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Université Loyola du Congo (ULC)

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Faculté de Philosophie St-Pierre Canisius

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Journal hilosophique N°102 - Février 2023

Editorial

L
a patrie philosophique aurait-elle De l’amour platonique aux affections char-
une vie amoureuse ? La rareté nelles, l’idylle philosophique est « folie
d’écrits philosophiques sur la pro- divine » reconnait Platon dans le Banquet.
blématique de l’amour, a toujours Et Nietzsche n’a toujours pas compris pour-
éveillé la curiosité des uns et l’étonnement quoi un ‘’Dieu’’ qui ayant trop aimé les
des autres. L’on se demande bien si l’amour hommes s’est fait chair. Face à l’équivoci-
a-t-il vraiment réussi aux philosophes ? En té de l’amour, le philosophe pourfend les
ont-ils fait un « carburant de leur énergie « rationalités hédonistes » livrées sur com-
intellectuelle », se demanda Martine Four- mande, aux laxistes moraux, pour les sou-
nier dans Les Philosophes et l’amour (Edi- pers de la délinquance, de la dépravation des
tions Aude Lancelin et Marie Lemmonnier, habitudes culturelles. Cet amour du philo-
Plon, 2008). Peut-on narrer les aventures du sophe sape les bases des « illusions collec-
philosophe Heidegger avec Hannah Arendt tives » contemporaines dont les partisans du
? Sartre avait-t-il vraiment conté fleurette « mariage pour tous » en sont les prophètes.
à Simone de Beauvoir ? La phraséologie Il est temps d’ôter à l’amour, les marques
habituelle révèle à quel point, la nature on- d’une africanité senghorienne, véritables «
tologique de l’amour semble rétractant à mièvrerie commune ».
toute théorisation rationnelle. Mais comme
phénomène social, l’amour ne peut échap- Comment comprendre que l’amour, ce
per au regard philosophique. Des idéalistes joyeux luron, censé apporter du bonheur, di-
aux sceptiques, en passant par les matéria- vise autant de monde aujourd’hui ? Au mi-
listes, l’amour est présenté comme un fleuve lieu des frasques quotidiennes de l’amour,
d’émotions, un labyrinthe de passions. Nsondey Monsengo, Sj, par une narration
DJERABE RODRIGUE
Co-rédacteur
aux accents accusateurs, fustige la pratique
Le cadre réflexif de la Saint-Valentin, offre du mariage traditionnel africain. La dot ne
une occasion d’approfondissement de la serait-elle pas une pratique en déphasage
thématique d’amour en sa dimension axio- avec une société dont les réalités ont consi-
logique. Les présents ‘‘Roméo et Juliette’’ dérablement évolué ? Répondant par l’affir-
doivent s’éveiller de leur sommeil amou- mative, l’auteur propose, comme possible
reux, à l’heure actuelle où, le déclin des va- philosophique, la « symétrie dotale » d’une
leurs dominantes font désormais place aux vision égalitaire des sexes.
tendances libertaires avec leurs avatars des
divorces programmés. Lorsque Cupidon in- A l’occasion de cette fête de Saint-valen-
vite à la turpide fête des sexes, l’amour du tin, puisse Sophia vous accompagner, chers
philosophe se déploie en une dialectique de très abonnés, par les vers poétiques de Jean-
pensée en prise avec les tares de son temps. Emile Ramazani, Sj , à la conquête d’ « une
Si l’expression de l’amour ne passe que par amie au titre d’un ange », pour des bons «
ces célébrations incessantes nous dit Chris- valentinages » aux goûts éthiques. Car il
tian Mudiandambu SJ, dans son abord du « est minuit, et déjà dans nos esprits, se des-
phénomène érotique », sa vulgarité ennuie- sèchent par excès d’amours enfiévrés, nos
rait les esprits. mœurs.
Christian MUDIANDAMBU

