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Margaux LEROUX

L2 Cinéma et Audiovisuel
Université Gustave Eiffel
2020-2021

EXAMEN SECOND SEMESTRE – 2020 – 2021


L2 CINEMA ET AUDIOVISUEL
ANALYSE FILMIQUE : STANLEY KUBRICK

Analyse comparative entre l’œuvre de Stanley Kubrick et It Follows réalisé


par David Robert Mitchell.

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It Follows est un film américain d’horreur psychologique réalisé par David Robert Mitchell
en 2014. Pour ce deuxième film, le réalisateur s’inspire d’un cauchemar qu’il faisait de façon
récurrente étant petit où une chose d’allure humaine le suivait lentement en changeant
d’apparence. A partir de ce souvenir angoissant il raconte à travers le film l’histoire de Jay, une
jeune femme, qui après un premier rapport sexuel avec son nouveau petit ami est menacée par
une chose non explicable, d’apparence humaine et dont seules les personnes porteuses de la
malédiction peuvent voir. Cette entité a pour but de la tuer et la seule façon dont elle peut s’en
débarrasser est d’entretenir une relation sexuelle avec une autre personne.
Le film obtient plusieurs récompenses dont le prix de la critique internationale en 2014 au
festival du cinéma américain de Deauville et le grand prix ainsi que le prix de la critique en
2015 au festival international du film fantastique Gérardmer.
David Robert Mitchell cite de nombreuses influences à travers ce film tel que John Carpenter,
David Cronenberg, David Lynch ou encore Jacques Tourneur.
Cependant le réalisateur américain Stanley Kubrick exerce une certaine influence sur cette
œuvre à travers de nombreux thèmes, motifs ou encore symboles hérités de son œuvre
cinématographique.
Ainsi à travers cette analyse filmique comparative nous pouvons nous demander ce qui fait d’It
Follows une descendance du cinéma Kubrickien ?
Pour répondre à cette question nous verrons dans une première partie que le film est constitué
d’une violence omniprésente et surplombante similaire aux films Kubrickiens. Puis dans une
seconde partie nous verrons que l’univers entourant les personnages est défaillant tout comme
eux car l’homme est à l’origine de son propre mal, des thèmes que l’on retrouve fréquemment
dans le cinéma de Kubrick.

Dans cette première partie nous verrons en quoi les personnages de It Follows tout comme les
personnages Kubrickien sont en proie à une violence omniprésente et surplombante à travers
une dualité constante des éléments.
La séquence d’ouverture présente d’emblée la dualité dont sera happé tout le film. Nous
assistons en pleine lumière à une scène déstabilisante où une jeune femme semble fuir quelque
chose que ni le spectateur ni les personnes autour d’elle ne semblent voir. L’objet provoquant
la peur est mis en scène en pleine lumière sans qu’on ne puisse le saisir. Par suite d’une ellipse
nous retrouvons la même jeune femme assise dans le sable face à la lumière aveuglante des
phares de sa voiture et dos à l’obscurité totale de la mer et du ciel. Le meurtre sera commis dans
la lumière et l’obscurité, montrant ainsi que la violence se produit partout. La lumière est libérée

