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LA POLITISATION DE LA SCIENCE.

REVUES ÉPHÉMÈRES ET
MOUVEMENTS DE CRITIQUE DES SCIENCES EN FRANCE

Renaud Debailly

Presses Universitaires de France | « L'Année sociologique »

2013/2 Vol. 63 | pages 399 à 427


ISSN 0066-2399
ISBN 9782130617907
DOI 10.3917/anso.132.0399
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2013-2-page-399.htm
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La politisation de la science.
Revues éphémères
et mouvements de critique
des sciences en France

Renaud Debailly
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Résumé. – L’article étudie les liens entre science et politique à la lumière des
mouvements de critique des sciences apparus au cours des années 1970. Les critiques
émises par les scientifiques sur leur propre activité sont d’abord analysées comme un
processus de politisation distinct de l’engagement pacifiste des physiciens nucléaires
après la Seconde Guerre Mondiale. Après avoir mis en lumière la diversité de ce
processus, l’analyse lexicométrique des revues militantes publiées entre 1970 et 1977
permet de montrer que la question de la différenciation entre science et société
traverse ces mouvements et qu’elle est finalement au fondement même du processus
de politisation. Cette conclusion nous amène à pointer les limites de l’idée selon
laquelle science et politique sont nécessairement inséparables.

Mots clés. – Analyse lexicométrique ; Critique ; Engagement ; Politisation.

Abstract. – The article focuses on the relationships between science and policy


in the light of critical science movements that emerged during the 1970s. Criticisms
by scientists of their own activity are first analyzed as a process of politicization which
diverges from the nuclear physicists’ commitment to peace after the Second World
War. Having highlighted the diversity of this process, the lexicometrical analysis
of activists journals published between 1970 and 1977 shows that the question of
differentiation between science and society impregnates these movements and finally
constitutes the foundation of the process of politicization. This conclusion leads
us to point out the limitations of the idea that science and politics are necessarily
inseparables.

Keywords. – Critic; Engagement; Lexicometr ical analysis; Politicization.

Cet article est consacré aux mouvements de critique des scien-


ces des années 1970. En France et à l’étranger, ces mouvements se
développent conjointement avec l’essor du gauchisme et la remise
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en cause des figures traditionnelles de l’autorité à la suite de Mai


1968. Ils promeuvent notamment une forme ouverte d’expertise et
une diffusion élargie des sciences vers le grand public. Leur étude
offre l’occasion de s’interroger sur la spécificité de la critique des
sciences par rapport au thème de l’engagement scientifique, et aux
interactions avec les autres mouvements à cette époque (féminisme
et écologie). La mouvance intellectuelle dans laquelle s’inscrivent
ces mouvements de critique de sciences n’est par ailleurs pas étran-
gère à certains pans des Sciences Studies contemporaines. Au nom de
la critique du rationalisme et de la technocratie, certains sociolo-
gues des sciences en viennent à concevoir l’activité scientifique non
pas simplement comme une activité sociale comme une autre, mais
plus encore comme une activité politique comme une autre. Cette
position consiste à soutenir que le scientifique et le politique sont
indissociables. Revenant sur la distinction classique de Max Weber
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(1963 [1919]), Bruno Latour illustre cette position qui s’est dévelop-
pée dans les années 1970 et qui reste aujourd’hui encore une orien-
tation parmi d’autres dans les études sur les sciences1 :
« […] il faut insister au contraire pour dire qu’il n’y a jamais
aucun rapport à établir “entre le savant et le politique”, la science et
la politique, pour la bonne et simple raison que ces domaines à mettre
en rapport n’existent pas et n’ont jamais existé séparément. » (Latour,
2008, p. 677).
Notre ambition ici est de contribuer à l’analyse des liens entre
science et politique à la lumière de productions militantes des acteurs
scientifiques. Il s’agira précisément de questionner les deux versants
de la dimension politique au sein de ces mouvements - (1) comme
processus historique singulier et (2) comme qualification de l’activité scien-
tifique - à partir d’un matériau original. Pour étudier ce moment
particulier, on se propose d’analyser des revues militantes publiées
après Mai 1968 au sein desquelles les chercheurs et les enseignants
critiquent l’institution scientifique et s’interrogent sur les consé-
quences sociales, environnementales et politiques des sciences. La
période considérée s’étend de Mai 1968 à la fin des années 1970.
L’analyse de ces mouvements de critique des sciences à travers
ces textes s’inscrit dans une perspective visant à prendre en compte
la diversité des chemins et les éventuels conflits qui caractérisent

1. Les thèses de la Nouvelle Production des Connaissances [New Production of Knowledge]


(Nowotny et al., 2003 [2001]) s’inscrivent dans cette perspective.
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les moments où les acteurs se livrent à un travail de démarcation.


L’enjeu est de mettre au jour les façons dont les acteurs scientifiques
investissent le thème de la frontière entre science et politique en
interprétant cette activité comme un processus de politisation définit
comme une requalification « qui résulte d’un accord pratique entre
des agents sociaux enclins, pour de multiples raisons, à transgresser
ou à remettre en cause la différenciation des espaces d’activités. »
(Lagroye, 2003, pp.  360-361). Il s’agit d’étudier les voies que les
acteurs empruntent pour contester l’agencement entre les sphères
d’activités lié à la différenciation, et plus particulièrement les hiérar-
chies entre les sphères. La politisation de la science apparaît dès lors
comme une remise en cause de la légitimité de la différenciation à
partir des fonctions supposées de cette sphère d’activité et de l’auto-
rité dont elle jouit vis-à-vis des autres.
À travers l’analyse de la politisation de la science, cette étude
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entend répondre à deux questions qui correspondent aux deux
versants de la dimension politique que nous avons évoqués. (1) La
première concerne l’association entre critique des sciences et le
courant des Sciences Studies qui tient le scientifique et le politique
pour inséparables : cette tradition des Sciences Studies et les critiques de
la science partagent-ils réellement une même conception de la science et du
politique ? Jusqu’à quel point cette comparaison est-elle fondée ? ; (2) La
seconde question renvoie à la qualification de l’activité scientifique
en tant qu’activité politique : en prenant précisément comme objet
des revues militantes pour éclairer le travail de démarcation opéré par
des acteurs scientifiques, quelles sont les limites de la position consistant à
définir le politique et le scientifique comme deux catégories qui se recouvrent
entièrement ?
Nous rappellerons dans un premier temps la manière dont les
études sur les sciences appréhendent les liens entre science et politi-
que, et nous définirons en particulier l’originalité du courant des
Sciences Studies qui émerge à partir des années 1970. Nous proposons
ici de distinguer trois modalités de la relation science-politique à
partir desquelles il sera possible de situer l’originalité de notre corpus.
Nous introduisons ensuite les acteurs et les organisations des mouve-
ments de critique des sciences aux États-Unis et en France. L’analyse
des mouvements américains nous conduira à montrer que le courant
des Sciences Studies qui nie la distinction science-politique donne
une image monolithique de ces mouvements si on les compare au
développement de la critique des sciences en France. Enfin, nous
présentons une analyse lexicométrique des revues militantes dont les
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résultats permettront de nuancer l’association entre ces mouvements


et les Science Studies d’une part, et de souligner ce que cette appro-
che laisse dans l’ombre lorsqu’on aborde l’engagement politique des
acteurs scientifiques d’autre part.