Du tiers, qu’il arrive


L3, Philo/ ULC

I
l s’agit de parler de l’amour. C’est l’un des constat est tel que, rien qui soit en dehors de nous
concepts les plus utilisés dans le monde, tant ne peut mieux nous assurer que nous-mêmes.
exalté, tant chanté, peint sur toutes sortes de Nous nous sommes unis une fois, pour l’éternité
toiles. Pourtant c’est aussi un concept qui, à force par le fait même de l’union qui est cette trace in-
d’en parler, se dénaturalise le plus. Il s’agit ici délébile que laisse le passage de l’un dans l’autre
d’examiner ce concept en tant que phénomène qui même sans avoir prétendu aimer. L’enfant est le
se donne à nous. J.L Marion nous en dit long dans témoin de notre phénomène mais aussi source de
son chef d’œuvre « Le phénomène érotique. » sa propre phénoménalité. Un enfant est un signe
du désir ou pas que quelque chose a mis en union
L’amour est une notion assez particulière qui peut deux amants. Ceci vaut de même pour toute autre
être abordé sous plusieurs aspects et angles. Par- personne.
lons de l’amour comme fidélité qui est cette ac-
tion par laquelle l’amant décide par avance et le Je l’ai trouvé, maintenant je sais que j’ai toujours
serment de sauver et de sauvegarde la phénomé- été aimé, par ceux qui se sont unis un jour pour me
nalité, pour l’éternité, de cette action qui a uni donner l’avance sur moi-même ; je le sais désor-
une fois pour toutes ces personnes qui se sont dit mais parce que la question elle-même me renvoie
une fois « je t’aime ». Déjà, avec le serment, on à un ailleurs qui est censé m’aimer et qui m’aime
peut comprendre la performativité de la parole ou déjà sans que je le sache peut-être. A la fin, je ne
l’engagement expressif de l’amant ; je m’avance découvre pas seulement qu’un autrui m’aimait,
vers l’autre, en face de moi ou pas, avec ou sans mais surtout que ce premier amant, depuis tou-
réciprocité ; pour que se phénoménalise mon as- jours, se nommait Dieu. La plus haute transcen-
surance ainsi que celle de l’autre, dans une tempo- dance de Dieu, l’unique qui ne le déshonore pas,
ralité sans fin. « Nous ne nous aimons qu’au prix ne tient pas à la puissance, ni à la sagesse, ni même
d’une re-création continuée, d’une quasi-création à l’infinité, mais à l’amour. Car l’amour seul suffit
continue, sans fin et sans repos ». à mettre en œuvre toute infinité, toute sagesse et
toute puissance. Dieu nous précède et nous trans-
L’enfant joue le rôle du tiers, mais suivant une cende, mais en ceci d’abord et surtout qu’il nous
temporalité telle qu’il n’advient qu’en transit. Le aime infiniment mieux que nous n’aimons et ne
phénomène amoureux ne manque certes pas des l’aimons. Dieu nous surpasse au titre de meilleur
témoins, ni de tiers - mais tous se mettent aussi- amant.
tôt sur le départ et ne témoignent que par intérim.
Dans cet amalgame du donner et du recevoir, le

