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Le procès de Meursault

Intro :
L’affaiblissement du héros de roman, amorcé avec le courant réaliste au 19ème siècle,
s’est amplifié dans la littérature romanesque du siècle suivant : le héros n’est plus héroïque,
mais le plus souvent un anti-héros.
C’est ainsi que Camus, pour illustrer sa thèse philosophique de l’absurde, met en
scène dans le roman L’Etranger publié en 1942, la figure étrange d’un homme, Meursault,
jeune français vivant en Algérie, qui à la fin de la première partie du roman, tue un homme
sans réelle raison. La deuxième partie du roman raconte son incarcération et son procès. Au
chapitre 4, le réquisitoire du procureur est suivi de la plaidoirie de l’avocat de la défense.
Notre objectif va être de comprendre comment le procès de Meursault permet de
montrer la vision de l'homme absurde d’Albert Camus ?
Pour cela, nous verrons d’abord le regard de Meursault sur son procès des lignes 1 à
10, puis, jusqu’à la ligne 18, nous nous intéresserons à une plaidoirie qui dresse un portrait
de Meursault et enfin, dans les 4 dernières lignes, nous étudierons la réaction de Meursault
après la plaidoirie.

1ère Partie : Le regard de Meursault sur son procès :


Dès le début du texte, on observe que la description qui est donnée par Meursault
sur son procès relève du détail, ces détails semblent pourtant insignifiants comme le fait que
les ventilateurs brassent l’air ou bien que l’air soit épais ou encore que les jurés aient
éventails multicolores qu'ils agitent. On a l’impression que Meursault ne porte pas attention
à son procès qui est pourtant le sujet du texte.
Il a l’impression d’assister à quelque chose de vide de sens pour lui, on peut voir cela
avec l’hyperbole “ne devoir jamais finir” ligne 3 qui souligne une sensation de longueur et
d’ennui et donc de désintérêt.
Le connecteur “cependant” qui est ensuite utilisé par le personnage marque un effet
de rupture : l’ennui va laisser place à la curiosité et à l’étonnement du personnage, c’est la
première fois qu’on entre vraiment dans le procès. Cet étonnement est notamment mis en
avant de par son incompréhension par rapport au fait que l’avocat parle à la première
personne. D’ailleurs, Meursault finit par dire lui-même : “J’étais très étonné.”
Dans cette première partie du texte, on a vraiment la sensation que Meursault est
étranger à son procès, il en est presque exclu, on remarque cela avec les différentes
questions qu’il se pose ainsi qu’avec l’expression “il m’a dit de me taire” à la ligne 5, cette
phrase est simple mais brutale et montre qu’il n’est même pas acteur de son procès.
Par ailleurs, la réponse du gendarme à Meursault “Tous les avocats font ça” permet
de faire ressortir le conformisme de tous les avocats ce qui montre que le discours de
l’avocat est stéréotypé et que la plaidoirie ne contient aucune originalité.
Aux lignes 6 et 7, on retourne dans les pensées du personnage. Il utilise un rythme
ternaire, je cite : “m’écarter encore de l’affaire, me réduire à zéro et, en un certain sens, se
substituer à moi”, cela inclut un effet d’accumulation qui évoque à la fois une analyse précise
de la scène de la part de Meursault mais aussi le fait qu’il est presque chassé de son propre
procès.
On remarque en effet une prise de recul de Meursault, je cite : “j’étais déjà très loin
de cette salle d’audience”, l’emploi du modalisateur “je crois” souligne l’incertitude du
personnage, on a l’impression qu’il ne sait plus où il est et qu’il perd pied par rapport à la
réalité.
Cette incertitude est confirmée par la suite avec la phrase “d’ailleurs, il m’a semblé
ridicule”, ce ressenti est assez étonnant, on a l’impression que Meursault voit son avocat
comme un acteur comique qui joue un rôle absurde, ce qui est paradoxal par rapport à la
fonction de l’avocat qui incarne normalement un rôle sérieux.
Meursault nous annonce ensuite en une phrase le plan de la plaidoirie de l’avocat, je
cite : “Il a plaidé la provocation très rapidement et puis lui aussi a parlé de mon âme”, la
plaidoirie est donc divisée en 2 parties, la première est l’excuse de la légitime défense mais
est totalement fausse, et dans la deuxième partie de son discours, l’avocat va parler de
l’âme de Meursault.
Mais le constat de ce dernier montre qu’il a un sentiment de gâchis car l’argument le
plus important est bâclé par l’avocat.
Finalement, ce qui est intéressant dans cette première partie du texte, c’est la
focalisation interne du personnage puisqu’elle permet à la fois d’entrer dans les pensées de
Meursault, et de le comprendre, mais aussi de découvrir que c’est une personne assez
étrange car il fait attention à des détails totalement insignifiants. Ce portrait va se confirmer
dans la deuxième partie du texte avec la plaidoirie qui dresse le portrait de Meursault.

