Sophia Canisius

Université Loyola du Congo (ULC) Journal Philosophique Hebdomadaire

Faculté de Philosophie Saint-Pierre Canisius N° 091 - Novembre 2022

Editorial
L’Afrique se réveillera-t-elle de son sommeil dogmatique ?

E
xaminant le spectacle navrant l’Etat à la Nation, et les autres se contentent
d’une crise holiste qui semble de la médiation d’un facilitateur dont l’Etat
typifier l’Africain, le philosophe se trouve sous la menace d’éclatement.
congolais Kä Mana s’interrogeait : L’Afrique
A-t-il donc fallu attendre une voix
va-t-elle mourir ? Le diagnostic que révèle
occidentale pour que les Congolais, en
l'ouvrage conclut une crise de l’imaginaire
particulier et les Africains, en général aient
qui mine l’Africain et le cloue à une forme d’
conscience de la nécessité d’une auto-prise en
Baknor SEKELE « œdipéanisation » létale consistant à sacrer
charge pour une sortie définitive de la crise?
l’Occident comme « Père » et l’institution
Co-Rédacteur L’Afrique se réveillera-t-elle de son sommeil
du continent africain comme « Fils » de ce
dogmatique pour se poser comme maître de
Père mortifère et féroce. La victimisation
son destin ? De quelle preuve les Africains
indissociable de ce complexe est ce qui
ont-ils besoin pour lénifier leur dévotion
berce les Africains dans les illusions telles
excessive au soutien de la communauté
SOMMAIRE que les causes de leurs problèmes sont
internationale lorsqu’à l’escalade des
toujours exogènes au point de croire à une
massacres des mouvements djihadistes au
solution eschatologique nourrie par des
sahel et aux carnages perpétrés au Congo on
P.1............................... Editorial mythes importés tout à la fois fascinants et
répond par un mutisme alors que des milliers
paupérisants.
d’Euros et de dollars sont mobilisés pour
En effet, les populations africaines sont l’Ukraine ?
aujourd’hui sous la menace d’anéantissement
Quel est le sens des alliances que tisse
avec l’inflation des atrocités et de la misère
l’Afrique avec ses présumés partenaires ?
P.2 ..........Pacte de survie ? la plus inacceptable devant l’impuissance
Seraient-ce des pactes de survie ? Le premier
des Etats minés par une errance et une
article qui s’interroge sur la nature des
instabilité politiques notoires que peuvent
pactes que signent les Etats africains en ces
attester les récents coups d’Etat au Burkina
temps de crise, défie en même temps leur
Conditions de possibilité Faso, d'unau Mali, en Guinée, les manifestations portée significative en tant que solution
citoyennes noyées dans le sang au Tchad
agir communicationnel.........p. efficace. L’ampleur des événements funestes
contre2 l’éternisation de la transition
qui dessinent l’actualité africaine rappelle
militaire au pouvoir et l’enchaînement au
P.3..............Pour une solidarité Congo-Kinshasa des violences « patricides le devoir de vigilance et solidarité dont
devront faire preuve toutes les populations.
vigilante… » instiguées à Kwamouth et les localités
C’est à cette fin que se consacre le second
environnantes, le déguerpissement des
article qui, prenant le cas du Congo, dénonce
L' Afrique et l' Occident facepopulations
à la de leurs propres terres au profit
l’indifférence des uns qui isolent l’épicentre
des étrangers pendant que perdurent les
phénoménologie husserlienne et de la guerre pour se livrer au bal des soirées
massacres à l’Est. Pourtant, les uns implorent
arrosées.
merleau-pontienne................P. 3
le soutien des Occidentaux et Orientaux ou
attendent qu’une éditorialiste occidentale Meilleure exploration noétique, chers
leur rappelle que « le Congo n’a d’autre lecteurs et lectrices.
ami que lui-même », au point d’inspirer les
dernières paroles de l’adresse du chef de
 Pacte de survie ?
L
a révolution ukrainienne de 2014
a considérablement détérioré les
relations diplomatiques entre la Russie
et l’Ukraine. Du conflit diplomatique, l’on est
rapidement passé à une guerre froide mobilisant
deux blocs d’alliés puis à une véritable guerre
depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie
en Février 2022. La guerre suit son cours, les
conséquences imposent leur véto, des discours
déferlent ici et là et des polémologies se forgent.
En marge de ce brouhaha, gisent dans la
clochardisation, les peuples africains engagés
dans une lutte, plus que jamais décisive, de
“dépaternisation” de l’Occident vis-à-vis de leur
continent. Sans avoir la prétention d’un traité,
notre réflexion se veut une anse pour saisir la
colinéarité entre la guerre en Ukraine et les
échauboulures sociales que connait l’Afrique ces
derniers temps.
Depuis plus d’une décennie, l’Afrique est
le théâtre d’une succession de crises économiques
et socio-politiques. Ces événements, au constat
amer, ont jalonné l’itinéraire de tout un peuple.
Au Soudan, l’on a assisté à la destitution du
Président, le général Omar el-Béchir en avril
2019. Après 30 ans de dictature, les espoirs de
recouvrement de la démocratie ont sombré, quand
en octobre 2021, un nouveau coup d’Etat s’est
abattu sur le pays. La même année 2021, comme,
l’ex-Soudan français, le Mali actuel, a connu le
même scénario, renversant Bah N’Daw en faveur
du colonel Assimi Goïta. Ce fut le cinquième coup
d’Etat au Mali, après ceux de 1968, 1991, 2012 et
2020. Son voisin, le Burkina Faso, a été aussi
ébranlé par un coup d’Etat en septembre dernier,
renversant le lieutenant-colonel Sandaogo
Damiba qui, lui-même, avait pris le pouvoir, cette
même année, à l’issue d’un coup d’Etat. Outre ces
coups d’Etat dont les interrogations continuent
de hanter nombres d’esprits, plusieurs situations
malencontreuses parsèment l’actualité africaine,
notamment au Tchad où l’on a enregistré une
BALAKIME Aloègnim
série de manifestations et de protestations suivies
S.J,
de séquestration et de tueries alors que le pays est
Licence 2 Philo/ULC
plongé, depuis août 2021, dans une interminable
transition politique. Ces cris de désespoirs
qui montent de partout en Afrique, sont
symptomatiques d’un malaise social généralisé et
”
d’une fragilité institutionnelle.
En marge
Au cœur de cette pollution socio-politique, de ce brouhaha,
dans sa grande majorité, le peuple africain, hostile gisent dans la
à la présence française sur son territoire, saisit
clochardisation,
l’occasion de la guerre en Ukraine pour engager
les peuples
l’opération « CABRAL : PACTE AVEC L’ENNEMI
africains engagés
DU MAÎTRE » (M. MBONIMPA, Idéologies de
dans une lutte,
l’indépendance africaine, p. 147.). En effet, avec
plus que jamais
l’éclaboussement occidental, les Tchadiens, les
Maliens puis les Burkinabés, tenant la France en
décisive, de
aversion, ont saccagé certaines ambassades de la “dépaternisation”
France et même brulé son drapeau, en hissant celui de l’Occident
de la Russie et sollicitant le soutien de Moscou. vis-à-vis de leur
Jamais, les Africains n’avaient exprimé, avec continent.
”
autant de conviction et de véhémence, leur colère
contre le paternalisme français. En septembre
dernier, lors de la 77e assemblée générale de
l’ONU, le président de l’Union Africaine défendait
le droit pour l’Afrique de choisir ses partenaires
et plaidait pour l’octroi d’un siège à l’Afrique au
G20. L’Afrique arrivera-t-elle à faire chavirer la
donne ? Wait and see !
 Pour une solidarité vigilante…