Sophia / n°102-Février 2
Redéfinir la dot :
Nsondey Monsengo, Sj,
M1 Philo/ ULC

de j’épouse à nous nous épousons


L
e 11 juillet 2003, à Maputo, la Conférence jusqu’aux violences conjugales. Aussi est-il cou-
de l’Union africaine s’engageait, par adop- rant d’entendre les expressions comme « mwasi
tion d’un protocole, à « éliminer toutes les nabalaki na mbongo alingi kotosa ngai te » (la
formes de discrimination et de violence fondées femme que j’ai épousée avec – mon— argent ne
sur le sexe ». Elle entend par discrimination « toute veut pas me respecter), pour rappeler à une femme
distinction, exclusion, restriction ou tout traitement qu’elle doit se soumettre – en vertu de la dot que
différencié (…) » (Art. 1) ; et par violences : « tout sa famille a bouffée.
acte perpétré contre les femmes causant ou pou-
Il s’en suit que l’amour comporte une violence
vant causer aux femmes un préjudice ou des souf-
intrinsèque au désir, qui meut les amants et les
frances physiques, sexuelles, psychologiques ou
pousse à la possession l’un de l’autre. Ce désir ne
économiques, y compris la menace d’entreprendre
se purifie qu’en admettant la singularité irréduc-
de tels actes, l’imposition de restrictions ou la pri-
tible de l’autre, chose qui ne va pas de soi. Ainsi,
vation arbitraire des libertés fondamentales (…) »
si l’homme rencontrait des éléments objectifs qui
(Art.1). En poursuite de cet objectif qui s’enracine
sembleraient lui conférer une suprématie, il n’hé-
dans le respect de la dignité humaine, nous ques-
siterait que peu à les exploiter surtout en temps de
tionnons le mariage traditionnel africain, mieux
conflit. Par conséquent, plutôt que créer une situa-
son élément fondamental et singularisant qu’est
tion d’interdépendance paritaire, la dot s’apparen-
la dot. Cette dernière, quoique fondamentale pour
terait plus à un prix d’achat.
le mariage, n’est une chose simple de nos jours.
Elle devient même problématique pour plusieurs Ce que nous proposons : une dot réciproque et
raisons. Nous nous intéressons ici aux germes de symétrique. Supprimer la dot ferait perdre au ma-
discrimination qu’elle porterait. riage traditionnel africain son élément caracté-
ristique. Mais, au demeurant, une dot réciproque
En effet, la dot est généralement définie comme
symétrique sauvegarderait la symbolique, en la
étant le bien que l’époux ou sa famille remet à celle
réadaptant avec pragmatisme à notre ère ; jugule-
de la future épouse, en vue du mariage. La dot est
rait la discrimination et contrebalancerait l’orgueil
donc définie en fonction du sexe. Un homme qui
de l’homme ; et aucune des deux familles perdrait
prend femme sans verser la dot, perd son estime
financièrement.
et se sent diminuer par la société. De même une
femme prise sans dot est à la limite la risée de son La dot a été conçue dans ces temps où émanci-
entourage. La dot, unilatérale, met donc l’homme pation et parité ne s’opposaient pas encore. Les
en position de force (c’est lui qui épouse) et valo- temps ont évolué. Il importe de s’inscrire dans
rise la femme. Mais cette valorisation ne vaut que une nouvelle représentation des choses, sans peur
parce qu’elle fait appartenir la femme à l’homme, ni obséquiosité envers une tradition devenue pro-
en altérant parfois leur altérité. Bien plus, ac- blématique.
corde une suprématie à l’homme et consacre par-
là une suite de discriminations allant casuellement

3 Sophia / n°102-Février
JEAN EMILE RAMAZANI SJ
L3, Philo/ ULC

J'ai trouvé une amie

au titre d'un ange

Tu sais :
Ce fut l’heure de trouble !
Dans la vie, c’est l’histoire écrite Cette parole comme un carouble
Et sans aucune honte prescrite, Ouvrit mon cœur en sa faveur
Seul un récit la raconte, en jumelle, à moitié, Et ma présentation fut avec ferveur.
Car l’autre moitié originale, c’est l’acte exécu-
té. Curieux de connaitre leurs noms,
Demandant à chacune de prendre la parole en
Je me suis retrouvé devant elle en maitre son nom,
Sans aucun autre sentiment qui puisse naitre ! Elle, au coin droit de la classe, se leva en proie
D’ailleurs, pour elle je n’étais pas venu, au sourire !
C’était juste une coïncidence comme face à une Elle a vraiment un nom qui respire et inspire !
inconnue ! L’entretien fini, mon cœur m’interroge.
Une perturbation s’annonce en orage.
Devant plusieurs disciples je m’installais. Tellement elle a détourné mon regard,
Soudain mon attention fut volée Son visage est resté imprimer dans mon cœur
Par elle, parmi tout le monde bavard.
Sans que la raison ne s’y fonde !
Les temps se sont écoulés
A vrai dire c’était un public féminin. Comme coule l’eau de la rivière exilée.
Et moi, bien préparé et serein, Impossible de revenir à ce premier pas,
Orateur de ma classe et garant, Mais le souvenir du passé ne me quitte pas !
J’avais lancé une salutation d’un air galant.
On s’est séparé précocement
L’assemblée bien attentive mais timide, A cause de COVID sans médicament,
Il se pourrait que ma voix l’intimide. Mais la mémoire me ramène son image.
C’était aussi l’objectif du début Je ne peux que l’obéir et lui rendre hommage !
Pensant instaurer le respect dès le début.
Timidement je me suis mis à sa recherche.
A ma grande surprise, Rien ne pouvait fixer mon but en tête bêche.
Elle, pourtant assise, Tellement ma raison de cette saison calcinée,
Prit la parole pour me questionner : M’arrêter me ferait héberger un cœur assassiné
Me demandant comment je me nommais. !

