DÉPENDANCE DES RESSOURCES
ÉMERGE DANS UNE DÉCENNIE RICHE
EN PERSPECTIVES NOUVELLES
Jusqu’à la fin des années soixante, la structure de l’organisation est un
élément fondamental de compréhension du comportement de la firme.
Les travaux de Lawrence et Lorsch, de Woodward, mais aussi de Burns et
Stalker en particulier fondent le courant de la contingence structurelle.
Cette conception pose l’organisation comme une entité isolable de son
environnement face auquel elle est contrainte de s’adapter. C’est précisé-
ment ce que remettent en cause les théoriciens des années soixante-dix. En
effet, au cours de cette décennie, trois perspectives nouvelles importantes
pour le champ de la théorie des organisations émergent : La théorie des
coûts de transaction de Williamson (1975), le néo-institutionnalisme
sociologique de Meyer et Rowan (1977) et l’écologie des populations de
Hannan et Freeman (1977) puis de Aldrich (1979)1. Ces trois théories
interrogent de façon nouvelle les rapports que l’organisation entretient
avec son environnement. Les années soixante-dix marquent une rupture
entre une conception dominante globalement relativiste mais très déter-
ministe de l’organisation (école d’Aston) et une perspective plus volonta-
1. Les apports structurants de Williamson, de Meyer et Rowan et d’Aldrich sont traités au sein de
chapitres dédiés dans le présent ouvrage.
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notamment pour parvenir à se procurer les ressources nécessaires.
sions dans lesquelles les organisations vont aller puiser des ressources pour
les autres (conception volontariste). Par conséquent, le mode d’appréhen-
sion de l’environnement est une clé fondamentale de la compréhension du
comportement et des actions organisationnelles, en supposant que chaque
organisation interprète son environnement. Ainsi, il n’existerait pas un
mais des environnements : ceux que les organisations se créent en font
partie. C’est précisément dans cette conception que les travaux de Pfeffer
et Salancik s’inscrivent. De manière plus précise encore, si globalement, la
théorie du contrôle externe marque le caractère volontiers déterministe de
la théorie, la participation de l’organisation à la création (ou ré création)
de son environnement2 atténue la perspective déterministe et consacre la
part volontariste de l’action organisationnelle.
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La perspective du contrôle externe de Pfeffer et Salancik est partagée par
la théorie de l’écologie des populations de Hannan et Freeman. La domina-
tion qu’exerce l’environnement sur les organisations est cependant plus
affirmée encore chez ces derniers. Le rôle de l’environnement suffirait à
expliquer la dynamique des phénomènes organisationnels et l’étude de
populations homogènes d’organisations en concurrence permettrait alors
d’étudier les modalités d’accès aux ressources limitées. Pour Hannan et
Freeman, seul l’environnement sélectionne les entreprises qui survivent ; les
firmes sont difficilement capables de s’adapter tant les forces environne-
mentales sont vives et le rapport de force totalement asymétrique. Pour
Pfeffer et Salancik, si l’organisation connaît également de grandes difficultés
pour s’adapter au système de contraintes représenté par l’environnement,
leur analyse est moins radicale, notamment parce qu’ils n’évacuent pas tota-
lement la dimension stratégique interne de l’organisation3. Pour eux, le rôle
des acteurs de l’organisation, en particulier celui des dirigeants, existe,
même s’il est embryonnaire ou faible. Il est principalement de nature sym-
bolique et vise essentiellement à donner un sentiment ou une apparence de
contrôle sur l’environnement. Le déterminisme reste important.
2. K. Weick (1979) pose le terme d’enactement (voir le chapitre dédié à ce grand auteur dans le présent
ouvrage).
3. Les articles parus dans Administrative Science Quarterly (1974a ; 1974b et 1977c en particulier),
traitant du pouvoir et des stratégies développées pour l’allocation des ressources, l’illustrent.
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nécessité de reconsidérer la notion de frontière
organisationnelle
Différentes conceptualisations de l’organisation cohabitent dans la lit-
térature et les débats sur la notion de frontière invitent prudemment à dire
qu’elles sont floues. Dans une perspective interactionniste, Pfeffer et
Salancik (1977a, 1978b) définissent l’organisation comme une coalition
de groupes d’intérêts, chacun d’entre eux attendant d’obtenir quelque
chose de la collectivité grâce aux interactions avec les autres, et chacun
ayant ses propres préférences et objectifs. Le résultat de ces interactions et
échanges est constitutif de l’organisation. Les acteurs de l’organisation
contribuent à l’activité de la collectivité et reçoivent des salaires pour
s’assurer de sa pérennité. Les organisations sont alors considérées comme
des micro marchés au sein desquels l’influence et le contrôle sont négociés
et alloués en fonction de ce que les participants déterminent comme essen-
tiels pour la survie et le succès de la firme4. Plus précisément, pour Pfeffer
et Salancik (1978b), les frontières d’une organisation sont appréhendées
en fonction des influences qu’elle exerce sur les activités d’un secteur, en
comparaison à l’influence qu’exercent d’autres acteurs sociaux sur les
mêmes activités dans le même secteur. In fine, parce que les organisations
sont des micros marchés, leurs frontières sont définies en termes d’in-
fluence et de contrôle.
4. Sur ces questions, le lecteur pourra utilement se reporter à deux articles des deux auteurs (1977b) et
(1978a).
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prise. Notons alors qu’à partir du moment où la notion de frontière
(interne versus externe) est floue et n’est appréciable que par le seul système
d’influences qui caractérise l’organisation dans son environnement, le
caractère déterministe versus volontariste de la théorie proposée par Pfeffer
et Salancik n’est pas aussi discriminant qu’il ne l’est pour des perspectives
comme l’écologie des populations ou l’évolutionnisme.
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Pfeffer et Salancik (1978b) mettent en évidence différents moyens pour
contrôler des situations d’interdépendance défavorables à une organisation
donnée. Ces techniques impliquent, par exemple, la restriction de l’accès
à l’information sur le fonctionnement des échanges. Il y a une asymétrie
informationnelle : les organisations émettent des demandes et ne savent
pas ce que les autres ont obtenu. Elles sont, de fait, incapables d’évaluer si
leurs propres demandes ont été correctement satisfaites. Elles ont donc
davantage de difficultés à apprécier leur sphère d’influences. Le modèle de
contrôle social externe des organisations développé par Pfeffer et Salancik
cherche, en d’autres termes, à prédire et à expliquer l’occurrence des
actions organisationnelles entreprises pour gouverner le contrôle social des
relations.
Lorsque les entreprises ne parviennent pas à régler les problèmes d’in-
terdépendance qu’elles rencontrent ou lorsque les ressources pour y parve-
nir sont trop largement dispersées, les organisations essaient alors d’utiliser
à leur avantage un pouvoir social plus large. En d’autres termes, quand le
contrôle de la dépendance externe par le contrôle des ressources est diffi-
cile, les organisations ont recours à la sphère politique pour tirer parti du
pouvoir social légal. Elles sont alors tentées de s’impliquer dans la vie
politique (lobbying notamment) quand les activités des gouvernements
5. On note la proximité ici avec les travaux de Cyert et March (1963).
6. Les auteurs soulignent à ce propos que, excepté Mintzberg, cette activité symbolique a été négligée
dans les recherches passées.
7. Les articles de Leblebici et al. (1976) et de Pfeffer et Salancik (1977a) offrent un éclairage particulier
sur l’approche managériale en fonction des contraintes représentées par le contexte social.
Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik 159
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La compréhension du cadre théorique de la dépendance des ressources
fait apparaître que, outre les notions précédemment évoquées, d’autres
concepts en constituent le socle. Ainsi, les concepts d’efficacité organisa-
tionnelle et de contrainte « positive » contribuent à préciser le cadre de
pensée des auteurs. Au-delà, la conception de l’environnement mobilisée
dans leurs travaux est très proche de celle développée quelques années plus
tôt par K. Weick.
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manière dont une organisation rencontre les demandes de groupes divers
et d’organisations concernées par ses activités. Le plus significatif aspect de
ce concept est que l’efficacité est toujours, au final, évaluée et jugée par des
instances externes à l’organisation (ex. de la firme automobile : son effica-
cité est jugée par les clients et par les instances dirigeantes, non par les
constructeurs eux-mêmes…). Cela ne signifie pas pour autant que l’orga-
nisation soit à la merci de son environnement. L’organisation peut et doit
manipuler, influencer et créer de l’acceptabilité pour elle-même et pour ses
activités. L’efficacité des organisations serait donc, finalement, une ques-
tion socio-politique. L’efficience organisationnelle, quant à elle, est un
« standard interne » de performance. L’efficience est mesurée par un ratio :
ressources utilisées sur ressources produites. Mais, parce que l’efficience
implique de toujours mieux faire, les pressions externes sur l’organisation
sont souvent définies de manière interne, remarquent Pfeffer et Salancik.
L’efficacité est une évaluation externe de ce que les organisations font,
alors que l’efficience est une évaluation interne de la quantité de ressources
consommées dans le processus d’action organisationnelle.
Le concept d’environnement est important pour apprécier l’efficacité
organisationnelle notamment parce qu’elle est évaluée par des éléments
externes à l’organisation, à l’aune de critères propres à chaque évaluateur.
Reste le problème de sa définition. Pour Pfeffer et Salancik, les environne-
ments des organisations sont créés par un processus d’attention et d’inter-
prétation. Les systèmes d’information organisationnels sont alors les sup-
ports ou vecteurs de ce dernier.
Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik 161
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unes des images qu’il a oubliées. Selon Pfeffer et Salancik, les deux proces-
sus sont mobilisés par l’acteur qui interprète les événements de son envi-
ronnement. L’implication principale de cet argument est que la création
de sens est rétrospective et que les actions ne sont connues que lorsqu’elles
ont été menées en totalité. Ainsi, toutes les perceptions de l’environne-
ment sont des représentations : ce qu’un individu perçoit n’est pas un
stimulus, mais la représentation qu’il s’en fait.
Les premiers travaux de Weick (1969) ont des implications considé-
rables pour la compréhension des actions organisationnelles. À partir du
moment où les organisations construisent leur environnement autant
qu’elles sont structurées par celui-ci, on ne doit plus considérer qu’il existe
un, mais des environnements. Et parler des contextes séparément d’orga-
nisations particulières n’a plus beaucoup de sens : l’un ne va pas sans
l’autre11.
Pour Pfeffer et Salancik, il est important de reconnaître que les actions
organisationnelles sont déterminées par un environnement co-construit
(enacted) – l’organisation répond à ce qu’elle perçoit et croit dans le
monde qu’elle perçoit. L’enactment suggère, entre autres, qu’une attention
plus grande doit être accordée au management de l’acquisition de l’infor-
mation et aux déterminants du processus d’attention12 dans les organisa-
tions. Pour décrire le processus de construction de l’environnement,
11. Cette idée est déjà présente chez Lawrence et Lorsch (1967) pour qui la détermination de
l’environnement ne peut être faite indépendamment de l’organisation que l’on considère.
12. Le processus d’attention est restrictif : on ne peut multiplier les sources d’attention simultanément.
162 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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d’être une contrainte ! Ceci explique, selon Pfeffer et Salancik, la faible
variance entre les actions, mais aussi le peu de divergence sur l’apprécia-
tion de ces mêmes actions en termes de performances individuelles et
organisationnelles. Si les individus ont, d’une certaine manière, plus de
facilité à agir parce, paradoxalement, ils agissent sous contrainte, cela
n’implique pas pour autant qu’ils peuvent créer « la réalité » qu’ils sou-
haitent. Autrement dit, la contrainte est positive pour l’action mais ne
permet qu’un nombre limité d’actions et demeure une restriction du
champ des possibles. Réapparaît ici le poids de la dissymétrie dans le sys-
tème d’influences permettant de qualifier un environnement organisation-
nel particulier.
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question est finalement de savoir ce qui détermine le niveau de ce libre
arbitre et comment les processus administratifs étendent ou limitent la
liberté d’action. Pfeffer et Salancik montrent que la communication orga-
nisationnelle est l’élément commun de toutes les stratégies envisagées pour
« négocier » l’environnement au sens où elle apparaît comme le meilleur
prédicateur des liens inter firmes. En outre, les efforts prodigués par les
organisations pour établir des conditions environnementales favorables se
font à travers des actions de régulation, mais aussi par le biais d’actions
politiques. Au-delà, les organisations agissent pour atteindre une légiti-
mité sociale et, occasionnellement, poursuivent la quête de cette légiti-
mité à travers un processus d’identification à d’autres acteurs sociaux
légitimes.
Le travail de Pfeffer et Salancik, si souvent cité en management, repré-
sente à la fois une modélisation du comportement organisationnel et un
schéma prescriptif pour piloter les organisations afin d’en assurer la survie.
En étudiant les rapports de l’entreprise à son environnement mais aussi les
logiques politiques intraorganisationnelles à l’œuvre pour décider de l’allo-
cation des ressources, ils mettent en évidence la nature des liens qu’entre-
tiennent les firmes avec leurs environnements respectifs, dans une logique
qui sert conjointement leur structuration interne et leur survie.
13. Globalement, la croissance et la taille sont deux facteurs corrélés positivement à la capacité de survie
des organisations parce qu’elles leur procurent davantage de pouvoir dans leur environnement et
impliquent davantage d’acteurs concernés par leur survie. La fusion entre firmes apparaît ainsi comme
un moyen d’absorber l’interdépendance et de réduire le contrôle externe.
164 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Pfeffer, J., Salancik, G. (1975), « Determinants of Supervisory Behavior : A Role
Set Analysis », Human Relations, vol. 28, p. 139-154.
Pfeffer, J., Salancik, G. (1977), « Constraints on Administrator Discretion : The
Limited Influence of Mayors on City Budgets », Urban Affairs Quarterly,
vol. 12, p. 475-498.
Pfeffer J., Salancik, G. (1977), « Organization Design : The Case for a Coalitional
Model of Organizations », Organizational Dynamics, vol. 6, p. 15-29.
Pfeffer, J., Salancik, G. (1977), « Organizational Context and the Characteristics
and Tenure of Hospital Administrators », Academy of Management Journal,
vol. 20, p. 74-88.
Pfeffer, J., Salancik, G. (1977-b), « Who Gets Power – And How They Hold on
to It : A Strategic-Contingency Model of Power », Organizational Dynamics,
vol. 5, p. 3-21.
Pfeffer, J., Salancik, G. (1977-c), « An Examination of Need-Satisfaction Models
of Job Attitudes », Administrative Science Quarterly, vol. 22, p. 427-456.
Pfeffer, J., Salancik, G. (1978), « Uncertainty, Secrecy, and the Choice of Similar
Others », Social Psychology (formerly Sociometry), vol. 41, p. 246-255.
Pfeffer, J., Salancik, G. (1978-b), The External Control of Organizations : A
Resource Dependence Perspective, New York : Harper and Row.
Pfeffer, J., Salancik, G. (1980), « Effects of Ownership and Performance on
Executive Tenure in U. S. Corporations », Academy of Management Journal,
vol. 23, p. 653-664.
Pfeffer, J., Salancik, G. (1977-a), « Administrator Effectiveness : The Effects of
Advocacy and Information on Resource Allocations », Human Relations,
vol. 30, p. 641-656.
Pfeffer, J., Salancik, G. (1978-a), « A Social Information Processing Approach to
Job Attitudes and Task Design », Administrative Science Quarterly, vol. 23,
Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik 165
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XI. PAUL DIMAGGIO ET WALTER W. POWELL – DES ORGANISATIONS EN
QUÊTE DE LÉGITIMITÉ
Isabelle Huault
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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de légitimité
Isabelle Huault
XI
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168 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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mique (Jensen et Meckling, 1976 ; Williamson, 1979) orientée vers une
conception instrumentale des institutions, et la tradition sociologique
(Meyer et Rowan 1977 ; Scott, 2001 ; Tolbert et Zucker, 1996) attachée
à une définition plus extensive de celles-ci comme véritable moyen de
coordination sociale3, les prémisses paraissent à bien des égards éloignés.
Contre l’individualisme méthodologique revendiqué par la première, la
seconde affirme l’importance de niveaux intermédiaires voire macro-
sociaux. En outre, face à la perspective utilitariste de la pensée économique
néo-institutionnelle, l’approche sociologique souligne que les structures
formelles ont des propriétés tout autant symboliques que fonctionnelles et
que l’adoption d’une structure peut survenir indépendamment des pro-
blèmes de contrôle et de coordination qu’une organisation doit affronter
(Meyer et Rowan, 1977). En réponse à l’analyse exclusivement écono-
mique de la première, la seconde s’inscrit à la suite de March et Simon,
1. Meyer J. et Rowan B. (1977) « Institutionalized Organizations : Formal Structure as Myth and
Ceremony », American Journal of Sociology, vol. 83, 1977, p. 340-363.
2. DiMaggio P.J. et Powell W.W. (1983), The Iron Cage Revisited : Institutional Isomorphism and
Collective Rationality in Organizational Fields, American Sociological Review, vol 48, April, 147-160.
Powell W.W. et DiMaggio P.J. (Eds.) (1991), The New Institutionalism in Organizational Analysis,
Chicago : University of Chicago Press.
3. Peu de définitions consensuelles se dégagent de la littérature académique concernant le concept
d’institution. Durkheim (1893) appréhende par exemple les institutions comme « manières de sentir, de
penser et d’agir qui permettent au groupe de gérer leur problème d’interdépendance et d’incertitude ».
L’institution comprend une dimension habilitante en tant que dispositif de coordination et une
dimension contraignante puisqu’elle exerce des pressions sur les acteurs encastrés dans des logiques
sociales plus globales. On retiendra ici la définition de Jepperson (1991) qui définit l’institution comme
un schéma d’interprétation, un ensemble de représentations acceptées socialement, un système de règles
conduisant à la reproduction de routines au sein d’un champ.
Paul DiMaggio et Walter W. Powell 169
Notices biographiques
Depuis 2015, Paul DiMaggio est professeur de sociologie à la New York University. Il
a auparavant été professeur de sociologie à l’Université de Princeton (1992-2015) et a
enseigné à l’Université de Yale dans la School of Organization and Management de
1979 à 1992. Né en 1951, il est diplômé de l’Université de Harvard où il a soutenu sa
thèse de doctorat en sociologie en 1979. Ses principales publications portent tout à la
fois sur l’analyse organisationnelle, la stratification sociale, les organisations non
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marchandes et la sociologie de la culture. Dans le domaine de la théorie des organisa-
tions, il est l’auteur de The New Institutionalism in Organizational Analysis (Ed avec
W.Powell, Chicago, University of Chicago Press, 1991) et de Structures of Capital : The
Social Organization of Economic Life (Ed avec S.Zukin, New York, Cambridge
University Press). Il a également écrit plusieurs dizaines d’articles. Il est membre du
comité éditorial de Administrative Science Quarterly, rédacteur en chef de Theory and
Society et rédacteur en chef associé de Poetics.
Walter W. Powell est, quant à lui, professeur de sociologie à l’Université de Stanford
depuis 1999, après avoir enseigné à l’Université de l’Arizona (1988-1999) et à Yale
(1979-1987) où il fut professeur de management. Né en 1951, il a soutenu sa thèse de
doctorat en sociologie en 1978 à l’Université de l’État de New York à Stony Brook. Ses
travaux s’inscrivent dans le champ de la théorie des organisations et de la sociologie
économique. Ses principales recherches ont d’abord porté sur les organisations non
marchandes et l’ont conduit à publier en 1987, l’ouvrage de référence The Non Profit
Sector. Il s’intéresse aujourd’hui plus particulièrement aux réseaux comme formes de
coordination de l’échange économique. Ses contributions récentes s’inscrivent dans
cette perspective, comme le met en évidence sa série d’articles co-écrits avec Ken Koput
sur la structure en réseaux dans les industries de biotechnologie, ou le chapitre
« Neither Market, Nor Hierarchy : Network Forms of Organisations » (in Cummings
et Staw (Eds.), Readings in Organizational Behavior, Greenwich, Conn : JAI Press, 12 :
295-336).
170 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
1. SIMILARITÉS ORGANISATIONNELLES ET
HOMOGÉNÉISATION STRUCTURELLE
Le point de départ de la réflexion de DiMaggio et Powell (1983) réside
dans l’interrogation fondamentale : pourquoi les organisations deviennent-
elles similaires ? L’intention est d’opérer une rupture avec les questionne-
ments classiques de la théorie des organisations qui s’intéresse plus volon-
tiers à la diversité des formes structurelles (Woodward, 1965 ; Hannan et
Freeman, 1977), et d’expliquer la propension des organisations à se res-
sembler.
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l’ordre rationnel est devenu une véritable « cage de fer » et l’esprit rationa-
liste constitue un tel moyen de contrôle des individus que la bureaucrati-
sation est un processus irréversible. DiMaggio et Powell reconnaissent à
l’instar de Weber que la bureaucratisation représente un vecteur important
de l’homogénéisation des entreprises et des États. Ils suggèrent néanmoins
que les causes de la rationalisation ont changé et sont moins le fait de la
concurrence et de la recherche d’efficacité que de facteurs de nature insti-
tutionnelle. En phase de développement et de maturité, la structuration
des champs organisationnels est profondément modelée et canalisée par
les arrangements institutionnels qui entretiennent une tendance inexo-
rable à la similarité. C’est ainsi que DiMaggio (1981) décrit l’émergence
de modèles organisationnels dominants pour la production de services
culturels hauts de gamme aux États-Unis à la fin du XIXe siècle ou que
Coser, Kadushin et Powell (1982) montrent le passage d’une diversité à
une homogénéité structurelle chez les éditeurs de livres universitaires amé-
ricains. Ce modèle structurel dominant forme, pour DiMaggio et Powell,
un champ organisationnel, concept-clé de la sociologie néo-institutionna-
liste. Le champ organisationnel est le résultat d’un ensemble varié d’acti-
vités provenant de diverses organisations et définit un domaine reconnu
de vie institutionnelle, tels que les fournisseurs-clés, les clients, les agences
de régulation et les organisations concurrentes. L’intérêt de ce niveau
d’analyse intermédiaire est de focaliser l’attention sur la totalité des acteurs
pertinents structurant un système, dont la logique de fonctionnement est
propre, au-delà du seul domaine économico-concurrentiel.
Paul DiMaggio et Walter W. Powell 171
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et Powell, 1991 : 11).
Le concept de « champ organisationnel » permet, tout en insistant sur
le rôle des acteurs, de réintroduire l’importance des contextes dans l’étude
du comportement organisationnel et de construire des modèles plus
mésoscopiques. Il dresse ainsi un pont entre niveaux d’analyse et relie
actions individuelles et influences macro-sociales.
En outre, la conception de l’organisation luttant pour l’obtention de
ressources rares dans son secteur économique est revisitée pour y ajouter
des enjeux en termes de légitimation au sein de l’ensemble du champ
(Bensedrine et Demil, 1998 : 97). Qu’il s’agisse du champ interorganisa-
tionnel (Aldrich, 1972) ou organisationnel (DiMaggio et Powell, 1983),
du réseau interorganisationnel (Benson, 1975), du système industriel
(Hirsch, 1972), ou encore du secteur sociétal (Meyer et Scott, 1983),
l’ensemble de ces dénominations a bien pour objet de placer l’accent sur
les vertus d’une unité d’analyse, qui, au-delà du seul marché économique,
permet de considérer l’ensemble des organisations formant un système4.
4. Mais comme le soulignent les institutionnalistes eux-mêmes, cela n’exclut pas les problèmes
méthodologiques liés à la détermination et à la délimitation du champ organisationnel adéquat.
172 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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survie et à leur propre institutionnalisation. En ce sens, les composantes
politiques voire rituelles de la vie organisationnelle surpassent la poursuite
de l’efficacité. On ne trouve dès lors que des définitions socialement
construites de la performance car, pour survivre, les organisations
n’adoptent pas nécessairement les pratiques les plus appropriées aux exi-
gences économiques du moment, mais celles qui apparaissent les mieux
acceptées socialement. Les explications de l’isomorphisme institutionnel
sont articulées simultanément autour de l’émergence d’un discours nor-
matif et des pressions que les organisations et les acteurs exercent les uns
sur les autres. Ce phénomène permet tout à la fois de comprendre les
dynamiques d’homogénéisation et de structuration des champs mais aussi
la dimension parfois très irrationnelle voire ambiguë des processus organi-
sationnels, dont les fondements ne sont pas ceux de l’optimalité écono-
mique.
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turés hiérarchiquement.
L’isomorphisme normatif se distingue, au niveau analytique, du précé-
dent, par l’importance accordée au phénomène de professionnalisation. La
professionnalisation est ici appréhendée comme l’ensemble des efforts
collectifs des membres d’une profession pour définir leurs conditions et
méthodes de travail et établir une base légitime à leurs activités, leur garan-
tissant un degré d’autonomie suffisant. Deux aspects de la professionnali-
sation sont considérées comme des sources importantes d’isomorphisme :
l’un concerne les dispositifs d’éducation formelle, l’autre est relatif à la
croissance des réseaux professionnels par lesquels les modèles organisation-
nels se diffusent. De tels mécanismes produisent des individus quasi inter-
changeables qui réagissent de façon quasi identique, quels que soient les
contextes et les situations. La professionnalisation entretient l’uniformité,
la reproduction mais aussi la socialisation, au travers de pratiques langa-
gières voire vestimentaires communes. Ainsi, les membres de la profession
décident et agissent non pas mus par la recherche de l’optimum écono-
mique mais surtout par la démonstration de la conformité de leurs déci-
sions aux normes produites par la structure sociale. Ces normes ainsi
produites et copiées engendrent, dans un processus toujours renouvelé,
une homogénéisation croissante des structures. Pour apparaître profes-
sionnel, il faut produire des normes à fondements cognitifs qui légitiment
l’autonomie professionnelle. Dans cet esprit, les décideurs sont amenés à
donner l’illusion qu’ils se comportent de manière rationnelle en adoptant
des normes de comportement et les techniques perçues comme les plus
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prend la forme de l’imitation des comportements les plus facilement iden-
tifiables ou les plus utilisés par les organisations apparaissant comme légi-
times dans un champ. En ce sens, le processus de sélection des innovations
est plutôt guidé par les tendances à l’isomorphisme mimétique que par
l’amélioration des performances. L’intervention des consultants ou la mul-
tiplication des associations professionnelles expliquent pour partie ce
processus d’imitation, parfois inconscient.
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et des modes d’action au sein d’un système organisationnel : par exemple,
la dépendance d’une organisation vis-à-vis d’une autre organisation,
l’ambiguïté de ses objectifs, le rôle de l’incertitude, l’importance du degré
de professionnalisation et de structuration d’un champ.
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et le rôle du décideur dans un tel système. Structures et comportements
organisationnels sont surtout fondés sur les institutions « tenues pour
acquises » et non sur une quelconque maximisation des stratégies des
acteurs. Les règles du jeu institutionnalisées constituent la source princi-
pale de coordination en palliant l’incertitude. Certaines croyances et pra-
tiques sont ainsi tellement intériorisées par les organisations qu’elles en
deviennent invisibles aux acteurs qu’elles influencent. Fait social total,
l’institution constitue la seule manière concevable, évidente, naturelle de
conduire l’activité organisationnelle. Pour le dire autrement, l’institution
devient, dans cette acception, une « réalité objective », indépendante de
tout agencement humain (Willmott, 2011).
De façon générale, les théoriciens institutionnalistes ont préféré l’étude
de la conformité à celle de la résistance, de la passivité au volontarisme, de
l’acceptation à la manipulation politique. Les avantages de la conformité
aux normes sociales se manifestent d’ailleurs dans la variété des récom-
penses dont les firmes peuvent bénéficier : prestige accru, stabilité, légiti-
mité, soutien social, accès aux ressources, attraction d’un personnel de
qualité, reconnaissance par la profession et le secteur d’activité.
Malgré les critiques souvent émises, cette perspective théorique permet
cependant d’attirer l’attention sur des dimensions souvent ignorées ou
négligées dans l’analyse des organisations : l’influence des pressions éta-
tiques, sociétales et culturelles plutôt que celle des forces du marché et de
la rareté des ressources, les effets de l’histoire, des réglementations plutôt
que ceux de l’autonomie de l’acteur. Cela permet même d’expliquer dans
Paul DiMaggio et Walter W. Powell 177
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Il apparaît en premier lieu que les règles institutionnelles n’appellent
pas des réponses unanimes et homogènes et rendent souvent nécessaire un
comportement discrétionnaire. L’introduction de la notion d’entrepreneur
institutionnel par P. DiMaggio (1988), laquelle a donné lieu au dévelop-
pement de nombreux travaux mobilisant ce concept (voir le numéro spé-
cial d’Organization Studies de juillet 2007 et Leca, Battilana, Boxenbaum,
2008), montre que certains acteurs ont des intérêts particuliers dans l’éta-
blissement et le maintien de structures institutionnelles qui préservent leur
intérêt. Si les institutions constituent des dispositifs qui structurent l’inte-
raction humaine et réduisent l’incertitude, ceci n’exclut pas l’agencement
humain ou managérial. La démarche de C. Oliver (1991) vise précisément
à instiller plus de volontarisme dans l’analyse institutionnaliste. L’auteur
décline de façon systématique l’ensemble des manœuvres stratégiques
pouvant modeler l’environnement. Cinq types de manœuvres sont recen-
sées : l’acceptation, le compromis, l’évitement, la contestation et la mani-
pulation. Plus récemment, les contributions portant sur le travail institu-
tionnel (Lawrence et Suddaby, 2006 ; Lawrence, Suddaby et Leca, 2011),
mettent l’accent sur les dynamiques de création, de maintien voire de
destruction des institutions.
Ainsi, la prégnance des institutions n’exclut pas le volontarisme. Par
exemple Greenwood, Suddaby et Hinings (2002) en sont venus à dévelop-
per un véritable modèle du changement institutionnel en six phases qui
prend en compte les phénomènes d’institutionnalisation et de désinstitu-
tionnalisation en considérant le rôle des acteurs, leur marge de manœuvre
178 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
Conclusion
La démarche de DiMaggio et Powell dépouille les interprétations de
l’argument utilitariste et soutient que la recherche de légitimité est, pour
les entreprises et les organisations, plus importante que la quête exclusive
d’efficacité. Elle permet ainsi de mieux comprendre des dynamiques orga-
nisationnelles complexes et comporte des implications importantes en
termes d’agenda de recherche pour le management.
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Avec d’autres tenants de la sociologie économique, DiMaggio et Powell
ré-affirment avec force l’inscription institutionnelle des organisations,
qu’il s’agisse d’un encastrement politique, culturel, cognitif voire relation-
nel. En s’intéressant à l’articulation des phénomènes économiques et
sociaux, ils introduisent une dimension proprement sociologique dans
l’analyse économique conventionnelle. En explorant le thème du change-
ment, ils placent au cœur de leurs préoccupations, la question de l’institu-
tionnalisation des pratiques, de leur reproduction, de leur diffusion voire
de leur transformation. Les domaines couverts par la théorie néo-institu-
tionnaliste revêtent également des implications pratiques, telles que l’iden-
tification de facteurs pouvant freiner ou au contraire favoriser le maintien
et l’établissement de la légitimité. Le champ organisationnel comme unité
principale et systématique d’analyse constitue à cet égard une voie métho-
dologique féconde et permet d’appréhender plus finement les marges de
manœuvre réelles dont disposent les acteurs. Dans cet esprit, la sociologie
néo-institutionnaliste, telle que mise en lumière par les contributions ori-
ginales de Paul DiMaggio et Walter Powell, constitue un cadre théorique
fécond pour les sciences de l’organisation, au point que cette théorie est
aujourd’hui devenue centrale, sinon hégémonique, en management
(Allard-Poesi, Germain, Huault, Kœnig, 2015). Bien qu’elle mette l’ac-
cent sur les phénomènes d’isomorphisme et de soumission des agents aux
structures sociales, elle s’est récemment imposée grâce au tournant « agen-
tiel » et créatif, lequel en insistant sur le changement institutionnel, pro-
meut le rôle de l’acteur, de l’entrepreneur institutionnel et plus récemment
du travail institutionnel.
Paul DiMaggio et Walter W. Powell 179
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Paul DiMaggio et Walter W. Powell 181
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XII. THOMAS B. LAWRENCE ET ROY SUDDABY – LE TRAVAIL
INSTITUTIONNEL : LE RÔLE DES ACTEURS DANS LA RELATION
INSTITUTION ORGANISATION
Benjamin Taupin
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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Le travail institutionnel :
le rôle des acteurs dans
la relation institution
organisation
Benjamin Taupin
Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby 183
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nelles s’inscrivant dans ce que l’on appelle le néo-institutionnalisme socio-
logique – une approche à laquelle les auteurs se réfèrent en parlant
« d’approches institutionnelles des études organisationnelles » dans leur
chapitre de 2006. Ces études se sont focalisées sur l’étude des similarités
organisationnelles prenant leur origine dans des conditions institution-
nelles, qu’il s’agisse par exemple de pratiques, de technologies ou de règles
(pour une description détaillée, se reporter à Huault, 2009). En dévelop-
pant ce raisonnement dans des contextes sectoriels variés et à différents
niveaux d’analyse, aussi bien au niveau international que national par
exemple, ces études ont certes montré la pertinence d’une telle perspec-
tive ; elles ont cependant également largement ignoré le rôle des acteurs
dans ces processus.
Bien que de nombreuses définitions de la notion d’institution puissent
être trouvées dans la littérature, les études se réclamant du néo-institution-
nalisme adoptent une perspective commune. Elles conçoivent l’institution
comme un élément durable de la vie sociale dont l’effet est profond sur les
comportements et les représentations des acteurs individuels ou collectifs.
En particulier, l’accent a été mis sur l’institution au sens cognitif, appré-
hendé notamment à travers les représentations et significations partagées.
Comme le notent Lawrence et Suddaby (2006), c’est sans doute pour cette
raison que les études néo-institutionnelles ont eu tendance à délaisser le
rôle de l’action humaine dans le façonnement des institutions. Pour celles-
ci, l’influence des acteurs est réduite à la portion congrue : ils n’agissent
que pour mettre en œuvre les prescriptions dictées, ou, pour le dire plus
184 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Rowan, 1977 : 343-344). Tous ces travaux adoptent une perspective
commune, celle de l’analyse du rôle des institutions. Ils partagent égale-
ment une tendance à éluder, dans une large mesure, la question de l’action
individuelle dans ce processus.
Un réajustement théorique devait naturellement s’opérer face à cette
conception finalement partielle des phénomènes reliant organisations et
contraintes institutionnelles. Dès les années quatre-vingt, cette nécessité
s’est traduite dans le champ académique : le mouvement a pris la forme
d’études sur « l’entrepreneur institutionnel » (Eisenstadt, 1980 ; DiMaggio,
1988). Ces recherches se sont intéressées au rôle joué par des individus,
généralement particulièrement dotés en ressources, capables d’opérer une
action (institutionnalisation, transformation, maintien) sur les institutions
pour les aligner sur leurs intérêts propres.
Cependant, dans leur chapitre de 2006, Lawrence et Suddaby posi-
tionnent leur approche comme étant clairement distincte de ces recherches
ayant porté sur l’entrepreneur institutionnel. S’ils identifient cette pers-
pective comme un sous-courant de recherche pertinent, ils la considèrent
néanmoins comme disjointe de leur analyse. C’est pourquoi les deux
chercheurs proposent une définition de leur approche du travail institu-
tionnel qui permet d’articuler un ensemble de travaux antérieurs parta-
geant une conception semblable des organisations : les actions des indivi-
dus ont une incidence sur les institutions. Pour être plus précis, et rendre
d’ores et déjà sensible ce qui distingue le caractère novateur de leur
approche de celle de certains travaux antérieurs et de la notion d’entrepre-
Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby 185
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influencés par cette notion, en nous focalisant sur le champ académique
francophone. Enfin la dernière partie développera la question du « pour-
quoi », en présentant une réflexion sur les perspectives ouvertes par le
travail institutionnel, notamment au profit des études critiques en mana-
gement.
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soutenir la nouvelle institution. Les auteurs illustrent cette idée par
l’exemple de Thomas Edison dans sa volonté de développer l’éclairage
électrique. Ce dernier parvint notamment à convaincre les écoles locales
de développer des formations d’ingénieur-électricien de telle sorte à sou-
tenir cette nouvelle institution.
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place, souvent par le biais de luttes institutionnelles.
Ce travail de déstabilisation de l’institution peut mettre en scène des
acteurs, qu’ils soient étatiques ou non, qui travaillent, à travers l’appareil
d’état, à déconnecter les récompenses et les sanctions de certains types de
pratiques, de technologies ou de règles. Ainsi lors du développement
embryonnaire de la radio aux États-Unis, les règles techniques imposées
aux radios locales restreignaient à une seule station l’accès aux petits mar-
chés. Après la Seconde Guerre Mondiale, cette institution, l’idée selon
laquelle l’existence de plusieurs radios locales poserait un problème, a été
remise en cause sous la pression combinée du Congrès américain et des
groupes de vétérans de l’armée, permettant le développement d’un marché
des radios locales (Leblebici et al., 1991).
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sur la description des institutions, en tant que telles, et sur leurs évolutions
dans le temps.
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tion théorique de Lawrence et Suddaby entre en opposition avec la vision
du changement institutionnel qui met en scène quelques acteurs centraux
au pouvoir extraordinaire (voir aussi Lawrence, Suddaby et Leca, 2011,
p. 55). Le travail institutionnel est un travail « plus minimaliste, incré-
mental, et délicat que la littérature existante sur le changement ne voudrait
nous le suggérer » (Lawrence, Suddaby et Leca 2009, page 19, traduction
de l’auteur). Afin que l’institution se crée, perdure ou, au contraire, pour
qu’elle soit remise en cause, l’importance des actions et réactions humaines
dépasse le simple cas de l’entrepreneur institutionnel. Du point de vue du
courant du travail institutionnel, le retour de balancier du côté de l’action
rationnelle proposé par l’approche de l’entrepreneur institutionnel peut
sembler extrême. On lui a reproché d’ériger en quelque sorte les acteurs au
rang de démiurges (voir Garud et al., 2007). Car cette approche peut
paraître masquer une réalité bien plus subtile, faite d’un travail généralisé,
concernant un nombre plus large d’individus, et beaucoup plus constant
que ne le laisse présumer la vision de l’entrepreneur institutionnel. Dans
leur article de 2006, Lawrence et Suddaby affirment en effet que la créa-
tion de nouvelles institutions nécessite le travail institutionnel mené
« aussi bien par des acteurs avec les ressources et compétences leur permet-
tant d’agir en tant qu’entrepreneurs que par les personnes jouant le rôle de
support ou de facilitateur des objectifs de l’entrepreneur » (2006, p. 217,
traduction de l’auteur).
190 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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francophone se sont depuis expressément confrontées à cette question.
Parmi elles, Blanc et Huault (2010) ont étudié l’industrie du disque. Ils
montrent que, malgré l’incertitude qui a caractérisé la décennie 2000, les
majors du disque de la filière musicale ont effectué un travail pour repro-
duire les croyances et les schémas de pensée, notamment sur la représen-
tation collective de la notion d’artiste. Les auteurs ont eu recours, dans ce
cas, à une analyse de discours afin de mettre en exergue le rôle de ces
acteurs qui se sont chargés de réactiver les croyances institutionnalisées,
affaiblies durant cette période de crise et d’incertitude (Blanc et Huault,
2010, p. 96 ; se reporter aussi à Blanc et Huault, 2014). Dans une étude
portant plus spécifiquement sur la stratégie politique des organisations,
Blanc et Taupin (2015) ont montré que cette action politique a pu à long
terme menacer la légitimité des majors de l’industrie du disque. Leur suc-
cès politique, dans le cadre du vote de la loi DADVSI, la loi relative à la
protection des droits d’auteur, a paradoxalement coïncidé avec une perte
effective d’audience et de crédibilité pour ces entreprises.
Dans un tout autre domaine, celui de la finance, Taupin (2011 ; 2012)
étudie la manière dont différents types de travail institutionnel de main-
tien ont permis la perpétuation de l’organisation de la notation de crédit,
en particulier lors de la crise des subprimes en 2008. Cette recherche
articule la sociologie pragmatique inspirée des travaux de Luc Boltanski
avec la notion de travail institutionnel. L’approche utilisée permet en effet
de réaliser une sociologie de la critique, en étudiant la manière dont les
acteurs décrivent eux-mêmes la réalité organisationnelle qui les entoure.
Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby 191
© EMS Editions | Téléchargé le 06/08/2020 sur www.cairn.info via Université Yaoundé 2 (IP: 154.126.184.31)
sanne), impose un nouveau mode de consommation politique.
Contrairement aux recherches précédemment mentionnées, toutes focali-
sées sur la question du maintien, cette recherche porte sur la question de
l’institutionnalisation. Plus récemment, Berthinier-Poncet (2013) a iden-
tifié les pratiques institutionnelles d’innovation de nature politique mobi-
lisées par la gouvernance de trois clusters à la française – un technopôle et
deux pôles de compétitivité de la région Rhône-Alpes. Cette étude trans-
pose la notion de travail institutionnel au contexte des clusters afin de
montrer comment l’action politique mise en œuvre par les clusters contri-
bue à soutenir les institutions innovantes (se reporter aussi à Berthinier-
Poncet, 2014). Dans le milieu académique francophone, d’autres
recherches se sont intéressées au changement institutionnel en s’inscrivant
dans le courant du travail institutionnel. Ben Slimane (2012) a étudié le
rôle joué par le discours durant le processus de changement institutionnel,
en l’espèce lors du déploiement de la télévision numérique terrestre en
France. Plus récemment, Peton et Pezé (2015) ont examiné les dyna-
miques institutionnelles sur le temps long, en suivant le travail institution-
nel politique mené autour de la question du concept juridique de « faute
inexcusable » de 1898 à 2012.
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pistes d’utilisation de la notion de travail institutionnel. Ben Slimane et
Leca (2010) proposent un travail pédagogique visant à diffuser la notion.
Ils suggèrent en particulier l’idée, car ils la jugent particulièrement fertile,
de mener des études sur les « stratégies de maintien des avantages et des
positions concurrentielles non en raison de rentes acquises ou de contrôle
des ressources, mais par le biais de la constitution de barrières cognitives ou
culturelles » (Ben Slimane et Leca, 2010, p. 67).
D’autres recherches théoriques ont présenté les contributions que l’on
pouvait retirer de l’articulation de la notion de travail institutionnel avec
d’autres perspectives. Par exemple, Ben Slimane et Leca ont récemment
(2014) suggéré de combiner la perspective du travail institutionnelle avec
une approche par les ressources et les compétences. Pour leur part, Huault
et Leca (2009) se sont penchés sur la question du pouvoir dans les organi-
sations. Si ces chercheurs ne se réfèrent pas explicitement à la notion de
travail institutionnel dans cet article, l’approche inédite qu’ils proposent de
la notion de pouvoir peut aisément être utilisée au profit de l’analyse du
travail institutionnel. Huault et Leca soutiennent en effet que la manière
dont les pratiques s’institutionnalisent confère à ces pratiques une forme de
pouvoir qui leur permet de modeler les actions. Enfin, une autre preuve de
la vitalité de la notion de travail institutionnel tient à la publication, dans
la revue française M@n@gement, d’un échange entre des chercheurs inves-
tiguant l’institution dans sa dimension historique, sur la question des
conditions d’étude du changement institutionnel sur de longues périodes
(Daudigeos, Boutinot et Jaumier, 2015 ; Peton et Pezé, 2015).
Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby 193
3. LE TRAVAIL INSTITUTIONNEL :
LIMITES ET PERSPECTIVES
Le courant du travail institutionnel, le nombre de publications que
nous avons présentées en témoigne, est désormais indéniablement ancré
dans le paysage des études en management aussi bien au niveau interna-
tional que dans le champ académique francophone. La stabilisation de la
notion s’accompagne naturellement de questions relatives à ses manque-
ments et ses limites dans sa capacité à décrire et comprendre les phéno-
mènes organisationnels. Nous nous proposons de les examiner dans cette
section.
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et Leca, indiquent que l’une des dimensions centrales dans la structuration
du travail institutionnel, tient à distinguer l’activité du résultat du travail
institutionnel. Lawrence, Leca et Zilber (2013) notent que cette distinc-
tion entre les travaux qui se soucient des connexions entre, d’une part, le
travail institutionnel et ses effets en termes institutionnels, et, d’autre part,
les recherches qui se focalisent sur le travail en lui-même, est utile afin
d’exprimer les questions qui demeurent, dix ans après la première forma-
lisation du concept. En effet, les travaux portant sur le travail institution-
nel se sont principalement focalisés sur les connexions entre le travail
institutionnel et les effets de ce dernier. Et les effets sur les institutions
sont, en général, appréhendés au travers d’une reconstruction effectuée a
posteriori, c’est-à-dire de manière rétrospective.
Pourtant, le travail institutionnel cible l’étude de l’activité de création
ou de maintien institutionnels et non une description statique de résultats
de la conduite de cette activité (Lawrence, Suddaby et Leca 2009, p. 10).
Il s’agit donc d’une étude d’un travail dynamique et situé, qui ne suit pas
pour autant un processus inexorable, et dont la forme peut être multiple.
Dans cette perspective, les fondateurs du concept expriment cette idée en
s’appuyant plus volontiers sur les formes du présent continu de la langue
anglaise (« creating, maintaining, disrupting ») plutôt que sur la forme
substantivée (« creation, maintenance, disruption of institutions »). Or, en
portant sur le lien entre le travail institutionnel et les effets de ce dernier
sur les institutions, les recherches ont eu tendance à négliger la compré-
hension de la manière dont le travail institutionnel s’exécute en pratique,
194 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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des processus institutionnels par la figure de l’entrepreneur institutionnel
n’entre pas dans le périmètre défini par Lawrence et Suddaby. Nous
l’avons dit, leur approche considère un travail beaucoup plus généralisé et
complexe que l’action menée par un entrepreneur institutionnel. Cela
tient également à l’inspiration théorique dans laquelle puise cette notion
de travail institutionnel. Rappelons qu’elle prend ses racines dans la
Théorie de la pratique bourdieusienne, et en particulier la notion d’habi-
tus. Or l’habitus décrit la relation complexe entre le social et l’individuel,
et cette dernière ne peut être rendue par le type d’imputabilité véhiculée
par l’approche de l’entrepreneur institutionnel (un acteur doté de res-
sources agissant en fonction de son intérêt sur les institutions). Dans un
article de 2011, Lawrence, Suddaby et Leca suggèrent de délaisser la pers-
pective de l’entrepreneur institutionnel au profit de l’analyse de la « bio-
graphie institutionnelle », définie comme « l’exploration des individus
particuliers en relation avec les institutions qui ont structuré leurs vies, et
sur lesquelles ils ont travaillé pour les créer, les maintenir ou les perturber »
(Lawrence, Suddaby et Leca, 2011, p. 55, traduction de l’auteur). Cette
perspective, beaucoup moins déterministe que ne l’est l’approche par le
filtre de l’entrepreneur institutionnel, vise à explorer l’influence des indi-
vidus sur les institutions, en la combinant à l’analyse des évènements,
relations et circonstances qui ont façonné la connexion entre les individus
et les institutions.
Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby 195
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térisées par une grande hétérogénéité de centre d’intérêts et d’inspiration
théoriques, l’articulation de ces deux perspectives peut prendre de nom-
breuses formes. Elle soulève également de multiples questions. Parmi les
nombreuses interrogations qui se posent, on peut se demander en quoi la
perspective du travail institutionnel résoudra-t-elle le risque qui guette les
études critiques, celui de la « récupération » par les managers ? Dans le cas
contraire, ne serait-elle pas menacée par l’accusation classique opposée aux
études critiques, celle qui leur reproche de s’en tenir à une attitude plus
contemplative et d’ainsi courir le risque d’être ignorée, par les managers
notamment ? Dans le cas spécifique du travail institutionnel, Willmott
(2011, p. 70) se demande en effet en quoi la problématisation permise par
l’approche sera-t-elle différente du travail institutionnel des consultants,
pour permettre in fine la remise en cause du statu quo ?
Sans apporter une réponse définitive à cette question, un article récent
donne cependant à voir le type de contribution permise par l’association
d’une perspective critique à celle sur le travail institutionnel. Martí et
FernÀndez (2013) présentent une approche originale permettant d’entre-
voir les perspectives ouvertes par ce type de recherches. Ils proposent une
analyse du travail institutionnel d’oppression et de résistance lors de
l’Holocauste. Pour ce faire, Martí et FernÀndez combinent la littérature
sociologique sur le pouvoir, plus particulièrement sur l’oppression et la
résistance, avec une approche par le travail institutionnel.
196 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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complexe, en témoigne par exemple l’analyse du paradoxe de l’agence
encastrée (Battilana et D’Aunno, 2009), c’est-à-dire la contradiction fon-
damentale qui existe entre l’agence des acteurs et le déterminisme institu-
tionnel. Dans la perspective du travail institutionnel, on adopte une
définition large de l’intention : il y a présence d’une intention lorsque les
« acteurs lient leurs actions aux situations qu’ils rencontrent » (Lawrence,
Suddaby et Leca, 2009, p. 13, traduction de l’auteur). Cette définition est
large car elle permet d’abriter de nombreuses formes différentes de travail
institutionnel, de la plus évidente à la plus subtile. Cela comprend bien
entendu les cas dans lesquels les acteurs s’efforcent d’avoir un effet sur les
institutions (maintien, changement, interruption). Mais cela inclut égale-
ment, et cela est moins intuitif, toutes les actions humaines qui ont un
impact sur les institutions. Lawrence, Suddaby et Leca citent le cas
extrême des locuteurs de langue anglaise, dans un pays dont la langue
majoritaire est l’anglais, dont l’action constitue un travail institutionnel
« puisque il sert à reproduire la domination de cette langue » (Lawrence,
Suddaby et Leca, 2009, p. 14, traduction de l’auteur).
Comme le notent Lawrence, Suddaby et Leca (2011, p.56), de ce point
de vue, l’émancipation pourrait se matérialiser par la transformation des
formes d’intentionnalité. Cela passerait, en accord avec la perspective du
travail institutionnel, par la prise en compte de l’importance des structures
se perpétuant dans le façonnement des actions. Mais également par l’ac-
ceptation du fait que les acteurs aient conscience de ces structures, ce qui
les amènerait à agir sur, voire à lutter contre, ces structures.
Thomas B. Lawrence et Roy Suddaby 197
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neuriale dans des conditions de pauvreté extrême. Dans ce cas, l’action des
acteurs va au-delà de nouvelles pratiques. Elle nécessite de nouvelles
manières de voir les choses, contrairement au travail institutionnel des
acteurs en place, plus organisés et disposant du pouvoir. Ces acteurs
doivent parvenir à remettre en cause les mythes et traditions les dénigrant
en faisant preuve de stratégies institutionnelles particulièrement subtiles,
voire expérimentales dans certains cas. On voit ici tout l’intérêt qu’il y a,
dans une perspective critique, à considérer les efforts cognitifs et émotion-
nels nécessaires pour que les acteurs puissent effectuer ce travail institu-
tionnel, et ainsi créer ou perturber les institutions (sur cette question, se
reporter également à Lawrence, Leca et Zilber, 2013, p. 1029).
Conclusion
Le courant du travail institutionnel, développé dans le sillage des tra-
vaux fondateurs de Lawrence et Suddaby, est donc apparu afin de répondre
au problème créé par le développement du paradigme néo-institutionnel,
au sein duquel le rôle individuel avait pratiquement disparu. Dans ce
cadre cependant, la réintroduction de l’individu ne peut se faire que de
manière circonstanciée. L’approche du travail institutionnel offre une
perspective de ce type dont les chercheurs en management se sont alors
largement saisis. La présentation que nous en avons proposée, tout au long
de ce chapitre, montre finalement la plasticité de cette perspective. À par-
198 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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institutionnel, lequel, comme le note Suddaby (2015, p.2), après avoir été
créé en réaction à l’hégémonie de la théorie économique, est lui-même
devenu dominant. La nature exacte de ce travail institutionnel demeure
cependant encore largement méconnue. Une connaissance approfondie de
ce processus d’institutionnalisation, et dans notre cas spécifique de l’émer-
gence d’une nouvelle approche scientifique dans les études en manage-
ment, serait à coup sûr utile pour le champ académique ainsi que pour les
acteurs composant ces organisations afin d’en permettre un meilleur…
management.
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200 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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XIII. JOHN MEYER ET BRIAN ROWAN – LES ORGANISATIONS COMME
REFLETS DE MYTHES RATIONNELS
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• les efforts déployés pour l’activité de contrôle sont consacrés à la
conformité rituelle, à la fois interne et externe, notamment lorsque
les environnements sont hautement institutionnalisés.
Dans ce chapitre, nous présentons les fondements de la théorie néo-
institutionnelle, tels que les posent Meyer et Rowan en mettant particu-
lièrement l’accent sur des notions et concepts qui en sont de véritables
lignes de force. Pour Meyer et Rowan, l’organisation est avant tout le reflet
de mythes rationnalisés dans l’environnement (section 1). Ces mythes
sont intégrés au sein des structures formelles, donnant l’illusion d’une
réponse rationnelle aux sollicitations de l’environnement. Ils renforcent,
en retour et via un isomorphisme institutionnel, la légitimité de l’organi-
sation (section 2). Ce faisant, ils lui permettent d’agir dans et sur son
environnement (section 3).
Notices biographiques
John W. Meyer, né en 1935, est professeur émérite de sociologie, spécialiste des ques-
tions d’éducation, à Stanford (département de sociologie). Ses centres d’intérêt scienti-
fiques sont la propagation des institutions modernes dans le monde entier, et leur
impact sur les États et les sociétés – en particulier la propagation et l’impact de l’activité
scientifique et de la normalisation des modèles de formation. Il est membre du corps
professoral de CDDRL (Center of Democracy, Development, and the Rule of Law) et
Senior Fellow à la FSI (Fremman Spogli Institute for International Studies) à Stanford.
Il obtint son doctorat de l’Université de Columbia en 1965 et y a enseigné plusieurs
années durant avant de rejoindre Stanford. Ses contributions sont nombreuses en théo-
rie des organisations et en sociologie de l’éducation. Il a influencé significativement
l’essor de la théorie néo-institutionnelle, notamment avec Brian Rowan, dans un article
séminal publié en 1977. Depuis la fin des années soixante-dix, il a travaillé sur les ques-
tions liées à l’impact de la société mondiale sur les États nationaux et les sociétés. À titre
d’exemple, il a réalisé une étude de la science dans le monde entier et son impact sur
les sociétés nationales (Drori et al., 2006), et il a travaillé sur l’impact du développe-
ment des droits de l’homme dans le monde entier. Ses travaux sur les organisations
dans leurs environnements institutionnels représentent plus de 230 publications dans
les plus prestigieuses revues ou éditions académiques. Il a reçu de très nombreuses
distinctions et prix.
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Brian Rowan est sociologue. Il obtint un Ph.D. à Stanford en 1978 et ses recherches
sont, depuis, au croisement de la théorie des organisations et de la question de
l’efficacité de la recherche universitaire. Dans sa carrière, B. Rowan a écrit sur
l’éducation en tant qu’institution, sur la nature du travail des enseignants, sur les effets
de l’organisation scolaire, le leadership, ou encore sur l’instruction et la pratique des
élèves. Il s’est attaché à mesurer et à améliorer la qualité de l’enseignement. Son travail
comprend une vaste étude longitudinale (conception, mise en œuvre et mesure
d’efficacité) portant sur trois des plus importantes réformes du système éducatif aux
États Unis. Avant de rejoindre la faculté d’éducation de l’Université du Michigan en
1991, Brian Rowan a été directeur de recherche au Far West Laboratory for Educational
Research and Development, et Président du Département de l’administration de
l’éducation à la Michigan State University. Il est membre de la National Academy of
Education des États-Unis. Il a reçu de très nombreux prix et a siégé au comité de rédac-
tion des principales revues scientifiques dans son domaine.
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de l’institutionnalisation de pratiques dans l’environnement dont les orga-
nisations vont se saisir. En effet, il existe, pour les auteurs, un certain
nombre de concepts rationalisés qui prévalent à propos de l’organisation
du travail et qui sont institutionnalisés dans les sociétés dites post indus-
trielles. Scott (1992 : 117) définit l’institutionnalisation comme le proces-
sus selon lequel des actions sont répétées et donnent, de ce fait même, une
signification similaire à d’autres actions. Institutionnaliser signifie ainsi à
la fois une répétition d’actions mais, plus fondamentalement sans doute,
une conception partagée de la réalité que cette répétition autorise. Les
organisations intègrent ces pratiques et procédures institutionnalisées et,
ce faisant, accroissent leur légitimité et leur potentiel de survie, indépen-
damment de l’efficacité même de ces pratiques et procédures acquises. En
réalité, à chaque fois que l’organisation fait face à l’incertitude, elle est
tentée d’imiter d’autres structures, d’adopter d’autres pratiques présentes
dans son environnement. Ces pratiques et procédures, parce qu’elles béné-
ficient d’un important degré de partage a priori dans la société, fonc-
tionnent comme de puissants mythes qui structurent formellement l’orga-
nisation. Dans la littérature, l’apparition des structures formelles est
expliquée de différentes manières mais, pour Meyer et Rowan (1977),
aucune n’est réellement totalement satisfaisante.
Ils proposent une compréhension alternative : les mythes de l’environ-
nement institutionnel façonneraient cette structure…
La relation qu’entretient, au plan structurel, l’organisation avec son
environnement n’est pas une question nouvelle. Les organisations for-
206 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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correspond à ce « couplage ritualisé » : le degré de diffusion de la démarche
qualité ne représente qu’une « mesure d’étalement3 » – caractère superficiel
– et non une « mesure d’enracinement », qui correspondrait davantage à
une logique de performance intrinsèque et locale du dispositif. Les activi-
tés qui correspondent à la qualité prennent ainsi la forme de rituels et de
cérémonies qui finissent par s’ancrer formellement dans les structures des
organisations.
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les unes avec les autres d’une part, et avec l’activité d’autre part. Cela
ne signifie cependant pas que les organisations « découplées » sont
anarchiques. Les acteurs de ces organisations sont de bonne foi, et
cette posture contribue à la légitimité socialement reconnue de
l’organisation ;
• l’apparition de rites d’inspection et d’évaluation, y compris dans les
organisations où règnent confiance et bonne foi ;
• l’évitement de l’inspection formelle et de l’évaluation effective, ce
qui produit de l’illégitimité. À titre d’exemple, les États fédéraux
américains ont souvent insisté pour que soient évalués les fonds
spéciaux créés pour financer les domaines de la santé ou de l’éduca-
tion. Cependant, dans les faits, l’évaluation des programmes finan-
cés par ces fonds ne s’inscrit pas dans les routines organisationnelles.
Le travail de Meyer et Rowan en 1978 sur la structure des organisations
du milieu éducatif (universités, en particulier) montre bien ces trois effets
sur le long terme au sein de ce type de structures sociales. Plus le système
éducatif est une institution nationale de grande importance, moins ses
structures internes sont étroitement couplées, et plus la logique du
contrôle repose sur la confiance et la professionnalisation (1978 : 105). De
manière plus fondamentale Meyer et Rowan (1978 : 106) notent, à pro-
pos de tous types d’organisations, que les règles sociales et les comporte-
ments – formels et informels – sont souvent dissociés et incompatibles.
Selon eux, il convient de ne surtout plus s’en étonner tant il est évident
que les structures formelles et les activités sont faiblement liées. En effet,
208 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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tère réellement novateur – encore aujourd’hui – de la pensée de Meyer et
Rowan, il convient de rappeler brièvement les sources de ce que nous
appelons ici la double dynamique de la structuration et de la légitimité.
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tion rationnelle et, ce faisant, elle réunit les conditions nécessaires pour
survivre. Pour Meyer et Rowan (1977), ces critères fonctionnent comme
des « mythes rationnels ». L’expression signifie à elle seule que la rationa-
lité ne saurait, stricto sensu, constituer une frontière nette entre les environ-
nements hautement institutionnalisés et ceux qui ne le seraient pas ou
peu. Hatch (2000) parle de « démarcation floue ». En outre, certains
phénomènes semblent relever du rationnel de prime abord alors même
qu’ils peuvent indiquer avant tout de l’émotionnel5. De nouvelles pra-
tiques comptables (par exemple, de nouvelles normes internationales)
peuvent contribuer à rendre légitimes les organisations qui les déploient à
travers la construction d’une apparence de rationalité et d’efficacité. C’est
ce que montrent notamment les travaux de Carruthers (1995).
Ces mythes rationnels ne sont pas objectivement testables mais tel n’est
pas le sujet puisqu’il existe un large consensus entre les individus pour
considérer que ces rationalités sont « vraies » (Hatch, 2000). Les remettre
en cause n’aurait donc aucun sens tandis que s’y conformer représenterait
un intérêt évident : être légitime aux yeux des parties prenantes de l’orga-
nisation. En d’autres termes, se conformer à un standard admis comme
étant rationnel par tous, c’est devenir légitime. Et devenir légitime, c’est se
donner la possibilité d’agir dans et par son environnement.
5. Certaines décisions peuvent être rationnalisées a posteriori mais être essentiellement guidées au départ
par une émotion. Les exemples ne manquent pas de décisions de dirigeant rationnalisées économique-
ment ou stratégiquement et qui ne s’expliquent, en réalité, que si l’on considère l’expression de leur
personnalité, leur vécu, leur rapport au pouvoir, leur capital émotionnel, la dimension symbolique de
ladite décision, etc.
210 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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même temps qu’elles intègrent ou copient en leurs seins (structures) des
éléments repérés comme pertinents dans leurs environnements.
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Source : Meyer et Rowan, 1977 : 353.
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nels, plus elle maintient un affichage de confiance, de satisfaction et
de bonne foi, de manière interne, comme externe.
VI. Les organisations institutionnalisées cherchent à minimiser l’inspec-
tion et l’évaluation, tant par les managers en interne que par des
parties prenantes externes.
Ces six propositions forment le cœur de la théorie néo-institutionnelle,
telle que la formulent Meyer et Rowan en 1977 dans American Journal of
Sociology. Pour donner du relief à sa présentation, nous voulons insister sur
quelques-unes des idées-clés peu mobilisées et qui offrent pourtant un
éclairage très contemporain aux problèmes que connaissent les organisa-
tions en ce début de XXIe siècle.
Tout d’abord, il reste assez novateur de considérer que la structure for-
melle de l’organisation est, plus que tout, la manifestation de la puissance
des règles institutionnelles qui, fonctionnant comme des mythes rationna-
lisés, s’invitent dans les procédures et les pratiques des organisations au
point de les structurer formellement. Prenons le cas d’un hôpital. La
structure hospitalière relève d’une classification où chaque fonction – ou
service – s’apparente à une formule préfabriquée et disponible pour être
déployée au sein de n’importe quelle structure. Ainsi, l’hôpital est par
exemple doté d’un service des urgences, d’un service d’obstétrique ou de
médecine interne. Ces « mythes obligatoires » sont, selon Meyer et Rowan
(1977), tenus pour acquis et sont mobilisés sans négociation préalable afin
d’accomplir le dessein – qui ne se discute plus – d’une organisation telle
que l’hôpital : soigner, faire naître, guérir…
John Meyer et Brian Rowan 213
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teurs automobiles poussent à ce que des demandes émergent pour la créa-
tion de routes par exemple. Ensuite, ces organisations puissantes tendent
à imposer leurs objectifs et leurs procédures directement comme des règles
institutionnelles pour la société en général. Ces mêmes constructeurs
automobiles poussent à l’établissement de standards dans l’opinion
publique en matière de voitures désirables afin d’influer sur les standards
légaux. Autrement dit, les compétiteurs d’un secteur engagent des batailles,
non seulement directement sur les marchés par le truchement des relations
avec leurs clients respectifs, mais également au sein des réseaux sociaux, au
sein de contextes institutionnalisés à des fins de maintien de position
dominante ou au minimum de survie.
Enfin, il est intéressant de pointer la relation qui lie le contrôle de
l’activité organisationnelle à l’importance des mythes. Ce lien doit être mis
en perspective avec le temps que managers et dirigeants consacrent à la
gestion de l’image publique de l’organisation. En effet, plus cette dernière
activité est importante, moins ils disposent de temps pour se consacrer à
la coordination et au management particulier des activités internes et des
interdépendances que l’organisation entretient avec son environnement.
Parallèlement, plus la gestion de l’image publique est une préoccupation
intégrée comme une modalité de contrôle interne et/ou externe, plus la
légitimité de l’organisation est consacrée dans et par son environnement
et plus elle dispose de latitudes pour agir dans et sur ce même environne-
ment. Selon Meyer et Rowan (1977 : 339), il conviendrait dès lors d’ap-
précier si les managers proposent de consacrer davantage d’énergie à
214 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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gnostic stratégique. Leur travail nous montre en particulier qu’un diagnos-
tic externe ne peut s’affranchir d’une analyse fine de la manière avec
laquelle l’organisation est adaptée au contexte institutionnel dans lequel
elle est insérée. Aujourd’hui, étudier le degré d’institutionnalisation de
l’environnement des organisations d’une part, et le degré selon lequel
l’organisation intègre dans ses structures formelles les institutions environ-
nementales (mythes) d’autre part reste une voie de recherche féconde pour
expliquer et, plus encore, pour comprendre, les dimensions comporte-
mentales et cognitives de l’agir stratégique organisationnel.
8. Voir le chapitre consacré à Paul Di Maggio et Walter Powell dans ce même ouvrage.
John Meyer et Brian Rowan 215
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December, 1234-1240.
XIV. PHILIP SELZNICK – L’ORGANISATION COMME INSTITUTION
Alain Desreumaux
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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institution
Alain Desreumaux
XIV
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Philip Selznick 217
Notice biographique
Né en 1919 aux États-Unis, Philip Selznick a obtenu son doctorat en 1947 à
l’Université Columbia sous la direction de Robert K. Merton. Il a enseigné la sociologie
à l’Université du Minnesota puis à l’Université de Californie – Los Angeles. En 1952,
il rejoint le département de sociologie de l’Université Californie – Berkekey, où il
organise le centre d’étude du droit et de la société.
Philip Selznick s’est d’abord fait connaître comme théoricien des organisations et de la
bureaucratie. À partir des années soixante, il s’est essentiellement consacré à la sociolo-
gie du droit.
Plusieurs ouvrages figurent au nombre de ses publications les plus importantes : TVA
and the Grass Roots (1949), The Organizational Weapon (1952), Leadership in
Administration (1957), The Moral Commonwealth (1992).
Philip Selznick décède en 2010 aux États-Unis, à Berkeley.
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dont Philip Selznick est un élève, et d’un type de recherche que Charles
Perrow considère comme relevant de la catégorie « dévoilement » et qui
consiste à dépasser les apparences pour montrer que les organisations ne sont
pas nécessairement ce qu’elles semblent être.
Cette notoriété est renforcée par la publication en 1957 de l’ouvrage
Leadership in Administration dans lequel, en s’appuyant sur ses travaux anté-
rieurs, Philip Selznick expose ses principales idées sur l’organisation, l’entre-
prise et le management.
À partir des années soixante, Philip Selznick élargit ses centres d’intérêt à
la sociologie du droit et à la philosophie morale, mais seuls seront restituées
ici les avancées qu’on lui doit dans le domaine de la théorie des organisations
et du management.
Sur ces sujets, les publications de Philip Selznick présentent une cohérence
de thématique en même temps qu’elles restituent la construction progressive
d’une vision originale de l’organisation et de l’entreprise qui résonne forte-
ment avec certains débats contemporains.
Trois lignes de force peuvent être retenues pour rendre compte des apports
de cet auteur :
• il est l’un des premiers théoriciens à faire de l’entité « organisation » un
objet d’analyse ;
• c’est un fondateur de la théorie institutionnelle de l’organisation ;
• il est porteur d’une certaine conception de l’entreprise et du leadership.
218 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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et un système social adaptatif tentant de survivre dans son environnement.
