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Margaux Leroux

L3 Cinéma et Audiovisuel
2021 – 2022

EXAMEN SECOND SEMESTRE – 2021 – 2022


L3 CINEMA ET AUDIOVISUEL
LA NOUVELLE VAGUE FANTASTIQUE DES ANNEES 1960

La représentation de la femme dans le cinéma Asiatique des années 1960

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Table des matières
Introduction 2
I – La femme désirée et torturée. 4
1. Une figure insaisissable et désirable. 4
2. Un corps qui oscille entre torture et plaisir. 6
II – Une figure torturée torturant. 9
1. Réunion du féminin et de la Nature. 9
2. L’ascension de la femme castratrice. 11
Conclusion 13
Filmographie 14
Bibliographie 15

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Introduction

La figure de la femme dans le cinéma a toujours eu une représentation vacillante, celle-ci ne


cesse d’évoluer pour se réinventer dans tous les genres du cinéma. L’époque des années 1960
offre une représentation complexe et fascinante de la femme et sa féminité en plaçant son
corps au centre de cette réflexion.
Les années 1960 offrent une transition entre le classicisme et la modernité où les notions de
sexe, violence, voyeurisme, perversité et le bizarre rencontrent des récits horrifiques,
fantastiques, merveilleux ou encore oniriques. Cette nouvelle vague des années 1960 épouse
la transgression d’une génération à travers un désir de créativité et une libération de la forme
artistique et ses sujets. Le spectateur est au centre de cette décennie avec des films répondant
au désir voyeuriste de celui-ci.
L’analyse de ce corpus de films concerne en grande partie des films Japonais, mais également
Taïwanais et Chinois. Le contexte des années 1960 est alors nécessaire pour comprendre la
représentation des femmes dans ces cinémas.
En effet, les années 1960 au Japon sont une vague de contestation et de changement. C’est
également l’arrivée des télévisions dans les foyers Japonais avec une baisse des fréquentations
en salle. La production de film doit ramener le public au cinéma, de ce fait, le cinéma se
tourne vers la violence et le sexe, des thèmes impossibles à diffuser à la télévision. Un public
masculin se fidélise aux salles de cinéma et permet la naissance de la Pinku Eiga. Autrement
appelé le Cinéma Rose, la Pinku Eiga est un genre de sexploitation proche du soft core ou soft
porn. L'érotisme et la violence sont les thèmes principaux de ces films où le sadisme envers le
corps féminin est un élément central. Après les années 1970 le genre perd de sa popularité,
son exploitation est donc centrale aux années 1960.
A Taiwan c’est un cinéma vaste qui se déploie durant cette décennie, un cinéma passant par
tous les genres mais prônant une liberté sexuelle, de la violence et particulièrement de
l’insolence. En effet, une grande partie des films au cours de ces années sont réalisés en
langue taiyupan luttant contre la dictature prônant la langue chinoise mandarin.
Les notions de sexe et violence sont donc centrales dans ce cinéma et impactent la femme, le
féminin, son esprit et son corps. Ces femmes sont-elles dépeintes comme des victimes de
l’horreur qu’elles endurent ou comme des monstres activement jouissifs à cette horreur ?
Quelle est la représentation de la femme et de son corps durant cette période ?
Pour répondre à cette question nous verrons dans une première partie que la femme désirée est
torturée entre son aspect insaisissable et un corps oscillant entre plaisir et souffrance. Mais

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dans une seconde partie nous verrons que la femme est également une figure torturée mais
torturant à travers la réunion de sa véritable nature dans l’ascension de femme castratrice.
Le corpus contient les films suivants, The Enchanting Shadow de Li Han-Hsiang, The
Fantasy of the Deer Warrior de Ying Cheng, Onibaba de Kaneto Shindo, Woman in the
Dunes de Hiroshi Teshigahara, The Bride Who Has Returned From Hell de Hsin Chi, Day-
Dream de Tetsuji Takechi, Shogun’s Joy of Torture de Teruo Ishii, Kuroneko de Kaneto
Shindo, Horros of Malformed Men de Teruo Ishii, Inferno of Torture, Teruo Ishii, Day-Dream
de Testuji Takechi et Blind Beast de Masumara.