Les grandes figures des relations science-politique


et le développement d’une version indifférenciée

Les relations entre science et politique ont été appréhendées de


trois manières différentes au sein des études sur les sciences. Ces trois
versions se distinguent selon les relations entretenues par les deux
activités. Dans le premier cas, la science est perçue comme une insti-
tution autonome qui est et doit rester indépendante de la politique.
Dans le deuxième cas, si les deux domaines sont toujours distincts,
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il y a cependant une interdépendance qui différencie cette version
de la précédente. Dans le dernier cas, les deux activités se recoupent
mais cette version se manifeste sous deux formes distinctes et nous
verrons que la nouvelle sociologie des sciences (Dubois, 2001) pousse le
plus loin cette conception des relations science-politique.
La première figure qui se dégage dans les études sur les scien-
ces prend comme point de départ le fait que la science peut être
analysée comme une institution sociale autonome définie par des
normes spécifiques (Merton, 1973). Dans cette version, la science
et la politique doivent rester indépendantes dans la mesure où, si
les normes qui définissent l’ethos scientifique sont concurrencées
par d’autres normes ou valeurs, c’est l’autonomie de la science
qui est menacée et, par conséquent, la possibilité de produire une
connaissance scientifique rationnelle. L’exemple le plus célèbre est
fourni par Robert K. Merton (1973) lorsqu’il étudie la situation
de la science sous l’Allemagne nazie. L’anti-intellectualisme et la
glorification de l’homme d’action ont eu des effets durables sur la
place de la science en Allemagne. Les scientifiques ont dû adhérer
à des normes institutionnelles qui étaient en conflit avec les normes
de l’éthos scientifique moderne. Ce conflit oppose l’État totalitaire
aux scientifiques :
« The conflict between the totalitarian state and the scientists
derives in part, then, from an incompatibility between the ethic
of science and the new political code which is imposed upon all,
irrespective of occupational creed. The ethos of science involves the
functionally necessary demand that theories and generalizations be
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evaluated in terms of their logical consistency and consonance with
facts. The political ethic would introduce the hitherto irrelevant
criteria of the race and political creed of the theorist. Modern science
has considered the personal equation as a potential source of error and
has evolved impersonal criteria for checking such error. » (Merton,
1973, pp. 258-259).
Tout en maintenant la distinction entre science et politique,
la deuxième figure analyse les deux activités en termes d’interdé-
pendance. Cette version est introduite en Angleterre au début des
années 1930 par des scientifiques qui appliquent le matérialisme
dialectique à l’histoire des sciences. Le point commun des travaux
initiés dans cette perspective est de démontrer que le développe-
ment scientifique dépend de la structure sociale et économique.
Cette thèse est reprise par les membres d’un petit groupe de scien-
tifiques appelé le Visible College (Werskey, 1988 [1978]), puis par le
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réseau The Social Relations of Science dont les membres2 entendent
développer une analyse systématique des rapports entre sciences
et sociétés au moyen du marxisme, tout en enseignant le socia-
lisme aux scientifiques et la science aux socialistes (Filner, 1976).
Cette conception de l’histoire des sciences n’est pas simplement
intellectuelle. Elle a une incidence concrète, car elle entraîne aussi
une intervention directe dans la gestion de la recherche. Supposant
que le socialisme est sur le point de gagner les pays occidentaux, il
s’agit de défendre une économie socialiste reposant notamment sur
la planification de la science. L’ouvrage de John D. Bernal (1939),
The Social Function of Science, illustre à la fois l’application de cette
histoire marxiste des sciences qui s’oppose à la conception d’une
« science pure », et la volonté de transformation de la science à
travers la planification, c’est-à-dire une prise en charge de l’orga-
nisation de la science par l’État. Bernal conçoit la science comme
un facteur dans un complexe basé sur des forces économiques et
politiques. Ce facteur « science » est appelé à jouer un rôle fonda-
mental avec l’avènement du socialisme.
La dernière figure qui ne sépare pas le scientifique et le politi-
que se décompose en deux versions bien distinctes. La première
insiste sur le fait que la dimension politique est toujours présente
dans le champ scientifique, et la seconde radicalise cette position
en affirmant qu’il n’existe aucune distinction entre science et

2. Ce réseau rassemble J. D. Bernal, J. B. S. Haldane, H. Levy, P. M. S. Blackett,


J. Needham, J. Huxley, L. Hogben.
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politique. Appliquant la théorie des champs à la science, Pierre


Bourdieu constitue une figure originale parmi les positions sur
les relations science et politique en rejetant d’emblée l’opposition
entre analyse interne et analyse externe, c’est-à-dire la possibilité
de séparer l’épistémologie des conditions sociales de la science.
Comme dans les autres champs sociaux, la science est traversée
par des rapports de force, des luttes, des stratégies, des intérêts et
des profits, mais il y a néanmoins un enjeu spécifique qui est le
monopole de l’autorité scientifique. La définition du champ scien-
tifique et le refus de distinguer analyse interne et analyse externe
amènent Bourdieu à considérer sous un angle original les relations
entre science et politique :
« C’est le champ scientifique qui, en tant que lieu d’une lutte
politique pour la domination scientifique, assigne à chaque chercheur, en
fonction de la position qu’il y occupe, ses problèmes indissociablement
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politiques et scientifiques et ses méthodes stratégiques scientifiques
qui, du fait qu’elles se définissent expressément ou objectivement par
référence au système des positions politiques et scientifiques constitutives
du champ scientifique, sont en même temps des stratégies politiques. »
(Bourdieu, 1975, p. 95).

Dans cette approche où « les conflits épistémologiques sont


toujours, inséparablement, des conflits politiques […] » (Bourdieu,
1975, p. 93), le champ scientifique jouit néanmoins d’une autono-
mie relative3. Bien que le champ scientifique ne puisse être pensé
sans les stratégies politiques, il reste un champ spécifique qui n’est
pas réductible à des enjeux politiques, et cela n’empêche nulle-
ment la prise en compte d’un « progrès de la raison ». L’approche
antidifférenciationniste (Shinn, Ragouet, 2005) développe une version
des relations science et politique dans laquelle les deux sphères ne
devraient pas être dissociées d’un point de vue analytique parce qu’il
n’existe pas fondamentalement de différences entre elles. L’une et
l’autre se confondent :
« Nous avons dû faire une erreur quelque part lorsque nous
avons distingué la politique et la science. […] Nous avons fait
fausse route. Il fallait remonter plus loin. Non pas en histoire, ou

3. L’un des présupposés de la sociologie des intellectuels qui s’inscrit dans cette
tradition est que l’engagement et les formes de l’engagement dépendent de la place que
les agents occupent au sein du champ scientifique. Le capital accumulé dans un champ
peut être, sous certaines conditions, converti dans un autre champ.
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en économie, ou en sociologie, mais en philosophie. C’était au
moment initial, lors de la séparation des rapports de forces et des
rapports de raison que nous nous étions trompés. Que se passe-t-il
donc si nous nions cette différence et nous mettons à suivre les seuls
rapports de forces ? Est-ce le chaos ? Est-ce l’invasion des barbares ?
Est-ce la fin du monde ? Sans la croyance dans des sciences bien
séparées du politique, nous avons toujours l’impression qu’il nous
manque quelque chose et que le ciel va nous tomber sur la tête.
Pour montrer qu’il tient fort bien tout seul, il faudrait pouvoir
prouver dans le détail d’une discipline particulière, que la croyance
dans les sciences est, comme jadis celle en Dieu, une “hypothèse
superflue”. » (Latour, 2011 [1984], pp. 18-19).

Telle est l’ambition de Latour lorsqu’il étudie la trajectoire de


Pasteur et des pastoriens. La thèse qu’il défend est que la bactério-
logie « recompose » la société. Cette thèse s’appuie sur l’idée que la
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diffusion du travail de Pasteur ne s’explique pas par les arguments
soutenus :
«  Le mouvement social dans lequel Pasteur se situe et se place […]
compose à part entière l’efficacité que l’on prête aux démonstrations de
Pasteur. » (Latour, 2011 [1984], p. 52).