Il reviendra à A. Gouldner (1959) de codifier d’une certaine façon ces
deux visions en distinguant la perspective « système rationnel », qui consi-
dère les organisations comme des instruments qu’il est possible de façon-
ner délibérément pour atteindre des buts donnés, et la perspective « sys-
tème naturel », qui voit les organisations comme des systèmes organiques
cherchant à survivre, des collectivités évoluant via des processus sponta-
nés, indéterminés. W.R. Scott (2004) fait de cette double facette du phé-
nomène organisationnel le fil conducteur de son histoire d’un demi-siècle
de théorisation, laquelle est traversée de débats incessants, jusqu’à notre
période contemporaine, entre partisans respectifs de ces deux visions.
Dès 1948, Philip Selznick considère cette distinction comme la source
d’un paradoxe fondamental du phénomène organisationnel. Celui-ci n’est
en effet pas réductible à la structure formelle de délégation et de contrôle,
expression de l’action rationnelle, puisqu’il est en même temps fait de
personnes qui interagissent en tant que totalités plutôt que sur la seule
base des rôles formels qui leur sont assignés. Les personnes tendent préci-
sément à résister à la dépersonnalisation qu’exprime le système de rôles
formels. À cela s’ajoute le fait que le système formel et la structure sociale
sont soumis à la pression d’un environnement institutionnel auquel il
convient de s’ajuster. L’organisation doit donc être considérée de deux
points de vue analytiquement distincts mais empiriquement unis dans une
dynamique de conséquences réciproques.
Philip Selznick 219
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naux. Il insiste sur le rôle de la délégation et sur celui de la prévalence des
problèmes et de l’action quotidiens dans le processus de déplacement des
buts. Il montre comment la délégation d’autorité peut faciliter la pour-
suite de buts de sous-unités de l’organisation, ce qui travaille à contre-
courant des buts de cette dernière. Il montre également que le comporte-
ment quotidien des groupes se focalise sur les problèmes spécifiques et les
buts immédiats qui prennent sens d’un point de vue interne. Ces activités
se substituent d’autant plus facilement aux buts « professés » de l’organi-
sation que ceux-ci n’expriment que des idées abstraites, ne désignant
aucun comportement concret. Par ailleurs, si les buts « professés »
requièrent des actions qui entrent en conflit avec ce qu’exige le fonction-
nement quotidien, ils tendent le plus souvent à être ignorés.
L’étude du cas de la TVA lui permet par ailleurs de mettre au jour le
rôle de ce qu’il appelle le processus de cooptation dans ce phénomène de
déplacement des buts.
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n’est cependant pas sans ambiguïté puisque l’on peut y voir l’habileté
d’une organisation à neutraliser ce qui peut menacer son existence ou, au
contraire, sa faiblesse face à des acteurs externes dont elle est fondamenta-
lement dépendante. En tous les cas, ce travail trouvera des prolongements
théoriques importants, notamment avec les analyses de J.D. Thompson et
W.J. McEwen (Thompson et McEwen, 1958 ; Thompson, 1967).
Enfin, Philip Selznick relie l’explication du phénomène de déplace-
ment des buts aux jeux politiques internes à l’organisation et aux compor-
tements de ses leaders, qui tendent à agir au bénéfice de leurs propres
intérêts, à travailler de façon à préserver et reproduire leur propre pouvoir.
En développant ce thème, il reprend une idée de M. Weber, tout en consi-
dérant qu’il ne lui a pas donnée toute l’importance qu’elle méritait. Il
s’appuie également sur les écrits de R. Michels (1915/1949), montrant
comment des individus de bonne volonté finissent par compromettre les
buts de leur organisation afin de préserver leur position de leader. Selon
R. Michels, et il semble bien que Philip Selznick partage ce point de vue,
ils le font sans malice consciente, ce qu’un auteur critique comme Charles
Perrow ne manque pas de contester.
Au-delà de ces éléments, les premiers écrits de Philip Selznick délivrent
sa vision d’une théorie de l’organisation et sa conception de la bureaucra-
tie considérée comme un cas particulier dans la théorie générale de l’orga-
nisation finalisée.
Philip Selznick 221
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d’une quatrième hypothèse : les procédures réelles de toute organisation
tendent à être modelées par l’action orientée vers les buts susceptibles
d’inspirer des solutions opérationnellement pertinentes aux problèmes
quotidiens de l’organisation.
La conception que Philip Selznick développe de la bureaucratie découle
de ces fondements. Elle s’écarte de la vision courante qui met l’accent, à
l’instar de Max Weber, sur l’organisation formelle et assimile la bureaucra-
tie à un système administratif basé sur la professionnalisation et la subor-
dination hiérarchique. Ce que Max Weber n’a que partiellement compris
c’est que la dynamique du système administratif lui-même crée de nou-
velles influences personnelles, celles des administrateurs poursuivant leurs
propres fins et s’engageant dans des jeux de pouvoir. L’usage du mot
« bureaucratie » par Philip Selznick ne désigne pas tant une organisation
administrative en tant que telle mais certaines caractéristiques de cette
organisation. Pour lui, le comportement bureaucratique correspond aux
comportements d’agents qui tendent à produire le paradoxe organisation-
nel, c’est-à-dire la modification des buts professés de l’organisation, ceux
auxquels les agents sont censés travailler. Ce processus résulte des compor-
tements constitutifs de l’organisation informelle, centrés principalement
sur les relations d’influence entre agents, et qui tendent à concentrer le
pouvoir dans les mains des fonctionnaires.
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2003 ; Scott, 2008). Il n’est guère d’exposé du renouveau qu’il connaît à
partir du milieu des années soixante-dix sous l’influence de J.W. Meyer et
B. Rowan (1977), ou encore de P.J. DiMaggio et W.W. Powell (1983), qui
ne rende justice aux apports de Philip Selznick et à son « ancien » institu-
tionnalisme.
C’est l’ouvrage qu’il publie en 1957 (Leadership in Administration) qui
est souvent cité comme étant à la source de cet ancien institutionnalisme.
Ce texte vient donner sens aux idées-clés de deux publications antérieures,
la notion, issue de l’étude de la TVA, de caractère de l’organisation qui se
forme dans la durée et celle de compétence distinctive que Philip Selznick
met en évidence dans son analyse du parti communiste, laquelle montre
comment des méthodes d’organisation créent une capacité originale à
transformer les membres d’une association volontaire en agents discipli-
nés.
L’articulation de ces deux notions est à la base de ce qui constitue l’un
des apports majeurs de Philip Selznick, à savoir l’élucidation du processus
selon lequel une organisation se transforme en institution, c’est-à-dire en
une organisation possédant un caractère distinctif, qui devient valorisée
pour elle-même plutôt que pour ce qu’elle produit, à laquelle les partici-
pants s’identifient et qu’ils cherchent à préserver. À mesure qu’une organi-
sation s’institutionnalise, elle tend à posséder un caractère particulier et à
détenir une compétence distinctive.
1. Pour une revue des auteurs institutionnalistes de différentes disciplines, voir Scott (2008).
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Selznick la présente, est un phénomène largement « bottom-up » au sens
où une organisation n’est institutionnalisée que dans la mesure où elle
devient le vecteur par lequel ses constituants poursuivent leurs aspirations
et leurs idéaux. Ce faisant, ces constituants perçoivent l’institution comme
étant la leur et en viennent à la valoriser comme une fin en elle-même. En
retour, l’institution acquiert une sorte d’autorité morale, de légitimité,
pour formuler des exigences à l’adresse des groupes qui la constituent,
voire pour réinterpréter idéaux et buts lorsque les circonstances le
demandent.
On imagine aisément qu’une compétence distinctive puisse devenir
une incompétence distinctive face à un contexte changeant. Mais ce n’est
pas le message dominant de Philip Selznick. Il considère au contraire l’ins-
titutionnalisation comme un processus favorisant l’adaptation intelligente,
fixant des limites à la flexibilité ou à la conduite erratique et invitant à agir
de façon responsable envers les parties prenantes à l’organisation et par
rapport à son histoire.
Conduire le processus d’institutionnalisation est la responsabilité
majeure du leadership. Le résultat de ce processus peut être une entité
profondément coopérative, socialement intégrée et fortement durable.
Elle peut aussi devenir l’instrument de domination d’une élite et faire
preuve d’inertie. C’est précisément le rôle du leadership institutionnel que
de garantir le premier résultat et d’éviter le second2.
2. Philip Selznick note cependant qu’un tel leadership brille souvent par son absence…
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hommage, leurs travaux se différencient de ceux de Philip Selznick. Alors
que les premiers regardent comment les organisations sont influencées par
les règles institutionnalisées et les environnements institutionnels, Philip
Selznick examine comment les organisations deviennent des institutions.
Ce faisant, il se distancie, au moins implicitement d’un strict structuro-
fonctionnalisme et s’inscrit plutôt dans une forme d’individualisme
méthodologique. Dans Leadership and Administration, il écrit en effet :
« Aucun processus social ne peut se comprendre sans considérer qu’il est
localisé dans le comportement des individus, et en particulier dans leurs
perceptions d’eux-mêmes et des autres. Le problème est de relier la vision
plus large et la vision plus limitée, de voir comment le changement insti-
tutionnel est produit par, et en retour façonne, l’interaction des individus
dans les situations quotidiennes » (Selznick, 1957 : 4). Et Philip Selznick
de poursuivre : « Dans cette version de l’individualisme méthodologique,
qui m’inspire depuis longtemps, il ne s’agit pas de sous-estimer l’impor-
tance ou la réalité des phénomène sociaux spécifiques, comme le moral
d’un groupe ou les patterns d’adaptation et de maintien institutionnels.
Nous voulons dire, cependant, que ces phénomènes sont produits dans et
3. La catégorisation des organisations est un exercice auquel se sont livrés de nombreux théoriciens, sans
parvenir à une solution indiscutable. Philip Selznick n’élabore pas véritablement une proposition agen-
cée, mais souligne le fait que les classifications de bon sens (par exemple selon les fonctions remplies par
les organisations) ne sont pas forcément les plus intéressantes : « peut-être découvrirons-nous que des
caractéristiques plus générales, telles que la supervision par des gestionnaires professionnels, la capacité
d’utiliser pleinement les talents créatifs, ou l’emploi d’un personnel bénévole, nous permettrons mieux
de classer les organisations et de comprendre à quels genres de problèmes elles font face et quelles solu-
tions elles peuvent envisager. » (Selznick, 1957).
Philip Selznick 225
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ment contingent, des vérités découvertes. Pour lui, ces biais ne font que
jouer au détriment de l’intégration de l’ancien et du nouvel institutionna-
lisme qui conditionne le développement de la théorie institutionnelle.
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sociologie qui entretient l’idée de l’adaptation passive des organisations à
leur environnement, pour lui substituer la vision de l’entreprise qui crée
activement son rôle. Il propose d’étudier l’entreprise de façon diachro-
nique et non plus synchronique, et de l’aborder comme une unité relati-
vement intégrée plutôt que de multiplier les points de vue atomistiques. Il
ne s’agit pas, bien sûr d’ignorer les phénomènes d’incohérence qui peuvent
prévaloir dans les organisations complexes, phénomènes sur lequel
insistent certains néo-institutionnalistes, manifestant ainsi une sensibilité
post-moderniste. Mais pour lui, le fait d’attirer l’attention sur cette ques-
tion de l’incohérence est plus une façon de souligner le travail à accomplir
pour créer des organisations viables, les maintenir dans des états de fonc-
tionnement régulier tout en les préparant au changement, qu’il ne doit
être une invitation à se complaire dans la rhétorique déconstructionniste
(Selznick, 1996 : 275).
Une certaine distance est prise également vis-à-vis de la représentation
de l’entreprise comme résultat d’un processus complexe d’équilibration
des intérêts de différents groupes de parties prenantes, que l’on doit
notamment à Chester Barnard et à Herbert Simon. À cet égard, il ne s’agit
évidemment pas de nier le fait que l’entreprise est une coalition d’acteurs
multiples dont les comportements procèdent de différentes rationalités,
mais de poser que cette seule vision, et la description du leader comme
agent interpersonnel qui lui est attachée, ne permet pas de comprendre
comment l’entreprise construit dans la durée des compétences distinctives,
Philip Selznick 227
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les théories économiques et sociologiques dominantes. Il critique à la fois
la vision de la rationalité que véhicule les modèles économiques d’équi-
libre, notamment parce qu’elle exprime une orientation excessivement
technique et ne permet pas de comprendre comment se construisent les
buts de l’organisation, et celle qui est inhérente au modèle adaptatif, parce
qu’elle ne restitue qu’une vision passive de l’entreprise, réduite à des ajus-
tements à court terme, voire opportunistes. En d’autres termes, il s’agit
d’éviter la seule référence à la figure du décideur hyper-rationnel ou à celle
d’un processus de sélection environnemental.
D’où la proposition d’une autre voie, empruntant à l’étude de la
construction de l’identité de l’individu développée en psychologie cli-
nique. Paradoxalement, c’est en renonçant à une certaine liberté d’action
consistant à prendre des décisions au cas par cas pour, au contraire, fonder
le comportement futur sur un ensemble de principes définis, que l’indi-
vidu construit sa propre identité. De la même façon, c’est en liant son
comportement futur à certains pré-engagements, que l’entreprise déve-
loppe une identité unique, acquiert un certain « caractère » et construit ses
compétences distinctives.
Cette proposition correspond à une conception étendue de la rationa-
lité selon laquelle le décideur, constitué d’un ensemble de sous-agents (ou
de multiple « moi ») est confronté à un problème de décision inter-tem-
porel qui suppose la résolution d’un conflit intrapersonnel entre des inté-
rêts à long terme et des intérêts à court terme. Ces derniers risquent fort
228 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Finalement, la conception de l’entreprise que Philip Selznick défend
s’exprime par la métaphore du système constitutionnel, ou de la constitu-
tion politique, et celle de son dirigeant par la métaphore de l’homme
d’État, promoteur et gardien de l’institution.
Cette vision de l’entreprise est bien sûr étroitement liée à la vision de
l’organisation en tant qu’institution. L’entreprise est un arrangement coo-
pératif entre un certain nombre d’apporteurs de ressources qui projettent
de se partager les résultats que produira un travail en équipe. Mais pour
accepter de prendre le risque inhérent à l’action d’entreprendre, chacun
doit être protégé contre les éventuels comportements opportunistes des
autres. L’entreprise, comme une institution, doit être capable d’apporter
cette protection en instaurant une sorte de contrat social entre apporteurs
de ressources4 qui pose les bases procédurales de la prise de décision, per-
met de construire dans la durée une organisation crédible et orientera
l’accumulation à long terme des capacités spécifiques de l’entreprise.
C’est la responsabilité du dirigeant que de bâtir et de protéger ce sys-
tème constitutionnel. Sa tâche essentielle est de veiller à la construction et
à la préservation de l’identité et des compétences distinctives de l’entre-
prise, ce qui ne se conçoit pas hors d’une perspective de long terme. Il
s’agit de considérer l’entreprise comme un going concern, une entité saine
et durable, et d’orienter les décisions de façon à nourrir et préserver cette
dimension identitaire.
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Cette conception du rôle du dirigeant présente des parentés avec ce que
délivre la théorie contemporaine des ressources et des compétences, du
moins lorsqu’elle prolonge les vues d’Edith Penrose. Par exemple, lorsque
la théorie des ressources et compétences considère la diversification non
reliée comme problématique, c’est bien parce qu’en brouillant les compé-
tences centrales ou distinctives de l’entreprise elle peut conduire à la frag-
mentation de l’organisation et à la perte de contrôle.
La conception de l’entreprise que défend Philip Selznick présente en
définitive plusieurs particularités.
Tout d’abord, elle s’oppose aux représentations inspirées du schéma
incitations/contributions de Chester Barnard, typiques d’une conception
simplement technique du leadership où il s’agit d’instaurer une trêve entre
différents groupes d’intérêts. Cela conduit à se focaliser sur les questions
de court terme au détriment du processus d’institutionnalisation. À la
vision du leader comme agent interpersonnel, se substitue celle de l’agent
d’institutionnalisation, soucieux de la cohérence des décisions dans la
durée. Cette distanciation vis-à-vis de ce qui est à l’origine d’une théorie
5. Par exemple, la décision de lancer un nouveau produit ou d’entrer sur un nouveau marché, bien qu’elle
puisse être bénéfique dans l’immédiat, est irresponsable si elle n’est pas basée sur la compréhension du
caractère passé et potentiel de l’entreprise.
230 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Enfin, cette conception de l’entreprise correspond à une vision large de
sa responsabilité. Une théorie institutionnelle de l’entreprise, traduit le
rejet d’une culture de courte vue. Elle invite à penser la responsabilité de
l’entreprise sur d’autres bases que celles qui s’expriment dans la recherche
du profit ou de la rentabilité maximum, et à prendre en considération la
variété des parties prenantes qui y participent. Considérer l’entreprise
comme une institution et la voir comme une organisation saine et durable,
suppose de prendre en considération les différentes parties prenantes per-
tinentes, en se souciant des intérêts à long terme. Tout cela est en opposi-
tion avec la conception encore dominante qui voit l’entreprise comme
l’association volontaire d’actionnaires qui la possèdent et qui sont les seuls
acteurs à compter réellement. : « La primauté de l’actionnaire a eu un effet
pernicieux sur ce que l’on considère être la rationalité de l’entreprise. Si
l’essentiel est le retour pour l’investisseur, en termes de dividendes ou
d’accroissement de la valeur de l’action, il est facile de considérer que la
rationalité consiste à maximiser ce retour. Vraisemblablement, c’est que ce
que les investisseurs individuels souhaiteraient. Leur intérêt ne va pas au-
delà… Ce qui est rationnel pour eux, ne l’est pas nécessairement pour
l’entreprise » (Selznick, 1992 : 347).
6. La critique vaut, par exemple, pour la théorie des coûts de transaction et la place centrale qu’y tient la
notion d’opportunisme. Pour Philip Selznick, l’opportunisme est avant tout un comportement myope
ou à courte vue.
Philip Selznick 231
Conclusion
Comme théoricien des organisations et de l’entreprise, Philip Selznick
a introduit des perspectives dont se saisiront par la suite bon nombre
d’auteurs s’inscrivant dans ces disciplines. Si, au départ, ses travaux pré-
sentent des affinités avec les penchants naturalistes et évolutionnistes des
« Relations Humaines », leur développement annonce la vision des orga-
nisations comme coalitions politiques et les réflexions que l’on trouve dans
des courants comme la théorie de la dépendance en ressources et la théorie
néo-institutionnelle quant aux stratégies comportementales qu’une orga-
nisation ouverte sur son environnement et cherchant à survivre peut être
amenée à adopter. Ils ont ouvert la voie à la prise en compte des aspects
symboliques du fonctionnement des organisations dans la mesure où ces
aspects jouent un rôle important dans le processus d’institutionnalisation
en permettant la création d’une coalition d’identités, plus robuste qu’une
simple coalition d’intérêts. Ils introduisent également la conception du
dirigeant comme constructeur et manager de sens, bien avant que l’on
parle de « nouveau leadership », qu’il soit qualifié de « transformation-
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nel », de visionnaire » ou de « charismatique ».
Son apport essentiel sur le plan d’une théorie institutionnelle de l’orga-
nisation, considéré comme l’un des bases fondatrices de la théorie néo-
institutionnelle, est en même temps plus en phase que cette dernière avec
le management stratégique quand ce dernier privilégie la construction de
la singularité plutôt que la mise au jour de « lois universelles », et quand il
cherche à se doter d’une théorie stratégique de l’entreprise dépassant les
visions réductrices empruntées à la seule économie ou la seule sociologie
(Bréchet et Desreumaux, 2004).
Le travail de Philip Selznick peut être considéré comme une des pre-
mières transgressions des frontières disciplinaires entre sociologie et éco-
nomie. L’entreprise de dépassement de ce qui oppose ces deux disciplines
de référence reste sans doute un chantier d’envergure (Joas, 1999), mais
les sciences du management, qui ont un rôle à jouer à cet égard, peuvent
trouver chez cet auteur des points de repère qu’il serait dommage de ne pas
exploiter davantage.
Philip Selznick est clairement influencé par la philosophie de John
Dewey et l’importance que ce dernier donne à l’interaction de la morale
et de la science. Pour lui, comme pour le philosophe pragmatiste, il n’y a
pas véritablement de contradiction entre les deux. Il faut mobiliser notre
intelligence (c’est-à-dire une démarche scientifique) pour comprendre les
problèmes que posent les organisations aux êtres humains, à la vie sociale
ou aux politiques sociales, et essayer de trouver des façons d’améliorer les
232 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
choses. Porteur d’une vision morale et politique, Philip Selznick est une
référence à redécouvrir pour ce qui est des questions de gouvernance de
l’entreprise et de responsabilité sociale qui sont devenues des préoccupa-
tions majeures en management. S’il n’exprime pas de critique particulière
vis-à-vis des différentes perspectives qui ont marqué et marquent encore
aujourd’hui le développement de la théorie des organisations, il ne lui
semble pas, cependant, que l’on accorde suffisamment d’attention aux
questions essentielles et liées de responsabilité et d’intégrité des entreprises
et des organisations, ni à celui des rapports entre bureaucratie et démocra-
tie (Selznick, 2000).
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Selznick, P. (1948), « Foundations of the Theory of Organization », American
Sociological Review, vol. 13, n° 1, p. 25-35.
Selznick, P. (1949), TVA and the Grass Roots : A Study in the Sociology of Formal
Organization, University of California Press, Berkeley.
Selznick, P. (1952), The Organizational Weapon : a Study of Bolshevik Strategy and
Tactics, Mc Graw Hill, New York.
Selznick, P. (1957), Leadership in Administration, Harper et Row, New York.
Selznick, P. (1992), The Moral Commonwealth : Social Theory, and Industrial
Justice, University of California Press, Berkeley.
Selznick, P. (1996), « Institutionalism “Old” and “New” », Administrative Science
Quarterly, vol. 41, p. 270-277.
Selznick, P. (2000), « On sustaining Research Agendas : Their Moral and
Scientific Basis. An Address to the Western Academy of Management »,
Journal of Management Inquiry, vol. 9, n° 3, p. 277-282.
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Thompson, J. D., McEwen, W.J. (1958), « Organizational goals and environ-
ment : Goal-setting as an interaction process, American Sociological Review,
vol. 23, p. 23-31.
Thompson, J. D. (1967), Organizations in Action, Mc Graw Hill, New York.
XV. CHRIS ARGYRIS – APPRENTISSAGE ORGANISATIONNEL ET
CONNAISSANCES ACTIONNABLES
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connaissances actionnables
organisationnel et
Apprentissage
Chris Argyris
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successifs. Il s’intéresse tout d’abord à l’individu dans l’organisation (1957,
1964), puis explore le changement organisationnel à partir des cadres
dirigeants (1962, 1965). Il s’intéresse ensuite, en termes de méthode, à
élaborer les contours d’une recherche intervenante pour accompagner le
changement (1970, 1985). Enfin, et parallèlement dès les années soixante-
dix, il développe, avec Donald Schön1, les bases de la théorie de l’appren-
tissage individuel et organisationnel (1978, 1996) qu’il n’a eu de cesse
d’enrichir depuis. Au cours de sa carrière, il publie une trentaine d’ou-
vrages et près de trois cent articles, sans compter les nombreuses interven-
tions en entreprises, lui valant une renommée internationale, aussi bien
dans l’univers académique qu’auprès des dirigeants. Pour Chris Argyris, la
description et l’explication sont des étapes nécessaires mais non suffi-
santes. Lorsque les consultants s’aventurent dans la formulation de recom-
mandations, ils constatent souvent que les effets non voulus l’emportent
fréquemment sur ceux recherchés. Il existe deux raisons pour cela. La
première est que la théorie utilisée n’est pas la bonne, et l’autre, découlant
de la première, est que le système d’information a changé entre le moment
où les recommandations ont été formulées et celui où il y a constat d’un
échec ou d’un dysfonctionnement.
Les thèmes de recherche que privilégie cependant Chris Argyris sont
l’apprentissage organisationnel, le changement et le leadership ; trois
concepts qui caractérisent son intérêt pour l’activité de production de
connaissances et pour l’action. Dans les années soixante-dix, il publie des
1. Donald Schön est né en 1931 à Boston où il est décédé en 1997.
Chris Argyris 237
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et organisationnel.
• Individuel, en ramenant sans cesse le chercheur à expliquer les phé-
nomènes observés par la condition humaine.
• Collectif, en s’interrogeant sur la nature des interactions entre les
acteurs et sur les effets qu’elles produisent sur l’organisation.
Ces deux premiers niveaux sont en particulier très présents lorsqu’il
mobilise la notion de « routine défensive » pour expliquer l’inhibition des
acteurs en situation de changement et d’apprentissage. Seuls les efforts
individuels et collectifs d’honnêteté, de justice et de vérité (clés essentielles
chez Argyris) permettent de dépasser les facteurs qui inhibent l’apprentis-
sage pour autoriser le développement des conditions propices à un réel
développement organisationnel.
• Organisationnel, en orientant la réflexion sur ce que les apprentis-
sages permettent de développer en termes de compétences et perfor-
mances additionnelles pour l’entreprise.
Son travail central consiste ainsi à explorer, à ces trois niveaux, les liens
entre la connaissance et l’action. Il développe alors une théorie de l’action
qui constitue un apport indiscutable au management par son ancrage
pluridisciplinaire, par les emprunts conceptuels effectués et par son rayon-
nement.
2. Argyris et Schön (1978), Organizational Learning : a Theory of Action Perspective, Addison Wesley,
Reading Mass.
238 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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travail avec les sciences de l’action, mais aussi d’en circonscrire les
influences en termes méthodologique et épistémologique notamment.
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Dès l’ouvrage de 1978, Argyris et Schön exposent les deux niveaux
d’apprentissage mis en évidence grâce à de multiples observations et expé-
riences en entreprises. Ces deux processus, enrichis par les travaux ulté-
rieurs, se distinguent entre eux notamment en ce qu’ils mobilisent de
façon différente les théories de l’action. Il existe deux types de théorie de
l’action : la théorie professée (espoused theory) et la théorie en usage (theory
in use) mobilisées par les acteurs dans le processus de détection et correc-
tion d’erreurs. La théorie professée correspond à l’ensemble des valeurs,
des croyances et des attitudes qui donnent lieu à la production de discours
de la part des acteurs. La théorie en usage correspond aux stratégies d’ac-
tion effectives et se rapporte à l’ensemble des règles et procédures ou
modes opératoires mis en pratique par les acteurs. Lorsqu’il est confronté
à une situation embarrassante, et bien qu’il n’en soit pas forcément
conscient, il existe fréquemment, pour l’acteur, un écart entre la théorie
qu’il évoque pour expliquer et/ou justifier ses actions (théorie professée) et
la théorie qu’il mobilise effectivement (sa théorie d’usage). C’est alors
qu’interviennent les routines défensives. Elles représentent toutes les
actions qui permettent à un individu d’éviter la situation embarrassante.
Ces routines, qui d’une certaine manière protègent, ont cependant pour
conséquence non désirée, d’empêcher, ce faisant, la discussion et la réso-
lution des « vrais » problèmes.
Les deux processus d’apprentissage sont présentés sous la forme de
deux modèles distincts : l’apprentissage en simple boucle et l’apprentissage
en double boucle.
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auteurs (1978 : 26) envisagent la perspective d’un continuum, ils exposent
cependant de façon purement discrète les deux modèles dans leurs tra-
vaux. Autrement dit, si l’apprentissage en simple boucle ne permet pas de
résoudre le problème rencontré par les acteurs, il est alors envisageable de
considérer un déplacement cognitif vers un processus de type double
boucle. Argyris et Schön soulignent cependant la difficulté d’apprendre
selon ce dernier processus, par nature plus perturbant pour les acteurs,
parce que porteur de remise en cause des principes qui structurent l’acti-
vité de ces mêmes acteurs dans l’organisation. Le schéma 1 ci-après,
adapté de Argyris (1993), présente de façon simplifiée l’articulation entre
ces deux modèles.
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heurter la représentation de la situation qu’ont les dirigeants (Argyris,
1977). Ainsi, nous dit Argyris, lorsque des problèmes sont constatés par la
hiérarchie intermédiaire, une déconnexion progressive des dirigeants avec
les cadres opérationnels se produit, sans d’ailleurs que ces derniers en sai-
sissent véritablement la raison. Masquer les problèmes est un moyen de
retarder une discussion désagréable avec la hiérarchie. Mais, indique l’au-
teur, c’est aussi le plus sûr moyen de se voir reprocher un jour son com-
portement « déloyal ». Par conséquent, les employés sont pris au piège et,
quoiqu’ils fassent, cela s’avère contre-productif pour l’organisation. C’est
pourquoi le dévoilement des problèmes s’opère souvent dans la douleur
(crise).
Le second paradoxe concerne les dirigeants. Ces derniers reçoivent une
plus grande récompense lorsqu’ils maintiennent leur organisation stable
que lorsqu’ils la perturbent en voulant y introduire du changement. Or, le
cœur de leur mission est précisément de piloter l’organisation vers davan-
tage de performance, notamment en interrogeant les pratiques en cours
(théories en usage) et les principes qui les sous-tendent (théories profes-
sées). Ainsi, encourager les interrogations de l’organisation sur ses pro-
blèmes ou bien mettre en œuvre une réflexion sur des axes de progression
par exemple, revient, pour les dirigeants à ouvrir « la boîte de Pandore »
car le risque est considérable pour eux. C’est ce qu’Argyris appelle le
dilemme du pouvoir : accepter de se mettre en danger, soit en prenant le
risque de la contradiction, soit en autorisant un partage des responsabilités
en cas de dysfonctionnement majeur. Ceci va à l’encontre de la prédispo-
242 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
sition naturelle des dirigeants pour le statu quo. De fait, même s’ils sont
intellectuellement séduits par l’idée d’accompagner l’organisation vers une
performance accrue ou une plus grande adaptabilité, il leur est très difficile
de réunir les conditions d’un apprentissage de second ordre, c’est-à-dire en
double boucle (Argyris, 1994). La prédisposition naturelle des managers à
ignorer ou supprimer les dilemmes et paradoxes constitue ainsi un pro-
blème crucial, empêchant l’occurrence ou la promotion d’un apprentis-
sage en double boucle. Pourtant, selon Argyris, même si ces conditions ne
sont pas faciles à réunir, seuls les dirigeants peuvent et doivent encourager
l’apprentissage dans l’organisation.
La conséquence première de ces deux paradoxes est que les change-
ments organisationnels ne sont très souvent, dès lors, que des « change-
ments de surface ». Il est ainsi difficile pour les organisations d’apprendre
de leurs erreurs.
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humaine
L’originalité du travail de Chris Argyris réside sans doute dans sa
manière d’appréhender les acteurs de l’organisation. Pour lui, l’acteur
organisationnel n’est pas un être à part, différent de l’Homme ou du
citoyen, et il est fondamental de comprendre avant toute chose comment
les individus fonctionnent sur le plan cognitif4 (le human being).
Que lui apportent ses réflexions sur le human being ? Pour Argyris,
toute action est fondée d’abord sur un raisonnement défensif qui « pro-
tège » l’individu de progrès potentiels. En effet, la nature humaine est ainsi
faite qu’il existe des mécanismes cognitifs naturels de protection [qu’Argy-
ris (1986, 1993) nomme les routines défensives] qui freinent l’introspec-
tion et poussent rapidement l’individu à considérer que les causes de son
problème ne viennent pas de lui mais du monde, l’empêchant ainsi d’agir
et d’apprendre. Cette dissonance cognitive gênante se manifeste lorsque
l’individu, quel qu’il soit, constate un écart entre ses valeurs (théories pro-
fessées) et les théories de l’action qu’il mobilise effectivement (théories en
usage). Aussi, si les dirigeants s’interrogeaient davantage sur leurs propres
4. Notons, à ce sujet, la proximité de ses travaux avec ceux notamment de Kurt Lewin sur la dynamique
des groupes qu’il aurait rencontré lorsqu’il était étudiant et qui l’aurait influencé. Argyris se reconnaît
également dans les travaux de Roger Barker, le fondateur de l’écologie psychologique (psychological
ecology) qui implique, entre autres, l’observation des acteurs en situation naturelle (Pickard, 1997).
Au-delà, il reconnaît une filiation avec le travail ultérieur de Peter Senge. En considérant les concepts de
systèmes dynamiques qui caractérisent le contexte de l’action et les méthodes expérimentales
d’apprentissage, Senge (1990) prolonge en effet la voie ouverte par Argyris.
Chris Argyris 243
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sont moins. Argyris distingue ainsi deux types d’engagement individuel
(interne et externe) susceptibles de guider l’analyse des changements
(cf. encadré 1). Des acteurs autonomes ne se sentiront engagés dans un
processus de changement que s’ils pensent et définissent eux-mêmes les
actions de ce changement. Pour ces derniers, l’engagement individuel
interne est la seule clé à l’acceptation du changement5. Sans lui, la produc-
tion d’énergie nouvelle, réclamée par les dirigeants via les programmes de
changement, est impossible. Dans l’ensemble, les programmes de change-
ment sont d’ailleurs conçus pour des individus autonomes, c’est-à-dire
pour ceux dont l’engagement interne est le moteur. Or, certains employés
se sentent plus à l’aise dans des situations de travail prescrit et un pro-
gramme de changement très directif leur convient parfaitement. Selon
Argyris, il existe alors une contradiction forte entre les motifs de concep-
tion du programme et les résultats qu’il permet d’obtenir.
5. On retrouve ici l’influence de Kurt Lewin sur Chris Argyris : la nécessaire adhésion de l’acteur pour
qu’un changement se produise autrement que dans les discours.
244 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
Ainsi, en soulignant le rôle des routines défensives, puis celui des deux
formes d’engagement individuel, Argyris apporte des réponses particuliè-
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rement fines aux situations observées liées à l’introduction de change-
ments dans les organisations. Et, si le niveau de contribution théorique
qu’il ambitionne est organisationnel, les réponses qu’il apporte sont inti-
mement liées aux efforts déployés pour comprendre davantage la nature
humaine (aux niveaux individuel et collectif ).
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tements qui en découlent (Argyris, 1993). De manière liée, l’auteur
constate que les sessions de formation destinées aux managers, dont le but
est de faciliter l’occurrence d’un apprentissage en double boucle, n’y
changent pas grand-chose. Certes, les formations créent les conditions
pour débattre des problèmes, mais ces situations restent artificielles, donc
temporaires et contingentes à l’action de formation.
Pour Argyris, il convient plutôt de créer les conditions de ce dévelop-
pement au sein même de la structure, notamment par une meilleure com-
munication. Les dirigeants admettent qu’une compétition accrue nécessite
davantage d’apprentissage mais aussi une plus grande délégation des pou-
voirs et plus d’engagement de chacun dans l’entreprise. Au-delà, ils com-
prennent aisément l’intérêt d’une meilleure communication. Argyris sou-
ligne cependant qu’il ne suffit pas d’introduire davantage de communica-
tion pour accroître les capacités d’apprentissage de l’entreprise. En effet, la
mobilisation, même correcte, des techniques de communication est un
facteur qui peut bloquer l’apprentissage car elles n’incitent pas les acteurs
à un travail réflexif sur leurs activités et leurs comportements. Les pro-
blèmes peuvent être ainsi vus et véhiculés dans la structure, sans pour
autant être nommés ni traités. Le risque est alors d’ignorer ou de nier les
dysfonctionnements sans remettre en question, d’une quelconque façon,
les théories professées. En outre, pour les acteurs, cette posture est plus
6. Pour l’auteur, un savoir devient actionnable lorsqu’il est utile aux dirigeants dans l’exercice de leurs
missions. La connaissance actionnable doit être scientifiquement valide et pouvoir être déployée par les
managers.
246 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
confortable que celle qui consiste à affronter les problèmes. Ce faisant, elle
contribue à rendre difficile l’occurrence d’un apprentissage fort et signifi-
catif au sein de la structure organisationnelle.
L’apprentissage, notamment en double boucle, est ainsi empêché et les
raisons sont à rechercher, selon Argyris, parmi un ensemble de motiva-
tions profondes et complexes, d’ordre psychologique. Il existe un raison-
nement défensif individuel qui consiste à préserver l’individu de la vulné-
rabilité, du risque, de l’embarras et d’une apparente incompétence.
L’individu n’est que peu enclin naturellement à interroger ses propres
schémas de pensées. Par conséquent, il ne s’expose ni à la critique, ni à la
déstabilisation. Et rien ne saurait être plus destructeur pour l’apprentissage
organisationnel que ce processus d’élévation des tactiques de défense indi-
viduelles en routines organisationnelles. En effet, ces dernières relèvent de
toutes les politiques, pratiques et actions qui préviennent de la nouveauté
ou de l’expérience et, dans le même temps, qui protègent les acteurs d’un
examen portant sur la nature et les causes de ce qui embarrasse ou fait
peur. C’est pourquoi managers et dirigeants privilégient la stabilité orga-
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nisationnelle au détriment d’une situation plus perturbante de réflexion
sur les pratiques en cours et sur les principes qui les sous-tendent (cf. 1.2
– le statu quo).
Argyris trouve ainsi des explications au niveau individuel pour justifier
les interactions entre acteurs et leur résultat : le non apprentissage et la non
création de compétences. Pour autant, Argyris ne renonce pas à faciliter
l’introduction de l’apprentissage en double boucle dans l’organisation. Il
préconise même un cadre méthodologique interventionniste.
la pratique ». Pour ces auteurs, cette démarche de recherche est la seule qui
autorise un couplage étroit entre l’établissement des construits théoriques
et leurs tests dans l’action. En outre, en énonçant que la description empi-
rique est impossible sans l’intervention, Argyris prend volontairement
position face à ce qu’il appelle les sciences conventionnelles. En effet, si
pour Argyris, la méthodologie de recherche doit produire des propositions
généralisables et falsifiables, elles doivent également être actionnables,
c’est-à-dire mises en œuvre par les praticiens et / ou le chercheur. Ainsi,
pour l’étude de l’apprentissage, le chercheur doit notamment évaluer si
l’organisation est très imprégnée de routines défensives ou si l’occurrence
d’un apprentissage type double boucle est possible. La démarche d’inter-
vention utilise une échelle d’inférence, employée comme un support pour
faire émerger la structuration du sens que les acteurs donnent aux événe-
ments (Argyris, Putnam et McClain-Smith, 1985). Il convient alors de
découvrir le degré avec lequel les acteurs mobilisent des raisonnements
défensifs alors même qu’ils traitent de situations embarrassantes ou de
problèmes stressants. L’apprentissage est considéré comme acquis lorsque
le diagnostic et l’intervention se sont effectivement produits.
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La connaissance actionnable ne doit pas seulement avoir une validité
externe importante. Elle doit indiquer les processus cognitifs et les actions
requises pour créer des propositions dans le monde des acteurs ou prati-
ciens de l’organisation. Cette dernière dimension est centrale dans la
méthode « Argyris ». Autrement dit, la connaissance produite ne fait sens
que si les acteurs ont la capacité de la mettre en œuvre7. Par exemple, la
confiance, en tant que variable, a un haut degré de validité externe. Mais
le niveau d’actionnabilité de cette variable est traditionnellement faible
dans les recherches qui produisent de la validité externe sur la confiance.
Pour Argyris, la recherche doit être descriptive, normative et prescrip-
tive. La description est essentielle pour ordonner et présenter une vue de
la réalité. L’optique normative est importante parce que se focaliser sur
l’action revient à se concentrer sur son efficacité. La prescription est essen-
tielle en ce qu’elle autorise la généralisation dans les actions quotidiennes,
mais aussi parce qu’elle permet de développer des tests de validité des
propositions émises.
– Le troisième socle de la science de l’action est l’individu. Il est la clé
de voûte de l’apprentissage organisationnel. Ce dernier est engendré par
les raisonnements que la nature humaine mobilise, invente et produit,
pour agir et évaluer les actions. Penser et agir sont deux activités basées sur
un raisonnement de nature causale. Par conséquent, les solutions pro-
7. On retrouve ici l’ancrage volontiers pragmatiste de la posture revendiquée par Chris Argyris (Charreire
Petit et Perret, 1998).
248 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Justice, vérité, compétence, efficacité et apprentissage sont les mots qu’il
emploie pour qualifier l’ensemble de sa recherche. Pour lui, l’éthique du
chercheur doit toujours être très affirmée. La production d’une recherche
de qualité est d’abord une recherche « libre », c’est-à-dire une recherche
pour laquelle le chercheur n’est soumis à aucune contrainte d’aucune
sorte. Il était fondamentalement attaché aux valeurs démocratiques et une
recherche « libre » ne peut être réalisée pour un organisme ou un État
dictatorial. Autrement dit, la démarche méthodologique doit être inscrite
dans un contexte large ; le contexte politique et social du programme de
recherche et l’éthique du chercheur ne doit pas être délimitée par les seules
frontières de l’objet ou de l’organisation étudiée. L’éthique a occupé une
place très importante dans sa réflexion. Il a revendiqué une position épis-
témologique pragmatiste devant être en cohérence, non seulement avec la
recherche produite, mais plus largement avec le contexte social et sociétal
dans lequel elle s’inscrit (Charreire Petit et Perret, 1998).
La dimension éthique doit inclure l’honnêteté de la démarche intellec-
tuelle du chercheur. Pour Argyris, trop de recherches en sciences sociales
ne se soucient pas assez de la façon dont les résultats peuvent être « utiles »
et opérationnalisés. Sur ce point, son propos fut militant ; il faut produire
des résultats dont les acteurs pourront se servir, soit pour améliorer leur
capacité de réflexion, soit leur pratique, soit les deux. Cette position a
irrité certains chercheurs de sa génération, mais a été entendue par de plus
jeunes collègues par la suite et Argyris s’en félicitait (Fulmer et Keys,
1998). Reconnaître l’importance de l’actionnabilité des connaissances fut
Chris Argyris 249
Débats et perspectives…
À l’évidence, Chris Argyris restera comme un grand auteur, qui a très
largement contribué à structurer les différents champs du management.
Ses travaux font écho dans toutes les disciplines et sont pertinents pour
toutes les fonctions des organisations. Outre les apports conceptuels de
l’auteur, la relecture de son œuvre a pour objet de mettre en évidence
l’apport méthodologique et épistémologique de ses travaux, mais aussi les
débats suscités par ses prises de positions radicales. En effet, il a toujours
défendu la recherche intervention en tant qu’unique moyen de produire
une connaissance actionnable et a mis en doute, à ce titre, les méthodes de
recherche conventionnelles. Pour Argyris, ce que les acteurs disent de leur
comportement ne correspond que rarement aux théories de l’action qu’ils
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mobilisent effectivement. Par conséquent, la découverte de connaissances
valides et utiles devient alors très problématique à travers l’utilisation des
méthodes scientifiques conventionnelles.
Ses différentes prises de position font l’objet de controverses auxquelles
participent des chercheurs internationalement reconnus. Ainsi, si Van de
Ven reconnaît que le monde académique pourrait être plus performant
pour accompagner la mise en œuvre des connaissances, il pense, à l’instar
de Simon, que les avancées significatives sur le management des connais-
sances passent nécessairement par la production de construits théoriques
valides, y compris pour leur mise en pratique ultérieure. Pour Argyris, si
les démarches classiques sont efficaces pour comprendre et expliquer, elles
ne sont pas adéquates lorsqu’elles sont au service de l’action. Se cachent
derrière ces questions des conceptions de la recherche bien différentes
pour les protagonistes. Certains privilégient la pertinence scientifique des
recherches produites alors qu’Argyris fut davantage préoccupé par les
questions et les solutions du « monde réel ».
Au-delà de sa position sur la science de l’action versus la science « nor-
male », ses travaux ont également fait l’objet de quelques critiques. En
particulier, son regard sur la nature humaine, véritable filtre de ses propo-
sitions, est considéré comme réducteur en ce qu’il se focalise essentielle-
ment sur des réactions de défense (routines défensives). Or, les motiva-
tions humaines sont riches et multiples, les interactions entre les cultures,
les systèmes économiques et politiques sont complexes (Greenwood et
250 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
Levin, 1998). Et, même si le rôle de la culture a davantage été intégré dans
le second ouvrage (Argyris et Schön, 1996), la conceptualisation des pro-
cessus d’apprentissage proposée reste très guidée par sa représentation
première du human being. De plus, les fondements des modèles de l’action
resteront peu explicités, y compris pour la démarche d’intervention qu’il a
toujours préconisée. Un doute légitime s’installe alors sur la capacité
qu’auraient eue Argyris et Schön, dans leurs interventions, à s’affranchir
eux-mêmes des limites humaines ordinaires dont ils s’attachaient pourtant
à démontrer le caractère universel (Greenwood et Levin, 1998).
L’originalité et la fécondité de la pensée de Chris Argyris sont cepen-
dant unanimement reconnues. Peter Senge confie même la fascination
qu’il a ressentie en écoutant Chris Argyris enseigner. La conceptualisation
de l’apprentissage qu’a livrée Chris Argyris s’inscrit dans un cadre théo-
rique et méthodologique large et intégré ; des théories de l’action couplées
à la recherche intervention. Il s’agit d’un véritable programme de recherche
devenu incontournable pour aborder de très nombreuses problématiques
en management. En outre, son travail est mis en valeur par un style écrit
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original où se mêlent conceptualisations, exemples nombreux et réflexions
personnelles sur son propre apprentissage des phénomènes complexes qu’il
a étudiés. On doit y lire l’illustration de son empathie avec le terrain,
revendiquée explicitement dans le dispositif de recherche intervention, et
qu’il a largement contribué à promouvoir dans la communauté scienti-
fique et au-delà.
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Beer, M., Nihria, N. (2000), Breaking the Code of Change, Boston, MA : Harvard
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Charreire, S., Perret, V. (1998), « Quand Chris Argyris parle de recherche »,
Revue française de gestion, vol. 119, p. 58-68.
Fulmer, R.M., Keys, B.J. (1998), « A conversation with Chris Argyris, the father
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Smith, M. K. (2001), « Chris Argyris : theories of action, double-loop learning
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Senge, P. (1990), The fifth discipline : The art and practice of the learning organiza-
tion, New York : Doubleday.
XVII. ROBERT CHIA – APPROCHE PROCESSUELLES ET PRATIQUES EN
MANAGEMENT, UNE ONTOLOGIE ALTERNATIVE
Isabelle Bouty
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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Isabelle Bouty
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Robert Chia 269
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obliquité et modestie des incisions dans le flux organisationnel, attention
périphérique, surprise, indétermination… Autant de notions qui semblent
plus équivoques, certainement moins conventionnelles en management,
mais qui sont indubitablement ouvertes, plus fluides et, de ce fait, en phase
avec la vision processuelle et pratique à laquelle elles font écho. Au demeu-
rant, cette pensée est, chez Robert Chia, nourrie à deux sources intellec-
tuelles : la pensée orientale dans laquelle il a grandi, été éduqué et a évolué
d’une part et, d’autre part, la pensée processuelle postmoderne occidentale
en organisation.
L’on comprend dès alors que Robert Chia occupe une place originale
parmi les penseurs contemporains en management ; tant par sa trajectoire
mi-pratique / mi-académique qui le situe entre deux traditions, que par son
double ancrage culturel en Orient et en Occident, ou encore par les idées
qu’il promeut et qui l’amènent à s’intéresser autant à la pratique managé-
riale qu’à la formation au management. Ce chapitre est articulé en trois
sections visant à tracer la pensée de Robert Chia et à en esquisser la portée.
Il ne saurait toutefois épuiser celle-ci, car R. Chia est un auteur prolixe et
toujours très actif, qui porte sa réflexion sur de nombreuses questions et
décline ses travaux sous diverses formes, écrites comme orales. La première
section esquisse les traits essentiels du renversement ontologique et de
l’approche proposés par R. Chia. Puis il s’agit de décrire les principales
contributions des travaux de l’auteur pour le champ du management et des
organisations. Enfin, la dernière section s’arrête sur les propositions de
Chia relativement à la formation et à l’enseignement du mangement.
270 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
Notice biographique
Né en 1949, Robert Chia a initialement étudié l’ingénierie mécanique et est diplômé
de la Singapore Polytechnic. Il débute sa carrière en entreprise dans les années soixante-
dix et occupe, durant une quinzaine d’années, divers postes d’encadrement intermédi-
aire et supérieur dans de grandes entreprises de l’industrie aéronautique principalement
en Asie ; d’abord dans les domaines de l’ingénierie et de la production, puis progres-
sivement en ressources humaines, pour finalement devenir directeur des ressources
humaines. Ces expériences l’amènent à poursuivre ses études en management et il
obtient un MA en Analyse Organisationnelle. À la fin des années quatre-vingt, R. Chia
quitte l’industrie et s’engage dans un doctorat en Sciences des Organisations, qu’il
obtiendra en 1992, à l’Université de Lancaster sous la direction du Pr. R. Cooper. Il
embrasse à cette occasion une carrière académique qui le mènera de son premier poste
de professeur assistant à l’Université de Lancaster à celle d’Essex (1996-2001), puis
d’Exceter (jusqu’en 2004) et surtout en Écosse ; notamment à l’Université de
Strathclyde (2008-2012) et à l’Université de Glasgow dont il rejoint l’Adam Smith
Business School en 2013 en tant que Professeur Chercheur. Robert Chia a été proposé
puis élu membre de la Royal Society for the Encouragement of Arts, Manufactures and
Commerce du Royaume-Uni et membre invité de la Society for the Advancement of
Management Studies. Il a également été éditeur associé d’Organization Studies et mem-
bre du comité scientifique de plusieurs autres revues dont Journal of Management
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Studies, Management Learning, European Management Journal, mais aussi le Journal of
Chinese Management. En parallèle d’une recherche et d’une production très soutenues
dans les revues internationales et les conférences les plus prestigieuses, Robert Chia
maintient une activité de conseil auprès de grandes organisations publiques et privées
et demeure largement impliqué dans des programmes de formation exécutive.
l’une de l’autre sont ici en présence et épouser l’une ou l’autre est lourd de
conséquences puisqu’il s’agit d’inverser complètement les priorités.
La tradition occidentale classique (et la perspective dite moderne en
management) privilégie traditionnellement une pensée de l’être et des
entités dans laquelle l’enjeu principal est celui de la représentation d’une
réalité supposée fixe et largement extérieure au sujet. Il s’en suit une forte
inclinaison pour l’explication, la précision, l’articulé… Autant de traits
qui, ensemble, font du langage un moyen privilégié de la connaissance.
C’est conséquemment au fixe, à l’universel, à ce qui « est » qu’est attachée
la validité. Dès lors, le fluctuant et le changeant ne sont que variations
empiriques secondaires relativement négligeables ou encore phénomènes
exceptionnels. C’est la position ontologique dont est empreinte une large
part de la réflexion en management jusqu’à aujourd’hui. L’enjeu y est de
conceptualiser les observations empiriques pour dire ce qui est, pour nom-
mer et pour établir des relations causales entre ces éléments. Mais, ainsi
que le souligne R. Chia (2003), cette entreprise est au fond relativement
éloignée des préoccupations concrètes des managers, dont le souci est
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souvent plus prospectif et pragmatique (que faire, comment manœuvrer,
qu’est-ce qui va « marcher ») que théorique et rétrospectif (décrire a poste-
riori et nommer).
À l’opposé, la pensée orientale (taoïste), quelques auteurs présocra-
tiques (notamment Héraclite) et la pensée processuelle et pratique
(Whitehead, 1929 par exemple), privilégient une approche synthétique et
fluide, qui fait une place centrale à l’expérience directe du sujet au monde
dans lequel il est engagé. Le mouvement, la transformation et le change-
ment incessant priment sur la stabilité et la permanence, car l’expérience
directe du monde est celle d’une dynamique continue, de la vie qui se
déroule. La résolution des problèmes prend donc le pas sur la description ;
les corrélations et les résonnances sur les relations causales linéaires ; l’inar-
ticulé sur le littéral. Ainsi que le souligne R. Chia (2003), c’est précisé-
ment l’ontologie que porte la communication indirecte, suggestive ou
symbolique ; l’écriture idéographique relève moins du système de repré-
sentation que de la performance artistique car la réalité est ultimement
inaccessible à un langage qui échoue à capturer les aspects les plus pro-
fonds de la condition humaine. Une véritable ontologie alternative est ici
au cœur de la pensée : le flux, le devenir et la transformation incessante
sont l’essence de la vie. Et ce sont donc le fugace et l’éphémère qui priment
sur l’ordre et les états stables. Pris dans le flux contribuant au mouvement
continu du monde, l’humain ne peut qu’essayer de faire face de manière
très pragmatique et pratique.
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ce sont des accomplissements continus. Les ébauches humaines de catégo-
risation, d’organisation, de mise en ordre, s’assimilent à des incisions dans
le flux du monde et à des tentatives de stabilisation (Chia, 2002). En ce
sens, le changement n’est pas une propriété de l’organisation et c’est plutôt
l’organisation qui doit être comprise comme une propriété émergente du
changement continu (Tsoukas et Chia, 2002 : 570). Les organisations
sont en devenir permanent parce qu’elles émergent en continu de l’action
qui se déploie en leur sein et de l’agence de leurs membres qui vaquent
tout simplement à leur occupations (Tsoukas et Chia, 2002 : 580). Dès
lors, l’organisation en tant que catégorie institutionnalisée structure l’ac-
tion humaine qui s’y déploie, mais en même temps, l’organisation est aussi
le produit de cette action continue et ainsi, une structure en partie indé-
terminée car perpétuellement émergente. En son sein, l’acteur quant à lui
ne peut être détaché du contexte, de l’action, ni du savoir qu’il contribue
continuellement à produire. Finalement, sans être systématiquement her-
métique à la contribution d’une ontologie plus classique, Chia maintient
que le renversement ontologique est porteur en ce qu’il ouvre des ques-
tionnements nouveaux et propose d’autres voies pour comprendre la per-
formance et les organisations (Chia, 2003 ; Tsoukas et Chia, 2002).
Robert Chia 273
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ment ontologique décrit dans la section précédente ouvre tout d’abord
une perspective radicalement nouvelle sur le changement organisationnel
(Chia, 2013 ; Tsoukas et Chia, 2002). En effet, la question ayant jusqu’ici
été abordée principalement en termes de relations causales rationnelles,
d’actions visibles et de plans affichés, les dynamiques moins ostensibles
voire souterraines, pourtant à l’œuvre dans l’organisation au quotidien,
n’ont pas été intégrées. Il en résulte une compréhension partielle du chan-
gement organisationnel centrée sur la structure synoptique du phéno-
mène. Celle-ci est certes riche d’enseignements mais également impuis-
sante à rendre compte de l’accomplissement du changement, c’est-à-dire
de la manière dont, à chaque instant, les acteurs tissent et retissent leurs
croyances et habitudes en réponse aux circonstances locales du moment et
à l’expérience. La vision synoptique du changement ne réussit pas non
plus à rendre compte de l’influence des managers et des incisions qu’ils
opèrent dans le flux des actions organisationnelles. Or c’est ce que permet
justement de faire l’adoption d’une ontologie alternative, processuelle
forte, du monde comme un flux.
Ainsi que le soulignent Tsoukas et Chia (2002 : 579) les deux perspec-
tives sont en fait complémentaires. Si les managers peuvent tenter de
transformer les manières d’agir et de penser par la mise en œuvre descen-
dante de plans ou de projets, il n’en demeure pas moins que les individus,
eux, produisent quotidiennement du changement lorsqu’ils effectuent les
micro-adaptations nécessaires à la conduite de leur activité ordinaire dans
un monde en flux donc toujours nouveau. Une focalisation trop forte sur
274 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
la mise en œuvre des plans descendants offre ainsi un point de vue partiel
alors qu’une dynamique importante est déjà à l’œuvre. Il s’agit donc de
maintenir un équilibre entre les deux perspectives plutôt que d’adhérer
exclusivement à l’une ou à l’autre.
En cela, les managers ont un rôle capital : puisqu’ils sont engagés dans
l’organisation au même titre que tous les autres et donc eux aussi copro-
ducteurs des mirco-adaptations quotidiennes, ils sont au plus près du
changement ordinaire. Pour faire place à celui-ci c’est aux managers qu’il
revient donc de libérer leur vision de la perspective exclusive des plans
descendants, pour devenir sensibles à ce qui se produit tous les jours, sous
leurs yeux et avec eux, dans l’organisation (Tsoukas et Chia ; 2002). Ce
faisant, ils deviennent capables de soutenir l’émergence et la cristallisation
d’une structure d’action cohérente. Il leur revient également, en tant que
managers, de produire ce qu’il est convenu d’appeler le changement orga-
nisationnel ; non pas comme la mise en œuvre d’un plan, mais plutôt
comme la mise en forme d’une histoire, celle d’un mouvement souterrain
déjà à l’œuvre dans l’organisation. Cette histoire n’est, de fait, pas prescrip-
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tive, mais elle est importante : elle porte de nouveaux schémas interpréta-
tifs et institutionnalise de nouvelles manières de penser et d’agir dans
l’organisation. Sans elle, on ne peut parler de changement organisationnel.
En ces termes, l’expression consacrée de « résistance au changement »
réfère finalement aux éléments que les managers n’ont pas institutionna-
lisé dans les pratiques, qu’ils soient de l’ordre des plans ou des improvisa-
tions locales.
La deuxième déclinaison-clé du renversement ontologique proposé par
Chia en management est relative à la formation de la stratégie. La question
est, certes, relativement ancienne mais elle est redevenue d’actualité à la
faveur du déploiement d’approches pratiques et processuelles fortes redé-
finissant les contours de la notion d’intentionnalité, centrale à la stratégie.
Chia se saisit à plusieurs reprises de la question, dans des productions
essentiellement théoriques (Chia, 1994 ; Chia et Holt, 2006, 2009 ; l’ar-
ticle avec B. MacKay en 2013 est une des rares déclinaisons empiriques du
thème à ce jour). Il y cultive l’argument selon lequel l’intentionnalité en
stratégie est plus affaire d’orientation et de dispositions pratiques (idée
qu’il associe en anglais au qualificatif purposive) que de détermination et
de projet délibéré (purposefull), ce qui conduit de fait à considérer que la
chance et les conséquences inattendues jouent aussi un rôle dans la straté-
gie… Chia, toujours sensible à la portée de la communication indirecte,
use de la métaphore de la navigation : l’entreprise est un navire qu’il s’agit
de conduire sur les océans. Dans la vision classique, le capitaine (stratège)
détermine la position actuelle (diagnostic) et le point d’arrivée (l’objectif )
Robert Chia 275
sur une carte (le monde qui « est »), puis trace la route qui relie les deux
points (la stratégie) et barre le navire (mise en œuvre). Mais dans la vie
d’une organisation, note R. Chia, le stratège ne peut pas se retirer, s’ex-
traire du flux du monde à la manière de ce que permet la carte au capi-
taine. Le stratège est, comme les autres, dans l’organisation (sur le navire),
face à un futur indéterminé (une étendue d’eau vivante) et essentiellement
doté d’orientations générales ; tout comme l’étaient les premiers explora-
teurs maritimes. Il n’a pas plus que les autres le luxe d’une vision distanciée
et surplombante du monde dans lequel il est engagé. Malgré l’illusion de
détachement que lui procure tout l’outillage stratégique orthodoxe, le
stratège ne suit pas le navire depuis l’extérieur ; il le conduit depuis l’inté-
rieur. En d’autres termes, les outils et perspectives stratégiques classiques
qui, fonctionnant comme une carte, présupposent une forme d’extériorité
du stratège, relèvent du phantasme.
Est-ce pour autant à dire qu’il n’est point de cohérence dans les actions,
que l’idée même de stratégie ne tient plus, que les bateaux voguent seule-
ment au gré du courant et des vents, que l’on ne peut en tenir la barre ?
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Assurément non répond Chia. Et ce pour deux raisons principales. La
première est qu’il existe bel et bien une cohérence dans les actions, une
direction, une structure que l’on peut appeler stratégie, mais qui ne relève
pas de l’intention délibérée explicite au sens classique. Que les stratèges
soient dans le flux du monde signifie qu’ils sont entre autres pris dans les
dimensions socio-historico-organisationnelles des situations qu’ils vivent.
Ces dimensions influencent leurs orientations, leurs dispositions, leurs
appréciations, et leurs choix. En ce sens les acteurs ne font pas face
approximativement aux situations ; ils n’opèrent pas aléatoirement leurs
micro-adaptations quotidiennes. Au contraire, ils font face de manière
pragmatique et pratique, c’est-à-dire concrète et apparemment fluide mais
néanmoins orientée. Dans les termes de la sociologie pratique que mobi-
lise Chia, l’habitus bourdieusien (Bourdieu, 1980) est au cœur des actions,
des ajustements comme des desseins des acteurs et leur procure cohérence.
C’est en cela que la stratégie est une pratique. L’intentionnalité, la délibé-
ration froide et détachée, illusoires source de cohérence des actions en
stratégie, doivent donc être remplacées par l’idée d’orientation et de dis-
positions internalisées irrigant (et structurées par) les acteurs et leurs pra-
tiques. Il s’ensuit que la stratégie réside en chaque acteur et est immanente
à chaque adaptation quotidienne, chaque action (Chia et Holt, 2006 :
644). De là proviennent l’apparente cohérence, la créativité et la fluidité
des actions. Deuxièmement, dire que les acteurs sont pris dans le flux du
monde en devenir ne revient pas à considérer qu’ils se laisseraient porter,
impuissantes feuilles mortes dans le courant, sottement occupés de vaquer
276 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
à leur quotidien sans plus de soucis. Bien au contraire ils sont très actifs et
essayent en permanence de créer de nouvelles manières de vivre et de faire
face. Les acteurs habitent activement le monde, contournent les difficul-
tés, profitent de la chance, s’accommodent des surprises et des consé-
quences inattendues de leurs actions passées (MacKay et Chia, 2013).
C’est pourquoi Chia et Holt (2009) adoptent le terme (emprunté à
T. Ingold, 2000) de wayfinding que l’on peut peut-être traduire par l’idée
d’orientation. Dans la pensée de Chia, la stratégie est finalement conçue
comme la recherche active d’un chemin, comme une itinérance mobili-
sant les expériences passées, les dispositions et les préférences pour se
lancer activement dans l’inconnu, exister, aller de l’avant en faisant face
aux surprises.
Cette vision du changement organisationnel et de la stratégie porte
naturellement lourdes conséquences pour le management. L’approche
orthodoxe et l’ontologie classique en management s’incarnaient dans la
figure d’un manager héro maître du devenir organisationnel. L’approche
proposée par Robert Chia va de pair avec une figure plus modeste et ordi-
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naire du manager, mais dont l’action indirecte et peu spectaculaire est,
selon Chia, bien plus critique : un management oblique, teinté d’une
forme de passivité active, en partie indéterminé mais empreint de sagaci-
té ; en somme sensible au renouveau perpétuel de la réalité sociale. Chia
et Holt n’hésitent d’ailleurs pas à revendiquer une apparente fadeur mana-
gériale (2006) probablement pour forcer le contraste : le manager devrait
se garder de toute opinion trop rapidement déployée, position prise trop
tôt, ou interprétation hâtive, car il doit avant tout demeurer ouvert à
l’ambigu, à l’incertain et à l’inconnu. La clarification (dont l’incarnation
ultime est la carte du navigateur) étant un mirage, le manager doit cultiver
sa sensibilité à l’équivoque, à l’indéterminé et au périphérique (Chia et
Holt, 2009), bref sa sagacité. Le penchant usuel pour les décisions par trop
spectaculaires est stérile et mieux vaux lui préférer l’action managériale
indirecte et l’indétermination, car elles contribuent au flux dont émergent
les conséquences inattendues, notamment les bonnes fortunes (Chia,
2013). La patience est donc une qualité-clé du manager : laisser les choses
se dérouler jusqu’à ce qu’elles prennent forme et que les possibilités com-
mencent à précipiter, comme une balle que l’on laisse venir à soi et qui, à
la faveur d’un dernier rebond sur un terrain accidenté se présente presque
directement à la main. Et cette patience va de pair avec un mode d’inter-
vention plus oblique, moins direct et moins radical : un flux de micro-
incisions et d’ajustements progressifs (Chia, 1994), plutôt que de grandes
décisions définitives. En somme le management serait à l’organisation ce
qu’est le jardinage à la culture. Le jardinier ne tire pas sur la tige des
Robert Chia 277
plantes pour qu’elles sortent plus vite de terre mais, attentif à la vie qu’il
choie, arrose régulièrement, favorise l’exposition à la lumière et multiplie
les soins pour un bon développement du végétal. De même, un manager
agit indirectement et avec patience pour favoriser le développement de
l’organisation, qu’il peut orienter mais ne peut décréter, ni forcer.
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dans les business schools commencent à s’élever. Ces critiques ne partagent
pas nécessairement les mêmes origines que les propositions de Chia, mais
elles les rencontrent (notamment celles de Mintzberg auxquelles Chia est
particulièrement sensible ; cf. Chia, 2005) dans un plaidoyer pour une
refonte de l’enseignement du management.
La proposition de Chia est fondée sur l’idée que le rôle des acadé-
miques dans la formation au management (en général et de manière
encore plus aigüe pour les programmes exécutifs) est d’aider les managers
(actuels et futurs) à faire face au monde dans lequel ils sont pris, à répondre
aux questions pratiques qui se posent à eux. Or ces questions, c’est la
nature même du monde, ne sont pas structurées ; elles ne se posent que
rarement aux managers sous un jour clair, n’ont pas un périmètre défini.
Car, ainsi que détaillé plus haut, le manager n’a pas plus que les autres le
loisir d’une position surplombante ou distanciée du monde dans lequel il
est pris. Il éprouve celui-ci de manière irrémédiablement locale, contex-
tuelle, sociale ; il est dans les situations qu’il vit. Pour agir, le manager doit
donc réussir à structurer une compréhension desdites situations depuis
l’intérieur. C’est ce véritable défi quotidien que la formation devrait l’aider
à affronter selon R. Chia (1996). Or, fondé sur une ontologie de l’être,
l’enseignement du management est pour l’essentiel centré sur la transmis-
sion de modèles et outils analytiques relativement fermés et prêts à l’usage
pour répondre à des problèmes précis (Chia, 1996). Les études de cas
relèvent souvent de cette logique par exemple (Chia, 2005). Ainsi, l’ensei-
gnement actuel du management répond mal aux besoins des managers car
278 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
ces besoins sont amont à ce dont il est question en cours : avant de pouvoir
prétendre à sélectionner des outils, il s’agit d’abord de réussir à développer
une compréhension des situations, même vague. Par ailleurs et plus fon-
damentalement, la focalisation sur les outils tend à favoriser un modèle de
pensée fermé et inerte qui assèche littéralement l’imagination des mana-
gers en les cantonnant à l’application technique de dispositifs formels
(Chia, 1996). À l’opposé, une formation au management sensible aux
problèmes quotidiens des managers devrait être largement tendue vers
l’éveil de la sensibilité aux relations et interrelations, devrait cultiver la
sagacité, la réceptivité, spécialement à l’égard de contradictions et des dif-
ficultés des situations dont il s’agit pour les manager de faire sens avant
tout.
En somme, il s’agit une fois de plus de renverser la logique : abandon-
ner les approches usuelles, selon R. Chia trop directes et trop structurées/
fermées, au profit d’un apprentissage indirect et d’une stratégie de relâche-
ment des cadres de la pensée ; oublier ce que l’on pense savoir afin de
s’exposer plus directement au chaos du monde et à son ambiguïté fonda-
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mentale (Chia, 1994). Car c’est ainsi exposé que l’on peut ressentir que ce
que l’on tient usuellement pour vrai est fondamentalement une construc-
tion humaine, une invention, une proposition de sens ; et il devient alors
possible d’entrevoir la possibilité d’autres ontologies et donc d’autres
manière de penser. L’enjeu de l’éducation au management est en d’autres
termes de mettre à jour les fondements ontologiques de la pensée mana-
gériale classique pour enrichir celle-ci d’autres relations au monde afin de
libérer l’imagination, ouvrir les situations à l’interprétation et la réinter-
prétation, redéfinir les « problèmes », bref faire sens du monde autrement.
Et c’est en cultivant cette agilité mentale des managers que les programmes
de management peuvent finalement contribuer à soutenir la pratique.