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I - La femme désirée et torturée.
A. Une figure insaisissable et désirable.

A travers ce corpus de films, la femme est une figure désirable mais insaisissable presque
intangible. The Enchanting Shadow de Li Han-Hsiang pose le modèle de cette matière
insaisissable de la femme, qui physiquement comme psychologiquement représente une âme
et un corps vaporeux. Le personnage de Xiaoqian est insaisissable dans sa définition même
puisque celle-ci est un fantôme, elle ne peut être saisi par les hommes mais reste malgré son
statut de morte désirable. En effet, l’un des hommes prononce la phrase suivante “if a
beautiful girl shows up in the middle of the night a ghost or not, I’ll take a chance.” Ainsi,
même dans la mort le corps de la femme reste un objet de désir qui ne peut être salit par un
état et sa volupté. Dans le même aspect fantomatique désirable et insaisissable de la femme se
trouve The Bride Who Has Returned From Hell. En effet, le corps de la femme est porté
disparu, intangible, flottant et mystérieux. Tout est relié à ce corps disparu et à la fois présent
dans les pensées puisque celui-ci est tant désiré.
Dans Kuroneko l’imaginaire fantomatique de la femme est également travaillé à travers le
travail expressionniste des lumières, la forêt et le brouillard. De nombreuses séquences
oniriques montrent l’agilité des personnages féminins dans l’espace, un mouvement sans
limites et hors champs. La caméra tente à plusieurs reprisent de saisir la forme humaine et
corporelle de la femme avec divers panos et travelling mais cela se révèle impossible, la
femme se joue de la caméra et existe pleinement dans le hors champ. Cette incapacité de la
caméra à saisir la femme est partagée avec l’homme qui ne peut lutter contre leur aspect
fantomatique à tendance horrifique où le désir domine.
Dans The Fantasy of the Deer Warrior, le personnage féminin de la biche ne dépasse pas cette
condition de femelle désirable et victimisée par les hommes comme le cerf Sika et les loups.
La renarde est l’unique personnage féminin à faire preuve d’espièglerie renforçant son aspect
insaisissable absent chez la biche.
Onibaba offre une nouvelle approche de l’aspect insaisissable de la femme tout en reliant
celui-ci à son côté désirable. La caméra devient un outil ambigu qui épouse le regard masculin
en sexualisant le corps féminin ainsi que ses attributs. Mais les fortes contre plongées annonce
la dangerosité de la femme, elle tue et commet des meurtres, assassine des soldats perdus mais
pourtant, sa sensualité et le désir masculin à son égard reste puissant. Son corps appelle au
désir tandis qu’il est insaisissable dans sa nature et ses actes de monstruosité s’éloignant de la
femme énigmatique de The Enchanting Shadow, The Bride Who Has Returned From Hell ou

