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Le Rouge et le Noir : Le discours de Julien devant les jurés

Introduction :

Le Rouge et le Noir a été publié en 1830 par Stendhal, de son vrai nom Henri Beyle. Il
raconte l'ascension d’un jeune homme paysan dans la société notamment grâce aux
femmes. Ce personnage, du nom de Julien Sorel, finit par être emprisonné pour avoir tiré
sur Mme de Rênal, chez qui il était précepteur au début du roman. Cette action n’a pas été
inspirée par Stendhal, elle vient de l’affaire “Berthet” qui a eu lieu en décembre 1827 et qui a
inspiré une importante partie de l'œuvre.
Ce texte met en scène le discours de Julien au tribunal, dans lequel il est vraiment sincère et
devient le symbole des pauvres. On peut observer dans cet extrait l’évolution de Julien par
rapport au début de l'œuvre, il n’est plus le jeune paysan timide qui essuyait honteusement
ses larmes devant Mme de Rênal.

Comment à travers la plaidoirie paradoxale de Julien, Stendhal parvient-il à donner la parole


à une classe sociale opprimée dans la société du XIXème siècle ?

Pour cela, nous verrons tout d’abord l’introduction du discours lors des 4 premières lignes,
puis la plaidoirie étonnante des lignes 5 à 9, ensuite nous étudierons l’accusation de la
société de la ligne 9 à la ligne 16 et enfin nous nous intéresserons aux réactions de
l’auditoire lors des 4 dernières lignes du textes.

1ère Partie : L’introduction du discours :

Depuis toujours, le discours juridique est divisé en différentes parties, dont l’exorde, c'est-à-
dire l’introduction du discours. L'objectif de l’exorde est en général d’attirer l’attention de
l’auditoire ainsi que sa bienveillance, c’est ce que l’on appelle la captatio benevolentiae.
Julien débute bien avec la formule convenue : “messieurs les jurés”, les premières phrases
sont assez étonnantes et mettent en évidence l’objectif de la prise de parole de Julien qui
débute sur un ton arrogant, presque provoquant. Il montre tout son orgueil, mais aussi sa
fierté devant la mort à travers le terme “braver” et l’omniprésence du pronom “je”, c’est
assez paradoxal car il ne cherche pas du tout à obtenir la bienveillance des jurés.

A la ligne 3, Julien se situe par rapport aux jurés, je cite : “Messieurs, je n’ai point l’honneur
d’appartenir à votre classe”. Son ton est donc bien provoquant, il établit la différence sociale
entre eux qui sera le sujet de son discours qu’il annonce donc ici, il parle sur un ton agressif
mais aussi ironique, la fin de l’introduction nous laisse sur un sentiment d’injustice et de
révolte du personnage qu’il va chercher à développer par la suite.

L’injustice est soulevée par Julien par le mot “fortune”, qui était à la base une divinité
allégorie de la chance, Julien montre ainsi qu’il n’a pas eu de chance de naître dans une
classe sociale plus basse, que cela était lié au hasard.
La révolte, quant à elle, est provoquée par le fait qu’il en vient presque à retourner
l’accusation contre les jurés, il leur fait en quelque sorte des reproches.
On peut donc dire que cette introduction est un peu particulière puisqu’on comprend que
l’accusé n’a pas l’intention de se défendre et va même jusqu’à provoquer ses juges. Cela va
s’en suivre d’une plaidoirie étonnante de la part de Julien Sorel.

2ème Partie : Une plaidoirie étonnante :

La première phrase de la seconde partie est déjà particulièrement étonnante, je cite : “je ne
vous demande aucune grâce”. Il n’y a désormais plus aucun doute sur les intentions de
Julien dont l’objectif n’est donc pas d’être acquitté. Dans cette phrase, on retrouve un réel
effet d’insistance provoqué par l’adjectif indéfini “aucune”. Julien paraît vraiment sûr de lui
comme le montre sa voix qui s’affermit.

A la ligne 6, on a une nouvelle fois un effet d’insistance grâce à un rythme ternaire, on a 3


propositions courtes et simples séparées par de la ponctuation, cela montre que son
discours est rythmé et qu’il parle avec clarté et netteté voire avec fermeté. Julien évoque
une sorte de personnification de la mort, je cite : “la mort m’attend : elle sera juste”, il a
parfaitement conscience de ce qui va lui arriver, l’emploi du futur permet de souligner sa
lucidité, cela met en avant son côté réaliste mais aussi et surtout son courage.

Aux lignes 6 et 7, il met en valeur Mme de Rênal, il montre qu’il a des circonstances
aggravantes avec notamment l’emploi du superlatif : “la femme la plus digne de tous les
respects”. C’est assez étonnant car il introduit un effet de surenchère et souligne la gravité
de son acte. Il montre ensuite qu’il aurait dû lui être reconnaissant comme le suggère la
comparaison “comme une mère” à la ligne 7.