R. Chia va même plus loin en proposant qu’il s’agit là de la contribution
première et essentielle de l’académie au management, contribution que ne
peut par ailleurs faire, selon Chia (1994), aucun autre acteur. La respon-
sabilité particulière des universitaires est de convier leurs étudiants à
l’aventure ontologique et de les y accompagner de multiples manières.
Naturellement, les méthodes d’enseignement idoines sont significative-
ment différentes de celles usuellement employées. Elles sont notamment
tournées vers la mise en lumière des cadres de pensée sous-jacents et des
relations ; la transmission de contenu n’est plus prioritaire. Il s’agit aussi
d’accompagner les étudiants dans leur prise de conscience d’une forme
d’ignorance (Chia, 1994) en promouvant l’expérience de l’ambigüité que
permettent les arts et la littérature. Selon R. Chia, aux académiques égale-
ment de monter l’exemple en explorant eux-mêmes le monde des idées
Robert Chia 279
avec plus d’audace qu’ils ne le font encore. Revenir aux idées, à leur
beauté et à leur pouvoir… Pour cela, les académiques doivent s’affranchir
des contraintes et des inhibitions que font peser sur eux le jeu acadé-
mique ; Chia en convient volontiers mais sans pour autant s’étendre sur le
(vaste) sujet.
Conclusion
La contribution de Robert Chia s’inscrit dans le courant des approches
processuelles et pratiques du management. Se fondant sur une ontologie
du monde en flux nourrie par la pensée orientale, la philosophie proces-
suelle, la sociologie de la pratique et une longue expérience du manage-
ment en entreprise, R. Chia offre une vision radicalement nouvelle qui
met l’accent sur l’obliquité et la fluidité des incisions managériales effi-
caces dans le flux de la vie organisationnelle. Il ne cesse de mettre en garde
contre le penchant occidental pour le spectaculaire, l’héroïque, la recherche
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d’effets directs et immédiats et maintient qu’au contraire, c’est en relâ-
chant nos cadres de pensée sur et dans les organisations que nous pouvons
favoriser l’efficacité de l’action managériale. Car le manager n’a pas plus
que les autres le luxe de s’extraire du flux de la vie organisationnelle. Ainsi,
la recherche d’efficacité n’est pas abandonnée mais déplacée, dans le sens
où le type de réponses apporté à cette quête est radicalement différent de
celui envisagé habituellement. Il s’agit de renoncer au phantasme de l’effi-
cacité de l’action directe, d’abandonner l’idéal du manager héro pour
plutôt cultiver la perspicacité et la sensibilité aux adaptations locales ordi-
naires. Car seule cette sagacité permet aux managers de faire sens des
situations dans lesquelles ils sont pris et donc d’agir. Il s’agit aussi de
reconnaître que la cohérence des micro-incisions managériales dans le flux
organisationnel est forte car ancrée dans des dispositions, des apprécia-
tions et des préférences nourries par la nature socio-historique de l’organi-
sation. Les micro-incisions managériales sont en ce sens pratiques et
grandes mais silencieuse leur efficacité.
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Organizational Change », Organization Science, vol. 13, n° 5, p. 567-582.
Jérôme Ibert
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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La théorie évolutionniste
de la firme :
routines, sélection
et recherche d’innovation
Jérôme Ibert
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Notices biographiques
Richard Nelson est professeur à l’Université Columbia de New York, où il enseigne les
affaires publiques et internationales, le commerce et le droit. Il a obtenu son Ph. D en
1956 à l’Université de Yale. Il a ensuite mené une carrière de chercheur en économie à
la Rand Corporation, jusqu’en 1968, avec un bref intermède pendant lequel il a été
professeur associé à l’Institut de Technologie de Carnégie et membre senior du Council
of Economic Advisors. Il est devenu ensuite professeur à l’Université de Yale puis à
l’Université de Columbia. Ces recherches concernent le changement économique sur
le long terme, l’avance technologique et l’évolution des institutions économiques.
Sidney Winter est professeur de management des organisations et de stratégie à la
Wharton School de l’Université de Pennsylvanie. Il a obtenu son Ph.D. en 1964 à
l’Université de Yale, tout en menant une carrière de chercheur en économie à la Rand
Corporation et de membre du Council of Economic Advisors. Il a ensuite enseigné à
l’Université du Michigan, puis à l’Université de Yale et enfin à la Wharton School. Ces
recherches portent sur les capacités des firmes, le changement technologique et
l’avantage concurrentiel.
Richard R. Nelson et Sidney G. Winter 283
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Winter avait consacré ses travaux au réalisme des théories en économie
et à leur aptitude à rendre compte du comportement de la firme. Il s’était,
à cet égard, intéressé à la contribution des autres disciplines dans cette
compréhension notamment en matière de recherche et développement.
Ses travaux étaient orientés vers la production d’un modèle théorique plus
réaliste, rendant mieux compte d’un comportement évolutionniste de la
firme issu de ses habitudes générales et de ses orientations stratégiques
passées.
Ayant travaillé tous deux comme chercheurs à la Rand Corporation et
comme économistes au Council of Economic Advisors, Nelson et Winter
ont réalisé que leurs recherches respectives convergeaient vers une remise
en cause de la théorie de l’équilibre économique général reposant sur la
maximisation du profit sous contrainte d’un ensemble d’alternatives défi-
nies de façon exogène et parfaite. Ils se sont alors investis ensemble pen-
dant plus d’une dizaine d’années à la rédaction d’un ouvrage (1982) ins-
crit explicitement dans l’hétérodoxie vis-à-vis du modèle économique
orthodoxe.
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classique) mais de satisfaction. En conséquence, ils limitent leurs compor-
tements de recherche de solutions à des routines et des programmes sim-
plificateurs, selon une « rationalité procédurale ». « Des règles et des pro-
cédures de décisions relativement simples sont utilisées pour guider l’ac-
tion ; en raison du problème de rationalité limitée, ces règles et procédures
ne peuvent être trop compliquées et ne peuvent être caractérisées comme
“optimales” dans le sens qu’elles reflètent les résultats d’un calcul global
prenant en compte les coûts d’information et de décision » (ibid. : 35).
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donc élargi à l’ensemble des niveaux hiérarchiques de la firme. Ce qu’am-
bitionne la théorie évolutionniste, c’est de résoudre le problème de la
cohérence de l’action des différents individus qui composent la firme, afin
« que la firme quoique ramenée une collection d’individus » constitue
aussi une « entité qui s’affirme comme telle dans ses comportements »,
tout en écartant « l’hypothèse du directeur omniscient (le manager capable
d’assurer la super-coordination entre décisions a priori non cohérentes) »
(Coriat et Weinstein, 1995 : 115). Pourtant leur modélisation s’écarte de
l’approche comportementale en se limitant à quelques hypothèses simples
pour résumer les forces consistantes et motrices qui tendent à modeler le
comportement de la firme dans son ensemble. Opter pour un traitement
plus élaboré et plus réaliste posait, selon eux, un problème d’opérationna-
lisation pour la recherche empirique (Nelson et Winter, 1982 : 56).
tion « sine qua non de la survie et du succès ». Ce sont donc les « modes
de comportement » qui « remplacent les conditions d’équilibre optimum
comme règles de conduite des actions ». C’est par l’examen a posteriori du
rôle de l’incertitude, selon les échecs et les réussites des actions entreprises,
qu’il faut envisager des mécanismes d’évolution par lesquels des popula-
tions de firmes apporteraient des réponses aux modifications des condi-
tions de marché (Alchian, 1950 : 217). Le courant évolutionniste est donc
né pour palier l’insuffisance du modèle néoclassique à produire une théo-
rie réaliste de la décision économique en univers d’information incom-
plète et d’incertitude. Mais le recours aux analogies biologiques en écono-
mie a soulevé une interrogation sur le pendant de l’héritage génétique en
économie (Penrose, 1952). Alchian (1950) avait mis en avant les prémisses
de l’équivalent économique de cet héritage génétique, avec la « reproduc-
tion » par l’imitation des règles de comportement. Winter (1971) suggéra
d’emprunter le mécanisme génétique requis aux travaux de l’approche
comportementale de la firme : le rôle observé des règles simples de déci-
sions fournissait les déterminants du comportement et le principe de
satisfaction dictait un processus de recherche de nouvelles règles.
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2.1. De la métaphore biologique aux processus
cognitifs
C’est sur la métaphore biologique, mobilisant les processus de sélection
naturelle et de cognition adaptative des agents individuels qui composent
la firme, que Nelson et Winter (1982) ont bâti leur théorie économique
de la dynamique du changement technique dans l’industrie, conciliant les
hypothèses hétérodoxes de recherche de « satisfaction » et « d’ultra indivi-
dualisme » comme ressorts du comportement économique. La métaphore
biologique accorde une place centrale aux processus de cognition dans le
comportement des agents qui constituent la firme. « Fondamentalement
et dans les termes les plus abstraits, un processus évolutionniste est un
processus de stockage d’information avec conservation sélective » (Winter,
1987 : 614). Il repose sur trois éléments déterminant le comportement des
agents économiques : les routines organisationnelles, la « recherche »
(search) d’innovations et la sélection de l’environnement.
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tence individuelle, ou, comme un adjectif, à une efficacité exempte d’à-
coup » (ibid. : 97).
Dans l’hypothèse hétérodoxe d’ultra individualisme, comme ressort du
comportement économique, la conjonction des comportements indivi-
duels produit le comportement de l’organisation. La caractérisation des
routines organisationnelles passe par celle des savoir-faire individuels.
« Les savoir-faire individuels sont l’analogue des routines de l’organisa-
tion2, c’est en examinant le rôle des savoir-faire dans le fonctionnement
individuel, que l’on peut comprendre le rôle joué par la routinisation dans
le fonctionnement des organisations » (1982 : 73).
Les savoir-faire sont envisagés comme des programmes dont l’exécu-
tion efficiente repose sur la répétition, l’acquisition d’automatismes et les
effets d’apprentissage par la familiarité. Le savoir-faire se construit au tra-
vers d’un processus d’exécution routinière. L’efficience, c’est-à-dire le
meilleur résultat pour une allocation donnée, s’acquiert par l’exécution
sans à-coups du savoir-faire programme dans sa totalité. Comme le pro-
gramme, le savoir-faire constitue une unité d’ensemble de sous-éléments
qui le composent mais le fait d’accorder de l’attention aux détails induit
des effets disruptifs qui réduisent l’efficience de son exécution.
L’automaticité et la fluidité requises font que l’exécution du savoir-faire
programme est en grande partie non consciente. Il en découle que le
2. « Dans notre vue, la clarté devrait être faite en réservant le terme “savoir-faire” au niveau individuel
et “routines” au niveau de l’organisation. (…) “Les routines sont les savoir-faire d’une organisation” est
une vérité métaphorique pas une vérité littérale. » (Dosi, Nelson et Winter, 2001 : 5).
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d’options de comportement, le processus de sélection est hautement auto-
matique » (Nelson et Winter, 1982 : 82). « Les actes habiles de sélection
entre les options disponibles sont constitutifs du savoir-faire principal lui-
même. Ce sont des choix enchâssés dans une capacité3 » (ibid. : 85). Plutôt
que de délibérer entre de nombreuses options selon un comportement de
maximisation, c’est en appliquant des automatismes dans la sélection des
options possibles que les agents parviennent à exécuter, sans à-coups et de
façon efficiente, les savoir-faire. « Les avantages du savoir-faire sont
atteints en supprimant le choix délibéré, en confinant le comportement
dans des voies bien définies, et en réduisant la sélection d’option juste à
une autre part du programme » (ibid. : 85).
Comme pour les savoir-faire individuels, les routines organisationnelles
comportent des sous-routines. Le rôle de la routine est d’articuler ces sous-
routines exécutées par les membres de l’organisation. Ce sont les routines
qui assurent la cohérence des comportements que la théorie évolutionniste
situe au niveau individuel des agents qui composent la firme. De fait, les
routines reflètent les processus cognitifs qui interviennent dans la
construction du répertoire des savoir-faire et des connaissances de l’orga-
nisation. Les routines comprennent donc à la fois les techniques mises en
œuvre et les règles de décision, ce sont les caractéristiques opératoires des
firmes.
3. Pour postuler que les choix d’options font partie intégrante d’un savoir-faire à analyser dans son
ensemble, Nelson et Winter ont fait référence notamment aux travaux de March et Simon (1958).
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viduels à être mis en œuvre sans accorder d’attentions aux détails. Le fait
que les routines puissent comporter des interactions avec l’environnement
et engager des acteurs de la firme dans des choix, n’implique pas forcément
de processus de délibération par les dirigeants. « L’intervention des diri-
geants dans le fonctionnement détaillé des niveaux inférieurs est d’ordi-
naire symptomatique de tentatives pour modifier les routines ou de diffi-
cultés avec les routines existantes » (ibid. : 124). L’hypothèse d’un compor-
tement organisationnel dicté par des choix délibérés apparaît donc invrai-
semblable. Le concept de routine vient palier la distinction, artificielle
qu’opère la théorie orthodoxe entre l’ensemble des alternatives qui s’offrent
aux décideurs de la firme et « l’action de choisir ».
Nelson et Winter ont envisagé le terme « routine » en y incluant « les
dispositions relativement constantes et les heuristiques stratégiques qui
modèlent l’approche d’une firme vis-à-vis des problèmes non routiniers
auxquels elle fait face » (ibid. : 15). Il ne faut donc pas voir le terme « rou-
tine » comme une simple répétition des comportements. « La routine de
l’organisation (…) est un ordre qui ne peut persister que s’il est imposé sur
un ensemble continuellement changeant de ressources spécifiques. Une
part de l’activité consistant à imposer l’ordre de la routine aux nouvelles
ressources, est elle-même traitée comme une routine ; une autre part relève
de l’effort de recherche de solutions ad hoc » (ibid. : 113). C’est par la
flexibilité que la firme peut maintenir sa capacité à faire varier son activité
en réponse aux variations de l’environnement. « L’utilisation du terme
commun “routine” indique (…) que la distinction entre des dispositions
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tion biologique dans la théorie évolutionniste biologique ». Cette
« recherche » est en partie déterminée par les routines d’une firme tout
comme dans la théorie biologique, la mutation est en partie déterminée
par la composition génétique de l’organisme.
« Le terme “recherche” renvoie à toutes les activités organisationnelles
qui sont associées à l’évaluation des routines en cours et qui peut conduire
à leur modification, à un changement drastique, ou à leur remplacement.
(…) Ces activités sont elles-mêmes partiellement routinisées et prédic-
tibles, mais elles ont aussi une nature stochastique » (ibid. : 400). Ainsi le
comportement de « recherche », qui conduit la firme à l’innovation, par-
ticipe lui-même, pour partie, de la routine organisationnelle. Non seule-
ment, l’innovation peut consister en une nouvelle combinaison de rou-
tines existantes mais la politique de « recherche » d’une firme est aussi
déterminée par certains critères relativement stables pour évaluer les
changements proposés dans les routines. « Même l’effort sophistiqué de
résolution de problème d’une organisation tombe dans des modèles de
quasi-routine, dont les grandes lignes peuvent être anticipées à partir de
l’expérience avec les anciens efforts de résolution de problème de cette
organisation » (ibid. : 136).
Enfin, la « recherche » est elle-même une routine. Elle s’inscrit dans le
principe de « satisfaction » car c’est un processus itératif par lequel la firme
teste les attributs économiques des innovations qu’elle peut apporter dans
ces produits ou dans son processus de production jusqu’à ce que ces attri-
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qui deviennent les traits dominants de la population des firmes d’une
industrie. « Le mécanisme de sélection est ici clairement analogue à la
sélection naturelle des génotypes avec des taux différentiels de reproduc-
tion. (…) La sensibilité du taux de croissance de la firme à la prospérité
ou à l’adversité est elle-même un reflet de ses “gènes” » (Nelson et Winter,
1982 : 17).
La sélection de l’environnement est déterminée à la fois par des condi-
tions externes et internes. Les contraintes de marché, évolutions du prix
des facteurs de production et de la demande, interviennent sur le profit
des firmes et donc sur le caractère efficient ou non de leurs routines ainsi
que sur l’incitation à l’innovation. Les bénéfices et les coûts d’une innova-
tion, eux-mêmes soumis à ces contraintes de marché, déterminent son
adoption ou son abandon. Les possibilités d’imitation d’une innovation
par les concurrents interviennent sur sa diffusion et sur sa profitabilité.
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routines quasi-statiques, fondées sur la reproduction avec amélioration, se
distinguent donc des routines dynamiques, plus orientées vers l’apprentis-
sage par expérimentation et vers l’innovation. Actifs spécifiques, tacites et
non transférables, les routines différencient de façon irréductible les firmes
les unes des autres et conduisent leur diversification des firmes au travers
d’une « contrainte de sentier » (path dependancy). Le sentier, qu’em-
pruntent les firmes en se diversifiant, ne répond pas qu’à des processus de
continuité, comme le sous-entendait l’ouvrage de Nelson et Winter
(1982), mais épouse aussi les discontinuités, les bifurcations dans le par-
cours des firmes. Lorsque les ruptures, induites par la sélection de l’envi-
ronnement, disqualifient les actifs spécifiques principaux, c’est à partir des
actifs spécifiques complémentaires que les firmes changent d’activités
principales et bâtissent leur transformation. Dosi, Teece et Winter (1990)
ont enfin proposé une typologie de « cohérence » des entreprises selon la
nature de la « contrainte de sentier » (lien lâche, étroit ou convergent entre
les compétences accumulées par la firme), la lenteur ou la rapidité de
l’apprentissage et la sélection plus ou moins forte de l’environnement.
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manisé en quelque sorte la notion théorique de routine. Pour eux, le
paradoxe ontologique des routines, cette tension entre la stabilité et le
changement qu’elles incarnent, s’inscrit dans la dualité des phénomènes
sociaux, entre la structure et l’agence. Ils distinguent donc l’aspect ostensif
des routines (les habitus, les répertoires de programmes et le matériel géné-
tique de l’organisation) et leur aspect performatif (leur mise en œuvre par
les agents individuels qui conduit à la création, au maintien et la modifi-
cation des routines). Par ces deux aspects, les routines deviennent à la fois
des principes, en partie tacites et intersubjectifs, et des pratiques, avec des
ajustements et de l’improvisation. La relation récursive entre ces deux
aspects, le cadre de référence ostensif et l’action performative qui intera-
gissent constamment, resitue le concept de « routine » dans un véritable
processus évolutionniste de la firme.
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Travaux cités des auteurs
Dosi, G., Nelson, R. R., Winter, S. G. (2001), « Introduction : The Nature and
Dynamics of Organizational Capabilities », in G. Dosi, R. R. Nelson et S. G.
Winter (Eds.), The Nature and Dynamics of Organizational Capabilies, New
Yok : Oxford University Press, p. 1-22.
Dosi, G., Teece, D. J., Winter, S. G. (1990), « Les frontières des entreprises »,
Revue d’Économie Industrielle, 1er trimestre, p. 238-254.
Nelson R. R., Winter S. G. (1982), An Evolutionary Theory of Economic Change,
Cambridge : Belknap Press of Harvard University Press.
Winter, S. G. (1971), « Satisficing, Selection and the Innovating Remnant »,
Quartely Journal of Economics, vol. 85, p. 237-261.
Winter, S. G. (1987), « Natural Selection and Evolution, in J. Eatwell, M.
Milgate et P. Newman (Eds.), The New Palgavre : A dictionnary of Economics,
3, MacMillan, p. 614-617.
Winter, S. G. (1991), « On Coase, Competence and Corporation », in
O. Williamson et S.G. Winter (Eds.), The Nature of the firm, New york :
Oxford University Press, p. 179-195.
6. Notons ici que Nelson et Winter postulent que c’est la Recherche et Développement interne à la
firme qui est à l’origine de la plupart des innovations (1982 : 263).
Richard R. Nelson et Sidney G. Winter 295
© EMS Editions | Téléchargé le 06/08/2020 sur www.cairn.info via Université Yaoundé 2 (IP: 154.126.184.31)
Hannan, M. T., J. Freeman (1984), « Structural Inertia and Organizational
Change, American Sociological Review, vol. 49, n° 2, p. 149-164.
Louazel, M (1999), « Théorie évolutionniste et réseau de l’innovation », Cahiers
d’économie de l’innovation, 4, J.A. Schumpeter : Business Cycles et le capital-
isme, Paris : L’Harmattan, p; 37-59.
March, J. G., Simon, H. (1958), Organizations, New York : Wiley.
Penrose, E. (1952), « Biological Analogies in the Theory of the Firm », American
Economic Review, vol. 42, p. 804-819.
Polanyi, M. (1967), The Tacit Dimension, Garden City, NY : Doubleday.
Schumpeter, J. (1939), Business cycles, a theorical, historical and statistical analysis
of the capitalist process, N. Y. : McGraw-Hill.
Simon, H. A. (1955), « A Behavioral Model of Rational Choice, » Quartely
Journal of Economics, vol. 69, p. 99-118.
Simon, H. A. (1959), « Theories of Decision Making In Economics », American
Economic Review, vol. 49, p. 253-283.
XIX. HERBERT A. SIMON – LES LIMITES DE LA RATIONALITÉ :
CONTRAINTES ET DÉFIS
Isabelle Vandangeon-Derumez
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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Isabelle Vandangeon-Derumez
XIX
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Herbert A. Simon 297
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prises –, elle doit maintenant s’interroger sur la façon dont il faut organiser le
système de prise de décision entre plusieurs niveaux et plusieurs centres
(Simon, 1983 ; VI)2 – en intégrant des principes d’organisation garantissant
de bonnes décisions et des principes assurant une action efficace.
Après avoir rapidement présenté l’auteur, ce chapitre expose les travaux
d’Herbert Simon selon le fil directeur de ses recherches : le processus de prise
de décision. Dans un premier temps, sa contribution à l’évolution de la ges-
tion – avec le concept de rationalité limitée puis de la rationalité procédurale
– est présentée. Pour mieux appréhender les tenants et les aboutissants de ces
rationalités (limitée et procédurale), l’accent est ensuite mis sur les fonde-
ments du raisonnement Simonien, avec deux éléments principaux : le
concept de but pour expliquer les actions au sein des organisations et les
mécanismes d’intégration mis en œuvre par les individus et les organisations
pour structurer le processus de prise de décision. En extension de ses travaux
sur le processus de prise de décisions, sont présentées ses recherches sur l’in-
telligence artificielle et les systèmes experts.
1. Alors que pour les économistes « l’objectif de l’organisation est l’objectif de l’individu qui dirige
l’organisation, en tout cas un objectif unique et indiscuté même si plusieurs décideurs sont en cause »,
Herbert Simon estime que « ce que l’on peut identifier clairement ce sont certains buts généraux de
l’organisation et certains motifs personnels, mais en aucun cas des objectifs opératoires
incontestables. » (Greffe, dans Simon, 1983 ; IX).
2. Selon Herbert Simon, l’organisation du système de prise de décision suppose de prendre en compte :
– la notion de but pour expliquer les actions au sein de l’organisation, avec l’idée sous-jacente d’une
hiérarchie des décisions (cf. deuxième partie de ce chapitre) ;
– les mécanismes d’intégration du comportement comme éléments structurants le processus de prise de
décision (cf. troisième partie de ce chapitre).
298 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
Notice biographique
Herbert Simon, né le 15 juin 1916 à Milwaukee, est mort en février 2001 à l’âge de
84 ans. Il a été nommé Docteur en Sciences Politiques de l’Université de Chicago en
1943. Associé de 1936 à 1942 à des recherches dans un bureau de l’administration
publique au sein de l’Université de Californie à Berkeley (sujet de Ph.D.), il devient
professeur de Sciences Politiques à la Graduate School of Administration, Carnegie
Institute of Technology de 1943 à 1949. Professeur à l’Université Carnegie Mellon de
Pittsburgh à partir 1949, il y enseigne l’administration jusqu’en 1961, puis la psy-
chologie jusqu’en 1966 et enfin les sciences de l’informatique depuis 1966. En dehors
de son activité d’enseignement, il participe très activement au développement de la
formation.
Durant sa prestigieuse carrière, Herbert Simon reçoit de nombreuses distinctions
nationales et internationales tant en économie (prix Nobel en économie en 1978),
qu’en psychologie, en Intelligence Artificielle ou en Administration Publique.
Herbert Simon a été également membre ou président de nombreuses associations pro-
fessionnelles et académiques comme Président du Conseil des États Unis pour la
Recherche en Sciences Sociales (de 1961 à 1965), Président du département
« Behavioral Science » du Conseil pour la Recherche Nationale (de 1968 à 1970).
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1. DE LA RATIONALITÉ OMNISCIENTE
À LA RATIONALITÉ LIMITÉE
C’est en questionnant le modèle de la rationalité économique, qu’Her-
bert Simon apporte une de ses contributions majeures aux sciences de ges-
tion et permet ainsi une meilleure compréhension des processus managé-
riaux. L’originalité de sa démarche réside dans le caractère « clinique » de
son approche (Nioche, 1993 : 76) : il prend, en effet, comme point de
départ la résolution de problèmes concrets d’entreprise, qu’il tente de modé-
liser (sous une forme logique ou mathématique) par des allers et retours
entre l’observation et la formalisation. Il souligne alors que la littérature –
en particulier les théories économiques – contient de nombreuses affirma-
tions, mais manque de preuve pour déterminer si ces affirmations tiennent
lorsqu’elles sont confrontées au domaine des faits (March et Simon, 1991 ;
5). Dès lors, il s’attache à remettre en cause certaines de ces hypothèses en
les confrontant à la réalité (Simon, 1947) :
• une connaissance de tous les choix possibles pour l’agent ;
• une connaissance complète de toutes les conséquences de ces choix
ou une capacité à les évaluer ;
• une certitude parfaite dans l’évaluation présente et future des consé-
quences des choix possibles ;
Herbert A. Simon 299
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La démarche d’Herbert Simon, fondée sur l’observation, a été reprise par
un grand nombre d’auteurs, même en économie (Coriat et Weinstein,
1995). Ainsi, Liebenstein (1975) montre que l’hypothèse d’efficience rete-
nue par les néoclassiques – à savoir le marché alloue de façon optimale les
facteurs de production entre les firmes et les secteurs – ne tient pas à
l’épreuve des faits. Elle ne permet pas d’expliquer pourquoi et comment des
entreprises, en apparence identiques en termes de facteurs de production
(même composition de la main-d’œuvre et même technologie), parviennent
à des résultats inégaux en terme d’efficience (productivité des hommes et
qualité des produits).
Les premières observations empiriques d’Herbert Simon le conduisent à
questionner l’idée défendue par les théories économiques classiques, d’un
homo oeconomicus rationnel, capable de trouver la solution optimale à tous
les problèmes. La rationalité, au sens large, fait référence au style de com-
portement à adopter pour atteindre un objectif donné à l’intérieur de
limites imposées par certaines conditions et contraintes. Pour les écono-
mistes classiques l’objectif prend la forme d’une maximisation des gains (le
consommateur rationnel maximise sa fonction d’utilité alors que l’entrepre-
neur rationnel maximise son profit). Cet objectif étant fixé à l’avance, les
conditions et les contraintes – représentant les caractéristiques de l’environ-
nement externe et de l’organisation – déterminent le comportement ration-
nel. Ces caractéristiques de l’environnement étant parfaitement connues
(pour les économistes), il ne peut exister qu’une unique « meilleure » façon
d’atteindre l’objectif désiré. Dans ce cadre d’analyse, la prise de décision
300 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
repose sur des hypothèses fortes concernant l’accès à l’information, les alter-
natives envisageables et la capacité cognitive des individus à évaluer les
conséquences de chaque alternative3. En partant de ces hypothèses, Herbert
Simon (1983) met en évidence trois raisons essentielles pour lesquelles il est
impossible d’atteindre l’optimum préconisé par les économistes classiques :
• l’incertitude et l’information imparfaite : qui ne permet pas d’appré-
hender dans sa globalité la chaîne moyens-fin4 et d’avoir une connais-
sance exhaustive des fins ultimes s’y rattachant (cf. paragraphe 2 de ce
chapitre) ;
• les limites des capacités cognitives des individus5 : qui ne leur per-
mettent pas de trouver l’ensemble des alternatives possibles à une
décision donnée et d’en évaluer toutes les conséquences ;
• les situations d’interdépendance : qui obligent chaque individu à
émettre des conjectures sur les conséquences de ses actes sur les
actions des autres individus et sur l’organisation.
Ainsi, le comportement réel des individus s’écarte à trois égards de la
rationalité : « 1) La rationalité exige la connaissance parfaite et l’anticipation
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des conséquences de chacun des choix. En fait, la connaissance des consé-
quences est toujours fragmentaire. 2) Comme il s’agit de conséquences
futures, l’imagination doit suppléer au manque d’expérience en leur affec-
tant une valeur. Mais l’anticipation des valeurs reste toujours imparfaite.
3) la rationalité oblige à choisir entre diverses alternatives possibles de com-
portement. En pratique, on n’envisage qu’un nombre très limité de cas
possibles. » (Simon, 1983 : 74).
Ce constat conduit Herbert Simon à substituer au critère de maximisa-
tion, celui de satisfaction. Avec ce nouveau critère, il est possible de faire
face à la complexité des processus de décisions. L’individu ne recherche plus
la solution optimale, mais s’arrête à la première solution qu’il juge satisfai-
sante. Dès lors, les décideurs trouvent « des solutions qui vont satisfaire un
ensemble de contraintes, ces contraintes représentant la meilleure approxi-
mation du but de l’action » (Simon, 1983 : 249).
3. Comme le souligne Rouleau (2007), le modèle classique suppose que les décideurs disposent d’une
connaissance parfaite de l’information – concernant les différentes solutions possibles et les conséquences
de ces solutions – qu’ils sont capables d’ordonner leurs préférences en fonction de critères ou règles de
décision, connus et validés par tous.
4. La chaîne moyens-fin fait référence aux moyens adéquats mis en œuvre pour atteindre des fins
déterminées.
5. Pour Herbert Simon les limites de la rationalité humaine sont de plusieurs ordres. Tout d’abord,
« l’individu est limité par sa compétence, ses habitudes et ses réflexes qui n’appartiennent plus au
domaine du conscient » (Simon, 1983 : 37). Il est également limité « par ses valeurs et les objectifs qui
orientent ses décisions » ainsi que par « l’étendue de sa connaissance des éléments rattachés à son travail. »
(Simon, 1983 : 38). Herbert Simon ajoute alors : « il importe de rappeler que les limites de la rationalité
sont des limites variables et que (…) le fait qu’on en ait conscience peut déjà les modifier » (Simon,
1983 : 38).
Herbert A. Simon 301
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psychologues cognitifs à savoir : « un comportement est rationnel lorsqu’il
est le résultat d’une délibération appropriée. Sa rationalité procédurale
dépend donc du processus qui l’a généré » (Simon, 1982 : 426). La rationa-
lité procédurale est alors analysée en situation de résolution de problème, au
sein de laquelle le sujet doit collecter des informations de différentes
natures, les analyser de façon à arriver à un ensemble raisonnable d’actions
lui permettant de résoudre le problème. Ainsi, la rationalité procédurale ne
se focalise pas sur la solution au problème mais sur la méthode mise en
œuvre pour trouver cette solution. De même, elle ne considère pas les objec-
tifs et moyens à mettre en œuvre comme des données a priori, mais comme
les objets même de la recherche.
Sous cet angle de la rationalité procédurale, Herbert Simon analyse les
travaux de la théorie de la concurrence imparfaite. À l’inverse des écono-
mistes (qui considèrent cette concurrence comme exceptionnelle), Herbert
Simon estime qu’elle caractérise le fonctionnement de la majorité des mar-
chés économiques contemporains. Il souligne alors que l’introduction du
concept d’incertitude, au sein des théories économiques, conduit à remettre
en cause la notion de rationalité substantive. L’ignorance du futur ne per-
6. Il importe ici de rappeler l’influence de Hayek (1944) cité par March et Simon (1991) : la rationalité
limitée « (nous utiliserons la formulation de ce dernier) dépend essentiellement des limites de
l’information accessible à l’homme et de sa capacité d’utiliser l’information dans ses calculs » (March et
Simon, 1991 ; 197). Le concept de la rationalité limitée repose alors sur l’idée que les hommes sont
rationnels – puisqu’ils sont en mesure de donner les raisons de leurs actes – mais que leur rationalité est
limitée – car les résultats de leurs décisions n’atteignent pas toujours les objectifs qu’ils s’étaient fixés.
Cette idée est plus largement développée dans le paragraphe 2 de ce chapitre.
302 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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(1963) montrent, quant à eux, que l’organisation n’est qu’une coalition de
groupes d’intérêts dont le destin est commun mais qui manœuvrent chacun
pour leur propre compte.
La richesse du concept de rationalité limitée pour expliquer le processus
de prise de décision et ses implications sur l’organisation ne fait pas de
doute. Les explications fournies par Herbert Simon sont tout aussi impor-
tantes et riches d’enseignements que le concept lui-même. Il nous a donc
semblé important de revenir sur deux fondements théoriques de cette ratio-
nalité limitée. Le premier fait référence à un problème-clé du management :
toute décision implique le choix d’un but et un comportement approprié
(Simon, 1983 : 6). Le second fait référence aux mécanismes d’intégration
comme éléments structurant les processus de prise de décision au sein des
organisations8.
7. Cyert et March (1963), considérés comme les précurseurs de l’analyse « behavioriste » (Coriat et
Weinstein, 1995), proposent le passage d’une firme représentée par un point (vision économiste) à une
firme représentée par une organisation se caractérisant par :
– sa complexité : la « firme apparaît comme une coalition de groupes dont le destin est commun mais
qui manœuvrent chacun pour leur propre compte » (Coriat et Weinstein, 1995 : 27) ;
– un lieu de processus de prise de décision : l’objectif général ne peut s’exprimer qu’à travers une série de
sous-objectifs et les groupes de pression exercent leur influence (lieu de négociation) ;
– un lieu d’apprentissage collectif.
8. Nous sommes ici conscients du fait que les deux paragraphes suivants n’exposent qu’un raccourci du
raisonnement complexe d’Herbert Simon. Toutefois, nous ne pouvons qu’inciter le lecteur à étudier les
textes d’Herbert Simon afin qu’il se forge sa propre grille de lecture.
Herbert A. Simon 303
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d’atteindre les objectifs.
Les valeurs définissent donc les paramètres qui guident les décisions et
à travers lesquels les résultats, ou faits, sont évalués. Les buts, quant à eux,
décrivent un état de choses désiré et constituent des prémisses aux valeurs
dans le processus de prise de décision. Pour Herber Simon, l’existence
d’éléments de valeur au sein de la décision nous empêche de réaliser les
buts de façon parfaite (ou optimale) pour plusieurs raisons :
• à cause des valeurs qui les sous-tendent, les buts visés sont souvent
formulés de façon imprécise. Ceci rend difficile la comparaison des
décisions entre elles, qui, pour être comparées, devraient pouvoir
s’appuyer sur des éléments factuels ;
• plus on se rapproche de la direction générale, plus les buts visés sont
de l’ordre de l’éthique. À l’inverse, plus on se rapproche du niveau
opérationnel, plus les objectifs appartiennent à l’univers factuel.
Ensuite, un individu est toujours confronté, au cours du processus de
décision, à un certain nombre d’alternatives, conscientes ou non, dont la
réalisation entraînera des conséquences. Le processus de prise de décision
rationnel comporte alors trois étapes : « 1) le recensement de toutes les
alternatives possibles ; 2) la détermination de toutes les conséquences de
9. Avec les propositions de valeur, l’individu est plongé dans l’univers des préférences, des désirs, de
l’impératif, où l’on affirme ce qui est bien ou mal (Fiol et Solé, 1993).
10. Avec les propositions factuelles, les individus se réfèrent à des faits, à l’expérience ou à des événements.
Nous sommes donc dans le domaine de l’objectif, de l’empirisme, où il est possible de distinguer le vrai
du faux (Fiol et Solé, 1993).
304 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Enfin, selon Herbert Simon, les moyens et les fins liés aux faits et aux
valeurs, sans se confondre, nous éloignent de la rationalité objective. En
effet, la décision devient rationnelle lorsqu’elle permet de choisir les
moyens adéquats pour atteindre des fins déterminées. Le processus de
décision suppose alors de définir des alternatives capables de fournir les
moyens nécessaires à la réalisation des objectifs (ou fins désirées). Or, les
individus associent un élément de valeur aux fins intermédiaires pour
guider les décisions suivantes (celles qui vont conduire aux buts ultimes).
En affectant ces indices de valeurs, les individus se donnent alors la possi-
bilité « d’évaluer les alternatives sans avoir une connaissance exhaustive des
fins ultimes ou des valeurs qui leurs sont inhérentes » (Simon, 1983 : 71).
La réalisation parfaite de ces buts ultimes devient alors impossible (Fiol et
Solé, 1993).
Ceci met en évidence à quel point la perception des buts de l’organisa-
tion par les individus qui la composent et les éléments de valeur associés à
ces buts, agissent sur le processus de prise de décision. Cette perception
étant influencée par l’environnement dans lequel l’individu évolue, il
importe donc, selon Herbert Simon, de modifier délibérément cet envi-
ronnement pour améliorer la prise de décision. Cette modification de
l’environnement « est en partie une affaire d’individu : celui-ci se place
dans une situation où il est soumis à certains stimuli et prend connaissance
de certains fragments d’information » (Simon, 1983 : 72). C’est également
le rôle de l’organisation que de placer les individus « dans un environne-
ment psychologique qui adaptera leurs décisions aux objectifs de l’organi-
Herbert A. Simon 305
sation et leur fournira l’information dont ils ont besoin pour prendre ces
décisions correctement » (Simon, 1983 ; 72). Ce rôle de l’organisation
s’explique par le fait que « le choix individuel se fait dans un milieu de
“données”, c’est-à-dire de prémisses que le sujet accepte comme bases de
son choix ; et le comportement n’est “adaptatif ” que dans les seules limites
fixées par ces données » (Simon, 1983 : 72).
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Il est bien évident, pour Herbert Simon, que l’ensemble de ces conditions
ne peut être rempli, en raison des capacités limitées des individus. En effet,
ces derniers ne sont en mesure d’envisager qu’un nombre réduit d’alterna-
tives et la connaissance qu’ils ont des conséquences n’est que fragmentaire.
L’incapacité de l’esprit humain à porter son attention sur tous les points
de valeur, de connaissance et de comportement, font que la prise de déci-
sion correspond plus à un processus de stimulus – réponse, qu’à un réel
choix optimal entre plusieurs alternatives (Simon, 1983). Pour atténuer les
effets des limites de la rationalité humaine, et rendre sa prise de décision
plus efficace, Herbert Simon estime que l’individu chercher à « intégrer »
son comportement à l’aide du processus de planification suivant :
• dans un premier temps, l’individu prend une décision, qualifiée de
« planification de fond », qui lui permet d’orienter ses activités sur
un terme plus ou moins long (par exemple un dirigeant qui décide
de fabriquer tel produit plutôt qu’un autre) ;
• ensuite, il oriente son attention et canalise l’information qu’il
recueille au cours du temps (par exemple si le dirigeant décide de
fabriquer des montres, il ne s’intéresse pas aux informations en pro-
venance du marché de la restauration) : Herbert Simon qualifie ce
processus de planification de forme. Ainsi, les décisions prises au
jour le jour sont conformes à sa planification de fond ;
• enfin l’individu exécute son plan en prenant des décisions et en
engageant des actions, selon les orientations fixées au cours de la
planification de fond et de la planification de forme.
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les stimuli et les catalyseurs d’attention qui orientent le comportement des
individus. Ces mécanismes ont pour fonction de coordonner les activités
des membres de l’organisation. Cette coordination est essentielle, car
l’efficacité avec laquelle l’individu peut atteindre ses buts dépend non
seulement de son activité propre, mais également de l’harmonie de ses
actions avec celles des autres individus de l’organisation (Simon, 1983).
Cette coordination comporte plusieurs éléments :
• le lien entre les objectifs, les buts intermédiaires de chaque individu
avec ceux des autres services (l’auto coordination) ;
• l’évaluation des différentes alternatives qui s’offrent à chaque
membre et aux autres membres du même groupe (les alternatives du
groupe contre celles de l’individu) ;
• les prévisions de solutions qu’adopteront les autres individus (le
plan du groupe et la communication de ce plan).
La maîtrise délibérée de l’environnement de la décision par l’organisa-
tion permet non seulement l’intégration du choix, mais également sa
« socialisation ». Cette « socialisation du choix » par l’organisation inter-
vient à deux niveaux : celui de l’individu et celui du groupe. Dans le pre-
mier cas, l’organisation peut (Simon, 1983 : 216) :
• augmenter les formations « techniques » des individus afin d’ac-
croître les alternatives envisagées par des individus limités par leurs
dons, leurs habitudes et leurs réflexes inconscients ;
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également que les organisations construites par les êtres humains ne sont
rien d’autre que des machines « destinées à traiter les limites des capacités
de l’homme pour concevoir et calculer dans des situations de complexité
et d’incertitude » (Simon, 1979 : 501, cité par Thépot, 1993). Le pro-
blème de la rationalité limitée ne peut donc être traité sans l’organisation
et l’organisation n’existe que parce que la rationalité des individus est
limitée.
C’est en cherchant à dépasser les limites de la rationalité humaine
qu’Herbert Simon a logiquement orienté ses recherches sur les processus
de résolution de problème et sur les outils permettant de rendre le proces-
sus de décision plus rationnel (rationalité procédurale).
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damment par des références croisées (des liens associatifs), doté d’un index
élaboré (une capacité de reconnaissance) qui autorise un accès direct via des
multiples entrées par thèmes (ou sujets). » (Simon, 1996 ; 162). Cette
mémoire, dont les capacités sont illimitées, fonctionne comme un deu-
xième environnement, parallèle à l’environnement perçu par les yeux et les
oreilles. Lors du processus de résolution de problème, « l’information gla-
née dans un environnement est utilisée pour guider la prochaine étape de
recherche dans l’autre environnement. » (Simon, 1996 ; 163). De son côté,
la mémoire à court terme correspond au lieu où les informations en prove-
nance de l’environnement externe sont traitées. Cette mémoire dispose
d’une petite quantité de stockage d’accès rapide. (Simon, 1996 ; 121)
Pour comprendre les processus de résolution de problème Herbert
Simon distingue deux types de problèmes. Ceux pour lesquels la recherche
d’information est avant tout guidée par la structure même du problème
(comme pour la réalisation d’un Puzzle), plus que par la mémoire. Ils
peuvent être décrits « en termes d’objets, de relations entre ces objets et de
modifications dans ces relations. » (Simon, 1996 ; 175). Ils sont en général
traités par des programmes de type « comprendre » (Simon, 1996 ; 174)
capables de construire une représentation virtuelle de toute sorte de pro-
blème ne demandant pas de connaissances du monde réel pour être com-
pris. De tels programmes tirent les informations du monde extérieur et les
transforment en connaissances rangées dans la mémoire à long terme
« sous la forme de structures de listes ou de procédures » (Simon, 1996 ;
180).
Herbert A. Simon 309
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blèmes, le programme « doit découvrir une correspondance entre les choses
mentionnées dans l’énoncé du problème et les schémas et lois qu’il détient
en mémoires » (Simon, 1996, 178).
En allant plus loin dans la compréhension des processus de résolution
de problème, Herbert Simon s’intéresse au processus d’apprentissage tra-
duisant un changement plus ou moins permanent dans la capacité d’adap-
tation d’un système à son environnement. S’il reconnaît que les recherches
actuelles ne permettent pas de rendre compte de l’ensemble des types
d’apprentissages réalisés par l’homme, certains systèmes experts, capables
de comprendre les problèmes dans les nouveaux domaines de tâches, sont
des systèmes qui apprennent.
Pour comprendre comment fonctionnent de tels systèmes, Herbert
Simon part de la différence entre l’apprentissage par cœur (qui permet
d’augmenter le nombre de connaissances) et l’apprentissage avec compré-
hension (qui permet de créer de nouvelles représentations du problème). À
la différence du premier, l’apprentissage avec compréhension, mobilise une
indexation qui facilite l’accès rapide aux matériaux stockés pertinents et
utilise la redondance qui permet de reconstruire avec les matériaux restants
ceux qui ont pu être oubliés. Mais la différence principale repose sur la
notion de représentation : « les matériaux significatifs sont stockés sous
forme de procédures plutôt que sous forme de données “passives”, ou, si
elles sont stockées sous forme de données, elles sont représentées de telle
façon que les processus de résolution de problèmes et autres méthodes
puissent facilement en faire usage. » (Simon, 1996, 185). En intelligence
310 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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à « des situations qui ne semblent pas pouvoir s’ajuster aux espaces de pro-
blèmes que nous avions précédemment reconnus, même en les généralisant
ou les transformant. » (Simon, 1996, 196). Herbert Simon estime que de
telles situations nous placent en face de tâches de découverte comparables
à celles d’une nouvelle loi de la nature.
Ce rapprochement réalisé par Herbert Simon entre l’homme comme un
système de traitement de l’information et la machine (ordinateur), soulève
des critiques de la part de Lucien Sfez (1990), qui remet en cause 5 postu-
lats de la science de l’artificiel. Tout d’abord, il reproche à Herbert Simon
de réduire la problématique de la science de l’artificiel à la résolution de
problème, sans tenir compte de variables personnelles (postulat 1). Ceci
conduit alors Simon à percevoir l’homme comme un système de procès
d’information (postulat 2). Or, selon Lucien Sfez, la composition même
des systèmes de procès d’information consistant en une mémoire conte-
nant des structures de signe désignant des objets (postulat 3) conduit à une
conception représentative des problèmes nécessitant leur fragmentation
toujours plus importante pour les résoudre (postulat 4). La pensée humaine
se réduit alors à une approche séquentielle, à savoir que toute chose est
décomposable à court terme. Lucien Sfez (1990) estime, quant à lui, que
si nous sommes séquentiels, nous ne pouvons tenir qu’une conversation à
la fois ou encore être attentif à une seule chose à la fois (pas de surimpres-
sion des souvenirs et de simultanéité de nos attentions). Cette conception
11. Sur ce point Herbert Simon part du principe qu’il est difficile de distinguer ce qui est nouveau pour
un individu mais déjà connu des autres de ce qui est nouveau pour tout le monde.
Herbert A. Simon 311
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Conclusion
L’influence des travaux d’Herbert Simon s’étend bien au-delà des fron-
tières nationales et des simples sciences de gestion. Il a inspiré de nombreux
auteurs, comme le met en évidence une étude réalisée par Déry (Nioche,
1993) : Herbert Simon seul, ou avec March, est la référence dominante
dans les recherches sur le processus de décision à la fois chez les écono-
mistes et les psychologues, et une des références principales chez les cher-
cheurs en gestion. Son influence va également bien au-delà de ses propres
domaines de recherche comme le souligne Michel Crozier (1993). En effet,
si la sociologie n’est pas le domaine de prédilection de Simon, ni d’ailleurs
d’affiliation, c’est pourtant en sociologie que sa contribution fut la plus
marquante. Michel Crozier montre ainsi que le modèle d’optimisation,
nécessaire pour comprendre la rationalité des actions, enfermait les socio-
logues dans une « vision utilitariste proche de celle des économistes (…) ne
rendant compte que d’une faible partie de l’action humaine, ou (…) dans
une vision déterministe permettant d’englober la rationalité économique
dans le cadre des déterminants sociaux de groupes, de classes et de
cultures » (Crozier, 1993 : 86). Ces visions empêchaient les sociologues
d’appréhender les phénomènes d’apprentissages nécessaires à la compré-
12. Herbert Simon a toujours intégré le décideur dans l’ensemble plus vaste qu’est l’environnement
(Thévenot et France-Lanord, 1993). Tout homme est lié à cet environnement par les informations et
stimuli qu’il reçoit de lui pour prendre ses décisions. L’homme peut également agir sur cet environnement
à travers les actions qu’il conduit au sein des organisations.
312 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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L’administration se doit donc de concevoir cet environnement de telle
façon que l’individu s’approche aussi près que possible de la rationalité (…)
dans ses décisions » (Simon, 1983 : 216). Cette recherche d’une plus
grande rationalité se retrouve également dans ses travaux sur l’intelligence
artificielle. Le but d’Herbert Simon est bien de mettre au point des sys-
tèmes permettant à l’homme de dépasser les limites de sa rationalité.
Voici maintenant plus de 50 ans qu’Herbert Simon avait engagé sa
réflexion sur la rationalité limitée, avec l’espoir que celle-ci conduise à un
renouvellement des sciences de l’organisation et de gestion. Force est de
constater que la fécondité de ses réflexions est sans limite et quelle a obligé
les chercheurs, et les oblige encore, à se dépasser.
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XX. ANDREW VAN DE VEN – INNOVATION ET CHANGEMENT AU SEIN
DES ORGANISATIONS
Florence Durieux
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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Florence Durieux
XX
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Andrew Van de Ven 315
Notice biographique
Andrew H. Van de Ven est professeur de management de l’innovation et de change-
ment à la Carlson School of Management de l’Université du Minnesota. Il a obtenu
son doctorat à l’Université du Wisconsin à Madison, en 1972, et a enseigné à la Kent
State University (1972 – 1975) puis à Wharton School de l’Université de Pennsylvanie
(1975-1981) avant de prendre ses fonctions actuelles.
Durant sa carrière, A. Van de Ven a effectué des recherches longitudinales au sein d’une
variété d’organisations et sur de nombreux sujets en management. À la fin des années
soixante, il a co-développé avec A. Delbecq le Nominal Group Technique, inventeur
d’une méthode qui deviendra la plus utilisée au sein des groupes de créativité. Au cours
des années soixante-dix, il a développé et testé des modèles de planification de grands
programmes (programmes de la petite enfance dans 14 comtés du Texas) et d’évaluation
de l’organisation (emplois, groupes de travail, organisations de service à l’emploi et
programmes d’indemnisation du chômage dans le Wisconsin et en Californie). Dans
les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, A. Van de Ven a dirigé le Minnesota
Innovation Research Program, composé de trente chercheurs et doctorants. Depuis
1994, A. Van de Ven étudie les processus de changement organisationnel au sein des
organismes de soins et de l’industrie de la santé dans le Minnesota.
A. Van de Ven est un chercheur d’exception, reconnu à de multiples reprises par ses
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pairs. Il a été président de l’Academy of Management en 2000-2001. Membre actif de
l’Academy of Management pendant 35 ans, il a été élu responsable de la Division
Organization and Management Theory (1979-1982), il a été représentant au Board of
Governors (1982-1984), Fellow de l’Academy of Management (1988) et consulting edi-
tor de l’Academy of Management Review (1996-1998). Il a aussi été rédacteur en chef de
la revue Organization Science (1989-1996) et participe au comité de rédaction de
nombreux ouvrages et revues. En 1997, A. Van de Ven a reçu la distinction récompen-
sant la carrière d’un enseignant-chercheur, Distinguished Scholar Career Award de la
Division Organization and Management Theory de l’Academy of Management. Les
recherches menées par A. Van de Ven ont été récompensées par plusieurs distinctions
(cf. Travaux cités de l’auteur). Il a été choisi pour faire les conférences inaugurales à
l’Academy of Management de la Division Technology and Innovation Management en
2002 et de la Division Health Care Management en 2005. Enfin, A. Van de Ven est à
la 26e place des économistes les plus cités dans le monde selon le Thomson – ISI
Essential Indicators, et est l’un des 30 spécialistes sélectionnés pour le prix Nobel
depuis 2002.
travaux réalisés par Van de Ven et ses collègues par un schéma en trois
dimensions : (1) les concepts-clés étudiés (idées, acteurs, transactions,
contexte, résultats), (2) la méthodologie longitudinale adoptée (méthode
historique, données primaires, étude de cas) et (3) les terrains de recherche
(innovation, santé) (cf. Figure 1). Les recherches s’inscrivant dans de vastes
et longs programmes, une des caractéristiques des publications d’A. Van
de Ven est qu’elles sont le plus souvent collectives.
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• Les idées : alors que l’invention et la conception d’idées innovantes
peuvent être des activités individuelles, l’innovation est une réalisa-
tion collective qui pousse ces idées afin que celles-ci soient mises en
œuvre et institutionnalisées. La dynamique sociale et la politique de
l’innovation deviennent primordiales lorsqu’il s’agit de centraliser
l’énergie et l’engagement nécessaires aux coalitions de groupes
d’intérêt pour développer l’innovation.
• Les acteurs : les acteurs et les organisations ont l’habitude de se
concentrer et protéger les pratiques existantes plutôt qu’accorder de
l’attention aux nouvelles idées. Plus une entreprise réussit, plus il
semble difficile de mobiliser les acteurs sur les nouvelles idées, les
besoins et les opportunités.
• Les transactions : il existe un problème structurel de gestion des
relations qui émergent au cours du développement de l’innovation.
Une caractéristique commune des processus d’innovation est la
coexistence de multiples fonctions, ressources et disciplines, indis-
pensable pour transformer une idée innovante en une réalité concrète
au risque de perdre une vision globale de l’effort d’innovation.
• Le contexte dans le temps : les innovations non seulement s’adaptent
au contexte organisationnel et industriel mais aussi transforment la
structure et les pratiques de ces environnements. Le problème stra-
tégique porte sur le contexte de l’innovation et la création d’une
infrastructure propice à l’innovation.
318 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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consommateur (pour des technologies radicalement nouvelles, un marché
informé et compétent n’existe pas et il est nécessaire de le créer) ; 4) les
activités d’appropriation (par lesquelles la connaissance scientifique et les
compétences des chercheurs sont transformées en produits et services sus-
ceptibles de satisfaire la demande de consommateurs) (cf. Figure 2).
Source : adapté de Van de Ven et Garud, 1989 et complété par Van de Ven,
Polley, Garud et Vankatraman, 1999.
Andrew Van de Ven 319
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donc à changer les actions jusqu’à ce que les acteurs rencontrent un résultat
positif, auquel cas, on observe un phénomène de rétention. Toutefois, il est
parfois difficile de juger du résultat de certaines actions ou encore certains
résultats qui sont influencés par des facteurs exogènes indépendants des
actions entreprises.
La boucle externe supérieure reflète la possibilité que des actions
puissent créer de nouveaux objectifs ou que des critères de performance
puissent évoluer et ainsi justifier une action. Ainsi, les acteurs agissent
intentionnellement et poursuivent ou changent leurs actions avec pour
objectif d’atteindre des résultats positifs. Si le retour est positif, les acteurs
apprennent que s’ils refont ce qu’ils avaient fait la fois précédente, il est
probable qu’ils rencontrent un succès. Mais les acteurs n’apprennent pas
quoi faire pour remporter un succès à partir d’une information négative ;
ils n’apprennent que ce qu’il ne faut pas faire. Les acteurs auront donc
tendance à modifier leurs actions pour éviter les résultats négatifs rencon-
trés la fois précédente mais rien ne dit que leur nouvelle ligne de conduite
les conduira au succès. Dès qu’il y a changement dans les actions, l’appren-
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tissage redémarre de zéro.
La boucle externe inférieure intègre un élément-clé de l’apprentissage
organisationnel : les investisseurs externes ou les dirigeants en charge de
l’allocation des ressources peuvent être partie prenante du processus d’éva-
luation et, par voie de conséquence, modifier le cours de l’action prise par
l’unité entrepreneuriale. Quand le plan d’action prévu et suivi par les
acteurs de l’innovation est jugé satisfaisant par les investisseurs, leur
confiance et leur volonté de laisser une plus grande souplesse dans la ges-
tion augmentent ce qui permet aux acteurs de l’innovation de poursuivre
leur processus d’apprentissage. Dans ce cas, la boucle externe inférieure n’a
aucun effet. À l’inverse, en cas de doutes concernant la pertinence de la
ligne de conduite à suivre, les investisseurs ou les responsables de l’alloca-
tion de ressources interviennent en envisageant des modes de conduite
alternatifs. L’impact est non seulement sur la boucle interne mais égale-
ment sur la boucle externe.
Et enfin, du côté droit du schéma, des événements issus de l’environne-
ment peuvent apparaître indépendamment de la boucle d’apprentissage et
ces événements contextuels peuvent affecter l’évaluation des résultats,
changer les critères de résultats ou déclencher une intervention de la part
des personnes en charge de l’allocation des ressources.
À travers ce modèle, développé dans le cadre de la gestion de l’innova-
tion, A. Van de Ven propose, plus généralement, une aide pour comprendre
le comportement des organisations dans un environnement incertain.
Andrew Van de Ven 321
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empruntés à différentes disciplines a permis de découvrir de nouvelles
façons d’expliquer certains des changements organisationnels et des pro-
cessus de développement sans toutefois proposer un cadre d’ensemble
général et cohérent. A. Van de Ven a cette ambition qu’il construit pro-
gressivement au travers de plusieurs articles sur près de quinze années (Van
de Ven et Astley, 1981 ; Astley et Van de Ven, 1983 ; Van de Ven et Poole,
1988 ; Van de Ven et Poole, 1995).
Il commence par définir les concepts-clés sur lesquels il va appuyer son
raisonnement, de manière délibérément large afin de pouvoir intégrer
plusieurs champs disciplinaires. Il s’intéresse au processus, c’est-à-dire
l’ordre et la séquence d’événements intervenant dans la vie d’une entité
organisationnelle au fil du temps. Le changement est considéré comme
l’un de ces événements. C’est une observation empirique de la différence
dans le temps d’une forme, de la qualité ou de l’état d’une entité organi-
sationnelle. L’entité peut être le travail d’un acteur, le fonctionnement
d’un groupe de travail, l’élaboration de la stratégie d’une organisation, un
programme, un produit ou encore l’organisation dans son ensemble. Le
développement est un processus de changement complet, c’est-à-dire une
succession d’événements depuis le début jusqu’à la fin du changement
observé.
Il est possible de catégoriser le changement selon deux critères : l’unité
d’analyse et le mode de changement. Premièrement, le changement et les
processus de développement peuvent s’appliquer à différents niveaux de
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ments en accord avec un programme défini ou des actions de routine. Un
mode de changement construit génère de nouvelles formes qui, étudiées a
posteriori, sont souvent le résultat d’évolutions discontinues et imprévi-
sibles. Dans ce cadre, de nouvelles actions de routine sont à l’origine (ou
non, dans certains cas) d’une reformulation originale de l’entité.
Partant d’une vingtaine de théories contribuant à la compréhension du
processus de changement, A. Van de Ven propose de les regrouper au sein
de quatre grandes familles de pensée : cycle de vie, téléologie, dialectique
et évolution. Ces quatre théories sont considérées comme des théories
idéales-types, c’est-à-dire qu’elles sont incompatibles les unes avec les
autres et expliquent chacune une partie de la réalité (cf. Figure 4).
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Source : adapté de Van de Ven et Poole, 1995 : 520.
Chacune de ces quatre théories décrit des dynamiques et des lois sus-
ceptibles d’expliquer le développement et le changement organisationnels.
A. Van de Ven a donc cherché à expliquer des processus de développement
de l’innovation, de création d’entreprise ou de gestion d’organismes de
santé à l’aide de cette grille de lecture. En fait, il s’est rendu compte que
ces théories étaient incomplètes prises individuellement, mais qu’elles
offraient une plus grande richesse et rendaient mieux compte de la com-
plexité de la réalité si on les faisait intervenir conjointement. Il propose
ainsi seize modalités d’explication possible à l’observation d’un change-
ment organisationnel selon un système combinatoire de présence ou
d’absence de chacune des quatre théories « idéales ». Il semble alors pos-
sible de comprendre n’importe quel changement organisationnel au tra-
vers de l’une de ces grilles d’interprétation.
Plus récemment, il calque la même démarche pour étudier le change-
ment institutionnel (Van de Ven et Hargrave, 2004 et Hargrave et Van de
Ven, 2006). En adoptant les mêmes dimensions (changement construit vs
changement reproduit ; focalisation sur un acteur vs acteurs multiples), il
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propose quatre perspectives distinctes : design institutionnel, adaptation
institutionnelle, diffusion institutionnelle et action collective. Chacune
d’entre elles permet d’aborder différemment le changement institutionnel
et repose sur des hypothèses et mécanismes distincts. A. Van de Ven pro-
pose à l’aide de la matrice 2x2 (cf. Figure 5) de répondre à la question :
comment et où chacune des perspectives peut être mobilisée pour expli-
quer les différentes facettes du changement institutionnel ? Il propose
également des couplages entre perspectives pour mieux rendre compte de
la réalité.
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Source : adapté de Van de Ven et Hargrave, 2004 : 293.
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laquelle les événements de changement sont identifiés dans l’histoire. Les
méthodes processuelles sont délicates à mettre en œuvre du fait de la com-
plexité des événements, de la nécessaire prise en compte des connexions
temporelles entre événements, des différentes échelles temporelles au sein
d’un même processus et de la nature dynamique du processus. Dans sa
quête d’explications, le chercheur doit intégrer différentes sortes d’in-
fluences dont les événements critiques et les bifurcations, l’influence du
contexte, les schémas qui donne des indications sur la direction globale du
changement et les facteurs causaux qui influencent les séquences d’événe-
ments. Pour mener à bien ces méthodes, les chercheurs utilisent des
designs de recherche assez variés tels que l’observation directe, l’analyse
d’archives ou les études de cas multiples. Différents outils d’analyse sont
disponibles tant qualitatifs que quantitatifs du moment qu’ils satisfont les
deux conditions suivantes : l’outil doit permettre d’identifier et de tester
des liens temporels entre événements et de dégager des schémas temporels
d’ensemble ainsi que de tenir compte et d’exploiter des temporalités mul-
tiples différentes, fréquentes au sein des processus.
La plupart des recherches sur les processus stratégiques portent sur des
études de cas rétrospectives, une fois les résultats connus. Or, il est indé-
niable qu’une connaissance préalable du succès ou de l’échec d’un change-
ment stratégique biaise les résultats de la recherche. L’analyse historique est
toutefois nécessaire pour aborder un grand nombre de questions ; pour
limiter le biais précédent, A. Van de Ven préconise soit de démarrer l’étude
de cas avant de connaître l’issue de l’action de changement, soit d’étudier
Andrew Van de Ven 327
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nécessite une implication importante de la part du chercheur et un accès
au terrain privilégié, accordé par les dirigeants. Van de Ven, Angle et Poole
(1990) précisent que les chercheurs doivent d’abord faire l’effort d’adopter
la perspective des dirigeants impliqués dans l’effort de changement straté-
gique pour appréhender les dynamiques auxquelles ils sont confrontés et,
ensuite, contribuer à l’amélioration des connaissances théoriques sur la
compréhension des processus stratégiques.
Une fois les données collectées, Van de Ven, Angle et Poole (1990) puis
Huber et Van de Ven (1995) proposent des méthodes d’analyse tant qua-
litatives que quantitatives. Dans les démarches qualitatives, ils proposent
les représentations graphiques (notamment des formes d’arbres d’évolu-
tion chronologiques) ou les stratégies narratives. Dans les démarches
quantitatives, ils présentent les méthodes d’analyse de séquences d’événe-
ments codés, les structures des séries temporelles d’événements et des
propositions de modélisation de différentes séries temporelles (données
ordonnées, chaotiques ou aléatoires).
Conclusion
A. Van de Ven a ainsi passé l’essentiel de sa carrière à étudier en pro-
fondeur la gestion de l’innovation et la gestion du changement au sein
d’organisations diverses. Il a tenté de construire des théories explicatives
des phénomènes qu’il a observés sur des périodes de temps longues. En
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tibles de comparer des alternatives théoriques, qu’il s’agisse de modèles ou
de théories. Enfin, la réponse à la question de recherche doit être formulée
de manière à permettre aux dirigeants de faire évoluer leurs pratiques.
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523.
XXI. MICHEL CROZIER – ACTEURS ET SYSTÈMES : L’ANALYSE
STRATÉGIQUE DES ORGANISATIONS
François Grima
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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François Grima
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Michel Crozier 333
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social, l’analyse stratégique ne se résume pas à une étude des phénomènes
de pouvoir. Elle intègre la problématique du changement. Ce dernier est
comme un moment de crise des équilibres internes à la firme, question-
nant les jeux existants.
Notice biographique
Né en 1922, Michel Crozier a suivi un cursus universitaire atypique. Diplômé HEC,
il entre au CNRS en 1952, où il devient directeur de recherche en 1970. En 1961, il
fonde le Centre de Sociologie des Organisations (CSO) qu’il dirige jusqu’en 1993.
Durant sa carrière, Crozier s’intéressa au thème du changement organisationnel, qu’il
prenne la forme de l’innovation où se produise dans une institution comme l’État.
Cette réflexion fut articulée à des travaux plus théoriques sur la nature de l’action indi-
viduelle et collective. Plus récemment, l’auteur a entrepris d’écrire ses mémoires.
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Pour définir le concept, l’auteur s’inspire de la définition de Dahl pour
qui « e pouvoir d’une personne A sur une personne B, est la capacité de A
d’obtenir que B fasse quelque chose qu’il n’aurait fait sans l’intervention
de A ». Cela le conduit à proposer sa propre définition du pouvoir en ces
termes : « Le pouvoir de A sur B dépend de la prévisibilité du comporte-
ment de B pour A et de l’incertitude ou B se trouve du comportement de
A. Tant que les besoins même de l’action créent des situations d’incerti-
tude, les individus qui doivent y faire face se trouvent disposer de pouvoir
sur ceux qui seront affectés par les résultats de leur choix. » Le pouvoir
réside dans l’incertitude dans laquelle on laisse son environnement, sur ses
possibilités d’action ou d’inaction et dans ses propres capacités à diminuer
cette incertitude dans son environnement. Crozier met en exergue ici plu-
sieurs sources d’indétermination, synonyme de pouvoir : l’expertise pro-
fessionnelle, le contrôle du système hiérarchique et le positionnement de
garde-barrière. Dans chacun de ces trois cas, l’acteur dispose d’un avantage
concurrentiel sur ses partenaires qui lui assure un espace de liberté au
détriment de ces derniers. On voit se dessiner ici les soubassements de
l’analyse stratégique de Crozier.
L’un des principes fondamentaux demeure l’affirmation d’une certaine
liberté de l’homme au travail. En effet, ce dernier n’est pas prisonnier de
l’exécution d’un rôle social strict mais dispose d’une marge de manœuvre
lui autorisant des adaptations personnelles. Il est actif, même si ce déploie-
ment peut être synonyme parfois de passivité. Il s’agira alors d’un mouve-
ment tactique et non d’une acceptation de la position que la structure lui
Michel Crozier 335
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garantissant une marge de liberté, il en va de même pour les autres
acteurs de l’organisation. L’acteur n’est pas totalement libre. Le rai-
sonnement volontariste doit laisser place à une perspective opportu-
niste. L’imprévisibilité, le foisonnement de l’information, le carac-
tère utilitaire de la décision l’amènent à ne pas rechercher l’optimi-
sation mais la satisfaction. Il ne tente pas d’amasser le maximum
d’informations pour réaliser ses choix comme l’indique le modèle
classique de la rationalité. Il arrête sa collecte lorsqu’elle lui garantit
un choix acceptable, ou en tout cas le moins insatisfaisant possible.
Le concept d’utilité mobilisé ici ne doit être rapproché que partiel-
lement de son usage en économie. Le sens que lui accorde Crozier
est beaucoup plus large. Le rapport à autrui peut intégrer des
dimensions telles que l’émotion que ne prend pas en compte la
théorie économique standard avec la tarification du prix.
Loin d’être le résultat d’un cheminement rationnel complet, l’acteur
croziérien saisit des opportunités, avec toute la part d’inconnu, de mécon-
naissance que cela suppose. Crozier adhère ici au principe de rationalité
limitée défendu par Match et Simon (1971). L’acteur ne connaît pas l’in-
tégralité du jeu dans lequel il se trouve placé. Il ne peut pas saisir les consé-
quences de ses choix. L’acteur procède largement par induction. Il tend à
découvrir le système dans lequel il se trouve inséré par tâtonnements qui
sont autant de questionnements, de reconstructions de ses règles organisa-
tionnelles.
