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Université Loyola du Congo (ULC)

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Faculté de Philosophie St-Pierre Canisius

So hia

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J ournal hilosophique N°115 - Mai 2023

Editorial

L
a démocratisation des pays africains point de salut. Pour l’auteur, sous couvert
au début des années 1990, préparée d’une rhétorique malaisée, l’on a souvent
par les conférences nationales caché les velléités de la démocratie.
souveraines, a ouvert, une fois de plus, une Sinon, quelle légitimité justifierait cette
nouvelle page de l’histoire du continent effervescence manifestement conjuguée
africain. Une histoire portée par un idéal pour un régime qui ne cesse d’offusquer
démocratique aux perspectives prometteuses les élans naturels et de mordre sur le peu
et dont la pratique supposée, viendrait d’espoirs placés ? Il est temps de sortir
au bout des séquelles de la colonisation de ces ornières tracées, martèle Irénée.
et surtout, des dictatures enclenchées au
lendemain des indépendances. Hélas ! A Cette urgence amène notre cher
l’épreuve de la réalité vécue, l’euphorie, Jonathan KENDWA à prendre en charge
l’enthousiasme que suscite cette transition la mascarade, l’hypocrisie de ces régimes
démocratique a progressivement fait place démocratiques et à dénoncer certaines
à des inquiétudes constantes : l’on se langues pour qui, interroger la pertinence
demande bien si le régime démocratique de l’idéal démocratique devient un
répond aux aspirations les plus profondes fruit défendu. Dans son article Liberté
de l’Africain ? Les coups d’Etat, les de manifester en RD Congo, l’auteur
conflits armés, les élections truquées, constate qu’il est désolant de voir des
les mandats à vie, etc., montrent fort peuples empêchés d’exercer leurs droits
Rodrigue DJERABE, S.J. bien que « l’Afrique n’est pas encore au de citoyens. Ce qui donne à croire que les
M2 Philo/ULC bout de ses peines » (Maréchal Mobutu principes recteurs de la démocratie ne sont
à la tribune des Nations Unies en 1973) bons que pour les tiroirs des cabinets des
présidences. Les dérives des manifestants
Ainsi, à l’assaut des dialectiques ainsi que les bavures policières qu’il récuse
« zombifiques » encadrées par des au passage, expliquent à suffisance que les
réflexions sous-traitantes, les candidats sources des maux qui enveniment l’élan
à la dignité des lignes restant de cette au progrès ne sont pas liées à une forme
page ouverte du processus démocratique, quelconque de gouvernance ; d’où son
questionnent aussi bien la pertinence invitation à revoir la pratique démocratique.
de l’idéal démocratique que sa pratique
en contexte africain. La démocratie ne A tort ou à raison, l’exigence de la
serait-elle pas un piège pour l’Africain, réalisation pleine de l’homme africain, face
aujourd’hui incapable de tracer sa voie, aux querelles intestines, est sans appel.
outre les cadres de réflexivité occidentale ? A vous chers (es) partenaires de Sophia,
puissiez-vous trouver entre ces modestes
Sur un ton provocateur et avec lignes, des souffles nécessaires à la poursuite
assez de hargne, Irénée SEKELE fait le de cet accomplissement plein de l’Africain,
procès des en-dessous démocratiques. en son être profond, peu importe la forme
Partant d’un présupposé psychologique, de gouvernance qu’il sied de préconiser.
il place la démocratie sous un même nom
que ces paradigmes enivrant en dehors
desquels, l’on suppose qu’il n’y aurait
Irénée SEKELE
M2 Philo/ULC

