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Université Loyola du Congo (ULC)

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Faculté de Philosophie St-Pierre Canisius

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J OURNAL HILOSOPHIQUE N°100 - Janvier 2023

Editorial
LIEU-TENANT

U
DE LA PENSÉE
n philosophe mal formé est un qui s’apprend à travers la rigueur de la
danger pour la société. La société réflexion calme, c’est cela qui fait du
actuelle est en effet marquée par philosophe un lieutenant de la Pensée.
une crise dont on saurait faire fi. Nous
vivons une ère où le goût d’aller toujours Ce fut donc dans un contexte de crise,
plus loin dans les sciences rencontre spécialement sanitaire provoquée par la
l’inquiétude de ne pas savoir où mènent ces pandémie de Covid-19, que le Secrétaire
dernières. Il est une crise dans l’essence du Académique, le Professeur Dieudonné
sens, induisant une inflation existentielle MBIRIBINDI et le Doyen de la Faculté,
caractérisée par la multiplicité de sens. le Professeur Willy MOKA réfléchirent
sur comment mettre en place un organe
Il s’agit à proprement parler d’une d’expression. Ainsi naquit le journal
crise de la pensée qui, en apparence, se philosophique hebdomadaire SOPHIA
double d’un refus de réfléchir. Ce diktat : pour permettre aux lieutenants de la
de misologie conforte l’ignorance et Pensée de s’exprimer et, si l’on veut bien,
consacre la superficialité au point qu’oser empêcher que cette dernière ne perde
l’enfreindre, c’est encourir l’exil pour le bataille face aux bricoleurs, aux faux
meilleur des cas. Triste sort du philosophe. philosophes et face aux fausses accusations
Pis, d’aucuns s’en tirent par la petite porte des misologues. Pour ce faire, un noyau
en déclarant l’inutilité de la philosophie, d’étudiants de notre Faculté a été désigné
Nsondey Monsengo Sj, pour maquiller leur ‘‘inaptitude’’ à bien la pour la réalisation dudit journal. Après
M1 Philo/ ULC faire et se dédouaner de l’ascèse du vrai son lancement officiel, le 13 avril 2020,
philosopher. son premier numéro paraîtra en date du
27 avril 2020. SOPHIA en est aujourd’hui
Mais au fond, le refus de réfléchir cache à son centième, gardant incandescente la
une soif de ‘‘Belles’’ réflexions, car en rigueur de la réflexion calme. Pas un pas
fin de compte l’Homme, aussi superficiel sans vous.
soit-il ne s’épargne qu’avec peine les
questions du sens de l’existence. Dès lors En vue de célébrer ensemble ce centième
s’impose au philosophe comme devoir numéro, nous vous invitons à l’aventure
la mission qui est la sienne, celle de noétique dont trois textes constitueront les
descendre dans les arènes ténébreuses de méandres : La dialectique tragédie-utopie
l’existence pour y apporter les traces de pour sur-sumer et panser les blessures de
l’Etre et ramener à la lumière ceux que les la guerre ; les idéologies en dispute de
machines maintiennent prisonniers. Censé l’individu : La recherche de l’identité ; le
être initié à ces questions, le philosophe christ n’est-il mort que pour le congolais?
est sommé de communiquer, s’il ne veut
se contenter du plaisir auto-jouissif, de la Autant il est demandé rigueur aux auteurs,
masturbation intellectuelle. Or bien user autant je vous invite à la rigueur de la
de la pensée requiert une habilité d’esprit lecture calme !
Yanick NZANZU Maliro,
Scj, Théo IV, ETSC-
Ngoya/Cameroun La dialectique tragédie-utopie pour sur-sumer
et panser les blessures de la guerre