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The Fantasy of the Deer Warrior tout en raffermissant le propos monstrueux esquisser dans
Kuroneko.
Le désir ressenti envers les femmes pousse les hommes à des actes de voyeurismes communs
à de nombreux films. La femme est désirée de façon sexuelle mais également maternelle.
Shogun’s Joy of Torture présente trois histoires différentes. Dans la première nous retrouvons
l’aspect fantomatique de la femme, en effet, celle-ci est désiré par de nombreux hommes et
finit par évaporer ce désir en accèdant à la mort. Comme pour The Woman in the Dunes,
Horros of Malformed Men, Inferno of Torture, Blind Beast et Day-Dream l’aspect voyeuriste
est souvent présent. Le voyeur représente l’acteur comme le spectateur, il nous surprend à
désirer la femme en éveillant en nous une pulsion scopique. Les gros plans charnels
organiques dans Woman in the Dunes réveillent le désir de cette peau recouverte d’eau, de
sable, de poils ou encore de mousse. La chair s’incarne à la caméra nous donnant à désirer un
corps vulnérable dans sa nudité. Nous cherchons et attendons de découvrir l’intimité féminine
comme ces hommes scrutant les corps féminins sous une vitre transparente dans Inferno of
Torture.
Le désir du corps féminin et de sa psyché sont liés, dans Day-Dream le dentiste pénètre la
gencive de la femme tout comme il pénètre sa psychologie. Il s'immisce en elle en criant dans
sa poitrine, il tente de rejoindre un corps capable d’absorber la douleur, un corps maternel et
rassurant accueillant ce besoin infantile. La mère est autant désirée que la concubine, ou la
femme. Elle est l'élément centrale de tous ces films, supportant la mort d’un fils et portant
compagnie à sa fille (The Enchanting Shadow, Kuroneko, Onibaba, The Woman of the Dunes,
Horrors of Malformed Men, Blind Beast, Day-Dream.) La mère est responsable du crime
initial, répondant au désir des hommes à son égard ou bien le repoussant elle crée le monstre
et pousse au vice. Horrors of Malformed Men montre que la mère et par conséquent la femme
est à l’origine du mal. Ne pas répondre au désir d’un homme mais écouter celui d’un autre
aura pour conséquence de démoniser son mari et ses fils. Si l’homme est mauvais, est-ce la
femme qui en est responsable ?
L’homme qui désir la femme requiert une présence maternelle. Blind Beast fait le portrait de
cet homme à travers Michio un continuel enfant, naïf, guidé et nourri par sa mère. L’horreur,
la sexualisation et le désir du corps féminin sont liés à l’enfance. En effet, Aki devient la
présence rassurante de la mère décédée. Elle nourrit et aime Michio comme sa mère pouvait
le faire. Mais Aki reste désirable mais insaisissable pour l’homme aveugle car il ne pourra
jamais la voir et son corps n’existe que dans son imaginaire. Le corps désiré de la femme ne
dépasse que rarement son statut de fantasme.

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B. Un corps qui oscille entre torture et plaisir.

Cette approche de la souffrance et du plaisir sexuel dans ces films sont expliqués par les
relations de sensation de plaisir et de douleur, qui, étant intimement liées se confondent. On
ne peut ressentir l’un sans l’autre, il est impossible de ressentir du plaisir sans que celui-ci soit
précédé par le manque et donc la souffrance. D’après la philosophie Épicurienne notre but est
la recherche du plaisir, soit un mal qui engendre un bien et un bien qui finit par engendrer un
mal. D’après Epicure “le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse” ; la
recherche du plaisir amène à la souffrance. Il est ainsi possible, comme le montre ces films, de
ressentir de la souffrance dans le plaisir et du plaisir dans la souffrance.
Si la femme connaît la souffrance c’est parce que celle-ci est puni pour ses fautes. La punition
est présente dans tous ces films et est souvent divine ou extérieure à elle-même. Dans
Onibaba la femme souffre pour avoir réprimer la sexualité de sa belle-fille, elle est victime
d’un crime maternel comme nous avons pu le décrire dans la partie précédente. L’acte sexuel
est également semblable aux scènes de meurtres, les deux se complètent jusqu’à devenir
inséparables. La phrase suivante prononcée dans Inferno of Torture “I’ll show you what
pleases a woman” dans un moment de torture montre que le plaisir est presque intrinsèque à la
douleur. Torturer c’est révéler un plaisir jusqu’alors non imaginable.
Dans Day-Dream le film s’ouvre sur du liquide blanc tandis qu’une femme semble gémir de
plaisir, cependant la découverte du cabinet de dentiste amène la souffrance et un premier lien
entre plaisir et affliction. Le rapport buccal rappelle l’imaginaire sexuel de la fellation ou
encore de la pénétration à travers les outils médicaux. La torture du corps féminin à travers
l’électricité questionne un corps se contorsionnant comme une ascension jouissive. L’unique
passage en couleur du film porte une grande importance à la couleur rouge, celle du sang et de
la torture tandis qu’un gros plan montre un visage en extase. Les limites entre souffrance et
sensualité sont presque imperceptibles. L’état d’épuisement du corps suivant la torture est
proche de celui d’un corps ayant orgasmé. En effet, dans ces deux situations le corps libère de
l’endorphine, de ce fait, dans nombreux de ces films le tatouage devient une torture et un
plaisir corporel.
Nombre de ces films se déroulent durant l’ère d’Edo où les prostituées et geishas se font
tatouer le corps dans un but esthétique. Dans Shogun’s of Torture le tatoueur tatoue un le dos
d’une femme, son art représente un visage éprouvant du plaisir dans la souffrance, cela est
jugé immoral et inacceptable. C’est pendant ce que l’acte du tatouage semble prouver : la