Dans cette version antidifférenciationniste [AD] des liens science-


politique, tout ce que l’on rassemble derrière l’étiquette « science »
se réduit à la capacité des scientifiques à convaincre des collègues, des
publics, des politiques que leurs affirmations sont justes ou confor-
mes à la réalité.
L’étude des liens entre science et politique à travers la référence
au processus de politisation de la science permet de souligner les
problèmes sociologiques qui découlent de cette vision AD. Affirmer
que science et politique ne sont pas des catégories distinctes pose
problème dans la mesure où cela revient à généraliser et à figer
une partie des conceptions défendues par des acteurs. En effet, les
positions représentées sont plus diversifiées que ce que suppose cette
vision comme nous le verrons. La seconde limite de la vision AD
renvoie à la spécificité de l’action collective qui est niée lorsque
science et politique ne sont pas distingués. Le propre de l’action
collective est bien de prendre pour cible des injustices qui ne sont
pas ou peu visibles dans le cours normal de l’activité. La prise de
parole dans les revues militantes pour dénoncer l’ordre établi ou des
pratiques paraissant illégitimes constitue une rupture repérable dans
le temps.
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De l’émergence de la politisation de la science :


acteurs et organisations

La critique des sciences américaines comme définition


d’une « obligation morale »
C’est en 1969 que naissent aux États-Unis les groupes de scien-
tifiques qui élaborent une critique de la science4. Pendant l’année
1969, de jeunes diplômés du MIT menacent d’arrêter la recherche
pour pousser le gouvernement américain à mettre fin à la guerre au
Vietnam. L’arrêt de la recherche pendant une journée a lieu le 4 Mars
1969, donnant ainsi son nom au mouvement [March 4th]. Après cette
action, le mouvement se scinde en deux groupes distincts. Celui
qui est le plus semblable à la critique française est composé d’uni-
versitaires et se donne le nom de The Union of Concerned Scientists.
L’activité de ce groupe relève d’une critique continue de la politique
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gouvernementale et ces universitaires jouent fréquemment le rôle
d’expert, ou plutôt de contre-expert, dans les débats publics (Blume,
1974 ; Moore, 1996 et 2008). Une deuxième organisation particu-
lièrement importante se forme en 1969 aux États-Unis. Il s’agit de
l’association Scientists and Engineers for Social and Political Action qui
publie la revue Science for the People. Cette association est créée suite
à l’action de M. Perl et Ch. Schwartz, qui souhaitent tous deux
persuader l’American Physical Society de prendre position sur la guerre
du Vietnam. Ensuite, les membres concentrent leurs actions vers
l’American Association for the Advancement of Science en interrompant
leurs congrès et en s’adressant aux scientifiques qui travaillent en lien
avec les organismes militaires.
Le déplacement vis-à-vis de l’engagement des scientifiques de la
première moitié du xxe siècle s’effectue tant au niveau du recours à un
nouveau répertoire d’actions (interruption de colloques, pression sur
les organisations professionnelles, revues militantes, etc.) que du renou-
vellement des conceptions sur la place de la science dans la société et
de leurs relations. La mise de cause de la neutralité de la science dans
les années 1970 s’accompagne d’un questionnement sur la façon dont
doit être régulée l’activité scientifique et sur les décisions portant sur
les priorités de la recherche. Ces réflexions traversent les mouvements
qui naissent en Allemagne, en Angleterre, en Italie, aux Pays-Bas, et

4. Nous ne mentionnons seulement qu’une partie des nombreux groupes améri-


cains. Pour une présentation plus exhaustive, nous renvoyons au travail de S. Blume (1974)
et à ceux de K. Moore (1966 ; 2008).
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en France5. Cependant, les mouvements ont des tonalités relativement


différentes selon les pays. Contrairement à l’ambition des mouvements
anglo-saxons qui souhaitent explicitement mettre la science au service
du peuple –notamment par le biais de contre-expertises – la critique
prend une tournure différente en France en raison de la centralité de
Mai 1968 dans la constitution de la critique.

Le premier travail sociologique qui se penche sur la contesta-


tion de la science pendant cette période (Blume, 1974) l’interprète
en référence aux travaux de R.  K. Merton (1973) sur l’autono-
mie de l’institution scientifique. L’existence de mobilisations dans
plusieurs pays à la même époque amène l’auteur à nuancer l’auto-
nomie de la sphère scientifique qui apparaît alors comme une insti-
tution sensible au contexte politique et économique. Le panorama
qu’il dresse et la position qu’il adopte ne constituent pas en soi une
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rupture avec la sociologie mertonienne. En revanche, l’analyse des
mouvements de contestation prend une tout autre tournure dans
les travaux s’inscrivant dans l’AD.
Analysant les organisations américaines et les controverses sur
le rôle des scientifiques dans la vie publique durant les années 1960
et 1970 aux États-Unis, dans un contexte de dépendance étroite
vis-à-vis du financement de la recherche, K. Moore (1996 ; 2008)
attire l’attention sur la question de la démarcation entre science et
politique. Reprenant les travaux sur la démarcation entre science et
non-science au sein de luttes pour la crédibilité (Gieryn, 1999), elle
étudie comment ces organisations ouvrent la voie à une nouvelle
forme d’action qui n’est ni scientifique à proprement parler ni
strictement politique, permettant ainsi aux scientifiques de définir
comme une obligation morale le fait de fournir des informations scien-
tifiques pour servir le bien public. La période de mobilisation des
scientifiques consiste alors en un déplacement de la frontière entre
science et politique qui permet aux acteurs de conserver une crédi-
bilité en tant que scientifiques « objectifs » tout en étant des acteurs
politiques servant le bien public.
Cette analyse se situe explicitement dans la vision de l’AD
des relations science-politique. Dans la mesure où les organisa-
tions étudiées rencontrent un certain succès et que la disparition

5. Il existe des revues comparables à celles que nous analyserons plus loin :
WechselWirkung en Allemagne, Science for People et Radical Science Journal en Angleterre, les
Cahiers Galilée en Belgique, Sapere en Italie, Revoluon aux Pays-Bas (Bensaude-Vincent,
2003). 
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rapide de l’une d’elles est expliquée comme une conséquence de sa


radicalité, on peut penser que les conclusions seraient plus nuancées
si on ne se limitait pas au niveau organisationnel de ces mouve-
ments, ou bien si l’auteur avait étudié ces mêmes mouvements de
contestation dans d’autres pays où ils prenaient une forme moins
stabilisée. Dans le même sens, ce travail suppose que les acteurs
partagent unanimement l’opinion selon laquelle leur engagement
va de pair avec le souhait de maintenir une crédibilité à l’extérieur
de l’institution scientifique. Ainsi, la période et les organisations
étudiées par Moore semblent homogènes et relativement exemptes
de dissensus quant à la façon de repenser les liens entre science et
politique.

