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RONDEAU
Longs cheveux noirs et eye-liner sur les yeux, Soraya – les prénoms des
victimes ont été modi és – s’exprime posément, choisit ses mots, dégage
une présence, en un mot du charisme. Elle bat en brèche l’imaginaire
sexiste autour de l’actrice pornographique amatrice, un peu candide. Cela
tombe bien, elle ne se considère pas comme telle, mais comme la victime
de violences sexuelles de la part d’un réseau criminel. « Tu te rends
compte de ce que tu as fait ? questionne son amie à la terrasse d’un café
parisien. Derrière toi, il y a désormais 52 victimes. » Soraya est la
« lanceuse d’alerte », la première plaignante de l’a aire qui secoue
actuellement le milieu du porno français et à laquelle Le Monde consacre
une enquête en quatre volets.
Fin 2016, Soraya a 23 ans et pas d’argent. Sur Internet, elle croise
« Axelle », le pseudonyme sous lequel Julien D. trompe des jeunes
femmes, pour pro ter d’elles dans un hôtel à Reims. Avant de les orienter
vers le producteur et acteur pornographique Pascal Ollitrault, alias
« Pascal OP », qui gère le site French Bukkake, et son associé Mat Hadix.
Soraya a subi un bukkake, cette pratique extrême importée du Japon, une
séance d’éjaculation collective de plusieurs dizaines d’hommes au milieu
d’un hangar de Seine-Saint-Denis, puis a dû endurer le harcèlement de
tout son quartier et, en n, une tentative d’extorsion pour racheter les
vidéos, dont on lui avait promis qu’elles resteraient con dentielles.
Preuves filmées
Il faut attendre le printemps 2020 pour que deux gendarmes parisiens se
saisissent du dossier et que l’a aire puisse en n éclore. Le
13 octobre 2020, une première vague d’arrestations et de perquisitions
permet la saisie des rushs du site French Bukkake. Jusqu’à la nausée, les
enquêteurs visionnent 135 heures de tournage, documentent les refus
des femmes, le piétinement du consentement, les violences visibles à
l’écran – tous les éléments pouvant quali er les viols. Ce n’est plus parole
contre parole, il y a désormais des preuves lmées.
La forêt communale de Beauvais (Oise) a servi de lieu de tournage de plusieurs vidéos de Pascal OP.
Le 2 décembre 2021. Christophe Caudroy
Antoine G. avoue aussi avoir été au courant, comme « tout le monde dans
le milieu porno », de la manipulation d’Axelle, de la tromperie sur les
vidéos prétendument visibles uniquement au Canada : « J’en ai été
dégoûté, j’en ai même pleuré. (…) Tout le monde savait qu’il [Pascal
Ollitrault] mentait, mais personne n’a bougé le petit doigt. » Mais il nie
tout viol et affirme qu’il ne savait pas que les plaignantes avaient refusé
en amont certaines pratiques. « Mon client n’a commis aucune infraction
pénale, il ne faut pas mélanger les responsabilités des uns et des autres
dans ce dossier », affirme Me Cédric Alépée, son avocat. Les avocats des
trois autres « hardeurs » n’ont pas répondu aux sollicitations du Monde.
« C’est un carnage »
S’ils commencent par minimiser les faits, les acteurs nissent souvent
par s’e ondrer. « C’est un viol ? » demande la gendarme à Joël D. « Oui,
madame. (…) C’est dégueulasse. C’est innommable. Pascal nous demandait
d’être toujours plus hard, de pas faire des vidéos de bobonne. » Il comprend
alors le cœur de l’a aire. « Je dirais que par rapport à la dé nition du viol,
c’est des viols déguisés sous prétexte de vidéos. » Confronté à une scène où
il appuie sur la tête d’une femme, qui manque de vomir lors d’une
fellation, il répond : « Je mérite la mort… Je ne sais plus quoi dire, c’est un
carnage. » En pleurs face aux images de la victime, « une lle normale qui
n’avait jamais fait de lms de sa vie », il note qu’elle « n’était plus là, elle
était perdue. Il n’y avait plus que son corps qui était présent ».
L’ENQUÊTE
TENTACULAIRE QUI
FAIT TREMBLER LE
PORNO FRANÇAIS
Le Monde consacre une enquête en quatre volets à l’a aire de
violences sexuelles dans le milieu du porno français. Avec une
soixantaine de victimes identi ées, huit producteurs et acteurs
mis en examen pour des soupçons de viols en réunion, de traite
d'êtres humains et de proxénétisme, ce dossier judiciaire, qui porte
sur des vidéos vues par un très large public, secoue l’industrie du X.
Le réseau, le recruteur et les La mécanique des larmes et Supplices sans frontières Une lanceuse d’alerte et des
proies de la violence réactions en chaîne
Nicolas Chapuis
Lorraine de Foucher
Samuel Laurent