J
« e refuserai jusqu’à la mort d’aimer cette Derrière les visages qui semblent respirer la vie, on
création où des enfants sont torturés », découvre des êtres complétement défaits, abattus.
écrivait Camus après la seconde guerre Tout est fait pour désespérer tant le spectre d’une
mondiale (Albert Camus, La peste, p. 238). Ceci morte précoce plane sans répit sur leurs rêves.
est un cri d’un homme révolté ; un cri spontané et
Or, « dans l’attachement d’un homme à la vie, il y
normal d’un homme aux prises avec la souffrance,
a quelque chose de plus fort que toutes les misères
assurément. En effet, face à la brutalité de certains
humaines » (Albert Camus, Le mythe de Sisyphe,
faits et à la souffrance qui s’ensuit, comment ne
p. 16). C’est ici où se joue le pari : celui de savoir
pas sentir monter en soi les sentiments d’injustice,
si la vie vaut la peine d’être vécue ou non ; et ceci
d’incompréhension, de haine et surtout
malgré la conjoncture existentielle. Sur-sumer
d’abattement ? La guerre, elle est devenue pour de
celle-ci n’est possible assurément qu’à partir du
milliers d’hommes et femmes un pain consommé
vif attachement à la vie. Et ceci n’est-il pas sous-
en satiété. Elle les a plongés dans la précarité,
tendu par l’espérance ? De fait, en temps de guerre,
l’indigence, la souffrance extrême. On est face au
rêve de paix ; en temps de précarité, aspiration à la
tragique des tragiques parce que touchant l’homme
satiété ; en temps d’indignité, rêve d’une humanité
dans sa racine : l’existence.
accomplie. C’est cela l’u-topie (le lieu du non-
Outre ces souffrances imposées, s’ajoutent les lieu). Elle projette l’humanité aux prises avec la
différentes catastrophes qui suscitent dans le cerf déchirure dans les ailleurs, dans l’avenir meilleur
des peuples le dégout de la vie. Que dire de la possible.
brutalité de certains faits qui, en un laps de temps,
Tout compte fait, à la tragédie, l’u-topie peut être
ont dramatiquement marqué leur existence ?
la réponse. Elle permet d’éviter d’autres tragédies
Avant-hier, il y avait ebola et ses décès inopinés
à venir. Sur-sumer la tragédie et ses corolaires a
; hier, il y a eu d’abord la lave du Nyiragongo
alors ceci comme préalable : inventer une u-topie
et ses dizaines de milliers de sans-abri, puis,
en tant que lieu des espérances assumées. La
les inondations à Kinshasa et leurs dégâts
logique ici est celle du phénix qui, le soir tombe
incalculables ; et aujourd’hui comme toujours,
et le matin, renait de ses cendres. N’est-il pas
il y a ces éternels conflits, ces futiles et ridicules
urgent aujourd’hui que le Congo déchiré dans tous
guerres et leurs corollaires en pertes matérielles et
ses états réinvente ses rêves afin d’œuvrer à la
en vies humaines. Le contexte est devenu celui-
transformation du présent ?
là : de l’indigence, de la précarité, de l’indignité.

Sophia / n°100-Janvier
LES IDÉOLOGIES EN DISPUTE DE L’INDIVIDU :
Pedro Raul Sj,
M1 Philo/ ULC LA RECHERCHE DE L’IDENTITÉ

L
a recherche et la préservation de l’identité En effet, devant la multiplicité d’idéologies so-
de soi caractérisent l’une des premières dé- ciales qui s’entrecroisent, l’identité personnelle
marches de tout individu humain conscient devient fort problématique et vulnérable, parce
de sa dimension sociale. Celle-ci lui permet de se que l’originalité idéologique de chaque peuple - de
faire une image qui, en même temps, le différencie laquelle dépend l’identité de chaque individu – est
des autres et lui donne la sensation d’être accepté toujours ballotée ici et là, et, par conséquent, la ma-
parmi eux. C’est cette acceptation qui, souvent, est jorité des individus portent, en eux et malgré eux,
vue comme le symbole de la réalisation person- une dose d’aliénation. Or, le pire des aliénations
nelle et de l’intégration totale de soi dans un corps consiste à être, non seulement un simple débouché
englobant : la société. Celle-ci, à son tour, a son et consommateur de miettes nocifs d’autres idéo-
identité propre basée sur sa philosophie, ses cou- logies, mais aussi d’en être ambassadeur au milieu
tumes, ses traditions et ses lois, dont l’ensemble du peuple dont on est le fils, et à son détriment.
constitue son idéologie – communément comprise
C’est à ce niveau que la liberté dans l’acte de rece-
au simple sens politique – et son esprit.
voir, doit s’appliquer. Certes, c’est un défis com-
Ainsi, l’intégration de l’individu n’est pas une plexe, parce que toute idéologie ne se présente pas
simple entrée dans le corps, au sens empirique du souvent comme une chose objectivable de l’exté-
terme, mais elle s’accompagne d’une dimension rieur ; elle ne se laisse connaitre que lorsqu’elle a
substantielle qui touche et configure tout l’esprit déjà avalé sa proie et en a rendu une marionnette,
de l’individu, forge sa mentalité et ses allures par- et toute tentative de s’en sortir est vouée à l’échec
ticulières vis-à-vis des autres personnes. parce qu’il s’agit des eaux d’une mer qui n’éjecte
que des cadavres. En revanche, puisque c’est
Or, à l’ère où nous sommes, il y a autant d’idéo-
l’idéologie qui proportionne à une société son uni-
logies qu’il y a de sociétés ou peuples ; et tous
té et sa stabilité, la position centrale que l’individu
cherchent, de force, à affirmer leurs identités qui
adopte dans sa société ou son peuple et son enche-
se trouvent menacées par le phénomène de la mon-
vêtrement avec les principes de base qui guident
dialisation. Ainsi, le peuple incapable de s’affirmer
le tout, deviennent, d’une part, la clé de sa fierté
du point de vue idéologique et, donc, identitaire, se
individuelle lorsqu’il se trouve en contact direct
déclare déjà victime des autres peuples, avides de
avec d’autres idéologies, et, de l’autre, la base de
visibilité et d’éclat, capables d’avaler tout un en-
la reconnaissance et du respect que les spectateurs
semble, commençant par ronger ses membres in-
doivent lui témoigner, et à son peuple jalousement
capables d’appliquer le sens critique sur les rayons
gardé.
de la production matérielle et technologique des
idéologies envahisseuses.