Le développement de la critique des sciences en France 


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Avant même les évènements de Mai 1968, il y a en France
un contexte particulier qu’il est important de mentionner. Dans
le contexte français, il faut souligner le rôle majeur des organisa-
tions politiques et des mobilisations de chercheurs dans la formation
de la critique de la science après Mai 1968. L’Union des Étudiants
Communistes (UEC) est une organisation centrale dans la forma-
tion politique de plusieurs générations de scientifiques. Ce lieu
d’apprentissage politique de plusieurs générations après la guerre
d’Algérie (Matonti et Pudal, 2008) est également l’un des passa-
ges obligés pour les scientifiques de gauche qui se forment au
marxisme et s’initient ainsi à la prise de parole dans la revue Clarté.
L’éloignement de certains membres vis-à-vis du marxisme ortho-
doxe au profit de tendances Italienne et Maoïste contribue à plonger
l’UEC dans une crise au début des années 1960. La mise en cause
de la science se développe précisément contre le marxisme ortho-
doxe. La guerre d’Algérie puis la guerre du Vietnam constituent
également une étape importante dans la politisation de la jeune
génération d’enseignants et de chercheurs recrutés en masse dans un
contexte de densification de l’enseignement supérieur. À la fin des
années 1960, l’opposition au marxisme orthodoxe gagne du terrain
dans les syndicats d’enseignants et de chercheurs. Des tendances
« gauchistes » devancent alors les tendances communistes qui étaient
jusqu’alors majoritaires, notamment au sein du Syndicat National des
Chercheurs Scientifiques (SNCS).
La montée du gauchisme a des conséquences sur les réflexions
sur la science et le rôle des chercheurs. Les événements de Mai 1968
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La politisation de la science  409

marquent un tournant pour l’histoire de la critique de la science


française, mais les réflexions des physiciens, biologistes et mathéma-
ticiens sur les impacts sociaux de la recherche précédent Mai 1968.
Désirant réfléchir sur le rôle de la science dans les sociétés indus-
trielles, d’anciens membres de l’UEC, et plus spécifiquement de la
tendance italienne, se rassemblent entre 1966 et 1968 au sein d’un
collectif nommé le Centre National des Jeunes Scientifiques (CNJS) dont
l’activité principale est la publication d’une revue, Porisme. À cette
époque, les membres du CNJS et d’autres acteurs centraux dans la
critique de la science post-1968 suivent les séminaires sur l’idéo-
logie spontanée des savants de Louis Althusser à l’École normale
supérieure. Les activités du CNJS s’arrêtent avec Mai 1968 qui
amplifie les réflexions menées dans ce groupe de chercheurs.
Nous n’entrerons pas dans l’analyse de « l’évènement 1968 »
à proprement parler. En réalité, les groupes qui se forment et qui
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véhiculent une critique des sciences n’émergent qu’à partir des
années 1970 autour d’acteurs qui n’ont pas tous vécus Mai 1968
en France6. Une grande partie des acteurs qui animent ces groupes
plus ou moins informels sont des physiciens, des biologistes ou
des mathématiciens7. Au sein des différents collectifs (groupes de
réflexion, revues, etc.), les acteurs ont en commun d’être passés
par les différentes organisations politiques évoquées précédem-
ment (UEC, CNJS, SNCS). Nés entre les années 1930 et 1940, ils
s’opposent au marxisme orthodoxe auquel ils reprochent d’associer
la science au progrès. Aux côtés de ces acteurs, on trouve également
une génération sensiblement plus jeune. Ce groupe rassemble de
jeunes chercheurs et de jeunes enseignants nés entre les années 1940
et 1950, qui obtiennent un poste la veille de Mai 1968 et qui sont
dans une position particulière : assistants d’un grand professeur, ils
sont aussi enseignants devant des étudiants à peine plus âgés qu’eux.
La critique de la science est alors une façon de lier des préoccu-
pations extérieures à l’institution scientifique (féminisme, écologie,
psychanalyse, etc.) au regard de leur position actuelle.
Ces collectifs se sont illustrés par des actions ponctuelles. L’un
des épisodes les plus marquants est sans doute la venue de Murray
Gell-Mann en 1972 au Collège de France. Invité à présenter ses
travaux, le Prix Nobel de physique est pris à parti par un groupe

6. Ceux qui sont alors à l’étranger à cette période sont des intermédiaires impor-
tants avec les mouvements de contestation anglo-saxons.
7. Nous nous appuyons sur 35 entretiens semi-directifs réalisés entre 2005 et 2009
dans le cadre de travail de thèse dont cet article est tiré.
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410 Renaud Debailly

qui lui demande de s’exprimer sur son rôle dans la Division Jason.
Le deuxième moment important est la publication d’un recueil
de textes. Publié en 1973, l’ouvrage (Auto)critique de la science
inaugure la reprise de la collection « Science Ouverte » au Seuil
par Jean-Marc Lévy-Leblond (Lévy-Leblond et Jaubert, 1973).
Le livre est composé de textes écrits originellement en anglais,
français et italien dans les revues du début des années 1970. Cet
ouvrage collectif dirigé par Lévy-Leblond et Alain Jaubert est à la
fois un manifeste pour la critique de la science et pour la collec-
tion du Seuil qui entend se différencier d’autres collections de
vulgarisation.
Il n’existe pas véritablement d’organisations comparables
aux organisations américaines, à l’exception du Groupement des
Scientifiques pour l’Information sur l’Énergie Nucléaire (GSIEN)
et du Collectif Intersyndical de Sécurité à Jussieu qui incarnent en
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France un mouvement de contre-expertise dont le périmètre est
limité aux thèmes de l’énergie nucléaire et de l’amiante. Hormis
l’irruption au Collège de France et (Auto)critique de la science, on
trouve peu de traces de cette nébuleuse critique. Seules les revues
militantes permettent d’étudier l’ensemble des critiques sur une
période relativement importante sans les réduire aux groupes qui
ont survécus plus ou moins longtemps. Pendant les années 1970
sont publiées plusieurs revues qui sont relativement bien diffusées.
Bien qu’elles se définissent par des lignes éditoriales sensiblement
différentes, ces revues s’apparentent à un lieu de sociabilité incon-
tournable qui prend ses racines dans l’effervescence de Mai 1968.
Leur objectif est d’alimenter une critique de la science dans la
lignée du mouvement écologique et féministe, mais aussi de tisser
des liens entre le mouvement et l’extérieur de l’institution scien-
tifique afin de déconstruire l’autorité de la science dans la société.
Le recours à une analyse lexicométrique sur un corpus constitué
par ces revues permet de s’orienter vers une analyse de l’énoncia-
tion de cette critique.
À ce stade, la politisation de la science analysée à partir des
mouvements de contestation de la science des années 1970 apparaît
donc comme un processus singulier du point de vue historique.
Si son développement dans plusieurs pays tend globalement à les
concevoir comme une renégociation des liens entre science et
politique, le processus en France nuance cette image dans la mesure
où on perçoit davantage une critique de l’autorité de la science et
des hiérarchies.
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La politisation de la science  411

La critique de la science au prisme des revues éphémères

Le corpus des revues éphémères


La cartographie de la critique de la science que nous proposons
repose sur l’analyse d’un corpus rassemblant trois revues (Tableau 1) :
Survivre et Vivre, Labo-Contestation, Impascience (Encadré 1). Ces revues
ont été publiées entre 1970 et 19778. Chacune d’elle est spécialisée
autour d’un ou deux thèmes : Survivre et Vivre sur l’écologie et le
pacifisme, Labo-Contestation sur la division du travail, et Impascience sur
la critique politique et subjectiviste de l’activité scientifique. Outre
l’existence de traits formels communs (présence de caricatures, de
publicités détournées, de poèmes, l’anonymat des auteurs, etc.), le
choix de ces trois revues s’explique par le fait qu’elles remettent
en cause la place de la science dans la société. Ce choix tient aussi
à deux raisons principales9. La première est que par leur diversité,
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ces revues offrent l’occasion d’une analyse transversale de la critique
de la science qui ne surévalue pas l’une ou l’autre des thématiques
abordées. La seconde raison renvoie à la période qu’elles couvrent.
Les publications s’étalant sur plusieurs années, elles permettent de
réfléchir sur les transformations des critiques de la science.

Tableau 1 : Récapitulatif des revues10.


Années Lieu Nombre Nombre
de publication de publication(1) de numéros parus d’articles(2)

Survivre et Vivre 1970 – 1975 Paris 19 numéros 72


Labo-Contestation 1970 – 1972 Lyon 6 numéros 43
Impascience 1975 - 1977 Paris 7 numéros 92
N= 207
(1) Le lieu de publication est celui du siège de la publication, qui est générale-
ment celui du directeur de la publication ou de l’éditeur. Les auteurs participant
à ces revues ne sont pas nécessairement de la même région.
(2) Il s’agit du nombre d’articles dont nous avons tenu compte pour l’analyse
lexicométrique.