336 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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analyses inductives (stratégiques) et déductives (systémiques). Pour
atteindre ce niveau d’efficience et être capable de donner sens aux actions
apparemment irrationnelles de ses acteurs, ce modèle s’inscrit dans un
espace circonscrit : le système d’action concret. Ce dernier est construit
par l’observateur. Crozier et Friedberg (1977 : 246) le définissent en ces
termes : « un ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses
participants par des mécanismes de jeux relativement stables et qui main-
tient sa structure, c’est-à-dire la stabilité de ses jeux et les rapports entre
ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d’autres jeux ».
Conçue à l’origine pour être utilisée au sein d’une même organisation,
laissant place à plusieurs critiques sur l’enfermement de l’analyse sur le
fonctionnement de la firme, la notion de système d’action concret a fait
l’objet de modifications qui ont amené Friedberg (1993 :15) à lui préférer
celle de système d’action organisée. L’observateur étudie alors les « proces-
sus par lesquels sont stabilisées et structurées les interactions entre un
ensemble d’acteurs placés dans un contexte d’interdépendance straté-
gique ». Au-delà de l’intérêt de ce renouvellement théorique dans un
contexte de transformation, voire d’affaiblissement des frontières des
firmes, qui débouchent sur la constitution de réseau, cette notion montre
que la coopération entre les individus n’est ni le résultat de la passation de
contrat, ni celui de l’application de normes sociales mais une combinaison
des deux.
Michel Crozier 337
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ment arbitraire tout en les privant d’initiatives personnelles ;
• la centralisation des décisions : elle conduit à une distanciation entre
prise de décision et exécution des tâches dans la firme, ce qui ren-
force la rigidité du fonctionnement interne de la firme ;
• l’isolement de chaque catégorie hiérarchique : l’organisation est
découpée en de multiples sous-groupes aux intérêts divergents qui
s’opposent tout en faisant pression sur leurs propres membres pour
maintenir un degré d’homogénéité élevé, afin de subsister dans les
luttes internes pour la maîtrise de la détermination des règles ou le
maintien, voire l’élargissement de leur zone de liberté ;
• le développement de relations de pouvoir : le maintien de situations
de dépendance entre les catégories laisse subsister des phénomènes
d’influence visant à contraindre le partenaire tout en élargissant
l’incertitude entourant sa propre action.
Crozier souligne que ce type d’équilibre n’est nullement remis en cause
par une pression extérieure. Au contraire, ce dernier est vécu au mieux,
comme une tentative de questionnements des acquis ayant fait l’objet de
négociations passées. Au pire, il apparaît comme une occasion d’élargir sa
sphère d’influence catégorielle ou personnelle.
Dans cette perspective, la question est de savoir selon quel contexte il
est possible d’envisager que les tensions structurant cet équilibre bureau-
cratique vont cesser de le structurer pour au contraire le remettre en cause.
À cette question, Crozier répond en analysant le changement comme un
338 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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positives à l’établissement de nouvelles règles du jeu collectif.
L’approche de Crozier est modeste. Il ne cherche pas à dégager des
règles d’émergence ou de gestion du changement. Il souligne au contraire
son caractère nécessairement contingent tant sa programmation mènerait
à sa suppression par les différents intérêts en jeu dans la démarche. Il ne se
propose que de dégager des constellations, qui à la lumière de son expé-
rience de sociologue de terrain, lui permettent de dire que la situation est
favorable à une action de changement.
Cette analyse du changement prend aussi la forme d’ouvrages de nature
plus politique ou Crozier s’engage dans le débat politique en tant que
réformateur. Reprenant la matrice de l’analyse stratégique et systémique,
il y dénonce l’omnipotence de la structure étatique qui reste prisonnière
d’un cercle vicieux bureaucratique, s’étendant à l’ensemble de la société
française. Bien que théoriquement moins charpentés, ces ouvrages telles
que La société de la confiance (1995), État modeste, État moderne (1987),
On ne change pas la société par décret (1982), La société bloquée (1970)
contribuent à la diffusion du modèle proposé par Crozier, au-delà de la
communauté scientifique pour en faire une référence essentielle de l’ana-
lyse des firmes.
Néanmoins, il demeure que l’analyse stratégique et systémique n’est pas
exempte de critiques.
Michel Crozier 339
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graduée. S’il est vrai que le jeu organisationnel est source de pouvoir, il doit
être réintroduit dans un dispositif de recherche élargi qui intègre des déter-
minants structuraux. Rolle note qu’il est difficile de ne pas prendre en
compte le fonctionnement global d’une entreprise, voire plus largement
celui de l’activité, lorsque l’on analyse le fonctionnement d’un atelier.
Cette absence de prise en compte de macro-dimensions, notamment
culturelles, est relevée par Sainsaulieu qui y ajoute un questionnement sur
le transfert de la grille crozérienne de l’individu au groupe : « Entre la
puissance collective d’un groupe rendu important par l’opportunité de
pouvoir et de jeu qu’il contrôle, et le cas particulier de l’individu capable
de stratégie, qu’y a-t-il de commun ? Peut-on parler d’un groupe et d’un
individu avec le même langage ? Faute d’avoir dissocié le registre de l’indi-
viduel et du collectif, on donne ici l’impression d’un curieux mélange qui
heurte et effraie autant par son psychologisme quand on parle de groupe
ou d’un atelier comme acteur, que par son hypothèse draconienne de pur
calcul stratégique et de froide appétence au jeu dangereux du pouvoir
quand on se rapproche de l’individu comme acteur » (1981 : 454). Ce que
résument Weil et Durand (1991 : 139) en ces termes : « Autrement dit, le
social n est pas que de l’organisationnel recélant de l’incertitude, source de
pouvoir. »
L’individu est difficilement réductible à un stratège impliqué dans un
système d’action concret. Il peut agir autrement que pour la poursuite de
ses intérêts, ce qui fait de chaque personne une combinaison unique de
340 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
motifs d’action. Cette inégalité des ressources, les différences dans les
motivations, sources de subjectivisation pour chaque individu, amènent
plusieurs auteurs à relativiser la liberté organisationnelle de l’analyse stra-
tégique.
Alter (1993) montre que l’exercice stratégique dans un contexte orga-
nisationnel est une activité éprouvante. Certains peuvent préférer y renon-
cer par lassitude alors que d’autres possèdent des aptitudes pour mener à
bien ce véritable travail. Ici, le retrait n’est pas analysé comme une
manœuvre stratégique mais comme l’expression d’une véritable fatigue
organisationnelle. Courpasson (1997) va plus loin dans la remise en cause.
S’appuyant sur les évolutions managériales des dernières années, il doute
des possibilités laissées aux acteurs pour négocier des zones d’incertitudes.
Il voit au contraire une intensification de la domination de l’organisation
au travers des mécanismes, tels que la menace crédible d’une sortie de la
firme. Cette contrainte souple remet en cause la volonté même de l’acteur
d’amorcer un mouvement de marchandage autour des règles organisation-
nelles. La notion de jeu laisse la place à celle d’un engagement nécessaire,
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voire souhaité par les membres de l’organisation tant les repères culturels
du monde du travail sont maintenant vécus au niveau de la firme.
Au-delà de ces diverses limites, certains s’interrogent sur le statut à
accorder aux analyses de Crozier. En effet, comme le fait remarquer
Friedberg lors du colloque de Cerisy, l’analyse stratégique est avant tout
une méthode qui permet, à la manière de la Grounded Theory de Glaser et
Strauss (1967) de faire émerger du terrain un construit théorique localisé.
La contextualisation des résultats, leur extrême contingence ne permet pas
de proposer d’élargissement théorique. La connaissance apparaît ici
comme locale, fragile tant la liberté des acteurs fait évoluer le système
d’action concret dont elle est issue.
Ces questionnements sur la notion d’acteur, sur les niveaux d’analyses
ne remettent pas en cause la pertinence tant intellectuelle que pratique des
travaux de Crozier. Loin d’être un travail stérile, s’enfermant dans une
logique de chapelle, l’analyse stratégique apparaît comme un terreau sur
lequel plusieurs grilles de lecture complémentaires se sont développées. Il
en va ainsi de la théorie de la régulation proposée par Reynaud (1989).
J.-D. Reynaud formalise la question de la forme du marchandage orga-
nisationnel permanent décrit par Crozier avec sa notion de jeu. Pour la
traduire, il met en avant les notions de régulations conjointe, de contrôle
et autonome. Grâce à ces dernières, il montre que le compromis organisa-
tionnel, la régulation conjointe, résultent tant de l’association des règles
émises par le centre, la régulation de contrôle, et de la mise en œuvre des
Michel Crozier 341
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Au-delà, ces divers développements soulignent les risques qu’il y a tou-
jours à analyser les situations sociales à partir d’une grille unique de com-
préhension. Les recherches de Michel Crozier ne font pas exception à la
règle. Certains choix ont été opérés par l’auteur, des postulats admis qui
rendent possible une critique fondée… mais aussi un travail fructueux de
recherche.
Travaux de l’auteur
Crozier, M., Friedberg, E. (1977), L’acteur et le système, Paris, Seuil.
Crozier, M. (1963), Le phénomène bureautique, Paris, Seuil.
Crozier, M. (1970), La société bloquée, Paris, Seuil.
Crozier, M. (1979), On ne change pas la société par décret, Paris, Grasset.
Crozier, M. (1986), État modeste, État moderne, Paris, Fayard.
Crozier, M. (1989), L’entreprise a l’écoute, Paris, Interéditions.
Crozier, M. (1995), La crise de l’intelligence, Paris, Interéditions.
Crozier, M. (2002), Ma belle époque, Paris, Fayard.
Crozier, M. (2004), À contre-courant, Paris, Fayard.
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p. 103-113.
Sainsaulieu R. (1981), « Du système à l’acteur », L’année sociologique, vol. 31,
p. 447-458.
Sainsaulieu R. (1997), Sociologie de l’entreprise, PFNSP et Dalloz, Paris.
Saussois, J.-M. (1999), « Michel Crozier », Revue Française de Gestion, juin-juil-
let-août, p. 100-109.
XXII. JAMES G. MARCH – AMBIGUÏTÉ ET DÉRAISON DANS LES
ORGANISATIONS
Isabelle Huault
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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Isabelle Huault
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344 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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voir. Chercheur aux frontières de la science (on ne compte plus les incur-
sions dans le domaine de la littérature et de la poésie) mais aussi de plu-
sieurs champs et de nombreuses méthodologies, James March articule ses
recherches depuis 1958 autour des processus de décision et du change-
ment organisationnel. C’est cette logique thématique que nous retien-
drons dans la présente contribution, même si elle ne rend pas totalement
justice à la diversité de l’œuvre de March qui a examiné d’autres problé-
matiques, telle que celle du leadership2.
Dès le début de ses travaux, James March situe sa réflexion sous l’éclai-
rage de la rationalité limitée et de l’ambiguïté, posture qui le conduit à une
conception particulière de la dialectique de l’ordre et du désordre dans le
fonctionnement organisationnel. Dans cette perspective, l’emprise de
l’ambiguïté n’est pas étrangère aux dynamiques du changement et de
l’apprentissage dans les organisations, perpétuellement traversées par le
dilemme de l’adaptation et de l’innovation.
1. J. March (1991), Décisions et organisations, Ed. d’Organisation, Chapitre 4, p.101. Traduit de J.March,
« Footnotes to Organizational Change », Administrative Science Quarterly, 26, 1981, 563-577.
2. Sur ce point, on lira avec intérêt l’ouvrage de March et Weil (2003), qui reprend le cours qu’a donné
James March sur le thème du leader.
James G. March 345
Notice biographique3
James March est né le 15 janvier 1928 à Cleveland dans l’Ohio. Après avoir effectué
une partie de ses études à l’Université du Wisconsin, il obtient son Doctorat en science
politique à l’Université de Yale en 1953. Sa thèse Autonomy as a Factor in Group
Organization porte sur la relation entre les mécanismes de contrôle internes à un
groupe et l’autonomie de ce groupe par rapport à l’entité supérieure à laquelle il appar-
tient. Recruté par H.Simon comme professeur assistant, il enseigne ensuite de 1953 à
1964, le management et la psychologie au Carnegie Institute of Technology, puis
devient doyen de la faculté de sciences sociales à l’Université de Californie. Il est
Professeur à l’Université de Stanford depuis 1970. Il y occupe différentes chaires, en
sciences politiques et en sociologie, mais aussi en science de l’éducation et en manage-
ment international. À partir de 1989 et jusqu’à se retraite, il devient directeur de
l’institut scandinave pour les recherches sur les organisations (SCANCOR) qui accue-
ille des doctorants et chercheurs des pays scandinaves. James March est doctor honoris
causa de plusieurs universités dans le monde.
Il est l’auteur d’une centaine d’articles et de plusieurs livres. Parmi ces derniers, on peut
citer : Organizations, écrit en collaboration avec H. Simon (1958), A Behavioral Theory
of the Firm, co-écrit avec R.Cyert (1963 puis réédité et augmenté en 1992), Handbook
of Organizations (1965), Ambiguity and Choice in Organizations, sous la direction de
J.March et J.Olsen (1976), Decisions and Organizations (1988), traduit en français en
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1991 aux éditions d’Organisation et The Ambiguities of Experience (2010), synthèse de
conférences données à Cornell University.
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décision et non dans le résultat lui-même (rationalité substantielle). À ces
dimensions orientées vers une conception plutôt calculatrice de la nature
humaine, s’ajoutent d’autres formes de rationalités, pour lesquelles les
actes ne trouvent pas toujours une claire justification : la rationalité adap-
tative qui traduit les effets d’apprentissage et une adaptation permanente
des préférences aux fluctuations de l’environnement, la rationalité sélec-
tionnée car les choix sont dominés par la construction sociale des rôles et
les procédures habituelles de fonctionnement, la rationalité a posteriori
enfin qui permet de justifier la cohérence des choix ex post, les actes pré-
cédant souvent l’expression des préférences.
J. March modifie ainsi radicalement les hypothèses de la théorie clas-
sique sur les goûts et leur rôle. Dans cette perspective, les goûts ne sont ni
absolus, ni pertinents, ni nécessairement cohérents ou précis. Prenant
appui sur la description du comportement des individus et des institutions
sociales, l’auteur rejette le postulat selon lequel les préférences futures sont
exogènes aux acteurs, stables et permettent des décisions sans équivoque.
Les managers en effet prennent quotidiennement des décisions en igno-
rant leurs propres goûts mais en suivant des routines et leur intuition. En
outre, nombre de préférences restent imprécises ; de manière rétroactive,
les actions et leurs conséquences, endogènes au processus de décision,
influent sur ces préférences voire les manipulent. L’information collectée
dans les entreprises d’ailleurs ne l’est pas nécessairement en vue d’aider à
la prise de décision. Les informations ont peu de rapport avec les décisions
et sont même utilisées une fois la décision prise pour la justifier. En outre,
James G. March 347
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est le résultat de négociations entre logiques locales qui conduisent inci-
demment à une instabilité du système. L’encadrement par les institutions
(March et Olsen, 1984), telles que les structures, les budgets, la culture et
les procédures permet néanmoins de pallier le relatif désordre organisa-
tionnel. Pour s’adapter, l’entreprise dispose aussi de plus de ressources qu’il
n’est nécessaire – le slack –, c’est-à-dire de ressources qui ne sont pas
allouées de façon optimale, ce qui constitue une conséquence directe de
l’imperfection des processus de décision. Le slack participe à la cohésion
de l’organisation et à son adaptabilité, en permettant un jeu dans les
rouages et en protégeant des contrôles organisationnels normaux, les per-
sonnes et les groupes qui cherchent à innover.
Cette théorisation de l’entreprise adaptative, simulée avec une bonne
robustesse sur deux entreprises durant une période de trente ans, se
démarque, en premier lieu, de la théorie économique orthodoxe en atti-
rant toute l’attention sur les organisateurs réels et agissants de la coalition.
En deuxième lieu, les buts organisationnels sont présentés comme le fruit
de demandes plutôt disparates des participants, dont l’attention varie au
cours du temps. Cette situation limite la possibilité d’envisager les pro-
blèmes organisationnels de façon simultanée et prévient les possibilités de
5. Il faut cependant noter que les routes de March et Simon ont par la suite divergé. March et Simon
ont certes activement collaboré au sein de l’École de Carnegie comme en témoigne leur ouvrage commun
Organizations (1958). Mais à la différence de March, Herbert Simon continuera à adhérer par la suite à
une démarche rationaliste, apportant aménagements et adaptations au modèle de l’économie orthodoxe.
La perspective de J. March constitue a contrario une rupture et une critique radicale adressée à l’encontre
du référentiel classique.
348 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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James March offre ainsi une vision plutôt chaotique voire anarchique
(Cohen, March et Olsen, 1972) de la décision. Ce qui est organisé en
effet, ne fonctionne pas forcément sous forme de procédures, élaborées en
vue de l’atteinte d’objectifs préalablement spécifiés ou appliqués à la lettre
par tous ceux qui ont vocation à intervenir dans leur mise en œuvre.
L’auteur observe des relations lâches entre les stratégies et les actions, les
projets et les comportements, les décideurs et les gestionnaires (March et
Olsen, 1976 ; March et Romelaer, 1976). Dans ces conditions, loin de
considérer la prise de décision comme un difficile travail technique d’opti-
misation, dépendant d’orientations préalables et exogènes, et élaborée par
une autorité légitime, il lui semble plus judicieux de l’envisager comme
fruit de négociations et de stratégies marquées du sceau de l’ambiguïté
(Baier, March et Sætren, 1986). La décision ne fait pas seulement appel à
des ressorts d’ordre technico-économique mais obéit à des motifs de
nature socio-politique. Les personnes, les problèmes et les solutions se
combinent de façon aléatoire, ce qui rend toute prévision d’action ou de
résultat difficile (March, 1987).
On ne peut cependant déduire de ces observations que les processus de
décision sont absolument désordonnés. En revanche, à la vision de l’orga-
nisation comme ensemble cohérent de procédures finalisées se substitue la
définition d’une nouvelle conception de l’ordre. C’est précisément ce à
quoi s’attache March quand, en 1972, il formalise avec M. Cohen et
J. Olsen le modèle du garbage can (corbeille à papier) dans les anarchies
James G. March 349
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quête de questions auxquelles elles pourraient répondre. On peut dès lors
considérer chaque occasion de choix comme une corbeille à papier, une
poubelle dans laquelle les différents problèmes et les solutions sont jetés
par les participants au fur et à mesure de leur apparition. En lieu et place
d’une conception logique de la décision apparaît un ordre plus temporel.
Les cohérences logiques sont balayées par un flot de problèmes, solutions,
participants et occasions de choix. Un problème donné peut être résolu
par une occasion de choix différente ; par exemple le développement d’une
ligne de produit qui ne trouve pas sa justification dans le plan marketing
pourra réapparaître dans le cadre de la gestion prévisionnelle de l’emploi
et y être réglé (Romelaer, 1994). Chaque décision dépend aussi éminem-
ment de la structure de contact des acteurs et la recherche de solution
s’effectue souvent au voisinage de solutions connues. En outre, l’implica-
tion dans une décision est un signe de pouvoir, certains acteurs voulant
participer à une décision sans que la question traitée ait pour autant beau-
coup d’importance dans l’organisation ou, parce qu’au contraire, la déci-
sion présente des caractéristiques attractives pour les participants poten-
tiels.
6. Les auteurs ne manquent pas de souligner cependant que dans n’importe quelle entreprise, à un
moment donné de son histoire ou à un endroit donné de sa structure, les caractéristiques d’une anarchie
organisée sont présentes.
7. On relèvera au passage la proximité théorique avec le concept de « systèmes faiblement liés » développé
par K. Weick (1976).
350 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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acteurs.
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ronnement (par exemple le comportement du consommateur) n’ont par-
fois pas de lien avec l’action de l’entreprise (par exemple le lancement
d’une action promotionnelle), contrairement à ce qu’imaginent les
membres de l’organisation souvent plus enclins à adopter un comporte-
ment d’apprentissage que March qualifie de « superstitieux » (Lave et
March, 1975). Il se produit enfin des situations où l’apprentissage n’est
guère diffusé et ne conduit à aucune adaptation organisationnelle.
Pourtant, si les possibilités de contrôle des individus sur les événements
restent limitées, les acteurs mettent néanmoins en œuvre des ressources
pour faire avancer le monde dans le sens souhaité. Certes, ces tentatives
n’ont guère un caractère héroïque ou spectaculaire et ne correspondent en
rien à un progrès mécanique de l’organisation mais elles n’en ont pas
moins des conséquences. Mus par une rationalité adaptative, les membres
d’une organisation essaient de tirer des leçons de leur expérience, bien que
celle-ci puisse être trompeuse. Ils se trouvent en effet dans des conditions
« où les événements ne sont pas évidents, on ne sait pas pourquoi ils se
sont produits et rien ne dit que ces événements soient une bonne chose »
(Cohen et March, 1974). De ce fait, toute théorie de l’apprentissage dans
les organisations doit considérer quatre dimensions essentielles :
• les convictions présentes dans l’organisation résultent du fonction-
nement de sa mémoire qui varie selon les parties de l’organisation et
les personnes concernées. Dans cette perspective, la collecte d’infor-
mations se modifie en fonction de l’organisation et des systèmes mis
en place pour consigner son histoire (les archives par exemple) ;
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aborde les situations avec des attentes et un ensemble établi de valeurs,
d’opinions, d’attitudes ; 3) il voit ce qu’on veut qu’il voie et aime ce qu’on
veut qu’il aime, dans un contexte où les normes sociales, les liens affectifs,
les relations interpersonnelles se révèlent très prégnants. Au total, les expé-
riences sont interprétées au travers de schémas simplifiés et de communi-
cations très imparfaites.
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selon leur statut et leur connaissance des problèmes traités, vont s’impli-
quer différemment dans un processus décisionnel. Et ceux qui participent
un peu plus au départ, deviennent aussi un peu plus compétents. Ce
constat les incite à accroître leur participation et à tirer ainsi de nouvelles
leçons de leur expérience. Toutefois, il en résulte un processus de spéciali-
sation, qui peut s’avérer déplacé, quand les évolutions de l’environnement
s’avèrent radicales.
Or, tant l’exploration que l’exploitation semblent essentielles pour les
organisations, quand bien même ces dernières effectuent souvent des
choix explicites ou implicites en faveur de l’une ou l’autre des solutions.
En effet, « la connaissance du changement passe par celle des relations
entre le côté apparemment prosaïque et le côté apparemment poétique de
la vie des organisations » (March, 1981). Cette thèse qui ressurgit comme
un leitmotiv dans l’ensemble de l’œuvre de James March, souligne que les
systèmes organisationnels sont perpétuellement traversés par la dialectique
de processus de changement raisonnables et de dynamiques plus irration-
nelles. Elle reprend l’idée chère à March, du « mélange nécessaire de plom-
bier et de poète chez le leader », nourri de compétence ordinaire, d’atten-
tion prosaïque au quotidien mais également de vision grandiose pour
rendre la vie plus attrayante (March et Weil, 2003 : 19).
De façon plus tranchée encore, la technologie de la folie ou de la dérai-
son que prône J. March (March, 1971, 1973) consiste à s’abstraire de
règles par trop conventionnelles pour adopter des comportements plus
354 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
originaux voire ludiques : traiter ses objectifs comme des hypothèses, uti-
liser son intuition, oublier sa mémoire afin de ne pas reproduire des solu-
tions pré-établies, développer un goût du jeu (Weil, 2000). Tolérer la
présence de déviants qui ne se conforment pas, voire résistent aux normes
de l’organisation, accepter les « explorateurs » qui prennent des initiatives
ou les individus qui s’entêtent dans une voie donnée (Lounamaa et March,
1987), c’est s’autoriser à mieux s’adapter, à faire des découvertes, à explorer
l’environnement, à régénérer l’organisation.
La littérature sur les processus de décision et le changement organisa-
tionnel a été profondément et durablement marquée par l’œuvre de James
March. On ne compte plus les références, les emprunts à ses travaux et les
proximités théoriques entretenues implicitement ou explicitement avec de
nombreux auteurs (Allison, Mintzberg, Shrivastava, Crozier, Weick…).
Certes, les contributions de March ont pu faire, ici ou là, l’objet de
quelques critiques. Le modèle du garbage can en particulier, marqué par
« un biais en faveur de l’incertain et de l’aléatoire », aboutit selon
E. Friedberg (1993) à une nouvelle orthodoxie qui ne concernerait au
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final que les décisions à caractère exceptionnel. Ces remarques pour inté-
ressantes qu’elles soient, ne convainquent que partiellement puisque
March montre, preuve à l’appui, que toutes les organisations présentent
en certains lieux ou à certains moments de leur existence les traits d’une
anarchie organisée.
Au-delà d’un programme de recherche très ambitieux et d’apports
théoriques nombreux, March apparaît non seulement comme un anti-
conformiste mais aussi comme un humaniste, pour qui les préoccupations
politiques et institutionnelles, l’interprétation critique du monde sont
constitutives du questionnement scientifique. Les contributions sur les
fondements de la démocratie initiées avec J. Olsen (1984) illustrent cette
orientation, puisque les auteurs y remettent en cause une conception trop
étroite de la rationalité en sciences politiques. Dans la même perspective,
J. March et J. Olsen décrivent aussi dans leur ouvrage de 1989, le fonc-
tionnement des institutions politiques au niveau d’un pays pour montrer
comment une analyse organisationnelle en termes de leader politique, de
gouvernement, d’administration, permet de repérer les marges de
manœuvre et les difficultés des actions d’un gouvernement au niveau d’un
pays (Romelaer, 2004).
Cette posture humaniste s’incarne aussi dans la manière d’appréhender
l’enseignement (March, 1975) que résume la formule (Weil, 2000) : « foi
dans l’acte d’apprendre (croyance en la beauté de la connaissance), convic-
tion qu’il est souhaitable de devenir adulte (par l’éducation), optimisme
fondamental (l’éducation est proclamation de la volonté humaine). »
James G. March 355
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356 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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XXIII. WILLIAM OUCHI – LA COHÉSION ORGANISATIONNELLE EN
QUESTION
François Grima
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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en question
XXIII
François Grima
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William Ouchi 359
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début des années quatre-vingt, ou le défi économique japonais se pose
crûment en Occident.
Notice biographique
Titulaire d’un MBA de l’Université de Stanford (1967), d’un Ph.D. de l’Université de
Chicago (1972), William Ouchi est professeur titulaire de chaire à l’Université
d’UCLA ou il enseigne le management et les théories des organisations. Cette activité
d’enseignant et de chercheur connut une interruption de 1993 à 1995. Ouchi fut
recruté en tant que conseiller et chef du personnel du maire de Los Angeles. Cela l’a
conduit à s’intéresser à la performance du management scolaire et à ouvrir un débat sur
ce thème aux États-Unis. Ses recherches s’orientent essentiellement vers la question des
mécanismes de contrôle et de la cohésion organisationnelle.
parties prenantes, de telle sorte que la valeur donnée et reçue dans la réa-
lisation de la transaction soit conforme aux attentes de chacun » (Ouchi,
1980 : 130).
Cette régulation interne s’opère au travers de trois mécanismes, quali-
fiés de mode de contrôle : le marché, la bureaucratie et le clan. Il s’agit de
principes généraux d’organisation, de coordination qui, pour entrer en
œuvre, nécessitent l’existence de pré requis sociaux normatifs et informa-
tionnels propres à chacun et viennent compléter l’exigence de réciprocité.
Pour autant, cela ne signifie pas que leur fonctionnement est exclusif. Au
contraire, les combinaisons sont la règle.
Le marché en tant que mode de contrôle repose sur une application
stricte de la réciprocité. Le rapport entre les parties est conçu sur la courte
durée. S’inscrivant ici dans la filiation des travaux de Barnard, Ouchi met
en exergue que l’équilibre entre la contribution et la rétribution se définit
dans la quasi instantanéité. En effet, l’absence d’autres pré requis garantis-
sant un échange équitable rend le marché particulièrement fragile en tant
que mode de contrôle, à toute tentative opportuniste. L’unique solution
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pour maintenir son efficacité consiste à sanctionner de façon exemplaire
tout comportement frauduleux. Ouchi souligne ici que la fraude est punie
à la fois par les parties lésées et par l’ensemble du système social. De fait,
selon l’auteur, l’honnêteté des parties est obtenue grâce à l’effet dissuasif
de la sanction qui fait de la réputation des agents un élément-clé de leur
survie.
Sur un plan informationnel, le marché fonctionne grâce à un système
de prix, censé fournir toutes les données nécessaires à l’équité des transac-
tions. Au sein d’une firme, Ouchi avance l’idée que les systèmes de rému-
nération à la performance et de cession internes permettent à ce type de
régulation d’être à l’œuvre. Chaque salarié reçoit une rémunération en
fonction de son implication dans la firme.
Malgré ses différents atouts, le marché peut s’avérer insuffisant pour
maintenir la coopération au sein d’une firme. S’appuyant sur les travaux
de Williamson (1975) et Coase (1937), Ouchi (1980) souligne que le
cadre de l’échange contractuel fixé par le marché ne garantit pas la satis-
faction des acteurs dans un contexte d’incertitude élevée. Faute de moyens
de contrôle efficaces, l’opportunisme n’est plus une option écartée par les
acteurs. L’honnêteté n’est plus garantie socialement. Le mode de contrôle
de la bureaucratie apparaît alors comme un mécanisme plus fiable pour
assurer la cohésion de la firme. Il témoigne d’une situation d’échec de la
régulation par le marché et répond aux insuffisances de ce dernier. En plus
de la norme de réciprocité, qui cette fois, n’est généralement pas instanta-
William Ouchi 361
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le délai dans l’application du principe de réciprocité contribue à brouiller
l’équilibre contribution-rétribution. L’extériorité de l’autorité de contrôle
n’est plus suffisante pour garantir un échange interne satisfaisant pour
tous. Dans un contexte d’incertitude élevée, le mode du clan semble être
pour Ouchi la solution la plus adaptée.
En effet, lorsque le contrôle par le système de prix ou la hiérarchie n’est
plus possible en tant que garantie de l’honnêteté des parties, la réciprocité
ne peut être obtenue que grâce à une socialisation poussée des membres
de l’organisation. Ce mode de contrôle repose sur une culture organisa-
tionnelle forte qui permet à chacune des parties d’éprouver que son parte-
naire partage sa manière de concevoir la réalité de la firme. Les anticipa-
tions sur autrui sont positives, ce qui conduit à un opportunisme faible.
Les salariés sont sûrs que la firme procédera à une répartition juste de la
valeur. La réciprocité est réelle. On atteint alors un niveau élevé de
congruence entre les objectifs de la firme et ceux des salariés.
Ouchi (1980) se réfère à la solidarité organique décrite par Durkheim
(1933) pour traduire le partage de valeurs régnant dans la firme qu’il
nomme traditions. Si cette imprégnation culturelle est synonyme d’ab-
sence de contrôle extérieur formel, Ouchi met en relief que le mode de
contrôle par le clan n’est pas assimilable à un système sans contrôle. La
cohésion s’opère à travers une socialisation intense. Elle prend la forme de
recrutement précis réalisé selon les critères culturels de l’entreprise. La
formation joue aussi un rôle-clé dans l’intégration de normes comporte-
mentales et cognitives largement informelles.
362 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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2. LA FIRME Z
Ouchi dresse un constat sévère de l’état de la société. Selon lui, elle se
caractérise par une désagrégation des structures intermédiaires. L’individu
ne peut plus se reposer sur la famille ou la nation pour assurer son inser-
tion dans la communauté. Pour l’auteur, la firme constitue le dernier îlot
de cohésion pour les individus. Ces derniers ne peuvent trouver ailleurs un
lieu d’identification, et plus largement, un espace cohérent ou se dévelop-
per personnellement. Cela conduit Ouchi à valoriser le type de société Z
au détriment des modèles A et J qui correspondent respectivement aux
idéaux-types de la firme américaine et à celle de la firme japonaise mis en
évidence par M. Aoki. À l’image de la construction des modes de contrôle,
l’auteur détermine chacun des types idéaux au travers de plusieurs dimen-
sions. Sept éléments sont mis en avant : l’ancienneté dans l’emploi, le
mode de décision, l’étendue de la responsabilité, le rythme de la carrière,
la nature du contrôle, le niveau de spécialisation des carrières et la richesse
de la relation avec les salariés de l’entreprise, plus particulièrement avec le
supérieur hiérarchique.
Les firmes A et J s’opposent point a point. En effet, reprenant la dis-
tinction posée par F.J. Tönnies, on pourrait dire que la première est une
société alors que la seconde est une communauté. Dans la firme A, le
rapport salarial est de courte durée. La prise de décision et les responsabi-
lités sont individuelles. L’évaluation et la promotion du salarié sont
William Ouchi 363
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cours de la fin des années soixante-dix et du début des années quatre-vingt
lui révèlent qu’un modèle hybride s’est développé aux États-Unis. Cette
mutation repose sur des évolutions de la société américaine qui rendent
plus efficaces, en termes de cohésion sociale, une configuration proche du
modèle J, sans renoncer au modèle A. Ouchi le nomme modèle Z.
La détermination de la firme Z est complexe au sens premier du terme.
Les contraires s’y associent à chaque niveau. Les fondements culturels
combinent les valeurs individualistes du modèle A et la cohésion commu-
nautaire de la firme J, ce qui conduit à un rapport salarial conçu sur la
durée. La prise de décision est collective alors que le niveau de responsa-
bilité est individuel. L’évaluation de la performance repose à la fois sur un
contrôle informel et un recours à des éléments précis. L’évolution de car-
rière est lente. La spécialisation demeure modérée. Ces éléments amènent
Ouchi à conclure à la prégnance d’une logique communautaire. Au-delà,
il semble même à l’auteur que le modèle de la firme Z soit la meilleure
solution tant pour les salariés que pour l’économie américaine dans les
années a venir.
En effet, se référant à Maslow (1954), Ouchi met en exergue le besoin
de filiation des individus. Ce dernier ne peut être pris en charge dans le
modèle J qu’au détriment de l’identité de la personne. L’équilibre proposé
par la firme Z doit permettre à la grande majorité des salariés de concilier
le désir d’exister en tant qu’individu avec le besoin d’appartenance.
Au-delà de cette gestion de tensions, la firme Z se caractérise avant tout
par sa logique communautaire.
364 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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tente de les compléter en suggérant un pluralisme des mécanismes de
contrôle à l’œuvre dans la firme. Ouchi (Barney et Ouchi, 1983) montre
qu’il est possible d’associer des formes différentes, afin de gérer des situa-
tions d’échanges complexes ; en particulier lorsque les visées des parte-
naires sont divergentes et les performances ambiguës. À partir de cette
valorisation de l’hybridation, Ouchi met en exergue l’importance du clan,
qui demeure une de ses contributions essentielles à la théorie des organi-
sations. Toutes choses égales par ailleurs, le clan peut être associé aux
autres mécanismes de contrôle, afin d’améliorer leurs capacités à intégrer
de la complexité (Grandori, 1987).
Malgré ces apports réels, une analyse plus approfondie de l’utilisation
par la communauté scientifique des travaux d’Ouchi révèle que leur mobi-
lisation s’arrête souvent à la simple citation. Les chercheurs semblent leur
préférer les démarches configurationnelles ou institutionnelles pour les
analyses synthétiques et les auteurs plus spécialisés, notamment Aoki
(1990), pour le traitement d’un des modes de coordination. De manière
plus critique, on peut penser que la valorisation d’une volonté de coopé-
ration dans des entreprises marquées par la mixité des formes de contrats
et la recherche de la flexibilité peut rendre les analyses d’Ouchi moins
pertinentes. Au-delà, cet auteur apparaît comme un point de passage
obligé d’une revue de littérature qui serait incomplète en son absence.
Or le triptyque formé par le clan, la bureaucratie et le marché est loin
d’être un construit insuffisant pour cerner les nouvelles réalités organisa-
William Ouchi 365
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gieux, indépendants). Cette réflexion (Ouchi, 2003 ; 2007), à l’origine
d’une intensification des débats sur le management public, souligne l’im-
portance de l’influence de la décentralisation sur la performance. Ouchi
invite le politique à donner plus de pouvoirs aux responsables locaux, seuls
capables selon lui de créer dans leur établissement une dynamique de coo-
pération, un sens de l’investissement dans la réussite de l’enfant.
Cette longévité peut s’expliquer par la capacité de l’auteur à avoir une
vision élargie du fonctionnement des entreprises. Loin de limiter ses inves-
tigations au simple cadre de la théorie organisationnelle, Ouchi n’hésite
pas à avoir recours aux grilles de lecture de la sociologie générale. Il
conteste les frontières disciplinaires qui amoindrissent la pertinence des
outils d’analyse. Cette capacité à penser la mixité, l’ambivalence, la sou-
plesse organisationnelle constitue l’un des intérêts majeurs des travaux
d’Ouchi.
En effet, alors que les approches configurationnelles multiplient les cas
de figures, que la grille des coûts de transaction éprouvent des difficultés
à penser les formes hybrides, à mi-chemin entre le marché et la firme,
Ouchi propose, dès la fin des années soixante-dix, un mode de contrôle et
un type d’organisation, qu’il qualifie lui-même de déviant, apte à saisir la
complexité et la flexibilité accrues des firmes. Si l’on peut s’interroger sur
la pertinence de l’extension de ses analyses organisationnelles au niveau
sociétal, qui le conduisent à des généralisations hâtives, d’ou il ressort que
le modèle communautaire est le plus pertinent socialement, il reste que ce
366 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
cadre théorique garde tout son intérêt, comme en attestent des travaux
empiriques récents précédemment cités.
Enfin, comme le rappelle de Bettignies dans sa préface a la version
française de la théorie Z, si le travail d’Ouchi n’a pas la qualité d’un japa-
nologue aguerri, ce qui lui occasionna de nombreuses critiques de réduc-
tionnisme de la complexité du modèle japonais, l’auteur a joué un rôle
d’intermédiaire, de médiateur auprès des firmes occidentales. Il leur a
permis de réfléchir sur leur fonctionnement à la lumière des réalités orga-
nisationnelles nipponnes à un moment où la tentation d’une exportation
de leur modèle était tentante.
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XXIV. OLIVER WILLIAMSON – DE L’ÉCONOMIE DES COÛTS DE
TRANSACTION AU « WILLIAMSONISME »
Faouzi Bensebaa
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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au « williamsonisme »
Oliver Williamson
de transaction
XXIV
Faouzi Bensebaa
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Oliver Williamson 369
Notice biographique
Oliver Williamson est professeur émérite à la Hass School of Business (chaire Edgar F.
Kaiser) et à la Graduate School (Droit et Économie) de l’Université de Berkeley en
Californie aux États-Unis. Né en 1932 à Supérior (Wisconsin, États-Unis), Oliver
E.Williamson fréquenta d’abord l’école publique locale puis entra au Massachusetts
Institute of Technology (MIT) (USA), où il obtint un diplôme d’ingénieur. Il est
ensuite recruté par le gouvernement américain comme ingénieur de projets, travail qui
l’amena à voyager à l’étranger et à visiter beaucoup d’entreprises privées. Ce contact
avec les organisations privées le poussa à entrer à l’Université de Stanford (USA) pour
y préparer un doctorat en gestion. Il y découvrit alors l’économie grâce notamment à
Kenneth Arrow et entra dans le groupe de Carnegie-Mellon, animé par Herbert Simon.
Après la soutenance de sa thèse en 1963 sur le rôle des managers dans la performance
des entreprises, il fréquenta quelque temps l’Université de Berkeley, l’Université de
Pennsylvanie ainsi que la Rand Corporation, passages qui lui permirent de rencontrer
des économistes réputés et de réfléchir aux problèmes de droits de propriété et
d’organisation industrielle. Son retour comme économiste à la division AntiTrust de
l’administration fédérale américaine lui permit de travailler sur les problèmes de fran-
chise, d’intégration verticale et de pratiques de prix restrictives et de participer à
l’élaboration de normes en matière de fusions-acquisitions. Son installation définitive
comme enseignant et chercheur se fit d’une manière progressive, d’abord dans les
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années soixante-dix à l’Université de Pennsylvanie, ensuite à partir de 1983 à
l’Université de Yale comme professeur d’économie et enfin à l’Université de Berkeley à
partir de 1989 comme professeur de management, d’économie et de droit.
De nombreuses distinctions récompensèrent ses travaux : Alexander Henderson Award
(1962) ; Fellow Econometric Society (1977) ; Fellow, American Academy of Arts and
Sciences (1994) ; Fellow, American Academy of Politica and Social Science (1997) ;
Horst Claus Recktenwald Prize in Economics (2004) ; Distinguished Fellow, American
Economic Association (2007) ; prix de la Banque de Suède en sciences économiques
en mémoire d’Alfred Nobel avec Elinor Ostrom (2009).
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l’intermédiation des transactions. Il y a ainsi changement de perspective
par rapport à la notion de marché auto-régulé promu par la théorie néo-
classique dans laquelle l’ordre et la structure sont la résultante du chaos
collectif des transactions individuelles. En d’autres termes, le marché crée
son propre ordre, alors que la théorie de Williamson indique que des fac-
teurs extérieurs au marché opèrent. Cependant, les transactions sont régies
par des contrats de différentes natures, étroitement associés à l’environne-
ment institutionnel dans lequel ils sont établis. Ce qui signifie que les
contrats formels seront encadrés par un système juridique structuré alors
que les contrats informels seront fondés sur un système coutumier. Les
coûts de transaction dépendront alors de la bonne adéquation entre les
systèmes institutionnels et les modes organisationnels. Par conséquent, le
choix des transactions – firme ou marché – va être fortement lié à celui des
règles du jeu institutionnel.
C’est à l’examen des principaux travaux de Williamson que se consacre
ce chapitre. Si l’économie des transactions a pu être considérée comme
une rupture par rapport aux enseignements de la théorie néoclassique de
la firme, il s’agit aujourd’hui de cerner l’ensemble des apports de
Williamson, notamment aux sciences de gestion. La réflexion portera,
dans un premier temps, sur la présentation des fondements ayant permis
l’émergence de l’économie des coûts de transaction. Elle se consacrera,
ensuite, à l’étude des caractéristiques principales des travaux de Williamson.
Elle traitera, dans un troisième temps, des principaux apports théoriques
de Williamson. L’accent sera ainsi mis sur sa théorie « réaliste » de la firme,
Oliver Williamson 371
sur la place des coûts de transactions dans les décisions des firmes, sur la
prise en compte de l’impact des droits des contrats sur les choix entre les
différentes structures organisationnelles, etc. Elle analysera, enfin, les cri-
tiques adressées aux contributions de Williamson, tant sur les difficultés
d’opérationnalisation de l’approche que sur l’absence de liens solides entre
coûts de transactions/institutionnalisme et management/stratégie, ainsi
que les réactions qu’elles ont suscitées tant de la part de Williamson lui-
même que d’autres chercheurs.
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trois principes de conflit, de mutualité et d’ordre. Unité de base de l’ana-
lyse, la transaction, c’est-à-dire l’échange entre deux parties, permet d’étu-
dier l’échange à un niveau microanalytique. De plus, Commons considère
l’organisation économique à la fois comme la traduction de caractéris-
tiques technologiques, illustrées par les économies d’échelle, les économies
de gamme, les aspects physiques et techniques, et à la fois comme l’har-
monisation des relations entre les parties (« les structures de gouver-
nance »).
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administratives lorsque le nombre de transactions augmente ; la variation
des prix d’offre des facteurs de production.
À partir de là, et sur la base de la relation positive existant entre les
coûts d’organisation et la taille de la firme, Coase estime que celle-ci
devient optimale quand les coûts marginaux organisationnels égalisent les
coûts marginaux de transaction. L’égalisation des deux types de coûts per-
met, alors, de définir les frontières entre la firme et le marché.
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2. CARACTÉRISTIQUES PRINCIPALES DES TRAVAUX
sance limitées, des volontés acquises de la culture et une très faible indé-
pendance. Face à ces deux extrêmes, Williamson propose un homme
hybride, doté d’aptitudes au calcul et à la connaissance limitées mais de
volonté auto-déterminée et donc d’indépendance. Par rapport à Simon
qui avance que la rationalité limitée conduit à la satisfaction plutôt qu’à la
maximisation du comportement, Williamson estime que la rationalité
limitée conduit à l’economizing sur les coûts de transaction. Ce qui rend
l’approche de minimisation des coûts de Williamson incompatible avec
l’approche de rationalité limitée de Simon. En particulier, les limites de
calcul centrales dans la rationalité limitée excluent les calculs requis par la
minimisation des coûts de Williamson. Le second concept proposé par
Williamson – l’opportunisme – vise à permettre l’explication de la signifi-
cativité des coûts de transaction. Le spectre théorique, exposé ci-dessus, va
de nouveau être utile pour appréhender cette hypothèse. D’un côté du
spectre, l’homme économique poursuit son propre intérêt, mais sans ruse
ou tromperie ni contrainte (pouvoir). De l’autre côté, l’homme institu-
tionnel poursuit son propre intérêt (lorsqu’il apprend pour comprendre)
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avec ruse et contrainte. L’homme hybride de Williamson poursuit son
propre intérêt avec ruse mais sans contrainte. Opportuniste, il est suffi-
samment intéressé pour avoir recours à la ruse mais pas assez puissant pour
utiliser la coercition. L’opportunisme implique la retenue ou la distorsion
de l’information des autres à son propre avantage, mais non la coercition
des autres. L’opportunisme rend le résultat ultime des transactions sur le
marché risqué et incertain, donnant aux coûts de transaction une plus
grande significativité. Concept central de l’économie des coûts de transac-
tion, l’opportunisme suppose des investissements de transaction spéci-
fiques en capital humain et physique.
Les concepts de rationalité limitée et d’opportunisme vont constituer
l’axiome de la théorie des coûts de transaction qui va s’efforcer de déter-
miner la forme institutionnelle qui fournit l’échange le plus efficient. À
cette fin, les transactions sont analysées par rapport à trois dimensions. La
première – la spécificité des actifs – conduit à une transformation fonda-
mentale des relations économiques. La logique est simple. Les actifs sont
hautement spécifiques (par exemple les pipelines dans le secteur du pétrole)
quand ils ont de la valeur dans le contexte d’une transaction particulière
mais peu de valeur à l’extérieur de la transaction. Ceci est dû aux investis-
sements réalisés par les parties pour permettre l’échange et aux coûts
devant être supportés s’il est mis fin à la relation entre les parties. La deu-
xième dimension est constituée par l’incertitude, caractérisant les situa-
tions dans lesquelles la rationalité limitée rend les êtres humains incapables
de prédire le futur. La troisième dimension a trait à la fréquence des tran-
Oliver Williamson 375
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cas de figure, le marché et la hiérarchie semblent inefficients et les parte-
naires établissent des contrats avec des clauses de protection en cas de
défaillance de l’un d’entre eux et le recours à un arbitre externe en cas de
litige.
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Williamson propose en 1991 (Williamson, 1991a, 1991b) la forme
hybride comme forme intermédiaire entre les deux modes de gouvernance
principaux évoqués, à savoir la hiérarchie et le marché. Elle se caractérise
par une spécificité modérée de l’actif tout en étant supportée par son
propre contrat implicite. Cette forme inclut l’échange réciproque, la fran-
chise, la régulation et les différents types de contrats à long terme. Par
rapport aux deux formes principales, la forme hybride est intermédiaire
dans l’adaptabilité, l’intensité de l’incitation et le contrôle administratif
qu’elle fournit.
Cependant, rejetant les deux formes institutionnelles principales – hié-
rarchie et marché – et rejetant également la forme hybride proposée par
Williamson, des développements théoriques subséquents aux travaux de
Williamson proposent d’autres formes institutionnelles qui vont des
accords entre agences à la fédération en passant par le clan et la commu-
nauté. Ainsi, Powell (1990) met l’accent sur le réseau comme forme non
intermédiaire distincte, possédant des caractéristiques complémentaires
relationnelles réciproques. Sur le même plan, Thompson et al. (1991)
utilisent le terme réseau pour définir leur troisième forme afin de décrire
un ensemble tripolaire de formes institutionnelles. La plupart de ces
formes institutionnelles ont des caractéristiques intermédiaires entre celles
du marché et de la hiérarchie, dues à leur perspective interorganisation-
nelle et/ou aux combinaisons intégrant les caractéristiques des deux
formes principales.
Oliver Williamson 377
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contrats. Williamson conceptualise l’entreprise dans cette veine, non
comme une fonction de production, mais comme une structure de gou-
vernance, un type d’État dans l’État, un ordre privé de priorités indivi-
duelles à l’intérieur de priorités collectives. Émerge dès lors comme subs-
titut pour les transactions coûteuses du marché la hiérarchie. Celle-ci
apparaît comme un choix effectué au détriment du marché, indiquant
l’abandon du recours à l’ordre de l’État formel et centralisé. L’ordre privé
de l’entreprise, estime Williamson, est habituellement préférable à l’ordre
public de l’État. Par ailleurs, Williamson laisse entendre que le marché ne
constitue pas un phénomène autonome ou naturel, il le considère plutôt
comme une institution artificielle, créée et maintenue par la souveraineté
de l’État lui-même.
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de transaction de l’économie de l’organisation a la plus grande affinité
avec le management stratégique (1991, p. 14). Mais, d’une manière géné-
rale, Williamson estime que l’économie demeure la meilleure des straté-
gies. Cependant, comme la théorie des coûts de transaction proposée est
explicitement comparative, permettant dans cet esprit l’analyse des effi-
ciences relatives des arrangements hybrides, des hiérarchies et des marchés,
les travaux de Williamson ont pour conséquence l’établissement d’un
ensemble de règles normatives permettant de choisir stratégiquement
entre des plusieurs types d’ arrangements (Masten, 1993).
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4.2. Les prescriptions normatives
Les enseignements tirés de la théorie des coûts de transaction sont consi-
dérés comme non seulement médiocres (bad)1 mais également dangereux
pour les dirigeants des firmes en raison des hypothèses et de la logique sur
lesquelles ils sont construits. De ce fait, les prescriptions proposées ne sont
pas seulement difficilement applicables à la plupart des situations de prise
de décision dans les firmes mais, si elles sont mises en œuvre, affecteront
probablement la performance des entreprises (Ghoshal et Moran, 1996).
Selon Ghosah et Moran (1996), Williamson ne réussissant pas à distin-
guer l’opportunisme comme attitude de l’opportunisme comportemental
– deux concepts supposés distincts et influencés par des dispositions contex-
tuelles et individuelles – cherche surtout à montrer que les organisations se
substituent au marché lorsque ce dernier échoue. Or, d’après ces deux
auteurs, tout indique que le marché commence quand les organisations
échouent. D’abord, parce que les organisations ne sont pas seulement des
substituts pour structurer des transactions efficientes quand le marché ne
réussit pas à le réaliser : elles possèdent des avantages uniques pour gouver-
ner certains types d’activités économiques via une logique qui est très diffé-
1. Toutefois, pour Ketoviki et Mahoney (2016), cette appréciation est problématique non en raison des
difficultés de la théorie des coûts de transaction en termes de représentation des problèmes économiques
mais à cause du sujet utilisé dans la phrase énoncée. Celui-ci ne désigne pas une personne mais une
théorie. Dès lors, la notion de « théories mauvaises » ou « bad theories » est une erreur anthropomor-
phique.
380 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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ment stratégique et de l’économie, suggèrent que les économistes s’interro-
geant par le passé sur la manière dont une firme doit être managée auraient
argué que les sous-unités devraient être mesurées par le profit, elles devraient
à cet égard transférer capital, produits et services et le capital à d’autres
firmes au coût marginal. De surcroît, la qualité de la concurrence était esti-
mée corrélée à son caractère interne. Les réflexions de ces deux ou trois
dernières décennies conduisent à rejeter cette recommandation, consistant
à considérer la firme comme si elle était un ensemble de marchés. En effet,
les firmes existent plutôt parce que les moyens hors marché de coordination
et d’engagement qu’elles possèdent sont supérieurs à ceux du marché. Dans
cette veine, la construction d’une théorie du management et de la stratégie
autour des échecs des marchés ne peut être que limitée (1991, p. 19). Ce
qui réellement différencie les marchés et les firmes est que les deux struc-
tures sont capables d’atteindre l’efficience et de faciliter l’adaptation de
différentes manières tout en suivant des logiques institutionnelles diffé-
rentes. L’une n’est pas la continuation des relations de l’autre.
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repérer les hasards (ou aléas) contractuels et les opportunités d’investisse-
ment. Cependant, cette identification émane le plus souvent de l’expé-
rience. Qu’elle soit positive ou négative, la proposition de base est que la
firme est censée réagir à une telle identification en entreprenant des
actions qui atténuent les aléas possibles et réalisent pleinement les gains
futurs. L’apprentissage via l’expérience – en découvrant davantage sur
l’environnement, les offreurs et les concurrents après les adaptations
appropriées – est supposé plus ambitieux que l’apprentissage essais-erreurs
mais est moins ambitieux que l’idée de contractualisation prévoyante.
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plus, les comportements opportunistes sont exceptionnels (Ketokivi et
Mahoney, 2016) et le monde doit être organisé au profit de ceux qui res-
pectent leurs engagements et contre les opportunistes (Swedberg, 1990).
Il récuse ensuite les arguments des thuriféraires de la théorie des compé-
tences. Étudiant les avancées réalisées par l’économie des transactions en
termes d’acteurs humains, d’unité d’analyse, de travaux empiriques etc., il
estime (1999) que les critiques formulées par les théoriciens des compé-
tences sont dépassées, eu égard aux améliorations permises par les der-
nières contributions axées sur la théorie des coûts de transaction. Il
indique de surcroît que l’économie des transactions et la théorie des com-
pétences ne peuvent être considérées comme antagoniques. Elles seraient
plutôt complémentaires en matière de compréhension du phénomène
économique complexe, que constitue la science des organisations.
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primordiale de l’inspiration.
Conclusion
La richesse des contributions de Williamson est indéniable en dépit des
réserves suscitées par certains aspects de ses travaux. Il s’est ainsi intéressé
aux sciences économiques, aux théories des organisations2, au droit, au
management des organisations et à la politique. Ses réflexions sont telle-
ment célèbres et notoires que Williamson est devenu éponyme avec la
théorie. Dans cette perspective, le « williamsonisme » est tant admis
comme courant de recherches que comme approche distinctive, via
laquelle les problèmes de l’organisation économique sont étudiés. Pour
l’essentiel, Williamson rapproche la microéconomie de la sociologie des
organisations, récusant au passage l’approche néoclassique de l’entreprise,
permettant ainsi aux sciences économiques et aux sciences de gestion de
considérer la firme comme objet d’étude. En outre, en dépit du peu d’at-
tention accordé au pouvoir quand il s’intéresse à la taille des firmes,
Williamson parvient à expliquer les décisions sous-tendant le choix entre
2. La référence à l’article de 1995 nous semble appropriée. Dans cette contribution, Williamson propose
en complément aux formes organisationnelles A (caractérisant l’entreprise occidentale hiérarchisée) et J
(caractérisant l’entreprise japonaise) la forme T. Celle-ci, estimée temporaire ou transitionnelle, joue un
rôle majeur dans le succès ou l’échec des organisations opérant dans de nouveaux marchés, connaissant
des changements technologiques et concurrentiels rapides. Williamson cite les joints ventures et les
alliances comme des organisations de forme T. Aoki (2004) a prolongé ce travail en l’appliquant au
cluster « Silicon Valley ».
384 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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encadrée.
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XXV. ALFRED CHANDLER – L’HISTOIRE DES STRUCTURES
INDUSTRIELLES
Jean-Claude Pacitto
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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organisationnel
du changement
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L’histoire des structures
Alfred Chandler
industrielles
Jean-Claude Pacitto
XXV
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390 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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catrices qui tendent à altérer la portée générale des démonstrations de
l’auteur. De surcroît, une trop grande focalisation sur ses premiers
ouvrages et travaux tend à quelque peu éclipser ses derniers développe-
ments, notamment ceux concernant les capacités organisationelles, que
l’on trouve dans ses derniers ouvrages et qui intéressent fortement les
gestionnaires.
Il convient donc de resituer son message dans son intégralité, ce que
nous essaierons de faire dans le présent chapitre.
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Structure est aussi l’histoire des changements organisationnels de la grande
entreprise américaine. De la même façon, le travail de reconnaissance
effectué sur des photographies aériennes prises avant et après les bombar-
dements sur les villes allemandes et japonaises, attirera l’attention du
chercheur sur le fait logistique, seul capable d’expliquer la capacité des
pays de l’Axe (Allemagne et Japon) à faire fonctionner leurs usines malgré
des bombardements incessants.
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1952-1959 constituent donc la matrice intellectuelle sans laquelle on ne
peut saisir l’ensemble de l’œuvre chandlerienne. Toutes les idées s’y
trouvent soit en germes soit déjà développées. Entre 1952 et 1959,
Chandler va définitivement faire sortir l’histoire des affaires d’une ornière
stérilisante : celle du jugement moral porté sur les capitaines d’industrie.
Désormais ce n’est plus l’individu et ses qualités morales qui deviennent la
préoccupation majeure de l’historien mais l’organisation et son évolution,
évolution resituée dans le contexte des transformations subies par
l’économie américaine.
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contextualisée. Le chapitre premier de Strategy and Structure est d’ailleurs
entièrement consacré à l’étude du contexte dans lequel vont se dérouler les
mutations organisationnelles de la grande entreprise américaine. Pour
l’auteur, ces changements ne peuvent s’expliquer que par la nécessité et ou
la volonté des managers à s’adapter aux nouvelles donnes de l’économie
américaine issues des profondes transformations subies entre 1840 et
1920. Ce sont les pressions exercées par ces transformations et le besoin
des entrepreneurs d’assurer la croissance et ou la survie de leur organisa-
tion qui les pousseront à modifier leur stratégie puis leur structure.
Comme nous l’approfondirons, ces processus ne vont pas de soi et Strategy
and Structure n’est surtout pas un hymne à la clairvoyance managériale. Au
contraire, la description des processus de changement montre que pour
Chandler ces derniers sont le plus souvent contraints, rarement volon-
taires. Dans cette perspective, Chandler ne néglige pas l’impact du fait
structurel sur la formation des nouvelles stratégies, la chronologie est
trompeuse et l’historien tient ici à dissiper un certain nombre de malen-
tendus. La structure écrit-il (1989a : 14) « a eu autant d’impact que la
stratégie sur la structure. Mais parce que les changements se sont produits
chronologiquement avant ceux de la structure et peut-être aussi parce que
mon éditeur m’avait convaincu de changer le titre de “structure à stratégie”
en “stratégie à structure”, le livre donne l’impression de mettre l’accent sur
la relation entre la stratégie et la structure plutôt que l’inverse ». Dans le
schéma chandlerien, les transformations de l’environnement révèlent tou-
jours à un moment donné l’inaptitude des structures anciennes à relever
394 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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tions. À bien des égards, le second ouvrage est le prolongement du premier
et Chandler montre bien que l’essor et l’autonomisation des managers
dans les grandes entreprises américaines sont liés à la mise en place des
nouvelles structures.
Comme nous l’avions souligné, Strategy and Structure constitue un
travail d’aboutissement et d’approfondissement d’idées développées dans
des contributions – et notamment deux – parues entre 1959 et 1960. La
première publiée dans la Business History Review et intitulée « The
Beginning Of Big Business in American Industry » est centré autour du
problème du changement. L’interrogation de Chandler mérite d’être
reprise car elle imprègne toute son œuvre. Pour Chandler (1959 : 1), en
effet, une histoire de la grande entreprise doit consister à examiner les
causes du changement, c’est donc une histoire du changement, « en
d’autres termes qu’est-ce qui a poussé les entreprises à développer de nou-
veaux produits, de nouveaux marchés, de nouvelles sources de matières
premières, de nouvelles façons de faire… ? Qu’est-ce qui les a encouragées
à trouver de nouvelles méthodes de financement, de nouvelles méthodes
de management et d’organisation ? ».
Même si l’auteur reste prudent et emploie à volonté les verbes paraître
et sembler, une conclusion plus nette se dégage de cet article important.
Les innovations constatées dans les grandes entreprises américaines consti-
tuent des réponses à la croissance rapide du marché générée par l’expan-
sion du chemin de fer. Mais à partir des années 1900, Chandler note que
ces innovations seront davantage suscitées par la dynamique interne des
Alfred Chandler 395
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naturelles et physiques qui ont permis aux entreprises de tester et créer de
nouvelles applications et d’élargir ainsi leur champ d’activité à un moment
où le marché imposait de nouvelles contraintes (saturation). Dans un
second temps, Chandler va préciser les conditions d’adoption de ces nou-
velles structures. Pour l’historien cette adoption n’a résulté que rarement
d’un processus « automatique ». Elle s’est opérée le plus souvent dans la
crise et a souvent requis des changements de dirigeants. Il est à noter que
la vision du changement telle qu’elle se dégage de ses premiers écrits n’est
pas sans rappeler celle qui sera décrite quelques années plus tard par
Crozier dans le phénomène bureaucratique. D’une certaine façon, les
managers décrits par Chandler semblent contraints par une sorte de
déterminisme structurel et culturel qui les empêchent de gérer les change-
ments de manière pro-active. L’anticipation n’est pas une qualité que
Chandler attribue volontiers aux managers et il n’hésita pas à écrire
(Chandler dans Freeman, 1960, chapitre 7) « les anciens dirigeants ont eu
rarement conscience des nécessités organisationnelles engendrées par la
diversification… dans la plupart des cas étudiés ici, les changements orga-
nisationnels furent opérés et mis en œuvre par de nouveaux groupes de
dirigeants ».
Strategy and Structure va amplifier et systématiser les apports et conclu-
sions des deux précédentes études.
396 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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l’auteur, les relier aux profonds changements qui ont affecté l’économie
entre 1840 et 1920. L’expansion continue du chemin de fer, l’urbanisation
croissante et le déclin du monde rural, la constitution d’un vaste marché
unifié ont eu d’énormes répercussions sur les stratégies d’expansion des
entreprises qui ont du s’adapter au fur et à mesure. De ce point de vue, la
naissance et le développement des grandes entreprises aux États-Unis ne
doivent pas grand-chose à de quelconques valeurs culturelles. Pour
Chandler, c’est une création contingente qui a longtemps été combattue
par la société américaine. Les processus d’adaptation découlant de ces
stratégies d’expansion ont suscité des besoins administratifs différents exi-
geant à leur tour des formes d’organisation différentes. Mais on se trom-
perait si on pensait que ces changements ont été ressentis de la même
façon dans les quatre entreprises étudiées. Dans les chapitres 2 à 5,
Chandler montre comment les dirigeants de ces entreprises ont réagi aux
nouveaux défis de l’environnement. Si le résultat fut identique (adoption
de la structure divisionnelle), les processus de changement furent différents
parce que la perception que pouvaient avoir les dirigeants des transforma-
tions à opérer différait elle même profondément.
Comme nous l’avions souligné précédemment, l’étude de Chandler
n’est pas un panégyrique déguisé à la gloire des managers et les change-
ments décrits se font souvent dans la douleur. Il faut relire à cet égard les
chapitres consacrés à Du Pont et General Motors pour se rendre compte
que l’adoption de nouvelles stratégies puis de nouvelles structures a été
consécutive à de longues périodes de crise et de remise en cause pour
Alfred Chandler 397
l’entreprise. De la même façon, Sears et Standart Oil n’ont réagi que parce
qu’ils étaient menacés de disparition suite à la modification brutale de
leurs marchés initiaux. La vision contrainte du processus de changement
qui se dégage de l’analyse de Chandler est une indication claire quant à la
préférence causale qu’accorde l’auteur à l’environnement, du moins
jusqu’au début des années 1900. De 1840 à 1900, les entreprises
américaines vont devoir grandir et se structurer pour suivre l’évolution du
marché. Pour Chandler (1989a : 45) « l’expansion sans réorganisation ne
peut mener qu’à une impasse économique ». Pourtant là aussi, il convient
d’être attentif à ne point trop vouloir simplifier les propositions de l’au-
teur. En modifiant la répartition des ressources de l’entreprise, la nouvelle
stratégie, pour être efficace, nécessite un changement de structure. Les
nouvelles structures ainsi mises en place visent donc à optimiser l’emploi
des ressources dégagées par la mise en œuvre des nouvelles stratégies. Le
schéma en 4 phases proposé n’est qu’une systématisation à finalité
pédagogique de processus longs et complexes. Chaque phase d’expansion
a nécessité un nouvel aménagement structurel parce qu’elle appelait un
nouvel emploi des ressources pour faire face aux nouveaux défis de l’envi-
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ronnement.
Chandler montre que le dénominateur commun entre toutes ces entre-
prises, selon des modalités certes différentes, a été l’adaptation des res-
sources de l’entreprise à la demande du marché. Cette adaptation plus ou
moins rapide a tenu largement à la qualité des managers en place et
Chandler note qu’au contraire des quatre entreprises étudiées dans le
détail, la plupart des entreprises américaines n’ont opéré leurs grandes
mutations structurelles qu’entre 1940 et 1960. Pour faire face à la baisse
des profits et à la saturation des marchés, les grandes entreprises évoluant
dans des environnements plus exigeants (chimie, automobile) vont profi-
ter de leur maîtrise technologique pour élargir leur gamme et s’engager
dans des politiques de diversification relative. En créant de nouveaux
produits pour de nouveaux marchés, les structures en place vont être
confrontées aux nombreux problèmes de coordination que vont générer
ces nouvelles politiques, et les entreprises vont devoir relever un nouveau
défi : comment gérer de nouveaux produits, de nouveaux marchés au sein
de structures centralisées et organisées selon un mode fonctionnel ?
Sont ici évoqués avec précision les problèmes de liaison, de coordina-
tion, de surcharge administrative induits par ces nouvelles stratégies d’ex-
pansion. Dans cette perspective, l’adoption de la nouvelle structure divi-
sionnelle apparaît comme la réponse la plus adaptée aux défis posés par le
nouvel environnement. Le processus est loin d’être linéaire et chose que
l’on ne souligne que rarement, ce n’est qu’à ce moment que Chandler
398 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
décrit aussi comment ces choix structurels ont fini par influencer la poli-
tique de diversification tous azimuts adoptée par nombre d’entreprises
dans les années soixante. Il n’y a donc pas d’a priori de l’auteur en faveur
de la structure divisionnelle. Ce qui l’intéresse, c’est comment les entre-
prises sont venues à innover en mettant en place de telles structures
décentralisées. D’une certaine manière, le point de vue de Chandler est
très contingent, la structure divisionnelle a été la réponse la plus adaptée
en vue de répartir les ressources générées par la double pression externe
(environnement) et interne (technologie). Tout au long de l’ouvrage,
Chandler ne cesse de souligner le fait que ces processus de changement ont
été difficiles à gérer, ce qui est tout le contraire de la vision « intentionna-
liste » souvent prêtée à l’auteur. Dans un même ordre d’idées, si le marché
exerce une pression, les processus d’adaptation relèvent des managers en
place et ces processus ne sont pas automatiques. Si Chandler se garde de
tout jugement moral, il sait évaluer la qualité « gestionnelle » des managers
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étudiés et la rapidité des processus d’adaptation dépend en dernier lieu de
cette qualité. Chandler est historien, s’il évoque ces problèmes, il ne s’y
arrête pas. Pour autant, il nous apparaît clairement que la qualité inclut
pour lui le sens de l’anticipation, l’intuition et bien d’autres aspects qui
seront étudiés par la suite. Point intéressant qui mériterait une étude en
soi, c’est que pour Chandler ces qualités se révèlent souvent dans les
périodes de crise et que les pesanteurs structurelles du moment, les rou-
tines expliquent facilement l’inertie constatée dans beaucoup de grands
groupes américains.
Dans cette perspective, Strategy and Structure peut être relu comme
l’histoire contrainte des processus d’adaptation et peut être ainsi aisément
resitué dans une trame contingente. De la même façon, et dans The Visible
Hand le volontarisme des managers s’il ne saurait être sous-estimé est lui
aussi en partie contraint par les effets de la révolution économique des
années 1840-1880. Cette révolution va favoriser les phénomènes de
concentration à l’intérieur de l’entreprise et susciter une prise de conscience
de la nécessité d’une meilleure coordination administrative devenue, dès
lors, nécessaire. Enfin, Chandler estime à la fin de son investigation histo-
rique que la nature des marchés a joué un rôle plus important que les
méthodes de production dans la détermination de la taille et de la gamme
d’activités de l’entreprise industrielle moderne.