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femme gémit et se tord de douleur mais ses gestes rappellent ceux de la jouissance avec un
corps libérant de l’endorphine. Le tatouage de l’ère d’Edo souvent travaillé dans les films de
Teruo Ishii permet également de mettre en place le beau dans l’horreur. Le tatouage est un art
montrant la torture et la souffrance d’une façon sublime et non grotesque.
Le beau persiste dans l’horreur tout comme le plaisir se trouve dans la souffrance. La scène
finale de Horrors of Malformed Men image esthétiquement la présence du beau dans l’horreur
à travers la pulsion de vie et la pulsion de mort, Eros et Thanatos. La décapitation finale des
amants répond au désir impossible de s’aimer dans la mort dans un esthétisme aux couleurs
saturées offrant une réponse à la pulsion de mort et à l’atteinte du repos éternel. La création et
l’autodestruction s’auto contiennent dans tous ces films. Cette pulsion de vie et pulsion de
mort est un concept psychanalytique en partie développé par Sigmund Freud et Jacques
Lacan. Le désir de vie est représenté par Eros, dans la mythologie Grec le dieu de l’amour,
cette pulsion consiste à la recherche du plaisir sexuelle ainsi à la pulsion de vie. La recherche
du plaisir est l’élément central de ces films et se retrouve confronté à la souffrance, la
destruction et donc la pulsion de mort. Cette pulsion de mort personnifiée par Thanatos
apporte le repos éternel, la paix et l'équilibre. L’opposition entre ces deux pulsions s’explique
par notre non-décision à vivre. Nous naissons pour mourir avec cette pulsion de détruire un
corps que nous n’avons pas souhaité.
Ces deux pulsions sont parfaitement représentées dans Blind Beast. Le plaisir est requis par la
souffrance, les deux sont liés et ne semblent pouvoir exister séparément, tout comme la
pulsion de vie et la pulsion de mort. Le plaisir et la souffrance laissent place à la mort
ensanglantée que personne ne paraît remarquer. La souffrance est interne, invisible, elle n’a
pas l’éclat de la couleur avec l’éclairage laissant une grande part d’ombre. L’orgasme ultime
est obtenu dans la mort, la pulsion de vie n’est agréable que si celle-ci est contrebalancée par
la pulsion de mort.
Ainsi, si le corps féminin oscille constamment entre plaisir et souffrance au point de faire
coexister les deux c’est parce qu’il est régi par la pulsion de vie et la pulsion de mort. Pour
ressentir du plaisir, la douleur est primordiale comme a pu l’expliquer la philosophie
Épicurienne.