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des stéréotypes induisant que l’obscurité est reliée à quelque chose de maléfique et la clarté un
élément positif. Cette utilisation des couleurs et de la lumière se retrouve dans de nombreux
films de Kubrick dont 2001 : L’odyssée de l’espace où la couleur blanche prédominante donne
une atmosphère clinique, de confinement où la peur et l’espoir sont suggérés de manière égale.
L’aspect clinique se retrouve fréquemment dans It Follows lorsque l’entité prend la forme d’une
vieille dame en blouse blanche échappée d’un asile, le fauteuil roulant auquel est attachée Jay
lors de la découverte de la chose ou encore les différents séjours de celle-ci à l’hôpital scrutant
apeurée les infirmières et médecins susceptibles d’être l’entité. Cette omniprésence du milieu
hospitalier répond à une violence imaginaire médicale comme laboratoire d’expérience où le
sujet n’éprouve que souffrance tel que le personnage d’Alex DeLarge dans Orange mécanique
auquel Robert Mitchell semble faire référence à travers un imaginaire populaire de cette ultra
violence médicale.
La couleur noire quant à elle fait ressentir l’immensité du vide, il dissimule la créature, encercle
les personnages, appel à un imaginaire horrifique où la violence ne sera que peu visible puisque
celle-ci s’opère en pleine lumière. Cette utilisation conflictuelle de la lumière est présente dans
tous les films de Kubrick tout particulièrement dans ses films en couleur avec une palette
chromatique pensée comme des éléments en confrontation.
L’autre dualité importante du film est celle du sexe et de la violence. Cette entité horrifique naît
du sexe, comme enfanté celle-ci provient d’un rapport sexuel entre deux êtres humains. Un
rapport sexuel qui enfante la violence et l’horreur. Une entité qui à son tour tentera d’avoir un
rapport sexuel aboutissant à la mort comme nous pouvons le voir à travers le meurtre de Greg
où la chose le tue à travers des gestes rappelant ceux d’un rapport sexuel. Pour échapper à
l’entité les victimes ont la possibilité de la fuir constamment ou bien de transmettre cette
malédiction à une autre personne à travers un rapport sexuel. Le sexe n’est plus un désir érotique
mais un désir de survie, une malédiction mais également une délivrance à travers la violence.
Ce dualisme rejoint la pulsion de vie et la pulsion de mort, Eros et Thanatos figures de la
mythologie grecque qui en psychanalyse à travers Sigmund Freud deviendront l’image de la
pulsion de vie créative et de la mort destructive. C’est par souci de survie que les Hommes
cherchent à s’accoupler, mais donner la vie c’est également donner la mort. Dans It Follows un
rapport sexuel assure la survie d’un être et la mort d’un autre. Le désir érotique en opposition
au désir de mort est un thème Kubrickien récurent à travers le couple homicide/suicide comme
le film Fear and Desire dont le nom témoigne de cette dualité existentielle. Le sexe perçut
comme un caractère violent, ou bien la violence se déferlant à travers le sexe est également un
élément Kubrickien récurrent, le film mettant en place de façon draconienne cette idée est

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Orange mécanique. Le personnage d’Alex voit la violence comme une œuvre d’art, ses actes
de pures violences sont montrés sans détour. La violence affluant à travers le sexe est une idée
également mise en place dans 2001 : L’Odyssée de l’espace. Lorsque Dave prend la décision
de tuer HAL le meurtre commence à travers une pénétration violente dans des lieux qui
appellent à un imaginaire organique et utérien. Le meurtre de HAL est alors comparable à une
pénétration violente conduisant à une expulsion transcendantale dans l’espace.
Le corps féminin est violenté par ces deux pulsions similaires et opposées que sont le plaisir de
vie (sexe) et le plaisir de mort (violence). Cette chose qui revient constamment hanté et brutalisé
Jay peut s’apparenter à une métaphore du viol ainsi que la honte, la souffrance, la douleur, la
haine et la peur qui s’y lie mais qui sont également des éléments intrinsèques à l’être humain.
Il est impossible à l’homme de se détacher de ce cycle de la violence inhérent à sa propre
condition humaine. Une violence que les personnages de Kubrick subissent sans explication
puisque celle-ci est naturelle, elle entraîne constamment une image des corps féminins
violentés, des valeurs familiales mises à mal et aliénantes dépeignant une violence ordinaire.
En effet, nous ne verrons jamais les parents du groupe d’adolescents, la mère de Jay est présente
mais toujours hors cadre, ou bien le point n’est pas fait sur celle-ci et n’est dissimulable que par
une forme floue, un plan sur ses jambes ou son reflet dans la vitre, elle ne sera jamais filmée
dans son entièreté ou d’une manière nous permettant de l’identifier. Cette absence parentale
souligne une violence quotidienne de parents ayant mis au monde des êtres leur donnant ainsi
la mort et les laissant aux mains des deux puissances antagoniques que sont Eros et Thanatos.
Ce thème Kubrickien se retrouve dans nombre de ses films tels que Killer’s Kiss, Lolita, Orange
Mécanique, Shining, Barry Lyndon ou encore Eyes Wide Shut.
Cependant, la violence se manifeste à travers un cinéma sensoriel, du ressenti à travers un
imaginaire Kubrickien marqué par l’horreur.
En effet, le cinéma de Kubrick est marqué par l’importance de l’image cinématographique, il
est avant tout un poète visuel et non verbeux. Il invite le spectateur et son regard à passer à
l’action.
Ce concept se retrouve dans It Follows, lors du meurtre de la première jeune femme le
spectateur est soumis à une ellipse en découvrant son corps brisé et déformé sans explications
ou contenu visuel. La violence n’est pas directement montrée mais nous assistons aux
conséquences de celle-ci. Ce procédé peut se rapporter à Spartacus où Kubrick n’a pas besoin
de montrer des choses superflues lors des combats, il ne répond pas aux attentes du spectateur
comme Robert Mitchell, ils ne se trouvent pas dans la monstration gratuite.