Le piège de la démocratie
L
a démocratie exerce une puissante séduction formulation chez Sen lorsqu’il souligne que nous ne
sur les sociétés contemporaines qu’elle pouvons pas nous baser sur quelques cas isolés de
pourrait se hisser au rang des maitres-mots ce que l’on pourrait considérer comme échec de la
de notre civilisation. Car, elle se présente comme un démocratie pour formuler une remise en question
mode de gouvernement où le peuple tient les rênes du radicale de la pertinence de la démocratie. Ces crises,
pouvoir. C’est « un gouvernement par la discussion » estime-t-il, manifestent particulièrement « le mauvais
(Cf. Amartya Sen, La démocratie des autres, p.14). fonctionnement » ou « la pratique inadéquate » de la
Eu égard aux dérives des autocraties totalitaires, la démocratie.
démocratie est, d’ailleurs, pour d’aucuns la preuve de
Cependant, il faut se rendre compte
l’évolution de l’esprit humain qui s’est affranchi de
qu’un tel argument reste sustenté par le mythe de
la barbarie infrahumaine. Cette estime qu’elle réussit
l’omnipotence de la démocratie qui, lui-même, est
à mobiliser en sa faveur est telle que certains acolytes
motivé par l’illusion selon laquelle en dehors la
la proclament comme « la seule forme acceptable de
démocratie règnent la tyrannie, la dictature et le
gouvernement » (Idem p.53). Elle devient, à cet titre,
totalitarisme. Préconiser l’idéal démocratique pour
une « valeur universelle », non pas en tant qu’elle
justifier sa dissonance pratique, c’est se complaire
soit susceptible d’obtenir l’assentiment unanime
dans une méprise scandaleuse. Supposons qu’on
de tous, mais au contraire en vertu de sa capacité à
conçoive un régime de gouvernement et nommons-
être considérée comme valable par des personnes où
le la « bakocratie ». Entendons par-là, une forme de
qu’elles soient. Dans ce contexte, n’est-ce pas une
gouvernement où l’Etat se charge de la protection
« fausse question » que d’interroger sa pertinence
complète et absolue des citoyens et promeut les
par rapport à un contexte déterminé, le cas échéant
valeurs de l’égalité symétrique ou arithmétique, la
l’Afrique ? Pis encore, ne serait-ce pas une « audace
justice, l’Etat de droit, la liberté individuelle et toutes
» ou un blasphème intellectuel en voyant en elle un
les autres valeurs fondamentales. L’exhibition de ses
piège ?
valeurs séduirait sans aucun doute quiconque est épris
En effet, cette question trouve souvent, sans de bon sens ou vit l’injustice, l’absence de l’autorité
difficultés, une réponse affirmative en s’appuyant de l’Etat, les inégalités et l’instabilité sécuritaire.
sur l’argument qui s’engage à la distinction Pourtant, ce ne serait qu’une illusion parce que son
minutieuse entre l’idéal démocratique et la pratique idéal est extrêmement ambitieux, mieux démesuré
démocratique. Cette rhétorique trouve également sa qu’il souffrirait d’être actualisé.

Sophia / n°115-Mai 2
D’où, nous soutenons sans ambages que la comme une forme, elle n’a de sens et ne s’accomplit
pertinence d’un pouvoir ne réside nullement dans que lorsqu’elle rencontre une matière qu’est ici la
son idéal uniquement, mais encore et surtout dans sa société. Ce réalisme aristotélicien constitue des
capacité d’être correctement appliqué et son habileté garde-fous face à la tendance à conjecturer des
à changer de manière effective une société donnée. systèmes dont l’encrage réel serait à négocier dans
Aristote l’avait si bien perçu lorsqu’il affirmait qu’ « des savantes idéalisations lamentablement pédantes.
il est évident qu’à propos de la constitution c’est la
Or, c’est malheureusement cela qui semble
même science de considérer ce qu’est la constitution
caractériser la démocratie et en prétend être le
excellente, c’est-à-dire quelle est celle qui serait
pouvoir du peuple ou de la majorité, elle ignore une
parfaitement conforme à nos vœux si rien d’extérieur
vérité essentielle telle que le fera savoir Bertrand
ne s’y oppose ; et aussi laquelle est adaptée à quels
de Jouvenel, notamment que le commandement
gens (car pour beaucoup de gens il est sans doute
est l’essence du pouvoir. On peut, dit-il, par des
impossible d’atteindre par eux-mêmes la constitution
institutions sagement combinées assurer la garantie
excellente, de sorte que le bon législateur, c’est-à-dire
effective de chaque personne contre le pouvoir. Mais
l’homme politique selon le vrai, ne doit laisser de
il n’y a point d’institutions qui permettent de faire
côté ni la constitution la plus valable absolument, ni
concourir chaque personne à l’exercice du pouvoir,
la constitution excellente dans une situation donnée)
car le pouvoir est commandement et tous ne peuvent
» [ ARISTOTE, Les Politiques, IV, 1, 1288b, 1993,
commander (B. De JOUVENEL, Du pouvoir.
p.21-27].
Histoire de sa croissance, p.418.).
En effet, pour Aristote il faut considérer dans
l’excellente constitution la capacité d’être appliquée
dans un contexte déterminé et précis. La considérant

‘‘ Nous soutenons sans ambages que


la pertinence d’un pouvoir ne réside
nullement dans son idéal uniquement,
mais encore et surtout dans sa
capacité d’être correctement appliqué
et son habileté à changer de manière
effective une société donnée.

