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Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d’autant plus de sévérité, que, dans
le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque
paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés… »
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EXPLICATION LINEAIRE
Nous verrons comment son discours fait de Julien un véritable héros qui n’hésite pas
braver la mort en s’accusant et qui n’hésite pas à affronter seul toute la société dont il
dénonce l’injustice.
Nous ferons une lecture linéaire de cet extrait dans lequel il est possible de distinguer
quatre mouvements :
Mouvement 4 « Voilà mon crime …des bourgeois indignés… », (conclusion du discours) puis
accuse la justice qui va le condamner non pour son crime passionnel mais pour sa remise en
cause de la société.
***
« Messieurs les jurés » : apostrophe pour attirer l’attention sur son discours, adresse
polie, utilisation du vocabulaire juridique « jurés » renvoyant aux citoyens qui ont été
choisis pour faire partie du jury de la cour d’assises ; ce sont ceux qui devront se
prononcer sur la culpabilité ou l’innocence de la personne accusée de crime.
Revendication d’une différence de classe sociale par un constat négatif « je n’ai pas
l’honneur », formule de politesse ironique renfoncée par l’utilisation du possessif « votre ».
« un paysan qui s’est révolté contre la bassesse de fortune » : Julien souligne son évolution
sociale, le terme « bassesse » renvoie à la médiocrité de son origine – la scierie à
Verrières. Et le refus passionné d’un destin médiocre « récolté ».
« Je ne me fait point d’illusion, la mort m’attend : elle sera juste » : la négation totale « ne
…point » = constat lucide sur son sort, sur l’issue de son procès. « juste » = lexique de la
justice, critère d’objectivité pour rendre une sentence. La personnification de la mort
renvoie à la fatalité inéluctable de son destin « m’attend » relayée par l’emploi du futur «
sera » exprimant une certitude affirmée de sa condamnation.
« J’ai pu attenter aux jours de la femme de tous les respects, de tous les hommages. » :
rappel du crime commis, éloge hyperbolique insistant sur les qualités et la respectabilité de
la victime : Mme de Rênal. Il met ainsi en avant le caractère impardonnable de son crime.
Plus le portrait de Mme de Rênal est flatteur, plus son crime est monstrueux.
« Mme de Rênal avait été pour moi comme une mère » : nomination de la victime, et mise en
relief des liens affectifs entre les deux personnages. La comparaison « comme une mère »
est une évocation de sa représentation de Mme de Rênal perçue comme une figure
protectrice, aimante, bienveillante. Mais cette relation est révolue comme l’indique l’emploi
du plus que parfait « avait été », ce temps heureux a disparu.
« Mon crime est atroce, il fut prémédité » : l’adjectif hyperbolique « atroce » renvoie au
caractère monstrueux de son crime pouvant être assimilé à un matricide. L’adjectif «
prémédité » appartenant au vocabulaire judiciaire accentue la monstruosité de son geste
car Julien a agi en pleine conscience. Ce n’est pas un crime passionnel fait sous le coup d’une
impulsivité mais un crime raisonné, calculé.
Le lecteur qui sait qu’ils ont été amants peut s’étonner car il a essayé de tuer sa mère, avec
laquelle il avait aussi couché ! Il y a de l’Oedipe en Julien Sorel. De l’inceste. Bref, du
monstrueux. La mort seule peut faire disparaître le monstre (cf Phèdre).
« J’ai donc mérité la mort, messieurs les jurés » : fin de la première partie du discours.
Fin de sa démonstration comme l’indique la conjonction « donc » annonçant la conséquence
de son crime : la mort.
Conclusion : la culpabilité avouée, Julien plaide coupable pour son crime envers Mme de
Rênal
Une seule phrase complexe dans laquelle Julien règle ses comptes avec la société et
affirme qu’il sera condamné davantage pour son crime social, celui d’avoir eu « l’audace de
se mêler à ce que l’orgueil des gens riches appelle société ».
« je vois des hommes » : renversement de situation, son discours vise désormais les jurés.
(à opposer à « vous voyez en moi » Le COD (moi) est devenu SUJET.
« qui, sans s’arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié » : Julien cherche à
montrer l’absence d’humanité des jurés « sans s’arrêter » tout en mettant en relief une
circonstance atténuante sa « jeunesse ».
« voudront punir en moi et décourager à jamais de jeunes gens qui, nés dans une classe
inférieure et en quelque sorte opprimés par la pauvreté » : allusion aux jeunes gens qui sont
dans la même situation que lui, ici Julien sert d’exemple, il rappelle qu’il appartient à une
catégorie représentative de son époque dont les traits spécifiques sont précisés par
l’emploi de termes marquant leur infériorité « classe inférieure », « pauvreté ». Il affirme
ici sa différence avec les jurés et met en relief ce qui, selon lui, apparaîtra à leurs yeux
comme le crime à condamner « voudront punir en moi » : la révolte sociale. Julien devient
une sorte de bouc-émissaire de cette jeunesse qu’il faut sanctionner ou briser, « punir », «
décourager », car elle cherche à transgresser le cadre des normes sociales et le
conservatisme incarné par les jurés.
Par ailleurs Julien place les qualités morales du côté des plus pauvres « audace », terme
mélioratif qui s’oppose à l’orgueil (défaut, un péché capital) qualifiant les gens riches.
Conclusion : réquisitoire contre les classes supérieures qui freinent le désir d’élévation
sociale de la jeunesse ; jeunesse qui refuse toute forme de déterminisme social. Rappeler
que Stendhal était un « républicain forcené ». Mentionner aussi la Révolution de 1830 qui
va mettre en lumière cette révolte d’une partie de la population.
« Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d’autant plus de sévérité, que, dans le
fait, je ne suis pas jugé par mes pairs » Le présentatif « voilà » amène à la conclusion
générale de son discours et insiste sur la réalité de ce qui lui est reproché à savoir sa
volonté de sortir de sa condition. Se hisser hors de sa condition appelle une condamnation
d’où l’emploi du lexique de la sanction « puni » ; par ailleurs Julien remet en cause le cause
le jugement non fondé sur l’objectivité mais sur la partialité, l’iniquité, la subjectivité
comme l’indique le terme « sévérité ».
« Je ne serai pas jugé par mes pairs » : le terme « pairs » impliquerait la présence dans le
jury de citoyens de cette « classe inférieure », or la négation dénonce que le procès est
déjà biaisé puisque les jurés sont du côté des « riches » et qu’ils sont dès lors juges et
parties.
« Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement des
bourgeois indignés… » : antithèse paysan et bourgeois reprise de l’opposition de la
différence de classe. Julien définit ses juges « uniquement des bourgeois indignés » : ton
provocateur du personnage car leur indignation repose en réalité sur un crime pouvant
mettre en péril leur conservatisme ou leur privilège de classe, celui de dépasser sa
condition et de revendiquer un droit au bonheur plus que sur le vrai crime commis : la
tentative d’assassinat de Mme de Rênal. Les points de suspension indiquent que la totalité
du discours n’a pas été retranscrite par le narrateur.
La suite du texte indique toute la force pathétique de son discours : les femmes
s’évanouissent et crient !
La mort d’un individu à la fin d’un livre est toujours l’occasion d’une réflexion passionnante
pour le lecteur sur la vie et sur la société. On peut penser à l’ETRANGER de CAMUS ou à
UN ROI SANS DIVERTISSEMENT de GIONO.