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Le spectateur est coincé dans un cadre duquel il ne peut pas sortir, il est lui aussi enfermé dans
les plans du réalisateur qui décide ce dont il sera témoin. C’est à travers des panoramas et des
travellings lents sur l’environnement que sera capter le regard du spectateur de façon sensoriel.
Le spectateur à un rôle de voyeurisme, il épie et pénètre le cadre à travers les nombreux
panoramas capturant l’atmosphère en tentant de saisir l’entité, cherchant et analysant les plans
faisant du film une expérience kinesthésique.
Ce cinéma sensoriel intensifie la violence à travers un spectateur actif attendant l’horreur
consciencieusement avec un cinéma silencieux alternant entre image dynamique et statique.
C’est un cinéma des extrêmes que nous offre ce film tout comme l’œuvre cinématographique
de Kubrick. A travers ses nombreux nous assistons à des images contemplatives comme dans
Barry Lyndon, 2001 : L’Odyssée de l’espace ou encore Eyes Wide Shut. Mais également des
images plus dynamiques comme Dr Folamour, Orange mécanique ou L’Ultime Razzia. Ces
plans contemplatifs ou dynamiques ont pour but de stimuler et bousculer le spectateur, les plans
larges et d’ensembles de Kubrick repris dans It Follows entretiennent l’expérience personnelle
du spectateur dans la violence.
Bien que, comme nous l’avons dit Kubrick et Robert Mitchell ne sont pas dans un visuel direct,
la violence est parfois imposée au spectateur. Lorsque Jay découvre dans sa cuisine l’entité sous
la forme d’une femme à moitié nue de l’urine coulant sur ses jambes, le réalisateur a une
utilisation ralentie de la caméra devant l’horreur permettant au spectateur de capturer chaque
aspects et éléments de cette violence silencieuse. Effectivement, l’horreur n’apparaît pas avec
l’utilisation de jump scare 1 ou screamer 2, elle apparaît de façon calme et est introduite petit à
petit au loin dans le cadre ou avec des mouvements de caméra lents. Shining de Kubrick est
connu pour rompre avec l’utilisation de jump scare et screamer très en vogue dans les années
1980 pour ensuite être devenu une mécanique récurrente des films d’horreur. It Follows produit
ce même effet de surprise auprès des spectateurs habitués aux jump scares et réintroduit ainsi
l’horreur psychologique et viscérale qu’a mis en place Kubrick avec Shining. Les plans sur
l’entité sont déstabilisants et nous amènent au plus près de celle-ci à travers des travellings
arrière, motif formel du cinéma Kubrickien ici utilisé sur la chose. Cela permet avec l’utilisation
de gros plans de se rapprocher de leur cerveau comme lors de la fameuse scène d’ouverture
d’Orange mécanique. Le spectateur n’est pas habitué à être aussi près de l’horreur sans une

1
« Saut de peur », changement brutal dans une image ayant pour but de susciter brutalement la peur et la
surprise du spectateur.
2
Même principe que le jump scare mais l’image effrayante est ici accompagnée d’un hurlement ou un son
violent et fort.