2ème Partie : Une plaidoirie qui dresse un portrait de Meursault :


On assiste à la ligne 10 une rupture puisque l’on passe du récit au discours direct,
Meursault ne rapporte que peu de phrases de son avocat mais les met en évidence
notamment des lignes 10 à 12 avec une très longue citation qui marque un effet de rupture
par rapport aux phrases courtes du début du texte.
On a l’impression d’un avocat arrogant, qui a un discours grandiloquent, sa phrase
est arrogante car “l’éminent représentant du ministère public” est une périphrase qui désigne
le procureur et qui a pour but d’être ironique et hyperbolique. L’avocat se met en avant
comme un psychologue qui a réussi à lire dans l’âme de Meursault, cette métaphore, qui a
pourtant pour objectif de défendre Meursault, ne fait que le dévaloriser en lui faisant perdre
son statut d’humain.
On voit que Meursault ne prend pas la peine de raconter tout ce que raconte
l’avocat, il finit par en faire un résumé. Ses phrases résument des minutes de discours. Il
rapporte différentes caractéristiques chez lui selon l’avocat : le fait qu’il soit un “honnête
homme”, ce qui est assez paradoxal et ironique pour un meurtrier, mais aussi un “travailleur
régulier infatigable” et “stable” ce qui sous-entend Meursault est quelqu’un de stable et de
régulier dans sa vie professionnelle, ce qui n’est cette fois pas forcément faux, mais le côté
hyperbolique donné à la phrase forme toutefois un portrait paradoxal que l’on retrouve aussi
avec l’expression “aimé de tous” qui est elle aussi hyperbolique. Ce portrait, qui est donc en
grande partie mensonger, provoque du ridicule dans la plaidoirie de l’avocat.
L’expression qu'emploie ensuite Meursault à la ligne 14 “pour lui” montre qu’il ne se
reconnaît pas dans le portrait que dresse l’avocat de lui. Meursault montre toujours que
l’avocat le décrit avec des propos hyperboliques, cela montre l’absurde de ce portrait qui est
faux. L’avocat dépeint Meursault comme quelqu’un de bienveillant, attentif et pauvre, ce qui
le rend pathétique, il veut simplement faire éprouver de la pitié aux jurés.
On en revient ensuite au discours direct, le dernier argument de l’avocat, qu’il
adresse directement à son destinataire, consiste à retourner l’accusation contre l’Etat. La
tournure de phrase est complexe, on retrouve un effet de manche chez l’avocat car il tente
aussi de créer un effet de surprise puisqu’il rejette la proposition principale qui contient
l’accusation et qui se trouve à la fin.
Ainsi, les différentes exagérations de l’avocat lui permettent de dresser le portrait de
Meursault, mais on comprend que ce portrait est faux et que les jurés n’y croient pas. Nous
allons désormais nous intéresser à la réaction de Meursault suite à cette plaidoirie.

3ème Partie : La réaction de Meursault :


Dans la dernière partie du texte, Meursault fait un résumé et analyse la plaidoirie, il
est conscient de l’échec de la plaidoirie de son avocat. Il souligne d’ailleurs un manque
important puisque son avocat n’a pas mentionné l'enterrement de sa mère qui aurait pu être
un bon argument de défense pour lui.
Il résume cette plaidoirie à de “longues phrases” ennuyantes et vides de sens. Il
exprime cela avec un rythme ternaire construit grâce au procédé d’accumulation, je cite : “à
cause de toutes ces longues phrases, de toutes ces journées et ces heures interminables
pendant lesquelles on avait parlé de mon âme.”
On remarque le mal être physique du personnage avec la métaphore de la noyade,
je cite : “j’ai eu l’impression que tout devenait comme une eau incolore où je trouvais le
vertige”, elle permet de montrer que Meursault perd pied dans son procès, il n’a aucun
repère dans le monde judiciaire. L’eau incolore évoque le désintérêt du personnage qui en a
marre et qui a l’impression que le monde s’évanouit autour de lui.

Conclusion :
Ainsi, le procès de Meursault est tout à fait révélateur du caractère et de la spécificité
du personnage. Le regard qu’il porte sur son procès, la façon dont il rapporte la plaidoirie de
son avocat ainsi que le vertige qui lui fait perdre pied à la fin, nous révèlent un héros de
roman étrange, insensible, exclu de la société et étonné devant l’absurdité du monde dans
lequel il vit et auquel il se sent totalement étranger.
Cette attitude de Meursault, étonnante et surprenante pour le lecteur, illustre bien la
définition de ce que Camus appelle “l’homme absurde” dans son essai philosophique publié
également en 1942 intitulé Le Mythe de Sisyphe, je cite : “Un jour seulement, le “pourquoi”
s’élève et tout commence dans cette lassitude teintée d’écoeurement”.

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