Alfred Chandler 399
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développement de ces grandes structures et Chandler note que pendant
longtemps la grande entreprise a eu mauvaise presse aux États-Unis. Loin
d’une quelconque histoire critique ou panégyrique, l’historien des affaires
montre comment au fond la grande entreprise est le fruit des transforma-
tions économiques subies par le pays entre 1840 et 1920 et comment la
recherche de la meilleure allocation des ressources possible a conduit peu
à peu les entreprises à grandir soit par le moyen de l’intégration verticale
soit plus tard par le moyen de la diversification. Histoire donc mais his-
toire concrète. La généralisation chez Chandler n’intervient qu’après un
examen serré des faits et les monographies sur les entreprises sont toujours
vivantes et détaillées. L’historien ne néglige aucun fait, et on y voit les
hésitations, les crises, tout ceci fort éloigné des travaux quelque peu pres-
criptifs qui seront menés peu de temps après par ses collègues de la
Harvard Business School.
Dans cette optique, les généralisations et systématisations opérées par
l’auteur au début et à la fin de son ouvrage sont quelque peu trompeuses
car elles induisent l’idée de linéarité dans les processus étudiés, ce qui,
comme on l’a vu, est loin d’être le cas. De la même façon, la focalisation
sur quatre entreprises ne doit pas illusionner et Chandler précise que
celles-ci ont été pionnières en matière d’innovation organisationnelle mais
que le mouvement d’adoption de la structure multi-divisionnelle par les
autres entreprises a été plus lent et souvent contesté. À la lecture des
différents travaux de Chandler, on se rend compte que ce sont bien plus
sûrement les pressions exercées par les tendances lourdes de l’économie
400 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
américaine et la nécessité de s’y adapter afin de survivre qui ont poussé les
managers à innover plutôt que leur clairvoyance que Chandler ne
reconnaît qu’à certains d’entre eux. Dans cette perspective, il n’est pas faux
de penser que l’auteur est à plus d’un trait proche des courants
déterministes et qu’il faut beaucoup oser pour voir en lui le chantre d’un
quelconque optimisme managerial. Les titres sont trompeurs et The
Visible Hand est tout sauf une ode à la gloire des managers. Le propos de
l’auteur est simplement d’examiner comment les mécanismes de coordi-
nation des activités de l’économie ont remplacé peu à peu les mécanismes
de marché. C’est l’histoire de cette transformation qu’à la suite de Strategy
and Structure, Chandler entreprend. The Visible Hand est la suite logique
de Strategy and Structure car l’essor des managers est indissociable des
changements organisationnels. La contestation de la main invisible du
marché ne doit rien chez l’auteur à une quelconque posture idéologique
mais à l’examen des faits. Il constate simplement que la grande entreprise
a remplacé la petite à partir du moment où la coordination administrative
a permis une plus grande productivité et une meilleure allocation des res-
sources que la coordination réalisée par les mécanismes du marché. C'est
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un fait et la conséquence pour les entreprises américaines c’est que cette
montée en puissance de la coordination administrative a entraîné l'appa-
rition d'une nouvelle catégorie d’acteurs : les managers. Sont ainsi décrits
les processus d’institutionnalisation et de perpétuation de ce nouveau
corps social où on sent l’influence de Parsons. Dans ce cas aussi, Chandler
ne se contente pas de constater, il décrit avec minutie les processus de
création, transformation et en dernier lieu d’institutionnalisation du
phénomène étudié. Si Berle et Means avaient observé avant lui, les proces-
sus de distanciation et séparation qui vont s’opérer entre managers et
propriétaires d’entreprise, l’analyse de Chandler du fait de son caractère
chronologique, nous les restitue toujours dans le cadre de leurs contextes
concrets et des évolutions longues. La grande entreprise est née de cette
nécessité de coordonner les activités pour suivre les évolutions du marché
et les managers se sont imposés quand il est devenu évident que cette
coordination appelait des compétences particulières. Chandler fait remar-
quer que c’est à ce moment que vont apparaître les préoccupations concer-
nants la formation des managers. C’est entre 1920 et 1940 que vont être
publiés les premiers manuels de gestion et les premières formulations sur
ce que doit être une bonne gestion. Chandler se garde pourtant de
conclure à une quelconque disparition du marché car pour lui celui-ci
reste la première force dans la génération des produits et services, même si
les grandes structures bureaucratiques peuvent influer sur la structure des
marchés mais en dernier lieu « l’entreprise moderne fut dès lors la réponse
institutionnelle face à l’accélération de l’innovation technologique et à
Alfred Chandler 401
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chaîne des opérations industrielles subies par les produits, depuis l’appro-
visionnement en matières premières jusqu’à la vente des produits finis ».
C’est une définition large et très descriptive. The Visible Hand marque une
évolution. Deux caractéristiques définissent désormais l’entreprise
moderne : le fait de posséder de multiples unités distinctes et surtout le
fait d’être dirigée par une hiérarchie de managers salariés. Ce qui intéresse
Chandler, c’est la façon dont les dirigeants administrent, coordonnent les
activités et répartissent les ressources à l’intérieur de l’entreprise. L’auteur
ne comprend d’ailleurs pas que ces processus n’aient pas plus retenu l’at-
tention des économistes. Pour l’historien, c’est ce qui se trouve à l’intérieur
de la « black box » qui mérite l’attention, « tant que les économistes ne se
seront pas penchés sur la coordination administrative et son fonctionne-
ment, la théorie de la firme restera une théorie de la production »
(Chandler, 1989b : 544).
La définition de la gestion découle de cette vision de l’entreprise. Pour
Chandler, en effet, gérer c’est administrer, coordonner et surtout répartir
les ressources. C’est à partir des processus de répartition des ressources
qu’il devient possible d’individualiser les homme-clés de l’entreprise. La
distinction entre managers et entrepreneurs se situe à ce niveau, notons
qu’elle s’estompera dans The Visible Hand. Pour ce qui concerne la gestion,
l’auteur distingue (distinction qui deviendra classique) la gestion à long
terme ou politique de celle à court terme ou tactique. Dans la politique,
Chandler accorde une grande place à la planification. Pour définir l’orga-
nisation et la structure (souvent confondues) Chandler procède en deux
402 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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geants de ces entreprises à innover parce qu’au fond ils ne disposaient d’au-
cun corpus théorique mobilisable. On a ainsi dans The Visible Hand une
description de la mise en place des différentes méthodes d’exploitation
élaborées pour coordonner toujours mieux les activités de production et de
commercialisation de masse. On assiste, de la sorte, aux perfectionnements
de la comptabilité, des systèmes statistiques et à la mise en place de la part
des managers des systèmes d’évaluation. Les sciences de gestion naissent et se
développent dans la période 1840-1920 de manière pragmatique et pour
répondre toujours mieux aux efforts de coordination nécessités par la double
révolution du chemin de fer et du télégraphe. Tout aussi important,
Chandler montre bien que ces multiples perfectionnements proviennent des
cadres intermédiaires qui inventent, perfectionnent pour faire face aux défis
qui sont les leurs. Ce rappel n’est peut être pas inutile à un moment où
l’imposition de best practices nées et développées en dehors de l’entreprise
tend à devenir la norme. Pragmatisme donc mais aussi incrémentalisme, ces
méthodes nouvelles doivent tout autant à l’expérience accumulée qu’à la
volonté de rendre toujours plus efficients des systèmes d’exploitation tou-
jours plus complexes. On est loin du one best way et assez proche de
l’expérimentation continue. C’est un aspect souvent méconnu du
développement du capitalisme industriel. On sera aussi redevable à Chandler,
notamment dans son ouvrage Scale and Scope, d’avoir montré comment les
capacités organisationnelles ont entretenu la croissance des grandes entre-
prises, comment elles ont alimenté leur avantage concurrentiel et permis de
saisir les opportunités des marchés. On a là, sur un mode concret et évolutif,
Alfred Chandler 403
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prentissage des organisations et le fait que les entreprises qui ont su tirer leur
épingle du jeu dans l’industrie électronique sont celles qui ont su développer
des integrated learning base. Le propos de Chandler n’est peut être pas origi-
nal mais il a l’immense mérite de nous livrer des monographies historiques
de ces entreprises fourmillant de détails et pas seulement des exemples vite
évoqués sans mise en perspective historique. On peut suivre sur la durée les
erreurs de gestion d’une firme comme RCA, son déclin et saisir les causes de
ce déclin. Dans Shaping the Industrial Century (2005), Chandler souligne de
nouveau l’importance décisive des capacités organisationnelles d’apprentis-
sage dans la génération des avantages compétitifs, capacités qui sont rede-
vables de trois types de savoir : les savoirs techniques, fonctionnels et
managériaux. À partir de Scale and Scope, l’historien des affaires rencontre
donc de plus en plus des thématiques de gestion et où le thème de la
génération de la compétitivité devient central. Son propos intéresse dés lors
autant le dirigeant d’entreprise, la recherche que les pouvoirs publics. Dans
un article publié en 2010, Teece reconnaîtra d’ailleurs l’apport de Chandler
dans ce domaine. Teece n’hésite pas à écrire que Chandler, d’une certaine
manière, anticipe déjà et dès Scale and Scope les développements futurs sur
les capacités dynamiques. De la même façon, Teece souligne le fait que
Chandler a compris que ces capacités devaient être renouvelées, qu’elles
n’étaient en rien statiques. Chandler en 1992, reviendra sur ce thème dans
un article publié dans le Journal of Economic Perpectives. Il en profitera d’ail-
leurs pour prendre ses distances avec l’approche transactionnelle telle que
développée par Williamson.
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Enterprise. Cambridge, MA : MIT Press, traduction française :Stratégies et struc-
tures de l’entreprise, Ed. d’organisation, 1989a.
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Ed.d’organisation, 1989b.
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pharmateucical industries, Harvard University Press.
Jean-Claude Pacitto
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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à la complexité
Du paradoxe
XXVI
Jean-Claude Pacitto
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et répandu dans toute la sphère occidentale, et celle de l’exploration d’une
nouvelle réalité : la complexité.
Matsushita et ITT vont dès lors illustrer cette thèse. La différence entre les
deux entreprises ne doit pas être seulement recherchée dans des écarts de
performance mais bien plutôt dans la capacité de ces entreprises à surmon-
ter les défis du long terme. Or, notent les auteurs, le problème d’ITT c’est
de concentrer en une seule entreprise bien des travers du management
américain. La logique de rationalité est illustrée chez ITT par l’axiome de
son PDG, Harold Geneen : seuls les faits comptent. Pour traquer ces faits
indiscutables, Geneen va mettre en place une structure verticale où tous
les niveaux opérationnels se voient doublés d’un niveau fonctionnel et où
toute l’information disponible doit remonter au sommet. Là où Matsushita
cultive la confiance, la loyauté, la prise d’initiative, la défiance est érigée
en principe de gestion chez ITT et Geneen décide, en dernière instance,
de toutes les orientations. La survie de l’organisation ITT s’explique par la
formidable pression que fait peser Geneen sur ses subordonnés et aussi par
son charisme que les deux auteurs jugent indiscutable. De fait, Geneen est
le seul véritable régulateur de son entreprise. Pour Pascale et Athos, ce qui
distingue fondamentalement Geneen de Matsushita, ce n’est pas seule-
ment le style de gestion mais bien plutôt l’incapacité du premier à
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développer des objectifs supérieurs. En négligeant ces derniers, Geneen
rendait plus aléatoire sa succession. En soi l’organisation ITT est mue par
une certaine cohérence, la structure accompagne la stratégie et les systèmes
en place sont en parfaite adéquation avec les deux premiers. Pour autant
et en se focalisant sur les 3 premiers S, Geneen oubliait dangereusement
les 4 autres, ce qui expliquera les lendemains difficiles de l’après Geneen.
La succession ne s’est bien opérée chez Matsushita que parce que l’entre-
prise était imprégnée de ces objectifs supérieurs, objectifs partagés qui
assuraient la cohésion de l’organisation Matsushita. Dans la perspective du
management japonais, un objectif supérieur ne se réduit jamais aux seuls
objectifs économiques. Il intègre toutes les valeurs de la société car, comme
le souligne Matsushita, une organisation qui est déficitaire signifie qu’elle
n’est pas acceptée par la société et donc il est inutile d’essayer de la ren-
flouer. Pour les deux auteurs ce sont toutes les hypothèses du modèle
occidental de gestion que l’exemple japonais nous invite à « revisiter ».
C’est d’abord l’idée solidement établie de la bonne décision, la décision
« décisionnelle », celle qui tranche mais qui ne prend pas en compte les
situations d’ambiguïté, d’incertitude, d’imperfection qui sont pourtant
des réalités quotidiennes du dirigeant. Ce qui ressort de l’expérience japo-
naise, c’est précisément le fait que ce mode décisionnel n’est plus adapté,
qu’il est préférable dans bien des cas de procéder par étapes et de recher-
cher le compromis. Pascale et Athos avancent une idée que le second
auteur développera par la suite : la décision reflète toujours l’expérience et
cette expérience est acquise dans l’entreprise. Dans une perspective
408 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
américaine ne pas décider est proprement inconcevable alors que pour les
Japonais cela peut constituer la solution la plus adaptée. La différence
entre les deux modes de pensée tient au fait que pour les occidentaux la
décision est individuelle et constitue une étape de l’affirmation de soi dans
l’entreprise. L’urgence pour les entreprises américaines c’est de passer des
objectifs purement quantitatifs et de courts termes aux objectifs supérieurs
par définition de long terme. Loin de n’être que des exercices de style, ces
objectifs ont des conséquences pratiques évidentes. C’est en effet autour
d’eux que se construira la cohésion interne de l’organisation et c’est de
cette cohésion que dépendront les processus d’adhésion et d’identification
à l’entreprise. Pour les deux auteurs le constat est simple : pour abandon-
ner leurs idées à l’entreprise, les employés doivent s’identifier à elle. Ces
objectifs supérieurs insistent les deux auteurs doivent être sous-tendus par
de véritables principes spirituels. La conclusion de l’ouvrage s’impose
d’elle-même : « la différence avec les Japonais c’est qu’ils appréhendent
différemment les éléments les plus subtils, le savoir-faire, le style, le per-
sonnel et les objectifs supérieurs… » (Pascale et Athos, 1984 : 171) et
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quelles sont donc les entreprises américaines qui marchent ? « Ce sont
celles où les membres partagent les mêmes convictions concernant leur
entreprise, les mêmes priorités et la même connaissance que l’on attend
d’eux ainsi que de la conscience de leur valeur pour l’entreprise… »
(Pascale et Athos, 1984 : 172).
C’est ce qu’il fallait démontrer.
implacable version BCG ou Harvard Business School fait place à des situa-
tions d’incertitude, de tâtonnement et à l’adaptation permanente. Toutes
les solutions imaginées initialement échoueront. Il faut donc en imaginer
de nouvelles et ne pas hésiter à sortir des cadres pré-établis. De la sorte le
choix gagnant des petites cylindrées ne devait rien à une quelconque pro-
grammation mais beaucoup aux échecs des premières motos commercialisées
et à la sagacité des hommes de l’équipe en place, qui remarquèrent que les
engins qu’ils utilisaient dans leurs déplacements quotidiens, suscitaient
beaucoup d’intérêt. La force du constructeur japonais ne réside plus alors
dans sa capacité à suivre les différentes étapes de la programmation mais à
s’adapter aux différentes évolutions suscitées par le contexte, les circons-
tances et le hasard. Douze années plus tard, Pascale parlera d’agilité. Cette
agilité procède plus de l’expérience acquise en d’autres termes de l’appren-
tissage, que de méthodes apprises et que l’on doit rationnellement mettre
en œuvre. Une organisation apprend en faisant et non pas simplement en
pensant et l’erreur peut être salutaire. Mais cette capacité à apprendre
résulte pour beaucoup de la vision de l’entreprise, vision qui permet à des
employées à un moment donné de prendre des initiatives et de transfor-
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mer ainsi l’échec en succès. Les leçons à tirer, du point de vue occidental,
de l’exemple Honda sont multiples et complexes. La vraie question est
celle qui consiste à se demander, comment, dans les mêmes conditions,
aurait réagi un constructeur européen ou américain ? L’agilité ne se décrète
pas et Pascale souligne dans sa contribution de 1996 à la California
Management Review, qu’elle résulte toujours des valeurs profondes de
l’entreprise, qu’elle n’est qu’un effet, « le comportement stratégique, l’in-
tention stratégique sont dans une organisation agile des variables
dépendantes. Les variables indépendantes sont les normes, les valeurs, les
valeurs inculquées à l’intérieur d’un système social » (Pascale, 1996 : 37).
De ce point de vue la culture « pionnière » de Honda l’avait sans aucun
doute préparé à explorer de nouvelles solutions. De la même façon l’habi-
tude à supporter des situations contradictoires (conflit entre Soishiro
Honda et l’ingénieur Kume a propos du refroidissement à air) prédisposait
l’équipe américaine à expérimenter d’autres solutions même quand celles-
ci s’éloignaient des souhaits premiers de la direction. Comme pour son
premier ouvrage, Pascale au travers de l’effet Honda, nous invite à envisa-
ger la stratégie autrement. Il s’agit tout autant de démontrer le caractère
aléatoire des modes de pensée et d’agir issus de l’école traditionnelle du
management que de nous inviter à l’exploration de nouvelles voies, des
voies paradoxales. C’est la vision de l’échec et de l’expérimentation que
doivent reconsidérer les entreprises occidentales. L’intentionnalité, ajoute
Pascale, doit être focalisée sur l’amélioration des capacités organisation-
nelles des entreprises, car c’est d’elles en dernier lieu, que dépendra la
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la prévision mais la vision capable de soutenir les processus d’apprentissage
des entreprises et les « variables indépendantes » qui peuvent expliquer à
un moment donné qu’une entreprise malgré des échecs, puisse rencontrer
le succès. Dans cette perspective, la stratégie ne résulte plus d’un
enchaînement causal de type mécanique mais de processus complexes,
pour certains paradoxaux, qui obligent les entreprises à des remises en
cause permanentes.
part d’un constat, les entreprises qui veulent rester dans la compétition
doivent être capables de changer de paradigme stratégique. Problème :
« lorsque les résultats de l’entreprise viennent à fléchir, on s’efforce de
réalimenter le moteur de la croissance, en général en utilisant les mêmes
méthodes » (Pascale, 1992 : 20). Il faut donc identifier les facteurs qui
peuvent être à la fois vecteurs de renouveau et ou vecteurs de déclin. Ces
facteurs sont au nombre de quatre : cohésion, division, opposition et
dépassement. En soi, chacun de ces facteurs pris isolément peut contribuer
au déclin de l’entreprise et Pascale montre bien qu’une trop grande
cohésion peut fermer une entreprise aux remises en cause salutaires.
L’entreprise qui réussira à se dépasser sera celle qui arrivera à combiner les
trois premiers facteurs en mettant au centre de ses préoccupations le
conflit. Car pour Pascale, le conflit est bien le moteur du renouvellement,
mais pour être fructueux il doit être géré. La dialectique conflictuelle entre
les facteurs peut être salutaire pour l’entreprise et la réussite de Honda
repose pour l’auteur sur « cette mystérieuse alchimie ». Divisée (en trois
entités), contradictoire (chacun pouvant au cours de réunions prévues `à
cet effet remettre en cause les points de vue des autres), Honda n’en
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possède pas moins une forte cohésion structurée autour d’une culture
d’entreprise très prégnante. La force de Honda réside dans sa capacité à
gérer le binôme cohésion-division et le binôme cohésion-opposition. Pour
ce qui concerne les entreprises américaines, Pascale souligne le fait que
McDonald’s a su s’adapter aux nouvelles tendances de consommation que
parce que la direction a su écouter les cadres opérationnels qui contes-
taient la stratégie suivie jusqu’alors (principe d’opposition). De la même
façon, si la logique de division n’est pas contrebalancée par des valeurs de
cohésion, l’entreprise peut rencontrer des difficultés sérieuses, le cas
Hewlett-Packard en témoigne. Pour le manager le changement de perspec-
tive est radical. Il ne doit plus choisir mais gérer des binômes par nature
conflictuels, il doit intégrer le raisonnement dialectique et faire émerger de
la synthèse là où il n’y a que conflit et opposition. Cette dialectique
conflictuelle est présente sur toutes les dimensions de l’entreprise : stratégie
(planification versus opportunisme), structure (élitisme versus pluralisme),
systèmes (obligation versus arbitraire), style (gestion versus transforma-
tion), personnel (esprit d’équipe versus individualisme), valeurs (esprits
durs versus cœurs tendres) et compétences (amélioration versus invention).
La gestion de cette tension conflictuelle devient la clé de la réussite pour
l’entreprise mais note pascale cette gestion doit éviter deux écueils :
l’exagération et la recherche de compromis. Le compromis, en effet, vise à
éviter les situations conflictuelles, il ne dépasse pas les oppositions il les
annihile. De ce point de vue, la synthèse n’est jamais compromis et Pascale
n’hésite pas à écrire « pour conserver une pression constructrice toute
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paradigme précédent. Mais loin d’opposer systématiquement les deux
dans un conflit vain et coûteux, Petersen réussira des synthèses brillantes
qui marqueront l’histoire du groupe ainsi de l’opportunisme stratégique
qui permettra au constructeur, et malgré une programmation initiale, de
modifier des paramètres du modèle Taurus (pour tenir compte des nou-
velles conditions environnementales), et de rencontrer ainsi le succès. La
confrontation des nouveaux principes (écoute du client, écoute de l’autre,
participation, information partagée, qualité) avec les anciens et la capacité
de Petersen à les faire pénétrer progressivement dans l’entreprise vont pro-
duire le résultat escompté : la fin de l’ancien paradigme. Le nouveau para-
digme est ainsi né de la confrontation des nouvelles idées avec les
anciennes. Cette confrontation et la nécessité de gérer des pôles d’une
même réalité, se retrouvent à la direction même de Ford où Petersen le
transformiste saura toujours s’entourer de gestionnaires plus traditionnels.
On pourra arguer que Petersen a été grandement aidé dans sa tache par
l’état de crise dans lequel se trouvait plongé Ford. C’est peut-être oublier
un peu vite que les phénomènes de myopie résistent aux crises les plus
dures, même lorsque tout indique que le vieux paradigme est inapte à
gérer la nouvelle situation. Pour Pascale il ne faut pas attendre la crise pour
engager un processus de transformation, il faut savoir déterminer dans des
périodes de faible perturbation les limites de l’organisation, ébranler
l’équilibre pour mieux anticiper ce qui caractérisera l’action de Welch à la
General Electric. La différence entre Welch et Petersen tient au caractère
centralisé du processus mis en branle chez GE. Là où le second suggérait,
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succès de l’apprentissage et qui sont : l’habitude de se remettre en ques-
tion, l’attention portée aux jugements extérieurs, la volonté de faire mieux
que les meilleurs du secteur et un système harmonieux de gestion des
conflits. La conclusion constitue un véritable programme de recherche et
annonce les futurs développements de Surfing the Edge of Chaos. Honda
devient dès lors l’éclaireur de l’avenir « Honda nous montre la prochaine
étape du management : un système social organisé pour servir d’instru-
ment d’adaptation et d’apprentissage permanent » (Pascale, 1992 : 335).
Curieusement, Pascale dans son dernier ouvrage (collectif ) abandonne
l’idée du système social organisé pour lui préférer celui de système com-
plexe adaptatif. Utilisant les acquis des sciences naturelles et les réflexions
sur la complexité du Santa-Fe Institute, Pascale et al., énoncent les condi-
tions qui permettent à un système d’être qualifié à un moment donné de
complexe adaptatif. En premier lieu celui-ci doit être composé d’agents
agissant de façon parallèle. En second lieu, le système adaptatif complexe
réaménage de façon continue ses paramètres de construction et génère de
la sorte de multiples niveaux d’organisation et de structure. En troisième
lieu, il est soumis à la deuxième loi de la thermodynamique : il manifeste
de l’entropie et ralentit dans le temps à moins d’être réapprovisionné en
énergie (ce qui signifie qu’il peut mourir). Enfin, tout système complexe
adaptatif manifeste une capacité à identifier les facteurs qui lui permettent
de fonctionner ou performer et les approfondit en se confrontant à de
nouvelles situations, ce qui lui permet de la sorte d’anticiper le futur et de
générer de nouveaux savoirs. En s’inspirant des sciences de la complexité,
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la quatrième caractéristique est lourde de conséquence pour le manage-
ment. On ne dirige pas un système vivant, on ne peut que l’ébranler. La
difficulté c’est que les systèmes adaptatifs complexes ne relèvent plus du
paradigme mécanique où toute cause provoque un effet que l’on peut
sinon mesurer du moins prévoir. En ébranlant ces systèmes, on ne peut
plus rien prévoir, les effets n’étant que lâchement reliés aux causes.
L’organisation qui surfe sur la crête du chaos n’a plus de certitudes, elle est
comme le souligne Andy Grove (PDG d’Intel), dans la « vallée de la
mort » et c’est en traversant cette vallée qu’elle pourra affronter le futur.
La méthode de validation du cadre conceptuel annoncé suit celui de
Managing on The Edge. Un certain nombre de cas d’entreprises sont
examinés, de Sears à l’armée américaine. L’idée centrale de l’ouvrage n’est
pas fondamentalement différente de celle de l’ouvrage précédent et on
retrouve bien des thèmes traités dans Managing on The Edge, notamment
celle de l’apprentissage. Le management doit tenir compte de cette nou-
velle réalité et les conclusions de Steven Miller (qui a suscité l’ébranlement
de l’organisation Shell) résument bien les nouvelles taches qui attendent le
manager, « changez votre approche de la stratégie et vous changerez la
manière dont les entreprises sont dirigées. Le dirigeant doit se contenter
de déterminer le contexte et d’élaborer le cadre de l’apprentissage, il n’est
plus la figure de l’autorité apportant des solutions toutes trouvées… »
(Pascale, 1999 : 93).
Richard Tanner Pascale 415
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– ils, dépend la capacitz à innover de l’entreprise. Trop simple pour être
vrai, serions-nous tenté de dire ! De la même façon, la nécessitz pour les
entreprises de développer des valeurs spirituelles voire un spiritualisme, ne
peut que surprendre. Pour les deux auteurs celui-ci doit répondre aux
valeurs profondes que recherchent les gens, est-on si sûr qu’elles coïncident
avec les développements précédents. À ce niveau, il nous semble que
Pascale et Athos ignorent certains développements des théories de l’orga-
nisation et réduisent la notion d’intérêt à sa seule dimension psycholo-
gique. Nécessaire mais insuffisant. On remarquera, ici, que la conclusion
de The Art of Japanese Management est contradictoire avec les
développements de Managing on The Edge. Comme nous l’avions déjà
souligné, pour Pascale et Athos les entreprises qui marchent sont celles
« où les membres partagent les mêmes convictions les mêmes priorités… ».
Or, reconnaît Pascale en 1990, une trop forte cohésion peut être facteur
de déclin, il lui faut donc être contrebalancé par le principe d’opposition.
La fameuse harmonie des 7S fait place à la dialectique conflictuelle mais
stimulante des opposés. Le danger pour les entreprises est ici constitué par
une trop forte cohésion qui empêche toute remise en cause salutaire. Entre
les deux ouvrages, Pascale va rencontrer Honda. Une bonne partie de
l’article de 1984 est bâtie sur le récit des protagonistes de « l’aventure »
américaine. Mais, sans remettre en cause la véracitz du récit, on peut se
demander si l’accent mis sur les péripéties n’est pas une tendance profonde
des acteurs qui racontent leur histoire et qui tendent de la sorte à transfor-
mer leur vécu en aventure. L’important, dans la perspective de la conquête
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du deux roues, Tohatsu ne comprend pas, au milieu des années cinquante,
que la technologie est devenue une exigence forte pour les clients, exigence
qu’Honda saura rencontrer avec le modèle super cub, véritable condensé de
technologie. Face aux concurrents européens, Honda applique la même
stratégie, dès le milieu des années soixante, les constructeurs européens
sont technologiquement distancés et se révèlent incapables de rattraper
leur retard.
Managing on The Edge est, et nous l’avons souligné, un livre important.
Important parce qu’il met en valeur des dimensions stratégiques peu
traitées jusque là, comme le conflit et la nécessité pour l’entreprise de tou-
jours ébranler des certitudes trop solidement établies. Pour autant, les
démonstrations ne parviennent pas toujours à convaincre le lecteur.
Pascale, de manière assez virulente, pourfend les théories incrémentalistes.
Mais l’action de Petersen chez Ford ou celle de Martinez chez Sears, ne
doivent-elles pas beaucoup à la méthode des petites touches ? Des petits
changements continus d’intensité variable ne provoquent-ils pas pareille-
ment l’ébranlement de l’équilibre ? L’idée que le changement nécessite des
processus radicaux de transformation reste à prouver et cela dépend :
principe de contingence. Certes, le conformisme en entreprise et la
prégnance de certains paradigmes peuvent déboucher sur des phénomènes
de myopie mais pareillement l’option du transformisme radical peut être
toute aussi lourde de conséquences. Une entreprise apprend en étant
confrontée à de nouveaux défis et en opérant parallèlement des mutations
organisationnelles, mais de trop fortes mutations peuvent tout autant
Richard Tanner Pascale 417
nuire aux phénomènes d’apprentissage. D’un certain point de vue les idées
développées par Pascale ne sont pas sensiblement différentes de celles
développées par Gary Hamel dans ses derniers ouvrages. On y retrouve le
thème de la nécessaire révolution managériale, du bouleversement des
modes de pensée. Le recours au darwinisme, dans Surfing the Edge of
Chaos ne convint pas, les auteurs ne finissent-ils pas par adopter des
hypothèses du modèle rationnel de gestion ? Et notamment l’idée du
champ concurrentiel vu comme un champ de bataille féroce où seuls les
plus forts survivent ? Il est difficile de souscrire à des assertions telles que :
« Des téléphones portables… aux sauces épicées, du savon aux logiciels,
c’est une lutte pour la survie et les choses ne vont pas en s’améliorant »
(Pascale et al., 2000 : 27). De descriptives, les thèses de Pascale ont une
fâcheuse tendance à devenir prescriptives en opposant toujours les bons
exemples aux mauvais exemples et l’édiction des principes et caractéristiques,
vus comme des nécessités impérieuses, finit par lasser. De surcroît, dans
bien des cas cités, les stratégies de changement ont été mises en œuvre par
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des leaders que l’on serait tenté de qualifier de charismatique. C’est une
dimension importante de ces stratégies et un facteur-clé de succès certain.
Or, dans la réalité, ces dirigeants sont souvent marginalisés par les mana-
gers classiques plus axés sur la gestion à court et moyen terme et il n’est
même pas certain que les temps de crise favorisent particulièrement les
managers capables d’explorer des voies nouvelles. Enfin, si le recours aux
sciences de la nature peut être d’un point de vue intellectuel stimulant et
ouvrir de nouvelles perspectives, il s’avère dans la gestion quotidienne que
de peu d’utilité et c’est souvent à ce niveau que se construit au quotidien
la réalité de l’entreprise.
On pourrait faire des remarques similaires sur le dernier ouvrage de
Pascale The Power of Positive Deviance co-écrit avec Jerry et Monique
Sternin. On y trouve des développements très intéressants et bien docu-
mentés sur la réussite de programmes de nutrition, notamment, et est
révélé le rôle joué par ces déviants positifs qui à l’intérieur de leurs com-
munautés trouvent des modes de solution originaux et efficaces là où les
« experts » échouaient souvent. À partir de ces cas, Pascale et al., proposent
une méthode pour « propager » ces innovations et l'esprit de ces innova-
tions. Mais comme souvent avec Pascale, l’impression donnée est que la
révélation de l’originalité de ces réussites est le préalable de considérations
quelque peu prescriptives qui deviennent autant de recettes pour bien
faire !
418 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Autres références bibliographiques
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vol. 38, n° 4, p. 92-93.
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Prahalad, C.K., Hamel, G. (1990), « The Core Competences of Corporation »,
Harvard Business Review, p. 79-91.
Rumelt, R.P. (1996), « The Many Faces of Honda », California Management
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XXVII. ANDREW PETTIGREW – L’APPROCHE DYNAMIQUE,
CONTEXTUELLE ET LONGITUDINALE DU CHANGEMENT
ORGANISATIONNEL
Faouzi Bensebaa
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-management---page-419.htm
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contextuelle et longitudinale
du changement
organisationnel
Faouzi Bensebaa
420 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
Notice biographique
Andrew Marshall Pettigrew est né le 11 juin 1944 à Corby (Northamptonshire) au
Royaume-Uni. Après des études scolaires à la Corby Grammar School, il entre d’abord
à l’Université de Liverpool où il obtient un Bachelor of Arts en sciences sociales, ensuite
à la Manchester Business School où il soutient une thèse de doctorat (Ph.D.) en soci-
ologie industrielle.
Sur le plan professionnel, il fut associé de recherche à la Manchester Business School,
assistant professeur en visite à Yale University ; lecteur en comportement organisation-
nel à London Business School ; professeur de comportement organisationnel à
Warwick Business School, doyen à l’Université de Bath School de management et
consultant pour de nombreuses entreprises : ICI, BP, Shell, NHS, etc.
Il a reçu à la fin de l’année 2008 l’Ordre de l’Empire Britannique (OBE) pour services
rendus à la formation supérieure locale et nationale. Il a été également vice-president
de l’European Foundation for Management Development.
Il créa et dirigea le Centre for Corporate Strategy and Change à Warwick Business
School de 1985 à 1995. En 2002, il a été le premier chercheur non nord-américain à
recevoir le Distinguished Scholar de l’US Academy of Management Award.
Il fut professeur invité à European Institute for Advanced Studies in Management à
Bruxelles, Harvard University et Stanford University.
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Il co-fonda la British Academy of Management, en devint le premier chairman et
ensuite son second président.
Aujourd’hui (2017), il est professeur émérite à l’Université d’Oxford (Said Business
School) au Royaume-Uni.
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méthodologie – données chronologiques tirées de plusieurs niveaux d’ana-
lyse : firme, secteur, contexte politique et économique – qui vont influen-
cer ses recherches subséquentes ainsi que celles d’autres auteurs s’intéres-
sant aux processus organisationnels. Et c’est cette aptitude à conjuguer des
données processuelles et des données contextuelles qui permet à Pettigrew
de cartographier la complexité du changement dans les systèmes organisa-
tionnels. Pettigrew éclaire également la façon dont ces changements
dépendent du changement macro lié au contexte dans lequel la firme
opère et interagit avec lui.
Les premières contributions ont non seulement permis à Pettigrew
d’acquérir, d’emblée, une solide réputation dans le champ du changement
organisationnel et du management mais également font avancer ces disci-
plines en termes de prise en compte du contexte, de la nature processuelle
des comportements organisationnels et du temps, donnant ainsi naissance
à des recherches, théoriques et empiriques, aussi nombreuses que variées.
Ces contributions laissent apparaître déjà les traits distinctifs de ce cher-
cheur : l’intérêt pour le temps, les processus et les structures sociales ; le
rôle important accordé à l’approche longitudinale et historique dans le
repérage du processus social ; la conviction de l’importance de la théorisa-
tion interdisciplinaire ; la nécessité d’intégrer, dans le champ du manage-
ment et des sciences de l’organisation, les concepts comme le pouvoir et
la politique afin de comprendre le pourquoi et le comment des décisions
prises et du conflit dans la vie des organisations.
422 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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1.1. L’étude de Imperial Chemical Industries (ICI)
Le travail séminal d’Andrew Pettigrew sur IC (Pettigrew, 1985a) a
introduit l’approche contextualiste dans l’étude de la formation de la stra-
tégie. Les fondements de son approche peuvent être repérés dans ses pre-
mières réflexions sur la prise de décision stratégique (Pettigrew, 1973,
1979). L’objectif initial de l’étude de ICI portait sur les transformations
affectant le conseil de direction de ICI et les quatre divisions de l’entre-
prise. La recherche est devenue par la suite une étude plus générale, por-
tant sur le changement stratégique et visant à expliquer pourquoi des
démarches de changement identiques conduisent à des résultats non simi-
laires. Décrivant d’une manière minutieuse et détaillée les événements et
les faits qui se sont déroulés dans la firme, Pettigrew estime que ces trans-
formations ne doivent pas être considérées comme un moment unique,
isolé mais comme une série d’épisodes.
Il tire de cette description des enseignements fort significatifs.
• Les changements importants ne peuvent être introduits si les indi-
vidus chargés de les mettre en place ne peuvent les justifier par des
performances antérieures médiocres.
• Les changements intenses sont étroitement liés aux transformations
macroéconomiques. Dans le cas de l’entreprise ICI, la récession de
l’économie mondiale a eu des conséquences sur sa performance,
Andrew Pettigrew 423
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ment et innovation, indiquant ainsi que les transformations se
construisent autour d’un dilemme : la survie ou la regénération. Les
organisations doivent ainsi épouser le contexte dans lequel se
déroulent les actions de transformation tout en préservant leur iden-
tité.
• La crise n’est pas monnaie courante. Lorsqu’elle se produit, elle peut
être opportunément utilisée par les dirigeants, quand ils sentent la
nécessité de la transformation, pour établir les changements souhai-
tés. Toutefois, l’essentiel du changement n’est pas automatique, se
déroule par regénération et dépend du contexte interne et externe
de l’entreprise.
• La structure ne suit pas la stratégie. Bien au contraire, les transfor-
mations observées à ICI indiquent un mélange complexe de révi-
sions des convictions profondes des managers, suivies par des chan-
gements dans les rémunérations, les structures et les systèmes ; les
modifications de stratégies émergent alors pour être réalisées plus
lentement après leur légitimation.
Ces considérations conduisent Pettigrew à estimer que les transforma-
tions de ICI sont liées au contexte, à l’histoire de la firme ICI et au pro-
cessus. Ce qui l’amène à rejeter les théories en usage à ce moment-là parce
qu’elles sont vues comme acontextuelles, ahistoriques et aprocessuelles
(Pettigrew, 1985a ; 1985b ; 1990).
424 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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la connaissance.
Le CCSC fut fondé en 1985 à la business school de l’Université de
Warwick (RU) et eut Pettigrew comme directeur jusqu’en 1995. Les
thèmes développés par les chercheurs du centre – l’analyse processuelle de
la compétitivité ; le développement de quasi-marchés ; l’émergence d’idées
managériales ; le pouvoir et l’influence des élites ; le rôle du pouvoir et de
l’idéologie dans les processus de changement ; les théories du processus de
changement ; – inspirèrent et influencèrent largement les milieux acadé-
miques européens et nord-américains notamment. Ce qu’il faut cependant
noter est l’impact de la création et du développement du CCSC sur l’ap-
proche de Pettigrew concernant la recherche. En effet, avant 1985, date de
la création du centre, ses recherches étaient menées d’une manière soli-
taire. Mais, à partir de 1985, tout en restant un chercheur empirique actif
travaillant selon sa propre conception, c’est également, d’une manière
importante, un manager de la recherche avec la capacité de développer, de
gérer et de compléter, dans des délais courts, de grandes études proces-
suelles.
La réputation du CSSC fut rapidement établie en matière d’enquêtes
et d’analyses profondes des phénomènes processuels. La perspective adop-
tée et les thèmes abordés se révélèrent importants pour les organisations
concernées par les études menées ainsi que pour les pratiques des managers
des autres firmes. Cependant, la caractéristique principale de ces recherches,
et notamment de celles de Pettigrew, est l’aptitude continue, via les
Andrew Pettigrew 425
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performance est induite d’une part par un processus qui intègre dans le
management l’environnement dans lequel la firme opère et par la manière
dont le changement est approché notamment dans le domaine de la stra-
tégie. La recherche établit également des liens entre le changement, les
capacités d’apprentissage des entreprises et leur performance de long
terme et montre, par ailleurs, l’importance du management des ressources
humaines pour atteindre la compétitivité sur la longue période. Cet
ouvrage fut suivi par une autre contribution permettant la compréhension
du processus de management et de la performance des organisations. Elle
fut réalisée avec Ferlie et McKee (1992) et porte sur la mise en place de
changements de service dans le British National Health Service (BHNS)
dans Shaping Strategic Change : Making Change in Large Organizations,
The Case of The NHS. Ces deux ouvrages ont sensiblement amélioré notre
compréhension du processus conduisant à l’exécution avec succès du
changement et étendu notre connaissance des organisations émanant tant
du secteur public que du secteur privé.
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du contenu de stratégie. Pettigrew prend soin de décrire la manière dont
les subtilités dans le comportement affectent le cours du processus. En
même temps, il récuse toute idée de conduite du processus au moyen de
directives simples. Par la suite, Pettigrew soutient que la voie utilisée par
une organisation pour traiter le changement affecte sa performance
(Pettigrew et Whipp, 1991 ; Pettigrew et al., 1992). En un sens, l’origina-
lité de sa contribution en matière de stratégie repose sur la mise en avant
de celle-ci comme processus. De surcroît, l’activité du management est
devenue de plus en plus détachée du top management. La conduite du
changement met bien en évidence à cet égard la contribution du manage-
ment au processus (Pettigrew et 1991, Whipp). Ce qui conduit à intro-
duire de l’ambiguïté et de l’indéterminisme dans l’équation managériale.
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objectifs et des priorités. La recherche sur les formes innovantes d’organisa-
tion a produit dès lors un nouveau mécanisme de l’évolution
des limites organisationnelles, des processus et des structures qui semble
influencer l’innovation organisationnelle (Pettigrew et Fenton, 2000 ;
Pettigrew et al., 2003).
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1990, 1992, 1997a).
Par ailleurs, le contextualisme conduit à un design de la recherche pre-
nant la forme d’études de cas rétrospectives réelles longitudinales, basées
le plus souvent sur des données qualitatives, provenant de sources mul-
tiples, mais également le cas échéant, sur des données quantitatives
(Pettigrew, 1985b, 1990). Ainsi, dans l’étude sur les formes innovantes
d’organisation, Pettigrew allie données qualitatives et données quantita-
tives et contexte (Pettigrew, 1985b), comme d’autres l’avaient fait, en
mettant l’accent sur les aspects artisanaux de la recherche empirique. Les
activités réelles de recherche, telles que la sélection du choix du processus
devant être étudié (et la délimitation de la période d’observation), la for-
mulation de la question de recherche et le choix des dispositifs de collecte
et d’analyse de données, conjuguent induction et déduction (Pettigrew,
1990, 1997a). Une approche purement inductive rendrait sans doute jus-
tice à la nature contextuelle d’un processus, mais entraînerait probable-
ment « l’asphyxie par les données » (Pettigrew, 1990). Certaines approches
de la déduction laissent entendre qu’il est possible de se passer d’idées a
priori sur le cours des événements. Étant donné que le processus de base
est considéré comme celui de la structuration, il y a des présomptions sur
les processus devant être observés. Au final, on suppose que les acteurs
vont essayer de réaliser leurs aspirations, tout en s’appuyant sur le contexte
et la structure (Pettigrew, 1985b).
Avec l’idée de la temporalité fermement ancrée dans l’approche contex-
tualiste, la validité interne repose sur la véracité des résultats en relation
Andrew Pettigrew 429
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Au niveau de la méthodologie de la recherche, le contextualisme de
Pettigrew se rapprocherait du réalisme critique. Pettigrew se caractérise
lui-même comme un « mediativist » qui observerait la situation sociale, se
situant entre la réalité et les comptes-rendus de la réalité, sans éliminer les
effets de la réalité sur le médiateur (Pettigrew, 1997b, 2013). À cet égard,
nous avons le sentiment que dans le travail de Pettigrew la réalité sociale
est toujours présente. Celle-ci est considérée comme opérant aux moyens
de mécanismes génératifs et partant, objectifs, mais toute description des
processus est appréhendée comme subjective dans une certaine mesure. Ce
subjectivisme est assez large, en ce sens qu’il se réfère non seulement à la
possibilité de multiples interprétations des acteurs impliqués, mais à tout
compte-rendu particulier réalisé à un certain moment.
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térêt les plus récents (3.2.)
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3.2. Les nouveaux centres d’intérêt
Élargissant son champ d’investigation, Pettigrew a réalisé une recherche
sur la gouvernance des firmes britanniques et examiné les implications des
accords de gouvernance et le pouvoir d’influence des membres de la direc-
tion des grandes compagnies. Cette recherche a conduit à un article rédigé
avec McNulty (1995) et publié dans Human Relations sur le Power and
Influence in and Around the Boardroom. Allant au-delà de la simple dicho-
tomie entre dirigeants internes ou externes, Pettigrew et McNulty ana-
lysent la dynamique du processus et du pouvoir des conseils de direction
des firmes au moyen de données qualitatives – détaillées et substantielles
– sur les incidents critiques collectées auprès des managers. Toutefois, la
perspective « d’encastrement » adoptée rend la généralisation statistique
difficile en matière de questionnements sur la gouvernance (Davis et
Museum, 2001).
Parallèlement à cette contribution, Pettigrew a poursuivi son travail
dans le BNHS et publié en 1996 son ouvrage The New Public Management
in Action. Cet ouvrage traite des études portant sur l’exécution du quasi-
marché dans le service de santé britannique comme conséquence des ini-
1. “In this way we might be able to not just codify patterns in the world, but also better understand how to
change the world”.
432 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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en management, va dans le même sens et suggère aux lecteurs de considé-
rer la pratique et la théorie comme les éléments d’une seule dualité.
Une autre extension du travail de Pettigrew concerne l’internationalisa-
tion de la firme (Pettigrew et Fenton, 2000). Dans ce domaine, Pettigrew
étend les compétences, tant méthodologiques que théoriques, qu’il a
acquises sur les processus de changement et sur la stratégie. Pour la pre-
mière fois, il combine son approche d’études de cas comparatives avec un
travail comparatif international en utilisant des données temporelles et des
enquêtes élargies. Employant cette méthodologie et en partenariat avec ses
collègues établis dans plusieurs pays dans le cadre du programme
INNFORM2, il examine l’importance de la mise en place de nouvelles
formes organisationnelles dans des grandes firmes et dans des entreprises
de taille moyenne installées aux États-Unis, en Europe et au Japon. Il teste
également les effets de l’adoption de ces nouvelles formes organisation-
nelles sur la performance. Il étudie enfin le processus managérial d’aban-
don des formes traditionnelles organisationnelles. Cinq résultats majeurs
sont obtenus :
• la comparaison des données portant sur l’adoption des formes orga-
nisationnelles innovantes aux États-Unis, en Europe et au Japon
2. INNFORM est un réseau liant les chercheurs des universités suivantes : Duke University (États-
Unis), Erasmus University (Pays-Bas), ESSEC (France), IESE (Espagne), Hitotsubashi University
(Japon), ST Gallen (Suisse). Le programme de recherche de ce réseau vise principalement à identifier et
cartographier les nouvelles formes organisationnelles aux États-Unis, en Europe et au Japon.
Andrew Pettigrew 433
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tème dans son ensemble nécessitent des changements à plusieurs
niveaux (dont celui du processus) pour qu’elles soient couronnées de
succès.
Un ouvrage publié en 2002 avec Thomas et Whittington (Pettigrew et
al., 2002) présente une rétrospective substantielle et une démarche pros-
pective dans le champ du management stratégique. Cet ouvrage constitue
un important « benchmark » des contributions des chercheurs majeurs en
management et en stratégie. Cet ouvrage évalue et synthétise le travail
réalisé dans le champ, il fait également le bilan des avancées obtenues et
souligne les développements futurs. Les auteurs ont cherché dans cette
veine à conjuguer la thématique du management et de la stratégie avec la
diversité, offrant ainsi une analyse critique puissante et une synthèse des
contributions disciplinaires variées pour ce corpus de connaissances.
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mettre l’accent sur l’importance de l’aptitude à bien écrire ou bien parler
ou de la diffusion, caractéristiques devenues certes essentielles dans un
monde d’influences. Il s’agit plutôt de repérer les bonnes thématiques à
explorer er de poser les bonnes questions de recherche, au bon endroit et
au bon moment.
Enfin, la dernière piste porte sur la co-production de la recherche par
les chercheurs et les praticiens. Ce qui signifie l’implication des partenaires
à travers le cycle complet de recherche : accord sur les questions de
recherche et direction des projets de recherche ; conduite et management
de la recherche ; mise en œuvre de la recherche ; fourniture des résultats
de la recherche et contrôle de leur impact.
Conclusion
Pettigrew a fait une contribution majeure non seulement à la littérature
académique sur les processus organisationnels (sur les plans théorique et
méthodologique) mais également à la lecture managériale de tels proces-
sus. Ce second aspect est illustré, on ne peut plus, par le nombre et la
variété de contrats, obtenus par le CCSC, avec des organisations privées et
publiques. Ce double intérêt est lié au souci de réunir théorie et pratique,
estimant que le champ de recherche portant sur le changement organisa-
tionnel est le mieux placé des champs des sciences de gestion pour combi-
ner le « quoi » et le « comment » de la connaissance.
Andrew Pettigrew 435
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ayant comme unique objectif l’obtention de l’assentiment scientifique des
pairs. Le chercheur en management ne peut être qu’un chercheur « ambi-
dextre » : des qualités scientifiques solides et un engagement social signifi-
catif et clairement affirmé.
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Andrew Pettigrew 437
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XXVIII. ROBERT QUINN – CONTRADICTIONS ET PARADOXES DANS LE
MANAGEMENT ET LES ORGANISATIONS
Mathieu Detchessahar
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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Mathieu Detchessahar
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440 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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nement des organisations en relevant les exigences multiples et contradic-
toires auxquelles elles sont confrontées dans leur quête de performance.
Cette complexité met le manager à rude épreuve et l’oblige à développer
une large palette de comportements et de compétences auxquelles Quinn
va consacrer une partie importante de son travail. Il fait du manager un
élément-clé du changement en insistant avant tout, non pas sur son habi-
lité à conduire le changement organisationnel, mais sur sa capacité à entrer
dans un processus de changement personnel.
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mance organisationnelle. La première dimension concerne l’orientation
principale de l’organisation et oppose deux polarités principales au sein
d’un même continuum : une orientation essentiellement interne insistant
sur le développement des ressources humaines et la maîtrise des processus
à une orientation essentiellement externe centrée sur le développement de
l’organisation et la définition de ses objectifs. La deuxième dimension de
valeur concerne la structure de l’organisation et oppose l’impératif de
contrôle de la structure à l’impératif de flexibilité. Enfin, la troisième
dimension de valeur est relative à la question des liens entre finalités de
l’organisation et moyens mis en œuvre. La combinaison de ces trois
dimensions de valeur permet à Quinn et Rohrbaugh de proposer un
modèle spatial de l’efficacité organisationnelle qui met en relation l’en-
semble des approches de la performance (Figure 1).
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Source : adaptée de Quinn et Rohrbaugh, 1983.
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Attainment, G), évaluation des tâches et coordination interne (Intégration,
I) et construction de la cohésion et la solidarité du groupe (Latence, L).
Si les contradictions possibles entre les critères de performance
demeurent au cœur du modèle CVF, Quinn et Cameron (1983) envi-
sagent que les enjeux de performance de l’organisation se posent de façon
différente en fonction de son stade de développement. À partir d’une
revue de la littérature sur les modèles de cycle de vie des organisations,
Quinn et Cameron proposent un modèle de synthèse à partir du
Competing Value Framework. Ils distinguent ainsi quatre phases de déve-
loppement de l’organisation. La première est entrepreneuriale et se carac-
térise par l’accent mis sur l’innovation et la créativité. Elle met en avant les
critères de performance du modèle du système ouvert : flexibilité, crois-
sance, acquisition de ressources. La deuxième phase est collective et cor-
respond au modèle des relations humaines valorisant la coopération et
l’implication dans l’organisation. La troisième phase est une phase de
formalisation et de contrôle, elle correspond au modèle des processus
internes ainsi qu’au modèle rationnel du CVF. La quatrième phase est une
phase d’élaboration et de renouvellement de la structure au cours de
laquelle l’organisation se met à nouveau à l’écoute de son environnement
externe et cherche à « se développer aux frontières » (p. 44) tout en main-
tenant sa cohérence interne ce qui implique de maintenir l’effort sur les
autres modèles. Ainsi, s’il distribue les enjeux de performance tout au long
du cycle de vie de l’organisation, ce modèle de synthèse n’annule pas les
tensions entre différents objectifs. D’une part, l’ensemble des objectifs
444 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
restent posés à chaque phase même si certains d’entre eux dominent clai-
rement, et d’autre part, les phases de maturité (et notamment la qua-
trième) sont, plus que d’autres, au croisement de plusieurs sous-modèles
du CVF et, à ce titre, particulièrement traversés par des tensions et contra-
dictions d’objectifs.
Le grand intérêt du travail de Quinn et ses collègues autour du
Competing Value Framework est de construire la notion de performance sur
un ensemble d’oxymores qui rend bien compte de la complexité de la
notion et, par voie de conséquence, des difficultés auxquelles est confron-
té le management dans sa quête de performance. Les organisations sont
traversées de contradictions et le travail du management consiste en une
série d’arbitrages, toujours temporaires, visant à sortir pour un temps de
la contradiction, tout en anticipant bien qu’un second temps de l’action
justifiera certainement un arbitrage contraire.
Cette capacité à se mouvoir parmi les contradictions et à conduire des
politiques inverses au gré des différents arbitrages suppose un large réper-
toire et une grande plasticité de comportements du manager. C’est cette
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« complexité comportementale » (behavioral complexity) du manager que
Robert Quinn va explorer à travers son travail sur le leadership.
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(rôle de directeur). À l’inverse, dans le modèle des relations humaines, le
manager est avant toute autre chose attentif aux individus et à leurs rela-
tions. Il a pour objectif premier de faciliter l’expression des opinions et de
rechercher le consensus (rôle de facilitateur) ainsi que d’être attentif aux
besoins et aux projets individuels de développement de chacun (rôle de
mentor). Dans le modèle des processus internes, le manager tire sa légiti-
mité de son expertise et de sa maîtrise de l’information. C’est lui qui dis-
tribue l’information pertinente et contrôle les résultats (rôle de pilote) de
même qu’il rappelle les règles de fonctionnement et traite les problèmes
rencontrés par l’équipe (Rôle de coordinateur). Enfin, dans le modèle du
système ouvert, le management s’oriente vers la croissance et l’innovation.
Le manager doit être créatif et inciter au changement (rôle d’innovateur)
en même temps qu’il est attentif à capter des ressources externes et à main-
tenir et développer la place de l’organisation dans son réseau de relation
(rôle de Broker).
446 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Source : adaptée de Quinn, 1988.
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tion et de sanction dans l’organisation (Cameron, Quinn, 1999, p. 35).
Ainsi la variété des pratiques managériales associées à chaque cadrant du
CVF trouve son unité à un niveau supérieur aux pratiques, celui des
convictions fondamentales et des valeurs partagées, c’est-à-dire de la
culture.
Cameron et Quinn mettent donc à jour quatre grands types de culture
différents. Pour nommer et décrire chacune de ces cultures, ils choisissent,
de façon très pédagogique, d’associer un auteur et un exemple à chacune
d’elles. Les quatre grands types de culture repérés sont : la culture hiérar-
chique, la culture de marché, la culture clanique et la culture adhocra-
tique.
448 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Source : traduit de Cameron, Quinn, 1999, p. 46.
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nomie de l’innovation. Dans ce contexte, l’adhocratie doit encourager la
flexibilité, l’adaptabilité et la créativité. L’adhocratie est une structure plate
qui se recompose en fonction des problèmes rencontrés qu’elle distribue à
des structures projet toujours temporaires. Sans surprise, Cameron et
Quinn reprennent assez largement l’exemple canonique de la NASA pour
illustrer la culture adhocratique orientée vers l’innovation et le change-
ment.
Suite à ce travail de synthèse et de mise en ordre de la littérature sur la
culture, Cameron et Quinn développent une réflexion à visée plus ingé-
nierique dont l’objectif est de fournir aux managers des outils et des plans
d’action pour intervenir sur la culture de leur organisation. La première
phase du processus de changement consiste à révéler la culture de l’orga-
nisation et à bâtir le consensus autour cette représentation. Pour cela,
Cameron et Quinn proposent un outil de diagnostic de la culture que
Quinn a testé avec Gretchen Spreitzer (1991). Le OCAI (Organizational
Culture Assesment Instrument) se présente comme un questionnaire en six
parties permettant de positionner l’organisation dans un des quatre
cadrants du CVF en même temps qu’il permet de faire apparaitre la
culture désirée par les acteurs. Celle-ci devient la culture cible autour de
laquelle les acteurs devront s’entendre lors de la phase 2 du processus de
changement. La phase 3 vise à dégager les axes principaux sur lesquels le
changement devra porter. La quatrième phase reprend certains éléments
du courant du « storytelling » pour recommander de communiquer sur le
changement à partir de récits ou « stories » particulièrement illustratifs de
450 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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vention de Quinn. Plusieurs ouvrages aux titres très suggestifs et à la
vocation essentiellement « managérial » vont lui permettre d’approfondir
ce thème : depuis le grand succès public Deep Change, Discovering the
Leader Within (1996) jusqu’à Building the Bridge as you Walk on it (2004)
en passant par Change the World, How Ordinary people Can Accomplish
Extraordinary Results ? (2000).
Conclusion
L’œuvre de Quinn nous invite à une approche complexe des organisa-
tions et du management qui va très au-delà des théories de la contingence
dont il s’est inspiré à ses débuts. Loin de tout déterminisme, fut-il « multi-
varié » (Crozier, Friedberg, 1977, p. 142), Quinn insiste sur les tensions
irréductibles qui traversent les organisations et le travail. Alors que tout un
courant d’analyse contemporain voit dans la montée en puissance des
contraintes et des contradictions organisationnelles un dérèglement de
type anomique propre à générer de la souffrance parmi les salariés (par ex :
Gollac, 2005, Gollac et Volkoff, 1996), Quinn y voit l’état normal des
organisations. Les organisations obligent les managers à développer un
niveau de complexité cognitive et comportemental suffisant pour faire
face à la complexité. Il leur faut penser et agir à partir de valeurs et d’objec-
tifs potentiellement contradictoires. C’est ce que Quinn appelle dans ses
écrits récents à destination des managers le Wholonic reasoning, sorte de
pensée globale et complexe combinant au sein d’une même réflexion plu-
Robert Quinn 451
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« édifiantes » et « énergisantes » : le courage, l’intégrité, la vitalité, le sens,
la transcendance, le bien commun… Dans l’un de ses derniers ouvrages
(2000), Quinn va chercher son inspiration chez les grands leaders spiri-
tuels : Jesus, Gandhi et Martin Luther King. Le projet est ici rien moins
que d’explorer les dimensions positives de la condition humaine dans les
organisations…
1. Plusieurs chercheurs importants dans le champ des sciences de l’organisation participent au « mani-
feste » de la POS de 2003, notamment Karl Weick et Martha Feldman (cf. www.bus.umich.edu/Positive/
POS-Research/).
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XXIX. EDGAR H. SCHEIN – LA CULTURE ORGANISATIONNELLE
Isabelle Vandangeon-Derumez
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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Isabelle Vandangeon-Derumez
XXIX
La culture
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454 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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progressivement une idée sur la façon dont le chercheur doit intervenir
dans une entreprise. Il élabore un processus d’intervention, qu’il formalise
par une démarche de recherche « clinique ». Il acquière ainsi la reconnais-
sance des consultants et des chercheurs internationaux (nommé consul-
tant de l’année en 1988 par le Division Consulting de « the American
Psychological Association and the American Society for Training and
Development »).
Après avoir rapidement présenté l’auteur (cf. encadré N°1), ce chapitre
s’attache à retracer l’évolution des travaux d’Edgar Schein en prenant
comme point de départ l’analyse de l’évolution de la pensée psychologique
(et la notion d’ancrage professionnel). Suivent ses travaux sur la culture
organisationnelle et la recherche « clinique ».
Notice biographique
Edgar Schein, est né le 5 mars 1928 à Zurich en Suisse. Il arrive à l’age de dix ans aux
États Unis. Psychologue de formation (Ph.D. en psychologie sociale à l’Université
d’Harvard en 1952), il enseigne aujourd’hui comme professeur émérite en manage-
ment à la Sloan School of Management du Massachusetts Institue of Technology
(MIT).
Durant son Ph.D. à Harvard, Edgar Schein est marqué par de nombreux courants
théoriques tels que la psychologie sociale, la psychologie clinique, la sociologie et
l’anthropologie – influences que l’on retrouve tout au long de son œuvre. À la suite de
son Ph.D., il intègre l’armée américaine, et prend en charge l’échange des prisonniers
de
Edgar H. Schein 455
guerre coréens. Cette expérience lui fournit des observations empiriques sur les phé-
nomènes culturels, qu’il reprendra par la suite dans son analyse de la culture organisa-
tionnelle.
Au Tavistock Institute, Edgar Schein trouve une source d’inspiration pour sa théorie de
l’intervention et de son analyse culturelle des organisations – avec les travaux des psy-
chologues organisationnels sur le concept de système socio-technique1.
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trielle, mettant trop en avant les individus par rapport à l’organisation,
Edgar Schein met en évidence l’apport de la « psychologie des organisa-
tions » (Schein, 1971) : en élargissant les problèmes psychologiques des
individus à la notion de motivation, les psychologues des organisations
s’interrogent sur les relations entre l’organisation et le comportement
humain (notamment par l’intermédiaire des systèmes de récompenses et
de punitions). En creusant cette notion de motivation, ils font progressi-
vement ressortir l’importance des relations entre collègues pour expliquer
les comportements des individus. Dès lors, l’organisation, en tant que
système global, entre dans leur champ d’analyse. Cette découverte marque,
selon Edgar Schein, la naissance de la psychologie des organisations. Cette
nouvelle discipline se distingue de la psychologie industrielle selon deux
points essentiels. Tout d’abord, les questions traditionnelles de recrute-
ment, sélection, formation, division du travail, sont traitées en étroite
relation avec le système social de l’organisation. Ensuite, de nouvelles
questions émergent sur le comportement des groupes, des sous-ensembles
organisationnels, voire de l’organisation dans sa globalité.
Sous ce nouvel angle – et influencé par les travaux de Douglas
McGregor – il reprend l’analyse des problèmes humains au sein des orga-
nisations. Il classe ces problèmes en quatre catégories2 : ceux liés au recru-
1. Cf. Chapitre sur Emery et Trist, par Jérôme Ibert.
2. Pour plus de renseignements sur les quatre catégories de problèmes, le lecteur peut se référer à son
ouvrage Psychologie et organisation (Schein, 1971), pour la version française ou Organizational Psychology
(Schein, 1965) pour la version anglaise.
456 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
tement (la sélection, la formation des personnes, ainsi que leur affectation
dans l’organisation) ; ceux liés à l’utilisation des ressources humaines
(l’autorité, l’influence et le contrat psychologique3 liant l’individu à l’orga-
nisation) ; ceux liés à l’intégration des membres de l’organisation ; et enfin
ceux liés à l’efficacité de l’organisation.
Concernant la première catégorie de problèmes, Edgar Schein montre
que l’approche traditionnelle de la psychologie industrielle conduit les
auteurs à une spécialisation excessive en matière de sélection, de définition
de poste et de formation. Or, si selon Edgar Schein cette spécialisation
fonctionne correctement dans un grand nombre d’organisations, elle
devient inopérante lorsque les missions des postes tendent à se complexi-
fier (notamment pour les fonctions de direction) et que l’environnement
évolue. Cette inefficacité résulte d’une vision mécaniste de l’organisation
ne prenant pas en compte les interrelations entre les différents éléments et
niveaux du système organisationnel.
Pour la seconde catégorie de problèmes, Edgar Schein montre que la
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nature du contrat psychologique passé entre l’individu et l’organisation,
ainsi que le lien d’autorité supérieur – subordonné, ont subi certaines
modifications au fil du temps. Il souligne deux évolutions principales :
• auparavant, la nature de l’échange au sein du contrat psychologique
s’évaluait principalement en termes économiques (salaires, condi-
tions de travail, horaires, sécurité de l’emploi). Or, la perception de
l’organisation comme système social, conduit à prendre en compte
des éléments psychologiques dans cette relation : la façon dont
l’individu est considéré à son poste, dont il est encouragé par ses
supérieurs pour développer ses responsabilités, son savoir-faire, ses
besoins sociaux, etc. ;
• alors que les approches en psychologie industrielle mettaient en
évidence qu’un individu travaillant bien était motivé et faisait
preuve d’ambition – alors qu’un individu qui ne travaillait pas cor-
rectement n’était pas motivé et manquait d’ambition –, Edgar
Schein, estime plutôt que le « bon travailleur » est quelqu’un dont
le manager sait mobiliser l’ardeur – alors que le « mauvais travail-
leur » est quelqu’un à qui l’on donne des tâches sans intérêt (Schein,
1971 : 68)4.
3. Par contrat psychologique il faut entendre l’existence d’une concordance entre ce que pense pouvoir
attendre l’individu de l’organisation dans laquelle il travaille et en contrepartie ce qu’il pense lui devoir,
avec ce que compte donner l’organisation à l’individu, en échange de ce qu’elle pense recevoir de cet
individu.
4. Nous retrouvons ici l’idée développée par McGregor dans sa « théorie Y », qui a très largement inspiré
les travaux d’Edgar Schein.
Edgar H. Schein 457
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l’existence de conflits, de compétition entre les groupes. Dès lors, l’inté-
gration des individus ne peut s’effectuer qu’en assurant l’équilibre entre
besoins individuels et organisationnels et en limitant la compétition entre
groupes.
Le dernier ensemble de problèmes concerne la définition même de ce
qui est efficace et ce qui ne l’est pas. Alors que les approches classiques
mettent l’accent sur le haut rendement ou la bonne mentalité du person-
nel comme critère d’efficacité organisationnel, Edgar Schein estime, quant
à lui, que pour être efficaces les organisations doivent apprendre à gérer les
interrelations complexes les liant aux individus qui les composent. Ainsi,
ce n’est qu’en apportant des solutions adaptées aux trois catégories de pro-
blèmes précités que l’on peut prétendre rendre une organisation efficace.
Cette réflexion sur les évolutions nécessaires de la pensée psycholo-
gique, fixe les bases du raisonnement futur d’Edgar Schein, notamment en
ce qui concerne l’ancrage professionnel des individus au sein de l’organi-
sation. Il suppose alors que chaque individu fait preuve d’un ancrage
professionnel dominant correspondant à des traits de caractère (comme les
talents ou les compétences) ou des valeurs (comme les croyances, les buts
de la vie, etc) guidant ses choix au cours de sa carrière. Afin de vérifier
cette hypothèse, Edgar Schein (1978) conduit une étude sur 44 étudiants
en seconde année du programme de Master au MIT. Interrogés, une pre-
mière fois, entre 1961 et 1963 pour déterminer les valeurs et attitudes les
ayant conduit à suivre cette voie, les étudiants sont à nouveau contacté
10 ans après (en 1973), afin de faire le point sur leur carrière. De cette
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pétences managériales.
• « Créativité entrepreneuriale » : cette catégorie réunit des individus
qui ont besoin de créer, de construire des choses, pour ne pas s’en-
nuyer. Ils recherchent le pouvoir et la liberté d’évoluer vers des rôles
qu’ils considèrent comme clés, leur permettant de continuer à créer
(comme des postes de responsable R&D ou de membre du comité
de direction). Ils sont fiers de donner leur nom à leurs créations
(comme l’entrepreneur qui donne son nom à son entreprise), d’ex-
poser leur fortune personnelle qui traduit l’accomplissement de leur
travail. Pour les entrepreneurs, ils préfèreront vendre leur entreprise
et en créer une nouvelle plutôt que de s’installer dans la routine.
• « Autonomie/indépendance » : cette catégorie comprend les indivi-
dus ayant besoin de réaliser des choses par eux-mêmes, de pouvoir
relier les résultats de leur travail à leurs efforts personnels. Ils n’ac-
ceptent pas d’être encadrés par des règles, des procédures élaborées
par d’autres personnes. Ces individus vont rechercher les organisa-
tions leur offrant l’opportunité de travailler librement, selon leurs
propres méthodes de travail. Ils sont très sensibles aux promotions
individuelles – reflétant le travail et les performances passées – ainsi
qu’aux récompenses (médailles, prix, etc.).