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mise en scène violente et brutale mais paradoxalement cette lenteur dans les travellings et la
durée des gros plans font naître une violence accrue et persistante. Le procédé du regard caméra
récurrent dans les œuvres de Kubrick est ici utilisé mais avec la chose, le spectateur est saisi
par l’entité à travers son regard fixant l’objectif et ainsi brisant le quatrième mur. Ce regard
caméra pourrait se rapporter à la pulsion scopique. En psychanalyse la pulsion scopique ou le
trou de regard est une pulsion sexuelle conduisant à l’envie de posséder l’autre par le regard.
Posséder et contrôler l’autre c’est le tuer car toute pulsion est avant tout une pulsion de mort,
en effet, l’ayant dit plus tôt la pulsion de vie s’accompagne intrinsèquement de la pulsion de
mort. Cette pulsion scopique est ici celle de l’entité, fixant Jay et le spectateur, cette chose ne
répond qu’à une pulsion sexuelle et de mort. En possédant l’objet de son regard à travers un
acte sexuel l’entité donne la mort comme Jay et le spectateur ont pu y assister avec le
personnage de Greg. Ainsi, cette caméra toujours très proche de l’entité intensifie l’expérience
sensorielle du spectateur qui se pense comme étant lui-même l’objet de la pulsion scopique de
cet être horrifique accentuant la violence constante de ses actions.
L’œuvre apporte également une autre approche sensorielle de celle-ci qui s’apparente à celle
de Kubrick pour 2001 : L’Odyssée de l’espace. Le film est une expérience hyper-sensorielle
qui contourne l’entendement pour pénétrer dans l’inconscient du spectateur, c’est avant tout
une expérience subjective où le spectateur n’a pas besoin de comprendre car celui-ci est atteint
par l’œuvre inconsciemment. Avec It Follows beaucoup ont voulu apporter une lecture de
l’entité comme une maladie sexuellement transmissible et une critique d’une sexualité débridée
de la jeunesse. David Robert Mitchell refuse cette interprétation expliquant que cette créature
provient d’un cauchemar, d’un message de son inconscient, « the film is a nightmare. […] If
you find yourself in a nightmare, there is no trying to explain the logic of it. You just try to
survive. »3. Comme un cauchemar, le film a pour but de frapper l’inconscient du spectateur sans
besoin de l’entendement de celui-ci, le film touche les sens et s’ancre dans ce cinéma
d’expérience sensoriel mis en place par Kubrick. It Follows se consolide dans un univers
onirique à travers ce sentiment d’inquiétante étrangeté à travers des objets familier mais
inconnus comme le coquillage liseuse de Yara qui pourrait exister dans notre réalité, ou encore
l’espace-temps nébuleux où les éléments indiquant une certaine époque sont confus. Le
spectateur n’a pas la possibilité d’avoir de repères et reste dans un sentiment imprécis vacillant
renforçant cette expérience sensorielle participant à une violence dominante.

3
David Robert Mitchell dans It Follows: Love and sex are ways we can push death away, Charlie Lyne, 2015.

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Pour conclure cette première partie nous avons pu voir que la violence est omniprésente et
surplombante est un motif formel Kubrickien à travers un dualisme constant des éléments.
L’obscurité et la clarté révèle la dualité de la pulsion de vie et de mort qui fait du sexe un désir
violent car la mort s’opère dans l’acte sexuel dans un environnement d’emblée violent comme
nous avons pu le voir avec le cercle familial. L’omniprésence de la violence se réalise à travers
un cinéma sensoriel chez Kubrick qui ici est mis en place à travers l’utilisation de travellings,
panoramas, gros plans et la durée des plans. Cela confère une pulsion scopique à la créature
semblant être dirigée vers le spectateur lui-même violenté par l’œuvre s’imprégnant en lui
comme un cauchemar dans son inconscient.