8. Les revues analysées dans cette partie de l’article sont consultables en ligne sur le
portail « Science et société » : http://science-societe.fr/
9. Il y a d’autres revues comme le Cri des labos ou Le module enragé qui aurait pu
être analysées. Outre le fait qu’elles sont très similaires par le thème qu’elles abordent – Le
module enragé est un journal du personnel de Paris VII qui traite des hiérarchies au sein de
l’institution –, nous avons préféré sélectionner trois revues avec des approches différentes
qui couvrent la période 1970-1977.
10. L’analyse de Survivre et Vivre ne porte pas sur l’ensemble de la revue car les
numéros publiés en 1973 et 1974 sont inaccessibles.
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412 Renaud Debailly

Les 207 articles qui constituent notre corpus offrent la possi-


bilité d’étudier la production des critiques. Selon les directeurs de
publication ou les secrétaires de publication interviewés, les revues
fonctionnent grâce à un noyau d’environ dix à vingt personnes
autour duquel gravitent des acteurs qui participent temporairement
au groupe. Si on ne peut pas analyser les conditions précises de
la réception de ces revues, il est en revanche possible de donner
un ordre de grandeur pour la diffusion de cette critique. D’après
les chiffres mentionnés dans les éditoriaux des revues, le deuxième
numéro (1971) de Labo-Contestation aurait été tiré à 3 000 exemplai-
res, le numéro 4/5 (1976) d’Impascience à 2 000 exemplaires auxquels
s’ajoutent 750 abonnements, et Survivre et Vivre semblerait enregis-
trer une progression continue pour atteindre un tirage à 12 500
exemplaires pour son numéro 12 (1972)11. La lecture de ces revues
montre qu’elles ont une définition particulièrement extensive de
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leurs publics : les articles s’adressent moins à des pairs qu’à des
lecteurs qui vivraient les mêmes expériences ou qui partageraient la
volonté de démystifier la science.12

Encadré 1. Présentation des revues analysées


La revue Survivre et Vivre12 est créée en 1970 par des mathémati-
ciens rassemblés lors d’un colloque à Montréal. La revue est attachée
aux noms de trois mathématiciens qui sont actifs durant sa publica-
tion : Claude Chevalley, Alexandre Grothendieck, et Pierre Samuel.
La revue est alors conçue comme l’une des activités principales d’un
« mouvement international pour la survie de l’espèce humaine ».
Elle portera d’ailleurs le nom de Survivre jusqu’en 1971 au moment
où les acteurs de cette revue modifieront l’horizon de ce mouve-
ment. Dans les premiers temps, l’ambition de fonder un mouvement
d’ampleur internationale sera marquée par la publication d’une revue
en français, et d’une autre en anglais.
Le premier numéro de la revue Labo-Contestation paraît en 1970.
La revue sera, jusqu’au n°  4, un supplément de la revue Herythem.
Critique politique de la vie quotidienne. Ce premier numéro est rédigé par

11. La progression du tirage de cette revue tient en grande partie au fait qu’elle ne
s’adresse pas seulement aux membres de l’institution scientifique mais à tous ceux qui
s’intéressent à l’écologie. Dans les premiers temps, la revue était cependant rédigée par et
pour des scientifiques.
12.  La gazette nucléaire, Le sauvage, La gueule ouverte, sont d’autres revues portant sur
l’écologie durant les années 1970. Survivre et Vivre est néanmoins l’une des plus anciennes
et la place de la science y apparaît plus distinctement que dans ces autres revues.
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La politisation de la science  413


des biologistes de différents statuts (techniciens, chercheurs et étudiants)
essentiellement à Lyon. Pierre Clément, le directeur de la publica-
tion, est chercheur en biologie animale. Son nom est le seul à figurer
dans cette revue où l’anonymat est la règle13.
Bien que le premier numéro de la revue Impascience date de
1975, les auteurs ont formé des groupes de réflexion bien avant
la première publication. Sous le pseudonyme de Zéphirin Xirdal,
Jean-Marc Lévy-Leblond dirige cette revue éditée par les éditions
Solin. Cette revue se distingue aussi des deux autres en ne publiant
que des numéros spéciaux14. Le titre énigmatique de la revue,
résultant de la contraction du mot « impasse » et « science », reflète
l’intérêt que portent les membres de la revue aux jeux de mots qui
foisonnent dans les articles. La parole, plus explicitement encore
que dans la revue Survivre et Vivre, renvoie à une attirance pour la
psychanalyse.
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Les champs contextuels de la critique1314
Dans les deux parties qui suivent, l’objectif est de présenter
les résultats généraux de l’analyse lexicométrique, puis les résultats
relatifs à l’évolution de la critique dans le temps15.
L’analyse lexicométrique prend en compte 95,24 % du corpus
découpé en segments de texte (Tableau 2). Elle permet de distinguer
huit classes (ou mondes lexicaux) qui représentent chacune entre
7 % et 16 % du corpus. Nous les avons nommées respectivement :
La science comme activité sociale (Classe 1), Les mouvements dans l’ins-
titution (Classe 2), Les relations au sein de l’institution (Classe 3), Les
risques (Classe 4), Le mouvement écologique (Classe 5), L’enseignement
des sciences (Classe 6), Les alternatives (Classe 7), Les témoignages depuis
l’institution (Classe 8).

13. Les numéros de Labo-Contestation sont coordonnés depuis Lyon par P. Clément


et d’autres chercheurs de la faculté des Sciences.
14. Les thèmes de ces numéros sont par ordre chronologique : les femmes et la
science, le nucléaire, les subalternes, les mathématiques modernes, les para-sciences.
15. Pour une présentation du principe de l’analyse lexicométrique, nous renvoyons
à l’annexe méthodologique située à la fin de l’article.
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Tableau 2 : Synthèse de l’analyse lexicométrique16


414
Classe 1 Classe 2 Classe 3 Classe 4 Classe 5 Classe 6 Classe 7 Classe 8

Nom La science Les mouvements Les relations Les risques Le mouvement L’enseignement Les alterna- Les témoigna-
de la classe comme activité dans l’institution dans l’institution écologique des sciences tives ges depuis
sociale l’institution
scientifique
Poids
14,80 % 13,38 % 13,78 % 11,39 % 10,40 % 7,24 % 13,23 % 15,73 %
de la classe
Formes idéologie (319,36); labo (302,07); effectuer (135,45); nucléaire militaire mathématique parascience boulot (175,53);
spécifiques (Khi2) science (234,11); grève (207,25); patron (111,08); (484,65); centrale (259,64); action (476,69); (91,7); science ça (148,01);
social (175,58); vacataires diplôme (107,98); (239,77); pollution (228,64); géométrie (83,4); physique aller (132,54);
dominant (142,5); (176,24); comité chercheur (231,89); énergie survivre (208,76); maths (81,49); magie prof (115,44);
classe (128) (170,71); (93,18); cycle (217,07); (213,86); (182,88); élève (65,93); particule mec (99,42); fille
lutte (164,12) (87,31) atomique (170,05) adhérent (169,94); (62,2); vérité (94,05)
(209,52); pédagogique (58,36)
mouvement (131,05)
- © PUF -

(207,84)

Formes lexicales patron (-29,15); homme (-41,54); science (-59,88); chercheur (-25,4); rapport (-29,43); chercheur chercheur scientifique
significativement année (-21,54); chose (-24,18); société (-26,9); labo (-23,77); labo (-29,27); (-24,18); labo (-40,89); (-83,92); science
absentes (Khi2) mathématique mathématique homme (-20,91); personnel (-22,2); chercheur (-21,3); personnel travail (-36,89); (-38,37);
(-19,73); labo (-23,77); science sentir (-19,63); travail (-20,16); (-25,55); (-15,04); politique (-34,57); social (-35,83);
(18,28); nucléaire (22,3); vie (-18,2) théorie (-19,37) patron (-19,15) patron (-24,86); laboratoire labo (-29,89); action (-33,12);
(-18,1) laboratoire (-13,93); personnel lutte (-25,77)
(-16,46) patron (-13,93) (-24,29)

Légende : La première classe représente 14,85 % du corpus. Ce registre de discours est marqué par des formes lexicales comme « idéo-
logie » ou « science » qui sont caractéristiques de cette classe.