• « Stabilité/sécurité » : cette catégorie réunit des personnes recher-
chant une longue carrière stable et sans embûche dans l’organisation,
la sécurité de l’emploi et un plan d’évolution de leur rémunération.
Ils préfèrent un travail stable et prévisible, et se sentent plus concer-
Edgar H. Schein 459
nés par le contexte de leur travail que par la nature même de ce tra-
vail. Ils attendent une reconnainsse de leur loyauté et de leur niveau
de performance stable.
• « Sens du service/Dévouement à une cause » : cette nouvelle catégo-
rie regroupe des personnes qui dédient leur carrière à défendre une
cause, en se reposant sur leur désir de faire évoluer le monde dans
une certaine direction. Ces personnes suivent souvent des carrières
médicales, sociales ou encore d’enseignement. Elles cherchent des
organisations dont elles peuvent influencer l’évolution selon les
valeurs qu’elles défendent. Pour cette raison la loyauté envers l’orga-
nisation n’est pas une priorité. Elles ont besoin d’être reconnues aussi
bien par leur supérieur que par leur milieu professionnel.
• « Challenge pur » : cette nouvelle catégorie comprend des individus
pensant qu’il est possible de tout conquérir, et tout le monde. Pour
ceux-ci le succès réside dans leur capacité à surmonter les obstacles.
Pour certains, ils n’ont pas d’ancrage technique ou fonctionnel,
puisque seul les domaines où apparaissent les problèmes les inté-
ressent. Pour d’autres, leur implication se mesure à travers le chal-
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lenge et la compétition tel le guerrier à la recherche de victoire. Le
besoin de reconnaissance des individus de ce groupe varie en fonc-
tion du type de travail qu’ils réalisent (qu’ils soient athlète profes-
sionnel, vendeur, scientifique, ingénieur, etc.).
• « Style de vie » : cette dernière catégorie réunit les personnes qui
déclarent que leur carrière est moins importante que leur style de vie
et doit donc exactement s’insérer dans ce dernier. De telles personnes
souhaitent parfaitement manager leur vie en général et pas unique-
ment leur travail. Ils peuvent embrasser n’importe quelle carrière
professionnelle, accepter les règles de l’organisation, à partir du
moment où celles-ci ne nuisent pas à leur vie en dehors du travail
(vie personnelle et familiale).
À partir de ces résultats, Edgar Schein fait des propositions pour les
organisations qui souhaitent mettre en place un système d’évolution du
personnel performant5. Il estime que ces organisations doivent s’orienter
vers des schémas de carrière, des systèmes de motivation et de récompenses,
suffisamment flexibles pour satisfaire les individus de chaque catégorie.
Elles doivent également stimuler la perspicacité et la capacité des individus
à se prendre en charge par eux-mêmes (auto-management). Enfin, elles
doivent clarifier ce qu’elles attendent des individus qu’elles recrutent.
5. Edgar Schein développe par la suite un modèle de planification et de développement des ressources
humaines dans les organisations (HRPD : Human Resource Planning and Development) exposé dans son
article publié dans la revue Sloan Management Review, Fall 1977, Vol 19, N°1 et reprise dans l’ouvrage
collectif The Art of mamanging Human Resources, 1987b).
460 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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sèdent une culture (Schein, 1991).
Edgar Schein définit la culture organisationnelle comme : « un
ensemble de postulats de base – inventés, découverts ou développés par un
groupe cherchant à faire face à des problèmes d’adaptation externe ou
d’intégration interne6 – qui ont largement été vérifiés pour être considérés
comme valides et ainsi perçus comme des façons correctes de penser ou de
se comporter face à de tels problèmes »7 (Schein, 1991 : 9) (cf. Encadré 1).
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et ce qui ne l’est pas. Si, face à un problème, la solution envisagée et mise en œuvre
par un groupe, fonctionne et que ledit groupe perçoit la réussite de cette solution,
alors la solution devient une croyance (valeur partagée). Ainsi, les valeurs qui com-
posent la culture ne peuvent-elles exister que par un consensus social. Dans le cas
contraire elles resteront des valeurs propre à l’individu et non à l’organisation.
• Niveau 3 : les « postulats » de base ou hypothèses fondamentales. Ils constituent le
cœur de la culture organisationnelle. Ils agissent tel un filtre influençant la façon
dont les individus d’une même organisation perçoivent, pensent et ressentent les
évènements. Ces postulats sont inconscients, et font référence à la nature de la
réalité, à la nature de l’homme, à ses activités et ses relations8. Ils traduisent les
attitudes adoptées à l’intérieur de l’organisation ainsi que le comportement de celle-
ci vis-à-vis de l’extérieur. Les postulats ne peuvent être remis en causes, ils sont
acquis pour tous (comme le fait que l’école permet d’éduquer), à la différence des
valeurs (Schein, 1987c).
8. Pour plus de renseignements sur les différentes catégories qui permettent d’étudier les postulats de base
le lecteur peut se référer à l’article paru dans The Art of Managing Human Resources, (Schein, 1987c :
265), ou au chapitre 4 de son ouvrage Organizational Culture and Leadership (Schein, 91 : 85-111).
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nisation. En effet, à de multiples occasions, ce fondateur aura ancrer les
hypothèses fondamentales dans les routines de l’organisation, en utilisant
des mécanismes d’influence conscients et inconscients dont les plus puis-
sants sont (Schein, 2004 ; 246) :
• l’attention portée par à certains événements par rapport à d’autres ;
• la façon dont il importe de réagir face aux incidents critiques et aux
crises organisationnelles ;
• l’allocation des ressources à l’intérieur de l’organisation ;
• la conception qu’il (le fondateur) a de son rôle, et de la façon d’en-
seigner et de coacher ses collaborateurs ;
• la façon dont il récompense ou sanctionne ;
• le recrutement des futurs salariés (les critères de sélection et de pro-
motion).
Ces mécanismes d’influence sont très puissants les toutes premières
années de la vie des organisations, d’autant plus puissants que le fondateur
en a conscience et que son propre comportement est cohérent avec ces
mécanismes.
Un second ensemble regroupe des mécanismes moins puissants et plus
ambigus, susceptibles de renforcer le premier :
• la structure organisationnelle ;
• les routines et procédures ;
• les rites et rituels de l’organisation ;
• le design physique de l’espace organisationnel ;
Edgar H. Schein 463
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culture de l’organisation, elle peut ne pas suffire. Le leadership est alors
amené à intervenir de façon plus directe en se basant sur un processus de
changement visant à désapprendre autant qu’à apprendre10. Ce processus
repose sur l’idée que la culture peut être « évaluée » par l’intermédiaire
d’entretiens (individuels ou collectifs) réalisés auprès des membres de
l’organisation. Toutefois, cette évaluation n’a de sens que si le leader sou-
haite améliorer les performances de l’organisation, ce qui n’est pas évident
lorsque le leader reste trop attaché aux valeurs du fondateur. Dans ce cas,
une crise mettant en cause la survie de l’organsation peut amener le leader
à engager un processus de changement de culture.
L’approche de la culture organisationnelle proposée par Edgar Schein
soulève quelques interrogations de la part d’autres auteurs. Par exemple,
Amblard et al. questionnent l’ancrage fonctionnaliste11 de la définition
(Amblard et al., 1996). Pour ces auteurs, Edgar Schein définit la culture
9. Selon Edgar Schein (2004), les sous-groupes, qui partagent suffisamment d’expériences, sont en
mesure de créer des sous-cultures avec leur propre langage, code vestimentaire, etc. Les processus de
dédifférenciation culturelle sont liés à la fonction occupée, la dispersion géographique, aux produits, aux
marchés, à la divisionnalisation et à la différenciation hiérarchique (Schein, 204 ; 274). Ils peuvent
également être le résultat de l’arrivée de nouvelles personnes avec de nouvelles croyances.
10. Edgard Schein propose d’inscrire ce processus dans une démarche de recherche-action (présentée en
partie 3 de ce chapitre).
11. L’approche « fonctionnaliste » présente la culture organisationnelle comme un ensemble de modes
d’action et de penser, construit dans une situation de travail. Elle se distingue d’une approche dite
« culturaliste », qui présente la culture comme un « système de valeurs d’une société constituant un
ensemble original et cohérent caractérisé par certaines valeurs dominantes formant un ensemble. Ces
valeurs influencent la personnalité des individus, donnent un style de vie et un modèle de comportement
à l’intérieur d’un pays. » (Amblard et al., 1996 : 53).
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ainsi trois communautés professionnelles agissant au sein des organisa-
tions : les opérateurs, les ingénieurs et les dirigeants (cf. Encadré 2).
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Une autre interrogation soulevée par l’approche de la culture organisa-
tionnelle proposée par Edgar Schein concerne l’idée d’un phénomène en
évolution. En effet, pour Edgar Schein la culture résulte d’un processus
d’apprentissage en situation de résolution de problème. Or, comme le
souligne Argyris (Argyris, 1995), les individus développent et renforcent
des routines défensives lorsqu’ils doivent faire face à de multiples pro-
blèmes. Ces routines font obstacle à l’apprentissage aussi bien au niveau
des individus que de l’organisation. À ce niveau, Edgar Schein reconnaît
que les postulats de base évoluent selon deux ensembles de situations
d’apprentissage (Schein, 1987c) : des situations concrètes de résolution de
problème (où les individus testent l’effet positif ou négatif d’une solution
à un problème donné et conserve cette solution tant qu’elle produit des
effets positifs) ; et des situations de résolution de problème où la solution
retenue permet avant tout de réduire ou de surmonter l’anxiété liée à la
situation elle-même. Dans le premier cas la solution peut être abandonnée
si elle ne produit pas d’effets positifs. Dans le second cas, dans la mesure
où la solution permet de réduire l’anxiété, elle sera répétée indéfiniment
même si la cause originale de l’anxiété n’agit plus. Ainsi, pour Edgar
Schein, il est évident que les postulats issus de la seconde situation d’ap-
prentissage sont plus stables que ceux issus de la première, et donc plus
difficile à faire évoluer.
Pour surmonter ces obstacles à l’apprentissage Edgar Schein développe
une démarche d’intervention facilitant la prise de conscience, par les
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de l’organisation (Schein, 1996b) (cf. Encadré 2).
Ces trois communautés sont en conflits d’intérêt au sein de l’organisa-
tion : les top-managers sont à la recherche de profit à court terme ; les
ingénieurs remplaceraient bien volontiers les hommes par des machines et
des routines ; et les opérateurs sont les cibles privilégiées des plans de
changement des top-managers. Ainsi, au sein des organisations, la com-
munauté des top-managers à tendance à se rapprocher de celle des ingé-
nieurs : ces deux communautés considèrent, en effet, que l’augmentation
des capacités d’apprentissage des individus (les opérateurs en l’occurrence)
nécessite beaucoup de temps et d’argent, pour un retour sur investisse-
ment parfois incertain. Compte tenu de ce rapprochement, il n’est donc
pas étonnant que les résultats des recherches sur l’importance des groupes
de travail, de la collaboration entre individus, de l’implication, etc. restent
sans échos. Il faudrait être en mesure d’intégrer les points de vue des trois
communautés professionnelles afin de développer l’apprentissage (Schein,
1996). Toutefois, Edgar Schein reconnaît qu’il existe, à l’heure actuelle,
peu d’organisations qui ont réussi cette évolution culturelle.
Pour conclure il est à noter qu’Edgar Schein – dans sa dernière version
de Organizational Culture and Leadership – s’est penché sur le problème
de la « culture de l’apprentissage » (Schein, 2004 ; 394). En effet, il pense
que dans un contexte mondial turbulent et imprévisible, la flexibilité et
13. Dans la mesure où celui-ci se sent temporairement incompétent (Quick et Kets de Vries, 2000).
Edgar H. Schein 467
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La mise en place d’une telle culture repose sur un leader en mesure de
développer ses propres capacités d’apprentissage, de porter les fondements
de la culture de l’apprentissage et de valoriser les personnes dont les com-
portements s’inscrivent dans ces fondements. Mais la culture de l’appren-
tissage ne peut être imposée aux acteurs de l’organisation. Ils doivent être
impliqués et participer au diagnostic culturel et à l’élaboration de la nou-
velle culture.
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pation favorise le transfert de compétences du chercheur vers le client17.
Dès lors, le chercheur s’engage auprès du client à lui transmettre ses
connaissances et compétences en matière d’analyse de la situation.
Ainsi, le contrat psychologique permet au chercheur de devenir
membre du système (de l’organisation étudiée) pour apprendre et mieux
comprendre ou analyser la nature du système (Schein, 1987a). Le cher-
cheur, en devenant « membre » de l’organisation, peut lui-même la faire
évoluer, ce qui constitue une différence majeure avec la démarche de l’eth-
nographie (cf. encadré 3).
Une fois le processus de recherche engagé, l’ethnographe collecte des données afin de
comprendre la culture à laquelle il s’intéresse – la plupart du temps pour des raisons
intellectuelles ou scientifiques. Les membres du groupe qu’il étudie sont amenés à
participer, sans pour autant intervenir ou s’intéresser à l’étude elle-même. À l’inverse,
dans l’approche « clinique », les membres de l’organisation sont des « clients » directe-
ment impliqués et motivés par l’intervention, dont l’initiative leur revient directement.
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Les interventions d’Edgar Schein commencent par des sessions de demi-
journées au cours desquelles il essaye de mettre en évidence les artefacts
culturels (codes vestimentaires, langages, etc.). Ensuite, Edgar Schein
cherche à identifier les valeurs partagées en demandant aux personnes
d’expliquer les raisons des artéfacts culturels. Enfin, en s’intéressant par
exemple aux inconsistances entre artéfacts et valeurs, il tente de capturer les
postulats sous-jacents. En rassemblant l’ensemble de ces données, le cher-
cheur et les membres de l’organisation examinent ensemble les postulats qui
peuvent les aider, ou au contraire les empêcher de faire progresser l’organi-
sation. Si Edgar Schein reconnaît que les réponses à ces interrogations
peuvent parfois être superficielles, il estime que le contrat psychologique
liant le chercheur à l’organisation doit permettre de se prémunir d’un tel
risque. Ainsi, le seul fait de rémunérer l’intervention du chercheur est un
argument pour obtenir des réponses ouvertes et profondes (Schein, 1987a).
La nature de la relation entre chercheur et objet de l’étude a également
des répercussions sur les résultats attendus de l’intervention du chercheur.
En effet, l’interaction entre le chercheur et l’objet repose sur l’idée forte que
pour comprendre un système complexe il est nécessaire de tenter de le faire
évoluer (Lewin, 1951 cité par Argyris, 1995). Le résultat attendu est alors
l’évolution du phénomène étudié, donc pour Edgar Schein, la culture orga-
nisationnelle. Cependant certains auteurs estiment que la démarche de
recherche « clinique » ne permet pas toujours d’obtenir un tel résultat, car
elle fait peu état des mécanismes de défenses mis en place par les individus
(Argyris, 1995). Or ces mécanismes visent à conserver les choses telles
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estime que le chercheur doit être direct, dès le départ, à propos de ses inten-
tions et provoquer le débat pour identifier la communication défensive des
managers.
Conclusion
Aujourd’hui l’apport réel des concepts de « contrat psychologique » et
« d’ancrage professionnel » est indéniable. Ils sont mobilisés à de nom-
breuses occasions, au sein d’études, ou de recherches portant sur la moti-
vation et la gestion des carrières. Ils sont d’une très grande utilité pour les
managers qui cherchent à mieux comprendre et à améliorer les relations
qu’ils entretiennent avec leurs collaborateurs. Ils ont fortement contribué
à l’avancée des travaux en psychologie (Kets de Vries, 2000) en défendant
une approche par l’organisation.
Il en est de même pour le concept de culture organisationnelle proposé
par Edgar Schein. En effet, Edgar Schein nous fournit des éléments d’ana-
lyse qui nous permettent de mieux comprendre la culture et ses répercus-
sions sur le fonctionnement des entreprises. L’image d’un leaders jouant
un rôle essentiel dans la gestion et l’évolution de la culture interne a été
très largement reprise et approfondie par des chercheurs travaillant sur les
phénomènes de prise de contrôle, de fusion et d’acquisition, etc. (ces der-
niers l’influence de la culture d’entreprise sur les risques d’échec ou de
succès de telles opérations).
Edgar H. Schein 471
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Sciences », Administrative Science Quaterly, vol. 41, p. 229-240.
Schein, E.H. (2006), Career Anchors, 3e édition, Pfeiffer Éditions.
Véronique Perret
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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moyen de lutte contre l’anxiété
à la Requisite Organization
Véronique Perret
474 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
Le 17 mars 2003, dans son article consacré à Elliott Jaques, le New York
Times titrait : « Elliott Jaques, 86 ans, le scientifique qui inventa “la crise de
la quarantaine”, est mort ». Décédé le 8 mars 2003 à Gloucester dans le
Massachussetts, Elliott Jaques a achevé sa carrière en tant que Professeur
visitant à l’Université George Washington. Les nécrologies qui lui ont été
consacrées évoquent ses activités de psychanalyste, de spécialiste des
sciences sociales et son rôle influent en tant que consultant en gestion. Son
long parcours professionnel le conduit en effet à exercer de nombreuses
activités parmi lesquelles celle de chercheur au sein de diverses institutions
comme le Tavistock Institut de Londres (1946-1951) dont il fut l’un des
membres fondateurs ; celle de consultant notamment au sein de la Glacier
Metal Company (à partir de 1948), une entreprise anglaise de mécanique,
avec laquelle il collaborera pendant plus de 30 ans1. Jaques exercera égale-
ment l’activité de médecin psychiatre au cours de la seconde guerre mon-
diale (1941-1945), en particulier dans l’armée canadienne, son pays d’ori-
gine où il naît en 1917 à Toronto. Il complètera sa formation en suivant
une analyse avec Mélanie Klein qui aura beaucoup d’influence sur ses
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futurs travaux et en obtenant la qualification de psychanalyste par la
British Psychoanalytical Society en 1951. Son ouvrage de 1951, The
Changing Culture of a Factory, sera accepté comme thèse de doctorat à
Harvard dans le domaine des relations sociales en 1952. En 1965 il est
nommé professeur de sciences sociales à l’Université Brunel de Londres,
au sein de laquelle il sera directeur de l’Institute of Organization and
Social Studies de 1970 à 1985.
La recherche intervention, menée au départ en tant que membre du
Tavistock Institut puis ensuite en tant que consultant indépendant, au
sein de la Glacier Metal sera le laboratoire d’Elliott Jaques. Il y élaborera
une méthode d’analyse et d’intervention, la socio-analyse (1.) ; il y pro-
duira ses principales observations et analyses d’influence psychanalytique
sur le fonctionnement des groupes et les résistances au changement (2.).
La Glacier Metal Company sera enfin à la source de la théorie générale sur
le comportement humain et organisationnel que Jaques propose et qu’il
situe lui-même, de manière un peu provocante, comme la seule théorie
prédictive produite à ce jour dans le champ du management (3.).
Sans être disjointes, car reposant sur le support commun de la Glacier
Metal, on peut aisément repérer deux phases distinctes dans le parcours de
recherche d’Elliott Jaques. La transition entre ces deux périodes sera assez
brutale, marquée par la rupture institutionnelle avec le Tavistock Institute
1. Cette collaboration donnera naissance à de nombreuses publications. Une dizaine d’ouvrages et une
trentaine d’articles composent la bibliographie du « Glacier Project ». La plupart des ouvrages d’Elliott
Jaques utilisent comme base empirique les analyses issues de ses interventions.
Elliott Jaques 475
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générale et universelle de « la bonne organisation » : une organisation qui
permet à la fois l’efficacité de l’entreprise et l’épanouissement de l’indivi-
du. Elliott Jaques s’appuie sur les résultats issus de son expérience à la
Glacier Metal Company, il les complète par de larges études par question-
naires dans de nombreux pays et par son expérience en tant que consultant
auprès de diverses firmes. Ces travaux, académiquement controversés,
jouissent d’un large écho dans l’univers du conseil et auprès des respon-
sables d’entreprises. L’ouvrage le plus populaire de cette période est sûre-
ment Requisite Organization de 1988. Il synthétise l’ensemble des conclu-
sions et préconisations d’Elliott Jaques en matière de « bonne organisa-
tion ». La troisième partie de ce chapitre sera consacrée aux principaux
résultats que Jaques considère comme l’aboutissement de sa démarche de
recherche sur les organisations.
1.1. La socio-analyse…
Elliott Jaques est considéré comme l’initiateur de l’application de la
psychanalyse aux organisations. Son approche, qu’il qualifie d’abord de
collaborative approach, puis à partir de 1964 de social analysis, se positionne
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ated a paradoxical stance regarding social control and social change. He sug-
gests that on the one hand, action research utilizes what Foucault described as
“dividing practices” in that a new form of “examination”, administered
through the consultant as the authority figure had been developed. Therefore,
far from being liberationary, action research has been promoting more effective
forms of organizational control. On the other hand, he argues that the main
contribution of action research can be seen to “open up and facilitate spaces
within which alternative social and organizational paradigms “could be nur-
tured” » (Cassell et Johnson, 2006 : 785).
Les principes de la socio-analyse, tels qu’énoncés par Jaques (1947),
sont cependant clairement empreints de ce souci anti-technocratique.
Pour lui l’approche technocratique tend à empêcher chez le « système-
client » le développement de nouveaux rôles qui lui permettraient de faire
face lui-même à ses problèmes. L’intervenant entretient ainsi une dépen-
dance continue à son égard, sans possibilité d’émancipation. La voie que
propose Jaques est l’acquisition par les membres de l’organisation de
connaissances sur son fonctionnement et des techniques leur permettant
de faire face de façon adéquate à leurs propres problèmes. Jaques insiste
également sur le fait que les consultants doivent offrir leurs analyses à ceux
qui en font la demande mais ne font aucune recommandation et ne s’ar-
rogent jamais la responsabilité des personnes de l’organisation qui ont
initié l’étude.
Elliott Jaques 477
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tissage au niveau d’un petit groupe.
3. La réalisation du projet : prise en charge par l’organisation elle-
même des techniques et du processus thérapeutique.
2. Le terme de perlaboration est conventionnellement choisi pour traduire Working through (littérale-
ment : travail au travers de) et se réfère au processus d’élucidation progressive dans la cure psychanaly-
tique.
478 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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s’attaquer aux problèmes ressentis comme douloureux) en se fondant sur des faits con-
nus des intéressés. L’acte essentiel de l’analyste tient dans le fait de saisir les opportuni-
tés d’éclairer, dans la situation spécifique, la signification des sentiments (crainte, cul-
pabilité, suspicion…) qui constituent l’arrière-fond désagréable des anxiétés présentes.
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mais également par leurs multiples fonctions non reconnues, au niveau
fantasmatique » (Jaques, 1955, 1968 : 549).
La vie de l’entreprise peut ainsi être saisie par l’interaction constante de
la structure, de la culture et des personnalités et des changements dans une
de ces dimensions nécessitent des changements dans les autres dimen-
sions.
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Jaques utilise le concept d’anxiété psychotique pour expliquer ce qui
amène les individus dans les organisations et ce qui fonde les mécanismes
inconscients de résistances au changement. Selon Jaques (1955) la défense
contre l’anxiété paranoïde (sentiment inconscient affectant celui qui reçoit
les ordres) et l’anxiété dépressive (sentiment inconscient affectant le com-
portement de celui qui donne les ordres) est l’une des principales forces
dynamiques amenant les individus dans les institutions. Réciproquement,
toutes les institutions sont utilisées inconsciemment par leurs membres
comme mécanismes de défense contre ces anxiétés psychotiques. Par des
mécanismes psychiques comme le clivage (séparation du bien et du mal
ressentis en soi), de la projection (attribution à autrui de désirs ou de sen-
timents qu’on refuse en soi), d’introjection (passage en dedans de soi des
qualités d’autrui), d’idéalisation ou d’identification, l’individu renforce
son système de défense contre l’angoisse et l’organisation est un terrain
propice à l’expression de ces mécanismes. Pour Jaques, beaucoup de pro-
blèmes sociaux pourraient devenir plus compréhensibles si « l’on s’aperçoit
qu’ils recèlent des tentatives, dont les motivations sont inconscientes, de
la part des êtres humains pour se défendre contre l’expérience d’anxiétés
dont ils ne pourraient pas consciemment contrôler les sources » (Jaques,
1955, 1968 : 547).
À l’aide d’une étude de cas, Jaques (1951, 1955) fait l’examen détaillé
et complet des systèmes sociaux fantasmatiques en tant que mécanismes
de défense pour l’individu et également en tant que mécanismes permet-
tant au groupe de poursuivre ses tâches objectives (Encadré 2).
Elliott Jaques 481
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vaient accorder à la direction pour mettre en œuvre et pour gérer ce changement de
manière équitable. Les ouvriers montraient également une attitude ambivalente vis-à-
vis de leurs représentants. Ils leur faisaient confiance pour continuer à mener les négo-
ciations avec la direction ; mais, en même temps, ils les suspectaient d’être des hommes
de paille de celle-ci. Les relations de travail au jour le jour, entre contremaîtres et
ouvriers ne reflétaient cependant pas ces tensions. Le travail en atelier était accompli
dans un bon climat et les ouvriers ressentaient les contremaîtres comme faisant leur
possible pour eux. Le comité s’est réuni pendant 7 mois sans pouvoir s’acheminer vers
une décision : les discussions s’enlisaient sans autre cause visible que la suspicion des
ouvriers vis-à-vis de la direction, compensée par l’idéalisation des ouvriers par celle-ci.
Cette suspicion et cette idéalisation deviennent compréhensibles si l’on fait les hypo-
thèses suivantes sur les attitudes inconscientes au niveau fantasmatique : les ouvriers
établissaient un clivage des membres de la direction en bons et en mauvais : les bons
étant ceux avec qui ils travaillaient ; et les mauvais, étant les mêmes dans la situation
de négociation. Inconsciemment, les ouvriers avaient projeté leurs pulsions hostiles
destructrices dans leurs représentants élus. De cette façon, les représentants pouvaient
détourner ces pulsions contre les mauvais « patrons », avec qui les négociations conti-
nuaient, tandis que bons objets et pulsions bonnes pouvaient être placés dans la per-
sonne réelle des chefs dans la situation quotidienne de travail. Ce clivage de la direction
en bons et mauvais servait deux fins. Au niveau de la réalité, cela permettait le maintien
de bonnes relations nécessaires à l’accomplissement des tâches du département. Au
niveau fantasmatique, cela fournissait un système de relations sociales renforçant les
défenses individuelles contre l’anxiété paranoïde et dépressive. Ainsi, les attitudes
inconscientes, paranoïdes chez les ouvriers, idéalisantes et apaisantes chez la direction,
étaient complémentaires et se renforçaient réciproquement. Plus les représentants des
ouvriers attaquaient la direction, plus celle-ci les idéalisait pour les apaiser. Plus la
direction faisait des concessions, plus les ouvriers ressentaient de la culpabilité et la
482 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
crainte d’anxiété dépressive et plus donc ils se repliaient vers des attitudes paranoïdes
comme moyen d’éviter l’anxiété dépressive. De cette façon, les anxiétés furent élimi-
nées de la situation quotidienne de travail ; ceci permettait d’effectuer de façon efficace
les tâches objectives et d’assurer de bonnes relations de travail.
Adapté de Jaques (1955, 1968 : 555-561).
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sous-jacentes aux défenses sociales, qui déterminent les relations sociales
fantasmatiques » (Jaques, 1955, 1968 : 564).
Un travail récent actualise les ressorts des dynamiques psycho-organi-
sationnelles étudiés par Jaques dans les années cinquante. Partant d’une
interrogation sur son parcours professionnel comme salariée chez
McDonald’s, présentée comme une entreprise offrant à ses employés des
conditions de travail et un contenu d’activité particulièrement contrai-
gnants et peu épanouissants, la thèse de Weber (2005), mobilise les tra-
vaux de Jaques pour analyser les correspondances psycho-organisation-
nelles à la source de la profonde adhésion d’une proportion non négli-
geable d’employés de cette entreprise.
Les travaux exposés ici font de Jaques un pionnier de l’analyse psycha-
nalytique de l’organisation. Ses résultats lui permettent d’éclairer de
manière originale les phénomènes de résistances au changement et d’avan-
cer des éléments théoriques majeurs sur le fonctionnement des groupes.
Lors de son intervention à la Glacier Metal, Jaques a également été amené
à prendre en compte les problèmes d’organisation et de structure de l’en-
treprise. Sa recherche des conditions générales d’un bon fonctionnement
organisationnel va le conduire à abandonner son orientation analytique
pour s’orienter vers des travaux de nature plus normative et prescriptive, à
la recherche du modèle idéal d’organisation.
Elliott Jaques 483
3. REQUISITE ORGANIZATION
À s’en tenir à ses déclarations, Jaques serait parvenu à ce que d’autres,
avant lui, espéraient avoir atteint : établir les principes et les modalités de
l’organisation idéale. Dans une conférence donnée au MIT Jaques déclarait
« Le management est au même stade aujourd’hui que les sciences naturelles
l’étaient au XVIIe siècle : l’alchimie était considérée comme crédible, la
saignée était un traitement jugé efficace et les barbiers effectuaient les prin-
cipales opérations chirurgicales. Aujourd’hui il n’y a aucun concept dans le
champ du management sur lequel on puisse bâtir une théorie testable ».
Jaques poursuit en affirmant « moi, et moi seul, dispose aujourd’hui de
cette théorie testable en management »3. Cette théorie s’affiche sous le label
de « Requisite Organization » (RO)4, modèle que toute entreprise doit
adopter si elle est soucieuse à la fois de l’efficacité de sa structure et du bien-
être psychologique de ses membres. Les principes de la RO sont sous-ten-
dus par des lois naturelles et universelles et peuvent donc être appliqués à
toutes les organisations, toutes les relations sociales et tous les individus.
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Les éléments qui sous-tendent l’élaboration de cette théorie permettent à
Jaques de faire des préconisations très précises, en particulier en matière de
responsabilité et d’autorité, de rémunération et de structure hiérarchique.
Les principes de la RO, sur lesquels Jaques appuiera son activité de
consultant, reposent sur une démarcation claire des différents niveaux
d’autorité et de responsabilité et l’assurance que les individus à chaque
niveau de l’organisation sont cognitivement aptes à occuper ce niveau.
Cette organisation « nécessaire » repose sur le concept central de « période
d’autonomie »5. La période d’autonomie permet d’établir la structure
idéale, de mettre en place un système de rémunération équitable et de
répondre pleinement aux besoins des individus en leur permettant d’ex-
ploiter au mieux leur capacité potentielle.
d’initiative sur un travail désigné par son supérieur sans que ce dernier soit
amené à contrôler l’usage qu’il fait de sa liberté d’action (Jaques, 1964b).
Ainsi, le travail peut se définir comme l’exercice d’une autonomie et l’ap-
plication d’un savoir dans des limites prescrites permettant d’atteindre un
but dans un temps donné. La période d’autonomie devient donc un outil
de mesure objectif qui permet d’évaluer le niveau de travail et la taille de
n’importe quel poste dans l’organisation. Cette méthode se distingue des
techniques de « job evaluation » de l’époque, qui mettaient en place une
batterie de critères jugés pléthoriques et subjectifs et qui se révélaient sou-
vent inefficaces dans la capacité à évaluer les postes. La période d’autono-
mie identifie l’horizon temporel de chaque poste sur une échelle de 1 à 7
et ce quelle que soit l’organisation. Sur cette base Jaques soutiendra l’idée
que les organisations, aussi complexes soient-elles, peuvent concevoir une
structure hiérarchique idéale basée sur la différenciation des périodes
d’autonomie (cf. tableau 1).
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hiérarchique
Jaques fait un lien essentiel entre période d’autonomie et responsabilité
hiérarchique.
« Plus long est le temps durant lequel la personne dispose d’une auto-
nomie sans que ses résultats soient évalués, plus grand est l’effort psycho-
logique requis pour le travail. Plus long sera le temps durant lequel la
personne doit supporter l’incertitude et néanmoins continuer son travail,
plus grande est la responsabilité. Plus long est le temps durant lequel
l’organisation laisse exercer l’autonomie d’un individu, prendre des déci-
sions et allouer des ressources, plus grande est la confiance envers cette
personne et la responsabilité qui lui est confiée » (Jaques, 1964b, 1965 :
127).
Sur la base de ces liens simples, Jaques en conclut que la structure
d’encadrement doit se conformer à un modèle dans lequel les niveaux
hiérarchiques se répartissent en fonction de la période d’autonomie de
chaque poste. La mesure de la période d’autonomie permet également
d’instituer un système de rémunération équitable.
Elliott Jaques 485
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résume les liens qui relient les trois notions qui fondent selon Jaques les
principes de la RO.
6. Le premier chiffre exprime la rémunération équitable en fonction d’un coefficient par rapport à
l’indice des salaires. Le chiffre entre parenthèse donne l’exemple de la rémunération équitable annuelle
obtenue selon ce principe. Cette rémunération est exprimée en £ par rapport à l’indice mensuel des
salaires en 1964 en Grande-Bretagne qui s’élevait à 137,4 £.
486 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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En réponse à ces critiques, mais également à la suite des nombreux
scandales qui ont porté en particulier sur les comportements des diri-
geants7, Jaques exhorte à une vision éthique des relations d’emploi et du
management (Jaques, 2002). Il rejette une vision des employés comme des
« ressources humaines », défendant l’idée que les dirigeants ont une « res-
ponsabilité sacrée » de fournir des dispositifs organisationnels basés sur la
confiance plutôt que sur la crainte (Jaques, 2002).
Conclusion
Si Jaques peut être considéré comme le pionnier de l’application de la
psychanalyse à l’organisation et un des fondateurs des méthodes d’inter-
vention sociologiques (Dubost, 2006), son parcours le conduit peu à peu
à abandonner la démarche de la socio-analyse et à s’écarter de l’approche
psychanalytique de l’organisation adoptée au départ. Cette approche, qui
conduit plus souvent à souligner les difficultés et à mettre en évidence les
causes des dysfonctionnements organisationnels grâce à l’analyse appro-
fondie d’un contexte particulier, ne lui permettait pas de formuler les
principes universels de la Requisite Organization. On peut partager avec
Amado (1995 : 356) le sentiment qu’en « rejetant ce qu’il appelle “l’im-
passe organisationnelle des construits et observations psychanalytiques”, et
7. Jaques fait en particulier référence aux scandales d’Enron et d’Arthur Andersen qui ont suscité un
regain d’intérêt pour l’enseignement de l’éthique des affaires (Jaques, 2003).
Elliott Jaques 487
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On note aujourd’hui un certain regain d’intérêt pour ses travaux
(numéro spécial de la revue International Journal of Applied Psychoanalytic
Studies, 2005) et la multiplication de recherches qui visent à appliquer les
différentes propositions de son modèle de Requisite Organization (Carraher
et Carraher, 2005 ; McMorland, 2005). La pratique de nombreux consul-
tants s’inspire largement du modèle de Jaques et la première conférence
RO s’est tenue en décembre 2004 à l’Université Deakin de Melbourne.
Dans le champ académique, Craddock (2002) recense une importante
bibliographie de recherches, comprenant en particulier 53 thèses de doc-
torat, qui cherchent à valider les résultats des travaux d’Eliott Jaques.
© EMS Editions | Téléchargé le 06/08/2020 sur www.cairn.info via Université Yaoundé 2 (IP: 154.126.184.31)
Research and Treatment », Consulting Psychology Journal : Practice and
Research, vol. 3, n° 2, p. 67-75.
Jaques, E. (2002), Social Power and the CEO : Leadership and Trust in a sustain-
able free enterprise system, Connecticut : Quorum Books.
Jaques, E. (2003), « Ethics for Management », Management Communication
Quarterly, vol. 17, n° 1, p. 136-142.
Jaques, E. et Clement, S. (1991), Executive Leadership : A Practical Guide to
Managing Complexity, Cason Hall Publishers.
Jaques, E. and Cason, K. (1994), Human Capability : A Study of Individual
Potential and its Application, Cason Hall Publishers.
© EMS Editions | Téléchargé le 06/08/2020 sur www.cairn.info via Université Yaoundé 2 (IP: 154.126.184.31)
XXXI. MANFRED F.R. KETS DE VRIES – LEADERSHIP ET NÉVROSES
ORGANISATIONNELLES
Véronique Perret
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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Véronique Perret
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Manfred F.R. Kets De Vries 491
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partir de 1985 une charge de professeur clinique de management et de
leadership à l’INSEAD, institution au sein de laquelle il est aujourd’hui
professeur émerite de la chaire Raoul de Vitry d’Avaucourt. Il fonde et
dirige à partir de 2003 l’Insead Global Leadership Center. Ce centre se
consacre à la recherche cross-culturelle, au partage d’expertises et de pra-
tiques en matière d’approche clinique du leadership à l’échelle globale et
au développement d’outils de management des ressources humaines (Kets
de Vries, 2005a). Il est également le fondateur du cabinet de conseil
Manfred Kets de Vries Institute (KDVI) spécialisé dans le coaching et le
développement organisationnel et qui est aujourd’hui dirigé par sa fille
Oriane Kets de Vries.
Manfred Kets de Vries est l’auteur et co-auteur de plus de 30 d’ou-
vrages, plus de 350 chapitres d’ouvrages et articles publiés dans différentes
revues de management, de psychologie clinique et de psychanalyse, ainsi
que de nombreux cas pédagogiques1. Ses travaux, traduit dans 31 langues
connaissent une renommée mondiale y compris en dehors de la sphère
académique. Des journaux comme le Financial Times ou The Economist
ont classé Manfred Kets de Vries dans le Top 50 des penseurs en manage-
ment et parmi les contributeurs les plus influents dans le domaine de la
gestion des ressources humaines. Récipiendaire de nombreuses récom-
penses et distinctions, Manfred Kets de Vries a reçu en 2016 un Life
Achievement Award et a été désigné par l’International Leadership
1. Une bibliographie complète des travaux de Manfred Kets de Vries est disponible à l’adresse suivante :
http://www.ketsdevries.com/ (consulté en janvier 2017).
492 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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chanalyse. Ses travaux s’inscrivent dans la tradition de recherche du
Tavistock Institute of Human Relations qui pratique, depuis les années
quarante, une recherche systématique sur les institutions et les organisa-
tions et qui met en évidence la répétition de la problématique psychana-
lytique. Ces travaux revisitent, au moyen de concepts analytiques comme
l’imaginaire, l’angoisse ou le narcissisme, des questions comme celles de la
constitution du lien social, de la motivation, du pouvoir, du leadership,
des conflits, du changement organisationnel ou encore de l’identité au
travail. Pour Grosvernier (2004) l’intérêt des travaux de Manfred Kets de
Vries tient à la fécondité de la psychanalyse qui ne s’arrête donc pas à la
connaissance du psychisme individuel. Elle est également un support pré-
cieux dans l’approche des collectifs organisés, notamment des entreprises
en ce qu’elle fournit les clés d’une compréhension approfondie de la dyna-
mique humaine des organisations et des repères méthodologiques pour
analyser et structurer des démarches d’intervention, en dépassant un cer-
tain réductionnisme comportementaliste.
Manfred F.R. Kets De Vries 493
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avoir tel comportement. » (Kets de Vries, 1995 : 13).
Ainsi, l’individu n’est pas réductible aux intérêts qu’il défend, il a éga-
lement des émotions, des comportements inconscients et des affects et ces
dimensions font partie intégrante de la vie de l’organisation. L’organisation
n’a donc pas seulement une activité économique, une vie sociale et poli-
tique basée sur ses systèmes d’actions concrets, elle a aussi une vie psy-
chique, une dimension inconsciente. Reprenant l’image de la main invi-
sible d’Adam Smith, Manfred Kets de Vries fait le postulat que les organi-
sations sont influencées par d’« invisibles » forces psychiques qui sont déjà
présentes depuis longtemps mais pourtant ignorées d’ordinaire.
L’objectif visé par ses recherches est alors de « ramener l’homme dans
l’organisation » en s’intéressant aux racines humaines (et en particulier aux
racines psychiques) de ce phénomène complexe qu’est l’organisation. Pour
cela il utilise une approche méthodologique de nature qualitative s’ap-
puyant en grande partie sur la démarche psychanalytique, pour fournir
une analyse en profondeur de ce qui motive les hommes et du fonction-
nement des organisations.
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En utilisant la méthode clinique de la psychanalyse, Manfred Kets de
Vries se distingue d’autres recherches sur le comportement humain qui
abordent le travail managérial sous un angle plus comportemental (plus
« objectif »). Dans cette dernière forme d’« extrospection », le comporte-
ment du sujet est considéré comme une donnée en soi, on ne fait aucune-
ment recours ni référence à l’expérience passée de l’observateur. En
revanche, dans le cas d’une observation empathique, introspective, comme
l’orientation psychanalytique, le comportement du sujet est apprécié en
fonction de la manière dont l’observateur ressentirait, penserait et réagirait
dans la même situation. L’introspection est ainsi utilisée comme un outil
supplémentaire d’enquête et d’analyse où l’interprétation des réactions de
transfert et contre-transfert joue un rôle majeur. L’observateur intègre et
utilise ses propres réactions de contre-transfert pour formuler des conjec-
tures (Kets de Vries, 1996a).
La démarche de recherche s’inscrit dans la tradition des méthodes qua-
litatives d’études de cas visant à faire émerger des théories enracinées
(Glaser et Strauss, 1967 ; Geertz, 1973, Kets de Vries et Miller, 1987b),
ici grâce à des inférences de nature psychanalytique.
En appliquant les cadres théoriques de la psychanalyse et de la psychia-
trie aux cas empiriques issus du monde des affaires, la plupart des travaux
de Manfred Kets de Vries proposent des archétypes, des schèmes d’analyse,
visant à éclairer certains types de comportements humains et organisation-
nels (Kets de Vries, 2004). Ses résultats revendiquent un statut compré-
hensif en proposant une description aussi riche et réaliste que possible des
Manfred F.R. Kets De Vries 495
processus mentaux des cadres et des dirigeants afin de les relier aux divers
aspects de l’organisation (stratégie, structure, processus de groupe, com-
mandement…). Par une description qu’il veut à la fois plus fine et plus
englobante que d’autres approches psychologiques de l’organisation3,
Manfred Kets de Vries cherche à prendre en compte les différences indivi-
duelles (en termes de personnalité, d’entourage, de circonstance…) des
états psychologiques et des comportements des dirigeants afin de pouvoir
éclairer les problèmes de l’organisation. Les résultats de ses recherches ont
également fréquemment une visée prescriptive et sont présentés comme
des aides au diagnostic et à la résolution de problèmes. La justification de
la valeur normative des différents modèles et cadres d’analyse proposés
tient au fait que les principaux résultats sont développés dans le cadre
d’interventions, qu’ils reflètent l’expérience de l’analyste et/ou du consul-
tant, qu’ils ont autorisé des diagnostics plus précis et plus rapides, qu’ils
ont été des aides pour résoudre les difficultés rencontrées.
2.
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L’ORGANISATION MALADE DES NÉVROSES
DE SON LEADER
En ancrant principalement ses travaux sur la psychologie du leader, en
cherchant à expliquer la nature des échanges psychologiques entre meneur
et menés, en analysant comment les processus psychodynamiques opèrent
au sein des organisations, Manfred Kets de Vries propose une analyse origi-
nale, de nature psychanalytique, des dysfonctionnements organisationnels.
3. Kets de Vries et Miller (1985 : 2 et suivantes) positionnent et distinguent leur travail par rapport à
trois autres courants qui ont abordé les problèmes psychologiques dans les organisations. Tout d’abord
l’école des relations humaines qui se soucie avant tout des travailleurs et fort peu des cadres et des diri-
geants, qui ne s’interroge guère sur la genèse des besoins humains et qui ne parvient pas à prendre en
compte les différences individuelles. Ensuite l’école de la caractérologie qui analyse divers traits de carac-
tère chez les dirigeants mais qui souffre d’un excès de simplification car ces recherches se contentent en
général de caractériser les sujets par un trait ou une dimension psychologique élémentaire. Enfin, l’école
des « contraintes cognitives » qui s’intéresse aux blocages psychologiques qui affectent les individus au
sein d’une organisation mais qui ignore les différences individuelles, différences que Kets de Vries et
Miller jugent pourtant cruciales si l’on prétend comprendre la genèse des dérèglements dans les organi-
sations.
496 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
2.1. Le leader
Centré pour l’essentiel sur le leader et le cadre dirigeant4 les travaux de
Manfred Kets de Vries s’interrogent sur les particularités du parcours, sur
les spécificités de la personnalité et sur les difficultés de la tâche de ces
individus qui détiennent un pouvoir important et sont donc en mesure
d’influencer grandement le devenir de l’organisation.
Un premier cadre d’analyse du parcours du dirigeant est celui du cycle
de vie professionnel qui propose d’étudier les incitations et perspectives
qui se présentent dans le travail et l’entourage familial de celui-ci à mesure
qu’il franchit les différentes étapes du cycle de vie. Kets de Vries et Miller
(1985) définissent, en puisant dans la littérature psychiatrique, psychana-
lytique et sociologique, 5 étapes dans le cycle de vie professionnel :
1. Choc de la réalité, 2. Socialisation et maturation, 3. Crise du milieu de
carrière, 4. Acceptation, 5. Préretraite5. Les émotions, les sentiments, les
besoins, les exigences d’accomplissement changent avec les étapes de ce
cycle de vie et modifient par conséquent les conditions de satisfaction tirée
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du travail et de l’entreprise où il s’exerce. Ces distinctions permettent de
se détourner de modèles trop simplistes qui tentent de prévoir la satisfac-
tion en se fondant sur une variable comme le niveau hiérarchique, l’édu-
cation, le sexe… Elles soulignent que les dirigeants doivent affronter des
problèmes spécifiques à chaque étape de leur cycle de vie.
Un second cadre d’analyse du leader est proposé au travers de la déter-
mination d’archétypes de la personnalité. Ces archétypes sont identifiés
grâce aux cadres d’analyse de la psychanalyse. Manfred Kets de Vries
mobilise en particulier la notion de théâtre interne, emprunté à Freud,
qu’il adapte à l’analyse de la personnalité du leader. Ainsi, le théâtre
interne d’un individu est un fantasme qui compose son image du monde,
laquelle sous-tend et finalement détermine en grande partie son compor-
tement, de sorte qu’elle en vient à influencer largement, ou même à résu-
mer, ce qu’il est convenu d’appeler le « caractère » ou la « personnalité ».
Parmi les archétypes de la personnalité du leader, Manfred Kets de Vries
accorde une place particulière aux personnalités narcissique et para-
noïaque, qui sont selon lui des traits quasiment indispensables à posséder,
au moins partiellement, pour atteindre le sommet. A contrario, les person-
nalités alexithymiques (Kets de Vries, 1995, 1999b), personnalités qui
montrent un fort détachement émotionnel et d’une grande difficulté à
4. Certaines de ses recherches se sont intéressées à des figures particulières comme celle de l’entrepreneur
(Kets de Vries 1977, 1996b) ou à des formes organisationnelles spécifiques comme celle de la firme
familiale (Kets de Vries, 1996a, c).
5. Certaines phases ont été plus particulièrement développées dans des travaux ultérieurs (Kets de Vries
1995, 1999a).
Manfred F.R. Kets De Vries 497
éprouver des sentiments, sont souvent peu enclines à occuper des postes
de pouvoir. Le travail effectué par Manfred Kets de Vries sur ces différents
styles de personnalité se veut avant tout un répertoire, un guide pratique
pour aider l’observateur à déceler dans une personnalité certains éléments
qu’on ne distingue pas au premier abord. Ses recherches le conduisent à
identifier les combinaisons de styles qui prédisposent au leadership et
celles qui font plutôt des suiveurs (Kets de Vries, 1991a). Elles l’amènent
également à mettre en évidence ce qu’il appelle la dimension F du leader-
ship et qu’il définit comme les forces et dimensions en partie inconscientes
qui conduisent le leader à l’échec. La position de leadership engendre
naturellement des fragilités, le théâtre interne de la personnalité du leader
peut venir renforcer ces fragilités. Ainsi, les situations de crise, le compor-
tement des suiveurs, les traits de personnalité du leader, la position même
de leader concourent à l’existence et la force avec laquelle peut s’exprimer
la dimension F. La dimension F s’explique par les réactions de transfert, la
solitude du pouvoir, la crainte du succès et conduit certains leaders à
« tirer la défaite des griffes de la victoire » (Kets de Vries, 1991a : 41). En
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réponse à la question qu’il soulève : Pourquoi certains leaders échouent-ils
et d’autres réussissent-ils ? Manfred Kets de Vries donne une réponse
d’ordre psychanalytique. Certains types de personnalité semblent plus à
même d’être en position de leader que d’autres, certains types de person-
nalité engendrent plus de « pathologie du pouvoir » et de conduites régres-
sives collectives que d’autres. Les grands dirigeants, les chefs véritables sont
donc dotés de qualités particulières, les unes apparentes, les autres cachées.
Ils ont assez de caractère pour ne pas céder aux forces de régressions
inconscientes que fait surgir, chez eux comme chez les autres, leur position
dominante (Kets de Vries, 1991a). Pourtant ces forces régressives s’expri-
ment parfois, se diffusant à l’organisation par des mécanismes que les
travaux de Manfred Kets de Vries se sont attachés à mettre en évidence.
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le supérieur impose à son subordonné :
• D’abord, lorsque les supérieurs contraignent leurs subordonnés au
point d’étouffer leur initiative et de gêner leur progrès, parce qu’ils
en font de simples marionnettes.
• Ensuite, si le supérieur se sert du subordonné comme d’un officiant,
d’un mandataire, qui lui fournit du frisson par procuration et exé-
cute pour son compte des missions dangereuses ou anormales.
• Enfin, dans le cas des comportements d’exclusion, le supérieur ne se
préoccupe nullement de ses employés, il les laisse sans conseils, sans
aide ni sécurité.
Ces phénomènes de contagions mentales trouvent leur source dans le
mécanisme inconscient et universel du transfert. Toujours à l’œuvre dans
une relation, le transfert contribue à donner un sens aux relations entre
personnes. Il possède parfois une puissance idéalisatrice et illusionniste
dans la mesure où il est la manifestation d’un fantasme inconscient qui
déforme les sentiments et les réactions d’un individu dans sa relation à
autrui.
« Sommairement défini, le transfert est la projection par le sujet d’un
état affectif sur une certaine personne ; plus précisément, les sentiments
que le sujet éprouve aujourd’hui à son égard, la façon dont il agit, repro-
duisent une attitude ancienne à l’endroit d’une figure importante de son
passé : c’est la tendance de chacun à interpréter son expérience à la lumière
du passé » (Kets de Vries et Miller, 1985 : 54).
Manfred F.R. Kets De Vries 499
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du chef, ou bien il renonce à la vérité du réel. L’expérience révèle que dans
la plupart des cas, les subordonnés résolvent ce conflit intérieur en cédant
à l’ultimatum psychologique, en s’identifiant à l’agresseur. Ainsi, peuvent-
ils à la fois répondre à leurs soucis propres de dépendance et détourner
l’animosité du leader. » (Kets de Vries, 1991a : 100).
La seconde conséquence fâcheuse de ce type de mécanisme est le phé-
nomène de trappe qui explique la difficulté à diagnostiquer la folie à deux.
La plupart du temps en effet, les conduites contagieuses passent pour les
conséquences ordinaires d’un style de leadership excentrique ou despo-
tique, elles sont ainsi admises et même justifiées au sein de l’organisation
ce qui les rend particulièrement résistantes au changement.
Cette forme de contagion d’une pathologie individuelle à une patholo-
gie collective (au niveau d’une relation duelle ou d’un groupe restreint)
peut ainsi s’étendre à des groupes sociaux plus larges voir à des sociétés
dans leur ensemble. C’est dans cet esprit que Manfred Kets de Vries ana-
lyse les régimes despotiques et cherche à comprendre l’existence de formes
de leadership par la terreur (Kets de Vries, 2006a). Il explore en particulier
la relation tout à fait particulière qui existe entre les dirigeants et les sui-
veurs et le cycle auto-destructeur des régimes despotiques. Le rôle de
l’idéologie, la mise en œuvre de l’esprit de contrôle, l’impact des médias,
la création d’une illusion de solidarité, et la recherche de boucs émissaires
sont identifiés comme les principaux leviers utilisés par ces régimes afin de
consolider la base de leur pouvoir.
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d’une organisation, les problèmes stratégiques, structurels et managériaux
qu’elle rencontre, reflètent approximativement, la structure psychodyna-
mique de la névrose de ses dirigeants.
Cette conception à une incidence essentielle sur les préconisations
faites par Manfred Kets de Vries concernant les démarches et les processus
de changement à entreprendre pour remédier aux dysfonctionnements
organisationnels.
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cheminement de la cure psychanalytique individuelle. « On appelle perla-
boration le processus par lequel on maîtrise la perte, on change son propre
univers représentatif, avec ses fantasmes, ses croyances, ses attitudes, ses
valeurs.(…) Sans perlaboration, la prise de conscience et en conséquence
un changement durable et constructif aboutissent rarement » (Kets de
Vries et Miller, 1985 : 110). Cependant si la prise de conscience est essen-
tielle, elle ne suffit pas. Après avoir admis la nécessité du changement, ou
après l’avoir subie, les individus doivent s’attendre à passer une série de
moments difficiles, ils doivent « faire leur deuil » de ce qu’ils viennent de
perdre avant d’être capables d’une nouvelle forme de comportement. Les
thérapies d’éclaircissement (qui visent à la compréhension profonde des
problèmes) comme les thérapies de soutien (qui visent à l’accompagne-
ment et à la prévention du changement) préconisées par les auteurs, néces-
sitent une maîtrise de la psychodynamique de la part du consultant ou de
l’expert chargé de conduire le changement.
Manfred Kets de Vries a consacré plusieurs ouvrages aux bénéfices
d’une intervention de nature psychanalytique dans les organisations (Kets
de Vries, 1991b, 2006b, Kets de Vries et Carlock, 2007). S’adressant aux
managers, aux consultants et aux étudiants, ces ouvrages s’attachent à
défendre l’efficacité de la perspective psychanalytique pour l’analyse et le
changement de comportements organisationnels « malsains » mais profon-
dément enracinés, tels que l’addiction au pouvoir ou l’affaiblissement de
la responsabilité personnelle (Kets de Vries, 1991b). S’appuyant sur sa
pratique du coaching (Kets de Vries, 2005b), mêlant des concepts
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psychanalytique nécessite le recours à un tiers, dont le rôle de miroir pour
l’organisation est comparable à celui du psychanalyste pour l’analysant :
aider à dévoiler le sens caché des choses. Dans l’organisation comme ailleurs,
le psychanalyste est un « détective du sens » qui va faire parler ce qui est
latent pour le faire remonter à la surface et le rendre patent (Grosvernier,
2004). Le rôle du consultant n’est donc pas très différent de celui d’un cli-
nicien. Comme ce dernier, le consultant ne cesse de dialoguer avec ses clients
et il participe à un processus interactif où la confrontation, la clarification et
l’interprétation (concepts empruntés à la psychanalyse), interviennent de
façon capitale. « Il faut du temps pour prendre “conscience” et cela ne suffit
pas, encore faut-il surmonter les résistances. Cela n’est pas sans conséquences
dans le domaine du conseil : cela signifie qu’il n’y a guère de chances pour
qu’un changement efficace dans une organisation puisse tenir aux “recettes
instantanées” habituelles ». (Kets de Vries et Miller, 1985 : 112).
Une telle démarche psychanalytique dans les organisations comporte de
toute manière des risques d’échecs. Il n’est nullement certain en effet que les
dérèglements d’origine psychodynamique puissent toujours être victorieuse-
ment combattus. Des sentiments, des idées, des interprétations, des
conduites, établis de longue date et tenaces, y associent des individus parti-
culièrement puissants. Ces configurations d’ordre psychique sont très diffi-
6. « The GELI consists of 100 action-and-behavior-based questions that are designed to measure the partici-
pants› competency within twelve areas : Visioning, Empowering, Energizing, Designing and Aligning,
Rewarding and Feedback, Team Building, Outside Orientation, Global Mindset, Tenacity, Emotional
Intelligence, Life Balance, and Resilience to Stress » (Kets de Vries, 2005a).
Manfred F.R. Kets De Vries 505
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et l’intervention experte de personnes susceptibles de jouer un rôle de
contre-pouvoir dans l’organisation est la seule prévention réellement efficace
de la pathologie organisationnelle. Ce rôle, qui se rapproche de celui du fou,
peut être joué par un individu extérieur ou une équipe dans la structure.
Grâce à l’humour et à une communication franche, le « fou » et le « roi »
s’engagent dans une sorte de jeu de rôles où sont abordés les différents pro-
blèmes liés à la nature humaine. L’humour peut ainsi contribuer à la cohé-
sion du groupe et à un climat de confiance. Il peut avoir un effet calmant
susceptible de réorienter une organisation vers les véritables problèmes.
« Dans une organisation, quelqu’un jouant le rôle du fou peut contribuer à
la maintenir sur les rails, à la garder en prise avec la réalité et, ce qui est le
plus important, à mettre en échec cette force destructrice qu’est l’orgueil
inconscient ». (Kets de Vries, 1995 : 97).
Conclusion
Dans une série d’ouvrages récemment parus dans lesquels il propose une
vue d’ensemble de ses travaux (2009a, b ; 2010), Manfred Kets de Vries se
définit lui-même comme un ingénieur et entrepreneur raté, un économiste
peu convaincu, un gourou du management international, un psychana-
lyste, mais surtout un homme d’esprit et de plein air.
L’œuvre de Manfred Kets de Vries qui l’établira comme une figure
essentielle dans l’étude clinique du leadership s’inscrit dans un courant de
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d’autres raccourcis abusifs allant dans le sens d’une anthropomorphisation
de l’organisation. Deuxièmement, les méthodes d’interventions d’inspira-
tion psychanalytique (Lourau, 1971) peuvent être jugées inadaptées à la
nature des demandes des entreprises. Elles se sont parfois révélées pertur-
bantes pour le fonctionnement des organisations (Lapassade, 1971) et
donc incompatibles avec les contraintes et les objectifs organisationnels.
Enfin, Le regard souvent pessimiste que pose l’approche psychanalytique
sur l’organisation (dévoilant les causes d’échec et de souffrance des indivi-
dus, révélant les motifs inconscients des dysfonctionnements et des patho-
logies organisationnelles) lui confère un statut plus compréhensif que
prescriptif. On peut lui reprocher alors d’être plus « un annonceur de
mauvaise nouvelle » qu’un « bon guide » pour la conduite des organisa-
tions. Cependant, sans minimiser le poids de certaines de ces critiques,
l’apport des travaux s’inscrivant dans cette approche, et en particulier ceux
de Manfred Kets de Vries, ne peut être négligé. En montrant comment les
organisations nourrissent l’inconscient des individus et comment, en
retour, elles se construisent et se structurent autour des mécanismes incons-
cients que les individus mobilisent dans leurs rapports avec elle, l’approche
psychanalytique donne à voir des dimensions essentielles pour comprendre
et agir dans les organisations.
7. En dehors des travaux de Kets de Vries présentés dans cet article on peut mentionner (sans souci
d’exhaustivité) les travaux de Levinson (1972) et de Lapierre (1987) sur le leadership, les travaux sur les
relations de travail de Desjours (1980), sur l’imaginaire social (Enriquez, 1972, 1992), sur l’imaginaire
organisationnel (Larçon et Reitter, 1979), sur l’emprise de l’organisation (Pagès et al., 1979) ou encore
sur le sexe du pouvoir (Aubert et al., 1987).
Manfred F.R. Kets De Vries 507
© EMS Editions | Téléchargé le 06/08/2020 sur www.cairn.info via Université Yaoundé 2 (IP: 154.126.184.31)
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XXXII. KURT LEWIN – DE LA THÉORIE DU CHAMP À UNE SCIENCE DU
SOCIAL
Florence Allard-Poesi
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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Florence Allard-Poesi
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Kurt Lewin 511
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pour sa théorie du champ, ni son projet pour les sciences sociales, ne trou-
vèrent écho dans le développement effectif des différentes disciplines.
Aujourd’hui encore, le projet que Lewin dessina paraît particulière-
ment ambitieux. Il s’agit, en résumé, de faire du social une science, ambi-
tion qu’il décline dans un triple programme :
• élaborer une approche permettant d’expliquer le comportement de
l’individu, en prenant en compte la structure et la dynamique de
son espace psychologique au moment considéré. Ce sera l’objet de
la théorie du champ, que Lewin transposera audacieusement à
l’étude des groupes et des conduites sociales (Lewin, 1947a et b) ;
• faire reconnaître le social comme une réalité conceptuelle à part
entière, distincte des parties le composant. La transposition de la
théorie du champ de la psychologie individuelle aux conduites
sociales nécessitera en effet de légitimer le social, et le groupe en
particulier, comme un objet aussi réel que la personne. Ceci condui-
ra Lewin à sortir du laboratoire et à s’attaquer à l’étude des phéno-
mènes sociaux dans la vraie vie pour y étudier le rôle des cadres
culturels et idéologiques, puis pour résoudre des problèmes sociaux
concrets : l’école et l’éducation des enfants (Lewin et al., 1939), les
relations entre minorités et majorités et la marginalité (Lewin,
1946b), les habitudes alimentaires des familles (Lewin, 1947a) ;
• définir les traits essentiels d’une méthode de recherche scientifique
de cet objet social. L’ambition scientifique de Lewin le conduit à
512 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
mener une réflexion sur les moyens par lesquels élaborer une
connaissance scientifique des conduites sociales. L’expérimentation
en laboratoire puis dans les cadres réels (Lewin, 1939a ; b), la
rigueur de la formulation théorique, la clarté et l’univocité des
hypothèses, la qualité et la fiabilité des méthodes d’observation et
d’analyse, seront ces chevaux de bataille, et les éléments principaux
que l’on retiendra de son œuvre.
Ces trois axes, dont on peut trouver les origines dans le parcours intel-
lectuel de Lewin (Encadré 1), seront ici privilégiés.
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Le courant de la Gestalt et ses fondateurs – Wertheimer, Koffka et Kölher – connais-
saient alors leur heure de gloire à l’Université de Berlin. Ce courant de la psychologie
postule que l’individu perçoit la réalité comme un tout, à partir des relations spatiales
et temporelles entre les éléments qui la constituent, et non à partir de leurs caractéris-
tiques intrinsèques. Nous n’entendons pas une mélodie en distinguant chacune des
notes qui la composent, mais en percevant les relations qui existent entre elles, de sorte
que nous sommes capables de la reconnaître même si elle est jouée dans une tonalité,
à un rythme ou avec des instruments différents. Cette vision holiste et dynamique de
la psychologie individuelle, qui s’oppose aux théories associationnistes alors en vigueur
(Lewin, 1951), marquera fortement la conception que Lewin développera du compor-
tement individuel et des conduites sociales. Il s’en démarque néanmoins à plus d’un
titre. S’il accepte pleinement la vision holiste et contextuelle proposée par les
gestaltistes, il en rejette les explications physicalistes. L’influence de la biologie est en
effet alors prégnante, et les gestaltistes confinent leurs explications des phénomènes
perceptifs et psychologiques à des éléments directement observables ou tangibles (une
hypothétique structure du cerveau, en particulier).
Il est ici fortement influencé par sa rencontre, au cours de sa vingtième année, du
philosophe Ernst Cassirer lors d’un séminaire à l’Université de Berlin. Cassirer, et les
autres philosophes néo-kantiens de l’époque, défiaient l’empirisme qui prévalait alors
avec une conception de la réalité que l’on qualifierait aujourd’hui de constructiviste
(Gold, 1999) : si l’on a l’idée de quelque chose, elle a une forme de réalité, une exist-
ence. Dans cette perspective, une théorie scientifique n’a pas à se cantonner à
l’observable. « Si un concept est utile pour construire une hypothèse, alors il faut le
créer, le définir, le décrire, et, si l’on souhaite que ce concept soit pleinement scienti-
fique, il faut concevoir un moyen de le mesurer (Gold, 1999 : 8) ». Selon Gold (1999),
la rencontre d’Ernst Cassirer fut pour Lewin, « une force libératrice ». Lewin partageait
l’ambition gestaltiste de faire de la psychologie une science, mais il était loin de vouloir
renoncer aux notions de besoin, de motivation et d’intention, notions auxquelles il
allait d’ailleurs accorder une place centrale dans la théorie du champs (Lewin, 1946a ;
Kurt Lewin 513
1951). Lewin voyait ainsi dans cette « idée de l’idée » soutenue par les philosophes
néo-kantiens un moyen de légitimer son recours à ces concepts immatériels. En même
temps, l’importance accordée par ce courant à la théorie, à la formulation des constru-
its et à leur mesure, devait marquer sa vision des sciences. Si Lewin (1949) lui-même
accorde à Cassirer la paternité de nombre de ces idées sur les sciences, cette influence
fut loin d’être la seule : de la phénoménologie, il retiendra que l’individu n’est qu’en
contact indirect avec la réalité, par le biais de processus perceptuels qui lui permettent
d’interpréter les stimuli qu’il reçoit et perçoit, et que son comportement ne doit donc
s’entendre qu’en termes de ces perceptions et interprétations (Lewin, 1946a). Avec le
positivisme logique de Vienne, Lewin défendra l’idée que seules les affirmations qui
peuvent être soumises à l’épreuve du test sont dignes d’intérêts. Sans que ces influ-
ences ne soient explicitement reconnues par les commentateurs enfin, les lectures de
Freud et d’Einstein lui ont sans conteste permis de préciser la nature des dimensions
impliquées dans le champ psychologique du sujet pour le premier, et celle des forces
qui l’animent pour le second (Lewin, 1946a).
De 1924 à 1933, Lewin, alors professeur à l’Université de Berlin, mène ses premières
expériences sur les effets de la motivation sur la mémoire notamment, et travaille sur
les notions d’intentions et de besoins et sur leurs rôles dans le champ psychique du
sujet. Se sentant menacé par l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il quitte l’Allemagne en 1933
pour rejoindre l’Université d’Iowa. Il y mène ses recherches sur le degré d’aspiration
(Lewin et al., 1944), sur les effets de la frustration sur le développement cognitif et le
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comportement des enfants (Lewin, et al., 1941) en situation de groupe, ce qui
l’amènera à étudier, en collaboration avec Lippitt et White, les effets du style de leader-
ship sur l’agressivité (Lewin et al., 1939). Après cette première incursion en dehors du
laboratoire, la deuxième guerre mondiale oriente ses recherches sur les problèmes
sociaux qui se posent alors : l’alimentation des nourrissons, les habitudes alimentaires
des familles, les niveaux de production dans les usines (Lewin, 1947a). Ces recherches
le conduiront à étudier plus avant les groupes, puis à développer un modèle de change-
ment des conduites sociales (Lewin, 1944 ; 1947a et b). Il quitte l’Université d’Iowa en
1944 et fonde le Research Center for Group Dynamics au Massachusetts Institute of
Technology, qu’il dirigera jusqu’à sa mort en 1947. C’est au cours de cette période qu’il
ébauche les traits de la recherche-action (Lewin, 1946b) et qu’il formalise plus avant
ces idées sur les méthodes de recherche et les sciences sociales (Lewin, 1943-1944 ;
1949). À sa mort, un de ses élèves, Léon Festinger, prend la direction du centre de
recherche.
(2) le champ psychologique est la situation telle que perçue et vécue par
l’individu « ici et maintenant » ; (3) il est défini par une structure cognitive
particulière (les éléments que l’individu perçoit, appréhende, souhaite…),
et un ensemble de forces motrices ou contraignantes qui poussent ou
empêchent l’individu d’agir.