Dans cette deuxième partie nous verrons en quoi l’homme est à l’origine de son propre mal à
travers un univers à la mécanique défaillante.
L’univers dans lequel évoluent les personnages d’It Follows est en détérioration constante
caractérisée par une image sombre et morose. En effet, lorsque nous rencontrons pour la
première fois le personnage de Jay c’est à travers un travelling parcourant les routes de son
quartier où gisent par terre plusieurs déchets sur un pavé fissuré. Cette image d’une ville en
dégradation et abandonnée bien qu’habitée revient fréquemment sous plusieurs travellings et
panoramas donnant l’impression aux personnages de résider une ville post apocalyptique où les
contacts humains sont rares et presque absents. Leur contact avec l’extérieur est extrêmement
réduit comme nous avons pu le souligner le cercle familial est aliénant ainsi que tout autre
rapport social. Dans un plan d’ensemble de Jay et Hugh au cinéma, la lumière se focalise sur
eux laissant les figurants dans l’obscurité bougeant à peine contrairement aux deux personnages
principaux et ainsi confie une dichotomie entre deux êtres humains entourés d’automates
déshumanisés. Même lors de contact plus direct ceux-ci restent étrangers, effectivement,
lorsqu’un policier s’adresse à Jay on ne verra jamais son visage tandis que ses phrases semblent
mécaniques tout comme les infirmiers ou médecins qui auront un contact avec Jay. Le voisinage
actualise ce sentiment aliénant et oppressant en entourant la maison de Jay, lors de la présence
de la police, se tenant simplement debout, fixant Jay sans faire d’action supplémentaires,
relevant ainsi plus de l’automate que de l’être humain. Ce motif de ville en détérioration
inhabitée mais semblant revêtir sa propre conscience à travers une atmosphère très caractérisée
et des êtres humains aliénants relevant plus de la machine que de l’homme est influencé par le
cinéma de Kubrick. Ces thèmes sont une importante caractéristique de son cinéma que l’on
retrouve dès ses premiers films. Dans Les sentiers de la gloire, l’institution militaire est
présentée comme un mécanisme inhumain, où une machine qui domine à travers un homme-

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machine dans Dr Folamour traduisant une lutte constante qui se retrouvera dans 2001 :
L’odyssée de l’espace où l’homme sera contraint de tuer la machine. La machine est créée par
l’homme et fait que celui-ci devient son ennemi en déclenchant sa propre destruction.
La machine dans It Follows c’est l’entité qui comme nous l’avons dit semble avoir été enfanté
par l’homme puisque c’est après un rapport sexuel que celle-ci se met à exister. C’est un être
zombifié qui menace Jay, parfois nu ou peu revêtu marchant mécaniquement obéissant à un
programme sans possibilité de penser. Cette entité est présentée par des visages mortifiés, des
corps décomposés et grisâtres accentuant le motif de la zombification et consignant son but
mortifère. Cet être est la personnification du fatalisme humain, l’homme est à l’origine de sa
propre mort et du mal dont il souffre durant son vivant. En effet, le dysfonctionnement et la
dégradation du monde qui entoure l’homme sont avant tout les conséquences d’un esprit
humain défaillant. A travers la mécanique du monde défaillante, l’homme est rappelé à sa
propre mécanique défaillante. Dans Lolita Humbert à des difficultés à effectuer des choses
simples comme déplier le lit pliable le rappelant ainsi à la banalité du quotidien tout comme Jay
qui a un accident de voiture alors que celle-ci sait conduire. Des cadres simples deviennent
compliqués et incongrus, la scène de la piscine rappelle une scène ordinaire mais les objets
ménagers quotidiens donnent un aspect dissonant. Cela met en valeur le caractère
dysfonctionnel de la réalité, quelque chose ne fonctionne pas correctement dans le monde et
touche même les objets banals du quotidien. Cet aspect dysfonctionnel et en déclin de l’univers
se retrouve également sur les personnages avec une désagrégation du corps avec par exemple
chez Kubrick des personnages mutilés, blessés, dans des chaises roulantes, en incapacité de
marcher etc… Puisque le monde va mal le corps également. Jay a un bras cassé et va plusieurs
fois à l’hôpital, sa déchéance psychique est également une déchéance physique qui annonce la
mort tout comme les personnages Kubrickien. Ce dysfonctionnement se répercute également
sur le dispositif filmique. En effet, le motif formel du travelling arrière de Kubrick qui donne
une impression de dominer la caméra à travers un personnage déterminé dans une dynamique
de conquête est ici repris. Cependant l’entité remplace le personnage humain Kubrickien, c’est
la création de l’homme qui avance mécaniquement vers la caméra, cette supériorité intensifie
son inhumanité. C’est lorsque Jay fuit l’entité sous la forme d’une vieille dame dans les couloirs
de son école que l’homme se retrouve confronté au mal et à la machine. Tandis que la créature
repousse la caméra dans un travelling arrière, Jay, est écrasée par la caméra qui la coince dans
le cadre et donne un sentiment de claustration. La caméra est au service de la machine, cela se
produit plusieurs fois dans le film, notamment lors de la scène de la piscine où la caméra devient
la chose en l’incarnant avec un travelling avant objectif.