16. Sont reportées ici les cinq formes lexicales ayant les Khi2 les plus élevés. Pour les présences significatives recensées dans le tableau comme pour
Renaud Debailly

les absences significatives, on a p < 0,0001.


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La politisation de la science  415

La Classification Descendante Hiérarchique (Figure  1) oppose


deux ensembles parmi ces différentes classes. Le premier ensem-
ble réunit les classes sur les relations dans l’institution, les mouve-
ments qui s’y développent, et les témoignages produits sur
l’institution (Classes 3, 2 et 8). Ces classes ont en commun d’être
des récits situés comme, par exemple, des récits sur les relations
de travail à l’université ou dans les laboratoires afin de dénoncer
le poids de la hiérarchie (Classe 3). La classe Les mouvements dans
l’institution (Classe 2) est propre à la revue Labo-Contestation qui
publie un numéro spécial sur l’hôpital en 1972. La revue publie
fréquemment des témoignages de chercheurs, de techniciens, ou
de secrétaires. Un des partis pris de la revue est en effet que ce
qui passe pour une anecdote est en fait révélateur du quotidien
du monde de la recherche (une injustice vécue dans un labora-
toire est rarement un cas isolé), et que l’existence d’inégalités
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dues aux hiérarchies est omniprésente dans toutes les sphères de la
vie sociale, y compris la science. La classe 2, qui est associée à la
précédente, est elle aussi descriptive puisqu’elle consiste à rappor-
ter les différentes manifestations dans l’institution scientifique, les
mouvements d’étudiants et de chercheurs dans différents lieux.
La classe sur Les témoignages dans l’institution (Classe 8) se détache
des deux autres dans la mesure où, si elle renvoie aussi à des récits
rédigés dans un style oral, elle fait référence à des extraits dans
lesquels les auteurs analysent leur place dans l’institution et la
façon dont ils ont intériorisé les normes de l’institution scientifi-
que. On trouve dans cette classe de nombreux extraits d’articles
écrits à la première personne où des chercheuses décrivent les
rapports hommes-femmes et le « code masculin » qui régit cette
institution :
« le plaisir […] de découvrir l’origine, forcer les portes de l’inconnu,
laisser sa trace sur des terres vierges est un plaisir que je crois masculin »
(Impascience, 1975, p. 16).
Le second ensemble regroupe toutes les autres classes (1, 7,
6, 5, 4) qui se distinguent des précédentes en se centrant sur
l’activité scientifique et ses effets. Il s’agit de classes déconnectées
de l’institution scientifique (Voir les absences significatives de ces
cinq classes) : les extraits ne sont pas situés dans des laboratoires
ou ne portent pas sur des relations précises entre les membres de
l’institution scientifique. Les classes 4 et 5 (Le mouvement écologi-
que et Les risques) forment un premier sous-groupe au sein de cet
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416 Renaud Debailly

ensemble. Toutes les deux sont essentiellement représentées dans


la revue Survive et Vivre. Si les risques dont il est question dans
les revues sont essentiellement liés à l’utilisation du nucléaire
militaire et civil, la classe 4 s’étend à d’autres risques comme la
pollution ou les manipulations génétiques. Le deuxième sous-
groupe est composé des registres faisant référence au sens de
l’activité scientifique (Classe 1) et aux pratiques scientifiques
(Classes  7 et 6). La classe L’enseignement  des sciences (Classe  6)
porte sur la diffusion de « l’idéologie scientiste » par le bais de
l’enseignement. Cette classe est surtout illustrée par la question
de l’enseignement des mathématiques modernes qui fait l’objet
d’un numéro spécial de la revue Impascience. Dans ce numéro de
la revue, les auteurs s’interrogent sur les conséquences néfastes
de l’introduction des mathématiques modernes afin de démon-
trer que, contrairement à l’ambition qui avait conduit à cette
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réforme, l’enseignement des mathématiques modernes a rendu
l’enseignement encore plus abstrait sans conduire à une réelle
démocratisation. Bien qu’elle s’inscrive aussi dans un registre sur
les pratiques scientifiques, la classe 7 a une forme particulière.
Contrairement à ce qu’on pourrait attendre, il n’est pas question
de définir une « science pour le peuple » mais d’interroger la
science moderne et l’autorité dont elle jouit à travers des prati-
ques habituellement considérées comme distinctes de l’espace
scientifique telles que les para-sciences ou la psychanalyse. Enfin,
la dernière classe La science comme activité sociale (Classe  1) se
distingue par la volonté de définir la science en tant qu’activité
sociale. Les auteurs entendent rompre avec l’idée selon laquelle
la science serait une activité spécifique qui ne pourrait pas être
analysée en termes de déterminations. Au sein de cette classe, les
auteurs prennent fréquemment leur distance avec la conception
marxiste de la science considérée comme un modèle d’analyse à
dépasser :

« À mon sens, la position marxiste conséquente, face à la crise de


l’idéologie scientiste, consiste à s’interroger sur ce qu’il en est de la
science comme phénomène social (historique), et non à vouloir à toute
force cautionner la rigueur du matérialisme historique par l’appel aux
sciences de la nature » (Impascience, 1975, p. 9).
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Figure 1 : Classification descendante hiérarchique de l’ensemble du corpus.


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La politisation de la science 

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- © PUF -

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Légende : Le dendrogramme se lit de la gauche vers la droite. À partir de l’ensemble du corpus représentant 2721 unités de contexte (soit
95,24 % des unités de contexte qui compose l’ensemble du corpus), le logiciel sépare les formes lexicales des classes 3, 2, et 8 de l’autre
groupe constitué par toutes les autres classes en fonction de l’absence ou de la présence des formes lexicales parmi les segments de textes
417

qui ont été préalablement définis. Cette opération est ensuite répétée jusqu’à l’obtention de classes stables.
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418 Renaud Debailly

L’une des caractéristiques qui définit la politisation de la science


à travers ces textes est l’omniprésence de la référence aux normes de
l’institution scientifique qui sont considérées comme n’étant plus
légitimes. La croyance en l’avènement d’un nouvel ordre social et
les expériences vécues à la suite de Mai 1968 (vie communautaire,
grève et cogestion dans certains laboratoires) viennent justifier un
décentrement par rapport à l’activité scientifique chez les acteurs qui
s’expriment dans ces revues en affirmant d’autres rôles et statuts que
celui de scientifiques.

L’évolution des espaces de référence


Le lien entre les espaces de référence et les années de publi-
cation des articles (Tableau 3) reflète de prime abord les diffé-
rences entre les lignes éditoriales des revues et les thèmes des
numéros spéciaux qu’elles ont publiés. Les années 1970 et 1972
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sont ainsi représentatives de la classe  Les relations dans l’institution
(Classe 3) qui correspond à la période de publication de la revue
Labo-Contestation. L’association entre l’année 1977 et les classes 7 et
8 s’explique aussi par la publication de deux numéros d’Impascience
dont l’un est consacré aux mathématiques modernes et l’autre à des
témoignages, notamment de femmes, empruntant un vocabulaire
psychanalytique.