Ainsi, comme nous avons pu le voir dans cette première partie, la femme dans le récit
fantastique ou d’horreur apparaît comme victime du désir masculin. Elle ne peut empêcher la
sexualisation de son corps tout comme sa torture à travers un désir masculin disproportionner.
Mais pour lutter contre cet appétit, la femme devient une matière fluide, pleine de volupté

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mais également de violence pour encrer son insaisissabilité. Son insaisissabilité la rapproche
de l’horreur ou du fantastique, souvent associée à un fantôme, vampire ou monstre, elle tente
de repousser l’homme par la peur. Cependant elle se verra puni pour avoir entrepris cette
forme. L’homme devient alors une figure voyeuriste, prêt à tout pour saisir le corps féminin.
Un corps désiré sexuellement mais également pour son aspect rassurant proche du corps
maternel. Cependant, la torture du corps féminin devient récurrente dans ces films pour la
plupart appartenant à la sexploitation. Le corps est torturé crûment, le sang nullement caché et
la douleur extériorisée. Mais la frontière entre souffrance et plaisir devient presque
imperceptible, un corps meurtri semble savourer ce qui le détruit. Le corps féminin dans son
expression devient l’incarnation de la pulsion de vie Éros et de la pulsion de mort Thanatos.
La beauté dans l’horreur devient synonyme de ces pulsions et apporte une dimension
mystique au féminin.
La femme souffre de ce regard masculin, du mal qu’il apporte avec et de ses actes barbares.
Victimisée par l’horreur elle tente de s’y échapper mais ne parvient qu’à soumettre
l’acceptation d’un plaisir dans la souffrance. Elle serait victime et non actrice du mal, mais
accepter l’horreur ne pourrait-il pas permettre au féminin de se révéler ?

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II - Une figure torturée torturant.
A. Réunion du féminin et de la Nature.

La femme entretien une relation mystérieuse avec la nature. Elle s’aligne avec les éléments
naturels et semble se connecter à ceux-ci. Contrairement à l’homme, la femme a depuis
toujours été rapprochée de la nature dans de nombreux récits. Tantôt associée à la déesse de la
vie, une nymphe, une succube, une sirène, une sorcière ou un vampire, la femme sous tous ces
états est reliée à la Nature.
C’est par sa définition même de la féminité que celle-ci est reliée à l’objet naturel. En effet,
Barbara Creed explique ce lien puissant “Menstruation and childbirth are seen as the two
events in woman’s fertilizable body which align her with nature and threatens the integrity of
the patriarchal symbolic order.”1 La femme et la nature ne semble faire qu’un. Ce
rapprochement donne un aspect sauvage mais également un élément de contrôle omniprésent
au féminin. Les hommes, de ce fait, se sentent menacés par ce corps fertile et aligné avec sa
propre nature et donc la Nature.
La femme apparaît souvent la nuit, la lune guide ses actions et sa séduction. En effet, dans
The Enchanting Shadow la femme en tant que fantôme séduit la nuit. Le temps répond à ses
émotions, dans l’excitation ou la colère, ses sentiments sont accompagnés par l’orage, la pluie
et le tonnerre. La nature est donc une indication sur l’état féminin. Dans Shogun’s Joy of
Torture, la pluie et le tonnerre rendent compte de la détresse féminine. Ce même procédé se
retrouve dans Onibaba, en effet, la nature déchaînée épouse les émotions féminines. La météo
tumultueuse à travers le tonnerre, l’orage et la pluie révèle la part monstrueuse de la femme,
qui à force de verser le sang accomplit sa force castratrice.
La nature habite la femme et son pouvoir, cachée dans les fougères dans Onibaba, évoluant
dans une forêt de bambous dans Kuroneko, habitant dans une dune encrée en son corps dans
The Woman in the Dunes ou devenant animal dans The Fantasy of the Sacred Deer, la femme
est la nature. Elle se dénude pour épouser ce retour primitif mais non archaïque. La nudité est
son plein pouvoir, elle se bat torse nu. Ce qui était sexualisé par les hommes devient la
représentation d’un corps combatif.
L’eau est un élément récurrent, en tant qu’objet de torture dans Shogun’s Joy of Torture et
dans Inferno of Torture. Expression de la féminité, sa fécondité et sa versatilité, l’eau est-elle
l'expression du pouvoir féminin devenant sa propre destruction ? Mais l’eau est également le
symbole chimérique insaisissable de la femme dans Horros of Malformed Men. Vacuité d’un