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Le monde chez Kubrick est envisagé comme un cerveau, une membrane qui mettrait en contact
le dedans soit l’involution, le passé, la psychologie des profondeurs et le dehors soit l’évolution,
le futur et extérieur. Ce sont deux forces qui s’étreignent et deviennent indiscernables, le corps
et l’esprit s’opposent comme la mort et la vie. Ainsi tout voyage dans le monde est une
exploration du cerveau car comme nous l’avons dit si l’univers est en désagrégation c’est que
le cerveau va mal.
Cependant si l’univers est défaillant c’est parce que l’homme est à l’origine de son propre mal
dont il souffre à travers le pêché d’hubris.
L’hubris est un motif principal du cinéma de Kubrick et apparaît dès son film L’Ultime Razzia
avec le personnage de Clay qui deviendra le personnage masculin typique Kubrickien au travers
de sa quête semblable à celle d’un dieu, tenter d’égaler voir de surpasser Dieu à travers des
motivations immorales.
Si dans It Follows l’univers est en déclin c’est car l’esprit de l’homme l’est, et cela à travers
son sentiment d’hubris. Dès le début, lorsque Jay et Hugh sont au cinéma, ils jouent à un jeu,
celui de choisir une personne avec laquelle on aimerait échanger notre vie. Ce désir de pouvoir
décider de qui et quoi être relève d’un sentiment de démesure semblable à Dieu lors de la
création de l’univers. La caméra obéit aux regards de l’homme, plus précisément Jay ici,
épousant ses gestes et accompagnant sa vision. Mais lorsque la chose apparaît et menace Jay,
la caméra n’est plus un outil sous le contrôle humain, qui, à présent menacé, perd de sa
puissance messianique. L’entité retire à l’homme son pouvoir de contrôle pour venir l’enfermer
et le contenir dans le cadre. Mais étant une création de l’homme, puisqu’émergeant d’un rapport
sexuel, c’est l’homme qui ici est responsable de ce mal qui le menace. L’homme garde malgré
tout son désir démiurgique, celui-ci remplace Dieu et décide qui va vivre et qui va mourir, Hugh
et Jay ont en leur possession un choix de vie ou de mort sur autrui. C’est à travers un acte sexuel
que ce choix se fait, s’ils tentent de se débarrasser de la malédiction ils doivent trouver
quelqu’un à qui la passer et ainsi possiblement provoquer la mort d’un être humain. Jay décide
d’avoir un rapport sexuel avec Greg pensant qu’il puisse s’en sortir, mais « aucun homme n’est
une île »4, il fait partie d’un tout et doit agir collectivement sinon il se conduira à sa propre
mort. Greg se pensant surpuissant et refusant de croire Jay est tué par l’entité, sa mort n’est que
la conséquence de ses actes démiurgiques.
Il y a également une idée de fuir la vie adulte, de ne pas suivre le même chemin que ses parents,
un désir de démesure que l’entité anéanti en prenant l’apparence de la mère de Greg, ou du père