L
a situation sécuritaire en République prétexte que la « guerre à l’Est » ne concerne que la
démocratique du Congo – précisément dans partie orientale de la RDC. Le même peuple semble
la partie orientale – n’a cessé de faire couler sombrer dans une ambivalence déconcertante : il
encre, salive, sueur et sang. La prise de Kiwanja et de
pleure dans la partie orientale, jubile dans la partie
Rutshuru-centre, l’abrupte résurgence des rebelles
occidentale et dort sur ses lauriers dans la partie
du Mouvement du 23-Mars (M23), orchestrent des
méridionale. L’on aurait cru que diverses nations
scenarii dignes d’un film d’épouvante : débandade
différentes auraient occupé un même territoire. Bien
généralisée, psychose collective, promiscuité,
au contraire…
déplacement massif de la population, recrudescence
des discours aux relents de la violence verbale, etc. Une partie du territoire national menacée, Archip-Joseph N.

Autant de peines traduisent les atrocités vécues par MUKOKO

c’est tout le pays qui devrait l’être aussi. La « guerre
de paisibles citoyens, contraints de traverser la vallée
à l’Est » implique que tout le pays soit en guerre.
de l’incertitude dans une géographie de malemort
La guerre russo-ukrainienne nous en dit assez.
et de l’inconfort le plus abouti. Et ce, à cause de la
Quelques villes ukrainiennes étant menacées par

“
guerre et de sa généalogie…
la Russie, l’on s’interdit de plus en plus de dire : la
Symphonie de balles ici, bal de jouisseurs
guerre à Kiev, à Kharkiv, ou à Marioupol… Le même
friands de soirées arrosées là-bas. Dans l’imaginaire peuple semble
collectif de beaucoup de Congolais, immense Une solidarité vigilante des compatriotes sombrer dans
pourrait s’avérer la tentation de réduire le patriotisme vivant dans des régions non concernées directement une ambivalence
déconcertante :
à la seule appartenance à la ville (campagne) de par les conflits armés à l’endroit de ceux qui sont
il pleure dans la
résidence ou de naissance. Il est déconcertant que ciblés par les rebelles, aiguiserait le patriotisme et partie orientale,
d’aucuns feignent ou se désintéressent de ce qui
résorberait l’indifférence. Il n’importe pas que la jubile dans la
se passe à l’autre bout du territoire national, parce partie occidentale
marche du pays soit nécessairement suspendue à et dort sur ses
qu’ils sont géographiquement situés à mille lieues de
cause d’une région qui se mue en vallée de l’ombre, lauriers dans la
l’épicentre des conflits armés. partie méridionale.
mais que la situation désastreuse de la partie soit
L’on aurait cru que
Aussi l’expression « Guerre à l’Est » pourrait-
la préoccupation du tout. Chaque Congolais, peu diverses nations

”
elle induire à l’émiettement du sentiment patriotique différentes auraient
importe sa situation géographique ou son origine,
dans le chef de certains Congolais. En effet, il est occupé un même
pourrait faire preuve de solidarité vigilante en
possible qu’ils soient tentés de continuer de vaquer territoire. Bien au
apportant son soutien (physique, moral, spirituel contraire…
allègrement à leurs occupations quotidiennes, de
ou financier), autant qu’il pourra, à ceux qui en ont

”
s’empiffrer des viandes savoureuses à Kinshasa,
de s’enivrer jusqu’à la dernière goutte à Matadi, besoin. Un geste patriotique ne coûterait pas les

de danser au rythme de mutuashi à Kananga ou de yeux de la tête. Ce serait une preuve tangible que la «
faire comme si de rien n’était à Mbandaka, sous guerre à l’Est » concerne le pays dans son ensemble.

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