Après avoir montré l’injustice de son crime, il s’accuse lui-même de manière hyperbolique et
noircit son portrait. La phrase conclusive “J’ai donc mérité la mort, messieurs les jurés”
permet de conclure la première partie de son discours, par une phrase simple, courte et qui
mène à l’aboutissement de sa demande ligne 9. L’effet conclusif de cette première partie du
discours est également mis en avant pas une épanadiplose qui souligne l’impression d’une
boucle qui se referme.

Ainsi, dans cette partie du texte, on a un accusé qui ne cherche absolument pas à se
défendre mais qui essaye d'aggraver son crime de toutes les façons possibles. Julien tourne
ensuite le discours en une sorte d’accusation envers la société que nous allons désormais
étudier.

3ème Partie : L’accusation de la société :

La deuxième partie du discours s’ouvre sur une hypothèse avec du conditionnel à la ligne 9,
je cite : “Quand je serai moins coupable”. On assiste à une rupture au niveau du rythme
puisqu’on entre dans une période oratoire avec une phrase très longue qui remplace les
phrases courtes, nettes et précises.
Dans la suite de sa plaidoirie, Julien explique que de toute façon, sa cause était perdue car il
est jugé par des gens tous issus d’une classe sociale plus élevée que la sienne et qui ne
tiendront donc pas réellement compte de ses arguments, il reproche ainsi à la justice de
juger sur la condition sociale et non sur l’acte.

Julien se met donc à attaquer les jurés, il les accuse d’un manque de pitié et d’humanité par
rapport à sa jeunesse, mais on comprend que ce n’est pas ce qui le dérange le plus. Ce qu’il
veut vraiment dénoncer c’est l’injustice sociale qui fait des plus pauvres les coupables, il le
fait à travers le groupe de mots “classe de jeunes gens” dont il décrit ensuite les
caractéristiques et se place ainsi comme son symbole et son porte parole. Cette
dénonciation se fait principalement à travers le champ lexical utilisé, il renvoie aux
différences sociales avec les termes “pauvreté”, “opprimés” ou encore “classes inférieures”.

La dernière phrase suggère que ne font partie de la société que les gens riches, et que ces
gens ne veulent pas que les pauvres deviennent comme eux, on a donc un rejet des classes
supérieures par rapport aux autres. Cette idée est accentuée par un effet d’antithèse entre
le champ lexical de la pauvreté et les “gens riches” qui sont évoqués.

A partir de la ligne 14, on entre dans la conclusion du raisonnement de Julien, il dit que son
seul et réel crime est d’être paysan, c’est assez étonnant car il se disculpe en quelque sorte
après s’être accusé, on assiste donc à de l’ironie de la part de Julien qui est aussi marqué
par la périphrase “voilà mon crime”.

Julien use d’un ton désagréable et polémique vis à vis des jurés, on remarque cela dans sa
toute dernière phrase aux lignes 15 et 16, je cite : “Je ne vois point sur les bancs quelque
paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés” cette phrase confirme l’argument
de Julien met bien en avant le fait qu’il s’attaque à eux.

Dans cette troisième partie du texte, Julien attaque donc le tribunal de manière directe, il
montre combien ils sont durs, cruels mais aussi impitoyables et injustes avec sa classe
sociale. Nous allons désormais étudier les réactions de l’auditoire.

4ème Partie : Les réactions de l’auditoire :

Au début de cette 4ème partie du texte, on remarque que Stendhal veut accélérer l’action en
raccourcissant le discours avec l’introduction d’une ellipse temporelle et en faisant un
résumé de la situation.
On peut observer la longueur du discours de Julien ainsi que la sincérité de Julien à travers
le pronom indéfini “tout” à la ligne 17.

Les réactions face au discours passionné de Julien sont très différentes, d’un côté, Stendhal
se moque de l’avocat général à travers son comportement. En effet, l’auteur inclut de l’ironie
mise en évidence par l’hyperbole “bondissait”.

D’un autre côté, Stendhal décrit la réaction des femmes aux lignes 19 et 20, cette
description a pour objectif de montrer que le discours de Julien est trop abstrait pour les
femmes et qu’elles ne peuvent pas le comprendre et que c’est pour cela qu’elles sont en
train de pleurer. Il est également intéressant de relever le fait que Stendhal montre que
seules les femmes sont capables d’empathie pour Julien, le pronom “toutes” souligne que
l’émotion est unanime.

Conclusion :

Ainsi, ce discours est paradoxal car Julien ne cherche pas à attirer la bienveillance des
juges et qu’il ne s’excuse pas, il s’accuse, puis il retourne l’accusation contre les jurés et
souligne les différences entre classes sociales qui provoque l’indignation générale sauf pour
les femmes qui restent un peu étrangères au débat.
On peut mettre ce texte en lien avec le personnage de Meursault dans l’Etranger de Camus
où il est jugé non pas pour son crime mais pour sa personnalité, bien que la question des
différences sociales n’y soit pas abordée.

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