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adulte de 30 ans), de son caractère, de son état physiologique du moment,
de sa culture et de son idéologie. L’environnement immédiat de la per-
sonne (est-elle dans un climat agréable, agressif, a-t-elle été encouragée)
influence en retour le degré de tension qu’elle peut ressentir et donc son
état psychologique à ce moment considéré. Ainsi, pour Lewin, si l’on sou-
haite comprendre ou prédire le comportement, il nous faut considérer la
personne et son environnement comme une constellation de facteurs
interdépendants. La totalité de ces facteurs est l’espace de vie (life space) de
l’individu. Souhaitant souligner l’interdépendance des facteurs constitutifs
de cet espace, Lewin emprunte à la physique la notion de champ pour le
désigner. Le champ psychologique d’une personne à un moment donné se
définit comme un ensemble de facteurs comprenant sa perception immé-
diate1 de son environnement physique et social (ce qu’elle voit, définissant
la structure du champ) et les pressions ou tensions qu’elle ressent (la façon
dont elle les vit)2. Le comportement est le produit de ce champ psycholo-
gique immédiat, dans la totalité et l’interdépendance dynamique des élé-
ments le composant (Lewin, 1946a). Expliquer le comportement d’un
sujet implique de fait de 1/ trouver une représentation adéquate (scienti-
1. Ce principe d’immédiateté est, avec celui de totalité, fondamental pour Lewin : si le champ psy-
chologique passé laisse toujours des traces dans le champ psychologique présent de la personne, il ne
saurait en être la cause, encore moins expliquer le comportement immédiat du sujet : « Les événements
du passé n’existent pas maintenant et ne peuvent donc avoir un effet maintenant » (Lewin, 1942, 1997 :
214-215).
2. Les dimensions sociales et physiques objectives sont importantes en ce qu’elles limitent la variété des
champs psychologiques possibles (Lewin, 1946a). Mais ces dimensions ne constituent pas, en tant que
telles, le champ psychologique du sujet, qui les perçoit toujours de manière singulière.
Kurt Lewin 515
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l’enfance, cette transformation s’accompagnera d’une différenciation
croissante entre les niveaux de « réalité » (ce qui est perçu comme réel) et
d’irréalité (les rêves, les peurs, les souhaits), et d’une extension temporelle
du champ et de ses dimensions constitutives : ce qui est considéré comme
étant le présent, le passé, le futur, devient plus étendu ; nous devenons
capables de former des plans à plus long terme, pour des périodes et à des
échéances différenciées (voir Figure 1 pour une représentation graphique
de ce processus).
516 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Le schéma supérieur représente le champ psychologique d’un jeune enfant, celui au-
dessous d’un enfant plus âgé. Ce dernier est marqué par un plus fort degré de différen-
ciation de chacune des dimensions du champ (passé, présent, futur, réalité, irréalité),
entre ces différentes dimensions du champ (la distance entre les niveaux de réalité et
d’irréalité s’accroît), et par une plus grande perspective temporelle.
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comme une relation entre deux régions du champ. On parle de force
d’attraction lorsqu’elle tend à diriger l’individu dans une zone particulière,
de répulsion lorsqu’elle l’en éloigne. À ces forces motrices (driving forces)
qui engendrent l’action, Lewin ajoute des forces contraignantes (constrai-
ning forces), matérialisées par des obstacles physiques (une barrière) ou
sociaux (un tabou) qui au contraire inhibent ou empêchent l’action. Le
comportement effectivement adopté par une personne à un moment don-
née est alors le produit de la force résultante (resultant force) du champ,
c’est-à-dire de la combinaison (de la somme) de l’ensemble des forces
agissant sur elle (sur la zone dans laquelle elle est située) à ce moment
considéré. La relation entre force et comportement peut être résumée
ainsi : dès lors qu’une force résultante non nulle s’exerce sur l’individu, il
y a déplacement (comportement) dans la direction de cette force ou un
changement dans la structure cognitive du champ équivalent à ce dépla-
cement (Lewin, 1946a).
Ces différentes forces et leur puissance relative ont principalement pour
origine les besoins ou intentions de l’individu (Lewin, 1942 ; 1946a ;
1951). Ceux-ci correspondent à ses besoins fondamentaux (sécurité, faim,
soif ), à des combinaisons de besoins et/ou à des besoins secondaires déri-
vés de ceux-ci (quasi-besoins) qui se traduisent par des intentions (réaliser
une activité particulière comme poster une lettre, Lewin, 1951). Ces
besoins créent une tension dans le champ psychologique du sujet (celle
d’une vision, qui n’a pas à être précise, d’un futur ou d’une action future)
qui va, dans une situation particulière, se traduire par la création de forces
518 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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dynamique (du fait de la modification des forces en présence qu’il
engendre) du champ : les modifications du niveau d’aspiration suite au
succès ou à l’échec dans une tâche précise (Lewin et al., 1944), les com-
portements coopératifs, agressifs ou apathiques observés chez les enfants
soumis à des modes de leadership différents (Lewin et al., 1939), par
exemple. De manière audacieuse, Lewin transpose l’approche du champ,
initialement développée pour appréhender les comportements indivi-
duels, aux conduites sociales des groupes.
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terdépendance dynamique des facteurs (la constellation des forces et de la
structure) qui donne au champ ses spécificités, servira de cadre analytique
pour concevoir ce tout qu’est le groupe et mettre en évidence ses proprié-
tés globales.
duels les uns sur les autres, les contraintes impliquées par les barrières
physiques ou sociales du champ, les besoins des membres et sous-groupes.
La série d’expériences menées par Lippitt, White et Lewin sur le compor-
tement des enfants dans des clubs dirigés par des adultes au style de lea-
dership différent est exemplaire de ce type d’analyse (voir Encadré 2, pour
une synthèse).
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parents et leurs professeurs. Les spécificités des différents styles de leadership et leurs
principaux effets sur le comportement des enfants sont résumés dans le tableau suivant.
enfants qui, passant d’une modalité à l’autre, changent du tout au tout. Plus
précisément, 4 climats sociaux différents furent provoqués par les trois styles
de commandement. Alors que dans le climat démocratique, l’agressivité est
présente mais reste à un niveau moyen, et que le climat laissez-faire montre
le plus fort taux d’agressivité, le climat autocratique donne lieu à deux types
de comportements différenciés. Dans 5 des climats autocratiques induits, 4
groupes montrent un comportement apathique, 1 groupe une forte agressi-
vité. Pour Lewin et al. (1939), ces différences de comportements observés
dans les climats autocratiques ne sont pas le fait de dynamiques fondamen-
talement différentes, mais relèvent toutes d’un degré élevé de frustration et
de tension : tous les enfants font ainsi preuve d’une très forte agressivité lors
des journées de transition d’une modalité autocratique à une modalité
démocratique ou laissez-faire (non observé dans les autres cas).
En accord avec la perspective du champ, ces différents éléments sont
interprétés comme le résultat de différences dans la structure du groupe et
dans l’intensité des forces agissant dans ce champ impliquées par les diffé-
rents modes de leadership. Dans le climat autocratique, le comportement
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du leader induit un espace restreint de mouvement libre pour les indivi-
dus. À cette tension induite par la structure s’ajoutent les pressions exer-
cées par le leader par ses critiques ou directives. Cette tension élevée chez
les enfants donne naissance à un besoin, une force motrice poussant les
enfants à quitter le champ. Ceux-ci ne peuvent néanmoins le faire de par
la rigidité de la structure (force contraignante). L’agressivité résulte ainsi
d’une tension créée par la structure elle-même, tension amplifiée par sa
rigidité d’une part et par les pressions qu’exerce le leader d’autre part. Il y
a néanmoins apathie tant que ces forces externes sont plus importantes
que celles poussant l’individu à extérioriser la tension qu’il ressent.
Expliquer et qualifier les propriétés du groupe dans son ensemble,
comme un niveau d’agressivité par exemple, nécessite ainsi d’envisager la
constellation des facteurs (structure et forces) à l’œuvre dans le champ du
groupe. C’est dans cette perspective que Lewin élabore un cadre d’analyse
et de changement des niveaux de conduite des groupes.
Figure 2. Deux états de tension résultant de différents modes de changement des niveaux
de production
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Source : adapté de Lewin, 1947a, 1997 : 321).
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L’expérience sur la consommation d’abats dans les familles
américaines pendant la Seconde Guerre mondiale
(d’après Lewin, 1947a et b)
L’expérience des abats est la première d’une série d’expériences menées par Lewin et ses
collègues à l’Université d’Iowa sur le changement des niveaux de conduite dans les
groupes (consommation de lait frais dans les familles, alimentation des nourrissons,
niveau de production dans les usines, etc.). Cette expérience porta sur 6 groupes de 13
à 17 femmes, toutes volontaires et membres de la Croix Rouge, réunies pour 45 min-
utes. L’aversion pour les abats était très forte aux États-Unis, maintenant, malgré la
pénurie de viande, la consommation de ce type de morceaux à un niveau très bas. Trois
des groupes assistèrent à une conférence présentant les avantages de la consommation
d’abats (mérites nutritionnels, économiques, participation à l’effort de guerre), puis
proposant des recettes et techniques pour les préparer agréablement. Les trois autres
groupes, après la même présentation introductive, furent invités à discuter de la con-
sommation de ces aliments pour « des femmes comme elles ». Les participantes évo-
quaient ainsi les obstacles à la consommation d’abats (odeur, dégoût du mari etc.). Une
fois les femmes suffisamment engagées dans la discussion, l’expert en nutrition leur
proposait les mêmes recettes que celles présentées aux autres groupes. En fin de réun-
ion, on demanda aux femmes de dire si elles étaient prêtes à essayer de préparer ce type
d’aliment la semaine suivante. 33 % des femmes ayant participé aux groupes de discus-
sion, contre seulement 3 % dans les groupes de conférence, se déclarèrent prêtes à
essayer. Ces résultats furent confirmés, avec de meilleurs scores encore, dans les expéri-
ences suivantes.
Pour Lewin, ces éléments confirment en premier lieu qu’il est plus facile de changer les
normes sociales d’un groupe dans son ensemble que celles d’individus séparés. Plusieurs
facteurs sont envisagés pour expliquer ces différences. En premier lieu, si la conférence
induit un intérêt pour le problème, elle engendre une plus grande passivité que la dis-
cussion de groupe, qui, parce que les femmes ne sont pas invitées à parler d’elles-mêmes
524 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
directement (mais de femmes comme elles), est susceptible de conduire à une plus forte
motivation. Lewin (1947b) souligne néanmoins que la motivation n’est pas suffisante
pour engager l’action. Il faut qu’il y ait décision. C’est elle en effet qui permet de passer
d’un champ psychologique conflictuel où des forces d’égales intensités s’opposent, à un
champ psychologique pacifié où l’une des forces en faveur d’un des termes de
l’alternative domine, et où les autres s’annulent. Ceci ne se produit pas toujours, mais
la décision est la condition nécessaire pour cristalliser le dégel et le changement appor-
tés par la discussion.
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3. RIGUEUR ET AUDACE DU PROJET LEWINIEN
C’est Lewin qui sort l’expérimentation du laboratoire pour étudier les
effets des actions sociales sur les propriétés des groupes « réels » et initie
ainsi la recherche-action. C’est aussi lui qui souligne l’importance de la
réflexion théorique, de la clarté des hypothèses, de l’adaptation des unités
d’analyse, et, plus largement, de la formation du chercheur aux méthodes
d’observation et d’interprétation, préfigurant par-là les sciences sociales
actuelles.
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pose néanmoins de prendre en compte l’ensemble des facteurs essentiels
de la vie du groupe tels que sa structure, son idéologie, sa culture.
L’expérimentation est, en ce sens, une forme de management social :
« Pour réussir, comme le management, elle doit prendre en compte les
facteurs qui sont importants pour le cas considéré (Lewin, 1949, 1999 :
31) ». La méthode expérimentale lewinienne suppose ainsi toujours la
description des caractéristiques essentielles du champ (structure et forces),
ce qui contribue à en dégager une vision « comme un tout », et permet de
lier ces caractéristiques aux effets qu’elles produisent.
C’est cette ambition de complétude dans l’analyse du champ qui
amène Lewin (et al., 1939 ; 1947a) à sortir du cadre du laboratoire pour
mener des expériences dans la vraie vie. Parce que les phénomènes sociaux
sont des tout dans lesquels la culture et l’idéologie sont des dimensions
particulièrement importantes, ils doivent être étudiés dans leur cadre réel :
l’école (Lewin, 1939b), la maison (1947a), l’usine (1947a). Les modes de
commandement, et plus largement ensuite, l’action sociale, en tant que
forces structurantes et dynamiques du champ, deviennent dès lors des
objets privilégiés d’analyse. Le pas est franchi pour définir les traits essen-
tiels de la recherche-action. Lewin (1946b, 1997 : 144) définit cette
méthode comme une « recherche comparant les conditions et les effets de
différentes formes d’action sociale, et conduisant à l’action sociale ». Cette
seconde dimension devient essentielle, car « la recherche qui ne produit
que des livres ne suffit pas ». Si ce n’est son cadre et son objet (l’action
sociale), la recherche-action est en tout point similaire à l’expérimentation
526 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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objectifs de l’organisation dans laquelle il intervient. En second lieu,
même si le dirigeant est convaincu de l’utilité de la recherche, il n’est pas
certain qu’il laisse au chercheur toute marge de liberté. L’expérimentateur
ne peut ainsi espérer disposer du pouvoir qui lui est nécessaire pour ana-
lyser une politique et ses effets sans rechercher une collaboration active
avec l’organisation. Il doit faire participer le dirigeant à l’élaboration de
son projet et donc le familiariser avec les aspects scientifiques du problème
(Lewin, 1943-44). L’éducation est de fait un prérequis pour conduire une
recherche dans les organisations.
En passant du laboratoire à la vraie vie, l’expérimentation est ainsi
confrontée à de réelles opportunités en même temps qu’à de réelles
menaces. Lewin souligne l’importance de la formation scientifique des
participants dans ce passage, car il accorde une place prépondérante à la
théorie.
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points de référence pour le chercheur et le praticien ». En ce qu’elle lie, par
le biais des concepts, les faits observés aux faits sous-jacents, la théorie
nous fournit enfin des mesures objectives des effets des actions sociales
mises en œuvre. Elle constitue, en ce sens, ces « yeux et ces oreilles […] dont
nous avons besoin pour savoir si nous allons dans la bonne direction et à
quelle vitesse nous y allons » (Lewin 1946b, 1997 : 146).
C’est dans ce même souci d’objectivité et de rigueur scientifique que
Lewin souligne l’importance du choix des unités d’analyse et des méthodes
d’observation et d’interprétation. Pour comprendre la signification sociale
d’un comportement ou d’un événement social, il faut toujours retenir des
unités de taille temporelle suffisante et observer ses unités dans leur
contexte particulier : si une personne court après une autre, cela peut
vouloir dire qu’elle veut la rattraper ou la chasser, mais il n’y a aucun
moyen de distinguer l’une ou l’autre de ces significations si l’observation
ne dure que quelques secondes (Lewin, 1943-1944). L’observation du
comportement social n’est de plus pertinente que si elle prend en compte
l’unité plus large de l’activité dans laquelle elle s’inscrit. La situation a-t-
elle le sens d’un jeu, d’un travail, d’une discussion, d’une guerre ? La
signification du contexte est toujours essentielle, car ce sont les relations
qu’entretiennent les comportements et activités avec elle qui font sens. Il
s’agit enfin de distinguer clairement observation et interprétation. Pour
Lewin, si le champ psychique du sujet et le champ social du groupe sont
toujours subjectifs, en ce qu’ils sont la définition de la situation pour eux,
il faut les décrire objectivement. La formation du chercheur joue là un rôle
528 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
Conclusion
Si l’on doit à Lewin, au travers de la théorie du champ, d’avoir pro-
posé une conception temporelle de la subjectivité, une vision interaction-
niste du comportement, d’avoir apporté les méthodes scientifiques du
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laboratoire dans la vie sociale et de ce fait contribué à faire du social un
objet légitime de recherche scientifique, son ambition dépassait ces
dimensions. Il ne s’agissait pas simplement de faire du social une science,
mais d’intégrer les différentes sciences sociales (la psychologie, la sociolo-
gie, et même l’économie) en une seule et même science du social. Lewin
(1939b, 1997 : 264) considérait ainsi que a) une science est avant tout
définie comme un ensemble de problèmes et non de matériaux, b) que les
différents aspects d’un problème peuvent nécessiter des univers de dis-
cours et de lois différents (appartenant aux champs de la physique, de
l’esthétique, de la psychologie ou de la sociologie). Dans cette perspective,
la psychologie et la sociologie devraient se sentir libres d’utiliser tout
construit ou méthode qui leur semble utile pour étudier les problèmes
qu’elles se donnent. Dès lors que ces domaines s’accordent pour voir dans
le social un objet légitime de recherche et pour le définir comme un
champ total et dynamique, l’utilisation d’un même ensemble de méthodes,
d’approches et de langage (en particulier les mathématiques et la géomé-
trie topologique, Lewin, 1942 ; 1949) doit contribuer à une intégration
des sciences sociales.
Nous sommes aujourd’hui loin de cette science « intégrée » du social
dont rêvait Lewin, mais l’ambition et l’exigence qu’il porte constituent
toujours, à notre sens, un message important pour les praticiens et les
chercheurs en management. « Ce que cette intégration (des sciences
sociales) signifiera reste ouvert. Elle peut signifier la fusion des sciences
sociales en une seule et même science. Elle peut signifier une coopération
Kurt Lewin 529
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Lewin K. (1943-1944), « Psychology and the Process of Group Living », Journal
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Gérard Koenig
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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et interactionniste
XXXIII
évolutionnaire
Karl E. Weick
Gérard Kœnig
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532 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
Weick est né en 1936 dans l’Indiana et, à un intermède texan près, c’est
autour des grands lacs qu’il a passé le plus clair de sa vie. Arrivé à trois ans
dans l’Ohio, il y restera jusqu’à l’obtention de son Ph.D. en psychologie
industrielle. Au cours de son séjour à l’Ohio State University (1958-62) le
thème de la productivité des équipes l’occupe tout particulièrement.
Après trois années passées à l’Université de Purdue (Indiana), Weick
rejoint celle du Minnesota en 1965. Le séjour à Minneapolis est fructueux
et donne lieu à deux livres : The Social Psychology of Organizing dont la
première édition date de 1969 et Managerial Behavior Performance and
Effectivness (1970) écrit en collaboration avec Campbell, Dunette et
Lawler.
En 1972, Weick abandonne Minneapolis pour Ithaka (Cornell
University). Il y restera douze ans. Le Jazz y est moins brillant et les
échanges entre collègues moins stimulants. L’activité éditoriale à la tête de
l’Administrative Science Quarterly comble en partie ce vide.
Après un intermède texan de quatre années, retour sur les grands lacs
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© EMS Editions | Téléchargé le 06/08/2020 sur www.cairn.info via Université Yaoundé 2 (IP: 154.126.184.31)
en 1988. Cette fois pour Ann Arbor, ses concerts, ses librairies, ses profes-
seurs… et l’Université du Michigan où G. H. Mead l’avait précédé
presque cent ans avant. Weick y obtient la chaire de Rensis Likert dédiée
au comportement organisationnel et à la psychologie qu’il occupera
jusqu’à sa retraite. C’est à la fin des années quatre-vingt que se dessine le
thème de la fiabilité organisationnelle qui tiendra dès lors une place pré-
pondérante dans l’œuvre de Weick. Les terrains d’origine sont ceux inves-
tis à l’époque par le groupe de Berkeley1 : le porte-avion nucléaire le Carl
Vinson, la centrale nucléaire de Diablo Canyon et le centre de contrôle du
trafic aérien de Fremont. Viendront ensuite s’y ajouter les services de lutte
contre l’incendie et l’activité hospitalière. En 2001, il publiera sur ce
thème avec Kathleen M. Sutcliffe un ouvrage intitulé Managing the
Unexpected.
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de The Social Psychology of Organizing, Karl Weick donne le coup d’envoi
d’une vaste entreprise de subversion du paradigme dominant. L’attaque
n’est pas frontale. La controverse n’est pas engagée explicitement avec les
représentants du paradigme dominant : ni leurs thèses, ni leurs noms ne
sont cités4. Weick feint de se situer ailleurs, dans le champ de la psycho-
sociologie ; de s’intéresser à d’autres aspects (le processus) et à d’autres
questions (l’élaboration du sens). L’attaque pourtant est radicale : elle vise
rien moins qu’à constituer un paradigme alternatif.
Même s’il mobilise, à l’occasion, méthodes quantitatives et expérimen-
tales, Karl Weick ne cherche pas à établir des lois de portée générale à la
fois simples et précises5, ni à transposer aux sciences sociales les manières
des sciences de la nature. Ce serait d’ailleurs peu compatible avec son
orientation interactionniste. Si elle reconnaît l’existence de règles propres,
l’approche interactionniste pose en effet que les résultats d’une interaction
sont imprévisibles et rejette toute forme de déterminisme.
Au plan théorique, le décrochement d’avec le paradigme dominant est
bien sûr considérable. Tout y contribue, qu’il s’agisse des questions posées
2. Ce courant de pensée comprend des auteurs tels que T. Burns et G.M. Stalker, J. Woodward, P.R.
Lawrence et J.W. Lorsch, J.D. Thompson et le groupe d’Aston mené par Derek S. Pugh.
3. Cette traduction littérale est adoptée ici, parce qu’elle évite toute ambiguïté sur ce qui est visé, à savoir
le courant de la Contingency Approach.
4. Si Derek Pugh est cité, c’est pour le jugement, partagé par K. Weick, qu’il porte sur le statut de la
psychologie appliquée.
5. Il invite d’ailleurs le chercheur en sciences sociales à prendre conscience du caractère contradictoire
des exigences de généralité, de simplicité et de précision et à arbitrer entre elles de façon raisonnée.
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contre les visées normalisatrices des tenants d’une orthodoxie intransi-
geante. La place centrale qu’il accorde à l’interprétation ne doit pas
conduire à faire de K. Weick un tenant du subjectivisme à tout crin.
Conformément aux traditions pragmatiste et interactionniste6 qui l’ins-
pirent Weick refuse les dichotomies et notamment celle qui oppose sub-
jectivisme et objectivisme.
les décisions que le manager est amené à prendre dans des situations bali-
sées qui intéressent Karl Weick, que l’élaboration collective du sens dans
les situations confuses (1987).
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rationnelle. Pour développer une problématique évolutionnaire de la
dynamique organisationnelle, Karl Weick s’est inspiré (1979, p. 119 et
sq.) des réflexions de Donald T. Campbell. Il en a tiré une dizaine de pro-
positions et un modèle :
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à ce modèle, Weick suggère que dans leurs réactions adaptatives à l’envi-
ronnement, les organisations ne font que reproduire en leur sein la dyna-
mique fondamentale des processus évolutionnaires. Il propose de penser le
« sensemaking » comme un processus d’échanges réciproques entre des
acteurs (activation) et leur environnement (changement écologique) aux-
quels une signification est attribuée (sélection) et conservée (rétention).
Le changement écologique
Dans le flux expérientiel où se trouvent engagés les individus, les varia-
tions ou les discontinuités sont fréquentes. Certains de ces changements
retiennent l’attention et fournissent l’occasion de tentatives visant à
réduire l’équivocité perçue. Les changements écologiques constituent
l’environnement « activable ».
9. Le sigle correspondant à la version anglaise est ESR (pour Enactment – Selection – Retention) La
traduction du terme anglais « ^Sretention » par le français « rétention » permet de jouer sur la polysémie
d’un mot qui comprend notamment les idées de conservation et de mémorisation.
10. Weick et al. (2005) citent à ce propos les travaux de H. Aldrich (1999, Organizations Evolving.
Thousand Oaks, C A : Sage), de J. A. Baum et J. V. Singh (1994, Evolutionary Dynamics of Organizations.
Oxford : Oxford University Press) et W. Ocasio (2001, « How do organizations think ? » in T. K. Lant
et Z. Shapira, eds. Organizational Cognition : Computation and Interpretation. Mahwah, N J : Erlbaum,
(39–60).
Karl E. Weick 537
« L’activation »11
L’« enactment » n’est pas un « enthinkment » : l’activation de l’environ-
nement fait boucle avec ce dernier. Le premier arc de cette boucle consiste
à extraire une portion du flux expérientiel et à attirer dessus l’attention des
membres de l’organisation. Réduite à ce seul arc, l’« enactment » serait une
activité strictement cognitive. Ce n’est pas le cas le plus usuel. Généralement,
le processus de sensemaking débouche sur des actions qui ferment la
boucle. Ces actions modifient l’environnement et vont donc influencer
indirectement la conduite ultérieure de l’organisation.
Alors que la représentation traditionnelle faisait de l’environnement un
espace à découvrir, K. Weick suggère avec la notion d’enactment de consi-
dérer l’environnement comme une production sociale des membres de
l’organisation. Ceux-ci construisent, réarrangent, distinguent et détruisent
de nombreux aspects « objectifs » de leur environnement. Ce faisant, ils
mettent un terme à l’aléa, introduisent des vestiges d’ordre et créent véri-
tablement leurs propres contraintes. Réducteur d’incertitude, producteur
d’ordre et de contrainte, l’enactment est à la fois de l’ordre de la pensée et
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de l’action.
La sélection
Les matériaux activés sont fondamentalement équivoques. Cette équi-
vocité ne renvoie ni à l’absence, ni à la confusion des significations, mais
à la multiplicité des significations envisageables. Elle ne correspond pas à
l’image d’un monde chaotique et indéterminé, mais à celle d’un monde
riche en connexions possibles, qu’il est possible de faire coïncider avec un
ensemble, également riche, de dispositifs explicatifs. L’importance du pro-
cessus de sélection tient précisément à la possibilité ainsi ouverte d’exercer
un pouvoir discrétionnaire sur le choix des schémas explicatifs.
Il n’est pas exclu que la sélection résulte d’une démarche rationnelle,
mais dans le domaine social bien d’autres mécanismes sont à l’œuvre.
L’inadaptation peut être cause d’élimination, mais à l’inverse ce qui réussit
peut être répété, emprunté (entre ou à l’intérieur des groupes et des orga-
nisations) ou encore promu12. Comme la sélection demande du temps, il
ne suffit pas d’être meilleur pour passer au travers du tamis de la sélection,
il faut encore se monter suffisamment persistant pour laisser à la sélection
le temps d’opérer.
11. D’autres traductions ont été proposées pour le terme « enactment » : mise en scène (G. Kœnig, 1987)
et promulgation (H. Laroche, 1996).
12. La carrière au sein d’une organisation peut s’analyser comme une succession d’épreuves au cours de
laquelle le responsable montre sa capacité à trouver les solutions les plus adaptatives et progresse à mesure
des succès enregistrés vers des responsabilités de plus en plus élevées.
538 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
La rétention
Une fois activé et interprété un segment d’expérience peut être stocké
et servir pour des actions et des interprétations ultérieures. Parce que les
dirigeants travaillent sur un mode de « stimulus-réponse », parce que le
processus de sélection est abrégé, la réflexion rare (Mintzberg, 1973), les
interprétations habituelles ont tendance à l’emporter et l’essentiel des déci-
sions vise à éviter le changement.
Si la rétention freine la prise en considération des variations de l’envi-
ronnement, une trop grande flexibilité, une trop forte capacité à repérer
les modifications de l’entour, et à s’y adapter, menace l’identité et la conti-
nuité de l’organisation. La stabilité peut être intéressante, si elle permet,
par le biais de la mémoire et de la répétition de certaines conduites, de
gérer de façon économique les situations qui se présentent en exploitant
les régularités et les répétitions de l’histoire. Mais si elle devient chronique,
la stabilité empêche de découvrir des modes d’adaptation plus efficaces et
gêne le repérage des changements de l’environnement. Le doute, la remise
en question de l’expérience constituent donc un exercice également néces-
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saire à la « survie » organisationnelle13.
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La connivence que Weick entretient avec les pragmatistes et les tenants
de l’interactionnisme symbolique se noue autour de thèmes communs
(l’action, l’interaction, l’interprétation, le sens, la conscience de soi) et
d’une préoccupation partagée : rester attentif aux procédés par lesquels les
acteurs s’influencent les uns les autres et informent les processus d’élabo-
ration du sens (Weick, 1995, p. 41).
Weick partage avec les interactionnistes à la fois l’idée que les acteurs
construisent et inventent leur vie quotidienne et leur souci d’analyser le
détail de cette construction. Comme eux, Weick (1993) considère que
l’interaction est un ordre négocié, temporaire, fragile, qu’il faut recons-
truire en permanence afin d’interpréter le monde (Coulon, 1987, p. 12).
Alors que Durkheim, estimant l’acteur incapable de rendre compte des
faits sociaux, se donne pour objectif d’étendre à la conduite humaine le
rationalisme scientifique et pose que les faits sociaux doivent être traités
comme des choses, les tenants de l’interactionnisme symbolique sou-
tiennent au contraire que la recherche sociologique doit se donner comme
objet essentiel la conception que les acteurs se font du monde social et ne
saurait être produite à distance de l’expérience immédiate. Quel que soit
l’objet d’étude, le point de vue des acteurs est essentiel, puisque c’est au
travers du sens qu’ils assignent aux gens, aux objets et aux symboles qui les
entourent que les acteurs fabriquent leur monde social (Coulon, 1987,
p. 11). C’est là une conception de la recherche en sciences humaines que
Weick reprend largement à son compte.
540 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Comme G. H. Mead, K. Weick accorde de l’importance à la notion
d’identité individuelle, mais cette identité n’a rien de monolithique, ni de
figée. Parce qu’elle est faite de « soi » multiples entre lesquels l’individu
circule selon les interactions auxquelles il participe (Weick, 1995, p. 20),
cette identité se caractérise par un degré d’intégration qu’il ne faut pas
exagérer. La capacité à donner du sens aux situations et à s’y adapter
dépend de la diversité des « soi » auxquels l’individu a accès. Plus cette
variété est importante et moins l’individu court le risque de se trouver
déconcerté (1995, p. 24).
Si elle permet de s’adapter, l’identité individuelle est également susceptible
d’évoluer. Du point de vue du « sensemaking », ce que nous pensons être
influence ce que nous « faisons émerger »16 et la façon que nous avons de
l’interpréter. Ceci influence l’image que les acteurs extérieurs se font de
nous et la façon qu’ils ont de se comporter à notre endroit. Ce que nous
sommes est entre les mains des autres. Si l’image qu’ils se font de nous
change, notre identité peut s’en trouver déstabilisée et notre réceptivité à
de nouvelles interprétations accrue (Weick et al., 2005).
14. Les besoins fondamentaux de la personne humaine sont des ingrédients fondamentaux de l’École des
relations humaines et du courant participatif (E. Mayo, A. H. Maslow, R. Likert, D. McGregor).
15. Les structures de la personnalité sont au centre de travaux qui comme ceux du Tavistock Institute
(W. R. Bion, E. Jaques…) empruntent à la psychanalyse certains de ses concepts et de ses méthodes.
16. Cette expression est la traduction d’« enact » par F. Varela (1989).
Karl E. Weick 541
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bénéfices des conduites de justification et l’intérêt qu’il peut y avoir à éla-
borer après coup le sens de nos actions. Examinons ces deux points.
Lorsqu’il devient plus difficile de modifier le comportement que de
transformer les croyances, il reste à privilégier les croyances susceptibles de
justifier ce qui a été entrepris. Ceci ne va pas sans inconvénient : une réduc-
tion de la flexibilité, de l’apprentissage et de l’adaptation est en effet à
craindre. Mais les comportements de justification peuvent avoir un effet
positif que l’on a trop souvent tendance à ignorer : ils mettent l’acteur en
situation de devoir faire advenir les choses, ils encouragent les actions éner-
giques et leur poursuite persévérante. Il doit être clair toutefois que ce type
de comportement est plus ou moins adéquat, selon que les contraintes
d’environnement sont plus ou moins malléables (Weick, 1995, p. 161).
Le second thème lié à la théorie de la dissonance est celui de la « rétros-
pection » qui consiste à donner après coup un sens à nos décisions et
actions. L’origine de ce thème est à chercher du côté de l’ethnométhodolo-
gie. G. H. Mead et A. Schutz avaient avancé l’idée que l’individu ne peut
savoir ce qu’il fait qu’après l’avoir fait, mais c’est à Harold Garfinkel qu’il
revient d’avoir montré l’importance de l’élaboration rétrospective du sens
dans une étude restée célèbre : « Some rules of correct decision making that
jurors respect »17. La section conclusive de cette étude (Garfinkel, 1967,
17. C’est à l’occasion de cette étude que H. Garfinkel a forgé le terme « ethnométhodologie » pour
désigner l’étude des méthodes qu’un groupe particulier (des jurés par exemples) utilise dans
l’accomplissement des activités concertées de la vie quotidienne.
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décisions pourraient bien être davantage concernées par le fait d’attribuer
une histoire légitime à des résultats, que par la définition des conditions
qui vont présider au choix d’une action parmi un ensemble d’alterna-
tives. »18
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toute l’œuvre de Weick, il n’est pas besoin que les acteurs se mettent
d’accord sur les buts, ni même qu’ils aient connaissance de leurs motifs
respectifs pour agir collectivement. Il n’est pas non plus impératif qu’ils
sachent à qui ils ont réellement affaire, ni indispensable qu’ils aient une
représentation correcte du système dans lequel ils se trouvent. La consti-
tution et le maintien des systèmes d’action collectifs n’impliquent donc
pas tant de comprendre l’autre que de prévoir son comportement (Weick,
1979, p. 90-91 et 100). Une illustration de cette proposition a été fournie
en 1979 par R. Axelrod à l’occasion d’un tournoi informatique qu’il orga-
nisa sur la base du dilemme du prisonnier. Le meilleur résultat fut obtenu
par un programme d’une extrême simplicité, qui coopérait au premier
coup et qui par la suite imitait scrupuleusement le comportement de
l’autre joueur.
Les partenariats qui durent sont ceux qui satisfont les trois impératifs
énoncés à propos de la vie sociale par D. Campbell (cité par Weick, 1993).
Le premier prescrit la confiance. Dans une perspective interactionniste, il
revient à prendre sérieusement en considération les comptes-rendus que
les autres me font au point d’y porter crédit et d’agir en fonction d’eux. Le
second impératif enjoint l’honnêteté qui permet aux autres de se fier à ce
que je leur rapporte. Le troisième impératif commande le respect de soi-
même, de ses perceptions et croyances qui seul permet de contribuer
pleinement à l’échange.
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tion (interact). La réponse que fait l’Un à la réaction de l’Autre complète
la séquence (double interact) (Weick, 1979, p. 89). Le tableau suivant
illustre la notion de cycle. Les exemples choisis indiquent clairement que
l’enjeu consiste dans l’élaboration du sens par les acteurs.
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société.
Dans une perspective interactionniste, l’élaboration du sens est affaire
de récursivité ; séparer la pensée de l’action, l’acteur de la situation ne peut
conduire qu’à manquer l’essentiel. Ce rejet de tout dualisme est pleine-
ment assumé par Weick, comme en témoigne l’importance accordée à des
notions comme l’enactment ou la rétrospection (cf. supra).
L’efficacité du sensemaking n’est pas affaire de précision ou d’exacti-
tude, mais de plausibilité. Pour séparer le signal du bruit, il est indispen-
sable de filtrer et de caricaturer. Seule cette réduction simplificatrice peut
éviter à l’acteur d’être submergé par les données. Du point de vue de
l’élaboration du sens, les notions d’heuristique et de biais cognitifs
(Kahneman et al., 1982) sont sans doute moins productives que celle de
filtre, laquelle attire l’attention sur ce que les acteurs retiennent et éli-
minent. Il est indéniable que la qualité de la délibération peut souffrir de
simplifications mal fondées, mais ce qui est perdu en objectivité est rega-
gné en activité (Brunsson, 1985, p. 23-24). Dans un monde malléable et
changeant, l’action audacieuse et enthousiaste est bien plus adéquate que
la recherche d’une représentation qui pour être précise ne peut être qu’ob-
solète.
L’idée de malléabilité est ici capitale. Lorsque le monde est malléable
n’importe quelle représentation fera l’affaire pour autant qu’elle soit mobi-
lisatrice. Quelle qu’elle soit, l’action sera déterminante. En revanche,
lorsque le monde est indocile, comme peuvent l’être les grands feux de
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de soi et rejettent. Or cette influence s’exerce par le biais des relations
sociales que l’on encourage ou réprime, des identités que l’on valorise ou
critique, des indices que l’on retient ou supprime, des interprétations que
l’on accepte ou discrédite… c’est-à-dire selon des dimensions qui sont
celles du sensemaking (Weick et al., 2005). Autrement dit, même si Karl
Weick ne mobilise pratiquement jamais le concept de pouvoir, cela ne
signifie pas qu’il soit impossible d’articuler celui-ci à la problématique du
sensemaking, lorsque les situations le réclament.
Conclusion
La théorie de l’organisant permet de poser à nouveaux frais, la question
du rapport entre pensée et action organisationnelles. Elle le fait de façon
paradoxale. D’un côté elle présente l’action comme émergeant presque par
hasard, en tout cas comme échappant largement à toute volonté de
contrôle, de l’autre elle affirme avec force le caractère socialement construit
des réalités organisationnelles.
19. Richard Rorty (1998, cité par Boghossian, 2009, p 36) affirme de même qu’« avant que vous ne
décriviez quelque chose comme un dinosaure ou comme quoi que ce soit d’autre, cela n’a pas de sens de
dire qu’il est là dehors avec ses propriétés ».
20. « On se contentera de faire ressortir le point principal qui distingue radicalement le constructivisme
que je propose des conceptualisations traditionnelles. Et cette différence concerne précisément la relation
entre connaissance et réalité. Alors que l’épistémologie traditionnelle comme la psychologie cognitive
considèrent cette relation comme une correspondance plus ou moins figurative (iconique), le construc-
tivisme radical la conçoit comme une adaptation au sens fonctionnel » (Glaserfeld, 1988, p. 23).
Karl E. Weick 547
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boration collective du sens la place essentielle qui lui revient.
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XXXIV. ALVIN WARD GOULDNER – LA CRITIQUE DE LA FAUSSE
CONSCIENCE SOCIOLOGIQUE : POUR UNE SOCIOLOGIE ENGAGÉE
Olivier Babeau
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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l’organisation
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XXXIV
Alvin Ward Gouldner
La critique de la fausse
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conscience sociologique :
pour une sociologie engagée
Olivier Babeau
Alvin Ward Gouldner 551
Notice biographique
Alvin Ward Gouldner est né à New York en 1920. Fils d’immigrants juifs fraîchement
débarqués dans le Nouveau Monde, il naît et grandit dans le quartier populaire de
Harlem. À 17 ans, il sort du lycée pour entrer au City College de New York et suivre
des études commerciales. Après avoir obtenu en 1941 son Business Bachelor of Art, le
jeune Alvin, déjà remarqué par ses professeurs comme l’un des éléments les plus bril-
lants de sa promotion, décide de se spécialiser dans la sociologie industrielle, discipline
alors en plein essor, et s’inscrit au département de sociologie de la prestigieuse
Université de Columbia. Ce département est alors l’un des centres de recherche les plus
en vue de la sociologie « orthodoxe ». Dès cette époque, Gouldner fait de Paul
Lazarsfeld, mais surtout de Robert K. Merton avec qui il entretient d’abord un dia-
logue épistolaire, ses principaux maîtres et mentors.
À la fin de son master en 1945, Gouldner passe deux ans comme sociologue résident
à l’American Jewish Committee. Il est ensuite engagé comme professeur assistant à
l’Université de Buffalo, poste qu’il occupera jusqu’en 1951, avant de se faire embauch-
er pendant deux ans comme sociologue consultant à la Standard Oil Co. du New
Jersey. Après deux années productives mais passées sans enthousiasme comme profes-
seur assistant à l’Antioch College, Gouldner rejoint l’Université d’Illinois en 1954, où
il restera jusqu’en 1959. Devenu enfin professeur à part entière, Gouldner rejoint
l’Université Washington de St Louis, dont il finira par occuper à partir de 1967 la
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chaire Max Weber. En parallèle de ses activités, il présidera l’Association pour l’étude
des problèmes sociaux en 1962 et fondera pas moins de trois revues académiques, dont
Theory and Society. Entre 1972 et 1976, il enseignera également à Amsterdam. Il meurt
en 1980.
Il est rare que la personnalité d’un auteur soit décrite dans le cadre d’un
exposé académique de ses travaux. Cette habitude procède d’un fantasme
bien connu et fort regrettable à notre sens de séparation totale entre la
production intellectuelle et la vie. Comme si une œuvre, quelle qu’elle
soit, était une sorte de contemplation éthérée des Essences platoniciennes,
une fois sortie de la fameuse caverne. C’est oublier combien la vie et la
production d’un homme s’éclairent mutuellement. Ignorer la vie dissolue
et aventurière du Caravage, les amours interdites de Montherlant ou de
Gide ou bien les déceptions de la vie de Mozart, cela ne laisserait-il pas un
voile fondamental sur leurs peintures, romans et pièces musicales ? Les
hommes créent et travaillent tout en vivant ; bien plus, ils vivent en créant
et en travaillant. C’est la vie qui donne à leurs œuvres cette palpitation
qui, des années ou des siècles plus tard, cristallise encore en un je-ne-sais-
quoi de présence qui finalement nous touche.
La vie et l’œuvre de Gouldner sont d’une égale richesse, d’une égale
complexité ; traversées l’une comme l’autre de contradictions profondes,
gages sans doute de profondeur. Nietzsche – que Gouldner utilisera beau-
coup comme nous le verrons – ne dit-il pas lui-même que « l’amplitude
552 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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On trouvera dans les différentes publications de Gouldner cinq grands
thèmes : la sociologie industrielle, le fonctionnalisme et sa révision par
Merton, la théorie critique et la sociologie réflexive, le rôle des intellectuels
dans la sociologie moderne, le marxisme et ses limites. Comment présen-
ter de manière cohérente une œuvre qui a sans cesse balancé entre des
contraires (positivisme et postpositivisme, radicalisme et académisme,
objectivité et réflexivité) ?
La clé, nous semble-t-il, réside précisément dans ce lien que nous
venons d’évoquer entre la vie et le travail. L’évolution personnelle de
Gouldner est si fortement liée à son évolution intellectuelle qu’une présen-
tation de ses travaux ne saurait être plus claire qu’en épousant la chrono-
logie de leur production, découpant ainsi les trois grandes périodes de son
œuvre.
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près des opérateurs, grande culture de l’arrangement entre superviseurs et
subordonnés et ambiance familiale. Dans ce mode de fonctionnement, les
petites transgressions du quotidien (retards, absences, emprunts d’outil
pour usages privés…) sont réglées de façon bienveillante et informelles par
les supérieurs. Les règles sont flexibles et appliquées avec discernement.
Certaines sont mêmes totalement lettre morte (comme l’interdiction de
fumer), et ne servent qu’à assurer la conformité formelle à des obligations
externes (en l’espèce celles liées aux assurances).
Le deuxième type de bureaucratie peut être qualifiée de « représenta-
tive » (representative bureaucracy). Même dans le contexte d’indulgence
décrit plus haut, il existe tout de même dans l’usine un ensemble de règles
plus formellement organisé. Les règles de sécurité en font partie, et
incluent de nombreuses obligations de signalement et de rapport. Pour
Gouldner, l’utilité de ces règles rencontre l’acceptation générale, c’est
pourquoi elles caractérisent la bureaucratie « représentative ».
La troisième forme bureaucratique est appelée « centrée sur la puni-
tion » (punishment-centered). Contrairement aux deux précédentes formes,
la réponse aux déviances prend la forme de punitions, que cela soit de la
part du management (réprimande, licenciement…) ou des ouvriers
(grèves, sabotage, mauvaise volonté, absentéisme massif, etc.). Il est inté-
ressant de remarquer que Gouldner envisage la résistance et la contrainte
comme des forces bilatérales : les ouvriers aussi ont des moyens de punir
le management ; le management a aussi des moyens de résister !
554 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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permettre le contrôle des tensions : la négociation permanente associée à
la supervision directe génère en effet des tensions que les règles, en « éloi-
gnant » le manager de l’ouvrier, viennent supprimer (il n’y a plus à réflé-
chir ni à tenir compte de la personnalité de l’ouvrier dans ses décisions).
Les règles jouent cependant un rôle paradoxal en cela qu’elles ne suppri-
ment pas les causes de tension elles-mêmes : par exemple, le manque de
légitimité d’un manager sera voilé par la règle, mais ne supprimera pas la
mauvaise volonté latente des employés face à ses ordres. En fait, note
Gouldner, les règles servent à préserver les tensions, qui continuent ainsi
elles-mêmes de justifier en permanence le recours à la supervision directe
(tel une sorte de pompier pyromane). Bien avant Crozier (1963),
Gouldner décrit ainsi le cercle vicieux bureaucratique de réponse par la
règle aux problèmes entretenus par la règle. Il n’est pas étonnant alors de
constater que c’est dans la troisième forme de bureaucratie (centrée sur la
punition) que l’on trouve le plus de tensions internes.
L’analyse pénétrante de Gouldner concernant les règles est à l’époque
très novatrice : il est en effet parmi les premiers à s’opposer à la vision
univoque dominante pour montrer qu’elles remplissent des fonctions
latentes distinctes allant bien au-delà de leur lettre. Les règles sont l’objet
d’un jeu permanent (ceaseless interplay, 1954a, p. 241) joué par les diffé-
rentes parties en présence pour négocier, déstabiliser ou se protéger.
3. Ce faisant, Gouldner (1954a) entaille directement le fonctionnalisme à la Parsons pour qui la bureau-
cratie est un système unificateur permettant la poursuite d’un but unique. Nous allons voir qu’il dévelop-
pera beaucoup, dans un second temps, cette critique du fonctionnalisme.
Alvin Ward Gouldner 555
Cette réflexion sur les tensions dans les groupes sera approfondie dans
un deuxième livre publié la même année : La grève sauvage (Gouldner
1954b). Gouldner y utilise de nouveau son enquête de terrain pour élabo-
rer les rudiments d’une théorie des tensions dans les groupes. Il dresse ainsi
une liste des éléments provoquant l’apparition de ces tensions : attentes
vagues, changeantes, incohérentes, perçues comme illégitimes, absence de
confiance, pouvoirs très inégalement répartis, etc. S’opposant à la vision
de Parsons (1951) concernant l’harmonie et la stabilité des interactions
sociales, Gouldner montre que les tensions sont partout présentes dans le
système social.
L’année suivante, Gouldner publie d’autres travaux s’inscrivant dans le
domaine de la sociologie industrielle (1955). Il s’y emploie à dessiner les
limites et insuffisances de la théorie de la bureaucratie de Weber. Plus
précisément, il y accuse ce dernier de promouvoir une vision trop pessi-
miste de l’organisation formelle qui, selon les termes célèbres du grand
sociologue allemand, nous enferme dans une « cage d’acier ». Pour
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Gouldner, la bureaucratie n’est ni inévitable ni pathologique en elle-
même, mais est potentiellement humaine et libératrice. Weber et ses épi-
gones ont négligé, souligne Gouldner, l’irrationalité qui persiste dans
l’organisation, ses conflits et ses luttes qui sont autant de signes que la
liberté n’y est pas impossible et que les acteurs ne sont pas réduits à l’obéis-
sance et à la soumission à la rationalité.
Dès ses premiers travaux, Gouldner adopte comme instinctivement la
posture hétérodoxe qui sera toujours la sienne. Si, dans ses écrits des
années cinquante, la critique reste encore bien douce, elle ne fera que
durcir et se radicaliser au cours de son itinéraire intellectuel.
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Dans son article « La norme de réciprocité : un point de vue prélimi-
naire » (1960), Gouldner adresse deux critiques supplémentaires à l’ap-
proche fonctionnaliste. Tout d’abord, elle ne permet pas d’expliquer la
persistance de faits sociaux ne remplissant aucune fonction sociale.
Deuxièmement et plus fondamentalement, Gouldner met en évidence
le fait que les fonctionnalistes placent un postulat informulé à la base de
leur théorie : la norme de réciprocité. Cette dernière est une obligation
sociale tacite qui se décline en trois points : les gens doivent aider ceux qui
les ont aidés, les gens ne doivent pas faire de mal ceux qui les ont aidées,
les gens doivent éviter de profiter de ceux qui les ont aidés.
Gouldner note que cette norme de réciprocité, et par voie de consé-
quence le fonctionnalisme, ne résistent pas à l’examen de la réalité : les cas
de réciprocité inégales sont légions. En effet, la répartition inégale du
pouvoir semble plutôt être la règle que l’exception. Le capitalisme
moderne, par exemple, produit des rapports d’échanges inégaux et de
l’exploitation. En niant cela, le fonctionnalisme, d’après Gouldner, est une
sociologie du statu quo social qu’il convient de critiquer. Parsons et ses
collègues, enfermés dans leur confortable tour d’ivoire universitaire alors
que la Grande Dépression faisait rage, développent des théories sans prise
avec le réel.
4. Remarque déjà faite par Durkheim, notons-le, précisément quand il introduit le terme d’anomie in
Durkheim, E. (1998). Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912), Paris, PUF.
Alvin Ward Gouldner 557
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fondamentaux de l’analyse fonctionnelle : son raisonnement circulaire. En
effet, en conceptualisant le système social comme un système de parties
interdépendantes s’affectant mutuellement, le fonctionnalisme « explique
tout c’est-à-dire rien » (Chriss 1999, p. 68). L’idée de Gouldner et de
Peterson est d’utiliser l’analyse factorielle pour isoler certaines variables
ceteris paribus afin de déterminer l’influence relative de chacune d’elles.
Les auteurs utilisent les données relatives à 71 sociétés primitives, isolant
des facteurs tels que la domination sexuelle, la technologie ou la moralité,
cette dernière étant appelée « facteur A » pour « Apollinien », par référence
à la fameuse distinction de Nietzsche (1940) entre les civilisations diony-
siaque (fondée sur l’acceptation du tragique de l’existence et l’excès sous
toutes ses formes) et apollinienne (fondée sur le contrôle des impulsions).
Leur analyse montre que les sociétés accordant une large place à la
technologie sont également celles où le score de moralité est le plus élevé,
ces sociétés correspondant ainsi au paradigme apollinien mettant en valeur
l’expérience cognitive, la modération, le savoir la raison et la science.
Mais, surprise, à peine ont-ils exposé ces résultats que les auteurs
semblent regretter ce mariage surprenant entre méthode quantitative et
philosophie nietzschéenne. Les auteurs écrivent ainsi de manière amusante
« … nous sommes malheureusement conscients qu’arrivés à ce point, nous
risquons de perdre le peu de lecteurs qui nous restent » (Gouldner et
Peterson 1962, p. 32). Comme si, dès la rédaction de cet ultime article
« positiviste », le critique absolu que deviendra Gouldner pointait déjà. Six
558 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
ans plus tard, c’est bien la même personne qui stigmatisera violemment les
praticiens de la statistique pour leur acception « grotesque » de l’objecti-
vité. Celle-ci serait la conséquence d’un dévoiement outrancier de la pen-
sée de Weber concernant la possibilité d’une séparation stricte entre faits
et valeurs (Gouldner 1968 p.115).
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Raison, ont pu déboucher sur l’horreur des camps nazis5).
Le problème est bien plus qu’une simple question épistémologique,
puisque selon Gouldner, l’idéologie véhiculée par la « fausse conscience6 »
sociologique (c’est-à-dire la prétention à la neutralité) est en fait un outil
de domination utilisé par l’élite dirigeante. C’est donc l’émancipation des
opprimés qui est en jeu dans la dénonciation du mythe de la neutralité
axiologique.
À travers Comprendre Platon : la Grèce antique et les origines de la théorie
sociale (1965), Gouldner témoigne son admiration et son allégeance à la
civilisation et à la philosophie grecque antique, habitée du souci de l’opi-
nion des autres, par opposition à la civilisation moderne tournée vers le
culte du soi et l’individualisme égoïste7. Gouldner prolonge l’appréhen-
sion de Weber face à la domination d’une rationalité instrumentale qui
enferme les hommes dans une « cage d’acier » de bureaucratie et de tech-
nocratie. À travers Weber déplorant le « désenchantement du monde »,
transparaît l’héritage révéré de Nietzsche (1940) auquel, nous le répétons,
Gouldner fait souvent référence. C’est bien de ce désespoir nietzschéen
5. Adorno, T. W. et Horkheimer, M. (1974), La dialectique de la raison (1944), Paris, Gallimard.
6. Dans la vulgate marxiste, le terme s’oppose à la « conscience de classe » à laquelle le prolétariat doit
parvenir quand il aura surmonté l’acceptation de la domination dont il fait l’objet, c’est-à-dire sa « fausse
conscience ». Gouldner applique le terme à la sociologie de l’establishment qui est elle aussi un mode de
légitimation de la domination (voir plus bas).
7. Gouldner oppose la « culture de la honte » (shame culture) grecque où l’important n’est pas tant ses
opinions personnelles que celles des autres à la « culture de la culpabilité » (guilt culture) moderne centrée
sur les sentiments et pensées du soi.
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généralement les querelles, les conflits et les disputes. Le but n’est plus
alors de trouver la vérité, mais juste d’humilier et de détruire l’autre.
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Gouldner vise en fait plus loin : il accuse la nouvelle sociologie de contri-
buer, avec le nouvel État providence, à édifier une nouvelle religion de
l’humanité dont le but serait de faire le bonheur des peuples ; l’histoire du
XXe siècle ayant montré combien un tel dessein était le ferment des plus
terribles totalitarismes… Repoussant l’ancien idéal d’émancipation de
l’esprit humain qui était à la base du projet positiviste, la nouvelle ortho-
doxie sociologique ferait la promotion de la conformité et du consensus
aux dépens de la liberté. La violence des diatribes de Gouldner à l’endroit
de ses collègues serait en quelque sorte une réaction épidermique à la
mesure de la terreur que lui inspire le danger qu’il croit identifier.
Autre cible des attaques de Gouldner : Goffman et sa contribution au
courant de l’interactionnisme symbolique. Avec son approche dramatur-
gique démontant les codes de la « face », les mises en scènes quotidiennes
qui régulent les rapports interpersonnels, Goffman (1973a ; 1973b ; 1974 ;
1975) ne pouvait guère trouver grâce aux yeux d’un chercheur ennemi du
compromis et admirateur inconditionnel du dialogue grec « authentique »
comme Gouldner. Ce dernier reproche à Goffman de promouvoir la vision
d’un acteur outrageusement manipulateur et cynique, et de développer en
un mot une théorie de la vie sociale comme « escroquerie ». Goffman, dit
encore Gouldner, valorise l’apparence contre la vérité, et se fait l’apôtre
d’une sociologie du paraître. De plus, contre toute vraisemblance, il fait de
l’individu un acteur utilisant le système (les codes du paraître) pour pro-
gresser et maîtriser l’impression qu’il donne, mais néglige d’évoquer le fait
que l’individu est aussi un produit du système (1970 p. 379).
Alvin Ward Gouldner 561
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livres ne soient pas traduits en français). Ce dernier montrera que loin
d’être neutre, le savoir est au contraire un élément fondamental des méca-
nismes de pouvoir et de coercition (Foucault 1975 ; 1976).
Quelle est cette « crise prochaine » dont il parle ? Gouldner désigne
ainsi la période qui marque le déclin du fonctionnalisme et l’apparition de
nouvelles théories sociales. Dans les années soixante, l’hégémonie du para-
digme fonctionnaliste en sociologie prend peu à peu fin. D’autres théories
apparaissent qui, note Gouldner, sont irréductibles les unes aux autres :
celles de Homans, de Garfinkel et de Goffman.
Quelle est la solution à ce « polycentrisme » scientifique inédit ?
Gouldner appelle de ses voeux l’émergence d’une sociologie réflexive. Le
but de cette dernière est d’assurer enfin la cohérence entre le niveau infras-
tructurel d’une théorie (ses postulats, ses présupposés idéologiques) et son
niveau technique (la construction des concepts, la méthodologie). Il s’agit
une nouvelle fois, en d’autres termes, de se libérer de l’acceptation irré-
fléchie des mythes du positivisme, de la neutralité ou même du parti pris
aveugle pour acquérir un niveau plus élevé de conscience de soi dans son
travail scientifique.
562 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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n’est pas sans rappeler celle que Pierre Bourdieu élabore au même moment
en France. La classe sociale économiquement dominante perd en effet avec
la technocratisation du pouvoir son contrôle jusque-là direct sur la classe
politique. Elle cherche alors à dominer par d’autres voies. La solution
trouvée permet une domination indirecte mais non moins réelle : en éri-
geant la science et la technologie comme fondement neutre du système, la
classe économique dominante crée les conditions d’une légitimité indiscu-
table d’un capitalisme qui lui bénéficie en priorité. Ainsi, en proclamant
la fin de l’idéologie au profit de la science et de la technologie, on accom-
plit le retour subreptice du positivisme légitimateur du statu quo social.
Dans le deuxième tome, intitulé Le futur des intellectuels et la montée de
la Nouvelle Classe (1979), Gouldner tente d’apporter une solution au
constat précédent. Il constate l’émergence d’une nouvelle classe d’intellec-
tuels qui, si elle sait faire preuve de réflexivité en mettant en accord théorie
et pratique, imagination et savoirs techniques, pourrait remplacer le pro-
létariat dans son rôle émancipatoire en vue de la révolution sociale postin-
dustrielle. Pour Gouldner, précisons-le, le prolétariat dont parle le
marxisme est à prendre comme une métaphore désignant l’ensemble des
groupes sociaux en situation d’oppression ou de désavantage.
Cette nouvelle classe se caractérise par sa « culture du discours cri-
tique » (Culture of Critical Discourse), c’est-à-dire un mode de discours
orienté vers le dialogue raisonné avec l’interlocuteur, ouvert par principe à
9. Il se définit ainsi (1976 : p. xii) : Marxist outlaw.
10. Il parle de sa « critique marxiste du marxisme » (1973, p. 425).
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du fait de sa structure même et son remplacement par le socialisme puis le
communisme ; d’autre part le marxisme critique, théorie de la révolution
violente mobilisant les opprimés et les réveillant de leur fausse conscience
afin qu’ils renversent leurs oppresseurs bourgeois.
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dans cet esprit qu’il fustige les carriéristes parmi ses collègues, ceux qui
jouent les jeux politiques, qui s’appliquent à leur anti-promotion. À tra-
vers sa vie et son œuvre, Gouldner semble finalement relayer l’appel
d’Herbert Marcuse à réveiller la « pensée négative » (Marcuse, 1964), celle
de Hegel, pour qui la tâche fondamentale de la pensée et la dignité supé-
rieure de la raison résident dans ce grand refus, cette protestation contre
ce qui est.
Gouldner, A. W. (1965), Enter Plato : Classical Greece and the Origins of Social
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Gouldner, A. W. (1968), « The Sociologist as Partisan : Sociology and the
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Gouldner, A. W. (1980), The Two Marxisms : Contradictions and Anomalies in the
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Gouldner, A. W., et Peterson, R. A. (1962), Notes on Technology and the Moral
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Adorno, T. W., et Horkheimer, M. (1974), La dialectique de la raison (1944),
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Chriss, J. J. (1999), Alvin W. Gouldner : sociologist and outlaw marxist : Ashgate.
Crozier, M. (1963), Le phénomène bureaucratique, Paris : Seuil.
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Goffman, E. (1975), Stigmates (1964). Paris : Ed. de Minuit.
Habermas, J. (1984), Theory of Communicative Action, Volume 1, Boston :
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Marcuse, H. (1964), L’Homme unidimensionnel, Paris : Ed. de Minuit.
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Parsons, T. (1951), The Social System. Glencoe, Il : Free Press.
XXXV. MATS ALVESSON – DÉNATURALISATION ET ÉMANCIPATION
COMME PROJET SCIENTIFIQUE EN MANAGEMENT
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émancipation comme projet
scientifique en management
Damon Golsorkhi et Isabelle Huault
Mats Alvesson 567
Mats Alvesson occupe une place singulière dans le paysage des grands
auteurs en management. Il demeure l’un des initiateurs et l’une des figures
marquantes des études critiques (les Critical Management Studies, CMS).
Diverses et éclectiques, ses analyses couvrent tout autant les dimensions
épistémologique, théorique que méthodologique. Loin de s’adonner au pur
travail conceptuel et réflexif, Mats Alvesson démontre une forte appétence
pour la démarche empirique, ce qui le conduit à développer des analyses
originales et parfois iconoclastes autour des questions de méthode. Sa
rigueur, le foisonnement et l’originalité des thèmes qu’il aborde en font un
auteur doté d’une très forte légitimité, tant en Europe qu’aux États-Unis.
Mats Alvesson s’est tour à tour intéressé à la question de la culture orga-
nisationnelle, aux firmes à haute intensité de connaissance, à la probléma-
tique du genre ou encore du leadership. Dans chacune de ses recherches, il
ébranle le « managérialisme » qui tient pour acquises la légitimité et l’effi-
cacité des modèles établis de pensée et d’action, met en évidence les asymé-
tries de pouvoir, dénonce les « fermetures discursives », dévoile les phéno-
mènes de domination, et s’engage dans une entreprise de « dénaturalisa-
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tion » des phénomènes managériaux contemporains.
Les premières recherches de Mats Alvesson ont été consacrées à la ques-
tion de la culture organisationnelle, recherches dans lesquelles il s’oppose à
une conception réifiée et purement fonctionnaliste de la culture. Puis,
soucieux de confrontation avec le terrain, il adopte une posture interpréta-
tive pour mieux comprendre le fonctionnement des services professionnels
à forte intensité de connaissances (les SSII, les cabinets d’avocats, les cabi-
nets de conseil ou encore les agences de publicité). Il porte alors un regard
critique sur l’idéologie et le discours dominant autour de la connaissance.
Il s’attache ensuite à approfondir des thèmes comme le genre dans les orga-
nisations ou plus récemment le leadership. Il investit également le champ
de la méthodologie et y déploie une pensée originale. Au-delà de la pure
instrumentation et des techniques, il se focalise sur la philosophie des
sciences et la question centrale de la réflexivité.
La présente contribution s’articule autour de quelques axes-clés de la
pensée d’Alvesson, et vise à en montrer la portée. Elle ne couvre cependant
pas l’ensemble de l’œuvre d’un auteur trop prolixe pour qu’une courte
synthèse puisse en saisir toute la richesse.
Nous situons en premier lieu les travaux d’Alvesson dans le champ des
études critiques (1) et nous mettons en évidence la particularité de ses ana-
lyses en matière méthodologique (2). La présentation de quelques-uns des
objets étudiés constituent ensuite des illustrations emblématiques de la
posture de cet auteur (3).
568 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
Notice biographique
Mats Alvesson est né en 1956. Après des études en psychologie et en management, il
suit simultanément deux programmes doctoraux, l’un en psychologie, l’autre en
administration des affaires. Il s’est très tôt intéressé aux organisations en tant qu’objet
d’analyse. C’est aussi à cette époque que Mats Alvesson a commencé à explorer les
principaux acquis de l’École de Francfort ; en particulier les travaux d’Adorno,
d’Horkheimer, d’Habermas et surtout de Marcuse. D’après lui1, ces lectures ont con-
stitué le fondement de son ouverture aux théories critiques et de l’intérêt porté à la
dénaturalisation de ce qui est généralement perçu comme rationnel. Les premiers
travaux de Mats Alvesson se sont logiquement situés au croisement des théories de
l’École de Francfort, de la psychologie et de théories plus conventionnelles en manage-
ment. Sa thèse de doctorat en psychologie, intitulée Théorie des organisations et con-
science technocratique (Alvesson, 1987a, 1987b), a été publiée sous forme d’ouvrage.
Mats Alvesson a cependant ensuite rencontré de nombreuses difficultés pour obtenir
un poste d’enseignant-chercheur à l’Université. Son travail considéré comme trop cri-
tique au début des années quatre-vingt n’a pas fait l’objet d’une reconnaissance immé-
diate. Il a néanmoins occupé jusqu’en 1991 des postes de chercheur et de professeur
assistant à l’Université de Concordia, de Linköping et de Stockholm. Puis il a été
recruté à l’Université de Gothenburg de 1991 à 1994. Depuis cette date, il est profes-
seur à l’Université de Lund. Il est également professeur visitant à l’Université d’Exeter
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depuis 2005, à l’Université de Queensland depuis 2006 et à l’Université de St Andrews
depuis 2007.
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la performance est considéré comme une immense mystification.
b) La mise en évidence des asymétries de pouvoir. Alvesson insiste
de manière récurrente sur les asymétries de pouvoir dans les organisations.
Il soutient que les dispositifs actuels de management et les résultats des
courants conventionnels participent au maintien de la domination. De
plus, les recherches mainstream contribuent à la banalisation de l’hégémo-
nie managériale, naturalisant dans le sens commun, des situations arbi-
traires et inacceptables. Se nichant dans toutes les dimensions des organi-
sations, le pouvoir sert notamment à verrouiller les identités, à les réguler
par des techniques de socialisation voire d’inculcation de normes de
comportement. Le travail de recherche est alors de dévoiler les structures
de domination et les relations asymétriques de pouvoir, pour aider les
agents à s’émanciper. Mats Alvesson interroge également la place excessive
voire exclusive occupée par les élites managériales dans les modèles tradi-
tionnels de management et l’utilité même d’une discipline qui ignore
l’ensemble des autres parties prenantes. Il remet profondément en cause
l’idée que les objectifs des managers puissent être spontanément acceptés
comme moraux ou comme légitimes.
c) Le combat contre la « fermeture » discursive. Mats Alvesson attire
l’attention sur les « fermetures discursives » qui tiennent pour acquis cer-
tains postulats et certaines idéologies (Alvesson et Willmott, 2003 : 16) et
maintiennent l’ordre social. Ce qui semble naturel doit alors faire l’objet
d’une « dénaturalisation », c’est-à-dire d’un questionnement de l’évidence.
Le rôle des critiques est de rompre le silence pour susciter dialogues et
570 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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e) La focalisation sur la centralité du langage et de l’action commu-
nicative. Le langage porte des significations historiquement établies et des
distinctions qui tendent à créer une certaine vision du monde social. Le
langage ne peut être appréhendé comme représentant la réalité sociale,
mais comme la construisant et la « performant ». Ainsi, le langage ne
concerne pas la manière dont les individus utilisent le discours pour par-
venir à des objectifs, mais la façon dont l’identité des groupes, leurs rela-
tions et leurs priorités sont constituées à travers le langage.
Le dévoilement des aliénations et la dénonciation de l’ordre établi sont
centraux dans l’œuvre de Mats Alvesson. En outre, l’appel à la réflexivité
vise à révéler la médiatisation des résultats par les valeurs du chercheur, par
son ancrage idéologique et culturel. C’est précisément cet aspect que Mats
Alvesson développe dans ses travaux portant sur la méthodologie.
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est de dépasser le pur détail empirique et de parvenir à faire émerger des
compréhensions plus générales des phénomènes sociaux.
b) L’interprétation et la recherche de significations sous-jacentes.
Être réflexif, c’est-au-delà de l’interprétation, chercher à découvrir ce qui se
cache derrière les phénomènes sociaux. Autrement dit, ne pas se contenter
de lire les lignes mais aussi de lire entre les lignes. C’est en effectuant des
aller-retours entre les lignes et les interstices, les différentes parties et la
totalité, les significations adjacentes et la signification centrale, que le cher-
cheur peut atteindre ce qui n’est pas accessible directement. Selon Alvesson,
il faut prendre garde à toute démarche interprétative qui privilégierait les
significations uniques.
c) L’interprétation critique des aspects politiques et idéologiques de
la recherche. Être réflexif, c’est également prendre conscience du poids
politique des données. L’objet est de proposer des recherches capables de
stimuler l’autonomie des acteurs, leur émancipation en mettant à nu les
processus idéologiques implicites, non accessibles aux agents. Cela passe
par ce qu’Alvesson appelle la « négation » systématique dans l’interpréta-
tion des significations, en rendant étranger ce qui est familier et en cher-
chant toujours d’autres pistes interprétatives (Alvesson, 2003). Le but est
d’ébranler les interprétations naïves qui distordent et éludent la réalité des
phénomènes sociaux.
d) Le problème de la représentation linguistique. Être réflexif, c’est
tenir compte des problèmes de représentation puisque le langage est ambi-
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pliner, convaincre, critiquer, exprimer des sentiments, clarifier, unifier,
constituer une identité » (Alvesson et Kärreman, 2000 : 142). Il défend
ainsi un pragmatisme discursif (discursive pragmatism) qui porte une atten-
tion aux textes, aux conversations mais qui implique également de travail-
ler à partir de multiples interprétations et d’une diversité de sens possibles.