1 The Monstrous-Feminine: Film, Feminism, Psychoanalysis, 1993 Barbara Creed, p.50


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cycle, bouleversement et créatrice, l’eau offre le réceptacle du féminin. Elle contient sa force,
sa séduction et sa monstruosité. L’eau est le miroir de l’âme, il est révélateur de la véritable
identité féminine et de son apparence comme nous pouvons le voir dans Onibaba ou
Kuroneko.
La nuit est également un élément important relié à la femme. La nuit retire les contraintes de
la société, fait disparaître les interactions sociales et les règles sociétales qui entravent les
femmes. Nous assistons au déclin masculin laissant place à l’existence pleine du féminin. La
femme devient menaçante et dangereuse, “The male fears woman because woman is not
mutilated like a man might be if he were castrated. Woman is physically whole, intact and in
possession of all her sexual powers.”2 Comme l’écrit Barbara Creed la nuit révèle le pouvoir
castrateur du féminin. Son statut de femme est ébranlé la nuit, elle est dans un entre deux,
entre vivante et morte, animal ou chimère, la femme révèle une nature enfoui le jour. Dans
The Enchanting Shadow et Kuroneko, la nuit épouse le caractère séducteur de la femme sans
trahir son aspect fantômatique. La nuit devient réceptacle de ce pouvoir féminin et de son
basculement dans la monstruosité en la cachant dans un environnement devenant lieu de
chasse envers l’homme. La femme ne répond plus aux règles de la société sur sa conduite
sexuelle, elle peut répondre à ses désirs de sang en attaquant sexuellement les hommes (Blind
Beast, Onibaba, Kuroneko, Shogun’s of torture, Inferno of Torture.) La femme devient à
travers cette réunion avec la nature un symbole d’abjection, elle ne répond plus aux règles
communautaires et patriarchales, elle raffermi son aspect insaisissable en existant à la limite
de plusieurs états. “The female [...] is abject because she disrupts identity and order; driven by
her lust for blood, she does not respect the dictates of the law which set down the rules of
proper sexual conduct. [...] The female [...] also represents abjection because she crosses the
boundary between the living and dead, the human and animal. [...] Because she is not
completely animal or human, because she hovers on the boundary between these two states,
she represents abjection.”3
La nature permettrait le basculement de la femme vers son plein pouvoir, l’abjection de ses
actes dissimulés par le naturel rend compte de la femme comme figure d’abjection. Si son
corps avait basculé dans l’horreur à travers le désir masculin et la torture, à présent, son esprit
participe à l’acte horrifique pour reprendre contrôle sur sa substance. La femme devient
monstre et abjection, mais être monstre de cette horreur la rend elle actrice ou toujours
victime ?

2 The Monstrous-Feminine: Film, Feminism, Psychoanalysis, 1993 Barbara Creed, p.6


3 The Monstrous-Feminine: Film, Feminism, Psychoanalysis, 1993 Barbara Creed, p.61
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B. L’ascension de la femme castratrice.