3 Sophia / n°115-Mai
Jonathan KENDWA
La liberté de manifestation en RDC :
Avocat D’une liberté fondamentale
à une servitude fondamentale

L
a volonté de bâtir un Etat de droit se Pour ce qui est de l’article 26, il est dit: « la
traduit sur le plan pratique par le respect liberté de manifestation est garantie ». L’exercice
des droits et libertés fondamentaux et de cette liberté sur la sphère publique où elle
l’assurance de leur plein exercice à chaque puise son efficacité, se doit d’être acté sur base
citoyen. Dans un régime politique qui se dit d’une information préalable à l’autorité publique
de droit, la liberté de manifestation est une compétente, précise l’alinéa 2 du même article. De
expression majeure de la démocratie participative. même, l’article 7 du décret-loi 196 du 29 janvier
Pour le professeur Marcel-René TERICINET, la 1999 portant réglementation des manifestations
liberté de manifestation est l’un des mécanismes et réunions publiques déclare que les autorités
favorables pour les citoyens d’affirmer leurs saisies ont l’obligation de veiller au déroulement
croyances, de défendre leurs intérêts, y compris pacifique des manifestations ou réunions
ceux susceptibles de nuire à un régime politique publiques organisées dans leur ressort territorial
[...], le développement de cette liberté en matière ainsi qu’au respect de l’ordre public et des bonnes
politique ou sociale traduirait le besoin ressenti mœurs sans tenter de les entraver.
par les citoyens de se voir satisfait dans leurs La manifestation publique, n’est pas
droits sociaux. (M.R. TERICINET, la liberté de cependant à confondre avec un attroupement.
manifestation en France, in RDP, 1979,pp. 1009- Par attroupement on entend un rassemblement
1011.). Lorsque l’exercice de ce droit fondamental dont les membres n’ont pas un but commun,
est réprimé, l’état de droit est défiguré et c’est la présentent des risques de trouble à l’ordre public
démocratie qui en paie le prix. et sont dépourvu d’encadrement. Il se caractérise
La promulgation de la Constitution par son improvisation et sa désorganisation. Des
démocratique en 2006, manifestait la volonté gens mal intentionnés peuvent profiter de cette
des Congolais à rompre avec un passé historique désorganisation, pour piller, détruire et bafouer
nourri d’injustices, d’inégalités, de violences et les prescriptions légales. L’effort est alors de
d’impunité, un passé où l’état de nature et la loi concilier cette liberté de manifestation publique
de la jungle auraient fait le comble. À la sortie du avec l’ordre public qu’il faut pérenniser.
dialogue intercongolais qui a conduit à l’adoption Tout compte fait, une citoyenneté et une
de cette constitution, les négociants ont fait état démocratie sans exercice rationnel des libertés
de la nécessité de prendre en compte la liberté constitutionnelles conduisent toujours à une
d’expression et de manifestation publique comme démocrature et à un autoritarisme destructeur.
garanties constitutionnelles, pour la promotion Pourtant tout nous porte à croire que nous sommes
des droits de l’homme et de la démocratie. Et à la entrain d’aller vers cette servitude fondamentale.
constitution de les consacrer respectivement Avons-nous besoin de preuves? Les répressions
dans ses articles 23 et 26. des manifestations du 20 Mai 2023 initiées par
l’opposition politique congolaise dans la ville de
Kinshasa sont encore fraiches dans nos mémoires.

Sophia / n°115-Mai 4
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UNIVERSITE LOYOLA DU CONGO Faculté de Philosophie St-Pierre-Canisius

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ournal hilosophique

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Equipe de rédaction :BAGENDEKERE Fabrice, S.J. P. MBIRIBINDI Dieu-Donné, SJ.
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