La réflexivité favorise précisément la créativité et l’interprétation multi-
dimensionnelle, (Alvesson, 2003). L’enjeu est de voir au-delà de ce qui
nous limite et de dépasser les frontières prédéfinies par les représentations
du chercheur, les représentations des agents étudiés, les contextes idéolo-
giques, historiques et politiques dans lesquels se situe toute situation empi-
rique. C’est l’attention portée à toutes ces dimensions qui permet de libérer
du carcan de l’univoque. Alvesson met cependant en garde les chercheurs
(Alvesson et al., 2008). La réflexivité peut devenir une impasse quand elle
est utilisée cyniquement à des fins rhétoriques, pour rechercher un surcroît
de légitimité auprès de cercles critiques, comme peuvent l’être parfois les
arguments de rigueur et de réplicabilité dans le paradigme positiviste.
L’œuvre d’Alvesson ne contient pas de recette méthodologique cepen-
dant, ou de conseils sur l’instrumentation concrète d’une recherche, mais
elle suggère des pistes de réflexion visant à dépasser l’illusion scientiste et
techniciste de la recherche en sciences sociales.
Ce sont cette posture et cette démarche qu’il met en pratique en tant
que chercheur.
Mats Alvesson 573
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De façon plus précise, Alvesson (1993) stigmatise l’appréhension clas-
sique de la culture organisationnelle dans les études en management, où
prévaut une vision fonctionnaliste, articulée autour de la seule quête de
performance. Selon lui, cette conception ne prend pas en compte les
aspects macroscopiques et sociétaux. En outre, elle véhicule un ethnocen-
trisme primaire qui ne permet pas de comprendre la culture du point de
vue des « natifs ». Cette remise en cause assez radicale des travaux clas-
siques conduit Alvesson à proposer une autre conceptualisation. Cette
dernière doit intégrer les aspects in situ et matériels de la vie organisation-
nelle, les activités concrètes des membres de l’organisation, le travail quo-
tidien et les pratiques sociales.
Alvesson tente ainsi de dépasser toute vision monolithique pour mettre
en relief la place de « la grande culture unitaire, des cultures locales et des
affluents culturels » qui font de l’organisation un lieu de rencontre entre
de multiples influences. L’enjeu est de s’affranchir d’une vision réaliste,
statique et réifiée de la culture, il est de mettre l’accent sur une théorisation
qui favorise les configurations culturelles multiples et une vision dyna-
mique.
C’est finalement à une acception plus anthropologique de la culture
que nous invite Alvesson (2002a), rejetant la vision idéologique et positi-
2. 1) Le rôle et la signification des métaphores ; 2) la culture et la performance ; 3) les domaines
d’application de la pensée culturelle ; 4) la culture et le leadership ; 5) le potentiel émancipatoire des
études culturelles ; 6) la question du niveau d’analyse ; 7) la culture et le (dés-)ordre organisationnel.
574 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
viste des recherches dominantes. Il attire l’attention sur l’aliénation que les
acceptions conventionnelles de la culture véhiculent. En présentant cette
dernière de manière purement instrumentale, outil à la disposition d’un
manager en quête de performance, les recherches classiques voient le
manager comme un véritable héros capable de créer et de reproduire des
significations, des idées et des valeurs partagées grâce à des actes de com-
munication, qui « gèleraient » finalement la réalité sociale. Toute concep-
tualisation de la culture doit considérer au contraire les aspects politiques
et les dimensions liées au pouvoir, pour dénaturaliser ce qui semble aller
de soi. Ne pas interroger les pratiques dominantes c’est prendre le risque
que celles-ci favorisent les puissants, maintiennent le statu quo et aillent à
l’encontre des intérêts des plus faibles. Pour le dire autrement, la culture
peut devenir un puissant levier de domination quand elle inculque des
normes de comportement, des manières de pensée et d’agir présentées
comme étant évidentes, naturelles, inévitables.
Outre la culture organisationnelle, Mats Alvesson a analysé de façon
approfondie depuis la fin des années quatre-vingt (Alvesson, 19953 ;
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2004), les firmes de services professionnels à haute intensité de connais-
sance (FHICs)4, tels que les cabinets de conseil en management, les SSII,
les agences de publicité, les cabinets d’audit ou d’avocats… Pour Alvesson
(2004), il s’agit d’une forme d’organisation particulièrement représenta-
tive de l’économie contemporaine et de la société de connaissance,
puisqu’elle fournit 10 à 15 % des emplois salariés en Europe et aux États-
Unis.
Alvesson définit les FHICs comme des « organisations qui offrent au
marché l’utilisation de connaissances assez sophistiquées ou de produits
basés sur la connaissance » (2004 : 17). En adoptant une démarche inter-
prétative, il met en lumière des dimensions traditionnellement oubliées
dans la recherche sur cet objet ; en particulier les processus sociaux à
l’œuvre dans le management de la connaissance et les effets induits sur la
constitution de l’identité des membres de ce type d’organisation (Kärreman
et Alvesson, 2004). Alvesson invite à examiner par exemple les significa-
tions que les membres de l’organisation attribuent au système de gestion
des ressources humaines. Les pratiques de gestion des ressources humaines
peuvent être comprises comme des véhicules de la construction de signifi-
cations et d’histoires sur les individus – qui ils sont – et sur l’organisation
– sa cohérence-. Elles ne sauraient être ainsi considérées comme de purs
3. Cette première référence est au croisement du thème de la culture organisationnelle et de l’étude de
cas d’une FHIC.
4. Appelé Knowledge Intensive Firms ou « KIFs » en anglais. Bien qu’Alvesson définisse en réalité deux
catégories génériques (les services professionnels et les firmes à haut intensité technologique), nous
regroupons dans ce papier sous la catégorie de FIHCs l’ensemble de ces organisations.
Mats Alvesson 575
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« travailler » l’identité du travailleur de la connaissance, visent finalement
à instituer la loyauté, un langage commun et un comportement collectif
univoque vis-à-vis des intentions stratégiques formulées par la direction
générale des FHICs.
Conclusion
Les travaux de Mats Alvesson sont un exemple emblématique d’un
modèle académique engagé et critique, qui refuse la pure spéculation théo-
rique, au profit d’une démarche pour l’émancipation des managés et des
managers.
Malgré la diversité des objets de recherche, ses analyses sont articulées
autour d’une matrice relativement cohérente, dont l’objet principal est de
dévoiler ce qui est traditionnellement oublié ou étouffé par les approches
dominantes, et de favoriser l’ouverture discursive. Cette intention s’ac-
compagne d’une conception qui promeut une recherche empirique pous-
sée. L’enjeu est bien d’exclure toute forme de spéculation purement scolas-
tique, fût-elle basée sur une conception critique de la réalité. Si les preuves
empiriques sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes cependant. Il faut
faire prendre conscience aux agents de leurs situations et permettre leur
émancipation. À cet égard, l’évolution des travaux de Mats Alvesson,
d’une démarche contemplative, au début de sa carrière, à une visée de plus
en plus émancipatrice, mérite d’être soulignée.
576 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
Les travaux d’Alvesson ont cependant suscité des critiques. Son ton
arrogant et moraliste est souvent stigmatisé, par les tenants du courant
conventionnel. Arrogant, en ce que l’œuvre ébranle les fondements des
pratiques managériales et des paradigmes dominants. Moraliste, car elle
met en évidence leurs incohérences et leur caractère idéologique.
Une deuxième critique, relevée par Mats Alvesson lui-même5, est la
grande variété des thèmes et des objets de recherche qu’il aborde (culture,
méthodologie, genre, identité, méthodologie, philosophie de la recherche,
domination, pouvoir et contrôle, leadership, FHICs…), ce qui l’empêche
parfois de développer une assise théorique profonde et robuste.
En troisième lieu, il subsiste une ambiguïté dans le travail de Mats
Alvesson qui oscille entre une approche interprétative, et une démarche
critique, fondée sur le dévoilement et la dénonciation. Il lui arrive même
de considérer les deux postures comme poursuivant les mêmes objectifs
(Alvesson et Deetz, 1996, 2006), sans prendre la mesure des contradic-
tions que cela peut soulever. C’est un point qui pose le problème de
« l’identité » de son travail – pour reprendre un terme qui lui est cher-. Ce
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positionnement sur plusieurs « scènes identitaires » évite cependant l’en-
fermement.
Aujourd’hui, Mats Alvesson poursuit sa recherche sur les FHICs, et a
engagé un lourd travail empirique sur les processus sociaux de leadership,
concept à l’égard duquel il reste sceptique. Il relativise en particulier pro-
fondément la vision essentialiste du leader comme sujet cohérent doté
d’une orientation particulière au travail et il met en évidence les nom-
breuses contradictions du leadership (Alvesson et Sveningsson, 2003).
Alvesson mène également, avec d’autres chercheurs, des réflexions plus
générales sur la finalité des études critiques en management. Sur ce dernier
point, sa conception se veut nuancée et ne s’inscrit pas dans une posture
utopique ou radicale. Ses réflexions intègrent le contexte économique et
sociétal des firmes et prennent au sérieux la question du management, la
légitimité de valeurs comme la productivité, la qualité ou le service au
client. Mais elles ne font aucune concession pour dénoncer la dérive
managérialiste des sociétés contemporaines. Elles rappellent avec justesse
que la recherche en management doit aussi prendre le parti des plus
faibles, des dominés, des opprimés, pour souligner « la face noire » des
organisations et dénoncer toute forme de domination économique,
sociale, idéologique ou symbolique.
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to Organization Studies », in S Clegg, C. Hardy et W. Nord (Eds.), Handbook
of Organization Studies. London, Sage.
Alvesson, M., Deetz, S. (2000), Doing Critical Management Research, London :
Sage.
Alvesson, M., Deetz, S. (2006), « Critical Theory and Postmodernism Approaches
to Organization Studies », in S Clegg, C., Hardy, T., Lawrence et W., Nord
(Eds.), Handbook of Organization Studies, London, Sage : 253-283.
Alvesson, M., Hardy C., Harley B, (2008), « Reflecting on Reflexivity : Reflexive
Textual Practices in Organization and Management Theory », Journal of
Management Studies, vol. 45, n° 3, p. 481-501.
Alvesson M., Kärreman D. (2000), « Taking the Linguistic Turn in Organizational
Research. Challenges, Responses, Consequences », The Journal of Applied
Behavioral Science, n° 36, p. 136-158
Alvesson, M., Kärreman, D. (2007), « Unraveling HRM : Identity, ceremony
and control in a management consultancy firm », Organization Science,
vol. 18, p. 711-723.
Alvesson, M., Sköldberg, K. (2000), Reflexive methodology, London : Sage
Alvesson, M., Sveningsson S, (2003), « Good visions, bad micro-management
and ugly ambiguity : Contributions of (non)-leadership in a knowledge
intensive organization », Organizations Studies, vol. 24, n° 6, p. 961-988
Alvesson, M., Sveningsson, S. (2008), Changing Organizational Culture,
London : Routledge 2008.
Alvesson, M. et Willmott, H. (Eds.) (1992), Critical Management Studies,
London : Sage.
Alvesson, M., Willmott, H. (2002), « Producing the appropriate individual,
Identity regulation as organizational control », Journal of Management Studies,
n° 39, p. 619-644.
578 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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XXXVI. MARTA CALÁS ET LINDA SMIRCICH – LES PERSPECTIVES
FÉMINISTES EN THÉORIE DES ORGANISATIONS
Véronique Perret
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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Véronique Perret
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et Calás, 1987), le leadership (Calás, 1993 ; Calás et Smircich, 1988,
1991, 1996a), l’éthique des affaires (Calás et Smircich, 1997a), la globali-
sation (Calás et Smircich, 1993 ; Mir, Calás et Smircich, 1999) ou l’entre-
preneuriat (Calás, Smircich et Bourne, 2009), les travaux de Marta Calás
et Linda Smircich se positionnent comme une critique des approches
traditionnelles en théorie des organisations et s’attachent à dénoncer la
vision moderne dominante dans le champ de production de la connais-
sance en management (Partie 1).
S’inscrivant dans une épistémologie postmoderne/poststructuraliste,
elles mobilisent les démarches et outils méthodologiques inspirés de ces
épistémologies, comme la déconstruction déridienne et l’approche généa-
logique de Foucault, pour offrir une lecture féministe des théories du
management (Partie 2).
Cette étiquette revendiquée de « féministes postructuralistes », leur
confère une forte identité qui a fait l’objet de critiques, en particulier sur
le caractère orienté du regard qu’elles portent sur les travaux en théorie des
organisations. Plus fondamentalement, ce positionnement soulève des
interrogations sur la portée et l’avenir des approches critiques en manage-
ment. Certains de ces questionnements sont d’ailleurs portés par Calás et
Smircich elles-mêmes, leurs travaux accompagnant l’évolution d’une cri-
tique féministe en mouvement (Conclusion).
Marta Calás et Linda Smircich 581
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Par leur activité d’édition de travaux de recherches critiques (Smircich
et Calás, 1995) et postmodernes (Calás et Smircich, 1997b) ainsi que leurs
propres contributions à ces approches (Calás et Smircich, 1999, 2003b) ;
par le travail de positionnement des théories féministes dans le champ du
management (Calás et Smircich, 1992a, b, 1996b, 2006, 2009, 2014,
2016), Marta Calás et Linda Smircich s’inscrivent dans un projet de résis-
tance qui vise à donner la voix à des points de vues minoritaires ou domi-
nés porteurs de conceptions alternatives de/pour la connaissance dans ce
champ de recherche (partie1.2).
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acquis » jamais questionnés des théories, amènent à penser l’organisation
uniquement sous certains traits rendant ainsi très difficile la formulation
d’une conception réellement différente de ce qu’est ou pourrait être la
connaissance sur l’organisation.
Le problème fondamental de la théorie des organisations est qu’elle se
répète par une forme de bouclage sur elle-même. N’interrogeant jamais
certaines hypothèses implicites fondamentales, elle est finalement inca-
pable de répondre aux promesses d’innovation et de progrès qu’elle affiche
(Smircich et Calás, 1987 ; Calás et Smircich, 1991, 1992b, 2003b). La
littérature sur le leadership est posée comme exemplaire de cette condition
moderne de la connaissance (Calás et Smircich, 1991 : 568). Précédemment,
leur travail sur la culture organisationnelle (Smircich et Calás, 1987)
défendait le même point de vue. Dans cet article elles montrent comment
l’impulsion originelle des travaux sur la culture, qui visaient à contrer les
conceptions excessivement rationnelles de l’organisation, dominantes dans
le champ, a été dévoyée et a finalement disparu au fur et à mesure que le
concept de culture a été approprié par la tradition rationnelle. Les travaux
sur la culture ont petit à petit été incorporés à une conception positiviste
et instrumentale de l’organisation, faisant de la culture organisationnelle
un concept dominant de la littérature académique mais, reprenant ici
l’expression d’Habermas, un concept mort (Smircich et Calás, 1987 :
229).
Calás et Smircich soulignent la grande difficulté d’échapper à ces
contraintes et à ces enfermements discursifs. Elles montrent en particulier
Marta Calás et Linda Smircich 583
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champ du management (Smircich et Calás, 1987 : 246), entraînant dans
ce mouvement la mort du concept de culture (Smircich et Calás, 1987 :
248).
Calás et Smircich préconisent non pas de s’opposer mais de résister. La
posture postmoderne de résistance qu’elles adoptent invite plutôt à soup-
çonner et différer l’acceptation de n’importe quelle notion de vérité, à
questionner la possibilité d’atteindre la vérité en ce que celle-ci est tou-
jours inscrite dans un cadre historique où le vrai et le faux sont posés au
centre d’un style dominant de pensée (Smircich et Calás, 1987 : 248).
La tâche qu’elles se donnent est alors double. Il s’agit de montrer com-
ment la théorie moderne des organisations ferme « ce qui peut être dit
comme relevant de la connaissance organisationnelle » (Calás et Smircich,
1991 : 567) et d’ouvrir le discours sur l’organisation à un plus large éven-
tail d’orientation et d’interprétation.
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intérêts d’acteurs habituellement minoritaires ou marginalisés. Les théo-
ries féministes ou les théories post-coloniales, sur lesquelles Calás et
Smircich ont abondamment travaillé, ont pour projet de faire entendre les
points de vue de la femme, du genre, de la race, de l’ethnie… générale-
ment absents des travaux académiques en théories des organisations. Faire
parler les voix minoritaires n’a pas pour but de les conduire un jour à une
position de domination. L’objectif est plutôt de maintenir l’ouverture du
discours et faire ainsi échec aux tentatives totalitaires (aux visées d’intégra-
tion universalisante et d’explication globalisante) de ceux qui veulent
devenir ou rester dominants (Smircich et Calás, 1987 : 249).
Le projet est donc de questionner sans cesse l’autorité investie dans nos
catégories, nos champs et nos disciplines pour déterminer les bases de nos
connaissances. Il suppose une démarche réflexive par laquelle le chercheur
est amené à questionner les hypothèses implicites de son travail et à énon-
cer explicitement son positionnement. Cette posture de réflexivité est très
présente dans les écrits de Marta Calás et Linda Smircich qui s’attachent à
préciser, dans la plupart de leurs travaux, les éléments de contexte et
d’esprit dans lesquels ils ont été écrits ainsi que le statut qu’ils reven-
diquent. Pour exemple, voici comment, en 1996, elles présentent leur
analyse de la littérature sur les théories féministes en théories des organi-
sations : « We do not claim to write as “detached” observers : as authors we
have our favored positions in between the “post” discourses ; as a Latina and a
white US woman who write together and share their professional and per-
sonal lives, mostly within US contemporary institutions but also in other
Marta Calás et Linda Smircich 585
places in the world, we recognize that our writings come from particulary (dis)
located positions ». (Calás et Smircich, 1996 : 219)
Comme Calás et Smircich le défendent, dans un monde fragmenté
comme le nôtre, les points de vue totalisants sont condamnés à échouer.
Nous avons besoin de discours multiples pour pouvoir participer aux
nombreux « jeux de langage » que nous rencontrons (Calás et Smircich,
1987 : 249). En 2003, dans un propos inspiré par Bruno Latour, elles
poursuivent cette réflexion épistémologique en invitant à concevoir nos
projets de connaissance dans une voie/voix « non-moderne » qu’elles
présentent ainsi : « He [Latour] asks us to interpret our present time not as
modernity or postmodernity, but as non-modernity, because in his view moder-
nity and its dream of being able to separate facts from values, ends and means,
things and people, while always moving towards an ever better future, never
really happened. (…) we must replace the idea of “experts” (some of us) with
that of “co-researchers” (all of us). (…) As consumers, militants, citizens, we
are all now co-researchers (Latour, 2001). And thus, we see this as an option
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for organization studies. An option for rethinking our institutions, our univer-
sities included, as more hybrid forums, as space for co-researching (…) »
(Calás et Smircich, 2003c : 604-605).
Donner la voix au silence, c’est donc aussi contester certaines voix
dominantes et propos d’autorités et concevoir la production de connais-
sance comme une tâche collective au service d’une communauté élargie.
Cette conception de la connaissance implique en particulier de repenser
les institutions et les pédagogies de la connaissance (Calás et Smircich,
2003b : 52-53). Si l’argumentation de Marta Calás et Linda Smircich est
en premier lieu de nature épistémologique, interrogeant les modalités de
production de la connaissance dans le champ des théories des organisa-
tions, l’évolution de leur réflexion les conduit de plus en plus à interroger
le rôle « politique » que jouent ces théories comme l’évoque la citation
suivante : « Our project is an epistemological one. We are not intending to
suggest ways of organizing or managing from feminist perpectives. Rather, our
intent is to foster feminist theories as conceptual lenses to enact a more relevant
“organization studies” ; an organization studies which will bring “into the
picture” the concerns of many others, not only women, who are often made
invisible in / through organizational processes » (Calás et Smircich, 2006 :
286).
La deuxième partie de l’article s’attache à incarner la nature et la visée
du projet de connaissance porté par Marta Calás et Linda Smircich.
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poststructuralisme et postmodernisme de part et d’autre de l’Atlantique.
En effet, comme le rappelle Angermüller (2007), le terme de poststructu-
ralisme et son concept frère de postmodernité sont nés dans les années
soixante-dix dans les départements d’anglais nord-américains. Ils rassem-
blaient sous un même étendard des auteurs, majoritairement français,
comme Michel Foucault et Jacques Derrida en tête de ce mouvement et
d’autres figures parmi lesquelles Jean-François Lyotard, Gilles Deleuze,
Roland Barthes, Jean Baudrillard ou Jacques Lacan. Ces auteurs avaient
cependant beaucoup de mal à se concevoir comme un ensemble de pen-
seurs homogènes et s’interrogeaient également sur le sens que pouvait
recouvrir l’étiquette de poststructuraliste. Nous avons encore aujourd’hui
en France, du mal à embrasser l’ensemble de ces auteurs d’un même
regard.
Le positionnement épistémologique de Calás et Smircich correspond
cependant bien à cette acception nord-américaine du poststructuralisme
auquel est associé habituellement :
« a) la critique du sujet parlant souverain, b) le privilège accordé à la
matérialité langagière et discursive, c) la non-clôture et l’hétérogénéité des
terrains symbolique et social, d) la mise en cause des modèles postulant la
1. Les approches postcoloniales en théorie des organisations mettent en évidence l’exclusion et la mise
sous silence d’une connaissance organisationnelle non occidentale, qualifiée « d’étrange » dans les canons
de la théorie organisationnelle ; la représentation simplificatrice de « l’autre » dans les discours occiden-
taux et les erreurs d’analyse résultant de l’application de notions et définitions de l’Ouest dans des con-
textes non-occidentaux (Calás et Smircich, 1999, 2003b).
Marta Calás et Linda Smircich 587
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Par la mobilisation des démarches et des méthodes inspirées du
poststructuralisme elles vont s’appliquer à dévoiler et déconstruire les non-
dits et les tenus pour acquis en matière de genre dans le champ des études
organisationnelles (partie 2.2).
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les femmes plutôt que l’élimination des inégalités de genre dans les orga-
nisations.
Même si ces trois approches (libérale, radicale, psychanalytique) par-
tagent une même visée réformiste, elles demeurent très différentes sur ce
que cela peut vouloir dire. L’annexe 2 permet d’illustrer ces divergences.
Cette annexe reprend le principe d’illustration utilisée par Marta Calás et
Linda Smircich (1996 et 2006) et nous raconte, avec 10 ans d’écart, l’his-
toire de deux femmes : Ellen, confrontée au plafond de verre (Calás et
Smircich, 1996) et Sarah qui doit faire face au dilemme de l’arbitrage entre
travail et famille (Calás et Smircich, 2006). Pour chaque posture féministe
l’attitude des deux femmes, leur vision du problème, les solutions qu’elles
entrevoient vont être différentes.
Le deuxième groupe est formé par les approches socialiste, postmo-
derne/poststructuraliste et enfin transnationale/post-coloniale. Calás et
Smircich se réclament plutôt de cette deuxième famille même si elles rap-
pellent qu’il ne faut pas surestimer les points communs de ces perspectives
théoriques contrastées. Ce qu’elles partagent cependant réside dans une
vision complexe du genre qui distingue clairement cette notion de celle du
sexe biologique. Le genre est socialement construit, et peut être compris
comme un processus produit et reproduit au travers des relations de pou-
voir des différents membres de la société. Les approches féministes
3. La traduction utilisée ici de « femmes en gestion » pour l’expression « women-in-management » est
empruntée à Linda Rouleau (2007).
Marta Calás et Linda Smircich 589
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tions sont engendrées par une multiplicité de processus contribuant à la
reproduction de cette oppression et de ces discriminations. Pour ces
approches, la manière d’envisager le changement doit partir de l’analyse de
la structuration complexe des relations économique, culturelle, de
connaissances, appréhendées comme des relations de pouvoir, dans les-
quelles les identités et subjectivités de genre (et autre) prennent forme
(Calás et Smircich, 2006 : 301). L’annexe 2, au travers des histoires d’Ellen
et de Sarah, illustrent les différentes approches en réponse à ces interroga-
tions communes.
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produisent des effets dévastateurs sur toute revendication de fixer un sens
unique et simple et favorise la possibilité d’autres interprétations »
(Smircich et Calás, 1987 : 255).
Le travail de recherche devient alors un travail de « lecture » et de « ré-
écriture » comme elles le défendent, par exemple, dans leur déconstruction
féministe du rapport Porter/McKibbin5 portant sur l’évaluation des insti-
tutions universitaires : « Thus, our review is more a “reading”, as in litterary
theory where criticism stands as a text in its own right, than a review. Our
approach is congruent both with poststructuralist and feminist approaches in
that it accepts multiple interpretations due to the flexibility of discourses
(words mean more than they say ; the signifier is loose from the signified) and
in that it wishes to escape the “fixities” of male-produced discourse (Weedon,
1987). Because of this position from which we are speaking, we are paying
attention to the ways this text performs as a locus of Western white male patri-
archal activity. We accept, however, that our reading is one of the many pos-
sible interpretations over this text, and, by the same token, we claim the
legitimacy of ours. » (Calás et Smircich, 1990 : 698)
4. Cette expression est empruntée à Linda Rouleau qui définit la sexualisation comme « ce qui exprime
la non-neutralité des théories des organisations en matière de genre, lesquelles reposent sur des méta-
phores et des modèles de connaissance rappelant les caractéristiques de la masculinité » (2007 : 253).
5. Le rapport de Lyman Porter et Lawrence McKibbin (1988), commandé par l’American Assembly of
Collegiate Schools of Business (AACSB) portait sur l’évaluation des business schools américaines et l’avenir
de ces institutions d’enseignement. Dans ce rapport, intitulé Management Education and Development :
Drift or Thrust into the 21st Century ?, les auteurs soulevaient un certain nombre de problèmes et
prônaient la nécessité d’un changement radical des business schools pour aller vers un modèle d’excellence.
Marta Calás et Linda Smircich 591
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à la montée en puissance d’un discours académique sur les femmes en
gestion et la promotion de « valeurs féminines » dans le management des
organisations. Leur analyse les amène à dénoncer la reproduction du
schéma de domination masculine sur lequel repose cette conception
comme le laisse entendre cette citation : « We argue that there is, in fact, a
close relationship between feminine-in-management and “globalization”. If
approached separately, each of these managerial discourses appears to bring
about fundamental changes in corporate America. However, when taken
together, one — the feminine-in-management — maintains the domestic bal-
ance of power that allows for the other — globalization— to fight for con-
tinuing that same balance in the international arena. » (Calás et Smircich,
1993 : 72, soulignés par les auteurs)
L’article le plus exemplaire, et le plus souvent cité, qui déploie de
manière détaillée l’ensemble de ces dispositifs méthodologiques, est assu-
rément celui de 1991 paru dans Organization Studies. Dans cet article,
Calás et Smircich se livrent à un exercice de déconstruction féministe de
la notion de leadership sur la base de quatre ouvrages célèbres du domaine6.
L’examen des conditions culturelles des époques de publication et l’analyse
de la construction rhétorique de ces ouvrages, les amènent à considérer le
concept de leadership comme une figure rationnelle et affichée dont le
pendant opposé et masqué, mais bien présent, est la séduction. Derrière
6. The Functions of the Executive de Chester Barnard de 1938 ; The Human Side of Enterprise de Douglas
Mc Gregor de 1960 ; The Nature of Managerial Work d’Henri Mintzberg de 1973 et In Search of
Excellence de Thomas Peters et Robert Waterman de 1982.
592 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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and maintenance of social relations of inequality and subordination, inclu-
ding gender, race, ethnic, class, and sexuality relations. Organizational
research supported by feminist theorizing and analyses would start by regar-
ding gender as a central axis around which organizing/organization occurs.
Observation and study of organizations informed by feminist theorizing
would be guided by critical awareness of possible relations of domination/
subordination and would bring a focus on emancipatory change. » (Calás et
Smircich, 2009 : 247-248)
Cette revendication à concevoir une connaissance (dans sa nature et
dans ses pratiques de production et de diffusion) capable de contribuer à
changer les rapports d’inégalités de la société et à favoriser l’émancipation
des voix minoritaires et dominées, s’affirme au fil de leurs travaux de
manière de plus en plus marquée. C’est au travers de cette évolution que
nous proposons, dans la conclusion de ce chapitre, de lire et d’interroger
certaines caractéristiques de leur travail.
7. L’ethnographie institutionnelle peut se définir comme « emphasizes connections among the sites and
situations of everyday life, management/professional practice, and policy making, considered from people’s loca-
tion in everyday life … but the research is not confined to the everyday life of the anchor group at this point
of entry. Rather, the institutional ethnographer traces how those lives are organized through the social relations
of their context » (Calás et Smircich, 2009 : 258). L’article de Porschitz, E. ; Smircich, L et Calás, M.
(2016) offre un exemple empirique récent d’utilisation de cette approche méthodologique.
Marta Calás et Linda Smircich 593
Conclusion
Le travail de Marta Calás et Linda Smircich est marqué d’une forte
identité qui, comme le souligne Brewis (2005), replacé dans son contexte
historique et institutionnel (celui de la recherche en théories des organisa-
tions nord-américaine de tradition managérialiste et positiviste), lui
confère une place essentielle dans sa capacité à énoncer des voies alterna-
tives de connaissances sur les organisations.
Dans un tel contexte, on peut aisément concevoir que ce positionne-
ment a été l’objet de critiques. On leur a par exemple reproché leur lecture
« obsessionnelle » ou « hystérique »8 au travers du filtre du genre et de la
sexualité. C’est la critique qu’adresse Henri Mintzberg en réponse à leur
article qui proposait une déconstruction féministe de son ouvrage The
Nature of Managerial Work (Calás et Smircich, 1991). Dans ce même
commentaire, Mintzberg (1991) évoque également le caractère parfois
hermétique de l’écriture de Calás et Smircich. Cette critique sera reprise,
mais cette fois pour leur défense par Learmonth (2004), qui suggère que,
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à l’instar du travail de Jacques Derrida, elles adoptent un style délibéré-
ment difficile pour illustrer que tous les textes sont denses, compliqués et
sujets à de multiples interprétations.
Plus fondamentalement, la question posée par Marta Calás et Linda
Smircich est celle du rôle politique que peut, que doit jouer la connais-
sance. Cette question est soulevée à de nombreuses reprises dans leurs
travaux qui interrogent tant la nature que les pratiques institutionnelles de
production et de diffusion des connaissances. Par exemple en 2001, dans
un éditorial de la revue Organization elles s’interrogent sur le système uni-
versitaire et sa capacité à placer les valeurs démocratiques et pluralistes au
service d’une plus grande justice sociale. C’est autour de ces questions,
qu’elles argumentent de la nécessité d’abandonner le cadre épistémolo-
gique postmoderne (Calás et Smircich, 1999 ; 2003b ; 2009). Elles justi-
fient cette évolution, surprenante au regard de leurs précédents travaux, en
mentionnant que l’épistémologie postmoderne a permis de nombreuses
avancées mais que son anti-essentialisme radical interdit de fonder de
véritables bases pour l’action et un véritable engagement politique de la
connaissance (Calás et Smircich, 1999 : 659). Elles voient dans les études
féministes, les analyses post-coloniales ou encore dans la théorie de l’ac-
teur-réseau des voies de dépassement qui permettront d’apporter le cadre
8. Elles emploient elles-mêmes cette expression de « lecture hystérique » pour qualifier leur travail rap-
pelant la définition qu’en donne Foucault : l’une des peu nombreuses positions de sujet (plutôt que
d’objet) à partir de laquelle les femmes peuvent parler dans la période moderne (Calás et Smircich,
1990 : 704).
594 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Critical Management Studies (Alvesson et al., 2009), est aujourd’hui large-
ment ouvert et auquel leur travail, sans aucun doute, apporte une contri-
bution. À ce titre, la principale contribution des travaux de Marta Calás
et Linda Smircich au champ des théories des organisations est celle d’une
identité féministe en mouvement.
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Calás, M., Smircich, L. (1997a), « ¿ Predicando la Moral en Calzoncillos ?
Feminist Inquiries into Business Ethics », in Sarson, A. et Freeman, R. (Eds.),
Women’s Studies and Business Ethics : Towards a new Conversation, Chap. 3,
p. 50-79.
Calás, M., Smircich, L. (Eds.) (1997b), Postmodern Management Theory, Col.
History of Management Thought, Dartmouth Pub Co.
Calás, M., Smircich, L. (1999), « Past Postmodernism ? Reflections and Tentative
Directions », Academy of Management Review, vol. 24, n° 4, p. 649-671.
Calás, M., Smircich, L. (2001), « Introduction : does the House of Knowledge
Have a Future ? », Organization, vol. 8, n° 2, p. 147-148.
Calás, M., Smircich, L. (2002), « Symposium : on Critical Management
Studies », Organization, vol. 9, n° 3, p. 363.
Calás, M., Smircich, L. (2003a), « Introduction : Spirituality, Management and
Organization », Organization, vol. 10, n° 2, p. 327-328.
Calás, M., Smircich, L. (2003b), « To be done with Progress and Other Heretical
Thoughts for Organization and Management Studies », Research in the
Sociology of Organizations, vol. 21, p. 29-56.
Calás, M., Smircich, L. (2003c), « At home from Mars to Somalia : Recounting
Organization Studies », in Tsoukas, H. et Knudsen, C. (Eds.), The Oxford
handbook of Organization Theory : Meta-theoretical Perspectives, Chap. 22,
p. 596-606, Oxford University Press.
Calás, M., Smircich, L. (2006), « From “The Woman’s” Point of View Ten Years
Later : Towards a Feminist Organization Studies », in Clegg, S. ; Hardy, C. ;
Lawrence, T. et Nord, W., The Sage Handbook of Organization Studies, chap
1.8, p. 284-346, Sage Publications.
Calás, M., Smircich, L. (2009), « Feminist Perspectives on Gender in
Organizational Research : What is an is Yet to be », in Buchanan B. et
596 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Social Organization of the War for Talent », Management Learning, vol. 47,
n° 3, p. 343-360.
Smircich, L. (1983), « Concepts of Culture and Organizational Analysis »,
Administrative Science Quarterly, vol. 28, p. 339-358.
Smircich, L. (1985), « Is the Concept of Culture a Paradigm for understanding
Organizations and Ourselves ? », in Frost, P. ; Mouor, L. ; Louis, M. ;
Lundberg, C. et Martin, J. (Eds.), Organizational Culture, p. 55-72, Sage
Publications.
Smircich, L., Calás, M. (1987), « Organizational Culture : A Critical Assessment »,
in Jablin, F. ; Putman, L. ; Roberts, K. et Porter, L. (Eds.), Handbook of
Organizational Communication : An Interdisciplinary Perspective, 228-263.
Smircich, L., Calás, M. (Eds.) (1995), Critical Perspectives on Organization and
Management Theory, Col. History of Management Thought, Dartmouth Pub
Co.
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PSYCHANALY-
École de pensée LIBERAL RADICAL SOCIALISTE STRUCTURALISTE TRANSNATIONAL /
TIQUE
POSTMODERNE (POST)COLONIAL
Emerge dans les
années soixante-dix
Intersection des
des mouvements de Critiques contempo-
Théories psychana- approches critiques
Mouvements de libération féministes raines françaises
Théorie politique lytiques freudiennes du féminisme occi-
Racines libération de la qui cherchent à syn- poststructuralistes
libérale des XVIIIe et et autres. En parti- dental et des cri-
intellectuelles femme de la fin des thétiser les de la connaissance,
XIXe siècle. culier les théories de tiques postcolo-
années soixante. approches fémi- de l’identité et de la
la relation d’objet. niales des épistémo-
nistes marxistes, subjectivité.
logies occidentales.
psychanalytiques et
radicales.
Analysée comme un
La nature humaine
Décentration par construit occidental
est créée historique-
Les individus sont rapport à la rationali- qui fait « l’autre »
Les êtres humains La nature humaine ment et culturelle-
Conception de des êtres auto- té et à l’identité invisible ou
sont fondamentale- se développe biolo- ment au travers d’in-
la nature nomes rationnels humaniste. La sub- « presque humain ».
ment des êtres giquement et psy- terrelations dialec-
humaine (dualisme corps/ jectivité et la Parle également
sexués. cho-sexuellement. tiques entre la biolo-
esprit). conscience sont des d’essentialisme stra-
gie, la société et le
effets discursifs. tégique’ et de sub-
travail humain.
jectivités hybrides.
Les individus
deviennent sexuelle- Le genre est un pro- Constitution de sub-
Le sexe et le genre
ment identifiables au cessus socialement jectivités complexes
sont des pratiques
cours de leur déve- construit au travers au-delà les concep-
La « sex class » est discursives qui
Le sexe est une part loppement psycho- de l’intersection du tions occidentales
la condition des construisent les sub-
Conception du essentielle de la sexuel. Le genre sexe, de la race, de de sexe et de genre.
femmes, comme jectivités au travers
sexe / genre dotation biologique. structure un sys- l’idéologie et des Met l’accent sur la
classe dominée de du pouvoir, de la
Une variable binaire. tème social de expériences d’op- dimension de genre
la société. résistance et de la
domination mascu- pressions dans les de la globalisation et
matérialité des corps
LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Alors qu’elle réfléchit à l’entretien qu’elle a récemment accordé à un journaliste pour un article qui portait sur les femmes qui devenant mère, décident d’ar-
rêter de travailler pour rester à la maison, Sarah a des doutes. Elle doute que ce soit la bonne chose à faire.
féministe libérale féministe radicale féministe psychanalytique
Bien sûr elle croit au droit d’une femme à choisir Grâce à son groupe de prise de conscience elle a Sarah réalise que ses pensées reflètent les pra-
son mode de vie, mais pourquoi devrait-elle aban- pu adopter une perspective très différente de la tiques et les modèles d’éducation et de socialisa-
donner sa carrière pour rester à la maison avec situation. Et maintenant elle déborde de questions. tion des précédentes décennies. Elle, comme son
les enfants ? Après tout, elle a une excellente Sa situation personnelle n’est-elle pas la manifes- mari et leurs amis, pourraient être enfermés dans
éducation et a travaillé dur. Clairement elle tation du système patriarcal ? Pourquoi est-elle des modèles de ce qu’un bon père ou une bonne
apporte une contribution importante à sa commu- celle qui reste à la maison ? Pourquoi pas Mic- mère doivent faire. Si elle est celle qui reste à la
nauté avec son travail. Ses prédécesseurs dans kaël ? Ses capacités biologiques de donner la vie maison avec les enfants, ne va-t-elle pas repro-
les mouvements féministes ont lutté pour obtenir font-elle d’elle une meilleure « gardienne » ? Sa duire et perpétuer ces schémas ? Peut-être qu’elle
une situation qu’on peut considérer aujourd’hui situation est-elle simplement le reflet du pouvoir et son mari adopteront un modèle d’éducation
comme un acquis. Elle est reconnaissante que masculin ? Elle devrait sortir de la compétition et égalitaire. Ensemble ils forgeront un nouveau
ses droits à l’éducation et à l’emploi ne soient plus avoir une existence plus harmonieuse, rejoindre modèle de relations qui érodera les modèles
en question. Mais c’est maintenant à son tour de une organisation « women-centered », dans patriarcaux auxquels ils ont contribué. D’un autre
se mobiliser pour que les femmes n’aient plus à laquelle elle pourrait s’exprimer émotionnellement. côté, peut être que ses valeurs féminines : amour,
choisir entre leur travail et leur famille. Il est Peut être une organisation de défense des confiance, authenticité, si importantes pour élever
nécessaire de faire des ajustements dans les femmes dans le besoin, et peut être emmener ses les enfants, devraient se propager en dehors de la
modes de travail : partage du temps de travail ? enfants au travail… Mais, et à propos de Mic- maison, pour gagner le monde du travail, le
Travail à domicile ? des crèches sur le lieu de tra- kaël ? (2006 : 296) monde tout court. Le temps est venu de valoriser
vail ? Ou peut-être des politiques familiales sem- un mode de management féminin et aux pères de
blables à la Scandinavie qui ne forcent pas des rester à la maison. (2006 : 299)
femmes à choisir entre le travail et la famille.
Sarah est prête à devenir une activiste. Après tout,
elle est avocate du travail expérimentée dans la
négociation ! (2006 : 293)
LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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XXXVII. ROBERT COOPER ET GIBSON BURRELL – MODERNISME,
POSTMODERNISME ET THÉORIE DES ORGANISATIONS
Florence Allard-Poesi
in Sandra Charreire Petit et al., Les Grands Auteurs en Management
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Modernisme,
postmodernisme et théorie
des organisations
Florence Allard-Poesi
Robert Cooper et Gibson Burrell 605
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Cet ensemble d’articles a introduit les idées majeures du mouvement
postmoderne et contribué à diffuser, en théorie des organisations, les tra-
vaux de philosophes français comme Derrida, Lyotard, Foucault, et, dans
une moindre mesure, Deleuze. Il revêt de fait un statut particulier parmi
les nombreuses contributions consacrées au postmodernisme qui lui ont
succédé dans ce champ (voir Hassard, 1993 ; Chia, 1995 ; Alvesson et
Deetz, 1996). Outre que cette contribution est considérée comme inspi-
ratrice, fondatrice de ce courant en théorie des organisations (e.g. Hassard,
1993 ; Calás et Smircich, 1999), les présentations et analyses du postmo-
dernisme qu’elle propose sont souvent reprises directement par les cher-
cheurs s’inscrivant dans cette perspective1. Elle a ainsi concouru à l’intro-
duction des approches déconstructives et généalogiques en théorie des
organisations.
Plus indirectement, ce travail a aussi servi de point d’ancrage aux cri-
tiques et débats parfois virulents ayant opposé postmodernistes, moder-
nistes critiques (Parker, 1995 ; Alvesson, 1995) et féministes poststructu-
ralistes (Hearn et Parkin, 1993 ; Calás et Smircich, 1992), débats qui, une
fois apaisés, ont laissé la place au renouveau critique que connaissent la
théorie des organisations et certaines disciplines de la gestion (voir
Golsorkhi, Huault et Leca, 2009 ; Golsorkhi, Rouleau, Seidl et Vaara,
2015).
1. Les principes de la déconstruction et la vision derridienne de l’écriture exposés par Cooper, 1989 (voir
Linstead, 1993) ; l’analyse foucaldienne du pouvoir proposé par Burrell, 1988 (voir Gergen, 1992, par
exemple).
606 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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moderne, et par la pensée de ses figures majeures, employant des niveaux
de lecture (philosophiques, théoriques, méthodologiques, voire éthiques)
et des modalités de traitement (celui de la description, celui de l’analyse,
voire celui de la polémique) différents, les articles de Cooper et Burrell ne
sont pas d’un accès très aisé. L’écriture des auteurs elle-même qui se veut
« respectueuse de la phraséologie, des concepts et des formes d’expérience
(Cooper et Burrell, 1988 : 92) » des œuvres qu’ils abordent, amplifie le
sentiment d’hermétisme et de réelle difficulté que l’on peut ressentir à la
lecture de ces travaux. La ré-écriture que nous en proposons ici ne saurait
en donner une représentation fidèle, encore moins exhaustive. Nous pré-
sentons dans un premier temps la vision du modernisme qu’exposent
Cooper et Burrell (1988) dans leur premier article et, par contraste, les
traits majeurs du discours postmoderne et l’approche analytique qu’il
implique. Certaines des conséquences envisagées par les auteurs pour la
conception des organisations d’une part, et pour la théorie des organisa-
tions d’autre part, sont ensuite exposées. Nous concluons en abordant les
grandes lignes des débats ayant émaillé le développement du courant
postmoderne et ses incidences marquantes en théorie des organisations.
Robert Cooper et Gibson Burrell 607
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Le modernisme est avant tout « ce moment où l’homme s’est inventé
lui-même ; lorsqu’il ne s’est plus vu comme étant le reflet de Dieu ou de la
Nature (Cooper et Burrell, 1988 : 94) ». Avec la philosophie des Lumières,
la raison devient en effet l’attribut supérieur de l’être humain. Nous cessons
de dépendre d’une autorité supérieure, nous pensons par nous-même, et
nous pouvons exercer un sens critique. Cette notion de raison fut rapide-
ment appropriée par Comte et Saint Simon pour tenter de résoudre les
problèmes croissants d’administration et de gouvernement posés par l’in-
dustrialisation de la société. Cooper et Burrell (1988) soulignent qu’elle fut
cependant subvertie par cette application aux systèmes sociaux, donnant
naissance à deux versions distinctes du modernisme :
– Un modernisme systémique, dominant aujourd’hui, incarné en particu-
lier par les travaux de Bell (1974), dans lequel la raison est l’attribut du
système social dans son ensemble. Dans cette perspective, l’organisation
développe et utilise des connaissances théoriques (théorie de l’information,
de la décision, des jeux, par exemple), afin de définir, compte tenu d’un
résultat préféré, les moyens et les actions (rationnelles) à mettre en œuvre.
Cette rationalité s’exprimerait notamment dans les notions de performance
(performativité, productivité), c’est-à-dire la capacité du système à optimi-
ser les relations entre inputs et outputs. Ces notions viendraient en même
temps légitimer la primauté de l’organisation économique par rapport à
d’autres formes d’organisation (légales, par exemple), ainsi que son mode de
fonctionnement (ses procédures administratives, son assujettissement de la
raison individuelle).
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une place à une rationalité différente (dite communicative), permettant
l’émancipation et la libération de l’homme.
Qu’elle soit propriété du système social ou d’individus en interactions,
l’idée de raison autorise un idéal d’unité (d’universalité) des connaissances
que l’on produit. Cet idéal suppose néanmoins que le langage et nos dis-
cours reflètent, tel un miroir, « cette raison et l’ordre du monde (Cooper et
Burrell, 1988 : 97) ».
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qui sait déjà. La philosophie de la présence sur laquelle il repose implique
nécessairement une réponse aux questions que l’on se pose, une bonne
façon de faire pour atteindre certains objectifs. De fait, bien qu’ancrant sa
légitimité dans de grands récits tels l’émancipation du sujet rationnel ou
du travailleur, ou l’amélioration du bien-être, le discours moderne revêt
un caractère totalisant.
Ce sont tout à la fois ces idées de raison et de référentialité du langage,
cet idéal d’universalité, et avec, les idées de liberté et de progrès, que
remettent en cause les postmodernes.
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prédominance des notions d’utilité, d’adaptation, de régulation est exem-
plaire de cette dimension réactive, et plus largement de cette « volonté de
savoir » (will to know) qui nous pousse à rendre le monde déterminé,
pensable, contrôlable.
Ainsi, alors que le discours moderne justifie nos actions et croyances en
leur donnant une apparence de naturalité et de logique (logos), le discours
postmoderne cherche à montrer comment la force supérieure de l’actif est
à la fois présente et inversée, reniée, dans la force inférieure du réactif
(Deleuze, 1983 ; 1986), pour, in fine, révéler les instabilités caractérisant
les expériences humaines. Ce regard généalogique qui constitue un des
traits essentiels du postmodernisme, est à l’œuvre dans l’analyse des sys-
tèmes disciplinaires élaborée par Foucault, dans l’analyse déconstructive
du langage et de l’écriture menée par Derrida, et plus largement, dans
l’analyse des grands récits de la modernité élaborée par Lyotard (Cooper
et Burrell, 1988).
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redressement de l’esprit d’une part, du corps et des comportements d’autre
part. Ces techniques se marquent par le développement d’architectures
panoptiques au XIXe siècle (les hôpitaux, les écoles, les prisons, les pre-
mières fabriques), et des méthodes d’éducation et d’entraînement visant à
discipliner le corps, les comportements sociaux (manuel de comportement
appropriés, emploi du temps, évaluation, correction) et sexuels (appari-
tion des premières classifications des comportements sexuels). Ces
méthodes dites de bio-pouvoir, initialement développées par l’armée, sont
importées dans les hôpitaux, les prisons, les asiles, les universités et les
écoles. Le développement de ces méthodes et institutions s’appuient en
outre sur de nouvelles professions expertes du corps et de l’esprit : les
pédagogues, les psychiatres, les psychologues, les démographes.
La connaissance et les discours scientifiques ici, loin d’émanciper le
sujet, permettent son homogénéisation (par la définition de normes), son
individualisation (par la mesure d’écarts), et donc son contrôle, l’exercice
du pouvoir et de la domination (Burrell, 1988 ; Cooper et Burrell, 1988 ;
Cooper, 1989). Dans cette analyse, le pouvoir n’est certes pas une pro-
priété d’institutions ou d’individus, mais est une caractéristique intrin-
sèque aux réseaux de relations qui s’instaurent entre les individus, et qui
s’activent en particulier dans les processus d’éducation, de thérapie et
d’organisation. C’est ainsi dans et par les micro-physiques de la vie sociale
qu’émerge la globalité, le caractère total de la discipline et de la domina-
tion. De fait, même si nous ne vivons pas dans des institutions carcérales
ou totales, l’organisation institutionnelle de nos vies est totale : nous
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discours moderne. La vision moderne du langage suppose en effet que
celui-ci dispose d’une structure construite autour d’oppositions s’excluant
les unes les autres (Cooper, 1989). Dans cette logique, pour concevoir
« petit », je dois concevoir « grand », mais l’exclure en même temps. Cette
logique de différence et d’exclusion permet une vision dans laquelle le sens
des mots autorise leur saisie particulière : à un mot doit correspondre un
sens particulier que nous mobilisons lorsque nous l’utilisons (capacité
référentielle). Pour Derrida, le langage n’est pas animé par une logique de
différence (au sens de division et d’exclusion), mais de différance2, une
forme d’auto-référence dans laquelle tout mot contiendrait ainsi des signi-
fications contradictoires mais en même temps constitutives l’une de l’autre
(Cooper, 1989). En privilégiant une signification plutôt qu’une autre, on
diffère ainsi, on met à la marge l’autre signification (le supplément) cepen-
dant que celle-ci est nécessaire à la complétude de l’autre et revient tou-
jours à la surface, rendant toute distinction impossible (Cooper, 1989). À
une vision structurée, référentielle du langage, Derrida substitue ainsi une
conception processuelle, auto-référentielle, autonome et indécidable
(undecidable).
La déconstruction vise dès lors à mettre en évidence les processus de
différance à l’œuvre dans les discours : que ceux-ci se construisent autour
2. Du français différer, ce terme est envisagé par Derrida (in Cooper, 1989 : 488) comme possédant à la
fois la signification de « remettre à plus tard » (différer dans le temps), et de « d’être différent de » (dif-
férer dans l’espace). Saisir le sens de différer nécessite de différer une des deux significations, en même
temps que le terme absent (le a de différance) est nécessaire et essentiel à la compréhension de l’autre
terme.
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notre recherche systématique d’une présence), en même temps que le sta-
tut que nous accordons à notre pensée, nos discours et nos écrits. L’idée
que la parole et l’écriture sont des moyens de communiquer nos pensées
est ainsi conçue comme un effet du processus de division et d’inversion
(de réaction) à l’œuvre dans la différance. La force première, active (le
supplément que nous oublions), n’est pas la pensée ou la raison, mais
l’écriture, le processus par lequel nous inscrivons une organisation, un
ordre sur notre environnement (Cooper, 1989) : c’est l’écriture même qui
écrit nos pensées, qui, par effet rebond, arrivent à notre conscience. Parce
qu’elle est animée par le mouvement continu de la différance, l’écriture
implique donc la répression et l’ordre, mais aussi un mouvement continu
et inverse de corruption du sens ainsi écrit. Si l’agent humain est donc
« écrit » par l’écriture, il est de fait aussi animé par l’incertitude et le doute
intrinsèque à la différance que ce processus implique.
La déconstruction permet ainsi de révéler l’oscillation continue à
l’œuvre dans toute forme d’écriture (l’organisation en particulier), et plus
largement, dans l’expérience humaine. Lyotard (1984) s’appuie notam-
ment sur la notion derridienne de différance pour démanteler les grands
récits de la modernité et l’unité qu’ils présupposent.
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Ceux-ci atteignent la maîtrise et la domination non par l’annihilation
totale de l’autre, mais par le maintien d’une différence, d’une distance et
d’une marginalisation. Le consensus ne peut ni ne doit, dans cette pers-
pective, être atteint, en ce qu’il renierait ce de quoi il tire sa force (Cooper
et Burrell, 1988).
La notion nietzschéenne de différence est ainsi au centre de l’analyse
derridienne de l’écriture et du langage, de l’analyse foucaldienne du pou-
voir et des pratiques sociales, et de la critique de Lyotard des grands récits
de la modernité. Trait caractéristique du regard postmoderne, la différence
conduit à revoir de manière radicale nos manières de considérer l’organi-
sation et les théories que l’on élabore sur cet objet (Cooper et Burrell,
1988).
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connaissance. En termes derridiens, le regard postmoderne privilégie ainsi
« l’écriture de l’organisation », c’est-à-dire les processus par lesquels les
agents humains inscrivent une organisation, un ordre sur leur environne-
ment, en même temps que les contre-mouvements de désordre et de
désorganisation impliqués par la logique de différance à l’œuvre dans
l’écriture (Cooper, 1989).
Dans cette perspective généalogique, l’organisation est essentiellement
considérée comme un processus auto-référentiel, autonome, sans localisa-
tion précise, agissant de manière automatique (indépendamment du sujet
rationnel), et non comme un objet contrôlé et contrôlable par un humain
rationnel (logocentrisme), que l’on pourrait appréhender en/pour lui-
même (référentialité). Se référant aux travaux de Deleuze et Guattari
(1983), Cooper et Burrell (1988) nous invitent ainsi à voir l’organisation
comme une machine autonome continuellement engagée dans le traite-
ment de la matière. Cette machine, qui échappe fondamentalement à tout
contrôle, traite des flux continus d’énergie et de matières (ayant pour
source le monde physique, l’humain et l’environnement), les divise, et
finalement les codifie par le biais de discours et de connaissances afin de
limiter ses propres contours. Dans cette perspective, nos idées, discours et
images sur l’organisation, le sujet ou l’environnement, ne sont que le
résultat des processus autonomes de traitement qu’effectue l’organisation
sur les flux matériels d’énergie provenant des sujets humains et de leur
environnement. L’homme est ici une extension, une production et non le
créateur de la machine. En tant que processus auto-référentiel animé par
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l’attention qu’elle porte aux discours et à leurs rôles dans les systèmes
sociaux, se traduit par une réflexion critique sur les théories des organisa-
tions et les connaissances que l’on produit sur cet objet.
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communauté naturelle organisée autour d’un objet commun dont le succès dépend
entre autre de la capacité des dirigeants à conduire, inspirer et motiver leurs subordon-
nés. Si ce modèle reconnaît le caractère subjectif du fonctionnement organisationnel,
il souligne en même temps l’existence de limites objectives au pouvoir et à la subjec-
tivité des décideurs. Ces limites sont en particulier définies par la discipline profession-
nelle des décideurs. Paradoxalement cependant, ces qualités objectives sont définies par
les activités (subjectives) de l’expert.
Pour Frug (1984), les théories de la bureaucratie partagent ainsi une structure com-
mune : elles cherchent à définir, distinguer et rendre néanmoins compatibles les aspects
subjectifs et objectifs de la vie organisationnelle afin de donner cohérence et complé-
tude à la notion de bureaucratie. Mais la relation de supplémentarité animant les
notions d’objectivité et de subjectivité implique une référence constante à l’opposé qui
constitue une menace du terme privilégié.
lignées. Pour Cooper (1989), les analyses de Latour et Woolgar (1979) sur
les relations entre les processus d’écriture et de différance à l’œuvre dans la
recherche et la division du travail scientifique en particulier, illustre bien
cette vision postmoderne de la connaissance comme moteur et mode de
reproduction de l’ordre et du système social (voir Encadré 2 ci-après).
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Cette logique de séparation et d’inversion à l’œuvre dans l’écriture anime, plus large-
ment, l’organisation sociale du travail du laboratoire. S’il est capable de construire une
explication crédible du processus d’écriture qu’est la recherche (ce qui implique notam-
ment de supprimer le subjectif et le contingent en faveur de l’objectif et de l’établi), le
travailleur du laboratoire devient un chercheur : l’écrit devient écrit par quelqu’un qui
devient de ce fait chercheur, cause de l’écrit. Latour et Woolgar (1979) mettent ainsi
en évidence que les positions hiérarchiques, dynamiques de groupe et la structure du
laboratoire sont le résultat des processus de séparation et d’inversion à l’œuvre dans
l’écriture.
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Habermas (1984) d’un modernisme critique serait alors le dernier rempart
derrière lequel les théories des organisations pourraient se cacher (Burrell,
1994). S’il s’agit sous une forme ou une autre de poursuivre l’analyse des
organisations, on ne peut en effet, de par la logique même de l’écriture et
de l’examen que cette discipline implique, qu’embrasser le projet moderne
(Burrell, 1994).
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Suivant ici Foucault, Townley (1993), Knights et Morgan (1991),
Lilley (2001) ont analysé la constitution et les effets des disciplines que
sont les ressources humaines pour la première, la stratégie pour les seconds.
D’autres, à leur suite, étudient les ressorts et effets de techniques d’organi-
sation, de surveillance et de management spécifiques comme le travail en
équipe (Knights et McCabe, 2003), la professionnalisation et le manage-
ment de projet (Hodgson, 2005) le New Public Management (Thomas et
Davies, 2005), les politiques en faveur de la diversité (Fleming, 2007).
Suivant Habermas, certains chercheurs se sont attachés à décrire la
nature de la rationalité à l’œuvre dans les disciplines et techniques de ges-
tion pour en souligner les conséquences tant écologiques (Shrivastava,
1986) qu’humaines (Hancock et Tyler, 2004).
S’inspirant enfin des réflexions de Derrida sur le langage et l’aut(eur)
orité, nombre de chercheurs sont encouragés à (se) réfléchir et reconnaître
leur part active dans les connaissances et interprétations produites.
Questionnant l’apparente neutralité du langage, ils s’efforcent de montrer
en quoi les discours produits dans les organisations influencent la subjec-
tivité des acteurs, leur assignent des droits et des responsabilités différen-
ciés et contribuent par-là aux mécanismes de pouvoir (voir Knights et
Morgan 1991 ; 1995 ; Laine et Vaara, 2007 ; Vaara, 2010). Ces travaux,
qui participent du courant discursif, s’accompagnent de réflexions et de
questionnements quant au statut accordé au langage et aux discours étu-
diés (Alvesson et Kärreman, 2011 ; Alvesson et Sköldberg, 2000 ; 2011 ;
Robert Cooper et Gibson Burrell 621
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2 : The Contribution of Michel Foucault », Organization Studies, vol. 9, n° 2,
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Professeure en management à l’Université Paris-Est Créteil Val-de-
Marne et membre de l’Institut de Recherche en Gestion (I.R.G., EA
2354). Ses travaux de recherche portent principalement sur la construc-
tion du sens et le pouvoir dans les organisations et le rôle des pratiques
discursives dans ces processus. Elle travaille également sur les problèmes
méthodologiques et épistémologiques posés par ces objets.
David Autissier
Maître de conférences à l’Université Paris Est Créteil Val-de-Marne et
membre de l’Institut de Recherche en Gestion (I.R.G., EA 2354). Ses
travaux de recherche abordent plus particulièrement le management et la
théorie des organisations. Les thèmes développés sont la gestion du
changement, la diffusion des outils de pilotage, les systèmes d’information
et les fonctions managériales.
Olivier Babeau
Professeur à l’Université de Bordeaux. Ses travaux de recherche portent
notamment sur la transgression et l’hypocrisie organisationnelle.
626 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
Michel Barabel
Maître de conférences à l’Université Paris est Créteil Val-de-Marne et
membre de l’Institut de Recherche en Gestion (I.R.G. EA 2354). Ses
travaux de recherche porte sur l’impact du digital sur le management
(métier de manager, nouvelles formes organisationnelles, innovations
managériales) et l’international (Gestion internationale des ressources
humaines, Management interculturel).
Faouzi Bensebaa
Professeur en management à l’Université Paris 8 et membre du
Laboratoire d’Economie Dionysien (EA 3391). Ses travaux portent
notamment sur la dynamique concurrentielle, la responsabilité sociétale
de l’entreprise et les innovations managériales.
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Isabelle Bouty
Professeure en management à l’Université Paris-Dauphine, PSL
Research University et membre du centre de recherche, Dauphine
Recherches en Management (UMR CNRS 7088). Ses travaux de
recherche explorent la dynamique multi-niveaux des phénomènes organi-
sationnels dans une perspective pratique et processuelle.
Alain Desreumaux
Professeur Emérite à l’Université de Lille 1. Ses travaux de recherche et
ses publications portent sur le management stratégique, les théories des
organisations et la théorie de la firme.
Les auteurs 627
Mathieu Detchessahar
Professeur à l’IAE de l’Université de Nantes. Sa recherche porte sur les
questions de santé et de qualité de vie au travail ainsi que sur les liens entre
management, entreprise et société.
Florence Durieux
Professeure à l’Université Paris-Sud, Université Paris-Saclay. Ses travaux
de recherche portent sur la gestion de l’innovation. Plus précisément, elle
s’intéresse au processus de développement de nouveaux produits, à
l’innovation participative, à l’organisation de la R&D, à la valorisation des
résultats de recherche et au lancement et financement d’activités nou-
velles.
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Bernard Forgues
Professeur de théorie des organisations à Emlyon Business School.
Dans ses recherches actuelles, il explore principalement comment la maté-
rialité affecte et est affectée par les pratiques organisationnelles, les catégo-
ries, les technologies, la dynamique des champs institutionnels.
Damon Golsorkhi
Professeur associé à Grenoble Ecole de Management et Research Fellow
à Hanken School of Economics. Ses travaux de recherche portent sur la
fabrique de la stratégie, le pouvoir et l’innovation sociale.
François Grima
Professeur à l’Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne et membre de
l’Institut de Recherche en Gestion (I. R. G., EA 2354). Ses recherches
concernent les thématiques de la précarité, de la violence au travail et de
la carrière.
628 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
Isabelle Huault
Professeure à l’Université Paris-Dauphine, PSL Research University et
membre du centre de recherche, Dauphine Recherches en Management
(UMR CNRS 7088). Ses recherches, inscrites dans le domaine de la théo-
rie des organisations portent sur les questions d’organisation des marchés,
de régulation et de changement institutionnel.
Jérôme Ibert
Maître de conférences à l’Institut d’Administration des Entreprises de
l’Université de Lille I. Membre du laboratoire Rime Lab, ses travaux de
recherche en cours ont trait : à l’entrepreneuriat, sur les thèmes de la
pédagogie, de l’accompagnement et de l’incubation. Il a publié des travaux
dans les domaines de la stratégie et du management (concurrence, psy-
chologie sociale des organisations, compétences organisationnelles,
méthodologies de recherche en management…).
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Gérard Kœnig
Professeur en management à l’IAE Gustave Eiffel de l’Université Paris-
Est. Son activité de recherche a trait à la stratégie, au management des
organisations et aux problèmes épistémologiques rencontrés dans le cadre
d’une activité qu’il mène de plus en plus sur le mode de la recherche-
action. Il intervient comme conseil en stratégie et organisation auprès de
structures publiques et privées.
Olivier Meier
Professeur des Universités et directeur de recherche au LIPHA Paris.
Ses travaux de recherche s’inscrivent dans le domaine du management
stratégique.
Patricia Milano
Maître de conférences à l’Université Paris 8. Membre du Laboratoire
d’Economie Dyonisien (LED) au sein de l’axe gestion, ses travaux de
recherche portent sur la théorie de l’agence, les outils de gestion, le
changement.
Les auteurs 629
Ellen S. O’Connor
Senior Research Fellow, Institute for Leadership Studies, Barowsky
School of Business, Dominican University of California. Elle étudie les
écoles classiques du management.
Jean-Claude Pacitto
Maître de conférences HDR à l’IUT-TC de l’Université Paris Est
Créteil Val-de-Marne. Il est membre de l’Institut de Recherche en Gestion
et chercheur associé à l’ESSCA et à l’INRPME de l’Université du Québec
à Trois-Rivières. Ses travaux de recherche portent sur la gestion des PME
et à la rationalité de leurs dirigeants. Parallèlement il s’intéresse aux rela-
tions de pouvoir dans les organisations bureaucratiques et aux effets non
désirés des politiques publiques.
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Véronique Perret
Professeure de Management à l’Université Paris-Dauphine, PSL
Research University. Membre du centre de recherche, Dauphine Recherche
en Management (UMR CNRS), ses activités de recherche se fédèrent
autour d’une approche critique du management. Spécialiste du change-
ment organisationnel, ses travaux s’articulent autour de thématiques
comme les relations entre Art et Management ou la spatialité des pratiques
organisationnelles.
Benjamin Taupin
Maître de conférences en théorie des organisations au Conservatoire
national des arts et métiers (Cnam). Il est membre du Laboratoire LIRSA
(EA 4603). Ses recherches portent sur les dynamiques organisationnelles
contemporaines dans divers secteurs (finance, tourisme, disque, etc.) et
s’inspirent d’approches sociologiques, notamment la sociologie pragma-
tique française.
Isabelle Vandangeon-Derumez
Maître de conférences HDR en management à l’Université Paris Est
Créteil. Elle est membre du laboratoire de recherche IRG (Institut de
630 LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT – 3e ÉDITION
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Table des matières
Introduction
Sandra Charreire Petit et Isabelle Huault. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
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Quand le management est à la recherche de principes universels
I. Chester I. Barnard
L’organisation formelle ou l’art de la coopération
Michel Barabel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
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X. Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik
La dépendance des ressources est stratégique
Sandra Charreire Petit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
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d’innovation
Jérôme Ibert. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281
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Faouzi Bensebaa. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 419
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XXXVII. Robert Cooper et Gibson Burrell
Modernisme, postmodernisme et théorie des organisations
Florence Allard-Poesi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 604
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456 pages – 39 € – ISBN : 978-2-84769-877-0 496 pages – 39 € – ISBN : 978-2-84769-673-8
Dir. par Olivier LAVASTRE, Valentina CARBONE et Dir. par Karim MESSEGHEM et Olivier TORRÈS
Blandine AGERON Ce livre a une visée académique mais aussi une portée
Cet ouvrage s’attache à présenter les auteurs qui ont politique. Il explique les ressorts et les nejeux de la société
marqué la logistique et le Supply Chain Management. entrepreneuriale de ce début de XXe siècle.
LES GRANDS AUTEURS EN MARKETING LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT
2e ÉDITION INTERNATIONAL
472 pages – 37,50 € – ISBN : 978-2-84769-858-9 406 pages – 37,50 € – ISBN : 978-2-84769-631-8
Dir. par Alain JOLIBERT Dir. par Ulrike MAYRHOFER
Cet ouvrage présente en vingt chapitres les apports de ceux Les multiples défis liés à l’internationalisation des activités
qui ont contribué le plus à ce qu’est devenu le marketing invitent à la (re)lecture des travaux portant sur le manage-
aujourd’hui. ment international.
LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT DE LES GRANDS AUTEURS EN MANAGEMENT
L’INNOVATION ET DE LA CRÉATIVITÉ 2e ÉDITION
648 pages – 49 € – ISBN : 978-2-84769-812-1 640 pages – 49,70 € – ISBN : 978-2-84769-113-9
Dir. par Thierry BURGER-HELMCHEN, Caroline HUSSLER Dir. par Sandra CHARREIRE PETIT et Isabelle HUAULT
et Patrick COHENDET Cet ouvrage est l’expression d’une volonté : celle de présen-
Cet ouvrage revient sur les principaux auteurs en manage- ter de grands auteurs en management, d’illustrer le caractère
ment de l’innovation, leurs théories, préceptes et implica- foisonnant d’un champ et ses nombreuses connexions dis-
tions concrètes pour répondre aux besoins d’innovation des ciplinaires. La grande diversité des auteurs choisis témoigne
entreprises et de nos sociétés contemporaines. des évolutions permanentes qui traversent le champ.