Sophia / n°100-Janvier
John KABOBI,
M1 Philo/ ULC
LE CHRIST N’EST-IL MORT QUE POUR LE CONGOLAIS ?

L
’exubérance du sentiment religieux dont n’est mort que pour la résolution de ses problèmes.
se glorifie le congolais en se livrant à lon- Cette situation caverneuse dans laquelle est plon-
gueur des journées à d’incessantes, mais gé le congolais, est loin d’être un indice vers sa
curieusement improductives, prières et louanges délivrance mais plutôt une ouverture vers un er-
à Dieu étonne et interpelle. Car, la pratique de son gastule inactif. Son credo ne demeure que celui de
culte ne cesse de déboucher à l’exaspération d’une « nzambe akosala », au point d’obstruer son pas
oisiveté ne disant son nom du fait de l’illusion encore.
d’un bonheur eschatologique dans laquelle elle
Face aux exutoires engloutissant son esprit dans la
berce les fidèles. Cette forme de nihilisme au sens
fosse, le congolais est appelé, au gré de sa faculté
nietzschéen est ce qui caresse son insouciance à
cognitive, à penser et panser son être. De ce fait,
des questions sur son mode de vie. Est-ce possible
l’engagement au travail en toute responsabilité et
de délivrer le congolais de sa nocive addiction à
la règlementation de son temps de prière, seraient
une oiseuse religiosité ?
d’après nos analyses, sa porte de délivrance. Car,
Bien qu’étant évidemment une nation à liberté le Christ pour qui il s’octroie le privilège ne peut
religieuse, le pullulement des églises chrétiennes lui procurer le pain quotidien tel que souhaité en
en RDC tend à constituer une puissante asphyxie demeurant dans le farniente, sinon n’est-ce pas lui
du déploiement des capabilités de ses citoyens. retrancher même le peu qu’il possède. Ainsi, en at-
En effet, l’église mue de plus en un lieu de tra- tendant la miséricorde, il connaîtra la misère sans
vail pour le congolais où s’obtiennent des potions jamais se pendre à la corde.
magiques à la résolution de tout problème, et la
Sans aucune prétention d’inclination vers une
prière en machette, si bien qu’il maitrise par cœur
forme d’athéisme, ou vers un arrachement de la
les versets bibliques, surtout ceux qui nourrissent
capacité du congolais à louer Dieu, le présent ar-
des promesses, que n’importe quel travail utile
ticle s’est conçu dans la visée d’une invitation à la
à sa survie. Comme le plus grand homme de foi
synergie entre la prière et le travail, car son vécu
et d’espérance, le congolais ne cesse d’attendre
ne témoigne nullement d’un éveil. La pierre clo-
comme la tombée d’un fruit sa solution de l’être
che encore dans l’entendement du congolais afin
suprême sans s’engager lui-même. L’analyse
d’appréhender que la manne ne tombera plus du
phénoménologique non seulement du religieux
ciel. Mais bien qu’en toute circonstance il ne faut
congolais, mais aussi de son mode de vie permet
jamais dire jamais. Cependant, la vie du congolais
de discerner l’attitude d’une créature qui se croi-
laisse entrevoir le fait qu’il ne demande à Dieu que
rait plus aimée par son créateur par rapport à toutes
d’accomplir ses plans. Et si Dieu était homme ?
les autres ; croyance qui présiderait à cette forme
de privatisation du Christ consistant à penser qu’il

Sophia / n°100-Janvier
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UNIVERSITE LOYOLA DU CONGO Faculté de Philosophie St-Pierre-Canisius

So
J
hia
OURNAL HILOSOPHIQUE

REVUE SOPHIA
compilation des articles publiés
au cours de l’année académique 2021-2022.

Rédacteur en Chef :KUMA KUMA Landry, S.J. Conseillers :P. MOKA Willy, SJ.
Equipe de rédaction :BAGENDEKERE Fabrice, S.J. P. MBIRIBINDI Dieu-Donné, SJ.
DJAGUE Ramadane, S.J. P. NZOIMBENGENE Philippe, SJ.
DJERABE Rodrigue, S.J. P. TSHIKENDWA Ghislain, SJ.
SEKELE Irénée P. KUPELESA Max, SJ.
NSONDEY Monsengo, S.J. P. BASONOTA Eugène, SJ.
PAULO Mateus, S.J. P. KIANGALA Jules, SJ.
NGOY Ruphin Kibipe Sr. BOLONGO Amandine
YAPO Gilbert, S.J.
Nicolas MABWA
Secrétaires : KONGO Gabriel, S.J.
BALAKIME Antoine, S.J.
Design & conception :AMOUSSOUGA Mahouwetin Bovis, SJ.
KASONGO Selemani D.-Nepa,SJ. Publication :KAPCHE Mathieu, S.J.
CAMARA Moriba, SJ.

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