4
John Donne, Aucun homme n’est une île, 1624.

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de Jay seulement vu en photo. L’omniprésence de l’eau accentue ce désir de changement
puisque l’eau a pour symbole celui de la renaissance dans la mythologie. L’eau est également
le symbole de la naissance et de la semence masculine, en effet Vénus est née de l’écume, soit
de la semence d’Ouranos dont les parties génitales ont été coupées et sont tombées dans la mer.
La forme liquide est alors présente partout dans le film rappelant ainsi le pouvoir de création de
l’homme. Jay est intimement liée à l’eau puisque sa première apparition est dans la piscine de
son jardin. L’eau représente également un passage qui oscille entre la vie et la mort, un état
transitif dans lequel est constamment Jay. Elle affirme sa puissance en passant du petit bassin
au grand lors du dénouement du film. Dans un bassin plus vaste Jay revendique son pouvoir
envers l’entité, l’attend patiemment avec l’objectif de la tuer. Au moment de tuer l’entité les
personnages ne laissent paraître aucunes émotions autre que le désir profond de réussir ce
meurtre. Paul ira même jusqu’à blesser Yara sans le vouloir mais ne laissera passer aucune
émotion, ne se souciant uniquement d’achever la chose. Le désir de tuer l’entité et son meurtre,
remplissant la piscine du sang de celle-ci déshumanise l’humain et humanise l’entité se faisant
massacrer avec des coups de feu tirés à plusieurs reprisent. L’humain déshumanisé dans son
désir d’hubris est présent dans 2001 : L’Odyssée de l’espace lorsque Dave tue HAL de sang-
froid.
Le dernier plan du film met en avant le péché d’hubris des personnages puisque pour la première
fois le motif formel du travelling arrière de Kubrick est utilisé pour affirmer la puissance des
personnages et non pas de l’entité. La caméra ne les confine plus dans le cadre mais se laisse
dominer par leurs pas. Seulement ce même plan consolide l’idée selon laquelle le péché
d’hubris conduit à la mort puisqu’un homme derrière eux, seulement visible sur le deuxième
plan du travelling arrière, marche à la même allure que l’entité. Parce que l’homme est touché
d’hubris, il est responsable du mal dont il souffre ainsi que de sa mort.
Pour conclure cette deuxième partie nous avons vu que l’univers dans lequel évolue les
personnages Kubrickien et d’It Follows est en dégradation et dysfonctionnement car l’homme
est lui-même touché par cette désagrégation. En créant une machine défaillante, il est lui-même
à l’origine du mal dont il souffre, ainsi que de sa propre car il est touché d’hubris.

En conclusion de cette analyse comparative entre It Follows et l’œuvre cinématographique de


Stanley Kubrick nous avons pu dégager plusieurs motifs formels, symboles et thèmes qui font
du film de David Robert Mitchell une descendance Kubrickienne.
En effet, le film a pour thème une violence omniprésente et extrême, un thème qui a marqué la
plus grande partie des films de Kubrick, une violence souvent liée au sexe, à la femme, à un

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groupe social, familiale où s’y mêle des crises religieuses ou politiques. Le cinéma des extrêmes
Kubrickien se retrouve ici avec une dualité entre vie et mort, raison et passion, la peur et le
désir. Ces motifs s’interposent tout comme ils se mélangent faisant d’un rapport sexuel une
violence abusive voire mortelle, ce qui permettait la vie produit la mort tout en étant une forme
de délivrance. La violence du cinéma Kubrickien est traitée sous forme d’expérience
sensorielle, dépassant l’entendement et marquant le spectateur au plus profond de son
inconscient avec des procédés filmiques introduits par Kubrick comme le travelling arrière, le
gros plan ou encore des plans lents et contemplatifs. La nébulosité de l’espace-temps du film
rappelle celle d’Orange mécanique avec des éléments futuristes, contemporains mais également
passés.
Seulement le thème de la violence permettant l’utilisation de motifs formels Kubrickien n’est
pas l’unique thème traité dans It Follows. Effectivement le thème de la machine est retravaillé
à travers l’entité qui est la création de l’homme -puisque né d’un acte sexuel- et qui le tuera,
faisant de l’homme le seul responsable de sa perdition. C’est un monde en désagrégation et en
dysfonctionnement total qui nous est présenté, comme tous les univers Kubrickien, le monde
va mal. Mais la raison de cette destruction est l’esprit d’un homme lui-même en
dysfonctionnement, car l’homme est touché par l’hubris, il se permet des actes appartenant à
celui d’un dieu et pour cette faute il sera puni à travers la mort. Car comme le dit Kubrick « Dieu
est mort mais la bombe demeure », l’homme remplace Dieu mais sa création déclenche sa
destruction, l’homme est donc son propre ennemi.

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