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Des Rêves sans étoiles, ou la théorie des "étoiles mortes" : quel éclat

pour des minorités étouffées ?

C'est à l'occasion d'une collaboration avec l'espace Mendès France de Poitiers qu'a été
organisée une projection rétrospective d'un des derniers documentaires de Mehrdad
Oskouei, Des Rêves sans étoiles, au cinéma d'art et d'essai "Le Dietrich". Sorti en
2016, le film se présente comme un close-up sur la vie de jeunes filles incarcérées dans
un centre de réhabilitation en Iran, interrogées par le réalisateur lui-même. On assiste
aux conditions de détention de ces "adolescentes", notion assez éloignée et moins
confortable que dans sa conception occidentale, ainsi qu'à la révélation des diverses
raisons de leur présence entre ces murs. C'est à travers des points de vues variées que
l'on découvre leurs histoires, faisant écho à celles des unes et des autres et témoignant
des liens très puissants qui les unissent.

L'ouverture du film, à mon sens, plonge immédiatement le spectateur dans cette


sensation de pesanteur qui se poursuit tout au long du documentaire. Sans même avoir
encore entendu le récit des jeunes filles, la mise-en-scène choisit de rendre anonyme
ces présences qui seront à la fin bien davantage que des voix familières ; les plans
découpent les corps à travers une variation d'échelles, se concentrant tantôt sur leurs
mains tantôt sur leur silhouette. Il n'est pas encore permis d'accéder à des visages, des
sons, et la seule preuve d'individualité que cette première scène laisse entrevoir
s'interprète dans l'acte symbolique du prélèvement d'empreintes, pratique presque
cérémonial qui est à la fois la manifestation d'une identité subjective et le reflet d'une
histoire commune, puisqu'elles subissent toutes ce même processus carcéral.

D'une certaine manière, le film s'annonce dès lors comme le porte-parole de "micro-
histoires" qui témoignent plus largement du contexte social iranien défavorable au sort
des femmes. Lors de la première interview, je ne savais pas comment me positionner
par rapport à la présence de cette jeune fille devant la caméra : le réalisateur avait
stratégiquement décidé de ne révéler que plus tard dans le documentaire le prétexte de
leur détention, ce qui provoque un état de suspension permanent. Cet effet dérangeant
s'intensifie avec l'intimité qui s'est imposé entre les filles et que la caméra vient d'une
certaine façon envahir. Il est très étonnant d'observer la confiance qu'accorde les
actrices au réalisateur et à son équipe, car comme l'une d'elle relève au cours d'une
discussion, il ne vient pratiquement à l'esprit de personne de concevoir Dieu comme
étant une femme. La caméra et le micro, tout puissants qu'ils sont, sont eux aussi
masculins. Mais la fougue des jeunes filles suffit à écraser la transparence de Mehrdad
Oskouei et à littéralement prendre en main le micro, comme le fait l'une d'elle en
s'emparant de l'appareil et en se mettant à chanter pour amuser ses amies.

Il est d'autant plus déchirant de voir leurs séparations lorsque ces dernières regagnent
leur famille, brisant leur complicité mais aussi leurs espérances. La plupart d'entre elles
confessent préférer rester dans le centre, reniant leur famille et la société iranienne. L'
expérience de la méfiance, du rejet, des abus sexuels et de la rue fait sentir dans leurs
expressions une profonde tristesse et terreur qui fait passer la détention pour des
vacances prolongées. Lorsque le réalisateur lui demande quel est son seul rêve, l'une
d'entre elle admet ne songer qu'à la mort, ce qui appuie davantage la toxicité du climat
qui les entoure. Les désobéissances aux obligations familiales tels que le refus du
mariage forcé et le vol par nécessité sont les principales raisons de leur enfermement. Il
est question de meurtre pour l'une d'entre elle, participant avec sa mère à la mise à
mort de son père après de multiples viols qu'elle a subit. Ce lieu que se sont
appropriées ces filles où règnent l'entraide et la compassion et dont la présence initiale
démontre les problèmes politiques qui rongent le pays propose ainsi une forme de
"contre-société". "Nobody" (le pseudonyme que l'une d'elle choisit, là aussi très
indicateur d'un état d'âme partagé) qui ne prétend ne pas être mue par des ambitions
contribue, peut-être sans réellement s'en rendre compte, à la construction d'une vie
sociale tout à fait admirable et bien plus prometteuse que ce qui se trame dehors, dans
la véritable prison.

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