Sophia / n°102-Février 4
Je fonce au fond de ma conquête :
Telle est la culminance de mon enquête. Cette amie que j’ai longtemps cherchée
Dans un désert d’amour froid, Dans le désert de mon cœur tant écorché
Pour elle, j’ai accepté de m’ériger en hors la loi. Par les épines des déceptions de certains
Et le gouffre de découragement de plus d’un !
Et le temps me fut favorable :
Avec elle je m’attable, C’est vraiment une amie,
Côte à côte, on se lorgne ; Près d’elle ma colère calmit ;
L’on dirait la rencontre des borgnes ! Mon cœur non plus que mon âme
S’apaisent dans un si fort calme.
J’essayais de lire dans sa tête
Pour voir comment aborder le reste. C’est une amie au caractère ouvert ;
Nos regards étaient bien timides Pour moi, sans égale ici sur terre
Pourtant nos sentiments paraissaient lucides. Qui me côtoie tout de go
Et m’étreint avec joie à gogo !
Je pris le courage de l’adoucir
Et la rendre à l’aise à ma mesure ; Certes, nous sommes toujours en harmonie
Elle comprit vite le jeu Mais plus que le mien, son amour est épiphanie.
En se rendant compte que c’est l’affaire de nous deux Que ce soit dans les méandres amples,
! Son attention en oasis assouvit mon temple.

La conversation devint fluide, Cette fille aux qualités méritoires ;


Fruit de mon air non perfide. Elle, belle, aux défauts minoritaires
Peur de perdre ma crédibilité, Me fait rêver d’un océan d’amour
Je fis route avec elle à sa volonté. Et battre mon cœur d’un regard lourd.
Cette rencontre nous ouvrit les yeux ; C’est une amie bien patiente,
On comprit qu’à deux on se sent mieux. Simple, à la démarche élégante !
Dès lors on devint proche ; Son nom m’inspire en tout cas
Jusqu’aujourd’hui rien ne nous reproche. Et d’elle j’obtiens la baraka.

Comme l’argile dans les mains du potier, Dans un monde où l’amitié est rare,
Nous avons façonné notre belle amitié. Ma plume l’a inscrite dans mon histoire ;
A ce stade, je l’écoute, elle m’écoute ; Celle qui me veut accomplir ma légende ;
Sans jugement, chacun partage sa route ! Sur ses conseils, ma reconnaissance se fonde.

Seul devant le miroir, Jolie jouvencelle au parfum attirant,


Je visualise cette histoire ; A toi j’adresse ce poème inspirant.
Une histoire d’une amitié C’est juste l’histoire du début de notre amitié
Qui me fait dire en toute liberté : Et son évolution jusqu’à sa maturité.

Après avoir gravi mon enfance, Tu sais que ma seule maladie :


Tenant en main ma jeunesse, C’est perdre ton contact érudit.
Je crie d’allégresse avec ardeur : Et son remède à chaque saison :
J’ai saisi une amie de cœur. C’est t’aimer sans raison

5 Sophia / n°102-Février
p
UNIVERSITE LOYOLA DU CONGO Faculté de Philosophie St-Pierre-Canisius

So
J
hia
ournal hilosophique

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