Tableau 3. Les années représentatives au sein des différentes classes.


Classe 1 Classe 2 Classe 3 Classe 4 Classe 5 Classe 6 Classe 7 Classe 8

Années 1975 1970 1970 1971 1970 1976 1976 1977


représentatives (69,67) (51,74); (44,68); (35,71); (130,86); (285,88) (73,03); (30,72)
(Khi2) 1972 1972 1975 1971 1977
(48,13) (20,07) (8,76) (69,57) (63,54)

Globalement, les années représentatives des différents espaces de


référence indiquent un déplacement depuis un pôle défini par les
mobilisations collectives (à l’intérieur et à l’extérieur de l’institution
scientifique) vers un pôle mettant au centre de la réflexion la subjec-
tivité et la possibilité de prolonger la mobilisation par un intérêt
porté aux études sur les sciences. La prise en compte de l’évolution
des revues dans l’analyse lexicométrique et l’architecture des classes
permettent cependant de saisir des évolutions similaires au sein des
trois revues et de tirer des conclusions plus générales quant à l’évo-
lution de la critique de la science.
- © PUF -
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La politisation de la science  419

Image 1 : Survivre et Vivre.


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Dans la revue Survivre et Vivre, l’écologie doit être mise en


relation avec la « phase critique » que traverse la société indus-
trielle qui consiste en une crise écologique naissante menaçant la
survie de l’espèce humaine. Si l’écologie est d’abord associée à un
mode de connaissance, et non à une science, la revue entend se
démarquer de certaines approches de l’écologie qui serait devenue
à la « mode » et connaîtrait d’importantes dérives. Alors que la
préexistence de discours écologiques avait semblé nécessaire pour
établir l’existence d’une crise écologique majeure et le bien-fondé
du mouvement écologique (Classe 5), les auteurs soupçonnent
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420 Renaud Debailly

certains discours d’être rétrogrades ou d’être « une invention


des capitalistes ». Au fur et à mesure que la revue se développe,
ces discours sont classés par les auteurs dans deux catégories  :
« l’écologie-fascisme » et « l’écologie-contrôle ». Cette opposition
exprime le refus de fonder l’écologie uniquement sur la préserva-
tion de la nature ou la restriction, alors que la crise écologique doit
amener une nouvelle forme de société. Contre l’écologie-fascisme
et  l’écologie-contrôle, les auteurs prônent une « écologie-désir »
ouvrant la voie à une « révolution culturelle ». Le mouvement et
les auteurs de la revue s’appuient sur le recours à des « débats-
subversifs » mettant en avant le rôle de la parole pour révéler les
contradictions. Les débats ont pour objectif de libérer les parti-
cipants. Le cadre de ces débats – qui pourraient d’ailleurs être
assimilés à des thérapies de groupes – est volontairement lâche afin
de laisser les participants s’exprimer17 et que puissent ainsi surgir
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des « vérités inconscientes ». Ce positionnement par rapport à
l’écologie doit être compris par rapport à la question de l’expertise
qui permet d’identifier un dilemme relatif au rôle du scientifique.
S’il est clairement établi que les scientifiques ont une responsabi-
lité à l’égard des citoyens, ce rôle est aussitôt contrebalancé par le
refus de devenir des contre-experts. Aussi, la subversion culturelle
peut être pensée comme une solution à un dilemme qui n’est pas
explicitement énoncé.
Dans Labo-Contestation, la critique de la division du travail dans
l’institution combine deux éléments : les statuts des personnels
qui s’expriment et le lieu où s’exerce la domination. Les premiers
numéros de la revue suivent majoritairement la première voie comme
en témoigne le lien entre l’année 1970 et la classe Les relations dans
l’institution (Classe 3), tandis que les deux derniers numéros consa-
crés à l’hôpital et à la sociologie tentent de prendre comme objet
le lieu de la domination pour dégager les effets sur les connaissan-
ces produites. Cette logique ouvre de nouvelles perspectives : celle
du lien avec la pratique exercée dans une institution constituant un
microcosme (l’hôpital), et celle de la critique du contenu de l’acti-
vité scientifique (la sociologie). Dans l’un des précédents numéros de
la revue, un auteur appelait précisément à développer cette « criti-
que du contenu de l’activité scientifique » en proposant d’ouvrir
dans la revue une rubrique dédiée à ce sujet. Cet appel restera lettre

17. Les membres de la revue ont plusieurs fois rapporté des débats-subversifs menés
dans des écoles, des universités, des petits villages, des usines.
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Image 2 : Labo-Contestation


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morte. Les articles du numéro consacré à la sociologie amènent deux


remarques concernant l’articulation possible entre la critique des
connaissances scientifiques et les institutions dans lesquelles elles sont
produites : (1) premièrement, cette position entre en contradiction
avec l’objectif initial de la revue en conduisant à une forme d’atomi-
sation de la critique de l’institution qui n’est plus pensée comme une
institution18 ; (2) deuxièmement, cette position ne s’est pas traduite
dans les articles de la revue qui restent essentiellement cantonnés au

18. De ce fait, la critique de la science tendrait vers une critique des disciplines scienti-
fiques, et s’éloignerait ainsi d’une critique de l’institution scientifique dans son ensemble.
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422 Renaud Debailly

registre de la dénonciation19. À titre d’exemple, les noms « sociolo-


gie », « sociologue » et l’adjectif « sociologique » sont présents dans la
classe Les mouvements dans l’institution (Classe 2) et L’enseignement des
sciences (Classe 6), mais ils sont surtout représentatifs de la classe 220.
La critique de la sociologie se limite ainsi à une dénonciation de
l’ascension des mandarins décrits comme des « idéologues ».
Image 3 : Impascience
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19. Dans le numéro spécial consacré à la sociologie, il n’est pas question de pren-


dre comme cible des théories ou des concepts sociologiques. Les auteurs s’attaquent, de
manière plus ou moins détournée, à ceux qui sont perçus comme l’élite de la sociologie
française à cette époque.
20. Le Khi2 de « Sociologue » est de 11,0 (p = 0,0009) dans la classe 2 et de 10,9
(p = 0,0009) dans la classe 6, de « Sociologique » est de 28,0 (p < 0,0001) alors qu’il est
absent de la classe 6, et de « Sociologie » de 32,8 (p < 0,0001) dans la classe 2 et de 2,5
dans la classe 6 (p = 0,11 ; NS).
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La politisation de la science  423

Les débuts de la revue Impascience sont marqués par le rejet


d’un « marxisme dogmatique » et d’un « scientisme marxiste ».
Les auteurs diagnostiquent une crise de l’idéologie scientiste à
partir d’une contradiction entre la « prétendue » objectivité de la
science et sa nature politique. Cela se traduit dans la revue par la
coexistence de deux approches : une approche politique et une
approche subjective. Ces deux approches donnent lieu à des lectu-
res différentes de l’aliénation dans l’institution scientifique. Dans
le premier cas, l’aliénation est synonyme de dépossession et elle
s’inscrit dans la vision marxiste de l’histoire. Dans le deuxième
cas, la mise en scène de l’expérience de l’auteur est la principale
source d’inspiration de cette critique de l’aliénation. La subjecti-
vité dans ces récits apparaît alors comme le seul moyen de pallier
à son absence dans la théorie marxiste. Cette subjectivité s’écarte
néanmoins des témoignages dénonçant le pouvoir des « manda-
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rins » que l’on trouvait dans Labo-Contestation puisque les auteurs
s’appuient ici sur la référence au féminisme et à la psychanalyse21.
Il apparaît ainsi que le changement espéré ne vise pas l’organisation
scientifique elle-même, mais plutôt les rapports entre hommes et
femmes et les rapports entre les femmes et l’institution. La critique
de la science dans Impascience conduit à envisager le passage d’une
remise en cause de l’activité scientifique dans un cadre militant à
l’étude sociale et historique des sciences impliquant une interro-
gation plus générale sur le rôle des valeurs dans le développement
scientifique. Ce pan de la critique rencontre en effet les préoc-
cupations des études sur les sciences, comme le note J. Peiffer
revenant sur le moment où les travaux d’E. Fox Keller sont diffusés
en France :
« Je pourrais résumer nos attentes comme suit : lutte contre
l’appropriation d’un sexe par l’autre (aussi dans l’institution scientifique
et par la science) ; déconstruction du dualisme sexuel ; recherche de
traces du personnel, du subjectif, dans les concepts et les théories
scientifiques à travers l’étude de leur genèse ; mise en évidence des biais
sexistes dans les contenus scientifiques, même dans les disciplines qui à
première vue n’étaient pas concernées par la différence sexuelle comme
les sciences exactes (astronomie, mathématiques, physique) » (Peiffer,
2000, p. 81).