La femme dans ces récits horrifiques ou fantastiques est celle qui apporte le sang versé. En
effet, dans The Enchanting Shadow la présence de la femme apport la mort et le sang. Le sang
est associé au passage féminin, une entité qui apporte à la mort le corps masculin. Dans
Kuroneko la femme en osmose avec sa nature devient un monstre vampirique, drainant et
suçant le sang masculin. Cette image de femme suçeuses de sang est récurrente dans tous ces
films et directement imagé dans Horros of Malformed Men. Dans Inferno of Torture le sang
est remplacé par le breuvage d’un rouge vif du vin. Celui-ci coulant le long d’un corps
féminin jusqu’à être bu par une autre femme est le renversement d’un corps dans le
vampirisme.
Le sang est la féminité, pour accepter ou récupérer le féminin le sang doit être versé. Le
personnage joué par Yumiko Katayama prononce la phrase suivante "This small key has
locked away my womanhood" pour récupérer sa féminité le personnage se retrouve à avoir du
sang sur les mains. Cette clef permet de retirer une ceinture vaginale, la femme castrée n’est
pas en possession de sa féminité. La peur du vagin dentata est la révélation de la femme
castratrice.
Day-Dream propose une scène en couleur dénotant avec l’entièreté du film tourné en noir et
blanc. Cette scène est la réalisation parfaite de l’ascension de la femme castratrice, en effet, le
saignement corporel est suivi par une embrassade tandis que le corps de la femme est nu. En
se réunissant avec sa propre nature, elle devient un monstre. L’arrivée du sang diabolise la
femme et son corps, le sang versé rappel évidemment celui de la menstruation.
Un autre exemple est présent dans Horrors of Malformed Men où un corps féminin est torturé
sous un filtre rose puis en négatif accentuant l’horreur. Torturer une femme jusqu’à faire
couler son sang c’est la faire devenir monstre. Comme écrit Barbara Creed en se basant sur la
psychanalyste Julia Kristeva, le sang et la menstruation appellent à la peur de la castration. Le
sang est également la définition de l’abjection comme l’écrit Kristeva “but blood, as a vital
element, also refers to women, fertility, and the assurance of fecundation. It thus becomes a
fascinating semantic crossroads, the propitious place for abjection.” La femme devient
abjection en versant le sang des hommes mais également son propre sang. Dans Onibaba le
basculement dans l’horreur se fait lorsque le personnage joué par Jitsuko Yoshimura tente de
retirer le masque qu’elle utilisait pour se faire passer pour un démon. Le masque est à présent
coller à sa peau, il est devenu partie intégrante de son corps et de son âme. La femme est

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pervertie par le mal et lorsqu’elle réussit à retirer le masque, son visage est défiguré et le sang
versé.
Dans Blind Beast le personnage d’Aki rejoint la perversion de Michio pour la torture,
lorsqu’elle fait saigner son corps comme celui de son amant elle entâme une transformation
vers l’abjection qu’elle ne pourra arrêter. Femme castratrice, elle se nourrit de son amant et de
sa force pour atteindre l’orgasme utilme, celui de la déchéance, elle l’emporte avec elle dans
la mort.
La torture et par extansion le sang retirerait la féminité d’une femme comme dit dans
Shogun’s of Torture “she will lose her womanhood”. La souffrance ensanglantée fait de la
femme un monstre en l’éloignant de sa féminité pure et divine pour la faire basculée dans la
menstruation et plus directement la monstruation. L’horreur chez la femme n’existe que quand
celle-ci cesse d’être femme, nous pouvons citer Creed pour appuyer ce propos “Horror
emerges from the fact that woman has broken with her proper feminine role - she has ‘made a
spectacle of herself’ - put her unsocialized body on display.”4
Mais l’horreur permet à la femme d’être pleine et entière, lui confère un vagin denté et de son
sang l’aligne avec la nature. Ne serait-ce pas là la véritable féminité ? Dans Shogun’s of
Torture l’acte suicidaire permet le sang versé et relie la femme à son cycle naturel, la perte de
la virginité et l’arrivée de la menstruation permet l’ascension vers la monstruosité.
La femme n’est pas castrée mais castratrice. Elle accepte la torture d’un corps et d’un esprit
qu’elle retourne envers les hommes, les tuants, les massacrants ou en les punissant par son
propre suicide. La femme devient abjection car elle accepte sa véritable nature et existe en
dehors de son dévouement pour les hommes.

La femme en se reliant à la Nature menace l’ordre patriarchal. Elle retourne à une forme
chimérique et multiple, se reconnecte à son corps fertilisable et ensanglanté pour transgresser
dans l’abjection. Comme l’écrit Alain Pelosato “elle [la femme] est, lâchons le mot, une
Monstresse dans toute son horreur physique et mentale et aime à prendre les apparences les
plus variées et trompeuses pour séduire les hommes et les faire inéluctablement tomber sous
ses charmes sulfureux. Elle peut être sorcière - jeune ou vieille, belle ou affreuse, ou invisible
- qui s’abat sur les hommes et les enfants et qui est dotée de pouvoir maléfiques.”5 Elle utilise
sa nature pour exceller son pouvoir castrateur et devenir en acte une femme castratrice.

4 The Monstrous-Feminine: Film, Feminism, Psychoanalysis, 1993 Barbara Creed, p.42


5 Les Monstres du Mythe au Culte, 2008, Albert Montagne, Monstres au féminin : fascination
et horreur ou l’attrait de la nature maléfique, Alain Pelosato

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Conclusion

Le choix de ce corpus de films concerne la démarcation d’un cinéma asiatique face à un


cinéma occidental. En effet, les réalisateurs occidentaux proposent des personnages féminins
dangereux et corrompus mais dont la pureté finit par être retrouvée, ou dans le cas où le mal
reste présent, ces personnages féminins finissent perdus et en victimes. Dans le cinéma
Asiatique les héroïnes dans une grande partie de ce corpus sont gagnantes de cette
monstruosité. En effet, ce sont des figures de femmes à la sexualité inassouvie, aux actes
espiègles et aux corps séducteurs qui sont mises en scène là où le cinéma Occidental propose
des femmes passives à l’horreur.
Bien qu’objet de désir puis de haine masculine, la femme par son insaisissabilité, sa tentation,
sa torture et son plaisir séduit les hommes pour se nourrir d’eux. La femme tout au long de ce
corpus de films épouse sa véritable nature, elle devient monstre et abjection pour libérer sa
véritable féminité. La femme bien que victime d’un mal masculin devient actrice et créatrice
de ce mal à travers son ascension vers l’abjection.
Bien que par leur côté érotique, violent et sexiste, ces films offrent une lecture inattendue sur
le pouvoir du féminin. En prenant en compte le contexte des années 1960, une relecture
contemporaine et la psychanalyse de Barbara Creed et Julia Kristeva, la position de la femme
dans le récit fantastique, horrifique ou onirique est monstrueuse et puissante. Ce corpus
permet de dépasser la vision primaire du féminin, de questionner sa représentation à l’écran et
sa lecture.

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Filmographie

- The Enchanting Shadow, 1960, Li Han-Hsiang


- The Fantasy of the Deer Warrior, 1961, Ying Cheng
- Onibaba, 1964, Kaneto Shindo
- Woman in the Dunes, 1964, Hiroshi Teshigahara
- Day-Dream, 1964, Tetsuji Takechi
- The Bride Who Has Returned from Hell, 1965, Hsin Chi
- Shogun’s Joy of Torture, 1968, Teruo Ishii
- Kuroneko, 1968, Kaneto Shindo
- Horrors of Malformed Men, 1969, Teruo Ishii
- Inferno of Torture, 1969, Teruo Ishii
- Blind Beast, 1969, Yasuzo Masumara

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Bibliographie

- Pouvoirs de l’horreur, 1983, Julia Kristeva


- The Monstrous-Feminine: Film, Feminism, Psychoanalysis, 1993 Barbara Creed.
- Les Monstres du Mythe au Culte, 2008, Albert Montagne
- La Philosophie du Cinéma d’Horreur, Effroi Ethique et Beauté, 2014, Olivia
Chevalier-Chandeigne

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