21. Alors que dans les trois revues la défiance envers toutes les formes d’autorité
implique un rejet de la citation, le nom de « Freud » est celui qui recueille le plus grand
nombre d’occurrences dans notre corpus (50 occurrences).
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424 Renaud Debailly

À travers ces trois revues se dessine donc le reflux progressif du


mouvement social. De manière transversale, la redéfinition des fins
de l’activité scientifique comme la place que cette activité occupe,
ou devrait occuper, dans la société ne font pas l’objet d’un consen-
sus. Il apparaît que la question de la différenciation ne reçoit pas une
réponse définitive mais qu’elle constitue plutôt le cœur du processus
de la politisation de la science. Outre le repli de la critique qui se
vérifie dans d’autres mouvements au cours de cette période, l’évo-
lution des différentes revues s’interprète comme la reformulation de
cette question de la différenciation au sein des espaces de référence
qui sont construits par les auteurs.

Discussion
Au-delà de l’ancrage des différentes revues (écologie, féminisme,
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critique de la vie quotidienne), la critique de la science procède en
laissant de côté les connaissances scientifiques pour réévaluer le rôle
social de la science à partir de conceptions antagonistes des rapports
entre science et politique. L’analyse lexicométrique des revues
militantes a permis d’établir une cartographie des critiques qui
permet de souligner trois caractéristiques. Tout d’abord, il est apparu
que les revues fonctionnaient de manière similaire en cherchant à
devenir des lieux incontournables pour la définition et l’élargisse-
ment d’une contestation de la science. Ensuite, ces articles ont en
commun de s’interroger systématiquement sur la place de la science
dans le cadre de mouvements sociaux qui dépassent l’institution
scientifique. Enfin, ces revues s’inscrivent dans un questionnement
sur les rapports entre l’individu et l’institution qui s’est manifesté
par une critique des normes scientifiques accusées d’être à l’ori-
gine des rapports de pouvoirs au sein de l’institution scientifique et
en-dehors.
Pour conclure, l’analyse de ces revues affine la comparaison entre
les critiques de la science et la version AD des liens science-politique.
L’analyse lexicométrique permet d’établir que ce parallèle est fondé à
travers la dé-singularisation de la science qu’ils opèrent. En fustigeant
« l’idéologie scientiste » ou en proposant de remédier aux insuffisances
de la théorie marxiste, il est question pour ces acteurs de remettre
en cause l’autorité de la science et les liens qu’elle entretient avec
d’autres sphères d’activité. L’analyse textuelle nuance néanmoins cette
association puisqu’elle apparaît uniquement à travers un seul champ
contextuel. Ainsi, la référence aux risques produits par les applications
- © PUF -
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La politisation de la science  425

scientifiques ou la question de la monopolisation de l’expertise dans


le débat nucléaire français n’impliquent pas de revoir complètement
la façon dont la science est conçue, mais elles invitent plutôt à tenir
compte des asymétries entre les acteurs qui prennent part à ces débats.
Du point de vue des dynamiques de la critique de la science, le lien
entre AD et critique de la science conduit à distinguer un autre
phénomène : la synchronisation entre le développement d’approches
subjectives qui deviennent dominantes dans les revues militantes et le
renouvellement des Science Studies qui apparaissent comme l’une des
voies possibles pour prolonger et pérenniser la critique de la science.
Ces dernières remarques attirent l’attention sur la nécessité de prendre
en considération les interactions entre les mobilisations dans le monde
scientifique et les façons de penser les sciences et les techniques notam-
ment au sein des études sur les sciences.
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Renaud Debailly,
Université Paris-Sorbonne, GEMASS
Renaud.Debailly@paris-sorbonne.fr

Annexe méthodologique

L’analyse lexicométrique, et plus précisément la méthode


d’Alceste, vise à interroger de manière transversale les critiques de
la science au-delà des thèmes de prédilection des différentes revues,
et indépendamment d’une grille d’analyse qui serait préalablement
construite. La méthode Alceste  consiste à effectuer une Classification
Descendante Hiérarchique après avoir lemmatisé22 un corpus de textes
et divisé ces textes en segments de même longueur. En fonction de
la distribution des unités lexicales dans ces segments, la classification
aboutit à la construction de « mondes lexicaux », c’est-à-dire à la
définition d’espaces de référence qui sont fondés sur la prise en compte
du contexte d’apparition du vocabulaire dans des segments de texte.
Les mondes lexicaux, qui sont définis statistiquement,   renvoient
à des espaces de référence associés à un nombre donné d’énon-
cés (Reinert, 1993). Ces mondes se définissent principalement
par contraste ou par similarité les uns par rapport aux autres. Ces

22. La lemmatisation est une opération qui consiste à regrouper sous une même
forme lexicale les différentes formes d’apparition d’un mot (adjectif, adverbe, nom) au
sein d’un corpus de textes.
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426 Renaud Debailly

mondes lexicaux, ou classes, sont présentés par une liste de formes


lexicales significativement présentes, de formes lexicales significati-
vement absentes, de catégories grammaticales représentatives. Cela
passe par le calcul du Khi2 entre, par exemple, une forme lexicale
et une classe. Ce calcul est particulièrement pertinent puisque le
nombre d’occurrences d’un mot n’a pas nécessairement une signi-
fication importante. Le mot « science » est par exemple très souvent
employé dans les trois revues, mais il reste un indicateur très général
à partir duquel il est difficile de tirer des conclusions sur la critique
de la science.
L’avantage est de fournir, à travers des procédures itératives, une
représentation de l’organisation interne d’un corpus de textes. Du
point de vue de l’investigation sociologique, cela tend à déplacer
l’attention du chercheur du champ lexical employé dans les textes
vers le « champ contextuel » (Reinert, 1990) défini par un stock
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commun de vocabulaire, le recours privilégié à des catégories
grammaticales, ou la cooccurrence de formes lexicales. Ramener
le vocabulaire des articles à un champ lexical peut en effet s’avérer
contre-productif dans plusieurs cas. Ainsi, le mot « aliénation » serait
rattaché au champ lexical du politique, alors qu’il s’agit d’une forme
lexicale malléable qui peut être utilisée dans un texte se réclamant
d’une approche « subjective » de la science.
Afin de simplifier la lecture, seule l’analyse du corpus complet
est présentée dans l’article. L’analyse a cependant porté sur quatre
corpus distincts : outre le premier corpus qui rassemble les trois
revues, chaque revue a été analysée séparément. Pour ces quatre
corpus, nous avons mené une analyse standard et un « tri croisé »
entre les dates de publication des articles et les formes lexicales qui
sont présentes dans le corpus afin de faire ressortir les spécificités de
la critique d’un point de vue dynamique.

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La politisation de la science  427


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